Rapport du Centre d'Analyse Stratégique : "Pour une consommation durable" (2011)

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www.strategie.gouv.fr Centre d’analyse stratégique Rapport de la mission présidée par Elisabeth Laville Pour une consommation durable > RAPPORTS & DOCUMENTS Janvier 2011 Développement durable

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Vincent Chriqui, le Directeur Général du Centre d’Analyse Stratégique, et Elisabeth Laville, la Fondatrice d’Utopies et de l’agence spécialisée en consommation durable Graines de Changement, ont remis le 28 janvier 2011 à Nathalie Kosciusko-Morizet, Ministre de l’Écologie, du Développement durable, des Transports et du Logement, le Rapport de la mission présidée par Elisabeth Laville, « Pour une consommation durable – 25 propositions pour une politique concrète ». Ce rapport donne des recommandations afin que les politiques publiques orientent efficacement les modes de consommation à l’horizon 2030. Il apporte également des réponses quant à l’équilibre à adopter entre le « consommer mieux » et le « consommer moins ».

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  • 1. www.strategie.gouv.fr Centre danalyse stratgique Rapport de la mission prside par Elisabeth Laville Pour une consommation durable > RAPPORTS &DOCUMENTSJanvier 2011 Dveloppement durable

2. Pour une consommation durable Prsidente lisabeth Laville Rapporteurs Blandine Barreau Caroline Le Moign Coordinateur Dominique Auverlot Janvier 2011 3. Centre danalyse stratgique Janvier 2011 www.strategie.gouv.fr - 3 - Avant-propos Le dveloppement durable nest plus affaire de spcialistes : la prservation de la biodiversit, la lutte contre le changement climatique, laccs leau potable constituent dsormais des proccupations partages par lopinion publique mondiale. Jusqu prsent, laction des gouvernements a essentielle- ment pris la forme de politiques visant verdir lappareil productif. Lcoconception et les modes de production fonds sur un meilleur usage des ressources ont ainsi t encourags. Il faut pourtant se rendre lvidence : le progrs technique ne suffira pas rsoudre les problmes environnementaux auxquels nous sommes confronts. Selon lAgence internationale de lnergie, il ne reprsentera que la moiti de leffort ncessaire pour atteindre nos objectifs de rduction des missions de gaz effet de serre. Pour aller plus loin, nous devrons galement modifier nos comportements. Cest dautant plus vrai que les politiques faisant le choix de la production durable voient leurs rsultats gnralement compromis par leffet rebond : les gains techniques entranent une baisse des prix des biens et services qui nous incite consommer davantage. Ainsi, la rduction de lintensit nergtique dans llectromnager a t largement annule par la hausse du taux dquipement. Dans le secteur automobile, malgr la baisse de consommation unitaire des vhicules, les missions de CO2 dues au transport ont continu de crotre, en raison de la hausse du taux dquipement des mnages plus de 80 % avaient au moins une voiture en 2005, contre 60 % en 1973 et dune inflation des distances parcourues. Seuls trois pays de lOCDE ont pour lheure chang dapproche et mis en place une vritable politique nationale de consommation durable. La Sude, le Royaume-Uni et la Finlande ont conu des plans daction pragmatiques, avec pour objectif premier de faire voluer le comportement du consommateur. Leurs politiques sappuient sur une vision de long terme et ciblent des secteurs conomiques et des catgories de populations identifis comme prioritaires. 4. Pour une consommation durable - Avant-propos - Centre danalyse stratgique Janvier 2011 www.strategie.gouv.fr - 4 - Elles nludent pas la difficult des dfis relever : les gouvernements sont conscients que la rorientation du modle conomique peut engendrer des gagnants et des perdants parmi les entreprises, et que ltat devra tenir compte de ces effets indirects. Afin de rduire le foss entre les bonnes intentions et les rflexes quotidiens des consommateurs, ces gouvernements pionniers nhsitent pas explorer de nouvelles formes de rgulation (marketing politique, incitations comportementales), intgrant les aspects psychologiques, sociaux, culturels, conomiques et cognitifs qui conditionnent les modes de consommation. Ils dploient en outre des processus participatifs destins associer le maximum de parties prenantes (mdias, institutions ducatives, producteurs et distributeurs), en commenant bien sr par les consommateurs eux-mmes. Les progrs accomplis sont constamment valus et publis. En France, les pouvoirs publics ont jusquici soutenu le dveloppement de loffre de produits verts , sans pour autant russir diffuser les pratiques de consom- mation durable au-del dun cercle restreint dinitis. Les Franais sont cependant de plus en plus nombreux vouloir adopter des comportements vertueux. Les consommacteurs , qui privilgient au moins occasionnellement les produits issus du commerce quitable, de lagriculture biologique ou de circuits de production rgionaux, reprsenteraient environ un cinquime de la population. Reste mettre en pratique, au quotidien, ces aspirations naissantes mieux acheter, mieux utiliser, mieux jeter , et les faire adopter par la majorit. La bataille est loin dtre gagne : les jeunes gnrations, qui sont pourtant les plus sensibilises aux enjeux du dveloppement durable, sont aussi les plus friandes d hyper- consommation et dachats ostentatoires, suscits par des dsirs sans cesse renouvels. Seule une politique nationale ddie pourra la fois soutenir les efforts en cours et vaincre les rsistances multiples, quelles soient comportementales, conomiques ou institutionnelles. Cette politique devra tre ambitieuse dans ses objectifs, et complmentaire des mesures destines rorienter lappareil productif. Ce rapport offre ainsi un ensemble de pistes pour permettre ltat, en sappuyant sur les avances du Grenelle de lenvironnement ainsi que sur les initiatives des collectivits territoriales, des entreprises et des citoyens, de sengager rsolument dans une politique de consommation durable. 5. Centre danalyse stratgique Janvier 2011 www.strategie.gouv.fr - 5 - Sommaire Vingt-cinq recommandations ...............................................................................7 Introduction..........................................................................................................13 Premire Partie tat des lieux .............................................................................................................17 1. Pour une politique de consommation durable.........................................................17 1.1. Une perspective historique..................................................................................17 1.2. Des tabous dpasser...................................................................................20 1.3. Un dfi relever...................................................................................................21 1.4. Vers une politique publique de la consommation durable ..................................29 2. Des intentions aux actes............................................................................................31 