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Regards prospectifs sur l’État stratège

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Regards prospectifssur l’État stratège

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AVANT-PROPOS

L’exposition du Plan

Ce document que je remets au Premier ministre est d’un genre particulier. Le Commissariat général duPlan, comme Service du Premier ministre, réalise à cette occasion une production significative de satransformation et du rôle qu’il doit désormais jouer dans le cadre de nos institutions.

Treize mois après avoir été nommé comme Commissaire au Plan, je suis fier d’être à la tête d’uneadministration de mission que je juge aujourd’hui en ordre de marche. La tâche était double : fairedésormais de l’avenir le seul objet du Plan et transformer son organisation pour atteindre cet objectif.Cette réforme de l’État à travers une petite administration (cent soixante personnes) n’a riend’idéologique : elle obéit au seul impératif d’adapter son fonctionnement à sa nouvelle mission.

En prenant pour mission la prospective de l’État stratège, le Plan devait se transformer dans sonfonctionnement et dans ses productions. Je ne m’étendrai ni sur les résistances ni sur les enthousiasmes,car seuls compteront les résultats et les contributions du Plan aux débats et aux décisions publiques.L’évaluation ne portera, à juste titre, que sur les services rendus par le Plan et non sur la modernisationde son organisation qui n’est que moyen ou méthode.

La nouvelle mission du Plan correspond à plusieurs nécessités qui constituent l’environnement de ladécision publique. La pression des urgences et du court terme justifie qu’un service du Premier ministretravaille sur des horizons différents. Par ailleurs, l’État, trop souvent invoqué, fustigé ou convoqué, semétamorphose sous les doubles effets de la décentralisation et de l’Europe. Aussi ces deux dimensionscruciales doivent-elles être intégrées à toute pensée de l’État qui s’articule sur son rôle au regard del’intérêt général et du bien public.

Les textes rassemblés dans ce document correspondent à des réflexions qui sont encore incomplètes,inachevées et provisoires. Leurs avancements sont inégaux et hétérogènes, car j’avais fixé une échéancecommune pour des groupes qui progressent à des rythmes différents : la diversité de leur objet, lechangement culturel qu’ils imposent à leurs producteurs, la variété de leurs champs respectifs marquentle sens et la qualité des textes publiés.

On trouvera deux grandes catégories de textes : d’une part les textes qui portent sur les quatre thèmesprioritaires du Premier ministre indiqués dans sa lettre du 21 novembre 2003 ; d’autre part, les notes dequatre pages élaborées par chaque groupe de projet et rédigées trois fois par an.

De statuts différents, ces textes n’en constituent pas moins une véritable prise de risque pour leurs auteursplus souvent habitués à la relative sécurité que procurait un rapport final remis au terme de deux ou troisans. Ils constituent une apparente discontinuité avec les productions coutumières du Plan. Ils ne sont passignés car ils constituent une production collective. J’en profite pour remercier tous ceux – chefs deprojet, chefs de service, assistants, documentalistes, stagiaires, professionnels, acteurs multiples – qui sesont engagés et exposés dans ces écrits : le Plan d’aujourd’hui n’est que le résultat de leurs contributions.La publication de ces textes est cohérente avec la nouvelle mission du Plan. On aurait tort d’y voir uneréduction de contenu au regard des rapports traditionnels et épais qui rythmaient la vie du Plan. Certes,des groupes pourront, au bout d’un certain temps, rédiger un rapport final. Mais en attendant, les travauxdu Plan doivent animer le débat public et les textes publiés dans ce fascicule comme sur notre siteInternet – au demeurant très visité depuis sa modernisation – doivent provoquer réactions etcontributions. Le Plan sera désormais exposé.

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Cette prise de risque est nécessaire pour affirmer le nouveau rôle du Plan. En effet, travailler sur laprospective de l’État stratège ne signifie pas que le Plan se contente d’être un éclaireur supposé être enavance sur son temps. Certes, le travail de fond que mène le Plan se distingue par nature de la dictaturedu court terme qui pèse aujourd’hui sur les acteurs sociaux, économiques et politiques. Mais desdécisions se prennent aujourd’hui qui ne peuvent nous laisser indifférents. C’est pourquoi, le Plan doitêtre en permanence réactif.

Aussi notre travail prospectif pose-t-il la question de sa relation avec la décision ou le contexte politiquehic et nunc. La résolution de ce problème est strictement empirique. En premier lieu, chaque ministre quiprépare une décision ou un plan d’actions peut nous consulter si nous disposons des compétencesdésirées. Ce peut être aussi bien le cas sur la cohésion sociale que sur la réforme de l’État. En accordavec le Premier ministre, nous sommes à la disposition des décideurs politiques ou des parlementairesqui le souhaitent. En deuxième lieu, le Plan, avec ses groupes de projet, peut investir sur le rôle de l’Étatà venir sur des problèmes ou des conflits qui sont manifestes aujourd’hui : tel est le cas du groupe Orfeoqui traite de l’emploi culturel ou du groupe Jonas qui étudie «l’application raisonnée du principe deprécaution» à la demande du Premier ministre. L’indiscipline intellectuelle nous conduit à privilégier desapproches originales qui prennent leur distance avec les négociations ou conflits en cours.

Cette indiscipline, distincte de la pagaille, nous interdit cependant d’aborder en solo des questions quisont traitées ailleurs. Par exemple, tout en investissant dans le domaine de la santé, nous ne prétendonsnullement redoubler les travaux du Haut Conseil sur la réforme de l’assurance-maladie. Nous préféronsconcentrer nos groupes de projet sur la prévention (Caducée), sur la gestion de fin de vie (Geste) ou surl’organisation territoriale du système de santé (Poles). En troisième lieu, la position transversale etinterministérielle du Plan peut lui permettre de répondre à des demandes spécifiques d’uneadministration en travaillant sur des objets dont l’abord est difficile ou dont l’approche est trop dispersée.Tel est le cas du groupe Carnot avec l’efficacité énergétique ou du groupe Synapse avec la question del’aéronautique. Mais le Plan peut aussi prendre des initiatives originales quand il considère que l’instancepolitique délaisse des objets qui mériteraient meilleurs investissements. À la focalisation sur la créationd’entreprises, nous préférons la réflexion sur le rôle de l’État dans le développement des entreprises(groupe Astypalea).

Le Plan ne revendique aucune propriété intellectuelle. Son histoire, depuis 1946, en fait un lieu derencontres et d’échanges. Aujourd’hui comme hier, chaque membre d’un groupe de projet doit repartird’où il vient, enrichi par le frottement des cerveaux. Sa fidélité à nos travaux tient à cette plus-value quiconstitue l’actif immatériel principal du Plan et son attractivité spécifique. Personne ne sait que la CSGou le chèque-service sont issus des travaux effectués rue de Martignac. L’utilité sociale importedavantage que la labélisation, même si quelque frustration se manifeste dans certaines prétéritions oucritiques externes.

Les quatre textes qui ouvrent ce volume ont un statut particulier. Fruits des travaux menés par lescoordinateurs, ils répondent à la demande effectuée par le Premier ministre dans sa lettre du 21novembre. Leurs contenus sont plus vastes que les seuls travaux menés au Plan. Ils utilisent les résultatsprovisoires des groupes de projet mais vont aussi chercher ailleurs les connaissances que ne produit pasle Plan lui-même.

La prospective de l’État stratège n’implique pas une rupture radicale dans l’histoire du Commissariatgénéral du Plan. L’avenir est l’élément du Plan, en cohérence avec l’idée originelle de Jean Monnet. Destravaux sont développés qui sont en continuité avec des compétences traditionnellement reconnues auPlan : Ainsi en est-il de la prospective des métiers et qualifications qui prend un nouvel élan ou dugroupe de travail présidé par Daniel Lebègue sur le taux d’actualisation. Le genre littéraire du rapport sicher au Plan et souvent très apprécié pour ses qualités analytiques n’est pas abandonné mais il constituedésormais un résultat possible sans être un objectif en soi.

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«Regards prospectifs sur l’État stratège» sera remis tous les six mois au Premier ministre. Le deuxième,remis à la fin 2004, sera enrichi par le sens même de notre démarche : il intégrera davantage ladimension prospective encore balbutiante car la prospective ne peut, en un premier temps, se passer desdiagnostics nécessaires. Il sera le résultat d’une confrontation avec les partenaires sociaux qui serontconsultés durant l’automne sur l’avancement de nos travaux. Notre approche de l’État équilibreradavantage les dimensions territoriales et européennes qui sont indispensables pour penser le rôle de l’Étatdans ses périmètres à venir. Enfin, il nous faudra développer davantage l’association de l’État à la notiond’intérêt général dont il peut n’être pas le seul garant.

Ces textes se situent dans un ordre dynamique. Ils doivent progresser et s’améliorer avec le temps et ladiversité des contributions qui les enrichissent. Des groupes de projet naîtront, d’autres disparaîtront enfonction des avis du Comité d’évaluation sur la qualité de leurs travaux, des demandes du Premierministre sur l’importance d’objets nouveaux, mais aussi de leur vie propre variable selon chaque cas.

Alain Etchegoyen

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SOMMAIRE

Thème prioritaire – Recherche – Innovation – Croissance et développement durables 15Recherche et innovation : quelques repères pour l’action publique

1. La recherche et l’innovation face à une multitude de défis 161.1. La recherche et l’innovation comme piliers de la compétitivité

dans une économie mondialisée 161.2. Les relations science société et les exigences du développement durable 161.3. Les «fractures» dans l’accès du savoir 17

2. Définir les priorités S & T comme choix économique et comme choix de société 172.1. Les priorités S & T comme choix économiques et comme choix de société 182.2. Les dispositifs de définition et de mise en œuvre des priorités stratégiques 18

3. Les leviers de l’action publique dans le domaine de la recherche et de l’innovation 203.1. Renforcer les moyens financiers 203.2. Redéfinir les missions des chercheurs dans le secteur public 223.3. Miser sur les pôles d’innovation 243.4. Être moteur dans la construction de l’espace européen de la recherche

et de l’enseignement supérieur 264. Résumé et perspectives 28

Thème prioritaire – Emploi – Métiers – Formations 29Objectif plein emploi : le rôle de l’État

1. Réduction du chômage et croissance de la productivité peuvent aller de pair 292. Incertitudes, menaces, lueurs d’espoir 30

2.1. Incertitude sur l’effet des départs en retraite 302.2. Inquiétude sur les délocalisations 312.3. La résilience : une vertu collective à partager 31

3. Les voies de la reconquête d’une maîtrise de l’emploi 323.1. Adaptation offensive à l’économie de la connaissance :

trouver une synergie maximale entre l’Europe, l’État et les régions 333.2. Développer les services aux particuliers 343.3. La politique de l’emploi : baisse des charges ou effort de formation ? 35

4. Moderniser notre système d’emploi 364.1. La relation d’emploi reste plus stable qu’on ne le croit… 364.2. …mais la modernisation de notre système d’emploi n’est pas achevée 37

5. Conclusion : un rôle nouveau pour l’État 38

Thème prioritaire – Intégration sociale 39Faire vivre ensemble la «société des individus»

1. Le bouleversement des rapports entre individus, groupes et société 391.1. Transformations du lien civique 391.2. Crise de la transmission 401.3. Vitalité des liens privés 411.4. Des identités choisies et multiples 42

2. Repenser les processus d’intégration sociale 442.1. Quel monde commun ? 442.2. Comment rendre les mondes sociaux compatibles ? 462.3. Comment rendre les mondes perméables ? 48

3. Résumé 49

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Thème prioritaire – Santé publique – Application du principe de précaution 51Système de santé : la réforme et ses valeurs

1. La valorisation de la santé : un mouvement de fond 511.1. Un bien public mondial 511.2. France : quand la santé devient publique… 52

2. Rationalité procédurale et introduction du principe d’économie 542.1. Le principe de précaution en débat 542.2. Entre évaluation et gestion des risques : organiser l’analyse socio-économique 552.3. La valeur de la vie humaine : le principe d’économie articulé à l’évaluation

de la contribution à la santé 552.4. Un exemple d’immaturité 56

3. La santé : un bien supérieur ? 574. Trajectoire «au fil de l’eau» : le futur comme contrainte 57

4.1. Le poids du vieillissement 584.2. La pression technologique et industrielle : l’innovation n’a pas de prix… 594.3. Le développement de la «médecine défensive»

face aux mises en cause de la responsabilité 595. Le futur comme opportunité 60

5.1. L’ouverture européenne 605.2. Médicament : que rémunérera-t-on demain ? 605.3. La frontière des métiers 615.4. L’hôpital : management et territorialisation 625.5. Individualisation des contraintes ou organisation d’un secteur 63

6. Conclusion : Donner du sens à la réforme de la gouvernance 63

Groupe ArianeLa conduite du changement dans le secteur public : premiers résultats 65

Groupe AstypaleaProspective des conditions financières du développement des entreprises 71L’État stratège, la finance et l’entreprise 75

Groupe CaducéeLe temps de la prévention : premier bilan du séminaire 79Politiques publiques de prévention : peut-on fixer quelques règles ? 85

Groupe CosmosDes micro-scénarios prospectifs pour la presse écrite 91

Groupe DéméterProspective du rôle de l’État dans la formation professionnelle 97

Groupe ÉquilibresLa responsabilité sociale des entreprises (RSE) 103Le développement durable 107

Groupe GesteL’État et la fin de vie 111

Groupe ManonLes conflits d’usage dans les espaces ruraux et périurbains :un enjeu du débat public – premiers résultats du groupe 117L’évolution future des conflits d’usage envisagée à partir des 4 scénariossur les campagnes françaises à l’horizon 2020 123

Groupe MidiMigrations internationales et développement intégré 129

Groupe OrfeoProspective du rôle de l’État vis-à-vis de la création et du travail artistiques 133

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Groupe PériclèsR & D et stratégies de développement durable 137

Groupe PerrouxLes risques d’une politique régionale européenne minimale face au défi de l’élargissement 141Forces et faiblesses des régions françaises dans l’Europe élargie 145

Groupe PietaLa propriété intellectuelle au service de la recherche publique : jusqu’à quel point ? 149

Groupe PMQProspective des métiers et des qualifications : un diagnostic 155

Groupe PolesLes élus et la territorialisation du système de santé 159

Groupe SaraswatiAttractivité pour les étudiants étrangers et potentiel de la recherche en France 163

Groupe SigmaL’intégration sociale : une dynamique au croisement des parcours individuels,des attentes sociales et des politiques publiques 169

Groupe SynapseL’avenir des industries aéronautiques en France : une approche systémique 173Les budgets militaires de recherche aéronautique et spatiale 177

Groupe TélémaqueRisques non assurables et rôle de l’État 183

Groupe ThéséeLa relation au travail : questionnement à 15 ans 187

Groupe ThomasDe l’entreprise comme unité pertinente de négociation – Normaliser le dialogue socialdans l’entreprise-réseau : enjeux, diagnostics et scénarios 191

Groupe UtilitiesServices publics en réseaux : éléments de prospective de la régulation 197

AnnexeMembres des groupes de projet 205

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Coordinateurs des thèmes prioritaires :

• Sandrine Paillard, chargée de mission, pour «Recherche - Innovation - Croissance et développementdurables»

• Yves Chassard, chef du Service des affaires sociales (SAS), pour «Emplois - Métiers - Formations»

• Pierre-Yves Cusset, chargé de mission, pour «Intégration sociale»

• Stéphane Le Bouler, chargé de mission, pour «Santé publique - Application du principe de précaution»

Secrétariat des groupes de projet :

Il assure la relecture de l’ensemble des documents produits par le Plan et destinés à une diffusionextérieure, numérique ou papier.

Il se réunit chaque semaine sous la direction de Jean Berthezène, Commissaire adjoint.

Il est constitué de :

• Catherine Bassani-Pillot, chargée de la communication interne et des relations institutionnelles

• Marie-Christine Gorju, assistante des groupes de projet

• Nicole Mas, assistante de Jean Berthezène

et des chefs de projet des groupes transversaux :

• Bruno Hérault, chargé de mission, groupe ALEPH

• Philippe Hirtzman, chef du Service des entreprises et du développement des activitéséconomiques (SEDAE), groupe RACINES

• Jean-Louis Levet, chargé de mission auprès du Commissaire, groupe EUROPE

• Vanessa Wisnia-Weill, chargée de mission, groupe EUROPE

Réalisation :

• Françoise Causse, assistante PAO

• Didier Cury et son équipe, reprographie

• Jean-Michel Krassovich, secrétaire de rédaction

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GROUPES DE PROJET

ALEPHProspective de l’État stratège et de ses fonctionsanticipatricesChef de projet : Bruno Hérault

ARIANEProspective de la conduite du changement dans lesecteur publicChef de projet : Aurélien Colson

ASTYPALEALa promotion par l’État d’un environnementfinancier favorable au développement des entre-prisesChef de projet : Olivier Passet

CADUCÉESanté publique et système de soins : les devoirs del’État stratègeChefs de projet : Marc Brodin et Stéphane Le Bouler

CARNOTRedéfinir le rôle de l’État stratège en matière demaîtrise de l’énergieChef de projet : Bertrand Wiedemann-Goiran

COSMOSProspective de la stratégie de l’État dans lesmutations des médiasChefs de projet : Sylvie Bénard et Bernard Benyamin

DELOSProspective des nouvelles pistes pour restaurer leplein emploi en FranceChef de projet : Olivier Passet

DÉMÉTERProspective du rôle de l’État dans la conception etle pilotage des dispositifs de formation profes-sionnelleChef de projet : Benoît Lajudie

ÉQUILIBRESProspective du rôle de l’État stratège face auxenjeux de développement durableChef de projet : Alain Ayong Le Kama

EUROPEProspective pour une France intégrée dans l’UnioneuropéenneChefs de projet : Jean-Louis Levet et VanessaWisnia-Weill

GESTEProspective du rôle de l’État dans la prise en chargede la fin de vie des personnes de grand âgeChef de projet : Sébastien Doutreligne

GLOSSAProspective du rôle de l’État dans la régulationfinancièreChef de projet : Marc-Antoine Kleinpeter

JONASProspective des usages opérationnels du principede précautionChefs de projet : François Ewald et Stéphane LeBouler

KAZANProspective de la population active, des besoins demain-d’œuvre et des migrationsChefs de projet : Maryse Aoudai et François Gaudu

MANONProspective des conflits d'usage dans les espacesruraux et périurbainsChef de projet : Marc Guérin

MIDIProspective de la politique d’immigration de laFrance, élément d’une politique d’aide au dévelop-pementChef de projet : Lionel Fontagné, CEPII

MOSTRAProspective sur les principes d’action de l’État dansles champs de la relation de travail, de l’emploi etde la formation professionnelleChefs de projet : Pierre-Jean Andrieu et Yves Chassard

ORFEOProspective du rôle de l’État vis-à-vis de la créationet du travail artistiquesChef de projet : Michel Mirandon

PÉRICLÈSProjet sur l’effort de recherche intensif compatibleavec les exigences de la soutenabilitéChef de projet : Paul Zagamé

PERROUXProspective de localisation des activités pour lesrégions françaises dans une Union européenneélargieChef de projet : El Mouhoub Mouhoud

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PIETAProspective de la propriété intellectuelle pour l’ÉtatstratègeChef de projet : Rémi Lallement

POLESProspective de l’organisation territoriale du systèmede soinsChef de projet : Sandrine Chambaretaud

PROMÉTHÉEProspective des métiers et qualifications, le point devue des branchesChef de projet : Christine Afriat

RACINESProspective de la demande d’État stratège de la partdes collectivités territorialesChef de projet : Philippe Hirtzman

SARASWATIProspective de l’État et attractivité de la Francedans le domaine des activités de recherche-développement-innovationChef de projet : Mohamed Harfi

SIGMAProspective de l’intégration socialeChef de projet : Lucile Schmid

SIRÈNEProspective et stratégie de l’attractivité culturelle dela FranceChef de projet : Gilles Arnaud

SYNAPSEProspective de l’industrie aéronautique et aéro-spatiale française dans un cadre européen et de lastratégie aéronautique de l’Europe au niveaumondialChef de projet : Dominique Namur

TÉLÉMAQUEL’État face aux nouveaux risques financiersChefs de projet : Jean-Paul Betbèze et GuilhemBentoglio

THÉSÉEProspective du marché du travail : l’État face auxmutations de la relation au travailChef de projet : Annick Guilloux

THOMASProspective des règles de la négociation socialeChef de projet : Laurent Duclos

UTILITIESProspective du rôle de l’État face à l’évolution desservices publics en réseauxChefs de projet : Luc Baumstark et Christian Vilmart

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THÈME PRIORITAIRE

Recherche – Innovation –Croissance et développement durables

Recherche et innovation : quelques repères pour l’action publique

La recherche et l’innovation concernent un vasteensemble d’activités, d’acteurs et d’institutions.L’innovation ne se limite pas à la commer-cialisation de nouveaux produits conçus à partirdes résultats de la recherche scientifique. Toutd’abord, l’innovation technologique est souventcomplémentaire d’autres types d’innovation :nouvelles formes d’organisation de la productionou de la distribution, nouveaux marchés, nouveauxservices… Ainsi, par exemple, la diffusion destechnologies de l’information et de la com-munication (TIC) dans les entreprises tout au longdes années 1980 et 1990 a-t-elle étécomplémentaire d’une organisation plus trans-versale du travail. Ensuite, l’innovation dans lesentreprises peut être indépendante de latechnologie ; la transformation des modes demanagement, les nouveaux types de relation avecla clientèle, par exemple, ne reposent pas toujourssur de nouvelles technologies. Enfin, l’innovationn’est pas circonscrite aux activités économiques ;elle touche toute la société au travers des modes devie, de la création artistique, des institutions, etc.

Le Plan s’est engagé dans des réflexions pros-pectives, dont certaines concernent directementnotre système d’innovation. Il s’agit de réfléchir auxavenirs possibles de ce système, tant dans sonorganisation qu’en ce qui concerne sa place dansl’économie et la société, et d’envisager quel pourraêtre le rôle de l’État en la matière. Les travaux duPlan sur la recherche et l’innovation, conduits eninteraction forte avec d’autres lieux de réflexion,donnent leurs premiers résultats. Ceux-ci neconcernent pas encore l’ensemble du systèmed’innovation mais sont centrés sur la recherche etdéveloppement (R & D) et les innovationstechnologiques qui en découlent. Ces résultats nesont pas définitifs, ils se veulent avant tout despistes de réflexion pour l’action publique.

Depuis les années 1990, la recherche etl’innovation sont au cœur des stratégies decroissance et de compétitivité des pays développéset de ceux qui ont connu un développementrapide. Les États-Unis, en adoptant cette stratégiedès le début des années 1980, ont réussi àrenouveler les sources de leur dynamisme et àmaintenir leur position de «leader». Ces stratégies,communes aux pouvoirs publics et aux entreprises,

se sont traduites par une accélération du rythmedes progrès scientifiques et technologiques (S & T)et des innovations.

Pour les citoyens, les effets de cette accélération surle bien-être sont de plus en plus controversés.Certains voient dans les avancées S & T unesolution à tous les problèmes : elles sont source decroissance et d’emploi, elles permettrontd’éradiquer la faim dans le monde et d’apporterune solution aux problèmes environnementaux.D’autres y voient la cause de tous les maux :destruction d’emplois, renforcement des inégalitésNord-Sud, mise en péril de l’avenir même del’humanité par la destruction de l’environnement etles dérives d’une volonté toujours plus grande demanipuler le vivant. Pour la plupart, le bilan estmitigé, plutôt positif dans tel domaine, plutôtnégatif dans tel autre, mais le sentiment qui domineest que l’accélération des avancées S & T n’est pasmaîtrisée.

Le système de recherche et d’innovation se trouvedonc au centre de nombreux débats. Il doit aider lasociété à relever de multiples défis, qui paraissentpourtant difficiles à concilier tant ils sont sourcesde dilemmes. Ainsi, l’ambition européenne est-ellede devenir à la fois «l’économie de la connaissancela plus compétitive et la plus dynamique dumonde, capable d’une croissance économiquedurable accompagnée d’une amélioration quanti-tative et qualitative de l’emploi et d’une plusgrande cohésion sociale » 1.

Le rôle de l’État est triple ; il doit anticiper et traiterles problèmes, apercevoir et saisir les opportunitéset résorber les tensions et les conflits. Face auxdéfis auxquels fait face le monde de la recherche etde l’innovation, l’État doit donner les moyens auxacteurs de trouver les équilibres leur permettant derésoudre les dilemmes ; moyens financiers certes,mais aussi modernisation d’institutions qui ont étéconçues à un moment où les choses étaient plussimples, à un moment où le progrès de laconnaissance, le progrès économique et le progrèssocial étaient non seulement compatibles maisaussi se renforçaient mutuellement.

(1) Conseil européen de Lisbonne, mars 2000.

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1. La recherche et l’innovationface à une multitude de défis

1.1. La recherche et l’innovationcomme piliers de la compétitivitédans une économie mondialisée

La mondialisation résulte de phénomènes divers : lesprogrès techniques dans les transports et lestélécommunications, la libéralisation des marchés, larecherche par les entreprises de nouveauxdébouchés et d’une baisse de leurs coûts deproduction, l’émergence de nouveaux pays qui ens’industrialisant participent au commerce inter-national, etc. Ces phénomènes se renforcentmutuellement et continueront d’agir dans lesdécennies à venir dans le sens d’une interna-tionalisation toujours plus grande des activitéséconomiques. Celle-ci se traduit par uneaccentuation de la concurrence qui touche lesmarchés des biens et services mais aussi de manièrecroissante les territoires, puisque les entreprisesorganisent leurs activités à l’échelle du monde.

Le système français de recherche et d’innovationest concerné au premier plan par la mondialisation.D’une part, la compétitivité de la France repose engrande partie sur les activités intensives en savoir,qui mobilisent des niveaux de compétences S & Tet de qualification élevés. Ainsi, l’efficacité de notresystème de recherche et d’innovation est un pilierde notre compétitivité future. D’autre part, alorsque pendant longtemps les activités de R & Détaient peu touchées par l’internationalisation, lamobilité accrue des étudiants, des chercheurs etdes capitaux investis dans la R & D se traduit parune mise en concurrence des systèmes derecherche et d’innovation nationaux.

La France enregistre de bons résultats sur le plan dela compétitivité et demeure attractive pour lesinvestissements en R & D. Toutefois, la capacité àmoyen terme du système français de recherche etd’innovation à entretenir la compétitivité de notreéconomie n’est pas garantie.

• D’une part, les études comparatives menées parl’OCDE ou la Commission européenne révèlentune détérioration de la position de la France enmatière de recherche et d’innovation, notammentface aux États-Unis ou aux pays du Nord del’Europe, que la récente crise de la recherchepublique ne fait que confirmer. Cette détériorationprend différentes formes. La France n’est pas bienplacée dans les activités relatives aux nouvellestechnologies, qui par leur caractère générique, sont(pour les TIC) ou deviendront (pour les bio et nano-technologies) essentielles dans la production detous les biens et services. L’enseignement supérieuret la recherche publique français ne sont pas

suffisamment attractifs à la fois pour les étudiantsqui souhaitent se former par la recherche, pour lesenseignants et les chercheurs. À terme, cecipourrait se traduire par un déclin de l’attractivité denotre territoire pour les investissements en R & D, ycompris de la part des grandes entreprisesfrançaises qui pourraient multiplier leur localisationà l’étranger.

• D’autre part, la concurrence dans les activitésintensives en savoir va s’accentuer du fait de lamontée en puissance de pays comme la Chine etl’Inde ou de certains pays participant àl’élargissement de l’Union européenne, quicombineront faible coût de la main-d’œuvre etcompétences de pointe en S & T.

1.2. Les relations science-sociétéet les exigences du développement durable

La croissance économique et les avancées S & Tsur lesquelles elle repose induisent des effetsnégatifs sur notre environnement qui prennentaujourd’hui quatre formes principales : 1) ladégradation des milieux naturels, 2) l’épuisementdes ressources naturelles, 3) le changementclimatique et 4) les risques écologiques etsanitaires. Au-delà des effets environnementaux, lesprogrès de la connaissance posent des problèmeséthiques quand ils touchent au vivant, à la libertéindividuelle ou encore aux relations Nord-Sud (autravers notamment de la recherche sur les maladiestouchant le tiers monde et des questions depropriété intellectuelle).

Les crises récentes à propos des effets potentiels ouavérés de certaines technologies (vache folle,OGM, clonage, etc.) ont pour effet une remise encause, au sein de la société, de l’idée de progrèspar la connaissance, qui pose la question de lamaîtrise des avancées S & T. D’un côté, desavancées non souhaitables du point de vue del’intérêt général peuvent continuer à voir le jour,sans contrôle a priori, nous condamnant à tenterd’en limiter les effets néfastes une fois qu’ils serévèlent. D’un autre côté, les crises associées à desprogrès S & T mal maîtrisés et/ou dont les effets ontété mal expliqués peuvent se traduire par unblocage de certaines avancées scientifiques,pourtant bénéfiques. Ainsi, la maîtrise des avancéesS & T a deux dimensions :

– la maîtrise scientifique : les chercheurs doiventétudier les effets potentiels d’une techniquesur l’environnement, la santé et la société ;

– la maîtrise politique : une fois évalués leseffets et les risques potentiels associés audéveloppement d’une technique, le choix dela développer, de stopper les travaux ou de

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recourir à un moratoire devient un choix desociété.

La question de la maîtrise des avancées S & Tmobilisera de façon croissante le monde de larecherche au travers de trois de ses missions : laproduction de connaissance, l’expertise et ledéveloppement de la culture S & T. Tout d’abord,les exigences de protection de l’environnement etde la santé, qui prennent de plus en plus la formede réglementations internationales, auront unimpact croissant sur l’orientation de la rechercheque ce soit pour développer des technologies«propres» ou pour trouver des solutions techniquespermettant de limiter les effets néfastes destechnologies existantes. Ensuite, les chercheursseront de plus en plus sollicités par les pouvoirspublics mais également par les entreprises et lesassociations en leur qualité d’expert dansl’évaluation des risques associés au développementd’une technologie. Enfin, la maîtrise politique desavancées S & T implique que les chercheursdevront davantage contribuer à apporter auxcitoyens et à leurs représentants la culture S & Tnécessaire à l’expression de leurs choix.

1.3. Les «fractures» dans l’accès au savoir

Le savoir et les compétences jouant un rôle deplus en plus déterminant dans notre économie, unaccès inégal aux connaissances est porteurd’exclusion aussi bien sociale que territoriale. Lesystème de recherche et d’innovation a un rôle àjouer pour limiter les risques de «fracture» dansl’accès au savoir. Concernant les individus, cerôle passe par l’accès à un enseignementsupérieur de qualité tandis que pour les territoires,l’ensemble du système de recherche etd’innovation est concerné.

L’accès des jeunes à l’enseignement supérieur afortement progressé depuis les années 1980puisque le nombre d’étudiants est passé de1 181 000 à 2 210 000 entre 1980 et 2003 2. Il n’apas été synonyme d’un accès réellement plus largeà l’acquisition de connaissances et de compétencesvalorisées sur le marché du travail. En effet, l’affluxmassif d’étudiants dans l’enseignement supérieur,qui touche essentiellement l’université, est dansune large mesure un échec en termes de formationet d’intégration professionnelles des jeunes. Cetéchec touche davantage les jeunes issus desmilieux les plus défavorisés. Ainsi, une étude duCEREQ (Centre d’études et de recherche sur lesqualifications) portant sur les jeunes arrivés sur lemarché du travail en 1998 après avoir mené desétudes supérieures montre que près de 25 % desjeunes qui ont poursuivi des études dans

(2) Chiffres du ministère de l’Éducation nationale.

l’enseignement supérieur, n’y ont pas obtenu dediplômes. Cette proportion atteint 46 % pour lesjeunes issus de l’immigration maghrébine.

Le rôle du système de recherche et d’innovationdans le développement des territoires fait l’objetd’un dilemme. Trois approches s’opposent, que cesoit aux niveaux national ou européen. La premièreinsiste sur la nécessité de laisser faire les processusde polarisation régionale des activités de R & D carl’agglomération est source de croissance etd’efficacité. La seconde approche consiste à luttercontre les processus de polarisation par despolitiques d’aides à la création d’universités ou decentres de recherche sur l’ensemble des territoires,en particulier les moins développés. La troisièmeapproche, qui émerge au niveau européen,envisage deux types de pôles : certains pôles ontpour objectif le développement d’industriesstratégiques et l’excellence scientifique tandis qued’autres ont pour objectif le rattrapage régional etla cohésion territoriale.

2. Définir les priorités S & Tcomme choix économiqueet comme choix de société

La capacité d’investissement en R & D de laFrance, même si elle peut être renforcée, ne pourraen aucun cas rivaliser avec celle de pays de grandetaille comme les États-Unis et le Japon, les leadersmondiaux sur le plan technologique, et comme laChine et l’Inde qui pourraient le devenir à unhorizon d’une vingtaine d’années. En 2000, lesdépenses totales (intérieures) de R & D françaisesne représentaient que 12,5 % de celles des États-Unis et ce pourcentage n’a cessé de baisser depuis20 ans. Quant à la Chine, ses dépenses de R & Ddépassent déjà celles de la France. La contrainte entermes de capacité d’investissement se doubled’une tendance à une augmentation du coût de larecherche. Par conséquent, pour rester ou devenirun acteur majeur dans certains domaines S & T, laFrance se trouve dans l’obligation de faire deschoix en finançant prioritairement les projetsrelatifs à ces domaines.

Or, la R & D française est peu spécialisée, relati-vement aux pays de taille comparable. Cette faiblespécialisation est renforcée par l’étiolement depuisles années 1980 des grands programmes. Cesderniers ont reflété tout au long des «trenteglorieuses» les priorités stratégiques de l’État. Ilsavaient pour objectif d’assurer l’indépendancenationale dans les domaines de la défense et del’énergie et de développer les technologies depointe dans l’espace, l’aéronautique, les télécom-munications ou encore l’électronique. Ces pro-grammes civils et militaires ont représentél’essentiel du budget public de R & D jusque dans

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les années 1980, ils comptent aujourd’hui pourmoins de 20 %.

2.1. Les priorités S & Tcomme choix économiqueset comme choix de société

La définition des priorités S & T doit résulter d’uneprise en compte et parfois d’un arbitrage entre deuxtypes de choix : les choix économiques et les choixde société. Elle repose sur l’existence de lieux deréflexions prospectives et sur des dispositifspermettant leurs mises en œuvre effectives.

Les progrès S & T sont une des principales sourcesde la croissance. Toutefois, à un moment et pourun pays donnés, tous les domaines S & T ne sontpas porteurs des mêmes gains en termes deproductivité, de compétitivité et de créationd’activités. Le choix économique de priorités S & Tdoit donc s’appuyer 1) sur une explorationprospective des avancées S & T et de leur portéeéconomique (marchés, emplois, etc.) et 2) sur lescompétences S & T initiales du pays sur la basedesquelles se construiront les compétences futures.

La définition des priorités S & T doit aussi être unchoix de société. D’une part, le financement despriorités S & T repose en grande partie sur lecontribuable. D’autre part, les effets potentiels desavancées S & T sur la société et sur son devenirsont tels que les choix S & T ne peuvent pasreposer sur les seules considérations économiques.La demande sociale adressée à la S & T, si elles’avère délicate à identifier avec précision,concerne la réponse à quatre types de problèmes :

− la sécurité individuelle et collective,

− la santé et notamment les problèmes sanitairesconsécutifs au vieillissement de la population,

− la protection de l’environnement et de laqualité de vie,

− les effets des avancées des connaissances sur lasociété : problèmes éthiques et sociaux(bioéthique, aide aux pays pauvres, création etdestruction d’emplois, etc.).

2.2. Les dispositifs de définitionet de mise en œuvredes priorités stratégiques

La définition et la mise en œuvre de prioritésstratégiques en matière de S & T demandent desactions dans trois directions : 1) créer des lieux deréflexions prospectives stratégiques chargés d’ali-menter les décideurs, 2) transformer le pilotage des

organismes de recherche, 3) articuler les prioritésS & T à la politique industrielle.

Créer des lieux de réflexionsprospectives stratégiques

Le manque de lieux de réflexions prospectivesstratégiques a été souligné depuis une dizained’années par de nombreuses études sur le systèmefrançais de recherche et d’innovation et notammentpar la récente opération FutuRIS. La création de ceslieux, aux niveau national mais aussi régional,passent notamment par le développement desexercices de prospective S & T, réunissantchercheurs, citoyens et entreprises. Ces exercices sesont multipliés ces dernières années, notamment enEurope sous l’impulsion du Royaume-Uni et despays nordiques (encadré 1). Les résultats desexercices de prospective peuvent être mobiliséscomme un outil d’aide à la décision. Ils ne peuventêtre utiles que si les décideurs, c’est-à-dire legouvernement et le Parlement, s’en saisissenteffectivement.

Encadré 1 :La prospective comme outil de définition

de priorités stratégiques

Les exercices de prospective S & T ont comme principalobjectif de détecter les tendances à l’œuvre et lesruptures dans un ou des domaines scientifiques et/outechnologiques, ainsi que leurs impacts potentiels surl’économie et la société, à un horizon qui peut aller de 5à 20 ans.

Ces exercices répondent à un principe d’implication largedes acteurs ; trois catégories d’acteurs sont mobilisés :

– les experts, avec une condition forte depluridisciplinarité. Aux chercheurs et ingénieurs(publics et privés) des disciplines scientifiques et desdomaines technologiques considérés, s’ajoutent deschercheurs en sciences sociales capables d’éclairer lesinteractions science-technologie-économie-société ;

– les acteurs économiques : entreprises de toutetaille dans les secteurs concernés, professionnels dufinancement de projets d’innovation, du transferttechnologique, de la création d’entreprises, etc.

– les acteurs de la société civile : associations deconsommateurs et d’usagers, associations de défensede l’environnement, ONG, etc.

Les résultats des exercices de la prospective constituentdes outils d’aide à la décision mis à la disposition duParlement, du gouvernement, des organismes derecherche et des agences de financement, mais aussides entreprises, pour établir des priorités thématiques.

L’avis remis à Claudie Haigneré en décembre 2003par l’Académie des technologies souligne la nécessitéde remettre la stratégie au premier plan des missionsdu ministère chargé de la Recherche. Or, celui-ci nepeut répondre pleinement à cette mission, sesressources étant mobilisées par la gestion quotidienne

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des organismes de recherche. Du côté du Parlement,les questions S & T sont peu débattues. La faibleculture S & T de la plupart des parlementaires révèleque la recherche et l’innovation ne sont pasconsidérées comme des thèmes mobilisateurs par lesélus au niveau national.

Transformer le pilotage de la recherche

La mise en œuvre de priorités scientifiques supposeune transformation du pilotage de la recherche. Eneffet, les organismes de recherche, et a fortiori lesuniversités, ne disposent actuellement que d’unefaible marge de décision sur l’affectation de leursmoyens 3. D’une part, les budgets qui leurs sontattribués par le ministère de la Recherche nepermettent de financer que le fonctionnementquotidien des laboratoires (c’est-à-dire essentiel-lement la masse salariale). D’autre part, comme lemontre le récent rapport de la commissionGuillaume, dans le cas du CNRS, son organisationactuelle tend à empêcher toute réaffectation desressources.

Trois schémas concernant les organismes et leursrelations aux universités peuvent être envisagés :

• Le premier schéma est celui de l’agenced’objectifs. La fonction d’exécution de la rechercheest alors séparée de celle de programmation etd’attribution des financements. La premièrefonction est ici prise en charge par l’université quigère donc l’ensemble des personnels de recherche,dans le cadre d’un statut unifié permettant lesmodulations des charges d’enseignement. Laseconde fonction est assurée par des agencesd’objectifs thématiques n’ayant aucun personnelpropre de recherche. Ces agences sont chargées demettre en œuvre les priorités stratégiques dugouvernement en affectant des ressourcesfinancières à des projets de recherche sur la based’appels d’offres, élaborés dans le cadre deprogrammes, ceux-ci étant évalués ex-post.

• Le second schéma est celui de l’institut nonuniversitaire, qui peut subsister là où le schémaprécédent ne peut s’appliquer (recherches pour lesbesoins directs de l’État, ou requérant des niveauxélevés de sécurité ou de confidentialité). Lesdifficultés de gestion du personnel et les risquesd’insuffisante ouverture à l’extérieur sont les écueilsbien connus de ce schéma. C’est pourquoi, enpratique, dans la plupart des pays, ces instituts sontorganisés pour pallier ces difficultés (obligation

(3) La recherche publique en France est conduite pourl’essentiel dans les établissements publics à caractère scientifiqueet technologique (EPST), les établissements publics à caractèreindustriel et commercial (EPIC) et les universités (50 % de lamasse salariale des enseignants-chercheurs sont comptabilisésdans le budget de la recherche).

d’obtenir des contrats industriels, mobilité orga-nisée du personnel, taille critique et diversitéinterne permettant l’évolution des carrières,positions d’accueil de doctorants, de post-docs etd’universitaires).

• Le troisième schéma est un schéma mixte, oùl’organisme remplit simultanément les fonctionsd’agence d’objectif et d’exécution de la recherche.À partir de leur interprétation des priorités gou-vernementales, ils affectent les moyens humains etfinanciers dans des sites universitaires, ceci dans uncadre contractuel pluriannuel (du type des actuelscontrats quadriennaux entre le CNRS et lesuniversités). L’organisme mobilise largement despersonnels universitaires grâce à des postesd’accueil et organise des appels d’offres dans lecadre de programmes. Certaines activités concer-nant peu les universités, notamment dans desdomaines de recherche finalisée, sont directementréalisées par les laboratoires des organismes.

L’articulation optimale entre les fonctionsd’exécution de la recherche et d’attribution desfinancements reste à trouver. Il est probable qu’ellene soit pas la même dans tous les domainesscientifiques et notamment en fonction du carac-tère plus ou moins finalisé des recherches.Plusieurs arguments plaident en faveur d’uneoption combinant ces trois schémas. Tout d’abord,certains organismes se montrent particulièrementefficaces dans la définition et la mise en œuvre destratégies, non seulement en matière d’orientationsthématiques mais aussi d’interactions avec l’indus-trie, les collectivités locales ou la société civile.Ensuite, dans les pays qui fonctionnent sur lemodèle des agences d’objectifs, il existe fré-quemment des organismes de recherche,notamment finalisée, qui cumulent les fonctionsd’exécution de la recherche et d’attribution desfinancements. Par ailleurs, et c’est la positiondéfendue par Bertrand Hervieu dans INRA 2020 4,le regroupement des deux fonctions facilite l’inter-disciplinarité et l’intégration des connaissancesnécessaires à la recherche finalisée. Enfin, puisque,dans cette option, certains domaines de recherchene sont pas pris en charge par l’université, lepotentiel de recherche publique peut ne pas êtrestrictement «calqué» sur celui de l’université, dontl’évolution dépend beaucoup du nombre relatifd’étudiants dans les différentes disciplines.

Quel que soit le type de pilotage de la rechercheretenu, la mise en œuvre de priorité stratégiquerepose sur une augmentation du financementincitatif dans le financement total de la recherchepublique (il ne représente aujourd’hui qu’environ

(4) INRA 2020 : alimentation, agriculture, environnement : uneprospective pour la recherche, sous la direction de BertrandHervieu, Jean-Claude Flamant et Hugues de Jouvene, 2003l.

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15 %). Par ailleurs, le budget public de larecherche doit être voté sur une base pluriannuellecompatible avec la durée des programmes. Enfin,une montée en puissance des financements surappels d’offres repose sur la mise en placesystématique de dispositifs d’évaluation desorganismes, des programmes et des équipes.

Articuler les politiques de la rechercheet les politiques industrielles

Les grands programmes civils et militaires ontconstitué, des années 1950 aux années 1980, desmodalités efficaces d’articulation entre la politiquede la recherche et la politique industrielle. Leurabandon progressif résulte de différents facteurscomme les privatisations ou la baisse des dépensesmilitaires. Surtout, ils se sont révélés à la foisdifficiles à mettre en œuvre et peu performantsdans le domaine des nouvelles technologies. Leurdéveloppement prend la forme d’une proliférationd’innovations radicales qui se succèdent rapide-ment et repose sur une multitude d’initiativesdécentralisées. Il s’accommode mal d’une coor-dination centralisée du type de celle des grandsprogrammes.

La mise en œuvre de priorités S & T dans le cadrede politiques industrielles dépend donc toutd’abord du type de technologie à développer(complexité, nombre et types d’acteurs concernés,caractère plutôt incrémental ou au contraire plutôtradical des innovations). Ensuite, le type depolitique industrielle à mobiliser dépend del’existence ou non d’une demande solvable pour leproduit dont le développement est envisagé et del’horizon temporel auquel elle va émerger. En effet,l’ampleur de l’engagement potentiel de l’industriedans la R & D et dans l’exploitation commercialede ses résultats en dépendra. Schématiquement,trois cas de figure peuvent se présenter :

La R & D peut déboucher sur un produit pourlequel il existe une demande solvable à courtterme. Dans ce cas, la R & D peut êtreentièrement prise en charge par le secteurprivé. Le rôle de l’État se cantonne à lastimulation de la demande initiale sous formenotamment de commandes publiques (c’estl’esprit du Small Business Act aux États-Unisqui s’adresse aux PME de hautes technologies).Ces commandes peuvent être accordées encontrepartie d’objectifs économiques etsociaux (investissements, emplois, prix devente plafond du produit, etc.).

La R & D peut déboucher sur un produit pourlequel il existe une demande potentielle maisseulement à moyen terme. L’objectif de lapolitique industrielle est alors de «socialiser»en partie les coûts de R & D en participant aux

dépenses. Les grands programmes français etles plates-formes technologiques européennessont conçus dans cet esprit. L’élément crucialde la politique industrielle est ici d’assurer lacrédibilité à long terme du projet auprès desindustriels qui vont pouvoir envisager l’amor-tissement de leurs dépenses de R & D sur unepériode plus étendue.

La R & D ne peut pas déboucher sur un produitpour lequel il existe une demande solvablemais il existe une demande sociale potentielle(c’est le cas par exemple de certains équi-pements dans le domaine de la santé ou decertains satellites). L’amortissement de la R & Dpar la seule application commerciale étant horsde portée, l’État doit prendre en chargel’intégralité des frais de R & D, quitte à laisserl’exploitation commerciale au secteur privé.

La politique industrielle étant largement fondée surles caractéristiques de la demande, elle n’est pas unsimple instrument de mise en œuvre des prioritésS & T. Elle doit, en amont, lors de la définition despriorités, envisager le partage des rôles entre lessecteurs public et privé. Celui-ci dépendra de lapossibilité de faire coïncider spontanément ou nonet à plus ou moins long terme la rentabilitééconomique et la satisfaction de la demandesociale.

3. Les leviers de l’action publiquedans le domaine de la rechercheet de l’innovation

3.1. Renforcer les moyens financiers

La France investit-elle suffisammentdans le savoir ?

Depuis le début des années 1990, l’effort global deR & D se relâche en France. Le rapport entre ladépense intérieure de R & D et le produit intérieurbrut atteint 2,23 % en 2001 ; il est non seulementplus faible qu’en 1985, mais aussi que dans lamoyenne des pays de l’OCDE. S’il demeure plusélevé en France qu’en moyenne dans l’Unioneuropéenne, les dépenses de R & D en France sontcelles qui ont crû le moins vite sur la période 1995-2000 (+ 1 % par an contre + 3,4 % par an enmoyenne dans l’Union européenne) 5.

L’effort public de R & D, même s’il a eu tendance àstagner depuis le début des années 1990, en sesituant aux alentours de 0,8 % en 2001, reste parmiles plus élevé de l’OCDE. Ce résultat tient à ce quela France est le seul pays, avec les États-Unis, à

(5) Chiffres de la Commission européenne.

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financer simultanément des programmes civils etmilitaires dans le spatial, l’aéronautique et lenucléaire. Quant aux entreprises, elles financentaujourd’hui environ 54 % des dépenses intérieuresde R & D (contre 41 % en 1981). L’effort desentreprises françaises, même s’il s’est renforcé,reste en deçà de celui des entreprises des pays lesplus dynamiques, comme les États-Unis, le Japon,l’Allemagne et les pays nordiques, qui financententre 65 % et 75 % de la R & D intérieure.

Les dépenses d’éducation par étudiant dansl’enseignement supérieur français sont parmi lesplus faibles de l’OCDE. Elles représentent 2,4 foismoins que celles des États-Unis et près de deuxfois moins que celles de la Suède. Dans la plupartdes pays développés, il existe un saut dans lesdépenses par étudiant dans l’enseignementsupérieur par rapport à l’enseignement secon-daire. Cet écart se chiffrait à environ 6 000 $ enmoyenne dans la zone OCDE à la fin des années1990 alors que, dans le cas de la France, il estplus de dix fois moindre 6. En outre, en se limitantà l’université (et sans tenir compte des écoles decommerce et d’ingénieurs), les dépenses par têtedeviennent même inférieures à celles dusecondaire. En 2002, la dépense moyenne parétudiant des universités était de 6 840 € contre7 100 € pour un collégien et 8 400 € pour unlycéen. Alors que la dépense moyenne par élève àprix constants a pratiquement doublé au collège,qu’elle a augmenté de 50 % au lycée, elle n’aprogressé que de 25 % à l’université.

Cette répartition des efforts d’éducation est, selon lerapport récent du CAE de Philippe Aghion et ElieCohen, typique de celui d’un pays en rattrapagealors que plus une économie est proche de lafrontière technologique (c’est-à-dire du niveautechnologique atteint par les pays les plus avancés)plus elle investit dans l’enseignement supérieur, sesbesoins de qualification se renforçant. L’effortconsacré à l’enseignement supérieur en Francen’est donc pas compatible avec l’ambition decompter parmi les économies du savoir les pluscompétitives et les plus attractives.

Quelle action publique pour renforcerl’investissement dans le savoir ?

En comparaison internationale, l’investissement dela France dans le savoir apparaît nettementinsuffisant, à la fois du côté des dépensesd’éducation dans l’enseignement supérieur et ducôté des dépenses de R & D des entreprises. L’effortpublic de R & D apparaît plutôt comme un atout

(6) Chiffres de l’OCDE.

pour la France mais il reste assez concentré sur lesprogrammes spatiaux, aéronautiques et nucléaires.

L’action publique en faveur de l’investissementdans le savoir peut prendre différentes directions.Renforcer les ressources dans la recherchepublique et l’enseignement supérieur peut passerpar une augmentation des budgets publicsconcernés. Toutefois, la capacité de financementde l’État, étant donnée sa contrainte budgétaire, nepourra pas être à la hauteur de l’effort à réaliser. Ilfaut donc réfléchir aux voies possibles dediversification des sources de financement et à denouveaux dispositifs d’allocation des ressources.

• La contrainte budgétaire, dont il est probablequ’elle se relâchera peu dans les dix à quinze ansqui viennent, amène à réfléchir à une diver-sification des sources de financement : fondations,entreprises, étudiants, collectivités locales, Unioneuropéenne pourraient davantage contribuer àl’effort consacré à la recherche publique et àl’enseignement supérieur. Toutefois, le recours àde nouvelles sources de financement n’est pasneutre en termes de finalités des institutionsconcernées. Il doit donc faire l’objet d’un débat.Un premier débat concerne les finalités éco-nomiques et sociales de la formation dans lesuniversités : faut-il augmenter les frais de scolaritéà la charge des étudiants et si oui selon quellesmodalités ? Faut-il accepter comme contrepartied’un financement par les entreprises uneorientation plus forte vers les besoins du systèmeproductif ? Un second débat porte sur la frontièreentre ce qui relève de la production de bienspublics prise en charge par la collectivité et ce quipeut relever de mécanismes marchands.

• La définition et la mise en œuvre de prioritéspermettent de rationaliser les dépenses, enconcentrant les moyens. Toutefois, les dispositifsde mise en œuvre des priorités doivent permettred’éviter les «doublons». À cet égard, l’optiond’une allocation des moyens gérée par un petitnombre d’agences d’objectifs thématiques peut serévéler efficace. L’option d’un maintien desorganismes de recherche cumulant les fonctionsde gestion des ressources et de définition desorientations, dont l’intérêt a été souligné dans lecas de la recherche finalisée, doit s’accompagnerd’une rationalisation thématique des organismes,dont les champs de recherche se chevauchentaujourd’hui fréquemment (INRIA et CEA, CNES etONERA, etc.).

• Le rapprochement institutionnel et géographiquedes universités et des organismes de recherchepermettrait de renforcer considérablement lesmoyens humains dans l’enseignement supérieur. Ilpourrait prendre la forme d’une plus grandemobilité fonctionnelle ou encore celle d’un statut

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unique d’enseignant-chercheur. Un tel rappro-chement, qui suppose une profonde réforme del’université, ne se ferait pas au détriment desressources consacrées à la recherche étant donné lacomplémentarité forte qui existe entre les missionsde formation et de recherche et s’il s’accompagnede dispositifs de décharges temporairesd’enseignement, à certains moments de la carrièredes chercheurs.

L’action publique pour favoriser les investissementsprivés dans le savoir doit tenir compte des marges demanœuvre réelles d’augmentation des dépenses deR & D dans les entreprises. L’objectif européend’atteindre un effort de R & D de l’ordre de 3 % àl’horizon 2010 est doublé d’une recommandationselon laquelle les entreprises devraient financer lesdeux tiers de l’effort total de R & D. Ainsi, en France,l’effort supplémentaire nécessaire pour atteindre lesobjectifs de Barcelone devrait provenir essen-tiellement des entreprises. On peut pourtant sedemander si la règle «un tiers public, deux tiersprivé» est pertinente pour tous les pays. En effet, lastructure par secteur et par taille des entreprises jouebeaucoup sur l’intensité des dépenses privées enR & D. Certains secteurs reposent davantage sur laR & D que d’autres et les dépenses de R & D sontcroissantes avec la taille des entreprises. Or, lesgrandes entreprises françaises consacrent la mêmepart de leur chiffre d’affaires à la R & D que leurshomologues étrangères les plus dynamiques dans lesmêmes secteurs.

La faiblesse de l’effort privé tiendrait donc enFrance, d’une part, à sa structure industrielle, etd’autre part, à un déficit du nombre de PMEengagées dans la R & D. Ce dernier résultedésormais moins d’un manque de créationd’entreprises que des difficultés de financementdes phases de croissance des PME. Ainsi, l’actionpublique, après s’être focalisée avec succès sur lapromotion de la création d’entreprises, passera àl’avenir davantage par la promotion d’unenvironnement financier favorable aux jeunesentreprises innovantes dont le retour sur investis-sement est incertain et inscrit dans le long terme.Le capital-risque tend à apporter des fonds à lacréation et à spéculer sur la survie desentreprises. Or, les jeunes entreprises innovantesont besoin d’un financement spécifique àchacune des étapes de leur développement. Ils’agit donc de moderniser les marchés financiersdédiés à ces entreprises en créant (par incitationà l’épargne) des compartiments dont la liquidité,la profondeur et les règles de contrôlecorrespondent spécifiquement à la maturitéatteinte par les entreprises.

L’évolution des dépenses de R & D des grandesentreprises dépendra quant à elle principalementde l’attractivité du système de recherche etd’innovation français. Outre l’exigence d’excel-

lence scientifique, ce système doit être capable desusciter davantage de synergies public-privé etd’améliorer sa lisibilité. À ces différents égards, lacréation de pôles d’innovation de renomméeinternationale semble être une voie prometteuse.

3.2. Redéfinir les missions des chercheursdans le secteur public

Le monde de la recherche est aujourd’huiconfronté à des défis de natures très variées. Au-delà des missions traditionnelles de production etde transmission des connaissances, la recherche apour mission de contribuer à un développementéconomique durable et au progrès social. Pendantles décennies d’après-guerre, les innovationsobéissaient généralement à un modèle linéaire quiplaçait la science en amont de l’économie. Lesentreprises puisaient dans un stock d’inventionsproduites par la recherche publique pour lestransformer en innovations commercialisables. Lerôle central de l’innovation dans la compétitivité etl’affirmation de la demande sociale conduisent lemonde de la recherche à multiplier ses interactionsavec l’économie et la société.

Cinq missions sont aujourd’hui confiées à larecherche publique :

1. Une mission d’avancée des connaissances, quirepose pour beaucoup sur l’excellencedisciplinaire.

2. Une mission de formation, qui a radicalementchangé de nature avec l’afflux massifd’étudiants à l’université depuis une vingtained’années.

3. Une mission d’expertise en appui auxpolitiques publiques, mais aussi, pour alerterles décideurs et les aider à prendre desdécisions en précisant ce qui, dans les effetsd’une technologie, est connu, incertain,controversé,

4. Une mission de valorisation économique desrésultats, qui se réalise au travers de lamultiplication des interactions avec lesentreprises.

5. Une mission de diffusion de la culturescientifique et technique, qui doit permettreaux citoyens d’exprimer leurs choix dans lesdomaines S & T.

Ces cinq missions restent largement implicites ausens où, si elles se sont considérablement élargiesdans les faits, ceci ne s’est pas toujours traduit dansles procédures d’évaluation, qui orientent les activitésdes chercheurs, ou dans les choix de recrutement,qui devraient garantir la diversité des profils.

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Cette absence de clarification des missions estsource de nombreux obstacles qui empêchent leurréalisation équilibrée. Le premier obstacle tient àce que les différentes missions entrent parfois encontradiction. Le deuxième tient à ce que, face àla transformation du métier de chercheur, lemanagement de la recherche et de son personnel apeu évolué et devient un handicap pour l’efficacitédu système. Enfin, le troisième obstacle est denature culturelle ; il est dû au cloisonnementparticulièrement puissant en France entre lemonde de la recherche, d’une part, et celui del’entreprise et de l’administration, d’autre part.

Des missions qui demandentà être débattues et clarifiées

Trois principales contradictions apparaissent entreles différentes missions confiées aux chercheurs :

– La mission de production des connaissancesest comprise comme relevant principalementde l’excellence disciplinaire. La parcellisationdes connaissances qui en découle fait souventobstacle à l’intégration des connaissances et àla constitution d’équipes pluridisciplinairesnécessaires à la recherche finalisée, à l’exper-tise et à la valorisation économique.

– Il existe une tension de plus en plus forte entrela réalisation de la mission de formation et laréalisation des autres missions pour lesenseignants-chercheurs. L’augmentation dunombre d’étudiants dans les universités posedeux problèmes. D’une part, les moyenshumains et financiers n’ont pas augmenté dansla même proportion que la population estu-diantine. La charge de travail liée à l’ensei-gnement (cours et gestion administrative desformations) s’est de ce fait fortement alourdie.D’autre part, la demande de formation achangé de nature, elle n’est plus seulementacadémique, il est demandé à l’universitéd’offrir des formations professionnalisantes.On peut alors se demander si ces formationsrelèvent des compétences des enseignants-chercheurs ou, du moins, s’ils sont capablesde les mettre en œuvre seuls.

– Il existe une tension entre la mission devalorisation économique et les autres missionsqui relèvent de la production de biens publicsayant vocation à être partagés le plus large-ment possible. Certes, la valorisation écono-mique passe fréquemment par la diffusion deconnaissances publiques mais le discourspolitique conduit à associer systématiquementvalorisation économique et dépôt de brevetpar les chercheurs. Sans réflexion sur lafrontière entre les connaissances qui relèventdes biens publics et doivent donc être parta-gées, et les savoirs qui peuvent relever de la

sphère marchande et être (provisoirement)protégés, la mission de valorisation écono-mique fera l’objet de réticences de la part deschercheurs publics. En outre, si un déficit deprotection de la propriété intellectuelle peutfreiner l’innovation, un excès d’appropriationpeut avoir le même effet en empêchant ladiffusion des connaissances.

Adapter la gestion des ressources humainesaux nouvelles missions

Face à la transformation du métier de chercheur, lemanagement de la recherche et de son personnel,(c’est-à-dire les statuts, les procédures de recru-tement, d’évaluation, l’évolution des carrières, etc.) apeu évolué.

Le métier de chercheur est aujourd’hui pluscomplexe qu’il y a trente ans puisqu’il consiste àêtre présent sur une multitude de fronts : travail derecherche mais aussi, selon les cas, enseignement,gestion et promotion des formations, gestion desressources humaines, recherche de financement,collaboration avec les entreprises, avec des équipesà l’étranger, etc. L’ensemble de ces tâches seréalise souvent sans appui administratif etgestionnaire suffisant, tandis que se complexifientles procédures. Parallèlement, la rémunération deschercheurs a augmenté moins vite que le revenupar habitant et se situe aujourd’hui bien en deçà decelle des chercheurs dans la plupart des payscomparables.

Selon leur statut (enseignant-chercheur ou cher-cheur), leur discipline, le caractère plus ou moinsfinalisé des recherches et l’avancement de leurcarrière, il est naturel que les chercheurs attribuentplus ou moins d’importance à chacune des cinqmissions. Il est moins justifié que le recrutement,l’évaluation et la carrière des chercheurs et desenseignants-chercheurs soient encore aujourd’hui,à l’exception de certains organismes, fondésuniquement sur leur contribution aux progrès de laconnaissance. De même, si la mobilité fonction-nelle entre les organismes de recherche,l’université, l’administration (pour les besoins del’expertise) et les entreprises, est possible dans lestextes, les dispositifs incitatifs ne sont apparemmentpas suffisamment puissants. Une analyse de lamobilité des enseignants-chercheurs par la Courdes comptes montre que 72,5 % des professeurs et89,3 % des maîtres de conférences n’ont connu nimobilité géographique, ni mobilité fonctionnelleentre 1985 et 1998 7.

(7) Cour des comptes, 2001.

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Une «révolution culturelle»

Les obstacles culturels à la réalisation desdifférentes missions des chercheurs tiennent aucloisonnement traditionnel en France entre lemonde de la recherche, d’une part, et le mondeéconomique et de la décision publique, d’autrepart.

Les besoins d’expertise de la part des décideurspublics se sont multipliés sans que celle-ci soitvéritablement organisée. Le recours à des cher-cheurs par les pouvoirs publics est fréquemmentgéré au cas par cas avec un faible taux derenouvellement, ce qui ne permet pas d’assurer laqualité, l’indépendance et la transparence del’expertise. L’organisation de l’expertise publiquesouffre d’une séparation assez nette entre lesdécideurs publics et le monde de la recherche dufait de leurs formations, les uns dans les grandesécoles, les autres à l’université et du fait de lafaible mobilité des chercheurs vers l’adminis-tration.

La rareté des interactions entre la recherchepublique et l’industrie est soulignée depuislongtemps comme étant une des principalesfaiblesses du système français de recherche etd’innovation. La loi sur l’innovation de 1999 etses prolongements cherchent à favoriser letransfert de connaissance de la recherchepublique vers l’économie en encourageant lamobilité des chercheurs vers les entreprises et lescollaborations public-privé. Les nouveauxdispositifs ont permis d’initier un changementculturel et de rapprocher chercheurs etentreprises. Toutefois, ces dispositifs restentponctuels ; ils concernent surtout les entreprisesde grande taille, qui ont elles-mêmes une activitéde R & D. Ils fournissent un cadre adapté à descollaborations mais ne permettent pas d’ensusciter massivement de nouvelles. La création depôles d’innovation, regroupant des universités, desécoles, des entreprises et des institutions depromotion de la création d’entreprises et dutransfert technologique constitue une pisteprometteuse de rapprochement de la recherchepublique et de l’industrie.

3.3. Miser sur les pôles d’innovation

Les pôles d’innovationcomme principaux vecteurs de l’attractivité

Le concept de pôle d’innovation rencontre unsuccès grandissant en tant que dispositif parti-culièrement à même de stimuler le développementtechnologique et l’innovation dans les secteurs depointe. Trois phénomènes expliquent le succès decette «formule» :

Dans tous les pays, les activités de R & D sontdavantage polarisées que les activités deproduction. Ceci tient aux avantageséconomiques de la concentration : économiesd’échelle, circulation intense de connaissances,synergies liées aux opportunités de coopé-ration, disponibilité des compétences et d’unemain-d’œuvre qualifiée, etc.

Le développement des nouvelles technologiescomme les TIC, les biotechnologies et lesnano-technologies repose sur une multituded’initiatives décentralisées et des interactionsfortes entre des partenaires variés, qui émergentmieux dans le contexte d’une proximitégéographique des acteurs.

Depuis le début des années 1990, la globa-lisation touche de plus en plus les activités deR & D des entreprises. Celles-ci localisent leurslaboratoires de R & D dans des pôles carac-térisés par l’existence de centres d’excellencescientifique bien identifiés et la présenced’autres entreprises (concurrents, PME de hautetechnologie, activités de service aux entre-prises, etc.).

Encadré 2 :Le pôle d’innovation de la région de Grenoble

Ce pôle d’innovation comprend :

1. Des organismes de recherche publique, dont leCEA et son laboratoire d’électronique et detechnologie de l’information (le LETI), desuniversités et des grandes écoles ;

2. La technopole de Meylan regroupant descentaines de PME de haute technologie et desorganismes de promotion de la créationd’entreprises : pépinières, incubateurs, etc. ;

3. Le regroupement à Crolles de trois des plus grandesentreprises mondiales dans le domaine de lamicro-électronique : STMicroelectronics, Philips,rejoints en 2002 par l’américain Motorola. Cesentreprises coopèrent dans le cadre de Crolles II,une unité pilote de production des futuresgénérations de puces miniaturisées. Ce projetcorrespond à un investissement de près de3 milliards d’euros sur la période 2002-2007, dont600 millions proviennent de subventions de l’Étatet des collectivités locales, soit le plus gros inves-tissement industriel en France depuis quinze ans.

La région de Grenoble fournit un bon exemple depôle d’innovation dans le domaine des micro etnano-technologies (encadré 2). Dans les années àvenir, quelques pôles de ce type dans le monde separtageront l’essentiel de la R & D dans le domainedes micro et nano-technologies. Pour les entre-prises, qui doivent choisir dans quel pôle localiserleur R & D, la nationalité du pôle ne compte pas, cequi compte est avant tout la concentration dans un

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territoire des compétences technologiques et lesopportunités de synergies. Ainsi, le développementde pôles d’innovation apparaît crucial pour renforcerl’attractivité de la France en matière de R & D.

Comment l’État peut-il favoriser l’émergencede pôles d’innovation ?

Deux leviers de l’action publique peuvent êtremobilisés pour favoriser l’émergence de pôlesd’innovation. Le premier levier consiste en laconstruction de centres d’excellence S & T eninteraction forte avec l’industrie. Le second reposesur des dispositifs d’incitation à l’émergenced’activités au niveau local.

– La construction de centres d’excellence reposesur l’idée de rapprochement entre lesuniversités, les écoles d’ingénieurs et lesorganismes de recherche. Il s’agit tout d’abordde constituer une masse critique en termes deressources financières et humaines dans undomaine S & T considéré comme prioritaire.Ensuite, ces centres d’excellence mettent àdisposition des entreprises, susceptibles des’implanter à proximité, une offre de travailqualifiée. L’objectif est enfin, au moyen dedispositifs de coopération public-privé, deréunir la variété des compétences, des plusfondamentales aux plus appliquées, qu’il fautintégrer pour développer les technologiesciblées. La taille, la spécialisation et lalocalisation de ces centres d’excellenceconstituent un atout en termes de visibilité etdonc d’attractivité pour les étudiants et leschercheurs qu’ils soient français ou étrangers.Ces centres constituent les noyaux durs despôles d’innovation ; ils permettent d’attirer lesgrandes entreprises et de susciter la créationd’activités innovantes.

– Les dispositifs d’incitation à l’émergenced’activités locales prennent la forme d’inci-tations financières (fiscalité, subventions) et dela mise en place de structures favorisant lacréation d’entreprises et le transfert techno-logique. Ces dispositifs qui reposent beaucoupsur les initiatives des collectivités locales, sontdéjà bien développés dans certaines régions.

Peut-on concilier concentration dans des pôleset cohésion territoriale ?

La constitution de pôles d’innovation et lespolitiques nationales, locales et parfois euro-péennes qui l’accompagnent sont sources detensions pour le développement et la cohésionterritoriale. En effet, il existe un dilemme entre,d’une part, la concentration des moyens dans unnombre limité de territoires, qui est sourced’efficacité économique et d’attractivité et, d’autre

part, leur dispersion de manière à favoriser undéveloppement local équilibré.

L’État en décidant d’accentuer la concentration desressources et des activités de R & D dans quelqueszones ne fait-il pas le choix du développement dequelques régions au détriment des autres ?Plusieurs éléments peuvent être apportés à cedébat.

– Les pôles d’innovation de l’ampleur de celuide la région de Grenoble répondent à desbesoins d’investissement lourds qui deman-dent un engagement sur le long terme. Tousles domaines de recherche ne nécessitent pasune telle concentration ; certains reposentmême sur un degré important de dispersion (larecherche agronomique, par exemple). Il nes’agit donc pas de concentrer toutes lesuniversités, écoles et organismes de recherchedans trois ou quatre lieux sur le territoirefrançais.

– Parallèlement aux pôles d’innovation du typede celui de Grenoble, dont l’efficacité reposesur la concentration, il existe des pôlesbeaucoup plus dispersés sur le territoirefrançais fondés sur des activités peu intensesen R & D, et dont l’efficacité nécessite unemasse critique bien moindre. Ces pôles,parfois qualifiés de systèmes productifs locauxou de clusters sont fondés sur des compé-tences spécifiques dans divers domaines :technologie, organisation de la production etdes activités connexes, marketing, différen-ciation des produits, etc. Ils consistent en unespécialisation autour d’un métier et leurcompétitivité est fondée sur la qualité, surl’innovation et, plus généralement, sur desfacteurs autres que le coût leur permettant derésister à la concurrence internationale. Unbon exemple de cluster est celui qui s’estdéveloppé en Aquitaine à partir d’unevalorisation de l’une de ses ressources fixes :le sud de la côte Atlantique. Une filièrecomplète s’est peu à peu constituée, sousl’impulsion des acteurs locaux, autour desactivités liées à «la glisse» (planches à voile,surf…). La filière est aujourd’hui tirée parquelques leaders internationaux du vêtementet de l’équipement (Quicksilver, Oxbow…).

– À côté des avantages liés à l’efficacité et àl’attractivité des centres d’excellence, deuxarguments plaident en faveur d’un mouvementde concentration de l’enseignement supérieur.D’une part, l’enseignement supérieur consisteen une offre de formation très variée. Le degréde concentration peut donc être variable selonle type de formation. Si une accentuation de laconcentration des formations de troisième

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cycle dans les domaines S & T de pointe estnécessaire à la constitution de pôlesd’innovation, elle s’avère beaucoup moinsdécisive dans les formations du premier cycleuniversitaire ou de type DUT ou BTS. Cesdernières peuvent même être perçues commedes relais au niveau local des pôles d’inno-vation. D’autre part, la mobilité étudiante, sielle s’accompagne des dispositifs d’accueiladéquats, peut être bénéfique d’un point devue économique et social. Une concentrationaccrue de l’enseignement supérieur obligeraitles étudiants à intégrer la mobilité commeétape de leur formation et favoriserait lamultiplication des interactions et le maillagede réseaux variés.

3.4. Être moteur dans la constructionde l’espace européen de la rechercheet de l’enseignement supérieur

L’objectif de Lisbonne, la construction de l’espaceeuropéen de la recherche (EER) et le processus deBologne, qui vise à harmoniser l’architecture dusystème européen d’enseignement supérieur,mettent la recherche et l’innovation au premierplan de l’agenda européen. Ces projets sontsusceptibles d’avoir un impact décisif, dans les dixannées qui viennent, sur l’organisation et lesperformances de la recherche et de l’innovation etsur l’offre de formation des établissements d’ensei-gnement supérieur en France.

L’organisation de la recherche publique et del’enseignement supérieur français est relativement«atypique» en Europe. Cette spécificité françaisetient essentiellement 1) à la séparation institu-tionnelle entre l’université, les organismes derecherche et les grandes écoles et 2) à la placemodeste des financements incitatifs sur projet dansle financement total de la recherche publique.Cette spécificité rend délicat le positionnementfrançais dans l’espace européen de la connaissanceet, jusqu’à présent, à l’exception de certains projetssectoriels comme l’EURATOM, l’ESA ou le CERN,la France n’a pas été moteur dans la constructionde cet espace.

Une participation active à la constructionde l’espace européen de la connaissancecomme levier de l’action publique nationale

Une implication forte dans la construction del’espace européen de la connaissance constitue unlevier de l’action publique nationale pour au moinstrois raisons :

cette construction constitue le seul moyen derivaliser avec les États-Unis, le Japon et lesfuturs grands acteurs de la recherche en Asie,

en termes de capacité d’investissement et parsuite de compétitivité et d’attractivité ;

la définition au niveau européen d’objectifssociétaux pour lesquels la science joue un rôleimportant (développement durable, éthique,relations Nord-Sud…) se révèle être le seulmoyen de «peser» dans les négociationsinternationales ;

l’insertion dans l’espace européen de laconnaissance est un levier du changementinstitutionnel en France. Les programmeseuropéens de R & D qu’ils soient sectoriels,comme l’EURATOM ou le CERN, ou trans-versaux comme les PCRD ou EUREKA ontdéjà contribué à transformer le paysage de larecherche en France en encourageant lescoopérations internationales et public-privé.Les projets relatifs à la construction desespaces européens de la recherche et del’enseignement supérieur (European ResearchCouncil, plates-formes technologiques, LMD,etc.), peuvent faciliter un changementinstitutionnel en France en tant que moteurpuissant de la diffusion de bonnes pratiques :culture de l’évaluation, multiplication desinteractions, diffusion des méthodes deprospective, etc.

La poursuite du positionnement actuel de laFrance, qui peut être qualifié de «frileux», risqued’avoir des conséquences en freinant la construc-tion d’une Europe de la connaissance et enempêchant les acteurs français de tirer pleinementprofit d’un projet dans lequel ils seront peuinsérés. D’un côté, étant donnés le poids de laFrance dans les activités de R & D européennes etson rôle moteur dans la construction européenne,l’absence d’un engagement fort de sa part ne peutque ralentir la construction de l’espace européende la connaissance. D’un autre côté, l’implicationa minima de la France se traduira par une faibleparticipation aux programmes mis en place. Toutd’abord, l’attractivité de notre territoire pour lesétudiants (y compris les étudiants français), leschercheurs et les investissements dans les activitésinnovantes se détériorera au profit des pays lesplus dynamiques de l’Union. Ensuite, la faibleimplication dans les projets européens nuira auxéquipes de R & D françaises, étant donné l’effetlevier des financements européens et les gainspotentiels d’une organisation interactive etcoopérative des activités de R & D. Enfin, laFrance, en adoptant une attitude suiviste en ce quiconcerne les grands choix sociétaux (réglemen-tations relatives aux droits de propriété intel-lectuelle, au développement durable ou encore àla bioéthique), se condamnera à fonctionner selondes règles à l’élaboration desquelles elle aura peucontribué. Les cas, tels que celui de la directive

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européenne sur la brevetabilité du vivant dont laFrance retarde l’application sur son sol en raisonde son incompatibilité avec la récente loifrançaise sur la bioéthique, pourraient alors semultiplier.

«Jouer le jeu» de la constructionde l’espace européen de la connaissanceet influencer en amont les projets

Une véritable implication française dans laconstruction de l’espace européen de la connais-sance peut prendre des formes multiples quireposent toutes sur la prise de conscience desenjeux associés à cette construction et sur unevolonté politique. Il faut tout d’abord «jouer le jeu»de la construction de l’espace européen de laconnaissance même si cela se traduit par l’abandonde certaines spécificités nationales. Il faut ensuiteparticiper de façon active et constructive àl’élaboration des projets qui façonneront cetespace.

L’espace européen de la recherche permetd’atteindre une masse critique de ressourceséquivalente à celle de nos principauxconcurrents. L’effet volume pourrait êtrerenforcé grâce à des choix, pour lesquels laposition française peut jouer un rôledéterminant, comme l’augmentation dubudget communautaire et un arbitrage, entreles différents grands postes budgétaires, enfaveur de la recherche. Quoi qu’il en soit,l’effet volume ne peut se traduire par uneplus grande efficacité qu’à deux conditions.D’une part, les priorités S & T définies auniveau national doivent être cohérentes aveccelles définies au niveau européen. D’autrepart, une certaine division du travail doitémerger de façon à éviter les «doublons» etla dispersion des efforts. Cette division dutravail au niveau européen ne signifie pasl’abandon complet de certains domainesS & T au niveau national. Elle se traduit, pourchaque domaine prioritaire, par l’émergencede «têtes de réseaux», qui bénéficient del’essentiel de l’effort européen, notammentdans le cadre de pôles d’innovation, et quicoordonnent les efforts nationaux plusdispersés (encadré 3).

Il n’existe pas un modèle optimal d’organisationde la recherche et de l’innovation. Les systèmesnationaux sont largement spécifiques car leurconstruction est historique et culturelle. En outre,leur cohérence repose sur des complémentaritésinstitutionnelles. En d’autres termes, le dispositifinstitutionnel propre à un élément du système,par exemple la recherche publique, est renforcépar les dispositifs institutionnels propres auxautres éléments du système comme l’organisation

industrielle, le système éducatif, le systèmefinancier. L’intégration de systèmes nationauxspécifiques dans un espace commun ne signifiepas la convergence des modèles d’organisation.Toutefois, elle passe par une meilleure lisibilité dechacun des systèmes et par l’adoption d’uncertain nombre de pratiques communes de façonà permettre une coordination efficace. Lerapprochement institutionnel des organismes derecherche, des universités et des grandes écoleset la promotion de pôles d’innovation facili-teraient la «lecture» de notre système par lesacteurs de la recherche dans les autres paysmembres et le rendraient plus attractif. Unemontée en puissance du financement incitatif etune modernisation des pratiques d’évaluationpermettraient quant à elles de faciliter l’insertiondes équipes françaises dans les projets européens.

Encadré 3 :Le réseau d’excellence européen Neuroprion

Le réseau d’excellence Neuroprion a été créé en 2004à l’initiative du chercheur français Jean-PhilippeDeslys. Il est soutenu par l’Union européenne dans lecadre du sixième programme cadre. Coordonné par leCEA et Armines, il comprend 52 partenaires, soit plusde 90 % des principales équipes de recherchepublique travaillant sur les prions en Europe. Avec ceréseau d’excellence, l’Europe devient la premièreforce mondiale de recherche dans ce domaine.

Ce réseau s’est fixé comme but de développer desprogrammes de recherche appliquée pour prévenir denouvelles crises liées aux agents transmissibles quesont les prions, qui continuent à défier le savoirhumain et à menacer la santé publique. Ces pro-grammes sont conçus pour répondre au besoin de lasociété en termes de diagnostic, de contrôle etd’évaluation des risques, de traitements et deméthodes de décontamination.

Le CEA a construit une nouvelle plate-forme derecherche Neuroprion qui a été inaugurée à l’issue dupremier congrès du réseau Neuroprion « Prion 2004 »,qui s’est tenu à Paris du 24 au 28 mai. Cette plate-forme comprend notamment une importante superficied’installations de sécurité micro-biologique. Un étageentier est dédié à l’accueil de chercheurs et d’étu-diants étrangers pour favoriser la formation et leséchanges entre les instituts de recherche européens.Des espaces sont également réservés pour des start-upou des équipes de R & D situées à l’interface entre lemonde de la recherche et l’industrie.

Une participation plus active à la constructionde l’espace européen de la connaissance passepar une véritable stratégie d’influence dans lesdifférentes instances de décision de l’Unioneuropéenne. Une telle stratégie porte toutd’abord sur une participation plus active desexperts français au travail de la Commission,qui est à l’origine de la plupart des projets quidessineront le futur espace européen de laconnaissance. Ensuite, elle repose sur une

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cohérence de la position française dans lestrois instances que sont le Conseil, le Parlementet la Commission.

4. Résumé et perspectives

Les défis auxquels fait face notre système derecherche et d’innovation sont multiples : pilier denotre compétitivité et de l’attractivité de notreterritoire, ce système doit aussi être garant d’undéveloppement durable et favoriser la cohésionsociale et territoriale. Ces missions sont loin d’êtrespontanément compatibles. L’avenir de la recher-che et de l’innovation, tant en ce qui concerne sonorganisation que sa place dans la société, dépendradonc de la façon dont les tensions entre cesmissions seront surmontées.

La taille de la France ne lui permet pas d’êtreperformante dans tous les domaines S & T. Elle setrouve donc dans l’obligation de faire des choix. Ladéfinition de priorités est un choix économique etun choix de société. Elle repose sur la création delieux de réflexions prospectives réunissant desscientifiques, des citoyens et des acteurs écono-miques. Leurs résultats, mobilisés par le gouver-nement et le Parlement, constituent un outil dedéfinition des priorités. La mise en œuvre de cespriorités suppose une transformation du pilotage dela recherche pour donner aux organismes desmarges de manœuvre dans l’affectation desressources. Elle passe également par une articula-tion des politiques de la recherche et des politiquesindustrielles.

L’effort consacré à la R & D et à l’enseignementsupérieur en France n’est pas compatible avecl’ambition de compter parmi les économies dusavoir les plus compétitives et les plus attractives. Sila mise en œuvre de priorités stratégiques permetde rationaliser les dépenses en concentrant lesmoyens, il faut également réfléchir aux voies possi-bles de diversification des sources de financements.Fondations, entreprises, étudiants, collectivitéslocales, Union européenne pourraient davantagecontribuer à l’effort consacré à la recherchepublique et à l’enseignement supérieur. Toutefois,le recours à de nouvelles sources de financementn’est pas neutre en termes de finalités desinstitutions concernées. Il doit donc faire l’objet dedébats, notamment 1) sur les finalités économiqueset sociales de la formation dans les universités et 2)sur la frontière entre production de biens publics,prise en charge par la collectivité, et ce qui peutrelever de mécanismes marchands.

Cinq missions sont aujourd’hui confiées à larecherche publique : avancée des connaissances,formation, expertise, valorisation économique etdiffusion de la culture S & T. Face à l’élargissementdes missions, le management de la recherche a peu

évolué. Une transformation des dispositifs derecrutement, d’évaluation et d’avancement descarrières est nécessaire pour garantir la variété desprofils nécessaire à l’équilibre entre les missions. Enoutre, ces dispositifs doivent favoriser la mobilité deschercheurs. En effet, le cloisonnement entre lemonde de la recherche, d’une part, et celui del’entreprise et de l’administration, d’autre part, estparticulièrement puissant en France et constitue unobstacle à la réalisation des missions d’expertise etde valorisation économique. À cet égard, lapromotion de pôles d’innovation permettrait derapprocher, aux travers de leur formation initiale etd’interactions au quotidien, ses mondes aujourd’huitrès séparés.

La promotion de pôles d’innovation constitue aussiune voie prometteuse pour la mise en œuvre despriorités au travers de la concentration et de lamutualisation des moyens. Par ailleurs, ellepermettrait d’améliorer la lisibilité du systèmefrançais d’enseignement supérieur et de rechercheet donc de le rendre plus attractif pour lesétudiants, les chercheurs et les entreprises.

La participation active à la construction de l’espaceeuropéen de la connaissance est un levier del’action publique nationale. D’une part, cetteconstruction constitue le seul moyen de rivaliseravec les grands acteurs de la recherche, en termesde capacité d’investissement, de compétitivité etd’attractivité. D’autre part, la définition au niveaueuropéen d’objectifs sociétaux (développementdurable, éthique, relations Nord-Sud, etc.) se révèleêtre le seul moyen de «peser» dans les négociationsinternationales.

«Jouer le jeu» de la construction de l’espaceeuropéen de la connaissance signifie tout d’abordque les priorités S & T définies au niveau nationalsoient cohérentes avec celles définies au niveaueuropéen. Ensuite, cette construction passe par unemeilleure lisibilité de chacun des systèmes et parl’adoption de pratiques communes de façon àpermettre une coordination efficace. Enfin, uneparticipation plus active des experts français autravail de la commission et une position officiellefrançaise plus cohérente permettraient d’influencerdavantage les projets qui dessineront le futurespace européen de la connaissance.

Les premiers résultats des travaux du Plan sur larecherche et l’innovation sont centrés sur laR & D, l’innovation technologique et le rôle qu’yjoue la recherche publique. Ils reposent beaucoupsur des éléments de diagnostic tirés des premièresphases des projets. Les travaux et résultats à venirs’attacheront plus particulièrement à proposer despistes de réflexions prospectives sur le rôle desacteurs privés dans l’émergence des innovations.

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THÈME PRIORITAIRE

Emploi - Métiers - Formation

Objectif plein emploi : le rôle de l’État

«L’emploi, l’emploi, l’emploi …» : c’est sous ce titreen forme de litanie que la Task Force présidée parl’ancien Premier ministre néerlandais Wim Kokremettait en novembre 2003 son rapport aux chefsd’État et de gouvernement européens. «L’emploi,encore l’emploi, toujours l’emploi…», serait-ontenté d’écrire, au moment où la crainte duchômage est redevenue la première préoccupationdes Français.

Les réflexions qui ont commencé d’être menées parles différents groupes de projet du Plan permettentd’apporter de nouveaux éclairages sur cettequestion. Partant de l’analyse de la situationprésente, marquée par le ralentissement de lacroissance économique mais aussi de laproductivité du travail, et à la veille du chocdémographique que va représenter l’arrivée à l’âgede la retraite des premières cohortes du «baby-boom», ces réflexions permettent d’entrevoir quelsleviers l’État pourrait utiliser, dans les prochainesannées, pour conduire la société française dans lavoie du plein emploi. Cette note a pour objet d’enrendre compte. Après avoir rappelé qu’il n’y a pasde conflit d’objectifs entre recherche du pleinemploi et gains de productivité, elle décrit lesmenaces qui pèsent aujourd’hui sur l’emploi ettente d’esquisser la façon dont notre pays pourraitreconquérir une certaine maîtrise de l’économie etde l’emploi, tout en s’efforçant de préciser le rôlede l’État dans ce contexte, notamment pouraccélérer la modernisation de notre systèmed’emploi.

1. Réduction du chômageet croissance de la productivitépeuvent aller de pair

Un débat s’est instauré parmi les experts sur leconflit potentiel entre réduction du chômage etcroissance de la productivité du travail dans notrepays. Pourtant, si l’on regarde les chosesattentivement, il n’est nullement prouvé que larecherche du plein emploi nuit à la productivité. Lesrécents rapports du CAE nous éclairent sur ce point.

On sait que le PIB par habitant est en France(comme, d’ailleurs, en moyenne dans l’ensemblede l’ancienne Europe à 15) inférieur de 25 % àcelui des États-Unis. La productivité horaire du

travail y serait pourtant supérieure, d’environ 7 %,au niveau américain, mais la durée annuelle dutravail y est nettement inférieure (1 545 heures enmoyenne contre 1 815) et le taux d’emploi (laproportion, parmi ceux qui sont en âge detravailler, de ceux qui ont un emploi) sensiblementplus faible (62 % contre 72 %). À vrai dire, ceniveau élevé de la productivité du travail dansnotre pays n’est pas surprenant. Les comparaisonsinternationales montrent, en effet, que moinsnombreux sont ceux qui travaillent, et moinslongtemps chacun d’entre eux travaille, meilleureest la productivité horaire de leur travail. Si l’oncalcule ce que serait cette productivité horaire, si laFrance connaissait le même taux d’emploi et lamême durée annuelle du travail qu’aux États-Unis,on trouve que celle-ci serait inférieure de 5 à 10 %au niveau américain.

Mais il y a plus inquiétant, en apparence. Le tauxde croissance de la productivité par tête baisserégulièrement : alors qu’il s’établissait à 2 % enmoyenne par an entre 1982 et 1990, il n’est plusque de 1,2 % entre 1990 et 1998 et, surtout, de0,6 % par an entre 1998 et 2003. Dans le mêmetemps, la croissance de la productivité par tête semaintient, voire s’accélère aux États-Unis, passantde 1,7 % par an entre 1982 et 1990, à 1,6 % entre1990 et 1998, puis à 1,9 % par an entre 1998 et2003. Certes, l’essentiel de la baisse en France estimputable à la réduction de la durée du travail(durée qui est pratiquement stable aux États-Unis).Il reste que la productivité par heure de travail necroît plus qu’au rythme moyen de 1,3-1,4 % par andepuis 1990, alors qu’elle augmentait de 2,3 % enmoyenne entre 1982 et 1990.

Ainsi, jusqu’au début de la précédente décennie, laFrance a affiché une performance brillante enmatière de productivité du travail. Mais celle-cirésultait, pour partie, de la mise à l’écart du marchédu travail des salariés les moins productifs.Aujourd’hui, on peut craindre que la productivitépotentielle des chômeurs ou des inactifs soit, enmoyenne, inférieure à celle des actifs occupés, etce d’autant plus que les capacités professionnellesde ceux qui sont demeurés de manière prolongéeen dehors de l’emploi se sont nécessairementdégradées. Pour partie donc, cette évolution enFrance a été voulue et correspond à l’objectifd’enrichissement de la croissance en emploi : si la

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moitié environ du ralentissement de la croissancede la productivité par tête est due à la réduction dela durée du travail, un tiers est attribuable auxallégements de cotisations sociales sur les bassalaires, qui ont permis de rendre employables despersonnes qui auparavant ne l’étaient pas, le solderésultant de facteurs indépendants de la politiquede l’emploi. Faut-il en conclure qu’une politiquevisant à augmenter le taux d’emploi doivenécessairement se payer temporairement d’unralentissement apparent des gains de productivité ?

Le rattrapage du niveau américain de PIB parhabitant nécessiterait d’augmenter à la fois les tauxd’emploi et de productivité. Les déterminants de laproductivité du travail sont connus : investis-sements publics (éducation, infrastructures),investissements privés (notamment dans lesnouvelles techniques d’information et de commu-nication), structures favorisant mobilisation del’épargne et stabilité des prix. Une des raisons de laperformance médiocre de la France au cours desdernières années tient notamment au fait que notrepays n’a pas encore opéré complètement le viragedes TIC. Les dépenses d’investissement TIC nereprésentent en France que moins de 17 % del’ensemble des dépenses d’investissement (moyenne1996-2001) et 2,5 % du PIB, contre 28 % (et 4,5 %du PIB) aux États-Unis, alors même que lacontribution des TIC à la croissance se renforcedans tous les pays de l’OCDE. Les petites etmoyennes entreprises françaises sont encore troppeu nombreuses à avoir intégré les TIC dansl’ensemble de leur processus de production. Maison peut penser que ce retard européen, etnotamment français, ne sera que temporaire : il esthabituel que les nouvelles techniques se diffusentd’abord dans le pays qui en est le producteurprincipal.

Parmi les autres facteurs qui contribuent à lacroissance de la productivité, figure la qualité dutravail. La France est un des pays où la formationinitiale moyenne de l’ensemble de la main-d’œuvres’améliore le plus, du fait d’un niveau moyen deformation des jeunes sensiblement plus élevé quecelui des plus de cinquante ans (effet de génération).Certes, la population active va vieillir (effet d’âge),mais l’impact de ce vieillissement sur la productivitéest loin d’être aussi clair que ce que l’on supposaitjusqu’ici. L’INSEE vient de le démontrer, les seniorsne sont pas, à niveau de formation identique, moinsproductifs que leurs cadets.

Il n’y a donc pas de conflit entre l’objectifd’accroître le taux d’emploi (afin d’augmenter leniveau du PIB par habitant) et l’objectif de retrouverune croissance plus forte de la productivité dutravail, que l’on connaissait avant 1990. Certes, laqualification ou l’expérience professionnelle descatégories les plus concernées par une telleaugmentation est probablement plus faible que celle

de la main-d’œuvre déjà en place. Mais cephénomène sera compensé par l’élévation généraledu niveau d’éducation de la main-d’œuvre ainsi quepar le rattrapage des États-Unis dans l’utilisation desTIC. Le retour au plein emploi, condition nécessairepour assainir les comptes sociaux et tenter derestaurer la cohésion sociale dans notre pays, restedonc notre objectif prioritaire.

2. Incertitudes, menaces, lueurs d’espoir

À l’euphorie de la fin des années 1990 et à l’espoird’une nouvelle donne a succédé un sentimentdiffus de pessimisme. Ce sentiment ne peut avoirque des conséquences fâcheuses car, dans ledomaine économique, les prophéties sont souventauto-réalisatrices. Il se double d’un scepticismecroissant quant à l’efficacité des politiqueséconomiques sur l’emploi. Les 35 heures finissentd’être digérées par les entreprises et les salariéssouhaitent désormais, dans leur grande majorité,bénéficier de hausses de pouvoir d’achat,davantage que d’une nouvelle réduction de leurshoraires de travail. Les propositions visant à allégerles contraintes pesant sur les entreprises et àsimplifier le droit du travail peinent à seconcrétiser, faute de consensus parmi lespartenaires sociaux. L’opinion, comme une partiedes experts, est sceptique, d’ailleurs, sur leurs effetspositifs sur l’emploi. Même la baisse du chômagepromise par certains, grâce à l’effet des départsmassifs en retraite à partir de 2005, ne semble plusaussi affirmée qu’il y a un an.

2.1. Incertitude sur l’effetdes départs en retraite

Le contexte démographique est connu. Le prochaindépart en retraite des cohortes nombreuses nées aulendemain de la seconde guerre mondiale fait que lapopulation active potentielle – celle qui est en âgede travailler – ne devrait croître que de 70 000unités par an entre 2003 et 2007, alors qu’elle avaitaugmenté de 270 000 par an entre 1998 et 2002. Àcomportements d’activité inchangés, notammentaprès 55 ans, une baisse de la population activedevrait même être enregistrée à la fin de la décennie.

De nombreuses interrogations se font jour quantaux comportements des entreprises face à cetteaugmentation du nombre de départs en retraite. Àmoyen terme, on ne sait pas quel sera l’effet de lastagnation de la population en âge d’être active surla croissance économique. Une remontée des tauxd’activité des jeunes et des seniors permettra-t-ellede maintenir la population active en augmen-tation ? À plus court terme, les entreprises vont-elles remplacer tous les départs en retraite et, cefaisant, privilégier la mobilité promotionnelle deleurs salariés ? Vont-elles rechercher, au contraire,à réaliser des gains de productivité, en réorganisant

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leur processus de production pour économiser dela main-d’œuvre ? L’apparition de difficultés derecrutement les poussera-t-elle à faire pression pourpouvoir recourir plus largement à la main-d’œuvreétrangère ou bien à délocaliser, lorsqu’elles lepeuvent, une part de leur activité ?

La situation du marché du travail est contrastée. Lesdifficultés de recrutement apparues dans certainssecteurs au tournant des années 2000 n’ont pasdisparu. Mais des indications concordantessuggèrent que beaucoup d’entreprises françaisesont conservé depuis deux ans des effectifs ensurnombre. Le chômage a d’ailleurs relativementpeu augmenté en 2003, alors que la croissanceéconomique était quasi nulle. La limitation drastiquedes concours financiers de l’État aux préretraites,l’assujettissement aux cotisations sociales despréretraites d’entreprise, instauré par la loi d’août2003 portant réforme des retraites, la non-reconduction du dispositif ARPE par l’Unédic, tousces changements ont poussé les entreprises àl’attentisme, même si des départs négociés maquillésen licenciement ont pu, çà ou là, faire office depréretraites. Les enquêtes menées auprès des DRHsuggèrent que le souhait premier des entreprises estde mettre en place des organisations du travail plusperformantes, dans le but de limiter les effectifs. À cejour, il semble que très peu d’entre elles aientenclenché des actions spécifiques pour prolonger lesfins de carrière de leurs salariés. Moins d’uneentreprise sur quatre se déclare prête à recruter dessalariés de plus de 50 ans. On pressent que l’arrivéeà l’âge de la retraite des cohortes du «baby-boom»pourrait entraîner des changements dans l’or-ganisation des entreprises, visant à permettre, dansbien des cas, à celles-ci de ne pas remplacer tous lesdéparts.

2.2. Inquiétude sur les délocalisations

Les délocalisations sont une source croissanced’inquiétudes. Il semble, en effet, que l’on soit entrédans une nouvelle phase du processusd’internationalisation des firmes. Dans une premièrephase, les entreprises de taille mondiale fabriquaientdans leur pays d’origine et tiraient parti deséconomies d’échelle pour commercialiser dans lemonde entier. Dans une deuxième phase, lesgrandes entreprises occidentales ont commencé àdupliquer leurs unités de production pour accéderaux marchés mondiaux, tout en conservant uncontrôle étroit sur tous les établissements. Dans unetroisième phase, on assiste à une réorganisationinternationale de ces activités, se traduisant par unespécialisation des filiales sur des segments d’activitéet l’implantation d’unités de production vers despays où les salaires sont moindres qu’aux États-Unisou en Europe.

Les transferts d’activité en Asie (Inde, Chine,Malaisie, Singapour), en Amérique (Brésil, Chili,

Mexique, mais aussi Canada) ou dans les nouveauxÉtats membres de l’Union européenne (Pologne,Hongrie) concernent désormais non seulement lesactivités de main-d’œuvre, mais aussi les activitésfinancières et comptables et maintenant une partiedes activités de recherche et de développement,qui relevaient auparavant de la maison-mère,l’entreprise réseau ayant aussi parfois recours à desressources externes dans ce domaine. De fait, letravail qualifié n’est plus sanctuarisé, il n’est pas àl’abri d’une délocalisation hors d’Europe.

Dans ce nouveau contexte, il n’est pas certain quel’élargissement de l’Union européenne accélère lesmouvements de délocalisation. La libre circulationdes biens au sein d’une Union élargie aux paysd’Europe de l’Est devrait surtout modifier ladestination des pays d’accueil des activités délo-calisées, les entreprises pouvant préférer procéder àdes opérations de «nearshoring» plutôt qued’«offshoring» loin de leurs bases. Mais cette réo-rientation des mouvements de délocalisation peutavoir d’autres conséquences. Même s’il est probableque les flux d’investissement directs étrangers vonts’intensifier dans les nouveaux États membres, lavitesse à laquelle ceux-ci vont rattraper le niveau dedéveloppement des pays de l’Europe occidentale estencore largement inconnue. Pour pouvoir déployerles efforts nécessaires au maintien de la cohésion dansl’Union européenne à 25, les États membres devrontconsentir à des réallocations du budget commu-nautaire, ce qui, en l’état actuel des positions des unset des autres, s’annonce problématique. À celas’ajoute le fait que les politiques suivies par lesnouveaux États membres ne semblent pas faire de lalutte contre les disparités de développement en leursein une priorité. Si, dans les nouveaux Étatsmembres, certaines régions restent durablement enretard sur le plan du développement économique,contrairement à ce qui s’est passé lors desélargissements précédents, la tentation migratoiresera plus forte que ce qu’a prédit la Commissioneuropéenne. Une compétition pourrait alors voir lejour entre les États membres pour attirer lestravailleurs les plus qualifiés.

