Regards croisés sur les rapports des classes … · transformations récentes du statut symbolique...
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coles des Hautes tudes en Sciences Sociales
Regards croiss sur les rapports des classes populaires
au politique en Argentine
Retour sur la question du clientlisme
Thse pour de lobtention du doctorat en sociologie
Soutenue par Gabriel Vommaro le 21 juin 2010
Sous la direction de Patrick Champagne
Membres du jury :
Jean-Louis Briquet (rapporteur), directeur de recherche au CNRS.
Annie Collovald (rapporteure), professeur lUniversit de Nantes.
Denis Merklen, matre de confrence lUniversit Paris VII.
Serge Paugam, directeur dtudes lEHESS.
Frdric Sawicki, professeur lUniversit Paris I
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Remerciements
Je tiens remercier mon directeur de thse, Patrick Champagne, qui a guid ce
travail depuis le dbut et qui a eu les qualits sociologiques et humaines pour essayer de
comprendre un terrain tranger sans pour autant le traiter comme exotique. Nos
discussions, ses remarques critiques et ses commentaires mont beaucoup nourri et je suis
sr que ces apprentissages maccompagneront pendant tous mes travaux ultrieurs.
Au Centre de Sociologie Europenne, jai trouv un cadre propice au travail et la
rflexion. Jai pu exprimenter ce que la sociologie a dentreprise collective. Je remercie
vivement Grard Mauger : peut-tre sans le savoir, il a t trs important dans la poursuite
de ce travail. Mes remerciements chaleureux sadressent galement Monique Bidault et
Claude Poliak : non seulement elles se sont montres trs ouvertes aux discussions
sociologiques et disponibles pour relire mes textes, mais elles ont aussi fait des journes de
travail dagrables moments me permettant de continuer une entreprise longue et
prouvante. Surtout, elles ne mont jamais fait ressentir ma condition dtranger. Je
voudrais de mme remercier Dominique Marchetti, Patrice Pinell et Louis Pinto pour leur
soutien et leurs commentaires prcieux.
La solidarit et laccompagnement des doctorants du laboratoire ont aussi t trs
importants. Je remercie amicalement Nehara Feldman, Domingo Garca, Jol Mariojouls,
Angela Santamara, Wenceslas Liz et, travers eux, je remercie tous les doctorants.
Ces annes de travail mont galement permis de profiter de la relecture et des
discussions avec des chercheurs qui mont appris des choses sur mon sujet ainsi que sur
les outils conceptuels me permettant de laborder. Mes remerciements sadressent Jean-
Louis Briquet, Hlne Combes, Denis Merklen, Michel Offerl et les membres du Groupe
de Recherches Interdisciplinaires sur le Politique, Marie-France Prvot-Schapira, Silvia
Sigal et tout spcialement Annie Collovald.
Cette thse a t mene des deux ctes de locan. En Argentine, le cadre du
dpartement dEtudes politiques lUniversit de Gnral Sarmiento sest avr trs
favorable pour mener mon travail son terme, surtout au moment de la rdaction. Je
voudrais remercier Eduardo Rinesi, Matas Muraca, Sergio Morresi, Gabriel Nardacchione
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et tous mes collgues et amis pour leur gnrosit et leurs remarques, qui ont beaucoup
contribu ce que je poursuive ce travail.
Preuve du fait que les sciences sociales se font plusieurs, certains collgues ont
eu une importance incommensurable diffrents moments de mon enqute. Je tiens
remercier Mara Isabel Silveti et son quipe, qui mont guid lors de mon terrain
Santiago del Estero. Ma reconnaissance amicale sadresse galement Julieta Quirs, avec
qui jai appris beaucoup de choses sur le travail ethnographique dans les milieux
populaires et avec qui jai entrepris une rflexion sur les rapports de clientle sans laquelle
cette thse aurait certainement eu fort plus de points aveugles que ce quelle en a. Je
remercie Mariana Luzzi, qui ma aid comprendre les enjeux de certaines des institutions
cls des politiques sociales en Argentine.
Ma gratitude infinie sadresse mes collgues et surtout mes amis, Xavier Zunigo
et Sebastin Pereyra. Depuis la France, pour le premier, et lArgentine, pour le deuxime,
ils ont toujours t prsents pour mencourager dans les moments difficiles, ainsi que pour
maider comprendre limportance de lamiti si lon veut entreprendre un quelconque
travail. Ma gratitude leur gard est immense. Ils reprsentent ici ma reconnaissance
lamiti dautres personnes qui mont accompagn tant en France quen Argentine.
Enfin, un travail si long sinsre ncessairement dans le flux de la vie. Pendant ces
annes, jai vcu des tristesses et des joies immenses, des dmnagements et des
expriences prouvantes. Et pendant que tout cela se passe, on rdige sa thse. Des
personnes trs importantes dans ma vie sauront reconnatre leurs noms dans cette dernire
ligne des remerciements.
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Table de matires Introduction ........................................................................................................................................... p. 7 PREMIER PARTIE : LES TRANSFORMATIONS DES CLASSES POPULAIRES EN ARGENTINE ET LES REPONSES ETATIQUES EN TERMES DE POLITIQUES DE LUTTE CONTRE LA PAUVRETE . Chapitre I - Les transformations du monde populaire en Argentine (1976-2003) et les politiques sociales jusqu la transition dmocratique : de la bienfaisance au PAN ........................................ p. 25
1. Les transformations du monde populaire ..................................................................................... p. 27 2. Les rseaux du pronisme et les mouvements sociaux piqueteros : concurrence politique et distribution territoriale des ressources .......................................................................................... p. 36 3. Esquisse dhistoire des politiques dassistance en Argentine au XXe sicle : de la bienfaisance et du dveloppementisme la dcouverte de la pauvret pendant la transition dmocratique ...... p. 43
Chapitre II - Les politiques sociales depuis la transition dmocratique. Les nouveaux mots dordre : dcentralisation, ciblage et participation de la socit civile ....................................... p. 63
1. Linternationale de la lutte contre la pauvret : le rle des organismes multilatraux........... p. 66 2. Les politiques sociales de lutte contre la pauvret en Argentine : dcentralisation, ciblage et empowerment de la socit civile ............................................................................................... p. 82 3. Des perspectives htrognes : la culture du travail et le militantisme social .................. p. 104
Chapitre III - La socit civile et la lutte contre la pauvret : les enjeux et les acteurs dune cration sociale ............................................................................................................................ p. 117
1. La promotion de la socit civile par le Secrtariat au Dveloppement Social : entre Paulo Freire et Amartya Sen....................................................................................................................... p. 118 2. La socit civile des organismes multilatraux ...................................................................... p. 131 3. La socit civile comme affaire savante : les institutions dexpertise et la dlimitation du nouvel espace............................................................................................................................... p. 136
DEUXIEME PARTIE : LA PAUVRETE ET LES PAUVRES COMME DOMAINE EXPERT Chapitre IV - Des agents intermdiaires ? : Les experts en politiques sociales............................... p. 148
1. Mesurer les pauvres : une question politique majeure ................................................................. p. 150 2. La formation dun groupe social dexperts en pauvret : des programmes et des trajectoires dexpertise ........................................................................................................................................ p. 170 3. Les espaces dchange et de lgitimation acadmique................................................................. p. 196
Chapitre V - Lexpertise du social de la socit civile : la droite sensible et les experts en lutte contre le clientlisme ............................................................................................................... p. 202
1. La droite sensible et la question sociale ................................................................................. p. 203 2. Les experts en contrle des politiques sociales et en lutte contre le clientlisme .................. p. 213
TROISIEME PARTIE : LE RAPPORT DES CLASSES POPULAIRES AU POLITIQUE SOUS LE PRISME DES OBSERVATEURS EXTERIEURS : USAGES NON SAVANTS DE LETIQUETTE CLIENTELISME Chapitre VI - Les regards politico-mdiatiques sur les rapports des classes populaires au politique : le clientlisme comme problmatique mdiatique........................................................................ p. 240
1. Le clientlisme en volution : les frquences de son usage et les rubriques o ltiquette apparat (1997-2007) ...................................................................................................................................... p. 242 2. Les sens du clientlisme dans la presse.................................................................................. p. 248 3. Les acteurs critiques ..................................................................................................................... p. 265
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Chapitre VII - Le clientlisme des acteurs de lespace de la communication politique ............ p. 274
1. Les journalistes............................................................................................................................. p. 274 2. Les hommes politiques, les lus, les fonctionnaires dEtat .......................................................... p. 293 3. Les dirigeants des mouvements sociaux piqueteros..................................................................... p. 309 4. Les religieux ................................................................................................................................. p. 316 5. Les conomistes et les entrepreneurs ........................................................................................... p. 321 6. Les intellectuels ............................................................................................................................ p. 327 7. Les experts.................................................................................................................................... p. 334
QUATRIEME PARTIE : ECONOMIE ET CIRCULATION DES AIDES PUBLIQUES. DISCUSSION DU CONCEPT DE CLIENTELISME A PARTIR DUNE ETUDE DUN QUARTIER POPULAIRE DUNE VILLE DE PROVINCE Chapitre VIII - Les classes populaires et la survie politiquement assure : les changes dans les territoires ................................................................................................................................................ p. 343
1. La politique santiaguea de C. Jurez N. Kirchner................................................................... p. 345 2. Les espaces politiques territoriaux ............................................................................................... p. 357 3. Densit organisationnelle, politiques sociales et rfrence territoriale ........................................ p. 374 4. La dimension morale des changes .............................................................................................. p. 389
Chapitre IX - Retour sur les dbats acadmiques propos du clientlisme .............................. p. 402
1. Votes achets ? Une rvision des tudes rcentes sur le vote buying ............................... p. 405 2. La vision culturaliste : les travaux de Javier Auyero ................................................................... p. 429 3. De lhabitus clientlaire la ngociation : le calcul moral .......................................................... p. 442
Conclusions............................................................................................................................................. p. 447 Bibliographie .......................................................................................................................................... p. 461 Glossaire ................................................................................................................................................ p. 483 Annexes................................................................................................................................................... p. 489 Table des matires dtaille .. ............................................................................................................... p. 599
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(Couverture dun ouvrage publi en 2006, financ par la Banque Interamricaine de Dveloppement, portant sur le clientlisme et la manipulation des programmes sociaux)
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Introduction
Pourquoi la catgorie clientlisme 1 une tiquette tout la fois morale,
savante, experte et politique2 sest-elle impose en Argentine comme dsignation
dominante du rapport des classes populaires au politique depuis les annes 1990 ? Quels
types de regards sur le monde populaire entrane la mobilisation de cette catgorie ? Quels
sont les acteurs qui lutilisent, dans quels contextes et suivant les logiques de quels espaces
sociaux ? En rpondant ces questions3, cette thse se propose danalyser les
transformations rcentes du statut symbolique des classes populaires en Argentine et de
contribuer une critique de cette cl de lecture de la politique populaire en montrant quil
sagit dun regard simplificateur et stigmatisant, rpondant plus aux logiques et aux enjeux
des espaces sociaux o elle est produite et reproduite qu une description ajuste de son
objet. Pour ce faire, nous nous attacherons mettre au jour les facteurs sociaux qui
expliquent la gense et la consolidation de ce nouveau sens commun savant et semi savant
et corrlativement nous procderons une description de la politique populaire afin de
rendre compte de sa complexit et ainsi dchapper aux simplifications de lapproche par
le concept de clientlisme .
