récit circonstancié 27 novembre 2007

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Flash-ball, LBD, mutilations, violences policières... Récit de la manifestation du 27 novembre 2007 à Nantes et de ses suites humaines, judiciaires et politiques groupe de travail du 27 novembre novembre 2009 Le récit circonstancié des violences policières du 27 novembre 2007 devant le rectorat de Nantes et de ses suites expose de ma- nière détaillée comment la nouvelle arme, dans un contexte policier à la fois relâché et surexcité par la pression politique, crée la violence, la blessure et la mutilation d’un jeune de 16 ans au lieu de concou- rir à une bonne pratique du maintien de l’ordre. Ce récit permet égale- ment de déconstruire le scénario insécuritaire de la police, localement et nationalement, de lister les obstructions et les mensonges grossiers proférés jusque dans une déclaration ministèrielle au Journal officiel, de montrer les carences de l’enquête initiale et le risque à tout moment de l’abandon de la procédure judiciaire – le déni du droit, le déni de justice. par le groupe de travail du 27 novembre novembre 2009

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Récit circonstancié des violences policières lors du 27 novembre 2007, à Nantes, devant le Rectorat

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Flash-ball,LBD,

mutilations,violences policières...

Récit de la manifestation du 27 novembre 2007 à Nanteset de ses suites humaines, judiciaires et politiques

groupe de travail du 27 novembre

novembre 2009

Le récit circonstancié des violences policières du 27 novembre 2007 devant le rectorat de Nantes et de ses suites expose de ma-nière détaillée comment la nouvelle arme, dans un contexte policier à la fois relâché et surexcité par la pression politique, crée la violence, la blessure et la mutilation d’un jeune de 16 ans au lieu de concou-rir à une bonne pratique du maintien de l’ordre.Ce récit permet égale-ment de déconstruire le scénario insécuritaire de la police, localement et nationalement, de lister les obstructions et les mensonges grossiers proférés jusque dans une déclaration ministèrielle au Journal officiel, de montrer les carences de l’enquête initiale et le risque à tout moment de l’abandon de la procédure judiciaire – le déni du droit, le déni de justice.

par le groupe de travail du 27 novembre novembre 2009

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Préface page 3

1 - Expériences juvénileset expérimentations policières page 5

2 - Suractivité policièreet dégradation de la situation nantaise page 7

3 - Une manifestation lycéenne ordinairedans un lieu ordinaire page 9

4 - Transformation menaçantede l’ordinaire en extraordinaire page 11

5 - Médecine d’urgence, mensonges et procédures page 14

6 - Le scénario policier :obstruction, diffamation et parti pris page 17

7 - Ce qu’il faut reprocherà l’intervention policière du 27 novembre page 20

8 - Une instruction nantaise enlisée ;les événements de Montreuil page 23

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Un tir à l’abri des grilles, croquis d’après photos.

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Préface

Les violences policières du 27 novembre 2007 à Nantes ont été l’une des pre-mières apparitions du flash-ball et du lanceur de balle de défense ou LBD, en tant qu’arme de mutilation, arme de terreur visant à punir de manière extra-judiciaire des manifestants et à effrayer les autres, notamment à travers la relation pa-rents-adolescents, les premiers légitimement inquiets de la sécurité des seconds en manifestation ou même devant leur établissement scolaire. L’écart est devenu abyssal entre la théorie publicitaire du flash-ball, arme dite non létale et faisant baisser le niveau de violence, et sa pratique réelle, détournée des règlements et des situations d’usage autorisé, créant des blessures nouvelles, provoquant des mutilations, en particulier la perte d’un œil, et ouvrant de nouvelles situations d’insécurité. Il s’agit de l’invention de bavures inédites.

Le récit circonstancié des violences policières du 27 novembre 2007 devant le rectorat de Nantes et de ses suites expose de manière détaillée comment la nouvelle arme, dans un contexte policier à la fois relâché et surexcité par la pres-sion politique, crée la violence, la blessure et la mutilation d’un jeune de 16 ans au lieu de concourir à une bonne pratique du maintien de l’ordre. Ce récit permet également de déconstruire le scénario insécuritaire de la police, localement et nationalement, de lister les obstructions et les mensonges grossiers proférés jusque dans la réponse d’un ministre publiée dans le Journal officiel

(1), de mon-trer les carences de l’enquête initiale et le risque à tout moment de l’abandon de la procédure judiciaire – le déni du droit, le déni de justice.

