Realites de l'économie informelle etude pilote

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ÉTUDE FINANCÉE PAR LA FONDATION CGEM POUR L’ENTREPRISE EN COLLABORATION AVEC LE CESEM. Février 2008. RÉALITÉS DE L’ÉCONOMIE INFORMELLE ÉTUDE PILOTE À DERB GHALLEF CONFÉDÉRATION GÉNÉRALE DES ENTREPRISES DU MAROC

description

ans les villes du Maroc, l’observateur est souvent frappé par le nombre élevé de petits métiers localisés et d'activités de rue qui s'y développent. L’économie informelle recouvre dans notre pays des réalités diverses : l’artisanat traditionnel, le commerce de rue, l’emploi non déclaré, la micro-entreprise, le travail à domicile, les prestations de services, les activités de transport, la contrebande ou le narcotrafic. Ces secteurs économiques incluent aussi le secteur financier informel. La “Jouteya” de Derb Ghallef est l’un des lieux phares de ce type d’activités.

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ÉTUDE FINANCÉE PAR LA FONDATION CGEM POUR L’ENTREPRISEEN COLLABORATION AVEC LE CESEM.

Février 2008.

RÉALITÉS DE L’ÉCONOMIEINFORMELLE

ÉTUDE PILOTE À DERB GHALLEF

CONFÉDÉRATION GÉNÉRALE DES ENTREPRISES DU MAROC

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Introduction

D ans les villes du Maroc, l’observateur est

souvent frappé par le nombre élevé de

petits métiers localisés et d'activités de

rue qui s'y développent. L’économie informelle

recouvre dans notre pays des réalités diverses :

l’artisanat traditionnel, le commerce de rue,

l’emploi non déclaré, la micro-entreprise, le tra-

vail à domicile, les prestations de services, les ac-

tivités de transport, la contrebande ou le

narcotrafic.

Ces secteurs économiques incluent aussi le sec-

teur financier informel.

La “Jouteya” de Derb Ghallef est l’un des lieux

phares de ce type d’activités.

D’après des études existantes, plusieurs facteurs

expliquent ce phénomène : l’exode rural, l’urba-

nisation, le chômage, les difficultés rencontrées

par l’État pour réguler l’activité économique, les

politiques économiques mises en œuvre (PAS),

la montée de la pauvreté et la faiblesse du cadre

réglementaire.

En interrogeant les occupants de Derb Ghallef,

nous avons tenté de vérifier la validité de certai-

nes de ces hypothèses et d’en émettre d’autres.

Des objectifs clairs,une méthodologie efficaceCette étude, sociologique et économique, se

propose de comprendre les modes de fonction-

nement des activités existant dans le quartier de

Derb Ghallef, et précisément à la “Jouteya”. Son

objectif, fournir des informations sur les modes

d’organisation du marché dans son ensemble,

mais aussi des métiers et de leurs acteurs, pris

individuellement.

Il s’agissait de recueillir les données concernant

l’historique, les trajectoires et les conditions

d’accès au local, l’environnement économique,

le rapport avec la réglementation fiscale.

Il était aussi question d’identifier les potentiali-

tés, les contraintes et le devenir des activités de

Derb Ghallef (DG). Et qui dit contraintes, dit

craintes des sociétaires, par rapport à un délo-

gement éventuel ou à une tentative de formali-

sation du marché.

Il est donc nécessaire de distinguer la part du

formel de celle de l’informel, à l’intérieur de

cet espace.

Une méthoded’investigation subtileL’étude s’est déroulée du 26 octobre au 6

décembre 2007. Elle a visé 23 personnes lon-

guement interviewées. Le champ d’investiga-

tion concernait les activités localisées et visibles.

Pour mieux comprendre le fonctionnement des

métiers et saisir leur complexité, nous avons pri-

vilégié une démarche analytique qui prend en

considération les aspects économiques et socio-

logiques. Leur fonctionnement dépendant, non

seulement du marché, mais aussi de logiques

non marchandes. Dans ce marché peu forma-

lisé, les habitudes, les comportements et les per-

ceptions comptent autant que le flux de

marchandises et la propension à payer ou non

ses impôts.

Les outils méthodologiques retenus pour la

collecte des informations nécessaires à l’éla-

CHERCHEURS. Rajaa Mejjati Alami (économiste, consultante),

Jamal Khalil (sociologue, CM2S, Université Hassan II, Aïn Chock)

ENQUÊTEURS. Ahmed Bendella et Mohamed Jeghllaly

COORDINATION. Fadma Aït Mous (chercheuse, CESEM)

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boration de cette étude s’appuient sur les

étapes suivantes :

- une analyse documentaire ;

- un relevé des activités existant sur le site ;

- une enquête qualitative à partir d’entretiens

semi-directifs et approfondis auprès des te-

nanciers d’activité. Un guide d’interview com-

portant différents axes a servi de support.

De par leur caractère dynamique, les entre-

tiens mettent en évidence un certain nombre

de phénomènes que l’approche quantitative

ne peut pas toujours révéler.

Par ailleurs, une cartographie établie par un

géographe* a permis de localiser l’emplace-

ment de la “Jouteya” de Derb Ghallef et d’as-

seoir spatialement les activités qui s’y exercent

(cf. page 5).

Le choix de l’échantillon a dû respecter l’exi-

gence essentielle de représentativité par rap-

port à la pondération par activité. Le panel

retient par ailleurs trois types d’unités: les uni-

tés de production (rares), les unités de com-

merce et les unités de service.

Les difficultés rencontréesPar essence, interviewer est délicat : la méfiance

est classique, la présence au cours de l’entretien

de tierces personnes pouvant introduire un biais

peut être à gérer… Reste que la plupart des diffi-

cultés identifiées sont inhérentes au sujet de

l’enquête “l’économie informelle”. Un sujet fai-

sant référence à des aspects que certains ne sont

pas forcément prêts à évoquer : revenu, fiscalité,

représentations sociales sont des thèmes sensi-

bles particulièrement pour ceux recourant aux

circuits informels d’approvisionnement et de

vente. Concernant les revenus, il est difficile pour

les tenanciers de les estimer correctement pour

plusieurs raisons: absence de tenue d’une

comptabilité, confusion entre caisse de l’entre-

prise et celle de la famille dans certains cas, irré-

gularité des recettes. �

*M. Rabii Daris, Géographeà la Faculté de Lettres d’Aïn Chock.

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L’économie informelle comporte quatre

composantes : la production du secteur

informel, l’économie souterraine, la

production illégale et la production pour

usage final propre (J. Charmes 2003).

- Les activités du secteur informel n’expriment

pas toujours une volonté délibérée de se ca-

cher et de transgresser les obligations légales.

- L’économie souterraine renvoie aux activités

se dissimulant afin d’échapper à la réglemen-

tation étatique (ex: paiement des impôts, des

charges sociales, salaire minimum, normes

d’hygiène et de sécurité).

- L’économie illégale recouvre des activités in-

terdites par la loi, telles que la drogue, la

prostitution. Il peut s’agir aussi de professions

exercées par des personnes non autorisées

(ex : exercice illégal de la médecine), ou d'ac-

tivités telles que la contrebande, la contrefa-

çon et le piratage de produits de luxe, la

corruption ou le recel de biens volés. Bien

qu’interdites, ces activités peuvent se prati-

quer au grand jour. Il faut ajouter à cela la cul-

ture du cannabis.

- La production pour usage final propre est

une composante non marchande importante

de la production de biens par les ménages.

LES COMPOSANTES DE L’ÉCONOMIE INFORMELLE

Associer nécessairementl'informel à l'illégal

constituerait un raccourci

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L’économie informelle,une problématique complexe

Entre économie et secteur informels, de

nombreuses nuances rendent difficile son

explication. Par ailleurs, il n’existe pas de

définition clairement reconnue du phénomène.