2.3. La résilience :une vertu collective à partager

Pourtant, la situation de l’emploi s’est amélioréedans notre pays. Entre 1996 et 2001, le taux dechômage a baissé de 30 %. Alors que, depuis lesdeux chocs pétroliers des années 1970, chaquerécession amenait le taux de chômage à franchir unpalier supplémentaire, celui-ci reste aujourd’huiinférieur de 15 % à son plus haut niveau, malgré leralentissement de la croissance en 2002, et surtouten 2003. Dans cette conjoncture déprimée, existeune grande hétérogénéité des situations parmétiers, par branches, par territoires. Malgré lechômage, des tensions sur le marché du travailsubsistent dans nombre de métiers de la

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construction, des transports, des hôtels-cafés-restaurants, les métiers de la bouche, tous lesmétiers de la santé.

Pourtant, le sentiment d’impuissance face auchômage se répand de nouveau dans l’opinion. Lesconséquences peuvent en être extrêmementnéfastes, et pas seulement au plan économique.Alors que le taux d’épargne des ménages est déjàl’un des plus élevés d’Europe, l’inquiétude face àl’avenir, doublée de l’incertitude sur le financementdes retraites, pourrait conduire ceux-ci à accroîtreleur épargne de précaution, empêchant la consom-mation de tirer la croissance. Les anticipations desentreprises, qui commandent l’investissement,risquent de demeurer pessimistes. Pour peu quel’Allemagne se retrouve dans la même situation, lacroissance économique française pourrait demeurerdésespérément faible, alors même que l’activitérepart partout ailleurs dans le monde.

Le maintien du chômage au niveau actuel, en dépitdu départ en retraite des «baby-boomers» et duralentissement de la croissance de la populationactive, aurait des effets désastreux sur les comptessociaux et accentuerait ses effets déstructurants surl’ensemble de la société. Non seulement les jeunessans qualification, mais également de nombreuxdiplômés éprouveraient de sérieuses difficultés às’insérer sur le marché du travail. Avec la nouvelledonne de l’externalisation et des délocalisations, lesmobilités positives demeureraient inaccessibles pourtous ceux qui ne travaillent pas sur le cœur de métierdes entreprises. L’attractivité du secteur public serenforcerait, les jeunes – et les moins jeunes –préférant la sécurité de l’emploi à toute autre formede rétribution de leur travail. Une concurrences’installerait entre secteur privé et secteur publicpour attirer les qualifications recherchées. Déjà, sonten butte à ce problème les secteurs qui font face à desdifficultés de recrutement – comme la métallurgie, lebâtiment ou l’hôtellerie-restauration – et développentdes actions de promotion en direction des jeunes etdes enseignants. Alors qu’on forme effectivement descuisiniers ou des ouvriers du bâtiment, beaucoupd’entre eux, une fois entrés dans la vieprofessionnelle, quittent l’entreprise après leurapprentissage pour aller travailler dans le secteurpublic.

Dans le secteur privé, le risque serait celui d’unecoupure durable entre le management des firmes,qui engage et conduit, parfois à marche forcée, desréorganisations et des restructurations, et dessalariés peu confiants dans l’avenir qu’on leurpromet. Sans amélioration de la situation généralede l’emploi, l’adaptation à la mondialisations’avérerait problématique. Non seulement la Franceperdrait alors des parts de marché, mais les grandesentreprises françaises pourraient adopter desstratégies de fuite du territoire national, préférants’implanter dans des pays plus propices à leur

compétitivité. Qu’on s’en réjouisse ou qu’on leregrette, ce ne sont pas seulement les entreprisesqui sont en compétition dans la mondialisation, cesont aussi les territoires.

L’économie du XXIe siècle est mondialisée. Sauf siun choc mondial catastrophique (retour des épi-démies, diffusion massive des actes de terrorisme)venait à provoquer un retour en arrière brutal, ils’agit d’un mouvement installé pour longtemps. Laperformance décevante des pays de la zone eurosur le plan de la croissance et de l’emploi au coursde la dernière décennie tient à leur difficulté às’adapter aux changements économiques etsociaux et, a fortiori, à en être les initiateurs. Or ceschangements, qu’ils aient pour nom choc démo-graphique, révolution technologique ou globa-lisation, sont loin d’être terminés. La France etl’Europe n’ont guère le choix : il leur faut passer àla vitesse supérieure dans le processus d’adap-tation à la nouvelle division internationale dutravail.

Mais ce processus de recomposition globale necomporte pas que des risques et des pertes pournotre pays. Face à ce défi, la résilience, c’est-à-direla capacité à trouver en soi les ressources pour tirerdu pire le meilleur, va devenir une vertu collectivedont l’efficacité sera à due proportion de sadifficulté à y accéder. Elle sera d’autant pluspartagée qu’elle pourra s’appuyer sur unereconquête, même partielle, de la maîtrise desactivités productives, et donc de l’emploi. Ce sontles voies de cette reconquête qu’il s’agit depréciser.

3. Les voies de la reconquêted’une maîtrise de l’emploi

Les réformes proposées jusqu’ici au niveaueuropéen dans le cadre de la stratégie européennepour l’emploi ont visé à agir sur l’offre de travail, saquantité comme sa qualité, davantage que sur lademande. Il devient nécessaire maintenant deconcevoir aussi des politiques pour l’emploifondées sur la demande du système productif. LaCommission européenne, dans une communicationrécente sur la politique industrielle, a fait un pas,encore timide, dans cette direction. C’est dans cecadre que le Plan a, pour sa part, choisi d’insérerses travaux en matière d’emploi et de formation :prospective de la division internationale du travailet des opportunités que peut prétendre y trouvernotre pays, identification des activités productivesde demain, prospective des métiers et desqualifications et ses conséquences sur les besoinsd’éducation et de formation, gouvernance desdispositifs de formation professionnelle, évolutiondes droits sociaux accompagnant les mobilitésprofessionnelles (adaptabilité des travailleurs, sécu-risation des parcours professionnels).

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3.1. Adaptation offensiveà l’économie de la connaissance :trouver une synergie maximaleentre l’Europe, l’État et les régions

La France a perdu plus de 30 % de son emploiindustriel depuis 1974, quand les États-Unis n’enperdaient que 10 %. Les États-Unis poursuivent leurtransition vers une économie de services, où la partdes activités industrielles se réduit, mais ilsconnaissent une croissance qui bénéficie aussi àces activités industrielles. La migration des activitésintensives en main-d’œuvre vers les pays à bassalaires ne s’y est pas traduite par une réductionimportante de l’emploi industriel total. L’enjeu,pour la France comme pour l’ensemble des paysles plus développés, est d’être en mesure desoutenir, dans l’industrie comme dans les services,la concurrence par l’innovation dans une largegamme d’activités sophistiquées utilisant intensé-ment les technologies de l’information et de lacommunication.

L’innovation est donc une clé du retour de lacroissance et du développement de l’emploi. Maisl’époque est révolue où celle-ci naissait del’inventivité d’une seule personne. Désormais, sonefficacité est très largement relationnelle. Larelation de proximité entre entreprises et centres decompétences techniques, qui sont souvent descentres de formation, devient primordiale. Leréseau, sa capacité à tisser des relations entre lesacteurs du développement économique sontdécisifs. Dans cette optique, la concurrence entreles territoires s’intensifie. Les entreprises vonts’implanter là où le territoire leur offrira unavantage compétitif durable.

Dans ce contexte, l’Union européenne commenceà prendre conscience qu’il est urgent d’agir.Jusqu’ici, l’ambition qu’elle s’était donnée auConseil européen de Lisbonne en mars 2000(«Devenir en 2010 l’économie de la connaissancela plus compétitive et la plus dynamique, capabled’une croissance durable accompagnée d’uneamélioration quantitative et qualitative de l’emploiet d’une plus grande cohésion sociale») ne s’étaitguère concrétisée, faute d’accord entre les Étatsmembres sur les conditions de mise en œuvre decette stratégie. L’initiative européenne de crois-sance lancée sous présidence italienne en 2003devrait donner un nouvel élan aux politiquessectorielles et/ou industrielles, permettant aux Étatsmembres de mettre en œuvre une politique despécialisation sur des secteurs à forte valeurajoutée. Cette initiative vise à promouvoirl’investissement global public et privé dans les TEN(Trans-European Networks) ainsi que dans certainsprojets majeurs de R & D et dans les technologiesde pointe. Dans sa communication d’avril 2004, laCommission a mis l’accent sur les plates-formestechnologiques qui permettront de faciliter l’émer-

gence de «marchés pilotes» en Europe. Un pland’action «Innover pour la compétitivité del’Europe» sera arrêté au cours de l’été. Les plates-formes retenues devront obéir à des critères stricts,afin d’éviter un saupoudrage des budgets : besoineffectif d’un levier européen, valeur ajoutée euro-péenne, impact en termes d’avancées scien-tifiques et de retombées socio-économiques.

Étant donné l’ampleur des budgets, descollaborations et des mises en réseau nécessaires,seule l’Europe peut donner à la France les moyensde reprendre la main et de bâtir une politiquevolontariste de spécialisation offensive dans l’éco-nomie mondialisée de la connaissance. C’estpourquoi il est impératif que l’État français soit unacteur influent de la construction de cette politiqueindustrielle européenne, afin d’en tirer le meilleurparti pour notre pays.

Si ce processus de relance active de la compétitivitéeuropéenne se concrétise, le rôle de l’État va devenirstratégique. Ce n’est pas le moindre des méritesd’une politique industrielle que de permettre à l’Étatde proposer au pays une vision claire des activitésappelées à se développer dans notre pays ainsi quede celles dont il faudra accompagner le déclin, et defaire partager cette vision à l’ensemble des acteurséconomiques. Le reste en découle : conjuguée auxeffets de la démographie, cette prospectivesectorielle doit permettre de déboucher sur uneprospective des métiers et des qualifications, quipuisse être un point d’ancrage central pour quel’appareil de l’éducation nationale et ses usagersdisposent d’informations fiables sur les besoins deformation initiale. Les observatoires des métiers etdes qualifications, que chaque branche profes-sionnelle doit mettre en place, en vertu de l’accordinterprofessionnel du 20 septembre 2003 transposédans la loi du 4 mai 2004, sont un élément essentielde ce dispositif. La diffusion des résultats des travauxentrepris à l’échelle du pays doit être maximale,pour que les jeunes aient une visibilité desperspectives d’emploi dans les différents métiers,leur permettant de choisir leur orientation enconséquence, et pour que les entreprises puissentanticiper les métiers de l’avenir. Ces travaux doiventpermettre aussi de définir les besoins éventuels demain-d’œuvre étrangère et les conditions danslesquelles de tels besoins pourront être satisfaits. Ils’en suivra une identification, beaucoup plus claireque ce n’est le cas aujourd’hui, de la nature et del’ampleur des mobilités professionnelles qu’il faudraaccompagner pour permettre les redéploiementsnécessaires. Il faudra enfin inscrire dans ce processusla formation professionnelle continue, qui constituela clé de cette stratégie d’adaptation offensive à lamondialisation.

Il appartiendra, par ailleurs, à l’État de mettre enœuvre les moyens d’une synergie maximale entreles initiatives prises à l’échelle européenne et lesrégions françaises. Les exécutifs régionaux se

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mettent en capacité de construire eux-mêmes desstratégies de développement et d’emploi, leurpermettant de promouvoir des bassins régionaux despécialisation technologique et industrielle. Mais,sous peine de courir à l’échec, bâtir une stratégiede développement régional ne peut être unexercice technocratique. C’est nécessairement unprojet collectif qui mobilise tous les acteurs locauxet qui doit s’ancrer sur un diagnostic partagé desforces et des faiblesses du territoire régional, desopportunités qui s’offrent à lui et des menaces quipèsent sur son avenir. Pour construire ce diagnosticet en tirer un projet de développement, il estindispensable que chaque région se dote d’uneexpertise sur de multiples questions, dont certainespeuvent être très techniques. L’État a vocation àjouer un rôle à ce niveau. Il lui revient, à travers sesservices déconcentrés, de contribuer à forger cetteexpertise, sans pour autant se substituer auxautorités régionales lors de l’élaboration du plan dedéveloppement.

Pour que les territoires soient efficaces dans lamaîtrise de leur développement, il faut donc quel’État lui-même soit efficace dans son rôle destratège. Le Plan a entrepris d’éclairer l’action del’ensemble des acteurs, collectifs et individuels,dans ce domaine.

3.2. Développer les services aux particuliers

L’autre volet de cette politique pour l’emploiconcerne les services aux particuliers. On sait l’écartqui existe entre les taux d’emploi en France et auxÉtats-Unis. Cet écart est d’environ 11 points, chaquepoint d’écart représentant environ 400 000 emploisde moins pour la France. Lorsqu’on regarde quelssecteurs d’activité emploient davantage de mondeaux États-Unis qu’en France, on est frappé par le faitque les écarts se concentrent quasi exclusivementdans le tertiaire : commerce et réparation (4 pointsenviron), hôtels et restaurants (3 points), santé etservices sociaux privés (2 points), éducationpublique et privée (1,5 point), finance (1 point).

La plus forte part des services dans le budget deconsommation des ménages américains s’explique,pour partie, par un effet de revenu. Ces postesprésentent tous une élasticité de la consommationau revenu supérieure à 1 et il n’est pas surprenantque leur part augmente lorsque le revenu s’élève.Mais cette explication est probablement insuffisanteet il faut en rechercher une autre dans lesdifférences de modes de vie.

Au centre de l’Europe (du moins s’y trouvait-ellejusqu’au dernier élargissement), la France est, eneffet, au confluent de plusieurs modèles deconsommation différents. La mise en place des 35heures, qui faisait suite à un certain nombre deréflexions portées par le Plan dans les années 1990,a pu donner l’impression que la France allait se

rapprocher du modèle néerlandais. Aux Pays-Bas,la faible durée moyenne du travail a pourcontrepartie une forte autoproduction de servicesdomestiques. Elle permet en même temps unpartage plus égalitaire des rôles des femmes et deshommes dans la société, et notamment dans lemonde du travail. On sait qu’en France les 35heures n’ont guère fait évoluer le partage destâches domestiques entre les femmes et leshommes et n’ont pas donné les résultats escomptéssur le plan de l’égalité professionnelle. D’un autrecôté, la société française ne paraît pas prête àépouser le modèle scandinave, où l’égalitéprofessionnelle est rendue possible par le fait quedes services nombreux et de qualité sont fournis defaçon socialisée et financés par des prélèvementsobligatoires.

Sans verser à l’excès dans un tropisme américain,force est de constater qu’une plus forteconsommation de services aux particuliers seraitun moyen pour les femmes d’être moins pénaliséesqu’elles ne le sont aujourd’hui sur le marché dutravail et qu’une telle évolution serait, en mêmetemps, bénéfique pour l’emploi. Constatons aussique nous n’en prenons pas le chemin. Choixassumé ou subi, la politique suivie par beaucoupde firmes a été d’offrir au consommateur desproduits à bas prix, tout en réduisant le serviceassocié au produit à la portion congrue. Or nousentrons dans l’ère du service, où la quantité deservice associé aux biens va devenir primordiale.

Une large demande de services aux particuliersest donc latente. Les services aux particuliersdésignent un ensemble plus vaste que les servicesaux personnes, terme habituellement utilisé pourdésigner des opérations de garde des enfants et desoins aux personnes malades, fragiles oudépendantes. Ils englobent ces derniers ainsi quel’ensemble des services domestiques, des servicesculturels et d’éducation. Cette demande nerencontre pas pour l’instant d’offre suffisammentdéveloppée pour la satisfaire. Les nouvellestechniques d’information et de communicationdevraient pouvoir faire accéder ces services austatut de production de masse, ce que lamécanisation n’avait pas pu faire. Les TIC vont, eneffet, permettre de concevoir des plates-formesd’accès, capables d’apparier des offres et desdemandes de travail de quelques heures sur desservices très divers. Certes la mise au point de cesplates-formes engendrera des coûts fixes impor-tants, car elle exige des innovations techno-logiques, pour que les services soient facilementaccessibles, et des innovations non techno-logiques, pour que les services proposésrépondent à l’attente des consommateurs. Maisces coûts fixes pourront être partagés entre tousles clients qui utilisent les plates-formes pouraccéder aux services et le coût d’accès à uneprestation peut devenir quasi nul.

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Il doit donc être possible d’accélérer le dévelop-pement de ces services, à condition de repérer lesobstacles de toutes natures qui freinent leurdéveloppement et d’essayer de les lever. Cesobstacles dépassent largement le seul problème deleur coût. Ils tiennent autant à l’image controverséedes services à la personne, aux conditions à remplirpour garantir la fiabilité des prestataires, à lalourdeur des investissements à rentabiliser, àl’instauration de conditions de concurrence équi-table entre les offreurs, notamment le mondeassociatif, et à la responsabilité civile et pénale desprestataires en cas d’accidents ou de vols.

Le Plan examine, en ce moment, quellespourraient être les interventions de l’État visant àfavoriser le développement des services auxparticuliers. Pour garantir les normes de qualitéexigibles par les consommateurs, les entreprisesprestataires de services devront recourir à unecertification de la qualité de leurs prestations. L’Étatpourrait chercher à abaisser très substantiellementle coût de cette certification, actuellement dissuasifpour les petites et moyennes entreprises. On peutimaginer, en outre, que l’arrivée d’offreurs sur cesnouveaux marchés de services serait favorisée pardes mesures permettant d’en abaisser le prix : dessubventions à l’investissement dans les plates-formes d’accès aux services, mais aussi des baissesde TVA sur les services vendus. Ces baisses deTVA, portant sur des activités nouvelles, consti-tueraient pour l’État un manque à gagner davantagequ’une perte de recettes. Elles devraient d’ailleurspouvoir être transitoires.

Les emplois créés, non délocalisables, feront appel àdes personnes très qualifiées, pour la conception et lamise au point des plates-formes, et de qualificationvariable pour la prestation du service. Dans lesservices, le client participe à la définition du service, àsa co-construction. Les entreprises offrant des servicesont besoin, pour construire leur marché, de laconfiance de leurs clients. Les prestataires directsdoivent posséder trois types de compétences :techniques, organisationnelles (qui dépassent lasimple compétence administrative ou de gestion),commerciales (transaction, négociation, utilisation,évaluation du service). Ces compétences collectivesne sont concrètement mises en œuvre que si tous lessalariés qui y participent mobilisent ces trois types decompétence pour accomplir leur tâche.

Loin d’être des «petits boulots» temporaires, lesemplois qui seront créés par le développement desservices aux particuliers nécessiteront une véritableprofessionnalisation. Les opérateurs devront conso-lider une demande par nature très atomisée,puisqu’elle provient des particuliers, afin d’être enmesure de proposer aux salariés qu’ils emploientde véritables parcours professionnels. La montéeprogressive en qualité de la prestation de servicesfera croître la productivité et permettra d’augmenter

les salaires. Pour les opérateurs, il s’agira d’avoirune taille suffisante afin d’opérer cette conso-lidation, tout en conservant une proximité avecleurs clients, nécessaire pour ajuster au plus prèsleur offre à la demande.

3.3. La politique de l’emploi :baisse des charges ou effort de formation ?

Après avoir examiné les contours d’une politiquepour l’emploi centrée sur la demande de travail, ilest utile de revenir quelques instants sur les moyensdes politiques de l’emploi et de dire un mot dudilemme traditionnel dans ce domaine : vaut-ilmieux consacrer la ressource rare qu’est l’argentpublic à baisser les charges qui pèsent sur les bassalaires ou à financer la formation professionnellecontinue ?

La politique de réduction des charges sur les bassalaires est une stratégie défensive, qui permetd’intégrer dans l’emploi des personnes dont laproductivité est faible, grâce à un allégement ducoût de leur travail. Elle coûte cependant très cheraux budgets sociaux : le coût total des allégementsde charges représentait 1,3 % du PIB en 2003 etdevrait atteindre 1,5 % en 2005. Les économistessont divisés sur son efficacité. Ses défenseurs fontvaloir que les baisses de charges permettent decréer non seulement des emplois non qualifiés,mais aussi des emplois qualifiés. D’une part,l’embauche de travailleurs peu qualifiés contribueà améliorer l’efficacité des travailleurs qualifiés,qui peuvent déléguer une partie de leurs tâches oubénéficier d’un plus grand nombre de colla-borateurs ; d’autre part, la réduction du coût dutravail peu qualifié améliore la rentabilité globaledes entreprises qui bénéficient des allégements decharge. Ses détracteurs arguent, au contraire, quela forte augmentation du coût salarial, dès quel’on franchit le plafond des exonérations,engendre une désincitation à l’éducation et à laformation. Les allégements de charge sur les bassalaires peuvent ainsi amplifier les faiblessesstructurelles de l’économie française, caractériséepar une faible proportion de diplômés et par unretard dans l’adoption des nouvelles technologies.

Les dépenses publiques de formation profes-sionnelle, quant à elles, améliorent les perspectivesd’emploi et de revenu des salariés, mais à certainesconditions toutefois. Les travaux de certainséconomistes – basés, hélas, sur des observationsaméricaines, ce qui limite quelque peu leur portéedans le contexte français – ont mis en évidence lesconditions à remplir pour que la formation tout aulong de la vie soit efficace. Celle-ci se révèlegénéralement de peu d’effet pour les personnesdont la scolarisation, voire en amont lasocialisation, se sont soldées par des échecs. Lesefforts entrepris profitent davantage à ceux qui sontdéjà dans une relation d’emploi stable et qui

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possèdent des qualifications indispensables àl’entreprise. Ils n’ont souvent que peu d’impact surles personnes les plus vulnérables. S’y ajoute le faitque les compétences tendent à devenir valoriséesdans l’entreprise davantage que les qualifications,sans que l’on sache toujours précisément lescourbes d’apprentissage de ces compétences.

Cette dispute sur les moyens à affecter à chacun deces deux volets traditionnels de la politique del’emploi prend un tour nouveau, si on la resitue dansle cadre de la politique pour l’emploi, qui vientd’être esquissée dans les pages qui précèdent. Lesdeux éléments peuvent être les volets complé-mentaires d’une même stratégie de retour au pleinemploi. L’impact des baisses de charges seracertainement accru si celles-ci deviennent un desmoyens d’une politique volontariste de dévelop-pement des services. Et l’efficacité des dépensespubliques de formation professionnelle continuesera d’autant plus forte que celles-ci s’inscriront dansune stratégie industrielle, animée par l’État ensynergie avec l’Union européenne et avec lesrégions et permettant d’établir une prévision fiabledes emplois et des métiers de demain.L’amélioration du niveau moyen d’éducation desjeunes qui entrent sur le marché du travail conduiraà en accroître encore l’efficacité. On notera toutefoisque, malgré les efforts déployés, la part d’unecohorte qui quitte le système scolaire munie d’undiplôme supérieur ou égal à Bac + 3 a cesséd’augmenter depuis le milieu des années 90. Lemême phénomène apparaît depuis quelques annéespour la formation continue. Les dépenses desentreprises en matière de formation continue ontcessé de croître, pour des raisons encore nonélucidées.

4. Moderniser notre système d’emploi

4.1. La relation d’emploi reste plus stablequ’on ne le croit…

S’il ne fait pas de doute que l’adaptation offensivede notre pays à la mondialisation doit se faire dansl’Europe et avec l’Europe, il est clair, en revanche,que les systèmes d’emploi restent nationaux. Ildevrait en être ainsi aussi longtemps que l’ampleurdes mobilités au sein de l’Union reste ce qu’elle aété depuis la signature du traité de Rome, c’est-à-dire faible. Par système d’emploi, nous entendonsici un ensemble de règles (établies par législateur)et de pratiques sociales (agréées par la négociationd’entreprise, mais aussi de branche ou inter-professionnelle), où les constructions sociales àl’échelle de la société – le droit du travail et laprotection sociale – sont en harmonie avec lescompromis établis dans l’entreprise, entreemployeurs et salariés.

Le retour de l’inquiétude sociale face au chômagetend à faire passer au second plan d’autres

préoccupations, qui ont été longtemps au cœur destravaux du Plan, à savoir la modernisation de cesystème d’emploi. Il y a dix ans, la commissionprésidée par Jean Boissonnat soulignait à quel pointla flexibilité fait peser lourdement l’incertitudeéconomique sur les salariés et précarise une partiedes actifs, ceux que leur âge ou leur absence dediplôme expose plus que d’autres aux rupturesprofessionnelles. Elle appelait de ses vœux denouveaux modes de protection des salariés etproposait d’adapter le droit du travail en créant unenouvelle forme juridique, le contrat d’activité, defaçon à élargir le cadre d’organisation de la relationd’emploi qu’est le contrat de travail, tout endonnant au système productif les capacitésd’adaptation requises.

Depuis, la réflexion a progressé et s’est enrichie del’observation des faits. L’idée que la relation autravail serait marquée par une instabilité de plus enplus forte est contestée aujourd’hui. Certes, il existebien des facteurs qui concourent à un accrois-sement de l’instabilité de l’emploi : raccour-cissement du cycle de vie des produits, contrac-tualisation des relations de service au sein desfirmes et, surtout, un chômage de masse qui accroîtla mobilité contrainte. Aujourd’hui, si 90 % descontrats de travail sont à durée indéterminée, lesflux d’embauches sont largement sous la formed’emplois précaires. Mais, en sens inverse, il existedes facteurs qui appellent une stabilisation de larelation d’emploi : les nouvelles formes d’orga-nisation du travail qui mettent l’accent sur lacoopération, le travail d’équipe, le managementparticipatif ; le retour de la notion de métier, quisuppose une certaine stabilité, soit dans l’entre-prise, soit dans la branche. Il faut donc se garder depenser que le modèle salarial de demain, c’est unpetit nombre de professionnels, dotés de compé-tences très recherchées et capables de se louerpour quelques mois aux entreprises les plusoffrantes, plus une masse de travailleurs précairesaussi faciles à embaucher qu’à licencier. Lesentreprises ne pourront jamais trouver sur lemarché toutes les compétences dont elles ontbesoin. Or, la construction des compétences etl’intégration de compétences individuelles dans unprojet collectif sont un processus lent, quicontinuera de demander une relation dans la duréeentre l’entreprise et le salarié.

Globalement, on ne constate pas de tendance à lacroissance de l’instabilité de l’emploi sur longuepériode, que l’on définisse celle-ci par la fréquencede transition entre emploi et chômage ou entreemploi et inactivité, ou bien par l’anciennetémoyenne dans l’emploi, ou bien encore par le tauxde rétention (la proportion de salariés au coursd’une année donnée qui auront le mêmeemployeur 5 ans plus tard).

En revanche, il est établi que ces moyennescachent des disparités de plus en plus marquées : la

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proportion de salariés dont l’ancienneté estsupérieure à 10 ans tend à augmenter, mais aussicelle des salariés dont l’ancienneté est inférieure àun an. Le reste, semble-t-il, n’a pas beaucoupchangé, ce qui n’est guère surprenant si l’on prenden compte les grandes tendances d’évolution dumarché du travail : l’ajustement quantitatif del’emploi s’est opéré principalement par des départsen retraite anticipés, l’ajustement qualitatif par descontrats de travail de courte durée pour les jeunes.Les nouveaux arrivants subissent fortement laflexibilité. Le développement des formes atypiquesd’emploi engendre, notamment chez les jeunes,des conditions d'existence précaires. Lesintérimaires, les jeunes en CDD ont besoind’obtenir un CDI pour pouvoir signer un bail ousouscrire un prêt pour l’achat d’un véhicule.

Par ailleurs, l’augmentation des flux de passage auchômage, avec la croissance des contrats précaires(CDD, intérim), s’est accompagnée d’une montée dustock de chômeurs. Ce qui a bougé le plus enFrance depuis trente ans, ce n’est pas tant le risquede perdre son emploi et de se retrouver auchômage, ce sont les chances de sortie du chômage.Il n’y a donc pas d’incohérence entre le constatd’une stabilité des risques de quitter l’emploi surlongue période et une montée du chômage due àune baisse des chances de sortir du chômage. LaFrance reste dominée par une inscription du travaildans la vie sociale en référence à l’emploi public ouau CDI à temps plein.

4.2. …mais la modernisationde notre système d’emploi n’est pas achevée

Si la relation à l’emploi n’a donc pas fonda-mentalement changé de nature, la question de lamobilité des salariés, et notamment des carrièresprofessionnelles, se pose pourtant sous un journouveau. Aujourd’hui, le code du travail vise àprotéger les salariés dans leur emploi, beaucoupplus qu’à faciliter leur mobilité. Les procédures qu’ilimpose en cas de projet de licenciement individuelou collectif pour motif économique sont jugées troplourdes et trop longues par les entreprises et, de cefait, contestées au nom de la recherche de laperformance économique. La négociation entrepartenaires sociaux s’est engagée sur ce point, maiselle peine à aboutir.

L’une des raisons de ces difficultés tient au fait quele raisonnement en termes de rigidité/flexibilité estinsuffisant. Car c’est, plus fondamentalement,l’échange sécurité contre subordination, caracté-ristique de la période du fordisme, qui est remis encause. Il faut désormais rechercher un nouveaucompromis, dans l’entreprise ou sur un territoire,plus favorable aux entreprises et aux salariés, quipermette aux premières d’être plus réactives et auxseconds de bénéficier de nouvelles formes desécurité. Les partenaires sociaux ont signé, le

20 septembre 2003, un accord interprofessionnel surla formation professionnelle continue, transposédans la loi du 4 mai 2004, qui, en reconnaissant undroit individuel à la formation, a ouvert la voie à lacréation d’une véritable «assurance emploi». Mais ilfaudra probablement, à l’avenir, aller plus loin.

La question de la mobilité professionnelle dessalariés se pose sous un jour nouveau depuis que leconcept de compétence tend progressivement à sesubstituer à celui de qualification. La compétencene se définit plus, comme la qualification, au niveaud’une branche, mais dans l’entreprise. Elle seconstruit en situation professionnelle, à partir desressources en termes de savoir, de savoir-faire et decomportements professionnels, acquises à l’école,dans la famille, dans le travail et plus généralementdans l’ensemble des activités de l’individu. Lesacquis mobilisés à cette fin ne s’obtiennent plusexclusivement par la formation, mais souventdavantage par l’expérience. Leur reconnaissances’effectue encore de manière malaisée selon lesformes collectives de classification et de carrière. Lalisibilité des compétences sur le marché du travailest, de ce fait, moindre que ne l’était celle desqualifications, rendant plus difficile la valorisationdes acquis de l’expérience des salariés.

Les compétences professionnelles deviennent unevaleur stratégique des entreprises. La logique desqualifications par poste de travail, liée au modèled’organisation taylorien, est en train d’éclater. Déjà,beaucoup d’entreprises ont compris que leur intérêtétait de reconnaître et de valoriser les compétencesde leurs salariés. L’entreprise qui ne saura pasrepérer, utiliser, gérer et rémunérer les compétencesde ses salariés verra, dès que des tensions vontapparaître sur le marché du travail, les pluscompétents de ses salariés la quitter.

Cette approche de la gestion des ressourceshumaines par les compétences, qui se répand dansles entreprises, oblige à reconsidérer beaucoupd’éléments. Comment les salariés vont-ils pouvoirse situer sur une carte de compétences ? Commentoutiller les chefs d’entreprise et les salariés à cettedémarche ? Comment permettre la lisibilité descompétences sur le marché du travail ? La certifi-cation par la valorisation des acquis del’expérience est-elle suffisante ? Ne devrait-on pasinventer des procédures ad hoc pour rendre lisiblesles compétences, en faisant certifier par unorganisme paritaire extérieur à l’entreprise lecurriculum vitae du salarié ? Tous ces pointsfournissent et fourniront matière à la négociationcollective. Mais pour que cette négociationaboutisse, il faudra aussi que les organisationssuivent. Certaines entreprises, particulièrementinnovantes sur ce point, vont jusqu’à obligerl’encadrement à utiliser les compétences acquisespar les salariés et reconnues comme telles. D’autreshésitent à favoriser la reconnaissance des

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compétences de leurs salariés, même si elles lesrémunèrent, de crainte de voir ceux à qui ellestiennent le plus profiter de cette reconnaissancepour changer d’employeur.

En matière de formation professionnelle tout au longde la vie, ne convient-il pas d’aller plus loin quel’accord interprofessionnel du 20 septembre 2003 etsa transposition dans la loi du 4 mai 2004 ? Nefaudrait-il pas reprendre l’idée d’un véritable compteépargne-formation, qui pourrait être alimenté demultiples façons : par un droit de tirage sur lesystème éducatif en cas de sortie précoce, par l’État,par les régions, par les Assedic, par l’entreprise etpar le salarié (ou plutôt l’individu, car les non-salariés sont également concernés) ? Et, dans ce cas,comment équiper les salariés pour optimiserl’utilisation de ce compte épargne-formation ?

Les projections effectuées par le Plan sur laprospective des métiers et des qualificationsmontrent que la structure des emplois va sedéformer. La croissance sera la plus forte dans lesplus ou moins qualifiés, creusant ainsi la distancesociale entre ces deux catégories qu’une massed’emplois intermédiaires réunit de plus en plusdifficilement. L’objectif de l’intervention publiquepourrait être double. Il pourrait viser d’abord àcompenser la dérive naturelle des systèmes deformation, consistant à favoriser de facto lessalariés les mieux intégrés dans l’entreprise, laformation étant pour eux d’autant plus efficacequ’elle articule sans difficulté leur compétenceindividuelle avec l’une ou l’autre des compé-tences collectives de l’entreprise. Un mécanismed’abondement d’un compte épargne-formation,qui favoriserait les salariés les plus vulnérables,pourrait être utilisé à cet effet. Par ailleurs, toutesles situations de travail ne sont pas apprenantes etbon nombre d’entreprises restent encore peuconcernées par la promotion des compétences deleurs salariés. L’intervention des pouvoirs publicsne devrait-elle pas viser à encourager les projetsde mobilité ascensionnelle et de promotionsociale des personnes peu qualifiées, sans se limi-ter aux seuls demandeurs d’emploi, en rendantaccessible les outils adaptés à leur démarche et àleur projet ?

5. Conclusion : un rôle nouveau pour l’État

À travers les travaux de ses groupes de projet, lePlan a pour ambition de préciser quels devraientêtre, au cours des prochaines années, les objectifset les modes d’intervention de l’État dans le champde l’emploi, du travail et de la formation profes-sionnelle.

Dans la nouvelle division internationale du travailqui se met en place, il n’y a pas, pour notre pays,d’autre sortie du chômage que par le haut. Lesavoir-faire, et donc la performance dans l’éco-

nomie de la connaissance, sont désormais toutentiers dans la matière grise. On ne peut pas luttercontre les pays à bas coûts de main-d’œuvreautrement qu’en se spécialisant sur des produits enavance sur le plan technologique. Mais ceci vautégalement pour les secteurs, tels celui des servicesaux particuliers, où les emplois ne sont pasdélocalisables, car les opérateurs seront très viteconfrontés à la nécessité de professionnaliser lamain-d’œuvre qu’ils emploient pour répondre auxexigences de qualité de leurs clients. Il n’y a pas demarché du travail fonctionnant de manière stablesur un mode dual.

Que peut et que doit faire l’État pour conduire lasociété française sur le chemin du retour au pleinemploi ? En confiant aux régions le soin de définirles priorités des dispositifs de formationprofessionnelle financés sur fonds publics, la loi dedécentralisation a modifié indirectement le rapportentre l’État et les régions dans cette recherche duplein emploi. La loi du 4 mai, quant à elle, a confiéaux branches professionnelles le soin de définir lesmétiers et les qualifications de demain, afind’affecter en conséquence les fonds collectésauprès des entreprises pour la formation. Mais lesentreprises commencent aussi à nouer de nouveauxliens avec les collectivités territoriales et cherchentà faire converger leurs efforts en matière deformation avec ceux des partenaires publics,notamment à destination des jeunes.

Dans ce concert, c’est donc clairement un rôle destratège que l’État est appelé à tenir. Ce rôle n’estpas facile. Les représentations que se font lesacteurs publics et privés appelés à nouer despartenariats sont décisives. Si la plupart d’entre euxsont d’accord pour admettre l’ampleur desmutations en cours et des évolutions souhaitables,la divergence des intérêts engendre généralementdes lectures différentes de ces mutations et surtoutdes propositions divergentes sur la manière d’yrépondre. L’État, qui est tout à la fois un arbitre etun acteur central dans ce jeu, est souvent amené àfavoriser des arrangements partiels. Il lui échoitmaintenant de créer les conditions d’un compromisplus large, qui intégrerait les enjeux de long terme.L’État, au fond, doit lui aussi se recentrer sur soncœur de métier.

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THÈME PRIORITAIRE

Intégration sociale

Faire vivre ensemble la «société des individus»

Dans les travaux que mène actuellement leCommissariat général du Plan sur le thème del’intégration sociale, plusieurs approches, complé-mentaires, ont été adoptées. Un certain nombrede travaux s’intéressent à des populationsspécifiques (populations immigrées ou d’origineimmigrée, personnes âgées dépendantes), d’autresadoptent une approche davantage systémique encherchant moins à comprendre comment lesindividus trouvent leur place dans un tout qui leurpréexiste qu’en analysant la façon dont ce tout seconstruit. Cette distinction recouvre la distinctionclassique en sciences sociales entre intégration àla société et intégration de la société. Par ailleurs,certains travaux portent sur les aspectséconomiques de l’intégration sociale (emploi,promotion sociale, inégalités, etc.), d’autres surdes aspects davantage sociologiques (valeurs,identités, culture, appartenance, sociabilité, etc.).

Pour cette première note, il n’a pas semblésouhaitable de vouloir traiter de l’ensemble deces aspects. En particulier, les questions, bienque déterminantes de l’accès à l’emploi, de lamobilité professionnelle, des inégalités deparcours scolaires ou de la ségrégation urbainene seront qu’évoquées. Elles feront l’objet denotes ultérieures. De même, on n’abordera pasici de façon spécifique la question de l’inté-gration des populations issues de l’immigration etdes discriminations dont elles peuvent fairel’objet.

En revanche, les rapports entre individus, groupeset société ont considérablement évolué etcontinueront vraisemblablement de connaître, dansles prochaines années, de profondes transfor-mations. Ces changements représentent pourl’intégration sociale autant de risques qued’opportunités qu’une approche prospective doitpermettre de saisir. C’est à l’analyse de ceschangements et de leurs conséquences pour un Étatqui se voudrait garant de l’intégration de la sociétéque cette note est dédiée.

La question qui guidera la réflexion dans les pagesqui suivent peut donc s’énoncer ainsi : comment,demain, faire vivre ensemble une sociétécaractérisée par un degré de ressemblance entre lesindividus moins élevé, des statuts moins stables,des possibilités de choix plus ouvertes, une identité

et une culture nationale moins facilementidentifiables ? En somme, de quels processusd’intégration relève cette «société des individus» ?

1. Le bouleversement des rapportsentre individus, groupes et société

Le thème de la crise du lien social est trèsdéveloppé en France : les gens vivraient repliés sureux-mêmes, l’indifférence aux sorts des autresserait la norme et la morale serait en déclin,l’individualisme triompherait, le collectif serait deplus en plus vécu dans le cadre de groupescommunautaires à connotation ethnique oureligieuse. Vivre ensemble dans ces conditionsdeviendrait de plus en plus problématique.

Il convient de faire le tri entre ces affirmations :toutes les formes de liens ne connaissent pas lesmêmes évolutions. Si le lien civique connaîteffectivement des transformations qui suggèrent dele penser différemment, si la transmission de laculture et des valeurs ne fonctionne plus sur unmode vertical, les liens privés, y compris les liensfamiliaux, ne sont pas en crise, en dépit de leursmutations. La société dont on recherchel’intégration est de plus en plus une sociétéd’individus aux appartenances multiples etchoisies.

1.1. Transformations du lien civique

Puisqu’il s’agit d’appréhender ce qui unit lesFrançais, on peut s’intéresser d’abord aux relationsqu’ils entretiennent avec la cité. Ont-ils perdu toutsens civique ? Ne sont-ils plus capables d’enga-gement ? L’analyse indique de fait une certainemontée de l’individualisme, une relation à laparticipation politique moins automatique etdavantage stratégique, et une demande de voirconcrètement les effets d’un engagement qui sachevaloriser les compétences et prendre en compteune disponibilité limitée.

On compte en France environ un milliond’associations. Selon les enquêtes, entre un tiers etla moitié des Français de plus de 15 ans feraientpartie d’une association. Ces chiffres font souventl’objet de commentaires positifs de la part desobservateurs. Pourtant, l’enquête sur les valeurs des

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Européens 1 indique plutôt que les Français sontcaractérisés par un taux d’adhésion relativementfaible : 39 % des Français interrogés déclaraientêtre membres d’une association, contre 96 % desSuédois, la moyenne européenne s’établissant à46 %.

La même enquête révélait par ailleurs quel’individualisme était assez fortement ancré dansles mentalités des jeunes générations qui se sententpeu concernées par le sort des autres catégories dela population et s’engagent moins que la moyennedes Français dans des structures collectives.

L’engagement associatif connaît lui-même desmutations internes assez profondes. Ainsi, la multi-appartenance à des mouvements associatifs,syndicaux, partisans était plus fréquente hierqu’aujourd’hui. Au sein des associations à vocationsociale ou humanitaire, les jeunes générations maisaussi les jeunes seniors actifs restent moinslongtemps au sein d’une même association etsemblent davantage s’inscrire dans un parcours faitd’une succession d’engagements et departicipations. Par ailleurs, les individus sont moinsdisposés que par le passé à s’investir dans desstructures où l’appareil bureaucratique ouhiérarchique limiterait leur capacité de réflexion etd’action et exigerait un engagement servile : ilssouhaitent pouvoir se rendre utile rapidement etconcrètement en fonction de leurs compétences, deleurs aspirations et de leur disponibilité dumoment.

Au sein des associations sportives, on observeégalement une forme de dissolution du contratmoral qui voulait que l’inscription vaille obligationd’assiduité. Là aussi, la spécialisation dans uneactivité a laissé la place à la multiplication despratiques sportives successivement essayées puisabandonnées. L’encadrement, qui est assuré pardes parents, est marqué par un turn-over important,les parents ayant tendance à se désengager desassociations une fois que leurs enfants ont cessé depratiquer l’activité à encadrer.

Le rapport à la politique est de plus en plus«décomplexé». Un nombre croissant d’électeurschoisissent d’être ou non les acteurs d’une élection :on ne participe pas aux élections indépendammentde la façon dont on ressent l’importance des enjeuxen cause. L’intermittence des votes est enaugmentation : si le niveau d’abstention resterelativement stable, ce sont de plus en plus des

(1) Cf. Bréchon (P.), et Tchernia (J.-F.), (dir.), «Les valeurs desEuropéens. Les tendances de long terme», Futuribles, n° 277,p. 3-186.

personnes différentes qui s’abstiennent selon lesélections.

Ainsi, les fidélités politiques sont en érosion. Mêmesi la frontière droite/gauche reste assez déter-minante, d’autres formes d’«infidélité» sontpossibles, qu’il s’agisse de mobilité entrel’abstention et la participation ou de mobilité àl’intérieur de chaque famille politique. Si cettetendance au vote stratégique se confirme, toutindique que l’abstention et le vote par inter-mittence sont appelés à croître dans les prochainesannées.

Cela dit, si certaines formes d’investissementpolitique ou civique sont en érosion, d’autresformes de mobilisation collective sont renduespossibles par le développement des nouveauxoutils de communication : c’est ainsi que lemouvement alter-mondialiste doit beaucoup de sonsuccès populaire à sa capacité à mobiliser à traversl’Internet de multiples réseaux plus ou moinsformels, parfois transnationaux, en tout cas trèsdécentralisés. Ce qui est vrai des mouvements à lavocation humaniste ou humanitaire se vérifie biensûr également pour des mouvements xénophobes,terroristes ou mafieux.

1.2. Crise de la transmission

La capacité à vivre tous ensemble repose pour unebonne part sur la transmission, la diffusion etl’appropriation de valeurs et de normes partagéespar l’ensemble de la population. Plusieurs élémentsindiquent pourtant que ce mécanisme detransmission largement vertical (des aînés aux plusjeunes, de la culture «cultivée» vers la culturepopulaire) ne fonctionne plus avec la mêmeefficacité que par le passé.

L’érosion de la socialisation religieuse constitueune des formes les plus spectaculaires de cette crisede la transmission. En France, beaucoup moins dela moitié d’une classe d’âge est aujourd’huisocialisée religieusement. Le bricolage descroyances est devenu la règle. Ainsi, un tiers descatholiques pratiquants affirment croire à laréincarnation. Le magico-religieux est en dévelop-pement.

De leur côté, les institutions religieuses ne peuventplus imposer un dogme ou des valeurs, encoremoins une conduite sociale, même si ellescontinuent à jouer le rôle de référent moral. Parexemple, non seulement les catholiques ne suiventpas les recommandations du Pape relatives à lacontraception, mais ils le font sans avoir lesentiment d’être transgressifs. On est donc dans

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l’ensemble bien davantage indifférent auxinjonctions religieuses qu’on y est opposé.

Ce constat vaut aussi pour la culture juvénile vis-à-vis de la culture des adultes. La jeunesse de mai1968 s’est construite sur l’opposition à la culture etaux valeurs de la génération antérieure. La culturejuvénile actuelle se définit davantage par sonindifférence à la culture des adultes, parl’autonomisation croissante de ses références,essentiellement issues de l’univers médiatique etmarchand.

Les relations entre parents et enfants font ainsiapparaître des changements dans la conception del’éducation familiale, là encore moins centrée surla transmission de valeurs que sur l’acquisition decompétences relationnelles (tolérance, respect desautres). Cette évolution est valable pour lesfamilles de catégories populaires qui sedistinguent moins que par le passé des famillesdes classes moyennes ou supérieures. Toujours ausein des familles, il arrive que le sens de latransmission s’inverse, les enfants étant de plus enplus sollicités pour être les courroies detransmission des normes transmises par l’école(messages à vocation sanitaire notamment) ou parles médias (normes de consommation enparticulier).

Si la culture est de plus en plus intra-générationnelle, elle n’est pas non plus uniforme,tant l’offre médiatique est segmentée en fonctiondes âges et diversifiée en fonction des goûts,notamment musicaux. Reste que la télévisionoccupe toujours une place centrale et fédèrelargement les générations autour d’émissionsphares qui peuvent donner lieu à la constitution decollectifs éphémères d’échanges et de discussionssur d’autres supports (radio, sites Internet consacrésau commentaire de telle ou telle émission).

L’école comme vecteur de transmission culturellesemble largement à la remorque de ces évolutions.Si elle continue à jouer un rôle déterminant dans lagenèse des générations en étant le lieu principal oùse tissent les amitiés des enfants et des adolescents,la culture proprement scolaire ne saurait être dansles mêmes proportions qu’hier le support de laculture commune nationale.

De fait, on observe dans l’ensemble des milieuxsociaux une relation de moins en moins déférenteou complexée à la culture dite légitime, celleprécisément qu’était censée transmettre l’école. Lesclasses moyennes en particulier, ne font plus autantmontre que par le passé de leur «bonne volontéculturelle». En particulier, les jeunes se détachentnettement de la lecture, quels que soient leurs atouts

scolaires : dans les jeunes générations, la relationentre haut niveau d’éducation et pratiques cultivéestend à se distendre. L’augmentation des pratiquesaudiovisuelles, l’individualisation des usages liée aumulti-équipement, la baisse franche de la lecture, ycompris de la presse, l’absence de démocratisationdes équipements culturels semblent bien constituerdes tendances de long terme.

1.3. Vitalité des liens privés

Les liens privés (liens familiaux, amicaux etamoureux pour l’essentiel) ont certes connu destransformations profondes. Mais leur vitalité reste etrestera sans doute très grande dans la plupart descas. La fragilisation du lien conjugal ne signifie ainsipas une crise du lien familial. Quant aux autresformes de liens privés, la tendance est plutôt à uneélectivité croissante des liens qui laisse en suspens laquestion des relations à l’autre anonyme.

Le lien familial n’est pas en crise. Aujourd’huiencore, les Français de plus de 18 ans sont 86 % àciter la famille pour se définir, loin devant l’activitéprofessionnelle ou les études, citées par 40 % despersonnes interrogées 2.

Ce sentiment de crise du lien familial désigne en faitessentiellement la fragilisation du lien conjugal, vécuessentiellement comme lien amoureux. Ainsi,26,3 % des mariages de 1971 ont donné lieu à undivorce entre 1971 et 2001 tandis que l’indiceconjoncturel de divortialité s’établit aujourd’hui à38 %. Et encore ces chiffres laissent-ils de côté lesséparations de couples non mariés. Mais il faut segarder des interprétations trompeuses : c’est parceque le lien conjugal est un lien de plus en plusamoureux que sa durabilité dans le temps n’est plusassurée.

Si le lien conjugal survit moins bien que par le passéà la disparition du sentiment amoureux, il constituedonc, pendant sa durée de vie, un lien extrêmementfort et exigeant de la part des deux conjoints.Exigeant d’abord parce que la fidélité dans le coupleest toujours et peut-être même davantage que par lepassé une attente très largement partagée : l’enquêtesur les valeurs des européens révèle ainsi parexemple que les 18-26 ans, qui n’étaient que 50 %en 1981 à considérer que la fidélité était importantepour le bonheur du couple, partagent en 1999 cetteopinion pour 85 % d’entre eux, soit presque autantque les plus de 71 ans (89 %). Exigeant ensuite parceque ce lien doit se concilier avec le désir croissantde la part des conjoints de conserver des réseauxamicaux indépendants (chacun souhaite conserver

(2) Cf. Enquête Histoire de vie de l’INSEE, 2003.

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ses relations avec des amis qui ne sont pas les «amisdu couple») et, au-delà, de pouvoir se ménager untemps pour soi distinct à la fois du tempsprofessionnel, du temps familial et du tempsconjugal.

Si le lien conjugal connaît un processus defragilisation, le lien de filiation, lui, tend plutôt à serenforcer. Il est en particulier marqué par la trèsforte projection des parents dans le devenir de leursenfants, qui implique des investissements matérielset affectifs importants. Les relations entre lesparents et les enfants ont évolué dans le sens d’uneplus grande négociation des règles de vie et d’uneplus grande attention à l’épanouissement desindividualités. Mais ce lien de filiation, solide etvalorisé la plupart du temps, peut être fragilisé dansau moins deux situations.

La première source de tension est liée àl’augmentation prévisible des phénomènes dedépendance et d’isolement liés au vieillissement dela population. Ainsi, le différentiel d’espérance devie entre hommes et femmes laisse un nombreimportant de femmes âgées vivant seules. Plusgénéralement, en 1999, plus de la moitié despersonnes vivant seules avaient plus de 60 anstandis que plus de 40 % des octogénaires vivaientseuls. Or, lorsqu’un des parents devient dépendant,le lien familial subit de très fortes pressions liées àla question de la répartition des charges entre lesdescendants. De fait, l’explosion du quatrième âgese conjugue avec la volonté des nouvellesgénérations de femmes d’établir un équilibre entrevie familiale, vie professionnelle et temps pour soi.La question de la dépendance des personnes âgéesest donc un des enjeux majeurs auxquels seraconfronté l’État providence.

Par ailleurs, derrière le renforcement du lien defiliation se cache souvent davantage le renforcementdu lien mère-enfant. Lorsque l’enfant pose unproblème de comportement par exemple, c’est dansl’immense majorité des cas la mère qui prendrendez-vous avec les enseignants ou le psychologue.Surtout, le maintien du lien de filiation, enparticulier du lien avec le père, peut aussi être remisen cause lors de la séparation ou du divorce desparents. Ce phénomène touche très inégalement lesmilieux familiaux et peut être surestimé par la non-prise en compte de formes de relations desubstitution qui n’impliquent pas le face à face(correspondance téléphonique ou messagerieélectronique). C’est un point qui mérite néanmoinsla vigilance de la puissance publique.

Les liens amicaux ne connaissent pas non plus dedéclin, loin s’en faut. Ils sont au cœur de lasociabilité des adolescents et des jeunes adultes,

même lorsqu’ils sont déjà en couple puisque larelation conjugale, on l’a vu, doit de plus en pluscomposer avec l’existence d’une sociabilitéamicale propre à chacun des conjoints. Enrevanche, l’arrivée des enfants signifie la plupart dutemps un certain désinvestissement de la sociabilitéamicale au profit d’un recentrage sur la vie defamille.

La sociabilité juvénile se construit essentiellementpar la multiplication des contacts. Les nouvellestechnologies de communication sont utilisées parles adolescents et les pré-adolescents de façon trèssubtile, car elles permettent à la fois de se joindre àtout moment (SMS que l’on s’envoie alors que l’onest déjà au lit, pour simplement dire que l’on penseà l’autre) et de nouer des liens avec des groupesd’amis qui peuvent rester par ailleurs relativementétanches. Les jeunes générations font ainsi preuved’une «rationalité communicationnelle», faite detactiques d’évitement ou de mise en attente (leséchanges différés représentent aujourd’hui 20 %des échanges), qui leur permet de gérer la richessede leur réseau relationnel.

Si «crise du lien social» il y a, elle ne concernedonc pas essentiellement la sociabilité privée et nesignifie pas une généralisation de l’isolementrelationnel, même si certaines populations (lespersonnes âgées et les mères célibataires,spécifiquement de milieu populaire, mais aussi lespersonnes sans emploi) sont plus exposées qued’autres au risque d’appauvrissement de leur viesociale. En revanche, cette vitalité de la sociabilitéprivée n’est pas neutre du point de vue de lacapacité à vivre tous ensemble. Si l’on choisit deplus en plus les personnes avec lesquelles onentretient des relations, quelle attitude développe-t-on à l’égard de ceux que l’on n’a pas choisi derencontrer ?

1.4. Des identités choisies et multiples

L’intégration de la société reposait en France surune certaine mise entre parenthèses des appar-tenances autres que nationales : le citoyen est unêtre abstrait. Aujourd’hui, cette demande estressentie de plus en plus souvent comme illégitime,parce qu’elle se heurte à une volonté croissante desindividus d’être reconnus dans toutes leursdimensions et de n’en renier aucune. Mais il seraiterroné d’une part de penser que cette revendicationest le seul fait des populations issues del’immigration, et d’autre part de croire que lesappartenances de ces dernières sont largementhéritées ou subies.

De fait, le mouvement qui consiste à revendiquerde ne pas être réduit à une seule appartenance ou

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une seule identité est un mouvement général. Il aété mentionné dans le cas de la famille, où chacunsouhaite de plus en plus pouvoir concilier tempsprofessionnel, temps familial et temps pour soi.C’est cette même tendance qui permet d’expliquerque, même dans les milieux sociaux caractériséspar un important capital culturel, on n’hésite plus àrevendiquer son amour des arts dits mineurs oupopulaires. Enfin, les jeux de travestissements ou deprésentation sélective des identités par lesadolescents qui pratiquent les forums de discus-sion, le «chat» ou la messagerie instantanée,révèlent cette possibilité croissante qu’ont lesindividus de mettre en avant telle ou telledimension de leur identité de façon à nouer desrelations dans des univers sociaux distants.

Ces exemples illustrent bien le fait que de plus enplus, les individus souhaitent d’une part ne pas êtrecantonnés par les autres à une seule de leursdimensions identitaires et d’autre part ne renoncerà aucune de leurs appartenances.

Le caractère de plus en plus choisi desappartenances est également clairement mis enévidence lorsqu’on étudie les évolutions de lasocialisation religieuse. On observe ainsi unedissociation croissante de la croyance et del’appartenance : on peut appartenir sans croire,croire sans appartenir, mais aussi pratiquer sanscroire ou croire sans pratiquer.

Ces combinaisons ne sont pourtant paséquiprobables d’une religion à l’autre. En dépit dela grande diversité du judaïsme français, il semblebien que le sentiment d’appartenance à lacommunauté juive reste très fort et qu’il estindépendant de la croyance. Chez les catholiqueset les protestants en revanche, le sentimentd’appartenance semble nettement moins puissant.Enfin, chez les musulmans, la dissociation entrecroyance et appartenance serait moins nette : pourun musulman, appartenir, c’est croire.

Mais la vitalité actuelle du sentiment d’adhésion àla religion et/ou à la culture musulmane au sein dela population d’origine maghrébine ne vient pasinfirmer, ne serait-ce que pour une catégorie de lapopulation française, la crise de la transmission : larevendication de l’identité musulmane procède dela modernité, au même titre par exemple que larevendication de l’identité juive.

La première génération de musulmans résidant enFrance était généralement caractérisée par un faibleniveau d’instruction. C’est précisément l’accès àl’instruction, en France mais aussi dans le paysd’origine pour les vagues d’immigration plus

récentes, qui a permis la réappropriation del’héritage musulman avec une transmissioninversée dans laquelle ce sont les enfants qui(ré)apprennent aux parents.

Chez les jeunes générations de Français d’originemaghrébine, l’héritage musulman est doncparadoxalement un héritage choisi. Ce choix n’estcertes pas distribué au hasard dans la population : ilest rare qu’un Français «de souche» s’appropriel’héritage musulman En revanche, cette réap-propriation est bien choisie dans la mesure où tousles musulmans sociologiques de la deuxièmegénération ne choisissent pas de se réapproprier cethéritage.

Ainsi, Nancy Venel 3 propose de distinguerquatre portraits types de ces jeunes musulmanssociologiques : les «Français pratiquants» secaractérisent par un rapport à la religionmusulmane marginal et par une dévotion auxprincipes républicains (plus forte que dans lamajorité de la société française) ; les «acco-modateurs» cherchent à concilier fort atta-chement à la France et sentiment d’appar-tenance à la religion musulmane (beaucoup dejeunes filles voilées sont dans ce cas) ; les«contractants» sont fortement individualistes, ilsentretiennent un rapport marginal à la religion etsont finalement caractérisés par un profil socio-politique proche de celui des jeunes Français desouche ; enfin, les «néo-communautaires» entre-tiennent un rapport «intégraliste» à l’Islam et sonten position de repli par rapport à l’espace public.

Il faut noter que ce mouvement de réappropriationdes origines concerne l’ensemble des Français. Si lafréquentation des muséums et musées naturels oudes musées thématiques est globalement en baisse,en revanche, on note un engouement pourl’archéologie et une valorisation de toutes lesformes de lieux de mémoire. De même, lesrecherches généalogiques connaissent un véritablesuccès sans doute parce qu’elles permettent, enremontant assez loin, de sélectionner les branchesles plus glorieuses de l’arbre généalogique et de sereconstituer une ascendance valorisante.

Reste à préciser que si les appartenances et lesidentités sont davantage choisies, les pressions auconformisme sont loin d’avoir disparu. Dans lesquartiers populaires, les assignations de rôle peuventêtre extrêmement puissantes et opérantes, tant pourles filles qui risquent l’étiquetage ou la violencephysique si elles ne se conforment pas à l’idéal de la«fille sérieuse» et se risquent un peu trop souvent en

(3) Nancy Venel, Musulmans et citoyens, Paris, PUF, 2004.

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dehors de la sphère domestique et privée, que pourles garçons qui doivent faire la preuve de leurcapacité à imposer le respect de leurs pairs.

Et cette pression au conformisme ne touche pasque les jeunes des milieux populaires. La culturejuvénile fonctionne très largement sur le mode del’injonction : les discriminations liées au poids etau «look» sont ainsi les premières discriminationscitées par les adolescents, tous milieux sociauxconfondus. De ce point de vue, la famille constitueparfois le seul lieu qui permette l’expressionauthentique de ses aspirations.

2. Repenser les processusd’intégration sociale

Caractère de plus en plus privé et électif des liens,perte d’efficacité des mots d’ordre, érosion de lafidélité des engagements politiques, crise de latransmission et segmentation des univers culturels,affirmation d’appartenances multiples et choisies :ces évolutions invitent à repenser les processus quipermettent aux individus de vivre ensemble et defaire société.

L’enjeu est triple. Il s’agit premièrement decontribuer à renforcer le sentiment d’appartenancecollective autour de valeurs, de normes et de règlescommunes, tout en ayant à l’esprit que cesentiment d’appartenance collective ne peut sedécréter. Il s’agit ensuite de permettre lacompatibilité des mondes sociaux par uneprévention et une gestion adaptée des conflitspotentiels et en repensant les modes deconstruction de l’intérêt général. Il s’agit enfin des’assurer que ces mondes sociaux ne sont pas desmondes clos, c’est-à-dire non seulement que ledialogue et l’échange sont permis entre individusde mondes sociaux différents, mais que lesindividus peuvent circuler d’un monde à l’autre.

2.1. Quel monde commun ?

• La France continue à produire de la ressemblance

Il convient de relativiser la profondeur du fosséculturel qui nous séparerait les uns des autres, etqui opposerait en particulier Français «de souche»et Français issus de l’immigration. La Francecontinue d’intégrer au sens classique du terme,c’est-à-dire au sens où elle produit de laressemblance dans les comportements.

La capacité d’«assimilation» du modèle français estbien mise en évidence par une enquête comparative

sur les jeunes d’origine immigrée 4. Celle-ci a portédans chacun des pays étudiés sur deux populations dejeunes issus de l’immigration, âgés de 16 à 25 ans,nés sur le territoire, ou arrivés avant six ans sur leterritoire, de deux parents nés de l’étranger. EnFrance, on a interrogé d’une part des jeunes issus del’immigration algérienne, marocaine et tunisienne, etd’autre part des jeunes issus de l’immigrationportugaise ; en Allemagne, des jeunes issus del’immigration turque et yougoslave ; enfin, enAngleterre, des jeunes issus de l’immigrationpakistanaise et indienne.

L’enquête indique que les jeunes Français issus del’immigration tendent à aligner leurs goûts et leurspratiques sur ceux des autochtones, tandis que lesgoûts et les pratiques des jeunes Anglais issus del’immigration conservent une plus forte orientationcommunautaire. Par ailleurs, 80 % des jeunesFrançais issus de l’immigration s’identifient aumoins partiellement à la France, alors que cetteidentification est rare en Allemagne, où seulement10 % ont la nationalité allemande.

Les jeunes Français issus de l’immigration n’ont pasnon plus les yeux rivés sur leur pays d’origine : 54 %d’entre eux ne s’intéressent pas ou pas du tout à lapolitique intérieure du pays de leurs parents, ce quiest vrai aussi d’une majorité des jeunes interrogés enGrande-Bretagne, mais ce qui n’est pas le cas enAllemagne, où les jeunes issus de l’immigrationdisent pour la plupart s’y intéresser beaucoup ouplutôt. De même, la langue du pays d’origine estbeaucoup moins utilisée dans les relations avec lesparents en France qu’en Allemagne.

Du point de vue de la dimension culturelle oureligieuse, les résultats permettent d’opposerclairement la France et l’Allemagne d’une part, etl’Angleterre d’autre part. Dans les deux premiers cas,l’enquête montre une grande similarité de goûts etde pratiques entre enfants issus de l’immigration etenfants issus de parents français ou allemands. EnAngleterre, on observe au contraire une différencemarquée entre jeunes issus de l’immigration etautochtones, et beaucoup plus fréquemment desgoûts et des pratiques «communautaires», visiblestant dans l’espace public que dans l’espace privé.Ainsi, en France par exemple, en moyenneseulement 2 % des jeunes issus de l’immigration ontcité des médias «communautaires» comme étantleurs préférés. Ce taux est également faible en

(4) Programme européen EFFNATIS (Effectiveness of NationalIntegration Strategies Toward Second Generation Migrant Youthin a Comparative European Perspective) mené entre janvier1998 et mars 2001.

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Allemagne. C’est seulement en Grande-Bretagne queles jeunes issus de l’immigration ont cité de manièrerelativement fréquente des médias «communautaires»comme étant leurs «préférés». Autre exemple, Noëlest fêté dans les familles musulmanes par la moitiédes jeunes musulmans en France alors que ce n’estjamais le cas en Angleterre, rarement en Allemagne.

Enfin, La France est le seul des trois pays où unepart non marginale des jeunes issus del’immigration déclarent avoir pour meilleur(e)ami(e) et/ou pour conjoint(e) ou petit(e) ami(e) unepersonne d’origine différente de la leur, y comprisd’origine autochtone.

Selon toutes probabilités, le contexte européencontribuera lui aussi à créer de la ressemblance. Onassiste à un mouvement d’européanisation desréférents culturels et normatifs qui est le résultatd’évolutions convergentes. En premier lieu,l’uniformisation, pour le meilleur et pour le pire,d’une partie de l’offre médiatique. Mais aussi lamultiplication des échanges d’étudiants et desvoyages : une étude en cours à la CNAV estime que60 % des Français issus de l’immigration europé-enne relèvent ainsi d’une forme de trans-nationalisme, au sens où ils retournent plusieurs foispar an dans leur pays d’origine pour y passer delongues périodes de séjour, ce qui leur permetd’entretenir des réseaux sociaux et familiaux dans lesdeux pays. Enfin, l’européanisation des normesjuridiques : l’égalité professionnelle homme/femme aété très largement portée par les travaux de laCommission européenne.

Il convient encore de rappeler que diversesenquêtes d’opinion montrent qu’il n’y a pas decontradiction ou de substitution entre le sentimentd’appartenance locale, régionale, nationale eteuropéenne. Au contraire, «patriotisme» local,national et européen sont la plupart du tempscorrélés ! Ils mesurent davantage l’intérêt porté à lachose politique et à la chose publique qu’ils nerévèlent des identités.

• Des valeurs communesrassemblent la majorité des Français

On a évoqué le mouvement d’autonomisation de laculture juvénile et la crise de la transmission. Iln’en demeure pas moins qu’on peut assez bienidentifier un socle de valeurs communes.

Les enquêtes menées à intervalle régulier sur lesvaleurs des Français 5 indiquent que sur un certain

(5) Cf. Bréchon (P.) (dir.), Les valeurs des Français, évolutionsde 1980 à 2000, Paris, Armand Colin, 2000.

nombre de valeurs et de normes civiques, enparticulier sur la fidélité conjugale, le respect del’autorité ou les règles collectives, un assez largeconsensus émerge et rapproche de plus en plus lespratiquants et les sans religion.

De fait, de 1981 à 1999 on constate bien en Franceun déclin des valeurs traditionnelles dans uncertain nombre de domaines et en particulier danscelui de la morale sexuelle et dans celui du rapportde l’individu avec la mort : l’idée que le divorce,l’avortement ou l’homosexualité sont des sujets quirelèvent de la liberté et des choix individuels, etnon de l’obéissance à un dogme fixe et imposé, estune idée en nette progrès. De même progressel’idée qu’il est des cas où le maintien de la vie n’estplus un absolu et où l’euthanasie, ou même lesuicide, peuvent légitimement être envisagés.

Mais on enregistre aussi certaines évolutionstendant à revaloriser les règles de vie en commun,l’autorité et le civisme. L’opinion selon laquelle ceserait une bonne chose de respecter davantagel’autorité est en progression sensible : elle estpassée de 60 % en 1981 à 69 % en 1999. Et cetteévolution concerne l’ensemble des cohortes : de1981 à 1999, chez les «baby-boomers» (nés entre1946 et 1954) cette opinion passe ainsi de 43 à67 % ; dans les cohortes suivantes, celles néesentre 1955 et 1963, elle passe de 41 à 63 %. Quantaux cohortes les plus jeunes, celles nées en 1964-1972 et 1973-1981, non présentes pour cetteraison dans l’enquête de 1981, elles donnent aussien 1999 un taux très élevé de réponse«autoritaire», entre 60 et 70 %, comme l’ensembledes générations d’après-guerre.

On trouve une confirmation de cette demanded’autorité dans la confiance qu’ont les jeunesenvers la police, qui est beaucoup plus élevée chezles jeunes en 1999 qu’en 1981. De même, lesmoins de 35 ans de 1999 font plus confiance àl’armée que ceux de 1981.

Tous ces éléments convergent : les Françaissouhaitent davantage de liberté dans la vie privéemais aussi davantage de règles dans la viecollective. Attachés à leur liberté, ils perçoiventnettement que des règles collectives sontnécessaires pour qu’elle puisse s’exprimerlorsqu’elle est confrontée à la liberté des autres.

• De l’application des règles

Alors que le système normatif français relevait dece que les anglo-saxons nomment trèsexplicitement «tough laws, soft enforcement» (deslois sévères, une application molle), les Françaissouhaitent très majoritairement que les règles qui

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régissent la vie en commun soient appliquées.L’acceptation des radars automatiques parl’immense majorité des Français a montrérécemment que ces derniers étaient favorables àdes actions volontaristes en ce domaine. On peutsupposer qu’il en serait de même pour toutes lesrègles qui garantissent le partage de l’espacepublic, règles dont on peut constater tous les joursqu’elles ne sont guère appliquées (cf. laréglementation régissant la consommation de tabacdans les transports publics ou celle qui est relativeà la propreté des trottoirs).

Ces règles simples peuvent faire l’objet desanctions plus ou moins automatiques lorsqu’ellessont enfreintes. Il en va autrement dans le cas desatteintes aux personnes, même lorsque celles-cisont caractérisées comme des actes de petitedélinquance.

D’aucuns 6 regrettent ainsi que, si l’on agit bienpour «prévenir» les comportements, la question deleur réprobation est le plus souvent esquivée. Or,les victimes sont indignées et réclament d’abordque l’on confirme cette indignation. L’actedélinquant, particulièrement lorsqu’il caractériseune atteinte aux personnes, doit être conçu commeune atteinte à la sociabilité. Une justiceautomatisée, qui ne confronte pas l’auteur de l’actedélinquant à la blessure physique et/ou psy-chologique de la victime (ce qui est le caslorsqu’une agression est sanctionnée par unecontravention) est une justice qui renonce à lapédagogie et à l’éthique.

• Le rôle de l’école : savoir-faire et savoir-être

La culture scolaire, celle des classiques de lalittérature française, laisse incontestablement dansla plus grande indifférence la majorité des écolierset des collégiens. Les résultats du débat national surl’avenir de l’école montrent pourtant que les élèveset leurs parents continuent d’attendre de l’écolequ’elle fournisse non seulement à tous un socle deconnaissances communes (lire, écrire, compter),mais encore qu’elle apprenne à faire respecter lesfameuses «règles élémentaires de la vie encommunauté». Cette attente est en particulier trèsforte chez les parents et les jeunes d’originepopulaire qui lient très fortement respect de ladiscipline et réussite scolaire ou plus exactementnon respect de la discipline («manque d’autorité decertains enseignants», «agressivité entre élèves») etéchec scolaire.

(6) Cf. audition de Didier Peyrat, vice-procureur de laRépublique au tribunal de grande instance de Pontoise,réalisée au Plan, le 6 avril 2004.

Ces résultats confirment la grande légitimité dontbénéficient les règles de vie en commun. Il s’agit làd’un point d’appui essentiel pour ceux quicherchent des solutions aux problèmes que connaîtl’école. Mais l’école peut aussi contribuer àrenforcer la légitimité de ces règles.

Peut-être peut-on ainsi réfléchir aux modalités d’unenseignement du droit à l’école. Il s’agirait par làde contribuer à ce que les règles de droit soientdavantage perçues comme l’émanation du corpssocial lui-même, comme c’est le cas dans les paysscandinaves.

2.2. Comment rendreles mondes sociaux compatibles ?

L’existence d’un monde commun laissera subsisterune diversité de mondes vécus. Ces mondes variés,s’ils sont synonymes de richesse, d’ouverture, depossibilités, peuvent aussi se montrer sources deconflits potentiels. Au-delà du partage de réfé-rences communes, comment faire vivre ensembledes individus qui font l’expérience de mondesdifférents ?

• Gérer la contradiction des temps sociaux

Les mondes sociaux ne sont pas uniquementdifférents d’un individu à l’autre. Chacun doitconcilier pour lui-même son appartenance àdifférents mondes et en particulier au mondeprofessionnel et au monde familial. Il existe ainsiune contradiction entre la mobilité de plus en plusexigée par le monde économique et la stabilitéqu’exige la vie de famille. Si le lien conjugal sedéfait souvent avec la fin du sentiment amoureux, ilpeut également se défaire par l’impossibilité qu’ontles conjoints de passer du temps ensemble.Comment concilier bi-activité des couples,injonction à la mobilité et stabilité affective ducouple ? Cette question apparemment purementprivée intéresse l’État dès lors que des enfants sontpris dans ces contradictions.

La question de la conciliation des temps sera deplus en plus une question cruciale avec ledéveloppement de la flexibilité des horaires dontl’imprévisibilité peut transformer la gestion desemplois du temps professionnels et familiaux enenfer quotidien. On n’a sans doute pas pris enFrance toute la mesure de ces transformations. EnFinlande par exemple, il existe des servicesmunicipaux d’offre de garde 24 heures sur 24 et 7jours sur 7. Encore la gestion du problème de lagarde des enfants ne réglera-t-elle pas la questiondu temps éveillé que parents et enfants peuventpasser ensemble.

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Le temps scolaire n’est pas non plus pensé enfonction de la bi-activité des parents. Subsistent destemps vacants où de nombreux enfants, mêmesjeunes, ne sont pris en charge ni par l’école, ni parleurs parents. Or, on sait que l’entrée précoce dansles activités délinquantes est fortement corrélée à lafaçon dont ces temps vacants sont occupés.

• Gérer les différends

Le phénomène de judiciarisation de la société estune tendance de fond : l’État sera de plus en plussollicité pour trouver des formes de médiation desdésaccords, des mésententes et des conflits inter-individuels. Aujourd’hui, les deux tiers ducontentieux des tribunaux de grande instance sontreprésentés par les affaires familiales : divorce, suivides familles recomposées, mais aussi, de plus enplus, contentieux concernant la tutelle et lacuratelle. La Fédération nationale des Écoles desparents enregistre une demande croissante demédiation des conflits entre parents et enfants.

En tendance, c’est bien du modèle de médiationdont on va avoir le plus besoin, c’est-à-dire unmodèle qui repose non pas sur le jugement d’untiers mais sur la capacité des individus à s’auto-réguler avec l’aide d’un tiers. Or, on constate,notamment dans le cas de la médiation familiale,que certains publics se défient de ce modèle d’auto-régulation : ils sont pris davantage dans une logiqued’opposition et dans le besoin de trouver uncoupable, que dans le besoin de se mettre d’accord.Il reviendra donc à l’État de faire preuve de vigilanceet de bien mesurer le degré d’acceptation par lesdifférentes populations des modes de régulation desconflits qu’il proposera.

• Gérer les interactions dans l’espace public

La question du vivre ensemble se pose avec uneacuité particulière lorsque l’on s’intéresse à laqualité des interactions dans les espaces publics,qu’il s’agisse des rues, des places, des jardins oudes transports publics, des routes et autoroutes, dessalles de cinéma, des équipements sportifs, descentres commerciaux, etc. Les différents espacespublics sont moins caractérisés par un statutjuridique que par le fait qu’ils doivent être partagés,qu’ils sont le lieu d’une co-présence rarementchoisie qui suppose des formes de régulation.

Or, le sentiment le plus répandu parmi les Français estbien celui d’un baisse de la qualité de cesinteractions, jugées tantôt anonymes, tantôtrugueuses, marquées par la méfiance ou la pratiquedéclinante des rituels de civilité. On sait qu’en France,le niveau de confiance interpersonnelle est l’un desplus faibles d’Europe : seuls 21 % des Français

pensent que l’on peut faire confiance à la plupart desgens, contre 64 % des Suédois par exemple. Or, deplus en plus, cette confiance devra s’établir entre desindividus différents et qui ne se connaissent pas. Lemaintien d’un niveau élevé de qualité des interactionsdans l’espace public est donc un enjeu crucial quidétermine très largement le sentiment que l’on a defaire, ensemble, société. Là encore, il existe une forteattente de la population pour que les règles de la viecollective soient appliquées.

Mais il s’agit aussi de penser, très en amont, laconception de ces espaces. En particulier, ilsdoivent être conçus de telle sorte qu’ils nedéveloppent pas, du simple fait de leur agence-ment, un sentiment d’anxiété : les usagersmodifient leur comportement dans l’espacepublic en fonction de la confiance dans lasécurité qu’ils y attribuent. Les urbanistes et lesarchitectes commencent à travailler sur cesquestions, en repensant l’éclairage, le mobilierurbain ou encore la végétation : dans les jardinsdes Halles, à Paris, la taille des haies à unehauteur qui permette de voir et d’être vu alargement contribué au retour des mamans et despoussettes. Le site doit également permettre sonusage par les différentes catégories de lapopulation : jeunes et vieux, hommes et femmes,flâneurs et gens pressés. Il doit être lisible partous, permettre les pauses sans générer de pointsde fixation, favoriser le développement d’acti-vités accessibles à des populations aux revenusdifférents.

En tout état de cause, la conception de ces lieuxdevra associer toujours davantage associationsd’usagers, acteurs de la prévention et de la sécurité,riverains, services de maintenance et de propreté.Leur régulation au quotidien supposera quepuissent être identifiés des professionnels ayant toutà la fois une bonne connaissance des lieux et deleurs usagers et une grande capacité à doser avecdiscernement négociation et application imperson-nelle de la règle.

• Repenser la construction de l’intérêt général

Aujourd’hui, la notion d’un intérêt généraltranscendant les individus et les groupes ne vaplus autant de soi que par le passé. Son caractèreconstruit, fait de compromis et d’arbitrages entredes intérêts particuliers qui aspirent à une formede généralité, est de plus en plus évident. Lefonctionnement des institutions européennes, quirepose pour une bonne part sur la mise en débatet la confrontation des intérêts et des points devue nationaux et régionaux, émanant des sphèrespolitiques, économiques, syndicales ou asso-ciatives, en constitue une bonne illustration.

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Au niveau national, l’intérêt général ne peut plusse décréter «d’en haut». Il est en tout cas de moinsen moins la propriété exclusive de l’État. Lescollectivités locales, l’Europe, les grandesorganisations internationales, les organisationsnon gouvernementales, mais aussi les entreprisesou les associations font de plus en plus valoir leurpoint de vue et revendiquent le fait de pouvoirparticiper au processus de construction de l’intérêtgénéral.

Dans ces conditions, on comprend qu’au-delà desconflits interpersonnels, on va voir très proba-blement se multiplier des conflits sur la définitionmême de l’intérêt général. C’est ce qu’illustre ledéveloppent des phénomènes Nimby (not in mybackyard).

Le terme fut inventé à l’origine par les aménageursaméricains pour désigner, avec un certain mépris,les oppositions locales à leurs projets. D’abordinterprété comme le syndrome d’un individualismetriomphant, on y voit de plus en plus le signe d’unbesoin inassouvi de consultation, d’information etd’implication dans la prise de décision.

L’émergence de ces formes de contestation localepermet en tout cas le développement decompétences de contre-expertise et contribue pluslargement à repenser le rapport entre intérêtparticulier et intérêt général d’une part et entreintérêt local et intérêt national d’autre part.L’étude de conflits récents permet d’affirmer quela défense d’une localité peut se faire au nom del’intérêt général, que peut émerger la figure d’uncitoyen localisé. Mais surtout, l’étude de cesconflits montre que l’élaboration d’un compromisest possible.

Cela est particulièrement intéressant en France oùl’on associe assez spontanément l’intérêt général àl’intérêt national. Tout semble indiquer que lemodèle d’un État central seul garant de l’intérêtgénéral, et donc seul habilité à décider au nom del’ensemble des citoyens qu’il représente, a perdude sa légitimité.

Aujourd’hui la démocratie participative s’imposeencore souvent en s’opposant à la démocratiereprésentative dans une logique de protestation.Dans ces conditions, elle a tendance à l’affaiblir(cf. les usage des référendums locaux). En tout étatde cause, dans un contexte où le vote devraitperdre son caractère central en ce qui concerne lastructuration du lien entre les politiques et lescitoyens, il est peut-être nécessaire de repenserl’articulation entre démocratie participative etdémocratie représentative.

2.3. Comment rendre les mondes perméables ?

Plusieurs éléments permettent de lier les individus oules groupes à un ensemble plus vaste. Ce peut être,comme cela a été évoqué plus haut, le partage d’uncertain nombre de valeurs ou de normes, le respectde certaines règles, l’élaboration de projets politiquescommuns. Mais un autre déterminant de l’intégrationsociale est plus simplement constitué, d’une part, parla possibilité pour les individus des différents groupesd’échanger des points de vue, de parler, de se lierd’amitié avec des individus d’autres groupes, etd’autre part, par la possibilité pour chaque individu,de circuler entre les groupes, de choisir sesappartenances et d’en changer au cours du temps.L’intégration de la société des individus suppose doncune forme de perméabilité des mondes sociaux.

• Communication entre les groupes et les individus

On pourrait se satisfaire d’une coexistence entregroupes qui soit pacifique mais indifférente. Parvenirà une coexistence pacifique n’est déjà pas unemince affaire, les conflits internationaux nous lerappellent tous les jours. Mais on peut être plusambitieux et souhaiter que la coexistence pacifiquene soit pas une coexistence indifférente, mais une«coexistence concernée» au sens où chacun sesentirait concerné par le sort de l’autre. Comment yparvenir ?

La première étape consiste à identifier les processusoù c’est l’État qui lui-même contribue à créer de laségrégation. L’école est souvent considérée parexemple comme le premier instrument de la mixité.On sait aujourd’hui que son fonctionnementcontribue à alimenter les mécanismes deségrégation. Le respect plus strict de la carte scolairene suffirait pas à enrayer ces mécanismes : lorsqueles familles perçoivent du risque (d’échec ou deviolence) pour leurs enfants, elles sont prêtes àadopter des stratégies résidentielles qui leurpermettent d’éviter toute forme de mixité.L’application de la carte scolaire dans ce cas nonseulement ne permet pas de favoriser la mixité àl’école, mais encore renforce-t-elle la ségrégationrésidentielle. C’est dire l’enjeu que constitue la luttecontre la violence à l’école et contre l’échec scolairedes enfants des milieux populaires. L’introductiond’une autre forme de mixité à l’école, géné-rationnelle cette fois, pourrait peut-être y contribuer :on pourrait ainsi faire appel aux jeunes retraités pourqu’ils proposent des activités aux enfants pendant lestemps vacants ou bien proposer des cours deformation continue pour les adultes dans l’enceintedes collèges ou des lycées, de façon à renforcer laprésence des adultes et à changer l’image de larelation enseignants/apprenants.

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Mais la mixité doit aussi être pensée dans tous lesespaces publics, comme cela a été rappelé plushaut. Il faut pour cela procéder par incitation plusque par contrainte, en jouant sur le désir de mixité,qui est réel (cf. le succès d’opérations de type Paris-plage ou des balades en rollers qui se développentdans les grandes villes). L’étude des quartiers où lamixité est vécue de façon positive (comme lequartier de Belleville à Paris) indique en tout étatde cause que c’est quand la mixité est choisiequ’elle fonctionne. Cela suggère que l’on peut fairela preuve qu’elle peut être valorisée et valorisante.Mais il est nécessaire, dans les espaces publicsmixtes, de préserver des espaces semi-privés quipermettent sinon l’entre soi, du moins l’intimité.

La deuxième étape pourrait consister à favoriser laconnaissance réciproque des différents groupes quicomposent la société. Là encore, le rôle de l’écolepeut être déterminant : enseignement du faitreligieux, exposés réalisés par les élèves sur leurpays d’origine, expositions temporaires et itiné-rantes expliquant les différents aspects de telle outelle culture. Toutes ces initiatives (qui existent déjàdans bien des cas) supposent du tact et un grandprofessionnalisme de la part des personnes qui sonten charge de leur encadrement. Mais ce peut êtreaussi le rôle du service public de la télévision deproposer des émissions de découverte quiprésentent et représentent les différentes compo-santes de la société française, non pas dans unelogique communautaire (telle émission pour telpublic) mais bien dans une logique deconnaissance partagée.

Certaines associations, dans le domaine de l’emploi,réalisent déjà un tel travail. C’est le cas desassociations qui permettent le parrainage de jeunesen recherche d’emploi ou de stages, souvent issus del’immigration, par des personnes bénévoles quiassurent une fonction de médiation et d’introductionauprès des entreprises. Leur tâche consisteprécisément à refonder une relation de confianceentre jeunes chercheurs d’emploi et chefs d’en-treprise, sur la base d’une relation individualisée,seule à même de briser la frontière des préjugésréciproques.

La dernière étape (l’ordre n’est pas chronologique),consiste à favoriser le dialogue entre les groupes.Dans ce domaine, bien des choses sont à inventer.Certaines associations prennent en charge sur unebase locale, parfois à l’échelle du quartier, l’émer-gence de ce dialogue. Il faut sans doute les y aiderdavantage. La puissance publique sera de plus enplus amenée à utiliser les nouveaux outils decommunication pour faire vivre le débat public : leforum de discussion mis en place dans le cadre dudébat national sur l’école a ainsi connu un francsuccès. D’une façon générale, le développement de

la démocratie participative sera un moyen desubstituer à la relation verticale et désincarnée entrel’État et les citoyens une relation davantagehorizontale entre citoyens.

• Mobilité des individus au sein des groupes

La robustesse et l’intégration d’une sociétédémocratique reposent, comme le roseau de lafable, sur sa souplesse et sa fluidité et non sur larigidité de ses cadres. L’existence de mondes diversn’a pas le même sens si l’appartenance à cesmondes est définitive ou si elle est réversible. Ilreviendra toujours à l’État de veiller à ce que lesindividus ne soient victimes ni d’assignation àrésidence, ni d’assignation d’appartenance.

C’est pourquoi la question des mobilités,géographiques et sociales est si importante. Lamobilité géographique, c’est d’abord celle desdéplacements quotidiens au sein des espacespublics. L’importance de la sécurité dans lesespaces publics a déjà été mentionnée. Uneattention toute particulière devra être portée à laquestion de l’accès des femmes aux espacespublics (cf. la privatisation par les jeunes hommesdes espaces publics de certains quartiers). Parailleurs, des efforts importants devront encore êtrefaits pour faciliter les déplacements des personneshandicapées.

Enfin, même si la présente note n’est pas consacréeà ces aspects, il faut rappeler que c’est le plussouvent l’accès à l’emploi et la mobilité sociale quisont les vecteurs par excellence de la mobilitérésidentielle et plus généralement la mobilité ausein des groupes. Même si l’État peut, moins quepar le passé, agir directement sur les mécanismeséconomiques, il dispose de deux outils majeurslargement sous-utilisés : d’une part une politiqueambitieuse de formation tout au long de la vie,d’autre part une politique de recrutement au seinde la Fonction publique qui permette l’emploi et laformation in situ de personnes peu qualifiées,comme c’est déjà le cas dans l’armée.

3. Résumé

La tendance à l’affirmation des individus n’estcertes pas une tendance nouvelle. Pourtant, il estplus que probable qu’elle continuera encore às’approfondir et qu’elle sera l’une des tendances lesplus importantes à prendre en compte pour penserl’intégration de la société.

Plusieurs éléments caractérisent ce processusd’individualisation. Les principaux sont lessuivants : caractère de moins en moins statutaire etde plus en plus électif des liens, volonté croissante

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de choisir ses appartenances (y compris par laréinvention de ses origines) et de n’en renieraucune, méfiance à l’égard des engagements jugésirréversibles ou exclusifs.

Tous ces éléments permettent d’expliquer que lesconditions de l’intégration de la société ont changé.Ainsi, le lien conjugal, parce qu’il reposedavantage sur un principe électif, est devenufragile. L’engagement associatif doit de plus en plusprendre en compte la disponibilité et lescompétences des individus. La participation poli-tique est un acte davantage stratégique et relèvemoins du devoir. L’appartenance nationale ne doitpas être vécue comme la trahison d’autres formesd’appartenance.

La société dont il s’agit d’assurer l’intégration estdonc une société dans laquelle les individus seressemblent moins et revendiquent davantage leursdifférences. La culture commune est dans cesconditions plus difficile à trouver. La diffusion desnormes de comportements est certes de plus enplus prise en charge par la sphère médiatique etmarchande, mais son pouvoir d’homogénéisationest compensé par sa tendance naturelle àsegmenter son offre en fonction des publics cibles.

Les individus résistent également davantage auxinjonctions, que celles-ci émanent des religions oude la morale laïque, de l’école ou de la sphèrepolitique. Cela n’exclut pas, paradoxalement,l’existence de fortes pressions au conformisme,dans les quartiers populaires comme d’une façongénérale chez tous les adolescents.

Affirmation des différences et électivité des liensquant à eux, lorsqu’ils se conjuguent, favorisentune tendance à la recherche de l’entre-soi, qui estau moins autant le fait des populations aisées quedes populations pauvres d’origine immigrée.

Comment dans ce contexte éviter la fragmentation,le repli sur soi, voire la montée des conflits ?

D’abord, en s’appuyant sur des valeurs très largementpartagées qui soutiennent une aspiration à davantagede liberté dans la sphère privée mais aussi àdavantage de règles dans les espaces publics etnotamment à l’école. De fait, plus les individus sontdifférents, plus les règles de vie en commun doiventêtre claires, reconnues et appliquées.

Il s’agit aussi de repenser la gestion des conflits, quiseront de plus en plus des conflits entre individus,ou entre coalitions constituées pour lacirconstance. Dans ces conditions, il faudra quel’État sollicite davantage la capacité d’auto-régulation des individus, en prenant toutefois en

compte le fait que cette capacité est assezinégalement répartie.

Mais c’est d’une façon générale tout le processusde construction de l’intérêt général qu’il faut peut-être repenser, étant entendu que si l’État peut êtrele garant de l’intérêt général, il n’en est plus lepropriétaire. Il s’agira donc de plus en plus d’êtrecapable d’arbitrer et de réaliser des compromisentre des définitions concurrentes de l’intérêtgénéral, qu’elles émanent du local ou de l’Europe,de la sphère industrielle ou de la sphère civique.

L’État continuera aussi d’être mandaté pour aiderles individus à se dégager des différents typesd’assignations dont ils peuvent être l’objet(notamment celles qui sont liées aux origines ou augenre). De ce point de vue, la fonctionémancipatrice de l’école sera toujours primordialepour que chacun puisse profiter des opportunitésouvertes par le processus d’individualisation.

Enfin, il s’agira de concilier liberté de choix desindividus et lutte contre les phénomènes deségrégation urbaine et scolaire. Pour ce faire, ils’agira peut-être moins de vouloir lutter contretoute forme d’entre-soi que de permettre la librecirculation des individus entre les groupes, enencourageant les initiatives qui permettent larencontre et la connaissance de l’autre.

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THÈME PRIORITAIRE

Santé publiqueapplication du principe de précaution

Système de santé : la réforme et ses valeurs

Depuis des années, les mêmes constats sont faitssur le système de santé français. Les diagnosticsapprofondis révèlent les mêmes carences, quandils ne proposent pas les mêmes solutions. Lesystème a montré une certaine capacité àévoluer, en matière de santé publiquenotamment, et une faculté au moins aussi forte àabsorber, à annihiler les tentatives de réforme.Cela s’explique sans doute par une sorte derésignation, en forme de paradoxe : les réservesde performance, les gisements d’économie sontbien repérés mais sans garantie de pouvoir lesexploiter, d’où un discours oscillant en perma-nence entre culpabilisation (des producteurs desoins, des usagers, des opérateurs industriels) etdéculpabilisation (les dépenses étant, de toutefaçon, destinées à augmenter).

Face à ce discours ambivalent, la prospective estune ressource pour saisir dans le présent lesvecteurs de changement et utiliser au mieux lesleviers de réforme.

Le système de santé gagne assurément à s’ouvriret à être bousculé. Les chocs n’ont pas manqué :crises sanitaires à répétition, émergence de lasociété civile et du patient, déficits abyssauxaujourd’hui, qui forcent au changement. L’ouver-ture internationale, la globalisation des échellesd’action, les initiatives des acteurs locaux, laconcurrence, le consumérisme, les innovationsradicales en gestation et les chocs démo-graphiques provoqueront dans les années à venirde nouveaux bouleversements, une remise encause salutaire.

Le prix attaché à la vie humaine est sans doute uncritère clef de la rénovation du système de santé,en termes d’équité, d’allocation des ressources, deprise en compte du long terme. La valeur de la viehumaine permet en effet d’articuler les consi-dérations économiques et sanitaires, en matièred’évaluation et de délibération sur les priorités. Sile propre du politique est de dire ce qui est dignede valeur, elle fixe d’abord l’agenda de l’État, entrevision substantive et vision procédurale du droit àla protection de la santé.

1. La valorisation de la santé :un mouvement de fond

1.1. Un bien public mondial

Globalisation des échelles, souci des inégalités,préoccupations relatives à l’environnement et aucadre de vie, préservation des ressources dans lesouci des générations futures : le développementdurable révèle le sens d’une action publique en santé.Les préoccupations des pays en développement sontrévélatrices : la controverse sur l’accès aux traitementsmet en cause les règles de la propriété intellectuellemais aussi les normes de sécurité en usage dans lespays développés ; le lien entre développementéconomique et santé apparaît très clairement à traversl’exemple du sida en Afrique.

Le préambule de la constitution de l’Organisationmondiale de la santé, qui définissait en 1948 la santécomme «un complet état de bien-être physique,mental et social, [qui] ne consiste pas seulement enune absence de maladie ou d’infirmité», estrituellement rappelé. Cette définition plus quecinquantenaire résonne chaque fois comme uneinterpellation pressante des systèmes de santé despays développés, du système français en particulier.Si l’OMS continue de lutter contre les maladiesinfectieuses (voir l’actualité récente du SRAS), si elleest impliquée dans la lutte contre le sida, à traversONUSIDA, elle organise également des campagnescontre le tabagisme, pour l’amélioration de lanutrition et est particulièrement active face auxmenaces de bio-terrorisme (par la constitution destocks de vaccins et sérums).

L’OMS joue surtout, pour nous Français, un rôled’éclaireur dans le champ de la santé publique.Dès 1977, dans sa stratégie de «La santé pour tous»à l’horizon 2000, elle traitait des inégalitésd’exposition aux risques et d’accès aux servicespréventifs et curatifs. La Charte d’Ottawadéveloppait, en 1986, l’agenda d’un État soucieuxde dépasser les logiques uniquement cliniques, àtravers les concepts de promotion de la santé,d’équité, de médiation (qui suppose l’actioncoordonnée de tous les intéressés), à travers le

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recours à la panoplie de ressources législatives,financières, fiscales, le renforcement de l’actioncommunautaire et l’organisation non essentiel-lement curative du secteur de la santé.

À l’instar de l’OMS, l’intégration européenne est unlevier à utiliser pour vaincre les timidités françaises.

L’Union européenne agit en matière de santé surplusieurs registres : la protection de la sécuritésanitaire de l’environnement, du milieu de travail,de l’alimentation et des produits de santé, lareconnaissance des qualifications, l’accès despatients européens non résidents à la protectionsociale. La protection des consommateurs, lapréservation de l’environnement, la librecirculation des biens et des personnes sont lesprincipes – parfois antagonistes – sur lesquelss’appuie cette action.

Au-delà, au titre de la coopération volontaire, laCommission a proposé aux États, entre 1986 et1991, une série de programmes sur le sida, lecancer ou la toxicomanie. Le traité de Maastricht,en 1992, a marqué une étape en affirmant l’objectifd’un «niveau élevé de protection de la santéhumaine». Sur cette base, l’Union a développé desprogrammes de prévention et des actionstransversales relatives à la surveillance de la santé,à la surveillance des maladies et à la promotion dela santé. Le traité d’Amsterdam a encore renforcéles prérogatives de l’Union en affirmant l’obligationd’inscrire «un niveau élevé de protection de lasanté humaine dans la définition et la mise enœuvre de toutes les politiques et actions de laCommunauté» et une mission «d’amélioration de lasanté publique et de prévention des maladies etaffections humaines et des causes de danger pourla santé humaine».

La pression européenne peut s’analyser à plusieursniveaux. Les programmes développés à l’initiativede l’Union viennent en complément ou commeressource d’appoint pour les actions à l’initiativedes États. Les initiatives européennes – par exemplel’action très directive en matière de lutte contre letabagisme quant aux teneurs en substances nociveset aux mentions devant figurer sur les emballages –exercent une influence très directe.

La question de l’articulation des organisations est,en tout cas, une question d’avenir. Cela vaut àl’échelle mondiale : la participation du système deveille sanitaire français aux dispositifs mis en placesous l’égide de l’Organisation mondiale de la santéest aujourd’hui la condition de bénéfices en retour,ce qui suppose de poursuivre la structuration et lerenforcement des moyens nationaux. Cela vautaussi à l’échelle européenne : l’homologation etl’évaluation des produits et des dispositifs de santé,

l’évaluation des risques sanitaires, liés àl’alimentation par exemple, seront de plus en plustraitées à l’échelon européen, la veille sanitaires’organise également à ce niveau.

Plus essentiel peut-être, cette pression extérieure etla participation aux organisations internationalesrenforcent opportunément les entreprises deréforme conduites en France depuis quelquesannées dans le domaine de la santé publique.L’évaluation des politiques publiques sous l’anglede leur influence sur la santé est un apprentissageutile pour les autorités françaises. Elle révèleopportunément les carences de l’expertise dans uncertain nombre de domaines, au risque de ne paspouvoir faire valoir les arguments d’intérêt pour laFrance. La balance des intérêts économiques etsanitaires est plus spontanément mise en scènedans le contexte européen.

1.2. France : quand la santé devient publique… 1

Longtemps, le poids de la fatalité et l’impuissancede la médecine ont donné le premier rôle à l’Étathygiéniste et à la protection communautaire de lasanté (vaccination obligatoire…) : version tutélaireet sécuritaire de la santé publique. La montée enpuissance de l’assurance publique et les progrès dela médecine ont ensuite mis en avant unemédecine toute puissante, technicisée, un patientsoumis à cette autorité et réputé ignorant, un Étatbâtisseur s’en remettant largement à la professionmédicale, un financeur en grande partie aveugle.

Cette ère était marquée par une sorte d’irres-ponsabilité collective : de l’usager par rapport à sescomportements et à sa pratique de consommationde soins, du corps médical quant à l’évaluation dela qualité des actes et des pratiques et à sescomportements de prescription, du financeur quantaux conséquences de l’augmentation des prélè-vements sociaux et aux inégalités de santé, de l’Étaten matière de sécurité sanitaire, de santé publiqueet de gestion de l’offre de soins de long terme.

Un certain nombre de faits, pour certains déjàanciens ou systémiques, ont permis d’en mesurerles conséquences : difficultés financières récur-rentes de l’assurance-maladie, sensibilité plusgrande aux inégalités de santé, mise en cause de laresponsabilité pénale des responsables politico-administratifs ou du corps médical, émergenceprogressive d’une information sur le coûtéconomique et sanitaire de la négligence.

(1) Le titre de cette section est emprunté à l’ouvrage de Jean-François Girard (ancien directeur général de la Santé, conseillerd’État, actuellement président de l’Institut de recherche pour ledéveloppement), paru en 1998, aux éditions Hachette.

