Regards croisés sur les infections nosocomiales : de la responsabilisation juridique à...

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Droit Déontologie & Soin 13 (2013) 296–309 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com Chronique Regards croisés sur les infections nosocomiales : de la responsabilisation juridique à l’évaluation des coûts Dominique Rondeau (Maître de conférence en droit, H.D.R.) , Sandra Bertezene (Maître de conférences en gestion, H.D.R.) Laboratoire SAF (EA 2429), université Lyon 1, 17, rue de France, 69100 Villeurbanne, France Disponible sur Internet le 1 octobre 2013 Résumé La lutte contre les infections nosocomiales s’inscrit notamment dans des logiques juridiques et financières. Mais que prévoit la loi en la matière et quel est le coût d’une infection ? Pour répondre, l’article étudie l’évolution du régime de responsabilité car elle explique que les gestionnaires ont besoin d’évaluer plus systématiquement leur coût pour organiser une politique de lutte. Puis, l’article examine deux méthodes de comptabilisation des infections, en étudie les avantages et les contraintes notamment au regard de l’évaluation du risque de contentieux juridique. © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. 1. Introduction L’infection nosocomiale (IN), c’est-à-dire contractée dans un établissement de santé, a toujours existé et occasionné un taux de morbidité et de mortalité important. Durant des siècles, l’erreur humaine fut rarement évoquée, les « desseins de Dieu » justifiant aisément la maladie, voire la mort. Si, l’IN a toujours existé, les moyens pour y remédier manquaient : l’absence d’informations, de produits désinfectants, d’hygiène ont tué ou handicapé plus d’individus que la fatalité. Les infections nosocomiales ne sont cependant plus insurmontables. En France, on estimait le nombre de morts dus aux IN à 10 000 en 1998 (Marsaudon, 1998), à 9000 en 2006 (Vasselle, 2006) et à 4200 en 2011 (Desenclos et Brun-Buisson, 2011). L’évolution des moyens d’asepsie, une information plus rigoureuse et une prise de conscience des risques par les professionnels et les établissements de santé ont fait de ce problème, auparavant ingérable, un problème avec des solutions, mais encore faut-il une participation active de tous les intervenants. Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (S. Bertezene). 1629-6583/$ see front matter © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.ddes.2013.07.002

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Droit Déontologie & Soin 13 (2013) 296–309

Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com

Chronique

Regards croisés sur les infections nosocomiales : de laresponsabilisation juridique à l’évaluation des coûts

Dominique Rondeau (Maître de conférence en droit, H.D.R.) ,Sandra Bertezene (Maître de conférences en gestion, H.D.R.) ∗

Laboratoire SAF (EA 2429), université Lyon 1, 17, rue de France, 69100 Villeurbanne, France

Disponible sur Internet le 1 octobre 2013

Résumé

La lutte contre les infections nosocomiales s’inscrit notamment dans des logiques juridiques et financières.Mais que prévoit la loi en la matière et quel est le coût d’une infection ? Pour répondre, l’article étudiel’évolution du régime de responsabilité car elle explique que les gestionnaires ont besoin d’évaluer plussystématiquement leur coût pour organiser une politique de lutte. Puis, l’article examine deux méthodes decomptabilisation des infections, en étudie les avantages et les contraintes notamment au regard de l’évaluationdu risque de contentieux juridique.© 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

1. Introduction

L’infection nosocomiale (IN), c’est-à-dire contractée dans un établissement de santé, a toujoursexisté et occasionné un taux de morbidité et de mortalité important. Durant des siècles, l’erreurhumaine fut rarement évoquée, les « desseins de Dieu » justifiant aisément la maladie, voire lamort. Si, l’IN a toujours existé, les moyens pour y remédier manquaient : l’absence d’informations,de produits désinfectants, d’hygiène ont tué ou handicapé plus d’individus que la fatalité. Lesinfections nosocomiales ne sont cependant plus insurmontables. En France, on estimait le nombrede morts dus aux IN à 10 000 en 1998 (Marsaudon, 1998), à 9000 en 2006 (Vasselle, 2006)et à 4200 en 2011 (Desenclos et Brun-Buisson, 2011). L’évolution des moyens d’asepsie, uneinformation plus rigoureuse et une prise de conscience des risques par les professionnels et lesétablissements de santé ont fait de ce problème, auparavant ingérable, un problème avec dessolutions, mais encore faut-il une participation active de tous les intervenants.

∗ Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (S. Bertezene).

1629-6583/$ – see front matter © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.http://dx.doi.org/10.1016/j.ddes.2013.07.002

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Les résultats de l’enquête nationale réalisée par le réseau d’alerte, d’investigation et de sur-veillance des IN (REA-RAISIN, 2009) montrent que la prévalence des infections est de 5,38 %en raison de patients multi-infectés. Trois types d’infections représentent 59 % des IN : les infec-tions urinaires (30 %), les pneumopathies (15 %) et les infections du site opératoire (14 %). Lespatients sont principalement victimes d’IN au sein des services de réanimation (parmi les adulteshospitalisés en réanimation plus de deux jours, 14,4 % ont présenté au moins une infection), descentres hospitaliers universitaires (CHU), des centres de lutte contre le cancer et même des hôpi-taux généraux (5 à 19 % des patients admis). La littérature montre que 30 % des IN sont évitables(Haley et al., 1985) mais l’absence totale de risque semble impossible si l’état de santé de lapersonne est fortement dégradé. Zotti et al. (2004) montrent également que le statut des patientsimpacte la réalisation du risque infectieux nosocomial. Ainsi, ce sont principalement les hommesâgés, souffrant d’une maladie sévère, immunodéprimés, opérés ou exposés à un dispositif invasifqui sont les plus touchés (REA-RAISIN, 2009). En revanche, il ne semble pas possible d’affirmerqu’il existe un seuil minimum de risque infectieux (Klavs et al., 2003) même si des études mettenten lumière le caractère évitable de certaines infections. Par exemple, Florent et al. (2005) montrentque sur 295 patients décédés avec une IN, 17 décès sont imputables à une infection alors que quatred’entre elles étaient évitables.