Le BIT (Bureau International du Travail) décrit le

secteur informel comme suit : “un faible lien

avec les institutions officielles, un faible niveau

d’organisation, des unités qui opèrent à petite

échelle et de manière spécifique, avec peu ou

pas de division entre le travail et le capital en tant

que facteurs de production. Les relations de tra-

vail, lorsqu’elles existent, sont surtout fondées

sur l’emploi occasionnel, les relations de parenté

ou les relations personnelles et sociales, plutôt

que sur des accords contractuels comportant des

garanties en bonne et due forme” (BIT, 1993).

L’Enquête Nationale sur le Secteur Informel Non

Agricole (ENSINA) définit comme “unité de pro-

duction informelle, toute organisation destinée

à la production et/ou à la vente de biens ou à la

prestation de services et ne disposant pas de

comptabilité complète décrivant son activité et

ce, conformément à la loi comptable en vigueur

depuis 1994”. Le champ d’investigation

concerne toutes les unités non agricoles mar-

chandes (quelle que soit leur taille) et exclut les

activités non marchandes pour compte propre

et les ménages employant du personnel domes-

tique contre rémunération, les activités illéga-

les, de contrebande, de narcotrafic…

D’autres études insistent sur la marginalité

et la pauvreté comme critères d’appartenance

au secteur informel. Enfin, certaines enquêtes

mettent en exergue sa dimension non officielle :

activités non recensées, “entreprises” non enre-

gistrées, absence de comptabilité.

L'on définit l’informel comme l’illégal, par réfé-

rence et par opposition à l’État et à sa réglementa-

tion. Là encore, la réalité du secteur étudié est

complexe : Une distinction entre économie infor-

melle et activités du secteur informel est donc utile.

Les secteurs privilégiés de l’informelSelon l’Enquête Nationale sur le Secteur Informel

Non Agricole (ENSINA, 2000), l'informel occupe

39,0 % de l’emploi non agricole. Il domine dans

la sphère urbaine (71,6 % des unités), et

concerne certaines branches d’activité (ex: ali-

mentaire, textile, cuir, bois, travail des métaux,

construction, réparation de véhicules et d’articles

personnels, commerce de détail…). Les micro-en-

treprises commerciales prévalent (notamment le

commerce ambulant), suivies de l’industrie (ex:

confection, cordonnerie…), des services et du bâ-

timent. Près de la moitié des unités informelles

ne dispose pas de local et 11,1 % exercent leur ac-

tivité à domicile. Riche en données, cette étude

occulte toutefois les autres composantes de

l’économie informelle et, en particulier, les activi-

tés souterraines, les activités illégales et de

contrebande.

71,6% des unitésinformelles se situent

dans la sphère urbaine

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Les trajectoires disparates des commer-

çants, leurs métiers différents, leur statut

particulier - ferrach, propriétaire, locataire,

ancien, nouveau - ralentissent l’émergence

d’une solidarité réelle.

“La Jouteya”, un concept uniqueDeux facteurs déterminent le statut

particulier de la “Jouteya” : son espace et

ses clients.

De plus, sa renommée et sa localisation

permettent aux commerçants de drainer une

clientèle qu’ils n’auraient pas ailleurs, ren-

forçant ainsi sa spécificité.

Dans cet espace réduit, se côtoie un ensemble

d’activités disparates avec plusieurs spécialisa-

tions et de larges menus. Un éclectisme qui rend

la “Jouteya” très attractive et participe à bâtir sa

singularité.

L'évolution de l'offre

Au départ, la “Jouteya” s'est fait connaitre

par des produits réels à faible coût. La plupart

des biens attractifs provenaient alors de l’étran-

ger; aujourd’hui, seuls certains produits d'ori-

gine extérieure (ex : alimentaires du Nord du

L’étude sociologique

L a “Jouteya” correspond à une sorte de

creuset où des trajectoires se croisent et

se mélangent. Lorsqu’on s’y installe, c’est

pour y rester un long moment. Même ceux qui

s’y étaient établis de manière provisoire finis-

sent par se sédentariser. Elle attire et retient.

C’est un lieu où les gens trouvent une certaine li-

berté d’exercer le métier qu’ils veulent, d’en

changer quand ils sentent le vent tourner.

Cette sensation d'indépendance est parta-

gée par plusieurs marchands et commerçants.

À cela s’ajoute un sentiment de fierté : mal-

gré les soucis d’adaptation et les spécificités

de quelques activités (ex : TIC), certains ont

l’impression de participer à une dynamique.

Au regard des tenanciers, plusieurs facteurs

permettent d'expliquer le succès de la “Jouteya”

: Son attractivité, l’augmentation croissante de

la valeur des locaux et les bénéfices réalisés.

Même quand les gains sont en baisse, les com-

merçants ne quittent pas l’endroit. Ils demeu-

rent sur place, se replongeant dans le passé,

regrettant le temps des profits importants.

Les commerçants de la “Jouteya” fonc-

tionnent dans une sorte de double compa-

raison. Ils confrontent tout d'abord leur

présent avec leur parcours personnel, les

difficultés vécues et les possibilités existan-

tes. Ensuite, ils comparent leur espace avec

les autres espaces commerciaux de la ville.

Une organisation sans structureFace à une population fière d’être dans un

espace donné, se pose la question de la soli-

darité entre ses composantes. Si l’on consi-

dère les quelque quarante métiers de la

“Jouteya”, très peu sont organisés. Les amines

ne semblent pas pouvoir jouer les rôles qui

leur sont impartis. Il existe des associations

mais elles ont un déficit de reconnaissance.

À cet égard, les commerçants en produits ali-

mentaires se distinguent. Ils parviennent à fixer

des prix, un jour de fermeture (le vendredi) et

des amendes (3000 DH) pour ceux qui déro-

gent à la règle.

L’espace est générateur de clients,

pas de solidarité

Qu’elle soit par métier ou par la définition

d’un minimum d’intérêts communs de l’en-

semble qui permettrait la désignation d’une

représentation pour les défendre, il n’y a pas

de solidarité organique entre les locataires

de la “Jouteya”.

En revanche, il existe une solidarité méca-

nique ou traditionnelle fonctionnant au mo-

ment d’un décès ou d’une maladie par la

collecte de fonds de soutien.

Que ce soit par rapport à leurparcours ou en comparaison

avec les autres espacescommerciaux, les sociétairesde Derb Ghallef s’estiment

gagnants.Les demandeurs sont des

clients “propres”, l’ensembletrouve une légitimité

d’existence.

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merçants considèrent l'absence de ces amé-

nagements comme l'un des obstacles ma-

jeurs au développement du souk.

Tout processus d’aménagement et de modifica-

tion de l’espace implique l’intervention des autori-

tés ; et par conséquent la non-maîtrise par les

propriétaires, les locataires, les ferracha de ces mê-

mes transformations. Il pourrait s’agir alors du dé-

but de leur exclusion progressive d’un processus

duquel ils sont parties prenantes. Les acteurs de la

Jouteya ne seraient plus dans une situation de to-

lérance d’un état de fait, même s’il est précaire.

Cette situation ambivalente progresse vers

ses limites, pourtant le niveau d’organisation

des marchands reste faible. Difficile alors de de-

venir acteurs des transformations futures.

D’une part, l'on trouve, une situation de fait,

informelle. Elle fonctionne, draine du chiffre, per-

met à des exclus ou des sans-métiers d'être actifs

et d’apprendre. De l’autre, cette même situation

atteint des limites que seul un niveau d’organisa-

tion élevé peut repousser, en créant des opportu-

nités de fabrication de propositions viables.