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Ces éléments d’analyse sont peut-être moinsimportants pour comprendre les changements encours ou à venir que l’émergence du sujet dans larelation médicale : volonté d’être associé, informé,de pouvoir choisir, volonté de s’organiser, impor-tance donnée à de nouvelles exigences telles que lalutte contre la douleur, l’affirmation de la dignitéou la volonté d’accéder très rapidement àl’innovation. Les malades du sida ou du cancer – etleurs associations – ont eu, de ce point de vue, descomportements pionniers.

À travers la prise en charge de la fin de vie parexemple, c’est l’ensemble des registres d’action,sanitaires et sociaux, publics et privés, destinés à laprise en charge du grand âge qui sont questionnés.Les maladies du grand âge et, en particulier, lesmaladies neurodégénératives, posent un problèmequantitatif de prise en charge : la population demalades d’Alzheimer est estimée aujourd’hui à plusde 600 000 personnes, la prévalence est de 21 %chez les 85-89 ans, de 41 % pour les plus de90 ans, ce qui laisse augurer une très forteprogression des besoins (voir infra). Au-delà du défiquantitatif, présent et à venir, au-delà des perspec-tives thérapeutiques, la maladie d’Alzheimersoulève notamment la question de la capacité àprendre en considération les familles, en termesd’information, d’écoute, de concertation.

Les démarches des soins palliatifs bousculent aussila médecine, ses objectifs et ses modesd’organisation. Cette démarche, développéetardivement en France, recèle nombre d’interro-gations quant aux conditions dans lesquelles onmeurt, quant à la définition même de la mort, de la«mort acceptable». La réponse apportée par uncertains nombre de pionniers, les expérimentationsou la structuration d’une réponse institutionnelledoivent trouver leur place dans un systèmehospitalier orienté vers la lutte contre la maladie etle soin curatif, organisé autour de la prise en chargedes épisodes aigus. Les enjeux sont d’autant plusimportants que la période chronique palliatives’allonge, non seulement en cancérologie ou pourles malades du sida, mais pour de nombreusesautres pathologies en fort développement (insuf-fisances rénales terminales, certaines maladiesneurologiques).

L’importance désormais reconnue des contextesd’action impose enfin de faire jouer à plein laréactivité et la capacité d’innovation des territoires.La connaissance du terrain, la meilleure perceptionde l’articulation des politiques publiques, lespratiques de délibération et la perspective de lasanction politique sont autant de ressources pourancrer les politiques de santé dans la réalité.L’acculturation des élus s’est faite lentement. Il y aeu là aussi des militants et des territoires pionniers.

La prise en compte des conséquences sanitaires despolitiques publiques a, peu à peu, imposé la santépublique à l’agenda des assemblées territoriales. Larégionalisation de certains programmes, la créationd’institutions régionales dans le cadre du PlanJuppé de 1995 ont également été des supportsessentiels.

La France est bien placée globalement mais enposition moins favorable en termes de mortalitéprématurée avec des disparités sociales etterritoriales marquées. Dans ces conditions, le sensde l’action publique en santé doit être, parconstruction, de lutter prioritairement contre cesfacteurs de mortalité prématurée (ce que tout lemonde admet sans doute), en agissant sur lesconditions de vie et de travail, sur les milieux aumoins autant que par la prévention médicalisée (cequi est sans doute plus difficile à faire entendre etmoins visible), sauf à mettre en place des dispositifssusceptibles de toucher de façon privilégiée ceuxqui s’adresseront le moins spontanément ausystème.

Un certain nombre d’exemples récents ont montréune résolution plus grande en matière de santépublique. Dans la lutte contre le tabagisme, l’actionsur les prix a relayé une communication désormaissans entrave. Face à la violence routière, cette autre«épidémie industrielle» (Gérard Dubois), la prise encompte des conditions d’effectivité de la sanction aaccrédité le renforcement de l’arsenal répressif.Dans le domaine de la lutte contre le cancer,l’action s’organise désormais à travers les six voletsdu Plan cancer : prévention, dépistage, soin,accompagnement, formation, recherche. L’actionen matière de nutrition, lancée par le précédentgouvernement et poursuivie depuis, a permisd’engager une action multiforme sur un problèmede santé publique déterminant pour les décennies àvenir.

Si l’action en matière de santé publique est apparueplus résolue depuis quelques années, on ne le doitpas seulement à l’accumulation des diagnosticsdocumentés, à l’engagement politique ou à lapression des organisations internationales maisaussi à l’émergence et aux efforts de quelquesentrepreneurs de réforme.

On pense bien évidemment à quelques «expertsmilitants», aux acteurs associatifs mais aussi à uncertain nombre d’institutions. Le Haut Comité de lasanté publique a ainsi continûment mis l’accent surles notions de programmation, de définition depriorités en matière de santé publique, sur larépartition territoriale des ressources et la questiondes inégalités. La Mission interministérielle sur lecancer développe aujourd’hui une logique deprojet, largement inédite. L’articulation du travail

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des opérateurs publics, au titre du Programmenational nutrition santé, renouvelle les pratiques etpermet de dépasser les cloisonnements habituels.

Il importe de tirer les enseignements de cesexpériences. Le fait associatif est assurément unargument majeur : les États généraux des maladesdu cancer, organisés par la Ligue nationale contrele cancer, ont contribué à la mise sur agenda et ontpermis de structurer une action multidimen-sionnelle. L’engagement des acteurs locaux et desrelais est désormais mieux pris en compte : l’actionen matière nutritionnelle bénéficie ainsi del’expérimentation conduite sur un certain nombrede sites (l’expérience de Fleurbaix Laventie VilleSanté notamment). Au-delà des effets d’annonce,auxquels se sont souvent résumées bien desinitiatives passées, ces actions révèlent le sensd’une planification réelle : des priorités, desmoyens, la durée.

2. Rationalité procéduraleet introduction du principe d’économie

2.1. Le principe de précaution en débat

La question est bien au fond de comprendre,comme le dit Bruno Latour, «pourquoi cetteexpression quelque peu pédante, maladroite enfrançais, mal fondée juridiquement, sans véritablepedigree philosophique, s’est répandue comme unetraînée de poudre, au point de revenir chaque soirau journal télévisé et de résonner de plus en plusvivement aussi bien dans les prétoires que dans lespropos militants 2».

Les domaines de développement sont nombreux.La dangerosité éventuelle, l’incertitude sur lerisque, la peur forment un terrain commun mais, enmême temps, le champ d’application n’est pas lemême : de l’environnement global à l’homme, durisque planétaire au risque individualisable, d’unepossible gestion raisonnée des risques admettantdes réponses proportionnées à la tentation durisque zéro…

Pour s’en tenir au champ de la santé, la questiondu principe de précaution se conçoit au sein dutriangle droit-économie-santé publique. Lieu deconvergence ou triangle d’incompatibilité, c’estselon.

• D’un côté, le principe de précaution a permis derenforcer la valeur santé : il donne plus de poids à

(2) Bruno Latour, Du principe de précaution au principe de bongouvernement : vers de nouvelles règles de la méthodeexpérimentale.

la protection de la santé dans la balance desintérêts. L’extension du principe de précaution auchamp de la sécurité sanitaire a eu deux motifsessentiels : les traumatismes récents (sangcontaminé, hormone de croissance, amiante…) etle besoin d’un principe de meilleure gestion desrisques. Elle est aussi liée, dans le cas de lacontamination par l’hépatite C (décision du Conseild’État de 1993), au besoin de trouver un fondementà l’indemnisation des victimes. La notion deprécaution a d’ailleurs d’abord été élaborée pourtraiter des problèmes situés non pas en amont maisen aval des décisions et plus particulièrement pourfonder une réponse en termes d’indemnisation etde remise en état.

• D’un autre côté, l’invocation dans l’espace publicde ce principe censé faire crédit au doute et à ladémarche expérimentale, développer les ressourcesdélibératives et enrichir les pratiques démo-cratiques, clôt souvent la discussion avec la forcede l’autorité. Les invocations du principe deprécaution dans la sphère publique se font en effetle plus souvent par temps de crise. L’événementmet à l’agenda telle ou telle question, suscitel’intérêt médiatique et oblige à la réponse politique.Dans ce contexte, l’expression publique autour dela précaution semble, par construction, s’opposeraux logiques d’action de long terme auxquellesinvite la démarche de précaution, «démarcheactive et ouverte, contingente et révisable. Elle estexactement l’inverse d’une décision tranchée unefois pour toutes 3.»

Cet usage dans la gestion de crise plutôt que dansla gestion anticipée des risques hypertrophiesouvent les motifs sanitaires, particulièrementrentables en termes de justification apparente… aurisque de semer le trouble au sein même de lacommunauté sanitaire. La décision médicales’accommode mal, en effet, de l’approche binaire(interdire/autoriser) que sous-tend la recherche durisque zéro et sollicite bien davantage une balancecoûts-avantages individuelle. La polémique sur lavaccination contre l’hépatite B a largement montrél’indécidabilité au niveau politique et l’intérêtd’une décision au plus près des réalitésindividuelles. La question de la sécurité hospitalièren’engage pas les seules autorités sanitaires oumédicales mais aussi les usagers à travers labalance sécurité-proximité.

Coûts démesurés (en référence à la valeur de la viehumaine et aux usages alternatifs possibles desressources), défaut de hiérarchisation entre risquesavérés et risques incertains, voire négligeables,

(3) Michel Callon, Pierre Lascoumes, Yannick Barthe, Agir dansun monde incertain, Le Seuil, 2001.

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analyse coût-bénéfice tronquée et perte de chanced’accès aux traitements du fait de la focalisation surles risques… : telles sont quelques-unes descritiques qui se font jour dans la communautémédicale.

Il est cependant spécieux de faire reproche à ceprincipe de ses mésusages. Son succès, excep-tionnel dans le contexte français, s’est bâti sur desdécennies de déshérence de la santé publique etplusieurs scandales. Les excès révèlent le défaut dehiérarchisation, de principes d’allocation desressources, d’expertise, de lieu de délibération,d’où l’intérêt de travailler sur les usages du principede précaution avec l’ensemble des partiesprenantes.

2.2. Entre évaluation et gestion des risques :organiser l’analyse socio-économique

La très importante opération de «designinstitutionnel», conduite depuis le début des années1990 avec les agences de sécurité sanitaire, est, dece point de vue, très intéressante. Le principe deprécaution et les nouveaux agents institutionnelsque constituent les agences sont, dans le contextefrançais, les deux faces d’une même réalité. Ils sesont construits sur les mêmes terrains (les produitsde santé, l’alimentation), en situation de crise. Laséparation de l’évaluation et de la gestion desrisques est une réponse à la confusion des intérêts,quand le principe de précaution est, on l’a dit, unefaçon de surpondérer la valeur santé en situationd’incertitude.

Le dispositif des agences sanitaires s’est développédans des domaines où la sécurité sanitaire apparaîtcomme une valeur première : un postulat de lamédecine («D’abord ne pas nuire») pour lesproduits de santé, une tradition dans le cas de lasécurité de l’alimentation (mise à mal par lesnouveaux modes de production et la globalisationdes process). Dans les deux cas également, laconstitution d’un dispositif d’expertise robusten’éloignait pas les considérations économiques :l’évaluation de la sécurité et de l’efficacité desproduits de santé ont partie liée ; la sécurité desproduits alimentaires est une donnée clef de lacompétition commerciale. Sur ces bases, lesagences en charge (l’Agence française de sécuritésanitaire des produits de santé/AFSSAPS et l’Agencefrançaise de sécurité sanitaire des aliments/AFSSA)ont bénéficié de moyens conséquents, d’unenvironnement international porteur, d’unevisibilité médiatique importante et d’un soutienpolitique obligé. Elles ont de fait développé desrègles déontologiques, une organisation de laqualité, des pratiques de transparence. D’autresagences (l’Institut de veille sanitaire/InVS etl’Agence française de sécurité sanitaire environ-

nementale/AFSSE) n’ont pas bénéficié de la mêmeattention et ne connaissent pas la mêmereconnaissance. La dernière crise sanitaire, celle dela canicule de l’été 2003, a en effet montré unsystème de veille largement désemparé, repro-duisant les invariants des crises passées,notamment le défaut d’articulation des opérateursau sein de l’appareil d’État.

Aujourd’hui, les défis sont clairs :

– compléter le dispositif institutionnel : sil’AFSSAPS et l’AFSSA ont décrit un modèle, celui-cidoit être étendu à des domaines mal couverts :santé au travail et renforcement, sinonreconfiguration, de l’AFSSE ;

– travailler à l’articulation des échelles nationale eteuropéenne, voire au-delà ;

– rationaliser les relations avec les tutelles ;

– enfin et surtout, compléter le dispositif d’expertisesur le versant socio-économique, en intégrant lesacquis de l’expérience des agences (transparence,déclaration des conflits d’intérêt, caractère plurielet collectif de l’expertise, certification qualité). Enmatière d’analyse scientifique, le décideur estaujourd’hui tenu par l’expertise des agences, aurisque d’ailleurs de perturber le schéma deséparation évaluation/gestion des risques. Il nebénéficie pas de la même qualité d’expertise enmatière socio-économique ou, quand elle existe,elle n’est pas rendue visible. Sur la plupart dessujets, l’incertitude sur les risques, les difficultés dela quantification sont un médiocre subterfuge. Laréalité est que les pouvoirs publics ne se donnentbien souvent pas les moyens de constituer ou derendre visibles les termes de l’analyse socio-économique, façon de préserver les prérogatives, lapart discrétionnaire de la décision, qui ne fait pas labalance d’intérêts construits et transparents.

Sur bien des sujets, les processus de décisionpublique sont aujourd’hui opaques. On retrouve làle cœur de la controverse sur le principe deprécaution. Les tentatives de promouvoir une visionraisonnée du principe sont inopérantes tant qu’iln’existe pas d’appareil d’analyse socio-économiqueou tant que cette analyse n’a pas part à la décision.

2.3. La valeur de la vie humaine :le principe d’économie articulé à l’évaluationde la contribution à la santé

Donner une valeur à la vie humaine dansl’élaboration des politiques publiques a unobjectif : éviter le maximum de morts à dépenseégale. Le principe est simple, impératif. L’énoncépeut paraître brutal. Il est en fait éthique. Le sens de

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la mesure, la discipline induite doivent être biencompris : il s’agit de travailler les principesd’allocation rationnelle des ressources (à travers leconcept de mort statistique et la pratique del’actualisation), non d’interférer dans les décisionsindividuelles, dans les choix «au lit du malade».

Des outils tels que les QALYs (ou nombre d’annéesde vie gagnées ajusté par la qualité) sont unélément de la «boîte à outils» à la disposition dudécideur. Ils ne sont pas d’usage immédiat : àl’échelon des choix collectifs, il est difficile des’appuyer sur le critère du coût par année de viegagnée (l’expérience de l’Oregon, dans les années1980, a montré les limites de l’outil pour définir unpanier de soins). C’est cependant un élément decomparaison utile entre plusieurs procédures desoins ou entre plusieurs médicaments.

Les bilans socio-économiques sont là pourcontraindre le décideur à expliciter les argumentsqu’il retient. Tout en préservant la prérogative dupolitique de corriger les excès du discoursrationaliste, il s’agit par-là de pointer les domainesde totale irrationalité en termes d’affectationraisonnée des ressources, lorsque «ce qui n’est paséthique, c’est de dépenser trop» (Marcel Boiteux).

Qu’il s’agisse de révéler ces situations d’excès oud’établir des plages où la discussion argumentée estsouhaitable (lorsque, si l’on suit Jean-Paul Moatti,le coût marginal par année de vie gagnée se situeentre 2 et 6 fois le PNB par tête), ces pratiques n’ontpas cours en France dans le champ de la santé(contrairement à la situation qui prévaut dansd’autres domaines, par exemple en matièred’infrastructures de transport).

Il y a à cela toute une série d’explications : lapréférence pour la régulation par le droit, un cadredéontologique qui entretient une relation ambiguëà l’économie, un milieu globalement réfractairemalgré la tradition d’ingénierie économique fran-çaise, un ministère longtemps organisé autour de lafonction de production de soins.

Quand elles existent, ces analyses à dominantecomparative ne passent pas de la sphère acadé-mique à la sphère de la décision. On se prive ainsid’une ressource utile. Comme l’expliquait leComité consultatif national d’éthique dans son avisde 1998, 4 il est indispensable de mieux informerles jugements de valeur et les pratiques dedélibération.

(4) Avis n° 57, Progrès technique, santé et modèle de société : ladimension éthique des choix collectifs, 20 mars 1998.

Le flou arrange, il est vrai, beaucoup d’acteurs : ildonne des marges de jeu considérables, qualifiepotentiellement (et souvent temporairement) desinnovations inefficaces et coûteuses et justifie lesrevendications quantitatives. La demande desécurité, la pression contentieuse, l’offre techno-logique et ses relais, la pression des opérateurs et, àl’inverse, le défaut d’incitation à l’efficience, tousces éléments se conjuguent pour sélectionner apriori les solutions coûteuses. Le rôle de l’Étatstratège dans la préservation de la santé à longterme de la population est bien la défense dessolutions que ni le marché ni les intérêts organisésne soutiendront.

Ce qui est en cause, débat essentiel des réformes encours, c’est la capacité à sélectionner lesinnovations : logique individuelle ou profes-sionnelle versus choix publics délibérés. C’est aussila capacité à homogénéiser l’évaluation despolitiques concourant à l’objectif de santé :prévention et soins. En ces domaines, malgré lescarences de l’expertise socio-économique desrisques, il est probable que la santé publique a étéprécurseur.

«L’éthique suggère donc que, dans un contexte demaîtrise des dépenses, on commence par dépenserce qu’il faut pour se doter très rapidement desmoyens de l’évaluation» 5. Les enquêtes permettantd’apprécier les priorités, les études longitudinalespermettant de mesurer l’efficacité à moyen et longterme des interventions doivent dès lors êtredéveloppées.

2.4. Un exemple d’immaturité

L’affaire du classement établi en 2000 parl’Organisation mondiale de la santé est plusqu’anecdotique. Ce classement plaçait la France enpremière position pour la performance globale deson système de santé. L’interprétation doit être plusprudente qu’elle ne l’a été parfois (entre auto-satisfaction et commentaires de type sportif).

L’indice de performance globale calculé pour laFrance est, en effet, avant tout le reflet desprincipes, méthodes et calculs retenus par l’OMSpour établir son classement de 191 pays. La Franceobtient un bon résultat parce que c’est un paysriche, parce que, parmi les pays riches, ses résultatsen termes d’espérance de vie moyenne corrigée desincapacités sont bons (sans doute parce que laFrance est relativement plus épargnée que lesautres pays par certaines causes de mortalité,notamment celles liées à l’alimentation) et parceque la France s’est longtemps distinguée par un

(5) Ibid.

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taux de scolarisation faible au-delà de l’âge légal :l’espérance de vie maximale à laquelle on pourraits’attendre dans chaque pays en l’absence desystème de santé efficace a été estimée à partir dela relation entre le capital humain et l’espérance devie au début du siècle. Cette construction de laperformance globale explique, de façon contre-intuitive, les excellents résultats des pays latins et laperformance somme toute médiocre des paysnordiques.

Que n’a-t-on développé depuis comme argu-mentaire de légitimation sur ces bases fragiles ? Ilfaut bien sûr faire la part de l’autosatisfaction danscette affaire. Ceci dit, elle est caractéristique de ladifficulté à regarder la performance en face.

3. La santé : un bien supérieur ?

Un bien supérieur est un bien dont la demandeaugmente plus vite que le revenu. À long terme eten comparaison internationale, cela se vérifieglobalement : la croissance des dépenses de santéaccompagne le développement économique. Lesbiens et services de santé présentent certainescaractéristiques explicatives (pression du progrèstechnique, contenu en emplois qualifiés et/ou àfaibles gains de productivité, etc.). Par ailleurs, iln’est pas illégitime a priori qu’une société plusriche et vieillissante consacre plus de ressources àla préservation du capital santé.

Ceci dit, ce constat et cette intuition n’emportentpas de conséquences déterminantes pour l’avenir.

Il existe en effet des disparités troublantes entre lespays. Avec une part des dépenses de santé dans leproduit intérieur brut de 9,5 % en 2001 6 (10 % sion intègre les dépenses de gestion administrativede l’assurance-maladie, comme dans les autrespays de l’OCDE), la France ne se trouve devancéeque par les États-Unis (13,9 %), la Suisse (10,9 %),l’Allemagne (10,7 %), le Canada (9,7 %), àcomparer aux chiffres du Japon (7,6 % en 2000) etdu Royaume-Uni (7,6 % en 2001). Si, dans tous cespays, la croissance des dépenses de santé parrapport au PIB a été soutenue au cours de ladécennie 1990, le différentiel ne saurait s’expliquerpar les déterminants communément avancés.

Par ailleurs, à court terme, ceux-ci ne sauraientjustifier la croissance des dépenses, laquelle ne setraduit pas en tout cas en progrès quant à l’état desanté de la population.

(6) Source : Eco-Santé, OCDE, 2003.

Il n’existe pas de norme a priori. Comme le disaitdéjà le Livre blanc sur le système de santé etd’assurance-maladie, en 1995, «si on avait lacertitude que chaque franc supplémentairedépensé améliorait l’état sanitaire de la population,il n’y aurait alors guère de légitimité à s’efforcer demaîtriser les dépenses de santé.»

La question de la contribution à la croissance estun élément de justification a priori de la croissancedes dépenses de santé : pourquoi brider un secteurcréateur d’emplois et de valeur ? Sauf àdéconnecter les évolutions respectives des dépen-ses de santé et de l’effort collectif en faveur de lasanté, cet argument ne vaut que pour autant que lesressources employées à ce titre le sont efficacementou, au moins, qu’il y ait eu délibération instruite surcet effort.

Le financement socialisé des services publics peut-il se faire à guichets ouverts ? Qui dit financementsocialisé dit normalement régulation pour au moinstrois raisons : parce que les ressources publiquessont rares, parce qu’on n’a pas le droit d’évincerdes dépenses qui seraient utiles dans un secteur (larecherche par exemple) et, qui plus est, utiles pourpréparer l’avenir, pour financer les dérivesconstatées dans un autre (que ne pourrait-on pasfaire d’utile avec les 14 milliards d’euros de dériveannuelle des dépenses de santé ?) et parce qu’onobère à moyen terme les capacités d’agir dans lechamp même de la santé : le niveau de dépensesatteint constitue chaque année la nouvelleréférence (par rapport à laquelle on tolère unpourcentage d’augmentation nouvelle).

Les décisions en matière de ressources consacréesà la santé et aux soins ne sauraient en tout casreposer sur le consentement à payer. Il s’agit,aujourd’hui encore dans notre pays, d’un choixnon délibéré. La discussion annuelle au Parlementa été un progrès mais le caractère non opposablede l’objectif de dépenses, le fait que les débatsrestent très convenus, l’absence de loi de financesrectificative en matière de financement de laSécurité sociale ont enlevé une grande partie del’intérêt de cet exercice.

4. Trajectoire «au fil de l’eau» :le futur comme contrainte

Le scénario «au fil de l’eau» poursuit la trajectoired’un système non régulé, tout occupé à neutraliserles opportunités de changement ou les injonctionsexternes. On peut assez facilement donner uneimage du paysage sanitaire à vingt ans dans unetelle perspective. Les précédents sont en tout casédifiants : échec des multiples plans de régulation,lenteur des ajustements liés aux innovations, etc.

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Les tendances lourdes sont identifiées mais plusdifficiles à évaluer. L’inertie et les qualités dusystème de santé français sont suffisantes pour nepas accréditer les scénarios manichéens (mar-chandisation, déréliction, etc.) quitte à laisser sedégrader, sous cet ensemble de contraintes, lesdonnées structurelles en termes de coûts,d’inégalités et de qualité.

4.1. Le poids du vieillissement

Quelques données de cadrage méritent d’êtrerappelées : la population des 65 ans et plusreprésentait 11,4 % de la population en 1950,16 % en 2000. Elle représentera, selon le scénariocentral des projections de l’INSEE, 7 17 % en 2010,21 % en 2020 et 24,9 % en 2030. La populationdes 75 ans et plus représentait 7,2 % de lapopulation en 2000, elle représenterait 9 % en2010, 9,6 % en 2020, 13,1 % en 2030. Les effectifsdes plus de 75 ans passeraient ainsi de4,23 millions en 2000, à 5,5 millions en 2010,6 millions en 2020 et 8,3 millions en 2030.

Ces évolutions sont dues à la fois à l’arrivéeprogressive des générations du baby-boom auxâges élevés (les premières d’entre elles atteindront65 ans en 2010) et à la prolongation de l’espérancede vie : toujours dans le scénario central del’INSEE, l’espérance de vie passerait de 75,2 ans à80,9 ans pour les hommes entre 2000 et 2035 et de82,7 à 88,7 ans pour les femmes. L’espérance devie à 60 ans augmenterait de 5,5 ans pour leshommes (de 20 à 25,5) et de 6,4 ans pour lesfemmes (de 25,2 à 31,6 ans).

En termes de répartition territoriale, les évolutionsnationales seront amplifiées ou, au contraire,atténuées en fonction des phénomènes migratoires.Selon l’INSEE, «le vieillissement devrait toucherplus particulièrement les départements peuurbanisés du centre de la France, de l’Ouest et duMassif central, ainsi que le nord-est du pays. Ildevrait être moins important sur le littoralméditerranéen, en région Rhône-Alpes et surtout enÎle-de-France».

L’impact du vieillissement sur les dépenses de santéest une question qui parcourt nombre de rapports,dont récemment celui du Haut Conseil pourl’avenir de l’assurance-maladie. Un travail récentdu CREDES 8 permet de raffiner les raisonnementshabituels. Si l’on part d’un scénario «mécanique»,

(7) INSEE, Résultats Société n° 16, «Projections démographiquespour la France, ses régions et ses départements» (horizon2030/2050), juillet 2003.

(8) Michel Grignon, «Les conséquences du vieillissement de lapopulation sur les dépenses de santé», CREDES, Questionsd’économie de la santé, n° 66, mars 2003.

qui conserve le profil de dépenses de santé par âge,les projections de populations rappelées ci-dessusse traduisent en 2020 par une augmentation de0,9 point des dépenses de santé (en % du PIB).

Le problème est que le profil par âge se déforme aucours du temps ; on l’a vu au cours des annéespassées. Cela est dû notamment à l’évolution de lamorbidité. La décomposition des facteurs expli-catifs entraîne quelques constats contre-intuitifs : àétat de santé et niveau de couverture complé-mentaire identiques, l’âge contribue à diminuer lesdépenses de santé (effet lié au possiblerationnement relatif des soins pour les personnesâgées, à un renoncement volontaire de leur part età un effet de génération).

C’est en fait le couple morbidité-allongement de lavie qu’il faut traiter. Trois scénarios sont alorsenvisageables :

– soit on considère que l’allongement de la vies’accompagne d’une amélioration de l’état de santéà un âge donné ; dans ce cas, l’accroissement de laproportion de personnes âgées entraînera unecroissance moindre de la dépense par tête ;

– soit l’on considère que les progrès enregistréssont acquis par un effort de dépensesupplémentaire, dans ce cas l’augmentation de lapopulation âgée pourrait entraîner une croissanceplus forte des dépenses ;

– un troisième scénario juxtapose uneaugmentation de la morbidité à âge donné et unrecul de l’incapacité ; autrement dit, avec la chutede la mortalité, la prévalence des maladieschroniques au sein du cycle de vie augmente maisles états prévalents sont en moyenne moins sévères.

Un dernier facteur explicatif est à prendre encompte : les choix d’affectation de ressources desanté au profit des différentes classes d’âge,lesquels sont bien entendu partiellement liés auxtrajectoires de recherche, aux innovations destinéesà la prise en charge du grand âge, aux choixd’implantation des établissements, etc.

En comparaison internationale, les projectionsprises en compte par l’OCDE 9 sont manifestementsujettes aux différences de modélisation. Elles fontétat d’un impact du vieillissement sur les dépensespubliques de santé (court et long terme) variant de0,5 point de PIB en Corée à 6,2 points en Australiesur la période 2000-2050. Les chiffres affichés par

(9) OECD, «Policies for an Ageing Society : Recent Measuresand Areas for Further Reforms», Economics Department,Working Paper, n° 369.

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la France, l’Allemagne, l’Italie et le Royaume-Unisont respectivement : 2,5, 3,1, 2,1 et 1,7 points.

Un autre défi se fait jour pour nos systèmesdémocratiques : organiser la délibération sur larépartition inter-générationnelle des ressources ensanté.

4.2. La pression technologique et industrielle :l’innovation n’a pas de prix…

On peut sans doute classiquement 10 retenir troisgrands domaines d’évolution des techniques :

– la biologie moléculaire et la médecine génétiquesont porteuses de promesses – et de risques – enmatière de diagnostic et de capacités prédictives ;elles ouvrent aussi sur des applications théra-peutiques ;

– de nouvelles techniques d’imagerie, laminiaturisation et la robotisation en chirurgie, denouveaux tests biologiques renouvellerontégalement les perspectives diagnostiques etthérapeutiques ;

– les technologies de l’information et de lacommunication fourniront à la fois des outils d’aideà la décision médicale, des opportunités pour unepratique plus collective au sein des organisationshospitalières et au niveau du système de santé danssa globalité ; elles renforceront égalementl’information des usagers et les possibilitésd’acheter en ligne.

Au-delà des perpectives héroïques, le progrèstechnique doit être envisagé à travers son impactsur les organisations, les pratiques et les métiers.L’impact sur les pathologies mérite d’être évalué,notamment pour identifier les populations cibles etles ressources à dégager par la collectivité :pathologie cancéreuse, maladies monogéniques,pathologies du vieillissement, en particulier neuro-dégénératives, mais aussi l’ostéoporose.

Le premier effet du progrès technique en santé est,en tout cas, bien souvent d’étendre le champ despossibles, quant aux indications des interventions,aux perspectives thérapeutiques, aux opportunitésde développement des réseaux, etc. Lesinnovations peuvent également générer deséconomies : en termes de communication desdonnées, de limitation des durées de séjour, derecours aux techniques invasives, etc. Les gains de

(10) Voir, par exemple, Dominique Polton, Quel système desanté à l’horizon 2020 ?, rapport préparatoire au schéma deservices collectifs, Paris, La Documentation française, 2000.

productivité sont donc possibles mais les effets degamme sont également à prendre en compte (voirinfra sur le médicament).

Les modalités de diffusion de l’innovation sont unequestion essentielle en termes de gouvernance etde financement. Comment les évalue-t-on ? Quelleplanification pour les équipements ? À quelleéchelle ? Comment optimiser les taux d’utilisation ?Quelles modalités de financement ? Commentréussir l’insertion d’une innovation au sein d’uneorganisation ou d’un process ?

4.3. Le développementde la «médecine défensive»face aux mises en cause de la responsabilité

L’évolution de la jurisprudence civile et admi-nistrative de la responsabilité médicale et laquestion des principes (pratique assurancielle ousolidaire) de l’indemnisation des accidents médi-caux méritent attention en ce qu’elles révèlent lesnouveaux contours de la relation médicale. Le droità l’information de l’usager (sur son état de santé,sur les possibilités de traitement, sur les risquesqu’il encourt) est perçu différemment selon qu’on ydécèle une mise en cause radicale de l’autoritémédicale et les prémices d’une judiciarisation(l’inversion de la charge de la preuve en matièred’information sur les risques thérapeutiques estainsi très critiquée par certains professionnels) ou lareconnaissance de la nécessité d’associer le patientau traitement en obtenant un «consentementéclairé».

La question de la responsabilité médicale secomplique aussi du fait du développement, parailleurs jugé souhaitable, de formes de coor-dination et de partage des pratiques médicales(télémédecine, organisation en réseau, etc.).Double déplacement en somme : de l’exercice del’autorité à la recherche du consentement, del’exercice individuel à la coopération.

Ces questions de réglementation sanitaire prennentd’autant plus de relief que vont se développer, àdestination du grand public, via Internet et enmarge des pratiques habituelles, un volumed’informations très important (informations sur lesbonnes pratiques et la qualité des soins mais aussiinformations non validées sur les innovationsthérapeutiques, etc.), la possibilité d’acheter desproduits ou de consulter en ligne. Ce type dedéveloppement bouscule le cadre réglementaireactuel, quant aux autorisations de mise sur lemarché, aux contours et aux frontières desprofessions (médicales, paramédicales, pharma-ceutique), à la nature des actes. Il met aussi en

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cause les formes de prise en charge socialisée etd’évaluation.

Alors même qu’ils recèlent des opportunités pour latransparence de l’information, les nouveaux médiasen santé sont ainsi porteurs d’effets pervers nonnégligeables (confusion réglementaire, abolitiondes médiations professionnelles dans la transmis-sion de l’information, contribution au culte ducorps et de la bonne santé, etc.), qui justifient deréfléchir à leurs usages et à leur régulation.

5. Le futur comme opportunité

5.1. L’ouverture européenne

Encore une fois, parmi les facteurs de déblocage dusystème de santé français, on ne saurait trop insistersur les opportunités que recèlent les initiatives desorganisations internationales, européennes enparticulier (initiatives de la Commission et duParlement, du Conseil de l’Europe ou décisions dejurisprudence) en matière de circulation des bienset des personnes, de médicament, d’assurance.

La santé est un secteur économique où l’onconsidère habituellement que la concurrences’exerce mal, du fait de l’asymétrie d’information,de l’incapacité dans laquelle se trouve leconsommateur de faire des choix éclairés et de lasur-administration, sinon la sur-réglementation.

Les questions de santé se traitant de plus en plus àl’échelle européenne, la politique de la concur-rence définie à ce niveau sera donc de plus en plusprégnante. Parallèlement, des dispositifs sontparfois envisagés, au nom de la régulation desdépenses, qui peuvent contredire les principes deliberté du commerce et de concurrence : ticketmodérateur d’ordre public (versus liberté desassureurs de proposer une couverture plusfavorable à leurs clients), contractualisation entreassureurs et praticiens, dispositions relatives à lacirculation des patients et des soignants, accès auxbiens de santé (publicité, e-commerce, impor-tations, etc.), mode de tarification et possibilité dereconnaître la spécificité des établissements publics(recherche, formation, urgences, etc.).

5.2. Médicament :que rémunérera-t-on demain ?

Dans le domaine du médicament, il faut s’efforcerde sérier les problèmes et les objectifs : effortconsenti par la collectivité au titre de la prise encharge socialisée, organisation de la recherchepublique et des partenariats public-privé, attrac-tivité de la recherche clinique, nationalité del’entreprise et localisation des centres de décision.

Tous les enjeux, pris individuellement, sontlégitimes (politique industrielle, financement,emploi et aménagement du territoire, santépublique). Il ne s’agit pas cependant d’instru-mentaliser la valeur santé au mépris desconsidérations économiques durables. Il fauttravailler les liens systémiques.

La conjugaison d’une évaluation défaillante, d’unsystème de prix administrés, d’un financementglobal généreux assorti de tentatives de régulationfrustes : telle a longtemps été la réalité de lapolitique française du médicament. Le résultat estconnu : des prix relatifs faibles (ce n’est plus le casaujourd’hui), une surconsommation sans mesure,des rentes indues au détriment de l’innovation etdonc un tissu industriel incertain.

Où en seront les industries pharmaceutiquesfrançaise et européenne dans quinze ans ?

La trajectoire industrielle décrite aujourd’hui par lesopérateurs du secteur voit l’émergence d’unenouvelle «grappe d’innovations» autour desmédicaments de haute technologie, à base debiotechnologies, médicaments potentiellementguérissants, destinés à des populations ciblées etrestreintes. Les coûts de développement de cesinnovations seront de plus en plus importants. Cesmédicaments, ou plutôt ces biens intermédiaires,seront utilisés à condition d’être intégrés dans lecadre d’une prestation globale.

Si ce modèle est juste, si l’on doit demain distinguerdeux segments du marché pharmaceutique, lesmédicaments destinés aux maladies graves (cancer,maladies génétiques, maladies dégénératives) d’uncôté, les médicaments destinés aux maladies desociété (maladies du vieillissement, insomnie,hypertension artérielle, diabète, etc.) d’un autre côté,ce sont en fait deux modèles industriels quis’affrontent.

Le premier exploite la caractéristique majeure decette industrie, souvent perdue de vue : la scienceest sa matière première, les savoirs sont rapidementobsolètes, l’innovation est donc le principal facteurà rémunérer. Ce modèle de production se conçoit àtravers le nouveau rôle des grandes firmes, à traversl’intégration des contributions des sociétés debiotechnologie (avec lesquelles les alliancesstratégiques se multiplient).

Le second a incontestablement des ressources dedéveloppement quant aux effectifs de populationsconcernées. Pour ce qui est du potentiel innovant,les améliorations se feront sans doute à la marge.Ce second segment est le domaine de dévelop-pement des génériques.

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Si le premier segment représente aujourd’hui lamoitié des autorisations de mise sur le marché auxÉtats-Unis, s’il représente demain une part demarché significative en Europe et l’essentiel desefforts d’innovation des firmes, le débat de larégulation du secteur en sera considérablementrenouvelé.

Les enjeux de santé publique et les missions durégulateur sont clairs : mettre à disposition de lapopulation les innovations utiles dans des délaisréduits, faire en sorte que ces innovations ne soientpas discriminantes, faire en sorte que soit toujoursdisponible l’ensemble de la gamme de produitsutiles.

Les solutions du passé ne seront d’aucune utilitépour aborder ce nouveau paradigme industriel etses enjeux sociaux et économiques. Commentorganiser le déversement d’une large partie desressources publiques des «médicaments de société»vers les médicaments réellement innovants ?Comment faciliter dans ce cadre l’adaptation del’appareil industriel et commercial des firmes ?Quels critères mettre en place pour la rémunérationde l’innovation ? À quelle échelle ?

Concevoir le médicament comme bien intermé-diaire d’une prestation à solvabiliser nous faitévidemment sortir du modèle d’administration desprix et de ses palliatifs (jeu sur les volumes et effortsde promotion commerciale dédiés). Il s’agitglobalement d’en finir avec un système censérémunérer l’innovation mais paradoxalementorienté dans le passé.

Sur les segments innovants, il n’y a pas de limites apriori, hors la valeur de la vie humaine considéréeau niveau collectif et non au «lit du malade». Undes enjeux essentiels est bien entendu la capacité àmettre en place un système d’évaluation, àl’échelle européenne.

Sur les produits moins innovants, les expériencesétrangères montrent la brutalité des ajustements surles produits dont le brevet est tombé dans ledomaine public. Les économies potentielles pourl’assurance maladie ne se limitent pas à laressource générique. Il importe de réfléchir à unedynamique des prix dans le temps du brevet,autrement dit à un cycle de prix dynamique.

5.3. Les frontières des métiers

Les métiers de la santé sont un autre exemple desapports d’une démarche prospective construite.Comment sortir d’une logique de corps et penser àun horizon de vingt ans les métiers de la santé ?Comment appréhender les rôles respectifs de l’Étatet des acteurs territoriaux, porteurs de dynamiques

nouvelles et soumis à diverses contraintes ?Comment faire leur place aux besoins émergentsou non couverts (en gérontologie par exemple) ?

Les travaux conduits depuis quelques mois sousl’égide du doyen Berland 11 ont permis d’éclairer,de façon équilibrée, les enjeux de la démographiedes professions médicales et paramédicales.L’essentiel des données en débat y sont réfé-rencées. La démarche prospective permet deprolonger ces travaux, à travers une réflexionouverte :

– sur les facteurs d’évolution exogènes sur lesquelsl’intervention de l’État est possible mais quiressortissent de politiques plus globales : éco-nomiques (dynamique des territoires), démogra-phiques (vieillissement, taux de fécondité,phénomènes migratoires), culturels et sociaux(féminisation de la population active, réduction dutemps de travail…), technologiques (équipementdiagnostics et thérapeutiques, Internet), organisa-tionnels (évolution de l’hôpital), réglementaires(initiatives de l’Union européenne, coopérationpublic-privé, évolution de la responsabilité),épidémiologiques (nouvelles maladies, développe-ment des pathologies chroniques) ;

– sur les facteurs d’évolution endogènes (variablesde contrôle et d’action directe pour l’État) :économiques (mode de rémunération, tarificationet concurrence), démographiques (vieillissement dela population médicale, féminisation, phénomènesmigratoires internes et trans-frontières, cessationd’activité), culturels (qualité de vie, etc.),technologiques (télémédecine, nouveaux métiers),organisationnels (réseaux, conditions d’exercice,filières professionnelles), réglementaires (plani-fication des ressources humaines, décrets decompétence, statut de la fonction publiquehospitalière, durée de la formation initiale) ;

– sur les objectifs de l’État : optimiser l’accès auxsoins est un objectif intermédiaire, largement utilisécar appréhendé via les statistiques disponibles(comme la densité médicale) ; il s’agit en fait, pourl’État, d’optimiser la réponse à la demande desoins, à condition de considérer celle-ci à nouveaucomme une demande dérivée, traduisant unedemande plus confuse de santé. La prise en chargedes personnes âgées n’est bien souvent pas adaptéeaux besoins de ces populations ; il n’empêche queles besoins de prise en charge s’expriment via lesprofessionnels de santé ;

(11) À travers ses deux rapports et désormais à travers lesactivités de l’Observatoire national de la démographie desprofessions de santé.

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– sur les contours des relations de l’État avec lesacteurs territoriaux : l’État participe à la définitionde nouveaux métiers de soins et des modesd’organisation, soit en autorisant des agentsdécentralisés (régions, Agences régionales del’hospitalisation, Caisses d’assurance-maladie,organismes complémentaires, etc.) à expérimenterde nouvelles formes d’organisation, soit enétablissant lui-même de nouvelles normes, à chargepour le niveau central d’être en capacité de définirdes règles nationales ou, à tout le moins, un cadrenational. Le cadre législatif n’étant bien souvent pasadapté à l’émergence des initiatives locales, celles-ci se situent souvent en marge, avec le risque quecela implique en termes de responsabilité. Lamanière dont l’État parvient à capitaliser et àévaluer ces initiatives est également un élémentessentiel.

Face à une vision statique, qui reconnaît la pénuriecomme donnée de base et justifie tout aussi bien ledéversement de nouveaux moyens ou le ration-nement, l’approche analytique et prospective desfacteurs d’évolution, des rôles et relations desacteurs doit permettre de déplacer les lignes en sedégageant des questions intraitables (quelle est ladensité optimale sur un territoire ?), des blocagescorporatistes (la sécurité comme justification del’intangibilité des contours de métiers), pour donnersens à des ressources trop souvent présentées dansun registre incantatoire (la contractualisation, lesréseaux, la démocratie sanitaire, la décentra-lisation) et sans négliger le puissant vecteur deréallocation des ressources que constitue latarification et donc l’émergence d’une politique desrevenus adossée à des priorités identifiées.

Au-delà de ces réflexions sur les métiers de lasanté, l’analyse mérite d’être conduite sur lesressources mobilisables (quelle attractivité desétudes scientifiques ?) et sur l’évolution descarrières scientifiques dans le champ de larecherche en santé.

5.4. L’hôpital : management et territorialisation

Efforçons-nous, là encore, de sérier les problèmeset d’explorer les opportunités fournies par lesinnovations. Les préoccupations de l’État sont deplusieurs ordres. L’hôpital, dans sa composanteuniversitaire, est un lieu de formation et deproduction de savoir ; c’est un argument del’attractivité en matière de recherche clinique ;c’est à la fois un lieu de soins de pointe et depremier recours, organisé pour les épisodes aigus etdevant affronter la durée ; c’est aussi un élémentstructurant d’un système de santé plus large.L’hôpital public est aussi un segment significatif dumodèle administratif de production, en concur-

rence durable avec des opérateurs privés, ce quifait un des intérêts de ce terrain. Le secteurhospitalier, c’est enfin près de 45 % de laconsommation de soins et biens médicaux(61 milliards d’euros en 2002).

Comme toute organisation publique, le secteurpublic est redevable d’analyses en termes deperformance au titre de sa double fonction deproduction.

• La modernisation de la gestion rend compte del’objectif d’efficience de l’organisation ; s’il est descontraintes spécifiques au secteur public, celles-cidoivent être révélées pour que jouent par ailleursles règles de gestion par la performance. Lestravaux de la Mission nationale d’expertise etd’audit hospitaliers révèlent ainsi des tempsd’attente aux urgence très disparates, des écarts deprix très importants pour l’achat d’un mêmeproduit, une très grande hétérogénéité dansl’utilisation des équipements (productivité parmachine, par médecin…).

Si les carences sont d’ordre managérial, commentdonner aux acteurs de l’hôpital public une véritableresponsabilité de gestion ? Quels sont les outils degestion et les systèmes d’information nécessaires ?Quels principes pour la réforme de la gouvernanceinterne ? Quelle place pour les malades dansl’évaluation de la qualité des soins ?

• Au-delà de la performance interne del’organisation, l’analyse du contexte d’action estessentielle. L’idée de territorialisation est lareconnaissance de l’importance du contexte : quelrôle pour les ARH en termes d’accès aux soins,d’allocation des ressources, d’audit ? Quel rôlepour les élus locaux demain ? Le rôle de l’Étatcentral se dégage plus facilement si on sort d’unelogique de moyens (où la compétence de l’États’exerce dans la répartition plus ou moins opaqueentre les intérêts) pour aller vers une gestion par laperformance (adaptée aux caractéristiques dusecteur), si les outils de tarification sont mis enœuvre, si une place est faite à la gouvernance deproximité. Quelle péréquation ? Comment revoir larépartition de l’offre de formation et la carte desCHU en particulier ? Comment exercer au mieux lesoutien à la recherche clinique ?

L’innovation technique, les contours de larecherche clinique, les changements de tous ordresqui marquent l’environnement de l’hôpital forcentaujourd’hui les organisations hospitalières à plus deréactivité. Les innovations fournissent aussi lesressources de ce changement : les technologies del’information recèlent des opportunités en termesde coordination, de conciliation des contraires(sécurité/proximité), de constitution des systèmes

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d’information. Les ressources managériales éprou-vées sont susceptibles d’éclairer le fonctionnementdes organisations hospitalières.

5.5. Individualisation des contraintesou organisation d’un secteur

À l’instar du corps médical, les gestionnaires ontlongtemps considéré le consommateur de soinscomme ignorant et inconséquent. Même sibeaucoup d’analyses accréditent cette vision deschoses, le développement d’un «consommateuréclairé» n’est pas forcément chimérique, àcondition cependant de bien analyser sa fonctionde consommation, de tenir compte de laspécificité du financement et, sans doute, de biendistinguer les situations d’urgence et de détressedes situations courantes de recours à la médecine.La délivrance d’une information de qualitévalidée, l’organisation des usagers (rôle desassociations), les modalités de traitement desplaintes ou des conflits deviennent ici primor-diales. La mutualisation réalisée par l’assurancepublique n’impose par ailleurs pas forcément unmodèle unique de prise en charge.

La liberté de choix du praticien par le patients’exerce aujourd’hui largement en aveugle. Dumoins, l’information sur la qualité des pratiques,des références professionnelles, de la formationcontinue n’est-elle pas équitablement partagée. Onn’a de cesse par ailleurs de dénoncer le nomadismedes patients, les abus de consultations ou deconsommations.

Un certain nombre de dispositifs ont étéexpérimentés ou sont envisagés pour tenter delimiter, même à la marge, cette «liberté de choixaveugle» au nom précisément de la qualité(certification des pratiques, continuité et coor-dination des soins, etc.) : organisation en filièreautour d’un référent, organisation en réseaucoordonné à partir d’un pôle médical, réseaucoordonné à partir des assureurs.

La diffusion large de l’information sur la qualité, viales nouveaux médias notamment, prétend enrevanche éclairer directement les choix deconsommation des usagers.

On peut penser que les deux types d’approche –organisation du secteur et individualisation – sedévelopperont simultanément et concurremmentmais de la pondération entre elles dépendra, pourune part, le type de régulation économiquepossible.

Les mécanismes d’incitation des usagers doivent àl’évidence s’adapter à l’évolution des pratiques, des

parcours de soins et du poids accordé par lesindividus aux contraintes concernant le choix dupraticien, à l’information sur la qualité, au prixrésiduel des prestations ou des biens de santé, etc.

La définition d’un panier de soins remboursablesprocède, par exemple, d’une logique de rationa-lisation a priori ; peu contestable mais extérieure àl’individu, elle n’est pas forcément cohérente avecle besoin de différenciation : la hiérarchie desprises en charge voulue par les usagers n’est passpontanément organisée en fonction du servicemédical rendu ; selon l’âge (cette question vaprendre de plus en plus d’importance avec levieillissement de la population), la situationpersonnelle, les individus privilégient tel ou tel typede dépenses. Qu’il s’agisse de définir un panier deconsommation ou d’éclairer le choix des usagers,la question de l’évaluation des pratiques et duservice médical rendu et celle de la transparencede l’information restent de toute façon entières.

La diversification des contrats d’assurance complé-mentaire, au-delà des conditions préférentiellesaccordées auprès de certains professionnels et de lacontrainte de choix qu’elles supposent, prend encompte la tendance à l’individualisation à travers ladifférenciation des types et des niveaux decouverture : plate-forme de services téléphoniquesindividualisés, remboursement au premier euro decertains actes : vaccins, dépistage, avantagesaccordés à certaines populations-cibles.

6. Conclusion :Donner du sens à la réformede la gouvernance

L’objectif peut sans doute être résumé en quelquesmots : la maîtrise par un État devenu stratège,moins interventionniste, développant des relationsnon asymétriques avec ses partenaires tout enaffirmant ses prérogatives, capable de donner lescritères de son action et soucieux d’évaluation etd’expérimentation.

La prospective est avant tout là pour aider àdébloquer le système, vaincre les inerties, se servirdes bons leviers. Son rôle est double : il s’agit,comme on l’a dit, d’éclairer les termes del’échange : fixer le cap (la trajectoire industriellequ’on entend privilégier, les fonctions de l’hôpital àrenforcer, etc.) et évaluer les transferts, sans s’enremettre aux solutions du passé.

Parmi les principes pouvant guider la réflexion enla matière, on retiendra :

– le renforcement de la capacité à évaluer : cettequestion essentielle montre tout l’intérêt qu’il y a àtravailler ensemble les champs de la prévention, de

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la sécurité sanitaire et des soins. À chaque fois, ilfaut mobiliser à la fois l’expertise scientifique etl’analyse socio-économique pour dire ce qui estdigne de valeur, organiser la délibération et décider.Les domaines de la prévention et de la sécuritésanitaire ont sans doute été précurseurs en lamatière. L’impact de ces problématiques sur lesmilieux économiques impose de prendre en compteles arguments des opérateurs. C’est là un progrès :arguments contre arguments, en matière desubstances chimiques, de risques sanitaires liés à lapollution… Même si la controverse peut être rude,elle suppose d’établir un langage commun et unsupport de valorisation (monétaire ou en termes devies sauvées). L’évaluation des pratiques médicalesapparaît de ce point de vue très en retrait ;

– la subsidiarité : la réflexion sur le rôle desdifférents échelons publics a la vertu immensed’ouvrir l’espace, à la fois sur l’international et surdes acteurs locaux diversifiés. À nouveau, il n’y apas – ou du moins il n’y aura plus – de dichotomieentre la santé publique (ouverte sur l’extérieur etfaisant une place aux acteurs locaux) et les soins(censés relever du domaine régalien). L’évaluationdes risques et des innovations sera de plus en plusarticulée au niveau national et européen, lareconnaissance des qualifications progresse,l’homologation des produits précède peut-êtrel’élaboration demain d’un référentiel commun enmatière de protection sociale. La valorisation desacteurs locaux progressera à la fois par l’évaluationdes besoins, la mise en œuvre concrète despolitiques de santé publique, la responsabilisationdes opérateurs locaux du secteur public, lesexpérimentations en matière d’organisation et decontours des métiers, la prise en charge concrètedemain des enveloppes financières ;

– ce schéma dégage, non par attrition mais entermes stratégiques, les prérogatives de l’État :sécurité, évaluation, allocation ordonnée sur lespriorités, péréquation, gestion des incitations.L’opération de «design institutionnel», conduite àtravers la mise en place du dispositif des agences,est l’une des principales innovations de la décennieécoulée. Elle mérite d’être évaluée et menée àterme : le paysage des agences doit sans doute êtrecomplété, renforcé (dans le champ de la sécurité autravail en particulier) et rationalisé, les relationsavec les gestionnaires peuvent être mieuxorganisées et simplifiées. Le ministère en charge dela Santé doit, quant à lui, achever sa mue : deministère du soin, replié sur le milieu professionnel,en véritable ministère de la Santé, ce qui supposepour lui d’aller au bout de ses compétences. LaStratégie ministérielle de réforme, récemmentélaborée, ne révèle pas spontanément les contoursde cette organisation à 10 ans (le ministère encharge de l’Emploi est ainsi apparu plus innovant

sur l’évolution du dispositif relatif à la santé autravail). Les programmes sous la responsabilité duministère de la Santé (élaborés dans le cadre de lamise en œuvre de la Loi organique relative aux loisde finances), en matière de prévention enparticulier, ne clarifient pas davantage le rôlestratégique de ce département ;

– une Haute Autorité de la santé s’insèreparfaitement dans le schéma en construction,à travers une compétence globale d’évaluationdes pratiques, des innovations et des pro-grammes d’action, sur laquelle s’appuieraientle Parlement pour délibérer des priorités et desmoyens à leur assigner et l’assurance maladiedans sa fonction d’acheteur de soins. Lesconditions des progrès des années récentesdoivent en tout cas être méditées par cesinstitutions : les pratiques ont progressé, sousl’influence des acteurs associatifs et grâce àl’élaboration d’une éthique – encore un peufruste – de la discussion sur les questions desanté et à un effort d’ingénierie qui, là encore,gagne beaucoup à l’ouverture sur l’interna-tional (conférences de consensus, conférencescitoyennes, etc.).

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ARIANE

Prospective de la conduite du changementdans le secteur public

La conduite du changement dans le secteur public : premiers résultats

Comment conduire le changement dans le secteurpublic ? Telle est la question explorée par Ariane.Le point de départ fut un constat simple : enmatière de réforme de l’État, si le contenu desprojets est souvent débattu, le processus – c’est-à-dire la méthode pour les mettre en œuvre – restebeaucoup moins étudié. Or le processus ne va pasde soi. Il n’est d’ailleurs pas fortuit que la conduitedu changement forme un sujet à part entière dansla littérature du management des entreprises.

La question du «comment faire» est inséparable del’action. Elle implique de sortir des sentiersthéoriques pour se pencher sur les aspects trèsconcrets de diverses expériences de réforme. C’estpourquoi Ariane part des témoignages d’acteursayant directement pris part à la conception et à lamise en œuvre de changements au sein du secteurpublic. Plusieurs dizaines d’auditions au Plan etd’entretiens au sein des administrations concernéesont été réalisées ; des directions d’entreprisesprivées, des chercheurs et des consultants ontégalement été interrogés (cf. Le Quatre Pages n° 1sur le site du Plan). Si le but de Ariane est derepérer les meilleurs processus permettant de faireaboutir les réformes conduites dans le secteurpublic, il est aussi de souligner que les réformessont possibles, à travers l’examen de changementsréussis et pourtant méconnus.

Réfléchir à la conduite du changement au sein dusecteur public permet également d’aborder les troisdimensions clefs de l’État stratège. L’Europe compteparmi les principaux facteurs qui poussent le secteurpublic à se réformer. Soit parce qu’elle modifie lamission d’une administration : c’est le cas pour lesDouanes avec l’ouverture des frontières. Soit parcequ’elle concurrence les missions traditionnelles decertaines administrations : c’est le cas pour lesprérogatives en matière multilatérale de la Directiondes relations économiques extérieures. Soit enfin, defaçon générale, parce que le pacte de stabilitéimpose une rigueur budgétaire qui est devenue l’undes principaux aiguillons du changement. La dimen-sion territoriale importe également : conduire lechangement au sein du secteur public consistesouvent à modifier des implantations ou un maillageadministratif. Cela insère dans le processus de

changement les acteurs locaux, parmi lesquels lesélus ; bien souvent, ceux-là même qui exigent àParis que l’État se rationalise refusent en région quece changement concerne leur ville ou leurcirconscription. Cette schizophrénie ne facilite pas latâche des responsables chargés de conduire lechangement. Enfin la prospective : commentréussira-t-on demain à conduire le changement ?

Ce document est un bref rapport d’étape. Iln’apporte pas de conclusions définitives maisprésente les premiers résultats sur lesquels laréflexion est en cours. Il s’organise en trois temps :d’abord la description rapide des principaux casétudiés, puis l’exposé d’un modèle d’analyse en sixpoints, enfin la présentation de trois paradoxesintéressant la réforme de l’État.

Partir de l’expérience des acteurs

Les cas étudiés sont choisis en fonction de l’intérêt etde la diversité qu’ils présentent du point de vue de laconduite du changement. Quatre d’entre eux sontprésentés ici mais d’autres sont en cours, quiélargiront la palette des problématiques et permettrontdes comparaisons avec le secteur privé et l’étranger.

Au ministère des Finances :les Douanes et la DREE

• Les Douanes offrent l’exemple type d’uneadministration poussée au changement par unévénement extérieur, susceptible de menacer sonexistence même : l’ouverture des frontières commu-nautaires le 1er janvier 1993. Anticipé dès 1988, cechangement majeur a entraîné le redéploiement de3.000 agents et la fermeture de nombreusesimplantations, ce en moins d’un an et demi et sansdonner lieu à des mouvements sociaux importants.Les Douanes ont su faire évoluer leurs missions (luttecontre le terrorisme, rôle lors des crises sanitairescomme celle de la «vache folle»), mais aussirécupérer au sein du ministère des Finances desmissions «délaissées» sur lesquelles consolider leuravenir. C’est le cas des Contributions indirectes (CI),dont les Douanes ont hérité en 1993 de la Directiongénérale des Impôts. Les Douanes ont mené à bienune réforme importante des CI : plusieurs millions de

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formulaires ont été supprimés ; cette simplificationau bénéfice des usagers s’est accompagnée d’unerationalisation du maillage territorial (fermeture de230 recettes locales ; le réseau de correspondantslocaux est passé de 4.500 à 300).

• Le processus de réforme à la Direction des relationséconomiques extérieures (DREE), concurrencée surses missions par d’autres acteurs, a démarré en 1992.À une identification des attentes à l’égard de la DREEa succédé une réflexion sur les métiers de celle-ci.Puis deux outils ont été mis en place pour mieuxservir ces métiers : un système d’information et unprocessus qualité, aboutissant à une certification ISO9001. En parallèle, la contractualisation des objectifset des moyens de la DREE avec la direction du Budgetlui a permis de réinvestir les économies qu’elle avaitréalisées. Le processus de réforme a nécessité unpilotage stratégique pour faire partager les orientationsà l’ensemble du réseau de la DREE. Enfin, depuis mai2002, un rapprochement entre les réseaux inter-nationaux de la DREE et du Trésor a été entrepris.

Au sein de la Défense :la DGA et la DCN

En 1996 fut décidée la professionnalisation desarmées pour répondre au nouveau contextestratégique. Six ans plus tard, les effectifs des arméesont diminué de 40 %, des garnisons ont étésupprimées dans des dizaines de villes, des dizainesde milliers de contractuels ont été recrutés, etc. Dansce secteur en plein bouleversement, deux casparticuliers ont été analysés : la Délégation généralepour l’armement (DGA) et la Direction desconstructions navales (DCN). Contrairement à l’idéereçue, ces cas n’ont pas de «spécificité militaire» :les agents de l’État y sont en majorité des civils(85 % à la DGA) et ces cas mettent en lumière desproblématiques semblables à celles identifiées parailleurs.

• À la DGA, le principal facteur poussant à laréforme était budgétaire : l’objectif était de gagneren productivité. L’approche a consisté à appliquerà la DGA les méthodes de restructurationsutilisées dans le secteur industriel privé : cereenginering fut conduit par un nouveau Délégué,Jean-Yves Helmer, issu de l’industrie automobile.Cette réforme fut lancée en avril 1996 à traversdouze chantiers qui déclinaient quatre objectifs :recentrer les missions de la DGA sur son cœur demétier, fonctionner en mode projet, allouer auxactivités des moyens dimensionnés au plus juste,enfin instaurer un contrôle de gestion. Six ans plustard, la DGA fonctionnait avec un quart depersonnel en moins et avait obtenu la certificationISO 9001.

• La DCN, héritière des arsenaux fondés parRichelieu, souffrait d’une confusion des genresentre ses fonctions de donneur d’ordres (spéci-fication des bâtiments pour la Marine) et deprestataire (production de ces mêmes bâtiments) ;des dérives de gestion résultant de cette confusionfurent soulignées par la Cour des comptes en 2001.Le 6 juillet 2001, l’État prit la décision detransformer la DCN en société anonyme en vue depermettre l’embauche de personnel avec descontrats de droit privé, plus adaptés à une activitéindustrielle, et de faciliter des alliances industriellesen Europe. Les personnels actuels pouvaientconserver leur statut, et l’État garantissait à la DCNl’entretien de la Marine, moyennant des gains deproductivité. Le 30 mai 2003, la DCN est devenueune société de droit privé à capitaux publics. Leseffectifs sont passés de 21.700 agents en 1995 à13.300 en 2003.

Un modèle d’analysepour la conduite du changement

Les études de cas ont permis d’identifier sixcomposantes récurrentes et déterminantes pour laconduite d’un changement : un terrain, unmoment, un projet, un soutien politique, deshommes et des femmes, enfin un pilotage. Lesuccès d’un changement réside dans la conjonction– qui tient plus de l’alchimie que de la logique pure– entre ces six composantes. S’il est impossibled’affecter à chacune une pondération, reste quetoutes ont leur pertinence pour éclairer lesmécanismes de mise en mouvement d’unchangement. À ce stade, ce modèle est descriptif etnon prescriptif : il offre une grille de lecture, nondes recommandations.

1. Un terrain – Établissement public, directioncentrale, ministère tout entier : la réforme s’opèresur un terrain dont l’histoire, la culture et certainscaractères importent du point de vue de la conduitede changement. La taille compte : la difficultésemble proportionnelle à la taille de l’organismeconsidéré et au nombre de ses agents. Cela sembleplaider pour la décomposition d’une réformeglobale en système de réformes sectorielles. Parexemple, la DGA et la DREE constituent des sous-ensembles de taille réduite au sein de leurministère respectif. La proportion de personnelscontractuels importe, puisque ces agents répondentà des règles de mutation, de mobilité voire delicenciement plus souples que celles résultant dustatut général de la fonction publique et del’interprétation qui en est faite. Les précédents :l’exemple de la DREE ou des Douanes soulignecombien un changement réussi peut préparer leterrain pour un nouveau changement, en un cerclevertueux favorable à la réforme.

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2. Un moment – C’est-à-dire un contexte qui peutêtre plus ou moins favorable au changement, enraison d’éléments soit internes (relatifs au terrain),soit extérieurs. Contribuent à ouvrir cette fenêtred’opportunité la situation budgétaire, la concur-rence de l’administration concernée par d’autresacteurs privés (cas de la DCN par d’autresindustriels) ou publics (cas de la DREE par laCommission européenne ou le Trésor) et l’émer-gence de nouvelles exigences chez les usagers. Lerôle de la conjoncture économique a été noté dansle cas de la DREE.

3. Un projet – On touche ici au fond de la réforme,c’est-à-dire à une vision articulée et motivée duchangement à entreprendre. Cette composante estd’ordinaire la mieux approfondie : les projets deréforme sont, sur le fond, travaillés et mûris au fildes rapports et des commissions. Le projet doitaussi répondre aux enjeux du moment et tenircompte des contraintes du terrain. Une distinctionintéressante est apparue : le changement doitchoisir entre le «macro» et le «micro» mais éviterd’aborder les deux de front. Une réforme d’ensem-ble gagne à ne pas modifier les élémentsd’organisation locale ou quotidienne qui servent derepères aux individus. Il semble que l’on puissed’autant mieux réformer le «macro» que le «micro»reste stable, et inversement.

4. Un soutien politique – Conduire le changementau sein du secteur public nécessite l’appui de lavolonté politique, qui peut prendre plusieurs formes.Un facteur indubitable de succès est l’engagementrésolu, public et constant (si possible d’une majoritéà l’autre) du ministre concerné ; par exemple, laréforme de la DCN, dans ses dimensions militaires,industrielles et financières, a pu s’appuyer succes-sivement sur Alain Richard à la Défense puis FrancisMer aux Finances. La proximité de l’acteur clef de laréforme avec sa tutelle politique est égalementimportante : par exemple, Jean-Dominique Comolli,directeur général des Douanes, avait été directeur decabinet de Michel Charasse, ministre du Budget etchargé de cette même administration ; de même,Jean-François Stoll à la DREE a pu compter sur lesoutien du ministre de l’Économie, DominiqueStrauss-Kahn. Le soutien politique entretient un liencomplexe avec l’opinion publique et les usagers,lien qu’il conviendra d’explorer plus avant.

5. Des hommes et des femmes – Pour le meilleurou pour le pire, un changement tend à s’incarnerdans une figure, plus ou moins dotée en charismeou en autorité – éléments impossibles à quantifier,mais qui n’en sont pas moins déterminants. Il s’agitde celui ou celle à qui revient la responsabilité deconduire le changement, et avec qui celui-ci finitpar s’identifier. En retour, le risque de cette

personnalisation est que tout nouveau responsableveuille conduire «sa» réforme.

Dans l’esprit de ceux qui les ont vécues, les réformesde la DREE, de la DCN ou de la DGA sontinséparables, respectivement, des personnalités deJean-François Stoll, Jean-Marie Poimbeuf et Jean-Yves Helmer. Celui-ci par exemple, ingénieur,disposant d’une expérience de 25 ans dansl’industrie automobile, maîtrisant les processus derestructuration qui y ont permis les augmentations deproductivité que l’on connaît, est arrivé seul à laDGA, sans équipe, en 1996. Il a modifié la structurede direction, instaurant le vouvoiement (c’est-à-dire«la distance qui permet de commander»), déména-geant tous les directeurs pour les avoir à côté de lui,au même étage, et ainsi «s’imposer aux barons de laDGA».

Autour de cet individu peut se trouver une équipe,une «garde rapprochée» qui peut être réunie eninterne ou en faisant appel à des appuis extérieurs(équipes de consultants), comme ce fut le cas à laDCN. L’un n’empêche d’ailleurs pas l’autre.

6. Un pilotage – Enfin, une méthode doit lier toutesces composantes pour piloter concrètement lechangement : depuis la conception de la réformejusqu’à la vérification de sa mise en œuvre, voirel’évaluation de ses premiers résultats. Les acteursinterrogés mettent notamment l’accent sur lesaspects suivants. En amont, comment motiver, etce dans les deux sens du terme ? Motiver laréforme : en faire partager les motifs, mais aussimotiver concrètement ceux qui devront la traduireen actes. En aval, comment valoriser une réformeréussie et ceux qui y ont pris part ?

Cela soulève les questions de la mobilisation et dela communication (interne et externe). À la DGA,par exemple, la mobilisation du personneld’encadrement a été intense. Pour le chantier n° 4,une enquête de concertation a été organisée : desateliers de réflexion ont été organisés à travers toutela DGA sur l’utilisation des ressources, le mana-gement et le contrôle de gestion, les objectifs, lesclients. Cette concertation a donné lieu à plus de300 pages de contributions. Par ailleurs, dans unautre style, des «grand messes» réunissant 3.000personnes au Palais des Congrès, ont marqué lestemps forts de la mise en œuvre de la réforme.

Enfin, des outils budgétaires, notamment lescontrats de performance, permettent d’organiserune visibilité sur les moyens à venir pour lastructure en phase de changement et d’assurercelle-ci de bénéficier d’une partie des gains deproductivité obtenus. D’autres aspects de processus– par exemple l’équilibre entre secret et transpa-

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rence ou le rythme de la réforme – doivent encoreêtre documentés.

Trois paradoxes sur la réforme de l’État

Au fil des entretiens et des analyses sont peu à peuapparus trois paradoxes de nature à éclairer, au-delà de la conduite du changement dans le secteurpublic, le champ de la réforme de l’État.

Le paradoxe budgétaire

Il faut réformer pour économiser, mais il fautdépenser pour réformer. La rigueur budgétaire est undes principaux facteurs déclenchant le changement,au point qu’économiser les deniers publics s’imposeparfois comme le but dominant de la réforme, audétriment d’autres objectifs, notamment l’améliorationdu service public rendu à l’usager ou les conditionsde travail des agents. Mais bien réformer exige desmoyens budgétaires, permettant d’accompagner lechangement, par exemple pour faciliter le reclasse-ment ou une nouvelle implantation géographique desagents.

L’état actuel des finances publiques a donc un effetambivalent. Aiguillon en faveur du changement, illimite par ailleurs les moyens qui lui sont pourtantnécessaires. Or une réforme différée ou mal menéefinit par coûter cher. Pour plusieurs des acteursinterrogés, l’état des finances publiques devient telque celles-ci n’offrent plus les moyens suffisantspour conduire le changement de façon pertinenteet surtout durable. «L’impasse» budgétaire sedouble d’une impasse managériale.

Conduire le changementsans changer de système ?

Plusieurs acteurs interrogés soulignent qu’il leurfaut conduire des changements au sein d’unsystème qui demeure, lui, inchangé et dont descadres fondamentaux sont de puissants freins auchangement. La gestion des ressources humainesreste le premier obstacle, notamment en raison del’éclatement de la fonction publique en nombreuxcorps et de la difficulté à promouvoir ou récom-penser les agents contribuant au changement.

Un autre frein est constitué par la gestion desachats et le code des marchés publics ; dans le casde la DCN, alors qu’une frégate et son équipageattendent une réparation, comment justifier deperdre sept mois en procédure d’appel d’offresavant de pouvoir louer un bassin de cale sèchequ’une société privée pourrait, elle, obtenir dansl’heure ?

Aussi est-il parfois nécessaire, pour conduire lechangement, de sortir du système. Concernant la

DCN, une société dédiée, DCN Développement,fut mise en place afin que la conduite de la réformesoit facilitée par les règles des sociétés de droitprivé (ne serait-ce que pour l’achat des ordinateursdes membres de l’équipe). Cette structure permitd’employer les compétences (juridiques, finan-cières, de management) que l’administration nepouvait pas fournir dans les temps. Ainsi, aborderla réforme de l’État sous l’angle du processuspermet d’éclairer ce qu’il conviendrait de changersur le fond en priorité.

Le paradoxe de la réforme réussie

La réussite du changement se retourne-t-ellecontre l’administration concernée ? Bien desacteurs interrogés reconnaissent un risque en lamatière. Loin d’être récompensé, le changementmené à bien peut être pénalisant.

D’une part, les gains d’efficacité et de productivitése traduisent – du point de vue des acteurs – parune perte de pouvoir dans le système global. À laDGA par exemple, le sentiment domine que cetteréforme, qui «devrait être citée en exemple»,semble in fine lui porter tort : le poids de ladélégation au sein du ministère de la Défense ayantdiminué avec ses effectifs, la DGA est en situationde faiblesse lors des arbitrages et perd peu à peu deses ressources. Le sentiment est similaire auxDouanes : les gains de productivité réalisés,avance-t-on, sont supérieurs à ceux enregistrésdans les «grandes» directions. Mais «pesant» moinslourd que celles-ci, les Douanes y gagnent unemoindre reconnaissance.

D’autre part, il semble que des effortssupplémentaires soient en priorité demandés auxadministrations qui ont déjà apporté ladémonstration qu’elles savaient se réformer ; c’estl’impression au ministère de l’Équipement, réputé«efficient» et vers lequel on se tourne doncvolontiers lorsqu’il s’agit de geler des crédits. Ilen est de même pour la DGA, qui est mise àcontribution plus que d’autres dans les réductionsbudgétaires : «on est parti pour payer deux fois».

En outre, une réforme réussie ne rencontre pastoujours auprès de l’opinion publique la reconnais-sance attendue. À l’instar des trains qui arrivent àl’heure, il semble qu’une réforme réussie connaisseune moindre renommée que les réformes avortées. Ilest d’ailleurs peu fréquent que l’on capitalise lesbonnes pratiques d’une expérience à l’autre. Rarecontre-exemple, la DREE a été consultée par leministère des Affaires étrangères, témoignant del’intérêt d’une «dissémination» des expériences dechangement. Comment assurer une sorte d’appren-tissage collectif de l’État en matière de conduite duchangement ?

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Comment réussira-t-onà réformer demain ?

Le diagnostic qui s’ébauche aide à comprendrecomment le changement est conduit aujourd’hui ausein du secteur public. Puis viendra l’étape de laprospective : comment conduira-t-on le changementdans le secteur public de demain ? Quels scénariosimaginer ? Les variables apparaissent : les scénariosseront différents selon que la fonction publiquerestera adossée au statut actuel ou non, et selon quel’interprétation de ce statut évoluera ou non. Ilsdifféreront en fonction de l’évolution de laproportion de contractuels au sein de la fonctionpublique comme de l’ouverture de celle-ci à desfonctionnaires européens. L’évolution des financespubliques aura un impact majeur. Les effets de la loiorganique relative aux lois de finances (LOLF)compteront également, soit que le fonctionnementpar objectifs se généralise, soit qu’il serve deparavent à la permanence de logiquesinstitutionnelles.

Cela dit, Ariane éclaire moins une destinationqu’un chemin. Les autres Groupes de projet duPlan contribuent, chacun dans leur domaine, àproposer une vision de l’État-stratège dans 5 à 20ans : leurs travaux de prospective identifientplusieurs destinations possibles, entre lesquellesil reviendra au décideur politique de choisir.Mais le chemin qui mène à ces destinationsnécessitera des changements à conduire : làintervient Ariane.

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ASTYPALEA

La promotion par l’État d’un environnement financierfavorable au développement des entreprises

Prospective des conditions financières du développement des entreprises

Le projet Astypalea porte sur l’organisationfinancière que l’État est susceptible de promouvoirafin de favoriser dans une perspective de longterme le développement des entreprises, l’éclosionpuis la maturation de nouveaux secteurs. Ladémarche comporte trois dimensions essentielles.Elle se fonde tout d’abord sur un diagnosticempirique concernant l’étroitesse de la baseproductive en France : secteurs d’activité et taillesd’entreprises sous-représentés en comparaisoninternationale. Elle élabore ensuite une analyseprospective sur les trajectoires de développementdes entreprises, croissance interne ou croissanceexterne, différenciées selon les secteurs, dans le butde spécifier les contraintes qui pèsent sur la levéede fonds tout au long de la vie de l’entreprise. Ellefocalise enfin l’attention sur les enjeux financiersqui conditionnent la maturation des projets dans lessecteurs novateurs en termes de produits ou d’or-ganisation, ainsi que dans les services riches encapital humain.

Les paradoxesd’un désengagement apparent de l’État

Bien que son rôle se soit profondément modifié aucours des vingt dernières années, l’État reste unacteur primordial dans l’organisation du finance-ment de l’économie. Dans l’après-guerre, sonaction visait à définir les priorités du dévelop-pement industriel et orienter les flux de finan-cement. Depuis vingt ans, elle impulse unemutation financière de grande ampleur. Larecherche d’une plus grande stabilité monétaire, ladéréglementation visant un décloisonnement desmarchés financiers, et la modernisation des placesboursières sont au cœur de ses priorités. Les réfor-mes entreprises, et notamment les privatisations,témoignent d’un désengagement de l’État vis-à-visde la sphère économique et la volonté de s’enremettre aux marchés pour guider de manière effi-ciente les choix d’investissement. Ce changementde cap nécessite la mise en place de nouvellesinstances de contrôle et le respect de nouvellesrègles de prudence pour fixer le cadre du jeu. Cetteaction régulatrice est confiée à des autoritésindépendantes : la Banque Centrale, l’Autorité desmarchés financiers...

En dépit de son apparent désengagement, il y atout lieu de croire que l’État risque d’êtrefortement interpellé dans la décennie à venircomme garant de l’efficacité de la mutationaccomplie.

• Premièrement, la montée de la finance demarché s’est traduite par un déclin des fonctionsde transformation des échéances et demutualisation des risques qui étaient au cœur dela finance de banque avant les années 1980. Lesrisques sont reportés sur les épargnants, et toutl’enjeu consiste à les attirer, grâce à unediversification judicieuse de portefeuille, sur lesproduits longs qui sont nécessaires au dévelop-pement des entreprises : actions cotées ou noncotées, obligations et autres titres négociablesdont la valeur peut fluctuer. Dans ce contexte,L’État est de plus en plus sollicité pour faciliterl’adéquation entre les ressources et les besoins definancement par des mesures d’ordres régle-mentaire et fiscal.

Dans la période récente, on assiste à unemultiplication des fonds spécialisés et desincitations fiscales qui sont supposés répondredans chaque cas à une difficulté particulière definancement : fonds pour les «jeunes pousses»,pour l’innovation, pour les entreprises deproximité, pour les retraites, pour l’investissementsocialement responsable… Mais ce fraction-nement risque de soulever des problèmes decohérence dans les efforts entrepris pour canaliserla finance.

• Deuxièmement, alors que les choixd’investissement relèvent d’un arbitrage décen-tralisé entre le coût de financement et la rentabilitéanticipée des projets, l’État continue d’exercer uneinfluence déterminante sur les termes de cetarbitrage. Face à des marchés de plus en plusouverts à la concurrence, sa politique macro-économique et sa politique sectorielle agissent surles risques qui pèsent sur les entreprises, et doncsur la prime qui renchérit leur financement. Parailleurs, la fiscalité et les mesures de redistributionont un impact direct sur la rentabilité desentreprises.

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L’attitude de retrait adoptée par l’État vis-à-vis dela finance et de l’entreprise suscite de vivescontroverses sur la nature de ses responsabilités.La subjectivité collective se nourrit de troisreprésentations de la finance qui sont chacuneporteuse d’une vision particulière de l’intérêtgénéral.

• La première représentation mise sur lamodernisation et l’efficience des marchésfinanciers pour assurer au mieux l’allocationdu capital, c’est-à-dire pour canaliser lesressources vers les secteurs porteurs decroissance et de compétitivité. Selon cetteoptique, l’État doit améliorer la qualité del‘information comptable, promouvoir uneharmonisation des règles de concurrence etsupprimer les distorsions fiscales qui entra-vent le développement des entreprises.

• La seconde représentation se focalise sur lesphénomènes d’instabilité, les brusquesembardées des marchés financiers et elle tendà mettre en relief les caractéristiquesmimétiques et chaotiques de la finance. Ellesouligne aussi l’ascendant des logiquesfinancières sur les logiques industrielles, le«court-termisme» des marchés qui alimentel’engouement. D’où des plaidoyers constantsen faveur d’un encadrement des flux financierset des pratiques spéculatives qui déstabilisentl’activité économique.

• La troisième représentation s’intéresse auxenjeux de pouvoir et aux rapports de forcesqui se nouent sur les marchés financiers. Lescréanciers sont suspectés d’exercer un «diktat»à travers l’établissement de normes élevées derentabilité sur fonds propres, et les banquescentrales sont volontiers stigmatisées pour leuraction timorée, plus soucieuse de stabilitémonétaire que de croissance et de pleinemploi. Cette vision critique appelle uneaction volontariste de la part de l’État, voiredes réformes radicales pour contrecarrer lesasymétries les plus flagrantes.

La diversité des représentations de la finance reflèteles espoirs et les désarrois suscités par l’évolutiond’une société qui cherche à valoriser à la fois laresponsabilité individuelle et la solidaritécollective. Le prisme de la finance appelle unnouveau regard sur l’activité réelle et financièrepour orienter l’action de l’État.

Partir de l’entreprise

Interroger les faits recèle toujours son lot desurprises. Force est de constater qu’il existe peud’éléments permettant de cerner l’impact de l’avè-

nement de la finance de marché sur les per-formances réelles des entreprises. Les études sur lecoût du capital, sur la rentabilité des entreprises,sur les synergies générées par les opérations defusion-acquisition, sur les effets induits de lacroissance externe au plan macro-économiquelivrent des conclusions contradictoires. En l’absen-ce de données fiables, quel crédit accorder àl’existence d’un déficit en France de l’espritentrepreneurial, de la difficulté de faire naître denouvelles entreprises et pérenniser leur activité ?

Le rôle essentiel des PME en termes de productionde richesses et de création d’emplois, les obstaclesqui entravent leur éclosion sont des thèmes quiguident l’action des pouvoirs publics de longuedate. La loi Dutreil, «Pour l’initiative écono-mique», votée le 5 juin 2003 à l’Assembléenationale, conforte cette logique, et l’accélérationdes créations d’entreprises depuis son entrée enapplication accrédite son bien-fondé. Les dispositifspublics de soutien rapproché à l’entreprise au coursde ses trois premières années d’existence érigent laFrance au rang de modèle (voir Rapport d’enquêtesur les dispositifs étrangers d’aide à la création et audéveloppement des entreprises, Conseil général desMines, 2002).

Cependant, ces résultats, aussi heureux soient-ils,laissent de vastes chantiers encore inexplorés. Ilimporte en particulier de s’interroger sur l’oppor-tunité de recentrer l’action de l’État sur l’accompa-gnement du développement des entités pérennes,sans a priori de taille ou de statut.

• Le rôle moteur des PME dans la croissance del’emploi a récemment été nuancé par les travauxde F. Boccara (voir «Emploi : mythe des PME etréalités des groupes», Économie et Statistique,n° 319-320). Hier le vocable de PME recouvraitsurtout des entreprises indépendantes ; aujourd’huiil désigne de plus en plus des configurationshybrides très diverses. Entre 1984 et 1992, d’uncôté les PME contrôlées par un groupe ont vu leurseffectifs progresser de 300 000 ; de l’autre les PMEindépendantes ont au contraire détruit 270 000postes de travail. Ce constat jette un doute sur lareprésentation de «PME courageuses, mais fragiles,qui seraient pratiquement les seules à créer desemplois». L’apparent dynamisme des PME recouvrede fait un mouvement de réorganisation de laproduction aux aspects contradictoires : unemontée de la sous-traitance par externalisationd’une part, et un contrôle croissant des groupes surles entreprises émergentes d’autre part.

• Par ailleurs, l’analyse des réussites et des échecsd’entreprise montre que leur développement ne seconforme pas à un modèle unique de financementqui serait incarné par les PME de pointe cotées surun marché. Certaines entreprises patrimoniales ou

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familiales ont démontré aussi leur capacité à mettreen œuvre des dynamiques de développement delong terme résistant aux soubresauts des marchés.

Consolider l’assise empiriquede l’action publique

L’action publique est fondée sur des constats quidemandent à être mieux étayés au plan empirique.La «complainte du petit entrepreneur français» est-elle spécifique à notre pays ou est-elle inhérente àson statut, quelle que soit son attache géogra-phique ? Une comparaison internationale estindispensable et peut être étoffée en mobilisant uneinformation nouvelle encore peu ou mal exploitée.

• La démographie d’entreprises a fait un bondconsidérable au cours des années récentesconcernant les liens financiers entre entreprises.Cette approche permet de mettre en œuvre pour lapremière fois une comparaison robuste sur la tailledes entreprises de part et d’autre de l’Atlantique.

• L’exploitation des comptes consolidés d’entre-prise invalide le résultat qui paraissait jusque-làbien établi et selon lequel les petites entités seraientmoins bien dotées en fonds propres que lesgrandes, et qu’elles auraient en outre une meilleurerentabilité.

• L’analyse des performances des entreprises noncotées conduit à réévaluer leur poids économiqueet financier au sein du système productif.

Ces nouveaux sujets de réflexion permettent d’iden-tifier un certain nombre de tendances lourdes.

• Le déficit particulièrement prononcé d’entreprisesde taille intermédiaire en France par rapport auxÉtats-Unis, malgré un niveau similaire de créationd’entreprises, indique plus une difficulté à fairecroître et mûrir les projets qu’à les faire naître. Lastructure américaine des créations d’emploi depuis10 ans montre que la part qui revient à l’expansiondes entités existantes dans les créations d’emploisest très largement prédominante (95 %). À la vuede ces résultats, on peut supposer que le déficit decréation d’emplois entre la France et les États-Unisrelève moins d’un différentiel de création d’entre-prises que d’un problème touchant à la capacité àdévelopper en France les projets existants parcroissance interne.

• La rareté relative des ascensions permettant àquelques entreprises d’atteindre en peu d’annéesune taille élevée conforte le précédent constat.L’âge moyen des grandes entreprises ou de cellesentrant dans la cotation est par ailleurs beaucoupplus élevé en France qu’aux États-Unis.

• La tendance des grandes et des petites entreprisesà se développer par croissance externe (fusions,acquisitions…) explique que sur les marchésboursiers les achats de titres excèdent souvent lesémissions (flux nets négatifs). La montée enpuissance des marchés d’actions a bien suscité uneaugmentation des émissions brutes, mais celles-ciont surtout servi au rachat d’un capital déjàexistant. Ce phénomène prouve que les marchésfinanciers constituent autant des lieux de levée defonds pour financer l’investissement nouveau quedes lieux de recomposition et de contrôle descapitaux existants. Cette seconde fonction a deseffets encore mal identifiés sur la dynamique decroissance à long terme de l’économie.

• La difficulté des entreprises à émerger dans lessecteurs innovants et dans les services à fortcontenu en capital humain en France conduit àdévelopper une approche différenciée au plansectoriel.

Développer une analyse prospectivedes trajectoires d’entreprise

Mener une réflexion prospective sur les contraintesqui pèsent sur la levée de fonds tout au long de lavie de l’entreprise invite à dépasser l’interprétationpurement financière du problème posé et àexaminer ses dimensions culturelles, organisation-nelles et informationnelles. La nécessité d’élaborerdifférents scénarios tient aux changements liés àl’intégration financière en Europe, à la question dela taille critique sur un marché unifié, à la montéede secteurs à risques spécifiques, à l’évolution del’organisation des marchés et des formes departenariat d’entreprise.

• La diversité des trajectoires de développementdes entreprises montre qu’il est de moins en moinsprobable qu’une entreprise se développe de façonlinéaire dans l’avenir par croissance interne enorganisant une relation pérenne avec ses créan-ciers. Les trajectoires industrielles vont continuerd’évoluer sous le jeu des fusions-acquisitions, desLBO, de l’extension des marchés boursiers, et plusencore sous l’effet de nouvelles formes decoopération entre entreprises ou avec des insti-tutions publiques à l’échelle locale, nationale ouinternationale.

• L’intensification des liens financiers entreentreprises influence en profondeur leurs modalitésde développement. La plupart des études existantesconcentrent leur attention sur les PME, ennégligeant de s’intéresser aux contraintesauxquelles les grandes entreprises se heurtent elles-mêmes. Or, plus de la moitié de la valeur ajoutéeet de l’emploi en France repose sur des entreprises

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liées à un groupe. Selon ce constat, l’analyse dudéveloppement de nouveaux projets productifs nepeut être dissociée d’une réflexion sur la croissancedes grandes entreprises. Leur influence sur ledevenir des PME pose la question d’un équilibre àtrouver entre croissance interne et croissanceexterne. L’accent mis sur les relations de finan-cement intra-groupe fait apparaître les grandsgroupes comme des «quasi-intermédiaires finan-ciers» et comme des acteurs décisifs de larecomposition du capital au niveau national etinternational.

L’État doit intégrer dans sa stratégie les enjeux quitouchent à la recherche d’une taille critique par lesgroupes au niveau européen, à la maîtrise dumarché par l’acquisition de positions dominantes,ce qui implique de faire face aux coûts et auxrisques qui en découlent.

• La nécessité de tisser des liens entre les différentscompartiments des marchés financiers conditionnel’abolition des ruptures actuelles dans la chaîne definancement des PME innovantes. Aujourd'hui, peude PME françaises parviennent à la tailleintermédiaire, ce qui suggère une difficulté àsurmonter les crises de croissance. Selon cetteapproche dynamique, l’amélioration du finan-cement tout au long de la vie de l’entreprise passepar une reconfiguration des marchés financiers. Ledéveloppement du capital-risque nécessite en avall’existence d’un large marché des valeurs decroissance. Ainsi aux États-Unis, la liquidité desinvestissements du venture capitalism est favoriséepar les opportunités d’introduction en Bourse sur leNASDAQ, et par l’existence de groupes actifs prêtsà prendre le relais du financement des «jeunespousses». Ces opportunités de cessions permettentà l’industrie du capital-risque de réinvestir dans denouveaux projets.

• La possibilité d’une évolution différenciée de larentabilité et des risques de marché d’une zone àl’autre exercera une action décisive sur les fluxd’investissement. Un changement de position del’économie dans la hiérarchie internationale peutconstituer tour à tour un frein ou un stimulant pourle développement des entreprises. Au-delà de lamontée en puissance des pays émergents, il fauts’attendre à une intensification de la concurrenceentre les principaux pays développés, notammentdans les secteurs à haute valeur ajoutée.

• En dernier lieu, il convient d’élargir l’approcheen considérant les obstacles qui ne sont pas denature strictement financière. À ce titre, l’aversionpour le risque repose sur une multiplicité defacteurs englobant tout à la fois le niveau derichesse par tête, les systèmes d’incitation à

l’épargne salariale, la structure par âges de lapopulation. Il faut aussi s’intéresser aux freinséventuels qui tiennent à des spécificités culturelles,à des défauts de qualification des cadres dirigeants,à des obstacles juridiques.

Ces différents axes orientant l’analyse prospectiveconduisent à mettre en relief les retombées macro-économiques du processus de «destruction créa-trice», qui anime les entreprises à travers leursopérations de fusion-acquisition ou de cessions etd’externalisation. Dans quelle mesure l’extensiondes groupes contribue-t-elle à la croissance del’économie ? Doit-on transposer à la France lemodèle américain de type «Silicon Valley» avec unfort dosage de croissance interne des entreprises,ou doit-on arbitrer en faveur d’un développementpar croissance externe en donnant le leadershipaux grands groupes pour la mise en œuvre d’unestratégie d’innovation ? Répondre à ces questionsdoit notamment éclairer le débat concernantl’alternative essaimage/recentrage de la politiquepublique en faveur des entreprises.

Les clivages Europe/local et public/privé

Europe/local : La stratégie de l’État concernantl’organisation de la finance implique de s’interrogersur les niveaux de son action. Cette réflexion couvre,d’un côté, les moyens à mettre en œuvre pour unifier etapprofondir le marché financier européen afin defavoriser le financement du risque et notamment celui liéà l’innovation. Elle couvre, de l’autre, les préoccupationstouchant à la finance de proximité dévolue aux projets àvocation locale ou à spécificité forte.

Public/privé : Le questionnement sur l’aide publique desentreprises peut être renouvelé en se tournant versl’exemple américain et les dispositifs mis en œuvre par laSBA (Small Business Administration) en faveur des PME.Plus de 40 % des commandes publiques sont orientéesdirectement ou indirectement vers les PME et trèslargement dirigées vers les secteurs innovants (SmallBusiness Act). Cette part atteint seulement 12 % dans lecas français.

Selon la SBA, la stratégie industrielle américaine veille enpriorité à solvabiliser la demande des secteurs endéveloppement, réduisant le risque qui leur est attenant.La finance opère ainsi dans un univers plus efficient.Cette approche pragmatique illustre le fait que larésolution des problèmes de financement peut passer pardes canaux indirects visant à minimiser le risque qui atrait aux activités nouvelles (voir Livre Blanc des PMEinnovantes, Comité Richelieu, janvier 2003).

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ASTYPALEA

La promotion par l’État d’un environnement financierfavorable au développement des entreprises

L’État stratège, la finance et l’entreprise

L’État dans la transformationde l’environnement financierdes entreprises

La montée de la finance de marché est le fruitd’innovations informationnelles et d’une politiquepublique délibérée de déréglementation des mar-chés, destinée à favoriser leur décloisonnement,leur ouverture à une diversité d’opérateurs et deproduits. La privatisation des entreprises nationales,acte le plus emblématique de ces transformations,traduit la volonté de diffuser la propriété del’entreprise parmi les ménages et les salariés. Lesintentions qui ont guidé la stratégie de l’État depuis20 ans sont faciles à identifier :

• Accroître la liquidité et la profondeur desmarchés de titres afin de réduire leur volatilitéet d’en faire des lieux d’arbitrage efficients desrendements et des risques. L’objectif est destimuler l’épargne vers les secteurs porteurs. Lamonnaie unique parachève ce mouvement encréant un continuum de marchés au niveaueuropéen, libérés du risque de change.

• Rechercher la stabilité des prix par unepolitique de modération salariale, de contrôledes déficits publics et de consolidation del’indépendance de la Banque centrale. Cesorientations visent à réduire le risque demarché pour les épargnants.

• Accélérer la modernisation des produitsfinanciers, la mise à niveau en matièred’information et l’adaptation des dispositifs decontrôle afin de renforcer l’attractivité desmarchés aux plans national et européen.

En substance, l’État cherche à introduire le modèlefinancier anglo-saxon tout en restant fidèle auprincipe de stabilité du modèle allemand.

Jusqu’aux années 1970, le niveau modéré desrisques inhérents aux progrès technologiques et lequasi-monopole dont jouissaient les banquesdomestiques dans la distribution du crédit ontpermis au crédit bancaire d’assurer près de 80 %des financements externes accordés aux entrepriseset aux ménages. La part limitée des profits dans lavaleur ajoutée des entreprises est compensée par le

coût modeste du crédit bancaire. L’inflation dimi-nue le coût réel de l’endettement et la faibleconcurrence internationale sur le marché bancairedomestique autorise une faible rémunération descomptes à terme, et une exigence de rendementmodérée de la part des actionnaires.

Dans cet environnement où la prise de risque descréanciers est peu récompensée, l’État est un acteurclé du financement de l’innovation : soit directe-ment à travers de grands programmes de recherche(aéronautique, espace, nucléaire, ferroviaire,télécommunication…), soit indirectement par l’inter-médiaire des organismes de recherche (universités,CNRS...). Le rôle des PME reste marginal dans leprocessus d’innovation, en raison d’un faible accès àdes programmes dont le coût d’entrée est élevé, saufdans le cas des PME qui travaillent dans l’orbite d’ungrand groupe ou qui entretiennent des relationsprivilégiées avec une banque.

À partir des années 1980, la politique de déré-glementation des marchés monétaires et financiers aremis en cause le financement par crédit bancaire.L’adaptation de la réglementation européenneconformément aux principes de l’Union écono-mique et monétaire et l’application des directiveseuropéennes sur les services d’investissementimpulsent un processus de modernisation. Lesmarchés financiers s’ouvrent à de nouveaux interve-nants et à de nouvelles opérations : accès desentreprises au marché monétaire, création d’unmarché de billets de trésorerie et de certificats dedépôts, ouverture en 1983 du second marchédestiné aux PME performantes, financement de ladette publique par obligations, campagnes succes-sives de privatisation... Parallèlement, la surveillancedes opérations d’appel public à l’épargne estadoptée, notamment par l’accroissement des compé-tences de la Commission des opérations de Bourse(COB), puis par la création de l’Autorité des marchésfinanciers (AMF). Ces changements se traduisent parun recours plus important des agents aux marchésde titres et une désaffection relative à l’égard desautres types de ressources (dépôts pour les banques,crédits pour les agents non financiers). Les entre-prises passent d’un financement par crédit bancaire(intermédiation de banque) à un financement parémission de titres négociables (intermédiation demarché).

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Sous l’effet de cette mutation, les banquescommerciales ont réorienté leurs activités vers lesopérations de Bourse pour le compte des entre-prises et les placements financiers pour le comptedes épargnants en développant des véhiculescollectifs (OPCVM). Progressivement, les banqueset, dans une moindre mesure, les sociétés d’assu-rance se sont intégrées aux marchés financiers enprenant le contrôle de la majorité des OPCVM etdes maisons de titres.

La montée de la finance de marché a suscité undéclin des fonctions traditionnelles des banques,notamment celles de la transformation deséchéances et de la mutualisation des risques quiétaient au cœur de leur rôle d’intermédiation avantles années 1980. Aujourd’hui, les épargnantssupportent directement les risques et tout l’enjeu dela finance de marché consiste à les attirer, grâce àune diversification appropriée de portefeuille et undegré élevé de liquidité, vers des produits longs etdonc plus risqués : actions cotées ou non cotées,obligations et autres titres négociables qui sontdestinés au financement des entreprises et dont lavaleur est susceptible de subir de fortes fluctu-ations. Dans ce contexte, l’État est de plus en plussollicité pour assurer une mise en adéquation desressources et des besoins financiers en utilisant lelevier fiscal ou réglementaire (épargne salariale,plan d’épargne en actions, fonds commun deplacement innovation ou à risque).

Malgré les progrès accomplis pour drainerl’épargne domestique, le poids toujours croissantdes investisseurs étrangers dans la détention detitres privés au plan national signe à bien deségards que le système d’incitation n’est pas à lahauteur de l’aversion traditionnelle des épargnantsfrançais pour le risque. Il faut donc s’attendre à ceque l’État reste fortement interpellé sur ce terrain, etqu’il le sera probablement encore longtempslorsque l’on sait que le goût pour le risque estétroitement lié au niveau de richesse. Or lesménages français atteignent un niveau de richessepar tête inférieur de moitié à celui des américains.

Les interrogations liées à l’impactde la finance de marché sur la croissance

Si les principes qui ont guidé la stratégie de l’État etle comportement des agents dans le domaine de lafinance sont assez bien cernés, on ne peut pas endire autant des conséquences du développementdes marchés financiers sur la croissance. Lastructure de la dette des entreprises a nettementévolué en faveur des titres négociables et audétriment du crédit bancaire ; et il est clairementétabli que la rentabilité financière conditionne à lafois la capacité d’émettre de nouveaux titres etd’accéder au crédit. Mais le retentissement de ces

évolutions sur la stratégie des entreprises et leurcroissance suscite nombre de questions encore malrésolues et constitue un véritable défi pourl’analyse prospective.

• Quel est l’impact du basculement de lafinance de banque à la finance de marché surle coût du financement ? Les taux d’intérêtréels ont certes baissé au cours de la dernièredécennie, mais la hausse concomitante desrendements attendus par les actionnairesreprésente un renchérissement du coût dufinancement, ce qui renforce la sélectivité desprojets d’investissement.

• Dans un contexte de globalisation financièrequi tend à uniformiser les attentes derendement d’une place à l’autre, où se situe larentabilité des entreprises françaises encomparaison internationale ? La diversité desconventions comptables ne permet pasd’aboutir à un jugement tranché sur la base descomptes d’entreprise (CNCT, 1999). Les macro-économistes ne parviennent pas non plus à desrésultats convergents sur cette question(P. Askénazi, 2003, versus A. Sylvain, 2001). Yrépondre constitue pourtant un élémentdéterminant pour apprécier les effets du coût dufinancement sur l’investissement. Il convientnotamment de se demander si les deuxdernières décennies correspondent à unepériode de restriction en capital commecertains le pensent ou, au contraire, d’expan-sion du capital comme d’autres le croient.