L’IN a été définie dans une circulaire du Ministère de la santé le 13 octobre 19881 qui pré-cise qu’il s’agit de « toute maladie provoquée par des micros organismes, contractée par unpatient dans un établissement de soins après son admission pour hospitalisation ou soins ambu-latoires, dont les symptômes peuvent apparaître au cours du séjour à l’hôpital ou après un certaindélai, variable selon la période d’incubation et la nature des interventions ». Une circulaire du29 décembre 20002 est venue l’abroger et a ainsi élargi son champ d’application, ouvrant ainside plus amples possibilités d’indemnisation : « l’infection nosocomiale existe dès lors qu’elle aété contractée dans un établissement de soins et qu’elle était absente au moment de l’admissiondu patient ». L’infection contractée par le patient est, en principe, réputée nosocomiale si elle sedéclenche au minimum 48 heures après le début de l’hospitalisation ou 24 heures après la fin del’hospitalisation ou encore dans les 30 jours suivant l’intervention pour les infections de plaiesopératoires. Depuis la publication de ces textes, les directions d’établissements se sont emparéesplus grandement de cette problématique. Les équipes médicales et soignantes sont de mieux enmieux formées à leur prévention et impliquées dans des projets articulés aux missions des comitésde lutte contre les IN crées grâce à la circulaire du 13 octobre 1988 (définition de règles de préven-tion, de protocoles, d’une politique de révision périodique, recueil des déclarations d’infections,coordination de la surveillance permanente, etc.).

Le risque de contentieux juridique étant désormais plus élevé, les conséquences financièrespour les établissements sont de fait plus importantes. Parmi les impacts majeurs, nous pouvons citernaturellement des coûts visibles et directs tels que les dommages et intérêts versés aux victimes,l’augmentation du coût des assurances, mais également des coûts plus indirects et diffus inhérentsà une réputation dégradée, aux temps passés à prendre en charge une personne infectée, etc. Maisque prévoient exactement les textes en matière de responsabilité juridique ? Que doivent assumerles médecins et les gestionnaires ? Qui paie ? Comment évaluer les coûts visibles et cachés, directs

1 Circulaire no 263 du 13 octobre 1988 relative à l’organisation de la surveillance et de la prévention des infectionsnosocomiales, BEH no 46, 21 nov. 1988.

2 Circulaire DGS/DHOS/E2, no 645 du 29 décembre 2000, relative à l’organisation de la lutte contre les infectionsnosocomiales dans les établissements de santé.

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et indirects dus aux IN ? Que représente vraiment une IN d’un point de vue économique pour unétablissement ?

Cet article a pour objectif de répondre à ces questions centrales, non seulement pour le corpsmédical, mais également pour les managers présents dans tout établissement de santé. Pour cela, ilcroise les approches juridique et managériale pour étudier l’évolution du régime de responsabilitéface aux infections car elle explique que les gestionnaires ont besoin d’évaluer plus systémati-quement le coût des IN pour piloter l’établissement. C’est pourquoi la deuxième partie examinedeux méthodes de comptabilisation et en étudie les avantages et les contraintes pour aider lesmanagers à évaluer l’ensemble des coûts inhérents à la prise en charge des IN.

2. L’évolution de l’approche juridique des infections nosocomiales : laresponsabilisation croissante des médecins et des gestionnaires

La responsabilité civile hospitalière était, traditionnellement, fondée sur une faute prouvée.Dans deux arrêts du Conseil d’état du 8 novembre 19353, il était jugé que : « les établissementspublics de santé ne pouvaient voir leur responsabilité engagée qu’en cas de faute lourde ». Puis,progressivement le juge administratif s’est orienté vers un régime de responsabilité pour fauteprésumée4, avec encore quelques divergences d’opinion puisque certains juges5 exigeaient tou-jours la démonstration d’une faute, par la victime, pour engager la responsabilité de l’hôpital.Dans un même temps, une obligation de sécurité de résultat pesait sur les établissements de santéprivés et les praticiens libéraux. Si la loi du 4 mars 20026 a mis les établissements de santé publicsou privés sur un pied d’égalité en les soumettant à un régime de responsabilité identique, ce nefut pas le cas pour les praticiens libéraux, dont la responsabilité ne peut, désormais, être enga-gée qu’en cas de faute prouvée. Cette loi a été, par la suite, précisée et complétée par la loi du30 décembre 20027 relative à « la responsabilité civile médicale ». Notamment, l’article 3, modi-fie l’article 101 de la loi du 4 mars 2002 en précisant que : « . . .ces dispositions s’appliquent auxaccidents médicaux, affections iatrogènes et infections nosocomiales consécutifs à des activitésde prévention, de diagnostic ou de soins réalisées à compter du 5 septembre 2001, même si cesaccidents médicaux, affections iatrogènes et infections nosocomiales font l’objet d’une instanceen cours, à moins qu’une décision de justice irrévocable n’ait été prononcée ».

Cette première partie développe ces différents éléments et livre ainsi une approche juridique dutraitement des infections à travers l’étude de la responsabilité des établissements et des médecins.