À la “Jouteya”, tous savent qu’ils peuvent être

victimes de leur succès. En effet, en plus des pro-

blèmes d’infrastructure et de rapport aux auto-

rités, ils font face à une menace. Celle de se faire

déposséder légalement de leurs locaux par des

personnes extérieures plus fortunées. Au-

jourd’hui, les commerçants sont sûrs d’une

chose : quelles que soient les contingences,

“rester” demeure le meilleur choix. Le local est

la pièce maîtresse de l’ensemble du dispositif à

condition de le garder. Leurs trajectoires et leurs

situations marginales de départ leur ont appris

à être résilients. Lorsqu’ils se comparent avec les

commerçants d’autres souks, ils s’y retrouvent.

Toutefois, d'autres éléments, dont l'arrivée sur

le marché des produits chinois importés légale-

ment, viennent perturber cette mécanique. Les

marges se réduisent mais les prix des locaux se

maintiennent, de 400 000 DH à 1 200 000 DH.

On participe à un jeu complexe à plusieurs varia-

bles: les acteurs (Intervenants directs et indirects

identifiables et non identifiables), la “Jouteya”

comme ressource économique, sa place dans la

ville, son image qui a dépassé la cité.

La plupart des marchands ont réfléchi à la

question du changement de statut; chacun

mettant en place sa stratégie propre. Pour la

majorité des commerçants, la “Jouteya” a at-

teint ses limites. À l’avenir, les changements se-

ront inéluctables. Faute d’une réel le

organisation interne, ils attendent beaucoup

de l’État dans la résolution de leur situation.

“Jouteya”, la consécrationd’un système mobile

Le système, ainsi fabriqué à la Jouteya et

dans d’autres lieux où formel et informel se cô-

toient, comporte plusieurs caractéristiques

Maroc, vêtements d'Italie) peuvent être consi-

dérés comme faisant partie du circuit informel.

Plus tard, l’utilisation des nouvelles technolo-

gies et des sites Internet a permis l’émergence

d’un nouveau type de commerce informel (ex:

logiciels, films, jeux ou solutions informatiques).

La “Jouteya” est alors devenue le repère des ex-

perts en piratage de chaînes de télévision, en

modifications de jeux et d'appareils numéri-

ques. Par la suite, la téléphonie et le commerce

des DVD ont pris le relais. Ces activités ont drainé

une nouvelle clientèle et de nouveaux commer-

ces formels se sont développés. Aujourd’hui, ces

produits virtuels font la réputation de l’endroit.

Les demandeurs sont des clients “propres”, l’en-

semble trouve alors une légitimité d’existence.

Un procédé adapté

Le processus s'articule ainsi : d’une part, se si-

tue une clientèle “ formelle”. Les acheteurs, par-

ticuliers ou PME, se rendent à Derb Ghallef pour

acquérir des produits ou une solution à un pro-

blème technique ou de logiciel. De l’autre, l'on

trouve des fournisseurs de produits et de solu-

tions, légaux ou illégaux.

Les deux protagonistes ne posent pas la ques-

tion en termes de loi, mais en termes de résultats

rapides. En faisant abstraction d’un certain nom-

bre de questions, ils se retrouvent dans une rela-

tion gagnant/gagnant.

Ce système de fonctionnement dépasse le for-

mat mixte (formel/informel) de départ qui lui a

donné naissance. Les marchands s’installent dans

une spirale continue de recherche du neuf, de l’ori-

ginal, parfois sans souci des contraintes légales.

À travers et en parallèle des activités infor-

melles, s’est développée l’idée de la recherche

des derniers produits et solutions, au niveau

national mais aussi international. Une notion

liée très cer tainement au changement

d’image de Derb Ghallef.

Un autre concept, se rapportant à la réduc-

tion du temps de réaction, est aussi apparu.

L'on se retrouve dans la situation suivante : une

personne a une demande particulière et elle

est prête à mettre le prix. Formulée à la “Jou-

teya”, elle a des chances d'être satisfaite. Un

même souhait exprimé par plusieurs person-

nes mobilise tout un réseau interne et externe.

La requête est alors rapidement comblée.

Les obstacles d’aujourd’hui,les enjeux de demain

À cette structure où la quête du nouveau est

un élément central, s’ajoute la situation pré-

caire de la “Jouteya”, qui incite les marchands

à courir derrière le temps pour optimiser leurs

gains. Sans infrastructures adéquates - élec-

t r i c i té, eau - la Jouteya est menacée.

Conscients de cette problématique, les com-

En occultant lesconsidérations législatives

et en se focalisant surla rapidité des résultats,vendeurs et acheteurs se

retrouvent dans une relationgagnant/gagnant.

Quelles que soient lescontingences, “rester”

demeure le meilleur choix.

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comme la précarité, l’exclusion, mais aussi la

résilience. La ville est un espace à conquérir

pour l’ascension sociale. Conçus comme un lieu

de transit, les endroits les plus recherchés sont

ceux permettant le plus de mobilité.

La Jouteya en est un modèle: une zone insta-

ble en situation précaire qui, paradoxalement,

est un espace où les transformations et change-

ments sont nombreux. On y rencontre des en-

trants, des sortants et plus de mobilité. Tous ces

croisements, cette conversion en carrefour la ren-

dent attractive. Le lieu offre plus de possibilités,

voire de chances, qu’un espace maîtrisé.

En générant de l’instabilité, le cadre de la “Jou-

teya” permet à ses acteurs d’être insaisissables et

d’utiliser cette propriété comme outil stratégique.

La stratégie gagnante incorporée par les acteurs

de la Jouteya est celle qui permet de se trouver

dans un espace offrant le maximum de possibilités

pour utiliser les avantages de l’immobile tout en

étant inaccessibles. Le déplacement est générateur

d’opportunités à condition d’en maîtriser les rè-

gles. Les acteurs en se rendant inaccessibles, non

seulement physiquement, mais aussi d’un point

de vue heuristique, ralentissent toute tentative de

classification. D’où la difficulté de construire des

profils type : évacuation de certaines questions,

discours parfois délibérément contradictoire, mais

aussi possibilité offerte aux personnes en situation

difficile de s’insérer et d’évoluer dans cet espace.

L'une des raisons majeures de l’inaccessibilité de

cette population est son mouvement incessant:

changement de métiers, diversification des activi-

tés, multiplication des clients internes et externes,

succession des responsabilités. Parce que plus mo-

bile, elle est en situation d’expansion.

S’agissant de Derb Ghallef, de la Souika, de la

“Jouteya” 1 ou 2, le même schéma de fonction-

nement a été activé par les différents protago-

nistes. Il peut se résumer selon le phasing

suivant. Inscrites dans le temps, les étapes se

chevauchent en se développant :

1. Émergence de groupes de personnes

sans espace vital ;

2. Installation à la limite de la légitimité dans

un espace ;

3. Résistance et compromission des autorités ;

4. Prolifération des intervenants intéressés ;

5. Création de l’attractivité ;

6. Distillation de l’opacité et de l’inaccessibilité ;

7. Limite et risque de fin subite.

Ce mode de fonctionnement installe la “Jou-

teya” actuelle dans une situation où se jouxtent

l’attente du changement et la crainte de celui-ci.

Toutes les options à venir sont possibles. Cette at-

tente prolongée distille de l’opacité et obture pro-

gressivement les liens. L'on se retrouve alors avec

une sorte de “chat de Schrödinger” dont on ne peut

connaître l’état qu’en brisant l’opacité, ou du moins,

en mettant en place des instruments légitimes de

clarification des attitudes des différents acteurs.

L’étude économique

La “Jouteya”, un lieu d’ancrageet un pôle attractif

L a clientèle diffère, selon les activités. La

demande est toutefois à dominance pri-

vée et les catégories sociales hétérogè-

nes. Des classes aisées et moyennes, des

professions libérales structurées (ex : avocats,

médecins pour le matériel de bureau), des étu-

diants, mais également des catégories à fai-

bles revenus peuvent être identifiées. La clien-

tèle d’origine rurale, quant à elle, s’adresse

tout particulièrement aux services (ex: répara-

teurs de groupes électrogènes). Il faut ajouter

que, dans certaines activités comme l'électro-

nique, la clientèle est composée de RME.