2.1. Une opportunit saisir : lmergence dune socit de services.......................31 2.2. Lclosion des pratiques responsables ...............................................................35 3. Un soutien ncessaire des pouvoirs publics loffre durable ...............................44 3.1. Encourager les dmarches de Responsabilit sociale des entreprises ...............45 3.2. Encadrer la profusion de labels ............................................................................49 3.3. Dvelopper la valorisation des dchets et lco-conception................................54 3.4. En finir avec le suremballage ................................................................................60 3.5. Favoriser les meilleures pratiques de lconomie de la fonctionnalit .................64 3.6. Soutenir une agriculture durable et comptitive...................................................69 4. Accompagner lvolution du consommateur ...........................................................74 4.1. Mettre en place des incitations conomiques cibles..........................................75 4.2. duquer et informer pour changer les modes de consommation ........................83 4.3. Utiliser le levier de la commande publique...........................................................90 4.4. Sappuyer sur les initiatives locales......................................................................95 5. ltranger, des politiques pionnires .....................................................................98 5.1. Des stratgies pragmatiques axes sur des objectifs environnementaux ...........99 5.2. Des politiques de long terme fondes sur ladoption de nouvelles valeurs .........99 5.3. Des approches par tapes concentres sur des domaines prioritaires .............101 5.4. Un recours un organisme coordonnateur et des processus participatifs.....103 5.5. Un souci constant dvaluer et de communiquer les progrs accomplis ..........103 5.6. Des politiques innovantes bases sur le comportement du consommateur......105 6. Pour une consommation durable - Sommaire - Centre danalyse stratgique Janvier 2011 www.strategie.gouv.fr - 6 - Deuxime Partie Quelle consommation lhorizon 2030 ?..................................................109 1. La socit franaise et les dfis de la consommation durable ............................109 2. Cinq scnarios possibles.........................................................................................112 2.1. Approche macroconomique .............................................................................112 2.2. Approche technologique ....................................................................................115 2.3. Approche comportementale...............................................................................117 3. Les leviers de passage dun scnario lautre......................................................120 4. Les indicateurs dune consommation durable.......................................................122 4.1. Sortir de la confusion entre produit intrieur brut et mesure du bien-tre............122 4.2. Mettre en place des repres de soutenabilit pour rduire les externalits environnementales et sociales............................................................................125 Troisime Partie Recommandations ................................................................................................129 1. Une vision partage qui relativise la place de la consommation .........................131 2. Six axes principaux ..................................................................................................134 2.1. duquer le consommateur ds le plus jeune ge et le sensibiliser tout au long de sa vie..........................................................................................134 2.2. Encourager les initiatives pionnires dans une logique ascendante .............147 2.3. Soutenir linnovation au service de la consommation durable...........................149 2.4. Mettre en place les outils conomiques ncessaires.........................................154 2.5. Encourager les politiques de consommation et de commande publique durables 158 2.6. Charger une entit administrative de la politique de consommation durable ....161 Annexes Annexe 1 Lettre de saisine ..........................................................................................167 Annexe 2 Composition du groupe de travail ...............................................................169 Annexe 3 Personnes auditionnes ..............................................................................171 Annexe 4 Les objectifs de ltat pour une commande publique durable....................173 Bibliographie .................................................................................................................175 7. Centre danalyse stratgique Janvier 2011 www.strategie.gouv.fr - 7 - Vingt-cinq recommandations Avant toute politique de consommation durable, il sagit de dterminer dans quelle mesure une alternative au modle de la consommation-accumulation est possible. Il ne sagit aucunement de prner lmergence dune socit de la dcroissance, qui ne serait compatible ni avec la prosprit de lconomie franaise ni avec la soutenabilit de notre endettement. Si une volution vers une socit durable doit tre amorce le plus tt possible, elle ne doit pas tre impose brutalement. Elle devra tre suffisamment attractive pour motiver les changements de comportements et se construire en collaboration avec les parties prenantes, comme le souligne le rcent livre de Dominique Bourg et Kerry Whiteside, qui propose de repenser la dmocratie pour rpondre au dfi cologique 1 . Une politique de consommation durable ne peut de fait se concevoir que dans la mesure o elle sintgre dans la vision partage dune socit qui relativise limportance de la consommation dans nos vies, nos relations sociales, notre culture. Nous devons faire dcrotre ds aujourdhui notre impact environnemental, nos missions de gaz effet de serre et les prlvements de ressources naturelles de manire slective, dans certains secteurs. Dans le mme temps, il est urgent dexplorer les opportunits de croissance lies la consommation de produits et services durables, innovants (conomie de fonctionnalit, coconception, circuits courts). Les fondements dune politique spcifique de consommation durable pourraient donc tre poss sous forme dobjectifs simples visant rduire limpact des modes de consommation franais, en concertation avec les parties prenantes. Cette stratgie devra ensuite tre dcline dans des secteurs prioritaires compte tenu de leur impact (essentiellement lalimentation, le logement dont llectronique, le transport dont le tourisme). Limplication de lensemble des acteurs, notamment des mnages dont la contrainte de revenu est la plus forte, est un aspect central et devra conduire adopter des approches diffrencies pour quils ne restent pas lcart de cette politique. Plusieurs facteurs devront tre pris en compte pour assurer son efficacit : - reconnatre la consommation durable comme un sujet part entire ; - considrer lensemble du cycle de vie des produits et services ; - instituer une gouvernance mlant lapproche descendante traditionnelle (rglemen- tation, contrle, information, incitation, etc.) une approche plus ascendante, volontaire, participative, lcoute des initiatives innovantes, en soutien des groupes sociaux pionniers et dj convaincus, qui peuvent avoir un effet dentranement ; - faire voluer notre modle de consommation en sappuyant sur des relais culturels ; - adapter la stratgie aux volutions sociales et technologiques ; - viser la rorientation des comportements des producteurs et des consommateurs long terme. (1) Vers une dmocratie cologique. Le citoyen, le savant et le politique, Paris, Seuil/La Rpublique des ides, octobre 2010. 