• Les marchés ont-ils été globalementfavorables ou non à la levée de fonds et à lacroissance des entreprises françaises ? Durantles années de croissance molle dans lapremière moitié de la décennie quatre-vingt-dix, un large consensus s’est dégagé poursouligner les effets néfastes sur la croissancede la logique de désendettement qui caracté-risait à cette date le comportement desentreprises. À la fin de la décennie, c’estl’opinion inverse qui prévaut à travers unemise en garde concernant les dérives d’unendettement incontrôlé des entreprises. Cetteprise de position dénonce le recours intensif à«l’effet de levier» qui consiste à doper lerendement sur fonds propres en recourant àl’endettement afin de bénéficier de l’écartentre le taux d’intérêt et la rentabilité ducapital investi.

• Le redressement de la rentabilité et du tauxd’investissement en France semble un fait bienavéré dans les années 1980 et 1990. Pourtant ladénonciation d’un sous-investissement chroni-que, notamment dans les secteurs innovants,

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demeure lancinante. La finance de marché a-t-elle pour effet de stimuler la création d’entre-prises ? Là encore les faits sont parfois contre-intuitifs. Entre 1989 et 2000, le taux de créationd’entreprises tend à décroître en France, mais,plus étonnant encore, la même tendancecaractérise le marché américain en plein essorde la «Net économie».

Taux de création «pure *» d’entreprises en Franceet aux États-Unis, en % des entreprises existantes

6,0

7,0

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1997

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1999

2000

2001

2002

2003

États-Unis, anncienne sérieÉtats-Unis, nouvelle sérieFrance

* Cet indicateur élimine les rachats ou les recréationsSource : SBA, INSEE

• Si l’influence des marchés financiers sur lacroissance reste assez obscure, en revancheleur rôle crucial en matière de recompositiondu capital ne fait aucun doute. La course aucontrôle qui vise à renforcer les positions demarché des entreprises prédatrices, à générerdes gains en organisation ou à obtenir lamaîtrise de ressources immatérielles rares(recherche et innovation), s’est traduite parune vague sans précédent de fusions-acquisitions. Ce phénomène explique pourune large part que les achats de titres sur lesmarchés boursiers excèdent souvent lesémissions (flux nets négatifs). La montée enpuissance des marchés d’actions a biensuscité une forte augmentation des émissionsbrutes, mais celles-ci ont servi au rachat d’uncapital déjà existant.

• Le bilan final que l’on peut tirer desopérations de fusion-acquisition n’est pasclairement établi. À la fin des années 1990,ces opérations se multiplient dans le contexted’un marché haussier, ce qui grève larentabilité future des groupes et, dans le casd’opérations effectuées à des prix prohibitifs,c’est toute la structure financière du groupequi est mise à mal par le retournement desmarchés boursiers. Mais bien avant cette date,le jugement porté sur la rentabilité desopérations de fusion-acquisition pour lesfirmes prédatrices et notamment sur leurcapacité d’exploiter des synergies était déjàplus que mitigé (OCDE, 2001 ; N. Coutinet etD. Sagot-Duvauroux, 2002).

• L’incidence directe et indirecte de larecomposition du capital au plan macro-économique, notamment en terme d’emplois,demeure largement inexplorée.

L’alignement de la France sur les standardsmondiaux de la finance de marché ne constitue pasen soi un facteur de croissance. Et l’État stratègedemeure interpellé pour que l’environnement finan-cier qu’il a largement contribué à façonner soitporteur de développement.

Quel développement pour les PMEdans le contexte de la finance de marché ?

L’évolution de la finance qui vient d’être esquissée àgrands traits n’a probablement pas le même impactselon qu’une entreprise est grande ou petite,indépendante ou liée à un groupe, ou bien encoreselon son secteur d’activité. De nombreux indicestémoignent d’une asymétrie concernant les condi-tions de financement des grandes et des petitesentreprises. La liste des facteurs d’asymétrie les plusimportants peut être dressée rapidement.

La régulation monétaire s’exerce désormais essentiel-lement par le coût du crédit. Mais ce canal affectel’activité économique de façon différenciée selon lastructure d’endettement des agents. Les PME dont latrésorerie est financée par des crédits à court termesont plus sensibles aux effets de la politique monétaireque les grandes entreprises qui bénéficient enrevanche de financements à long terme.

Le développement de la finance de marché a sansconteste élargi la gamme des financements natio-naux ou internationaux auxquels les grandesentreprises peuvent recourir. Mais, contrairement àcelles-ci, seule une minorité de PME, lorsqu’ellessont cotées ou liées à un groupe, accède à cesnouvelles ressources.

Les exigences de rentabilité qui conditionnentl’accès aux marchés financiers incitent les grandsgroupes à reporter sur les PME une part del’ajustement. Par exemple, la réduction desbesoins en fonds de roulement des grandesentreprises, qui vise à minimiser les stocks et àallonger les délais de paiement des fournisseurs,entraîne un déplacement du poids de la gestiondes stocks et de la trésorerie sur les partenaires quisont en situation de dépendance. Plus uneentreprise est grande, moins elle est contrainte derespecter ses délais de paiement (un quart d’entreelles au lieu de la moitié pour les très petitesentreprises). Les relations clients-fournisseurss’établissent en général au détriment des petites etmoyennes entreprises (B. Paranque, 1994). LaBanque de France (2001) montre aussi que de1989 à 2000 le solde du crédit interentreprises

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s’est alourdi pour les PME, alors qu’il diminuaitpour les grandes, obligeant les PME à recourir aufinancement bancaire, faute d’accéder aux mar-chés financiers.

Parallèlement, les PME sont confrontées à une fortesélectivité du crédit de la part des banques.

• Selon la Banque de France (1999), l’effet detaille influence fortement le taux d’intérêtpratiqué par les banques, alors que le risquede défaillance ne joue pratiquement aucunrôle (moins d’un point d’écart entre les tauxque les banques appliquent à l’ensemble desentreprises et à celles qui sont défaillantes).

• Le constat selon lequel les PME seraientmoins bien dotées en capitaux propres queles grandes entreprises et donc, plusendettées repose sur une base empiriquecontestable. Ce point de vue a profondémentimprégné le discours sur la fragilité financièredes PME. Or, une véritable comparaisonnécessite de recourir à des comptesconsolidés pour les entreprises appartenant àun groupe, ce qui implique de retrancher dupassif les participations et les créances qu’ungroupe détient sur lui-même. En moyenne, lapart des capitaux propres dans le total dubilan des grandes sociétés est de l’ordre de25 %. Stable jusqu’en 1997, cette part seréduit ensuite sous la poussée de l’endet-tement. Pour les petites entreprises non liéesà un groupe, la part des capitaux propres estde l’ordre de 30 %, en hausse tendancielledans les années 90, ce qui suggère un accèsau crédit plus restreint que pour les grandesentités.

La comparaison de la rentabilité financière desgroupes et des entités indépendantes de petitetaille livre une autre information intéressante. À lafin des années 90, les entreprises indépendantesont une rentabilité financière de 9 à 12 % similaireà celle des grands groupes. Aussi, en dépit durisque qui les caractérise, les PME ne bénéficient-elles pas d’une prime de rendement. À l’encontredes résultats habituels qui mettaient en avant unsurcroît de rentabilité des PME, ce constataccrédite l’idée que les grandes entités cotéesaccroîtraient leur rentabilité au détriment des PME enbénéficiant d’un rapport de forces favorable concer-nant la fixation des prix, la gestion des stocks ou lesdélais de paiement.

Enfin, la propension de la finance de marché àdrainer le financement vers les secteurs novateursen matière de produits ou d’organisation demeure

problématique en France. Or, l’État s’est peu àpeu désengagé des grands programmes nationaux,pour des raisons d’équilibre budgétaire et deneutralité des commandes publiques dans le cadredu Marché unique. Le nouveau marché français,créé en mars 1996 et réservé aux valeurs decroissance, ne semble pas avoir élargi de façondurable les sources de financement des PMEinnovantes. Les turbulences sur les marchésboursiers à partir des années 2000 ont accru laconcentration des transactions sur les valeursmobilières des grandes entreprises, au détrimentdes marchés regroupant les petites capitalisations(small caps). La volatilité des cours complique lesstratégies de valorisation à long terme, restreint laliquidité des actifs peu négociés et menace dedépérissement les compartiments du marchéréservés aux valeurs de croissance (fermetures duNeuer Markt et du NASDAQ Allemagne, duNASDAQ Europe et du NASDAQ Japan).

Or, l’existence d’un large marché des valeurs decroissance représente une condition de dévelop-pement du capital-risque. Ainsi, aux États-Unis, laliquidité des investissements du venture capitalismest assurée par les premières introductions enBourse (Initial Public Offering) sur le NASDAQ, cequi permet de réinvestir dans de nouveaux projets.De même, les start-up bien cotées peuvent réaliserune plus-value importante lors d’une introductionen Bourse pour financer d’autres projets.L’absence d’articulation entre différents compar-timents peut donc créer des ruptures dans lachaîne de financement des PME innovantes.Aujourd’hui, peu de PME françaises parviennent àla taille intermédiaire, ce qui suggère unedifficulté à surmonter les crises de croissance.

Repères bibliographiques

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PLIHON (D.), Rentabilité et risque dans le nouveau régimede croissance, Commissariat général du Plan, LaDocumentation française, 2002.

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CADUCÉE

Santé publique et système de soins :les devoirs de l’État stratège

Le temps de la prévention : premier bilan du séminaire

En dehors de certains épisodes critiques (enrayerune épidémie, retirer un produit dangereux dumarché, etc.), les préoccupations de santéconstituent normalement une injonction du longterme pour le politique. Si l’État a opportunémentrenforcé ses prérogatives en matière de santépublique depuis quelques années, la modestie desoutils développés en France pour intégrer lesdimensions du futur dans la construction despolitiques publiques en santé est toujours unconstat largement partagé.

Le premier cycle du projet Caducée sur laprévention s’est efforcé de poser des jalons pourune action plus cohérente et résolue de lapuissance publique autour de quelques axes : lamobilisation des capacités cognitives (oud’expertise) dans les processus d’élaboration de ladécision, la construction des dispositifs institu-tionnels, l’articulation des échelles de l’action. Cetexte résume une première étape de ce travail.

Questions de définition

La prévention est une stratégie dominante, au sensoù elle améliore le bien-être et l’état de santé de lapopulation. Elle est censée augmenter les chancesde chacun, tout en cherchant à éviter des coûts.Elle est aussi un rêve politique, qui renvoie lessolutions à une espèce d’ailleurs et concourt àvalider les institutions du moment. Incontestablepar principe, son invocation fonctionne pour partiecomme un leurre.

Nomenclature n° 1

Typede prévention

Objectif

Primaireou universelle

Éviter l’apparition d’un événement mor-bide chez un sujet sain

Secondaire ousélective

Dépister un événement morbide au stadeprécoce chez un individu atteint nontraité, de manière à pouvoir le prendre encharge efficacement

Tertiaire ouindiquée

Éviter les rechutes et les complicationsd’un événement morbide chez un sujetatteint et traité

Les manuels de santé publique distinguentclassiquement les préventions primaire, secondaire

et tertiaire ou, plus récemment, les préventionsuniverselle, sélective et indiquée.

Cette typologie est utile mais insuffisante. Elle faitprincipalement référence à un acteur : le corpsmédical. Elle révèle l’organisation d’un système…et ses cloisonnements.

Les comptes de la santé retiennent, quant à eux, lesdépenses de prévention individuelle (médecinescolaire, vaccinations, protection maternelle etinfantile, etc.) évaluées à 2,1 % de la consom-mation médicale totale et les dépenses deprévention collective (contrôle des eaux, etc.),0,9 % de la dépense courante de santé.

Cette typologie et ces chiffres signalent, souventsans discernement, une carence (quant auxmoyens) et renvoient à une solution implicite (lesrenforcer).

Si l’on définit la prévention comme «l’ensemble desactions médicales et non médicales mises en placepour réduire le nombre et la gravité desévénements morbides dans une populationdonnée» (Claude Le Pen), une autre nomenclaturespécifiant le champ d’action des acteurs s’impose.Elle distingue les préventions médicale, environ-nementale et comportementale.

Nomenclature n° 2

Type deprévention Définition

Médicale

Acte médical visant un individu ou unepopulation cherchant à diminuer lafréquence ou la gravité d’une pathologie etde ses complications (vaccination, pro-gramme de dépistage, etc.)

Environne-mentale

Actions visant à diminuer ou supprimer lesfacteurs pathogènes affectant l’environ-nement domestique ou professionnel et lecadre de vie de la population

Comporte-mentale

Actions visant à inciter les individus ou lespopulations à diminuer leurs compor-tements à risque ou pathogènes pour euxet pour les autres (tabagisme, conduite devéhicule et consommation d’alcool, etc.)

Si le déficit de prévention est patent en France,c’est sans doute plus dans ces deux derniers

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registres qu’en matière de prévention médicale, oùles moyens mis en œuvre sont abondants, mêmes’ils ne sont ni isolés au plan comptable ni toujoursalloués à bon escient. Les prérogatives de lapuissance publique s’étendent aujourd’hui enmatière environnementale et comportementale(non sans poser quelques questions quant auxlimites des domaines privé et public).

Le décentrement par rapport à la perspectivemédicale est en tout cas salutaire. Il permetd’emblée de pointer un certain nombre de risquesde la médicalisation des stratégies préventives (dontle risque iatrogène). Il s’inscrit en droite ligne destravaux réalisés par le Haut Comité de la santépublique sur la mortalité évitable en France, parcomparaison avec nos voisins européens. Il justifieaussi pleinement les analyses en termes derentabilité et d’efficience.

La valeur de la vie humaine

La carence du recours aux éléments de bilan socio-économique en matière de santé figure parmi lesconstats importants du séminaire. Donner unevaleur à la vie humaine dans l’élaboration despolitiques publiques a un objectif : éviter lemaximum de morts à dépense égale. Il y a en effetun intérêt puissant à allouer les ressources de tellesorte qu’un jour le «mort marginal» en arrive àcoûter autant dans les différents secteurs. Leprincipe est simple, impératif. L’énoncé peutparaître brutal. Il est en fait éthique. Dans ledomaine des infrastructures de transport, les bilanssocio-économiques sont là pour contraindre ledécideur à expliciter les arguments qu’il retient.Tout en préservant la prérogative du politique decorriger les excès du discours rationaliste, il s’agitpar là de pointer les domaines de totale irrationalitéen termes d’affectation raisonnée des ressources,lorsque ce qui n’est pas éthique, c’est de dépensertrop.

Qu’il s’agisse de révéler ces situations d’excès oud’établir des plages où la discussion argumentée estsouhaitable (lorsque, si l’on suit Jean-Paul Moatti,le coût marginal par année de vie gagnée se situeentre 2 et 6 fois le PNB par tête), ces pratiquesn’ont pas cours en France dans le champ de lasanté. Du moins, ces analyses à dominantecomparative ne passent pas de la sphère acadé-mique à la sphère de la décision, contrairement àla situation qui prévaut dans certains pays anglo-saxons.

Il est donc indispensable de mieux informer lesjugements de valeurs. Les enquêtes permettantd’apprécier les priorités, les études longitudinalespermettant de mesurer l’efficacité à moyen et longterme des interventions doivent être développées.

Le flou arrange, il est vrai, beaucoup d’acteurs : ildonne des marges de jeu considérables, qualifiepotentiellement (et souvent temporairement) desinnovations inefficaces et coûteuses et justifie lesrevendications quantitatives.

La demande de sécurité, la pression contentieuse,l’offre technologique et ses relais, la pression desopérateurs et, à l’inverse, le défaut d’incitation àl’efficience, tous ces éléments se conjuguent poursélectionner a priori les solutions coûteuses.

La marque des responsables est pourtant de fournirsa chance à une prévention faite de discernement,à une action résolue dans la continuité et recouranten routine à l’expérimentation et à l’évaluation. Lerôle de l’État stratège dans la préservation de lasanté à long terme de la population est bien ladéfense des solutions que ni le marché ni lesintérêts organisés ne soutiendront.

Les signes d’un renouveau

Les signes d’un renouveau de la santé publique nese situent pas dans l’inflation des dépenses deprévention médicale (innovations à rendementdécroissant le plus souvent). Ils ne résident pas plusdans l’effort considérable réalisé depuis unedizaine d’années à la faveur de la constitution dusystème de veille et de sécurité sanitaire. Si lesorganisations supports sont importantes, ce quicompte avant tout, ce sont les attitudes déve-loppées en leur sein.

Plusieurs exemples, tirés au fil des séances duséminaire, en présentent d’emblée quelquescaractéristiques communes :

– elles se situent dans les domaines d’extensiondes prérogatives de la puissance publique,l’approche de précaution traduisant pour unepart un déficit de prévention ;

– leur marque est la cohérence des actions de l’Étatavec celles des autres opérateurs (institutionsinternationales, opérateurs économiques, acteursrégionaux ou locaux, etc.) ;

– la prise en compte de la complexité et lacontinuité (cohérence programmatique entrerésultats recherchés et moyens affectés dans ladurée) sont deux autres signes.

La lutte contre l’usage de droguesSur un tel sujet, qui touche les comportementsintimes et les stratégies individuelles pour vivremieux, plusieurs conditions doivent être réunies. Ilfaut tout d’abord que les gens perçoivent lapolitique comme juste et conforme à leurexpérience. Il faut aussi se donner des objectifs

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réalistes, tenant compte de ce qu’on a appris de lanature des produits et de la diversité descomportements : prendre en compte en particulierles poly-consommations, en se donnant les moyensd’études adéquats, qui ne sauraient se réduire auxdonnées épidémiologiques. Il faut enfin mettre àdisposition de la population des informationsscientifiques fiables, point trop simplificatrices etfaire en sorte que ces messages s’inscrivent dans letemps et participent à l’émergence d’une culture deprévention.

Dès lors, les conditions organisationnelles sontclaires : assurer la formation des acteurs relais de lapolitique sur le terrain, garantir la permanence desmoyens et des structures et mettre en place unpilotage interministériel. L’État est là pour donnerdes outils et des références aux acteurs ; il lui fautpour cela s’organiser au niveau central et au niveaudéconcentré. À partir du moment où les règles, lesbornes sont claires, l’État doit aussi organiser ledialogue avec les opérateurs économiquesconcernés.

Dans la lutte contre le tabac, par exemple, lesmesures efficaces sont connues, notamment grâceaux expériences étrangères : interdire la publicité,augmenter les prix, protéger les non-fumeurs,informer sur les dommages, aider à l’arrêt du tabac.

Si la loi Évin avait posé les bases d’une action surces différents registres, les marques récentes d’uneferme résolution au nom de la santé publique sontinédites et ont permis d’infléchir sensiblement leschiffres de consommation. Une action forte etcontinue sur les prix, une communication sansentrave sur les méfaits mais aussi un accom-pagnement du sevrage (par le financement solidairedes substituts nicotiniques et l’accessibilité desconsultations), encore trop modeste, apparaissentcomme les conditions du succès. Cette résolutionne fait d’ailleurs que contrebalancer les effortsdéployés par les industriels pour conquérir sanscesse une nouvelle clientèle, en particulier chez lesjeunes.

La sécurité routièreFace à cet autre cas d’«épidémie industrielle», selonla formule de Gérard Dubois, on perçoit là encoreles bénéfices d’une action résolue, débarrassée desprudences d’une communication émolliente etconsciente des conditions d’effectivité de lasanction. À l’instar de la lutte contre le tabagisme,on mesure ici l’importance des diagnosticsaccumulés, de ce travail amont réalisé par lesexperts et les porteurs d’opinion (en particulier lesassociations familiales) et d’une prise de positionpolitique nationale, aux objectifs explicites (réduirela fréquence des accidents et les conséquences entermes de handicaps).

L’action en matière de nutrition

La prévalence de l’obésité chez les enfants de 5 à12 ans double tous les quinze ans en France. Leschiffres français révèlent 15 ans de «retard» sur leRoyaume-Uni et 30 ans sur les États-Unis. Fauted’action résolue, on a donc décrit, devant nous, latrajectoire de cette épidémie.

Le dossier de la lutte contre l’obésité témoigne, enFrance, d’une prise de conscience récente, àlaquelle ont sans doute largement contribué lesexpertises collectives de l’INSERM. Les détermi-nants de la malnutrition moderne sont à la foiscomportementaux, biologiques et sociétaux. Laprévention nutritionnelle doit donc être abordée àtrois niveaux :

– l’individu, ici l’enfant (alimentation selon l’âge,caractéristiques génétiques) ;

– la niche écologique (famille, lieux de garde ouécole, environnement immédiat) ;

– la société (activité physique et aménagementde l’espace).

Les partenaires de la prévention sont à la fois ceuxde la niche écologique et ceux de la société (milieuassociatif, collectivités territoriales, industrie agro-alimentaire, grande distribution, système de soins,décideurs politiques), ce qui n’empêche pas demiser également sur l’implication et la respon-sabilité individuelles. C’est souligner l’importancede ne pas médicaliser les stratégies préventivesselon une attitude classique basée sur la seulecrainte de la maladie. Comme l’a montrél’expérience de Fleurbaix Laventie Ville Santé, 1

conduite dans le Nord-Pas-de-Calais et, aprèsévaluation, en cours d’extension à dix villesfrançaises, les maîtres mots sont sans doutepartenariat et proximité : une impulsion nationaleet des relais de proximité (établir un diagnosticlocal, mobiliser les acteurs autour d’un programmeadapté à la situation particulière de chaque site).

Dans ce cadre, le rôle de l’État est clair : fournir desréférentiels de recommandations, établir deschartes de bonnes pratiques, mobiliser les admi-nistrations au plus haut niveau pour éviter deretomber dans les antagonismes administratifsstérilisants. Le travail de l’Agence française desécurité sanitaire des aliments (AFSSA) et celui de

(1). Cette expérience se déroule en trois phases :– 1992-1997 : influence de l’éducation nutritionnelle des enfants

sur les habitudes alimentaires de la famille ;– 1997-2002 : étude des déterminants de la prise de poids ;– 2002-2007 : intervention environnementale (mesures de prévention

«sans effort» : améliorer les terrains de sports, les cours d’école…).

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l’Institut national d’éducation et de prévention ensanté (INPES) méritent ici d’être valorisés.

Au-delà des évolutions institutionnelles, lacontinuité est la règle du succès : le Programmenational nutrition santé n’a ainsi pas été remis encause par l’alternance du printemps 2002. Il avaitd’autres atouts : une dimension réellement inter-ministérielle, des enquêtes conduites en commun,des produits éditoriaux à succès (voir le guide Lasanté vient en mangeant).

Les réseaux d’alerte

À l’échelle internationale, la mise en place duréseau mondial Global Alert and ResponseNetwork, créé en avril 2000 sous l’égide del’Organisation mondiale de la santé, révèle unnouveau paradigme de l’alerte en matièreinfectieuse : il s’agit de capter l’information sur lesalertes sanitaires, produite dans le système de santéde chaque pays ou par les organisations nongouvernementales et répercutée par les médiaslocaux ou nationaux.

Le fait d’analyser en permanence les informationsdiffusées sur «la Toile» génère quantité demessages, au point que 60 % des alertesrépercutées par l’OMS proviennent désormais dece système. Cette récupération de l’information à lasource permet de limiter les lenteurs dans lavérification des faits épidémiologiques et de leverles éventuels obstacles à la diffusion del’information par les autorités sanitaires nationales.Pour ne pas renforcer les peurs irraisonnées, ellejustifie évidemment un travail d’analyse précoce.Au-delà de l’alerte, le réseau permet aussi derelayer les demandes d’assistance des pays,d’organiser les équipes d’intervention et leur coor-dination sur le terrain et de faire collaborer leséquipes de recherche (cas du SRAS).

Il importe ici de bien souligner l’articulation deséchelles nationale (voire infranationale), suprana-tionale (Union européenne pour ce qui nousconcerne) et globale (OMS). Le bénéfice en retourpour un pays dépend de son degré d’implicationdans le système : avoir l’information un peu plustôt, un peu plus précisément doit permettre delimiter les dommages tant économiques 2 quesanitaires.

Les points noirs

La France en est encore au stade du diagnostic surun certain nombre de sujets. Cela ne doit d’ailleurs

(2). On a pu ainsi évaluer l’impact économique de certainsépisodes récents : 1 milliard de dollars US pour le SRAS àToronto en 2003 et près de 30 milliards à l’échelle de l’Asie.

pas être pris en mauvaise part : les diagnosticsdocumentés sont, en effet, essentiels pour imposerune question à l’agenda politique. Il faut cependantaller plus vite, plus loin.

La santé au travailLe rapport de la Cour des comptes de février 2002a ainsi montré l’importance d’une réforme d’en-semble du régime accidents du travail–maladiesprofessionnelles.

Parmi les carences, il faut principalement retenir :

– la difficulté à assurer le suivi post-professionneldes conséquences sur la santé des expositionsprofessionnelles,

– la tarification inadaptée à une économietertiarisée (ce dispositif consomme pourtant desressources en personnel très importantes),

– une forme d’éclatement du système de répa-ration,

– une organisation administrative duale (entre leministère en charge du Travail et le ministèreen charge de la Santé),

– les lacunes du dispositif de recherche : l’Institutnational de recherche et de sécurité, lui aussiconsommateur de gros moyens, ne se sentréellement investi ni des fonctions de veille nides fonctions de recherche.

Ces défaillances multiples révèlent l’incapacitéd’un système à se réformer en continu. Comptetenu des enjeux épidémiologiques et de la prise deconscience partagée par nombre d’acteurs, ce sujetne saurait cependant échapper durablement aumouvement de renouveau décrit plus haut et resterà la marge de la santé publique. L’accroissementdu coût des réparations et le contournement durégime d’indemnisation seront sans doute lesferments de cette évolution.

La santé environnementale

Les experts pointent volontiers l’absence desystèmes d’information prospectifs permettantd’anticiper les problèmes (plutôt que de les traitersous contrainte médiatique), l’absence de moyensconfiés aux experts missionnés, la nécessité demettre en place une veille scientifique et techno-logique dotée de ressources renouvelées et, bienentendu, la nécessité d’une politique nationaleambitieuse en matière de santé environnementale.

La médiocrité des capacités d’expertise en matièrede toxicologie industrielle constitue, par exemple,un handicap important dans les enceintes interna-tionales où se définissent les normes. Elle est aussi

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un frein à l’action, à l’instar des carences desrecherches en sciences sociales sur les risques dumilieu. Ici encore, l’expérience des dernièresannées en matière de produits de santé ou enmatière alimentaire pourrait servir de guide pourl’Agence française de sécurité sanitaire environ-nementale. L’Agence française de sécurité sanitairedes produits de santé et l’Agence française desécurité sanitaire des aliments ont en effet su créeren quelques années un vivier d’expertise.

Les travaux de la Commission d’orientation du plannational santé-environnement ont fait écho ànombre de ces constats. Ils ont en effet soulignél’urgence de développer l’expertise et l’évaluationdes risques sanitaires liés aux nuisances environ-nementales et professionnelles, ainsi que larecherche en santé environnementale. Le pland’actions qui sera rendu public et présenté à laconférence de Budapest, en juin 2004, témoignerasous ces auspices à la fois du rôle d’impulsion del’Union européenne et d’une prise de consciencedésormais largement partagée.

Le séminaire sur la prévention

Les premières séances ont eu pour thèmes :• Infléchir les comportements individuels : quel modèled’action ? (6 novembre 2003), avec Nicole Maestracci,Philippe Lamoureux et Gérard Dubois ;• La valeur de la vie humaine (27 novembre 2003), avecMarcel Boiteux, Jean-Paul Moatti et Olivier Chanel ;• Les risques émergents (18 décembre 2003), avecChristophe Paquet, Yannick Vicaire, Michèle Rivasi etAlfred Spira ;• Les outils de la prévention (8 janvier 2004), avecClaude Le Pen, Christian Gollier et Arnaud Basdevant ;• La santé au travail (29 janvier 2004), avec Christian Babusiaux,Marcel Goldberg et Ellen Imbernon.

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CADUCÉE

Santé publique et système de soins :les devoirs de l’État stratège

Politiques publiques de prévention : peut-on fixer quelques règles ?

En matière de santé, le décideur est en permanencesollicité par les événements, par les porteursd’innovations ou les groupes de pression. Reflet dela prégnance des sujets de santé dans les médias etdans l’opinion, quantité de problèmes convergentvers le ministère en charge de la Santé, sans guèrede filtre. À la demande sociale répond souventl’activisme politique et administratif. Les dérivessont connues : inflation législative et réglementaire,meccano institutionnel, emphase programmatiquedénuée de moyens, débauche de priorités et méprisdes coûts dans les réponses de crise.

Sérier les problèmes, les hiérarchiser, délibérer etmobiliser les ressources supposerait, en toute ratio-nalité, qu’il soit répondu avant d’agir à quatreséries de questions très simples :

– Sait-on nommer les «problèmes» de santé àéviter ? Peut-on les dénombrer ?

– Agir ou s’abstenir : quels sont les coûts ? Quigagne ? Qui perd ?

– Quels sont les choix opérationnels ?

– Sur quoi a-t-on prise ? Quelles sont les partiesprenantes ? Quelles sont les capacités d’appro-priation sur le terrain ?

Des éclairages sont donnés à partir des ensei-gnements saisis au fil des séances du séminaire surla prévention.

Repérer les problèmes…au-delà du foisonnement des signaux

Repérer les problèmes de santé à réduire ou àéviter est la première condition de l’action. Lesréseaux de veille et d’alerte, les dispositifs devigilance sont les supports institutionnels de cetteaptitude à capter les signaux faibles, diffus oulointains. Cette fonction est de plus en plusorganisée à l’échelle européenne et mondiale (voirpages précédentes). Les dispositifs organisés nesont cependant pas les seuls vecteurs. Les acteursassociatifs, les experts sont aussi des porteursd’alerte, à écouter.

Dans cet esprit, le déploiement de relais territoriauxest tout aussi essentiel.

Le foisonnement des signaux, d’autant plusnombreux que le maillage est serré, ne résout pasles problèmes du décideur, au contraire, chaquejour apportant son lot d’informations à trier,hiérarchiser… Cette capacité d’alerte doit doncs’adosser à une capacité d’expertise.

Évaluer et gérer :pour des relations transparentes

La jurisprudence européenne a fixé les règles enmatière d’évaluation des risques : celle-ci doit êtreexcellente, transparente et indépendante.

L’excellence suppose des procédures permettant devalider la qualité, la reconnaissance par les pairs etla prise en compte des avis minoritaires. S’affran-chir des règles de l’art comporte, en effet, desrisques considérables. Il faut en particulier s’assurerdu caractère homogène des études.

La transparence justifie de diffuser les avis et de lesrendre explicites.

L’indépendance vaut vis-à-vis des gestionnaires durisque et des acteurs économiques. Au-delà desconflits d’intérêts, il faut s’assurer des incitationsque les experts ont à agréger correctement lesinformations, à rechercher les bonnes réglemen-tations et à sélectionner les innovations utiles.

La distinction entre évaluation et gestion desrisques ne doit pas justifier, pour autant, l’absencede dialogue. Celui-ci est nécessaire pour être sûrque le gestionnaire a bien compris les données surle risque. Le retour d’informations du gestionnairevers l’évaluateur est aussi indispensable à cedernier. Dans le cas de l’ESB, les experts nedisposaient pas, bien souvent, des moyens d’éva-luer les risques en situation réelle (des informationssur les pratiques dans les abattoirs par exemple), aurisque de générer quelque imprécision quant àl’application concrète de la réglementation.

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Nommer avec clartéle sens et le périmètre de l’action

L’incapacité à nommer en termes clairs les pro-blèmes enlève bien des ressources à l’actionpublique : pédagogie, force de conviction, capacitéà cibler les vrais enjeux.

La question des risques sanitaires de l’alimentationest ancienne. Énonce-t-on pour autant clairementles valeurs qui sous-tendent les décisions en lamatière ? L’exemple des listeria est significatif :personne n’a jamais explicité les objectifs depolitique publique visés. Est-ce le risque zéro ? Sic’était le cas, certains produits (rillettes, fromagesau lait cru) seraient purement et simplement inter-dits. Il faut de même reconstituer a posteriori lemotif d’action dans le cas de l’ESB : faire en sorteque le prion n’entre pas dans la chaîne alimentaire,faute de savoir ce qui pouvait se passer après encontamination humaine.

Le besoin d’explicitation ne vaut pas seulement entermes de pédagogie du risque. Il aide aussi toutsimplement à structurer la politique.

En matière de toxicomanie, les politiques de santépublique hésitent en permanence entre l’infor-mation et la prohibition, souvent sans rationalitéévidente. Définir le périmètre d’interventioncontre les drogues, en spécifiant le caractère nocifdes substances, permet de dépasser la notion dedrogues, traditionnellement intégrée par la popu-lation, pour y ajouter le tabac, l’alcool, lessubstances médicamenteuses psychoactives et lessubstances dopantes. Mais il s’agit surtout d’allerau-delà de l’évaluation épidémiologique pouraborder l’analyse des comportements afin de bienspécifier les notions de consommation abusive etde dépendance et d’appréhender les changementsde comportement, qui justifient une grande réac-tivité de la communication et de la régle-mentation.

Le poids des chiffres

La mise sur agenda d’un problème de santépublique a bien d’autres ressources que l’évalua-tion quantitative. Ceci dit, l’incapacité à dénombrerprive, par construction, le décideur de la facultéd’arbitrer en rationalité.

Les chiffres de la violence routière ont fini par larendre intolérable. Les données du cancer –150 000 morts et 280 000 nouveaux cas pas an –en font un problème évident de santé publique,d’autant plus si l’on compare les chiffres françaisaux données européennes (mortalité prématuréesupérieure de 20 % à la moyenne européenne).

Sauf à s’en remettre aux seules données étrangères,bien utiles sur certains sujets, la construction dessystèmes d’information est donc un préalable.

Outre la mauvaise volonté ou la négligencemanifestes, il y a bien des raisons à l’indisponibilitédes données.

Dénombrer suppose parfois de dépasser les tabouscomme celui du nombre d’accidents du travailimputables à l’alcoolisme, dans le secteur du BTPnotamment, ou de lever des inhibitions censéesêtre bienveillantes : dans le domaine du sida, cesont les associations d’immigrés qui réclament lavisibilité des contaminations chez les personnesmigrantes en vue d’agir, alors que les pouvoirspublics ont longtemps été réservés de peur destigmatiser ces populations.

Les difficultés du dénombrement peuvent être liéesaux spécificités des risques encourus : le caractèreplurifactoriel des maladies d’origine profes-sionnelle, la diversité des problèmes de santérencontrés, le temps de latence extrêmement longentre l’exposition et la déclaration de la maladieimposent ainsi des dispositifs d’enquête adaptés etcoûteux de suivi post-professionnel, ce qui affaiblitla volonté de savoir… ou accentue le désir depréserver l’invisibilité.

Au-delà de la difficulté à recueillir les éléments depreuve techniques, le problème est bien souvent demaintenir une motivation sur des problèmes dontles effets se manifesteront sur plusieurs décennies.L’incertitude des échéances dévalorise le futur. Lajustification des politiques publiques est pourtantde développer une vision de long terme. Il estassurément plus facile de travailler sur des dossiersoù le résultat est visible

L’abstention a un coût…

Au fond, que se passe-t-il si on ne fait rien ?Pendant longtemps, on aurait pu répondre : «pasgrand chose», pour le décideur du moins. Lapénalisation de l’action publique amène à revoircette réponse. La mise en cause répétée desdécideurs pousse à l’action, au risque de l’excès. Àcela s’ajoute la remontée systématique en poli-tique, qui perturbe le schéma décisionnel : ledécideur, en l’occurrence le ministre, est somméd’agir sous contrainte médiatique.

Il est des domaines mieux balisés, notammentgrâce à l’accumulation des dires d’experts : on aévoqué la sécurité routière et le cancer, déclarésdésormais prioritaires. En matière de santé autravail, le choix est simple : statu quo (situationactuelle) ou action (réforme). Comme dans denombreux domaines et même si les chiffres précis

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font défaut, il est de connaissance commune quel’abstention se révélera, à long terme, plus coûteuseque l’action. L’exemple de l’amiante le prouve.

Par ailleurs, en matière de santé au travail,l’identification des gagnants et des perdants est trèsclaire et leur poids respectif constitue l’une desexplications de la «défausse» de l’État dans cedomaine. L’absence de problème financier et doncde péril pour les comptes sociaux (même si onconstate un accroissement du coût de la réparation)n'incite pas non plus à la réforme.

…l’action aussi

La hiérarchisation des priorités et le choix desmoyens d’action ne sauraient reposer sur le seulpouvoir revendicatif des parties ou leur consen-tement à payer.

• Dans le domaine de la lutte contre le tabac, lechoix de la mesure apparemment la plus efficace(l’augmentation des prix) n’est pas anodin entermes de pouvoir d’achat pour les consommateurs,particulièrement si on considère la répartitionsociale des fumeurs. Le souci de ne pas peser surl’indice des prix a d’ailleurs été longtemps unobstacle à une politique de prix élevés.

• L’évaluation du coût des mesures pour lesopérateurs économiques est un point de passageobligé : cela vaut pour le Plan santé-environnementen préparation comme pour la directive euro-péenne sur les substances chimiques. Collectivement, des procédures de type REACH (Registration,Evaluation, Authorization and Restrictions ofChemicals) sont souhaitables, mais il faut trouverdes compensations pour les opérateurs. Lescontraintes qui leur sont imposées ne sont en toutcas légitimes que pour autant qu’elles sont coût-efficaces.

Est-il possible de faire valoir l’analyse coût-bénéficeen situation de crise ? Lors de la crise de l’ESB de2000, la question des coûts restait largementtaboue, du moins en France. A posteriori, on peutestimer que le dépistage systématique des bovinsde plus de 24 mois a coûté 1,5 million d’euros parbovin détecté, sachant par ailleurs qu’on éliminaitles matériaux à risque. Les Suisses ont pratiqué uneanalyse coût-bénéfice… et ont fini par renoncer audépistage systématique.

L’analyse doit être globale. Il est important d’expliciterles externalités prises en compte, par exemple lebesoin de réassurance du consommateur. La difficultéintrinsèque d’établir un bilan global n’enlève rien à lanécessité de disposer des éléments d’analyseéconomique dans l’espace public.

Prendre le temps d’évaluer

En matière d’innovation, il y a clairement deuxrisques : celui de retarder une technologiebénéfique et celui d’adopter trop rapidement unetechnologie peu documentée. Souvent, lestechniques sont trop vite adoptées, au risqued’ailleurs de ne jamais pouvoir les évaluer (lessituations de référence étant celles avectraitement).

L’exemple des traitements hormonaux substitutifsde la ménopause est éclairant. Au début des années1990, les études disponibles révélaient encore uneffet positif sur les maladies cardio-vasculaires, uneffet négatif différé sur le cancer du sein et un effetfavorable sur l’ostéoporose, pathologie survenant àun âge élevé. En appliquant l’actualisation, deséconomistes pouvaient dire que ces traitementsn’étaient pas coût-efficaces.

Depuis, de nouvelles études ont considérablementdégradé le bilan : les traitements ne sont àenvisager qu’en seconde intention dans la pré-vention de l’ostéoporose, ils comportent un sur-risque de cancer du sein, de l’endomètre et n’ontpas d’effet protecteur – au contraire – pour lesmaladies cardio-vasculaires et cérébro-vasculaires.Le seul bénéfice reconnu concerne la qualité de vie(diminution des bouffées de chaleur…).

L’initiative prise par l’Agence nationale d’accré-ditation et d’évaluation en santé (ANAES) etl’Agence française de sécurité sanitaire des produitsde santé (AFSSAPS) d’organiser récemment uneaudition publique sur ce thème est intéressante : labalance des arguments qualité de vie/sécuritémérite d’être explicitée. Il n’empêche : les autoritéssanitaires rejoignent bien tardivement les préven-tions des économistes…

S’appuyer sur les opérateurs

Fabriquer des normes n’est pas la seule possibilitéen matière de gestion des risques. L’exemple del’alimentation éclaire les ressources disponibles :

– la responsabilité des opérateurs : celui qui metun produit sur le marché est le premierresponsable, d’où la codification des bonnespratiques, l’analyse des points critiques dansles processus de fabrication pour maîtriser lerisque ;

– l’information du consommateur (encore mo-deste), considéré dans le discours publiccomme un acteur de la chaîne alimentaire ;

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– l’ensemble des dispositifs de surveillance misen place par les pouvoirs publics : valorisationdes résultats des contrôles officiels et des auto-contrôles réalisés par les opérateurs.

Dans le monde industriel en général, la mise enplace de franchises est une solution adaptée auproblème du risque moral : la responsabilisationdébouche sur des efforts de prévention supplé-mentaires. L’assurance automobile fait jouer unrôle majeur au système du bonus-malus.

En assurance santé, les organismescomplémentaires ont également développé desoutils de gestion des risques. Ils tentent d’inciterles assurés à avoir recours à la prévention,notamment en proposant la prise en charged’examens de dépistage ou, encore, enconditionnant certains remboursements à laparticipation à des programmes préventifs. Cesinitiatives sont toutefois freinées par la questiondu partage des bénéfices avec l’assurance-maladie et l’absence d’engagement durable desbénéficiaires. Ces questions méritent d’êtretraitées, si l’on veut renforcer la contribution desassureurs à la gestion du risque santé.

Mobiliser sur des priorités stratégiques

Alors que se multiplient les démarches par objectifs,trois questions apparaissent déterminantes :

• Les objectifs stratégiques sont-ils visibles ?

• Sont-ils suffisamment indépendants les uns desautres pour être repérés par les acteurs ?

• Peut-on les conduire concrètement de manièresynchrone ?

Dans le plan périnatalité des années 1970, lesobjectifs étaient clairement exprimés en termes derésultats attendus (baisse du nombre d’enfantsprématurés et handicapés) ; on pouvait en mesurerles effets au bout de quinze ans. L’appropriationpar les acteurs en était facilitée. Ce que l’on veutéviter n’est pas toujours révélé avec autant declarté.

Dans une logique par projet, fixer une centained’objectifs comme dans la Loi de santé publique endiscussion ne vide-t-il pas de sens la notion depriorité ? La multiplication des sujets à traiterconduit bien souvent à définir des procédures demise en œuvre plutôt que des objectifs. On peutcomprendre qu’il soit difficile pour un acteur, unbureau d’administration centrale notamment, devoir attribuer à son sujet une priorité basse mais lalisibilité de la politique impose cet effort dehiérarchisation.

La programmation a besoinde l’expérimentation

La Loi de santé publique réaffirme les prérogativesde l’État et procède à un certain nombre de réformesinstitutionnelles. Jusqu’où l’État doit-il aller ?

La déclinaison sur le terrain des grands objectifsnationaux peut se faire à un niveau de peignagerelativement fin, à condition de ménager desespaces de concertation importants : la Conférencenationale de santé et le Haut Conseil de la santépublique au niveau national, la Conférencerégionale de santé au niveau régional.

La programmation fixe un cap, mais le discer-nement et l’adaptation sont les conditions de laréussite, sauf à accréditer une conception balistiqueerronée de l’action publique.

Le déploiement d’un programme suppose des’appuyer sur des institutions qui fonctionnent.Trois points apparaissent déterminants :

– les programmes doivent trouver un supportterritorial permettant l’appropriation des objec-tifs et des diagnostics ;

– les débats autour des plans soulèventdeux questions récurrentes : où met-on lesmoyens ? Où met-on les compétences ? Il estnécessaire d’avoir des renforcements nodaux ;

– l’animation des réseaux sur la base d’unelogique contractuelle s’impose plus que jamais.

Le Plan cancer, récemment adopté, symbolise bienle passage d’une logique d’institution à une logiquede programme.

La Mission interministérielle sur le cancer est de faitune toute petite équipe ; elle empiète donc peu surles territoires établis en cancérologie et suscite,sans doute, moins de craintes. Elle a la charged’identifier les points de blocage et de lever lesdifficultés éprouvées par les acteurs institutionnelsexistants. En matière de prévention, il s’agit, parexemple, de vérifier que les campagnes, quel quesoit le champ thématique, accordent une prioritésuffisante à la prévention en cancérologie.

Sur le terrain, la diversité des acteurs du Plancancer et celle des contextes d’action ont étésource de difficultés, d’où la nécessité de disposerde relais d’information, dans les agences régionalesde l’hospitalisation et les directions régionales desaffaires sanitaires et sociales notamment.

La pratique en routine de l’évaluation est unecaractéristique de ces nouvelles méthodes. Ellerompt avec le mode de fonctionnement habituel, à

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savoir l’élaboration de circulaires ne prenant pasbien en compte le vécu professionnel de proximité.Un exemple parmi d’autres : dans le Plan cancer,l’action envisagée en matière d’annonce de lamaladie au patient était d’abord la «consultationd’annonce» ; l’approche de terrain a permis de voirque ce terme ne correspondait pas aux attentes ; lanotion de «dispositif d’annonce» s’est imposée.L’évaluation qui en sera faite permettra d’affinercette proposition avant sa généralisation.

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COSMOS

Prospective de stratégie de l’Étatdans les mutations des médias

Des micro-scénarios prospectifs pour la presse écrite

Ce document ouvre une série de synthèses destravaux prospectifs du groupe de projet Cosmos. Ilpropose plusieurs micro-scénarios sur la presseécrite qui seront complétés par des micro-scénariossur les autres médias, puis par des scénariosglobaux. Le groupe a étudié plusieurs évolutionstendancielles ou contrastées du secteur des médiasà dix ans (2010-2015), en dissociant dans unpremier temps la presse écrite, média plus spéci-fique, des médias audiovisuels ou électroniques(TV, radio, Internet, multimédia). Il a déterminé desdomaines de réflexion répartis en six «dimen-sions» : contenu, mode de consommation, écono-mie du secteur, technologie, régulation, environne-ment international.

À partir d’une démarche prospective de typescénarios, le groupe a identifié des variables clésauxquelles il a associé des hypothèses, la sélectionde cheminements cohérents entre diversescombinaisons de variables/hypothèses permettantde construire des micro-scénarios par dimension,première étape prospective. Puis, il aura à passerdes micro-scénarios à des scénarios globaux enassociant pour toutes les dimensions un microscénario par dimension examinée. C’est sur la basedes scénarios globaux que pourront émerger in finedes recommandations à l’État ce qui n’empêchepas d’étudier la place de l’État stratège, enparticulier du secteur public et du secteur privé, etcelles du territorial et de l’Europe au cours desmicro-scénarios.

Cette synthèse porte sur les premiers micro-scénariosrelatifs à la presse écrite dans les dimensions«contenu», «mode de consommation» et «éco-nomie». Elle sera suivie d’une synthèse sur les autresdimensions («régulation», «environnement»…).

Dimension «contenu» de la presse écrite

Voici les 4 principales variables retenues pour les«contenus» de la presse écrite et, pour chacune deces variables, les hypothèses formulées par legroupe :

• Ciblage des consommateurs : presse populaire ;presse de confort ; presse spécialisée grandpublic ; presse spécialisée public restreint.

• Genre des contenus : information générale,politique, d’opinion, satirique ; presse art de vivre,médias, sports, loisirs ; contenu culturel, religieux,scientifique, technique, professionnel ; gratuits(presse écrite, Internet).

• Sujets couverts : presse nationale ; presserégionale ; presse internationale.

Micro-scénario «le cocooning» :le tendanciel d’une presse de confort

Le cocooning est une tendance forte actuelle dusecteur de la presse avec une rupture dans le modede consommation de l’information qui induit uncontenu nouveau type «Elle Déco». Le cocooningrepose sur la notion de confort au sein de la société.Soucieux de son environnement, le lecteur est prêt àconsacrer un budget à une presse de confort.

Presse spécialisée grand public plus que pressepopulaire, essentiellement diffusée sous formatmagazine au niveau national, le cocooning est uneforme de contenu et non de contenant. Cette pressecocooning correspondrait à un mode de consom-mation nouveau : l’information serait délivrée enfonction du contenu que le lecteur désire («push»)et non plus le contraire («pull» : le lecteur tire ducontenu offert ce qui l’intéresse le plus). Le contenupresse cocooning traite de l’art de vivre, aussi biende façon globale que ciblée comme les infor-mations sur les sports ou sur les loisirs. Le lecteur yrecherche confort et plaisir personnel dans ladiversité. L’offre s’adapte à une demande de pressemagazine distractive, un peu informationnelle,avec des référents nationaux sécurisants mais aussiinnovants, attractive (couleurs, format, papier) etsusceptible d’être collectionnée. La tendance aurenforcement d’une presse confort, spécialiséegrand public, est portée par une presse famille etsociété, masculine et féminine. Elle est relayée parune stratégie de diversification des contenus et decréation-promotion qui profite de l’ouverture dumarché publicitaire télévisé à la presse écrite pourlancer des produits nouveaux ou remodelés(Glamour, Côté Femme, Belle et Zen, Télé 2Semaines, TV Grandes chaînes, TV Magazine,suppléments Le Monde 2, DVD du Figaro…).

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Micro-scénario «le gratuit» :la rupture de l’offre de presse papier ou écran

Le contenu gratuit doit être considéré comme lescénario de rupture qui traduit l’émergence d’undroit au journal. La rupture de l’offre du gratuitdiffère de celle du cocooning. Le gratuit qu’il soitsur support papier ou sur Internet, combine deuxcaractéristiques : le lecteur dispose gratuitementd’informations, il est disposé à les consommer carle traitement de ces informations tel qu’il est réalisépar les journaux ou les sites gratuits, lui permet defaire facilement du zapping ou du «feuilletage»entre des «micro-contenus» d’articles courts etvariés. L’évolution du gratuit concerne la pressespécialisée grand public et touche la presse à la foisnationale et régionale. Pour la presse papier, leformat est plutôt tabloïd dans un premier temps deson développement.

La réussite de ce scénario de contenu repose surl’hypothèse que le prix nul (gratuité) est déter-minant dans l’accueil fait par le lectorat à cenouveau type de presse en France : la majorité deslecteurs «choisira» de ne pas payer directement lejournal, le paiement étant effectué par le biais de lapublicité. Détournement du lectorat existant ouattraction d’un nouveau lectorat ? Il est difficile deprévoir l’évolution de ce scénario qui traitel’information comme un bien public et notammentce que va induire l’habitude donnée aux lecteursd’avoir accès à une presse gratuite, la presse écriteétant traditionnellement le seul média d’infor-mation à être payant (sous réserve de la redevanceaudiovisuelle 2 à 3 fois moins élevée qu’unabonnement annuel à un quotidien régional ounational). L’évolution de la presse gratuite surécran, avec Internet perçu et utilisé comme médiad’information, oscille entre deux tendances d’unepresse de substitution ou d’une presse de complé-mentarité. Source de recettes potentielles, les sitesde la presse sont intégrés dans les stratégies dedéveloppement des éditeurs : capacité de diffusiondes titres renforcée, nouveaux services aux lecteursinternautes (courriels comme nouveau courrier deslecteurs, systèmes de veille…).

Si elle propose une solution apparemmentefficace à la désertion des lecteurs, la mise enligne des sites de presse pose la question de lapertinence du modèle économique choisi : enattendant de pouvoir dégager une marge béné-ficiaire, les titres numériques devront s’assurerque leurs sites ne concurrencent pas leursversions écrites. La presse gratuite : premier pasvers la fin des payants ? Produit d’appel pourrelancer une demande stagnante ? Nouveauconcept d’une offre d’informations ? Questionsen suspens sur le devenir du contenu gratuit etses conséquences sur l’avenir de la presse écrite.

La presse gratuite :quelques chiffres, quelques évolutions

«Avec 25 éditions dans 16 pays en 14 langues, Métro est letroisième plus gros tirage au monde avec, chaque jour, près de4,5 millions d’exemplaires lus par 12,3 millions de lecteurs»(metrofrance.com) Après un peu plus de deux ans de présencesur le marché français, Métro France, diffusé à 555 000exemplaires par jour (dont les éditions de Marseille, Lyon, Lille,Toulouse et Bordeaux) et lu par 1,055 million de Parisiens, est letroisième titre quotidien d’Île-de-France. En 2003, il accuse uneperte de 7,4 M€ et ouvre son capital. TF1 investit 12 M€ pouracquérir 34,3 % du journal gratuit. Le quotidien 20 Minutes estlu chaque jour par 1,360 million de Franciliens, acquérant ainsila deuxième place en région parisienne derrière Le Parisien(1,563 million de lecteurs). Détenu à 25 % par SpirCommunication, 25 % par Sofiouest et 50 % par le groupenorvégien Schibsted, 20 Minutes réalise en 2003 un chiffred’affaires de 12 M€ contre 4 M€ l’année précédente mais sonrésultat net reste négatif à hauteur de 11,6 M€. La parutiondepuis début 2002 des «gratuits rédactionnels», exceptions surun marché du gratuit monopolisé par les journaux d’annonces,et l’accroissement de leur diffusion pourraient avoir de fortesrépercussions sur les comportements du lectorat français mêmes’ils ne représentent actuellement que 0,2 % du chiffre d’affairesdu marché de la presse écrite. En Suède, Métro est le deuxièmequotidien de par sa diffusion, expansion faite au détriment desgrands quotidiens nationaux. Si l’arrivée de ces nouveaux venussur le marché français n’a pas, dans un premier temps,réellement bouleversé la demande des quotidiens dans lamétropole, les gratuits semblent voués à prendre une placeprépondérante sur le marché de l’information quotidienne. Cephénomène devrait prendre de l’ampleur dès 2004 avec denouvelles éditions de Métro et de 20 Minutes dans des villes deprovince comme Lyon, Marseille ou Lille.

Les grands quotidiens multiplient les stratégies visant à prendreposition sur le marché des gratuits. Le groupe Amaury (LeParisien) a envisagé «une fédération des gratuits dansl’Hexagone» avec le groupe Socpresse (Le Figaro, Le DauphinéLibéré, Le Progrès) et Hachette Filipacchi Médias (La Provence,Marseille Plus), initiative qui fait suite à la prise de participationde TF1 dans le capital de Métro et dont le but aurait été decréer un réseau publicitaire commun. Si certaines publicationschoisissent d’investir dans les gratuits existants, d’autrespréfèrent opter pour la contre-attaque directe et se sont lancésdans la création de leur propre titre gratuit. C’est le cas decertains régionaux, à l’image de la presse allemande. Bien quela plupart de ces projets soit encore au stade embryonnaire (LaDépêche du Midi ou les Dernières Nouvelles d’Alsace),certaines publications ont déjà concrétisé leur stratégie decréation. À Lyon, le quotidien Le Progrès a lancé Lyon Plusdans l’optique de créer un deuxième journal pour renforcer lepremier. Le journal veut capter grâce à son gratuit, le lectoratjeune qui deviendra en vieillissant consommateur du titrepayant. Dans le même sens, Sud Ouest vient de lancerBordeaux 7 et Le Midi Libre lancera à Montpellier dès la rentrée2004, un quotidien ou un hebdomadaire gratuit.

La presse gratuite traditionnelle table aussi sur la poursuite detendance du gratuit et opte pour une stratégie de création denouvelles publications en recherche permanente de nou-veaux lecteurs : quotidien ou hebdomadaire gratuit sportif créépar Métro en concurrence avec l’hebdomadaire gratuit Sportdirigé par l’ancien président de 20 Minutes, titre gratuit dédiéaux lycéens et distribué à la sortie des classes par 20 Minutes.

Micro-scénario «le citoyen» :vers une demande plus civique

Le contenu citoyen est une évolution de l’offre depresse provoquée par une nouvelle demande pluscivique d’informations citoyennes. Il répond à unbesoin de collectif, voire d’intérêt général. Le

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contenu citoyen serait renforcé par une pressepopulaire, d’opinion et d’information générale.Dans cette recherche d’informations multiples,Internet est un élément d’information complé-mentaire à la presse écrite.

L’hypothèse est faite que les jeunes, toutescatégories sociales confondues, seront le moteur oule relais de cette nouvelle offre d’informations avecde forts effets d’entraînement sur les autresgénérations. Les besoins de sens et de relations auxautres priment sur l’affirmation de l’autonomie etpeut-être sur la recherche individuelle de sécuritéet de réassurance. Ceci se traduit par un investis-sement ou un réinvestissement de la «chosepublique», par une demande croissante de repèreset de paradigmes d’ouverture pour comprendre ouvivre ensemble des événements collectifs. Cescomportements des années 1990-2000 diffèrent deceux des années 1960-1980 plus axés sur laconsommation, l’autonomie et l’expression person-nelles, la recherche de la vitalité, de la diversité, duconfort et du plaisir – valeurs qui vont dans le sensdu cocooning. Les contenus de presse sans prise derecul sur l’actualité, le sens de la vie, la société etle monde sont délaissés par les lecteurs en quêted’espoir, d’émotion, de réflexion et d’actions. Lecontenu citoyen met en avant exigences de qualité,de crédibilité de l’information et d’éthique dans lespratiques journalistiques du traitement de l’infor-mation (acquisition et diffusion), en particulier sousl’effet des nouvelles technologies qui démultiplientles sources et la vitesse de production d’infor-mations toujours plus standardisées.

Micro-scénario «le sélectif» :le tendanciel avec une permanencede contenus de qualité et ciblés

Le contenu sélectif consacre une permanence decontenus de qualité et ciblés dans l’offre de presseécrite. Des groupes de lecteurs continuent àrechercher des informations spécialisées dans lapresse écrite, de type magazine ou tabloïd, c’est lecontenu spécifique qui prime sur le contenant, parexemple la presse professionnelle BtoB ou la pressetechnique. Mais Internet risque à terme deconcurrencer cette presse spécialisée du fait d’unnombre quasi illimité de champs couverts et despossibilités offertes à l’internaute par les liens entresites. Le niveau national de cette presse spécialiséeest privilégié, Internet ouvrant sur l’international.Une variante de ce type de lectorat serait unepresse spécialisée à la carte, les éditoriaux seraientconçus en fonction d’une sélection des centresd’intérêt prospectés auprès des lecteurs actuels etpotentiels ; dans ce cas, la question pour l’éditeursera de savoir segmenter les lectorats et d’y adaptercontinuellement des éditoriaux de qualité d’où lanécessité d’outils de marketing performants.

Dimension «mode de consommation»de la presse écrite

Voici les 3 principales variables retenues pour le«mode de consommation» de la presse écrite et,pour chacune de ces variables, les hypothèsesformulées par le groupe :

• Degré d’ouverture au monde : rétrécissement surla sphère privée, affirmation identitaire ; besoin dedivertissement, d’émotion, de scandale ; élargis-sement par pluralisme de l’information, égalitéd’accès au contenu, diversité culturelle.

• Rapport à l’espace : proximité spatiale ; proximiténationale ; proximité internationale ; proximitéculturelle.

• Intensité de consommation : fidélité, attache-ment ; «feuilletage» de la presse ; insuffisance delectorat.

Micro-scénario «le modèle universaliste» :confirmation de la tendance actuelle

Le modèle universaliste propose au lecteur detrouver dans la presse des informations en réfé-rence à un modèle de société ouverte qui est fondésur des valeurs et des normes garanties par unfonctionnement démocratique. L’ouverture aumonde et l’acceptation de la diversité culturellesont permises par le pluralisme de l’information etl’égalité d’accès à l’information. L’événementielprime car il peut remettre en cause les sociétésdominantes. Les événements mondiaux liés auterrorisme, aux décalages de développement et auxdifférences de valeurs poussent les consommateursde presse vers la recherche de pluralisme, ladiversité et un accès permanent et rapide à toutessources d’informations fiables. Le lecteur s’intéresseaux choses du monde, conscient des interdé-pendances entre les sociétés mais voulant protégerson modèle démocratique de société jugé endanger. Les jeunes de ce modèle de société ouvertesont plus une «génération de l’écran» que del’écrit, d’où un effort de sensibilisation à faire à lapresse écrite.

Micro-scénario «le modèle communautariste» :risque de rupture

Le modèle communautariste limite le lecteur à unepresse d’idéologie qui reflète une société fermée :c’est un scénario de rupture à ne pas exclure. Danscette hypothèse, là aussi l’événementiel prime car ilremet en cause les sociétés dominantes. Les criseset les instabilités politiques, économiques, socialesdu monde, transmises à tous par les médias, secristallisent sur des rejets d’autrui, une fermeture àl’égalité et des comportements communautaristes.

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Une presse d’idéologie, à l’instar des utilisationscollectives des religions, monte en puissance. Cettepresse s’installe dans la vie locale par uneproximité spatiale – l’ouverture à l’international estrejetée – et est suivie fidèlement par une majoritéde lecteurs convaincus de se protéger, par le suivide doctrines, des instabilités extérieures quitoucheraient leur vie personnelle. Le lecteur jeuneest sans doute plus vulnérable dans ce scénariocommunautariste.

Micro-scénario «le modèle multi-culturaliste» :tendance nouvellevers des «journaux rassembleurs»

Le modèle multi-culturaliste propose au lecteur devivre ensemble dans le respect des différences, c’estle tendanciel vers une conciliation des différentsgroupes et cultures, vers un mode d’intégrationsociale ; la presse écrite est constituée de «journauxrassembleurs», lus par une clientèle fidèle etdiversifiée. Le scénario multi-culturaliste fonctionnethéoriquement le mieux car il représente unmélange plus ou moins harmonieux des attentesdes lecteurs. En essayant de prendre en compte lesdifférences dans un média rassembleur, le modèlemulti-culturaliste est plus démocratique, plusdivers, plus attentif aux couleurs et aux spécificitésque le modèle universaliste. Il tient compte dulocal et du culturel d’un monde internationalisé.Deux destinées sont possibles : soit la sociétéréussit à trouver des solutions d’intégration sanscrise majeure, soit elle se parcellise en commu-nautés juxtaposées et fermées sur elles-mêmes.

Dimension «économie»de la presse écrite

Voici les 7 principales variables retenues pourl’«économie» de la presse écrite et, pour chacunede ces variables, les hypothèses formulées par legroupe.

• Stratégie des acteurs privés : concentration destitres dans des grands groupes industriels oumédias ; spécialisation par cœur de métier, pargenre (stratégie de niche) ; spécialisation par zonegéographique (stratégie de proximité) ; concur-rence par fragmentation organisée par un régulateur(règles anti-concentration) ; désengagement de lapresse écrite et recomposition du secteur par desoligopoles.

• Modes de concurrence : perte de domination desdistributeurs ; perte de domination des produc-teurs ; montée des gratuits ; perte de dominationdes annonceurs ; soutien par mécénat, sponsoring ;mise en réseaux d’opérateurs atomistiques.

• Organisation de la production : intégrationverticale, maîtrise du traitement de l’information, dela fabrication, de la distribution ; entreprise deréseau, flexibilité, sous-traitance, maîtrise desconcepts éditoriaux, stratégie commerciale ; créationde nouveaux titres ; diversification des contenusexistants ; diversification des activités presse oudérivées.

• Coûts de conception et de création, coûts deproduction : en hausse/à la baisse pour investis-sements en capital, charges papier, impression(format, périodicité, invendus), charges salariales.

• Coûts de distribution : en hausse/à la baisse pourcharges marketing (études de marché, ouverturedes secteurs interdits à la publicité TV), charges dedistribution.

• Revenus et tarification : prix de vente aunuméro ; abonnements classiques, différenciés typepay per view ; gratuité (Internet, produit d’appel,fédération de gratuits) ; publicité ; produits déri-vés ; diversification des sources de revenus.

• Aides publiques (État, collectivités territoriales) :aides à la distribution (SNCF, La Poste, portage) ;aides à la modernisation (multimédia, gros inves-tissements) ; aides spécifiques (presse régionale, àl’étranger, abonnements AFP) ; aides au pluralisme(diversité des titres) ; aides fiscales (cotisationssociales portage, exonération TP).

Micro-scénario «la concentration» :le tendanciel le plus fort

Le scénario tendanciel de l’économie de la presseest la concentration économique, technologique etéditoriale du contenu, conséquences de lacompression des coûts («auto-renforceurs de laconcentration»). On va donc vers un renforcementde la concentration dans la presse, que ce soitautour d’activités industrielles, médias ou presse(six grands groupes : Dassault, Lagardère,Bertelsmann, EMAP, Le Monde, Ouest France).Pour la presse concurrencée par les autres médias,la concentration permet un modèle économiqueviable du fait d’économies d’échelle, de compen-sations ou de restructurations. La logique est deconverger vers ce triple renforcement économique,technologique et éditorial.

Deux hypothèses économiques : une contrainte decoûts à la baisse, une élasticité de la consommationde la presse écrite forte à une diminution des coûtset des prix, les habitudes du lectorat de la presseécrite n’étant pas bouleversées par les médiasaudiovisuels ou le multimédia. Une réponse à cettecontrainte de baisse des coûts de production et dedistribution est le modèle multicanal d’information,

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une même information étant diffusée sur différentssupports, une politique de «chasse au gaspi» avecdes rédactions «allégées», l’appel systématique àdes pigistes, une banalisation du traitement del’information… Dans la concurrence entre médias,le réel problème reste à terme celui de latarification. Diversifier les sources de recettes : prixau numéro, abonnements, publicité dont laconcurrence avec les gratuits sera rude, produitsdérivés type TV «un magazine = une marque». Siles aides publiques diminuaient du fait descontraintes budgétaires et de la régulation euro-péenne, les groupes de presse seraient tentés de setourner vers les collectivités décentralisées pourtrouver des appuis aux formes nouvelles à imaginer(financements, lobbying…). Quadrature du cerclepour respecter le droit de la concurrence, lepluralisme et la qualité de l’information.

Micro-scénario «l’éclatement» :rupture par une ouverture à la concurrence

Le scénario de l’éclatement est un scénario derupture du tendanciel à la concentration, avec deuxvariantes pour aller vers la concurrence : soitl’éclatement est provoqué par les grands groupesindustriels qui ont d’autres priorités que les médiaset se recentrent sur leur propre cœur de métier, soitl’éclatement est organisé par le régulateur avec desrègles anti-concentration, éclatement pouvant êtredemandé ou favorisé par Bruxelles ou par desgouvernements responsables devant les citoyensrévoltés et lassés d’informations identiques etbanalisées.

La concurrence s’accroît dans le secteur desmédias, sauf s’il y a rachat par des grands groupesétrangers. Cet éclatement de la concentration setraduit par une coexistence de PME indépendantesqui travaillent en réseaux. L’appel à l’État se faitpressant, plus pour avoir un soutien financier quepour garantir le pluralisme de l’information ; leniveau ou la pérennité de ce soutien sont incertainscompte tenu des projets de libéralisation commecelui des services postaux, des contraintes budgé-taires et réglementaires. L’offensive marketing etd’innovation est primordiale, et toutes les potentia-lités pour attirer les lecteurs vers la presse écritesont exploitées : contenus et formats innovants,équipements matériels plus petits, plus décen-tralisés, formules de tarification plus attractives aunuméro ou «gratuites» comme moyen d’appel aulectorat payant. Le partage du gâteau de lapublicité reste préoccupant dans la concurrenceentre éditeurs de presse. La flexibilité del’organisation de la production risque de serépercuter sur la qualité de l’information, d’où un

retour à une demande d’État garant de la solidarité,de la démocratie.

Doit-on considérer Internet comme une véritableforme de concurrence ou une manière de fidéliser lelectorat ? Les évolutions sont lentes et le risqued’abandon total de médias par le consommateur estjugé peu probable dans les dix ans à venir. Cependantla probabilité d’une rupture technologique existe. Lesconséquences des évolutions du numérique etd’Internet se font sentir sur le traitement de l’infor-mation et l’accès aux contenus d’information. Ellespeuvent bouleverser l’économie de l’offre de pressepapier, la production et surtout la distribution qui àelle seule représente 25 à 35 % des coûts (kiosques,points de vente, portage) l’accès à un certain nombrede lecteurs se faisant directement à domicile parimpression électronique du journal. Si Internet devientun élément concurrentiel important sur le marché dela presse, il sera à l’origine d’un scénario de rupturequi pourra mener à l’effondrement de la presse écrite.

Micro-scénario «l’effondrement» :rupture par une crisede la presse d’information

«Le scénario de l’effondrement» est celui d’unerupture de la concentration ou de la concurrence,rupture provoquée par une crise de la pressed’information. L’effondrement de la presse écriterésulte de la montée en puissance de la presse surInternet et/ou de l’impossibilité de réduction descoûts du secteur traditionnel. Cet effondrement estprovisoire car une reprise en main de ce secteurpar des groupes multimédias est une hypothèsepossible. La presse écrite serait reprise par desoligopoles supplétifs, avec un soutien de typemécénat, pour avoir «leur danseuse» ou unsupplément d’âme. Le financement repose avanttout sur les recettes de publicité et des produitsdérivés. On peut se demander si la publicité n’offrepas alors une sorte de garantie d’indépendance. Onen revient au scénario de la concentration, avecune presse écrite affaiblie par des contenuscontrôlés ou banalisés. L’intervention de l’Étatapparaît comme une nécessité pour préserver lepluralisme de la presse d’information.

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DÉMÉTER

Prospective du rôle de l’État dans la conceptionet le pilotage des dispositifs de formation professionnelle

Prospective du rôle de l’État dans la formation professionnelle

Le premier Quatre Pages présentait, le 16 mars2004, les travaux exploratoires de Déméter : lesgrandes tendances de fond du contexte (uneéconomie fondée sur les connaissances, un marchédu travail en mutation, les transformations de laformation professionnelle le rôle nouveau du local,la décentralisation, la construction européenne, lechoc démographique de 2006) et les acteurs dusystème de la formation professionnelle (lesentreprises, les branches professionnelles, lespartenaires sociaux, l’État, le Conseil régional). Legroupe s’est, depuis, engagé dans l’analyse descomposantes du système de la formationprofessionnelle, la mise en évidence des principauxdéterminants du futur et des hypothèsesprospectives possibles. Ce travail est en cours. Cetexte est un document de travail qui expose uncheminement de travail plutôt qu’il ne présente desrésultats.

Partage, complexité et subsidiarité

La complexité est un trait dominant du système dela formation professionnelle. Les champs de laformation sont imbriqués, au point que la réussitede la formation tout au long de la vie dépendralargement de la qualité des formations initiales. Lesniveaux d’intervention également, car les résultatsdes politiques locales, régionales, nationales eteuropéennes se conditionnent mutuellement. Lesacteurs, enfin, dont les pratiques constituent, au-delà de la répartition des rôles et des compétences,la clé des réussites ou des échecs. Or, il ne peut yavoir de «bonnes pratiques» qui ne soient ancréesdans une connaissance approfondie des évolutionsdu marché du travail, des métiers, des quali-fications, de la relation formation-emploi. C’estpourquoi la connaissance des évolutions dumarché du travail et la mise en place d’outilsd’expertise sont des enjeux centraux.

Les tendances d’évolutiondu marché du travail

Le marché du travail subit l’influence du passagede l’économie fordiste des «Trente glorieuses» àl’économie fondée sur les connaissances. Laflexibilité s’accroît. Un défi majeur est de la

concilier avec la sécurité. Certaines transformationsfavorisent la stabilité, d’autres l’instabilité. Si 90 %des contrats de travail sont à durée indéterminée,les flux d’embauches sont largement sous la formede contrats précaires. Toutes les catégories d’actifsne sont pas concernées de la même façon par cestransformations. Pour des observateurs certainesévolutions sont porteuses de changements : alorsque l’instabilité n’a pas crû depuis 20 ans pour lestravailleurs dont l’ancienneté est supérieure ouégale à 5 ans, les travailleurs les plus ancienssemblent plus nombreux à être soumis à destransitions, quand il est établi que les travailleursles plus âgés retrouvent difficilement des emploislorsqu’ils sont licenciés.

On note aujourd’hui une tendance à l’instabilitévolontaire des jeunes qui arrivent sur le marché dutravail, qui met en cause le schéma classique dulien de fidélité entre le salarié et l’employeur. Parailleurs, les nouveaux arrivants subissent fortementla flexibilité. Il existe de moins en moins de postespeu soumis au changement, dans lesquels placerles travailleurs âgés. Les entreprises forment peu lestravailleurs les moins qualifiés et les entreprisesd’intérim font de plus en plus de formation. Lerecours aux marchés externes semble se dévelop-per, à côté (et au détriment ?) de la promotioninterne. La «relation de service» apparaît danscertains univers de travail. Si elle ne remet pas encause le contrat de travail classique, elle pourrait lefaire évoluer. Elle constitue une des formes dudéveloppement de la logique de compétence, àcôté de la logique de qualification.

Les mutations sociales présentent de nouveauxdéfis à la formation. La paupérisation croissanted’enfants s’accroît et favorise l’échec scolaire, quientraîne celui de la socialisation et handicapedurablement leur trajectoire professionnelle. Or, laqualité de la formation initiale et de la socialisationest fondamentale pour la formation tout au long dela vie et la validation des acquis de l’expérience(VAE), qui se réalisent mieux avec de faiblesinégalités sociales, une bonne formation de base etune bonne socialisation.

Déméter exclut, à l’horizon de la prochainedécennie, à la fois le retour au modèle d’emploifordiste et l’absence totale de régulation. Le

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scénario-cadre retenu est donc celui de larégulation, avec deux variantes possibles :

– une variante libérale : l’individu, doté d’un«portefeuille de compétences», affronte libre-ment un marché du travail fluide etconcurrentiel ; l’État et l’ensemble des acteurspublics se concentrent essentiellement surl’acquisition des compétences,

– une variante plus solidaire, où l’État et lespouvoirs publics organisent la facilitation destransitions et la sécurisation des trajectoires.

L’expertise partagée en région

Connaître les évolutions de l’économie, del’emploi, des métiers, des marchés du travail, etc.,dans le contexte de la complexité économique etde la montée en puissance des dynamiquesrégionales et locales, est indispensable au bonfonctionnement de la décentralisation. D’impor-tants progrès ont été faits depuis les débuts de ladécentralisation dans le développement d’outils deconnaissance, qui restent néanmoins disparates etpeu cohérents, au point que la troisième évaluationdes politiques régionales de formation profes-sionnelle initiale et continue (Comité de coordi-nation des programmes régionaux d’apprentissageet de formation professionnelle continue, janvier2004) conclut que «l’enjeu est pour l’avenir deconstruire à partir de ces outils différents, unevision et un usage partagés par les acteursrégionaux».

Reflet de la diversité des acteurs, la multiplicitéd’outils parcellaires et éclatés conduit à ce que lesrepères statistiques, très inégaux, n’apportent pas lavisibilité nécessaire. Or, les programmes stratégi-ques tels que le Plan régional de développementdes formations (PRDF), les contrats d’objectifsterritoriaux, etc., nécessitent une vision prospectiveet une connaissance approfondie et complète de larelation économie-formation-emploi. Si le partena-riat institutionnel a beaucoup progressé au coursdes dernières années, le partenariat technique estresté très en deçà. Or, l’action partenariale ne peutêtre efficace que si elle est fondée sur des enjeuxpartagés par les acteurs. Ce partage se construit enpremier lieu dans le repérage en commun destendances à l’œuvre (sur les territoires, dans lesbranches, les métiers, les entreprises, etc.) et deleurs conséquences. De telles démarchesrégionales de prospective des activités, de l’emploi,des métiers et des qualifications constituentd’excellents fondements aux démarches stratégi-ques sur les territoires et les complémentsindispensables des travaux nationaux. Le diagnosticpartagé rend possible le dialogue entre les acteurssur les politiques à mettre en œuvre pour

développer les forces et pallier les faiblesses. Il estessentiel à la coordination des acteurs.

La nouvelle expertise devient ainsi une dimensionde la gouvernance locale. Elle peut se faire enprenant appui sur les divers producteurs dedonnées existants. Elle s’appuie sur une coopé-ration interinstitutionnelle pour produire lesconnaissances nécessaires selon des modalités quipermettent à l’expertise partagée d’être techni-quement fiable (adossée aux méthodes et auxproblématiques de la recherche scientifique, etopérationnelle) et utile au débat interinstitutionnel(intégrable au processus de décision). La nécessitéd’inscrire les stratégies dans le long terme exigeune expertise publique consistante, indépendanteet dégagée des contraintes du court terme. Laprésence de l’État est fondamentale à cet égard,notamment dans les instances communes telles queles observatoires régionaux emploi-formation(OREF) ou les centres d’animation, de ressources etd’information sur les formations (CARIF).

À l’avenir, les stratégies des acteurs peuvent être :

- pour ceux qui le peuvent de produire des outilspartiels peu cohérents,

- pour l’État, de se retirer des instancescommunes,

- de construire, collectivement, une expertiserégionale partagée, permettant notamment desdémarches de prospective régionale desmétiers et des qualifications dans laquelle l’États’engage fortement et veille à la cohésionnationale, notamment au moyen d’unepolitique d’évaluation.

L’enjeu de la cohérence des acteurs

Il n’y a plus, ou si peu, de compétences exclusives,et ce d’autant moins qu’on prend en compte lespolitiques d’emploi ou de développement écono-mique. Toutes les questions appellent des réponsesd’acteurs multiples. La formation professionnelleconstitue ainsi un espace privilégié de gouver-nance. La palette des pratiques possibles est large,de la coopération la plus étroite, voire la subsi-diarité active, à la généralisation des démarchesisolées. Dans ce champ de compétence partagée,les effets futurs de ces différentes hypothèses serontfortement différenciés.

Tout ne semble pas évoluer dans la mêmedirection : l’accord national interprofessionnel du20 septembre 2003, signé par les partenairessociaux au terme d’une longue négociation etintégré à la loi du 4 mai 2004, prend peu encompte le territoire, et le poids donné aux branches

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professionnelles pourrait favoriser les logiquesverticales et nationales plutôt que transversales ouinterprofessionnelles. Par ailleurs, la décentra-lisation s’inscrit dans une perspective transversale,territoriale et ascendante, sa mise en œuvrecomprend une importante composante planifica-trice. Les logiques professionnelles et territoriales,constitutives de la formation professionnelle,seraient-elles antagoniques ? Tout se passe commesi elles s’ignoraient dans leurs développementspropres, pour affronter, ensuite, le défi de leurcohérence.

Mais la situation n’est pas uniforme au niveaurégional. Les partenaires sociaux peuvent, lorsqu’ilssont présents, mettre en œuvre des visionsterritoriales, transversales et interprofessionnellesau niveau local. À l’opposé, les différents servicesde l’État ne parviennent pas toujours à ce résultat.

Consultation, concertation, coopération…

…Sont trois des principales formes du partenariat,structurel dans la formation professionnelle etadmis par tous. Ce dernier dispose des structures(Comité de coordination régional de l’emploi et dela formation professionnelle, Commission paritaireinterprofessionnelle régionale de l’emploi…), et desinstruments (contrat de Plan État-région, contratsd’objectifs, observatoires, contrats d’études pros-pectives, centres d’animation, de ressources etd’information sur la formation…) qui permettentaux acteurs, et notamment au Conseil régional, decoordonner les politiques de formation profes-sionnelle. La troisième évaluation des politiquesrégionales de formation professionnelle initiale etcontinue constate «une relance des instances, desprocédures et des outils de concertation, (…)relance nette même si très inégale d’une région àl’autre, d’un instrument à l’autre». Les dispositifssont les mêmes, mais les situations varient : c’est entrès grande partie dans la pratique des acteurs, dansle cadre de la répartition des rôles opérée par la loi,que se jouera l’efficacité du système de laformation professionnelle.

Or, les pratiques varient beaucoup : laconsultation formelle des instances participativesn’a pas les mêmes effets qu’une coopérationfondée sur une vision commune des enjeux issued’une expertise partagée. Les acteurs sont toussusceptibles d’avoir des positions plus ou moinscoopératives. Dans ce système très cloisonné etstratifié, un enjeu majeur des acteurs estl’intégration : intégration verticale (décentra-lisation, subsidiarité) et horizontale (coopé-rations, recompositions, pilotage régional). Lesacteurs sont face au défi du managementterritorial, à la cohésion nécessaire à l’efficacité.

L’État et la formation professionnelle :un champ de compétencestructurellement partagée

L’État contribue, avec le service public, à laformation professionnelle, mais en liaison avec denombreux partenaires qui concourent, avec lui, àl’assurer, chacun intervenant au nom de salégitimité. La décentralisation en modifie l’agen-cement institutionnel. D’autres facteurs tels quel’accord national interprofessionnel, la validationdes acquis de l’expérience, etc., obligent l’ensem-ble des acteurs à évoluer. Faire la prospective durôle de l’État revient donc à traiter du rôle del’ensemble des acteurs face aux défis actuels etfuturs de la formation. Mais les membres deDéméter ont décidé de traiter de l’État de manièrespécifique, pour, ensuite, le considérer dans sesrapports avec les autres acteurs.

La seule fonction régalienne de l’État dans laformation professionnelle est la régulation, au nomde la cohésion et de la solidarité nationale. Cettefonction vise à assurer la cohérence de lacompétence partagée, car elle est porteuse duprojet sociétal, qui est national. L’exercice de cettefonction comporte deux volets :

– le premier fait consensus : l’État est leproducteur et le garant du cadre normatifd’accès à la qualification. Il partage, avec lespartenaires sociaux, la production de la norme.Ce cadre normatif comprend tout le dispositifjuridique décrivant les modalités d’accès à laformation professionnelle mais également lacertification des compétences ;

– le deuxième, fait débat : dès lors que lesConseils régionaux ont la responsabilité dedéfinir et de coordonner les politiques deformation professionnelle, l’État doit-il êtreaussi un opérateur directement dans le systèmede formation professionnelle ? Est-il fondé àmettre en œuvre des mécanismes de péré-quation destinés à compenser les inégalités derichesse entre les régions et entre les indivi-dus ? Est-il fondé à mobiliser les moyens de laformation professionnelle au service despolitiques d’emploi ou d’éducation ?

Les situations futures relèveront :

– d’une logique des compétences partagées ; onpasse de «l’État stratège» aux «pouvoirs publicsstratèges» : les lieux et acteurs de la régulationse multiplient, la subsidiarité active stimule unegouvernance coopérative. L’État a une forteprésence régionale et une cohésion internerenforcée ;

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– ou d’une logique plus libérale, de«l’éclatement» des compétences, répartiesentre les acteurs, avec une spécialisationstricte. L’État abandonne son rôle d’opérateuret de prescripteur.

Les branches professionnelles

L’accord national interprofessionnel du 20septembre 2003 et la loi du 4 mai 2004 renforcentle rôle des branches dans la formation profes-sionnelle, au moment où la décentralisation de laformation transfère aux régions des compétencesde l’État. Les branches devront fixer les priorités dudroit individuel à la formation, gérer les contrats deprofessionnalisation, définir les besoins, conjonc-turels et prospectifs, en matière d’emploi et deformation des entreprises, pour affecter les fondscollectés auprès de ces dernières entre les publics,les types de formation, etc. Elles doivent créer,lorsqu’ils n’existent pas, des observatoires pros-pectifs des métiers et des qualifications, àcompétence nationale ou territoriale, par brancheou groupement de branches.

Extrêmement nombreuses (on dénombre 300branches et syndicats professionnels), elles sonthétérogènes. Quelques très grandes branchespuissantes, bien organisées, disposant d’un appareilde formation efficace, existent à côté d’un nombreélevé de branches moyennes ou très petites, nedisposant ni des moyens ni de l’expérience desgrandes. Une telle diversité est inadaptée au rôlenouveau prévu par la loi. Les unes pourront jouerce rôle, les autres non. Elles devront s’adapter.

Les principaux défis qu’elles auront à relever sont :

• La question régionale, qui s’impose autant parl’organisation des responsabilités publiques(décentralisation) que par la montée de ladimension régionale de l’économie et du marchédu travail. Or, les branches sont peu présentes auniveau régional.

• La question des métiers et des fonctionstransversaux. Le rôle des branches dans lacertification professionnelle s’accroît alors que toutdevient de plus en plus transversal, commun auxdiverses branches.

• La question des PME. La connaissance exacte desbesoins de formation professionnelle des PME estdifficile. Les PME et TPE sont très diverses, leursdirigeants peu en mesure d’anticiper les évolutions,obligés qu’ils sont de gérer leurs nombreusescontraintes dans le court terme. De plus, leursbesoins diffèrent souvent de ceux des grandesentreprises et sont mal exprimés par les branches.Elles sont confrontées au problème de l’iden-

tification de leurs besoins par les structuresexistantes : les branches (ou AGEFOS/PME) et lessystèmes d’information régionaux.

• L’évolution des rapports entre les entreprises etles régions : que ce soit dans le cadre derestructuration d’entreprises, de prise en compted’évolutions fortes concernant leurs métiers,activités, etc., les entreprises grandes et petites sontet seront de plus en plus directement concernéespar des politiques publiques de formation, et serapprocheront des acteurs publics.

À l’avenir, face à ces défis, les branches pourront :

– se restructurer, coopérer, se transversaliser,s’impliquer dans les systèmes d’information etles stratégies régionales,

– ou rester nombreuses, émiettées et centralisées.

Les travaux à venir :hypothèses prospectives

Dans la formation professionnelle, chaque acteurest confronté à une série d’alternatives décisives :dimension nationale et dimension locale, logiquedes grandes entreprises et logique de PME, verti-calité et transversalité, branches et interprofes-sionnalité, régulation et laisser faire libéral, etc. Ilpeut développer des pratiques plus ou moinsindividuelles, coopératives, etc. Les travaux àvenir de Déméter vont considérer le système dela formation professionnelle dans son ensemble,et élaborer des scénarios exploratoires enétudiant des hypothèses prospectives dans quatrechamps :

– les évolutions économiques dues auxcomportements des acteurs économiques dansle champ territorial national et au planinternational, aux divers scénarios de crois-sance et à leurs conséquences sur les marchédu travail ;

– les orientations européennes, les principes etactes politiques qui influencent la formationdes hommes ;

– les évolutions institutionnelles françaises enmatière de décentralisation et les politiques quiinvestissent et investiront les formes nouvellesd’action de ces institutions ;

– les évolutions sociétales qui façonnent lecomportement des individus et dictent le choixde postures en matière de relation au travail età la formation dans la perspective de lespréparer ou non à exercer les activités de leurchoix ou s’insérer dans le marché du travail.

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Ces champs vont peser sur :

– le comportement des acteurs, en termes deconvergence ou de divergence (concertation etaction),

– les évolutions du marché du travail (caracté-ristiques des emplois et compétences requisespour les exercer et s’y insérer),

– la perception des contenus, de leurs évolutions,et des formes de la formation professionnelle.

C’est dans des situations ainsi déterminées que vontse comporter les quatre acteurs suivants :

– les bénéficiaires des formations,

– les producteurs des formations,

– les prescripteurs et financeurs des formations,

– l’État.

Un scénario européen normatif

L’Union européenne s’est construite au cours detemps forts, parmi lesquels les élargissements,l’Acte Unique, l’euro, etc. Aujourd’hui, l’ambitioncommunautaire est de «faire de l’Europe, d’ici2010, l’économie de la connaissance la plusdynamique du monde, capable d’une croissanceéconomique durable, accompagnée d’une amélio-ration quantitative et qualitative de l’emploi etd’une plus grande cohésion sociale».

Adoptée lors du sommet de Lisbonne de mars2000, puis déclinée lors de plusieurs sommetseuropéens successifs (dont celui de Copenhague,en décembre 2002, pour la formation) cetteperspective s’intitule la «stratégie de Lisbonne».Elle constitue le cadre de référence d’un grandnombre de domaines. Elle comprend un importantvolet formation. La promotion d’une politiqueactive pour l’emploi (incluant notamment laformation et la mobilité) constitue un de seschantiers.

Cette stratégie est fondée pour partie sur le principede l’intégration des politiques de formation à despolitiques de développement globales ou secto-rielles. Il s’agira alors de favoriser l’adaptation et laqualification des ressources humaines au service del’économie de la connaissance, de favoriser ledéveloppement des plates-formes technologiques,etc. Elle pourra s’appuyer sur des évolutionspossibles des fonds structurels, dans le cadrenotamment de la réforme de la politique régionale(recherche, innovation, mais aussi politique deformation en faveur de l’économie de laconnaissance).

Déméter a choisi d’étudier un scénario intitulé«stratégie de Lisbonne», normatif, qui consistera àidentifier les voies possibles de la contribution desacteurs de la formation professionnelle à cetteperspective.

Un programme de travail

Au cours des prochains mois, Déméter vapoursuivre l’analyse des composantes du systèmede la formation professionnelle, en le traitant danssa globalité, c’est-à-dire sous l’angle de lacohérence des acteurs et des rôles possibles del’État. Il va pour cela développer, préciser etapprofondir les hypothèses prospectives dont lesgrandes lignes sont présentées ci-dessus.

Il va ensuite rencontrer les acteurs de la formationprofessionnelle, leur soumettre son analyse pros-pective, y compris le scénario de la «stratégie deLisbonne» s’il s’avère pertinent, et solliciter leursréactions, pour les prendre en compte.

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ÉQUILIBRES

Prospective du rôle de l’État stratègeface aux enjeux de développement durable

La responsabilité sociale des entreprises (RSE)

Pour répondre à la fois à une demande socialecroissante et pour anticiper la mise en place derégulations publiques, les entreprises ont com-mencé à répondre par des démarches volontairesaux enjeux du développement durable, tentant deminimiser les coûts sociaux et environnementauxoccasionnés par leur activité, prenant en comptel’intégrité économique de leurs structures (lesfiliales et les sous-traitants), élargissant le dialoguesocial à la société civile et aux partenaires del’entreprise. Le vocable anglo-saxon de responsa-bilité sociale des entreprises (RSE) regroupel’ensemble de ces démarches qui recouvrent unediversité de pratiques et d’outils. Leur encadrementpublic a, de ce fait, largement succédé à leurinitiative et est relativement récent. Il est dès lorsnécessaire de dresser l’état des lieux de cettepratique, d’envisager ses évolutions prévisibles etles changements qu’elle impose aux entreprisesavant de s’interroger sur la nécessité et les moyensde son encadrement.

Un concept anglo-saxonà l’usage des multinationales ?pour quelle pérennité ?

Née aux États-Unis à la faveur de la lutte contrel’apartheid et développée dans les années 1990,sous la pression en particulier de mouvements deprotestation contre l’exploitation des travailleursdes sweat shops («usines à sueur»), la respon-sabilité sociale des entreprises (RSE) tente deréguler le capitalisme «actionnarial», dont les exi-gences de rentabilité financière ont conduit à desexcès préjudiciables à l’ensemble du système.

Au moment où l’environnement économiqueapparaît de plus en plus instable (turn over dumanagement, délocalisation des productions) et oùdes pénuries de main-d’œuvre se font jour danscertains secteurs nécessitant un renforcement del’attractivité à l’embauche, la question de la«durabilité» de l’entreprise et de sa contribution àla société se pose de manière nouvelle. Ce contexteinstable produit des incertitudes croissantes dansles entreprises de bas en haut de l’échelle socialedu personnel et de l’amont à l’aval du processusde production, de la fermeture d’usine à l’impos-

sibilité de transmettre son entreprise soit par fautede repreneur soit parce que les générationsantérieures ont surexploité un site industriel devenuimpropre à toute activité économique.

Les pressions extérieures s’accumulent égalementen ce sens :

– pression des investisseurs de plus en plusexigeants en la matière pour assurer lapérennité de leurs investissements, renforcer lecapital-image de la marque et, partant, lavaleur boursière de l’entreprise ;

– pression des partenaires (en particulier lesclients en B to B qui demandent à leursfournisseurs de respecter les mêmes normesenvironnementales et sociales qu’eux) ;

– pression des ONG dont le capital de sympathieet la capacité de nuisance médiatique doiventêtre anticipés par les entreprises ;

– pression des consommateurs-citoyens soucieuxde savoir comment sont fabriqués les produitsqu’ils achètent.

C’est dans ce contexte que la responsabilité socialedes entreprises a conduit nombre d’entre elles às’engager dans des démarches volontaires, passantau crible de la performance sociale et environ-nementale leur organisation interne (gouvernementd’entreprise) et leur chaîne de la valeur (del’extraction des matières premières au recyclagedes produits en passant par les étapesintermédiaires : production, transport, consom-mation) ; associant les share holders (actionnaires)et les stake holders (parties prenantes), les salariés,les fournisseurs mais aussi les élus, le quartier, lesONG, etc.

Les efforts accomplis par les entreprises, en vued’un développement durable, et le caractèreinnovant et précurseur de certaines d’entre elles enfont aujourd’hui des acteurs déterminants.Néanmoins, cet engagement des firmes en faveurdu développement durable doit être nuancé.Nombreuses sont celles, y compris parmi les plusperformantes, qui refusent de «sacrifier» la

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rentabilité de court terme sur l’autel dudéveloppement durable. Ce sont aujourd’hui lesentreprises les plus exposées (entreprises polluanteset/ou proches du consommateur final) et les plusrentables qui se risquent à entreprendre unedémarche de développement durable. Y comprisdans ce cas, les initiatives, majoritairementorientées sur la qualité des produits et l’envi-ronnement, se heurtent en interne à des réticencesdues au surcoût occasionné sans connaîtreréellement le retour sur investissement : commesouvent en économie, les pertes sont certaines etles gains incertains. À cela s’ajoute le sentimentpartagé par de nombreuses entreprises en Europe,particulièrement en France, qu’elles subissentd’ores et déjà des contraintes réglementairesimportantes (en matière de sécurité et d’hygiène eten matière sociale) quand elles ne s’interrogent passur «l’effet de mode» ; d’autres encore estimentqu’elles font déjà du développement durable, à lamanière de Monsieur Jourdain, «sans le savoir».Développé dans un contexte culturel différent parles grandes firmes internationales qui opèrent dansdes pays qui ne disposent pas d’institutions fiableset stables, le concept de développement durableleur paraît trop englobant, mal adapté à leurspréoccupations immédiates et de peu d’impact entermes de compétitivité.

Au-delà du renouvellement naturel des concepts etdes méthodes de management, la responsabilitésociale des entreprises est fortement liée au cadreéconomique et institutionnel qui sera le nôtre àlong terme. Elle est aujourd’hui tirée par ladissymétrie entre l’internationalisation rapide desfirmes et l’absence de «règles» internationales dufait des inégalités de développement économiqueet institutionnel. Les incertitudes sur la constructioneuropéenne et sur les régulations multilatérales, demême que sur les tendances du capitalismemondial (concentration et dérégulation versusprotection des entreprises «nationales») auront unrôle déterminant sur le «devenir» du dévelop-pement durable.

Un «mouvement social» promupar le capitalisme le moins social

Comme le montre l’auteur de Capitalisme contrecapitalisme, Michel Albert (Futuribles, n° 287,juin 2003), c’est paradoxalement le capitalisme lemoins social qui est à l’origine de ce mouvementde la responsabilité sociale des entreprises. L’ori-gine anglo-saxonne de la RSE a pour conséquenceune minimisation du rôle des syndicats. En quoicette sous-représentation du fait syndical est-elleseulement le reflet de l’origine géographique duconcept, dès lors «adaptable» dans une Europe quirenouerait ainsi avec son modèle «partenarial» ?Ne traduit-elle pas également une modification de

la mobilisation sociale qui, non seulement auxÉtats-Unis ou en Grande-Bretagne – dont c’est une«tradition» politique – mais aussi dans l’ensemblede l’Europe, singulièrement en France, passeaujourd’hui autant par le militantisme associatifque par l’adhésion partisane ou syndicale ? Onconstate, en effet, que la pratique de la respon-sabilité sociale des entreprises est très coordonnéeavec les ONG (que ce soit les ONG environ-nementales, celles de droits de l’Homme ou delutte contre la corruption). Cette proximité peuts’expliquer non seulement par la menace que lesONG font peser sur les entreprises (boycott etsurtout campagnes médiatiques) mais aussi par lefait que ces nouveaux acteurs se situent d’emblée,à l’instar de l’économie marchande, dans uncontexte international. En revanche, le syndi-calisme reste essentiellement ancré dans uncontexte national et culturel, même si lesfédérations syndicales internationales existent.Comment prendre en compte cette évolution dansun dialogue social «élargi» sans nuire au «modèlesocial» français ?

La pression des mouvements de consommateursrelayée par les ONG a dès lors fortement marqué lecontenu même des démarches «sociales» desentreprises. Les codes portent ainsi plus souvent surl’interdiction du travail des enfants que sur le droitde la négociation collective. Le respect desconventions de l’OIT, plus récemment la luttecontre la corruption, sont très souvent évoquésdans les démarches des entreprises qui s’adressentessentiellement à leurs filiales dans les pays émer-gents ou en développement. Une telle démarcheimplique essentiellement le respect des normesinternationales qui, bien que signées par la plupartdes pays, n’y sont pas appliquées et dont la non-applicabilité n’est pas «sanctionnée».

Faut-il en conclure pour autant que la «clausesociale» du développement durable dans lesentreprises n’a pas lieu d’être dans les payseuropéens qui disposent d’un droit social bienétabli ? Ou bien serait-il, à l’inverse, possible etsouhaitable d’adapter ces «clauses sociales» auxcontextes nationaux et de favoriser à cet égard uneprise en compte des priorités collectives ? Déjàcertaines agences de recrutement se spécialisentdans le recrutement des personnels de plus de50 ans que le marché du travail tend à évincer,d’autres entreprises traquent les pratiques dediscrimination, d’autres encore favorisent l’inser-tion des jeunes en difficulté, des primo-migrants,etc. Il est dès lors possible d’envisager despartenariats publics/privés sur un certain nombrede questions prioritaires où la loi a du mal à faireévoluer les comportements.

Plus largement, la démarche sociale des entreprisespourrait fournir une nouvelle marge de manœuvre

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à la construction sociale européenne. Aujourd’hui,cette dernière est limitée aux démarches volon-taires, les États du Nord (modèles scandinave etrhénan, France) refusant d’abandonner leur modèlesocial sur l’autel de la construction européenne, lespays méditerranéens et surtout la Grande-Bretagnerefusant de payer le prix (en termes decompétitivité) d’un alignement social sur le mieux-disant. De ce fait, les avancées ou non de laconstruction européenne en cette matière aurontun impact sur le devenir même de la dimensionexclusivement sociale de la RSE. Mais, dans lemême temps, ces démarches volontaires pourraientà terme favoriser une plus grande proximité socialedans les entreprises européennes et conduire à lamise en place d’un droit positif européen enmatière sociale qui, pour l’heure, a bien du mal àvoir le jour.

Une nécessaire standardisationdes procédures et des normes ?

La démarche volontaire en matière de respon-sabilité sociale et environnementale a conduit à unfoisonnement de normes et de labels où lesentreprises et les consommateurs ont du mal à seretrouver.

Du côté des entreprises, le mieux disant ou le plusinnovant éprouve aujourd’hui des difficultés à sedifférencier face à la prolifération des labels.Plusieurs types de problèmes se posent à cet égard :

• L’imprécision des normes dont la définition estvariable selon la nature de celui qui les édicte(organismes multilatéraux ou communautaires,associations, fédérations d’entreprises au niveaumondial, européen, voire national ou local, etc.)n’offre pas de garantie suffisante à l’entreprise quipeut voir contester publiquement la qualité de sadémarche développement durable par d’autres«normes».