La multiplication de violences similaires — Vincennes, Grenoble, Toulouse, Montreuil, Villiers-le-Bel, Neuilly-sur-Marne, notamment —, tout comme l’inté-rêt montré par nos contacts nationaux et étrangers — bureau de Londres d’Am-nesty International — signalent l’urgence d’agir pour que

1/ dans toutes les affaires similaires, justice soit rendue au terme d’enquêtes indépendantes des services de police concernés

2/ les flashball et LBD devenus, hors des cadres légaux, des armes policières d’un usage banalisé et relâché, soient à nouveau soumises au régime d’usage exceptionnel des armes à feu par les forces de l’ordre [légitime défense, usage strictement nécessaire et proportionnalité des moyens employés], que la police cesse d’opérer hors du cadre légal et s’éloigne de cette ambiance extra-judiciaire qui caractérise l’usage de ces nouvelles armes.

(1) voir le blog http://27novembre2007.blogspot/ questions écrites des députés et réponses

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Entrée d’un premier groupe de manifestant(e)s dans le parc du rectorat, le mardi 27 novembre 2007.Photo (détail) issue du site web Indymedia.

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1 - Expériences juvéniles et expérimentations policières

Ce mardi 27 novembre 2007, les protestations étudiantes et lycéennes contre la loi LRU dite « loi Pécresse » durent depuis plusieurs semaines un peu partout en France. Malgré une couverture médiatique très limi-tée, ces événements protestataires suscitent une forte réaction gouver-nementale, déclinée dans des instructions de fermeté aux représentants de l’État – recteurs et préfets notamment. Quelques mois à peine après l’élection du nouveau président de la République, c’est dans un climat politique et idéologique totalement nouveau que se développe ce mouve-ment de protestation juvénile, fragile et faiblement encadré par les orga-nisations historiques de la jeunesse étudiante.

En ce sens, le mouvement nantais contre la loi Pécresse est symp-tomatique de la nouvelle situation politique française de l’année 2007 qui voit se croiser deux dynamiques opposées, d’un côté l’engagement important de très jeunes gens, filles et garçons, mineurs pour nombre d’entre eux, faiblement organisés au sens classique du terme, de l’autre côté de nouvelles technologies policières déclinées dans une nouvelle représentation sécuritaire de l’ordre social. Ainsi mises au service de causes particulières, la modernisation et la profonde transformation des politiques du maintien de l’ordre n’évitent pas la répétition de ce que le sens commun appelle des « bavures », ni même l’invention de formes inédites de bavures.

Ainsi en est-il de l’usage des flash-ball de tous types, en manifestation, hors du cadre réglementaire et légal de ces armes — voire en situation d’expérimentation de l’arme elle-même ! — par des policiers non spéci-fiquement formés au maintien de l’ordre, contre des mineurs dépourvus de toute dangerosité manifeste, dans un contexte de forte provocation vi-rile où c’est l’arme elle-même — sa mise en jeu, sa mise en joue perma-nente par les policiers utilisateurs — qui devient le centre d’un dangereux théâtre de rue, abandonné ou couvert par la hiérarchie policière.

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Image (détail) issue d’une vidéo filmée par les services de police, le mardi 27 novembre 2007.

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2 - Suractivité policière et dégradation de la situation nantaise

À Nantes, manifestations répétées, barrages filtrants sur les ponts, occupations de locaux universitaires par les étudiants, blocus et occupa-tions de lycées publics et privés par les lycéens provoquent logiquement une très forte mobilisation policière des différents services. Cette surac-tivité policière consommatrice de milliers d’heures-policiers ne va pas sans frictions. Les policiers nantais sont manifestement excédés par ces tâches de « baby-sitting » prolongé, très éloignées des représentations de ce que doit être la police. Ils font part régulièrement de cette lassitude aux journalistes locaux sur le mode de « il est temps que cela s’arrête ».

Mais cet encadrement policier n’a que l’apparence d’un « baby-sit-ting ». Il n’est en réalité guère joyeux. La prolongation mal vécue du mou-vement et la multiplication des rencontres entre policiers nantais non spécialistes du maintien de l’ordre et jeunes manifestants engendrent une dangereuse inter-connaissance (*). Les jeunes manifestants sont abondamment photographiés, identifiés, tracés, voire nommés par les policiers présents. Certains policiers locaux sont eux-mêmes repérés, notamment ceux qui portent et brandissent des flash-balls. De fait, la situation nantaise s’éloigne des préconisations habituelles du maintien de l’ordre en manifestation et des « bonnes pratiques » policières.

