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293 la divinisation chez saint maxime Élie Ayroulet. De l’image à l’Image. Réflexions sur un concept clef de la doctrine de la divinisation de saint Maxime le Confesseur. (Studia Ephemeridis Augustinianum, 136). Rome, Institutum Patristicum Augustinianum, 2013. 24 × 16,5 cm, 358 p. ISBN 978-88-7961-116-9. Ce volume contient la thèse de doctorat préparée par É. A. à l’Institut patristique Augustinianum de Rome, sous la direction de P. Renczès. Le thème biblique de l’image et la ressemblance de Dieu (Gn 1,26-27) a fait l’objet d’un intérêt particulier de la part des Pères, et S. Maxime le Confesseur n’a pas manqué de lui accorder une place dans sa pensée théologique. L’A. justifie la thèse qu’il lui consacre par le fait que ce thème n’a pas encore donné lieu à une étude indépen- dante et aussi large qu’il le mérite. Son étude comporte quatre parties. Dans la première, il étudie les notions d’image et de ressemblance dans la tradition philosophique antérieure à Maxime, spécialement chez Platon, Aristote et le néo- platonisme. Dans la deuxième, il examine les deux notions dans la Sainte Écriture. Dans la troisième, il étudie le Logos comme image du Dieu invisible dans la théologie de Maxime. Dans la quatrième, il

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    lie Ayroulet. De limage lImage. Rflexions sur un concept clef de la doctrine de la divinisation de saint Maxime le Confesseur. (Studia Ephemeridis Augustinianum, 136). Rome, Institutum Patristicum Augustinianum, 2013. 24 16,5 cm, 358 p. ISBN 978-88-7961-116-9.

    Ce volume contient la thse de doctorat prpare par . A. lInstitut patristique Augustinianum de Rome, sous la direction de P. Renczs. Le thme biblique de limage et la ressemblance de Dieu (Gn 1,26-27) a fait lobjet dun intrt particulier de la part des Pres, et S. Maxime le Confesseur na pas manqu de lui accorder une place dans sa pense thologique. LA. justifie la thse quil lui consacre par le fait que ce thme na pas encore donn lieu une tude indpen-dante et aussi large quil le mrite.

    Son tude comporte quatre parties. Dans la premire, il tudie les notions dimage et de ressemblance dans la tradition philosophique antrieure Maxime, spcialement chez Platon, Aristote et le no-platonisme. Dans la deuxime, il examine les deux notions dans la Sainte criture. Dans la troisime, il tudie le Logos comme image du Dieu invisible dans la thologie de Maxime. Dans la quatrime, il

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    prsente lhomme cr limage et la ressemblance de Dieu dans la thologie du Confesseur.

    Comme lindique le titre : 1) lA. accorde plus dimportance la notion dimage qu celle de ressemblance, et la met en rapport avec lImage, c.--d. le Verbe divin, le Fils de Dieu, que saint Paul dans Col 1, 15, prsente comme limage du Dieu invisible ; 2) il consi-dre limage comme un concept cl de la conception maximienne de la divinisation.

    Lide centrale de lA. est que Maxime ne se contente pas de mettre en relation les notions dimage et de ressemblance divines en lhomme selon une simple bipolarit, mais les soumet toutes deux et cela apparat plus nettement dans le couple image-Image une dimension suprieure, celle de la grce de la divinisation qui vient leur confrer un caractre dynamique (p. 14). Il insiste beaucoup sur le finalisme inhrent limage, en le considrant comme accompli par la grce, et sur le caractre eschatologique plutt que protologique de la conception maximienne de limage (affirmant juste titre que pour Maxime les choses sont dtermines par leur finalit ), un aspect de la pense de Maxime qui mrite en effet dtre mis en valeur (bien que P. Sherwood ait dj pertinemment analys les concepts darch [commencement] et de telos [fin] dans la pense maximienne). En insistant sur la caractre dynamique de limage, lA. fait un intres-sant rapprochement avec la thorie maximienne du mouvement dans sa positivit. On trouve par ailleurs dans cette tude des dveloppe-ments annexes intressants, comme la place du corps dans limage, la rsonance cosmique de la notion dimage, la mise en relation de la notion dimage avec celle de logos, le rapport avec la thologie de licne postrieure Maxime, et enfin, dans la conclusion gnrale, une insistance sur loptimisme maximien et lesprance quil suscite.