8. Pour une consommation durable - Vingt-cinq recommandations - Centre danalyse stratgique Janvier 2011 www.strategie.gouv.fr - 8 - 1 duquer la consommation (durable) ds le plus jeune ge et sensibiliser le consommateur travers des groupes cibles, des moments cls de la vie Lducation la consommation devrait amener chaque citoyen, tout ge, intgrer le dveloppement durable dans ses rflexes et habitudes de consommation. Lune des difficults consistera cerner la teneur et le ton des messages transmis pour viter lcueil de linjonction autoritaire et inciter une rorientation volontaire des comportements. Cette politique impose de faire voluer lducation initiale au mme titre que la formation continue. Dune part, lapprentissage prcoce de savoirs pragmatiques (matrise dun budget, des bases de la nutrition, comprhension des stratgies publicitaires et marketing...) devrait permettre dacqurir les rflexes de consommation raisonne. Il sagit galement dapprofondir lvolution de la formation professionnelle amorce par la Stratgie nationale de dveloppement durable. Les campagnes dinformation et de sensibilisation gagneraient mobiliser les relais dopinion et autres mdiateurs : systme ducatif, mdias, entreprises, mais aussi professionnels du marketing, publicitaires Lindividu tend consommer comme ses pairs : jouer sur les pratiques mimtiques avec des incitations innovantes ( nudges ), des messages de communication appropris, ciblant prioritairement les groupes sociaux et les lieux de vie collective (communauts culturelles, sportives, voisinages, comits dentreprise) sera plus efficace que denvoyer des adresses au consommateur de manire gnrique. Une telle stratgie suppose que les communauts vises soient en mesure dinformer leurs membres des succs obtenus et dviter le sentiment dit dinsignifiance des efforts. En outre, il serait bon de capitaliser sur des moments de vie durant lesquels les individus sont particulirement sensibles aux enjeux de dveloppement durable (en particulier les bnfices individuels dordre sanitaire et de qualit de vie) pour faire passer des messages relatifs la consommation durable : lattente puis larrive dun enfant, les vacances prdisposent les consommateurs au changement de mode de vie 1 . Recommandation n 1 Intgrer les bases de la consommation (durable) dans lenseignement ds le plus jeune ge et dans la formation professionnelle. Recommandation n 2 Concevoir des campagnes de sensibilisation qui privilgient des publics cibles et qui prennent en compte le comportement des consommateurs. Recommandation n 3 Sensibiliser les individus aux moments cls de leur vie, lorsquils sont les plus rceptifs aux enjeux de la consommation durable. Recommandation n 4 Jouer sur leffet dentranement inhrent aux approches collectives. Recommandation n 5 Cibler en priorit les groupes pionniers, afin de diffuser la culture de la consommation durable. Recommandation n 6 Clarifier les pratiques de la Responsabilit sociale des entreprises et y intgrer les stratgies commerciales. Recommandation n 7 Amliorer la transparence des impacts sociaux et environne- mentaux des produits dpargne et encourager linvestissement socialement responsable. (1) Math T. (2009), Comment les consommateurs dfinissent-ils lalimentation durable ?, CREDOC. 9. Pour une consommation durable - Vingt-cinq recommandations - Centre danalyse stratgique Janvier 2011 www.strategie.gouv.fr - 9 - Recommandation n 8 Intgrer les mdias et les relais de la communication marchande la politique de consommation durable : associer les professionnels des mdias ; limiter les stratgies promotionnelles favorisant le gaspillage et la surconsommation ; encadrer les stratgies mdias des entreprises pour viter la prolifration des messages incitant lhyperconsommation. Recommandation n 9 Rguler la profusion des labels associs au dveloppement durable. Recommandation n 10 Dvelopper lconomie de la fonctionnalit et lco- conception, en mettant en avant le cot global des biens et services. 2 Encourager les initiatives pionnires de terrain dans une logique ascendante Afin didentifier et de tester les solutions viables dployer sur le plan national, ltat doit encourager les multiples exprimentations spontanes de consommation durable des collectivits : circuits courts de type AMAP qui recrent un lien direct entre producteur et consommateur, coquartiers Au-del des subventions actuellement accordes par lAgence de lenvironnement et de la matrise de lnergie (ADEME) et les collectivits territoriales, une politique hybride lcoute et en soutien des initiatives de terrain savre ncessaire. Elle doit lever les obstacles rglementaires aux exprimentations les plus intressantes et prodiguer de nouveaux soutiens extra-financiers. Des structures daccompagnement gratuit, proposant des conseils de stratgie entrepreneuriale ou une assistance juridique, semblent galement tout indiques. Enfin, des dispositifs de reconnaissance des bonnes pratiques et dmulation (trophes consommation durable ) pourraient encourager la reproduction des initiatives les plus fructueuses. Recommandation n 11 Soutenir les exprimentations locales de consommation durable. Recommandation n 12 Renforcer les processus d'apprentissage, dchange et la gnralisation des bonnes pratiques. 3 Soutenir linnovation au service de la consommation durable Le succs dune politique de consommation durable repose sur lexistence dune offre de biens et services durables : celle-ci doit donc progresser ds maintenant de manire substantielle. Afin de prserver sa comptitivit conomique lchelle mondiale, la France doit chercher se placer lavant-poste dune prosprit durable, fonde sur des innovations technologiques mais galement organisationnelles et de services. Ce dernier type dinnovations dites low tech est peu frquemment brevetable et a peu de chances de bnficier de financements, limage de la pratique de la microbiologie des sols agricoles (recours une solution ancienne pour diminuer lutilisation dintrants phytosanitaires). Il convient donc dencourager ces innovations par le biais de soutiens publics financiers, technologiques ou rglementaires adapts. Recommandation n 13 Investir dans linnovation technologique mais aussi sociale low tech , au service de la consommation durable. 