C’est dans ce contexte politiquement et humainement dégradé que s’inscrit la manifestation du 27 novembre 2007. Pourtant, c’est un cor-tège très habituel et banal qui part vers 15 heures de la place Breta-gne, nouveau lieu de rassemblement protestataire. Les 3500 lycéens et étudiants parcourent tranquillement le centre-ville — mairie, préfecture, Medef. L’itinéraire de la manifestation n’a pas été déposé en préfecture, comme l’usage s’en est historiquement établi à Nantes où les manifesta-tions politiques ou syndicales ne sont habituellement pas négociées avec les autorités. Vers 16 h 15, le cortège réduit à un millier de manifestants s’approche des facultés en empruntant les voies du tramway. Il passe à proximité du rectorat.

(*) voir « Maintien de l’ordre, l’enquête » de David Dufresne. Editions Hachette Littérature oct 2007

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Photo (détail) issue du témoignage en images d’un manifestant, le mardi 27 novembre 2007.

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3 - Une manifestation lycéenne ordinaire dans un lieu ordinaire

Le rectorat n’est pas le lieu annoncé de fin de la manifestation, mais au regard de l’activisme du recteur, qui ferme au même moment de nom-breux lycées en blocus, il constitue un lieu symbolique fort en rapport avec le mouvement lui-même et avec les réactions gouvernementales. Les bâtiments du rectorat sont situés dans un grand parc des bords de l’Erdre, au bout d’une vaste esplanade composée de pelouses arborées et de parkings. L’ensemble est à la fois protégé par une enceinte grillagée et le lieu habituel de nombreuses manifestations relatives à l’école depuis la construction des bâtiments. Dans le parc du rectorat, sur l’esplanade, les manifestants, enseignants, élèves, parents d’élèves et élus locaux crient, chantent, brocardent, réclament, manifestent depuis mai 68. C’est ici qu’on attend traditionnellement le retour des délégations reçues par le recteur.

La nouvelle donne sécuritaire va transformer, précisément ce mardi 27 novembre 2007, le statut ordinaire du parc du rectorat de Nantes. De-puis cette date, aucun cortège syndical n’a pu y pénétrer. C’est donc cette manifestation ordinaire du 27 novembre 2007 composée de mineurs et de très jeunes adultes peu expérimentés, dans un lieu ordinaire de ma-nifestation, que l’activité policière et le volontarisme politique vont trans-former en une manifestation extraordinaire dans un lieu extraordinaire. Ainsi l’institution policière et préfectorale, jusqu’à l’autorité de tutelle, vont-elles construire, dès la survenue des violences policières et de ma-nière répétée, le scénario falsifié d’une manifestation présentée comme ultra-violente dans une enceinte privée.

Vers 16 h 30, un groupe de quelques dizaines de manifestants pénètre dans le parc du rectorat, par un trou pratiqué dans le grillage. Des policiers de la brigade anti-criminalité y entrent au même moment par un autre accès — les premières images collectées montrent ce contact initial, des filles, des garçons, très jeunes, peu de banderoles, une ambiance de sortie en forêt, un groupe de policiers en civil, matraques, tonfa et flash-ball à la main. Sans que l’enquête ultérieure se soit souciée de savoir qui a ouvert les grilles fermées à clef, un autre groupe de manifestants entre à son tour dans le parc par l’entrée principale, mais de nombreux jeunes restent à l’extérieur sur la voie publique, rue de la Houssinière.

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Photo prise le mardi 27 novembre 2007 (détail) issu du blog Contre-faits. A droite, un flash-ball, à gauche un LBD.

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4 - Transformation menaçante de l’ordinaire en extraordinaire

Rapidement, les policiers de la brigade anti-criminalité sont rejoints par des policiers nantais de la Compagnie départementale d’interven-tion ou Cdi composée de policiers locaux faisant fonction ponctuellement de policiers spécialisés « maintien de l’ordre » et par des gendarmes mobiles, tous lourdement protégés et casqués. Près d’une centaine de policiers et gendarmes se trouve maintenant dans le parc et contrôle les 300 manifestants effectivement entrés et qui ne bougent plus - le reste du cortège attendant à l’extérieur. Les images montrent la présence ac-tive du directeur départemental de la sécurité publique (2), premier res-ponsable policier du département, en tenue de ville, qui dirige lui-même les opérations, discutant, menaçant, confisquant des banderoles, télé-phonant, vraisemblablement en contact téléphonique avec la préfecture à plusieurs reprises. Sans que soient effectuées les sommations règle-mentaires, sans usage de mégaphone, l’évacuation commence.