2.1. La responsabilité des établissements de soins et des médecins avant le 5 septembre 2001

Il faudra attendre la fin des années 1980 pour que l’ensemble des juridictions administrativesreconnaisse le bien fondé d’un régime de responsabilité pour faute présumée des établisse-ments publics hospitaliers. Cette évolution a été consacrée par l’arrêt du Conseil d’état du9 décembre 19888. Dans cette affaire, le Conseil d’état jugeait que : « même si aucune faute lourde

3 CE 8 nov. 1935, Recueil CE, p. 109.4 CE, 18 nov. 1960, Recueil Lebon, p. 640.5 CE, 25 fév. 1974, Revue de droit sanitaire et social 1975, p. 213.6 Loi no 2002-303 du 4 mars 2002, relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, JO du 5 mars 2002,

p. 4118.7 Loi no 2002-1577 du 30 décembre 2002 relative à la responsabilité civile médicale JORF du 31 décembre 2002

page 22 100.8 CE, 9 déc. 1988, Cohen, Rec., p. 431 ; Gaz. Pal. 1989, p. 405.

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médicale, notamment en matière d’asepsie, ne pouvait être reprochée aux praticiens qui avaientexécuté l’examen et l’intervention. . . ; le fait qu’une telle infection ait pu néanmoins se pro-duire, révélait une faute dans l’organisation ou le fonctionnement du service hospitalier à qui ilincombait de fournir au personnel médical un matériel et des produits stériles ».

Cette jurisprudence fut réaffirmée dans les années qui suivirent9. Parallèlement, un régime deresponsabilité sans faute, dégagé par le juge judiciaire, s’appliquait pour les établissements privéset les praticiens libéraux. La Cour de cassation avait, en effet, considéré dans trois arrêts, connussous l’appellation de « staphylocoques dorés », rendus le 29 juin 199910 : « qu’un établissementde santé privé et un médecin libéral étaient tenus, en matière d’infections nosocomiales, d’uneobligation de sécurité de résultat, dont ils ne pouvaient s’exonérer qu’en rapportant la preuved’une cause étrangère ». Ce faisant, le juge judiciaire mettait ainsi à la charge de ces intervenantsune responsabilité de plein droit.

Dans un autre arrêt rendu le 18 octobre 200511, pour des faits intervenus le 3 février 1988, laCour de cassation estimait que : « le chirurgien qui a pratiqué une arthroplastie, le kinésithérapeutequi, en faisant la rééducation, a desserti un Redon et la clinique où a eu lieu l’intervention sonttenus d’une obligation de sécurité de résultat en matière d’infections nosocomiales dès lors qu’ilsn’ont pu se libérer en rapportant la preuve d’une cause étrangère ».

Puis, la loi du 4 mars 2002 est venue harmoniser le régime de responsabilité applicable auxétablissements de soins publics ou privés, tout en le différenciant de celui applicable aux praticienslibéraux, fondé sur une faute prouvée par la victime.

2.2. La responsabilité des établissements de soins publics, privés et des médecins libérauxaprès le 5 septembre 2001

L’obligation de sécurité de résultat, dégagée par les jurisprudences de la Cour de cassation en1999, a été entérinée par la loi du 4 mars 2002. Les établissements de santé, qu’ils soient publicsou privés, sont tous désormais soumis à un régime de responsabilité sans faute, fondé sur l’articleL. 1142-1, I, al. 2 du CSP, dont ils ne peuvent se libérer qu’en apportant la preuve d’une causeétrangère.

La cause étrangère peut résulter du fait d’un tiers, d’une faute de la victime ou d’un cas deforce majeure. Elle ne doit pas être imputable à celui dont la responsabilité est engagée de pleindroit. Elle reste, toutefois, difficile à prouver. Assimilée, le plus souvent, au cas de force majeureévoqué dans les articles 1147 et 1148 du Code civil, sa recevabilité dépend de trois critères :« l’extériorité, l’irrésistibilité et l’imprévisibilité ». Or, si l’extériorité est facile à établir, la preuvede l’irrésistibilité et de l’imprévisibilité12 est quasiment impossible et ce d’autant plus que lasimple preuve du respect des normes d’asepsie et d’hygiène n’est pas exonératoire13. De ce fait,il n’existe que peu d’exemple où la cause étrangère a été retenue14.

9 CE, 1er mars 1989, Bailly, no 61 406 : publier au Recueil Lebon ; CE, 31 octobre 1990, Pelletier, no 78 393 publié auRecueil Lebon ; CE, 14 juin 1991, D. 1992, somm. p. 143.10 C.cass.1re ch.civ., 29 juin 1999, no 97-14254, no 97-15818, no 97-21903, JCP G, 1999, II, 10138 ; D. 1999, p. 559.11 Cass.civ, 18 oct. 2005, no 04-14268, D. 2006, no 10, p. 705.12 CE, 10 oct. 2011, req. no 328500 : AJDA 2011, p. 2334.13 CA Amiens, 18 juin 2001, Juris-data no 2001-153105 ; CA Besancon, 8 oct. 2003, Juris-data no 2003-223786.14 CAA Bordeaux, 11 mars 2008, 2e ch., no 06BX00144 ; CAA Lyon, 29 juin 2010 : AJDA 2010, p. 2334.

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Le régime antérieur fondé, pour le juge administratif, sur une faute présumée dansl’organisation et le fonctionnement du service public hospitalier a donc été abandonné au profitd’une responsabilité de plein droit.

Afin de limiter voire d’échapper à toute responsabilité les établissements de santé publics,encouragés par des décisions judiciaires en leur faveur15, ont alors tenté de faire une distinctionentre l’infection qui pouvait être qualifiée d’endogène ou d’exogène. Une infection est dite exogènelorsqu’elle est due à des circonstances extérieures au malade, telles que la contamination del’environnement, un matériel souillé. . . (Encadré 1) alors qu’elle est qualifiée d’endogène lorsquele malade s’infecte avec ses propres bactéries au cours d’un acte invasif ou en raison de défensesimmunitaires trop faibles.