10. Pour une consommation durable - Vingt-cinq recommandations - Centre danalyse stratgique Janvier 2011 www.strategie.gouv.fr - 10 - Recommandation n 14 Associer des exigences environnementales notamment les colabels officiels la garantie de fabrication locale en cas dintroduction dun label Made in France . Recommandation n 15 Encourager le dveloppement des associations et des entreprises innovantes vocation sociale ou cologique, notamment par la clarification de leur statut juridique. 4 Mettre en place les outils conomiques ncessaires La transition vers une socit durable, plus respectueuse des ressources naturelles et plus solidaire, aura un cot dautant plus important que nous tarderons lengager, limage de la lutte contre le changement climatique 1 . Afin doptimiser le cot global pour la collectivit, il appartient ltat, en liaison avec les collectivits, de mettre en uvre les instruments conomiques idoines dans chacun des domaines considrs, accompagns des mesures redistributives adaptes. Le but est de rintgrer la valeur des externalits environnementales et sociales dans le prix des produits et services et de dvelopper une fiscalit cologique qui favorise la consommation durable. Nous devrons ainsi payer le carbone que nous mettons en veillant ce que ce cot soit acceptable pour les mnages dfavoriss. Selon les secteurs, il sera judicieux dinstaurer une taxe, un march de quotas, une norme, un dispositif de bonus-malus, un taux de TVA rduit pour les co-produits (comme envisag dans la Stratgie nationale de dveloppement durable 2010-2013) ou enfin de refondre les dispositifs de financement collectif bass sur le principe du pollueur-payeur sils sont dficients. Recommandation n 16 Donner un prix au carbone mis et afficher la valeur envisage sur le long terme afin denvoyer un signal fort tous les acteurs concerns. Recommandation n 17 Donner un signal-prix fort aux biens et services durables par des actions financires directes (taxation, bonus-malus, normalisation, subven- tions, etc.). Recommandation n 18 tudier une rvision des tarifs de leau et de llectricit afin dinciter les consommateurs utiliser ces ressources de manire plus efficace. Recommandation n 19 Faire financer les colabels par les entreprises non labellises, suivant le principe pollueur-payeur . 5 Encourager ltat et les collectivits territoriales adopter des politiques de consommation et de commande publique durables En tant que consommateurs, oprateurs de service et employeurs, ltat et les collectivits territoriales peuvent contribuer gnraliser la consommation durable lchelle nationale. (1) Voir Stern N. (2007), The Economics of Climate Change: The Stern Review, Cambridge and New York: Cambridge University Press. 11. Pour une consommation durable - Vingt-cinq recommandations - Centre danalyse stratgique Janvier 2011 www.strategie.gouv.fr - 11 - En poursuivant la politique dachat formalise dans le Plan national dachat public durable 1 , la commande publique peut avoir un effet dentranement auprs des entreprises, auxquelles elle signale lexistence dune demande consquente pour les produits et services durables 2 , et auprs des consommateurs, quelle familiarise aux pratiques vertueuses et loffre verte dans la restauration collective, les services de sant, ladministration La prennisation du dispositif financier formellement cr en avril 2010 est souhaitable : ce mcanisme bonus-malus , aliment par une cotisation prleve automatiquement sur les budgets des ministres, doit les inciter tenir ou dpasser leurs engagements puisquils sont rembourss la hauteur des objectifs atteints. Recommandation n 20 Assurer la cohrence des politiques publiques en matire de consommation durable. Recommandation n 21 Systmatiser et communiquer les approches cots/ bnfices au sein des politiques publiques. Recommandation n 22 Acclrer la stratgie de commande publique durable et mobiliser les structures publiques lies. Recommandation n 23 Impulser une coordination europenne des politiques de consommation durable. 6 Assurer un suivi prenne de la politique nationale de consommation durable La politique de consommation durable ne peut se concevoir qu long terme : il est donc ncessaire de se doter dune gouvernance et doutils dvaluation mme de linflchir en fonction des rsultats obtenus, des volutions sociales et technologiques. Il importe dinscrire cet enjeu dans le mandat dune entit administrative telle que le Commissariat gnral au dveloppement durable ou dune autre instance ddie. Le suivi de cette politique doit reposer sur un baromtre national permettant dvaluer lvolution des comportements, dans la ligne des indicateurs de la Stratgie nationale de dveloppement durable 2010-2013 3 . Recommandation n 24 Charger une entit administrative de la dclinaison et du suivi de la politique de consommation durable. Recommandation n 25 Disposer dindicateurs explicites pour communiquer tous les acteurs les progrs raliss. (1) Circulaire du Premier ministre n 5351/SG du 3 dcembre 2008. (2) Rendre les procdures et objets des achats publics co-compatibles permettrait de convertir 15 % de la consommation franaise totale au dveloppement durable. Les achats courants de ltat reprsentent 10 milliards deuros en 2008. Source : circulaire n 5351/SG, 3 dcembre 2008. (3) www.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/11_IndicateurDD_derniereversion.pdf. 12. Pour une consommation durable - Vingt-cinq recommandations - Centre danalyse stratgique Janvier 2011 www.strategie.gouv.fr - 12 - 13. Centre danalyse stratgique Janvier 2011 www.strategie.gouv.fr - 13 - Introduction On rsiste linvasion des armes ; on ne rsiste pas linvasion des ides. Victor Hugo La consommation durable est un objet relativement rcent des politiques publiques. Le terme lui-mme nest apparu sur lagenda politique qu loccasion des sommets des Nations unies : Sommet de Rio en 1992 et surtout de Johannesburg dix ans plus tard. Ce dernier a dbouch sur le Processus de Marrakech (2003) et plus rcemment sur un plan daction de la Commission europenne (2008) 1 : tous deux visent promouvoir une consommation et une production durables et encadrer la mise en place de stratgies rgionales et nationales. En France comme dans de nombreux pays, les politiques publiques ne se sont que marginalement appropri le sujet. Les travaux du Grenelle de lenvironnement ont certes permis des avances, notamment sur laffichage environnemental des produits (sous forme dune exprimentation, compte tenu de la complexit de cette action) mais les dbats sur linstauration dune taxe carbone ou sur linterdiction de la publicit pour les pesticides ont mis en vidence le caractre politiquement sensible de ces questions. Le rle de la consommation dans la transition vers un dveloppement durable est pourtant incontournable. Malgr la mobilisation apparente depuis 1987 (date du rapport Brundtland, qui dfinissait pour la premire fois le concept de dveloppement durable ) et en dpit des efforts engags pour optimiser la production, de trop nombreux indicateurs plantaires restent au rouge : le rchauffement climatique, la sant des cosystmes (dforestation, puisement des rserves halieutiques, disparition des zones humides et des mangroves, etc.), la rarfaction de certaines ressources naturelles, la prsence de produits chimiques toxiques dans lenvironnement ou dans le corps humain, etc. Le constat simpose : les amliorations