Les images issues des témoignages recueillis par la Ligue des droits de l’homme montrent également la diversité des comportements des fonctionnaires (3), Si la gendarmerie semble agir dans le contexte nor-mal d’une évacuation sans drame, d’une évacuation maîtrisée, il n’en va pas de même pour les deux unités de police locale, Bac et Cdi. Les po-liciers de la Bac apparaissent très mobiles, gesticulant, mettant en joue en permanence les manifestants avec un flash-ball. Un lanceur de balle [flash-ball longue portée] est sorti en cours d’intervention et est à son tour mis en joue dans et hors le parc. Un policier de la Cdi, cagoulé, porte un lanceur de balle de couleur jaune, de même type que celui de son collègue de la Bac. Des policiers commencent à extraire et à arrêter au hasard des manifestants moins habiles ou plus repérables que leurs ca-marades : coups, placages violents au sol alors que les manifestant sont en train de se retirer du parc. Ainsi se lit le début du scénario policier de la manifestation extraordinaire. Abondance d’armes et de signes que la violence est là, alors qu’elle est apportée par ces mêmes armes et ces mêmes signes.

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L’évacuation est menée à son terme en quelques minutes, les grilles du rectorat sont refermées. Tous les manifestants sont maintenant dans l’es-pace public. La mission est terminée. Pourtant, le policer casqué et cagou-lé de la Cdi tire avec son LBD à travers les grilles métalliques de l’entrée.

Pour quelles raisons, l’ordre de tir est-il donné et par qui, alors que le dispositif policier est bien à l’abri derrière les grilles ?

Sur qui le policier cagoulé tire-t-il ?

Pourquoi ?

La distance de tir est-elle réglementaire pour cette nouvelle arme en cours d’expérimentation ?

La situation de foule, en déplacement, est-elle prise en compte ?

La cible désignée est-elle la cible atteinte ?

Est-ce un tir d’expérimentation justement, sans véritable rapport avec les conditions de la manifestation ?

La cible est-elle un manifestant dûment repéré par les policiers sur d’autres manifestations – un tir ad hominem ?

S’agit-il d’un tir intentionnel, d’un tir réussi, d’un tir raté, d’un tir acci-dentel ?

La visée au visage est-elle volontaire ? Préméditée ?

Un lycéen mineur est grièvement blessé à l’œil et s’écroule.

(2) voir le blog http://27novembre2007.blogspot/ images directeur dépertemental de la sécurité publique(3)

voir le blog http://27novembre2007.blogspot/ images témoignages de manifestants

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2 minutes avant le tir qui blesse Pierre. Image (détail volontairement pixellisé) issue du site Nantes maville/Ouest-France.

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5 - Médecine d’urgence, mensonges et procédures

Ainsi, de manière curieuse, ces violences policières surviennent à l’instant même où la manifestation est terminée, le parc du rectorat éva-cué et l’objectif de fermeté atteint. Dans la confusion qui suit les tirs, le ly-céen blessé à l’œil est pris en charge par une infirmière universitaire, qui travaille à proximité du rectorat, puis les pompiers arrivent et évacuent le blessé vers le CHU. La manifestation se disperse peu à peu, un autre regroupement a lieu vers 20 heures devant le commissariat central. Les cinq manifestants arrêtés dans le parc juste avant l’évacuation viennent d’y être placés en garde à vue et y resteront 48 heures sur un mode punitif extra-judiciaire, sans qu’aucun élément d’enquête ne vienne le justifier.

Le lendemain, mercredi 28 novembre 2007, la procureure de la répu-blique de Nantes confie une enquête administrative à l’Inspection géné-rale de la police nationale — IGPN — tandis que, dans la presse locale, responsables policiers et préfectoraux nient ou minimisent les tirs, les violences, la gravité de la blessure à l’œil et démarrent le scénario d’une manifestation présentée comme ultra-violente (4). Ainsi débute une lon-gue série d’explications erratiques et contradictoires qui vont durer deux ans. Ils évoquent les nombreux policiers blessés, une dizaine [l’instruc-tion révèle que les médecins sollicités n’attribuent que trois arrêts de travail et pour des motifs anecdotiques], les soi-disant projectiles lancés, mais introuvables sur place et sur les images.