Cette distinction n’était cependant pas faite par les juges civils. Pour la Cour de cassation,l’infection d’origine exogène n’est pas exonératoire de responsabilité. Elle rejette, en effet cettedistinction et considère comme nosocomiales, toutes les infections contractées au cours d’unehospitalisation, y compris celles causées par des germes dont le patient était porteur. À titred’exemple, on peut citer l’arrêt de la Cour de cassation du 4 avril 200616, rendu en ces termes :« la responsabilité de plein droit pesant sur le médecin et l’établissement de santé, en matièred’infections nosocomiales, n’est pas limitée aux infections d’origine exogène ; qu’ensuite, seule lacause étrangère est exonératoire de leur responsabilité ». En l’espèce, le juge du fonds constataitque l’intervention chirurgicale avait rendu possible la migration du germe dans le site opératoireet que la présence de ce germe sur la patiente, elle-même, constituait une complication connue etprévisible nécessitant, pour y remédier, une exploration de la sphère ORL et qu’ainsi l’infectionsurvenue ne présentait pas les caractères d’une cause étrangère.

Comme il l’a été indiqué, il n’en était pas de même du juge administratif qui opérait une distinc-tion entre infections exogènes et endogènes et rejetait les demandes d’indemnisation émanant devictimes d’infections dues à un germe dont elles étaient porteuses et non à un germe hospitalier17.Puis, dans un arrêt en date du 10 octobre 201118, le Conseil d’état devait modifier sa jurisprudenceet s’alignait sur celle de la Cour de cassation. Dans cette affaire, une patiente avait contracté, suiteà une exérèse du neurinome de l’acoustique gauche, une méningite à pneumocoques, dont elleétait décédée. Afin de tenter d’échapper à sa responsabilité l’hôpital avait alors avancé le fait quela patiente était déjà porteuse du pneumocoque lors de son admission. Cette argumentation étaitrejetée par le Conseil d’état qui décidait que : « cette circonstance, à la supposer établie, n’étaitpas de nature à faire regarder l’infection comme ne présentant pas un caractère nosocomial,dès lors qu’il ressortait de l’expertise que c’est à l’occasion de l’intervention chirurgicale que legerme avait pénétré dans les méninges et était devenu pathogène ; que les dispositions précitéesdu I de l’article L 1142-1 du Code de la santé publique font peser sur l’établissement de santé laresponsabilité des infections nosocomiales, qu’elles soient exogènes ou endogènes, à moins quela preuve d’une cause étrangère ne soit apportée ».

Le Conseil d’État confirmait sa position dans un arrêt rendu le 14 décembre 201119 en consi-dérant que : « . . .Les établissements, services et organismes sont responsables des dommagesrésultant d’infections nosocomiales, sauf s’ils rapportent la preuve d’une cause étrangère ; qu’il

15 CAA Marseille, 31 janv. 2006, no 04MA00591 inédit au Recueil Lebon ; CAA Douai, 21 août 2008, no 07DA00634,inédit au Recueil Lebon ; CAA Bordeaux, 29 oct. 2009, no 08BX03303, inédit au Recueil Lebon.16 Cass.civ.4 avril 2006, no 04-17491, Bull.civ. I, no 191, p. 167.17 CE, 27 sept. 2002, requête no 21370 ; CAA Bordeaux, 29 mai 2008, no 06BX01132.18 CE, 5e et 4e ss-sect., 10 octobre 2011, CHU Angers, no 328500, JurisData no 2011-021630, AJDA 2011 1926.19 CE, 5e ss-section, 14 déc. 2011, 330644, inédit au recueil Lebon, mais consultable sur le site http//legimobile.fr.

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Encadré 1 : Éclairage managérial : exemples de causes exogènesd’infections nosocomiales.Les IN peuvent trouver leur origine dans l’organisation et le fonctionne-ment de l’établissement de santé (Médouze, 1996) et plus particulièrementdans les pratiques de soins (pratiques invasives, respect des protocoles,etc.) et l’environnement hospitalier (Meffre, Fabry, 1995). Différents travauxconfirment qu’il faut agir sur les déterminants pour maîtriser durablement lerisque d’infections nosocomiales, c’est-à-dire essentiellement l’organisationdu travail, les pratiques des personnels, les modalités de prise en charge, lanature des locaux et des matériels (Haley, 1985 ; Couty et Ménard, 1999 ; 2006 ;Société Francaise d’Hygiène Hospitalière, 2010 ; 2013).Par exemple, si le personnel manque de temps pour réaliser son travail oubien s’il n’a pas été suffisamment formé, il est alors susceptible de négligerle respect des protocoles d’hygiène, ce qui peut entraîner une infection (Tes-telin, 1994 ; Marsaudon, 1998). La mauvaise répartition de la charge de travailest un autre facteur de propagation. À ce sujet, Haley (1985) a montré que laprésence d’une infirmière hygiéniste pour 200 lits, d’un médecin épidémiolo-giste pour 1 000 lits et d’un programme de prévention permet de réduire letaux d’infection de 30 %. Les outils de mise en œuvre stratégique jouent éga-lement un rôle majeur dans la lutte contre les infections (Claveranne, 1996) carils contribuent au bon déploiement des plans de prévention.Une étude conduite auprès de sept établissements (Bertezene, 2000) a montréque les infections hospitalières peuvent trouver leurs causes dans différentsdomaines de non-qualité, ce qui signifie que tous les métiers et toutes lescatégories professionnelles sont concernés par leur contrôle. Pour illustrernotre propos, nous présentons ci-après quelques phrases recueillies auprèsdes professionnels interrogés lors de cette étude (le statut de la personne estnoté à la fin de chaque phrase).Manque de place : « À la stérilisation, il n’y a pas assez de place, le matérielpropre côtoie le matériel sale » (personnel).Non-transmission des informations : « On n’est pas au courant des chan-gements introduits à la stérilisation » (personnel).Manque de respect des procédures d’hygiène : « La pathologie a évo-lué, elle nécessite une hygiène de plus en plus stricte qui n’est pourtant pasrespectée » (direction).Insuffisance de formation intégrée aux besoins des situations de tra-vail : « Avec la stérilisation, on a beaucoup de responsabilités. Parfois, on estbloqué car on ne sait pas toujours comment procéder pour tel ou tel cas »(personnel).Manque de moyens pour assurer les missions de base : « Il y a seule-ment deux chambres individuelles pour un nombre supérieur de malades quidevraient pourtant être seuls » (direction).