Lenqute a pour point de dpart un constat : lusage progressivement tendu de la
catgorie clientlisme tant dans les discours acadmiques et experts que dans les
1 Nous utiliserons ce mot entre guillemets afin de souligner le fait quil sagit dun vocabulaire indigne, trs investi tant du point de vue moral que symbolique par les groupes sociaux tudis dans notre thse. Le mme traitement sera appliqu pour les autres catgories indignes que nous avons renconcontes dans ce travail : socit civile , pauvres , empowerment , etc. 2 Nous utilisons cette notion suivant les travaux de Howard Becker sur les activits dtiquetage des pratiques sociales perues comme dvies. Pour lauteur, la dviance doit tre tudie en suivant la construction des regards sur ces pratiques, qui ne sont pas dvies en soi, mais qui le deviennent seulement en raison du succs de la construction des visions sur les bonnes et les mauvaises manires de ces pratiques (1985 : p. 33). Le clientlisme tant conu comme une dviation des bonnes pratiques dmocratiques, nous devons donc nous intresser aux acteurs et aux pratiques labelliss sous cette tiquette, ainsi dfinis comme des dviations politiques. 3 Nous partons de lide soutenue par Pierre Bourdieu sur la formation des idologies dans le monde social comme enjeu des luttes symboliques au sein du champ du pouvoir : Les objets du monde social [] peuvent tre perus et exprims de diverses faons, parce quils comportent toujours une part dindtermination et de flou et, du mme coup, un certain degr dlasticit smantique [] Cet lment dincertitude qui est souvent renforc par leffet de la catgorisation, le mme mot pouvant couvrir des pratiques diffrentes fournit une base la pluralit des visions du monde ; elle-mme lie la pluralit des points de vue ; et, du mme coup, une base pour les luttes symboliques pour le pouvoir de produire et dimposer la vision du monde lgitime (Bourdieu, 1987 : p. 159).
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discours journalistiques, politiques et dautres acteurs intervenant dans lespace de la
communication politique4. Toutefois, notre intrt initial portait sur ltude des
transformations de la politique populaire en Argentine depuis le dbut de la transition
dmocratique (1983). Dans notre mmoire de DEA (Vommaro, 2004) nous avions
travaill sur les transformations du champ politique dans ce pays qui avaient eu lieu durant
cette priode. Lanalyse de lintroduction de la pratique des sondages dopinion et
dintention de vote comme outils cognitifs sorte de boussole dorientation dans la lutte
politique et symboliques et comme technologie de mise en vidence chiffre du capital
politique dun homme politique ou dun gouvernement utiliss dans la lutte politique,
nous a permis de dcrire la formation dun espace de luttes symboliques. Nous avons ainsi
pu rendre compte de lespace de la communication politique o les acteurs de la politique
tendaient sinvestir de plus en plus afin de conqurir des positions dominantes pour
imposer leurs visions du monde social. La mdiatisation de la politique semblait
concentrer toutes les nergies des acteurs de ce champ. Or, aprs ce travail nous voulions
voir comment, dans ce contexte, la politique non mdiatique conservait son importance, et
tudier ses caractristiques lorsque les formes mobilises dapparition du peuple faisaient
place aux rapports les plus loigns de la politique, condenss dans le concept de la gente
(les gens) (Vommaro, 2004 : p. 35). Notre intrt pour la littrature sur la politique telle
quelle est pratique sur le terrain, nous a rvl que le concept de clientlisme tait le
lieu commun pour rendre compte des rapports politiques au niveau local, notamment
lorsquil sagissait danalyser la politique populaire. Apparemment, hors du lien citoyen
libre et de sa reprsentation en termes daudience ayant un regard distant et critique
des prestations mdiatiques des hommes politiques, ne dcelait que des clients et des
patrons . Ce lieu commun ntait pourtant pas exclusif des analyses savantes. Nous
avons entrepris une premire enqute sur les usages du mot clientlisme dans la presse
nationale depuis les annes 1990 jusquaux annes 2000, ce qui nous a permis de constater
une augmentation importante de lutilisation de cette tiquette. Les observations similaires
que jai pu faire de la lecture des discours experts et gouvernementaux sur la pauvret ma
4 Nous avons dvelopp une dfinition de cet espace dans notre mmoire de DEA (Vommaro, 2004 : pp. 3-5). Il sagit dun ensemble de scnes du travail reprsentatif des hommes politiques o, par ailleurs, dautres acteurs agissent pour rendre visible et lisible le monde social. Mme si le combat pour les postes institutionnels reste lenjeu principal du combat des hommes politiques, la lutte symbolique se droule dsormais entre ces derniers, les diffrents groupes dexperts et les journalistes politiques. Cet espace dlimite ainsi une partie de la lutte politique ayant lieu dans des mdias ou bien en dehors mais afin dtre mdiatise. la diffrence dautres formes plus anciennes dinformation sur les vnements politiques, telle la transmission des dbats parlementaires, ces scnes mdiatiques ne sont pas des moyens mais des fins de laction politique, le combat sy droulant.
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convaincu quune tude des transformations du rapport des classes populaires au politique
impliquait danalyser en mme temps les regards savants et non savants sur la politique
populaire.
Ces constats nous ont donc conduit redfinir notre objet en nous focalisant la
fois sur les formes adoptes par la politique populaire et sur son traitement en termes de
clientlisme , afin de reconstruire une sociologie de la construction idologique des
regards dominants sur le populaire en Argentine. Nous avons identifi les processus et les
domaines principaux de mobilisation de cette catgorie et, ce faisant, nous nous sommes
rapidement aperus de la multiplicit des manifestations et des temporalits de ce
phnomne. Cest pourquoi nous avons recouru diverses sources et mthodologies afin
de reconstruire dune part des univers et des mcanismes spcifiques de production et
reproduction du clientlisme comme principe de lecture de la politique populaire, et
dautre part des points de confluence entre ces univers, qui ont fait de ltiquette une
machine de critique morale capable dattirer des intrts et des motivations diffrents.
Ces composantes de notre objet ainsi redfini ont des dimensions objectives et
subjectives. La monte en puissance de la catgorie clientlisme comme cl de lecture
dominante de la politique populaire se consolide, premirement, sur la base dimportantes
transformations des classes populaires en Argentine. En effet, ces classes se sont
profondment transformes partir de la dernire dictature militaire (1976-1983).
Louverture des marchs industriels la concurrence internationale et la libralisation du
march de capitaux ont boulevers les rapports de force de l Argentine proniste , o le
plein emploi et le pouvoir des syndicats permettaient de discuter les salaires et les
conditions de travail. La rduction des taxes sur les importations a stopp la croissance de
lemploi industriel et provoqu une crise aigu dans certaines branches : entre 1975 et
1980, lemploi industriel diminue de 26 %. Sur le plan politique, la suspension des accords
salariaux, linterdiction du droit de grve et la politique rpressive accompagnent cette
entreprise militaire de discipline sociale (Canitrot, 1981). Si les consquences
structurales de la politique conomique de la dictature ne sont perues qu partir du
milieu des annes 1980, cest aussi parce que larrive dun gouvernement dmocratique
en 1983 na pas invers le processus. La crise hyper-inflationniste de 1989 a renforc la
dgradation des conditions de vie des classes populaires amorce sous la dictature
militaire. La politique no-librale initie par le gouvernement proniste de Carlos Menem
(1989-1999) rforme de ltat, privatisation des entreprises publiques et ouverture du
march interne la concurrence internationale a acclr le processus. Une vritable
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rvolution des conditions dexistence sopre aggravant dramatiquement la condition des
classes populaires.