Un marché éclectique

En matière de commercialisation des pro-

duits, il existe un ancrage certain au sein de la

“Jouteya”. Particulièrement pour les activités

gravitant autour de l’électronique, de l’infor-

matique et de la vente de prêt-à-porter de

luxe ; en somme celles disposant d’une rela-

tive bonne assise financière et qui sont par ail-

La “Jouteya” attire et retient.Même quand les bénéficesbaissent, les commerçants

ne la quittent pas

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Leurs trajectoires et leurssituations marginales

de départ leur ont apprisà être résilients.

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de paiement sont variables. La personnali-

sation de la relation avec le client et sa

bonne moralité (ma’aqoul) interviennent

dans les pratiques de règlement existantes.

Dans la grande majorité des cas, notam-

ment dans les activités à faible assise finan-

cière (ex : friperie), le paiement s’effectue au

comptant et en espèces. L'étroitesse des

marges bénéficiaires et le profil de clientèle,

disposant de peu de revenus, expliquent

cette modalité de règlement.

D’autres cumulent plusieurs moyens de paie-

ment : au comptant, en espèces, par chèque de

garantie et à crédit (ex : optique, chaussures,

ameublement de bureau, vêtements).

Le chèque, une pratique courante

La rétribution par chèque existe. Elle est de plus

en plus considérée comme une aventure péril-

leuse, sauf en cas de rapports de confiance. Pour

faire face à la concurrence, l’usage de facilités de

paiement et de l’échelonnement des échéances

contre un chèque de garantie est une pratique

courante dans la plupart des activités disposant

d’une assise financière (ex: ameublement, lumi-

naire…). Certains reconnaissent l’usage du chè-

q u e “ i n d i s p e n s a b l e d a n s l e s re l a t i o n s

commerciales” mais soulignent les risques d’une

telle pratique. Afin de les minimiser, ces commer-

çants n’acceptent que des chèques aux montants

peu élevés ou exigent un reçu en contrepartie.

Par ailleurs, en raison de la dominance d’une

clientèle privée, l’absence de facture est générale-

ment la règle dans le système de transaction en

cours. Toutefois, ce comportement, en cas de vente

aux entreprises formelles, est contourné en exigeant

des fournisseurs, eux-mêmes issus du secteur for-

mel, des factures délivrées directement aux clients,

afin de pouvoir récupérer la TVA. Cette modalité s'est

particulièrement généralisée dans les activités évo-

lutives (ex : électronique, informatique).

leurs les plus nombreuses. Pour la grande

majorité d’entre-elles, l’écoulement des

biens et services se fait au sein même de la

“Jouteya”. Vu sous cet angle, l’endroit pré-

sente un avantage en terme de localisation,

en tant qu’espace d’informalité. En terme de

commercialisation, la localisation de la

“Jouteya” est unanimement considérée

comme un atout. Les tenanciers font aussi

souvent référence à un autre avantage, la

popularité du souk “mondialement connu”.

Pour certains, l’existence de produits de

contrebande à bas prix, dont ils estiment la

part à 20 % des produits commercialisés,

n'est pas l'avantage principal. Ce dernier ré-

side essentiellement dans l’économie et les

effets d’agglomération, qui en font un pôle

attractif, un lieu de regroupement des diffé-

rentes activités.

À la “Jouteya”, l'avantage se situe aussi

dans l’existence d’un espace d’informalité

(absence de certaines charges fiscales, pro-

duits). D'après la grande majorité des tenan-

ciers, les prix y sont 15% inférieurs à ceux du

secteur formel de l’économie

(ex : Maroc Telecom).

Une demande irrégulière

La demande est fluctuante et cyclique.

Dans certaines activités, les périodes de

haute saison sont l’été, la rentrée scolaire,

de même que les fins de semaine (ex: com-

merce et réparation en informatique, opti-

que). Pour la plupart des commerçants, les

pics d'activité se situent en début de mois.

C'est en effet à cette période que la clientèle,

des fonctionnaires essentiellement, dispose

de liquidités. En revanche pour de nombreux

tenanciers, les périodes de ralentissement

sont les fêtes religieuses et le Ramadan.

Un éventail de modalités de paiement

Selon l’assise financière de chaque acti-

vité et son type de clientèle, les modalités

Les modes de paiementdiffèrent selon l'assise

financière et le typede clientèle.

RÉALITÉS DE L’ÉCONOMIE INFORMELLEÉTUDEPILOTEÀDERBGHALLEF

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RÉALITÉS DE L’ÉCONOMIE INFORMELLEÉTUDEPILOTEÀDERBGHALLEF

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Page 9: Realites de l'économie informelle etude pilote

les activités accompagnant l’évolution des

goûts ou dans les produits pour lesquels les

débouchés ne connaissent pas encore de sa-

turation. C’est le cas de tous ceux, ancienne-

ment vendeurs de produits alimentaires ou

de chaussures, qui se sont dirigés vers l’élec-

tronique et l’informatique. Une autre ma-

n i è r e d e fa i r e fa c e e s t l e c o m m e r c e

multi-activités. Cette pratique simultanée

permet de gagner de l’espace, si précieux.

Par exemple, un commerce de prêt-à-porter

peut disposer d’une vitrine de vente de télé-

phones portables.

La formalisation, une issue ?

La plupart ne voient d’intérêt à la formalisa-

tion que dans l’aménagement du Souk: les ruel-

les, l ’ infrastructure, l ’organisation des

encombrements et des débordements occasion-

nés par les vendeurs ambulants, la dalle et

l’électricité. Ils demandent aux autorités locales

de jouer leur rôle à ce niveau, rien de plus.

La demande de regroupement par activité

(ex : associations) est plus le fait de métiers

évolutifs (ex : électronique, commerce de télé-

phones portables). Il existe, de leur part, une

demande de gouvernance qui va même

jusqu’à la proposition de formes d’auto-orga-

nisation pour la défense des intérêts de la pro-

fession et l’organisation des métiers en terme

de regroupement. Ces catégories peuvent

percevoir l’intérêt d’un début de processus de

formalisation.

L’accès aux marchés, l’appui de l’État, comme

mesure d’accompagnement au niveau de la

commercialisation, tout comme le changement

de quartier, ne sont pas cités comme solutions

possibles. D’une manière générale, l’espace

d’informalité dont certains tirent avantage n'est

pas remis en cause.

Pour les grossistes, le paiement peut aussi se

réaliser par virement bancaire ou par “la mise à

disposition” à la réception de la marchandise

par le client. Cette pratique est appréciée en rai-

son de la rapidité de la procédure. Elle n’en de-

meure pas moins risquée.

D’autres formules de commercialisation

existent, tel que l’échange de marchandises

entre pairs en cas de rupture de stock.

Une commercialisationcontraignante

En dépit des avantages que procure la “Jou-

teya” en terme de commercialisation, les tenan-

ciers font état de nombreuses difficultés. Si

certaines sont similaires pour tous (ex : encombre-

ment, manque d’infrastructures), d’autres varient

d’un métier à l’autre. La grande majorité des activi-

tés évolutives (ex: électronique, informatique,

ameublement, luminaire…) souffre de la concur-

rence interne aux activités. Une concurrence livrée

par des unités similaires, les “casseurs de prix” et

en relation avec la démultiplication des unités qui

s’accompagne souvent d’une baisse des prix, “al-

lant parfois jusqu’à vendre à perte”.

Les difficultés sont aussi liées à la qualité des

produits qui peut se révéler défectueuse (ex :

électronique). En l’absence de garantie, la répa-

ration ou la vente en dessous du prix réel ou à

perte constitue une contrainte supplémentaire.

De ce point de vue, ces catégories ressentent les

inconvénients de l’informalité.