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résulte des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l’infection de Mme A est due à desgermes présents dans son organisme avant l’opération mais devenus pathogènes du fait de celle-ci ; qu’en reconnaissant à cette infection, contractée à l’hôpital un caractère nosocomial, la Couradministrative d’appel n’a pas commis d’erreur de droit ; qu’elle n’a pas davantage commis unetelle erreur en jugeant que le seul élément invoqué devant elle par le centre hospitalier, tiré de ceque l’infection présentait un caractère endogène, ne permettait pas de regarder comme rapportéela preuve d’une cause étrangère ».

Dans cette affaire, la patiente avait développé un pyosalpinx et une infection pelvienne à lasuite d’une hystérectomie pratiquée le 2 octobre 2001. Sa demande d’indemnisation, présentéedevant le Tribunal administratif, avait été rejetée le 7 février 2006 au motif du caractère endogènedes germes responsables de l’infection contractée. Mais, la Cour administrative d’appel de Lyon,dans son arrêt rendu le 26 mai 200920, infirmait cette décision, estimant que : « pour s’exonérerde sa responsabilité, en cas de survenue d’une infection nosocomiale, il incombait à l’hôpital derapporter la preuve d’une cause étrangère ; qu’en arguant du caractère endogène des germesresponsables de l’infection contractée par la requérante, le centre hospitalier de Feurs n’apportaitpas la preuve d’une telle cause. . . ».

Ces diverses évolutions, législatives et jurisprudentielles, mettent la victime d’une IN dans uneposition plus favorable pour faire valoir ses droits. Elle n’a plus à rapporter la preuve d’une fautecontre l’établissement où a eu lieu l’acte dommageable, même si elle doit toujours démontrerle lien de causalité entre l’infection et l’acte de soins qu’elle a subi. C’est ce qui a été jugépar la Cour administrative d’appel de Bordeaux le 15 mai 200821. En revanche, l’obligation desécurité de résultat, antérieurement dégagée par la jurisprudence en matière d’IN, à l’égard despraticiens libéraux, a été abandonnée dans la loi du 4 mars 2002. La victime doit donc rapporterla preuve d’une faute pour engager la responsabilité d’un praticien libéral22. Mais il a été jugé :qu’une preuve scientifique certaine n’est pas exigible, et le rôle causal peut résulter de simplesprésomptions, pourvu qu’elles soient graves précises et concordantes23 » ; les juges du fond étantsouverains pour apprécier la portée de ces présomptions24. On note dans cette jurisprudence unallégement de la charge de la preuve et donc un recours judiciaire facilité, la victime pouvants’appuyer sur des présomptions pour faire reconnaître son préjudice, sans avoir à démontrer unefaute caractérisée du praticien.

L’IN reconnue, qu’en est-il du régime d’indemnisation pour les victimes et du coût pour lesétablissements ? C’est ce que nous allons développer dans la partie suivante.

3. Les infections nosocomiales : Causes de gaspillages et conséquences dedysfonctionnements

Si on additionne la consommation de soins et les coûts de séjour, le coût moyen d’une IN enFrance est estimé entre 588 euros et 35 022 euros selon les modalités de calculs. En réanimation,le coût annuel dû aux IN évitables varient entre 23 millions (soit un coût moyen de 3400 euros parinfection ; Garo et Boles, 1995) et 200 millions d’euros (soit un coût moyen de 35 185 euros parinfection ; Brun-Buisson et al., 2003) selon les études. Différentes méthodes de comptabilisation

20 CAA Lyon, 26 mai 2009, no 06LY00696, G. : JurisData no 2009-006891.21 CAA Bordeaux, 15 mai 2008, no 06BX01692.22 Cass. Civ. 1re, 18 sept. 2008, D. 2009, somm. p. 1305.23 Cass.civ, 25 juin 2009, D. 2009, AJ 1895.24 Cass.civ, 24 sept. 2009, D. 2009, AJ 2426.

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existent pour évaluer les coûts de la non-qualité mais nous avons choisi d’en analyser seule-ment deux pour leur proximité avec le secteur de la santé : le calcul du coût micro-économiquedes infections nosocomiales (MEDIN), ainsi que l’évaluation des coûts cachés des infectionsnosocomiales (CCIN).

3.1. Le coût micro-économique des infections nosocomiales (modèle MEDIN)

Généralement, les spécialistes admettent deux approches possibles pour évaluer le coût d’uneIN. La première méthode que nous qualifions de « comptable » consiste à mesurer, pour chaquepatient infecté, les coûts superflus liés aux différentes consommations supplémentaires (médica-ments, examens, journées d’hospitalisation essentiellement). Par exemple, une étude réalisée enFrance sur quatre années (Chaix et al., 1999) avec cette méthode montre que la durée médianed’hospitalisation est de 18 jours chez les patients infectés par un staphylocoque, contre 14 jourspour les patients non infectés. Le coût supplémentaire lié à la prise en charge du staphylocoque(les quatre jours de séjours supplémentaires, les consommations de produits, etc.) est alors estiméà 9275 USD.