On passe ainsi dune socit o prs de 80 % de la population active sinscrivait
dans des relations salariales classiques, o la protection et les droits sociaux lis au travail
taient assurs en partie par les prestations sociales syndicales , une socit
dexclusion , caractrise par la perte des protections sociales lies au travail, par des
ingalits sociales croissantes, laugmentation brutale de la pauvret et de lindigence, la
pauprisation des catgories populaires et moyennes et par la croissance du travail au noir,
du travail informel et du chmage de longue dure. La politique conomique guidant le
gouvernement de lAlianza entre lUnin Cvica Radical et le Frente por un pas solidario
(Front pour un pays solidaire) (1999-2001) ne fait quaggraver les problmes financiers de
ltat argentin et la crise sociale des classes populaires. La politique montaire qui fixait la
parit entre le peso et le dollar datant des annes de C. Menem devient de plus en plus
difficile maintenir et lendettement de ltat ainsi que le besoin de nouvelles sources de
financement font du gouvernement un acteur politique trs faible et dpendant de la
bonne volont des organismes multilatraux de crdit, notamment du FMI.
La possibilit de bnficier de droits en matire de sant, de retraite, etc., et de
laccs dautres prestations sociales (loisirs, sports, etc.) dpend, en Argentine, de la
situation face lemploi. Le chmage et la croissance du travail au noir font que non
seulement le travail perd la place centrale qui tait la sienne dans la vie quotidienne et
dans les rapports au politique des classes populaires, ces dernires perdant en outre leurs
principaux droits sociaux. Les rpercussions se font galement sentir sur les syndicats : de
1985 1995, selon lOrganisation Internationale du Travail, le taux de syndicalisation
baisse de 42,6 %. Les organisations ouvrires adoptent alors une posture dfensive et,
faute de pouvoir ngocier les conditions de travail et/ou les salaires, tendent privilgier,
dans la plupart des cas, leur survie organisationnelle (Murillo, 1997).
Les transformations de la configuration des classes populaires en
Argentine peuvent ainsi se rsumer trois processus qui ont frapp notamment les couches
les plus basses de ces secteurs : lappauvrissement, la dsalarisation et la prcarisation. Ils
ont affaibli le lien de ces groupes avec le monde du travail formel et ont favoris un
processus de territorialisation de leur sociabilit et de leur politicit 5. On assiste donc
5 Nous empruntons ce concept Denis Merklen (2005), qui soutient quil permet de ne pas penser les rapports des classes populaires au politique comme une activit qui survient aprs une socialisation dans la
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une fragmentation tant objective que symbolique des classes populaires, o les couches les
plus dfavorises et de plus en plus nombreuses voient leurs liens avec le monde du
travail formel, ainsi que la sociabilit politique associe ce dernier la vie des syndicats
, svrement affaiblis.
Deuximement, les problmes sociaux des classes populaires dsalaries entranent
de nouvelles formes tatiques dencadrement de ces groupes qui ont affect tant leur statut
matriel que symbolique. Depuis la fin des annes 1980, et notamment ds le dbut des
annes 1990, la question sociale 6 est redfinie en termes de lutte contre la pauvret
et des politiques sociales de lutte contre la pauvret , finances et encourages par les
organismes multilatraux de crdit notamment la Banque Mondiale (BM) et la Banque
Interamricaine de Dveloppement (BID) sont mises en place. Le traitement tatique de
cette dtrioration des conditions de vie des classes populaires influence largement les
transformations politiques de ce secteur. Dj en 1985, le gouvernement radical issu des
lections de 1983 avait mis en place le Programme Alimentaire National (PAN). Le
gouvernement assumait ainsi les problmes sociaux des classes populaires en focalisant
ses actions sur les secteurs affrontant des problmes de survie, le problme de lemploi
ntant pas encore peru comme un trait structurel de la socit argentine. Le PAN
reprsentait une innovation pour deux raisons : dune part, pour la premire fois depuis
plusieurs dcennies, le gouvernement mettait en uvre un programme dassistance
alimentaire des classes populaires, ce qui mettait en vidence les transformations sociales
subies par ce pays au cours de la dictature militaire ; dautre part, il sagissait dun
programme ayant un critre cibl de distribution des ressources, cest--dire que
lassistance en loccurrence des cartons contenant de la nourriture pour lalimentation
des familles pauvres tait distribue parmi une population remplissant certaines
conditions de pauvret extrme7. Par ailleurs, le PAN tait conu comme un programme
temporaire visant donner un traitement rapide aux situations de pauvret extrme,
conues elles-mmes comme exceptionnelles.
pauvret. En revanche, lactivit politique est un lment central de la vie quotidienne de ces classes, pour des raisons que nous expliquerons plus loin. 6 Selon Robert Castel, la question sociale est une aporie fondamentale sur laquelle une socit exprimente lnigme de sa cohsion et tente de conjurer le risque de sa fracture [] La question sociale se pose explicitement sur les marges de la vie sociale, mais elle remet en question lensemble de la socit [] Elle peut tre caractrise par une inquitude sur la capacit maintenir la cohsion dune socit (Castel, 1995, pp. 25-39). 7 Le caractre innovateur du programme peut tre vu aussi dans le fait quil fut un modle en Amrique latine o durant les annes 1980 nombre de pays ont mis en place des programmes semblables.
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Or, laugmentation des taux de pauvret fait du problme des conditions de vie des
classes populaire un enjeu majeur pour le gouvernement ultrieur. Sil tait vident que
ces problmes taient lis la dtrioration du march de travail et des conditions
demploi, lidologie du Washington Consensus guidant la politique du gouvernement de
C. Menem qui promouvait la flexibilisation des contrats salariaux empchait non
seulement dagir sur les causes structurales de cette situation mais aussi dorganiser une
politique universelle de protection des chmeurs suivant par exemple le modle europen.
Cette mesure aurait agi comme un frein la dtrioration des salaires en fixant un
minimum social faisant pression sur le march de travail. Dun ct, les conomistes
nolibraux argentins et trangers ainsi que les experts du Fond Montaire International
affirmaient que les problmes de chmage et de pauvret seraient surmonts un fois la
croissance conomique stabilise. De lautre, l aile gauche des organismes
multilatraux reprsente par certains secteurs de la Banque Interamricaine de
Dveloppement et de la Banque Mondiale commenait postuler limportance de
larticulation des politiques conomiques orthodoxes avec des politiques sociales
compensatoires orientes aux perdants de louverture conomique. Comme le
souligne Denis Merklen, on passe alors du traitement tatique du problme des conditions
de vie des travailleurs au traitement social du problme des pauvres 8. Si ce processus
fait partie dune mouvance rgionale9 et internationale, favorise par les organismes
multilatraux, le cas argentin prsente des spcificits : il sagit dun pays dont la structure
sociale diffre dautres pays dAmrique latine, notamment en ce qui concerne son taux de
salarisation, relativement haut, voire similaire certains pays centraux10. La
transformation de la question syndicale en question de lutte contre la pauvret a ainsi
ncessit plusieurs oprations symboliques et pratiques qui seront analyses dans ce
travail11. De toute faon, ce qui est sous-jacent dans ces transformations cest une
dissociation entre les politiques de lemploi et des revenus et les politiques sociales,
8 Cf. (Merklen, 2005, pp. 99 et ss.). 9 Sur les programmes de lutte contre la pauvret en Amrique latine, cf. un rsum des actions dans le domaine publi par la CEPAL (Pardo, 2003). 10 La spcificit du cas argentin, par ailleurs partag par dautres pays comme lUruguay, est signal par plusieurs auteurs. Cf., par exemple, (Duhau, 1997). 11 Comme laffirme Didier Fassin, il revient aux sciences sociales de sinterroger non seulement sur les ralits sociologiques qui sont ainsi dcrites (les caractristiques des populations concernes et les processus par lesquels la pauvret urbaine se dveloppe), mais aussi sur la manire dont ces ralits sont construites, puis traites par les journalistes, les administrations, le public et les chercheurs eux-mmes (la faon de les reconnatre, de les nommer, de les expliquer et, finalement, de leur apporter des rponses) (1996 : p. 70).
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faisant des pauvres plus des cibles des programmes sociaux que des acteurs
participant aux luttes pour la distribution de lexcdent social.
La cration du Secrtariat dEtat au Dveloppement social en fvrier 1994 repose
sur ces nouvelles ides et reprsente un point dinflexion dans le traitement de la pauvret
en Argentine. Ce Secrtariat est fortement imprgn des postulats des organismes
multilatraux en matire de politiques sociales et il entretient un discours technique de
grance sociale promouvant le ciblage, la dcentralisation et la participation de la
socit civile la mise en place des politiques. Selon le gouvernement, la solution aux
problmes sociaux des classes populaires dsalaries rsidait ds lors dans la
multiplication de programmes sociaux cibls et mis en place localement (Rubn Lo Vuolo
et al, 1999, p. 191)12. La philosophie guidant la plupart des programmes visait non
seulement lutter pour lamlioration des conditions matrielles de vie des classes
populaires, mais aussi entreprendre une rducation des pauvres : des sujets tels
que la faiblesse du capital social de ces derniers et la ncessit de leur
empowerment 13 accompagnaient les discours experts sur la gestion des programmes
sociaux. La question des formes de distribution des ressources dans les territoires devient
dans ce contexte un enjeu majeur, le clientlisme tant alors peru comme le principal
obstacle de lamlioration des conditions de vie des classes populaires.