• L’inégalité de traitement. Les entreprises les plusmédiatiques donc les plus visées par les campagnesde presse ont à cœur que leurs concurrents moinsexposés subissent les mêmes contraintes. Lesentreprises cotées, soumises à la pression de leursactionnaires (en particulier américains à travers lesfonds éthiques), sont davantage concernées par cesnormes que les PME, sauf si elles sont sous-traitantesde grands groupes.

• Dans le même temps, si la qualité environ-nementale et sociale devient un argument decompétitivité (code des marchés publics en Europe,facteur de différenciation et d’innovation), les PMEne sauraient rester à l’écart de ce phénomène souspeine d’être marginalisées. Mais comment imposerdes certifications et des audits coûteux à des

entreprises de taille modeste qui n’en ont pasnécessairement les moyens ?

• Enfin, on constate aujourd’hui une concurrenceentre normes, l’entreprise ayant intégré une normequi s’impose ensuite au niveau régional ou mondialdétenant un argument compétitif sur le marchémondial. De ce point de vue, certains États ontd’ores et déjà entrepris de soutenir une norme ouun label.

Du point de vue des consommateurs, laprolifération des normes nuit à la clarté de soninformation et bride les velléités du consommateur.De plus, ces normes (en dehors de leur déno-mination parfois absconse) ne disposent pasd’instruments de diffusion comparables à lapublicité des entreprises pour leurs «marques». Dèslors, et sans surprise, les études montrent que lesconsommateurs font davantage confiance à lamarque qu’aux labels. Rendre une norme ou unlabel aussi «visible» qu’une marque implique unecampagne à un coût similaire à celui du lancementd’une marque. Ce qui pose le problème de la priseen charge publique ou privée de ces coûtsd’information pour les normes et labels «dévelop-pement durable».

Quels indicateurs de performancesenvironnementale et socialeet comment les «certifier» ?

Le foisonnement des normes – mais aussi desnotations socio-environnementales – et les risquesencourus en raison des impacts de l’activitééconomique sur l’environnement écologique etsocial ont conduit les pouvoirs publics de certainspays européens (Belgique, France, Royaume-Uni) àencadrer la RSE, en imposant aux entreprises lamise en place et la diffusion d’indicateurs deperformance environnementale et sociale. L’actiondu législateur, qui vient encadrer une pratique déjàdiffusée dans certaines entreprises, n’a pas voulunéanmoins imposer aux entreprises un cadre tropcontraignant. La loi française sur les nouvellesrégulations économiques n’exige pas un contrôledes performances qui serait assorti de sanctions nine détermine la forme que ces indicateurs doiventprendre. Cette position est sans doute liée à ce queFrédéric Tiberghien estime être «l’immaturité» dessystèmes de reporting.

Les évaluations des premiers rapportsenvironnementaux en témoignent. Elles montrent,en premier lieu, que les rapports contiennent fortpeu de données chiffrées, les consommationsd’énergie et d’eau ainsi que la production desdéchets constituant les thématiques les mieuxrenseignées. Selon l’étude internationale Trust us,menée en 2002 par le cabinet Sustainability et le

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PNUE (Programme des Nations unies pour l’envi-ronnement), la taille des rapports environne-mentaux s’est accrue mais au détriment de lalisibilité (les informations pertinentes sont noyéesparmi d’autres) voire de la transparence (le contenune s’améliorant pas). Cette situation peut êtreattribuée à la crainte de distorsion de concurrence(les indicateurs de performances environnementaleet sociale fournissent des informations à laconcurrence). À cela s’ajoute, lorsqu’une entreprisecommunique sur sa responsabilité environne-mentale et sociale, un risque d’effets boomerang :la précision des données chiffrées peut donner desarguments à ses détracteurs, ses actionnaires si lesperformances déclinent d’une année sur l’autre.

Enfin, l’absence de référentiel commun (quicontraindrait toutes les entreprises d’un secteur àfournir les mêmes informations par exemple) neplaide pas en faveur d’une précision des données.Il n’existe pas, en effet, comme en matièrecomptable par exemple, de définition uniforme desindicateurs de performance quantitatifs : toutes lesnormes (ISO, GRI, etc.) définissent des procéduresmais n’imposent pas de modes de calcul. Lescritères qualitatifs, en particulier en matièresociale, sont encore plus difficiles à définir et leur«objectivité» toujours contestable. Établir un réfé-rentiel commun se heurte, en effet, à deuxdifficultés : les différences sectorielles (entre uneindustrie primaire et une entreprise de services, lesenjeux du développement durable ne sont pas demême nature) et la nécessaire comparaison auminimum européenne, au mieux internationale,rendent complexes sa mise en œuvre.

Enfin, les indicateurs de performance que lelégislateur commence à imposer aux entreprises enEurope ne sont pas soumis à une «vérification»dont le sérieux et l’objectivité seraient garantis parles pouvoirs publics. Les vérifications des ONG(Amnesty, WWF, De l’éthique sur l’étiquette) surcertains aspects de la politique de développementdurable des entreprises, les certifications desauditeurs dans le cadre de leur vérificationannuelle des comptes ou les notations des agencesfinancières n’ont pas le crédit nécessaire pour«valider» une démarche entrepreneuriale de déve-loppement durable.

La pression est forte aujourd’hui en faveur d’unencadrement de la RSE à travers la mise en placed’outils «normés» (cf. label S aux Pays-Bas) etd’indicateurs uniformes. Cet encadrement auravraisemblablement lieu à l’horizon de 15-20 ansmais quelle forme prendra-t-il ? En particulier,l’influence anglo-saxonne dominante aujourd’huise poursuivra-t-elle ou s’accentuera-t-elle ? Ouparviendra-t-on à des différences nationales ourégionales (Europe, Alena) ?

Analyser les évolutions prévisibles de la RSE etenvisager quelles actions les pouvoirs publics dansleurs différentes échelles d’intervention devraientmettre en œuvre pour parvenir à un scénariosouhaitable nécessite une hiérarchisation despriorités. Se fondant sur les «marchés» émergentsen cette matière et les outils disponibles, le pôleentreprises et consommateurs du groupe Équilibresétudiera notamment :

– la question sociale ;

– l’investissement socialement responsable et lesmarchés financiers ;

– l’impact des normes sur la compétitivité desentreprises ;

– la question de l’existence d’une consommation«responsable».

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ÉQUILIBRES

Prospective du rôle de l’État stratègeface aux enjeux de développement durable

Le développement durable

Depuis la révolution industrielle, en privilégiant unecroissance économique continue, nos sociétés n’ontcessé de mettre en œuvre des politiques et despratiques qui ne sont pas nécessairement viables àlong terme et qui portent parfois atteintes àl’environnement. Nos sociétés ont en effet parcouruune double évolution : les fortes avancées techno-logiques et scientifiques ont permis un enrichis-sement d’une rapidité sans précédent, en mêmetemps que les notions d’épuisement des ressourcesnaturelles et d’impacts irréversibles sur l’environ-nement se révélaient de plus en plus fondées.

Au début des années 1970, les travaux du Club deRome, avec la publication d’un rapport au titreassez évocateur «Les limites de la croissance», ontcontribué à tirer la sonnette d’alarme sur l’état de laplanète et de ses ressources. Ils ont permis à cetégard de mettre les questions d’environnement àl’ordre du jour de l’agenda international. Ils ontamené la communauté internationale à prendreconscience des impacts de décisions, mêmelocales, sur l’environnement mondial.

Ces travaux du Club de Rome, dont l’une desprincipales recommandations était «une croissancezéro», ont cependant favorisé un autre mouvement,populaire dans une partie de l’opinion publiquemondiale, dont la finalité est fortement discutable.En stigmatisant la croissance économique, cemouvement est à l’origine de la relative «dérive dutout environnement» à laquelle nous assistonsdepuis une trentaine d’années. Il n’est pourtant paspossible de construire notre futur au seul prismede l’environnement.

Le caractère abstrait du développement durable faitque chacun l’appréhende et le définit de manièresingulière. Ceci donne l’impression à certains qu’ilsont toujours agi dans le sens d’un développementdurable, même si tel n’est pas le cas, et à d’autresl’impression que l’on peut tout faire au titre dudéveloppement durable. Les premiers travaux dugroupe de projet Équilibres ont consisté à définir uncadre conceptuel commun – de quoi parle-t-on ? –,au-delà des considérations idéologiques, voiremorales, qui caractérisent en général les réflexionssur ce thème. Il a donc fallu commencer par enpréciser le contenu, clarifier les contours et

rechercher une définition opérationnelle etintelligible.

Les composantes du développement durableretenues par le groupe

De nombreuses acceptions du développementdurable existent, la plus représentative a étéproposée en 1987 1 et peut être résumée ainsi :«répondre aux besoins du présent sans compro-mettre la capacité des générations futures à répondreaux leurs». La démarche de développement durableoffre ainsi une possibilité exceptionnelle pourl’humanité, selon les termes mêmes du secrétairegénéral de l’ONU Kofi Annan : sur le planéconomique, de créer des marchés et des emplois ;sur le plan social, de lutter contre l’exclusion ; sur leplan politique, de réduire les pressions sur lesressources, qui risquent de conduire à des violen-ces ; sur le plan de l’environnement, de protéger lesécosystèmes et les ressources dont la vie dépend.

C’est donc une forme de développement quisuppose la recherche permanente d’équilibres entreces trois principaux piliers. Le débat sur ledéveloppement doit donc aujourd’hui passer dustrict prisme environnemental aux interconnexions àlong terme des enjeux économiques, sociaux etenvironnementaux, du prisme national à l’interna-tional et d’un scénario «mauvais à meilleur» à unscénario «mieux à mieux».

Le préalable primordial à cette démarche de longterme est la réalisation d’un consensus et d’unecollaboration entre l’opinion publique, l’État et lesacteurs économiques, bref une adhésion de tous.

Les composantes du DD retenues par le groupe :

- L’intégration des piliers économique, social etenvironnemental

- La participation

- Le long terme

(1) Cette définition a été proposée dans un rapport de laCommission mondiale sur l’environnement et le développement,présidée par Mme Gro H. Bruntland, et intitulé «Notre avenir àtous».

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L’exigence d’une intégration des pilierséconomique, social et environnemental

Le fait de privilégier pendant des siècles la seuledimension économique du développement aconduit l’humanité à une situation préoccupante entermes d’environnement comme en termes d’iné-galités sociales. La dérive du «tout environnement»nous amènerait à reproduire les erreurs du passé enne privilégiant qu’un des piliers du développement,au risque de voir les générations futures nousreprocher d’avoir pénalisé leur potentiel de crois-sance, leur capacité à se créer des richesses.

Faut-il rappeler que c’est la croissance économiquequi, parce qu’elle favorise la création de richesses etaccélère le développement de technologies nou-velles et «plus propres», permet l’amélioration desconditions sociales et le financement des politiquesde préservation ou de réhabilitation de l’environ-nement ? Ces trois piliers du développement(économique, environnemental et social) ont desévolutions totalement imbriquées. Il n’est donc paspossible d’en favoriser un au détriment des autres.Ceci créerait des déséquilibres persistants, desirréversibilités. En ce sens, le groupe considère quela démarche de développement durable, parcequ’elle encourage l’intégration des trois piliers dudéveloppement, représente une réelle opportunité.

Cette démarche d’intégration doit amener lespouvoirs publics, et la société en général, às’interroger sur son mode de création de richesses.Et, si une telle évolution devait se concrétiser,celle-ci se ferait probablement au prix d’unerupture profonde dans le mode d’organisation denotre société.

Quel mode de création de richessesenvisageons-nous pour le futur ?

La démarche de développement durable permetopportunément de déplacer le débat sur le«niveau» de croissance économique souhaitablevers un débat, plus constructif, sur le «contenu» decette croissance. Il ne sert à rien en effet decontinuer de s’interroger sur le niveau de lacroissance, comme l’ont laissé supposer les travauxdu Club de Rome, car plus on crée de richessesplus on est à même de mettre en œuvre lesconditions d’un développement durable.

Pour le groupe, la question aujourd’hui pertinenteest de savoir comment les richesses sont créées. End’autres termes, est-il possible de perpétuer undéveloppement exponentiel des productions ou desconsommations sans causer de dommages àl’environnement et sans provoquer des inéquitésentre les nations, les territoires, les groupes sociauxou les générations ? Les interrogations portent ainsi

sur les composantes de la richesse, en termesd’usage des différentes formes de capital (capitalhumain, capital physique et capital naturel) 2 et surle rôle de la R & D et de l’innovation, et notammentleur capacité à offrir des substituts aux ressourcesenvironnementales (OGM, pesticides, etc.).

Mais, la capacité à «corriger» nos modes decréation des richesses suppose, au préalable, unetransformation dans le mode d’organisation de lasociété.

La nécessaire rupture dans le moded’organisation de notre société

Auparavant, les politiques mises en œuvre étaientdésagrégées, sectorielles et nul ne se posait laquestion des incidences des unes sur les autres. Sila recherche (publique ou privée) est de plus enplus spécialisée, les réponses aux nouvellesdemandes de la population doivent pourtant êtreconçues de façon transversale et être élaborées àpartir d’expertises pluridisciplinaires. La démarchede développement durable appelle justement cetteévolution dans le mode d’organisation de notresociété.

Dans le même temps, on assiste depuis quelquesannées à une mutation : les «distances» ne cessentde se creuser. La mondialisation rend plus difficilela compréhension de notre environnement car elleaugmente les distances entre les lieux deproduction et les lieux de consommation. Leprogrès technique creuse lui aussi la distance entreles personnes et les objets qu’elles utilisent. L’accèsà ces connaissances nouvelles exige une formationpermanente, une réactualisation continue desconnaissances, de la part des citoyens, et le groupeestime qu’il est du devoir de l’État de faciliter cettemise à jour pour éviter de voir ces distances setransformer en de véritables fractures. D’où, làencore, la nécessité d’adopter une démarcheglobale et transversale, permettant de prendre encompte toutes les externalités de nos actions et lesévolutions de nos sociétés… bref, d’adopter unedémarche de développement durable.

Une nécessaire participation de tousà l’élaboration et à la prise de décision

Les réflexions du groupe ont permis de constaterqu’émergent un souhait et une demande de la partde l’opinion publique en faveur d’actions quiviseraient à résoudre les problèmes sociaux,

(2) Selon l’OCDE le «capital humain» et le «capital naturel»représenteraient environ les 4/5e du capital global, alors que lecapital économique au sens classique ne représenterait que16 % des ressources mobilisées.

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environnementaux et économiques qui lesaffectent. Ces demandes sont de plus en pluspressantes car le public est mieux informé sur lesrisques qu’il encourt, sur les crises (sanitaires,environnementales et sociales) et sur lesévénements catastrophiques qui surviennent dansle monde. Dans le même temps, les réponses quedevrait apporter l’État à ces demandes sontparticulièrement difficiles à élaborer, à mesure quela société devient plus complexe et que sa gestionexige une expertise plus grande.

Seulement, la tâche de l’État, ou plus largement desÉtats car le problème est commun à la plupartd’entre eux, est d’autant moins aisée que le modede décision publique a lui aussi fortement évolué.Le groupe a identifié plusieurs facteurs à cetteévolution.

Du fait de l’intégration européenne croissante et dela plus grande interdépendance internationale, ungrand nombre de décisions nationales dépendentaussi de celles des autres pays. C’est le cas parexemple de l’application des directives et règle-ments européens, et celle des engagementsinternationaux (effet de serre, biodiversité, mise àdisposition de le ressource en eau, etc.).

On observe, par ailleurs, une atténuation desfrontières entre le public et le privé parallèlement àune plus forte implication d’acteurs différents(organisations non gouvernementales, syndicats,associations, etc.) dans la prise effective de ladécision comme dans sa préparation. L’État n’adonc plus le monopole de la décision.

Enfin, face à la complexité grandissante desproblèmes à résoudre et devant les doutes émis parles citoyens à l’égard du caractère «bienveillant»des politiques publiques, les décideurs publics onttendance à légitimer leurs décisions en les fondantsur l’avis des experts scientifiques. Ces derniers onten conséquence un rôle de plus en plus prépon-dérant dans la prise de décision publique.

Une démarche progressiveet adaptative de long terme

Les actions mises en œuvre au titre dudéveloppement durable doivent répondre, dans lemême temps et de façon intégrée, aux problèmessociaux, économiques et environnementaux ; d’oùleur complexité. Ces actions doivent être entre-prises dès aujourd’hui et poursuivies pendant denombreuses années. Elles doivent miser sur despolitiques de prévention et d’adaptation. Il faut eneffet un certain temps pour que surviennent lesconséquences environnementales ou sociales d’uneaction (les déchets nucléaires par exemple). De

plus, ces politiques seront nécessaires pour attein-dre les objectifs sociaux, atténuer les effets transi-toires du changement environnemental, prévenirles pertes irréparables et préserver la volontésociale et politique d’atteindre ces objectifs à longterme.

De nombreuses «forces motrices» : démographie(vieillissement de la population), développementéconomique (ralentissement de la croissanceconstatée ces dernières années), nouvellestechnologies (permettant notamment une plusgrande circulation de l’information), gouvernance,culture, environnement, construction européenne,etc., exercent une influence sur les tendancesfutures du développement de notre systèmeéconomique. Ces tendances vont continuer decréer de nouveaux enjeux en termes de mode et decapacité de développement, aux échelles locale,nationale et internationale. Des enjeux qui setraduisent, et se traduiront, de façon différente pourchaque acteur, provoquant de nouvelles stratégies,anticipations et attentes spécifiques. D’où lanécessité d’effectuer des analyses prospectives, afind’éclairer l’État sur les évolutions de long terme deces enjeux et leurs incidences sur les potentialitésde développement.

Un certain nombre d’évolutions socio-économiquespeuvent, en effet, être prévues de façon très généraleen prolongeant les tendances longues telles quel’innovation technologique incessante et le rôlegrandissant du secteur des services. Mais denombreux phénomènes à venir restent aujourd’huiimprévisibles. Comme le souligne Edgar Morin : «ilest difficile d’anticiper des évolutions futures dans unmonde où, entre le prévisible, le probable etl’incertain, c’est souvent l’inattendu qui survient». Ilétait en effet difficile de prédire, il y a encore vingtans, des changements mondiaux majeurs tels quel’importance de l’appauvrissement de la couched’ozone stratosphérique et l’ampleur du changementclimatique.

Même si des forces humaines et naturelles, nonprévisibles aujourd’hui, affecteront le cours desévénements futurs, une grande partie de ce qui vase produire sera la conséquence de décisions déjàà l’œuvre. L’élaboration de scénarios prospectifspeut apporter une contribution décisive à ceprocessus. En analysant des scénarios suffisammentcontrastés de futurs possibles, les pouvoirs publicspeuvent se faire, aujourd’hui, une idée plus nettede ce que demain pourra nous réserver, en matièrede bien-être, de sécurité de l’environnement etd’impact probable de leurs décisions. Les scénariosprospectifs peuvent ainsi permettre aux décideursde déterminer avec plus de précision les actions àmettre en œuvre pour créer les conditions d’unavenir plus souhaitable.

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Une analyse prospective de la gestiondu développement durable par l’État

Pour permettre à l’État, par la construction descénarios prospectifs, d’anticiper et de s’organiserafin de mettre en œuvre des politiques permettantd’infléchir les évolutions tendancielles futures denotre société vers un développement durable, legroupe de projet Équilibres a l’ambition de propo-ser des recommandations opérationnelles. Maisdonner un caractère opérationnel à un sujet aussivaste que rôle de l’État en matière dedéveloppement durable ne va pas de soi, en raisondu caractère complexe et difficile à appréhender decette démarche.

Le premier cycle des travaux du groupe de projetÉquilibres, consacré au diagnostic des enjeux dudéveloppement durable pour les différents acteursconcernés, a justement permis de mettre en lumièrela difficulté, voire l’impossibilité, de construire desscénarios lisibles – donc utiles – sur l’ensemble dela problématique du rôle de l’État en matière dedéveloppement durable.

Le groupe a en conséquence décidé de centrerl’élaboration des scénarios prospectifs, sur lagestion du développement durable par l’État ; c’est-à-dire la manière dont l’État s’applique, et s’appli-quera, à lui-même les exigences du développementdurable.

Le diagnostic des enjeux pour les acteurs menéjusque-là par le groupe sera évidemment fortementmobilisé pour l’établissement des hypothèses desscénarios prospectifs, la question de la gestion dudéveloppement durable par l’État posant néces-sairement les problèmes des liens avec les autresacteurs et des échelles de décision.

Pour mener à bien cette analyse prospective de lagestion du développement durable par l’État, legroupe a construit des «variables», au sens prospectifdu terme, fédérant les thèmes inventoriés et quipermettront d’élaborer les principales hypothèsesdes scénarios. Ces variables sont regroupées selonles trois dimensions suivantes, structurant les travauxfuturs du groupe :

• Les références de l’action de l’État : ladéfinition et la mesure du développementdurable d’une part ; et l’organisation etl’utilisation du système d’information sur ledéveloppement durable d’autre part.

• Les modalités et les outils d’action de l’État :il s’agit tout autant des principes que desleviers d’action et de l’organisation institu-tionnelle de l’État.

• Le partenariat entre l’État et les autresacteurs : il s’agira d’analyser les formesjuridiques de l’intervention de l’État ; sonpositionnement par rapport aux différenteséchelles de décision ; son format et son styled’intervention ; et sa nature et son position-nement par rapport aux acteurs privés(consommateurs et entreprises) et à la sociétécivile.

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GESTE

Prospective du rôle de l’État dans la prise en chargede la fin de vie des personnes de grand âge

L’État et la fin de vie

Geste s’est focalisé dans un premier temps sur lespolitiques publiques d’État relatives à l’allocationpersonnalisée d’autonomie (APA) et à l’accom-pagnement de fin de vie à travers la politique desoutien au développement des soins palliatifs.Une attention particulière a également été portéeau rôle de l’État dans le cadre du marché del’assurance dépendance.

Ces domaines, à la fois différents et complé-mentaires en raison des acteurs qu’ils mettent enjeu, concernent tous la fin de vie en tantqu’ensemble des registres d’action, publics etprivés, destinés à répondre aux besoins de lapopulation du grand âge.

La démarche prospective suivie place l’État aucœur des réflexions menées. Elle doit désormaismettre l’accent sur les questions de la solidaritéfamiliale et de l’innovation sociale afin depouvoir élaborer des scénarios contrastés etinventifs.

Le grand âge :un avenir socio-économique porteur

La prise en charge de la fin de vie des personnesde grand âge représente un vaste systèmed’action impliquant à la fois le national et lelocal. Il englobe une multitude d’acteurs amenésà entretenir des relations complexes sur la based’intérêts et d’objectifs parfois contradictoires.Sur le terrain, les dispositifs et structuresorientées vers cette prise en charge, à domicileou en institutions, sont nombreux à voir le jour, àse structurer et à évoluer.

Les réponses sanitaires et sociales apportées pourtenter de satisfaire les besoins de personnes degrand âge dépendent du cadre national défi-nissant des actions jugées prioritaires tandis queleur mise en œuvre est assurée par les collec-tivités : régionales en ce qui concerne lesréponses sanitaires et départementales pour lesréponses sociales et les réponses médico-sociales,même si la réorganisation de ce dispositif est endébat.

Les analystes démographes prévoient un iné-luctable accroissement en nombre des classesd’âge les plus élevées, avec toutefois un largeéventail des possibles (cf. Le Quatre Pages deGeste n° 1, 16 mars 2004). Le gain en espérancede vie induit des besoins économiques etsociaux en pleines structuration et évolution. Dece fait, un «marché» à géométries sociale etéconomique variables représente des sourcesd’activité pour l’ensemble des parties prenanteset des sources de profit pour certaines d’entreelles. Son importance croît au sein du systèmeéconomique global.

L’État, maître d’ouvrage du système complexede prise en charge de la fin de vie

Acteur public garant de l’intérêt général, l’État doitprincipalement prendre des décisions jugéesmajeures en vue d’impulser des politiquespubliques innovantes visant à assurer les conditionsde la moins grande inégalité entre citoyens. Dans lecadre de la fin de vie, la Caisse nationale desolidarité pour l’autonomie serait garante despolitiques publiques.

Leur mise en œuvre s’opère localement par lescollectivités territoriales, à la fois financeurs etmaîtres d’œuvre des politiques nationales. Lesactions s’inscrivent dans le cadre de situationslocales spécifiques, en lien étroit avec les servicesdéconcentrés régionaux et départementaux –notamment par le pôle régional “santé publique etcohésion sociale”.

Il s’agit aussi de rendre compte des politiques publi-ques par la réalisation d’évaluations desprogrammes mis en œuvre et la capacité demobilisation des analyses socio-économiques finesde ce champ.

Des trajectoiresaux parcours de fin de vie :le lien individu-société

L’ensemble de ces acteurs intervient dans lecadre d’un processus dynamique et évolutifstructurant les trajectoires de fin de vie.Souvent, des relations débutent ou se renforcentà la suite d’un changement de situation desanté. Une hospitalisation, un déménagement,un conflit familial, un changement de situation

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financière, la perte d’un proche ou l’annonced’une maladie peuvent constituer une ruptureplus ou moins brutale. Parfois, ces événementsse cumulent. Ils constituent autant de facteursde fragilisation des personnes de grand âge dufait de l’obligation de reconsidérer les appuissur lesquels tenait leur vie.

Deux termes majeurs : santé et rupture

La santé peut être entendue en tant : qu’«état decomplet bien-être physique, mental et social, etne consiste pas seulement en une absence demaladie ou d’infirmité». C’est la définition del’Organisation mondiale de la santé. Datant de1946, elle a l’avantage de considérer la santésous les angles physiques mais aussi psycho-sociaux.

La notion de rupture renvoie à la survenue d’unévénement majeur dans la trajectoire de vie d’unindividu. La rupture influe sur la santé. Elle a pourconséquence la fragilisation d’un équilibre orga-nique et/ou social.

Cette notion permet par ailleurs d’identifier lesdifférentes possibilités d’intervention de l’État etdes autres catégories d’acteurs publics et privés.Elle peut constituer ainsi un point d’entréepermettant d’étudier de manière fine les différentsaspects de la prise en charge de la fin de vie despersonnes de grand âge.

Suivant la classification internationale duhandicap, certaines trajectoires de fin de vieentrent alors dans une période marquée par cesdifférentes étapes illustrant le processus de pro-duction du handicap :

déficience(s)Ý incapacité(s) Ý désavantage(s).

Cette séquence exprime les interactions entrel’état de santé organique, renvoyant davantage àla déficience, et l’environnement social danslequel se situe l’individu, s’exprimant lui autravers des désavantages.

Ceci permet de pointer deux dimensionsessentielles intimement liées de la fin de vie : ladimension médicale et la dimension sociale,toutes deux occasionnant des dépenses crois-santes pour la collectivité.

Ces dimensions sont caractérisées par uncertain nombre de variables influençant ledéroulement des ruptures : état de santéorganique pour la première, compagnons devie, famille et entourage proche, situationéconomique – en lien avec la politique delogement, lieu de vie pour la seconde, sansoublier la spiritualité, élément fondamental etstructurant des trajectoires de fin de vie.

Les tendances de fond observables décriventl’état actuel et l’évolution de ces variables. Ellesse basent sur l’observation de régularités carac-térisant la dernière période de vie.

La notion de parcours de fin de vie

La dernière étape du parcours de vie est apparuetrès récemment dans l’histoire de l’humanité,avec l’institutionnalisation de la retraite après laseconde guerre mondiale. Composé à cetteépoque de trois grandes étapes – la jeunesse, lavie dite active et la retraite – ce schéma généralde déroulement des vies humaines s’est affinépour mieux prendre en compte de nouvellescaractéristiques des sociétés occidentales. Aussi,l’étape «retraite» s’est-elle scindée en deux sous-étapes : la «retraite indépendante» et la «retraitedépendante», la «fragilisation» constituant unetransition entre ces deux phases.

Il est important de souligner que cette étape a laparticularité d’être vécue par un nombre limitéde personnes très âgées.

Définition : le «parcours de fin de vie»correspond à la dernière période du modèlegénéral socioculturel de déroulement des vieshumaines et à la transition vers cette dernièrepériode.

Les institutions accueillant collectivement despersonnes de grand âge sont l’une des caractéris-tiques spécifiques du déroulement de certainestrajectoires de fin de vie dans les sociétésoccidentales.

Ainsi, il s’agit de cerner les tendances socio-économiques de fond qui importent, saisir lesgermes présents du futur, dans l’optique d’attirerl’attention sur des éléments jugés cruciaux et deproposer des actions innovantes.

La démence, cause principalede fragilisation des personnes très âgées

L’une des tendances structurantes est l’augmen-tation du nombre de personnes âgées atteintes demaladies neuro-dégénératives. Cette populationest aujourd’hui estimée à 769 000 individus deplus de 75 ans, dont 608 000 atteints de lamaladie d’Alzheimer.

72 % des demandes d’allocation personnaliséed’autonomie sont liées à la survenue d’unedémence, 55 % pour la maladie d’Alzheimer.

Plus on vieillit, plus on a de risque d’êtreatteint de cette maladie. Sa prévalenceaugmente avec l’âge : elle est de 27,6 % pourles 80-85 ans et atteint 47 % pour les plus de90 ans.

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D’ici à 2020, la tendance est claire : le nombred’individus atteints de démence augmentera. Àcette date, la seule maladie d’Alzheimer pourraitconcerner plus d’un million de personnes et leurentourage.

Quelques industries pharmaceutiques proposentdes traitements remboursés par l’assurance-maladie même si le but n’est pas de guérir et queleurs effets sont discutés. Les causes de lamaladie demeurent en effet inconnues. Il s’agitplutôt de pallier ses conséquences en l’absencede traitement curatif. La question est de savoir enquelle proportion les médicaments comparés auxaides sociales et humaines participent aumaintien à domicile, un axe majeur despolitiques publiques de prise en charge de la finde vie. Quels sont au juste leur valeur ajoutée etleur service rendu ?

Outre les médicaments, les familles – surtout lesfemmes – et l’entourage proche influent sur ledéroulement des trajectoires de fin de vie desmalades. Ils disposent du soutien actif desservices d’aide et de soins à domicile. Or, au furet à mesure de l’évolution de la maladie, lacapacité de ces acteurs à assumer les consé-quences qu’elle produit décroît, jusqu’à imposerl’institutionnalisation. En première ligne poursurveiller – dans le sens d’une veille de tous lesinstants – les faits et gestes de la personnemalade, ils sont en demande de temps et derépit.

Adapter les outils d’évaluationde la perte d’autonomie

Dès à présent, au-delà de la nécessité pressante dedévelopper des structures légères d’accueil tempo-raire et d’hébergement, des adaptations des outilsd’évaluation de la perte d’autonomie sontnécessaires pour l’avenir. Il est à ce titre capital deconsidérer les propositions du comité scientifiquepour l’adaptation des outils d’évaluation del’autonomie, remises au Parlement au mois dejanvier 2003. Une note de synthèse est disponibleà l’adresse suivante :

http://www.senat.fr/dossierleg/synthese_rap_apa.pdf

À partir de l’existant, ces propositions définissentune nouvelle logique d’analyse multidimen-sionnelle qui considère l’ensemble des paramètresstructurant la fin de vie. Sa mise en œuvrenécessite entre autres la création, au niveau desdépartements, d’une équipe technique départe-mentale en lien étroit avec des équipes de terrainlabellisées disposant d’un niveau maximum deprestation à adapter suivant les besoins d’aide.

L’ensemble des améliorations envisagées par cegroupe d’experts inter-disciplinaire s’inscriventdans le cadre des politiques publiques actuelles etfutures visant à traiter des situations individuellesdans leurs contextes de vie.

Ce secteur, où les frontières entre sanitaire etsocial se brouillent, est et sera une clef de voûtedu système de prise en charge futur que Gesteapprofondira.

Or, face à l’augmentation de ces pathologies, àleurs conséquences sociales actuelles et futures,les réponses apportées par les politiques publi-ques actuelles de prise en charge de la perted’autonomie sont inadaptées.

Ainsi, l’allocation personnalisée d’autonomievise actuellement à préserver le plus possiblel’indépendance des personnes très âgées. Elle apour buts de pallier les déficiences physiques,favoriser l’autonomie cognitive et l’intégrationsociale. Or, la grille d’évaluation des plansd’aide sous-estime cependant les variablesrelatives aux déficiences mentales et considèreles incapacités des individus en dehors de leurenvironnement social.

Ce type de prestation et la grille d’évaluation quilui est associée devraient entrer dans un cadreplus global afin de permettre un maintien àdomicile permettant le plus longtemps possibled’être indépendant.

En établissement d’hébergement pour personnesâgées, cet objectif, auquel participe financiè-rement l’APA, n’est plus possible en raison del’hébergement croissant de vieillards atteints dedémence à un stade avancé, en particulier lesfemmes qui représentent les deux tiers deshébergés et les plus atteintes de démences.

Premiers élémentsde cadrage méso-économique

Les dépenses de santé constituent un élémentfondamental du cadrage méso-économique, l’undes volets de la démarche prospective retenue,avec les données qualitatives issues des ten-dances structurelles observées au sein de lasociété française. Basé sur des techniqueséconométriques, ce cadrage utilise les élémentschiffrés suivants :

• Les dépenses relatives à la «dépendance» selontrois mesures :

a – l’allocation personnalisée d’autonomie ;

b – les dépenses de «dépendance» en part duproduit intérieur brut (PIB) selon l’estimation duLaboratoire d’économie et de gestion desorganisations de santé (LEGOS) réalisée pour lecompte de l’OCDE ;

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c – une «norme» qui correspond à uneestimation des dépenses de «dépendance» dansles pays d’Europe du Nord souvent cités enexemple, soit 1,5 % du PIB pour les dépenses de«dépendance». Elle sera donc nommée «normeEurope du Nord» ;

• La progression de ces dépenses, soit égale àl’inflation normale (constance en termes réels),soit en évolution unitaire (au même rythme que lePIB), soit intégrant une «inflation spécifique» quitouche les dépenses de santé en plus de l’inflationnormale. Cette inflation peut être modulée – enfonction d’une théorie ou d’une observation tiréede l’étranger – afin de tenir compte des élémentssusceptibles de modifier la progression desdépenses. À titre d’exemple, une revalorisationdes métiers liés à la gérontologie peut créer uneinflation spécifique importante alors qu’unprogramme d’économies la ferait baisser.

• Les scénarios dits médians des prévisions del’ONU en matière de pyramide des âges pour laFrance ;

• L’évolution de la population des personnes«dépendantes» pour laquelle le cadrage doit secontenter de séries statistiques trop courtes, doncpeu fiables. Aussi, deux types d’évolution sont-ilsconsidérés : une évolution statique (simple extra-polation à partir des derniers chiffres observés) etune évolution dynamique (prolongation de latendance observée correspondant à une dimi-nution du taux de prévalence).

Il est ici important de mentionner le peu de chiffresdisponibles et le caractère pour le moins périlleuxde telles simulations. D’une part et faute de mieux,les tendances n’ont pu être établies qu’à partir dedonnées relatives aux cinq années passées. D’autrepart, la notion même de «dépendance» est unenotion liée au temps : dans une société de services,toute série longue d’incapacité doit prendre encompte le progrès technique.

Pour mémoire, voici les chiffres actuels desdépenses publiques d’APA, de «dépendance» etde santé exprimés par rapport au produitintérieur brut.

APA (2003) Dépendance/ PIB santé/PIB

0,218 % 0,70 % 6,90 %

Les dépenses de santé comprennent les dépensesde la branche maladie de la Sécurité sociale,régime général et spécial (données EUROSTAT).Les dépenses globales de santé, publiques etprivées, représentent, elles, 9,5 % du PIB(données OCDE).

Le cadrage a pour point de départ les projectionsdu nombre de personnes de grand âge en perted’autonomie. Les premiers résultats obtenusdonnent des estimations rapportées au PIB et auxdépenses de santé à l’horizon 2020 pour troiscaractérisations de la perte d’autonomie : l’APA,la «dépendance» et la «norme» choisie.

• Dans cette perspective, différentes projectionssont établies. Les nombres communiqués sontrelatifs à l’évolution dynamique et, entre paren-thèses, à l’évolution statique.

La première projection est dite «au fil de l’eau».Elle correspond à la simple application des tauxde croissance du nombre de personnes en perted’autonomie aux volumes actuels pour l’APA etla dépendance (tableau ci-contre). Cela signifieimplicitement une permanence des compor-tements et une stabilité des coûts unitaires de laprise en charge.

En 2020, les dépenses d’APA et de «dépen-dance» s’établiraient respectivement à 0,27 (0,31)et 0,87 (1,00) % du PIB, soit 3,45 (3,96) et 11,09(12,73) % des dépenses de santé. En tenantcompte de la «norme Europe du Nord», c’est-à-dire si le volume des dépenses de «dépendance»en France correspondait aux dépenses dedépendance observées dans les pays d’Europe duNord, les dépenses de dépendance s’établiraient àhauteur de 1,87 (2,14) % du PIB et 23,27(27,29) % des dépenses de santé.

La seconde, dénommée «inflation santé», estbasée sur l’hypothèse implicite que les dépensesde «dépendance» souffrent des mêmes dérivesque les dépenses de santé : pour une progressiondu PIB d’un point, ces dernières augmentent de1,6 point.

Les valeurs obtenues sont similaires à la premièreprojection. Les dépenses d’APA et de «dépen-dance» s’établiraient en 2020 à 0,27 (0,32) et0,88 (1,01) % du PIB, soit 3,49 (4,00) et 11,20(12,86) % des dépenses de santé. Avec la norme«Europe du Nord», les dépenses de dépendancereprésenteraient 1,89 (2,17) % du PIB et 24(27,56) % des dépenses de santé.

La troisième projection tient compte d’uneinflation spécifique importante ou d’un recoursaccru à des technologies coûteuses. Elle peutêtre due à un dérapage des dépenses ou résulterd’un choix, comme celui d’une revalorisationdes carrières des professions de la gérontologieet/ou une amélioration importante des conditionsde vie des aînés en perte d’autonomie.

Dans ce cadre, les dépenses d’APA et de«dépendance» seraient de 0,28 (0,32) et 0,88

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(1,02) % du PIB, soit 3,51 (4,03) et 11,26(12,93) % des dépenses de santé. L’applicationde la norme «Europe du Nord» porte les valeursde la prise en charge de la perte d’autonomie à1,9 (2,18) % du PIB et 24,13 (27,7) % desdépenses de santé.

Le même type de données est disponible pourdes projections aux horizons 2040 et 2050.

Selon des prévisions conduites indépendammentdu cadrage méso-économique, aux horizons2020, 2040 et 2050, les dépenses de santé(assurance-maladie) représenteraient respective-ment 8, 9 et 10% du PIB. Ces estimationstraduisent une capacité des pouvoirs publics àmaintenir les dépenses de santé dans desproportions jugées raisonnables. En consé-quence, dans ce cadre méso-économique, ilsemble que la discussion doive davantage portersur la place de la «dépendance» dans lesdépenses de santé ou encore relativement au PIB.

Il est primordial ici de signaler que lesprojections à caractère statistique, utiles pouravoir des ordres de grandeur, ne constituent quel’un des éclairages possibles de la prospectiveglobale de la prise en charge de la fin de vie despersonnes de grand âge. Dans les mois à venir,en fonction des orientations adoptées, d’autresméthodes, à l’instar de l’analyse stratégique,seront mobilisées afin de renforcer les analysesqualitatives.

Des scénarios qui se profilent

Les différents scénarios en construction s’effor-cent de lier considérations méso-économiques etvariables macro-sociales des parcours de fin devie. Ils tiennent compte du nombre croissant depersonnes en perte d’autonomie, fonction del’état de santé de la population du grand âge. Leshypothèses établies sur la dimension médicaleseront associées aux hypothèses réalisées sur lesvariables de la dimension sociale.

Dans cette perspective, les correspondants duprojet ont été mobilisés pour apporter leséclairages nécessaires, d’une part sur le rôle del’État en matière d’innovation sociale et, d’autrepart sur les responsabilités des collectivitéspubliques et de la famille dans le cadre de la finde vie.

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MANON

Prospective des conflits d’usagedans les espaces ruraux et périurbains

Les conflits d’usage dans les espaces ruraux et périurbains :un enjeu de débat public – premiers résultats du groupe

Que l’on songe aux querelles séculaires engendréespar la contestation des bornages, l’aliénation deschemins ou la déprédation des sous-bois, lesconflits d’usage ont profondément marqué l’histoireagraire de notre pays. Plus spécifiques au XIXe

siècle, les affrontements souvent violents liés aupartage des communaux, à la transgression du codeforestier ou à la mise sous tutelle publique decertains terrains de montagne, illustrent égalementl’ancienneté de ces conflits.

Définition des conflits d’usage adoptée par le groupe

Les conflits d’usage mettent aux prises des individusentre eux ou des individus et un groupe plus large.Ils peuvent être provoqués par la coexistence dansun même lieu d’activités identiques ou différentes oupar des projets d’implantation de ces activités. Ils ontsouvent pour cause immédiate la concurrence pourl’utilisation d’une ressource, l’accès à cette ressourceou à une voie de communication (chemin, sentier) etenfin l’altération de la qualité de la ressource (air,eau, cadre de vie, paysage) par différentes nuisances(sonores, olfactives, visuelles ou encore liées à ladégradation de la composition physico-chimique).On considérera qu’il existe un conflit à partir dumoment où l’opposition entre les parties se manifestesous une forme quelconque telle que plaintes oralesou écrites, altercations physiques, pétitions, campa-gnes de presse et publications diverses, constitutionou rattachement à un groupe de pression, actes demalveillance, manifestations ou encore assignationen justice. Les conflits d’usage cristallisent surl’utilisation du sol des insatisfactions individuelles etdes tensions qui ont parfois d’autres origines. Ilsexpriment des divergences d’intérêts mais aussi desdifférences d’identités professionnelles et territo-riales.

L’importance nouvelle des conflits d’usage

Dans la France d’aujourd’hui, le thème des conflitsd’usage dans les espaces ruraux et périurbains serenouvelle profondément. Il alerte depuis peu lesélus, les organisations professionnelles, lesadministrations et les mouvements associatifspréoccupés par les conséquences immédiates deces antagonismes sur les relations sociales, latranquillité et l’ordre public mais aussi par lesincidences de plus long terme sur le déve-loppement des espaces ruraux et périurbains. Ainsi,

certains acteurs focalisés sur les enjeux environne-mentaux seront essentiellement soucieux de l’accèscroissant du public aux espaces particulièrementfragiles, de l’impact environnemental de certainestechniques de production et plus généralement desdifficultés à faire respecter des éléments dupatrimoine naturel d’intérêt public.

Des acteurs plus attentifs à l’évolution desindustries et aux formes matérielles de la croissanceéconomique se montrent surtout sensibles auxrisques de freinage du développement que certainsconflits d’usage sont susceptibles d’entraîner. Poureux, la généralisation de ces conflits, en engendrantun rejet fréquent des équipements et des activitésproductives, représente un dangereux vecteur dediminution des performances économiques et laisseplaner le spectre de la désindustrialisation.

D’autres acteurs, intéressés en priorité par lesproblèmes d’aménagement, s’inquiètent des consé-quences possibles des conflits d’usage sur larépartition spatiale des activités. Ils redouteront, parexemple, que ces conflits n’engendrent unespécialisation excessive des espaces dont certainspourraient constituer à terme des sanctuairespréservés tandis que d’autres seraient livrés à laprolifération d’activités et de projets désordonnés.

Au-delà des tensions entre individus ou entregroupes restreints, les conflits d’usage posent laquestion de la compatibilité entre les intérêtsindividuels et l’intérêt général. Les décideurspublics invoquent celui-ci pour affirmer desobjectifs, probablement complémentaires souscertaines conditions mais pour le moins différentscomme ceux précédemment évoqués concernant ledéveloppement économique, la préservation del’environnement, la recherche de diversité etd’équilibre entre les activités des territoires. Il n’estpas rare d’ailleurs que les protagonistes directs desconflits se réfèrent à ces différents objectifs pourfaire prévaloir leurs droits.

Quel rôle pour l’État stratège ?

Les conflits d’usage posent la question du rôle despouvoirs publics et plus particulièrement de l’État

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dans son évolution comme dans sa gestion. Ilsconduisent à s’interroger sur la capacité de l’État àarbitrer entre les intérêts individuels mais aussi àcontribuer à l’émergence de l’intérêt général, àpartir de multiples interprétations portées par lesacteurs en conflits, grâce à différents typesd’intercession.

Aussi, l’évolution future des formes de gestion desconflits d’usage constitue le cœur de la démarcheprospective engagée visant in fine à situer le rôlede l’État dans la prise en compte de ces conflits età envisager l’adaptation de ses interventions.Multiformes, celles-ci portent sur la réglementation,les outils de gestion foncière, les instrumentscontractuels, la promotion de dispositifs officiels deconcertation ou encore la médiation quotidienneassurée par les services déconcentrés de l’État. Àpartir des cas concrets étudiés, le groupe a constatél’intérêt de certaines pistes de résolution desconflits dans lesquelles l’État pourrait pluss’impliquer aux côtés des collectivités territoriales.Ces pistes concernent deux domaines : l’expertiseet les solutions du marché. En effet, le groupe aremarqué que le monopole de l’expertise, surtoutlorsque celle-ci est contrôlée par les émetteurs desnuisances, provoquait la défiance des tiers (commedans le cas, par exemple, des sites de traitementdes déchets, ou des carrières). Aussi l’État a-t-ilprobablement un rôle à jouer pour diversifier lesexpertises et favoriser leur diffusion auprès de lapopulation.

Par ailleurs, il apparaît que dans certains cas(exemple de l’épandage des boues de stationsd’épuration), l’instauration d’un marché peut êtreune solution au conflit, mais l’ajustement n’est passpontané. Dès lors, l’engagement de la puissancepublique peut être utile pour structurer l’offre et lademande et garantir la qualité des produits ou desservices en jeu.

Pour répondre à ces enjeux, le groupe a réalisé,dans une première étape, un constat sur les conflitsd’usage présenté dans cette première note.

Les conflits d’usagerévélateurs de profonds changementsdans l’utilisation des espaces ruraux

Les espaces ruraux sont marqués par laréaffirmation récente, aux côtés de leur vocationproductive, de deux autres formes d’utilisation,d’une part, l’usage de résidence et de loisir (ouusage récréatif), d’autre part l’usage de préservationet de recyclage des ressources naturelles et duvivant, en particulier, l’eau, l’air et la biodiversité(Perrier-Cornet, 2002).

En effet, malgré la poursuite accélérée de la baissedu nombre d’actifs, l’usage agricole et sylvicole semaintient et l’influence sociale des agriculteursdemeure assez élevée 1. Parallèlement, les effectifsindustriels progressent dans le périurbain (+ 5 %entre 1990 et 1999), diminuent dans le reste du ruralà un rythme nettement moindre qu’en ville (– 6 %contre – 16 %). Les infrastructures de transport (voiesde communication, aéroports et plates-formeslogistiques) comme les sites de stockage de matièrespremières et de déchets occupent une part croissantedes campagnes. L’essor démographique des commu-nes périurbaines qui ont gagné 1,1 milliond’habitants entre 1990 et 1999 et de l’espace àdominante rurale (au sens de l’INSEE) marqué parune progression de plus de 450 000 habitants entre1975 et 1999 concourt aussi à l’accroissement del’artificialisation du sol (36 000 ha par an). Ceredressement démographique repose sur unmouvement de migration d’urbains qui, le plussouvent, conservent leur emploi en ville. Pour uncertain nombre de résidents permanents, lespréoccupations en faveur du cadre de vie ne sontpas tempérées par une attitude compréhensive àl’égard des contraintes liées aux activités deproduction. Résultante de ce redressement démo-graphique et de la meilleure accessibilité descampagnes, la forte progression des loisirs de pleinenature a d’autant plus d’impact spatial qu’elleconcerne souvent des activités itinérantes.

Les conflits d’usage actuelsreflets des modifications plus globalesdans les rapports sociaux

En plus des changements spécifiques aux espacesruraux, les conflits d’usage dépendent aussid’évolutions plus générales de la société. Lerecours plus systématique aux tribunaux traduit unetendance globale qui touche également la questiondes conflits d’usage. La multiplication des textesréglementaires fournit des ressources variées auxindividus procéduriers. Certaines formes destructuration sociale qui maintenaient un respect dehiérarchies locales parfois implicites et freinaientnaguère l’expression des intérêts individuels sontdésormais moins prégnantes, dans une société oùla mobilité géographique est plus forte.

(1) Si la part de la surface agricole utile exploitée en fermage afortement progressé au détriment du faire-valoir direct, passant de49 % en 1979 à 65 %, actuellement, la propriété détenue par lesfamilles d’agriculteurs représente toujours une part majoritaire del’espace rural. Par ailleurs, l’influence sociale des agriculteursdemeure plus importante que leur poids démographique commel’attestent les statistiques du ministère de l’Intérieur selonlesquelles, en 1995, plus de 19 % des maires étaient agriculteurset cette proportion atteignait encore 18 % en 2001 (environ 23 %en incluant les exploitants agricoles retraités).

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De plus le mode d’insertion dans un territoire estprobablement plus varié que par le passé où iln’existait guère d’alternative entre se conformertotalement aux règles du jeu local, demeurertotalement à l’écart ou quitter le territoire.L’appartenance de nombreux individus à plusieursterritoires et à plusieurs réseaux, leur plus forteautonomie diversifient les possibilités qui leurs sontoffertes pour faire valoir sur un territoire donnéleurs préférences sans s’effacer par rapport auxhabitudes locales.

Par ailleurs, de façon générale, les populations sontmoins réceptives que par le passé à l’autorité del’argumentation technique ou à la notion d’intérêtgénéral et sont moins prêtes à accepter d’embléetout nouvel aménagement. Leur opposition audéveloppement de nouvelles activités ou àl’adoption d’innovations techniques résulte souventd’une volonté de bénéficier des retombées positivessans accepter les conséquences plus défavorables.Elle s’explique aussi par une exigence de la part dela population d’être associée de manière trèsprécoce aux décisions publiques modifiant l’usagedu sol et non pas simplement consultée, sans réellealternative possible, une fois que la conception duprojet est achevée. Cette attente peut concernerd’ailleurs aussi bien les mesures de protection queles aménagements.

La forte diversité des conflits d’usage

En l’absence de sources statistiques organisées, laquestion des conflits présente le risque d’être livréeà la subjectivité absolue des acteurs. Certainesétudes de presse et enquêtes d’opinion fournissentcependant des éclairages partiels sur l’origineimmédiate des conflits, les types d’usage mis encause et l’évolution des différentes catégories deconflits d’usage.

Les nuisances liées au bruit,cause prépondérante des conflits d’usage

Une enquête INRA-CREDOC (2001), réaliséeauprès d’un échantillon de 2 000 personnesreprésentatif de la population française adulte,montre que plus d’un tiers des français déclaresubir une pollution à la campagne. Parmi lesnuisances déplorées, le bruit arrive au premier rang(12 %), suivi de près par les nuisances visuelles(11 %) provoquées par les infrastructures tantroutières, ferroviaires, qu’industrielles et agricoles.La pollution olfactive est citée dans 6 % des cas,plus souvent que celle touchant les ressourcesnaturelles comme l’air (4 %) ou l’eau (3 %) dont lescas de dégradation sont pourtant très fréquemmentmédiatisés.

Les activités productives constituentles usages les plus souvent dénoncés

Longtemps les conflits d’usage ont résultéessentiellement de la concurrence entre lesutilisations agricoles du sol. Si ces formesd’opposition perdurent, désormais, les conflits sontbeaucoup plus diversifiés. Ces conflits peuventopposer différentes activités de production entreelles (comme dans le cas d’exploitations agricolesgênées par une pollution industrielle).

Fréquemment les conflits naissent de laconfrontation entre usages productifs et les autrestypes d’usage : résidentiels, de loisirs ou depréservation. Parfois ce sont les producteurs eux-mêmes qui mettent en cause les autres usages.Ainsi, les exploitants agricoles peuvent être gênéssoit par les activités de loisirs quand ellesoccasionnent la dégradation des clôtures, ladestruction de récoltes, la divagation du bétail, soitpar les actions de préservation des espècesnotamment dans le cas de perte de bétailprovoquée par des animaux sauvages protégés.

Mais les usages productifs semblent plus souventsusceptibles d’être mis en cause par les résidents etles partisans de la préservation. Ainsi, d’aprèsl’inventaire systématique des conflits d’usagemédiatisés par un grand quotidien régional du Puy-de-Dôme entre 1999 et 2002, sur les 125 casrépertoriés, près de 60 % mettent en cause l’usageproductif (en incluant le traitement des déchets) etun quart seulement les usages résidentiels etrécréatifs (Janichon, 2003).

Portant sur l’ensemble de la France, durant unepériode plus longue et plus ancienne (de 1974 à1994), l’étude d’une revue environnementalistefournit un résultat similaire (Charlier, 1999). Ainsi,sur 1 600 cas couvrant l’ensemble des types deconflits d’usage (hormis les problèmes d’accès),70 % mettent en cause des activités de productionau sens large où l’entend le groupe, 5 %correspondent à des causes diverses et environ unquart des conflits répertoriés porte sur l’usagerésidentiel ou récréatif dont 18 % afférents auxaménagements touristiques et 6 % à la constructionsur le littoral ou en montagne. Les travaux dugroupe de projet ont montré que les activitésrésidentielles suscitent aussi des conflits à proposde troubles de voisinage, de non-respect des règlesd’urbanisme ou d’occupation illégale d’unerésidence (édification sans permis de construire,stationnement des gens du voyage hors des airesréservées).

D’après l’expertise du groupe, les conflitssuscités par les usages récréatifs opposent enmajorité les usagers des loisirs entre eux (par

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exemple les kayakistes avec les pêcheurs). Ilsprovoquent aussi des conflits d’accès avec lesrésidents ou les agriculteurs. L’exercice par lesrésidents d’une agriculture de loisirs (élevaged’équidés par exemple) peut susciter parfois desrivalités avec certains professionnels qui dénon-cent un mauvais entretien des terres et lemaintien d’enclaves au milieu de leurs parcellesgênant leur activité.

D’autres activités productivesdépassent de loin l’agriculture

L’inventaire des conflits révélés par l’organe depresse environnementaliste indique que parmi lesconflits mettant en cause les usages productifs,l’agriculture (8 % des 1 600 cas) est plus repré-sentée que l’industrie (5 % des cas), l’extractionde pierre ou de granulat (6 %), le stockage et letraitement des déchets (6 %). Mais les transportset l’énergie (centrales et lignes électriques)arrivent largement en tête des activités mises encause en se partageant à part égale la respon-sabilité d’environ 35 % des conflits d’usage(Charlier, 1999).

De plus, les carrières, les plates-formes logistiqueset les aéroports sont redoutés par les riverains enraison de l’intensification du trafic routier qu’ilsentraînent. Certains sites industriels, les centres detraitement et de stockage des déchets, les centralesde production électrique suscitent des réticences àcause des risques qu’ils font encourir. Ces risquespeuvent traduire une vulnérabilité aux accidents encours de fonctionnement, aux éléments naturels (enparticulier les séismes pour les barrages) ou résulterd’une crainte des attentats, plus récemmentapparue.

L’étude d’une revue environnementaliste de 1974 à1999 atteste qu’après une forte augmentation dansles années 1970, les conflits ont été moinsnombreux dans les années 1980 avant d’augmenterde nouveau au cours de la décennie 1990. Lesconflits relatifs aux transports, aux aménagementstouristiques et aux déchets sont plus nombreuxdans les années 1990 que dans les années 1970tandis que ceux associés à la production et autransport d’électricité ont diminué.

Dans le cas des conflits relatifs aux carrières, lamoitié des oppositions portent sur les conditionseffectives de fonctionnement, l’autre moitiéconcerne leur installation ou leur localisation. Pource qui est de l’industrie, les conflits qui naissent del’opposition à l’implantation d’un site industrielreprésentent 7 % des cas, trois quarts des conflitsont pour origine une nuisance supposée et 18 %une pollution avérée.

Selon Charlier (1999) les conflits liés à lamodernisation de l’agriculture (inventoriés entre1974 et 1999) concernent d’abord lesaménagements fonciers dans plus de 40 % des cas.Les questions hydrauliques et les bâtimentsd’élevage suscitent chacun environ un quart desconflits. La pollution motive moins de 10 % desconflits d’origine agricole.

Dans la période récente, d’après les auditionsréalisées par le groupe et la connaissance descontentieux, les conflits relatifs à l’implantation decarrières, de centres de traitement de déchetsménagers et aux usages récréatifs seraient encroissance. En matière d’agriculture, les actions enjustice contre l’irrigation s’accroissent. De même,les recours gracieux, hiérarchiques ou contentieuxconcernant la pollution des eaux par les nitrates ontaugmenté en ce début de décennie 2000.L’utilisation des produits phytosanitaires a étérécemment mise en cause, d’ailleurs avec succès,devant les tribunaux à propos de la mortalité desabeilles.

Pour l’instant aucun contentieux concernant leurincidence sur la qualité de l’eau n’a été réalisé.Selon divers experts, ce thème pourrait devenir unsujet de conflit important dans les prochainesannées. De plus, les usages de préservation et deconservation de la diversitié biologique paraissentsusciter des conflits croissants comme dans le casde Natura 2000.

Les pouvoirs publics constituent les acteursles plus souvent dénoncés

Interrogées sur les nuisances subies dans lesespaces ruraux, 34 % des 2 000 personnesapprochées dans le cadre de l’enquête INRA-CREDOC (2001) désignent comme responsables lesproducteurs qui arrivent ainsi en tête desdénonciations sans être majoritaires. Parmi eux, lesagriculteurs ne sont désignés que par 17 % desfrançais à égalité avec les industriels. Un quart desenquêtés estiment qu’il n’existe aucun responsableparticulier, un peu plus du quart des personnesinterrogées citent d’autres particuliers qui sont, parordre décroissant, les touristes, les voisins, lesautres habitants du rural et les chasseurs.

D’après, l’étude de la presse quotidienne régionaledans le Puy-de-Dôme où les ruraux et lesagriculteurs sont surreprésentés, les conflits mettanten cause des exploitants agricoles ne représententque 7 % des usagers mis en cause. Les décideurspublics (collectivités locales et État, souventamalgamés), en revanche, sont mis en cause dansprès de la moitié des cas. Le groupe constate queles pouvoirs publics sont fréquemment mis encause tour à tour en raison de leur prise de position

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en faveur d’un projet d’implantation, du fait ducaractère trop contraignant de la réglementation ouencore a contrario de leur incapacité à la fairerespecter.

Conclusionet nouvelles étapes prospectives

La plus grande mobilité des populations, l’amé-lioration de l’accessibilité et le repeuplement d’unepart importante des campagnes, concourent àtransformer profondément la nature des conflitsd’usage tandis que l’évolution des techniques deproduction contribue aussi à ce changement. Dansce contexte, s’il est souvent déploré, le conflitd’usage correspond à une situation d’antagonismequi fait partie intégrante des relations sociales etn’est d’ailleurs pas exclusivement négative. En effet,les conflits d’usage peuvent permettre de favoriserl’émergence d’acteurs nouveaux ou une meilleureorganisation d’autres déjà en place (comme dans lecas par exemple de certaines associationsd’agriculteurs périurbains). Les conflits d’usagepeuvent être saisis par les pouvoirs publics, enparticulier par l’État comme une opportunité pourchercher à organiser une conception renouvelée del’intérêt général tenant compte de la diversité desaspirations des populations par rapport aux espacesruraux.

Actuellement, le groupe a engagé ses travauxprospectifs comportant les quatre étapes suivantes :

1. les évolutions possibles des conflits d’usage enfonction du devenir des espaces ruraux ;

2. les vecteurs de changement des conditions degestion publique des conflits d’usage ;

3. l’évolution récente des formes de concertationdestinées à gérer des conflits d’usage dans lesespaces ruraux ;

4. les scénarios d’évolution de la gestion desconflits d’usage précisant la place que pourra ytenir l’État.

Une note sera rédigée pour rendre compte dechacune de ces étapes.

Repères bibliographiques

CHARLIER (B.), «La défense de l’environnement entreespace et territoire», Géographie des conflitsenvironnementaux déclenchés en France depuis 1974,thèse de géographie de l’université de Pau, 752 p., 1999.

INRA-CREDOC, Les Français et l’espace rural, rapportpour le groupe de prospective de la DATAR sur lesespaces ruraux, INRA-ENESAD, 141 p., 2001.

JANICHON (B.), Les conflits d’usage dans le Puy-de-Dôme,ENITAC et INRA ENESAD UMR, Dijon, 44 p. horsannexes, 2003.

PERRIER-CORNET (Ph.), (dir.), Repenser les campagnes et Àqui appartient l’espace rural ?, ouvrages parus auxÉditions de l’Aube, 208 p. et 141 p., série Bibliothèquedes territoires, La Tour d’Aigues, 2002.

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MANON

Prospective des conflits d’usagedans les espaces ruraux et périurbains

L’évolution future des conflits d’usage envisagée à partir des 4 scénariossur les campagnes françaises à l’horizon 2020

Selon l’évolution des campagnes, le nombre et lesmodalités des conflits peuvent varier considé-rablement en ce qui concerne les types d’acteursimpliqués, les causes de conflits, leur répartition etleur échelle spatiale, leur niveau de gestion, ainsique leur forme d’expression. Le groupe centre sonexercice de prospective sur le thème des modes degestion des conflits d’usage. Néanmoins il lui estapparu indispensable pour sa démarche et utilepour la décision publique d’étudier le devenir deces conflits en fonction des évolutions possibles desespaces ruraux. Dans ce but, le groupe a choisi deconfronter son analyse sur les conflits d’usage àune prospective territoriale récente et reconnue, enl’occurrence les quatre scénarios des campagnesfrançaises à l’horizon 2020 1 et de s’interroger surl’influence que chacun d’entre eux peut exercer surles conflits d’usage.

• Scénario 1 -La campagne résidentielle généralisée :des conflits diversifiés,nombreux et émiettés

Ce premier scénario envisage la poursuite del’étalement urbain qui se traduit par la prépon-dérance de la fonction résidentielle des campagnesau détriment des usages de production ou depréservation de la nature. Ce scénario entraîneraitla généralisation de tendances qui s’affirment déjà,notamment dans les campagnes d’Île-de-France, dela région toulousaine, dans le Lyonnais ou encoredans la périphérie grenobloise. Dans ce scénario dela campagne résidentielle généralisée, on peut, enl’absence d’amélioration de leurs conditions degestion s’attendre à la fois à la multiplication descauses de conflits et à leur émiettement entre des

(1) Ces scénarios ont été élaborés par Philippe Perrier-Cornet(INRA-ESR de Dijon) et son équipe pour la DATAR. Rappelonsque chacun de ces scénarios contrastés et descriptifs sontconçus pour être ni normatifs, ni manichéens et pour stimuler lesréflexions à partir de cas de figures volontairement sché-matiques. Aucun de ces scénarios ne reflète particulièrementl’avenir souhaité par ses auteurs, tous induisant une partd’avantages et d’inconvénients.

groupes réduits. Ceux-ci peineraient à généraliserles arguments et les réseaux mis en jeu en raison ducaractère restreint des intérêts défendus.

Des conflits tous azimuts

À l’horizon 2020, les résidents plus nombreux etprésents dans des communes jusqu’alors restées àl’écart du phénomène de périurbanisation auraientplus d’occasions d’entrer en conflit avec d’autresrésidents voisins alléguant par exemple le non-respect des normes d’urbanisme ou divers troublesde voisinage. Il est probable que les résidentsétablis dans les années 1970-1990 dans lescampagnes, pour y trouver la tranquillité, ne serontpas les derniers à chercher querelle aux arrivantsde plus fraîche date. De manière générale, lesnouveaux résidents ne vivant pas des activitéséconomiques locales sont moins disposés àaccepter leurs effets négatifs.

Dans ce scénario les tensions entre les usagesrésidentiels et les activités productives industrielleset agricoles atteindraient leur paroxysme. Lesactivités industrielles localisées dans les pôlesurbains sont repoussées dans le rural périurbainpour des motifs de coût. Mais dans ces espaces, lapopulation devient de plus en plus hostile auxindustries redoutées pour des raisons de risques etde nuisances. Les querelles entre résidents etagriculteurs concernent de nombreux domaines etplus particulièrement le bruit, la qualité de l’eau,mais aussi celle de l’air, affectée par l’intensifi-cation et l’allongement des trajets quotidiens detravail en véhicule individuel.

À l’échelon local, le contrôle du pouvoir municipalpar les porteurs de la fonction résidentielle du ruralpeut conduire à multiplier les restrictions desusages agricoles (par exemple les horaires d’utili-sation des engins agricoles) au bénéficie des usagesrécréatifs.

L’acrimonie des résidents pourrait s’exercer aussicontre des projets routiers ou de traitement dedéchets pourtant directement liés à leur mode devie. La généralisation du réflexe «pas chez nous»peut souvent conduire à déplacer toutes les

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activités jugées indésirables au détriment des zonesmoins denses ou moins capables de faire valoir leurintérêt.

Des conflits dispersés entre des petits groupes

Si, dans ce scénario, la part du territoire françaisconcerné par un grand nombre de conflits d’usageaugmente, il est très probable que parallèlementchaque conflit, considéré individuellement, reste-rait confiné à des espaces restreints et cantonné àdes petits groupes constituant des associations dedéfense ad hoc. Cependant, certains aménage-ments comme les projets routiers pourraientcontinuer à fédérer des groupes de mécontents asseznombreux sans toutefois parvenir à étendrel’argumentation au-delà de la défense des intérêtsindividuels immédiats. En effet, la montée del’individualisme que suppose la réalisation de cescénario réduit la portée des arguments de solidaritéet d’intérêt collectif qui permettent d’étendrelargement ces conflits d’usage en facilitant lesralliements sur des thèmes nécessairement plusgénéraux. L’action en justice devient le modedominant et ordinaire d’expression des conflits.Cette individualisation des conflits pourrait seretrouver également du côté des producteurs, dansun contexte d’affaiblissement de la politique agricolecommune ; on peut imaginer en effet un délitementdes solidarités professionnelles jusqu’alors fortementétayées autour de leur organisation nationale etl’affaiblissement des mots d’ordre nationaux.

Localement, la poursuite de l’érosion des effectifsdes agriculteurs les contraint à une stratégiedéfensive. Celle-ci consiste par exemple à luttercontre les arrêtés municipaux abusifs en entre-prenant des recours auprès du préfet ou auprès destribunaux administratifs.

Bien entendu, des adaptations locales viennentponctuellement apaiser ces tensions. Ainsi, parexemple, des associations d’agriculteurs périur-bains se développent pour renforcer l’efficacité desoutils de gestion fonciers et de planification urbaineet à améliorer les échanges avec les populations denouveaux résidents. En outre, les agriculteurs lesplus coopératifs adoptent certaines bonnes pra-tiques agricoles, de préférence en arbitrant à coûtégal en faveur des plus visibles, par exemple lesbandes enherbées en bordure des cours d’eau etdéveloppent une agriculture de service.

• Scénario 2 -Villes durables et rural agro-industriel :des conflits moins nombreux et plus généraux

Ce scénario prévoit l’amélioration généralisée desconditions de logement et de vie dans les centres

urbains s’accompagnant de la réaffirmationvigoureuse de la spécialisation des espaces rurauxdans la production agricole et agroalimentaire.Cette évolution s’opère sous l’égide de l’État dontl’autorité est réaffirmée mais aussi de l’Unioneuropéenne. Le rôle des institutions centrales tantprofessionnelles qu’associatives est égalementrenforcé. La politique agricole perdure mais accen-tue son orientation vers l’intégration d’objectifsenvironnementaux. Les acteurs du système agroali-mentaire forment une coalition cohérente bienorganisée à tous les échelons territoriaux quicontrôle l’espace foncier et les différents niveauxde la démocratie représentative locale. Ce scénarioentraîne la segmentation spatiale des fonctions et lezonage retrouve pleinement son rôle d’instrumentprivilégié de gestion de l’espace.

Des conflits plus rares mais plus massifset concernant surtout les usages productifs

Cette spécialisation du territoire encadrée par laplanification spatiale limite les occasions deconfrontation entre acteurs. En revanche, lesconflits qui subsistent concernent surtout lesproducteurs entre eux sur des sujets assezclassiques, liés à la poursuite de la modernisationagricole. On peut ainsi s’attendre à des tensionsentre les agriculteurs en compétition pour lesagrandissements et pour l’utilisation des ressourcesen eau. Les antagonismes peuvent naître égalementau moment des aménagements fonciers et desréorganisations parcellaires. Dans ce scénariopeuvent subsister aussi un assez grand nombre deconflits entre les agriculteurs et d’autres produc-teurs du secteur primaire, qu’il s’agisse des api-culteurs gênés par les pesticides ou encore desostréiculteurs touchés par les marées vertes.

Désormais, moins massivement représentés dansles municipalités, les acteurs extérieurs à la sphèreagroalimentaire n’ont plus du tout intérêt à réglerleurs conflits d’usage à l’échelle purement locale.En revanche, pour faire valoir leur revendication enfaveur d’une plus forte accessibilité à l’espace rural,de l’amélioration du cadre de vie ou de lapréservation des espaces naturels, il deviendrabeaucoup plus efficace pour eux d’agir au niveaurégional et national où le rapport de force leur serabeaucoup plus favorable.

L’État et les groupes organisésau devant de la scène

Les grandes fédérations sportives nationales, lesprincipaux mouvements de protection de l’envi-ronnement, les organisations professionnellesassument une fonction essentielle tant dans ledialogue avec les représentants de l’État que dansles recours en justice. Dans ce scénario la gestion

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des conflits est assurée non plus à un échelon localmais à un niveau plus global selon une logiquesectorielle.

Situé au cœur des négociations, l’État se trouveparticulièrement exposé aux critiques qui peuventporter sur les arbitrages rendus entre les reven-dications des usagers, sur le choix des zonages etsa capacité à le faire respecter. Il est très probableque dans ce scénario les conflits entre individus ougroupes organisés et État se développent fortement.Les conflits d’usage, dans ce scénario, consistentrarement en une confrontation pure et simple entreindividus, le plus souvent ils mettent en jeu desorganisations structurées à l’échelle nationale etrégionale. Les conflits d’usage plus rares concer-nent souvent un niveau géographique élevé etmobilisent de manière privilégiée des argumentstrès généraux en opposant par exemple la libertéd’entreprise à la liberté de circulation ou à laliberté de choix des générations futures.

Des conflits concentrés dans les zonesinterstitielles entre villes et campagnes

Hors de ces zones interstitielles, la spécialisationterritoriale plus nettement affirmée entraîne lerenouvellement et l’intensification du discoursd’opposition entre villes et campagnes. Les anta-gonismes se concentrent dans l’ancienne deuxièmecouronne de périurbanisation qui cumule lesdifficultés. Le renchérissement des coûts de trans-port provoqué par la hausse des carburants et lespéages urbains entraîne une crise immobilière. Unepartie de la population de migrants alternants gagnela ville, l’autre qui voit ses revenus laminés par lescoûts de transport rembourse chèrement unlogement dont la valeur est dépréciée. Ce groupe estrejoint par la partie des artisans qui ne parvient pas àfaire face à l’augmentation des loyers à proximité dupôle urbain. Ce rassemblement des couchesmoyennes en situation d’échec favorise les conflitsde voisinage. C’est dans ces zones que se mettent enplace des ceintures vertes destinées aux loisirs descitadins pour lesquels la campagne agro-industrielleest moins accessible. L’entretien et la fréquentationde ces espaces, lieux de confrontation entre lesgagnants et les perdants du nouvel ordre établi,deviennent également des sources de conflits.

Ce scénario implique beaucoup de contrôle sur ledroit des propriétés bâties et agricoles, les compor-tements de consommation et de production, qu’ils’agisse des règles d’urbanisme, des prescriptionss’imposant aux exploitants agricoles ou des péagesurbains. Cette pression sociale suscite corrélati-vement des comportements de transgression,particulièrement affirmés dans cette aire detransition. Cette zone de forte tension où la règledominante fait exception, peut aussi donner lieu,

de manière probablement chaotique et aléatoire, àl’émergence de nouvelles modalités de gestion del’espace et apparaître à terme comme une aire derecomposition et de renouvellement des règles.

• Scénario 3 -Villes durableset campagne «nature en marché» :des conflits liés au changementdu régime d’appropriation du sol

Dans ce cas encore on envisage une améliorationgénérale des conditions de logement et de vie dansles pôles urbains mais, contrairement au scénarioprécédent, la moindre croissance et une politiquebeaucoup moins interventionniste conduisent àdémanteler totalement le soutien au revenu desagriculteurs et les aides agri-environnementales(assurés jusqu’alors par la Politique agricolecommune). La surface agricole utile et le revenufoncier se restreignent fortement et la productionagricole s’effondre tandis que le lien entre lesfamilles paysannes et la propriété foncière s’étiole.Dans une France redevenue importatrice nette dedenrées agricoles, l’agriculture se replie dans lesrégions les plus compétitives où ses effets négatifssur l’environnement augmentent et n’assume plussa fonction d’aménagement du territoire.

Les attentes de la société par rapport au rôle desespaces de faible densité dans la protection del’environnement demeurent d’autant plus fortes quedifférentes catastrophes environnementales ontallerté l’opinion. L’État et l’Union européenne affai-blis, n’étant plus en mesure de jouer un rôle actifdans la gestion de ces espaces, la régulationmarchande s’impose.

Un marché des droits environnementaux s’instaureentre zones fortement polluées et celles qui le sontplus faiblement. De grandes sociétés dont certainesassocient des institutions intercommunales, descapitaux privés et des agriculteurs assurent certainstravaux d’entretien de l’environnement, de préven-tion des risques ou encore de boisement des terresagricoles. La forêt progresse sous l’effet du reflux del’agriculture et de la plantation de puits à carbonepour satisfaire les engagements sur la réduction desgaz à effet de serre.

Parmi les institutions publiques, ce sont les grandesagglomérations qui imposent sans partage nicontrepartie leur conception fonctionnelle du ruralstrictement subordonnée aux objectifs de la villedurable. Elles s’assurent de la protection des airesde captage par l’appropriation foncière associée àdes contrats d’entretien, mal rémunérés, bannissantsur de vastes zones toute forme d’agricultureréellement productive. Elles édictent des règles

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paysagères et exigent des conditions d’accès dans«leurs» couronnes vertes. Ailleurs, elles obligent, àpeu de frais, les exploitants à accepter l’épandagedes boues urbaines.

Une combinaison de conflitslocalisés et globalisés,arbitrés par des mécanismes marchands

Dans ces campagnes à faible densité les conflits serèglent par le marchandage entre les tiers dont lesintérêts sont antagonistes. Ainsi, par exemple, desriverains lésés par un industriel passeront uncontrat avec lui selon lequel la poursuite de l’acti-vité sera conditionnée au versement d’une indem-nité. Dans un tel système, les tiers insolvablesplacés devant l’alternative de changer de résidenceou de subir la nuisance seront en position délicate.Contrairement au scénario précédent, l’État décli-nant ne joue pas de rôle important dans la gestiondes conflits.

Ainsi, dans ce scénario, en plus des conflits dansles zones interstitielles, des tensions peuvent sedévelopper à propos de l’usage du sol dans lescampagnes éloignées des pôles urbains avec pourorigine l’opposition aux usages imposés par lesmétropoles avec des contreparties financièresjugées insuffisantes. Les stratégies des grandessociétés peuvent également susciter des conflits degrande ampleur traduisant la contestation de leurmode d’appropriation du sol, des techniquesemployées ou de leur capacité à honorer réelle-ment leurs engagements environnementaux. Cesantagonismes peuvent être nourris par les famillesd’agriculteurs qui ont perdu le contrôle foncier descampagnes sans compensation financière substan-tielle. Elles peuvent provenir aussi de la partie desmouvements environnementalistes qui désapprou-vent, pour des raisons éthiques, esthétiques ousociales la conception purement technique durapport à la nature devenue dominante.

La pratique de l’échange des droits environnemen-taux peut conduire aussi à l’exportation d’une partiedes conflits liés à la pollution dans d’autres pays.

• Scénario 4 -Campagnes industrieuseset concurrentielles : des conflits concentrésdans les zones de contactentre systèmes productifs différents

Ce scénario correspond au développement éco-nomique des campagnes dans tous les domainesd’activité aussi bien industriels, qu’agricoles ettouristiques dans le cadre d’une forte autonomielocale. On assiste à la généralisation des «systèmesproductifs localisés» où la plupart des emplois de la

zone dépendent d’une ou deux filières spécialiséesformées d’entreprises souvent de taille modeste,mais particulièrement dynamiques et ouvertes àl’exportation 2. Dans ce contexte l’État commel’Union européenne sont relativement effacés, leprocessus de décentralisation aboutit à l’affirmationde la région et surtout des pays comme formesd’organisation territoriale prépondérantes. Lesmigrations quotidiennes de travail vers les pôlesurbains sont beaucoup plus réduites que dans lescénario «des campagnes résidentielles généra-lisées». La spécialisation des territoires entraîne unediminution des types d’usages différents suscep-tibles de créer des oppositions et par conséquentdu nombre des conflits.

Par ailleurs, l’organisation sociale est plusstructurée et cimentée par un système de valeursdominant. En l’occurrence ce sont les valeurslaborieuses et l’esprit d’entreprise qui s’imposent etconduisent à une meilleure acceptation desactivités productives, tandis que recule la méfiancepar rapport aux technologies. De plus, comme laplupart des résidents travaillent sur place et viventdes activités locales, ils sont probablement plusfacilement prêts à supporter les nuisances qu’ellesinduisent, du moins les plus bénignes d’entre elles.

Dans ce scénario, la gestion des conflits incomberaaux instances politiques locales, totalement contrô-lées par les intérêts économiques. En l’absence detoute séparation entre pouvoir économique etpolitique à l’échelle locale, il deviendra trèsdifficile de faire respecter les règles d’urbanisme etla limitation des émissions de nuisances diversesaux gestionnaires des sites touristiques, industrielsou aux entrepreneurs agricoles et agroalimentairesdans les zones où ils seront hégémoniques. Maisfaute d’une réelle médiation locale les plaignantsne pouvant faire valoir leur point de vue serontpoussés à des formes extrêmes de manifestation deleur mécontentement.

Des conflits focaliséssur les choix de développement

Probablement moins nombreux, les conflits n’ensont pas pour autant moins vifs. Ils mobilisent despérimètres géographiques plus étendus, des grou-

(2) Le scénario correspond à la multiplication de foyersproductifs au succès bien connu comme Oyonnax pour laplasturgie, la vallée de l’Arve pour le décoltage, la localitépicarde de Vimeu spécialisée dans la robinetterie ou encore leCholetais pour le textile et la chaussure ou dans le domaine desservices à la généralisation de système territoriaux comme lesstations-villages de Bonneval-sur-Arc en Haute Maurienne ou ducas emblématique du Beaufortin associant produits agricolesd’appellation contrôlée et tourisme. Les systèmes productifsitaliens souvent mis en exergue ont été étudiés notamment parRitaine. (Ritaine (E.), Prato ou l’exaspération de la diffusionindustrielle, Sociologie du travail, n° 2, p. 139-156, 1987).

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pes plus larges et des arguments plus généraux. Cetype de système local laisse peu de place en sonsein, aux usages et aux activités qui n’entrent pasdans la logique dominante. Les entrepreneurs et lesrésidents qui, pour diverses raisons, se trouvent endehors de l’organisation productive dominanteéprouvent beaucoup de difficultés à se faireentendre et à exercer certains usages. Leursentiment d’exclusion peut être d’autant plusimportant que les structures plus globales, commel’État qui jusqu’alors proposait des valeurs intégra-trices, sont affaiblies.

Dès lors, les acteurs qui portent d’autres conceptionsde l’utilisation de l’espace n’ont d’autres alternativesque de déménager ou de s’organiser pour contester lesconceptions locales. Une première solution consiste àrefuser la confrontation et à quitter le territoire pour unautre où leur usage est mieux accepté. Ainsi, lesamateurs des activités de loisirs par exemple seraientcontraints à déménager dans des zones spécialiséesdans le tourisme sportif, de même, l’industriel dont lesinstallations sont incompatibles avec l’image de naturepréservée mise en avant pour développer l’attractivitédu territoire sera poussé à s’implanter dans un districtindustriel correspondant à sa spécialité. La secondesolution qui s’offre aux partisans des usages localementdominés est de faire valoir leur droit en cherchant àcoaliser les opposants. Dès lors, les oppositions auronttendance à s’étendre à l’ensemble du territoireconcerné et recourront à des arguments plus généraux,susceptibles de fédérer le plus grand nombre. Dans cecontexte, les conflits d’usage évolueront vers unecontestation générale du modèle de développementlocalement hégémonique.

Concrètement la revendication en faveur decertains usages s’accompagne d’une mise en causedes chartes de territoire qui fixent la doctrine dedéveloppement à l’échelle de chaque pays. Leschances de succès d’une telle stratégie sontfortement dépendantes des performances écono-miques du système et sont donc plus faibles enpériode de prospérité.

Des problèmes de compatibilité aux frontières

Les conflits d’usage pourront naître aussi desrivalités entre les territoires, d’autant plus fortes quele scénario suppose une concurrence économiqueparticulièrement exacerbée dont les effets négatifsne seront pas tempérés par des politiques decohésion, l’État et l’Union européenne étantdevenus totalement inefficaces dans ce domaine.Les populations des «territoires qui gagnent» seronttentées, encore plus systématiquement qu’aujour-d’hui, de développer des conflits pour rejeter lesaménagements et les activités indésirables dans lesterritoires marginalisés où sont déjà localisés deséquipements stigmatisants qui hypothèquent ledéveloppement. Ainsi, dans ce contexte particulier,

les conflits d’usage risquent d’entretenir, avec uneparticulière efficacité, une dynamique cumulativede développement, pour les territoires attractifs etde déclin, pour les espaces déjà fragilisés.

Dans ce scénario, les tensions entre usages peuventnaître aux frontières de territoires voisins et éco-nomiquement dynamiques mais spécialisés dansdes activités différentes. On imagine facilement,par exemple, que les acteurs du territoire dontl’économie est spécialisée dans le tourismevalorisant les activités de pleine nature pourrontentrer en conflit avec leurs voisins d’un districtindustriel spécialisé dans des activités polluantes etc’est bien au point de contact entre les deuxsystèmes, là même où les effets de débordementsont mis en évidence, que les conflits d’usagerisquent le plus de se développer. Les conflitspourront également se focaliser sur les rivièrespolluées en amont par des systèmes de productionindustriels ou agricoles et utilisées en aval par desterritoires spécialisés dans le tourisme de pleinenature.

Conclusion

L’analyse des incidences possibles des différentsscénarios sur les conflits d’usage ne doit évi-demment pas conduire à considérer comme étantles plus souhaitables les scénarios d’évolution quientraînent le moins de conflits. En effet, àl’extrême, cette diminution peut être obtenue auprix de départs massifs d’habitants et d’activitésavec des incidences négatives pour l’ensemble dela France en terme de désindustrialisation. Cetteanalyse permet de souligner la grande diversitéd’évolution possible des conflits existants et de lanaissance de nouveaux types de conflits. Chaquescénario a des conséquences très différentes. Lescénario de la campagne résidentielle généraliséeest celui qui engendre la plus grande proliférationde conflits touchant tous les types d’acteurs.Multiples, ces conflits demeurent étroitement loca-lisés et cantonnés à des petits groupes.

Dans les autres scénarios les conflits d’usage sontmoins nombreux et plus ciblés sur des catégoriesparticulières de causes et d’acteurs. De plus, lesterritoires des conflits sont plus vastes, les motifsinvoqués sont plus généraux et les groupesmobilisés plus nombreux surtout en ce quiconcerne le scénario ville durable et campagnesagro-industrielles. Le scénario des campagnesindustrieuses et concurrentielles appelle desrégulations territoriales.

Références bibliographiques

PERRIER-CORNET (P.) et SOULARD (C.), Prospectives desespaces ruraux français à l’horizon 2020, INRA-Sciencessociales, 4 p., 2003.

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MIDI

Prospective de la politique d’immigration de la France,élément d’une politique d’aide au développement

Migrations internationales et développement intégré

Les européens se prononcent majoritairement enfaveur du recours à l’immigration. Selon unsondage Eurobaromètre réalisé en décembre 2003auprès de 7 500 habitants des 15 États membres etpublié en mars 2004, 56 % des européens sont«tout à fait d’accord» ou «assez en accord» avecl’idée que l’arrivée d’immigrants est nécessairepour le marché du travail. Les Français sont 64 %à être de cet avis.

Ce pourcentage de répondants favorablesaugmente en Europe avec le niveau d’éducation.Une autre ligne de partage est le lieu de résidence,les ruraux n’étant que 51 % à être favorables. Enrevanche il n’y a aucune différence significativeentre générations.

Pour autant, huit Européens sur dix sont favorablesà un renforcement des contrôles aux frontières,marquant ainsi au total une préférence nette pourune immigration légale. Parmi les différents flux demigrants concernés, ce document vise à éclairerplus spécifiquement le cas des scientifiques.

Les mêmes droits

Le même sondage souligne que les deux tiers desEuropéens considèrent que les migrants devraientavoir «exactement les mêmes droits» que lesnationaux (69 % en France). On note l’inquiétudeallemande (50 % de réponses favorables seule-ment) et l’approche pragmatique d’un pays commel’Espagne (respectivement 89 %), pourtant forte-ment soumis aux pressions migratoires.

L’approche juridique consistant à offrir les mêmesdroits aux migrants qu’aux nationaux a été remiserécemment en cause à l’occasion de l’élargisse-ment par certaines analyses économiques, endos-sées par le Conseil scientifique du ministèreallemand des Finances (voir par exemple H.W.Sinn dans Sociétal, deuxième trimestre 2004).

Dans une Europe marquée par de très importantesdifférences de salaires moyens, les minimumssociaux des pays membres les plus riches peuventdépasser largement les salaires moyens des pays dedépart et entraîner un mécanisme de «tourisme

social» (Welfare shopping) de la part des migrants.Cette préoccupation est particulièrement marquéeen Allemagne, en raison de sa position géogra-phique, de ses coûts de main-d’œuvre élevés (5 foisles salaires polonais) et de l’expérience doulou-reuse de la réunification.

Les économies dotées de forts mécanismesredistributifs, comme l’Allemagne ou la Franceposeraient un problème particulier par rapport àl’immigration : le solde des contributions etprestations serait positif pour les bas revenus etnégatifs pour les hauts revenus. Dans l’hypothèseoù ce sont des non-qualifiés qui migrent, l’Étatprovidence, par sa redistribution, fournirait doncdes incitations à la migration dépassant les seulsécarts de salaires et interdisant soit de libéraliser lesmigrations, soit d’offrir aux immigrés les mêmesdroits sociaux qu’aux nationaux.

Ce souci a conduit les États membres à prendre desmesures restrictives à l’immigration provenant despays de l’élargissement. Même au Royaume-Uni, unrevirement d’attitude de dernière minute a conduit àimaginer un système d’enregistrement des migrants,ouvrant les droits aux bénéfices sociaux uniquementà ceux ayant travaillé une année sur le solbritannique.

Une immigration des pays tiers

La focalisation du débat sur les migrations sur cetype de questions a fait perdre de vue les véritablesenjeux. Dans une perspective de long terme,l’Union européenne vieillissante ne pourra pascompter sur le dynamisme démographique despays de l’élargissement.

L’Union européenne aura moins d’habitants en 2050qu’aujourd’hui, au rythme actuel d’immigration eten dépit de l’élargissement. Dans un pays commel’Allemagne, les trois quarts de l’accroissementdémographique proviennent déjà de l’immigration(un quart seulement en France, qui constitue uneexception européenne de ce point de vue). Lesmigrations attendues en provenance des nouveauxmembres sont limitées et le plus grand d’entre eux,par exemple, est susceptible de perdre 15 % de sa

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population d’ici 2050 indépendamment de tout fluxmigratoire.

La situation démographique des pays accédantn’est pas meilleure mais plutôt pire que celle despays membres, en particulier si l’on compare avecla situation française où les naissances l’ont encoreemporté très largement sur les décès en 2003(792 000 contre 560 000) grâce à un taux defécondité élevé.

Par ailleurs, l’offre de migrants comme la demandede la part des pays d’accueil est susceptible des’orienter de façon croissante vers les personnelsqualifiés.

Une approche uniquement en termes dedémographie soulignerait que les régions les plussusceptibles de nourrir les flux d’immigration versl’Europe sont – au-delà de la Turquie susceptibled’intégrer l’Union – l’Afrique (en particulier leMaghreb) et le Bassin méditerranéen.

Mais l’orientation de la demande et de l’offre versdes personnels très qualifiés entraînera nécessai-rement une diversification des flux. L’Asie oul’Amérique latine sont susceptibles de fournir àl’Union élargie les ingénieurs et scientifiques detoutes disciplines qui lui feront massivement défautau milieu du siècle pour se maintenir à niveau dansla société de la connaissance, tandis que lesscientifiques maghrébins, de leur côté seront attirésde façon croissante par l’aimant scientifique queconstitue l’Amérique du Nord.

La réflexion sur les migrations doit donc être poséeen termes différents, en s’intéressant aux flux enprovenance des pays tiers, et à la montée enpuissance de l’économie de la connaissance.

L’exemple de l’Amérique latine illustre de façonsaisissante ces questions.

Un environnement scientifiquedéfaillant dans les pays de départ

L’investissement en Recherche et Développement(R & D) représente 0,6 % du PIB en Amériquelatine. Ce chiffre est à comparer avec les 2 % à 3 %enregistrés en Europe, au Japon et aux États-Unis.On compte 300 chercheurs par million d’habitantsen Amérique latine, 1 900 en Europe, 3 800 auxÉtats-Unis et 4 700 au Japon. L’Amérique latine,outre le fait de ne pas être intégrée (en dépitd’accords comme le Mercosur), a donc un ratio trèsbas appliqué à des pays de taille limitée ; au total,30 % des chercheurs mondiaux travaillent auxÉtats-Unis, 27 % en Europe, 18 % au Japon etpresque autant en Chine.

Les chiffres relatifs à l’Afrique (à l’exception del’Afrique du Sud) sont, sans surprise, bien pires : 17scientifiques par million d’habitants au BurkinaFaso.

Qui plus est, les investissements par chercheurssont sans commune mesure, et la productionscientifique est proportionnée à l’investissement etau nombre de chercheurs : les États-Unis réalisent35 % de la production scientifique mondiale,l’Amérique latine 1 %.

Fernando Lema, chercheur à l’Unité d’immunologiestructurale de l’Institut Pasteur, voit dans ces chiffresà la fois le résultat et le déterminant des migrationsqualifiées : le déterminant dans la mesure où seul unenvironnement scientifique de qualité permet auxscientifiques de valoriser leurs connaissances et leurpotentiel de recherche ; le résultat dans la mesure oùces incitations au départ, qui ne sont donc pasuniquement financières, drainent les ressources encapital humain des pays de départ. C’est ainsi queplus de la moitié de la population scientifique deTrinidad et Tobago aurait émigré, les trois quarts decelle de la Guyane, les deux tiers de celle de laJamaïque. À l’inverse, dans les pays ayant unpotentiel local plus attractif, comme le Brésil et à unmoindre degré l’Argentine ou le Mexique, les tauxd’expatriation sont plus bas, au maximum 10 %.

La moitié des scientifiquesdes pays en développementinstallés aux États-Unis

À partir d’enquêtes sur les professionnelsd’Amérique latine émigrés aux États-Unis, FernandoLema comptabilise plus de 200 000 personnelsémigrés, parmi lesquels 51 000 ingénieurs, 24 000spécialistes des sciences de la vie, 17 000mathématiciens et informaticiens, 8 500 physicienset 98 000 spécialistes de sciences sociales. Lerecensement américain permet d’identifier 2 900ingénieurs argentins, 1 800 biologistes, 700mathématiciens, ou 400 physiciens du même paysexerçant aux États-Unis. Pour les pays de petitetaille, la situation est encore plus remarquable : laColombie compte 3 300 ingénieurs aux États-Unis,Cuba 6 100.

Cette situation est générale dans les pays en voie dedéveloppement : on compte 1,2 millions descientifiques dans l’ensemble des pays endéveloppement, à comparer à 1 million descientifiques de ces mêmes pays travaillant auxÉtats-Unis. S’y ajoutent ceux exerçant dans d’autrespays industrialisés. Une estimation prudenteeffectuée dans le cadre de la récente expertisecollégiale de l’IRD sur les diasporas scientifiquesdes pays du Sud évalue celles-ci à un tiers aumoins des effectifs des communautés scientifiques

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de ces pays. D’autres calculs se rapprochent duniveau des deux tiers. Compte tenu de l’impré-cision des chiffres, on peut considérer qu’environ lamoitié des scientifiques issus des pays en dévelop-pement exercent leur activité au Nord.

Le même constat peut être fait pour l’Amériquelatine : 150 000 scientifiques dans ces pays, et158 000 originaires de ces pays installés aux États-Unis. On relève de surcroît un biais en faveur dessciences dures, soulignant l’emprise de la sociétéde la connaissance sur ces flux.

Ce constat, bien connu, a souvent nourri la thèse del’exode des cerveaux, susceptible d’appauvrir lespays en développement. Il reste toutefois à prouverque les 3 800 physiciens, mathématiciens etinformaticiens cubains auraient trouvé à s’employerde façon efficace dans leur pays d’origine, comptetenu du niveau de développement de celui-ci. Plusgénéralement, le taux de chômage des qualifiés esttrès élevé dans les pays en développement, et lesédiles de certains pays de départ peuvent considérercomme une «soupape de sécurité» l’émigrationd’une partie de leurs élites.

Dans des cas comme celui-ci, plutôt que lesrevenus de ce capital humain employé dans le paysd’origine, c’est donc le coût de formation qui doitêtre mis en balance avec les revenus rapatriés.

Fernando Lema propose de retenir le coût de laformation d’un docteur pour un étudiant brésiliencomme base de calcul. Sur cette base, le million delatino-américains ayant reçu une formation univer-sitaire complète dans leur pays d’origine et résidantaux États-Unis représentent un coût de formationd’environ 30 milliards de dollars pour les pays dedépart.

Ce coût est-il prohibitif ? La réponse généralementdonnée consiste à mettre en balance les envoisd’économies sur salaires dans le pays d’origine.

Cette approche est toutefois délicate : on ne peutdissocier les revenus transférés par catégorie dequalification des migrants ; or, la propension desmigrants hautement qualifiés à opérer des remisesdans leur pays d’origine est l’objet de débatactuellement ; par ailleurs, on compare un stock(les personnels qualifiés émigrés) et un flux annuel,les remises de fonds. L’ordre de grandeur pourl’Amérique latine est d’environ 25 milliards dedollars transférés vers leurs pays d’origine par les35 millions de latino-américains émigrés aux États-Unis, soit 7 % de leurs revenus. Ces sommes sonttrès importantes, en particulier pour la balance despaiements de pays comme le Nicaragua, Haïti, laGuyane ou le Salvador.

Au-delà des transferts de fonds,le co-développement

Les pays en développement devraient pourtantpouvoir tirer des bénéfices beaucoup plus diver-sifiés de la présence à l’étranger d’une partieimportante de leurs personnels très qualifiés, quede simples remises de fonds.

L’argument concerne d’abord le développementéconomique et l’efficacité dans l’allocation del’épargne. Les fonds rapatriés vers le pays d’originene sont pas systématiquement investis dans desactivités productrices, loin s’en faut. Le petitcommerce, la spéculation immobilière, voire lasimple subsistance, sont souvent privilégiés. Dansle meilleur des cas des activités de services nonéchangés comme les SSII, la maintenance, lescyber-cafés permettent d’utiliser le moins malpossible des capitaux et des compétences. Lesconditions mêmes du transfert de ces sommes, viades intermédiaires financiers disposant d’un fortpouvoir de marché, sont généralement réputées trèsdéfavorables aux émigrés envoyant les fonds.

Les raisons de cette affectation inefficace des fondssont multiples, mais la dimension institutionnelledans le pays d’arrivée joue un rôle central. Ledéficit réglementaire dans le pays d’origine,l’absence de protection de la propriété intellec-tuelle, l’insécurité juridique, la difficulté à lever desfinancements bancaires supplémentaires, sontautant d’obstacles à l’investissement productif. Lamauvaise qualité des institutions, la mauvaisegouvernance, jouent ici non seulement contre ledéveloppement du pays d’une façon générale, maissurtout en faveur du départ du personnelscientifique, contre son retour éventuel, et contrel’implication productive (financière, économique etsociale) des expatriés dans le développement local.

C’est ici que de nouvelles approches des migrationssont nécessaires, s’appuyant sur un véritablepartenariat entre pays de départ et pays d’accueildes migrants. De nombreuses pistes peuvent êtreenvisagées, et les niveaux d’action sont multiples,du micro-local aux grands programmes.

Les pays d’accueil peuvent appuyer le système deformation au Sud : une partie des personnelsformés émigrant de toute façon au Nord, les paysdu Sud peuvent tirer bénéfice à travers eux d’unemise à niveau de leur système de formation pourles personnels restant sur place.

L’accueil de chercheurs dans les laboratoireseuropéens devrait être une priorité : ces laboratoiresconstituent un environnement scientifique propice àla valorisation des connaissances.

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D’une façon plus générale, l’accueil des émigrés,qualifiés ou non, élargit la surface des personnesdont les exigences en matière de démocratie et degouvernance par rapport à leur pays d’origine sontélevées. Ceci constitue un puissant vecteur dechangement des institutions, par «effet dedémonstration».

Le niveau régional, entre pays en voie dedéveloppement, constitue également un niveaupertinent. Un centre de recherche localisé dans unpays d’Amérique latine et fonctionnant sur unebase régionale, avec un appui scientifique etfinancier européen, serait viable et offrirait despossibilités d’échanges scientifiques mutuellementbénéfiques.

Ici, la question migratoire rejoint celle de lacoopération. En aidant à la construction decapacités locales et de partenaires de qualité et enentretenant un lien actif avec eux par l’entremisenotamment des expatriés sur leurs sols, les payseuropéens s’ouvriraient des chantiers nouveaux detravaux scientifiques et techniques tout en contrô-lant mieux les flux et leurs effets.

Une telle approche, dont l’Europe aura besoin à unhorizon assez proche, impliquera des modificationssubstantielles d’approche politique. Le discours surl’immigration zéro est en contradiction flagranteavec les pratiques de regroupement familial, de droitd’asile, par exemple, qui ont conduit à des entréesnon négligeables en Europe au cours des dernièresdécennies. C’est aussi une forte immigration illégale,d’autant plus difficile à repérer dans un espace delibre circulation des personnes constitué de paysayant une approche différente du problème. Cetteseconde forme d’immigration se résout alors enplans de régularisation périodiques souvent difficilesà gérer.