La seconde méthode consiste à étudier des cas dits « témoins » : on mesure l’ensemble descoûts inhérents à la prise en charge d’un groupe de patients infectés et on compare ce résultat àcelui des coûts liés à la prise en charge de patients non infectés (groupe témoin, apparié aux cassur le diagnostic, le traitement, l’âge, etc. pour garantir une objectivité des résultats). Une analyseconduite à partir de cette méthode auprès d’enfants admis sur une période de trois mois (Piednoiret al., 2003) a estimé la durée de séjour moyenne supplémentaire en raison d’une IN à 4,9 jours.Le coût moyen supplémentaire dû à une IN est alors évalué à 1930 euros (3097 euros pour lespatients infectés contre 1167 euros pour les patients non infectés).

Meynet, Fabry et Sepetjean (1991) ont réalisé une étude au sein de deux services de chirurgiedigestive des Hôpitaux de Lyon avec une approche originale qui, outre les coûts traditionnels, meten évidence le coût social de l’infection, c’est-à-dire celui subi par le patient infecté. Les auteursdésignent en effet le coût micro-économique comme étant la somme du coût médical facturé(postopératoire et post-hospitalier), du coût médical non facturé en postopératoire, du coût socialen postopératoire et en convalescence :

• le coût hospitalier postopératoire comprend le prix du séjour, les consommations d’actesmédicaux et chirurgicaux et les actes de laboratoire pendant la durée du séjour postopératoire ;

• le coût post-hospitalier est l’addition des ré-hospitalisations, des séjours en maison de repos,des actes médicaux et chirurgicaux et de laboratoire consommés, etc. postérieurement àl’hospitalisation initiale, pendant une durée de six mois et qui ont fait l’objet d’un rembourse-ment par la Sécurité Sociale ;

• le coût médical non facturé s’ajoute au coût facturé. Il correspond à un calcul qui fait appa-raître une différence dans l’intensité des soins pendant la durée de séjours postopératoires entremalades infectés et non infectés. Les paramètres utilisés pour l’évaluation de ce coût sontles consommations médicales et le mode d’administration des médicaments à partir desquelson fait varier des prix de revient (à partir du coût de la pharmacie et des autres consomma-tions médicales, on obtient le coût en frais de personnel que l’on fait varier selon le moded’administration de la pharmacie en retenant une unité de temps identique) ;

• enfin, le coût social prend en compte une durée de séjour postopératoire et une durée deconvalescence supérieures pour les malades infectés par rapport aux malades non infectés. Cettedurée excédentaire est valorisée à un prix qui est la moyenne des salaires, charges comprises,

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Tableau 1Le coût micro-économique de l’IN dans un service de chirurgie digestive (en D).

Coût d’un patient non infecté : 3070 D Coût d’un patient infecté : 5661 D

Augmentation du coût d’un patient infecté par rapport à un patient non infecté+ 2591 D par patientSoit + 204 690 D par an pour 79 patients infectés par anSoit + 84,4 % d’augmentation du coûtDétail du calculCoût médical facturé : 1053 D, soit 41 % du coût micro-économique de l’INCoût médical interne : 1141 D, soit 44 % du coût micro-économique de l’INCoût social : 397 D, soit 15 % du coût micro-économique de l’IN

Extrait de Fabry, Meney et Sepetjean (1991), p. 127.

de tous les salaires réels reconstitués des patients infectés et non infectés. Pour les non-salariés(265 personnes sur 512) et faute d’informations, il a été fait application du prix obtenu pourles malades salariés (24,85 euros par jour) mais également des durées de séjour moyennes dessalariés non infectés et infectés.

Sur 512 patients opérés, 79 ont présenté une infection nosocomiale, soit 15,4 % des patients.À partir de cette base de calcul, les résultats mettent en évidence un coût micro-économique totalattribuable à l’infection d’environ 204 667 D pour 79 malades infectés en chirurgie digestive (soitplus de 2590 D par patient) (Tableau 1).

Une fois le modèle MEDIN analysé, le paragraphe suivant s’intéresse à un second modèle : lemodèle d’évaluation des coûts cachés des infections nosocomiales.

3.2. Les coûts cachés des infections nosocomiales (modèle CCIN)

L’analyse socio-économique propose de traduire quantitativement et financièrement la régu-lation des dysfonctionnements regroupés en cinq indicateurs : l’absentéisme, les accidents dutravail, la rotation du personnel, les défauts de qualité et les écarts de productivité directe (Savallet Zardet, 2010). Les régulations entraînent des coûts dits cachés car non représentés dans lessystèmes d’information de comptabilité classiques (bilan, compte de résultats, etc.). Ces dernierssont ventilés selon deux types d’activités : les activités humaines et les activités de consommation.

Les activités de consommation correspondent aux surconsommations, c’est-à-dire à la consom-mation de matières non prévue (par exemple des antibiotiques). Les activités humaines englobentles sursalaires (écart de salaire constaté lorsqu’une personne effectue le travail d’une autre per-sonne payée moins qu’elle, par exemple lorsqu’un infirmier réalise le travail d’un aide soignant),les surtemps (temps de régulation non prévus, par exemple le temps consacré à prendre encharge une personne infectée), les non-créations de potentiel (coût en temps humain des actionsd’investissements immatériels que l’organisation ne peut pas réaliser au cours d’une période parceque les acteurs ont été mobilisés par la régulation de dysfonctionnements, par exemple lorsqu’unmédecin passe du temps à travailler avec le CLIN en raison d’une augmentation d’IN au lieude travailler sur la définition de son projet médical) et les non-productions (arrêt du travail) quiengendrent des coûts d’opportunité. La méthode permet également d’identifier les risques provo-qués par les dysfonctionnements, par exemple un risque de baisse d’activité due à une mauvaiseimage de l’établissement auprès du public, mais également un risque de contentieux juridiquedont le coût peut s’avérer très élevé (Encadré 2). Les risques se traduisent souvent par des pertesd’opportunités.