Cest par ailleurs dans la cration de ce Secrtariat que nous pouvons observer une
alliance inattendue entre deux groupes sociaux qui a favoris la promotion des politiques
sociales de lutte contre la pauvret . Il sagit de la rencontre entre les experts des
organismes multilatraux et les pronistes de tradition basiste et chrtienne sociale. En
effet, la tradition basiste du militantisme proniste et chrtienne sociale argentine,
dveloppe dans les annes 1960 et 1970, promouvait l organisation populaire et la
formation de ces groupes partir de leurs propres savoirs et de leurs propres expriences,
ides qui avaient t encourages par le pdagogue brsilien Paulo Freire. la diffrence
des organisations armes, tant de gauche que du pronisme de gauche, qui concentraient
12 La progression du nombre de programmes nationaux focaliss rend par ailleurs compte des difficults tatiques pour grer le problme de la pauvret. En 1996 ltat disposait de 48 programmes sociaux destins lattention de personnes en situation de pauvret et de vulnrabilit sociale. Le nombre de programmes atteint 53 en 1997, 55 en 1998 et 70 en 1999. Cf. (Acua et al, 2002). 13 Ce mot na pas de traduction directe en franais, cest pourquoi on a dcid de le garder en anglais. Il fait rfrence au fait de rendre plus puissant, de renforcer les capacits dun groupe social peru comme dmuni, en loccurrence les pauvres , afin quil puisse trouver les moyens de sen sortir de faon autonome. Bien videmment, les experts des organismes multilatraux, les experts et les militants des ONG se voient comme des agents capables dinculquer cette autonomie, concidant parfois avec les postulats nolibraux dallger les responsabilits de lEtat vis--vis des populations les plus dfavorises.
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leurs nergies sur la prise du pouvoir de lEtat, ce courant proposait dinitier les
transformations rvolutionnaires depuis le bas, en renforant le pouvoir des classes
populaires partir de leur organisation au niveau local. Cette idologie sest avre
compatible avec celle que les experts des organismes multilatraux, inspirs par la thorie
des capacits de lconomiste indien Amartya Sen, commencaient encourager. Ainsi,
l empowerment de la socit civile comme nouveau mot dordre permet aux
anciens militants basistes de retraduire leur promotion de l organisation populaire
lorsquils sont reconvertis aux carrires dexperts et de fonctionnaires dEtat dans le
domaine des politiques sociales. Tel est le cas du responsable du Secrtariat au
Dveloppement Social, Eduardo Amadeo, et dautres cadres de ce bureau. Dans tous les
cas, le clientlisme apparat comme un mal social et politique qui freine ce processus
de renforcement des capacits des pauvres .
Troisimement, la nouvelle forme dintervention de lEtat ainsi que les
transformations structurelles du monde populaire favorisent un processus de
territorialisation de ce secteur. Les quartiers populaires deviennent progressivement
lespace principal dobtention de ressources lies la survie pour les familles nayant pas
demploi stable ou ayant des emplois faiblement rmunrs : les pauvres . Les formes
dobtention de ces ressources les poussent par ailleurs lorganisation politique. Dans ce
contexte, comme le souligne Denis Merklen, les politiques sociales ont commenc
occuper la plupart des nergies de la mobilisation collective. On ntait plus en prsence
du peuple travailleur qui des dcennies durant stait organis autour de son inscription
salariale (2005 : p. 57). Support matriel de la pluralit et de la densit organisationnelle
des quartiers, le nombre de programmes sociaux mis en place et arrivant par diffrents
canaux gouvernementaux et non gouvernementaux permet donc de comprendre comment
stablit lune des formes dominantes du lien entre la politique et les territoires. Le
caractre cibl des politiques sociales ainsi que leur gestion dcentralise contribuent
lalimentation des espaces politiques et sociaux, le caractre diffus de la notion de
socit civile qui est promue par ces politiques permettant que les comits partisans,
les associations de voisins contrles par des mdiateurs politiques et les organisations
sociales et ecclsiales soient intgres la mise en place des programmes14. De cette
14 Deux programmes sociaux lis deux contextes socio-politiques spcifiques vont transformer les conditions de gestion des politiques publiques et favoriser les formes dorganisation territoriale des classes populaires. Dabord, le Plan Trabajar des annes 1990, dont lobjectif tait doffrir une occupation transitoire des travailleurs au chmage en condition de pauvret ou de "vulnrabilit sociale" [] Pendant les annes 1990, cette modalit dintervention a acquis une grande lgitimit en raison de son importance
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15
manire, les organisations politiques, sociales et religieuses travaillant au niveau local,
dans certains cas depuis les annes 1970, et depuis les annes 1980 dans dautres cas,
trouvent un nouvel lan. Les units de base du pronisme et les mouvements sociaux
territoriaux notamment ceux appels piqueteros reprsentent ainsi deux formes
dorganisation des classes populaires qui se dveloppent et acquirent plus dimportance
ce niveau tout en transformant leur rapport au politique. Ils sont par ailleurs les cibles des
dnonciations politico-journalistiques du clientlisme , forme de disqualification
politique de la politique populaire. Montrer dans quelle mesure cette image stigmatisante
ne rend pas compte de la complexit des rapports politiques au niveau local, mme lorsque
ces derniers sont faonns par des circuits de donation de biens dorigine publique
distribus par les programmes sociaux de lutte contre la pauvret , est aussi un enjeu de
cette thse.
Les entrepreneurs politiques territoriaux agissent dautre part sur certaines fractions
des classes populaires, celles qui sont frappes par le chmage et la prcarisation, qui ont
donc vu saffaiblir leurs rapports salariaux et sont par consquent les acteurs principaux de
la politique populaire territoriale. Lorsque nous parlerons des pauvres , en reprenant le
mot indigne qui dsigne les personnes devant tre aides au moyen des politiques
sociales de lutte contre la pauvret , nous ferons plus strictement rfrence ces
couches sociales, bases des classes populaires15. Ainsi laissera-t-on hors de notre analyse
les groupes dominants des classes domines : les travailleurs qui travaillent lgalement,
encore importants en termes de nombre et de capacit de mobilisation politique, car les
syndicats continuent tre lun des acteurs sociaux les plus importants du pays. En
revanche, les pauvres deviennent le cur de limage dominante des classes populaires
tout comme les ouvriers de la mtallurgie ltaient jusquaux annes 1970 et les
pour diminuer le conflit social au niveau sous-national (Acua et al, 2002 : p. 28). Ensuite, le Plan Jefes y Jefas de Hogar de 2002. Bien quil conserve les caractristiques des programmes cibls, la nouveaut tient lampleur de sa porte et la combinaison de certaines caractristiques de politique universelle ce programme introduit la notion de droits, par exemple avec les critres de focalisation des annes 1990. Cf. ce sujet (Golbert, 2004). 15 Georg Simmel avait dj montr les ambiguts de la catgorie de pauvre ainsi que son lien avec la faon dont ceux qui sont ainsi dfinis sont socialement traits. Ainsi, pour lauteur, cest partir du moment o ils sont assists, peut-tre mme lorsque leur situation pourrait normalement donner droit lassistance, mme si elle na pas encore t octroye, quils deviennent partie dun groupe caractris par la pauvret. Ce groupe ne reste pas unifi par linteraction entre ses membres, mais par lattitude collective que la socit comme totalit adopte son gard. Par consquent, la pauvret ne peut, en ce sens, tre dfinie comme un tat quantitatif en elle-mme, mais seulement par rapport la raction sociale qui rsulte dune situation spcifique (1998). Cf. sur le point (Paugam, 1991 et 1998).
-
16
politiques sociales qui leur sont adresses, notamment durant les annes 1990,
apparaissent comme le noyau dur de la question sociale 16.
Quatrimement, les transformations de lencadrement tatique des classes
populaires ainsi que la conversion symbolique et politique des travailleurs en
pauvres ont t accompagnes et soutenues, tout en la favorisant, par la cration de
diffrents groupes dexperts17 qui ont contribu faonner cette nouvelle reprsentation
savante et non savante des classes populaires. Pour ce faire ces groupes se sont consacrs
diffrentes tches de dcompte des populations ainsi qu la conception, valuation et
contrle des politiques sociales, tout en crant des domaines professionnels
dinvestissement et des espaces dchange et de socialisation propres traversant les
niveaux national et international. Il sagit dexperts universitaires en mesure de la pauvret
et des pauvres , des experts universitaires en politiques sociales de lutte contre la
pauvret , et des experts en lutte contre le clientlisme . Dans la formation de ces
univers, la squence chronologique concide avec une sorte de squence logique. Dabord,
au dbut des annes 1980, dans le contexte de la transition dmocratique en Argentine,
dans certaines institutions publiques, et notamment lInstitut National des Statistiques et
des Recensements (INDEC), on commence travailler la construction dinstruments de
mesure et de classification de la pauvret et des pauvres . Mesurer les pauvres , les
objectiver statistiquement, devient un moyen de les rendre visibles et lisibles, ce qui
contribue par ailleurs mieux dfinir la cible des actions de compensation les
politiques sociales de lutte contre la pauvret dans le contexte des politiques
dajustement. Intresss par la connaissance et lobjectivation de cette population, les
organismes multilatraux ont donc largement contribu et du point de vue financier et du
point de vue du savoir-faire entreprendre ces premires enqutes sur la pauvret dans le
pays. Des conomistes, des sociologues et des statisticiens y ont trouv un espace
dinsertion professionnelle qui sest avr fructueux. Ensuite, tant dans certains bureaux
tatiques que dans les filires nationales des organismes internationaux comme le Fond
des Nations unies pour lenfance (Unicef), des universitaires issus des sciences sociales,
notamment des conomistes, des sociologues et des politistes, commencent travailler sur
16 A la diffrence dautres cas latino-amricains, et peut-tre en raison du fait que les protections sociales universelles continuent fonctionner en Argentine pour les salaris formels, de mme que les services sociaux de sant et dducation publiques pour les classes populaires en gnral le budget des politiques dassistance na pas augment de manire considrable (Lodola, 2005 : p. 517). Le plus important ici nest donc pas laugmentation des dpenses mais la transformation de linvestissement tatique envers ces groupes anciennement marginaux. 17 Pour un panorama de la monte en puissance des experts en Amrique latine, cf. (Centeno et Silva, 1998).