Des solutions à foisonLes solutions perçues et retenues sont va-

riables d’une activité à l’autre. Certains ten-

tent de s’adapter d’une manière plus ou

moins efficace : ils se reconvertissent dans

À leur sens, seull'aménagement du souka de l'intérêt et lui seul

justifierait une interventionde l'Etat.

“La semaine dernière, une femmem’a vendu trois téléphones à 3000DH chacun. Dès qu’elle a disparu,je me suis rendu compte qu’ils nefonctionnaient pas. Donc, j’ai perdu9000 DH… Je n’ai aucun recours”.

Grossiste en téléphones, 26 ans.

RÉALITÉS DE L’ÉCONOMIE INFORMELLEÉTUDEPILOTEÀDERBGHALLEF

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RÉALITÉS DE L’ÉCONOMIE INFORMELLEÉTUDEPILOTEÀDERBGHALLEF

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Page 10: Realites de l'économie informelle etude pilote

La valse des revenus incertains

De manière générale, le revenu des loca-

taires de la “Jouteya” est un sujet sensible,

particulièrement pour ceux opérant dans les

produits de contrebande. De surcroît, il est

difficile pour eux de l’estimer correctement,

pour plusieurs raisons : absence de compta-

bilité, confusion entre caisse de l’entreprise

et celle de la famille, entre recettes et bénéfi-

ces pour certains et surtout irrégularité des

recettes. Les quelques données relevées le

sont à titre indicatif et sujettes à caution.

Lorsque l'on interroge les tenanciers à pro-

pos de leurs revenus journaliers, la réponse

avancée est souvent la même :

“C’est une question de ‘arzaq’” (provi-

dence). À titre d’exemple, et selon nos les dé-

clarations des interviewés, la fourchette

varie entre 200 et 500 DH par jour… “Et par-

fois, rien”, selon un fripier.

Pour les vendeurs de produits alimentaires, la

marge se situerait entre 200 et 300 DH par jour,

tout en estimant que les ventes connaissent une

baisse constante, en raison du tarissement des

circuits de contrebande. Les revenus quotidiens

des vendeurs de chaussures sont estimés à

5000 DH par mois, en période de forte activité,

et à la moitié en temps de marasme. Pour les

vendeurs d’accessoires de voiture, la marge de

gain varierait entre 30 et 50 %.

Une concurrence très diversifiéeL’acuité de la concurrence est différem-

ment ressentie selon les activités. Certains

métiers ne perçoivent ou ne subissent au-

cune forme de rivalité. Il s’agit des activités

de survie, à faible potentiel (ex: vêtements

d’occasion, bouquinistes) et de celles opé-

rant en situation de monopole.

La concurrence est essentiellement interne :

sévissant au sein même de la “Jouteya”, elle

est révélatrice de la démultiplication d’unités

de même type.

Par ailleurs, certains tenanciers se plaignent

de la concurrence des produits importés de

Chine (ex: ameublement de bureau, électroni-

que). Deux problèmes sont évoqués: la ten-

dance baissière des prix et la qualité des

produits. Les commerces d’ameublement consti-

tuent les principales victimes des “casseurs” chi-

nois. Quant aux grandes unités structurées,

elles ne sont pas une menace; en raison des

prix pratiqués, souvent inférieurs à ceux du sec-

teur formel.

La contrefaçon, qu’elle soit le fait d’unités

plus informelles ou de produits provenant de

Chine, constitue aussi une source de concur-

rence. C’est le cas notamment des vêtements

pour hommes importés.

Dans un contexte où les innovations rapides

peuvent s’accompagner d’une chute des prix,

d’un risque de mévente que les tenanciers esti-

ment ne pas maîtriser, le commerce des télé-

phones portables subit la concurrence de Me-

ditel et de Maroc Telecom. Dans le même

secteur (ex : télé, chaînes hi-fi), les grandes

surfaces (ex: Makro, Marjane…), dont les prix

sur le marché national ont connu une large

tendance à la baisse, se posent, selon nos in-

formateurs, en concurrents sérieux.

Les baromètres des prix

Cette “concurrence” explique les prix fluc-

tuants au sein des différentes unités. À titre

d’exemple, dans le commerce de l’informati-

que et de l’électronique, la concurrence et la

proximité font qu'il est difficile de fixer des

prix supérieurs aux autres sans risque de

mévente.

Les prix dépendent de plusieurs facteurs :

- La concurrence que se livrent les activités de

commerce induit souvent des stratégies indivi-

duelles. Celles-ci se résument à des attitudes de

type “Khouk fal harfa âdouk”. (Ton confrère

dans la profession est ton ennemi) ;

- Les pratiques de marchandage sont for-

tement répandues ;

- Toutes les activités font référence à la qualité

du produit dans la fixation des prix. Certains in-

criminent l’inondation du marché par les pro-

duits chinois à bas prix, tout en considérant que

la mauvaise qualité du produit ne les rend pas

compétitifs.

- Le non-respect de certaines réglementations

fiscales et la nature “grossiste” ou “privée” de la

clientèle influencent les prix.

RÉALITÉS DE L’ÉCONOMIE INFORMELLEÉTUDEPILOTEÀDERBGHALLEF

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RÉALITÉS DE L’ÉCONOMIE INFORMELLEÉTUDEPILOTEÀDERBGHALLEF

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Page 11: Realites de l'économie informelle etude pilote

Un approvisionnement à mi-cheminentre formel et informel

L’hétérogénéité des unités se traduit par

des modalités d’approvisionnement diffé-

rentes. L’analyse des réseaux de vente per-

met de corroborer un postulat : la “Jouteya”

procure des avantages particuliers. Elle ré-

vèle aussi les interpénétrations entre formel

et informel.

Pour la quasi-totalité, les fournisseurs sont

localisés à l’extérieur du site. Plusieurs mo-

dalités et réseaux d’approvisionnement, mo-

bilisant parfois les migrants, existent. Les

commerces d’appareils électroniques ou in-

formatiques, d’alimentaire, de pneumati-

ques cumulent les différentes sources

formelles et informelles.

Pour nombre de commerçants en ameu-

blement, l’approvisionnement s’effectue au-

près des gross istes du secteur formel

uniquement. Par contre, le recours aux ré-

seaux informels est de mise dans les com-

merces de chaussures, de prêt-à-porter de

marque et de jeux électroniques.

Dans le cas des commerçants réparateurs

d’articles informatiques et électroniques,

deux modalités dominantes ont été distin-

guées. L’approvisionnement se fait auprès de

fournisseurs formels, à partir de marchandi-

ses provenant du secteur moderne, de l’éco-

nomie et des grandes entreprises (ex : Maroc

Telecom), ou auprès de grossistes reven-

deurs de Garage Allal, Derb Omar, en prove-

nance de Chine et d’Europe. Là encore, les

secteurs formel et informel sont imbriqués.

L’importance du réseau personnel

L’approvisionnement en pièces et appa-

reils provient aussi de réseaux de migrants et

de connaissances personnelles, jouant un

rôle actif. Il s’agit parfois de fournisseurs indi-

viduels, localisés à l’étranger.

Dans le commerce de téléphones porta-

bles, outre les deux sources citées (secteur

formel et circuit informel), une troisième

modalité fait appel au réseau de proximité

entre commerçants au sein même de la

“Jouteya”, mais celle-ci ne semble pas

dominante.

Pour la vente de produits alimentaires,

l’approvisionnement s’effectue dans le Nord

du pays où les jeunes et les femmes jouent

un rôle capital, comme maillons du réseau

de contrebande. Toutefois, face aux difficul-

tés d’accès aux marchés extérieurs, l’appro-

visionnement sur le marché local, constitue

une solution de repli. Comme dans d’autres

activités, les achats groupés sont une prati-

que courante.