apportes dans les modes de production ou lutilisation des ressources ne suffisent pas enrayer cette dgradation. Par rapport 1980, lconomie mondiale utilise environ un tiers de ressources en moins pour produire un euro de PIB mais elle extrait 36 % de ressources naturelles en plus 2 . En (1) Commission europenne (2008), Plan daction pour une consommation et une production durables et pour une politique industrielle durable, communication de la Commission au Parlement europen, au Conseil, au Comit conomique et social europen et au Comit des Rgions du 25 juin 2008 : COM(2008) 397 final. (2) Lextraction de ressources mondiales aurait augment de moiti de 1980 2005 (60 milliards de tonnes annuelles), alors que le PIB progressait de 110 %. Pour lOCDE, lintensit nergtique mondiale (le rapport entre les ressources extraites et le PIB en tonne/1 000 USD) a diminu de 26 % de 1980 2002 mais lextraction de ressources a augment de 36 % en masse dans le mme temps et devrait atteindre 80 milliards de tonnes en 2020. Voir SERI, Global 2000 et Friends of the Earth Europe (2009), Overconsumption? Our Use of the Worlds Natural Resources, septembre ; OCDE (2008), Perspectives de lenvironnement de lOCDE lhorizon 2030, mars. 14. Pour une consommation durable - Introduction - Centre danalyse stratgique Janvier 2011 www.strategie.gouv.fr - 14 - France, malgr la baisse de consommation unitaire des vhicules, les missions de CO2 dues au transport ont continu de crotre, en raison dune hausse du taux dquipement des mnages (plus de 80 % ont au moins une voiture en 2005, contre 60 % en 1973 1 ) et des distances parcourues 2 . Autre exemple de cet effet rebond , lamlioration de lefficacit nergtique du chauffage en France (de 365 215 kWh/m 2 de 1973 2005) a t contre par laugmentation de lquipement lectromnager des mnages, par la hausse de la temprature et de la surface moyennes des logements, ainsi que par laccroissement du parc immobilier 3 . Autrement dit, le progrs technologique est souvent annul par la modification de nos comportements et par la progression des quantits que nous consommons. Aucune amlioration dans les modes de production et aucun progrs technique ne doivent tre ngligs pour relever le dfi du dveloppement durable, mais il est urgent de dpasser ces approches pour initier une transition fondamentale dans les modes de vie et de consommation. Faute de quoi, les progrs risquent dtre marginaux ou bien annihils par la hausse de la consommation. Ainsi, les missions de gaz effet de serre (GES) produites par lindustrie automobile sont dues pour 74 % lutilisation et la fin de vie des vhicules et pour 10 % seulement la production et la distribution en amont 4 : on peut certes agir par linnovation technologique (moteurs propres, hybrides, lectriques) mais surtout par lincitation en faveur des modes de transport doux (covoiturage, autopartage, transports en commun) 5 . Ce dernier point relve davantage du champ de linnovation sociale et politique. De mme, selon lAgence internationale de lnergie (AIE), seul un changement dans les modes de vie et les comportements permettra de diminuer de moiti les missions de gaz effet de serre au niveau mondial. Il y a l un enjeu majeur pour les politiques publiques axes jusqu prsent sur lencouragement de la production durable et de la consommation de produits verts , sans cibler prcisment ni lutilisation de ces produits, ni le niveau gnral de la consommation. Le spectre radical de la dcroissance et du consommer moins brouille lapproche de cette question. Mais consommer mieux ne sera pas forcment suffisant : procurer aux neuf milliards dtres humains prsents sur la plante en 2050 des conditions de vie dcentes suppose dmettre moins de GES, de consommer moins de biens matriels non durables et de prlever moins de ressources naturelles, tout en maintenant la satisfaction du consommateur un niveau gal, voire suprieur. Cette (1) INSEE (2009), Fiche thmatique Transports , in Cinquante ans de consommation en France, INSEE Rfrences, septembre. (2) Les missions de GES des voitures particulires reprsentaient en 2008 13,5 % des missions nationales, contre 11,6 % en 1990, alors mme quen moyenne, les vhicules consomment moins de carburant (8,2 litres/100 km en 1990 contre 6,8 litres en 2008) et mettent moins de CO2 (176 g/km en 1995 contre 140 g/km en 2008). Voir Commissariat gnral au dveloppement durable, Service de lobservation et des statistiques (CGDD/SOeS) (2010), Lenvironnement en France, dition 2010, Rfrences, juin. (3) La consommation unitaire moyenne dlectricit spcifique (clairage, climatisation, etc.) a plus que doubl depuis 1973, passant de 14 kWh/m 2 29 kWh/m 2 en 2005. Voir SOeS (2008), Donnes essentielles, La consommation nergtique des btiments et de la construction . (4) Les missions restantes proviennent principalement de la production de carburant. Voir WWF et Vigeo (2009), Entreprises et changement climatique. Dfis sectoriels et perspectives pour une approche globale, dcembre. (5) Centre danalyse stratgique (2010), Les nouvelles mobilits. Adapter lautomobile aux modes de vie de demain, rapport du groupe de travail prsid par Olivier Paul-Dubois-Taine, La Documentation franaise. 15. Pour une consommation durable - Introduction - Centre danalyse stratgique Janvier 2011 www.strategie.gouv.fr - 15 - transition sannonce difficile : la conception dominante de la comptabilit nationale fait de la consommation la fois la finalit de lactivit conomique et la source essentielle de cration de richesse. La consommation doit donc tre compatible avec une croissance conomique voisine ou suprieure 1,5 % afin de garantir le remboursement de la dette publique et le paiement des dpenses sociales, notamment intergnrationnelles 1 . Ce tournant prendre simpose dautant plus que dans la plupart des pays dvelopps, laugmentation de la consommation et du produit intrieur brut (PIB) ne suffit plus amliorer le bien-tre et le bonheur des individus. Les tudes mettent en vidence quau-del dun certain niveau de revenu, lindicateur de prosprit ressentie tend stagner alors mme que le PIB continue progresser 2 . Si on ne peut nier quil existe une dimension matrielle du bien-tre, la richesse conomique nest manifestement pas synonyme de prosprit individuelle. Le paradoxe dEasterlin 3 suggre quau-del de laccs aux biens ou un certain niveau de confort, la notion de bonheur revt des aspects sociaux et psychologiques fondamentaux : tat de sant, liens sociaux, conditions de travail et participation la vie de la cit sont autant de dimensions immatrielles ou non marchandes de la satisfaction existentielle 4 . Dans le mme temps, lchelle mondiale, les bnfices du modle de croissance sont ingaux. Ainsi, plus dun milliard dindividus nont pas accs la nourriture et deux milliards dautres ne se nourrissent pas de manire suffisante. Les dgradations de lenvironnement saggravent. Paralllement, la crise conomique amne, de gr ou de force, sinterroger sur le modle de croissance, mme si de nombreuses politiques publiques tablent sur la consommation pour relancer lactivit. La difficult est relle : les indicateurs composites mis au point depuis une trentaine dannes pour largir le primtre du PIB manquent encore de lgitimit ou prennent en compte des ralits diffrentes. Indicateur de dveloppement humain (IDH) du Programme des Nations unies pour le dveloppement, Bonheur national brut dinspiration bouddhiste au Bhutan ou Happy Planet Index combinant satisfaction existentielle, esprance de vie et empreinte cologique constituent autant de pistes pour prendre en compte les externalits sociales et environnementales du modle conomique, ainsi que la rpartition de la richesse, afin dvaluer le progrs dune nation dans toutes ses dimensions. La remise en question de la mesure du bien-tre par le revenu national, selon un indicateur montaire et marchand type PIB, est rcente : les conclusions de la Commission sur la mesure de la performance (1) Sur les implications dun niveau de dette publique dpassant les 90 % du PIB, voir Champsaur P. et Cotis J.