Au niveau français, le recours à un traitement de laquestion migratoire par l’intégration du stock demigrants et à un discours sécuritaire sur le flux estparticulièrement inadapté à ce nouveau contexte.Au niveau européen, et au-delà des déclarations deprincipe, la situation est également problématique.Dans ses accords de partenariat avec les paysMéditerranéens (fondés sur l’accord de Barcelonede novembre 1995 entre l’UE15 et 12 pays de larégion), le terme de migrations est accolé à celui deterrorisme et de criminalité : en matière de«partenariat social, culturel et humain» l’accordvise notamment à développer (…) «la coopérationdans le domaine de l’immigration clandestine, dansla lutte contre le terrorisme, le trafic de drogues, lacriminalité internationale et la corruption» (siteofficiel des Communautés européennes).

Il y a là un fossé important à combler avec unevision constructive et une utilisation rationnelle dela mobilité dans une perspective circulatoire quiconstitue une perspective essentielle de l’Unioneuropéenne.

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ORFEO

Prospective du rôle de l’Étatvis-à-vis de la création et du travail artistiques

Prospective du rôle de l’État vis-à-vis de la création et du travail artistiques

Des questions posées par l’intermittenceà une perception renouveléedes enjeux culturels

La réforme tumultueuse du «régime desintermittents du spectacle», puis la décision duConseil d’État de conférer à un divertissementtélévisuel le statut d’«œuvre», témoignent avecacuité d’une dégradation du rapport de l’État à lacréation et aux artistes. Ces deux événements,révélateurs d’une crise aiguë de notre politiqueculturelle, sont à l’origine de la décision de lancerune «prospective du rôle de l’État vis-à-vis de lacréation et du travail artistique» qui permette de«remettre à plat» la question de l’emploi culturel et,au-delà, d’imaginer les scénarios utiles à redéfinirle sens même de l’action publique dans le champ,bouleversé, de la culture.

Ces événements traduisent, en effet, une criseprofonde de la place de l’art et de la culture dans lasociété et l’économie contemporaines qui justifieamplement cette réflexion. Pour la mener à bien, ilconvient d’analyser l’économie globale de lacréation, son processus, de l’origine du «projet» àla réalisation de l’«œuvre» puis à la diffusion du«produit», et non de se focaliser sur un dispositiftenant lieu de «statut social» aux seuls métiers duspectacle, l’«intermittence», dont la spécificitéaujourd’hui la plus manifeste, mais aussi la pluscontestée, est de servir de variable d’ajustement :

– aux contraintes imposées par le marché, quijoue désormais un rôle de premier plan dans laproduction et la diffusion des biens culturels ;

– aux limites de l’investissement public, malgréla multiplication des interventions institution-nelles, au-delà de l’État, de l’Europe au local.

Le groupe Orfeo, pour apporter un éclairageprospectif utile à l’actualisation de la vision del’État, à la redéfinition de son rôle stratégique et,partant, à la remise en perspective de ses missions,à un horizon de long terme (15 ans), doit sedétacher de la conjoncture du moment. Il doits’établir à distance de l’«événement» (le «conflit

des intermittents), pour s’intéresser aux recom-positions dont celui-ci peut être l’indice précurseur.Il s’agit donc de dépasser l’interpellation faite àl’État pour faire émerger une nouvelle philosophiede l’action publique sur laquelle refonder notreprojet culturel.

La démarche du groupe Orfeo, en se penchant surl’intermittence (dont se sont saisies par ailleursplusieurs instances d’initiative gouvernementale ouparlementaire), est d’en faire, au travers desquestions qu’elle pose, un révélateur d’interro-gations plus vastes sur la culture. La longue crisequ’a connue l’intermittence depuis plus de dix ansa pu donner une image de sur-place, du fait à lafois des reconductions successives de ce régime etd’une apparente réitération des solutions avancéespour le réformer, alors que le «système d’emploi»devenait de plus en plus «explosif».

On peut se demander si, de façon analogue, lamanière de penser la vie culturelle et le rôle qu’yjoue l’État, n’ont pas connu le même genre de sur-place. Alors que, pendant ce temps, la culture et lavie artistique, comme la place assignée à l’État,connaissaient des évolutions fortes. D’où l’hypo-thèse, à la fois prudente et osée, que c’est bien uneperception renouvelée des enjeux qui estnécessaire aujourd’hui, sous peine d’une disqua-lification de la politique culturelle, néfaste auregard de l’ambition d’une maîtrise de notre avenirdans un domaine essentiel à la vie collective.

Le groupe Orfeo :une composition adaptée aux enjeux,la démarche prospective

• L’artiste a une aptitude singulière à repérer lessignes avant-coureurs des changements qui sont«dans l’air du temps» mais que nous peinons àpercevoir. Le concept même de «culture» restemystérieux, malgré la pléthore de définitions dont ilfait l’objet. Celles que l’État, dans notre pays, atenté de lui imprimer, ne font plus désormais senscommun : le «champ culturel» contemporain n’estpas celui de «l’époque Malraux». Les mutationsculturelles sont, en effet, intimement liées aux

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transformations économiques, sociales, techno-logiques et institutionnelles. Pour les capter, lesdécoder, dans un monde autrement plus complexeaujourd’hui que lors de la création du ministère dela Culture en 1959, le pari du Plan a été de réunirdes artistes, des créateurs, des professionnels dumilieu artistique et culturel. Il s’agit d’exploiter à lafois leur ressource d’acteurs engagés et leur énergiecréatrice, individuelle et collective, pour construireune réflexion anticipatrice utile à l’État, propre àrenouveler la vision et les modes d’intervention del’administration de la Culture.

• La philosophie de la démarche prospective miseen œuvre au sein du groupe Orfeo est foncièrementempirique. Elle repose sur deux considérations :

– il ne s’agit pas d’une prospective de la culture,qu’elle soit une analyse du rôle de la culturedans l’évolution de la société ou bien uneprospective d’un secteur d’activité spécifique. Ils’agit d’une prospective du rôle de l’État vis-à-vis de la création et du travail artistique,conditions premières de l’existence d’uneculture vivante. Ce point a son importance caril implique que la démarche prospectiveengagée se nourrisse d’un questionnementpolitique, et non seulement «technique» ;

– les membres du groupe partagent une visionsingulière de la prospective, considérantqu’elle relève plus de l’art de la compositionque de la science exacte. Faire de laprospective, c’est avant tout poser les bonnesquestions, c’est mettre en relief les enjeux et lesdéfis d’avenir auxquels, en particulier, lepolitique va devoir faire face. Cette conceptionimplique de faire un pas de côté par rapportaux représentations et aux pratiques à l’œuvre ;elle nécessite, par conséquent, de repérer lesacteurs porteurs de nouveaux regards, denouveaux désirs.

Prenant acte d’une large convergence de vues entreles membres du groupe sur l’épuisement du«référentiel» de l’action publique dans le domainede l’art et de la culture, et plutôt que de se focalisersur les cadres classiques d’analyse du rôle de l’Étaten la matière, le parti pris d’emblée a été de centrerles travaux sur trois enjeux d’avenir considéréscomme essentiels :

– l’«état professionnel des personnes», oucomment sécuriser les parcours des artistesdans le contexte de flexibilité qui caractérise laproduction artistique ?

– le renouvellement du «terreau créatif», oucomment faire émerger ce que nous avonsappelé «une écologie de l’innovation», c’est-à-dire un souci d’assurer un renouvellement

permanent des formes et des contenus et unéquilibre entre l’innovation et la rentabili-sation ?

– la diffusion et la diversification de la culture,dans ses divers registres : diffusion des œuvres,transmission du patrimoine, éducation artisti-que, construction du rapport à l’art, oucomment élargir les publics (démocratisation)et mieux les impliquer (démocratie culturelle) ?

Cet effort de reformulation des questions posées àl’État se décline en quatre axes thématiques detravail – en forte interaction – qui constituent autantde facteurs d’évolution du rôle de l’État vis-à-vis dela création et du travail artistique.

• Les professionnalités et la structuration desprofessions : il s’agit de s’attacher à repérer tout cequi «fait profession», en mettant l’accent sur lesreprésentations des différents métiers, l’évolutiondes référentiels d’activité, le rôle de la formationinitiale et de la formation continue, l’acquisitiondes compétences et leur entretien, l’implication desprofessionnels eux-mêmes dans le renouvellementde leur profession, le rôle des structures etorganisations professionnelles...

• La demande de travail faite aux artistes, soit par lacommande d’œuvres, plus ou moins finalisées, soitpar la mobilisation de leur capacité de travail.Deux aspects sont à étudier de plus près : la natureet le contenu de cette demande, qui permettront dedégager des éléments essentiels de la spécificité dumarché du travail artistique, les formes d’arran-gements contractuels correspondants (droits d’au-teurs ou droits voisins, emploi salarié permanent,temporaire ou intermittent, honoraires, selon lescas) ;

• La transformation de l’œuvre artistique en produitculturel, sous l’angle de l’organisation de laproduction comme sous l’angle du fonctionnementdes filières des industries culturelles.

• Les perspectives de refondation de l’actionculturelle, d’un double point de vue : la formationdes goûts et des préférences, d’une part, les finalitésde la diffusion culturelle, d’autre part, qui consti-tuent des préalables à toute politique d’accès à laculture.

Sur chacun de ces axes, un travail approfondid’expertise, mobilisant des approches écono-miques, sociologiques, juridiques, de sciencepolitique, permet d’identifier les systèmes dereprésentations présidant aux choix collectifs et auxsolutions «techniques» qui en découlent, lesalternatives d’action, les stratégies d’acteurs, les

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enjeux d’avenir. Des supports spécifiques (notes,schémas, diaporamas) sont élaborés pour soutenirle travail de réflexion du groupe et une méthode departicipation active de ses membres est déve-loppée.

Enfin, la comparaison européenne et internationale,comme l’attention portée aux initiatives locales,contribueront à élargir la perspective, qui doit êtreglobale et transversale, sur des enjeux dont lanature et l’échelle actuelles justifient de repenser lamission de l’État sur plusieurs registres, en intégrantplusieurs niveaux territoriaux.

Création et travail artistiques :état des réflexions du groupe,orientations de travail

La question du «statut social» de l’artiste (au doublesens de la position qui lui est reconnue dans lasociété et des garanties que la collectivité luiaccorde) est, avec celle de la place de «l’artistique»dans le «culturel», au cœur des réflexions dugroupe Orfeo. La prégnance actuelle, dans le débatpublic comme dans le milieu artistique et culturel,de la problématique de la sécurisation destravailleurs a justifié une réflexion comparative ettransversale sur les droits socio-économiquesattachés à la création et au travail artistique.

Élargir la perspective

Une mise en perspective a d’abord été réalisée surles droits sociaux des travailleurs du spectacle(vivant et audiovisuel), l’évolution du dispositif del’intermittence, ainsi que les diagnostics et pistes desolution avancés par de multiples rapports depuisle début des années 1990. Cette première étape apermis de s’interroger sur les fondements et lalégitimité d’un régime, à la fois inscrit dans le droitcommun et dérogatoire à celui-ci, qui, par lesparticularités d’une indemnisation du chômagefondée sur la présomption de salariat, apparaît enparfaite adéquation avec les spécificités dufonctionnement du spectacle – quand il ne vientpas les renforcer – ; un fonctionnement marqué parl’organisation par projet et la flexibilité de lademande de travail faite aux artistes et techniciens.

Cela a amené le groupe à se demander pourquoid’autres artistes, comme les plasticiens et lesécrivains, pourtant également confrontés à ladiscontinuité de leur activité créatrice, nebénéficient pas des mêmes garanties, ce qui lesconduit généralement à rechercher celles-ci dansl’exercice d’une activité salariée dans un autrechamp, et donc à une «mixité statutaire» ; ouencore, à se demander où passent les frontièresentre salariat et indépendance… Il ne s’agit

évidemment pas de viser une quelconqueextension du champ de l’intermittence, mais des’efforcer de porter sur l’ensemble de la création etdu travail artistique un même regard, de manière àdépasser une inclination «naturelle» à une réfé-rence «obligée», et très prégnante, au spectacle, enparticulier au spectacle vivant.

Il s’agit bien, aussi, de poursuivre l’examen del’ensemble des mécanismes qui concourent à lasécurisation des divers travailleurs artistiques.Actuellement, n’existe qu’une simple coordinationde leurs droits sociaux et économiques (droit dutravail et droit de la sécurité sociale, droitsd’auteurs et voisins) ; faut-il aller plus loin pourl’avenir et envisager une réelle intégration de cesdroits pour garantir un revenu d’activité et unemeilleure couverture sociale à l’ensemble despersonnes qui exercent une activité dans ledomaine artistique, aujourd’hui marqué par lerenforcement contradictoire de la spécialisation etde la polyvalence, la longueur des processusd’insertion, la fragilité des situations et l’incertitudede la reconnaissance ?

La perspective ainsi ouverte devrait permettre derépondre aux questions suivantes :

– quelles évolutions respectives connaissent cesdivers droits, aboutissant à les rapprocher ou àles distinguer ?

– comment répondent-ils, ou se sont-ils adaptés,aux particularités du travail artistique et de lademande de travail faite aux artistes, sous sesdifférentes modalités ?

– à quelles remises en cause ces droits (et lesanalyses qui en sont faites) se trouventaujourd’hui confrontés, tant du fait del’évolution de l’emploi, que des procédures deproduction et, partant, des pratiques contrac-tuelles ?

Changer de regard, poser des questions neuves

Aussi peu évidente soit-elle, la question,éminemment prospective, du «statut unique» del’artiste mérite d’être posée. Elle renvoie à unequestion plus large et de caractère politique : quelcompromis trouver entre l’objectif de «sécurisationdes artistes et travailleurs artistiques» et lesimpératifs qui doivent guider le rôle de «piloteculturel» de l’État : maintenir notre capaciténationale de production artistique à un niveau –qualitatif et quantitatif – «suffisant» ?

Peu abordé jusqu’alors, nonobstant quelques pistesprésentes dans certains des multiples rapports quiont jalonné la longue crise de l’intermittence, cet

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axe de réflexion constitue une voie possible, etneuve, de refondation de la politique culturelle.

Il nécessite et permet à la fois de dépasser lesapproches et représentations usuelles qui, singu-lièrement en France, sont sous-jacentes à lapolitique de l’État et prégnantes dans le débatpublic.

Voici, à cet égard, quelques-uns des «angles» deréflexion qui illustrent la façon dont le groupeOrfeo a décidé d’aborder son sujet.

• Reconsidérer le travail artistique, pour qu’il nesoit plus le maillon faible de la chaîne deproduction des œuvres, le volet social implicite, ou«externalisé», de la politique culturelle de l’État, le«non-dit» de l’économie de la culture, mais, aucontraire, leur «levier».

• Démythifier la «création» pour mieux encomprendre le processus et les ressorts, enidentifier les pratiques et accorder toute sa valeur,son prix, au travail, de plus en plus collectif, qui lasous-tend, et sans lequel l’œuvre qui en est leproduit n’existerait pas.

• À l’inverse, renforcer la place et le rôle de lacréation dans nos valeurs communes, dans nospratiques et nos comportements, et ce dès l’école.Notre «culture» s’appauvrit au fur et à mesurequ’elle ne se nourrit plus que de «savoirs»disciplinaires d’un côté, d’«informations» del’autre. L’art du «sensible», s’il ne s’enseigne quedifficilement, peut – et doit – se transmettre ; fautede quoi, demain nous ne consommerons plus, sansémotions, que des «produits culturels» standar-disés, sans chair et sans âme. Replacer «l’artis-tique» dans «le culturel», c’est, d’abord, associerétroitement les artistes aux apprentissages, àl’éducation des enfants, dans et hors l’école.

• Favoriser ce qui rapproche, plutôt que rigidifierce qui distingue, dans le «monde de la création»(qui inclut, mais dépasse, les «créateurs»), qu’ils’agisse des pratiques, des métiers, des statuts et desparcours professionnels. La complémentaritésouvent indissociable entre artistes et techniciens,dans le spectacle, l’audiovisuel ou le cinéma ; lafiction juridique qui permet à des artistesindépendants (écrivains, compositeurs, plasti-ciens…), rémunérés en tant qu’auteurs de leursœuvres, d’être assimilés à des artistes salariés pourbénéficier d’une protection sociale ; l’accès desartistes interprètes au bénéfice des droits dits«voisins» du droit d’auteur, une manière dereconnaître l’interprétation comme «voisine» de lacréation… ces diverses évolutions, soulignées dans

les travaux du groupe Orfeo, plaident pour qu’oncherche à s’affranchir, de manière raisonnée, deslogiques sectorielles ou catégorielles, qu’ellessoient le fait des pratiques administratives, desréflexes corporatistes ou du goût prononcé desFrançais pour l’étiquetage, dont les artistes de lascène actuelle s’accommodent de plus en plus mal.

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PÉRICLÈS

Projet sur l’effort de recherche intensifcompatible avec les exigences de la soutenabilité

R & D et stratégies de développement durable

Lors du Conseil européen de Barcelone en mars2002, il a été décidé d’augmenter jusqu’à 3 % duPIB en moyenne les dépenses de recherche etdéveloppement des pays européens.

L’objet de ce projet est :

• D’établir un diagnostic des effets de l’augmentationde l’effort de R & D des seize pays européens sur lesprincipaux indicateurs du développement durable(socio-économiques, environnementaux) de l’Europeet de la France.

• De proposer des stratégies pour la Francesusceptibles de rendre ces efforts plus favorables audéveloppement durable.

Si un accord se dégage pour penser que l’effort deR & D est insuffisant, (c’est ce qui ressort destravaux issus des nouvelles théories de lacroissance et du progrès technique (cf. Cameron,1998) du moins d’un strict point de vueéconomique, en revanche, la question de savoir sil’augmentation de cet effort est réalisable demeureouverte. De même, les effets sur les autrescomposantes non économiques du développementdurable sont plus ambigus car l’accélération duprogrès technique induit parfois un «processus dedestruction créatrice» qui accroît le chômage et lesinégalités ; les gains de productivité et de qualité,qui diminuent dans un premier temps l’usage desmatières premières et de l’énergie, peuvent aussiaugmenter les demandes de biens polluants, enfin,l’accélération de l’obsolescence augmente lesmises au rebut et les déchets.

Bref, nous savons tous qu’il existe des «désillusionsdu progrès» et, pour cela, il est important que soitdressé un bilan prospectif, sur les conditions et lesconséquences à attendre de l’augmentation del’effort de R & D, afin de révéler les principauxproblèmes que vont rencontrer les pays européens,et la France en particulier ; c’est sur ce diagnosticque s’appuieront plus tard les recommandations surla stratégie de l’État.

Un premier diagnostic quantitatif :la méthodologie

Bien que les effets de la R & D soient difficiles àprévoir et encore plus à quantifier, il est intéressant

de faire partir l’analyse d’un scénario quantifiédonnant la mesure des défis à relever. Ce scénarione saurait être envisagé comme définitif en raisonde l’incertitude qui affecte les résultats des étudessur les liens entre R & D et innovation d’un côté,innovation et performance économique d’un autrecôté ; en raison également de notre ignorance desconditions concrètes de mise en œuvre del’augmentation de l’effort de R & D.

La méthode retenue utilise des travaux s’appuyantsur les théories économiques récentes de lacroissance et du progrès technique (notammentceux qui sont issus de l’article initial de P. Romer),regroupés aujourd’hui sous le terme de croissance«endogène», cette vision des phénomènespermettant d’envisager un effet durable despolitiques de croissance, ce que n’autorisaient pasles théories précédentes dites aujourd’hui decroissance «exogène».

Le renouveau des théories insiste sur plusieursphénomènes essentiels :

• Le rôle des externalités (ou des diffusions) deconnaissance qui fait que la productivité sociale oucollective de la R & D est très supérieure à laproductivité individuelle, ce qui rend les dépensesdes entreprises insuffisantes pour atteindre l’opti-mum collectif mais ce qui explique également quela croissance du PIB/tête ne se bloque pas à longterme.

• L’endogénéisation des décisions de R & D à partird’une analyse micro-économique de l’incitation àinnover.

• Les liens entre R & D, innovation et perfor-mance économique, appréhendés à travers lesdeux formes d’innovation de productivité et deproduits (qualité, variété).

Le chiffrage des phénomènes

Mais les chiffrages de ces théories récentes sontencore précaires : par exemple le partage entrequalité et volume ou innovations de qualité et deproductivité ne cesse d’interpeller les comptablesnationaux ; cependant, on dispose de suffisamment

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d’éléments pour amorcer les premières discussionschiffrées.

D’abord la performance économique de la R & D aété l’objet de nombreux travaux quantitatifs,principalement économétriques, à partir dedonnées tant individuelles que sectorielles oumacro-économiques. Ce sont ces travaux qui ontservi de fondement à l’étude de référence et qui ontpermis de donner un cadrage quantitatif àl’ensemble des phénomènes complexes analyséspar les nouvelles théories.

Ensuite, l’étude des externalités de connaissance aprécédé, et de loin, les développements théoriquessur la croissance endogène ; en effet, les ingénieurséconomistes se sont depuis longtemps penchés surla question de la diffusion des innovations à la foissous une forme explicite (utilisation intersectorielledes brevets) ou sous une forme implicite, transfertsinformels de connaissance, diffusion des baisses deprix (externalités pécuniaires, etc.).

L’ensemble de ces propriétés a été incorporé aumodèle européen multinational et multisectorieléconométrique NEMESIS afin de construire desscénarios quantitatifs cohérents relatifs à l’accrois-sement de l’effort de R & D. Plusieurs enseigne-ments en ont été tirés qui suscitent de réellesinterrogations.

Le modèle a été construit par un consortium européenfinancé par la DG Recherche. L’étude qui est citée àlaquelle un conseiller scientifique du Commissariat auPlan a participé a été commandée par la DG Recherche ;une application à la France a été financée par le Servicedes études économiques du Sénat et commandée par leCOE de la Chambre de commerce et d’industrie de Paris.L’étude européenne a été présentée lors d’uneconférence de presse par le Commissaire européen à laRecherche : P. Busquin le 17/03/2004.

(http://europa.eu.int//comm//research//era//3pct//conference17032004_en.html).

L’importance de l’intervention publique

Ce n’est pas tant la mise en évidence des effetsbénéfiques qui est intéressante ici puisque le lienR & D performance permet de l’anticiper maissurtout les ordres de grandeurs qui sont révélés parla modélisation elle-même et qui sont en confor-mité avec les travaux des scientifiques.

• Pour l’ensemble des seize pays de l’Europe, dontl’effort de R & D passe de 1,9 % en 2002 à 3 % en2010 en moyenne, le surcroît de croissancepotentielle jusqu’à l’horizon de 2030 est de l’ordrede 0,5 % par an ; encore ce chiffre sous-estime-t-ilcertaines potentialités de croissance celles notam-ment qui sont reliées aux effets «qualité» de lacroissance à l’horizon 2030.

• L’emploi augmente moins en raison des fortsgains de productivité du travail résultant desinnovations. Sa croissance est de l’ordre de 5 % etce sont donc dix millions d’emplois complémen-taires qui seront créés par la mise en œuvre decette politique.

• Le ressort de cette croissance est simple : lesinnovations de productivité et de qualité améliorentla compétitivité de l’Europe par rapport aux paysextérieurs : l’accroissement du solde extérieur tireen grande partie la croissance.

• Mais il y a plus, l’augmentation de l’emploi et desrevenus et la qualité accroissent la demande deconsommation qui est le deuxième poste à «tirer»le PIB. À noter que la formation brute de capitalfixe (FBCF), en raison des progrès de productivité,ne dynamise pas la croissance du PIB.

• La France est dans une situation analogue maismoins favorable dans l’ensemble et cela parce quel’accroissement des efforts de R & D, de 2,2 % à unpeu plus de 3 %, est moins accentué que pourl’ensemble de l’Europe. Du même coup, notre paysperd en compétitivité relative par rapport à sesprincipaux partenaires européens, tout en gagnantsur les pays extérieurs à l’Europe.

Par conséquent, la croissance potentielle nes’améliore que de 0,3 % par an et ce sont environun million d’emplois supplémentaires qui vont êtrecréés d’ici à 2030. Là également les principauxagrégats qui «tirent» le PIB sont les exportations etla consommation.

Des conséquencesen terme de déficit public

En fait, les phénomènes que nous venons dedécrire supposent que tout l’effort complémentairede R & D est arrivé à maturation, c’est-à-dire queles innovations ont eu lieu et qu’elles ont produitleur performance économique. Cela prend dutemps, entre deux et quatre ans pour la rechercheappliquée, cinq et six ans voire plus pour larecherche fondamentale ; si l’on tient compte de ceque l’augmentation des efforts de R & D estprogressive durant les premières années appeléesannées de «maturation», les entreprises (dans le casde l’accroissement de financement privé) ou l’Étatvoient leurs dépenses augmenter sans qu’il y ait decontreparties en termes de productivité, de qualitéet de compétitivité. Du même coup, la compétiti-vité des entreprises baisse durant cette premièrepériode où l’on voit les exportations diminuer, lesimportations augmenter et donc les déficits secreuser. Cependant la production augmente durantcette période, les dépenses agissant comme un

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multiplicateur keynésien et l’emploi augmenteencore davantage en raison du fort contenu enmain-d’œuvre des dépenses de R & D.

Dans le cas où l’État prend à sa charge lefinancement de l’accroissement de l’effort, lacompétitivité diminue moins mais le déficit desadministrations se creuse jusqu’à près de 1 % dePIB pour l’Europe.

Pour la France, les résultats sont globalementidentiques mais les déficits sont moins accentuésque pour l’ensemble de l’Europe car l’effet derattrapage, pour atteindre les 3 %, est moinsimportant que dans la moyenne des payseuropéens ; aussi notre pays perd-il moins encompétitivité. Les déficits des administrationspubliques peuvent s’accroître de 0,6 % de PIB.

On savait que la question du financement de laR & D est délicate en raison de l’incertitude de larentabilité économique. Cet exercice nous révèleégalement que les longs délais de maturationincitent à imaginer des modes de financementspécifiques.

Une transformationde la structure industriellequi peut engendrer des inégalités

Lorsque l’accroissement de l’effort de R & D estréparti proportionnellement aux dotations initialesen R & D des différents secteurs, les résultats de lapolitique de R & D sont quand même trèsdifférenciés et risquent de modifier, de façonimportante, la contribution à la croissance desdifférents secteurs composant les économies euro-péennes et françaises ; certains secteurs vont mêmeperdre de l’emploi, ce qui risque de détériorer lacomposante socio-économique du développementdurable.

Quatre groupes de secteurs peuvent être distinguésdu point de vue des résultats : les secteurs intensifsen R & D, les secteurs des autres biens d’équi-pement, les secteurs des biens et services deconsommation et les autres services.

Les secteurs intensifs en R & D

Il s’agit de chimie, bureautique, biens électriques etmatériels de transport et services de sous-traitancede la recherche marchande.

La production de tous ces secteurs croît beaucoup :pour l’Europe l’écart de production par rapport à laréférence (sans politique) est de 22 % pour lesmachines de bureau et de 15 % pour les matérielsde transport. Pour la France les écarts sont un peuplus modestes : respectivement de 21 % et 11 %.La croissance de l’emploi dans ces secteurs est

beaucoup plus faible en raison des forts gains deproductivité dus à la R & D : respectivement de15 % et 4 % pour l’Europe et 7 % et 0,2 % pour laFrance. On assiste ainsi dans ces secteurs où laqualité et les parts de marché des produitsaugmentent, à une substitution progressive desmétiers de la recherche à ceux de la production.

Les secteurs des autres biens d’équipement

En raison des faibles intensités et productivités de laR & D dans ces secteurs les gains de productivité etde qualité sont limités ; en outre, les gains deproductivité des activités clientes vont encore pluslimiter la demande adressée à ces secteurs. Lacroissance de ces secteurs est donc relativementfaible ou en tout cas inférieure à la moyenne desautres secteurs.

Les secteurs des biens et servicesde consommation

Ces secteurs enregistrent des gains de productivitémais l’augmentation de leurs débouchés due àl’effet qualité des produits et à l’augmentation dessalaires réels dans l’ensemble de l’économie esttelle que l’emploi augmente de façon appréciabledans presque tous les secteurs. Au plan européen,plusieurs secteurs voient leur production (toujoursen 2030) augmenter de plus de 15 %. En Franceretenons ici que, comme les exportations, laconsommation finale est un puissant moteur decroissance économique.

Les secteurs des biens intermédiaires

En revanche, les secteurs des biens intermédiairesvont pâtir des progrès de la productivité globale desfacteurs dans l’économie et donc de l’insuffisantedemande qui leur est adressée par les autressecteurs. Par ailleurs, la faible amélioration dequalité de leurs produits due à leur faible contenuen R & D n’est pas de nature à relancer lademande. Pour toutes ces raisons certains secteursdes biens intermédiaires (métaux, produitsmétalliques, produits minéraliers non métalliquesetc.) vont être obligés de diminuer leur emploi. Onvoit là que l’augmentation de l’effort de R & D vaaccélérer le processus de redéploiement desindustries au détriment des activités traditionnellesliées aux biens intermédiaires et au profit dessecteurs riches en R & D et de certains services. Laquestion se pose alors de la stratégied’accompagnement de ces redéploiements.

Politique globale ou politique ciblée,commandes publiques, grandsprogrammes de recherche

L’ensemble des travaux de simulation montre queles commandes publiques adressées aux secteurs

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de haute technologie qui accroissent donc lapondération de ces secteurs sont un moyen efficaced’accroître l’effort de R & D.

Dans les exercices réalisés l’augmentation del’effort de R & D provient en partie de commandesadressées aux secteurs intensifs en R & D (chimie,machines de bureau, biens électriques, matériels detransports), les NTIC étant incluses dans les biensélectriques et les matériels de bureau. Cependant,même avec un accroissement très élevé descommandes publiques : 2,5 % du PIB en 2010, ilfaut adjoindre un effort global complémentaire deR & D pour atteindre les objectifs de Barcelone.

Les résultats augmentent davantage le PIB et surtoutl’emploi que dans l’exercice de référence où l’effortde R & D était uniformément réparti, mais aux prixd’un déficit accru des administrations publiques.

Plusieurs phénomènes expliquent cela : l’effort deR & D est concentré sur des secteurs à hautetechnologie au sein desquels la productivité de laR & D est élevée ; ces secteurs sont émetteursd’externalités de connaissance et la diffusion desinnovations qui en sont issues accroît encoredavantage la productivité sociale de la recherche.Enfin, en concentrant la recherche sur ces secteurs,on augmente moins la productivité des secteursriches en main-d’œuvre et du même coup onpréserve les emplois dans ces secteurs, ce quiinduit une plus forte variation d’emploi globale.

Tous ces résultats militent en faveur de l’adoptionde programmes de recherche ciblés plutôt quedispersés. Ils posent donc la question de savoirquels sont les grands programmes qui doivent êtreencouragés, quelles doivent être leur taille et leurrépartition entre les pays européens.

Le besoin de formation des personnelsde recherche : un défi majeur

L’ensemble des seize pays européens analysés vadevoir créer à l’horizon de 2030 à peu près dixmillions d’emploi complémentaires par rapport à latendance spontanée, ce qui n’est pas négligeable,surtout si l’on tient compte des projectionsdémographiques marquant une baisse de lapopulation active disponible. Ce chiffre nereprésente toutefois qu’un accroissement de 5 %environ des emplois par rapport à la base, ce quiest faible, comparé au presque 15 % de PIB maisexplicable par le surcroît de productivité induit parles dépenses de R & D. En France, le nombred’emplois en plus est de l’ordre de un million.Cependant la part des emplois européens liés à larecherche est importante puisque ce sont près detrois millions d’emplois supplémentaires qui

devront être créés par rapport à une situation sanspolitique d’accroissement de la R & D. En France,le nombre d’emplois en plus liés à la recherche estde l’ordre de 350 000. Cela veut dire, en fait, enajoutant les créations spontanées qui auraient eulieu si l’on avait simplement maintenu constant leniveau d’effort de R & D, que l’accroissement desemplois liés à la recherche va être de 5 millions enEurope et de 560 milliers environ en France. C’estdire l’importance du défi qui est lancé à notresystème de formation et notamment à l’enseigne-ment supérieur. Le problème est d’autant plussérieux en France qu’une bonne part de larecherche publique est réalisée en dehors desuniversités, ce qui les prive de moyens essentielspour la formation à la recherche.

Tels sont les résultats du diagnostic économiquequantitatif qui ont été présentés aux correspondantsdu groupe et qui sont l’objet de discussions. Deuxvoies d’approfondissement du diagnostic sontactuellement explorées : celle des indicateursenvironnementaux et celle des nouvelles techno-logies de l’information et de la communication.

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PERROUX

Prospective de la localisation des activités pour les régions françaisesdans une Union européenne élargie

Les risques d’une politique régionale européenne minimaleface au défi de l’élargissement

Cette note s’inscrit dans le cadre de la réflexion dugroupe Perroux concernant l’avenir des territoiresfrançais face à l’élargissement de l’Union euro-péenne aux pays d’Europe Centrale et Orientale(PECO). Elle répond à l’actualité du débat surl’efficacité des politiques de cohésion européennesface à la poursuite du mouvement de concentrationdes activités industrielles dans un petit nombre derégions à l’intérieur de chaque pays européen. Ledébat est évidemment relancé avec l’élargissementà 25 sachant que le budget européen est nonseulement plafonné mais risque d’être maintenuconstant. Dans ces conditions, une politique struc-turelle européenne en direction des régionsdéfavorisées est-elle nécessaire ? Si oui, doit-onaugmenter le budget européen ? Ou alors doit-onrenationaliser les politiques régionales ? L’objectifde cette note n’est pas de trancher ce débat mais dele poser avec les différentes pistes possibles. Ilappartient au groupe de projet de définir desrecommandations pour l’État stratège en fonctiondes scénarios qu’il aura élaborés.

L’état des lieux et l’évaluationdes politiques de cohésion en Europe

Depuis le traité de Rome, la réduction desdisparités régionales fait l’objet d’une attentioncontinue, appuyée par la mise en place depolitiques structurelles venant en aide aux régionsles plus défavorisées. C’est au milieu des années1980, avec l’arrivée des pays du Sud plusretardataires et l’achèvement du marché intérieurpromu par l’Acte unique (1986) que la politiquerégionale prend corps sous sa forme actuelle.

Fondée sur l’intervention de trois fonds structurels :le Fonds européen de développement régional(FEDER), le Fonds social européen (FSE) et le Fondseuropéen d’orientation et de garantie agricole(FEOGA), elle entre en vigueur en 1988 et inaugurela programmation budgétaire pluriannuelle auniveau communautaire. Les fonds structurels,principal mécanisme de redistribution vers lesrégions défavorisées sont alors considérablementaugmentés avec en toile de fond, l’idée que lapoursuite de l’intégration allait poser de sérieuses

difficultés aux régions les plus fragiles. S’y ajoutentles initiatives communautaires INTERREG III(coopération transfrontalière, transnationale, etinterrégionale), URBAN II (développement durabledes villes et quartiers en crise), LEADER+(développement rural par des initiatives locales),EQUAL (lutte contre les inégalités et les discri-minations dans le marché du travail). Le fonds decohésion, qui finance des projets en faveur del’environnement et des transports dans les Étatsmembres les moins prospères complète le dispositifde la politique régionale européenne en 1993.

Les perspectives de financement de la période deprogrammation actuelle sont fixées au Conseileuropéen de Berlin en mars 1999. En vue del’élargissement de l’UE aux PECO, des fonds depré-adhésion sont créés, répartis entre unInstrument structurel de pré-adhésion (ISPA) et unProgramme spécial d’adhésion pour l’agriculture etle développement rural (SAPARD). Au sein desÉtats membres, les fonds structurels bénéficient auxzones qui en ont le plus besoin. Le nombre desobjectifs est réduit à trois contre six auparavant : lepremier d’entre eux «vise à promouvoir le dévelop-pement et l‘ajustement structurel dans les régionsen retard de développement». Entre 1994 et 1999,près de 62 % de ces fonds ont été dirigés vers lesrégions dont le PIB par tête (exprimé en parité depouvoir d’achat-PPA) se situait en dessous de 75 %de la moyenne européenne. Entre 2000 et 2006,cette part doit atteindre près de 70 % des fondsstructurels.

Le second objectif vise «à soutenir la reconversionéconomique et sociale des zones en difficultéstructurelle» et représente près de 12 % des fonds.Il concerne «les zones en mutation socio-économique dans les secteurs de l’industrie et desservices, les zones rurales en déclin, les zonesurbaines en difficulté et les zones en crisedépendant de la pêche».

Enfin, le troisième objectif vise «à soutenir l’adap-tation et la modernisation des politiques et systèmesd’éducation, de formation et d’emploi» et repré-sente lui aussi environ 12 % de la dotation. Unmontant de 195 milliards d’euros est consacré aux

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trois objectifs des fonds structurels pour l’ensemblede la période de programmation. Aujourd’hui, tousles pays ou presque comptent au moins une régionéligible à l’Objectif 1.

Alors que les fonds structurels ciblent leur actionsur les régions, le fonds de cohésion, attribué auxpays dont le PIB par tête n’excède pas 90 % de lamoyenne européenne, se fixe un objectif deconvergence nationale. À ce titre, l’Espagne, laGrèce, le Portugal et l’Irlande ont perçu entre 1993et 1999 15 milliards d’ECUS de 1994 en plus des65 milliards alloués aux fonds structurels. Pour lapériode 2000-2006, le fonds de cohésion repré-sente 18 milliards d’euros, soit un peu plus de 2,5milliards d’euros par an en plus de 86 milliardsd’euros versés au titre des fonds structurels. Le totaldes actions structurelles pour ces quatre paysatteint donc 17,3 milliards d’euros par an, ce quireprésente environ 275 euros de 1999 par habitantet 51 % des aides structurelles. L’Espagne à elleseule reçoit un quart des fonds. Parmi les grandspays, l’Allemagne et l’Italie se partagent une partsubstantielle des fonds structurels en raison dunécessaire rattrapage des länder issus de l’ex-RDAet du retard séculaire du Mezzogiorno.

Récemment, plusieurs études ont accusé lespolitiques de cohésion d’être inefficaces et plaidépour une réforme du dispositif actuel voire sasuppression totale. En effet, il peut paraître para-doxal que les disparités régionales n’aient pasbaissé en dépit des efforts financiers engagés. Sil’on considère, en accord avec les modèlesd’économie géographique que les facteurs d’agglo-mération ont des effets positifs sur la croissance,alors une politique d’amélioration des infras-tructures dans une région pauvre peut conduire àune géographie moins efficace et une croissanceplus faible. Seules les dépenses publiques en faveurd’infrastructures de télécommunications oud’innovation pourraient favoriser la convergencedes régions (Martin, 1999).

Toutefois, ce constat d’échec des politiquescommunautaires n’est pas toujours partagé. Lacroissance du PIB par habitant a été plus rapidedans les régions de l’Objectif 1 et la réforme desaides structurelles a contribué à améliorerl’efficacité des politiques régionales européennes(troisième Rapport sur la cohésion, Commissioneuropéenne, 2004). Reste que plusieurs forces depolarisation sont à l’œuvre et que la croissance desrégions pauvres reste handicapée par une structureindustrielle défavorable, du fait d’un poidsimportant de l’agriculture et de l’insuffisance desactivités de R & D. En outre, si la capacité d’unerégion retardataire à rattraper est positivementinfluencée par les fonds structurels, elle est aussifortement conditionnée par des facteurs nationaux(Fayolle et Lécuyer, 2000).

Difficile alors de distinguer dans les facteurs de cerattrapage, ce qui est dû aux fonds structurels et cequi revient à des facteurs plus généraux ou d’autresinstruments de politiques économiques. De plus,les contributions nationales aux fonds structurelsinfluencent largement le coût total des projets etbiaisent les montants distribués. Ainsi, dans le casde l’Italie, les fonds alloués au Sud sont enpourcentage inférieurs aux montants octroyés auxrégions du Nord si l’on prend en compte lesfinancements nationaux.

En somme, si les disparités régionales ont persistémalgré les fonds structurels, il est difficile de savoirquelle serait aujourd’hui la situation des régionsbénéficiaires si le dispositif n’avait pas existé.L’efficacité des aides régionales européennes doitsans doute être améliorée mais elle reste uninstrument important de cohésion et de solidarité.Lors de la prochaine période de programmation, lapolitique de cohésion sera établie dans une Europeélargie à terme à douze nouveaux membres.

L’avenir de la politiquede cohésion européenneaprès l’élargissement

Les dix pays d’Europe Centrale et Orientale (PECO),qui adhèrent à l’UE le 1er mai 2004 ont hérité del’ère de la planification de conditions initialesspécifiques. L’organisation des productions debiens et services, réparties dans le cadre du CAEMauquel participaient tous les pays d’Europe de l’Està l’exception de la Roumanie, a conduit à uneconcentration des activités dans un petit nombre delocalisations souvent choisies de manière arbitraire.Par conséquent, de nombreuses régions demeurententièrement dépendantes d’une seule industrie.

Avec la transition vers l’économie de marché, lesinégalités régionales se sont très rapidement accrues.Les PECO ont été confrontés à la fois àl’effondrement de la production industrielle danscertaines régions. Certaines zones fortementspécialisées dans l’agriculture et certaines industriestraditionnelles connaissent désormais de grandesdifficultés. Certaines régions polonaises comptentpar exemple plus de 50 % d’emplois agricoles tandisque d’autres, spécialisées dans un petit nombred’industries comme la métallurgie ou le textilecomptent près de 60 % d’emploi industriel. Cellesoù étaient implantées les industries lourdes ontparticulièrement souffert, incapables de s’adapter àla concurrence internationale en raison delocalisations qui rendaient les firmes peucompétitives et d’un déficit d’attractivité pour denouvelles activités. Un potentiel de développementpeut être dégagé dans certaines de ces anciennesrégions industrielles lorsqu’elles possèdent un accès

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facilité aux marchés européens ou des avantagesnaturels capables d’attirer des investisseurs. Àl’inverse, les régions les plus développées et les plusattractives sont les centres urbains et les régionsfrontalières de l’UE.

La future politique régionale de l’Union élargiedépendra de ces paramètres. Pourtant, les fondsengagés resteront modestes au regard du PIBeuropéen (0,46 %). En l’absence d’accroissementsignificatif du budget européen, une réformeprofonde est attendue pour absorber le choc del’élargissement. En raison de niveaux de dévelop-pement très en deçà de la moyenne européenne, laquasi-totalité des régions des PECO sont éligiblesaux fonds structurels. Pour les pays bénéficiaires, ilsne pourront dépasser 4 % du PIB national.

Dès le 1er mai 2004, 23 milliards d’euros serontconsacrés aux nouveaux entrants au titre des aidesstructurelles (fonds structurels et fonds de cohésion)jusqu’en 2006 avant que le système soitréaménagé. Rapporté à la population des dix paysadhérents, ce montant représente 105 euros parhabitant et par an, ce qui est très inférieur aux aidesdont ont bénéficié les pays du sud de l’Europe. LaPologne à elle seule reçoit près de la moitié del’enveloppe.

Les fonds structurels s’élèvent à 14 milliardsd’euros dont 94 % sont absorbés par l’Objectif 1auquel est éligible la quasi-totalité des régions despays candidats. Seules Prague, Bratislava etBudapest ainsi que Chypre dont le PIB par habitantdépasse le seuil de 75 % peuvent prétendre auxObjectifs 2 et 3. La Bulgarie et la Roumanie dontles adhésions ne sont pas prévues avant 2007continuent de bénéficier du fonds de pré-adhésion.

La grande inconnue concerne l’après 2006. Si lesrègles actuelles sont maintenues, les montantsnécessaires à la politique régionale deviennentconsidérables. Or, avec un budget plafonné à1,27 % du PIB européen ou gelé à 1 % comme lesuggèrent les grands pays, des réallocations sontnécessaires dont les bénéficiaires actuels feront lesfrais. En outre, certaines régions actuellementéligibles à l’Objectif 1 ne le seront plus par unsimple effet arithmétique, la moyenne du PIB partête des Quinze étant supérieure à la moyenne duPIB par tête d’une Union à 27 ou 28 membres. C’estle cas par exemple du Hainaut en Belgique, desAsturies en Espagne ou de la Martinique en France.Différentes options peuvent être choisies pour ladéfinition de la politique de cohésion européenneaprès 2006 mais aucune n’est vraiment satisfaisante :

• Premièrement, la concentration de l’effortsur les nouveaux États membres, plus retar-dataires que les membres actuels. La propo-sition du rapport Sapir (2003) s’inscrit dans

cette logique. Un fonds de cohésion seraitconcentré sur des actions de rattrapage enfaveur des nouveaux entrants uniquement. Lesmembres actuels ne recevraient plus aucuneaide structurelle et l’objectif de réduction desdisparités régionales ne relèverait plus que despolitiques régionales nationales.

Ceci pose principalement deux types deproblèmes. Le premier est d’ordre politique,les contributeurs nets au budget européenauraient le sentiment de payer pour lesnouveaux adhérents sans recevoir aucunecontrepartie à leur effort financier. Le secondest d’ordre institutionnel, l’objectif deréduction des disparités régionales est uneobligation inscrite dans les traités fondateursqui ne serait plus mise en œuvre avec lasuppression des fonds structurels.

• Deuxièmement, conserver l’Objectif 1 quiserait concentré sur les régions des nouveauxadhérents et refondre l’Objectif 2 en proposantdes aides structurelles à la carte en fonctiondes difficultés spécifiques à chaque région estune piste qui aurait la préférence ducommissaire Barnier. Cela permettrait en outred’orienter la politique régionale vers lesobjectifs fixés à Lisbonne. Toutefois, en l’étatactuel du budget européen, le partage del’enveloppe entre les régions accentueraitl’effet de saupoudrage des fonds qui risquentd’avoir une efficacité très limitée.

• L’augmentation du budget consacré à l’effortde cohésion est une troisième piste. Celapermettrait de relever le seuil d’éligibilité àl’Objectif 1, en l’alignant par exemple sur leseuil de 90 % du fonds de cohésion. Ainsi, lesrégions qui bénéficient actuellement des fondsstructurels et qui risquent de subir «l’effetstatistique» sans que leur situation ait étémodifiée, resteraient éligibles aux aideseuropéennes.

Avec un budget plafonné à 1,27 % du PIB del’Union, le maintien des aides pour l’ensembledes bénéficiaires actuels posera des difficultésbudgétaires importantes. Toutefois, on s’orien-te vers un scénario de ce type. Il est peuprobable que le budget européen soitaugmenté alors que beaucoup de pays mem-bres rencontrent des difficultés à respecter lescritères du pacte de stabilité. Difficile làencore de demander aux contributeurs nets uneffort supplémentaire. Dans ces conditions, ilserait plus raisonnable d’envisager la créationde nouveaux fonds structurels pour lesnouveaux adhérents aux côtés des fondsstructurels et fonds de cohésion actuels quiseraient renégociés.

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• La dernière option consiste à «rena-tionaliser» la politique régionale. C’est l’espritde la réforme proposée par le rapport Sapir.C’est également l’esprit de l’alternativeproposée par Begg (2003) avec toutefois unedifférence importante, l’Union ne renonceraitpas à son objectif de réduction des disparitésrégionales.

Ce qui est proposé est une application à lapolitique régionale de la méthode ouverte decoordination (MOC) déjà adoptée dans ledomaine de l’emploi et de la politique sociale.La MOC établit des objectifs communs et deslignes directrices au niveau communautairemais laisse aux États membres le soin dedécider de la mise en œuvre des politiqueséconomiques et sociales.

Les pays riches pourraient adopter uneapproche semblable pour leur politique decohésion tandis que l’Union concentreraitl’effort sur ses membres les plus retardataires.En pratique, des cibles ou des objectifsseraient définis et surveillés par la Commissionet les gouvernements nationaux s’engageraientà respecter ces objectifs et mettraient enœuvre les mesures appropriées.

Le problème majeur d’un tel dispositif est qu’ilrepose sur la seule volonté des États nationauxde s’engager sur des objectifs communs etqu’aucun mécanisme d’incitation ou aucunecontrainte ne sont imposés pour qu’un gouver-nement accepte effectivement de respecter lesengagements pris. À terme, il n’est pas excluqu’une telle option politique renforce lesrisques de désintégration de l’Union et neconduise à la prééminence d’une Europe delibre-échange.

L’objectif de cohésion est une obligation inscritedans les traités fondateurs. Les fonds structurelssont désignés comme l’instrument principal de cetobjectif. Ce qui est ouvert au débat, c’est leurarchitecture, leur volume, leur cible et la manièredont ils sont mis en œuvre.

Certains choix seront à faire : faut-il privilégier lacroissance nationale via le fonds de cohésion audétriment du développement régional ? Qu’est-cequi doit être pris en charge au niveau européen etquel est le rôle des États membres ? Enfin, quelsoutien aux bénéficiaires actuels qui deviendrontinéligibles à l’Objectif 1 ? Ils ne subiront sans doutepas une suppression brutale des crédits maisprogressive avec la mise en place d’une périodetransitoire.

Dans ses propositions budgétaires, la Commissioneuropéenne souhaite maintenir la politique decohésion à hauteur d’un tiers du budget européenet l’inscrire dans la stratégie globale définie àLisbonne d’amélioraton de la compétitivité dansl’objectif de constituer une économie fondée sur lesavoir. Aux trois objectifs actuels des fondsstructurels devraient se substituer trois grandespriorités :

• La convergence des pays et des régions lesmoins développés, y compris ceux quisubissent «l’effet statistique» (78 % des mon-tants).

• La compétitivité et l’emploi des pays etrégions qui subissent des handicaps ou desrestructurations (18 % des montants). L’effortserait partagé entre les États membres et laCommission.

• La coopération transfrontalière (4 % desmontants). Ces propositions constituent en toutcas une base de discussion. La Commissiondoit fournir un document de stratégie afin defixer précisément les priorités de la politiquede cohésion. L’enveloppe globale restesoumise aux aléas des négociations entre lesÉtats membres.

Repères bibliographiques

BEGG (I.), «Complementing EMU : Rethinking CohesionPolicy», Oxford Review of Economic Policy, vol. 19,n° 1, p. 161-179, 2003.

FAYOLLE (J.) et LECUYER (A.), «Croissance régionale,appartenance nationale et fonds structurels. Un biland’étape», Revue de l’OFCE, n° 73, 2000.

MARTIN (P.), «Can Regional Policies Affect Growth andGeography in Europe ?», The World Economy, p. 757-773, 1999.

SAPIR (A.), An Agenda for a Growing Europe , Report ofan independant high-level study group for the Presidentof the European Commission, juillet 2003.

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PERROUX

Prospective de la localisation des activités pour les régions françaisesdans une Union européenne élargie

Forces et faiblesses des régions françaises dans l’Europe élargie

L’élargissement de l’Union européenne aux paysd’Europe Centrale et Orientale dont les niveaux dedéveloppement diffèrent considérablement de lamoyenne des anciens membres, la poursuite de lalibéralisation commerciale avec l’adhésion de laChine à l’OMC et le démantèlement de certainsaccords sectoriels (accords multifibres par exemple)relancent les interrogations relatives à la vulné-rabilité des territoires à l’intensification de laconcurrence internationale.

À la seule évocation de ces perspectives, le débatstigmatise bien souvent le déclin de la France, sonmanque de compétitivité, la multiplication desdélocalisations motivées par la recherche de plusfaibles coûts et les menaces de désindustrialisation.Pourtant, à y regarder de plus près, les atouts de laFrance et de ses régions restent nombreux bien quel’intensification de la concurrence entre lesterritoires tende à éroder la cohésion économiqueet sociale des régions. Si globalement, la France semaintient dans une fourchette comprise entre 3 %et 5 % au-dessus de la moyenne de l’UE en termesde niveaux de vie par habitant, la situation desrégions est relativement contrastée. Cette note quiprolonge la réflexion sur la politique régionaleeuropéenne face à l’élargissement (voir pagesprécédentes) compare les forces et les faiblessesdes régions françaises dans l’Union européenneélargie en termes de performances macroécono-miques, d’attractivité et de structures productives.

Les performances des régions françaisesdans l’Union européenne

À mesure que les pays s’intègrent dans l’Unioneuropéenne et connaissent plutôt une convergencede leur niveau de vie par habitant, les écarts entreles régions s’accélèrent dans la quasi totalité despays membres. La richesse par habitant est tiréevers le haut par le poids des grandes villes et descapitales dans plusieurs pays européens, à l’Ouestcomme à l’Est. Ainsi, l’Île-de-France figure avec lesrégions de Londres, Bruxelles et Hambourg parmiles régions les plus riches d’Europe. L’Alsace etRhône-Alpes se situent dans la moyenne euro-péenne. À l’opposé, comme quasiment tous lespays européens, la France compte quelques régionsretardataires ou en proie à des difficultés liées à

l’existence d’industries en reconversion ou endéclin. À ce titre, plusieurs régions (une partie deNord-Pas-de-Calais, la Corse et les DOM) sontéligibles aux Objectifs 1 (PIB par habitant inférieurà 75 % de la moyenne de l’Union) des fondsstructurels européens.

En dépit de la place occupée par l’Île-de-Francedans le groupe de tête des régions européennes,des incertitudes pèsent sur le devenir industriel desrégions françaises. Dans un contexte où les margesde manœuvre des pouvoirs publics s’affaiblissentau niveau gouvernemental et européen, lescollectivités locales sont confrontées à la montéedes concurrences pour attirer les activités éco-nomiques. Avec l’élargissement, la concurrencefiscale s’intensifie et rend plus difficiles desstratégies locales de développement compétitif faceà l’exacerbation de la concurrence internationale.

La cohésion économique et sociale des territoiress’en trouve fortement affectée. À l’intérieur duterritoire français, les disparités sont importantesentre les régions, marquées par le fossé importantqui sépare la région parisienne de la province. Enmétropole, l’Île-de-France est deux fois plus richeen termes de PIB par habitant que les régions lesplus pauvres (Languedoc-Roussillon et Corse). Enévolution, on observe un accroissement desdisparités au cours des deux dernières décennies etle renforcement de la position de l’Île-de-France.L’approfondissement des inégalités s’explique parl’agglomération des principales activités créatricesd’emploi, dans un petit nombre de régions dontl’Île-de-France et Rhône-Alpes, les plus grandes parla taille et les plus riches initialement. Les régionsles plus avancées confortent leur position tandisque celles dont la spécialisation repose majori-tairement sur des activités industrielles en déclin oudavantage confrontées à la concurrence interna-tionale tendent à décrocher (Picardie, Lorraine,Languedoc-Roussillon). Les disparités observéesdans les taux de chômage régionaux sont encoreplus marquées.

Nombreuses sont les régions françaises dont le tauxde chômage dépasse la moyenne européenne(7,6 % en 2001). Plusieurs d’entre elles (Nord-Pas-de-Calais, Languedoc-Roussillon, PACA, Picardie),dépassent même le seuil de 10 %, situation qu’elles

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partagent avec de nombreuses régions d’Alle-magne, d’Espagne, d’Italie et des nouveaux paysmembres (Pologne, Slovaquie). En dix ans, cesrégions ont vu leur taux de chômage continuer decroître alors qu’il avait légèrement baissé au niveaunational.

Cette vulnérabilité de plusieurs régions françaisess’exprime davantage à travers le type de spécia-lisation industrielle qu’elles occupent.

La spécialisation industrielledes régions françaises

Dans une union monétaire comme la zone euro,une diversification des structures productives etcommerciales des pays membres permet enprincipe de mieux résister aux chocs externesaffectant spécifiquement certains secteurs. Cettediversification reflète le maintien d’un tissuproductif varié dans l’ensemble des territoires etd’un dynamisme des firmes dans leur capacité àoffrir une grande variété de produits à l’intérieurd’une même branche. Une telle diversité peut êtreaussi obtenue par la présence d’un large secteur deservices, en particulier aux ménages, dont ladispersion géographique est supposée plus forteque pour les biens industriels. En effet, la loca-lisation de ces services suit celle des ménages dontla mobilité est réputée plus faible que celle desentreprises.

Globalement, le degré de spécialisation industrielleapparaît beaucoup plus faible dans les grands payseuropéens. La France figure avec le Royaume-Uni,l’Italie et l’Allemagne parmi les pays les plusdiversifiés, alors que les pays périphériques(Portugal, Grèce, Finlande, Irlande, États baltes)apparaissent très spécialisés. Au-delà du seul degréde spécialisation, les structures industrielles révè-lent des différences marquées en termes detechnologies, de compétences et de qualité desproduits entre les pays membres, hétérogénéité quis’accroît à l’évidence avec l’élargissement aux paysd’Europe Centrale et Orientale (PECO). L’Europe estmarquée par un dualisme entre un centre où seconcentrent les branches bénéficiant de forteséconomies d’échelle et à fort contenu de biensintermédiaires et de biens d’équipement d’une partet une périphérie spécialisée dans des activitésintensives en main-d’œuvre ou en ressources fixesd’autre part. On peut souligner quelques casspécifiques comme le dualisme irlandais ou laquasi-monospécialisation de la Finlande dans latéléphonie mobile.

De leur côté, les régions françaises connaissenttoutes ou presque une baisse de leur degré despécialisation durant toute la décennie 1990. Lesseules exceptions sont l’Île-de-France, la région

Nord-Pas-de-Calais et la région Provence-Alpes-Côte-d’Azur (PACA). En outre, les différences entreles régions françaises ne sont pas excessivementmarquées. Les moins spécialisées sont les régionsRhône-Alpes, Haute-Normandie, Centre et Alsace.À l’opposé, les plus spécialisées sont l’Auvergne, leLimousin, la région PACA, la Franche-Comté et laCorse.

En outre, il ne suffit pas d’être diversifié pourrésister aux chocs externes. Il est importantd’occuper aussi des positions clés dans des secteursà fort contenu en connaissance scientifique,technologique mais aussi organisationnel qui sontau cœur de la «stratégie de Lisbonne». De même,lorsqu’une région bénéficie d’avantages naturelstels que le tourisme, ou d’un savoir-faire localspécifique, culturel, gastronomique, etc., elle nepeut se contenter de leur simple exploitation maisdoit rechercher leur connexion étroite avec dessecteurs industriels complémentaires.

Le classement des industries selon une typologiepermettant de distinguer les secteurs intensifs enconnaissance des secteurs à fort contenu enressources naturelles et en travail montre desdivergences marquées entre les régions françaises(tableau ci-dessous). Les régions dont le degré despécialisation est nettement orienté vers les secteursfondés sur les connaissances sont l’Île-de-France,les régions Midi-Pyrénées, Aquitaine et PACA. Àl’opposé, les régions les moins orientées vers lessecteurs de haute technologie sont d’une part, leNord-Pas-de-Calais et la Lorraine plutôt spécia-lisées dans les industries à fort contenu de main-d’œuvre, et d’autre part, la Basse-Normandie et leLimousin, plus spécialisées dans certaines activitésmécaniques complexes et dans les industries liéesaux ressources naturelles.

Les différents secteurs industriels en région

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Basse-Normandie

Les régions nettement dépendantes des ressourcesfixes sont la Corse, la Bretagne, le Languedoc-Roussillon et le Limousin. En effet, la plupart de cesrégions ne présente autre avantage comparatif dans

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l’ensemble des secteurs de l’industrie manu-facturière. Ces régions sont à la fois à l’abri dudémantèlement des protections tarifaires interna-tionales et de la concurrence des pays à bassalaires. Mais elles dépendent des fluctuations de laconjoncture macro-économique. Elles doivent faireun effort particulier pour passer d’une simplelogique d’exploitation de leurs ressources naturellesà la mise en place de stratégies de complémentaritéentre ces ressources et les activités de l’industrie etdes services. Entre ces deux pôles, les autrescatégories de secteurs industriels, de basse etmoyenne technologies et les secteurs à fort contenuen travail peu qualifié se répartissent entre les troisquarts des régions. Les régions Nord-Pas-de-Calais,Lorraine et Champagne-Ardenne apparaissent lesplus exposées à la concurrence des pays à bassalaires.

Au total, peu de régions françaises sont au cœurdes secteurs fondés sur la connaissance tandis quebeaucoup d’entre elles sont nettement désavan-tagées dans ce type de secteurs. En effet, lesinégalités régionales face aux activités d’innovationsont encore plus marquées. Quatre régions à ellesseules représentent plus des deux tiers desdépenses totales de R & D. L’Île-de-France est laprincipale région française dotée d’un pôle scien-tifique et technologique d’envergure européenne.Elle accueille près de la moitié des chercheurs(publics et privés) et le quart des sièges sociaux desentreprises. Les régions Rhône-Alpes, PACA etMidi-Pyrénées suivent loin derrière l’Île-de-France.Cela ne signifie pas pour autant que les régionsdélaissées par les activités de haute technologie etde R & D ne disposent pas de compétences localesmarquées dans des domaines variés, qu’il convientde soutenir également.

Ainsi, la géographie des services place la Francedans une situation particulière en Europe : onoppose souvent l’économie allemande, centrée surl’industrie manufacturière et l’économie britanni-que, davantage tournée vers les services. Ceschéma se retrouve assez bien au niveau régionaldans les deux pays. La France est plus divisée de cepoint de vue et de manière unique en Europe, secaractérise par un dualisme marqué entre l’Île-de-France où les emplois de services sontparticulièrement nombreux et la province où leurpart est beaucoup plus faible. Seules exceptions, lesrégions côtières de la Méditerranée, Languedoc-Roussillon et PACA comptent une proportionélevée d’emplois de services en raison du tourismeet du transport maritime.

La montée des services suit une double tendance :elle reflète à la fois un processus d’agglomérationdes activités tertiaires dans les grandes capitales(finance, commerce et distribution, services auxentreprises) et une tendance à la dispersion

territoriale des services aux ménages qui béné-ficient aux régions disposant d’avantages naturels(régions situées au sud de l’Italie, de la France, del’Espagne et du Portugal). La résistance de cesrégions aux chocs externes et à la concurrenceinternationale dépend de leur capacité à mener devéritables politiques de constitution de filièresindustrielles autour de ces atouts naturels.

Ces politiques influencent l’attractivité desinvestissements directs étrangers (IDE), dont le rôledans l’évolution des spécialisations est souventsouligné. À cet égard, la France est assez attractiveaux IDE du fait de sa position géographique et de laqualité de ses infrastructures. Les données publiéespar l’OCDE pour l’année 2002 et l’Agencefrançaise pour les investissements internationaux(AFII) confirment la bonne tenue desinvestissements directs sur le territoire français, enparticulier dans les principaux secteurs de sonéconomie. Avec 48 milliards de dollarsd’investissements, la France se place en 2002parmi les pays les plus attractifs alors que latendance mondiale est à la baisse brutale desopérations d’investissements directs depuis 2001. Àl’intérieur du pays, la présence étrangère secaractérise par une extrême sélectivité desterritoires et des phénomènes de concentrationsupérieurs à ceux qui caractérisent les activitésindustrielles en général. Les firmes étrangèresreprésentent en moyenne 33 % de la FBCF et 25 %de l’emploi industriel. Le poids des firmesétrangères est particulièrement élevé dans lesrégions Alsace, Haute-Normandie, Picardie etCentre. L’effet de la présence de firmes étrangèresest ambigu puisque les firmes tendent à seconcentrer dans les activités intensives en hautetechnologie et certaines activités de services qui sepolarisent dans les grandes régions. À l’inverse,elles peuvent contribuer à diversifier le tissuéconomique et industriel de la région d’accueil enimplantant de nouvelles activités.

Au total, la géographie économique françaiserévèle des inégalités croissantes entre les deux outrois régions de tête et le reste du territoire tant entermes de richesse par habitant que de typed’activité et d’emploi. La politique de l’État endirection des régions n’a pas encore tranché entreune politique de concentration des ressourcesfavorisant la croissance et une politique d’équité etde rééquilibrage des inégalités.

Le rôle de l’État stratègeen direction des régions

Le risque que l’élargissement de l’Unioneuropéenne et la libéralisation des échangesaccroissent les inégalités territoriales en Europe estprésent dans les débats de politique économique.

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Mais deux optiques différentes s’expriment. Unepremière approche, s’appuyant sur les résultats dela nouvelle économie géographique, fustige lesaupoudrage des aides régionales et préconise lelaisser-faire : la tendance à l’agglomérationrégionale des activités de R & D et de hautetechnologie, serait source de croissance et d’effi-cacité. Les régions les plus dynamiques doivent êtrefavorisées tant par les politiques nationales que parles politiques européennes.

Une approche opposée consiste à lutter contre lesprocessus de polarisation par des politiques activesd’aménagement du territoire, de renforcement desaides à la création d’universités ou de centres derecherche sur l’ensemble des territoires, enparticulier les plus défavorisés.

Une troisième option de politique centrale endirection des régions pourrait laisser jouer lesforces de polarisation pour les activités de R & Dnécessitant une masse critique élevée tout ensoutenant les centres d’excellence locaux dansd’autres domaines que la R & D ou les secteurs dehaute technologie. Sans empêcher la formation desgrands pôles technologiques ou de grandes agglo-mérations, comme l’Île-de-France, il peut être effi-cace, en termes de développement et d’emploi, des’appuyer sur les centres d’excellence locaux quine se réduisent pas à la performance technologiqueet de les soutenir au niveau européen. L’un desrôles de l’État stratège, à tous les niveaux, serait derenforcer les actions visant à développer uneculture de la coopération dans les territoiresrégionaux et locaux.

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PIETA

Prospective de la propriété intellectuellepour l’État stratège

La propriété intellectuelle au service de la recherche publique :jusqu’à quel point ?

Pour un groupe de prospective centré sur le rôlestratégique de l’État en matière de propriétéintellectuelle, les questions liées à la recherchepublique constituent un champ d’investigationprivilégié. En quoi et dans quelle mesure unelogique de réservation instituant des droits exclusifspeut-elle servir le progrès général de la science et dela technologie ? Où en est la France par rapport à sesprincipaux pays partenaires ? Quel sont lesindicateurs pertinents ? Il convient de rappeler que lapropriété intellectuelle ne constitue qu’un outil etnon une fin en soi. De ce fait, la discussion porteaussi, plus largement, sur la place de la valorisationdans les missions de la recherche publique. Elleconduit à s’interroger sur les obstacles rencontrés enla matière, puis sur les incitations visant à stimuler lerecours à la propriété intellectuelle, dans lesinstitutions publiques de recherche. Elle s’achève pardes réflexions sur les difficultés de mise en œuvredes politiques de valorisation dans notre pays. Surtous ces points, la présente note reflète davantagedes pistes de réflexion qu’un consensus au sein dugroupe.

Pourquoi et comment valoriserles résultats de la recherche ?

En première analyse, le fruit de la recherchefinancée sur fonds publics peut sembler devoir êtremis à la disposition de tous. La mission premièred’un chercheur du secteur public consiste en toutcas à engendrer des connaissances nouvelles et à lespublier. Or la propriété intellectuelle accorde àcertains détenteurs des monopoles temporaires surcertaines créations de l’esprit. Elle le fait toutefoisdans le but de stimuler cette création, à terme, et enassortissant ces monopoles transitoires dedispositions favorables à la diffusion du savoir,notamment par le biais des concessions de licences.Le brevet, en particulier, implique de divulguer unebonne part des connaissances relatives à l’inventionconcernée. Un autre important garde-fou concernele principe de l’exemption de recherche, en vertuduquel les chercheurs peuvent être exemptés dupaiement de frais de licence, dans l’exercice de leurstravaux, tout du moins tant que ces derniersn’impliquent pas d’exploitation commerciale. Auplan international, cette exemption n’est toutefois

pas codifiée et certains pays tels que les États-Uniset, à un moindre degré, le Royaume-Uni, les Pays-Bas voire l’Allemagne en ont dans l’ensemble uneinterprétation plus restrictive que la France et le Sudde l’Europe. Il s’agit là d’un important enjeu deprospective car un recul de ce principe pourraitalourdir fortement les dépenses des laboratoirespublics au titre de la propriété intellectuelle, dans undomaine tel que la génomique.

En tout cas, en évitant à un organisme public derecherche d’être dépossédé du fruit de ses travauxpar un concurrent, la protection par la propriétéintellectuelle lui permet de rester indépendant dansses choix de recherche et de diffusion du savoir. Enoutre, ce que le citoyen attend de la recherchefinancée sur fonds publics est en principed’augmenter le bien-être général par une créationde savoir se traduisant in fine par de nouveauxbiens et services et répondant à des besoins divers :santé publique, création de richesse et d’emploi,etc. Ceci suppose de valoriser les résultats de larecherche publique, c’est-à-dire de mettre en placeune articulation appropriée entre la création dusavoir de base et l’innovation proprement dite, quise traduit en général par une mise sur le marché. Àl’échelle mondiale, de plus, la situation contem-poraine correspond au passage d’une logiqued’innovation principalement poussée par la scienceà une situation bien davantage tirée par le marché.Les laboratoires publics peuvent de moins en moinstravailler isolément. Il leur faut de plus en pluss’allier à d’autres chercheurs publics ou à desopérateurs économiques privés. Ces derniers sonteux aussi souvent demandeurs de coopérationpublic-privé mais, avant de s’y lancer, ils ontbesoin de la sécurité juridique offerte par les diversoutils de la propriété intellectuelle : brevets, droitsd’auteur, marques, etc.

Où en est la France dans ce domaine ?

Les États-Unis constituent aujourd’hui le principalpays de référence dans ce débat, en particulierdepuis le fameux Bayh-Dole Act de 1980, à traverslequel l’État américain incite fortement leschercheurs des universités et des laboratoirespublics à davantage valoriser les résultats de leurs

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recherches, notamment via les brevets et desaccords de licence plus ou moins exclusifs. Au vudes études disponibles à ce jour, cette évolution serévèle ambivalente. Si elle peut être créditée dequelques succès, il lui est cependant reproché destimuler moins la recherche fondamentalepotentiellement porteuse de larges développementsque la recherche orientée vers un certain typed’applications marchandes. Certains experts yvoient le signe d’une dérive au détriment del’intérêt général, estimant que cette tendancecorrespond surtout à une appropriation privativedes résultats d’une recherche ayant au contrairevocation à constituer un fond commun, au bénéficedu plus grand nombre et, avant tout, au service desavancées ultérieures d’une science ouverte. En toutcas, des initiatives comparables ont depuis lors étéprises dans de nombreux autres pays de l’OCDE.En Allemagne, par exemple, un programmed’action lancé en mars 2001 par le gouvernementfédéral a conduit à renforcer les dépôts de brevetsde la part des organismes publics de recherche etnotamment des universités, qui s’y trouvent incitéesà organiser elles-mêmes des cellules de valo-risation. La France s’est-elle aussi engagée danscette direction, surtout depuis la loi du 12 juillet1999 sur l’innovation et la recherche, qui vise àmultiplier les échanges entre la recherche publiqueet le monde des entreprises.

Dans la plupart des pays, les données concernantla valorisation de la recherche publique sont plutôtparcellaires. Aux États-Unis, elles montrent que lesmesures introduites depuis le Bayh-Dole Act ontconduit les plus grandes universités à passer desaccords de licence sur une grande échelle. En1999, les montants de recettes brutes de licenceencaissées les plus élevés ont concerné l’universitéde Columbia (89,2 millions de $) et le University ofCalifornia System (74,1 millions de $). Ces recettesy sont en fait concentrées non seulement sur unpetit nombre de très grandes universités, qui sontparfois des ensembles regroupant une vingtained’établissements, mais aussi sur un petit nombre debrevets très rentables et généralement liés audomaine des biotechnologies. Par suite, de tellesinstitutions américaines ne sont guère comparablesavec les universités françaises, qui disposent enmoyenne de beaucoup moins de moyens financierset humains. En France, qui plus est, les donnéesdemeurent relativement lacunaires, en particulierconcernant les établissements d’enseignementsupérieur (universités et grandes écoles). Ceux-cimis à part, l’ensemble des organismes publics derecherche se signale cependant par un quasidoublement des redevances au titre de la propriétéintellectuelle, sur la période 1997-2001, comme l’amontré une enquête coordonnée par l’Observatoirede sciences et des techniques (OST). Sur ce plan, leCentre national de la recherche scientifique (CNRS)et l’Institut Pasteur sont arrivés en tête en l’an 2001

– avec des recettes brutes facturées derespectivement 37 millions d’euros et 31 millionsd’euros – devant le Commissariat à l’énergieatomique (CEA) et l’Institut national de la santé etde la recherche médicale (INSERM). Comme outre-Atlantique, ces chiffres renvoient très largement auxdomaines de la pharmacie et des produitsbiologiques, et un seul contrat exceptionnelrapporte parfois jusqu’à 50 % – voire 80 % – dutotal des recettes. Là aussi, les brevets constituent laprincipale source de ces redevances.

Selon la base de données de l’OST lui-même, quiinclut cette fois les établissements d’enseignementsupérieur, la part relative des institutions publiquesde recherche dans le total des dépôts de brevets serévèle croissante. Elle est passée d’environ 6,9 %en 1997 à 7,5 % en 2000, pour les dépôts françaisauprès de l’INPI, et de quelque 8,6 % en 1998 à9,2 % en 2001 pour les dépôts français auprès del’Office européen des brevets (OEB). En apparenceplutôt basse, cette part est sans doute quelque peusous-estimée. Assez souvent encore, les inventionssont brevetées au nom d’acteurs privés alors quedes laboratoires publics y ont participé. En outre, sila part relative des institutions publiques derecherche demeure assez faible dans d’ensemble,elle se révèle cependant beaucoup plus importantedans certains domaines. Dans le domaine desbiotechnologies, par exemple, comme le montreune récente étude de l’OST, cette part relative sesitue à des niveaux beaucoup plus considérables(de l’ordre de 40 %) et plutôt en croissance entre1994 et l’an 2000. En matière de séquencesgénétiques, les organismes publics représententmême la majorité des dépôts de brevets effectuéspar les acteurs français. Alors qu’ils ne brevètentguère dans des domaines traditionnels tels quel’automobile, ils se révèlent donc très engagés, etde plus en plus, dans des domaines émergents,pour lesquels les liens entre la recherche privée etla recherche publique sont primordiaux.

Des attitudes contrastées selonles organismes de recherche

Par suite, les indicateurs relatifs aux diversesinstitutions publiques doivent être interprétés avecbeaucoup de précautions. Il faut ainsi tenir comptedu fait qu’elles se distinguent souvent très fortementles unes des autres par leurs missions, leursdomaines de compétence, leur taille ou leursstratégies de valorisation. Que signifie ainsi le faitqu’en France, l’INRA (Institut national de larecherche agronomique) représente, à lui seul, untiers de l’ensemble des 3 000 contrats de licence ouaccords d’exploitation détenus au 31 décembre2001 par les organismes publics de recherche (horsenseignement supérieur), au titre tant des brevetsque du savoir-faire, des logiciels, des bases de

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données, des certificats d’obtention végétale (COV)et du matériel biologique ? Ceci renvoie très large-ment aux particularités des COV et à la politique deproximité menée par cet organisme vis-à-vis desindustriels. Dans sa charte de propriété intellec-tuelle, l’INRA recommande d’éviter les brevets troplarges, c’est-à-dire menaçant de bloquer la circu-lation des connaissances, sachant que ce risqueexiste surtout dans le cas des séquences génétiques.Pour lui, de même, la marque constitue une protec-tion d’appoint, en particulier lorsque l’innovationconcernée fait l’objet de dépenses de publicité ouencore pour consolider tel ou tel savoir-faire secret.

Par contraste, un organisme tel que le CEA qui, plusque d’autres, s’occupe traditionnellement de recher-che finalisée, mise bien davantage sur le brevet. Cecicontribue largement à expliquer pourquoi le CEA setrouve à la tête du principal portefeuille de brevets dela recherche publique française (3 041 brevets, au 31décembre 2001), devant le CNRS (2 228 brevets enstock), bien que le premier ait une taille nettementmoindre que le second. Il faut aussi rappeler que prèsde 30 % des activités du CNRS sont consacrées auxsciences humaines et sociales, c’est-à-dire à desdomaines qui débouchent assez rarement sur desbrevets. Les universités, de même, doivent se voirreconnaître d’autres vecteurs de valorisation que leseul brevet, qui n’est pas non plus forcément au cœurde leur «métier».

Pareillement, le fait que l’INSERM dépose beaucoupplus de brevets que l’Institut national de rechercheen informatique et en automatique (INRIA) renvoienon seulement au fait qu’il emploie plus de cinq foisplus de personnel mais aussi au fait que ces deuxorganismes se distinguent nettement l’un de l’autretant par leur rôle en termes de valorisation que parleurs objets de recherche respectifs. L’INRIA seconsacre en effet principalement aux logiciels, undomaine dans lequel l’application des critèreshabituels de brevetabilité demeure controversée, enEurope.

Entre l’INRIA et un autre organisme tel que le CNRS,les différences de classement en matière de brevetsrenvoient ainsi au fait que le premier a adopté uneposition plus en faveur des licences d’accès libre, yvoyant un vecteur privilégié en termes de diffusiondu savoir et de valorisation. Le nombre de brevetsdéposés ou en portefeuille ne saurait doncforcément refléter le nombre d’inventions effective-ment réalisées.

Tous secteurs confondus, il faut égalementmentionner le rôle important de dispositifs tels queles cahiers de laboratoire ou les enveloppes Soleau,qui permettent d’établir des preuves d’antériorité.

D’une réflexion sur les missionsà l’adoption d’une approche stratégiquede la valorisation

Tout ceci montre qu’une analyse des choix devalorisation nécessite au préalable une réflexion surles missions des organismes concernés. Dans cetteperspective, la valorisation ne vise pas fonda-mentalement un objectif de rentabilité micro-économique. Même aux États-Unis, la plupart descellules de valorisation sont déficitaires, alors qu’uneminorité s’autofinancent à peu près et que seulesquelques-unes rapportent énormément.

Dans ce contexte, la valorisation vise en principesurtout à transférer les résultats aux utilisateurspotentiels (même si le montant des recettesperçues n’est pas négligeable), pour se doter demoyens de fonctionnement suffisants. En ce sens,la valeur des recettes importe moins que lenombre de licences ou de contrats, qui révèlel’existence de partenariats ou de débouchés. Pourl’organisme concerné, il s’agit tant d’assurer lapréservation et la circulation du savoir que de sedoter d’un bon positionnement scientifique ettechnologique, afin d’être attractif vis-à-vis desentreprises ou d’autres organismes publics. Unevéritable approche stratégique doit permettre derépondre non seulement à des questions telles que«faut-il breveter ?» mais aussi «faut-il publier ?»,«combien de temps garder le secret ?» ou encore«dans quel projet inscrire ces décisions ?».

Dans certains cas, opter pour une publication risquede dissuader les investisseurs. Dans un domainecomme celui du médicament, le fait de breveter telleou telle molécule apparaît ainsi nécessaire pourprotéger des investissements très lourds et pourdéboucher sur l’innovation technologique, enclarifiant ses conditions d’appropriation.

Pour les logiciels, dont la durée de vie est en généralassez courte, le brevet n’est, par contre, pas forcémentle plus adapté. Le droit d’auteur et les droits dérivéssont souvent plus utilisés dans ce cas, ainsi que pourla création de bases de données, notamment dans ledomaine des biotechnologies, qui engendre beau-coup de données à organiser et à protéger.

De façon générale, le dépôt de brevet ne constituedonc que l’un des multiples canaux à travers lesquelsla recherche publique contribue à l’innovation entransférant ses connaissances vers l’industrie, parmilesquels figurent aussi les contrats de rechercheconjointe, les échanges de savoir-faire, la créationd’entreprise, la mobilité des personnels, etc.

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Quels obstacles à la valorisation ?

Dans la recherche publique française, la pratique dela valorisation demeure cependant bien imparfaite.Ceci tient tout d’abord au fait qu’en général, lescellules créées à cet effet l’ont été de façon trèsrécente. Ceci vaut en particulier pour les servicesd’activités industrielles et commerciales (SAIC), quiont été mis en place dans certaines universitésdepuis la loi du 12 juillet 1999 déjà mentionnée. Parrapport à leurs homologues américains, il leurmanque encore souvent l’aptitude à favoriser avecagilité la coopération public/privé et la circulationdu savoir. Il faut aussi mentionner un problème debalkanisation et de réflexe autonomiste : de tropnombreuses universités tiennent à avoir chacuneleur propre cellule de valorisation, sans disposerpour autant de la masse critique nécessaire.

En Allemagne, leurs homologues ont bien davantagemutualisé leurs ressources, dans ce domaine. EnFrance, les cellules universitaires de valorisationsouffrent en général moins d’un manque deprofessionnalisme que d’un défaut de gouvernance.En effet, elles sont trop souvent intégrées dans uncadre administratif pesant et trop déconnectées desdirecteurs de laboratoires et des chercheurs eux-mêmes. En outre, elles souffrent en général d’unmanque de moyens humains et financiers, y compriscelles des établissements les mieux dotés sur ceplan, dont les universités de Paris-VI, Louis-Pasteur àStrasbourg, Lyon-I et Rennes-I.

Un autre important problème concerne la dispo-sition d’esprit des chercheurs, qui perçoiventsouvent mal le rôle de la propriété intellectuelle.Nombre d’entre eux pensent que le brevet s’opposeà la diffusion, alors le brevet ne fait généralementque différer la publication de 18 mois. Certes, alorsqu’il y a une vingtaine d’années encore, leschercheurs étaient majoritairement hostiles à l’égardde la valorisation, les attitudes sont en généraldevenues plus positives et plus coopératives. Ungros effort de sensibilisation demeure toutefois àproduire. Pour un chercheur, en France, il demeureen général plus important d’être reconnu comme lepremier à avoir publié que comme le premierinventeur. Les chercheurs restent essentiellementévalués sur la base de leur liste de publications. S’ilfaut se garder d’un système qui, à l’inverse, lespousserait à déposer des brevets sans rien publier, ilserait intéressant de privilégier plutôt unecombinaison de publications et de titres de propriétéintellectuelle ou de contrats.

Problèmes d’incitationet de titularité des droits

Une telle évolution relève cependant de laprospective car, pour l’instant, les incitations

existantes ne portent que sur le plan financier.L’application de ces règles d’intéressement posetout d’abord de sérieux problèmes de désignationdes inventeurs. Trop souvent, en effet, les contratssont réduits au minimum et ne précisent passuffisamment qui est le titulaire des droits. Pour lesbrevets, l’un des problèmes émergents concerne latitularité des droits vis-à-vis de certains typesd’étudiants (stagiaires, doctorants non allocataires,etc.), auxquels reviennent les droits, lorsque aucuncontrat de cession n’a été signé avec l’établisse-ment d’accueil.

De manière générale, et depuis un décret du13 février 2001, la recherche publique est tenued’intéresser ses inventeurs à hauteur de 50 % desrevenus nets, jusqu’à un certain pallier (de l’ordrede 60 000 €) et, au-delà, de 25 %. Auparavant, untaux unique de 25 % prévalait depuis 1996. Larègle actuelle, qui concerne tant le brevet qued’autres aspects de la propriété intellectuelle (COV,logiciel, savoir-faire, etc.) suscite des réserves quantà son ampleur.

Avec ce taux de 50 %, sachant que, dans les autrespays comparables, la part des redevances versée àl’inventeur est en général plutôt d’un tiers (le resteallant pour moitié au laboratoire et à l’établis-sement concerné), la France se situe actuellementparmi les pays les plus favorables aux inventeurs.Une harmonisation sur ce plan serait en tout cassouhaitable au plan interne car, en France, cesdispositions ne valent que pour les chercheurs dedroit public. Par suite, elles ne s’appliquent ni auxsociétés privées, ni aux établissements publicsindustriels et commerciaux (EPIC) tels que le CEA,ni à des fondations telles que l’Institut Curie, niencore à d’autres catégories d’inventeurs potentielsnon statutaires tels que les étudiants stagiaires. Cesdifférences sont porteuses de tensions, surtout pourles recherches menées en collaboration entre deschercheurs de statuts divers.

Certes, les chercheurs de droit public touchentgénéralement des salaires moindres que ceux deleurs collègues de droit privé. Est-il cependant sainde demander à la propriété intellectuelle decorriger de la sorte ce type de déséquilibre ?Pourquoi un fonctionnaire devrait-il être à ce pointintéressé financièrement à l’exploitation quel’industrie privée fait des résultats de sa recherche,si la valorisation fait partie de ses missions d’intérêtgénéral ? Sans doute l’État est-il de plus en plussoucieux d’attirer ou retenir des «cerveaux» pourses propres services, dans un contextedémographique qui, à l’avenir, promet uneconcurrence accrue entre le public et le privé, pourle recrutement de personnel qualifié. Ceci conduità se demander jusqu’à quel point l’intérêt desagents publics coïncide avec l’intérêt général.

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Repères bibliographiques

GAUDRAT (P.) (dir.), Coopérations public/privé dans ledomaine de la R & D et propriété intellectuelle, étudeCECOJI/CRIEF commandée par le Commissariat généraldu Plan et le ministère de la Recherche, 2003.

OST (dir.), Rapport sur les indicateurs relatifs à lapropriété intellectuelle dans les organismes de recherchepublique et dans les établissements d’enseignementsupérieur, dans le cadre du dispositif de productioncoopérative d’indicateurs interinstitutionnels, novembre2003.

OST, Biotechnologies françaises et propriétéintellectuelle, étude réalisée par SCHOEN (A.) et LAVILLE (F.)pour le ministère délégué à la Recherche et auxNouvelles technologies, rapport final, 2004.

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PMQ

Prospective des métiers et des qualifications : un diagnostic

Une population activeplutôt orientée à la baisse

Compte tenu du ralentissement passé de la natalitéet des évolutions de long terme des comportementsd’activité en début et en fin de carrière, quellesseront les perspectives d’évolution de la populationactive française pour les dix prochaines années ?Malgré quelques incertitudes, il est possibled’esquisser des perspectives en partant des prévi-sions démographiques de l’INSEE.

Le premier élément à prendre en considération est leralentissement passé de la natalité. Malgré leredressement, observé en fin de période, du nombrede naissances, on reste en deçà du renouvellementdes générations. À cela s’ajoutent les évolutions delong terme des comportements d’activité par genreet âge. Pour les plus jeunes, les taux d’activité ontbeaucoup baissé avec l’allongement de la durée desétudes. Si ce mouvement peut s’interrompre, laissantce taux sur un palier, il ne peut probablement pass’inverser. Pour les femmes, les taux d’activité desgénérations les plus jeunes sont maintenant trèsproches de ceux des hommes. Quant aux actifs des55-64 ans, leur taux d’activité a considérablementbaissé. Il était de 37,2 % en 2000 contre 44,7 % enAllemagne la même année.

L’INSEE prévoit, dans un scénario tendanciel, quela population active continuerait de s’accroîtrejusqu’en 2006 (en moyenne + 130 000 personnespar an) pour reculer ensuite lentement (- 20 000par an). Toutefois, ce scénario tendanciel est fondésur l’hypothèse d’une poursuite des comportementspassés correspondant à une période de fortchômage ; il ne prend en compte qu’à minima lesinflexions récentes des comportements d’activitédes jeunes comme des seniors apparues depuis1995. Or, il n’est pas interdit de penser que ceschangements puissent dans l’avenir s’accélérer.

Ces perspectives démographiques conditionnentpour une large part la croissance de l’économie autravers de deux facteurs, l’augmentation de lapopulation active et l’évolution tendancielle de laproductivité. Même si nous ne retenons plus commeen 2001-2002 une hypothèse centrale du retour auplein emploi, nous devrions enregistrer sur 10 ansune création de 1,2 million d’emplois et des départsen retraite de 5,8 millions de personnes au total : 7millions de postes de travail à renouveler ou à créer

sur ces dix ans au lieu de 6,2 millions environ entre1990 et 2000.

Ce n’est pas hors de portée globalement avec lafaible utilisation actuelle de la main-d’œuvre et letaux de chômage de 9,8 % que nous connaissons ence début 2004 ; mais ce qui est plus frappant, c’estl’extrême hétérogénéité des situations auxquelles ilfaut s’attendre par métiers, par branches, parterritoires.

Quant à l’univers des métiers, il ne sera pasuniquement bouleversé par les transformations dela démographie et du développement économique.D’autres facteurs sont à explorer, parmi lesquelscelui de la diffusion généralisée des technologiesde l’information et de la communication (TIC) dansla majeure partie des métiers.

Si la création nette d’emplois liés aux TIC devait sepoursuivre à un rythme voisin de celui du passé, ladiffusion de ces dernières dans les organisations detravail modifiera profondément la plupart despostes de travail, les compétences requises tout enstimulant l’exercice du cœur de métier dans laplupart des cas. Ce sont à la fois les innovationsorganisationnelles et les innovations technolo-giques qui vont transformer les logiques des métierspréexistantes.

Un nouveau questionnement

Les hypothèses de croissancede l’activité et de l’emploi

Le scénario macro-économique sur l’évolution del’emploi à l’horizon 2010 reposait sur deshypothèses de croissance influencées par uneconjoncture favorable de la période 1997-2000(perspectives d’un retour au plein emploi). Lecontexte, depuis, a changé tant au niveauéconomique (ralentissement de la croissance) qu’auniveau institutionnel (loi Fillon sur les retraites).

Le nouvel exercice attendu devrait tenir compte desmouvements conjoncturels, des décisions prisesinstitutionnellement et d’hypothèses sur les évo-lutions des comportements des entreprises et desindividus. Quelle sera la croissance potentielle àl’avenir dans un contexte où la population active nebaisse que du fait de l’accélération de départs en

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retraite ? S’il faut s’attendre d’ici 2020 à unralentissement de 0,6-0,7 point de la populationactive, le déficit de croissance potentielle doit-ils’évaluer à cette hauteur-là ? Cependant, ilconviendra de prendre également en considérationl’évolution du chômage, les comportementsd’activité des jeunes, des femmes et les mouvementsmigratoires. Comment les gains de productivité vont-ils évoluer et, selon leurs évolutions, quelles serontles variantes d’emploi que nous pouvons envisager ?En fonction des modifications des univers et desorganisations de travail auxquelles il faut s’attendre,des départs à la retraite et des décisions derestructurations, notamment de délocalisations,quels impacts ces transformations auront-elles sur lesemplois non qualifiés ?

L’attention portée aux comportementsd’offre de travail, notamment chez les jeuneset chez les seniors

Dans un contexte où le renouvellement de lapopulation active va concerner de façon hétérogènela plupart des métiers et des secteurs d’activité, laquestion de l’évolution de l’offre de travail deshommes et des femmes aux différents âges de la viedevra être approfondie.

L’âge de fin d’études augmente en moyenne d’un antous les dix ans. Il était de 15 ans en moyenne pourles générations nées avant 1930, il devrait atteindre21 ans pour la génération née en 1980. Or depuis1997, le processus d’allongement des études et dehausse du niveau des sortants paraît enrayé.Plusieurs explications peuvent être avancées à lastagnation, voir à sa faible baisse du taux descolarisation. Parmi elles, il est possible de listercelles liée à la croissance des seconds cyclesprofessionnels, et surtout de l’apprentissage, à lapolitique de limitation des redoublements, à lavitalité du marché du travail de 2000 et 2001, lesjeunes diplômés d’un niveau V (CAP, BEP) ayantchoisi d’arrêter leurs études pour entrer dans la vieactive…

Si l’offre de travail des salariés vieillissants doitdiminuer pour les salariés qui ont commencé àtravailler avant l’âge de 16 ans (possibilité dedéparts en retraite à taux plein avant 60 ansintroduite par la loi du 21 août 2003), elle devraitaugmenter pour les autres si les effets escomptés dela loi Fillon sur les retraites se produisent (il seraitutile de connaître dans quelles proportions cesdéparts supplémentaires vont être remplacés).

L’interrogation sur la naturede la demande de travail

Dans le cadre des travaux du groupe de projetProméthée, un dialogue avec les branches profes-

sionnelles sur le diagnostic national réalisé par legroupe «Prospective des métiers et qualifications» aété initié, et une réflexion méthodologique, quipuisse être utilisée par d’autres observatoires debranches professionnelles (cf. ANI du 20 septembre2004) a été enclenchée. Ce travail devrait apporterdes précisions sur la manière dont les entreprises,dans les branches concernées, appréhendent levieillissement de leur main-d’œuvre salariée. Eneffet, le défi démographique à l’horizon 2010 vaentraîner de grandes transformations dans lespolitiques de ressources humaines. Il s’agit parconséquent de pouvoir mieux appréhender lesstratégies des entreprises face au nécessairerenouvellement de leur main-d’œuvre : vont-ellesremplacer à l’identique leurs salariés partants ? Vont-elles délocaliser certains segments de leur activitéproductive et lesquels ou vont-elles accroître leurrecours à la sous-traitance ? Vont-elles augmenterleur productivité du travail ? Vont-elles privilégier lamobilité promotionnelle ? Vont-elles recourir à lavalidation des acquis de l’expérience ?

Avec la loi Fillon sur les retraites, il faudra aussiregarder les effets des départs anticipés, renduspossibles par la loi Fillon sur les retraites, sur lapopulation active sachant que ces derniers, estimésà 140 000 par année, seront importants dans lespremières années seulement.

Prospective des métiers,une démarche au niveau des branches

Dans la prochaine décennie, les générations du«baby-boom» vont progressivement partir à laretraite. Bien plus que la croissance de l’emploi,c’est le remplacement des actuels quinquagénairesqui risque de générer des tensions sur le marché dutravail. Les entreprises vont devoir renouveler leurpolitique de main-d’œuvre en s’interrogeant sur lescompétences dont elles vont avoir besoin. Pourquels métiers ? Pour quelles fonctions ? Une miseen débat avec les entreprises des stratégies qu’ellesvont mettre en œuvre permettra de mieux saisirleurs attentes vis-à-vis des informations utiles quel’État et les administrations concernées peuvent etdoivent leur apporter pour la conduite de leursactions et d’approfondir les analyses nationales quidevront être réactualisées pour tenir compte desdécisions concernant les retraites.

L’implication des acteurs territoriaux

Les régions vont être fortement impliquées par lespolitiques de formation professionnelle et d’emploi.Il est nécessaire de réfléchir aux types d’échangesqu’il faudra ouvrir avec elles. La problématiqueterritoriale est fondamentale car c’est à l’arti-culation des politiques de branche et des politiquesterritoriales que les choses vont vraiment bouger.

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L’année 2004 est une année de transition pour cesdernières : élaboration d’un nouveau PRDF étenduà l’ensemble des actifs, élections régionales,nouvelle étape de la décentralisation qui transfertaux régions la compétence formation profes-sionnelle.

Le besoin de travaux prospectifs va donc se fairesentir sur des thèmes jugés prioritaires à partird’analyses suggérées par le diagnostic national. Ils’agira d’identifier avec les régions volontairesquels peuvent être les points d’entrée à la réflexionprospective: le vieillissement de la population,l’attractivité du territoire, le maintien des jeunes enrégion, la nécessité d’une relance du développe-ment économique…

La nécessaire ouverture sur l’Europe

En mars 2000, le Conseil européen de Lisbonnefixait un objectif ambitieux : «Faire de l’Europe, d’ici2010, l’économie de la connaissance la plusdynamique du monde, capable d’une croissanceéconomique durable, accompagnée d’une amé-lioration quantitative et qualitative de l’emploi etd’une plus grande cohésion sociale». L’année 2004devrait permettre d’effectuer un bilan à mi-parcoursde la réalisation des objectifs affichés à l’époque.

Dans un contexte de vieillissement et de mutationséconomiques rapides, l’investissement dans lecapital humain est un enjeu primordial pourprogresser vers le plein emploi et soutenir lacroissance et la productivité en Europe. Si 11millions d’emplois ont été créés depuis 1997,l’Europe doit créer 15 millions d’emplois supplé-mentaires d’ici 2010 pour atteindre un tauxd’emploi de 70 %. Par ailleurs, il est nécessaire derelever le taux de croissance de la productivité quia baissé ces dernières années.

Il y a urgence à agir de façon volontariste surl’emploi et la productivité dès maintenant, si nousvoulons faire face aux défis et ne pas simplementsubir les évolutions. Cela implique de renforcer lacapacité d’anticipation, de réaction et d’intégrationdes changements, qu’ils soient de nature conjonc-turelle ou structurelle. Pour réussir, il faut définir defaçon claire et transparente les responsabilités dechacun – autorités publiques, entreprises, individus– et revoir les incitations financières pouraugmenter les niveaux d’investissements dans lecapital humain.

Pour résoudre les problèmes d’emploi, il est aussinécessaire de mieux anticiper les évolutions desbesoins en qualifications et savoir adapter l’offre deformation en conséquence. Cet investissementsupplémentaire dans les ressources humaines estnécessaire et doit s’accompagner d’une moder-nisation du fonctionnement du marché du travail

visant à accroître les capacités d’adaptation dessalariés et des entreprises pour augmenter la parti-cipation des individus à ce dernier.

Il s’agira par conséquent de vérifier comment lesthèmes ouverts par le groupe «Prospective desmétiers et qualifications» sont investis par les autrespays européens et en quoi ses réflexions peuventêtre utiles à la Commission.

Nouvelles modalités de travail

Le groupe s’est doté d’un comité d’orientation qui apour charge d’arrêter un programme de travail etde suivre sa mise en œuvre. Deux fois l’an, il seraélargi aux représentants des organisations socio-professionnelles afin de leur faire état de l’avancéedes travaux et recueillir leur avis.

Pour 2004, les premiers travaux du groupes’attacheront essentiellement à une réactualisationdes travaux quantitatifs prospectifs en lien avec laDARES du ministère du Travail, la DEP duministère de l’Éducation nationale, mais égalementl’INSEE, le CEREQ, l’AFPA, l’ANPE, le COR et leréseau des OREF.

Nous devons répondre à plusieurs questionsnouvelles. Quelle est à moyen-long terme le taux decroissance potentiel de l’économie française quipourrait constituer une hypothèse centrale pour nostravaux ? Dans ce contexte macro-économique,quelles seront les ressources en main-d’œuvre, avecles prises en compte des comportements d’activité etdes perspectives de départs en retraite liés à la loiFillon avec ce double volet : allongement des duréesde carrière mais également dès 2004 et sur 15 ans laprise en compte des carrières longues quiconcernent surtout les ouvriers et employés peuqualifiés à partir de 55-56 ans (s’ils ont démarré à15-16 ans).

La deuxième interrogation, importante, concernel’évolution de la productivité par branche dans cecontexte nouveau d’une limitation progressive de lapopulation active disponible par le départ plusimportant des anciens et le maintien du flux globald’entrée des plus jeunes (entre 650 000 et 700 000par an ), mais avec le risque accru de concurrence àl’embauche des jeunes et celui de non-rempla-cement de certains postes de travail.

Les techniques macro-économiques ne vont passuffire pour répondre à ce problème et c’est pourcela que nous avons préconisé de décentralisercette investigation au niveau des branches et desterritoires, notamment les régions. C’est donc undes sens forts de la création ou du développement,s’ils existent, des observatoires de métiers parbranche.