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Encadré 2 : Éclairage juridique : l’indemnisation des IN.L’indemnisation des victimes par l’Office National d’Indemnisationdes Accidents Médicaux (ONIAM) : L’ONIAM est, au titre de la solidariténationale, chargé de l’indemnisation des victimes lorsqu’il n’y a pas de fautesimputables à un acte de prévention, de diagnostic ou de soins et que le dom-mage présente une certaine gravité. Deux cas peuvent se présenter. Premiercas : si l’IN est à l’origine d’une incapacité permanente partielle (IPP) supérieureà 25 %, ou d’un décès, elle ouvre droit à réparation au titre de la solidariténationale. Deuxième cas possible : si l’IN est à l’origine d’une IPP inférieure ouégale à 25 %, le régime d’indemnisation classique s’applique. Par conséquent,la victime est indemnisée, soit par l’assureur de celui dont la responsabilitéest établie, soit par l’ONIAM si l’assureur est défaillant.Le règlement des litiges par les Commissions Régionales de concilia-tion et d’indemnisation (CRCI) : Les victimes d’une IN peuvent égalementsaisir une CRCI dont la mission est de faciliter le règlement amiable deslitiges entre un patient et un professionnel ou un établissement de santé25.La commission est compétente si le dommage a provoqué un taux d’IPP supé-rieur à 24 %. Trois types d’avis, qui seront transmis à l’ONIAM et à la victime,peuvent être rendus :

• la commission estime que l’infection a provoqué une IPP inférieur à 25 %.Dans ce cas, l’assureur qui garantit la responsabilité civile ou administra-tive de la personne, considérée comme responsable, doit indemniser lavictime ou ses ayants droit et faire une offre visant à la réparation intégraledes préjudices subis dans la limite des plafonds de garantie des contratsd’assurance ;

• la commission estime que l’infection a provoqué un taux d’IPP supérieurà 25 %. Dans ce cas, c’est l’ONIAM qui a la charge d’indemniser la victimeque l’IN soit d’origine fautive ou non. L’ONIAM pourra ensuite se retournercontre les responsables, s’il établit qu’une faute caractérisée a été commise ;

• lorsque le seuil de gravité réglementaire n’est pas atteint, la commis-sion se déclare incompétente. La responsabilité de droit commun va alorss’appliquer et la victime devra intenter un recours pour faute afin d’obtenirréparation des dommages causés par l’infection qu’elle a contractée.

L’expertise médicale : Pour déterminer, évaluer et donner un avis éclairésur le préjudice indemnisable, la CRCI doit solliciter le concours d’un expert

25 Décret no 2003-314 du 4 avril 2003 relatif au caractère de gravité des accidents médicaux, des affections iatrogèneset des infections nosocomiales, JORF no 81 du 5 avril 2003 p. 6114.

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Encadré 2 : (Suite)médical, dont le rapport servira de fondement pour établir la responsabilitédes intervenants. L’expertise médicale revêt, en effet, une importance capitalepuisque la jurisprudence en la matière dispose « qu’il appartient à la victimede démontrer le caractère nosocomial de l’infection »26.Or, seul le rapportd’expertise, précisant la nature, l’origine du dommage et les circonstancesdans lesquelles elle a eu lieu, pourra le permettre. À défaut, le juge pourraitestimer que l’infection subie par le patient, même source de préjudices, n’estpas nosocomiale. Une fois la victime indemnisée, des recours judiciaires sontpossibles contre ceux dont la responsabilité a été établie.Les recours judiciaires contre les responsables : Après indemnisation,des recours sont possibles, tant par les établissements de soins contre le pro-fessionnel de santé, que par l’ONIAM. Si l’ONIAM estime que ce n’était pas àelle d’indemniser la victime, elle pourra intenter une action récursoire contrele responsable, visé dans l’avis de la CRCI fondé sur le rapport d’expertise. Lesjuridictions auront donc à statuer sur la recevabilité de cette action. Si une fauteest à l’origine de l’infection et si le professionnel ou l’établissement de santé n’apu se dégager de sa responsabilité en invoquant une cause étrangère, l’actionpourra être intentée conformément aux dispositions de l’article L. 1142-17 al7 du CSP27. Enfin, lorsque la responsabilité de l’établissement et du profes-sionnel de santé est engagée, la répartition du poids de l’indemnisation sefera selon les règles du droit commun de la responsabilité.Quelques exemples d’indemnités présentés par le référentiel del’ONIAM en 2011 (liste non exhaustive) :

• indemnité pour déficit fonctionnel permanent : 4261 à 510 829 D ;• souffrances endurées : 799 à 34 615 D ;• préjudice esthétique : 600 à 41 087 D ;• versement d’une indemnité à un ayant droit en cas de décès : 2000 à 25 000 D.

La contribution horaire à la valeur ajouté sur coûts variables (CHVACV) est utilisée pourvaloriser le coût des dysfonctionnements qui engendrent des pertes de temps (surtemps ou nonproductions). Cette CHVACV est un véritable indicateur qui traduit la valeur créée en une heure detravail. Elle se calcule de la manière suivante : CA (ou budget) − charges variables (hors charges depersonnels) = Marge brute sur coûts variables/Nombre d’heures de travail attendues dans l’annéepour l’ensemble des salariés.