L’appel à l’IGPN est très mal reçu par la police locale, qui est en contentieux avec la justice. En effet, plusieurs affaires ont défrayé la chronique policière locale, d’abord la mort d’un policier au commissa-riat central tué par balle par un de ses collègues, tous les deux en état d’hyper-alcoolémie après une mission de surveillance rocambolesque au stade de la Beaujoire, la disparition d’un ouvrier tunisien ivre contrôlé par une patrouille, qui nie l’avoir contrôlé et sera condamnée pour faux témoignages et délaissement. (5) L’incapacité des enquêteurs policiers de l’IGPN à produire la vérité et à obtenir de leurs collègues nantais des ren-seignements exploitables entraine, quelques mois plus tard, la remise d’un rapport d’enquête administrative qui, loin d’aider à la résolution de l’enquête, organise l’incertitude sur les faits.

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L’échec programmé de l’enquête administrative de la « police des po-lices » provoque enfin une réaction judiciaire. Le 10 juillet 2008, plus de 7 mois après les faits, le procureur de la république de Nantes nomme deux juges d’instruction et ouvre une information contre X... du chef de coups et blessures volontaires ayant entraîné une incapacité totale de travail supérieure à 8 jours, avec la circonstance aggravante que les faits ont été commis avec arme et par une personne dépositaire de l’autorité publique.(6)

Les parents du lycéen blessé, toujours mineur, se constituent partie civile. Ils avaient préalablement porté plainte une semaine après les faits puis saisi la Commission nationale de la déontologie et de la sécurité ou CNDS, par l’intermédiaire du sénateur François Autain. Ce rebondisse-ment judiciaire provoque une nouvelle fois la colère policière et intègre le contentieux police-justice local. Le temps passe également pour le blessé, qui décroche son bac malgré le handicap visuel et la perturbation de son année par trois hospitalisations. La réparation de l’œil, contrai-rement aux fanfaronnades préfectorales du mois de novembre, s’avère difficile. Deux opérations chirurgicales successives ont lieu (cataracte et glaucome traumatiques), mais le constat est fait d’une perte d’usage fonctionnel de l’œil droit du jeune homme. C’est pourquoi nous utilisons ici le terme de mutilation.

(4) voir le blog http://27novembre2007.blogspot/ 20 mai 2008 le dossier / annexe 3 revue de presse de 1/6 à 6/6

(5) voir le blog http://27novembre2007.blogspot/ 20 mai 2008 le dossier / annexe 18 contexte police nantaise de 1/4 à 4/4

(6) voir le blog http://27novembre2007.blogspot/ 10 juillet 2008 le procureur lance une instruction

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13ème législatureQuestion N° : *27513

de M. de Rugy François(Gauche démocrate et républicaine - Loire-Atlantique)

*QE *Ministère interrogé :

Intérieur, outre-mer et collectivités territorialesMinistère attributaire :

Intérieur, outre-mer et collectivités territoriales

Question publiée au JO le : 15/07/2008 page : 6073Réponse publiée au JO le : 18/11/2008 page : 9984

Rubrique : ordre publicTête d’analyse : manifestationsAnalyse : mineurs. contrôle

Texte de la QUESTION :

M. François de Rugy interroge Mme la ministre de l’inté-rieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales sur le droit de manifestation des mineurs.À l’automne dernier, de nombreuses manifestations étu-diantes et lycéennes se sont produites dans toute la France, en réaction à la loi relative aux libertés et responsabilités des universités, dite « loi Pécresse ». C’est maintenant un phénomène récurrent. Quasiment chaque année ont lieu des manifestations lycéennes ou étudiantes rassemblant principalement des mineurs et des jeunes majeurs.À Nantes, en novembre dernier, des violences policières, tirs de flash-ball, manifestants blessés, gardes à vue de 48 heures qui se sont révélées injustifiées, ont été déplorés. Le droit de manifester fait partie du bloc de constitutionnalité au titre du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et inclut les mineurs.Dans la mesure où le comportement des mineurs en manifestation ne peut pas forcément être appréhendé de la même façon que celui de manifestants plus âgés, il lui demande comment la police se prépare à cet exercice particulier de façon à assurer la sécurité publique et le droit de manifester des mineurs.