Certains se fournissent directement auprès du

secteur formel de l’économie. Les réparateurs

de groupes électrogènes s’adressent notam-

ment à Honda pour les pièces détachées. Même

RÉALITÉS DE L’ÉCONOMIE INFORMELLEÉTUDEPILOTEÀDERBGHALLEF

RÉALITÉS DE L’ÉCONOMIE INFORMELLEÉTUDEPILOTEÀDERBGHALLEF

20 21

démarche pour les commerces de matériel de

bureau et de meubles, de luminaires, s'approvi-

sionnant auprès des grossistes importateurs de

produits en provenance de Malaisie, d’Italie, de

Belgique et de Chine.

Enfin, les vendeurs de vêtements de mar-

que, se fournissent à l’étranger, dans le Nord

du Maroc ou auprès de grossistes locaux im-

plantés à Casablanca. Le rayonnement de

ces réseaux semble dépasser les frontières

nationales et opérer en Algérie, en Tunisie et

en Libye. La livraison s’effectue sans intermé-

diaire et le règlement en espèces et en devi-

ses étrangères, l’usage du chèque n’ayant

pas cours.

Il est important de souligner l'importance des

réseaux de connaissances personnelles, très ac-

tifs en matière d’approvisionnement.

Approvisionnement, des obstacles multiples

Variables selon l’activité, les tenanciers

rencontrent diverses difficultés pour se four-

nir. Les grossistes déclarent subir les contrô-

les douaniers, “allant jusqu’à perdre dans

certains cas leur marchandise”.

Pour d’autres, le problème réside au ni-

veau du prix des matières premières (ex : le

bois et le fer pour l’ameublement). Leur

cherté rend les produits locaux peu compéti-

tifs face à d’autres, importés de Chine, pour-

tant de moindre qualité. À titre d’exemple,

un bureau fabriqué au Maroc coûte 6000

DH, son équivalent importé d’Asie vaut entre

2500 et 3500 DH.

Pour ceux dépendant des marchés exté-

rieurs et des réseaux informels, comme les

commerçants d’alimentaire, de vêtements

de luxe ou d’occasion, la principale difficulté

est celle de la rupture de stock ou/et de la ra-

réfaction de la marchandise liée au “contrôle

des voies d’approvisionnement”.

Pour y faire face, certains adoptent des straté-

gies de contournement de la réglementation:

les importateurs de vêtements retirent les éti-

quettes ou changent le nom des marques afin

de ne payer aucune taxe.

Pour éviter les ruptures de stock et fidéliser

la clientèle, les tenanciers empruntent chez

d’autres commerçants le produit leur faisant

défaut moyennant une marge bénéficiaire, et

remboursent dans la journée même. Enfin,

face à l’insuffisance de liquidités, certains se

voient accorder des facilités par paiement

échelonné, dans l’attente de la vente, ou en

versant une avance.

Un financement précaire des activitésDes modes de financement endogènes

À la “Jouteya”, le financement des activités

s’appuie essentiellement sur des pratiques en-

dogènes et relève d’un phénomène local. Les re-

lations avec les institutions bancaires étant

faibles, quelle que soit l’importance de l’activité,

ces modes de financement semblent adaptés

Page 12: Realites de l'économie informelle etude pilote

aux pratiques du milieu. Mais ceci n’exclut pas

des interpénétrations entre systèmes de finan-

cement officiel et non officiel.

Cette pratique demeure dominante dans

le cadre du fonctionnement de l’unité, quel-

les qu’en soient l’activité et la taille. Cer-

tains entrepreneurs préfèrent “compter sur

leurs propres forces”, ou “ne veulent pas

courir le risque de l’endettement”, alors que

d’autres voient en l’autofinancement “un

moyen licite”.

En cas d’absence de liquidités, des mécanis-

mes d’adaptation se mettent en place. Des “as-

sociations” informelles immédiates se nouent

pour l’achat de marchandises.

Originalité de ces pratiques, elles ne s’ap-

puient sur aucun contrat écrit. Seuls les rap-

por ts de confiance et de proximité les

organisent. Très courantes, elles prennent

des formes reposant sur le partage des gains

mais aussi sur la division des risques et des

tâches. Parfois, elles se concluent entre per-

sonnes aux qualifications complémentaires.

Le “talq”, un procédé répandu

Le “talq” est une pratique très courante

dans la quasi-totalité des activités et consti-

RÉALITÉS DE L’ÉCONOMIE INFORMELLEÉTUDEPILOTEÀDERBGHALLEF

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RÉALITÉS DE L’ÉCONOMIE INFORMELLEÉTUDEPILOTEÀDERBGHALLEF

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tue même le fait d’usines structurées entre-

tenant des relations avec certains reven-

deurs (ex : matériel informatique).

À l’exception des métiers liés aux réseaux

de contrebande, dont le recours est quasi

inexistant en raison des risques liés à la sai-

sie de la marchandise par la douane, le

“talq” semble constituer pour beaucoup une

alternative au manque de liquidités et à l’ab-

sence de financement bancaire.

Ce procédé de financement de type com-

mercial existe dans la plupart des activités

n'ayant pas les moyens de constituer des

stocks. Il trouve sens dans les relations parte-

naires commerçants/fournisseur.

Ce dernier accepte de n’être réglé qu’ulté-

rieurement, pour avoir plus de chances de

vendre à nouveau.

Adapté au caractère instable des activités,

souple au niveau des délais de rembourse-

ment, le “talq” est facile d’accès et n’exige

aucune procédure. Ce système n’aurait pas

été aussi sollicité sans la force des relations

personnelles, des critères de confiance et de

moralité des bénéficiaires, dans une écono-

mie de proximité.

Le crédit personnel en guise de solidarité

semble inexistant. Les formules de type ton-

tine n’interviennent pas non plus comme

sources de financement, vraisemblablement

en raison de l’affaiblissement des liens de so-

lidarité. L’auto-organisation de type “Daret”,

comme alternative de financement, est,

selon nos informateurs, inexistante.

Une perception négative du financement

bancaire

La plupart des tenanciers n’ont pas recours au

financement bancaire, y compris dans les activi-

tés disposant de capacités financières (ex : com-

merce et réparation de produits informatiques,

téléphones, paraboles, Internet).

L’appel au crédit bancaire n’a lieu que très

rarement, en cas de présence sur le marché de

produits compétitifs en termes de qualité et de

prix alors que les liquidités sont indisponibles. La

relation avec le système officiel est également

nécessaire quand il s’agit de recouvrir ou d’en-

caisser un chèque de garantie. La cohabitation

des modes formel et informel de financement

est donc présente.

Dans le milieu, prévaut une perception néga-

tive à l’égard des prêts bancaires et nombre

d’activités n’envisagent pas d’y recourir dans

l’avenir. Plusieurs arguments sont avancés, la

majorité fait référence aux interdits religieux.

D’autres ne veulent tout simplement pas

l'utiliser : soit parce qu’ils n’en ressentent pas

le besoin, compte tenu de l’échelle restreinte

de leur activité; soit parce qu’ils se perçoivent

comme non structurés et ont conscience que

les banques ne peuvent s’adresser à des pro-

fils comme les leurs ; soit enfin parce qu’ils ne

veulent compter que sur leurs propres moyens

Page 13: Realites de l'économie informelle etude pilote

et ne pas “dépasser leurs limites”. Dans cer-

tains cas, l’endettement est perçu comme une

aventure périlleuse, en raison des échéances

contraignantes.

Seuls quelques “sociétaires” perçoivent

l’intérêt du financement bancaire, dans une

perspective de formalisation et de passage à

une échelle supérieure; mais ils n’en discer-

nent pas l'utilité dans leur situation actuelle.

Plus rarement, certains interlocuteurs dé-

noncent des garanties trop lourdes, et la lon-

gueur des procédures. Pour eux, le système

bancaire privilégie les grandes entreprises.