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17
lhistoire des politiques sociales en Argentine et collaborer la conception de ces
politiques au sein du premier gouvernement dmocratique depuis la dernire dictature
militaire. Les deux groupes dexperts en mesure de la pauvret et en politiques sociales
partageaient leur engagement envers les idaux dmocratiques du gouvernement de Ral
Alfonsn un projet de dmocratisation qui devait tre diffus partir des institutions
politiques vers le champ social ainsi quune volont professionnelle modernisatrice,
cherchant instaurer des nouveaux domaines dtudes et dinsertion professionnelle au
carrefour des universits, des institutions publiques, des ONG et des centres dexpertise
que ces groupes creront dans les annes 1990. Enfin, une fois la pauvret tablie comme
problme social et les pauvres identifis comme groupe ncessiteux18, apparaissent de
nouveaux experts qui articulent la lutte contre la corruption politique trs prsente en
Argentine cette poque-l avec la lutte contre la manipulation des pauvres . Ces
experts en lutte contre le clientlisme , bien que peu importants en termes quantitatifs,
mettent en vidence le rle de lidentification de ce mal social et politique. En effet, leur
travail parvient cerner un problme social, la pauvret, et une mission politique, aider
les pauvres , pour laquelle la distribution de biens conditionne par une dmonstration de
loyaut politique tait un frein au renforcement de la socit civile , vu comme solution
aux problmes des classes populaires dsalaries et appauvries.
Cinquimement, il est possible de comprendre, dans ce contexte, limportance de
notre premier constat empirique : lusage tendu de ltiquette clientlisme dans les
milieux savants et non savants. Un ensemble htrogne dacteurs intresss par les
milieux populaires ont trouv dans cette tiquette un terme capable de concentrer leurs
arguments et leurs nergies, celle-ci devenant la forme dominante de la critique sociale de
la politisation des pauvres . En ralisant une enqute dans la presse nationale afin de
recueillir les articles o ce mot apparat, nous avons constat non seulement une
augmentation presque permanente des usages de ltiquette dans les discours des acteurs
de la communication politique, mais aussi une trs forte association entre le
18 Il ne sagira pas de nier lappauvrissement des classes populaires et des couches les plus basses des classes moyennes argentines, mais de montrer comment les figures du pauvre et de la pauvret sous lesquelles on commence traiter presque entirement la complexe ralit de ces classes 1) sont le produit dune construction sociale de la question sociale ; 2) vhiculent des transformations du traitement tatique des classes populaires ; 3) contribuent tracer lhistoire des transformations des formes de perception et dapprciation du rapport des classes populaires au politique en Argentine, car la diffrence des travailleurs les pauvres seront vus comme des dpendants , premier pas vers ltiquetage en terme de clients . Comme le souligne Serge Paugam, vouloir dfinir le "pauvre" ou "lexclu" en fonction de critres prcis, jugs scientifiques, conduit, en ralit, rifier des catgories sociales nouvelles ou similaires celles qui ont t construites socialement et laisser entendre quil peut exister une science de la pauvret ou de lexclusion indpendante du contexte culturel spcifique de chaque socit (1998 : p. 141).
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18
clientlisme et le monde populaire. Ltiquette sert ainsi critiquer les usages des
fins politico partisanes des politiques sociales de lutte contre la pauvret , disqualifier
certains hommes politiques ou certains partis, signaler le disfonctionnement de certaines
institutions tatiques, etc. Il ne faut donc pas penser que les usages du clientlisme sont
homognes. Tout au contraire, dans le dplacement du mot dun monde social un autre
cest--dire dans les usages que les acteurs des diffrents espaces sociaux font du
clientlisme on peut observer des modifications de son sens ainsi que des luttes pour
tablir sa dfinition dominante. Loin daffaiblir sa capacit de dsignation, les multiples
significations du clientlisme font de ce mot et des mots associs : manipulation ,
politique des dons , etc. la rfrence dominante au rapport des classes populaires au
politique. Il sensuit un problme dordre majeur pour ces classes, au moins pour les
groupes politiques et les mouvements sociaux agissant en leur nom : toute action politique,
toute manifestation, toute victoire lectorale dans des districts pauvres est suspecte
par les acteurs mentionns dtre le rsultat du clientlisme et, ainsi, politiquement
disqualifie et dlgitime.
Enfin, la prolifration des usages de clientlisme pour faire rfrence la
politique populaire est galement constate dans le monde savant. Pour les universitaires,
ce concept, anciennement utilis par les anthropologues et les historiens pour ltude des
socits dites traditionnelles , devient un instrument de la critique des dviations
politiques , essentiellement observes dans les pays priphriques. Ainsi, aux mains des
politistes amricains et de leurs partenaires dautres pays, proccups par la qualit de la
dmocratie et socialiss dans les thories des transitions dmocratiques forges vers la
fin des annes 1970, le clientlisme apparat comme un pur change de biens contre du
soutien politique, faisant des pauvres les otages des patrons . Fortement inspir
par les thories instrumentalistes composante conomiciste et individualiste, le
clientlisme de ces politistes doit par ailleurs tre mesurable, en raison de limportance
des approches quantitatives dans cette discipline. Une fois simplifi le concept, on procde
lisolement du moment de lchange, et notamment de certains types dchange, celui de
biens contre des voix, afin de construire une forme dobjectivation propre aux analyses
empiristes et ralistes du politique qui dbouche sur le concept de vote buying (achat
de voix). Les tudes de vote buying sont fortement encourages par des organismes
multilatraux proccups par la correcte distribution des biens allous par les politiques
sociales de lutte contre la pauvret et par des fondations amricaines promouvant
lamlioration des pratiques lectorales suite au scandale des lections prsidentielles de
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19
2000 en Floride. Ces tudes dfinissent ainsi un clientlisme marchand sans rapport
avec les changes au niveau local que nous avons pu observer dans notre travail de terrain.
Face cette approche instrumentaliste , des sociologues ont travaill une critique
mme de restituer la dimension symbolique et morale des rapports de clientle. Pour ce
faire, ils ont montr comment dautres choses circulent avec les biens, cest--dire des
traditions politiques, des sentiments de rciprocit, des formes de loyaut, des liens
amicaux et familiaux, etc. Peut-tre la version la plus acheve de cette approche est-elle
reprsente par les travaux du sociologue argentin Javier Auyero, trs influent dans les
tudes sur le sujet en Amrique latine. Au clientlisme instrumentaliste , il oppose
un clientlisme culturaliste dont le mrite est de mettre en vidence cette double
vie des changes politiques. Toutefois, il souligne les mcanismes inconscients oprant
dans les rapports de clientle, quil dfinit par le recours la notion dhabitus et la
construction dun habitus clientliste . De cette manire, il replace une position de
ralit de deuxime ordre les dimensions de conflit et de ngociation qui faonnent les
changes politiques territoriaux, position face laquelle simpose la ralit la plus dure de
la domination des patrons . Dans cette thse nous essayerons de montrer en quoi ces
deux approches sont insuffisantes, et comment au moyen du concept de calcul moral ,
visant dpasser la dichotomie entre la dimension calcule et la dimension non calcule
de ces circuits politiques, on peut profiter des acquis de lapproche culturaliste sans perdre
de vue limportance du conflit et des tensions propres aux circuits politiques locaux o
circulent des biens dorigine publique et des formes de soutien politique. Ce faisant, nous
esprons avoir contribu dpasser les problmes poss par les visions savantes de la
politique populaire, mais aussi les usages non savants de ltiquette clientlisme en
tant que machine critique de la politique populaire.
Prcisions mthodologiques
Dans notre travail de terrain, nous avons utilis de faon combine plusieurs
techniques de recueil de donnes. En premier lieu, nous avons reconstruit lhistoire rcente
des politiques sociales de lutte contre la pauvret en Argentine en utilisant la littrature
disponible sur le sujet non toujours systmatique, ayant parfois un style de rapport
dexpertise , ainsi que des documents des bureaux tatiques, notamment du Secrtariat au
Dveloppement Social et de ses diffrentes directions et de lInstitut National des
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20
Statistiques et des Recensements, des organismes multilatraux de crdit surtout de la
Banque Mondiale et de la Banque Interamricaine de Dveloppement et des diffrentes
institutions lies tant la conception et la mise en place des programmes sociaux quau
monde des ONG et de la socit civile . Nous avons interview des experts, participants
actifs la cration et la consolidation des diffrents groupes dexpertise lis au monde
populaire distingus plus haut : des experts en mesure de la pauvret (2), des experts
universitaires en lutte contre la pauvret (12) et des experts en lutte contre le
clientlisme (2). Les travaux acadmiques et ces entretiens ont t traits la fois
comme sources dinformation et danalyse sur la constitution dun domaine dtude de la
pauvret, de sa mesure ainsi que de lvolution des politiques sociales, et comme des
discours des acteurs envisags comme objet danalyse dans notre enqute.