Texte de la REPONSE :

La liberté de manifestation est un droit fondamental à l’exercice duquel concourent les forces de sécurité : les services d’ordre mis en place ont notamment pour but d’assurer la sécurité des personnes et donc le libre exercice de ce droit. S’agissant des manifestations d’étudiants et de lycéens, elles sont soumises, comme toute autre, à décla-ration préalable conformément au décret-loi du 23 octobre 1935. À cette occasion, les organisateurs s’engagent à « disposer de moyens propres à assurer le caractère pacifique de la manifestation et à prendre toutes dispositions pour en assurer le bon déroulement jusqu’à complète dispersion ». Dotées de peu d’expérience, les structures lycéennes et

étudiantes ont cependant souvent des difficultés à mettre en place un service d’ordre efficace. Fréquemment des éléments extérieurs à la manifestation se mêlent aux cortèges aux seules fins de commettre des infractions et des violences. Les services de police, fréquemment confrontés aux manifestations étudiantes et lycéennes, disposent d’une expérience et d’un savoir-faire reconnus, y compris au plan international.Afin de mettre en oeuvre les dispositifs de sécurité les mieux adaptés aux spécificités de ces manifestations, qui se distinguent fréquemment par des mouvements imprévisibles, le contexte de la manifestation fait l’objet d’une étude préalable approfondie et une coopération, chaque fois que possible, est instaurée préalablement avec les organisateurs pour prévenir toute violence. Ces contacts préalables ont pu conduire, en prévision de manifestations particulièrement sensibles, à associer au service d’ordre des adultes choisis par des organisations syndicales. Des recommandations de prudence et de discernement sont systématiquement données aux fonctionnaires de police.Pour prévenir l’intrusion dans les cortèges d’individus perturbateurs, des services d’ordre visibles sont organisés le long des itinéraires et des fonctionnaires en tenue civile procèdent aux interpellations nécessaires. Une attention particulière est portée à la nécessaire distinction à opérer entre « casseurs » et manifestants, laquelle peut être, parfois, malaisée au regard de l’attitude vis-à-vis des forces de l’ordre. À Paris, de telles manifestations conduisent à une surveillance renforcée des déplacements de bandes, en particulier dans les transports en commun, de façon à interdire et dissuader tout regroupement susceptible de troubler le bon ordre public et de créer un danger pour les manifestants pacifiques. Des moyens vidéo sont également utilisés pour identifier les auteurs de troubles et faciliter les poursuites. Les forces mobiles, de la police comme de la gendarmerie, sont chargées d’assurer la préservation de sites ou de zones déterminées au préalable.Le contact avec les manifestants ne peut résulter que d’actions violentes, nécessitant un engagement. S’agissant de l’exemple cité par il convient de rappeler que le 27 no-vembre 2007 à Nantes, à l’issue de manifestations de voie publique contre la loi relative aux libertés et responsabilités des universités, des protestataires envahissaient le rectorat. Une opération d’évacuation des locaux était engagée sur réquisition du recteur d’académie et instruction du préfet. Une cinquantaine d’individus s’en prirent violemment aux policiers, dont dix furent blessés. L’interpellation des fauteurs de trouble et auteurs de violences était décidée.Au cours de cette manifestation, un lycéen fut sérieusement blessé à l’oeil. L’Inspection générale de la police nationale (IGPN) était alors saisie par le procureur de la République pour conduire une enquête. Celle-ci n’ayant pas permis d’éclaircir les circonstances des faits, le procureur de la République a requis, le 10 juillet 2008, l’ouverture d’une information judiciaire.

Réponse à la question écrite n°2 du Député François de Rugy publiée au journal officiel le 18 novembre 2008.

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6 - Le scénario policier : obstruction, diffamation et parti pris

À la fin du printemps 2008, l’enquête IGPN échoue et reste inaboutie par manque de volonté et de coopération locale — les PV d’interroga-toire des policiers concernés sont édifiants de vacuité et d’imprécision —, c’est donc dans le cadre de l’instruction ouverte le 10 juillet 2008 que se déroule maintenant ce qui pourrait ressembler à une enquête, mais n’y ressemble toujours pas tout à fait. La police nantaise ne peut ou ne veut fournir des éléments décisifs : notes de services, archives des tirs, films complets de la manifestation, etc. Il reste beaucoup à faire : organiser des confrontations entre policiers et témoins, intégrer des témoins impor-tants dans la procédure, exploiter les archives issues des vidéos et pho-tographies réalisées par les manifestants eux mêmes et qui constituent avec les témoignages écrits une part importante des informations sur la réalité de la manifestation.

Toutefois, un déplacement des juges a eu lieu, sur place, au rectorat, dans des conditions difficiles et le policier cagoulé reconnaît maintenant être l’auteur du tir qui a blessé le jeune lycéen mineur. L’enquête a donc avancé de ce point de vue, d’une manière décisive.