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Nous n’aurons pas les moyens dans le temps quinous est imparti de mettre en place un outil desynthèse qui assurerait un dialogue formel, modélisé,entre le niveau national et le niveau des branches oule niveau des régions. Par contre nous pouvonsconjointement valider un ensemble d’hypothèsesqui, émanant des observatoires de branches ou desrégions, sont testées au niveau national ou acontrario d’interrogations qui se font jour au niveaunational et que les travaux des observatoires demétiers par branche vont permettre d’informer ou deconfirmer.

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POLES

Prospective de l’organisation territorialedu système de soins

Les élus et la territorialisation du système de santé

L’idée de territorialisation du système de santébénéficie aujourd’hui d’un large consensus maiscette adhésion souffre de deux faiblesses majeures.D’une part, les modalités de cette territorialisationsont souvent aussi nombreuses que les interlo-cuteurs qui la promeuvent et, d’autre part, cette idées’inscrit le plus souvent dans un constat d’échec duniveau central à réguler le système de santé. Cediscours en négatif ne permet guère à l’État de créerune dynamique au niveau local. Pourtant, certainsélus locaux se sont saisis des questions de santé maisces expériences, lorsqu’elles se révèlent probantes,semblent n’acquérir ni visibilité ni exemplarité. Or,un État stratège qui rompt avec le registre du «faire»doit capitaliser ces expériences afin de renforcer nonpas son savoir-faire mais sa capacité à mobiliserd’autres acteurs.

L’objet de cette note est de mettre en évidence lesprocessus qui font de la santé un enjeu de lapolitique locale c’est-à-dire, dans un premiertemps, d’analyser les actions concrètes qui sontaujourd’hui menées par les élus locaux, puisd’identifier les facteurs d’évolution auxquels lesélus sont confrontés, enfin de souligner lesobstacles potentiels à la plus grande intégration desquestions sanitaires dans les politiques locales.

Territoire et décentralisation

La territorialisation des politiques de santé est, sansnul doute, une des évolutions majeures depuis lestrente dernières années avec la création desDirections régionales de l’action sanitaire et sociale(DRASS) en 1977, des Observatoires régionaux dela santé (ORS) en 1982, des Comités régionauxd’organisation sanitaire et sociale en 1991, desUnions régionales des médecins libéraux (URML)en 1993, des Agences régionales d’hospitalisation(ARH) et des Unions régionales des Caissesd’assurance-maladie en 1996, etc. Cependant, «lareconnaissance de l’action des échelons locauxpasse par un mouvement de territorialisation et enaucun cas par des transferts de compétence» 1.

(1) Hassenteufel (P.) et Loncle (P.), Territorialisation n’est pasdécentralisation…, Pouvoirs locaux, n° 58, 2003.

En France, il est d’usage de considérer deux formesessentielles de l’organisation territoriale :

– la déconcentration, qui est une modalitéd’organisation de l’administration d’État,consiste à accorder par délégation un pouvoirde décision aux agents de l’État répartis locale-ment dans des circonscriptions administratives,lesquelles n’ont aucune personnalité juridique ;

– la décentralisation se traduit par le transfertd’attributions de l’État à des institutions, juridi-quement distinctes de lui et bénéficiant sous lasurveillance de l’État d’une certaine autonomiede gestion.

La décentralisation, telle qu’elle est définie ici,implique donc une redistribution des pouvoirs etdes compétences entre niveau central et niveauxintermédiaires et porte des enjeux considérablestant en termes d’efficacité que d’équité.

C’est tout d’abord la réactivité et la capacitéd’innovation des territoires qui sont mises enavant. Dans le domaine sanitaire, de nombreuxexemples – organisation de la permanence dessoins en Languedoc-Roussillon, politiques deprévention et aménagement sanitaire du territoireen Nord-Pas-de-Calais, etc. – montrent que ladétermination et la mise en œuvre de politiques auniveau local sont souvent plus aisées qu’au niveaucentral. Ce phénomène procède, au moins partie,d’une meilleure connaissance des acteurs et del’ensemble dans lequel ces politiques s’inscrivent etdonc des interactions entre les différentes politiquespubliques.

Par ailleurs, la proximité peut être un moyen derenforcer l’expression de la démocratie au sein dusystème de santé. Aujourd’hui, cette démocraties’exerce à travers la démocratie représentative quimobilise les élus politiques, la démocratie socialequi repose sur les partenaires sociaux et une«démocratie sanitaire» encore mal définie qui faitréférence aux usagers et à leurs représentants (juryscitoyens, états généraux de la santé, associations demalades, etc.). Malgré – ou à cause de – cette«multiplication démocratique», le constat de déficitdémocratique du système de santé français estlargement partagé. Si la décentralisation n’est pas,

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en soi, une solution, elle peut être l’occasion d’uneclarification et d’une redéfinition des modalités del’exercice démocratique dans ce champ.

Enfin, la décentralisation, dès lors qu’elles’accompagne d’une responsabilité financière deséchelons intermédiaires, peut permettre des gainsd’efficacité et une meilleure utilisation des ressour-ces. Ce postulat repose notamment sur la capacitédes acteurs locaux à adapter l’offre de soins auxbesoins par le biais d’innovations organisationnelleset à définir des modes de régulation qui tiennentcompte des problèmes rencontrés.

«Territorialisation et décentralisation peuvent alorsêtre des leviers pertinents pour ``recoller les mor-ceaux’’ et agir de façon coordonnée en fonctiondes situations concrètes du territoire, de sescaractéristiques sociales, économiques, environne-mentales et alimentaires» 2 .

Les élus locauxface aux enjeux de santé publique

Dans la plupart des projets de décentralisation dusystème de santé (Soubie, Évin, Préel) les éluslocaux jouent un rôle majeur. Leur légitimitédémocratique, en effet, leur permet d’appréhenderla santé et ses déterminants, en intégrant nonseulement l’aspect organisationnel du système desoins mais aussi les problématiques liées à lacohésion sociale et territoriale.

Il convient, dans un premier temps, de souligner lagrande diversité que recouvre le terme d’élu :diversité des mandats – sénateur, député, maire ouprésident de structure intercommunale, conseillerrégional, conseiller général, – laquelle impliqueune diversité dans les champs de compétence deces élus, diversité des contextes régionaux oulocaux qui déterminent les enjeux auxquels cesélus doivent répondre, enfin diversité de lasensibilité des élus aux questions de santé enfonction notamment de leurs liens personnels etprofessionnels avec le monde médical.

Les élus régionaux et la santé

Une enquête menée en décembre 2002 auprès desConseils régionaux pour l’Union régionale desmédecins libéraux de Rhône-Alpes 3 montre quel’implication des régions dans le domaine sanitaire

(2) Rapport du groupe de travail «Régionalisation de la santé enAlsace» réalisé sur l’initiative de la région Alsace.

(3) Bourgueil (Y.) et Serré (M.), Quelle politique régionale pourla santé en France ? disponible à l’adresse suivante :http://www.upmlra.org/doc/doc_148_doc.pdf

reste globalement marginale, la santé ne relevant pasdes compétences obligatoires des Conseils régio-naux. Pour autant, les régions ne sont pas totalementabsentes de la sphère sanitaire : si la santé n’apparaîtpas le plus souvent dans le cadre de programmesspécifiques, certains enjeux sanitaires sont abordés àtravers les programmes régionaux mis en œuvredans les champs de la solidarité, de l’aménagementdu territoire ou encore de l’éducation. De plus, lesrégions ont aussi investi les questions liées àl’information, à l’ingénierie et à l’observationstatistique (Observatoires régionaux de la santé,registres…). L’enquête montre que les principauxpartenaires institutionnels des Conseils régionaux enmatière de santé sont les Agences régionalesd’hospitalisation, les Directions régionales del’action sanitaire et sociale et les Conseils géné-raux, les Unions régionales des Caisses d’assurance-maladie ou des médecins libéraux étant moinssouvent citées.

L’intervention des élus régionaux apparaît aujour-d’hui comme une réponse à des dysfonctionne-ments constatés en termes d’offre ou d’accès auxsoins mais reste le plus souvent cantonnée à lapolitique hospitalière ou à des actions de préven-tion. La médecine de ville est un secteur peu investipar les régions.

Des compétences transversalesau niveau infra-régionalqui touchent au domaine sanitaire

Si les compétences des élus régionaux en termes desanté restent relativement marginales, le rôle desmaires et du Conseil général est plus important. Ilfaut notamment souligner que le projet de loi relatifaux responsabilités locales renforce les compé-tences des départements. Par ailleurs, la prise encharge de certaines urgences (services d’incendie etde secours) et celle de certains groupes depopulation (les personnes âgées, les femmes et lesenfants) relèvent traditionnellement du champd’action des élus locaux.

La place grandissante du «sanitaire» dans la sphèrepublique est un mouvement général auquel les éluslocaux sont, eux aussi, confrontés. Ce mouvement setraduit notamment par la prise en compte desimpacts sanitaires de politiques publiques a prioriautonomes. On peut citer, par exemple, le problèmede la pollution des eaux par les nitrates dans le cadrede la politique agricole, celui du saturnisme dans lapolitique de l’habitat, les questions liées à la qualitéde l’air dans le domaine environnemental, etc.

Bien que la santé reste pour de nombreux élus uneprérogative d’État, les politiques locales intègrentaujourd’hui une dimension sanitaire, le plus souventmotivée, aujourd’hui, par un souci de prévention.

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Des phénomènes émergeantsau niveau des territoires

Les travaux menés par l’Observatoire régional de lasanté du Nord-Pas-de-Calais 4 apportent un éclaira-ge prospectif à cette réflexion. Trois grandes ten-dances, qui se nourrissent de la convergence dephénomènes touchant à la santé, aux territoires etde facteurs d’évolution plus généraux, se dessinentaujourd’hui :

– L’investissement de l’élu local est de plus enplus attendu de la part des habitants dans lespolitiques de santé publique ;

– Les mutations du système de santé etl’extension du discours sanitaire impactent trèsfortement les politiques et les projets locaux ;

– Les politiques et les projets locaux se dévelop-pent et sont appelés à se développer plusencore.

Tout d’abord, dans le champ de la santé, unmouvement d’acculturation très net par les éluslocaux de ces problématiques a été initié grâce àleur implication dans des programmes de préventionou des projets locaux sanitaires et sociaux ciblés(personnes âgées, démographie médicale, personneshandicapées...) et dans la définition des schémasd’organisation sanitaire, des programmes régionauxde santé et aussi grâce à la montée en charge desAgences régionales d’hospitalisation, des Unionsrégionales des médecins libéraux et des Unionsrégionales des Caisses d’assurance maladie.

Par ailleurs, la visibilité grandissante des crisessanitaires et les interrogations relatives à ladémocratie locale – notamment dans le cadre del’application du principe de précaution – renforcentla légitimité des élus locaux dans ce champ.

Enfin, les dysfonctionnements et les difficultésauxquels fait face le système de santé conduisentcertains acteurs à promouvoir de nouveaux espacesde décision, plus proches du «terrain».

Au niveau des territoires, on assiste à la montée enpuissance des intercommunalités (avec des budgetset des compétences étendus) et, parallèlement, àl’accentuation de la concurrence entre territoires.L’attractivité territoriale est devenu un enjeu majeuret cette attractivité se construit aussi à travers l’offrede soins disponible (par exemple, l’existence d’unematernité peut être l’un des déterminants des choix

(4) Lacoste (O.) et Lebas (E.), Santé et développement auprèsdes intercommunalités, étude réalisée par l’ORS Nord-Pas-de-Calais sur une demande du Conseil régional Nord-Pas-de-Calais.

de localisation des entreprises). La notion de«projet de territoire» prend ici tout son sens dans lamesure où ces projets doivent mêler politiques dedéveloppement local et enjeux sanitaires.

Enfin, les élus locaux sont aussi confrontés à desfacteurs d’évolution généraux comme les effets duvieillissement de la population ou la demandesociale pour une prise en compte de l’ensembledes déterminants de santé.

Les facteurs de blocage

Ces phénomènes qui semblent aiguillonnerl’implication croissante des élus locaux dans lespolitiques de santé sont toutefois contrebalancéspar des facteurs de blocage importants.

La question du financement de ces politiques en estun des aspects essentiels. Le niveau local disposeen effet de marges de manœuvre restreintes, que cesoit au niveau de l’hôpital avec la mise en œuvrede la tarification à l’activité avec une définition desprix à l’échelon national ou au niveau desprogrammes de santé publique, les crédits étantlargement obérés par les objectifs définis au niveaunational. Par ailleurs, le recours à des mécanismesde financement décentralisés ne cesse d’inquiéterles élus en raison de l’importance des budgets santéet aussi des risques d’inégalité entre territoires (onnote une certaine méfiance vis-à-vis des mécanis-mes de péréquation).

Au-delà de cet aspect, l’organisation et la régulationdu système de santé soulèvent deux problèmesmajeurs. En premier lieu, il s’agit d’un domaine danslequel les élus ont peu d’expérience (ou alors cetteexpérience est souvent liée à leur implication en tantque professionnels ou patients) ; or les arbitrages quidoivent être effectués supposent aussi que les élusaient les moyens de résister aux différents groupes depression. En second lieu, ces deux fonctionsappellent, sans nul doute, à faire des choiximpopulaires dans un contexte économique difficile.

Perspectives

Le rapport du groupe de travail «Régionalisation dela santé en Alsace» distingue quatre fonctionsprincipales d’un système de santé : l’observation etl’information statistiques, l’organisation de l’offrede soins, la régulation du système de soin, et laprévention et l’éducation à la santé. Dans le cadred’un exercice prospectif, il convient d’évaluer lesdynamiques en cours et les interactions entre lesacteurs selon ces quatre dimensions. Le groupePoles a donc engagé une réflexion sur le rôle desélus dans le domaine de la santé d’une part afin dedresser un bilan des actions menées aujourd’hui(quelles fonctions sont privilégiées ? par quel biais

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sont-ils impliqués sur ces dossiers ? quels sont lesoutils qui sont concrètement utilisés ?), d’autre partafin de mieux cerner les projets et les besoins desélus locaux dans ce domaine.

Au-delà, cette réflexion constitue un matériaufondamental de la prospective de la territoriali-sation du système de santé. Sans préjuger d’unscénario qui privilégierait les élus locaux audétriment des autres acteurs, leur vision des enjeuxde la politique de santé à 15 ans nourrira lesdifférentes hypothèses quant à l’architecture d’unsystème de santé décentralisé.

Il existe aujourd’hui deux tendances lourdes :l’extension progressive de la territorialisation dusystème de santé (par déconcentration) au moinssur certains domaines, et la promotion par legouvernement d’une plus grande autonomie descollectivités locales. La question qui se pose à unhorizon de 15 ans dans le domaine de la santé estbien celle du télescopage éventuel de ces deuxtendances. Pour l’État, les enjeux sont considé-rables. Si son rôle ne peut être moindre que ladéfinition de principes généraux applicables surl’ensemble du territoire, le champ des possibles estvaste et pose la question du financement dusystème de santé (et des mécanismes depéréquation à mettre en œuvre le cas échéant),celle des outils de régulation qui peuvent êtremobilisés au niveau des territoires (convention-nement sélectif des professionnels de santé, règlesde rémunération, modalités d’accès aux soins, etc.)et aussi celle, non moins essentielle, de lareprésentativité.

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SARASWATI

Prospective de l’État et attractivité de la Francedans le domaine des activités de recherche-développement-innovation

Attractivité pour les étudiants étrangers et potentiel de la recherche en France

Le groupe Saraswati mène une réflexion pros-pective sur l’attractivité de la France dans lesdomaines de la recherche-développement et del’innovation. Trois grands axes en structurent lestravaux : la mobilité internationale des étudiants,celle des chercheurs et ingénieurs ainsi que lalocalisation des activités de recherche industrielle.

La première phase, en voie d’achèvement, concernela mobilité des étudiants car ils représentent désor-mais le premier réservoir de l’émigration desscientifiques. Cette note en résume les principauxrésultats obtenus à partir du travail déjà accompli.

La mobilité internationale des étudiants :tendances et éléments prospectifs

Projections des effectifs d’étudiantsen mobilité internationale à horizon 2015

Le nombre d’étudiants en mobilité internationale adoublé en vingt ans pour atteindre dans les pays del’OCDE plus de 1,5 million en 2001 (1,7 milliondans le monde). Les projections à horizon 2015indiquent que cette mobilité internationale desétudiants devrait connaître une forte croissance. Lenombre d’étudiants en mobilité internationale auraplus que doublé, même dans l’hypothèse basse decroissance des flux annuels mondiaux (4,8 %).

Avec des taux annuels moyens supérieurs au tauxde 4,8 %, les zones Asie, Afrique, et Amériquedu Sud seront celles qui enregistreraient les plusfortes croissances, suivis de l’Europe de l’Est avec2,8 %. L’Europe de l’Ouest, comme l’Amériquedu Nord connaîtraient une croissance faible, auplus égale à 2 %.

Tableau 1 : Trois scénarios d’évolution des effectifsd’étudiants en mobilité internationale 2001-2015

S1 S2 S3Afrique 4,9% 5,9% 4,1%Moyen Orient 4,5% 5,2% 3,9%Asie 7,8% 9,4% 6,9%Amérique du Nord 1,9% 2,0% 1,8%Amérique du Sud 3,5% 4,0% 2,9%Europe de l'Ouest 1,4% 1,4% 1,4%Europe de l'Est 3,5% 4,1% 2,8%Monde 5,5% 6,7% 4,8%Nombre d'étudiants 4,165 4,968 3,723

En millions d’étudiants – Source : Calculs à partir de l’étude prospective«Global Student Mobility 2025»

Comme le montrent les statistiques harmonisées auniveau international, la mobilité des étudiants secaractérise par une forte concentration géogra-phique. En effet, les pays de l’OCDE accueillentprès de 85 % des étudiants étrangers dans lemonde. Même dans la zone OCDE, six pays,l’Allemagne, l’Australie, les États-Unis, la France, leJapon et le Royaume-Uni, en accueillent plus destrois quarts. Mais, compte tenu des projections àl’horizon 2015, cette structure pourrait se modifierdu fait des changements futurs de l’attractivité despays ou zones. C’est dire l’importance d’appré-hender les facteurs de mobilité et d’attractivité desétudiants.

Les facteurs de mobilitéet d’attractivité des étudiants

L’attractivité des pays ou zones géographiques pourles étudiants en mobilité internationale dans lescycles de l’enseignement supérieur dépend deplusieurs facteurs, dont certains sont à la basemême de toute décision d’étudier à l’étranger et dechoix du pays de destination :

• Le degré de diversité des formations proposéesdans les pays d’origine et les conditions requi-ses pour y accéder.

• La qualité de l’offre de formation, la réputationdes établissements dans les pays d’accueil et lapromotion du système éducatif à l’étranger.

• La transférabilité et/ou la reconnaissance desdiplômes entre pays d’origine et pays d’accueil.Le degré de reconnaissance sur le marché dutravail, dans le pays d’accueil comme dans lepays d’origine, des qualifications acquises est unfacteur essentiel de la mobilité étudiante.

• Le coût des études à l’étranger, y compris lesdroits de scolarité, comparé à leur coût dans lepays d’origine. Mais l’impact de ce facteur n’estpas exclusif, car les flux d’étudiants sont faiblesdans certains pays alors que les droits descolarité y sont peu importants ou inexistantsnotamment les pays nordiques, et sont impor-tants dans d’autres pays, alors que les droits de

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scolarité y sont élevés, notamment aux États-Unis.

• Les infrastructures d’accueil tels le logement etles centres d’apprentissage de la langue, lesprestations sociales dont les étudiants béné-ficient, ainsi que la politique des boursesd’études.

• La langue de l’enseignement et celle du paysd’accueil jouent un rôle déterminant. À euxseuls, les quatre pays anglophones de la zoneOCDE reçoivent 56 % des étudiants étrangersde cette zone. C’est dire l’avantage concur-rentiel des pays anglophones dans ce domaineque certaines universités non anglophones cher-chent à compenser en proposant des formationsen langue anglaise.

• La proximité géographique et culturelle despays d’accueil et d’origine ainsi que les lienshistoriques (par exemple les flux entre pays duCommonwealth et le Royaume-Uni et entrel’Afrique francophone et la France).

• Les programmes d’échanges bilatéraux oumultilatéraux entre établissements, pays ourégions économiques (par exemple les boursesdu ministère des Affaires étrangères en France etdu programme européen ERASMUS).

• La qualité de vie et l’attractivité culturelle dupays d’accueil constituent également un facteurimportant.

• La présence de diasporas et de réseauxd’accompagnement, en particulier les associa-tions d’étudiants ou d’anciens étudiants du paysd’origine qui jouent le rôle de relais d’infor-mation.

• La politique d’immigration (ou en matière devisa), avec la possibilité pour un étudiantétranger de travailler à temps partiel durant sesétudes et de s’installer dans le pays à l’issue dela formation, ont un fort impact sur le choix dela destination des étudiants étrangers.

Si la décision d’étudier à l’étranger et le choix dupays de destination sont le résultat d’une combinai-son de facteurs économiques, culturels et socio-logiques, force est de constater que les politiquesd’attractivité menées par les États ou les institutionsd’enseignement et de formation ont aussi un impactfort sur la destination des étudiants. Cet élémentpeut expliquer d’ailleurs la forte concentration desflux et des stocks d’étudiants dans quelques pays del’OCDE. Ces politiques se traduisent aussi par lesmodes d’internationalisation de l’enseignement

supérieur qui se diversifient et connaissent undéveloppement important.

Le développementde nouveaux modes d’internationalisationde l’enseignement supérieur

De fait, même si la mobilité internationale desétudiants constitue la modalité courante del’internationalisation de l’enseignement supérieur,la mobilité des programmes éducatifs, comme celledes établissements, connaît aujourd’hui un déve-loppement rapide dans le monde.

La mobilité des programmes éducatifs peutprendre différentes modalités. L’une d’entre ellesest l’enseignement à distance au moyen destechnologies de l’information et de la communi-cation. Comme le montrent les données statistiquesde l’OCDE, cette modalité connaît une croissancerapide depuis 1996, et représente par exemple pourl’Australie 9 % des effectifs d’étudiants étrangersformés par ce pays. Certains établissements, notam-ment l’université de Phoenix, offrent des cursusuniversitaires, principalement dispensés en ligne,sanctionnés par des diplômes. Cette forme demobilité concerne aussi la dispense de programmeséducatifs par des enseignants à l’étranger, et ladélivrance de diplômes dans le cadre departenariats établis entre établissements de deux ouplusieurs pays et donc la reconnaissance deprogrammes d’études communs. Enfin, la mobilitédes programmes par la vente ou le franchisage d’unprogramme éducatif à un établissement étranger.

La mobilité institutionnelle concerne la localisationdes établissements d’enseignement publics ouprivés à l’étranger. Il s’agit pour l’établissementd’implanter un campus, de racheter un établis-sement à l’étranger, et/ ou de s’associer à uneuniversité étrangère pour la délivrance dediplômes. Comme le souligne les travaux del’OCDE, les établissements britanniques ont mis enplace cette forme d’éducation internationale aucours des années 1990. Les établissementsaméricains offrent des services éducatifs dans aumoins 115 pays. L’université américaine qui figureau marché du NASDAQ, Sylvan InternationalUniversities, par exemple, a récemment acquis desuniversités privées et des écoles de commerce auChili, en Espagne, en France, en Inde, au Mexique,et en Suisse, qui accueillent au total plus de 60 000étudiants. En Australie, les étudiants étrangersformés dans les établissements australiens àl’étranger ont vu leur nombre doubler entre 1996 et2001 et représentent actuellement plus de 20 % detous les effectifs d’étudiants étrangers, formés parce pays. Par ailleurs, les établissements canadiens,allemands et sud-africains s’efforcent aussi dedévelopper leurs offres de formation à l’étranger.

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Quelles implications pour la France ?

Pour appréhender l’impact du degré d’attractivitéfuture de la France pour les étudiants étrangerssur la recherche en France, des travaux ont étéentrepris pour estimer les besoins en personnelsde recherche et développement. Ces estimationsprennent en compte l’augmentation du coûtmoyen par chercheur, liée notamment à lacroissance des dépenses des branches maladie etretraite. Elles intègrent également les possiblestensions sur le marché du travail des personnelsscientifiques. Par ailleurs, des simulations ont étéréalisées pour mesurer l’impact de la variationdes effectifs d’étudiants étrangers en France surle potentiel de diplômés de l’enseignementsupérieur, notamment des étudiants susceptiblesd’accéder à des carrières de la recherche.

Des besoins importants de recrutementet/ou de remplacement des personnels de recherche

Compte tenu du vieillissement de la population deschercheurs et des ingénieurs dans le secteur publicet de la durée limitée de la carrière de chercheurdans le secteur privé, les besoins de remplacementet/ou de recrutement en personnels de rechercheseront importants dans les dix années à venir. Cesbesoins sont estimés en moyenne annuelle, dansl’hypothèse basse (2 % de croissance économique etun ratio DIRD/PIB de 2,2 %, cf. tableau 2), à plus de13 000 personnels de recherche, dont près de 8 000chercheurs et un peu moins de 6 000 personnelsd’accompagnement. Dans le secteur public cesbesoins sont estimés à près de 3 300 chercheurs etenseignants-chercheurs et à plus de 2 600personnels de soutien (ingénieurs et techniciens).

Tableau 2 : Besoins de renouvellement et/oude recrutement de personnels de R&D en France

(moyenne annuelle en personnes physiques 2002-2013)

Hypothèses Dont(Tx PIB - DIRD/PIB) Chercheurs Personnels

(1) Total de soutien( 2% - 2,2% ) 13 663 7 995 5 668( 2% - 2,5% ) 16 315 9 659 6 656( 3% - 2,2% ) 16 161 9 583 6 579( 3% - 2,5% ) 19 061 11 401 7 660( 3% - 3% ) 24 181 14 695 9 486

Public( 2% - 2,2% ) 5 949 3 293 2 656( 2% - 2,5% ) 7 337 4 301 3 037( 3% - 2,2% ) 7 353 4 312 3 041( 3% - 2,5% ) 8 863 5 408 3 455( 3% - 3% ) 11 935 7 637 4 298

Privé( 2% - 2,2% ) 7 715 4 702 3 013( 2% - 2,5% ) 8 978 5 359 3 619( 3% - 2,2% ) 8 809 5 271 3 538( 3% - 2,5% ) 10 198 5 993 4 205( 3% - 3% ) 12 245 7 058 5 188

Tx PIB : Taux de croissance du produit intérieur brut ; DIRD : dépenseintérieure de recherche et développement. – Source : ProjectionsSaraswati, données statistiques de la Direction de l’évaluation et de laprospective, bureaux DEP B3 et A1

Mais, dans cette hypothèse basse, le nombre dechercheurs pour 1 000 actifs passerait à 6,3 en 2013contre 6,6 en 2001 (ce ratio est de 8,1 au Japon et9,6 aux États-Unis en 2001). Il faut noter que lesdonnées récentes ne permettent pas de cerner leseffets sur l’âge de départ à la retraite des chercheurset enseignants-chercheurs de l’augmentation dunombre d’années de cotisations nécessaires pouratteindre le taux plein de pension.

Projections des effectifs étudiants en Franceet simulation d’impact de l’attractivitépour les étudiants étrangers

On assiste depuis cinq ans à une forte diminutiondes effectifs étudiants dans les filières scientifiqueset technologiques, phénomène qui touchel’ensemble des pays de l’OCDE, y compris lesÉtats-Unis (cf. note Saraswati n° 1). En France, cettetendance touche principalement les filièresscientifiques des 1er et 2e cycle des universités.Toutefois, les situations sont contrastées selon lesdisciplines : baisse des inscriptions dans lesmathématiques, la physique les sciences de la vie(hors santé) et la chimie et hausse de celles del’informatique et des sciences pour l’ingénieur.Dans les formations en 3e cycle, ces évolutions setraduisent par le développement des filièresprofessionnalisantes (DESS et mastère profession-nel) au détriment des formations à et par larecherche (DEA).

Projections des effectifs des étudiants dans les universités2003-2012

Les projections ont été réalisées, sur la base des hypothèses dugroupe Saraswati concernant la variation des effectifsd’étudiants, notamment étrangers en France, par le Bureau desétudes statistiques sur l’enseignement supérieur, Direction del’évaluation et de la prospective, ministère de l’Éducationnationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.

Cet exercice porte sur les principales filières scientifiques post-baccalauréat : les universités hors IUT, et hors formations ensanté, pharmacie et paramédicales. Les étudiants des institutsnationaux polytechniques, des classes préparatoires auxgrandes écoles ainsi que ceux des écoles d’ingénieurs internesou rattachées aux universités sont compris dans les effectifsuniversitaires.

Hypothèses :

LT : Hypothèse tendancielle des flux, y compris d’étudiantsétrangers

1A : Plus de 30 % de ces flux répartis proportionnellemententre les 1er, 2e et 3e cycles.

1B : Plus de 30 % de ces flux, où la moitié affectée au 1er

cycle est retirée puis ventilée proportionnellement sur les 2e

et 3e.

2A : Plus de 111 % de ces flux répartis proportionnellementsur 1er, 2e et 3e cycles.

2B : Plus de 111 % de ces flux, où la moitié affectée au 1er

cycle est retirée puis ventilée proportionnellement sur les 2e

et 3e cycles.

Ces tendances conduiraient à conclure à la baissedu vivier des chercheurs, qui pourrait hypothéquerle potentiel futur de la recherche en France. Et les

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projections à horizon 2012 montrent que, comptetenu des flux d’élèves dans les collèges et lycées,les effectifs d’étudiants dans l’enseignement supé-rieur seront stables voire en baisse. Une politiquequi viserait à renverser cette tendance devraitcomporter trois grandes orientations. L’améliorationdu taux de réussite dans les premiers cyclesuniversitaires, une action volontariste pour favoriserla culture scientifique, l’attractivité des filièresscientifiques et des métiers et carrières de larecherche, et une promotion de l’attractivité de laFrance pour les étudiants étrangers.

Les filières «Sciences» 1er cycle

120 000

140 000

160 000

180 000

200 000

220 000

1995

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1998

199

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0020

0120

0220

0320

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0520

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0720

0820

0920

1020

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12

LT1A2A1B2B

Les filières «Sciences» 2e cycle

100 000

110 000

120 000

130 000

140 000

1995

1996

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Les filières «Sciences» 3e cycle

20 000

30 000

40 000

50 000

60 000

70 000

80 000

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0820

0920

1020

1120

12

LT1A2A1B2B

Les quatre hypothèses de l’attractivitéde la France pour les étudiants étrangers

Les tendances observées et les projections réaliséesmontrent que celles-ci pourraient se traduire par destensions sur le marché du travail des personnelsscientifiques, et affecter le capital humain de larecherche en France, voire en Europe. Les travauxdu groupe de projet aboutissent à quatre hypothèses

concernant l’augmentation des effectifs d’étudiantsétrangers en France, qui ne constitue qu’une desréponses possibles. Présentés ici brièvement, ceshypothèses se distinguent par deux dimensions : lamaîtrise ou non des flux d’étudiants et l’existence ounon d’actions visant à réguler la structure des flux.Les graphiques présentés en illustrent l’impactpotentiel sur les effectifs d’étudiants à l’universitédans les filières scientifiques, en considérant le casoù les étudiants étrangers seraient tous formés enFrance.

Hypothèse n° 1 :Rayonnement internationalet formation des étudiants étrangers en France

Dans ce scénario, l’objectif principal est l’image dela France dans le monde. Cette option se traduit parle maintien de la part de la France dans l’accueildes étudiants en mobilité internationale, qui s’élèveà 10 % (contre 31 % pour les États-Unis, 15 % pourle Royaume-Uni, 12 % pour l’Allemagne, 7 % pourl’Australie et 4 % pour le Japon). Le choix d’unetelle option reviendrait à doubler d’ici 2015 lenombre d’étudiants étrangers en France. Mais,compte tenu de la stabilité des effectifs étudiantsdans notre pays la part des étudiants étrangerspasserait à plus de 26 % contre 12,7 % actuel-lement. Cette option soulève cependant certainesdifficultés liées principalement aux coûts de laformation financés principalement par la collec-tivité.

Hypothèse n° 2 :Rayonnement international et diversificationdes modalités d’internationalisationde l’enseignement supérieur

Il s’agit d’une optique où les étudiants pourraient seformer soit en France (modalité de mobilité desétudiants), soit dans le pays d’origine par le recours àla mobilité des programmes ou des institutionsd’enseignement. Cette option nécessite aussi ledéveloppement des actions de promotion à l’étran-ger du système éducatif français. Notons ici que ledoublement du nombre d’étudiants étrangers formésdans le système éducatif français se traduirait parl’accueil d’une part moins importante d’entre eux.De plus, cette diversification est génératrice derevenus puisque certains étudiants étrangers finan-ceraient une part plus importante voire le total ducoût de leurs études.

Hypothèse n° 3 :Maîtrise» quantitative des flux

Dans ce scénario, l’augmentation serait plus limitée(+ 30 % par rapport à la tendance actuelle), maissans que cette augmentation obéisse à une volontéd’agir sur la structure des effectifs d’étudiants

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étrangers en France (géographie, filières, cycles etdisciplines). Les autres modalités d’internationa-lisation de l’enseignement supérieur connaîtraientun développement plutôt modéré. Dans ce cas,compte tenu des projections des effectifs d’étu-diants en mobilité internationale, la structure deseffectifs d’étudiants étrangers en France pourraitprofondément se modifier au profit des étudiantsoriginaires des zones Asie et Amérique du sud.

Hypothèse n° 4 :Maîtrise des flux et actionssur la structure des effectifsdes étudiants étrangers

L’augmentation des effectifs d’étudiants étrangersdans ce scénario (+ 30 % par rapport à la tendanceactuelle) s’accompagne d’une approche stratégiquequi vise à maîtriser la structure géographique, parcycles de formation, par filières voire par disci-plines. Mais elle n’exclut pas le développement desautres modalités d’internationalisation de l’ensei-gnement supérieur.

Quel que soit le scénario d’évolution, il fautsouligner que la France sera face à cinq défis auregard de son attractivité auprès des étudiantsétrangers : 1) la quantité des étudiants étrangers àattirer ; 2) la qualité et la diversité, géographique etdisciplinaire des étudiants accueillis ; 3) la qualitéde l’offre de formation française ou européennedans le cadre de coopération entre établissements ;4) la cohérence entre les actions des acteurs dusystème éducatif, dans le cadre d’une politiqueglobale, stratégique et concertée, et enfin 5) la partdes étudiants étrangers appelés à travailler enFrance après leur cursus de formation.

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SIGMA

Prospective de l’intégration sociale

L’intégration sociale : une dynamique au croisement des parcours individuels,des attentes sociales et des politiques publiques

Les travaux sur l’intégration sociale du groupeSigma ont débuté en janvier 2004, après une phaseexploratoire interne au Plan au dernier trimestre2003. Ils se structurent aujourd’hui autour de 4grands thèmes : a) les critères socio-économiquesde l’intégration ; b) l’évolution des liens sociauxentre les individus ; c) les valeurs collectives surlesquelles se fonde la société française ; d) larelation des citoyens aux normes et aux règlessociales et leurs attentes à l’égard de l’État et dumonde politique.

Dès l’origine, Sigma a envisagé l’intégration socialecomme un processus incluant l’ensemble de lasociété française et non les seuls immigrés etdescendants d’immigrés. Le choix de Sigma a étéde maintenir l’ampleur du champ d’analyse(société toute entière), tout en approfondissant danschacun des quatre thèmes évoqués ci-dessus lespoints sensibles sur lesquels un investissement del’État est nécessaire et attendu. Sigma faitl’hypothèse que les mutations de la société(individualisation des valeurs, crise des institutions,parcours de vie différenciés) n’entraînent pas undéclin de la demande d’État mais une modificationdes attentes sociales, et l’obligation de repenserl’intervention publique dans l’ensemble desdomaines de cohésion nationale (éducation,politique de la ville, politiques sociales). Ledésenchantement actuel de la société à l’égard del’État est le symptôme de ces attentes nouvelles, desdifficultés de l’État à changer et des angoisses néesdu sentiment de perte de l’identité nationale. Cedésarroi témoigne a contrario que l’État continueraà l’avenir à se voir reconnaître un rôle déterminanten matière d’intégration sociale, s’il accompagne etoriente les mutations en cours.

À partir d’une analyse diversifiée de la société(économie, représentations politiques, mutationsdes liens sociaux) Sigma se donne donc pourobjectif de mener une prospective a) des attentesdes citoyens vis-à-vis de l’État en matièred’intégration sociale b) des modalités de l’inter-vention publique sur ce sujet. Le terme de cestravaux est la fin de l’année 2004.

Cette note d’étape décrit les principales orien-tations de travail qui seront approfondies dans les

mois qui viennent : les possibilités d’une mesure del’intégration sociale dans une société où les valeurset les liens se transforment, les attentes à l’égard del’État et des politiques publiques, le décalage entrele monde politique et les envies de politique descitoyens.

L’intégration sociale : une dynamiqueplus qu’un concept défini a priori

Définir, cerner l’intégration sociale est par naturedifficile. Elle est un processus qui inclut demultiples dimensions : facteurs socio-économiques(emploi, logement, accès à l’ensemble des droits),éléments psychologiques, choix individuels... Àchaque personne son histoire, son parcoursd’intégration, ses échecs et ses réussites sociales.Comment hiérarchiser, pondérer l’importance deces différents facteurs ? S’y ajoute la nécessitéd’articuler ces facteurs dans une dynamique, etdonc de prendre en compte la durée. L’intégrationprend du temps, les dynamiques sociales semesurent sur le moyen et le long terme. Ellespeuvent aussi s’inverser. Quel avenir pour lesenfants de familles pauvres ? Comment comparerles dynamiques d’intégration des immigrés arrivésdans les années 1960 et celles à l’œuvreaujourd’hui ?

L’intégration est particulièrement difficile à cernerdans une société travaillée par l’individualisationdes parcours, la crise des grandes institutionsintégratrices (école, église, monde politique,entreprises) et la perte des repères de l’identiténationale. L’intégration est touchée, transforméepar les mutations du lien social : vitalité familiale,mais fragilité du lien conjugal, revendication desindividus à être reconnus dans des dimensions etdes identités multiples, scepticisme et éman-cipation progressive à l’égard de l’État et du mondepolitique. Comment une société d’individus envisa-ge-t-elle l’intégration ? Comment adapter lespolitiques publiques à l’évolution des lienssociaux ?

Les difficultés tiennent aussi à l’histoire de la sociétéfrançaise. Les valeurs sur lesquelles celle-ci se fonde(égalité des chances, méritocratie républicaine, rôle

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essentiel de l’État pour assurer le respect de cesprincipes), les mythes sur lesquels elle fonctionne,ont rendu plus ardue une démarche objective en cedomaine. Aller au-delà des grands principes, pourexplorer les réalités du fonctionnement social,implique de surmonter certains tabous. Il est ainsisignificatif que le Haut Conseil à l’intégration (HCI)créé en 1989 n’ait pas réussi à mettre au point desindicateurs de l’intégration. Au début des années1990, les débats sur ce sujet n’ont pas permis dedégager un accord sur la conception de l’intégrationqui aurait pu permettre d’élaborer ces indicateurs.Depuis, les données chiffrées produites par le HCIsont exclusivement relatives à l’immigration. Sanssous-estimer la sensibilité de cette question, cerenoncement doit être souligné. Pourrait-il êtresurmonté aujourd’hui ? Comment les statistiquespubliques peuvent-elles éclairer ce débat ? Est-ilpossible d’établir des indicateurs de l’intégration à lalégitimité incontestable?

En écho à ces difficultés, l’utilisation du terme«intégration» dans le débat public mérite d’êtreanalysée. L’intégration y désigne le processus parlequel des immigrés s’insèrent progressivement dansla société française (contrat d’intégration proposéaux immigrés primo arrivants par l’Office desmigrations internationales) mais se réfère égalementaux difficultés d’insertion de populations majori-tairement françaises, parfois présentes en Francedepuis plusieurs générations. Évoquer les politiquesd’intégration c’est faire référence à la politique de laville qui inclut l’éducation, la présence des servicespublics, les aides aux associations et la créationd’emplois dans des quartiers difficiles. Dans sonusage courant, le terme intégration brouille ainsi lesrepères et renvoie à des situations sociales etindividuelles peu comparables : insertion desimmigrés primo arrivants, lutte contre les ghettosurbains et la ségrégation sociale, égalité des chancesentre tous les individus. Pourra-t-on un jour clarifierle sens du mot intégration ? Est-ce mêmesouhaitable ? Ne faut-il pas d’abord retenir, – ce quechacun fait intuitivement –, le lien entre intégrationet mobilité sociale ? La diversité des significations dece terme ne reflète-t-elle pas, in fine, la complexitédes dynamiques sociales ?

C’est cette dernière hypothèse que privilégie Sigma.L’intégration sociale est une notion ambiguë,imparfaite, qui se prête à bien des interprétations.Mais sa plasticité même permet de rendre comptedes contradictions de la dynamique sociale actuelle.Contradictions d’une période où les individusaspirent à l’émancipation, mais aussi à davantage deprotection, où le rejet du contrôle de l’État le disputeau souci qu’il garantisse les solidarités, où laconscience que la nation dépérit face à l’Europe etau monde se conjugue à l’attachement, à lamémoire et à l’histoire des siens.

Lien social, politiques publiques,stratégie d’État

On assiste à un bouleversement des rapports entreindividus, groupes et société. Il ne s’agit pas d’unrepli sur soi ou d’une explosion des indivi-dualismes. C’est plutôt une transformation profondeet durable des différentes formes de liens sociauxqui se produit, qu’il s’agisse des liens civiques, desliens familiaux ou des liens amicaux. S’y ajoute ledéveloppement inédit d’aspirations identitairesmultiples (culture, sexualité, religion) qui concerneles individus comme les groupes.

La société française se découvre hétérogène,contradictoire, tout à la fois soucieuse d’égalité desdroits et de diversité des revendications et desidentités. Cette mutation affecte directement laconception de l’État et ses modalités d’intervention.Symboliquement en France, l’État était garant del’intérêt général et de l’égalité pour tous. La figure del’État était omniprésente, interventionniste, lointaineet secrète. La relation aux citoyens paternaliste estabstraite. À l’évidence, ces fonctionnements sont endécalage avec les évolutions sociales. Le décalageapparaît d’autant plus fort que l’État peine à garantirl’égalité des droits dans une situation où le chômagede masse fait partie du paysage national depuis 25ans, où les inégalités scolaires sont connues de touset le système de santé en crise.

Pour autant les Français ne mettent pas en cause lerôle de l’État pour assurer la cohésion sociale. Aucontraire, ils estiment que plus de liberté privéesuppose davantage de règles de vie collective, ou aumoins un meilleur respect de ces règles. Ils aspirentà davantage de respect de l’autorité et des règlescollectives et souhaitent donc que l’État joue un rôleplus actif. Les études disponibles montrent ainsi quel’opinion selon laquelle un respect plus important del’autorité est nécessaire est en progression (de 60 %,en 1981, à 69 % en 1999) ou que la confiancequ’ont les jeunes envers la police ou l’armée estbeaucoup plus élevée en 1999 qu’en 1981. Enmatière de justice, si l’importance de la préventionest reconnue, nombreux sont ceux qui regrettentl’insuffisance des sanctions ou de leur application. Etce d’autant plus que le phénomène de judicia-risation de la société est une tendance de fond ;l’État sera de plus en plus sollicité pour trouver desformes de médiation des conflits. En matièreéconomique, la même demande s’exprime sur lessujets liés au comportement des entreprises et à lamondialisation (délocalisations). On voit bien quel’État est investi d’un nouveau rôle de régulateursocial, mais qu’aux yeux des citoyens il ne l’assureaujourd’hui qu’imparfaitement

Le besoin d’État est également accru par lapersistance et le développement des insécurités

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sociales (chômage, précarité, etc.). Certainsmouvements de contestation à l’égard du gou-vernement (intermittents, enseignants..) traduisentcette angoisse de précarisation et la demande d’Étatqui l’accompagne. Qu’on souscrive ou non à cesrevendications, l’État est bien interpellé pourdénoncer son impuissance et ses renoncements auxfonctions de solidarité. À la demande de normes, sejuxtapose une demande de garanties sociales àtravers les politiques publiques. Quel périmètred’intervention publique, quelle organisation, quellearticulation entre l’État et les autres acteurs publicset privés dans des domaines aussi essentiels quel’éducation, la santé, la protection sociale ?Comment déterminer des orientations qui ne soientpas d’abord dictées par des impératifs budgétaires ?

Enfin, ce sont les modalités mêmes de l’interventionde l’État qui sont aujourd’hui en question. Qu’ils’agisse de la politique de la ville, dufonctionnement de l’école publique ou duversement des prestations sociales, chacun pressentque la complexité des dispositifs, le maintiend’organisations trop hiérarchiques et centralisées,l’absence d’évaluations crédibles, fragilisent lesdispositifs publics. La demande des usagers àl’égard des dispositifs publics est double : untraitement plus personnalisé, qui permette la priseen compte des situations sociales difficiles, et unemeilleure transparence dans les fonctionnements.Comment faire pour que les modes de réflexion, lesprocessus d’action et les prestations offertes par lesacteurs publics correspondent au mieux auxattentes sociales et aux besoins de la collectivité ?

Les mutations de la société française induisent ainsiune prospective de l’État qui porte sur le projet decohésion sociale qu’il incarne, sur l’articulationentre ses fonctions de régulation et d’intervention etenfin sur les modalités de son action.

Envie de politique,aspirations à l’engagementet crise de la représentation

Le champ politique est touché comme l’ensembledes champs sociaux par l’individualisation descomportements. Ce phénomène se manifeste par lamontée de l’abstention et l’érosion des fidélitéspolitiques. 38 % des électeurs inscrits n’ont pasvoté aux élections régionales de mars 2004 ; surune période de trois élections 68 % des électeursinterrogés ont connu une mobilité, dont 12 %auront franchi la frontière entre la gauche et ladroite. Il ne s’agit pas pour autant d’un rejet de lapolitique. Selon le rapport 2004 de la Sofres surl’État de l’opinion, 59 % des Français estiment quela politique est une activité honorable ou trèshonorable. Ceux-ci assignent à la politique quatrefonctions majeures, très fortement liées à la

thématique de l’intégration sociale : a) le maintiende la cohésion nationale, 2) le débat et l’expressiondémocratique, 3) la fixation d’un cap pour lacommunauté nationale, 4) la redistribution desrichesses.

Mais cette persistance de l’estime des citoyens pourl’activité politique ne va pas sans une autono-misation croissante des comportements, un «votepar intermittences». Le vote devient moins régulier,ce sont des personnes différentes qui s’abstiennentselon les élections. On choisit de participer auxscrutins dont on mesure clairement les enjeux.

Or pour les citoyens, les enjeux de la vie politiqueapparaissent fortement liés au souhait d’unrééquilibrage entre le volontarisme politique et lesréalités économiques. En 1995 (élection prési-dentielle de Jacques Chirac) comme en 1997(victoire de la gauche aux élections législatives), lesort des élections s’est joué autour de programmesprivilégiant la volonté de combattre les inégalitéssociales. Mais la société française apparaîtaujourd’hui désenchantée sur la capacité despolitiques à assumer ce volontarisme lorsqu’ils sontau pouvoir. Ce désenchantement nourrit lesentiment d’éloignement qu’elle éprouve à l’égardde ses représentants politiques et le développementdu vote protestataire (enracinement de l’extrêmedroite, montée de l’extrême gauche dans certainesélections). Les réflexions et les mesures destinées àrapprocher la représentation politique de la sociétéréelle (parité, représentation des français d’origineétrangère sur les listes présentées par les partispolitiques) ont jusqu’à présent échoué. Mais n’est-ce pas qu’il conviendrait de se pencher de nouveausur l’épineuse question du cumul des mandats,particulièrement du cumul dans le temps quiconduit à une véritable professionnalisation de lavie politique ?

De plus en plus lointaine, la relation entre lesFrançais et le monde politique ne permet plus desatisfaire le besoin d’engagement des citoyens quireste vif. Autant les partis politiques et les syndicatssemblent en mesure d’assurer une relation correcte àl’État, autant leur attractivité à l’égard des individusest déclinante. Ce constat est particulièrement vraipour les jeunes et les seniors actifs, deux catégoriesrelativement plus disponibles concernant desdémarches d’engagement. Soucieux d’efficacité etd’une implication personnelle rapide, ils ne sont plusprêts à accepter de passer sous les fourches caudinesdu militantisme ordinaire (disponibilité permanente,responsabilités à l’ancienneté, respect des traditionsde l’institution). Ces nouveaux militants sont prêts às’impliquer fortement. Mais si l’efficacité n’est pas aurendez-vous ils iront servir ailleurs, une autre causequi peut n’avoir que peu de relations avec laprécédente. Le succès du réseau Animafac,nébuleuse de 12000 associations étudiantes, – qui

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regroupe aussi bien les jeunes musulmans de Franceque la compagnie des goûteurs de vins –, née àpartir du constat d’une certaine déshérence dusyndicalisme étudiant traditionnel est un bonexemple de cette évolution. Celle-ci nourrit plusieursinterrogations : comment rapprocher les structuresmilitantes traditionnelles des aspirations descitoyens ? Comment équilibrer dans des démarchesplus individuelles les aspirations personnelles et lesbesoins collectifs ? Quel lien existe-t-il entre lasuccession des engagements, la structuration et lapermanence des convictions ?

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SYNAPSE

Prospective de l’industrie aéronautiqueet aérospatiale française dans un cadre européen

et de la stratégie aéronautique de l’Europe au niveau mondial

L’avenir des industries aéronautiques en France : une approche systémique

L’aéronautique est un secteur d’activité qui faitl’objet d’une attention particulière depuis quelquesannées. Des analyses américaines, de la Com-munauté européenne et de certains de ses paysmembres sont menées parallèlement, tantôtréservées aux spécialistes, tantôt destinées à unplus large public. En France, plusieurs instancespubliques (Sénat, Assemblée nationale, Conseiléconomique et social), ainsi que les autoritésmilitaires, ont conduit des réflexions sur des thèmesde l’aéronautique, de l’aérospatial, des télécom-munications spatiales ou encore de la coopérationeuropéenne dans ces domaines.

De son côté, la presse se fait régulièrement l’échodes commandes des compagnies aériennes, enparticulier du match Boeing/Airbus, des inflexionsrecherchées à travers les programmes d’équipe-ments des lois de programmation militaire ou destentatives de coordination des besoins européensdans les domaines militaire ou spatial.

Des interactions complexes

Cet apparent foisonnement pourrait suggérer quel’analyse de ce secteur a atteint une maturité suffi-sante. Toutefois, la complexité du sujet conduitsouvent à des approches parcellaires, au détrimentde la cohérence d’ensemble du secteur. Derrièreles succès apparents d’Airbus, d’Ariane ou lesrécentes avancées sur la collaboration européennedans le domaine des satellites (programme Galiléo),de nombreuses interrogations demeurent sur lacompétitivité future de l’industrie française eteuropéenne. D’une part, celle-ci devra surmonterles défis industriels et commerciaux spécifiques ausecteur. D’autre part, des facteurs apparemmentéloignés de cette activité influencent largement sonavenir. Il en est ainsi en particulier :

• des évolutions du contexte géopolitiquedepuis septembre 2001, avec le regaind’intérêt des autorités américaines pour lapolitique de défense ;

• de la maîtrise de la sécurité dans lestransports aériens, de la fiabilité techno-logique à la protection des personnes ;

• du rôle de la démographie dans l’évolutiondu trafic aérien, qu’elle soit globale ou parsegment (business, économique, charters) ;

• des contraintes environnementales (pollutionatmosphérique et sonore) sur l’organisation dutransport aérien au sol et en altitude ;

• de la politique nationale de recherche et deson financement, y compris dans le cadreeuropéen ;

• de la qualité de la formation dans lesdisciplines scientifiques et du nombred’étudiants s’orientant vers ces filières ;

• de la poursuite de la décentralisation et sesconséquences sur la localisation des pôles decompétitivité technologique.

Les multiples interactions entre ces diversescontraintes limitent la pertinence des analysesponctuelles. Celles-ci doivent intégrer explicite-ment le rôle de l’État à différents niveaux ets’inscrire dans une logique de long terme.

Le rôle central des États à long terme

Dans un contexte sectoriel très largement interna-tionalisé, de puissants rapports de force s’exercententre acteurs privés et publics. La demande émanede compagnies aériennes, souvent membres d’unréseau couvrant le monde entier, d’agencesspatiales internationales ou des États. L’offre estcaractérisée par la domination de Boeing etd’Airbus dans le domaine des transporteurs civilslongs courriers, par celle des États-Unis dansl’exportation de matériel militaire et par les optionsstratégiques des quelques puissances spatiales.

Certes, l’autonomie des constructeurs civils n’estpas négligeable dans leurs stratégies de long terme.Ainsi, les choix divergents d’Airbus, avec l’A380, etde Boeing, avec le Sonic Cruiser puis le 7E7,reflètent différentes perceptions de l’avenir dutransport aérien. Mais, plus fondamentalement, lastructure de ce secteur est largement dépendante

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des actions engagées par les pouvoirs publics ets’inscrit dans une perspective de long terme.

D’une part, le rôle des États, en tant qu’investisseur,financier, client ou régulateur, est essentiel :

• dans le domaine militaire, à travers lesbudgets de recherche et développement(R & D), les programmes d’équipements, lessubventions à la production, le contrôle de lapropriété intellectuelle et du capital social decertaines entreprises ;

• dans les industries civiles, les interventionsconcernent en particulier le préfinancementde la production (système des aides rembour-sables fréquemment accordées au maîtred’œuvre) et la réglementation aérienne ;

• dans les activités spatiales, l’État est à la foisinvestisseur initial, qu’il s’agisse des nouvellespuissances spatiales (Chine, Japon, Ukraine,Brésil), comme des plus anciennes (États-Unis,Russie ou Europe), et aussi le principal client.

D’autre part, l’ensemble de cette industrie est uneactivité du temps très long et qui nécessite desmoyens financiers démesurés. Chaque cycle de laproduction aéronautique peut s’étendre sur une oudeux décennies, voire davantage pour le militaire.Toute réflexion sur la structure de l’offre industrielleet sa localisation est donc nécessairement pros-pective.

Par ailleurs, les coûts d’investissement sont les plusélevés de tous les secteurs industriels (selon AirbusIndustries, les investissements pour l’A380 serontamortis à partir de 250 livraisons). Du point de vuedu financement et de la dimension géopolitique dusecteur, ces éléments justifient les tentatives decoordination ou de coopération avec des parte-naires européens ou internationaux.

Les interrogations européennes…

La capacité industrielle future des compétiteursaéronautiques s’appuiera sur deux éléments clés.D’une part, elle dépendra de la qualité et del’efficacité de la R & D. La qualité renvoie à lamaîtrise de la fabrication et de l’intégration desdifférentes technologies utilisées (logiciels deconception, avionique, systèmes de systèmes).L’efficacité concerne, en amont, la coopérationentre recherches publiques et privées et, en aval,l’aptitude à transférer des applications entredomaines civils et militaires. D’autre part, lacapacité industrielle future interagit avec le systèmede formation (ingénieurs, pilotes, techniciens ausol). Il s’agit d’assurer le triple équilibre entrebesoins de l’industrie, offres et demandes de

formations, ainsi que d’assurer la gestion et lemaintien des compétences existantes.

Dans le cas de la France, si ses atouts sontreconnus (recherche fondamentale, potentielhumain, compétitivité de l’aéronautique civile), sapolitique industrielle dans l’ensemble du secteurn’offre pas un degré de cohérence comparable àcelui des États-Unis. En particulier, dans ledomaine militaire, l’effort public apparaît tropdispersé et l’acquisition de matériels peuprogrammée. Ceci n’incite pas à une rationalisationsuffisante des fournisseurs, ni à la consolidation dusecteur, ce qui limite en retour l’efficacité des fondspublics ou la compétitivité à l’exportation.

L’Europe, quant à elle, émerge comme un acteur dedimension mondiale dans l’aéronautique et lespatial civils. Ses réussites commerciales résultentde politiques volontaristes passées : système d’aidesremboursables, rapprochements capitalistiquesd’entreprises de nationalités différentes, implicationdirecte dans la production industrielle (cas del’Agence spatiale européenne, ESA). Toutefois, lesindustriels européens restent fragilisés.

En premier lieu, leur rentabilité est fortementexposée aux taux de change et à l’existence dusystème de financement des activités civiles. D’unepart, les industriels européens supportent des coûtsen euros, alors que les prix de vente sur le marchémondial sont fixés en dollars. Une appréciationexcessive de l’euro par rapport au dollar laminedonc leurs marges. D’autre part, les aidesremboursables atténuent la charge financière del’investissement initial en R & D avant lacommercialisation effective. Or, ce système depréfinancement est régulièrement critiqué par lesÉtats-Unis, au nom d’une incompatibilité avec lesrègles de l’OMC.

En second lieu, la divergence persistante entre pro-grammes intergouvernementaux et communau-taires traduit l’absence d’une perception communesur le degré de priorité de cette industrie. Ceci semanifeste en particulier en amont, où descontraintes institutionnelles conduisent à unedissociation, à la fois forte et artificielle, entrebudgets civils et militaires de R & D. Cedécouplage pourrait se renforcer après l’élargis-sement de l’Union.

En dernier lieu, l’Europe reste un acteur de secondrang dans l’aéronautique et le spatial militaires.Tout d’abord, le marché européen est sous-dimensionné et insuffisamment stable, en raison dela faiblesse des budgets nationaux de défense, et deleur fragilité face aux contraintes budgétaires decourt terme. Ensuite, ce marché reste fragmenté parles rivalités nationales (application du principe dejuste retour) et la forte présence institutionnelle des

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États-Unis (standards OTAN). Cette faiblecoordination entrave la rationalisation intra-européenne de l’industrie et ralentit le lancementeffectif des programmes européens (avion detransport A400M, missile Meteor).

…face à la puissance des États-Unis

En comparaison, les autorités américaines entre-tiennent une forte synergie entre ambition politiqueet stratégie industrielle. Ceci résulte tant de raisonsculturelles (esprit pionnier, représentation de leurplace dans le monde) que géostratégiques (volontéde domination par les technologies sensibles). Surle marché intérieur, l’effort est multiforme :

• la R & D bénéficie d’un soutien massif duDépartement de la Défense et de la NASA,mais aussi des autres départements (santé,sécurité informatique…) ;

• dans le militaire, les commandes d’arme-ment ont fortement crû en 2002, jusqu’àatteindre plus du double de celles desQuinze réunis, pour l’essentiel destinées àl’industrie nationale ;

• dans le spatial, le gouvernement fédéralprend en charge les infrastructures (KennedySpace Center) et assure d’importantes com-mandes (près de la moitié de l’activitéspatiale nationale émane du Pentagone et dela NASA) ;

• les industriels bénéficient de fortesincitations à effectuer des transferts techno-logiques de projets militaires vers desapplications civiles (cas du B707 à partir duB52, du GPS civil).

Au niveau international, la stratégie américaine vis-à-vis de la cohésion du système industriel européenest devenue plus offensive. Tout d’abord, lesnouveaux programmes militaires américains (typeJSF) intègrent des industriels et commanditaireseuropéens mais sans contrepartie technologiquenotable. Ceci diminue d’autant la capacitéfinancière de ces derniers à développer desprogrammes autonomes.

Ensuite, plusieurs propositions sans suite de coopé-ration ralentissent la mise en œuvre des programmeseuropéens (Boeing avec l’A310 puis l’A380). Parailleurs, de nouvelles relations capitalistiques ouassociations avec des firmes européennes ouvrentl’accès aux projets européens les plus performants(Fiat-Avio pour Arianespace).

Enfin, les États-Unis exercent un contrôle relatif surles exportations des pays tiers (France, Royaume-

Uni…), à travers celui des technologies sensiblesaméricaines incorporées.

Globalement, la recomposition des rapports deforces au niveau mondial est la conséquence dessynergies entretenues aux États-Unis, mais aussi dela montée en puissance de nouveaux compétiteurs(Chine, Inde, Russie, voire Brésil ou Israël). Si cetteredistribution porte en germe de nouvellesopportunités de coopération, elle induit aussi unrisque certain de décrochage pour l’industrieeuropéenne à un horizon de quinze à vingt ans.

L’approche de Synapse :une analyse systémique

Les éléments évoqués précédemment soulignent quel’éclairage à long terme des politiques publiques nepeut se satisfaire d’une simple analyse descriptive etparcellaire de l’activité aéronautique. Au contraire,la cohérence d’ensemble d’une stratégie nationalepasse par une analyse globale, avec la prise encompte des différents niveaux d’imbrication etd’articulation du secteur. Trois grands sous-systèmes,dotés d’une logique interne spécifique, peuvent êtredistingués : la dynamique industrielle, les optionsgéostratégiques et l’économie du transport aérien.

• La dynamique industrielle soulève un problèmede définition des frontières exactes du secteur lié àl’identification des effets d’induits. Des éléments deconsensus existent sur la cohérence industrielle etfinancière d’ensemble. Ainsi, la majorité destechnologies de pointe sont développées ouexploitées par l’aéronautique, notamment à traversla «dualité civil/militaire» (entre l’aéronautiquecivile et militaire et avec les autres secteurs). Entant que secteur client, il motive les dépenses deR & D de ses fournisseurs ; en tant que secteurinnovant, il irrigue l’industrie de technologiesnovatrices.

Inversement, des divergences apparaissent sur laportée sectorielle et temporelle des effets induits. Lecœur du secteur comprend les intégrateurs (Thalès,EADS, BAe…), les sous-traitants directs (secteurs dela métallurgie, de l’informatique, de l’électroniqueembarquée et des systèmes de guidage) et lesindustries connexes (lanceurs, missiles, satellites,télécommunications). Mais certaines frontièresrestent à préciser, en amont (retombées de la R &D), en aval (activités de commercialisation et demaintenance) et entre entreprises (portée desaccords de production, des co-entreprises, descoopérations à l’exportation, des prises de parti-cipations croisées).

• Le second sous-système s’inscrit dans le contextegéopolitique. Le rôle stratégique dévolu à cette

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industrie découle d’une relation de cause à effet,fréquemment admise, entre indépendance techno-logique et politique. À ce titre, le secteuraéronautique est un pilier des politiques de défenseet de sécurité des États européens, en particulierdepuis septembre 2001. Cependant, la nouvelledonne des menaces, de la diffusion destechnologies et des conflits internationaux peutremettre en cause la pertinence de cette volontéd’indépendance. Faut-il intégrer un système desécurité globale, au prix d’un relatif suivisme parrapport aux États-Unis, ou poursuivre des objectifsautonomes, malgré une précarité budgétaire et aurisque d’un découplage transatlantique ?

• Enfin, le dernier sous-système se rapporte à unedouble évolution du transport aérien et à lacapacité financière qu’il assure aux constructeursprivés. D’une part, la consolidation mondiale destransporteurs traditionnels (Air France/KLM),l’apparition d’une nouvelle concurrence (compa-gnies low-cost) et les impératifs technologiquesissus des hubs modifient le rapport de forces entreconstructeurs et transporteurs. D’autre part, denouvelles contraintes environnementales appa-raissent, relatives à l’utilisation des ressources rareset à l’organisation du trafic (couloirs aériens,aménagements aéroportuaires, dépôts et appro-visionnements en carburant, Air Traffic Control,intermodalité).

Ces sous-systèmes interagissent à différentsniveaux. Par exemple, la pression des contraintesissues du transport aérien peut valider un processusd’innovation progressif ou, au contraire, être àl’origine de ruptures technologiques qui rendentobsolètes les stratégies passées. Or, toutedégradation de la rentabilité de l’activité civilediminue d’autant la capacité des industriels àsatisfaire les contraintes des budgets militaires. Lestransformations propres à chacun des sous-systèmes et leurs interactions structurent doncl’avenir du secteur aéronautique.

Une lecture à double entrée

La grille d’analyse proposée par Synapse est àdouble entrée. La première dimension recouvre lesdifférents domaines d’interventions potentielles del’État : politique scientifique et technologique,politique de production et d’achats, cadre législatif.La seconde dimension est relative au caractèretriplement dual de l’activité : dualités public/privé,civil/militaire et national/européen. Le croisementde ces deux dimensions permet d’articuler«synergies aéronautiques et politique spatialeeuropéennes». L’efficacité des interventions de

l’État, déterminante pour l’avenir des industriesaéronautiques, apparaît en effet étroitement liée àla prise en compte de cette triple dualité.

Tout d’abord, la politique scientifique et techno-logique peut s’appuyer sur la coopération desindustries civiles et militaires. Même si les horizonstemporels et les contraintes diffèrent, les thèmes detravail sont souvent connexes, voire similaires. Enparticulier, la dualité «civil/militaire» est d’autantplus forte qu’il s’agit de recherche fondamentale enamont. Ceci suggère une mise en commun desressources et infrastructures technologiques, maisaussi des compétences humaines. Le rôle desréseaux reliant la formation, le Centre national dela recherche scientifique (CNRS), les laboratoiresuniversitaires et l’Office national d’études et derecherches aérospatiales (ONERA) est ici essentiel.Ces réseaux peuvent d’ailleurs être étendus auniveau international, éventuellement dans un cadreprécis (programme-cadre de la Communautéeuropéenne pour des actions communes derecherche, de développement technologique et dedémonstration (PCRD), programmes intergouver-nementaux).

Ensuite, la politique de production et d’achatsconcerne tous les segments du secteur (espace,aéronautique civile et militaire) et constitue lecadre principal des rapports de forces et del’activité. D’une part, la concurrence entre États semanifeste sur les marchés domestiques et àl’exportation. L’enjeu est d’atteindre un niveau deproduction qui permette de bénéficier d’unabaissement des coûts unitaires (effet série), maisaussi de préserver les compétences par un volumesuffisant d’activité. Les tentatives de regroupementd’achats (Agence européenne d’armement,alliances des compagnies aériennes) ou la rivalitéentre les systèmes de préfinancement procèdent decette logique. D’autre part, l’activité industrielle setraduit par la localisation des sites de production,les emplois, la densité du tissu de PME sous-traitantes et le rôle de l’État dans les accords entreindustriels.

Enfin, le cadre législatif est le domaine le moinsvisible des interventions des États. Au niveaunational, les États favorisent l’initiative industrielle,soit par des pratiques incitatives (aides àl’implantation via la prime à l’aménagement duterritoire (PAT), la coopération ou la constitution deréseaux), soit en tant qu’acteur actif (normes). Auniveau international, il s’agit d’assurer lacompatibilité entre les politiques industriellesnationales, les règles de concurrence (OMC) et lesréglementations internationales (OTAN, Agenceinternationale du transport aérien…).

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SYNAPSE

Prospective de l’industrie aéronautiqueet aérospatiale française dans un cadre européen

et de la stratégie aéronautique de l’Europe au niveau mondial

Les budgets militaires de recherche aéronautique et spatiale

Les budgets militaires financent directement lesindustries aéronautiques et spatiales nationales, àtravers des programmes spécifiques. Ces industriesfont appel à une large variété de technologies, dontdeux caractéristiques communes sont une forteintensité en R & D et leur usage dual. Dès lors, lesbudgets militaires de R & D pourraient s’avéreressentiels au maintien de la compétitivité desindustries civiles. Ce document traite des politiquesen ce domaine de l’Europe, en particulier de laFrance, et des États-Unis. Il s’agit ici de s’interrogersur les technologies concernées, la portée de ladualité et de comparer la qualité, le rôle etl’engagement financier des différents acteurs. Lecadre géopolitique de leurs motivations et leurdémarche prospective seront traités ultérieurement.

Un champ technologique multi-sectoriel

Les nombreuses technologies concernées par lesindustries aéronautiques et spatiales suivent desmodèles économiques apparemment différents.L’industrie spatiale développe des technologiesspécifiques, adaptées aux contraintes de vols horsatmosphère de longue durée, et produites en trèspetite quantité. À l’inverse, l’industrie aéronautiqueproduit des séries plus longues et utilise destechnologies tant spécifiques que provenant d’autressecteurs.

Toutefois, deux éléments favorisent l’intégration dela R & D de ces deux industries au sein de mêmesentreprises. D’une part, certaines compétences sonttransférables d’un secteur à l’autre, même si cetransfert s’exercerait plus facilement du spatial versl’aéronautique. D’autre part, un certain continuumen termes de politique étrangère et de sécuritésemble se dégager entre les secteurs aériens etspatiaux. Cette conception, largement partagée parl’ensemble des acteurs aux États-Unis, paraît parcontre moins affirmée dans la position française.

L’aéronautique et l’espace constituent, considérésensemble, un débouché moteur pour plusieurstechnologies. En 2003, l’OCDE considérait ainsi quele seul secteur de l’espace commercial faisaitprogresser trois catégories de sciences et techno-logies : capacitantes (laser, robotique, nanotechno-

logies), spatiales (communication, propulsion) etconcurrentielles (fibre optique, communicationscellulaires, observation aérienne).

Par ailleurs, les systèmes aéronautiques et spatiauxrecourent partiellement à la R & D d’autressecteurs. C’est, par exemple, le cas de la filièrenucléaire, dont certains développements pourraientconcerner la potentielle propulsion atomique desengins spatiaux futurs. Il en est de même pour lessciences du vivant, comme l’étude des animauxvolants pour la modélisation industrielle par laDARPA aux États-Unis ou l’Office national d’étudeset de recherches aérospatiales (ONERA) en France.

L’ambivalence de la dualité civil/militaire

La dualité technologique civil/militaire s’entend toutd’abord comme l’utilisation de technologiescommunes, qu’elles soient issues d’autres secteursou développées pour l’aéronautique. Elle repose surles capacités de transfert au sein des entreprises,notamment les petites et moyennes, entre activitésciviles et militaires. Ses modalités en sont la mise encommun des équipes, des laboratoires de R & D, descomposants incorporés et de certains outils deconception ou de production. La dualité semble apriori totale dans les activités spatiales, qu’il s’agissedes lanceurs, des plates-formes de satellites, voire deleurs charges utiles (météorologie, observation,océanographie, télécommunications). Seules lestechnologies de «durcissement» (résistance aubrouillage/destruction nucléaire, électromagnétiqueet hyperfréquence) seraient spécifiques au militaire.

Une approche plus fine s’intéresse en particulier ausens du transfert technologique entre les domainesmilitaires et civils. C’est à ce niveau que lesdifficultés de chiffrage apparaissent, comme lerelevaient certains documents du Conseil généralde l’armement publiés en 2002. Le progrèstechnique apparaît non univoque et, de plus, desens fluctuant dans le temps.

La première raison est que le progrès technique neporte pas sur les mêmes caractéristiques. Parexemple, les technologies céramiques des compo-sants de réacteurs soumis aux hautes températures

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(les «parties chaudes») sont d’abord perfectionnéesdans le domaine de la défense, avant de se diffuserau civil. Ceci résulte des conditions extrêmesd’utilisation des matériels militaires. Inversement, lesprogrès en matière de nuisance sonore et deconsommation répondent d’abord aux contraintesde l’aéronautique civile.

La seconde raison est la possible inversion dans letemps du sens du transfert technologique. Ainsi, lespremiers microprocesseurs ont été développés dansles années 1960 pour les besoins exclusifs desarmées américaines (missiles intercontinentauxMinuteman). Par la suite, le marché militaire pources composants est devenu infinitésimal par rapportà celui du grand public. Cet effet volume s’esttraduit par une inversion des dépenses relatives deR & D. De plus, un composant utilisé pour desapplications militaires aura, en temps de paix, unedurée de vie plus longue que ce même composantutilisé dans le civil. Le progrès technique descomposants incorporés dans le matériel militairesuit donc une évolution plus séquentielle.

En définitive, il apparaît peu aisé de chiffrer ladualité du transfert technologique. Certaines étudesconduites dans un contexte européen avancent que60 % de la R & D appliquée, financée par ladéfense, profiteraient au secteur civil, alors que cetaux de transfert tomberait à 20 % en sens inverse.Cependant, une première certitude est la tendanceà l’intégration des technologies civiles et militaires,notamment à travers le recours à des composantsbanalisés. Ceci s’explique pour des raisons de coûtet de maturité technologique de certains élémentsincorporés. La seconde certitude est le rôled’amortisseur financier joué par la R & D militairequi participe au pré-financement de technologies,dont certaines seront développées ultérieurementdans le civil.

Les technologies militaires«voyagent» mal

Parmi les grandes puissances, la France et les États-Unis restreignent la diffusion des technologiessensibles par des mécanismes explicites de rétentionindustrielle aux seules activités militaires et delimitation des exportations. En France, les décisionsd’exporter sont sous contrôle du Premier Ministre,avec l’appui du Secrétariat général de la défensenationale (SGDN) et de la Commission inter-ministérielle pour l’étude des exportations desmatériels de guerre. De son côté, le ministère de laDéfense informe le Parlement des relations d’arme-ment de la France avec ses pays clients. De même,aux États-Unis, le contrôle des exportations detechnologies critiques est exercé au sein duDépartement de la Défense (DoD) par la Defense

Threat Reduction Agency et son programme MilitaryCritical Technologies Program.

Ces restrictions à l’exportation peuvent êtreappliquées au détriment de la rentabilité desfirmes. Aux États-Unis, le contrôle des expor-tations soulève par exemple l’hostilité del’industrie des satellites. De même, les firmeseuropéennes peinent à transférer des technologiesde pays à pays, même au sein de l’Europe. Thalesse qualifie ainsi d’entreprise multi-domestique. Lasituation la plus inconfortable est celle oùl’impossibilité d’exporter répond à des exigences,non pas des autorités nationales, mais de celles del’étranger. Il en est ainsi des matériels militairesqui intègrent des technologies étrangères (souventaméricaines), dont l’exportation est contrôlée parla nation d’origine. Or, les exportations militaires(principalement des aéronefs dans le cas français),même à base de technologies étrangères, sont trèsrémunératrices.

Deux modèles économiques à l’exportationémergent donc, en relation avec les systèmes definancement de la R & D militaire :

– en l’absence de contrainte domestique sur lefinancement de la R & D en amont (largemarché intérieur ou crédits de R & D militairesconséquents), le contrôle des exportationsrépond d’abord à une logique stratégique, sansconséquence sur la capacité technologiquenationale. Les exportations peuvent alors êtrerestreintes à l’avant-dernière génération, touten assurant une grande marge de négociationdes prix (typiquement, situation américaine et,dans une moindre mesure, russe) ;

– à l’opposé, si la R & D domestique est contraintepar son volume ou son utilisation (financementdual), les exportations deviennent vitales pourpallier la faiblesse du financement public enamont. Les firmes sont alors dans l’obligationd’exporter les matériels les plus perfectionnés,au détriment de la limitation des exportations detechnologies sensibles et de la maîtrise de leuravance technologique. De plus, ces firmesperdent toute capacité de négociation sur lesprix. Au final, leurs exportations se cantonnent àdes niches de marchés (situations française,britannique ou israélienne), volontairementdélaissées par les firmes non contraintes.

Les firmes répondant au second schéma risquent des’engager dans un processus cumulatif de perte decompétitivité à l’exportation et, donc, de tarir lefinancement de leur R & D interne. Ce risque estaccentué par la baisse simultanée des marchéstraditionnels à l’exportation. Dans le cas français,cette baisse concerne le Moyen-Orient et les payseuropéens parties prenantes du programme

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américain Joint Strike Fighter. La séquence «baissedes exportations militaires – baisse de la R & Dmilitaire interne – baisse de la R & D duale» peutdonc conduire, à terme, l’industrie aéronautiquecivile française à une perte de compétitivité. Àl’inverse, les États-Unis, restés dans une logiqueR & D militaire – prototype – programme militaire –dérivé civil» assurent le maintien de la R & Dcivile.

Réduire la dépendanceen systèmes critiques

La France et les États-Unis conduisent despolitiques «d’indépendance nationale», qui setraduisent par la volonté de couvrirunilatéralement le champ technologique le pluslarge possible. Plus généralement, tous les Étatspréfèrent acheter des matériels aéronautiquesmilitaires produits sur leur territoire. Dans lescoopérations internationales, la «règle» du justeretour est aussi appliquée. Celle-ci consiste àattribuer à chaque partenaire un volume de chiffred’affaires proportionnel à sa part dans le finan-cement initial du programme (cas du fonc-tionnement de l’Agence spatiale européenne[ESA] ou de l’avion de combat européenEurofighter Typhoon). Cette préférence nationaledans les programmes communs comporte lerisque de ne pas attribuer les marchés auxentreprises les plus performantes. Cela peut inciterà l’émergence de doublons industriels de moindrecompétence.

En France, les ministères de la Défense, del’Économie, des Transports et de la Recherche sontles principaux commanditaires de ces matériels. LaDélégation Générale de l’Armement veille àl’indépendance stratégique dans les technologies«de souveraineté» (nucléaire, missiles balistiques,cryptographie, systèmes satellitaires) et «desupériorité» (systèmes aériens, calculateurs, commu-nication). Certains besoins prospectifs débouchentsur des politiques de soutien aux PME et desprogrammes de démonstrateurs, inclus dans la loi deprogrammation militaire. Depuis février 2002, cettemission relève officiellement de la «défenseéconomique», coordonnée par le haut fonctionnairedéfense du ministère de l’Économie, des Finances etde l’Industrie.

Aux États-Unis, le gouvernement est devenuattentif aux dépendances stratégiques en matièrede technologies. Dans les années 1980,l’aérospatial américain a été considéré commetrop dépendant de l’industrie japonaise(informatique, matériaux, composants électro-niques,…). La réaction en a été l’effort desprésidences suivantes dans l’aérospatial militaire(Reagan), l’impératif de l’innovation (Clinton) et,

plus modérément, l’espace militaire (Bush). LeDépartement de la Défense (DoD) estime ainsique la «transformation» de la stratégie et desmissions des forces américaines va de pair aveccelle de la base industrielle de défense. Plusieursétudes (2001, 2003 et 2004) ont porté sur lestechnologies nécessaires aux activités militaires etde sécurité spatiales. De son côté, le Départementdu Commerce (DoC) conduit également unepolitique technologique spatiale, notamment ausein de l’Office of Space Commercialization.

Des budgets de R & D disproportionnés

La dépense publique affectée à la R & Daérospatiale est a priori comptabilisée sous lescatégories «défense» (54 % du total de la R & Dpublique aux États-Unis, contre 15,4 % en Europe)et «espace» (respectivement 5,4 % et 6,7 %).L’effort public américain en faveur de la R & Daéronautique et spatiale est en fait protéiforme. Ilconvient d’y inclure une part indéterminée de la«recherche non orientée» publique et de garder àl’esprit que la distinction civil/militaire est souventarbitraire dans le cas du spatial. Surtout, cet effortapparaît sans commune mesure avec les budgetseuropéens.

La R & D militaire : un rapport de 1 à 15 ?

La part du PIB accordée à la R & D militaire révèleune hiérarchie claire. Selon l’OCDE, en 2003, lesÉtats-Unis atteignaient un ratio de 0,55 %, devantla France (0,25 %), la Grande-Bretagne (0,20 %)et l’Allemagne (0,05 %). Le projet américain debudget 2005 s’élève à 68,9 milliards de dollars.Par comparaison, le budget recherche duministère français de la Défense se chiffre à 1,2milliard d’euros en 2003, soit environ le tiers del’effort de l’ensemble des pays de l’Union euro-péenne.

Par ailleurs, dans les secteurs de haute technologie,dont l’aéronautique et l’espace, le gouvernementfédéral a explicitement pour objectif de favoriserl’avance américaine. Le résultat en est, au sein dela coordination des programmes nationaux, lecaractère dual de nombre d’entre eux. Ceux-cipeuvent être directement liés à l’aéronautique etl’espace, ou avoir des répercussions indirectes (casdes nanotechnologies, avec un soutien fédéral de860 millions de dollars en 2004).

Enfin, bien qu’il ne s’agisse pas à proprement dit deR & D publique, le volume des dépenses militairesa un effet incitatif sur la R & D interne aux firmes.Là aussi, les dépenses des États-Unis sont massives,jusqu’à atteindre 350 milliards de dollars en 2002,contre 40,2 pour la France, 37,3 pour le Royaume-Uni, 33,3 pour l’Allemagne et 27,6 l’Italie.

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Les budgets spatiaux : un rapport de 1 à 5

Exprimés en dollars constants 1992, les budgetsaméricains affectés au spatial ont atteint en 200230,8 milliards de dollars, dont 13,9 milliards pourla NASA (soit 48 % des dépenses de R & D duspatial civil de l’OCDE) et 15,7 milliards pour leDoD. Confortée par le programme «Un esprit deconquête renouvelé, la vision du président pourl’exploration spatiale américaine» de 2004, laproposition budgétaire pour l’ensemble des budgetsspatiaux en 2005 dépasse 35 milliards de dollars.

Dans son Livre blanc de novembre 2003, laCommission européenne a estimé les dépensespubliques dans le secteur de l’espace en Europe(pour 2004) à 5,4 milliards d’euros, dont 2,7milliards pour l’ESA, 2,15 milliards pour lesactivités nationales civiles et militaires,300 millions pour Eumetsat (European Organisationfor the Exploitation of Meteorological Satellites) et230 millions pour la Commission (6e Programme-cadre de Recherche et Développement, réseauxtranseuropéens). En fait, trois pays assurent à euxseuls la place de l’Europe : la France (14 % desdépenses de R & D du spatial civil de l’OCDE),l’Allemagne et l’Italie (7 % chacun), le Royaume-Uni s’affichant seulement à 2 %.

Enfin, en termes de taille du marché spatialdomestique, les ratios entre l’Europe et les États-Unis sont encore plus disproportionnés. Selon RiseConseil, sur un marché total estimé à 40 milliardsde dollars en 2001, le marché captif américain(civil et militaire) en représentait la moitié, contre2,7 milliards de dollars pour le marché européen.

Effort de long terme vsmobilisation récente

L’effort américain doit être apprécié sur le longterme. Les inquiétudes apparues à la fin des années1990 se fondaient sur la baisse de la R & D privée àdestination des avions et des missiles (de près de50 % entre 1988 et 1999), concomitante à cellesde la R & D fédérale et des commandes duPentagone. Associé aux pertes de parts de marchémondial des firmes aéronautiques américaines,particulièrement pour les avions et hélicoptèrescivils, ce constat a motivé le sursaut récent. Mais,selon le Center for Strategic and BudgetaryAssessments, cet effort ne fait que renouer avec lesniveaux de long terme des budgets de R & D, tantmilitaire que spatiale.

Budgets américains de défense et de R & Dmilitaire (en milliards de dollars constants de 2005)

Défense R & D1980 325 26,91985 433 48,61995 342 40,02000 333 41,62004 451 65,6

Budgets américains spatiaux, civils et militaires(en milliards de dollars constants de 1992)

DoD NASA Autres Total1965 7,4 24,2 1,1 32,71975 5,9 9,1 0,5 15,51985 19,6 10,6 0,9 31,21995 12,1 14,3 0,9 27,32002 15,7 13,9 1,2 30,8

Comparativement, l’effort européen est récent. LeLivre blanc de la Commission européenne s’inscritdans l’objectif de R & D équivalente à 3 % du PIBen 2010 décidé en mars 2002 par le Conseileuropéen de Barcelone. Le scénario optimiste definancement pour la période 2004-2013 retient ledoublement du budget des sciences de l’espace.L’Europe manifeste aujourd’hui la volonté d’existerdans la gestion de systèmes complexes et duauxd’utilisation, tel Galileo, ou dans une approcheglobale de la sécurité et de l’environnement avec leGMES (Global Monitoring Environment System).

Des progrès notables émergent dans le domaine dela recherche aéronautique civile (avec le Conseilconsultatif pour la recherche aéronautique enEurope-CADRE) et dans la défense (création del’Agence de l’armement prévue en 2004). Cepen-dant, l’Union européenne ne supporte encore nirecherche fondamentale, ni recherche orientéeamont (technologies et démonstrateurs). L’Europesemble ainsi davantage progresser par saut et enréaction à une supériorité américaine, que mue parune dynamique propre.

Surtout, la coopération européenne en matière derecherche n’a pas réussi à surmonter les différencesnationales. Les actions conjointes entre organismeseuropéens, comme celles de l’ONERA avec seshomologues allemands (DLR) ou néerlandais (NLR),restent isolées. En France même, il y aurait lieu des’interroger sur la coexistence de l’ONERA et duCNES, alors que l’Allemagne comme les États-Unisont fusionné leurs organismes de recherche spatialeet aéronautique.

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Au niveau de l’Union européenne, le premierbudget d’une politique commune dans le domainede la recherche de défense s’élève à 65 millionsd’euros pour la phase initiale (2004-2006). D’ici là,les États-Unis auront rejoint leur niveau de R & Dmilitaire de long terme, avec l’intention de creuserà nouveau un gap technologique…

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TÉLÉMAQUE

L’État face aux nouveaux risques financiers

Risques non assurables et rôle de l’État

Les dernières années ont connu nombre decatastrophes pour lesquelles il a été nécessaire defaire appel à la solidarité nationale. La tempête quia sévi en France en 1999, les attentats du11 septembre 2001 ou plus récemment lasécheresse de l’été 2003 et les attentats de Madridsont ainsi des événements qui, à des degrés divers,supposent l’intervention de l’État.

En effet, il existe des risques que le marché del’assurance ne peut, ou ne peut que difficilement,couvrir. Cette question est cruciale dans le contexteactuel : la culture du risque zéro se propage et lademande sociale est très grande pour rendreassurables tous les risques. Si le secteur privé nepeut couvrir le risque, l’État doit alors intervenir,soit par la solidarité nationale en indemnisantdirectement les victimes, soit en mettant en œuvredes politiques publiques permettant de rendreassurables, par le marché, des risques qui ne leseraient pas sans son intervention. Un risque est, eneffet, dit assurable si la personne qui porte le risquepeut le transférer vers un autre agent économique(une compagnie d’assurance) à un prix qui rendl’échange intéressant pour chacune des parties.

Cette note fait la synthèse des raisons pourlesquelles un risque s’avère non assurable. On peutainsi citer les cas où :

– les dommages peuvent être tellement élevésque cela dépasse les capacités des assurances ;

– des incertitudes sur les risques ou leurenvironnement font qu’il est difficile de savoircombien pourrait coûter un sinistre

– les compagnies d’assurance manquentd’informations sur les assurés pour pouvoirproposer des produits permettant unecouverture universelle.

La note s’interroge ensuite sur les mesures que peutprendre l’État pour remédier aux limites del’assurabilité. Il est confronté à une triple exigence :premièrement, assurer que toute victime pourraêtre indemnisée en cas de réalisation d’un risque,selon le principe d’équité ; deuxièmement, faire ensorte que cette garantie ne désincite pas lesindividus à prévenir les risques ; troisièmement,faire en sorte que le système assuranciel dans son

ensemble ne présente pas trop d’inefficacités dupoint de vue économique, afin d’éviter lesgaspillages.

Cette note n’envisage donc l’action de l’État quedans la mesure où ce dernier est directementimpliqué dans une activité d’assurance, afin decombler les lacunes du marché. Elle ne couvre pasl’autre grand rôle d’intervention de l’État sur lemarché de l’assurance : celui de contrôleur et derégulateur.

Les principales sourcesde non-assurabilité des sinistres

Cette typologie n’est pas exhaustive. Elle metl’accent sur les risques non assurables qui semblentparticulièrement nécessiter l’intervention de l’État.

Perte maximale possible trop élevée

Il s’agit des risques souvent très rares, mais auxpertes totales très élevées, comme les grandescatastrophes, climatiques, industrielles outerroristes. On peut penser aux attentats du11 septembre 2001, qui ont coûté environ20 milliards de dollars pour les seuls dommagesmatériels. En France, les cas envisagés sont ceuxd’une crue centenaire de la Seine à Paris ou d’unséisme dans la région de Nice. Ces risques ont laparticularité de ne pas être diversifiables : lorsquele sinistre a lieu, de nombreux assurés sont touchéssimultanément. À l’inverse, le risque automobileest, par exemple, diversifiable : les assurés n’ontpas leurs accidents au même moment, et les risquesne sont pas corrélés ; du point de vue statistique,on peut alors appliquer les lois sur lesquellesreposent le principe de mutualisation des risquesen assurance.

Si le risque n’est pas mutualisable, il est possibleque le montant des dommages atteigne la capacitémaximale du marché de l’assurance, ce qui pose laquestion du risque de défaut (faillite) de l’assuranceou de la réassurance (compagnies qui assurent lesassureurs), qui pourraient avoir de grandes diffi-cultés à faire face par elles-mêmes.

Finalement, le secteur de l’assurance a bien résistéaux attentats du 11 septembre, mais la question

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demeure si une autre catastrophe de cette ampleurdevait se réaliser rapidement.

Une autre difficulté vient du caractèrepotentiellement systémique de ces grands risques.Les attentats du 11 septembre ont aggravé la chutedes marchés boursiers et mis également endifficulté les compagnies aériennes. Une compa-gnie qui assurerait à la fois les dommages destours du World Trade Center, les victimes et lescompagnies aériennes se voit confrontée à unrisque de cumul : de nombreux risques seréalisent en même temps et la diversification enest d’autant plus malaisée. En conclusion, ungrand risque peu diversifiable pouvant dépasserles capacités de souscription des assureurs etengendrant des risques de cumul ne seravraisemblablement pas assuré par le marché del’assurance sans intervention extérieure.

Absence de marché

Il y a absence de marché dès que, pour un risquedonné, le prix que les assureurs proposent pourcouvrir le risque est nettement supérieur au prix queles porteurs de risque sont disposés à payer pours’assurer. La demande et l’offre d’assurance ne serencontrent pas. Cela peut par exemple être le casdes jeunes automobilistes, qui ont statistiquementplus d’accidents que les automobilistes expéri-mentés. Généralement, les assureurs leur demandentdonc de payer une prime plus chère, de façon àsegmenter leur clientèle. En Irlande, le problèmeétait si vif que plus aucun assureur ne voulait assurerles jeunes conducteurs (du moins en dessous d’unprix prohibitif) et il a fallu l’intervention de l’Étatpour régler la crise.

Dans un tel cas, à nouveau, le problème de non-assurabilité vient du fait que les dommages à payerseraient trop élevés. Même si le risque estdiversifiable et qu’il ne mettrait pas en péril lescapacités des assureurs, le coût important dudommage suppose des primes d’assurance élevéesqui dépassent les capacités contributives desassurés. Le cas de la responsabilité civile médicaleest un autre exemple : on constate une très forteinflation des dommages que doivent payer leschirurgiens ou les gynécologues-obstétriciens encas d’accidents lors de leurs interventionsmédicales. L’évolution de la jurisprudence (arrêtPerruche par exemple) tend à faire porter auxprofessionnels de la santé une responsabilitétoujours plus étendue et à augmenter les montantsdes préjudices qu’ils ont à payer aux victimes.Cette évolution n’a pas tenu compte desconséquences économiques de ces décisions sur lemarché des assurances. En conséquence, denombreuses professions médicales connaissent degrandes difficultés pour pouvoir s’assurer à un prixabordable.

Ce problème de non-assurabilité vient généra-lement d’une segmentation de la clientèle desassurances, qui identifient des groupes dontl’exposition au risque est différente et qui fontpayer des primes plus élevées à ceux qui portent unrisque plus grand. La question est délicate, car cecomportement de segmentation de la clientèlerépond à une autre cause de non-assurabilité : lasélection adverse. Cette dernière apparaît quandl’assureur ne peut pas faire la différence entre lespersonnes à risque faible et les personnes à risqueélevé. Il applique alors une prime d’assurancemoyenne, identique pour tous les individus. Mais ilest possible que cette prime moyenne soit tropélevée pour ceux qui ont un risque faible, et cesderniers risquent de ne pas s’assurer. Régler leproblème de la sélection adverse peut donc menerà butter contre les capacités de paiement desrisques élevés, ce qui pose la question du bonniveau de segmentation des risques.

Risque de probabilité faible ou inconnue

Un problème de nature différente se pose dès lorsque l’on ne connaît pas la probabilité d’occurrenced’un risque. C’est le cas d’un certain nombre de«nouveaux» risques, tels que les catastrophesindustrielles ou naturelles, les risques sanitaires oules questions environnementales. Dans bien descas, les connaissances scientifiques nous manquentpour pouvoir estimer précisément le risqueencouru, que ce soit sa fréquence ou son coût.Dans le domaine nucléaire, il est très difficile dedonner la probabilité d’explosion d’une centrale.Que la période de retour d’un risque passe de 200à 100 ans semble importer peu, mais cela supposeun doublement de la prime. Il est donc très difficilede tarifer ce genre d’événement.

En outre, comme ce sont des événementsgénéralement rares, ou nouveaux, nous ne disposonspas d’historique sur lequel fonder statistiquement desestimations de fréquence du risque (contrairement àl’assurance automobile par exemple). Il faut aussicompter avec les phénomènes susceptiblesd’évoluer dans le temps, pour lesquels l’historiquepeut se révéler inutile (cas du changementclimatique encore très mal quantifié, ou, de façonmoins radicale, de l’espérance de vie en ce quiconcerne l’assurance-vie : il n’est pas exclu qu’unedécouverte scientifique permette soudainement desoigner des maladies comme le cancer, qui sontresponsables d’une grande partie de la mortalitéentre 70 et 100 ans).

Ces incertitudes rendent difficile de tarifer lescontrats d’assurance ; soit le risque n’est pas assuré,soit il l’est à un prix approximatif et les assureursrisquent de connaître des difficultés financières, sile risque s’avère plus fréquent que prévu. Le

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problème s’aggrave lorsque ces risques incertainssont en plus susceptibles de coûter très cher (voir lapremière partie) : les risques climatiques outerroristes cumulent plusieurs causes de non-assurabilité.

Incertitude sur les règles du jeu

Il est aussi possible que l’incertitude porte surl’environnement réglementaire, législatif, fiscal oujurisprudentiel des risques (et non sur le risque lui-même). Si les «règles du jeu» ne sont pas stables, ilest difficile de se mettre d’accord sur un contratd’assurance. Or, il arrive que l’État ou le systèmejuridique change les règles en cours de route. Dansle cas de l’amiante par exemple, la qualification del’exposition des salariés à l’amiante en «fauteinexcusable» est intervenue après coup. Depuis2002, en vertu du contrat de travail le liant à sonsalarié, l’employeur est tenu envers celui-ci à uneobligation de sécurité. Le manquement à cetteobligation a le caractère d’une faute inexcusablelorsque l’employeur avait conscience du danger etqu’il n’a pas pris de mesures.

En cas de changement des règles après l’occurrenced’un sinistre (ce qui peut être compréhensible pourne pas laisser un grand nombre de victimes sansindemnisation), il est très important de savoir qui ensupporte le coût. Si c’est l’assureur, cela peut induireà une plus grande frilosité pour assurer des risquesen environnement incertain.

Aléa moral

L’aléa moral intervient dès que les assurés peuventinfluencer l’occurrence de leur risque : ils n’ont pastous le même niveau de prévention. Or, les agentsles mieux assurés font généralement moins d’effortde prévention, si le lien entre cet effort et la primed’assurance est faible. Si l’assureur ne peut passegmenter ses clients en fonction de leur effort deprévention (il ne peut l’observer, ou alors ladiscrimination est interdite), il va anticiper une faibleprévention, donc des dommages plus coûteux etaugmenter la prime, ce qui peut rendre le risque nonassurable pour certaines personnes. Ces difficultéspeuvent être résolues par des contrats d’assuranceparticuliers (franchise, bonus malus). Le principalproblème vient alors du fait que, si l’État intervientpour imposer un même taux de prime à tous, tout enrendant l’assurance obligatoire, cela n’incite pas à laprévention et ceux qui font plus d’efforts préventifspaient pour les autres. Par exemple, pour les risquesnaturels comme les inondations, les assureurs nepeuvent pas en France discriminer le taux de prime.En conséquence, de nombreux ménages s’installentdans des zones à risque, sans en payer le prix.

Comment l’État peut-il intervenirpour répondre à la non-assurabilité ?

Des normes et des planspour remédier aux déficiences du marché

Il existe de nombreux cas où l’État peut mettre enplace des normes qui réduisent les sources denon-assurabilité. Dans le cas de l’aléa moral, ilpeut faire appliquer des normes de prévention desrisques, en matière de conduite automobile ou desécurité dans le transport maritime par exemple.Dans le cas des catastrophes naturelles et descomportements à risque en matière d’inondation,l’assurance obligatoire et uniforme devrait êtrecontrebalancée par des normes strictes, concer-nant l’emplacement des maisons par exemple.Cela passe entre autres par une cartographiecomplète des risques sur le territoire national. LesPlans de prévention des risques, s’ils sont menésavec rigueur, peuvent permettre de renforcer laprévention en la matière.

Garantir la stabilité juridiqueet réglementaire des contrats

Puisque l’incertitude concernant l’environnementjuridique et fiscal nuit à un bon fonctionnement del’assurance, il est du ressort de l’État d’en assurer lastabilité. Cela suppose de définir à l’avance lesresponsabilités de chacun et les dédommagementséventuels, et de ne pas les modifier après coup.L’objectif est d’éviter les ambiguïtés : par exemple,l’arrêt de 1941 portant sur la faute inexcusable n’endéfinissait pas les contours précis ; c’est seulementen 2002 qu’un nouvel arrêt, en élargissant la notion,en facilite la caractérisation et permet d’accorderl’indemnisation à un plus grand nombre de victimes.Dans le même esprit, il semble important que lesdécisions fiscales et jurisprudentielles soient prisesen tenant compte des conséquences économiquesqu’elles peuvent avoir.

La constitution de pools

Face à un problème d’assurabilité, les assureurspeuvent se constituer en pool de coassurance. Parexemple, le GTAM est un pool qui a été constitué en2002, pour répondre à une situation de blocage dumarché en responsabilité civile médicale. En effet,l’obligation d’assurance a été instaurée par la loi du4 mars 2002. Les assureurs se sont rapprochés pourmettre en œuvre, de façon temporaire, une solutionde co-assurance répondant aux demandes de garan-tie des personnes physiques et morales soumises àl’obligation d’assurance qui n’auraient pas trouvéauprès des assureurs du marché la couverturerequise. L’État peut favoriser ou organiser laconstitution de tels pools.

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Organiser le transfert des risquesvers les marchés financiers

Une solution pour faire face aux grands risquesdifficiles à mutualiser par le secteur de l’assuranceest de diversifier les risques en les transférant versles marchés financiers dont les capacités sontbeaucoup plus grandes que celle des réassureursmondiaux. Cela consiste à émettre des produitsfinanciers qui dépendent de la réalisation decertains aléas. Les cas les plus connus sont les Cat-Bonds (obligations climatiques). Émises par lessociétés d’assurances, le taux de ces obligations oumême leur remboursement est diminué en cas deréalisation d’une catastrophe climatique. Celapermet de transférer aux investisseurs financiers lerisque porté par les assurances. Bien que ces actifsfinanciers soient théoriquement attractifs pour lesinvestisseurs (en particulier, leur risque estdécorrélé du risque de marché), ils ne connaissentpas un grand succès. L’État pourrait intervenir enfavorisant le développement de tels produits, enassurant la liquidité du marché de ces obligations(émission d’obligations d’État, création d’un comitéde place, publication régulière d’indicateurs deréférence…).