Interrogés sur leurs intentions à venir et les

conditions pour y recourir, les tenanciers

adoptent des positions de fermeture, pour la

plupart et pour les moins bien lotis en particu-

lier. Ceux, très rares, manifestant des attitudes

d’ouverture, conditionnent leur adhésion à la

mise en place de banques islamiques, ne pra-

tiquant pas les taux d’intérêt. Leur rattache-

ment est aussi déterminé par la baisse des

taux d’intérêt ou encore par la reconsidéra-

tion des échéances de remboursement.

Des salaires fluctuants,une main-d’œuvre instable

Les unités de la “Jouteya” se caractérisent

par une faiblesse numérique de la main

d'œuvre, dont l'origine est à prédominance

familiale. Selon le recensement réalisé par

le HCP, le nombre moyen d’emplois est de

2,3 personnes. Les activités concentrant le

plus de main-d’œuvre sont la friperie (12 %

de la main-d’œuvre totale), la vente et la ré-

paration d’appareils électroniques (10 %),

les vendeurs d’ameublement (10 %) et les

vendeurs de vêtements (9 %).

Un système précaire pour les travailleurs

Le statut des travailleurs est souvent am-

bigu et mal défini. Le salariat au sens classi-

que (stabilisé, payé au mois, bénéficiaire des

organismes socialisés) n’a pas cours. Dans

les activités à faible capacité financière,

l’auto-emploi, avec le concours d’un ou plu-

sieurs associés (ou d’un apprenti) et la main-

d’œuvre familiale, prédomine. Il peut aussi

se présenter sous forme d’associations diver-

ses, complexes, hybrides entre personnes

travaillant côte à côte, entre gérant et pro-

priétaire ou locataire.

Les associations ont un statut assez parti-

culier et ne se nouent pas sur une base

contractuelle formelle. Elles ne se forment

pas uniquement sur la base d’un apport de

capital, mais aussi sur des qualifications

complémentaires. Cette formule se retrouve

dans les commerces d’informatique, de télé-

phones portables où un réparateur s’associe

à un commerçant moyennant un pourcen-

tage sur la réparation.

Dans d’autres cas, un associé/assistant peut

déposer sa propre marchandise dans le local du

propriétaire, auquel il versera un pourcentage.

RÉALITÉS DE L’ÉCONOMIE INFORMELLEÉTUDEPILOTEÀDERBGHALLEF

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RÉALITÉS DE L’ÉCONOMIE INFORMELLEÉTUDEPILOTEÀDERBGHALLEF

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La plupart des employés sont apprentis ou

l’ont été avant de travailler avec le statut de

salariés à la semaine, ou à la journée. Dans

certains cas, le salarié est un gérant secon-

dant le patron, pendant que ce dernier pros-

pecte les marchés et les fournisseurs.

L’instabilité de la main-d’œuvre semble

être la règle dans un espace où le contrat de

travail est inexistant. Le patron dispose donc

d'une entière liberté de licencier en cas d’in-

satisfaction et l’ouvrier peut quitter son em-

ployeur quand il le désire.

La main-d’œuvre, quel que soit son statut, est

dans la plupart des cas d’essence familiale (ex:

serrurerie, vente d’accessoires de voiture, ali-

mentaire, téléphonie portable). À l’opposé du

comportement classique qui voudrait

dissocier les relations marchandes (exer-

cées sur le lieu de travail) des liens fami-

liaux, les unités sont “encastrées” dans

les unités domestiques.

Les principales zones pourvoyeuses

de la “Jouteya” en main-d’œuvre sont

Doukkala, les régions de Marrakech et

d’Agadir. Les personnes originaires de

Casablanca sont peu nombreuses,

mais tout dépend du secteur d’activité.

Certains employés sont rétribués à la

commission ou au pourcentage sur les

ventes. Cette modalité se prête aux com-

merces disposant d’une assise finan-

cière, quelle que soit leur nature (ex:

vente de vêtements de luxe, téléphones

portables). À titre d’exemple, le montant de la

rémunération des gérants de cette dernière ac-

tivité s’élève à 6.000 DH. D’autres personnes

perçoivent entre 3000 et 4000 DH, selon leur

pourcentage sur les ventes. Dans la vente de té-

léphones portables, le niveau de rémunération

est standard: 50 % sur les ventes réalisées.

Les moins bien lotis sont payés à la semaine,

chaque week-end. Dans certains cas, des avanta-

ges en nature, tels que les repas ou les frais de

transport, sont accordés. Dans l’alimentaire, le

montant de la rémunération est de 1200 DH par

mois, plus 10 DH chaque jour pour les repas.

Il faut aussi souligner que la main-d’œuvre

familiale, quand elle n’est pas associée, est fai-

blement rémunérée.

Page 14: Realites de l'économie informelle etude pilote

Impôts, taxes, réglementation…,pas si informels que ça!

Tout comme pour les revenus, la fiscalité s’est

révélée être une question très sensible. Selon le

recensement du HCP, la part d’unités inscrites à

la patente ne dépasse pas les 51 %.

Patentes et registres de commerce,

les plus respectés

Parmi les différents impôts, c’est la patente

qui touche le plus grand nombre d’unités.

Ceci se comprend aisément ; son paie-

ment étant forcément lié à l’enregistrement

et demeurant une condition de l’exercice de

l’activité. Parmi les unités enquêtées, la

quasi-totalité des interviewés déclare y être

enregistrée et s’acquitter de cet impôt.

En somme, la majorité des unités n’échap-

perait pas à la connaissance des autorités et

serait inscrite dans les registres.

Il faut tout de même noter que certaines caté-

gories disposant uniquement de vitrines décla-

rent ne pas s’acquitter de cet impôt. N’ayant pas

de local, elles ne se sentent pas concernées.

Selon les tenanciers, toutes les activités rè-

glent la patente à l’exception de celles créées

à la fin des années 1990.

Le montant des patentes, établi sur une

base forfaitaire, varie selon les activités. À ti-

tre d’exemple les commerces de produits ali-

mentaires payent 1000 DH annuels de frais

de patente, les commerces de jouets 500 DH

par an, les commerces d’accessoires de voi-

ture 1200 DH par an.

L’inscription au registre du commerce sem-

ble toucher moins d’unités que la patente,

mais la plupart des activités de commerce

(ex : électronique, informatique, téléphonie,

accessoires de voiture, meubles et ameuble-

ment de bureau, luminaire, vêtements de

luxe, groupes électrogènes, friperie) y se-

raient enregistrées et n’échapperaient pas

au contrôle de l’État.

Qui paie l’IGR, la TVA

et les taxes communales ?

Si les tenanciers d’activités évolutives décla-

rent s’acquitter également de l’IGR (ex : élec-

t ronique, vêtements de luxe, groupes

électrogènes), cette réglementation semble

beaucoup moins respectée que les autres. À ti-

tre d’exemple, des commerçants de vêtements

d’occasion et d’optique ne la payent pas.

En revanche, aucune activité ne s’acquitte

de la TVA. Il en est de même des taxes loca-

les qui, autrefois semblaient être respectées

et ne le sont plus par certains aujourd'hui.

Par ailleurs, les tenanciers s'acquittent des

charges d’entretien, de gardiennage (20

DH), d’électricité et d’eau. Par contre, l’im-

pôt communal sur “la bâche” n’est payé par

aucune activité. Certains déclarent ne plus

recevoir la taxe de la commune.

RÉALITÉS DE L’ÉCONOMIE INFORMELLEÉTUDEPILOTEÀDERBGHALLEF

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RÉALITÉS DE L’ÉCONOMIE INFORMELLEÉTUDEPILOTEÀDERBGHALLEF

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Page 15: Realites de l'économie informelle etude pilote

positions à s’acquitter des différentes contri-

butions, “si tout le monde le fait”.

L’endettement auprès des services des im-

pôts et le poids de la fiscalité demeurent chez

certains une contrainte de non-paiement.