Mais l’ambiance générale du dossier reste entachée par sa lenteur et par le ton mensonger et diffamatoire de la communication policière, comme des réponses de la ministre de l’intérieur aux questions écrites des deux députés de Loire-Atlantique, François de Rugy et Dominique Raimbourg. Contre les éléments présents dans le rapport IGPN — ser-vice du même ministère — contre les conclusions de la CNDS, organe indépendant supprimé par l’actuel gouvernement et qui rend sur cette affaire l’un de ses derniers avis, contre l’ensemble des archives du dos-sier, contre la justice qui instruit malgré l’obstruction policière ou contre la justice qui relaxe les manifestants arrêtés le 27 novembre 2007, les responsables administratifs et la responsable politique du ministère de l’intérieur s’entêtent, contre tout bon sens, à soutenir le scénario de la manifestation ultra-violente, à nier la gravité de la blessure du jeune lycéen, à nier la mutilation, à décrire la victime comme un lanceur de pierre, un manifestant violent. Ces réponses, pour certaines archivées au Journal officiel, exposent leurs auteurs à une action en diffamation.

Une expertise balistique a été diligentée par le juge d’instruction, pro-

voquant le mardi 28 avril 2009 un déplacement des juges sur les lieux de

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la manifestation, en présence de la victime et des policiers concernés. Les conclusions des deux experts, qui découvrent eux aussi la nouvelle arme, sont rendues le vendredi 4 septembre 2009. Nous y relevons plus d’une quarantaine de contre-vérités et un récit partiel du déplacement sur les lieux. Enfin, l’expertise ne développe que la version policière et toute autre hypothèse de travail a été préalablement écartée du rapport. Nous constatons que le scénario policier de la manifestation ultra-vio-lente est repris tel quel par les experts.

Les images de cette « reconstitution » sont inquiétantes et leur sim-plicité même interroge sur la maîtrise du maintien de l’ordre. En regar-dant ces images dépouillées, un tireur, une cible, séparés par un muret, une solide grille et quelques mètres de bitume, on se demande comment un tel tir a pu être ordonné et réalisé – en conscience. Il a été demandé que les experts en balistique revoient leur copie et intègrent dans une version complétée de leur rapport l’ensemble des hypothèses de l’enquê-te, y compris la visée volontaire au visage et pas uniquement l’intenable scénario policier.

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Vue subjective du tir de LBD sur Pierre, croquis d’après photos.

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7 - Ce qu’il faut reprocher à l’intervention policièredu 27 novembre

C’est d’abord que la faute et ses conséquences dramatiques ne sont pas perçues. Pire, elle sont niées. Avec force dans les médias, avec ri-canements en présence de la victime, pendant la reconstitution, avec le sentiment du devoir accompli partout, l’esprit de corps. Le témoignage le plus fort de cette cécité policière, de cette incapacité à intégrer l’événe-ment et à en tirer des conclusions et des corrections, c’est l’évacuation d’un modeste « barrage » de cinq poubelles et d’une centaine de lycéens devant leur propre lycée — le lycée privé Jean-Baptiste de la Salle — le lendemain des faits, mercredi 28 novembre 2007, vers 14 heures. Une vingtaine d’hommes de la Cdi de Nantes, en tenue d’intervention, renver-sent les poubelles et chassent les lycéens. Un policier cagoulé, peut-être le tireur présumé de la veille à travers les grilles du rectorat, est présent avec son lanceur de balles de défense. La vidéo des lycéens montre qu’il tire à nouveau, sur une foule juvénile qui reflue, après l’évacuation du barrage, en dehors de toutes les règles d’usage.(7)

L’usage de ces armes n’est maîtrisé ni par leurs utilisateurs, ni par leur hiérarchie.

C’est que la faute s’inscrit dans un contexte. Ainsi, le policier réputé être le tireur apparaît cagoulé lors de ses interventions. L’usage de la cagoule étant extrêmement restreint au sein des forces de police, elle constitue, dans son cas, un équipement non réglementaire toléré par la hiérarchie, qui ne donnera lieu à aucune sanction administrative. On ajoutera que ce même policier n’a eu qu’un demi-journée de formation à cette arme expérimentale en juin 2007, sur cibles statiques et sans aucun entraînement régulier par la suite. Le tir en manifestation sur ci-bles vivantes et en mouvement constitue à la fois son entraînement et les conditions de l’expérimentation. De leur côté, les deux fonctionnaires de police et de gendarmerie chargés de cette tâche n’ont réussi à filmer que cinq minutes de la manifestation, provoquant le doute légitime sur le soin apporté à cette opération. Par ailleurs, aucun PV de tirs, ni traces administratives des munitions. Le contexte, c’est donc cet ensemble de négligences et de laisser-aller incompatibles avec la fonction, car immé-diatement porteur de dangers. Dans le même registre de l’efficacité, les cinq arrestations aléatoires et les gardes à vue punitives du 27 novembre, si elles ont occupé policiers et magistrats sur fonds publics, n’ont en-

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traîné aucune condamnation – les manifestants envoyés en correctionnel étant logiquement relaxés devant la faiblesse et la contradiction des élé-ments policiers.