    LA. a une bonne connaissance des sources et de la littrature se-condaire se concentrant, avec raison, sur les grandes tudes clas-siques concernant les principaux aspects de son sujet et sa rflexion est de qualit. Son travail nen appelle pas moins quelques remarques critiques.

    LA. reproche ses prdcesseurs de navoir consacr que peu de place aux notions dimage et de ressemblance, notamment dans le cadre de ltude de la conception maximienne de la divinisation. Le souci de tout auteur dune thse est naturellement de valoriser son sujet, mais le risque est toujours de tomber dans lidologie, laquelle consiste vouloir expliquer le tout par la partie. Or il nous semble que si le couple image-ressemblance tient une certaine place dans la conception maximienne de la divinisation, il nen reprsente quun lment et ne peut pas tre prsent comme un concept cl, c.--d. autour duquel tout sordonnerait et sans lequel on ne pourrait rien comprendre.

    Il nous semble que lA. a considrablement largi le thme de limage et de la ressemblance tel quil est entendu par Maxime, en rapportant, dans un dveloppement assez long, limage (quest

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    lhomme) lImage (quest le Verbe divin) et cela : 1) au dtriment de la ressemblance (comme lindique bien le titre gnral) et des rap-ports image-ressemblance que Maxime est loin de ngliger ou de considrer comme secondaires , lA. tendant mme voir dans la ressemblance une simple qualification de limage en chemin vers sa plnitude dimage (p. 300) ; 2) en oubliant que limage de Dieu en lhomme nest pas limage dune personne divine singulire, mais de la nature divine (tant constitue de caractres qui appartiennent en commun aux trois Personnes) ; 3) en attribuant limage de Dieu en lhomme des proprits qui relvent plus exactement de son logos, image et logos se recouvrant certes pour une part, mais pas compl-tement ; cest le cas notamment de la finalit de lhomme (lment central de la thse de lA.) qui selon Maxime relve beaucoup plus du logos de lhomme (voir Ambigua Jean, 7, PG 91, 1080B-1085A) que de limage de Dieu en lui, laquelle consiste surtout en un ensemble de potentialits appeles saccomplir dans la ressemblance Dieu plutt que dans une autre dimension de limage, suprieure la res-semblance mme, comme le voudrait lA.

    Il nous semble enfin, pour en rester aux problmes mthodolo-giques, que la deuxime partie, consacre icne et ressemblance dans lcriture Sainte ntait pas indispensable, sagissant dun do-maine dj tudi et napportant que peu de choses la connaissance de la conception maximienne. La premire partie, consacre aux philosophes ntait pas ncessaire non plus. Cest une mode depuis quelques annes (inaugure avec la thse de T. Tollefsen, et entrete-nue par P. Mueller-Jourdan, J. Lollar et quelques autres) de consi-drer Maxime comme un philosophe et de rechercher en priorit ses sources philosophiques, mais cette tendance nous semble lie au fait que les tudes maximiennes sont menes depuis plusieurs annes par des philosophes, en labsence de vrai patrologues. Faut-il rappeler que mme si les Pres utilisent le mot philosophie dans le sens dun art de vie qui rejoint celui des philosophes antiques (comme la montr P. Hadot), allant jusqu qualifier lascse de philosophie pratique et se dire volontiers eux-mmes philosophes , leur mthode et celle des philosophes, fussent-ils antiques, diffrent profondment. En ce qui concerne Maxime, sa formation est monastique et patristique ; dans son uvre, il ne se rfre pas une seule fois Platon, Aristote ou Plotin, mais en revanche de trs nombreuses fois : a) explicitement S. Basile de Csare, S. Grgoire de Nysse, au Pseudo-Denys, S. Cyrille dAlexandrie et surtout S. Grgoire de Nazianze, quil appelle le didascale et considre donc comme son matre par excel-lence ; b) implicitement Origne, vagre, ainsi qu Macaire et Marc le Moine (ces deux derniers tant ngligs par lA.). Si certains des concepts quil utilise se rencontrent chez les philosophes, cest plutt ces Pres et dans la faon dont ils les ont compris quil les emprunte, quitte les revisiter dans la plupart des cas. Fort heu-reusement lA. se rattrape en prsentant dans le cours de son tude certaines de ces sources patristiques.