En deuxime lieu, afin de nous interroger sur les usages politiques du mot
clientlisme dans lespace de la communication politique, nous avons recueilli des
articles parus entre 1997 et 2007 dans les deux principaux journaux nationaux dArgentine
(Clarn et La Nacin) tant en raison de leur diffusion nationale que de leur puissance
dans la concurrence journalistique o ce mot est employ. Les mdias tant la fois
acteurs collectifs et espaces dintervention et de lutte politique o participent dautres
acteurs, nous avons travaill sur les usages journalistiques de ltiquette et sur les usages
quen font les autres acteurs du jeu. Ces archives ont fait lobjet dune analyse quantitative
sur les priodes et les types dusage de clientlisme et dune analyse qualitative, o
le contenu des articles et les significations mobilises par rapport ltiquette ont t
tudis.
En troisime lieu, nous avons entrepris un travail dobservation des circuits
politiques dans un quartier populaire de la capitale de la province de Santiago del Estero,
lune des rgions pauvres du pays situe dans le nord-ouest de lArgentine, connotes par
la domination des pratiques clientlistes . Nous y avons ralis des entretiens avec des
leaders politiques locaux, des militants de groupes politiques, religieux et sociaux (35)
implants dans cette zone ainsi que des conversations informelles avec dautres militants
et des voisins du quartier. La technique des conversations informelles sest parfois avre
plus productive que les entretiens formels, de mme que les observations des runions
politiques et des activits quotidiennes dans les espaces de sociabilit politique tudis. En
effet, de cette manire nous sommes plus facilement parvenus dpasser vrai dire,
moins difficilement le discours officiel que ces personnes tiennent face aux observateurs
extrieurs, plus li aux attentes quils peroivent des journalistes et des experts. Cette
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21
combinaison de techniques nous a permis de travailler sur les changes produits dans le
quartier tudi, entre les organisations sociales, politiques et religieuses et les voisins.
Enfin, nous avons analys la littrature savante sur le clientlisme, envisage tant
comme outil conceptuel de notre tude sur la politique populaire que comme objet dune
lecture critique qui entrane aussi la reconstruction des rseaux auxquels les diffrents
courants participent notamment les politistes amricains, plus troitement lis au monde
expert des organismes multilatraux et des fondations amricaines promouvant la
transparence dans les pratiques lectorales.
**
Lanalyse des transformations du statut symbolique des classes populaires en
Argentine et de leur rapport au politique, ainsi que la critique des usages de ltiquette
clientlisme cet gard sera dveloppe en neuf chapitres, organiss en quatre parties.
La premire partie est consacre aux transformations politiques et sociales des classes
populaires en Argentine et aux rponses tatiques face la nouvelle question sociale
en termes de politiques de lutte contre la pauvret . Le premier chapitre porte sur les
transformations objectives des classes populaires et sur les nouvelles formes de la
politique populaire qui ont surgi, ou acquis une importance accrue, dans le contexte de la
dsalarisation et de lappauvrissement des couches les plus basses de ces classes. Nous
dcrivons galement lhistoire des politiques sociales en Argentine jusquaux annes 1980.
Le deuxime chapitre a pour objet ltude du traitement tatique de la nouvelle question
sociale dfinie en termes de lutte contre la pauvret , ainsi que la description des trois
nouveaux mots dordre dans ce domaine : la dcentralisation, le ciblage et la participation
de la socit civile . Le rle jou par les organismes multilatraux et par les
fonctionnaires et experts argentins fait galement lobjet de notre analyse. Le troisime
chapitre porte sur la constitution de la socit civile en tant que partenaire de lEtat et
des organismes multilatraux dans la mise en place des programmes sociaux ainsi que
comme domaine dinvestissement pour les experts et les universitaires. Nous montrons
comment elle srige en remde des maux menaant les pauvres , dont le
clientlisme comme pratique manipulatrice.
La deuxime partie est consacre ltude de la constitution de la mesure des
pauvres et de la lutte contre la pauvret comme domaines pour des experts. Dans le
quatrime chapitre nous travaillons sur le processus de consolidation des outils de mesure
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22
de la pauvret et des pauvres , ainsi que sur les experts universitaires qui commencent
sinvestir dans le domaine des politiques sociales. Dans le cinquime chapitre sont
analyss les experts issus de la socit civile , tant des fondations que des ONG,
notamment les experts de la dnomme droite sensible de jeunes professionnels issus
des universits catholiques et lis aux groupes politiques de droite qui commencent
sintresser la pauvret et aux pauvres et des experts en lutte contre le
clientlisme . Les discours de ces groupes sur le monde populaire laissent clairement voir
les regards des dominants sur les pauvres , perus soit comme victimes soit comme
non-acteurs , dans tous les cas comme prisonniers des dsirs des patrons
politiques.
La troisime partie porte sur les regards, au sein de lespace de la communication
politique, du rapport des classes populaires au politique en termes de clientlisme .
Nous traitons la base de donnes construite partir des archives journalistiques afin de
montrer lexpansion progressive de cette tiquette, envisage comme faon de rendre
compte de la participation politique des pauvres . Dans le sixime chapitre nous
prsentons, dune part, lvolution historique des usages de clientlisme dans lespace
de la communication politique ; dautre part, les principaux sens attribus ltiquette qui
dcoulent de ces usages, ainsi que les principaux acteurs mobilisant ce mot. Le septime
chapitre dcrit de faon plus dtaille ces usages htrognes, en mettant en rapport les
sens attribus ltiquette avec les acteurs qui la mobilisent.
Enfin, la quatrime partie est consacre la description de lconomie morale de la
circulation des aides publiques dans un quartier populaire de la capitale de Santiago del
Estero, ainsi qu une discussion du concept savant de clientlisme , entreprise en
mobilisant nos observations de terrain. Le huitime chapitre soccupe ainsi de ltude des
circuits politiques de circulation de biens dorigine publique dans le quartier populaire
retenu, tandis que le neuvime chapitre discute les deux principaux courants qui ont
travaill sur le sujet : le courant instrumentaliste de la science politique amricaine et
le courant culturaliste des sociologues latino-amricains. Nous proposons alors des
concepts et des analyses alternatives ces courants.
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23
Note 1. Nous avons traduit toutes les citations utilises qui taient initialement en
espagnol et en anglais.
Note 2. Afin de ne pas gner la lecture de cette thse, les rfrences gographiques et
historiques sur lArgentine ont t rduites au minimum. En Annexes ont t inclus des
informations sur le pays qui peuvent aider la lecture.
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Premire partie :
Les transformations des classes populaires en Argentine et les
rponses tatiques en termes de politiques de lutte contre la
pauvret .
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Chapitre I
Les transformations du monde populaire en Argentine (1976-2003) et les politiques
sociales du XIXe sicle jusqu la transition dmocratique : de la bienfaisance au
PAN
Le monde populaire sest radicalement transform en Argentine depuis la
dernire dictature militaire (1976-1983). L hritage social de la dictature na pas t
renvers par les gouvernements dmocratiques qui ont succd, de sorte que la
dsalarisation, lappauvrissement et la prcarit des classes populaires deviennent
depuis les annes 1980 des traits principaux de ces groupes. Les politiques sociales
mises en place depuis les annes 1940 tant lies lemploi salari et/ou formel, la crise
du salariat, laugmentation des taux de chmage et du travail au noir, informel, etc., ont
boulevers la configuration des classes populaires en mme temps quelles ont laiss
sans protection une partie importante de ces classes, notamment des couches les plus
basses. Ces transformations influeront fortement sur la configuration sociale du pays,
ainsi que, plus prcisment, sur la sociabilit populaire et sur le rapport de ces classes au
politique.
En effet, on assiste des transformations des investissements politiques dans ce
monde. Dabord, la conversion des militants des gauches armes des annes 1970
lactivisme politique local, li alors aux militants de bases proches du catholicisme tiers-
mondiste et du pronisme de gauche, favorise la cration de nouveaux mouvements
sociaux base territoriale, qui commencent organiser les classes populaires au niveau
des quartiers tout en concurrenant les rseaux du pronisme officiel. Ensuite, le parti
proniste exprimente dimportantes transformations organisationnelles et sociales : la
perte de pouvoir des syndicats au sein de ce parti, ainsi que les transformations
organisationnelles vers un systme de courants et de groupes base territoriale,
renforcent la prsence des militants pronistes dans les quartiers populaires. Les
transformations des classes populaires et de leur rapport au politique depuis la dernire
dictature militaire permettent de rendre compte, dune part, de la puissance dun parti
proniste dcentralis qui repose sur des leaderships locaux et provinciaux et, dautre
part, des caractristiques des mouvements sociaux territoriaux qui, partir des annes
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26
1990, deviennent une des formes les plus puissantes dorganisation et de mobilisation
des classes populaires. Dans les deux cas, la participation de ces classes est lie la
question de leur survie et, de ce fait, toujours suspecte de favoriser le dveloppement
du clientlisme .