-P. (2010), Rapport sur la situation des finances publiques, rapport remis au prsident de la Rpublique, Paris, La Documentation franaise. (2) LOCDE voque galement un seuil partir duquel laccumulation de richesse joue rebours de la croissance du bien-tre. Voir OCDE (2006), Objectif croissance un an aprs , confrence de presse, 7 fvrier. (3) Easterlin R. (1974), Does economic growth improve the human lot? Some empirical evidence , in David P. A. et Reder M. W. (1974), Nations and Households in Economic Growth, New York, Academic Press, p. 89-125. Sur les limites des rsultats obtenus par lvaluation de la satisfaction ressentie (relativisme et limite temporelle des perceptions), voir Boisson M. et Mareuge C. (2008), Au-del du PIB, le bonheur ? , La Note de Veille, n 91, Centre danalyse stratgique, fvrier. (4) Sen A. (1984), The living standard , Oxford Economic Papers, 36 (Supplement), p. 74-90. 16. Pour une consommation durable - Introduction - Centre danalyse stratgique Janvier 2011 www.strategie.gouv.fr - 16 - conomique et du progrs social, cre en 2008 linitiative de la France, font partie des travaux pionniers sur ce sujet. Quelle dfinition donner de la consommation durable et comment linscrire dans un projet politique ? Quelle place pour la consommation dans un nouveau modle de prosprit ? Quel quilibre entre le consommer mieux et le consommer moins ? De quelle consommation parle-t-on, matrielle ou immatrielle ? Avec quels outils et quelles priorits les politiques publiques peuvent-elles orienter les modes de consommation lhorizon 2030 ? Comment mesurer et piloter la transition vers une consommation durable ? Telles sont les questions traites ici. Au-del de linterrogation sur la consommation durable, cest un nouveau modle de prosprit quil sagit dinventer, comme lont rcemment montr les rapports Stiglitz en France et Jackson au Royaume-Uni 1 : un modle qui ne cherche pas seulement perptuer le dveloppement des activits humaines en minimisant leurs impacts ngatifs, mais qui sattache en maximiser les retombes positives, conomiques, sociales et environnementales. Un modle qui accrot la prosprit et le bien-tre en diminuant limpact environnemental et la consommation de ressources, qui rduit les ingalits et nexclut pas les plus dmunis. Cest en ce sens, et pour rpondre la demande de la secrtaire dtat charge de lcologie adresse la secrtaire dtat charge de la Prospective et du Dveloppement de lconomie numrique, que le Centre danalyse stratgique a lanc une rflexion sur un projet de consommation durable pour la socit franaise lhorizon 2020-2030. Le prsent rapport constitue la synthse des travaux du groupe dexperts prsid par lisabeth Laville 2 , qui sest attach envisager moyen terme llargissement de ces modes de consommation naissants et valuer les progrs raliser, au vu du modle actuel. Les recommandations formules en conclusion sont destines orienter une stratgie des pouvoirs publics, dans le prolongement des travaux du Grenelle de lenvironnement et de la Stratgie nationale de dveloppement durable 2010-2013, qui fait de la consommation durable le premier de ses neuf dfis-cls. Aprs avoir dfini la consommation dite durable et valu ltat des pratiques en France, le rapport identifie les obstacles structurels, gnrationnels et budgtaires qui expliquent lampleur du dcalage entre les intentions et la ralit. Cet tat des lieux sachve sur lanalyse du policy mix requis pour dvelopper loffre durable et impulser une volution profonde des comportements individuels. Un panorama international des politiques publiques existantes complte cette vision oprationnelle. Le rapport prsente ensuite plusieurs scnarios dvolution de la consommation en France dici 2030 et prcise les orientations sur lesquelles fonder une politique publique volontariste de consommation durable. Il met enfin des recommandations pour mener bien en France la transition vers une consommation durable. (1) Stiglitz E., Sen A. et Fitoussi J.-P. (2009), Rapport de la Commission sur la mesure des perfor- mances conomiques et du progrs social, Paris, La Documentation franaise, et Jackson T. (2009), Prosperity Without Growth?, Sustainable Development Commission, mars. Voir galement Mda D. (1999), Quest-ce que la richesse ?, Paris, Aubier. (2) lisabeth Laville est fondatrice et directrice dUtopies, agence de conseil en dveloppement durable, et fondatrice du site dinformation spcialis sur la consommation durable : www.mescoursespourlaplanete.com. 17. Centre danalyse stratgique Janvier 2011 www.strategie.gouv.fr - 17 - Premire Partie tat des lieux 1 Pour une politique de consommation durable 1.1. Une perspective historique Si le terme de consommation durable est relativement rcent, le concept remonte plusieurs dcennies : en 1972, le rapport du Club de Rome soulignait que nos socits dabondance matrielle risquaient de produire des effets irrversibles en termes de rarfaction des ressources et de dgradation cologique 1 . De fait, la pertinence du lien entre modes de consommation et problmes environnementaux, quil sagisse de changement climatique, de gestion des dchets ou de destruction de la couche dozone, est tablie depuis le dbut des annes 1990. Le Sommet de la Terre (Rio de Janeiro, 1992) a formalis la notion de consommation durable et la inscrite sur lagenda politique. Venant en renfort dune dclaration de principes, l Action 21 ou Agenda 21 nonait une multitude de recommandations qui faisaient la part belle aux collectivits territoriales. Lhritage du Sommet de Rio : le concept de consommation durable Tous les pays devraient sefforcer de promouvoir des modes de consommation durables [] Il faudrait galement examiner les concepts actuels de croissance conomique et la ncessit de crer de nouveaux concepts de richesse et de prosprit permettant damliorer les conditions de vie en modifiant les modes de vie et qui soient moins tributaires des ressources limites de la plante et plus en harmonie avec sa capacit de charge [] Lapparition rcente, dans de nombreux pays, dun public de consommateurs plus sensibiliss lenvironnement, allie au souci croissant de la part de certaines industries de fournir des produits de consommation cologiquement rationnels, est un phnomne important quil convient dencourager. Agenda 21, chapitre 4, Modification des modes de consommation, www.un.org/french/ga/special/sids/agenda21/action0.htm La voie trace par lAgenda 21 tait ambitieuse : dvelopper une nouvelle approche de la croissance conomique, rinventer la notion de prosprit et adapter nos modes de vie pour les rendre compatibles avec les limites de la plante, autant denjeux qui imposaient implicitement lvolution des comportements et des attentes des consommateurs. Deux dcennies plus tard, la varit des dfinitions donnes au terme de consommation durable tmoigne de la difficult trouver un consensus sur son contenu concret. La notion demeure floue et fourre-tout, pour les consommateurs (1) Meadows D. H. et al. (1972), The Limits of Growth. A Report for The Club of Romes Project on the Predicament of Mankind, New York, Universe Books, actualis en 2004. 