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    Un deuxime point qui nous semble appeler des rserves est lin-fluence que joue dans les rflexions que propose lA. dans les parties 3 et 4, les interprtations discutables de J.-M. Garrigues (notamment dans ses articles Lnergie divine et la grce chez Maxime le Confesseur et Le dessein dadoption du Crateur dans son rapport au Fils daprs Maxime le Confesseur) et surtout de son directeur de thse, P. Renc-zs (dans sa thse LAgir de Dieu et la libert de lhomme. Les concepts d et d dans lanthropologie thologique de saint Maxime le Confesseur) dont il a cependant le mrite de se dpartir de linterpr-tation trop exclusivement aristotlicienne de la notion denergeia.

    Quatre lments nous paraissent particulirement problmatiques.1) La notion dhexis, dont lA. la suite de P. Renczs, entend

    faire un concept cl de la spiritualit maximienne (voir surtout p. 247-251 ; 282-285). LA. donne au mot hexis un sens univoque inspir de la thorisation scolastique de P. Renczs plutt que des textes mmes de Maxime (voir par ex. p. 248 o toutes les rfrences se rapportent Renczs). LA. traduit systmatiquement hexis par habitus, or cette dernire notion sest charge dans la pense thomiste et scolastique de connotations qui risquent de fausser la comprhension que lon a de la pense de Maxime et de donner lieu une interprtation anachro-nique. Comme nous lavons montr dans plusieurs tudes, la notion dhexis chez Maxime est assez souple, a plusieurs sens, et dsigne sou-vent assez banalement un tat.

    2) La notion dadoption filiale est certes trs lie chez Maxime la notion de divinisation, mais : a) elle ne sidentifie pas elle, comme laffirme lA. (cf. p. 285 : devenir dieu signifie devenir fils de Dieu ) : Maxime cite souvent les deux notions en parallle, et il considre les deux processus comme distincts ; b) lattitude filiale de lhomme (que lA. qualifie avec insistance d hexis de la filiation ) nest pas une conformit troite lattitude du Fils par rapport au Pre (qui est pour une part imitable, mais pour une autre part unique), tout chrtien tant plutt un enfant de Dieu au sens large (condition quil acquiert par la nouvelle naissance du baptme) quun fils du Pre au sens strict ; c) lobissance de lhomme Dieu en tant quelle a son modle dans le Christ na pas un caractre exclusivement filial : le Christ obissait en tant que Fils Son Pre, mais aussi en tant quhomme Dieu (quIl tait Lui aussi).

    3) Le fait que lA. na pas une perception claire des diffrents de-grs de la divinisation, et ne distingue pas notamment la divinisation dans ses stades prparatoires (ce que lon pourrait appeler la divini-sation in via) et le processus final de la divinisation o lhomme tout entier se trouve transform et accde un mode dexistence divin, devenant vritablement dieu par grce . Cest improprement par exemple quil parle du nous contemplatif, divinis donc (p. 239) car la contemplation au sens propre (theria) laquelle donne accs limpassibilit, est encore relative aux cratures et se situe en-de de la connaissance de Dieu dans Sa transcendance, produite par la grce au-del des capacits intellectuelles de lhomme (connaissance surna-

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    turelle que Maxime appelle theologia) et laquelle est troitement lie la divinisation dans son accomplissement ; et cest improprement aussi quil invoque le jeu de lnergie humaine sunissant avec lnergie di-vine dans la forme la plus haute de la divinisation.