L’État, assureur en dernier ressort

Dans les cas où la co-assurance, la réassurance et lerecours aux marchés financiers ne suffisent pas pourcouvrir un risque, l’État doit intervenir en tantqu’assureur en dernier ressort, afin de garantirl’assurabilité de certains risques. Il s’agit parti-culièrement des risques rares et potentiellement trèscoûteux, comme les événements naturels ou lesattentats. Afin d’éviter que les assureurs etréassureurs ne se retirent complètement de cesrisques extrêmes, l’État peut garantir la survie dusystème d’assurance en prenant à sa charge ladernière tranche, illimitée, des dommages constatés.

Un exemple de cette intervention est le systèmeGareat concernant le risque terroriste. Suite auxattentats du 11 septembre, l’État français a mis aupoint avec les assureurs un système qui permettaitde conserver la garantie attentat obligatoire dansles contrats dommages aux biens. C’est undispositif à plusieurs étages qui définit les montantspour lesquels doivent intervenir successivement lesassureurs, puis les réassureurs. Au-delà, l’État offreune garantie illimitée par l’intermédiaire de la CCR(Caisse centrale de réassurance). En assurant les trèsgrands risques par la solidarité nationale, l’Étatgarantie l’assurance des risques plus limités par lesecteur privé. Un dispositif similaire a été mis enplace pour les catastrophes naturelles. D’unemanière générale, on peut schématiser les niveauxd’intervention de la façon suivante :

État (assureur en dernier ressort)

Titrisation sur les marchés financiers

Pools de co-assurance

Réassurance

Assurance

Montant dedommagecroissant

Un dernier niveau pourrait être envisagé : celui de lamutualisation internationale entre États. Cela passeraitpar des accords internationaux (par exemple auniveau européen) prévoyant la solidarité entre Étatsdans le cas par exemple d’une catastrophe climatiquequi ne toucherait qu’un ou quelques pays.

Dans les cas évoqués ci-dessus, l’intervention del’État est prévue à l’avance. L’État joue un rôle deréassureur, en prenant à sa charge la couverture dela dernière tranche de dommage, le tout étant régléexplicitement par contrat. Mais il existe un autretype d’intervention de l’État en tant qu’assureur endernier ressort. Il s’agit de l’intervention après laréalisation d’un risque pour lequel rien n’avait étéprévu à l’avance. L’État devra alors intervenir soiten indemnisant les victimes d’un risque qui n’estpas couvert par le marché de l’assurance, soit enassurant la solvabilité des assurances qui severraient confrontées à un risque de faillite parcequ’elles assurent un risque dont les dommagessubis sont exceptionnels au point de dépasser lesmarges de solvabilités habituelles dans l’assurance.

Il convient enfin de distinguer les risques pourlesquels il y a un responsable (pollution…) et ceux oùil n’y en a pas (catastrophe naturelle…). Dans lepremier cas, l’État peut servir de caution, mais ne jouepas le rôle d’assureur en dernier ressort, dans lamesure où le responsable est désigné et où il estsolvable.

Conclusion

Un certain nombre de risques ne sont pas assurablespar le marché de l’assurance. Ils nécessitent doncl’intervention de l’État. Ce dernier peut agir enassurant les conditions qui repoussent les frontières del’assurabilité (définition de normes, garantie d’unenvironnement juridique et législatif stable, actionrendant plus attrayants les transferts de risques vers lesmarchés financiers) ou en intervenant directement.Pour les grands risques, la solidarité nationale doitjouer, afin de ne pas laisser les victimes sansindemnisation. L’État agit alors en assureur en dernierressort, ce qui pose un certain nombre d’importantesquestions : L’État est-il un assureur en dernier ressortgratuit ? La solidarité nationale risque-t-elle de mettreen péril l’assurance de marché, si les citoyenscomptent implicitement sur l’intervention de l’État etconsidèrent qu’il n’est pas nécessaire de s’assurerindividuellement ?

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THÉSÉE

Prospective du marché du travail :l’État face aux mutations de la relation au travail

La relation au travail : questionnement à 15 ans

L’objet du groupe Thésée est de produire uneprospective sur les évolutions probables de larelation à l’emploi à horizon 2015-2020.L’objectif premier est de cerner sous forme styliséeet synthétique un certain nombre d’évolutionslourdes concernant des paramètres dont lesmodifications restent encore sujettes à contro-verse. Le projet Thésée repose sur l’observationdes agencements institutionnels et réglementairesdes différents pays, identifie les Benchmark et lespratiques, synthétise les résultats associés à cesconfigurations et tente sur cette base d’imaginerles évolutions de la relation à l’emploi dans lesquinze années à venir en France, selon quel’organisation de son marché se rapproche de telou tel type de cohérence observée. Sonder laprobabilité d’une importation des modèles de flex-sécurité de type nordique constitue notammentl’un des objectifs du projet.

Ouverture du champ de la réflexion

Les marchés du travail français et européentendent-ils à converger vers le modèle américaindominant ? Existe-t-il en Europe une aspiration àun mode de régulation commun qui pourraitapparaître comme une alternative face auxconfigurations anglo-saxonnes ? L’Europe dutravail apparaît-elle au contraire comme unespace dont l’hétérogénéité institutionnellerégionale est irréductible ? Ces questions sont trèsprégnantes au sein même des opinionseuropéennes et méritent qu’on s’y attarde. Leurrésolution demande au préalable de s’entendre surles caractéristiques types du modèle de référenceaméricain, et sur l’hétérogénéité des marchéseuropéens avant de s’interroger sur une éventuelleconvergence, divergence ou inertie de cesderniers.

Lorsqu’au début des années quatre-vingt, l’OCDEa édicté un certain nombre d’impératifs deréforme structurelle nécessaires pour améliorer lasituation de l’emploi dans les pays industrialisés,elle a mis sur le devant de la scène le concept deflexibilité, qui pour ses détracteurs a aussitôt prisle sens de précarité. L’OCDE a toujours faitpreuve d’une assez grande continuité quant à lamanière de définir la flexibilité : une économie

est flexible lorsque son fonctionnement décen-tralisé permet un ajustement rapide des prixrelatifs et des quantités. Cette définition largeenglobe de multiples aspects de la production :elle fait référence au salaire, à l’emploi, à ladurée du travail et à la formation.

Se livrant à des études récurrentes sur le sujet,l’OCDE s’est heurtée au fait que les pratiquessociales, mais surtout institutionnelles, sont, àquelques rares exceptions près (dont les États-Uniset à certains égards, le Royaume-Uni), peuconformes à cette définition. D’où un plaidoyerconstant pour des réformes institutionnelles(notamment sur le marché du travail, mais égale-ment sur celui des biens et des services) conformé-ment à la définition donnée.

Vue à travers le prisme de la flexibilité,l’économie américaine est rapidement apparuecomme l’incarnation la plus communémentadmise de l’économie concurrentielle dérégle-mentée, et son succès apparent sur le front de lacroissance et de l’emploi au cours des annéesquatre-vingt-dix en a fait la vitrine desrecommandations en faveur de la flexibilité. Maisen même temps, l’émergence de nouveaux casde figure de réussite, peu conformes auxpréceptes de l’OCDE, au Nord de l’Europe et auxPays-Bas notamment, ont conduit à affiner etdiversifier le propos.

Les analyses empiriques conduites au cours de ladernière décennie ainsi que les exercicesd’identification des «bonnes pratiques» menées auniveau européen ont érodé ce discours desinstitutions internationales (OCDE, Commissioneuropéenne notamment). La focalisation sur lesexcès réglementaires et sur les dysfonctionne-ments des mécanismes de marché au sein de lavieille Europe, perd en intensité. L’analyse en termede «trade-off» qui se concentre sur les combinai-sons institutionnelles et réglementaires efficacesgagne du terrain. L’espace européen demeuresuspecté de rigidité, d’excès réglementaires, etcritiqué pour concentrer les avantages sociaux etde sécurité de l’emploi sur un noyau dur desalariés, au détriment de certaines couches plusexposées.

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Néanmoins, les objectifs d’amélioration de laqualité de l’emploi, de sécurisation des parcoursgagnent du terrain au sein de ces instances.L’intérêt porté sur les phénomènes d’accroissementde la pauvreté au travail, le développement d’unsuivi de la qualité de l’emploi (à travers les critèresmis en place dans les plans d’action pour l’emploi),l’emphase placée de plus en plus sur les enjeux liésà l’enrichissement du capital humain, la reconnais-sance par l’OCDE du peu d’assise empirique decertaines de ses prescriptions, ont ouvert le débat.

Le développement des approches «institution-nalistes» au sens large, aux côtés de l’approchenéo-classique traditionnelle, débouche sur unelecture ouverte (non systématiquement répro-batrice) des contrats sociaux qui régissent unesociété. Le devenir souhaitable et probable desmarchés du travail occidentaux n’apparaît pasnécessairement devoir se conformer aux exigencesde la flexibilité au sens de l’OCDE, et l’idée mêmed’une convergence des économies vers un modèleunique perd en acuité. Le champ des possibles etdu souhaitable s’élargit dès lors que l’approches’émancipe de la seule référence néo-classique.

L’approche néo-classique applique pour sa part aufacteur travail ses principes généraux de l’analysedes marchés. Partant du modèle optimal du marchéde concurrence pure et parfaite, elle diversifie lesreprésentations du marché du travail en intro-duisant divers facteurs d’imperfection de laconcurrence : information incomplète, existence decoalitions et de réglementations, discriminations,coûts de transaction, etc. Les préconisationss’organisent alors autour d’un principe directeur :tout renforcement des mécanismes de concurrence(flexibilisation) rapproche du plein emploi. Sesdéveloppements récents à travers les modèles WS-PS (dans la ligne de Layard, Nickell et Jackman),assimilent les politiques sociales à des coûts detransaction qui rigidifient l’ajustement des salaireset l’ajustement de l’emploi et agissent in finenégativement sur le taux d’emploi.

L’approche institutionnaliste étudie le fonction-nement des marchés comme un ensemble de règlesde normes, de conventions ou d’institutions quiassurent une régulation sociale des conditions del’échange. Famille hétérogène : néo-institution-nalistes, économie des conventions, théorie de larégulation, etc. L’analyse porte sur les stratégies desacteurs collectifs (en fonction de leurs objectifs etdes rapports de force), sur les modes de productiondes normes, et sur la logique des institutions.L’accent est mis sur la cohérence interne et lecaractère adapté des compromis collectifs dans unenvironnement économique et social évolutif.

Multiplicité de stratégies gagnantes

Ce type d’approche amène à souligner la diversitédes situations institutionnelles au sein de l’espaceeuropéen. L’état de l’art en la matière privilégiel’idée que chaque pays organise de façon spéci-fique une cohérence propre et complexe quidépasse les seules institutions du marché du travailet s’étend aux autres sphères de la régulation. Despays aux régulations apparemment voisines différe-ront en matière de performance par le caractèreplus ou moins parfait de cette mise en cohérence.

Il est difficile de couvrir l’ensemble des problé-matiques soulevées par ces approches. Le projetThésée retient :

• L’idée du «Benchmark» : chaque pays estdécrypté en tant que modèle complexe,évalué pour sa capacité à minimiser lechômage, majorer le taux d’emploi, à partagerle travail entre niveaux de qualification, entresexes, par âge, à créer des conditions d’emploidécentes et acceptées, à assurer collective-ment ou individuellement les risques liés à laperte d’un emploi, etc.

• L’approche reste essentiellement descriptive,sans condamnation d’emblée de ce qui dérogeà la flexibilité : elle admet que la solidaritécollective peut se substituer à la solidaritéfamiliale, ou que les préférences socialesconduisent à opter pour une faible protectionde l’emploi et une faible indemnisation duchômage dès lors que la probabilité deretrouver un emploi est forte. Elle admet quele resserrement des inégalités peut favoriser lecompromis collectif et accroître la flexibilitédu salaire au niveau agrégé (répartition etdilution de l’ajustement à travers la négocia-tion collective)… Elle admet en substance, quedes systèmes hétérogènes puissent rivaliserentre eux (approches en terme de «trade-off»développées récemment par le BIT).

• Surtout, la précarisation de l’emploi et dessalaires n’est pas nécessairement le garant del’efficacité économique compte tenu de sonimpact en terme de destruction de capitalhumain et de désincitation à travailler.

• Enfin, la sécurisation des parcours, n’est pasforcément antinomique de la flexibilité écono-mique, et peut être conçue, par référence aumodèle danois, comme un instrument defluidification des ajustements nécessaires del’entreprise.

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En adoptant un point de vue ouvert sur le plandoctrinal, et au regard de l’expérience des annéesquatre-vingt-dix, les identités européennes enmatière de régulation des marchés du travail sontprobablement moins profondément remises encause que ne le laisse présager le discoursdominant.

• Premièrement, les changements institutionnelssont souvent moins profonds que ne le suggèrel’emphase autour du thème, rarement univoques,ou parfois généralisés à beaucoup de pays del’OCDE, au-delà des modèles de réussite :

– Concernant la réglementation relative àl’emploi, selon l’OCDE (1999), «malgréquelques réformes, la plupart des aspects desréglementations nationales sur la protection del’emploi sont restés largement inchangés aucours des dix dernières années.

– À la fin des années quatre-vingt-dix, comme dixans auparavant, c’est en Europe méridionalequ’elles sont les plus rigoureuses et aux États-Unis et au Royaume-Uni qu’elles sont les plussouples».

– Concernant les modalités d’indemnisation duchômage, la tendance forte est à la stabilité destaux de remplacement entre les années quatre-vingt, quatre-vingt-dix.

– Concernant les modalités de négociation, seulsquelques pays ont opéré des changementsprofonds, n’allant pas dans le même sens.

– Concernant le taux de syndicalisation et ledegré de couverture des conventions, le déclinsyndical est très généralisé.

– En outre, les politiques actives ont connu undéveloppement considérable au cours de ladécennie quatre-vingt-dix dans de nombreuxpays.

Ceci signifie aussi, que si changements il y a eu,ceux-ci doivent aussi être recherchés dans lesconventions et les pratiques (notamment du côté dela gestion des ressources humaines), plus peut-êtreque du côté de la loi et du règlement.

• Deuxièmement, il est un point certainementincontournable : les impératifs de restructuration,d’adaptation rapide imposent une certaine fluiditédes relations de travail (salaire, durée du travail,mobilité). Mais les moyens pour y parvenir ne fontpas nécessairement appel à de purs mécanismes demarché déréglementés. Certaines combinaisonsentre protection, politiques passives et actives del’emploi peuvent produire de la fluidité.

Les considérations de réussite concernant le niveauet la dynamique du chômage, du taux d’emploi,désignent d’emblée un ensemble de pays dont lemoins que l’on puisse dire est qu’ils incarnent desmodèles institutionnels très hétérogènes. L’identi-fication des réussites ne permet d’établir aucunecorrespondance immédiate avec un mode derégulation bien spécifié. La détermination decombinaisons ou de critères spécifiques dominantsne relève pas non plus de l’évidence. Ce simpleconstat suffit à comprendre que certaines étudess’orientent vers la recherche de cohérencesinternes, et admettent d’emblée la diversité desreprésentations.

L’hétérogénéité institutionnelle des pays ayantréussi à endiguer le chômage conduit à laprésomption qu’il existe une multiplicité de«stratégies gagnantes» d’une part, et que, d’autrepart, c’est la configuration des variables institu-tionnelles davantage que la conformité de chacuneaux a priori théoriques, qui importe. On peut dèslors s’attendre à ce que les tests empiriques neparviennent pas à des conclusions très tranchées.

Le rôle des institutions et des structures du marchédu travail est généralement évalué aux travers deleurs effets sur le niveau du chômage. Par exemple,le taux de chômage est-il plus élevé, là où laprotection de l’emploi est, toutes choses égales parailleurs, plus élevée ?

Ce type d’analyse conduit à privilégier unecausalité allant des institutions au taux de chômaged’équilibre. Mais parce qu’on l’applique à des paysdont le système de protection sociale était en placebien avant la montée du chômage, il est difficile desoutenir la thèse de l’existence d’une relation decausalité. Les institutions peuvent jouer un rôledans la propagation d’un choc exogène, maispeuvent difficilement être considérées comme étantà l’origine de la détérioration de l’emploi. Cetteremarque signifie que toute étude des relationsentre emploi et institutions devrait couvrir plusieursaspects : l’effet des institutions sur le niveau et ladynamique de l’emploi, l’interaction entre chocs etinstitutions et enfin l’effet des réformes structurellessur la variation de l’emploi et du chômage.

Des modèles de réussite concurrents

Au-delà de la diversité institutionnelle, il semblenéanmoins possible d’identifier sous forme styliséeau moins deux modèles institutionnels de réussiteconcernant l’emploi, au regard de l’enseignementdes années quatre-vingt-dix. Ce constat ne clôt pasla discussion autour des agencements institu-tionnels efficaces mais cherche à ouvrir la voie àun propos moins indéterministe que celui exposéjusqu’ici.

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Il s’agit de souligner ici, qu’aux côtés des modèlesde flexibilité libérale, et que parallèlement à lacrise persistante de certaines économies «régu-lées», quelques pays, au nombre desquels leDanemark, la Suède, la Finlande ou les Pays-Basont développé d’autres configurations institution-nelles hybrides. Toutes ces économies peuvent êtreregroupées sous le terme de modèles de flex-sécurité, même si le Danemark constitue le pays leplus emblématique de ce type de cohérenceinstitutionnelle.

Ces pays montrent d’une part que la mondialisationne semble pas avoir imposé une cohérence uniqueen matière de régulation.

Par ailleurs, si l’on devait définir un scénario deconvergence institutionnel au niveau européen, lesmodèles de flex-securité apparaissent certainementcomme le point de référence le plus atteignable.

L’Europe pourrait trouver sa cohérence parréférence aux deux variantes de modèle social :

• Le modèle danois de «flex-sécurité» (ou derotation sécurisée), dont se rapprochent deplus en plus aujourd’hui les pays scandinaves,qui repose sur le triptyque suivant : forteflexibilité de la relation d’emploi (protectionmodérée de l’emploi), prise en charge géné-reuse et collective du risque de licenciement(indemnités de chômage élevées) et unepolitique active massive de formation et d’aideà la réinsertion.

• Le modèle hollandais de «plasticité» : l’arbi-trage entre contraintes de compétitivité etcohésion sociale repose sur la négociationtripartite entre État, patronat et syndicats auniveau central. Parmi les bases de la réussite,la diversification des formes d’emplois (tempspartiel, intérim, salariés travaillant sur appel),la préretraite et l’invalidité ont permis deconcentrer l’ajustement sur le salaire et letemps de travail.

Le développement des formes de travailalternatif a par ailleurs pris une tournurevolontaire, les syndicats obtenant des contre-parties concernant les garanties offertes à cessalariés en matière de non-discrimination et desécurité de l’emploi.

En substance, les modèles hollandais et danoisreposent sur une prise en charge collective desrisques induits par les besoins de flexibilité quegénère l’ajustement structurel ou conjoncturel.

Dans le premier, cette prise en charge collectiverepose surtout sur une stratégie d’augmentation destaux d’activité passant notamment par despolitiques de partage-fractionnement de l’emploi,la protection de l’emploi restant au cœur dusystème.

Dans le second, la protection n’est plus garantie ausein de l’entreprise mais par la collectivité quiassure généreusement le risque de chômage,contrairement au modèle américain. La rotation desemplois est plus prononcée dans ce système quedans le précédent, mais est épaulée, notamment enmatière de formation, par d’importants dispositifsde politique active.

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THOMAS

Prospective des règles de la négociation sociale

De l’entreprise comme unité pertinente de négociationNormaliser le dialogue social dans l’entreprise-réseau : enjeux, diagnostics et scénarios

Le groupe de projet Thomas – du nom du premierdirecteur général de l’Organisation internationale dutravail – s’intéresse à «l’avenir du dialogue social» età la part que peut et devra prendre demain l’État àl’institution de ce dialogue. S’il appartient, en effet, àl’État de déterminer les conditions d’exercice de ladémocratie sociale, c’est notamment pour répondreau souci d’équilibrer les «rapports sociaux». Cetimpératif général de «régulation» lui impose déjà depasser au crible les différentes manifestations de«l’autonomie collective», leur fondement et leurseffets. Le rappel de cette responsabilité introduitdirectement à la dimension normative du chantierThomas : sa finalité sera de préciser le nouveau rôlede l’État en dégageant les principaux enjeux, lesvoies possibles et les échelles souhaitables denormalisation du dialogue social. Le projet,aujourd’hui commun, de «développer le dialoguesocial» n’a de sens, en effet, que si ce dernier figureun bon moyen de «civiliser» les rapports de travail etde «réguler» l’exercice du pouvoir économique. Oncomprend mieux alors pourquoi le diagnosticportant sur l’évolution des formes d’organisation dela production et du travail est au cœur de cetexercice de prospective, dans sa phase explo-ratoire…

Pratiquement, le groupe a choisi de focaliser sonattention sur les diverses «scènes» du dialoguesocial (l’entreprise, la branche, le territoire,l’Europe, etc.). En travaillant sur des faits porteursd’avenir – des processus aux «produits» de lanégociation sociale –, il identifie pour chacune deces scènes (ancienne ou émergente), les moyens destabiliser les règles, d’équilibrer les rapports entreles parties prenantes et de développer la capacitéde représentation et d’engagement des acteurs...

Le présent «Quatre Pages» fait suite à un premiernuméro disponible sur le site du Plan dans lequelles hypothèses de travail et la démarche dugroupe Thomas se trouvaient précisées. Ilpropose une première exploration centrée sur la«scène de l’entreprise». Cette dernière est, eneffet, la principale bénéficiaire des modificationsapportées depuis bientôt 20 ans au droit de lanégociation collective. Peut-on aller plus loin ?Le faut-il ? «L’entreprise» peut-elle supporter lacharge des régulations qu’on cherche à lui imposeraujourd’hui ?

De l’ordonnance du 16 janvier 1982 relative à ladurée du travail à la loi Fillon du 4 mai 2004 sur le«dialogue social», le législateur a progressivementétendu les facultés de déroger, par la négociationcollective, à des normes d’ordre public sur desquestions essentielles, dont le temps de travail.Dans le même temps, il assouplissait la hiérarchiedes niveaux de normalisation, donnant ainsi uncertain avantage à la négociation, puis à l’accordd’entreprise…

Du primat donné à «l’accord d’entreprise»…

En même temps que les négociations sedécentralisent vers l’entreprise, elles empruntentdavantage à la figure du «contrat» qu’à celle, plustraditionnelle, du «règlement négocié». Le«donnant-donnant» est en effet de mise dans lesnégociations dites «de gestion» : souvent décloi-sonnées (ARTT, formation, salaire, etc.), ellesmordent sur un espace qui relevait autrefois dupouvoir unilatéral de l’employeur. En contrepartie,elles peuvent remettre en cause des avantagesantérieurs, sur l’une ou l’autre des dimensions de larelation de travail même (cf. l’échange RTT contreflexibilité).

Encourageant à cet échange d’obligations réci-proques, l’encadrement législatif de la négociationtémoigne d’une croyance en l’Entreprise commeespace de régulation approprié à la production d’unéquilibre entre l’économique et le social. Quels sontles éléments objectifs qui permettent d’emportercette conviction ? Autrement dit, à quellesconditions «l’entreprise» peut-elle devenir un lieulégitime et pertinent de régulation de la relation detravail, voire de la relation d’emploi ? Le risque estprésent, en effet, de voir le «dialogue social»prospérer en entreprise sans que ce dernier ne donnelieu à des négociations – et a fortiori à des contrats –équilibrés.

C’est à ces questions que s’est efforcé de répondrele législateur, en posant notamment le principe de«l’accord majoritaire» et en s’intéressant à lalégitimité des accords collectifs. La déclinaison dece principe s’est progressivement perfectionnée :avec la loi Fillon relative au dialogue social, on estclairement passé d’une logique négative de

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«sanction» (le droit d’opposition) à la déterminationd’un ensemble de règles permettant la «ratifi-cation», par le personnel et ses représentants, desaccords d’entreprise…

Cette tendance au «tout entreprise» n’a-t-elle pasété, dans le même temps, insuffisamment problé-matisée ? Il est souvent dit que l’évolution du droitnous offre une vue imprenable sur les évolutionséconomiques et sociales. Dans ses concessions àl’entreprise, le droit de la négociation collective,spécialement, n’est-il pas devenu un simple vassaldes rapports économiques ? Autrement dit, commentgarantir demain l’équilibre des rapports sociaux,comme contrepartie au nécessaire développementde l’autonomie collective ?

…à un premier scénariod’institutionnalisation de l’entreprise

Le «script» d’un premier scénario est suggéré parl’évolution de ce droit de la négociation, schéma«logique», susceptible d’achever un processus dedécentralisation du dialogue social en restaurant leséquilibres fondamentaux. Ce scénario dit «d’institu-tionnalisation de l’entreprise», dont nous donne-rons un aperçu, pour parfait qu’il soit sur le papier,présente dans les faits un inconvénient majeur : ilréifie les contours juridico-économiques de l’entre-prise, entendue comme son support formel, lasociété commerciale. Or, l’action des agentséconomiques introduit aujourd’hui de plus en plusde flou dans ces «frontières de l’entreprise». Cescénario entrerait alors en contradiction avec lediagnostic que l’on peut aujourd’hui porter sur lesformes nouvelles d’organisation de la production etdu travail… c’est-à-dire avec les faits.

Toute l’histoire du droit du travail suggère, en effet,que l’organisation du dialogue social ne peut créerd’obligations vraies que si elle est en rapport avecl’organisation et les formes d’expression du pouvoiréconomique. Le rappel de cette nécessité n’illustrepas simplement l’aspect normatif du présentexercice de prospective ; il nous oblige à imaginerdes scénarios susceptibles d’y répondre. Si leréalisme socio-économique nous interdit de fairede l’entreprise – mais qu’est-ce que l’entreprise ? –,le siège exclusif des régulations, quel serait alorsleur «bon périmètre» ? C’est cette questionqu’essaye d’explorer aujourd’hui le groupe Thomasen dressant le bilan des savoirs sur les nouvellesformes d’organisation de la production et dutravail…

Un scénario suggéré par l’évolutiondu droit du travail

Ainsi que l’avait signalé Paul Durand en 1947, lejuriste a découvert l’entreprise avec le droit du

travail, en raison de l’importance que ce droitaccorde à la collectivité des salariés, par contrasteavec le droit des sociétés qui ne portait quant à luique les intérêts des actionnaires. Ce faisant, l’idéeque la protection du salarié ne fasse pas obstacle àla poursuite par l’entreprise de son objet écono-mique, et vice versa, s’est progressivementimposée. C’est pourquoi le droit du travail s’auto-définit, de nos jours, comme un droit d’équilibre.

Cependant, depuis plus d’un demi-siècle, l’entre-prise s’est affirmée comme acteur déterminant desconditions de la vie sociale. Il était normal qu’elleélève, un jour ou l’autre, une prétention à devenirle lieu central d’élaboration de la norme et qu’ellesoit entendue par le législateur. Invitant sesinterlocuteurs syndicaux à moderniser les règles dela négociation, le MEDEF ne proposait-il pas enmars 2000 que l’on réinventât un système denormes «à partir du niveau optimum d’efficacitééconomique et sociale du dialogue social, c’est-à-dire l’entreprise» ? Il s’agissait, selon l’organisationpatronale, de «renverser la pyramide, en faisant del’entreprise, voire de l’établissement, la base élargiedu système, et en redonnant à la loi son rôle dedéfinition des principes».

Les évolutions de «l’ordre public social» depuis1982 rendent cette perspective moinsrévolutionnaire qu’il n’y paraît ! C’est que le droit dutravail apparaît lui-même en quête de principescapables d’organiser une synthèse des intérêts enprésence dans l’entreprise, condition nécessaire pourinstituer celle-ci comme lieu crédible de régulationde la relation d’emploi (on n’oubliera pas que«l’entreprise» égale «l’emploi», tant pour la partiesyndicale que pour les collectivités locales). Or cettesynthèse ne peut avoir lieu que si l’on réussit àdéfinir un «intérêt supérieur de l’entreprise», quipuisse apporter une limite de fond à l’expression parles actionnaires et les salariés, et/ou leursreprésentants respectifs, de leur intérêt propre. Pourcelui qui jouit de la liberté d’entreprendre, répondreà l’intérêt de «sa» société est, en effet, uneobligation, sans quoi sa responsabilité personnellepeut se trouver engagée. Ce faisant, des décisionsprises dans cet «intérêt social» ne servent pasnécessairement l’intérêt de toutes les partiesprenantes, les salariés au premier chef… et doncl’intérêt de «l’entreprise» (cf. la douloureusequestion des plans sociaux).

Si l’exercice des pouvoirs et des contre-pouvoirs seretrouvait subsumé par l’intérêt supérieur del’entreprise, la «démocratie industrielle» ne ferait-elle pas un grand pas ? Le groupe Thomas a estiméque ce scénario d’institutionnalisation de l’entre-prise, encore à l’ébauche, au moins technique-ment, mais porté par nombre d’acteurs, méritaitd’être exploré… Ce scénario doit s’efforcer dedéfinir les conditions d’émergence d’un «ordre

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social interne à l’entreprise» qui ait les qualités«régulatoires» qu’on prête généralement auxconstructions de l’ordre public social, notammentrelatives à la fonction protectrice du droit dutravail.

Mais investir l’entreprise d’une telle fonction modifiesensiblement la perception qu’on peut avoir du rôlede l’État. Il peut s’agir de remplacer la «contrainteinconditionnelle» – la norme impérative qu’on al’habitude d’associer à la fonction protectrice dudroit –, par l’énoncé de «conditions» auxquellesl’exercice décentralisé du pouvoir normatif devrasatisfaire impérativement. On pense, typiquement, àune «substantialisation» des règles de prises dedécision, soumettant notamment l’exercice dupouvoir du chef d’entreprise au respect de certainesprocédures (renforcement des obligations deconsultation, des droits à l’information au bénéficede l’ensemble des parties prenantes, etc.).

Ainsi que le note le juriste Jacques Barthélémy – l’undes membres du groupe Thomas –, pour donnercorps à «l’intérêt général de l’entreprise», nousdevons au moins faire exister juridiquement, face àla «collectivité des actionnaires», celle du personnel,en faire une personne de droit. Le «contrat collectifd’entreprise», une formule proposée naguère parl’association patronale Entreprise & Progrès, pourraittrès bien servir de cadre soumettant à de tellesconditions l’exercice du pouvoir patronal :

• Dans ce cadre, la «commission denégociation» visée par l’article L.132-20 duCode du travail pourrait alors exprimer, à côtédu comité d’entreprise, la collectivité dupersonnel, à condition bien sûr d’y trouver leséléments permettant d’équilibrer les relationscollectives de travail. Les membres de cettecommission pourraient, par exemple, prendreleurs décisions à la majorité : c’est l’idée de la«délégation intersyndicale unique de négo-ciation» proposée naguère par Gérard Lyon-Caen. On pourrait encore définir des seuilsd’audience pour établir la qualité de négo-ciateur. L’audience devenant une conditiond’habilitation, la capacité d’engagement dessignataires s’en trouverait renforcée, sans nuirepour autant au pluralisme. Davantage que lacommission elle-même, c’est la nécessité dedéterminer des règles pour son fonctionne-ment qui constitue le cœur de cette scéna-risation (rendre obligatoire, par exemple,«l’accord de méthode» visé par l’article L.132-22 du Code du travail).

• Une autre solution consisterait à transférersur le comité d’entreprise lui-même unpouvoir de négociation, complétant les préro-gatives actuelles de cette instance. C’est laproposition (n° 24) faite récemment par le

rapport de Virville, consistant à fusionner lesreprésentations des salariés de la PME dans un«conseil d’entreprise».

Dans tous les cas, la possibilité qui serait ainsiconférée à l’entreprise par l’État d’élaborer la normedépendra de la façon dont ces enchaînementsprocéduraux sont susceptibles d’équilibrer lespouvoirs. Il s’agit notamment de remplacer lecaractère souverain du pouvoir du chef d’entreprisepar l’application à toute décision engageant l’intérêtde l’entreprise d’une nouvelle rationalité procé-durale. La «décision» conserverait son caractèresubstantiel mais s’attribuerait donc désormais àl’entreprise «tout entière» plutôt qu’à son seul chef(d’où notamment la nécessité de rendre «traçable» lafaçon dont se distribue le pouvoir de direction). Dece fait, le pouvoir de direction serait contraint des’exercer dans certaines «proportions» (cf., acontrario, le recours «régalien» aux licenciementscollectifs par référence unique aux standards deprofitabilité du secteur). On voit qu’idéalement cetteconfiguration institutionnelle a pour vertu d’obligerchaque intérêt catégoriel à négocier son existencepar référence à ce «nouvel» intérêt supérieur del’entreprise. En cas de conflit, le respect du «principede proportionnalité» comme l’appréciation del’intérêt de l’entreprise sont évidemment susceptiblesd’une «re-régulation» par le juge, qui en serait letiers garant.

De la «fabrique» à «l’entreprise-réseau» :prendre en compte les formes nouvellesd’organisation du pouvoir économique

Mais qu’est-ce que l’entreprise, nous demandions-nous ? L’entreprise n’est aujourd’hui que «traversée»par un ensemble de droits «régulatoires» (droit dutravail mais aussi droit des sociétés, droit de laconcurrence, de la consommation ou del’environnement, etc.). Pour s’être progressivementvue reconnaître un statut de «corps intermédiaire»,l’entreprise n’en reste pas moins depuis le XIXe

siècle, où la «fabrique» est encore enclose dans sesmurs, un sujet de droit naissant. C’est à peine si elleconstitue un objet de droit. C’est pourquoil’entreprise se trouve régulièrement définie en creux,à travers les figures métonymiques de l’économie oules périphrases du droit qui connotent surtout unbesoin et des usages fonctionnels (cf. les usages de la«marque» pour désigner «l’entreprise» ou la notion«d’unité économique et sociale» pour définir lepérimètre du comité d’entreprise). Faut-il pour autantdéfinir juridiquement l’entreprise et précipiter ainsison institutionnalisation ? Rien n’est moins sûr, faceaux tendances lourdes qui caractérisent désormaisl’organisation du pouvoir économique, bouleversantles cadres traditionnels de l’activité et del’organisation du travail.

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En se faisant, d’ailleurs, le promoteur de lanégociation collective dans l’entreprise, leLégislateur français n’a-t-il pas bâti lui-même unenouvelle ligne Maginot, face à des organisationsproductives qui démontrent chaque jour leurformidable capacité à déborder les cadres juridiquestraditionnels de la relation d’emploi ? La question estsans doute abrupte, mais elle est essentielle auregard de la définition d’une stratégie d’actionpublique à même de favoriser un dialogue socialefficace et équilibré. Or, force est de constater quede nombreux éléments empiriques convergentaujourd’hui pour faire la démonstration de l’inanitécroissante des mécanismes de régulation enfermésdans les frontières juridiques de l’entreprise. Ens’appuyant sur des travaux menés récemment àl’échelle européenne sur les transformations desorganisations productives (en particulier parl’Université européenne du travail et le LENTIC,laboratoire de l’université de Liège), le groupeThomas a eu la confirmation du diagnosticprécurseur posé par certains juristes travaillistes(Gérard Lyon-Caen, Marie-Laure Morin ou AlainSupiot) : les catégories fondamentales dont disposentle droit du travail pour essayer de cerner l’entrepriseet réguler les rapports de travail en son sein sontrendues largement inopérantes par la réalité dutravail lui-même dans les formes d’organisationsproductives contemporaines.

Notion cardinale pour la qualification juridique ducontrat de travail, la subordination n’est plus, dansbien des cas, un concept opératoire pour définirl’employeur et le périmètre de la négociationcollective. Les nouvelles logiques du pouvoiréconomique tendent en effet à rapprocher lesconditions concrètes d’exercice du travailindépendant et du travail salarié, au travers deprocessus très ambivalents. Valorisant la capacitéd’initiative et la créativité des individus, les modèlesmanagériaux en vogue tendent à développerl’autonomie dans l’exécution des tâches, ce qui estgénéralement perçu comme un progrès par rapport àla norme taylorienne. Mais la pénétration de lalogique marchande dans l’organisation (direction parobjectifs, relations clients-fournisseurs internes,rémunération variable) se traduit aussi par denouvelles formes de sujétions et d’aléas à l’égarddesquelles le statut de salarié était censé offrir uneprotection. Réciproquement, le travail non-salariétend à multiplier les situations «d’allégeance dansl’indépendance» (Alain Supiot). De mutiples «formesintermédiaires» de mobilisation du travail appa-raissent, qui, sous les dehors du travail indépendant,placent les individus dans des situations dedépendance économique à l’égard d’un tiers. Cebrouillage de la relation de subordination estégalement à l’œuvre au travers du recours accru àdes formes d’emploi (telles que l’intérim) qui opèrentune dissociation entre l’utilisateur de la main-d’œuvre et l’employeur légal. Avec ces configu-

rations d’emploi atypiques, la répartition des risquesassociés à la relation de travail, telle qu’elle estdéterminée par le modèle de l’emploi et organiséepar le contrat de travail salarié classiques (sécuritérelative contre subordination), se trouve modifiée enprofondeur.

Les nouvelles formes de l’organisation productive,non seulement rendent plus incertaine la définitiondu travail subordonné mais tendent à disséminerles responsabilités dans l’ensemble d’une chaîne decréation de valeur. Face aux nouvelles contraintesde compétitivité d’un marché mondialisé, les firmesfrançaises et européennes ont entamé depuis ledébut des années 1980 un processus de restruc-turation qui bouleverse en profondeur les situationsde travail et d’emploi. Avec la généralisation destratégies d’externalisation et de recentrage sur lecœur de métier des firmes – et leur corollaire entermes d’intensification des liens de sous-traitance– les frontières de l’entreprise se font plus mou-vantes et plus incertaines.

Ainsi qu’a pu le souligner Claude-EmmanuelTriomphe, délégué général de l’UET, et membre dugroupe Thomas, le type d’organisation qui résulte deces transformations n’a plus grand chose à voir avecles deux figures traditionnelles de l’entreprise : cellede l’usine ou de l’établissement ; celle de la société(au sens du droit des sociétés). L’établissement n’estplus le lieu d’activité d’une entreprise mais d’unemultiplicité : la présence des fournisseurs ou desclients y est permanente et souvent structurellementorganisée. À l’inverse, spécialisation oblige, lasociété commerciale n’est plus définie par lescontours d’un bien ou d’un service ; elle ne renvoieplus qu’à une segmentation de ces derniers.

Ainsi «l’entreprise» tend-elle à perdre sa substanced’organisation close et clairement délimitée pour sediluer dans le «réseau» des contrats de typecommercial, financier ou technique, nécessaires àl’action d’entreprendre. Mais ici comme dansd’autres domaines, la figure de la libertécontractuelle peine à dissimuler la réalité desrelations de dépendance et les mécanismes desujétion à l’œuvre. La technique du contrat n’estbien souvent que l’habillage juridique d’unensemble de normes imposées par les pôlesorganisateurs du «réseau-entreprise» (le groupe, lesdonneurs d’ordre, les actionnaires), normes quis’exercent sur les employeurs et, en dernier ressort,sur les travailleurs.

Quelle entité pertinente de négociation ?Schéma exploratoire

On voit ainsi que de multiples logiques secombinent pour réduire la portée d’une régulation

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des relations d’emploi centrée – pour ne pas direenfermée – dans le périmètre de l’entreprise ou del’établissement, tels que saisis par le droit dutravail. L’entreprise – firme multinationale ou PMEinscrite dans un réseau de dépendances – tend àdevenir au sens propre une utopie : un «nulle part»,dont les centres de décision sont diffus et relèventd’entités juridiques distinctes. Quelle est la portéeeffective d’un accord collectif limité aux seulssalariés d’une entreprise, dès lors que la productiond’un bien ou d’un service mobilise, sur un mêmesite ou à des milliers de kilomètres de distance,intérimaires, travailleurs indépendants, salariés misà disposition par un fournisseur ou un client ?Quelle est son utilité sociale, dès lors que leursconditions de travail et d’emploi sont en grandepartie fonction de choix effectués en amont, par undonneur d’ordre, une filiale du même groupe ou unactionnaire majoritaire peu identifiable ? Leproblème générique est celui de la disparition dulien univoque – typique d’une certain mode d’orga-nisation du travail aujourd’hui largement révolu –entre maîtrise de l’activité économique et imputa-tion de la responsabilité juridique ou morale pourses conséquences. Investi du pouvoir de décisionéconomique, le donneur d’ordre ou «l’entreprise-amirale» d’un groupe ne sont pas tenus pourjuridiquement responsables des conséquences deleurs décisions sur les travailleurs d’un sous-traitant(sauf cas particulier du bâtiment) ou d’une filiale.Or sans l’identification d’un point d’imputationjuridique, la régulation par le droit reste utopique,c’est-à-dire sans lieu réel qui puisse la fonder oul’accueillir.

Il s’agirait donc plutôt de construire demain quelquechose qui soit «en relation» avec l’existence de ces«organisations flexibles en réseau», comme hier ledroit du travail pouvait chercher à être «en prisedirecte» avec la façon dont «le patron régnait sur laboîte». Il s’agit en somme de fixer des «obligations»qui s’articulent au réseau – percent notamment le«voile contractuel» pour peser sur les calculs coûts-bénéfices de «l’entreprise-réseau» – plutôt que dedessiner à nouveau des frontières stables. Dès lorsqu’elles deviennent un mode de résolution deproblèmes, les techniques qui s’inventent autour duthème de la «Responsabilité sociale de l’entreprise»(RSE), quoiqu’elles ne débouchent que sur de laproduction de «normes volontaires», pourraientservir à cette exploration. Ainsi qu’a pu le montrerAndré Sobczak lors des travaux du groupe Thomas,la norme de travail se trouve de moins en moinsdéterminée par du droit du travail, au profit destandards techniques (depuis la norme ISOjusqu’aux règles du contrôle de gestion) ou, parexemple, de la règle commerciale. Il est nécessaired’observer ces phénomènes si l’on veut pouvoirtrouver demain de nouvelles «clés de régulation» dela relation de travail, c’est-à-dire déterminer leséléments pertinents de la «condition commune». On

pourrait, dans un premier temps, continuerd’explorer les potentialités de la notion de «groupe»,croiser la détermination d’un droit des travailleurssur le réseau «co-actif» avec la question du«dialogue social territorial»… Le schéma pris pourbase par le législateur américain sur la déterminationd’une «appropriate bargaining unit», qui peut-êtreune «multiemployer bargaining unit» dont lesnormes s’imposent à tous, suggère lui aussi despistes intéressantes. Plus fondamentalement les«mécanismes de responsabilité flexible» qui secherchent aujourd’hui suggèrent d’approfondir laréflexion dans trois directions :

– déterminer des éléments de la responsabilité«externe» du réseau (cf. le schéma pollueur-payeur) en lieu et place des éléments de laresponsabilité «interne» aux sociétés ;

– protéger «l’autonomie» des entités dépendantesau sein du réseau – les émanciper – plutôt quedonner un statut à cette dépendance avérée (cf.la protection du travailleur «subordonné») ;

– organiser la représentation des intérêts collec-tifs «tranversaux».

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UTILITIES

Prospective du rôle de l’Étatface à l’évolution des services publics en réseaux

Services publics en réseaux : éléments de prospective de la régulation

L’exercice de prospective animé par le groupe deprojet Utilities autour de la régulation des servicespublics en réseau (les télécommunications, lesservices postaux, les transports, l’énergie, l’eau ou lestransports urbains) comporte plusieurs dimensions quiont été décrites dans les documents antérieurs.

Ce document propose les principaux éléments deprospective issus de l’analyse de l’intervention despouvoirs publics dans des réformes mises en œuvreà l’étranger dans plusieurs secteurs : secteursélectrique et ferroviaire en Grande-Bretagne, attri-bution des licences UMTS en Europe et systèmeélectrique californien.

Ce retour d’expérience s’enrichit également deséchanges menés par le groupe auprès des éco-nomistes et des juristes experts du domaine, dontles jugements sur ces réformes sont assezcontrastés.

Rétrospective et prospective

Ces réformes ambitieuses, qui pour certainesd’entre elles ont conduit à des crises majeures,fournissent de précieux enseignements sur lesmodalités d’intervention des pouvoirs publics.

Bien que reposant sur des principes identiquesd’introduction de la concurrence, généralementjustifiée pour améliorer les services rendus à lapopulation, ces réformes n’en demeurent pas moinstrès différentes. Cette diversité permet ainsi dedégager de nombreuses variantes d’organisation dela régulation des services publics en réseaususceptibles d’alimenter des scénarios contrastés.

Les principales caractéristiques des réformesdes services publics en réseau

− Séparation des activités concurrentielles de services etde l’infrastructure des anciens monopoles publicsintégrés ;

− Introduction de la concurrence dans les services;

− Privatisation partielle ou totale des activités ;

− Mise en place de mécanismes de coordinationréglementaires et contractuels, avec des régulateurssectoriels indépendants et des contrats entre lesacteurs.

Libéralisation et régulation

La libéralisation des services publics en réseaus’accompagne dans les faits non par un retrait del’État mais bien par une réorganisation de sonintervention. L’ouverture des marchés constitue ainsiparadoxalement un acte politique qui vise àreconstruire un secteur suivant des règles différentesqui redistribuent les responsabilités publiques. Entrela non-intervention de l’État et une régulationproactive et génératrice d’externalités positives, sedécline toute une variété de modalités degouvernance de ces secteurs dans laquelle l’Étatcentral prend toute sa place mais à côté des autresacteurs que sont l’Europe, les collectivités locales etaussi d’autres institutions.

Lorsque les services publics en réseau sont ouvertsà la concurrence, une double mission s’impose àl’État : il doit garantir le respect des règles du jeupar les opérateurs, qu’ils soient publics ou privés etdonc supprimer les éléments qui faussent laconcurrence.

Dans le même temps, il lui faut corriger les résultatsde la libéralisation, définir et maintenir le servicepublic, d’intérêt général ou universel. L’État n’estplus gérant mais garant de l’accès de tous lesusagers au service à des conditions et des tarifséquitables. La prospective qui est menée essaied’imaginer les organisations aptes à rendrecompatibles ces deux exigences incontournables.Elle s’appuie sur une vision de la régulation assezlarge.

La régulation est un concept controversé quiregroupe de nombreuses fonctions. Si à un momentces dernières ont pu être assurées dans les secteursde service public en réseau par le seul État central,cela n’a pas été toujours le cas, et, dans l’avenir, iln’en sera probablement plus ainsi.

Les fonctions de la régulation sont aujourd’huimieux spécifiées et de fait partagées entre plusieursacteurs. Cette division des tâches qui s’affirme auregard des grandes évolutions que subissent cesréseaux se repère aisément en considérant parexemple l’émergence des agences administrativesindépendantes de régulation dont la création

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représente pour certains pays une réelle innovationinstitutionnelle.

Repérer et dissocier précisément les diversesfonctions de la régulation ouvre le champ despossibles de la prospective et permet de sortir de lalogique binaire «régule» ou «laisser-faire», logiquequi marque bien souvent les débats publics maisqui reste finalement peu féconde. Il apparaît eneffet peu raisonnable de parier sur une auto-régulation par les seuls consommateurs ou aucontraire de croire à un retour de nationalisationsmassives et d’une implication accrue des États dansla production de ces services.

L’avenir d’une intervention efficace de l’Étatsusceptible de garantir une certaine stabilité de cessecteurs se joue donc dans l’articulation deplusieurs fonctions.

L’éclatement des fonctionsde la régulation

Ces fonctions n’engagent pas toutes de la mêmemanière la responsabilité publique. Certainestâches semblent de nature principalement techni-que et juridique (surveillance de la concurrence etde l’accès au réseau), sans pour autant êtredénuées de toute portée politique, alors qued’autres fonctions ont des objectifs plus fortement,voire exclusivement, politiques (garantie duservice universel, conduite des politiques publi-ques connexes).

L’État doit être à même de distinguer clairement sesrôles de propriétaire des opérateurs publics, decommanditaire de prestations de services universels(à des opérateurs publics et privés) et de garant dela concurrence (pour tous les acteurs du secteur),alors que par ailleurs les secteurs libéralisésconstituent des éléments stratégiques de politiquesplus globales (emploi, aménagement du territoire,politique industrielle, etc.).

Une des questions posée par la libéralisation desindustries de réseaux est de savoir si les pouvoirspublics pourront toujours mener ces politiquesalors qu’ils perdent par ailleurs le contrôle defonctions essentielles au fonctionnement de cessecteurs.

Différentes fonctions de la régulation publiquepeuvent être distinguées :

• Régulation de la concurrence : il faut créer etsurveiller un marché concurrentiel avec desopérateurs publics ou privés. Cette fonction meten œuvre en particulier la réglementationjuridique du secteur et l’accès à l’infrastructure.

• Régulation du service universel : l’État garantitle service universel et assure la poursuite despolitiques publiques connexes.

• Régulation des opérateurs : la production duservice universel et des biens et servicesmarchands est supervisée par le régulateur.

• Régulation du patrimoine public : cette fonc-tion consiste à valoriser les investissements et lapropriété publique.

Ces différentes composantes de la régulation sont àassocier aux politiques qui sont menées dans lemême temps dans chacun de ces secteurs.L’analyse rétrospective invite à isoler quatre axesdéterminants de l’action stratégique de l’État :

Concurrence et politique industrielle

L’organisation de la concurrence n’est pas sans lienavec les préoccupations de politique industrielle(télécommunications, nucléaire, industrie ferroviaire,renforcement des grandes entreprises européennesdans la concurrence internationale, etc.).

Mais les conflits entre les orientations possibles despolitiques industrielles en Europe peuvent être àl’origine de crises, comme l’a montré la gestion (oula non gestion) de l’attribution des licences UMTS auniveau européen (Universal Mobile Telecommu-nications System, pour l’accès à l’Internet sur lesréseaux mobiles). Ce point se retrouve dans laplupart des réformes et cet exemple n’est qu’uneillustration.

L’Europe a affiché une politique industrielle sansque les États ne donnent véritablement auxinstitutions européennes les moyens de sa réussite.

Le standard UMTS apparaissait comme un enjeuconsidérable en termes d’emplois et d’efficacitééconomique. Mais un marché ne se décrète pas.Les risques étaient trop importants et cette politiques’est heurtée à une mauvaise lisibilité de l’offre deservices et à une absence de demande solvable.L’attribution des licences UMTS a aggravé en 2000la crise financière et boursière du secteur destélécommunications.

Concurrence et innovation

Le choix de renforcer ou de limiter la concurrencepeut se comprendre également au regard dudéveloppement des secteurs qui dans la plupart descas nécessite des investissements.

Or, si le renforcement de la concurrence favoriseles consommateurs, il peut aussi freiner ledéveloppement du marché en fragilisant lesopérateurs, qui investissent beaucoup. La question

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du niveau de concurrence optimal se compliqueavec la logique de service public du secteur. Dansl’exemple des licences UMTS, la couvertureimportante du territoire imposée aux opérateurs (onretrouve cette contrainte pour le transport ferro-viaire) pouvait justifier en contrepartie une moindrepression concurrentielle. On aurait lésé le consom-mateur immédiat au profit du citoyen. Cesquestions ne sont pas simples et n’ont pas trouvéd’accord au niveau européen dans le cas des télé-communications.

Concurrence et répartitiondes coûts et des gains

L’exemple des licences UMTS montre aussi queplusieurs logiques sont possibles : gratuité de la miseà disposition des bandes hertziennes, compte tenudes effets positifs sur la collectivité ; rente versée entotalité au consommateur en renforçant la concur-rence ; rente laissée en partie aux opérateurs comptetenu des risques et des investissements (logiqueindustrielle) ; rente récupérée par les pouvoirspublics pour financer d’autres politiques (logiquebudgétaire et fiscale).

En pratique, les considérations budgétaires l’ontremporté sur la stratégie industrielle d’origine. Deuxquestions n’ont pas été traitées. Était-il opportun deprélever la rente du secteur ? Quelles pouvaient êtreles conséquences de l’absence d’harmonisation desprocédures sur l’attitude des États et les stratégies desopérateurs ? La concurrence est un moyen de laisserla rente au consommateur, mais d’autres optionslégitimes de partage peuvent être retenues.

Concurrence et gestion du risque

Les défaillances de la régulation ont été clairement àl’origine des dysfonctionnements, voire des crisesdans les réformes menées en Grande-Bretagne dansles chemins de fer et en Californie dans le secteur del’électricité. L’introduction de la concurrence pose laquestion de la répartition du risque entre les pou-voirs publics et les opérateurs. Parmi ces risques, onpeut noter la question du développement desinvestissements, la sécurité du secteur dans de nom-breux domaines, la coordination entre les opéra-teurs et les questions financières.

Retrouver l’efficacité en organisantune gouvernance partagée

L’analyse des crises démontre que bien souvent lesinstitutions de régulation au sens large n’ont pas puni su remplir leur mission de réducteursd’incertitudes. Les défaillances se situent à plusieursniveaux. Elles constituent les éléments d’uneprospective de la régulation dans les industries deréseau.

Rôle de coordination

Les réformes mettent en jeu différent niveaux derégulation. Les crises s’expliquent bien souvent parl’insuffisance de coordination entre ces diversniveaux. Cela a été le cas en Californie entre l’Étatfédéral et l’État californien dans le secteur électrique,ou encore dans le secteur des télécommunicationsentre les États, les institutions européennes et lesrégulateurs. Le besoin de coordination est reconnu,mais son organisation reste souvent insuffisammentdéfinie.

Cette coordination s’impose d’autant plus dans lepaysage industriel actuel que les grandes industriesde réseau ne s’inscrivent plus dans un cadreuniquement national (réseaux interconnectés,évolution de la nationalité du capital des entreprises,stratégies des opérateurs, etc.). Par ailleurs, onanticipe aujourd’hui une reconcentration desopérateurs au niveau européen.

Une institutionnalisation de la coordination auniveau européen semble donc incontournable,notamment pour l’organisation de la régulationsectorielle. Elle se heurtera au pouvoir des États surles secteurs, avec la difficulté que certains ont desintérêts patrimoniaux dans les opérateurs et qu’ilssont intéressés par les recettes des privatisations.

Les points de vue restent très partagés sur lesprincipales questions qui en découlent pour tousles secteurs en cours de libéralisation :

– Jusqu’où mettre en cause les prérogatives desÉtats dans l’attribution des ressources rares ?

– Faut-il une harmonisation des méthodes àl’échelle européenne pour une allocationoptimale ?

– Faut-il renforcer une régulation européenne oul’harmonisation des régulations nationales ?

– Les régulateurs nationaux sont-ils suffisammentindépendants ?

– Un cadre coopératif comme le groupe derégulateurs européens est-il suffisant pourdonner une impulsion suffisante à l’échelleeuropéenne ?

– La Commission européenne peut-elle disposerd’un droit d’intervention autre que celui de laconcurrence ?

Rôle de concertation et capacité d’expertise

Une politique industrielle volontariste suppose uneconcertation approfondie de l’ensemble des acteurs

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qui, clairement, n’a pas été suffisante pour leslicences UMTS.

Un point clef est l’expertise des secteurs, qui estconcentrée chez les opérateurs. La stratégie del’État doit être crédible, face aux opérateurs quisouhaitent une baisse du prix de l’accès auxréseaux et aux équipementiers optimistes surl’avenir du marché. Elle doit s’appuyer sur uneinformation de qualité indépendante des acteurs.

Une institutionnalisation de la production de cetteinformation doit être posée, car c’est un véritableenjeu pour la régulation. Ceci concerne aussi lescollectivités locales.

Rôle vis-à-vis des consommateurs

Les intérêts du consommateur final ne pèsent guèreautrement que d’un point de vue théorique dans lesdifférentes réformes.

Le système actuel est en effet tout entier organiséautour de l’opposition entre l’opérateur dominant etles nouveaux entrants, ses concurrents. Il manque leconsommateur (l’usager) alors qu’on fait de lui l’undes principaux bénéficiaires des réformes, soit parcequ’il est au cœur de l’attention des pouvoirs publics,soit parce qu’il est le premier bénéficiaire de labaisse des prix et de la diversification des servicesque le jeu concurrentiel est supposé provoquer.Dans le modèle de régulation traditionnel, leconsommateur est défendu par le biais du citoyenqui actionne le levier politique pour faire prendre encompte ses intérêts.

Dans le modèle qui s’établit aujourd’hui autour durégulateur indépendant, la défense du consom-mateur suppose qu’il soit représenté de manièrestructurée et efficace, comme cela peut être le casdans les pays anglo-saxons où les organisationsconsuméristes sont beaucoup plus puissantes qu’enFrance.

Rôle pour les infrastructureset le développement du réseau

Les incitations à l’investissement qui font souventproblème doivent être développées différemmentdans les industries à maturité (infrastructuresferroviaires) que dans les secteurs émergents (télé-phonie mobile).

La régulation devrait-elle mettre en place oufavoriser des mécanismes d’incitation pour pousserles opérateurs à réaliser les investissements dedéveloppement et de capacité nécessaires ?

Apprentissage et pragmatisme

L’analyse de ces réformes montre que les pouvoirspublics procèdent bien souvent avec pragmatisme,

et que la régulation gérée dans des contextesnouveaux impose aux responsables un réel appren-tissage. L’inquiétude vient du fait que les cadresthéoriques sur lesquels reposent ces réformes sontinsuffisants pour maîtriser la complexité del’intervention dans ces secteurs.

Ces réformes sont difficiles et supposent d’afficherdes convictions fortes. Et paradoxalement, larégulation s’exerce dans un contexte institutionnelet économique très changeant. Cette complexitésuppose de la part des pouvoirs publics prudenceet réversibilité.

Les scénarios pour la régulation

Cette prospective s’inscrit à la fois dans l’actualitéeuropéenne, avec le récent Livre blanc de laCommission de mai 2004 qui recommande aux Étatsmembres d’améliorer leur système de régulation, etdans la décentralisation en cours qui renforcel’autonomie des collectivités locales.

Les interventions publiques efficaces, équitables etlégitimes dans ces secteurs doivent être repensées.Les politiques industrielles et d’investissementseront-elles menées au niveau européen ou via despolitiques nationales coordonnées ? La définitiondu service public dépend-elle du niveau européen,national ou local ? etc.

Les modalités de la régulation restent largement àinventer et sans doute au prix de quelques risquesplus ou moins faciles à apprécier. L’analyse dugroupe Utilities invite à rechercher cette efficacitédans une régulation partagée avec l’ensemble desacteurs concernés. La régulation ne doit pas eneffet être un acte isolé qui manifesterait l’arbitraired’un État cherchant à forcer le marché, mais plutôtune coordination contractualisée entre l’ensembledes acteurs.

Les crises du secteur ferroviaire britannique, dusecteur électrique californien, et des télécommu-nications s’expliquent en grande partie par la lenteuravec laquelle les systèmes de régulation se sontadaptés aux bouleversements liés à l’introduction dela concurrence.

Cet exercice de prospective vise à éviter ces crisesen anticipant des modalités de régulation mieuxadaptées aux transformations qui sont dès à présentinéluctables et sortir d’un scénario «au fil de l’eau»dans lequel les pouvoirs publics chercheraient àpréserver des modèles d’organisation passés, souventidéalisés et de fait dépassés par des changementsmal maîtrisés (internationalisation des acteurs,diversification des demandes, innovations techni-ques, etc.).

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Dans le scénario de régulation partagée qui peut êtreun objectif, les mécanismes de mise en œuvre nesont pas fixés théoriquement mais plutôt par rapportau contexte institutionnel, à l’environnement éco-nomique de chacun des secteurs et à la dynamiquede ces déterminants. Le retour d’expérience deréformes à l’étranger le montre bien. Il enseigneaussi que la libéralisation des industries de réseau nese traduit pas par une diminution du rôle de l’Étatrégulateur, mais très souvent par le renforcement dece rôle sous des formes plus complexes. Ce signal nedoit pas être négligé. Il montre que la régulations’inscrit dans une dynamique.

Une première question se pose de savoir si le cumuldes fonctions observé dans le passé facilite lacohérence interne de la régulation publique ou, aucontraire, limite le jeu des contre-pouvoirs entre lesautorités gouvernementales, le régulateur sectoriel,l’autorité de la concurrence, le pouvoir judiciaire etles différents niveaux de régulation sectorielle.

Une seconde interroge d’une part sur le maintiende régulateurs sectoriels nationaux ou leureffacement au profit de l’État et des autorités deconcurrence et d’autre part sur le degré decoopération de ces régulateurs en Europe et lacréation de régulateurs sectoriels européens.

Sur cette base, il est possible d’envisager plusieursscénarios prospectifs contrastés.

Un premier scénario pourrait être celui dans lequelle renforcement de la régulation se fait au profit del’État central qui réintégrerait les principales fonc-tions de régulation : le scénario de l’État régulateur.

Un deuxième scénario au contraire pourrait êtrecelui dans lequel l’État est un acteur de la régulationavec d’autres institutions. Dans ce scénario, l’effica-cité se trouve dans la capacité à obtenir descompromis.

Un troisième scénario enfin serait celui de l’Étatcoordinateur des différents pôles de la régulation,l’État central n’ayant plus alors un rôle direct maisplutôt un rôle de production d’informationcommune, d’évaluation et de mise en cohérence.

Dans la suite des travaux, chacun de ces scénariosva être précisé et enrichi, à partir des différents axesprésentés plus haut, afin de décliner les contoursque peut prendre une gouvernance partagée.

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ANNEXE

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MEMBRES DES GROUPES DE PROJET

ALEPHBruno Hérault, chef de projet, Commissariat général duPlan ;Aurélien Colson, chargé de mission, Commissariat généraldu Plan ; Pierre-Yves Cusset, chargé de mission, Commis-sariat général du Plan ; Evelyne Dourille-Feer, chargée demission, CEPII ; Céline Mareuge, chargée de mission,Commissariat général du Plan ; Sandrine Paillard,coordinateur, chargée de mission, Commissariat général duPlan ; Sylvie Chasseloup, assistante, Commissariat généraldu Plan ; Sabine Atieh, stagiaire, Commissariat général duPlan.

ARIANEAurélien Colson, chef de projet, Commissariat général duPlan ;Sylvie Bénard, chargée de mission, Commissariat généraldu Plan ; Ethel Charbonnier, chargée de mission, Commis-sariat général du Plan ; Pierre-Yves Cusset, coordinateurpour l’intégration sociale, Commissariat général du Plan ;François Géraud, stagiaire, Commissariat général du Plan ;Nathalie Guichard, assistante, Commissariat général duPlan ; Bruno Hérault, chargé de mission, Commissariatgénéral du Plan ; Cécile Jolly, chargée de mission,Commissariat général du Plan ; Marguerite Lebrec,stagiaire, Commissariat général du Plan ; Lucile Schmid,chef du Service de la modernisation de l’État, Commissariatgénéral du Plan.

ASTYPALEAOlivier Passet, chef de projet, chef du Service économique,financier et international (SEFI), Commissariat général duPlan ;Mireille Bardos, chef de service, Observatoire desentreprises ; Pascal Bied-Charreton, directeur des études,FFSA ; Gérard Bouvet, Gb Développement ; NathalieCoutinet, CEPN, maître de conférence, université d’Angers,chercheur au CEPN-CNRS (Paris-XIII) Renaud du Tertre,conseiller scientifique, Commissariat général du Plan ; MarcGolberg, chief technology officer, Rvc Reuters VentureCapital Europe ; Elisabeth Kremp, SESSI, ministère del’Industrie, Sous-direction des études ; Christophe LeCornec, analyste financier, Cyril Finance ; EmmanuelLeprince, délégué général, Fédération européenne desPME, Comité Richelieu ; Nadine Levratto, chargée derecherche, CNRS ; Laurent Micheaud, ministère del’Économie, des Finances et de l’Industrie, DECAS ;Dominique Namur, conseiller scientifique, Commissariatgénéral du Plan ; Jean-Pierre Philippe, responsable duService stratégie et communication, Eads Telecom ; ClaudePicart, INSEE, D3E ; Dorothée Rivaud-Danset, professeur,université de Reims Champagne-Ardenne, chercheur,CEPN-CNRS (Paris-XIII) ; Sébastien Roux, chef de ladivision marchés et stratégies d’entreprise, Département desétudes économiques, ENSEM ; Annie Sauvé, adjointe auchef de service, Banque de France, OBSRDE ; HenrySavajol, directeur des études et de la stratégie, Banque deDéveloppement des PME ; Nadine Thévenot, maître deconférence, université du Havre.

CADUCÉEMarc Brodin, chef de projet, professeur des Universités,faculté de médecine Xavier-Bichat, chef du service Santé

publique, hôpital Robert-Debré ; Stéphane Le Bouler, co-chef de projet, coordinateur de l’axe Santé, Commissariatgénéral du Plan ;Sandrine Chambaretaud, chargée de mission, Commis-sariat général du Plan ; Alain Ayong Le Kama, conseillerscientifique, Commissariat général du Plan ; EthelCharbonnier, chargée de mission, Commissariat général duPlan ; Gilles Chalanson, directeur, Prix et Économie dumédicament, Affaires publiques, Aventis Pharma SA ; MarcDuriez, chargé de mission, Haut Comité de la santépublique ; Anne Dux, chef du bureau Santé, DGCCRF,ministère de l’Économie, des Finances et de l’Industrie ;Richard Guedon, directeur médical, Groupama ; FrançoisHirsch, directeur de recherche, responsable du pôle qualitéet de la mission éthique de l’INSERM ; Jean-Marie Langlois,directeur des affaires économiques, Les Entreprises dumédicament (LEEM) ; Cécile Malguid, chargée d’études surles questions de santé, Direction de la prévision et del’analyse économique, ministère de l’Économie, desFinances et de l’Industrie.

CARNOTBertrand Wiedemann-Goiran, chef de projet, Commissa-riat général du Plan ;Denis Babusiaux, Institut français du pétrole ; DavidBeauvisage, Fédération nationale des Collectivités concé-dantes et régies ; Jean Besson, Permanence parlementaire ;Michel Boivin, Direction des relations économiquesextérieures ; Djemila Boulasha, Réseau de transportd’électricité ; Frédéric Bredillot, Assemblée nationale ;Thierry Chambolle, Suez-Lyonnaise des Eaux ; Jean-PierreDelalande, AREVA ; Erik Guignard, Syndicat des énergiesrenouvelables ; Richard Lavergne, DGEMP/ Observatoirede l’énergie ; Roger Leron, Rhonealpenergie –Environnement ; Nicolas Machetou, Commission derégulation de l’énergie ; Reine-Claude Mader, Confédéra-tion, consommation, logement et cadre de vie.

COSMOSSylvie Bénard, chef de projet, Commissariat général duPlan ; Bernard Benyamin, co-chef de projet, rédacteur enchef, France 2 ;Simon Barry, directeur adjoint, Direction du dévelop-pement des médias ; Yves de Chaisemartin, président dudirectoire, «Le Figaro» ; Élie Cohen, directeur de recherche,CNRS ; Véronique Deiller, stagiaire, Commissariat généraldu Plan ; Jean-Yves Dupeux, avocat ; Bertrand Eveno,président-directeur général, AFP ; Nathalie Guichard,assistante, Commissariat général du Plan ; Francis Jutand,chargé de mission, Direction du CNRS ; Ivan Levaï,journaliste ; Jean-Loup Manoussi, directeur général adjoint,«La Montagne» ; Paul Nahon, rédacteur en chef, France 2 ;Laurent Pellet, chargé de mission, Direction de laPrévision ; Françoise Sampermans, directrice despublications, NMPP.

DELOSChef de projet : Olivier Passet, chef du Serviceéconomique, financier et international (SEFI), Commissariatgénéral du Plan ;Groupe en cours de constitution.

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DÉMÉTERBenoît Lajudie, chef de projet, Commissariat général duPlan ;Jacques Bahry, directeur général, Centre d’étudessupérieures industrielles ; Hubert Bouchet, directeurrégional du Travail, de l’Emploi et de la Formationprofessionnelle de Franche-Comté ; Alain Bournazel, chefde mission de contrôle, ministère de l’Économie, desFinances et de l’Industrie ; Dominique Camusso,responsable Formation, SNECMA Moteurs ; Olivier Delage,chargé de mission, région Aquitaine ; Denis Fougère,conseiller scientifique, Commissariat général du Plan ;Didier Gelot, adjoint à la sous-directrice chargée du suivi etde l’évaluation des politiques d’emploi et de formationprofessionnelle, Direction de l’animation de la recherche,des études et des statistiques, ministère des Affaires sociales,du Travail et de la Solidarité ; Jacques Jacquet, consultant,Diatel ; Pierre Le Douaron, chef de la missionDéveloppement de la formation continue et promotionsociale, Délégation générale à l’emploi et à la formationprofessionnelle ; Monique Lingagne, assistante, Commis-sariat général du Plan ; Annick Maisonneuve, chargée demission, Commissariat général du Plan ; Claude Sauvageot,chef de la mission Éducation, économie, emploi, Directionde l’évaluation et de la prospective.

ÉQUILIBRESAlain Ayong Le Kama, chef de projet, conseillerscientifique, Commissariat général du Plan ;Christine Beaude, Conseil général des Mines ; Licia Bottura,responsable pédagogique, École nationale supérieure decréation industrielle (ENSCI) ; Dominique Bureau, directeur,D4E (MEDD) ; Ethel Charbonnier, chargée de mission,Commissariat général du Plan ; Dominique Chauvin,conseiller, Direction développement durable, Total ; V.Denby-Wilkes, Direction développement durable, EDF ; ElHadji Fall, stagiaire, Commissariat général du Plan ;Sylviane Gastaldo, sous-directrice, D4E (MEDD) ; MarcGuérin, responsable du pôle Acteurs locaux, chargé demission, Commissariat général du Plan ; Cécile Jolly,responsable du pôle Entreprises et Consommateurs, chargéede mission, Commissariat général du Plan ; Philipe LeLourd, chargé de mission, Commissariat général du Plan ;Stéphanie Levet, directrice développement durable,Monoprix ; Eris Loiselet, associé, Terra Nova Conseil ; EliseMartinez, assistante, Commissariat général du Plan ; PatrickParis, directeur développement et affaires publiques,Lafarge ; Henri Prévot, responsable du pôle État, Conseilgénéral des Mines ; Mireille Riclet, responsable des affaireséconomiques, Confédération française des Coopérativesagricoles (CFCA).

EUROPEJean-Louis Levet et Vanessa Wisnia-Weil, chefs de projet,Commissariat général du Plan ;Christian Deubner, chargé de mission, Commissariatgénéral du Plan ; Marie-Cécile Milliat, chargée de mission,Commissariat général du Plan ; Cécile Karas, assistante,Commissariat général du Plan ; Sylvia Fernandez, assis-tante, Commissariat général du Plan.

GESTESébastien Doutreligne, chef de projet, Commissariat généraldu Plan ;Valérie Colombel, chargée de communication, Centred’études prospectives et d’informations internationales ;Bernard Ennuyer, sociologue, ingénieur de formation,directeur d’une association d’aide à domicile ; François

Ewald, philosophe, spécialiste des questions d’assurance ;Alexandra Fourcade, médecin, ministère de la Santé, de laFamille et des Personnes handicapées ; Alain Jousten,professeur, université de Liège, spécialiste des questionsliées à la «dépendance» ; Pierre Lasbordes, député, cin-quième circonscription de l’Essonne ; Aude Le Divenah,médecin gériatre, chef de projet «soins palliatifs», ministèrede la Santé, de la Famille et des Personnes handicapées ;Jean-Paul Le Divenah, directeur de cabinet, secrétaire d’Étataux Personnes âgées ; Florence Legros, économiste,professeure à l’université de Paris-Dauphine, présidente dela commission Prospective de l’Association française desinvestisseurs institutionnels ; Monique Lingagne, assistante,Commissariat général du Plan ; Jean-Marie Robine,médecin gérontologue, démographe ; Alice Vallade,stagiaire, université de Paris-V ; Zdenka Zackova, médecin,directrice des soins d’un établissement d’hébergement pourpersonnes âgées.

JONASFrançois Ewald, chef de projet, professeur, Conservatoirenational des arts et des métiers ; Stéphane Le Bouler, co-chef de projet, coordinateur de l’axe Santé, Commissariatgénéral du Plan ;Alain Ayong Le Kama, chargé de mission, Commissariatgénéral du Plan ; Bernard Bachelier, chargé de mission,ministère délégué à la Recherche et aux Nouvelles techno-logies ; Bertrand Barré, directeur, Direction de lacommunication scientifique, Areva ; Alain Catala, directeurgénéral, Limagrain ; Jacques Demblans-Dechans, président,Novergie ; Jean-Philippe Deslys, chef du GIDTIP, CEA ;Christian Deubner, chargé de mission, Commissariatgénéral du Plan ; Jean-Jacques Duby, directeur général,Supelec ; Emmanuel Forest, directeur général adjointLicences et régulation, Bouygues Telecom ; FrançoisGarnier, vice-président juridique, Pfizer France ; LaurentGouzènes, directeur, Direction du Plan et des programmesd’études, STMicroelectronics ; André Grosmaître, directeur,Direction Développement durable-environnement-sécuritéproduits, Atofina ; Philippe Hirtzman, chef du Service desentreprises et du développement des activités économiques,Commissariat général du Plan ; Cécile Jolly, chargée demission, Commissariat général du Plan ; Yveline Lully,assistante, Commissariat général du Plan ; Olivier Picavet ,stagiaire, Commissariat général du Plan.

KAZANMaryse Aoudai, chef de projet, Commissariat général duPlan ; François Gaudu, co-chef de projet, Commissariatgénéral du Plan (en cours de constitution).

MANONMarc Guérin, chef de projet, Commissariat général duPlan ;Gilles Arnaud, Commissariat général du Plan ; Jean-Marie Barbier, Fédération nationale des Syndicats depropriétaires forestiers sylviculteurs ; Olivier Bertrand,Association française du Conseil des communes etrégions d’Europe ; Antoine de Boisemenu, Fédérationnationale des SAFER ; Chantal Cans, université duMaine ; Robert Damien, université de Franche-Comté ;René Danière, France Nature Environnement ; Jean-YvesDelacoux, EDF ; Christian Deverre, INRA Avignon ; YvesFavre, Agence des espaces verts de la région Île-de-France ; Bernard Ferré, FNSEA ; Bernard Foussat,Fédération française des Sociétés d’assurances ; Marie-Christine Kovacshazy, Commissariat général du Plan ;Georges Labazée, Conseil régional d’Aquitaine ; Philippe

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Le Lourd, Commissariat général du Plan ; Jacques Malet,Chambre régionale des comptes des Pays de la Loire ;Philippe Perrier-Cornet, INRA Dijon ; Vincent Piveteau,DATAR ; Gérard Seigle-Vatte, Chambre d’agriculture del’Isère ; Jacques Sicherman, Conseil général des Ponts etChaussées ; Jacques Sironneau, ministère de l’Écologie etdu Développement durable ; Christian Vanier, DDAF del’Aisne ; Bruno Vindel, ministère de l’Agriculture, del’Alimentation, de la Pêche et des Affaires rurales.

MIDILionel Fontagné, chef de projet, directeur, Centred’études prospectives et d’informations internationales(CEPII) ;Christian Connan, ambassadeur, délégué au co-développement, Quai d’Orsay ; Jean-ChristopheDumont, économiste, OCDE ; Philippe Fargues,démographe, IUE de Florence ; Jean-Pierre Garson,économiste, OCDE ; Nicole Guimezanes, juriste,université de Paris-XII ; Sébastien Jean, économiste,Centre d’études prospectives et d’informations interna-tionales ; Jean-Baptiste Meyer, sociologue, Centrenational de la recherche scientifique ; El MouhoubMouhoud, chargé de mission, Commissariat général duPlan ; Mireille Raunet, Conseil économique et social.

MOSTRAPierre-Jean Andrieu, chef de projet, Commissariat généraldu Plan ; Yves Chassard, co-chef de projet, coordinateur,chef du Service des Affaires sociales (SAS), Commissariatgénéral du Plan ;Françoise Bouygard, chef de service, Délégation généraleà l’emploi et à la formation professionnelle, ministère desAffaires sociales, du Travail et de la Solidarité ; AlainDumont, consultant, ancien directeur de la Formation duMEDEF ; François Gaudu, conseiller scientifique,Commissariat général du Plan ; Jérôme Gautié,professeur, université de Reims, Centre d’études del’emploi ; Didier Gelot, adjoint à la sous-directricechargée du suivi et de l’évaluation des politiques d’em-ploi et de formation professionnelle, Direction de l’ani-mation de la recherche, des études et des statistiques,ministère des Affaires sociales, du Travail et de laSolidarité ; Michel Guerre, chef de cabinet du directeur,Direction des relations du travail, ministère des Affairessociales, du Travail et de la Solidarité ; Marc Gurgand,chargé de recherches, Centre d’études de l’emploi ;Philippe Mehaut, directeur de recherches, Laboratoired’économie et de sociologie du travail ; Bernard Simonin,directeur de recherches, Direction régionale du travaild’Île-de-France ; Michel Théry, chef du départementFormation continue, Centre d’études et de recherches surles qualifications ; Carole Tuchszirer, chercheuse, Institutde recherches économiques et sociales.

ORFEOMichel Mirandon, chef de projet, Commissariat généraldu Plan ;Jean-Jacques Beineix, cinéaste ; Gilles Butaud, déléguédu futur musée des Civilisations de Marseille ; EdgardDana, directeur de «Cultures du Cœur», ancien direc-teur de l’ANPE Spectacles ; Luc Daniel, artiste de rue, co-directeur du Festival «Les Orientales» ; Gilles Fromonteil,sculpteur ; Karim Kacel, chanteur ; Alain Le Diberder,directeur d’une société de conseil en multimédia ;Marion Mazauric, éditrice ; Gilles Porte, cinéaste ;Michèle Simonnet, comédienne ; Bernard Sobel, metteuren scène ; Jean Vincent, directeur d’une société degestion des droits des artistes-interprètes ; Fabrice

Bousteau, directeur d’une revue d’art ; Brigitte Lefèvre,directrice de la danse à l’Opéra national de Paris ; SergeMoati, téléaste ; Équipe d’animation : Christine Afriat ;Jean-Jacques Barey ; Francine Labadie ; François Rouet ;Conseiller : Pierre-Michel Menger ; Assistante : MurielLavolé, Commissariat général du Plan.

PÉRICLÈSPaul Zagamé, chef de projet, Commissariat général duPlan ;Bernard Bachelier, chargé de mission, ministère délégué àla Recherche et aux Nouvelles technologies ; Jean Bourles,Commission européenne ; Denis Besnainou, chargé demission, Commissariat général du Plan ; Jean-Luc Biacabe,secrétaire général du Centre d’observatoire économique dela Chambre de commerce et d’industrie de Paris ; Christiande Boissieu, président délégué, Conseil d’analyseéconomique ; Moustanshire Chopra, chargé de mission,Commissariat général du Plan ; Martine Comberousse,chargée de mission, Direction de la technologie, ministèredélégué à la Recherche ; Alain Ducass, chef du pôleTechnologies de l’information et de la communication,DATAR ; Jean-Louis Gerstenmayer, chargé de mission,Département nouvelles technologies pour la société,ministère délégué à la Recherche et aux Nouvellestechnologies ; Annick Guilloux, chargée de mission,Commissariat général du Plan ; Alain Hayat , président dela Commission de recherche, MEDEF ; Jean-FrançoisMarchipont, directeur, Recherche économique et sociale,Direction de la Recherche, Commission européenne ; UgurMuldur, chef d’unité, Direction de la recherche,Commission européenne ; Dominique Paoli, Servicesadministratifs du Sénat ; Jacques Perget, ancien directeur dela DGRST ; Jean-Marie Picard, enseignant-chercheur,Institut technologique de Compiègne ; Cyril Robin-Champigneul, Cabinet du commissaire européen à laRecherche ; Isi Sarragosi, chef d’unité, Investissement dansla recherche et lien avec les autres politiques, Commissioneuropéenne ; Danièle Schirman-Duclos, haut fonction-naire Développement durable, ministère délégué à laRecherche et aux Nouvelles technologies ; Pierre Valette,directeur Recherche-Environnement, Commission euro-péenne ; Daniel Vitry, directeur, DRIC, ministère del’Éducation nationale ; Philippe Waguet, directeur duService des Études, Sénat ; Jean-Marc Zaninetti, conseiller àla Prospective, DATAR.

PERROUXEl Mouhoub Mouhoud, chef de projet, Commissariatgénéral du Plan ;Francis Aubert, chercheur, INRA, Dijon ; Iain Begg,consultant, London School of Economics ; GilbertBenhayoun, économiste, université d’Aix-Marseille ;Sébastien Dupuch, stagiaire, Commissariat général duPlan ; Carl Gaigné, chercheur, INRA, Dijon ; JeanGuellec, chargé de mission, Commissariat général duPlan ; Marc Guérin, chargé de mission, Commissariatgénéral du Plan ; Hubert Jayet, économiste, université deLille-I ; Rémi Lallement, chargé de mission, Commis-sariat général du Plan ; Yvette Lazerri, chercheuse,CNRS, Groupement de recherche en économie quan-titative d’Aix-Marseille, université d’Aix-Marseille-II ;Marie-Claude Maurel, géographe, École des hautesétudes en sciences sociales ; Charles-Albert Michalet,conseiller scientifique, AFII ; Bernard Morel, respon-sable de l’Observatoire des territoires, DATAR ; YvesMorvan, président du Conseil économique et socialrégional de Bretagne ; Jean-Louis Mucchielli, écono-

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miste, université de Paris-I Panthéon-Sorbonne ; FrançoisPoirson, directeur de la Fédération COOP du Limousin ;Catherine Presse, assistante, Commissariat général duPlan ; Florence Puech, économiste, université de Paris-IPanthéon-Sorbonne ; Dominique Schmitt, préfet duFinistère.

PIETARémi Lallement, chef de projet, Commissariat général duPlan ;Valérie-Laure Benabou, professeure, laboratoire DANTE,université de Saint-Quentin-en-Yvelines ; HacinaBenahmed, chargée de mission, Commissariat généraldu Plan ; Pierre Breese, président, Cabinet Breese &Majerowicz ; Maurice Cassier, chargé de recherche,CERMES, CNRS ; Jacques Combeau, directeur délégué,Direction de la propriété intellectuelle, Air Liquide ;Dominique Deberdt, responsable de l’Observatoire de lapropriété intellectuelle, INPI ; Béatrice Dumont, maîtrede conférences, CREREG, université de Rennes-1 ;Dominique Foray, administrateur principal, OCDE,CERI ; Alain Gallochat, conseiller pour la propriétéintellectuelle, Direction de la technologie, ministèredélégué à la Recherche et aux Nouvelles technologies ;Mohamed Harfi, chargé de mission, Commissariatgénéral du Plan ; Bernard Lang, directeur de recherche,INRIA ; Gisèle Lefevre, assistante, Commissariat généraldu Plan ; Hélène de Monluc, chef du bureau de laPropriété littéraire et artistique, ministère de la Culture etde la Communication ; Dominique Namur, conseillerscientifique, Commissariat général du Plan ; RémyOudart, chargé de la mission Propriété industrielle,SQUALPI, DGITIP, ministère de l’Économie, desFinances et de l’Industrie ; Thierry Sueur, vice-président,Air Liquide ; Gilles Vercken, avocat, Barreau de Paris ;Messaoud Zouikri, stagiaire.

POLESSandrine Chambaretaud, chef de projet, Commissariatgénéral du Plan ;Marc Bouillet, directeur général de l’Associationfrançaise contre les myopathies ; Yann Bourgueil,médecin de santé publique, IRDES ; Pierre Chabas,directeur délégué AROMSA du Languedoc-Roussillon ; Karine Chevreul, médecin de santépublique, IRDES ; Carole Clavier, doctorante enscience politique ; Jean-Marie Devevey, chargé demission, Datar ; Laurence Hartmann, maître deconférence en économie ; Patrick Hassenteufel,professeur de science politique ; Olivier Lacoste,directeur de l’ORS Nord-Pas-de-Calais ; DanièleLarger, inspectrice générale, IGAS ; Stéphane LeBouler, coordinateur de l’axe Santé, Commissariatgénéral du Plan ; Alain Le Maguet, président del’URML Basse-Normandie ; Jean-Marc Macé,géographe de la santé ; Alain Pelc, directeur desStatistiques, des Études économiques et financières,CCMSA ; Rémi Pellet, professeur de droit ; DominiquePolton, directrice, IRDES ; Lise Rochaix, professeurd’économie ; Huguette Vigneron-Meleder, directrice,ARH Basse-Normandie.

PROMÉTHÉEChristine Afriat, chef de projet, Commissariat général duPlan ;Nathalie Barret, chef de projet à l’Observatoire destélécommunications ; William Cavestro, professeur,LEPII, université de Grenoble ; Valérie Chiron,

sociologue, directrice de l’Association nationale pour laFormation automobile, Observatoire de la réparationautomobile ; Martine Crusilleau, chef du bureau desPolitiques de formation, DARPMI, ministère de l’Éco-nomie, des Finances et de l’Industrie ; Florence Diesler,responsable de l’Observatoire des métiers et des qualifi-cations du commerce ; Sylvie Domenech, responsablede l’Observatoire socio-économique, Fédération de laplasturgie ; Emmanuelle Garassino, responsable del’Observatoire des métiers, de l’emploi et de laformation, Observatoire du médicament ; Catherine Gay,consultante, CG Conseil ; Anne-Marie Grozelier,chargée de mission, Association nationale pour laformation professionnelle des adultes ; ChristopheGuitton, chef du département Professions et marché dutravail, Centre d’études et de recherches sur les quali-fications ; Jean-Marc Hermant, directeur, FORCEMAT,Observatoire des matériaux et construction ; GérardLobjeois, secrétaire général, Observatoire de l’évolutiondes métiers de l’assurance ; Fabienne Maillard, chargéede mission, DESCO, ministère de la Jeunesse, del’Éducation nationale et de la Recherche ; BernardSchneidermann, chef de bureau, DIGITIPP, ministère del’Économie, des Finances et de l’Industrie ; SylvianneSéchaud, chef de service, mission Politiques de forma-tion, DGEFP, ministère des Affaires sociales, du Travail etde la Solidarité ; Thirit Ung, directeur du social et de laformation, OPCA, Fédération de la plasturgie ; JacquelineThomas, assistante, Commissariat général du Plan.

RACINESPhilippe Hirtzman, chef de projet, chef du Service desentreprises et du développement des activités économiques(SEDAE), Commissariat général du Plan ;Membres extérieurs : Jean-François Bigay, président, Missionde développement économique de la région Provence-Alpes-Côte-d’Azur ; vice-président de la Chambre de commerce etd’industrie Marseille-Provence ; Laurent Davezies, profes-seur, Institut d’urbanisme de Paris (développement territorial),chercheur, Centre de recherche sur l’environnement, lestransports, l’économie et les institutions locales, université deParis-Val-de-Marne, Paris-XII, ; Aïssa Dermouche, préfet,département du Jura ; Michel Doly, président, Conseiléconomique et social de la région Auvergne, professeur,université d’Auvergne Clermont-I,; Pierre Jamet, directeurgénéral, Services du département du Rhône ; Francis Laffon,rédaction du quotidien «L’Alsace», chef du bureau parisien,membre de l’Association des journalistes de l’informationsociale ; Anne Lalo, maître de conférences (sociologie desrisques naturels et technologiques), université de NiceSophia-Antipolis, ; chercheur, Laboratoire d’analyses sociolo-giques et anthropologiques des risques, LASAR/université deCaen ; Philippe Laurent, maire de Sceaux (Hauts-de-Seine),vice-président du Conseil général des Hauts-de-Seine ; AlainMérieux, président de bioMérieux (Marcy l’Etoile/Lyon) ;Michel Piron, député de Maine-et-Loire, conseiller généraldu canton de Thouarcé, conseiller municipal (ancien maire)de Thouarcé, président de la communauté de communes desCôteaux-du-Layon ; Michel Rostagnat, directeur général desServices, Communauté d’Agglomération du Grand-Rodez(Aveyron) ;Membres internes du Commissariat général du Plan :Catherine Maubert, chargée de mission ; GwenaëlleQuillerou, chargée de mission ;Membres internes associés :Benoît Lajudie, chargé de mission ; Christine Afriat, chargéede mission ; Sandrine Chambaretaud, chargée de mission ;Sandrine Paillard, coordinateur, chargée de mission.

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SARASWATIMohamed Harfi, chef de projet, Commissariat général duPlan ;Laudline Auriol, administrateur, DSTI, OCDE ; GérardBéranger, professeur, université technologique deCompiègne, membre de l’Académie des technologies ;colonel Philippe Boone, Délégation aux affaires straté-giques, ministère de la Défense ; Jean-Pierre Constant,assistant, Commissariat général du Plan ; MichèleGaillard, assistante, Commissariat général du Plan ;Bernard Gentil, administrateur de l’INSEE, DFAE,ministère des Affaires étrangères ; Alain Gérard, directeurdu Pôle universitaire de Bordeaux ; Anne Giami, sous-directrice, ministère de la Jeunesse, de l’Éducationnationale et de la Recherche ; Anne-Sophie Canihac,chef de bureau, Sous-direction de la démographie, desmouvements de population et des questionsinternationales, ministère des Affaires sociales, du travailet de la solidarité ; Rémi Lallement, chargé de mission,Commissariat général du Plan ; Michel Marquer, chef dubureau, Sous-direction des étrangers et de la circulationtransfrontière, ministère de l’Intérieur, de la Sécuritéintérieure et des Libertés locales ; Claude Mathieu,professeur, université François-Rabelais, Tours ; Jean-YvesMathonnet, chef du département des ressourceshumaines, Centre commun de recherche, EADS ; JeanPautrot, directeur Mobilité Groupe Services, EDF,président du Cercle Magellan ; Jacques-Philippe Saint-Gérand, chef de la mission Relations internationales,DES, ministère de la Jeunesse, de l’Éducation nationale etde la Recherche ; Marie-Gabrielle Schweighofer,directrice de l’Association Bernard Gregory ; MagdaTomasini, chef du bureau des statistiques sur l’ensei-gnement supérieur, DEP, ministère de la Jeunesse, del’Éducation nationale et de la Recherche ; Jean-ClaudeTopin, conseiller du sous-directeur de la recherche,Direction de la coopération scientifique, universitaire etde recherche, ministère des Affaires étrangères ; BrunoValersteinas, chef du bureau Échanges et Inves-tissements, DREE, ministère de l’Économie, des Financeset de l’Industrie.

SIGMALucile Schmid, chef de projet, Commissariat général duPlan ;Critères socio-économiques de l’intégrationResponsable : Denis Fougère, directeur de recherches auCNRS ;Membres : Catherine Borrel, responsable de la cellulestatistiques et études sur l’immigration, INSEE ; OlivierGalland, directeur de recherches, CNRS ; Pascale Flamant,inspectrice adjointe des Affaires sociales, ministère desAffaires sociales, du Travail et de la Solidarité ;Religions, identités, appartenances culturellesResponsable : Cécile Jolly, chargée de mission, Commissa-riat général du Plan ;Membres : Jean Baubérot, directeur honoraire du Groupede sociologie de la religion et de la laïcité ; Pierre Bréchon,directeur de l’IEP de Grenoble ; Olivier Mongin, directeurde la revue «Esprit» ; Mickaël Vaillant, doctorant, IEP Paris ;Normes et règles, participation politiqueResponsable : Lucile Schmid, chef du Service de lamodernisation de l’État (SEME), Commissariat général duPlan ;Membres : Jacques Donzelot, professeur des Universités,université de Paris-X Nanterre ; Ghislaine Hudson, provi-seure, lycée de Dammarie-les-Lys ; Catherine Margaté,

maire de Malakoff ; Jean-Philippe Setbon, sous-préfet,chargé de la politique de la ville, Seine-Saint-Denis ;Formes de sociabilitéResponsable : Pierre-Yves Cusset, coordinateur pourl’intégration sociale, Commissariat général du Plan ;Membres : François de Singly, professeur de sociologie,université de Paris-V ; Olivier Galland, directeur derecherche, CNRS.

SIRÈNEGilles Arnaud, chef de projet, Commissariat général duPlan ;Maryse Aoudaï, chargée de mission, Commissariatgénéral du Plan ; Florence Akar, chef du service Stratégie,Maison de la France ; Patrice Beghain, adjoint du maire,mairie de Lyon ; Abraham Bengio, délégué généraladjoint, Délégation à la langue française et aux languesde France ; Denis Besnainou, chargé de mission,Commissariat général du Plan ; Thierry Coltier, directeurgénéral, Grévin Développement ; Jean-Pierre Dalbera,chef de la mission recherche et de la technologie,ministère de la Culture et de la Communication ; Jean-Cédric Delvainquière, ingénieur, Direction del’administration générale, département des études et de laprospective, ministère de la Culture et de laCommunication ; Jenny Lebard, responsable des villes etpays d’art et d’histoire, Direction de l’architecture et dupatrimoine, ministère de la Culture et de laCommunication ; Hugues Gall, Opéra national de Paris ;Caroline Guilleminot, responsable éditoriale, LonelyPlanet France ; Marie-Christine Kovacshazy, chargée demission, Commissariat général du Plan ; Noël LeScouarnec, chef du bureau de la stratégie, Direction dutourisme, secrétariat d’État au Tourisme ; Jacques Maillot,président d’Eurotunnel ; Christelle Mesnil, chef de lamission de la commercialisation de l’offre, Centre desmonuments nationaux ; Alain Monferrand, directeur,Observatoire national du tourisme ; Bruno Monnier,président-directeur général, Culture Espaces ; MathildePulh, maître de conférences, université de Bourgogne ;Jean-Pierre Respaut, directeur général adjoint, VoyagesClio ; Martine Vinatier, assistante, Commissariat généraldu Plan.

SYNAPSEDominique Namur, chef de projet, Commissariat généraldu Plan ;Jean Guellec, chargé de mission, Commissariat général duPlan ; Sylvie Paupardin, assistante, Commissariat général duPlan.

TÉLÉMAQUEJean-Paul Betbéze, chef de projet, directeur des étudeséconomiques et financières, Crédit lyonnais ; GuilhemBentoglio, co-chef de projet, Commissariat général duPlan ;Olivier Passet, chef du Service économique, financier etinternational, Commissariat général du Plan ; Renaud duTertre, conseiller scientifique, Commissariat général duPlan ; Marie-Françoise Le Guilly, documentaliste, Serviceéconomique, financier et international, Commissariatgénéral du Plan ; Nicole Rampon, assistante, Commis-sariat général du Plan.

THÉSÉEAnnick Guilloux, chef de projet, Commissariat général duPlan ;Christine Afriat, chargée de mission, Commissariatgénéral du Plan ; Pierre-Jean Andrieu, chargé de mission,Commissariat général du Plan ; Peter Auer, Chief

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Employment Analysis and Research, EmploymentStrategy Department International Labour Office ;Bernard Ernst, directeur des études et des statistiques,Direction des études statistiques de l’UNEDIC ; JacquesFreyssinet, conseiller scientifique, Centre d’études del’emploi ; Annie Gauvin, chef du Département synthèse,Délégation générale à l’emploi et à la formationprofessionnelle ; Marie-Ange Guimelli, assistante,Commissariat général du Plan ; Alain Jecko, directeurgénéral adjoint, Direction générale de l’ANPE ; FrédéricLerais, chef de la mission Analyse économique, Serviceanalyse économique, Direction de l’animation de larecherche, des études et des statistiques ; Olivier Passet,chargé de mission, Commissariat général du Plan ;Christophe Ramaux, maître de conférences, MATISSE,univerité de Paris-I Panthéon-Sorbonne ; Laurence Rioux,rapporteure, Centre d’étude des revenus et des coûts ;Catherine Yovanovitch, chargée de mission, relationsinternationales, Commissariat général du Plan.

THOMASLaurent Duclos, chef de projet, Commissariat généraldu Plan ;Conseiller scientifique : Olivier Meriaux, politologue,FNSP-CERAT ; Jacques Barthélémy, avocat honoraire,Barthélémy & Associés ; Sandra Bellier, directrice dudéveloppement e-business, Adecco ; Pascal Florentin,sous-directeur de la négociation collective, DRT, minis-tère des Affaires sociales, du Travail et de la Solidarité ;François Gaudu, juriste, professeur, université de Paris-I ;Annette Jobert, sociologue, directrice de recherche,IDHE, CNRS ; Michèle Lecluse, rédactrice en chef, «LesEchos» ; Nicole Lignon, assistante, Commissariat généraldu Plan ; Catherine Pone, chef de service Droit etréglementation du travail, Renault ; Udo Rehfeldt,politologue, comparatiste, Institut de rechercheséconomiques et sociales ; Éric Verdier, économiste,sociologue, directeur de recherche, LEST-CNRS ; VincentViet, historien, chargé de mission, ministère des Affairessociales, du Travail et de la Solidarité.

UTILITIESLuc Baumstark, Christian Vilmart, chefs de projet,Commissariat général du Plan ;Gilles Arnaud, chargé de mission, Commissariat géné-ral du Plan ; Pierre Bauby, président de la commissionSIG, Centre européen des entreprises à participationpublique ; Alain Bayet, sous-directeur, Direction de laPrévision ; Sylvie Benard, chargée de mission,Commissariat général du Plan ; Renaud Chapelle,mission de Mise en œuvre du nouveau cadre commu-nautaire, Autorité de régulation des télécommu-nications ; Olivier Coutard, chercheur, École nationaledes Ponts-et-Chaussées – LATTS ; Laurent Duclos,chargé de mission, Commissariat général du Plan ;Jean-Michel Glachant, professeur, université Jean-Monnet ; Patricia Heriard-Dubreuil, administrateurprincipal, OCDE ; Benoît Lajudie, chargé de mission,Commissariat général du Plan ; Gérard de Lavernée,chef du Service économique, MEDEF ; Nathalie Loison,assistante, Commissariat général du Plan ; Bertranddu Marais, maître des requêtes, Conseil d’État ; ÉliseMartinez, assistante, Commissariat général du Plan ;Gwenaelle Quillerou, chargée de mission, Commissariatgénéral du Plan ; Saïd Souam, conseiller scientifique,Commissariat général du Plan ; Jean-Pierre Tardieu,administrateur délégué, Veolia Environnement,président de l’UNSPIC ; Pierre Van de Vyver,délégué général, Institut de la gestion déléguée.

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