La nouvelle situation sociale des couches dfavoriss, ainsi que le traitement que
le premier gouvernement dmocratique de 1983 se propose dentreprendre pour
lamliorer, change progressivement la place quoccupaient les politiques sociales
envers les pauvres depuis les annes 1940 : elles cessent ainsi dtre un complment des
politiques orientes vers les salaris devenant un problme majeur tant du point de vue
des ressources investies que des proccupations politiques publiquement affiches. Ceci
est aussi le produit de la dcouverte de la pauvret comme phnomne stable et non pas
comme un accident, une situation marginale ou simplement transitoire, condamne
disparatre. Les annes 1980 sont en ce sens trs importantes car pour la premire fois
depuis au moins la crise des annes 1930 on commence envisager la question de la
pauvret comme un fait durable dans le pays alors considr comme le grenier du
monde , une Argentine riche par son essence (Tenti Fanfani, 1989 : p. 48). Le
traitement tatique de cette dtrioration des conditions de vie des classes populaires a
eu une grande influence sur les transformations politiques de ce secteur. Dj en 1984,
le gouvernement radical issu des lections de 1983 met en place le Programme
Alimentaire National (PAN). Le gouvernement assumait ainsi les problmes sociaux
poss par ces classes en focalisant ses actions sur les secteurs ayant des problmes de
survie, le problme de lemploi ntant pas encore peru comme un trait structurel de la
socit argentine. Le PAN reprsentait une innovation pour deux raisons : dune part,
pour la premire fois depuis plusieurs dcennies, le gouvernement mettait en place un
programme dassistance alimentaire des classes populaires, ce qui laissait entrevoir les
transformations sociales subies par ce pays pendant la dictature militaire ; dautre part, il
sagissait dun programme reposant sur un critre cibl de distribution des ressources,
cest--dire que lassistance tait distribue parmi une population remplissant certaines
conditions de pauvret extrme. Le problme des formes lgitimes dattribution des
ressources, donc les dnonciations des usages clientlistes des paquets PAN ,
commence tre lordre du jour des dbats politico-mdiatiques de lpoque.
Dans ce chapitre nous analyserons les transformations objectives du monde
populaire. Nous montrerons comment on passe dune socit relativement intgre, avec
des taux importants demploi salarial protg bien quavec le systme hybride de
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27
protection mis en place en Argentine, combinant des aspects corporatifs avec des
aspects nettement universels et des taux de pauvret assez bas, une socit o le
chmage, lappauvrissement et linformalit deviennent des situations durables
produites et reproduites dans le monde populaire.
Puis nous nous occuperons des nouveaux acteurs politiques territoriaux
intervenant dans ce monde. Les rseaux du pronisme et les mouvements sociaux
piqueteros apparatront non seulement comme des organisateurs et des agents
mobilisateurs des nergies politiques des classes populaires mais aussi comme des
agents de la concurrence politique territoriale o la distribution de ressources occupe
une place importante. Ils permettent de comprendre, dune part, les nouvelles formes de
politisation du monde populaire, et, dautre part, les formes inattendues de la notion de
socit civile qui sera, comme nous le verrons dans les prochains chapitres, lun des
principaux lments des nouveaux dispositifs tatiques et politiques et des nouveaux
discours de lespace de la communication politique lies aux dfinitions des manires
appropries de faire de la politique dans ce milieu.
Enfin, nous tracerons une histoire des politiques envers les pauvres en Argentine
depuis la fin du XIXe sicle pour nous intresser notamment aux transformations ayant
eu lieu dans les annes 1940 dues la naissance des assurances sociales lies au travail
salari et au bouleversement de cette tendance dans les annes 1980, partir de la
dfinition dune nouvelle question sociale associe la dsalarisation des
travailleurs et la mise en place du programme PAN, pionnier en lutte contre la
pauvret, en ciblage et en combinaison daspects centraliss et dcentraliss des
politiques sociales, qui seront repris et perfectionns dans les annes 1990, lorsque les
politiques de lutte contre la pauvret deviendront la faon dominante de penser et de
faire le social, en mme temps que les travailleurs de l Argentine proniste
seront dsormais vus comme des pauvres .
1. Les transformations du monde populaire
La dictature militaire qui dbute le 24 mars 1976 peut tre place dans la longue
srie de linstabilit politique de lArgentine, qui commence par le coup dtat du 6
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28
septembre 193019. Elle peut aussi tre vue comme un indice de lincapacit des partis
politiques et des groupes sociaux reprsents par ceux-ci construire un consensus sur
les rgles du jeu lgitimes de la lutte politique20. Elle apparat, par ailleurs, comme le
rsultat des difficults des secteurs conomiques et sociaux dominants pour constituer
une force politique ou pour sassocier un parti dj en lice leur permettant de
construire une hgmonie durable par des moyens dmocratiques21. Pendant les annes
1980, enfin, cette dictature a galement t interprte comme la consquence du
tournant fortement corporatif de la politique argentine et du dtachement des groupes
corporatifs des valeurs dmocratiques, tant de la part des associations patronales que de
celles reprsentant les intrts des travailleurs.
Or, le dit Proceso de Reorganizacin Nacional (Processus de Rorganisation
Nationale) a t beaucoup plus que tout cela. Cest le premier pas vers la dsarticulation
dun modle daccumulation connu comme dindustrialisation par substitution
dimportations et dun modle de rgulation sociale et politique bas sur laction
redistributive de ltat de lactivit agro-exportatrice vers lactivit industrielle, et sur la
garantie de certains droits des travailleurs qui taient assurs, dune part, par le plein
emploi et, dautre part, par le pouvoir des syndicats, reconnus comme interlocuteurs
lgitimes lors des ngociations salariales qui compensaient linflation endmique et
comme administrateurs dune certaine portion du bien-tre de leurs affilis (les
mutuelles sociales des mutuelles syndicales charges de lassurance de sant des
affilis , les services de loisirs et de vacances subventionns, etc.). Bref, ce Processus a
mis un terme ce que lhistorien Tulio Halpern Donghi a appel l Argentine
proniste , un type de socit et de relation entre laccumulation de capital, la
distribution des revenus et la dynamique politique qui ne pourrait plus tre reconstitue,
comme le montre la tentative choue de la gestion de Bernardo Grinspun la tte du
Ministre de lconomie dans la premire anne et demie du gouvernement de R.
Alfonsn (Ortiz et Schorr, 2006 : pp. 291-297)22. On navait pas encore constitu un
19 De fait, un travail rcent de Paula Canelo propose dtudier la dictature de 1976 avec les outils forgs afin danalyser les gouvernements militaires prcdents. Cf. (Canelo, 2008). Sur les annes de la dictature militaire, cf. aussi (Palermo et Novaro, 2003). 20 Ce qui a t matire de proccupation des politistes et des sociologues argentins qui ont particip aux dbats sur les conditions de russite de la transition dmocratique en Argentine. Cf. (Lesgart, 2003). 21 Cf. sur ce point (ODonnell, 1977). 22 Le premier programme conomique de lalfonsinisme, pendant la gestion de Bernardo Grinspun au Ministre de lconomie, a prtendu mener ce que Ricardo Ortiz et Martn Schorr appellent une politique de revenus , qui cherchait amliorer la situation des travailleurs et promouvoir la croissance du march domestique, en donnant la priorit la rcupration de lconomie nationale par
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nouveau rgime daccumulation, qui sera dfinitivement prcis au dbut des annes
1990, le modle prcdent avait pris fin.
Comme laffirme Ricardo Sidicaro : La dictature a essay dentreprendre une
transformation de la socit qui sest rvle non viable, mais les effets de la rpression
illimite ont russi dstructurer pratiquement tous les acteurs politiques, sociaux et
culturels qui avaient t dfinis comme des adversaires supprimer. La refondation
frustre de la socit et de ltat, "la rvolution depuis en haut", na pas atteint ses
objectifs les plus ambitieux, mais les mcanismes terroristes de ltat dsorganis et le
militarisme anomique ont permis de mener avec succs une contre-rvolution. La
modernisation conservatrice na pas t mene bien, les chefs dentreprise avec de
nouvelles mentalits ne sont pas apparus, mais la violence extralgale des appareils
tatiques en crise est parvenue dtruire la capacit de mobilisation et de protestation
sociale qui existait avant limplantation du rgime autoritaire . Mme si Ricardo
Sidicaro soutient que celui-l ntait pas lobjectif principal fantasm dans les
documents fondateurs du "processus" , question quon peut discuter23, la dictature a
termin par raliser ce que staient proposs tous les coups dtat depuis 1955 : la
liquidation des conditions structurelles qui favorisaient la participation politique des
classes populaires (2004 : p 96)24.
Cette dsarticulation structurelle de l Argentine proniste et du rgime
daccumulation associ celle-ci a t possible non seulement parce que, sur le plan
politique, la dictature a dsarticul le mouvement ouvrier, a rprim les adversaires et a
limit la vie des partis politiques, mais aussi parce que, sur le plan conomique, elle a
prtendu faire face la lutte contre linflation comme priorit majeure en menant une
politique librale de rduction des salaires, daugmentation de la productivit (cf,
tableau I, ci-dessous) et douverture des marchs industriels, tout en produisant une rapport la ngociation avec les cranciers (majoritairement la banque nationale) et les organismes multilatraux de crdit (2006 : pp. 292-293). 23 Les analyses de S. Morresi sur la participation des nolibraux et des conservateurs de droite la rdaction des documents fondateurs de la dictature militaire montre que les groupes intellectuels et techniques entourant les militaires qui vont prendre le pouvoir en 1976 prtendaient restaurer lordre perdu, et, en mme temps, arriver une revanche historique contre une classe ouvrire inquite et un petit patronat habitu vivre des faveurs des gouvernements "populistes" (2008 : p. 49). 24 Cest pourquoi A. Canitrot dsigne ce processus comme une entreprise de discipline sociale . Selon lauteur : La politique conomique inaugure en 1976 a t une tentative radicale de transformation du schme de fonctionnement de lconomie argentine en vigueur depuis 1930 (1981 : p 131). Il sagissait, selon A. Canitrot, de trouver une solution long terme par rapport la situation de crise sociale laquelle on tait arriv dans la premire moiti de la dcennie de 1970 (1981 : p 132). Lhypothse de lauteur est claire ce sujet : le premier programme conomique de la dictature militaire, dirig par le ministre Jos Martnez de Hoz, a t labor non pas en vertu dun diagnostic conomique, mais en tenant compte de ce projet politique (1981 : p 132).