Enfin, revenons à l’ordre de tir, à son minutage et son énonciation pré-cise par la chaîne de commandement, aux conditions du choix de la ci-ble, à la possibilité raisonnable de viser juste en respectant l’interdiction absolue de tirer au visage, avec un entrainement aussi faible, dans ce contexte de foule en reflux. Revenons à sa conformité aux règlements, aux notes de services relatives aux flash-ball et aux principes généraux du recours à la force au sein de la police. Revenons à la professionnalité de ce tir ou de ces tirs. Revenons à sa légitimité, à sa légalité.

Revenons aussi à l’hypothèse d’un tir intentionnel au visage.Ajoutons à ce « premier » tir celui du lendemain (même tireur ca-

goulé ?), conditions identiques, même mise en danger d’autrui, même irresponsabilité, même illégalité.

Ajoutons notre difficulté à comprendre complètement la logique com-plexe de cette bavure et des autres bavures ailleurs en France, inscrites à la fois dans l’invention de ces nouvelles armes et dans le contexte poli-tique d’un pouvoir autoritaire omniprésent.

C’est ainsi que nous pensons que des décisions de justice indépen-dantes des pressions policières sont nécessaire pour que la société et la police intègrent l’ensemble des données qui ont permis, qu’en 2007, 2008 et 2009, la police nationale mutile, au cours de manifestations pacifiques, des jeunes, mineurs ou majeurs, avec des armes inédites et présentées comme non dangereuses.

(7) voir le blog http://27novembre2007.blogspot/ 20 mai 2008 le dossier / annexe 13 photos 3

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Pierre à terre, quelques instants après avoir reçu à l’œil droit un tir de lanceur 40 mm, le mardi 27 Novembre 2007.Photo [détail] issue du témoignage en images d’une manifestante.

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8 - Une instruction nantaise enlisée, les évènements de Montreuil

Ce que révèlent, par contraste, les violences de Montreuil et leur ins-cription judiciaire,(8) c’est l’enlisement de l’instruction nantaise qui porte sur des faits très similaires et qui, au regard de la protection de l’enfance et des mineurs, apparaissent même constitués de circonstances aggra-vantes pour le policer mis en cause et sa hiérarchie.

Au terme de six mois d’enquête administrative, puis de quinze mois d’instruction menée par deux juges d’instruction, l’affaire a-t-elle avancé vers sa résolution ou est-elle enlisée, juste au bord du précipice judi-ciaire, le non-lieu qui prendrait ici la forme du déni de justice, la forme de l’impunité de la faute policière ?

Si la justice ne peut s’intéresser directement à l’ensemble du contexte et du système qui rendent possibles ces violences par flash-ball et LBD, elle peut néanmoins travailler les faits de l’affaire en cours.

À ce titre, nous demandons la mise en examen du policier tireur, maintenant identifié, son assujettissement à un contrôle judiciaire, lui in-terdisant notamment tout port d’arme. Il devrait être procédé de la même manière si une deuxième tireur venait à être identifié.

Nous demandons que sa hiérarchie fasse l’objet d’une enquête à char-ge et à décharge pour mise en danger d’autrui.

(8) voir le blog http://27novembre2007.blogspot/ Après les événements du 8 juillet à Montreuil

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Ci-dessous : infographie isue du site LeMonde.fr.

Photo de couverture : photo issue du témoignage visuel d’un manifestant (détail). Mardi 27 novembre 2007. Nantes.

Photo en quatrième de couverture : image fixe (détail) issue d’une vidéo mise en ligne sur Dailymotion.Evacuation d’un piquet de grêve lycéen et tir de LBD devant le lycée St Jean-Baptiste de la Salle.

Mercredi 28 novembre 2007. Nantes.

Lanceur de balles de défense (LBD)40 mm

Une publication du groupe de travail 27 novembre 2007. Nantes (France), novembre 2009

ISBN : en cours // Copyleft, Tous droits de reproduction libre avec mention de l’origine.

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