Différentes études ont démontré que le management des équipes et le fonctionnement desstructures pouvaient être à l’origine d’IN (Haley, 1985 ; Couty et Ménard, 1999, 2006 ; SociétéFrancaise d’Hygiène Hospitalière, 2010 ; 2013). Le modèle de Savall préconise donc une réductiondes dysfonctionnements par une action d’amélioration sur six domaines : les conditions de travail,l’organisation du travail, la communication–coordination–concertation, la gestion du temps, la

26 Cass.civ., 1re, 27 mars 2001,99-17. 672, D. 2001, I.R. 1284 confirmées par Cass.civ. 1re, 1er mars 2005,03-16. 789,D. 2005, IR, 737.27 CE, 21 mars 2011, CH de Saintes, req. no 334501 : AJDA 2011, p. 594.

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Tableau 2Exemple de grille de calcul d’une partie du coût d’une IN.

Dysfonctionnement élémentaire Un patient est infecté toutes les semaines dans le service AIl nécessite 8 heures de soins supplémentaires et consomme l’équivalent de300 euros d’antibiotiques supplémentairesLes statistiques montrent que 40 % des patients infectés par ce type de germesentament un recours auprès de la justice mais seulement 30 % sont indemnisésd’une somme moyenne de 40 000 euros

Régulation Un infirmier passe 8 heures à réaliser des soins auprès de patients infectés, toutesles semaines : 1 infirmier × 8 h × 52 semaines × 40 D de CHMCV = 16 640 D desurtempsPour leur infection, ces patients (en moyenne 1 par semaine) consomment chacun300 euros d’antibiotiques supplémentaires :1 patient × 300 D × 52 semaines = 15 600 D de surconsommations40 % des patients infectés entament un recours auprès de la justice mais seulement30 % sont indemnisés de 40 000 euros en moyenne :52 patients × 40 % = 20 patients × 30 % = 6 patients × 40 000 euros = 240 000 D derisques

Total des coûts dus à l’IN 272 240 D de coûts cachés, à imputer dans l’indicateur défaut de qualité

formation intégrée et la mise en œuvre stratégique. Ce modèle identifie ainsi les coûts cachésinternes et externes à l’établissement tout en admettant qu’il existe un niveau de dysfonctionne-ments, et donc de coûts cachés, incompressible (Tableau 2).

3.3. Comparaison des modèles MEDIN et CCIN : exhaustivité de l’évaluation des coûtscachés des IN et prise en considération des coûts de contentieux juridique

Bien que très complet, le modèle MEDIN n’évalue pas les coûts cachés tels que les sursalaires,les non-productions et les risques présents dans le modèle CCIN. Seuls les coûts imputablesdirectement à l’infection et lisibles dans les informations comptables sont pris en considération.De ce fait, contrairement au CCIN, le MEDIN n’exige pas le calcul des dépenses de préventionet d’évaluation de la conformité, ni le calcul des coûts dus aux dysfonctionnements externes (parexemple, les frais d’assurance suite aux éventuels contentieux avec les patients). De ce fait, seulle modèle CCIN prend en compte non seulement le coût du contentieux juridique supporté parl’établissement, mais également le coût probable de contentieux juridique pour mieux déclencherles actions préventives d’amélioration adaptées.

Le coût social, principale originalité du modèle MEDIN, nécessite une évaluation à partird’informations qui ne figurent pas au sein des documents comptables et administratifs de l’hôpital,d’où la difficulté d’obtenir une évaluation complète et précise, à moins que les patients informentl’établissement de manière fiable et exhaustive, mais cela est rarement le cas (Stora, 1989).

Au vu de ces différents éléments, le modèle CCIN apparaît comme un concept plus globalque celui du MEDIN, capable de prendre en considération les coûts d’opportunité liés à la sous-productivité et aux performances potentielles perdues par l’organisation (Warebrouck, 1993). Leprincipal reproche fait au MEDIN est l’oubli des coûts inhérents à l’organisation au profit deceux liés aux patients. Il sous-estime le coût des IN du fait de la non-prise en considération descoûts cachés dus aux opportunités perdues et aux risques engendrés. Le calcul de la non-qualitégrâce au modèle CCIN permet d’obtenir une vision plus globale des infections qui affectent la

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performance des établissements de santé car il prend en considération toute forme de gaspillage(d’opportunités, de temps, de produits, etc.) dans son évaluation.

4. Conclusion

La problématique de la prise en charge des infections nosocomiales d’un point de vue juridiqueet financier intéresse autant les chercheurs que les managers. C’est pour cela que nous souhaitionsidentifier les fondements de la responsabilité juridique en cas d’infection, mais également proposerune méthode de calcul du coût des IN, intégrant notamment celui dû au contentieux juridique,potentiel ou avéré.

Nous avons ainsi croisé les approches juridique et managériale de la gestion des IN de manièreà étudier l’évolution du régime de responsabilité et des méthodes de comptabilisation des IN(modèles MEDIN et CCIN). Nous avons ainsi montré l’affirmation croissante de la responsabilitéjuridique des médecins et des gestionnaires depuis 2001, ce qui a poussé les décideurs à évaluerplus systématiquement les coûts générés par les infections. Nous avons passé en revue deuxméthodes de calcul et avons mis en évidence les avantages fournis par le modèle d’évaluationCCIN qui permet d’obtenir une vision exhaustive des gaspillages de ressources et des pertesd’opportunités dus aux infections qui affectent profondément les patients et leurs proches, maiségalement la performance des établissements de santé.

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