18. Pour une consommation durable - Premire Partie - Centre danalyse stratgique Janvier 2011 www.strategie.gouv.fr - 18 - comme pour les institutions : les seniors lassocient la chasse au gaspi , les jeunes et les catgories sociales les plus diplmes lutilisation de produits verts 1 . Il est vrai que le contenu de la consommation durable volue avec les innovations et les connaissances sur le dveloppement durable, ce qui ne facilite pas son appropriation par le grand public. Qui et dit il y a encore quelques annes que la consommation de produits carns, notamment de viande rouge, deviendrait pour certains un enjeu prioritaire, en raison des rpercussions de llevage sur le rchauffement climatique (missions de GES, dforestation, consommation deau) 2 ? Autre difficult, le comportement des consommateurs est par essence complexe : il nest pas uniquement dtermin par des choix rationnels mais par des facteurs dordre culturel, psychologique et social : valeurs symboliques, habitudes, besoin dintgration sociale En outre, la consommation individuelle peut tre durable dans un domaine lachat de produits alimentaires biologiques, par exemple et polluante dans un autre les voyages en avion pour le week-end. Enfin, le comportement des consommateurs peut changer radicalement la faveur dvnements de la vie la maladie dun proche, la naissance dun enfant, le dpart la retraite, un dmnagement ou un changement demploi, etc. Quelques dfinitions officielles Pour le Programme des Nations unies pour lenvironnement (PNUE, 1999), la consom- mation durable ne signifie pas consommer moins : il sagit de consommer diffremment, de consommer plus efficacement, pour amliorer la qualit de vie . Pour lInstitut international pour lenvironnement et le dveloppement (IIED, 1999), la notion de consommation durable met laccent sur lactivit conomique consistant choisir, utiliser et assurer la fin de vie des produits et services en tudiant notamment comment cette activit peut tre modifie pour apporter un bnfice social et environ- nemental. Pour lAgence de lenvironnement et de la matrise de lnergie (ADEME), la consommation durable est une dclinaison du concept de dveloppement durable adapt aux actes de consommation de la vie quotidienne . Par extension, cest une consommation qui rpond aux besoins des gnrations du prsent sans compromettre la capacit des gnrations futures rpondre aux leurs , selon les termes du Rapport Brundtland (Commission mondiale sur lenvironnement et le dveloppement des Nations unies, 1987). Lors du Symposium dOslo sur la consommation et la production durables (janvier 1994), la consommation cologiquement viable a t dfinie par lutilisation de services et de produits qui rpondent des besoins essentiels et contribuent amliorer la qualit de la vie, tout en rduisant au minimum les quantits de ressources naturelles et de matires toxiques utilises, ainsi que les quantits de dchets et de polluants tout au long du cycle de vie du service ou du produit, de sorte que les besoins des gnrations futures puissent tre satisfaits . (1) Ibidem. (2) Selon la FAO, llevage reprsenterait 18 % des missions de GES mondiales et 8 % de leau prleve par les activits humaines. Voir FAO (2006), Livestocks Long Shadow: Environmental Issues and Options, Rome, novembre. 19. Pour une consommation durable - Premire Partie - Centre danalyse stratgique Janvier 2011 www.strategie.gouv.fr - 19 - Trois points ressortent de ces dfinitions : elles naccordent pas le mme poids aux choix des consommateurs, aux modes de vie et la socit de consommation. Certaines dfinitions restent floues sur la frontire entre consommation durable et production durable, dautres sont plus explicites sur le rle-cl de la consommation en elle-mme et sur le comportement des consommateurs. Plusieurs encore renvoient explicitement la dfinition du dveloppement durable donne par la commission Brundtland (1987) ; elles ne concordent pas non plus sur ce que recouvre la consommation durable : consommer mieux (de manire plus responsable) ou consommer moins. Certaines dfinitions affirment quil est ncessaire de rduire la consommation, dautres non, dautres encore ne prennent pas parti ; si elles font souvent rfrence la notion trs large de dveloppement durable , la plupart se focalisent sur les dfis environnementaux de la consommation plus que sur ses enjeux sociaux et conomiques. Pour Tim Jackson 1 , cette polysmie est au cur de la confusion qui rgne depuis le Sommet de Rio. Elle explique galement que, dix ans plus tard, Johannesburg, des organisations qui staient montres favorables de prime abord la consommation durable sen sont finalement loignes, par crainte des implications les plus radicales, en particulier la rduction du nombre de produits et de services consomms. De fait, la logique de la dcroissance, ne au dbut du sicle 2 et popularise par divers mouvements (le down-shifting, les freegans, lanti-consumrisme, le malthusianisme conomique, etc.) 3 , resurgit avec la crise actuelle : elle mle renoncement la consommation de biens et services jugs superflus et impratif de relocalisation des activits conomiques, afin de rduire les dpenses nergtiques et lempreinte cologique. La dcroissance absolue ntant pas compatible avec la croissance conomique, la cration demplois et la progression du pouvoir dachat, un consensus tout relatif sest forg autour de la dfinition du PNUE (1999) : Il ne sagit pas de consommer moins, mais de consommer diffremment et plus efficacement . Si elle a le mrite dcarter la radicalit du consommer moins , elle nen demeure pas moins vague : les efforts doivent-ils porter sur la production de biens durables ou sur le mode de vie des consommateurs ? De fait, la plupart des gouvernements ont jusqu prsent adopt une approche o consommation durable tait synonyme de consommation de produits plus durables : laction publique se concentrait sur la production, avec pour objectif daccrotre la productivit des ressources, de dvelopper les technologies vertes et lco-conception, de rendre les entreprises plus responsables, etc. Dans ce schma, la consommation durable se confond avec la production durable : les individus ne changent pas fondamentalement de comportement, ils se contentent de choisir le produit le plus respectueux de lenvironnement, ce qui encourage les entreprises faire voluer loffre. La rcente Stratgie nationale de dveloppement durable 2010-2013 4 dfinie par la France sinscrit dans cette tendance : elle lie production et consommation durables et (1) Jackson T. et Michaelis L. (2003), Policies for Sustainable Consumption A report to the Sustainable Development Commission, SDC Reports & Papers, Londres, septembre. (2) Notion thorise par Nicholas Georgescu-Roegen. Voir Georgescu-Roegen N. (1971), The Entropy Law and the Economic Process, Harvard University Press, Cambridge, Massachusetts. (3) Voir infra, section 2.2., encadr Les nouveaux consommacteurs . (4) CGDD (2010), Stratgie nationale de dveloppement durable : vers une conomie verte et quitable, juillet. 