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augmentation du pouvoir du secteur financier au dtriment du secteur productif. En
revanche, le point le plus important cet gard est que certaines des transformations
entames pendant les annes de la dictature constitueraient un hritage inluctable pour
les gouvernements dmocratiques qui lont succd. La croissance de la dette publique
pendant la dictature, qui a laiss de lourdes contraintes aux gouvernements
dmocratiques ultrieurs, en constitue un exemple.
Tableau I Evolution du cot du travail industriel (1975-1980) 1970=100
Anne Salaire (productivit marginale)
Productivit par heure Cot du travail
1975 104,6 101,4 103,2 1976 65 101,2 64,2 1977 62,7 107,8 58,2 1978 62,7 107,2 58,5 1979 72,2 115,5 62,5 1980 89,4 122,2 73,2
Source : (Canitrot, 1981 : p. 188).
Les consquences structurales de la politique conomique de la dictature ne sont
perues qua partir du milieu des annes 1980, mme si larrive du gouvernement
dmocratique en 1983 na pas renvers ce processus ; la crise dhyperinflation de 1989 a
finalement renforc la dgradation des conditions de vie des classes populaires. La
politique nolibrale initie par le gouvernement proniste de Carlos Menem (1989-
1999) rforme de ltat, privatisation des entreprises de service public et ouverture du
march interne la concurrence internationale a acclr cette voie : une vraie
rvolution des conditions sociales dexistence des groupes sociaux sopre en Argentine
approfondissant les caractristiques du monde populaire tablies pendant la dictature25.
25 Comme le soulignent G. Kessler et Silvia Sigal, lexprience de lhyperinflation est la base de la lgitimit de la politique nolibrale mise en place par le gouvernement de C. Menem, notamment partir de larrive de Domingo Cavallo au Ministre de lEconomie en 1991 et de la mise en place du plan de convertibilit et de stabilisation de la monnaie : Lhyperinflation mine lautorit publique et produit ce que lon peut appeler du pr-politique, dans le sens de ce qui est engendr par la dislocation de rgulations fondamentales de la vie sociale. Rares sont les exemples dun dsordre qui, comme lhyperinflation, semblent matrialiser socialement une situation hobbsienne [] On comprend donc que la demande dintervention tatique qui merge dans une socit incapable de se matriser elle-mme soit la raison gnralement donne la rception favorable du plan Austral et, a fortiori, loctroi de pleins pouvoirs au prsident C. Menem en 1989. Elle permet de comprendre aussi le fait que Carlos Menem nait gure rencontr dobstacles la mise en oeuvre dun programme de rorganisation radicale du systme socio-conomique qui contredisait, par ailleurs, tous et chacun des principes de son mouvement (1997 : p. 74).
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On passe ainsi en moins de quinze ans dune socit salariale o prs de 80 % de
la population active voluait dans des relations salariales classiques, o la protection et
les droits sociaux lis au travail tait assure et o lintgration des catgories ouvrires
et lexpansion des catgories moyennes urbaines tait assure par une mobilit sociale
ascendante, une socit d exclusion , caractrise par la perte des protections
sociales lies au travail, des ingalits sociales, la concentration des revenus,
laugmentation brusque de la pauvret et de lindigence, lappauvrissement des
catgories populaires et moyennes apparition de nouveaux pauvres, de situations
htrognes de pauvret, etc. et par la monte du travail au noir, du travail informel et
du chmage de longue dure26.
Les centres urbains, et notamment la banlieue de la ville de Buenos Aires
centre industriel du pays ont t les endroits les plus frapps par cette crise du monde
populaire. Quelques donnes statistiques tmoignent de ce phnomne : si lon prend
comme base (=100) lanne 1974, la moyenne des salaires des ouvriers et des employs
baisse 85.5 en 1980, 72.5 en 1986, 56 en 1991, est de 61.2 en 1997 et de 61.1 en
2001 (cf. tableau II ci-dessous) ; les taux demploi au noir passent de 25,24% du total
des salaris en 1990 30,27% en 1995, 36,22 en 1997, 38, 49% en 2001, et 44,82 en
2003 (cf. tableau XXX en Annexes p. 499 et dessin I ci-dessous) ; quant aux taux de
chmage et de sous-emploi, ils sont de 5% et 5,4% respectivement en 1974, de 7,6% et
8,6% en 1989, de 20,2% et 11,3% en 1995 lorsque ce problme devient un enjeu
politique majeur , et de 22% et 18,6% en 2002, pendant le moment le plus aigu de la
dernire crise conomique et sociale (cf. tableau XXXI en Annexes p. 499 et dessin
II ci-dessous) .
26 Sur les transformations du march de lemploi et leur impact sur les conditions de vie des classes populaires, on se reportera (Lo Vuolo et Barbeito, 1998 : p. 143-148). La politique conomique guidant le gouvernement de lAlianza (1999-2001) ne fait quaggraver les problmes financiers de lEtat argentin et la crise sociale des classes populaires.
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Tableau II - Moyenne de salaires des ouvriers et des employs dans la banlieue de
Buenos Aires (1974-2001)
Annes Moyenne de salaires 1974=100
1974 100
1980 85,5
1986 72,5
1991 56
1994 66,6
1997 61,2
1998 63,6
1999 62
2000 61,8
2001 61,1 Source : Ministres de lEconomie, de lEmploi et Institut national de statistiques et de recensements (INDEC).
Dessin I - Taux demploi au noir. Total des centres urbains (1990 2003)
Source : Ministre de lEmploi sur la base de lEnqute Permanente de Foyers (EPH). Mai 1990-2003.
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Dessin II - Taux de chmage et de sous-emploi (1974-2003)
Source : Institut national de statistiques et de recensements (INDEC).
La croissance des ingalits est un indicateur du fait que la crise na pas frapp
toutes les classes sociales de manire homogne, et du fait quen mme temps que les
classes populaires sappauvrissaient dautres groupes sociaux ont augment leur
participation au total des richesses produites par la socit. Si, comme le soulignent
Carla del Cueto et Mariana Luzzi, pendant une bonne partie du XXe sicle,
lArgentine sest distingue de ses voisins latinoamricains par de hauts niveaux
dintgration sociale et de bas niveaux dingalit (2008 : p. 17), lissue de la
dictature, dabord, et des annes dajustement nolibral, ensuite, on atteint des niveaux
dingalits, en terme de coefficient Gini, indits pour ce pays, en passant de 0,36 en
1974 0,41 en 1986 et, enfin, 0,46 en 2005, aprs avoir expriment des niveaux qui
dpassaient 0,50 (cf. tableau IV ci-dessous).
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Tableau IV - Evolution du coefficient Gini (1974-2005) Anne Coefficient Gini
1974 0,36 1980 0,39 1986 0,41 1990 0,45 1994 0,48 1999 0,49 2002 0,53 2003 0,50 2004 0,49 2005 0,46 Source : Eduardo Chvez Molina, Desigualdad en los ingresos , Lavboratorio, N 19, 2006, pp. 18-20.
Limpact social direct de ces processus sur les classes populaires est d au fait
quen Argentine laccs nombre de biens et services directement lis au bien-tre
dpend du mode dinsertion dans le march du travail. De fait, la probabilit de pouvoir
bnficier de certains droits lis la sant, la vieillesse systmes de retraite ainsi
qu dautres prestations sociales loisirs, sports est fonction de la situation par
rapport lemploi. LEtat de bien tre argentin tait en effet une combinaison de
politiques universelles et corporatistes. Comme lexpliquent Rubn Lo Vuolo et Alberto
Barbeito, le systme de politiques sociales tait un hybride institutionnel en ce qui
concerne les principes dorganisation, dont la principale source dinspiration provenait
du modle "corporatiste". Par consquent, le cur du systme (les programmes de
retraite, les mutuelles sociales [systme de sant mutualis gr par les syndicats] et les
allocations familiales) a t tabli comme un ensemble de corps autonomes
dassurances sociales finances par les impts sur les salaires. Le systme soutenait une
division au sein des travailleurs salaris eux-mmes, en tablissant diffrents
programmes pour diffrents groupes et en prservant les diffrences de statut qui
provenaient du march du travail. Est souligner limportance des services spciaux et
privilgis pour diffrents groupes de lemploi public (1998 : p. 38-39). Le chmage
et laugmentation du travail au noir font que non seulement le travail laisse sa place
centrale dans lorganisation de la vie quotidienne et des rapports au politique des classes
populaires mais aussi que ces dernires perdent leurs principaux droits sociaux. Comme
le souligne Rubn Lo Vuolo Le plein emploi tait assum comme une caractristique
propre du processus conomique argentin. Ainsi, lEtat de bien-tre argentin na pas eu
une assurance contre le chmage ni un systme de politiques actives demploi, typiques
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du rgime social-dmocrate. La seule politique active demploi par ailleurs cache
tait lengagement de main duvre excdante dans le secteur public. Cependant, il ne
sagissait pas dune politique "formelle" mais du rsultat dune combinaison anarchique
entre des pressions politiques, la demande drive de laugmentation des fonctions de
lEtat et de la combinaison de facteurs de production rgnant dans la pr