D’autres interlocuteurs, tout en s’acquit-

tant des obligations fiscales, estiment le

montant des impôts élevé.

De plus, la plupart de ceux ne remplissant

pas leurs devoirs fiscaux invoquent le trans-

fert du souk et le caractère provisoire de leur

situation.

Enfin, il ne faut pas omettre que, dans un

contexte économique et social marqué à la

fois par la rigidité de la réglementation

(contrainte) et par la passivité de l’État, qui

Des relations mitigées avec le fisc

Interrogés au sujet de la nature de leurs

relations avec le fisc, la plupart des intervie-

wés les qualifie de bonnes et cordiales. Tou-

tefois, malgré les facilités de paiement

accordées, nombre d'entre eux se plaignent

de la lourdeur de l’impôt.

Concernant la patente, nombre de chefs

d’unité l’estiment injuste, non en raison de

son existence, mais quant à son mode de

calcul s'appuyant sur la valeur locative des

locaux et du matériel au montant forfaitaire,

sans égard pour les résultats économiques

réels de l’unité. Il est évident qu’en période

de crise ce système est mal accepté. Il l’est

d’autant plus que les “sociétaires” de la

“Jouteya” voient mal la contrepartie de leur

contribution.

Des motifs de non-acquittement

divers et paradoxaux

Certains ne se sentent pas concernés par

la fiscalité (ex : registre du commerce, TVA),

ni par le paiement des impôts sur le revenu.

Pour eux, seules les activités disposant de lo-

caux “en briques” ou les grandes entreprises

structurées sont visées. C’est le cas des pro-

priétaires de vitrines de téléphones porta-

bles, qui associent le paiement de l’impôt à

leur arrêt de mort, “si je paie l’impôt, il ne

me restera rien”.

Quelques interviewés manifestent toute-

fois des attitudes d’ouverture et des prédis-

RÉALITÉS DE L’ÉCONOMIE INFORMELLEÉTUDEPILOTEÀDERBGHALLEF

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RÉALITÉS DE L’ÉCONOMIE INFORMELLEÉTUDEPILOTEÀDERBGHALLEF

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“J’ai déposé une plainte. Maintenant,je paie 4000 DH pour l’IGR et avec lapatente cela fait presque 6500 DH.Les trois millions (de centimes) queje dois à la direction des impôts sontla cause d'un retard de paiement,je n’avais pas de liquidités.”

Commerçant en ameublement, 64 ans.

“Pour que ce soit plus juste, ilfaudrait imposer sur la base d’unbilan et d’une comptabilité.”

Vendeur de chaussures, 35 ans.

“Il faut leur graisser la patte, etmême avec ça, ça ne marche pas, ilsne font que nous envoyer des avis.”

Bouquiniste, 66 ans.

“Au départ, on payait 2500 DH,aujourd’hui on verse entre 7000et 8000 DH, c’est plus du double.La plupart des gens ne paient pas,parce que c’est trop cher !”.

Vendeur de chaussures, 35 ans.

Page 16: Realites de l'économie informelle etude pilote

plus aptes à faire face à la fiscalité. Tout en se

percevant dans la légalité totale, ils estiment

ne pouvoir régler que la patente et l’IGR.

Invités à donner leur avis sur la contrepar-

tie attendue d’une situation plus légale, les

tenanciers évoquent surtout le problème de

la dalle et de l’accès à l’électricité, des équi-

pements sanitaires, de l’assainissement, de

la réfection des allées… Rares sont ceux sou-

levant la question de l’amélioration de l’envi-

ronnement économique et commercial, de

l’appui de l‘État en matière de débouchés…,

qui supposeraient le passage à une échelle

supérieure vers le formel.

Cer tains préconisent tout de même

d’abaisser les charges fiscales.

En conclusion, l’approche de l’aspect régle-

mentaire montre qu’en général, l’informa-

l i té est à re lat iv i ser. Les un i tés de la

“Jouteya”ne se caractérisent pas par une ab-

sence totale de respect du cadre réglemen-

taire fiscal.

Certains impôts paraissent acquittés, d’au-

tres moins ou pas du tout, mais la majorité

des tenanciers semble connue des pouvoirs

publics.

Ces activités n’échapperaient donc pas to-

talement au contrôle des services étatiques

et ne fonctionneraient pas complètement en

marge de la légalité. �

se traduit par un faible degré de contrôle sur

les institutions, les agents économiques sont

poussés à chercher des rentes (économiques

ou administratives).

En d’autres termes, il existe une dynami-

que de tolérance et de répression fonction-

nant selon la conjoncture et se manifestant

par des opérations “coups de poing”.

Des actions s'alternant avec des périodes

de tolérance, pour des activités qui jouent

un rôle de régulateur du chômage des jeu-

nes (et de plus en plus de diplômés), et pro-

curent des revenus que l’État a de plus en

plus de difficultés à créer.

Vers plus de “légalité”?Les réponses relatives aux actions à mener

pour organiser le souk convergent, pour une

très grande majorité, vers une diminution

des impôts.

Argument principal avancé, certains te-

nanciers sont dans une précarité extrême

leur permettant difficilement un niveau

d’imposition élevé.

L’absence de propriété du local et les statuts

ambigus entravant la structuration et la tenue

d’une comptabilité sont aussi évoqués.

Toutefois, la grande majorité ne se perçoit

pas dans une situation d’illégalité, à partir

du moment où elle s’acquitte de ses obliga-

tions fiscales même partiellement.

Les avantages de l’enregistrementSelon les tenanciers, l’enregistrement pro-

cure de nombreux avantages. Pour certaines

catégories, cela impliquerait une disparition

d’entraves administratives au niveau de l’ap-

provisionnement en particulier.

Ceux-ci perçoivent l’intérêt d'une situation

plus légale, même s’ils n’y adhèrent pas

totalement.

Le deuxième avantage serait de faire face

au caractère injuste de la fiscalité calculée

sur une base forfaitaire. Dans nombre d’acti-

vités, en l’absence de comptabilité, le régime

du forfait fiscal prévaut : les avantages de la

tenue d’une comptabilité apparaissent dès

lors clairement.

Certains, tout en considérant leur activité

comme florissante, perçoivent l’intérêt

d’une situation plus organisée et plus légale

pour exercer leur activité, dans un meilleur

environnement économique et commercial.

Prédispositions et contreparties

de la fiscalité

Interrogés sur leur capacité à faire face à

leurs obligations fiscales, les interviewés

montrent des dispositions variables selon

leur degré de structuration et leur potentiel

financier. Les activités à faible assise pour-

raient à peine s’acquitter de la patente.

En revanche, les tenanciers d'activités

ayant une assise financière plus large sont

RÉALITÉS DE L’ÉCONOMIE INFORMELLEÉTUDEPILOTEÀDERBGHALLEF

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RÉALITÉS DE L’ÉCONOMIE INFORMELLEÉTUDE PILOTE À DERB GHALLEF

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“Le souk n’est pas reconnu et il y abeaucoup de gens qui ne paient pas.Les gens du fisc sont venus ici pourenregistrer les gens, mais ils ontconstaté que le souk était vulnérable.”

Fripier, 46 ans.

“Le Makhzen ne peut pas nous léser.Tu es dans ton magasin, tu as unnuméro et tu paies tes impôts… Toutceci nous rassure quelque part.”

Vendeur de produits électroniques, 40 ans.

“Les commerçants ayant unecomptabilité bénéficient de plusieursavantages. Pour nous qui n’en avonspas, nous payons ce qu’on nous fixe,c’est tout. ”

Vendeur de produits électroniques, 40 ans.

“Je me suis enregistré par la forcedes choses, j’avais besoin de fairedes papiers.”

Fripier, 46 ans.

“Quand tu t’acquittes de tesobligations, tu es tranquille ettu peux réclamer à voix haute.”

Marchand de vêtements de luxe, 29 ans.

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