    4) La comprhension du processus final de la divinisation, et du rle respectif que jouent lactivit de lhomme et lactivit/nergie de Dieu (lment crucial de la thse de lA.). En-de du degr suprieur de la divinisation (o celle-ci trouve sa plnitude et son achvement) il est juste de souligner que la grce divine intervient pour aider lhomme actualiser c.--d. mettre en activit correctement ses puissances ou facults (notamment celles qui constituent propre-ment limage), et que cela prend la forme dune synergie, o lnergie (ou la grce) divine se conjugue avec lnergie lie lessence et aux puissances naturelles de lhomme. Mais il nen va pas de mme dans le processus de la divinisation en son stade final. LA., la suite de J.-M. Garrigues et surtout de P. Renczs, considre quil y a uneactualisation des puissances de la nature cre par lnergie divine et insiste beaucoup sur le fait que Dieu par Sa grce lve (exhausse) lactivit des puissances de lhomme un niveau qui lui permet de lunir Sa propre activit (voir notamment p. 234 : Ainsi, le nous du Christ ne supprime pas, ncrase pas, ne se surajoute pas au nous humain, mais lui permet de pouvoir donner la pleine mesure de son opration. Le nous de lhomme concide alors dans son activit avec le nous du Christ , o lA. ne comprend pas correctement Centuries sur la thologie et lconomie, II, 83 quil vient de citer. LA. parle alors dune interaction entre lagir de Dieu et lagir de lhomme qui se dit travers la notion dimage de Dieu (p. 242). Mais il fait fi alors de tout un pan important de la conception maximienne de la divinisa-tion dans son achvement et de ltat final des cratures qui ne saccorde pas avec cette comprhension des choses. Lhomme divinis est plutt vu par Maxime dans une attitude de passivit par rapport laction/nergie divinisante de Dieu (cf. Ambigua Jean, 7, PG 91, 1088C-1089A ; Questions Thalassios, 22, CCSG 7, p. 139.66-141.98, et scholie 5, CCSG p. 145 ; Dispute avec Pyrrhus, PG 91, 297A ; Opuscules thologiques et polmiques, 1, PG 91, 33D). Lhomme en effet na pas, en tant quessence cre, la puissance doprer la divinisation (cest pourquoi on ne peut pas parler, ce stade de la divinisation, dune actualisation, par lenergeia divine, des puissances de la nature de ltre cr [p. 244]) ; il nen a pas non plus lnergie (ou lopration). Cest travers tout un processus asctique qui conduit lhomme renoncer lusage de sa propre nergie (et devenir donc passif du point de vue de ses propres facults), que lnergie divine peut prendre place et agir en lui. Le thme de la cessation des nergies des tres crs la fin des temps, dans le Sabbat du huitime jour est un thme important de la pense maximienne (expos notamment dans les Centuries sur la thologie et lconomie, I, 46-47, PG 90, 1100BC ; II, 81, PG 90, 1164A), comme aussi lide que lnergie divine est seule agissante dans les saints (ce qui avait amen Maxime parler d une

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    unique nergie de Dieu et des saints [Ambigua Jean, 7, PG 91, 1076C ; Opuscules thologiques et polmiques, 1, PG 91, 33A-36A]), ce qui correspond une exprience que saint Paul lui-mme avait expri-me en scriant : ce nest plus moi qui vis, cest Christ qui vit en moi (Ga 2,20). Jean-Claude Larchet