20. Pour une consommation durable - Premire Partie - Centre danalyse stratgique Janvier 2011 www.strategie.gouv.fr - 20 - privilgie parmi les leviers daction le soutien lconomie verte et aux technologies vertes, lencouragement lengagement des entreprises, la gnralisation de lco- conception, le dveloppement de lcologie industrielle, etc. Seuls quelques points qui ne sont pas identifis comme des choix stratgiques visent spcifiquement la modification effective du comportement des consommateurs : il sagit surtout de veiller ce que ces derniers adoptent des produits verts, en dvelopp[ant] linformation sur les qualits cologiques et sociales des produits , notamment par laffichage du contenu carbone, en rend[ant] loffre de produits durables plus attractive et plus crdible et en souten[ant] les comportements de consommation vertueux . Mais comme dans la plupart des politiques publiques, limage du Plan daction de la Commission europenne, la faon dont les consommateurs utilisent les produits et, plus fondamentalement encore, leur niveau de consommation restent peu traits, ou de manire marginale et imprcise 1 . En France, comme dans beaucoup de pays, la consommation durable ne fait donc pas lobjet dune politique nationale spcifique mais reste lie la production durable, dans le cadre plus global dune orientation stratgique de dveloppement durable. 1.2. Des tabous dpasser Pourquoi la dimension consommation du dveloppement durable est-elle si dlicate aborder de front ? Pourquoi les politiques publiques sont-elles si rticentes relayer lambition clairement pose dans lAgenda 21 de changer nos modes de vie ? Le sujet est-il trop sensible politiquement ou trop complexe cerner ? Il nest pas inutile de rappeler comment la notion de consommation durable est apparue sur la scne internationale, au moment des prparatifs du Sommet de la Terre Rio. Alors conseiller du gouvernement britannique 2 , Tim Jackson raconte que les pays occidentaux, tats-Unis en tte, insistaient depuis plusieurs annes sur la ncessit de matriser la dmographie, notamment dans les pays les moins avancs, pour rsoudre les problmes cologiques mondiaux. Les reprsentants du Sud opposaient cet argument celui de la surconsommation individuelle dans les nations riches, et soulignaient quimposer des contraintes environnementales aux pays du Sud conduirait rduire leur capacit de consommer, dj limite. La rplique des pays occidentaux tient dans la formule dsormais clbre du prsident Bush senior : Le mode de vie amricain nest pas ngociable 3 . Le Sud nacceptant pas de limiter sa croissance dmographique ou sa capacit de consommation future, le Nord nimaginant pas changer ses modes de vie, lissue de Rio tait invitable. Dans les annes qui suivirent, en dpit de lAgenda 21, le dbat se concentra logiquement sur le sujet moins polmique de lefficacit technologique. Ce rappel historique montre que si la consommation durable est devenue une question politiquement dlicate, cest en raison de son rle central dans nos socits modernes, particulirement occidentales. Lconomiste britannique Paul Ekins (1991) dfinit le consumrisme comme une orientation culturelle o la possession et (1) Commission europenne (2008), op. cit. (2) Voir les propos de Tim Jackson, in Jackson T. et Michaelis L. (2003), Policies for Sustainable Consumption A report to the Sustainable Development Commission, op. cit. (3) Cette position tranchait avec celle du prsident Carter qui, la suite de la premire crise ptrolire, avait dvelopp une stratgie de communication visant inciter ses compatriotes conomiser lnergie. 21. Pour une consommation durable - Premire Partie - Centre danalyse stratgique Janvier 2011 www.strategie.gouv.fr - 21 - lutilisation dun nombre et dune varit croissants de biens et services est la principale aspiration [] et le chemin peru comme le plus sr vers le bonheur individuel, le statut social et le progrs national 1 . Cela explique que les politiques de dveloppement durable aient eu pour ambition premire de maximiser loffre et la consommation en minimisant leur impact environnemental selon la logique de lco- efficacit. On comprend aussi que remettre en question lchelle et le niveau de notre consommation se heurte des rsistances institutionnelles et socioculturelles. Le consumrisme nous est devenu si naturel quil est difficile denvisager une modification en profondeur de notre mode de vie. Lexpression mme de consommation durable reflte cette difficult et ces rsistances. La sociologue Sophie Dubuisson-Quellier, charge de recherche au CNRS, note que ce terme est utilis dans la sphre publique mais peu dans le monde conomique, o il est plutt question de marketing vert , et encore moins dans le monde des organisations non gouvernementales (ONG), o lon parlera plus volontiers de consommation responsable ou citoyenne Pour les acteurs les plus militants, lexpression consommation durable renferme une contradiction car elle suggre que le but est de trouver des solutions pour faire durer les modes de consommation actuels, alors quil sagit selon eux de sinterroger sur la finalit mme de la consommation. leurs yeux, les enjeux ne se situent pas seulement dans les rayons des supermarchs mais aussi en amont, dans le choix du lieu des courses, dans les attitudes et les normes sociales, dans la persistance dune culture consumriste, bref dans notre capacit changer non seulement de type dachats mais aussi de mode de vie. 1.3. Un dfi relever Malgr ces obstacles, trois raisons majeures plaident pour que la France sengage relever le dfi de la consommation durable trois raisons qui correspondent aux principales critiques adresses aux modes de consommation dominants. La premire critique, sans doute la plus rpandue, est quen dpit des promesses de la socit de consommation de masse qui devait dmocratiser le confort matriel, les ingalits conomiques et daccs aux ressources persistent. Les pays les plus riches ont des revenus par habitant dix cent fois suprieurs ceux des pays les plus pauvres 2 . On retrouve ces disparits pour laccs aux richesses naturelles : en Europe, chaque habitant consomme en moyenne 43 kilos de ressources par jour, soit quatre fois plus quen Afrique, mais deux fois moins quen Amrique du Nord 3 . (1) Ekins P. (1991), The sustainable consumer society: A contradiction in terms? , International Environmental Affairs, 3(4), p. 243-258. (2) Le revenu moyen des catgories de population les plus aises du Qatar (119 500 dollars) reprsente 257 fois celui dun habitant de la Rpublique Dmocratique du Congo (300 dollars). De faon moins flagrante, le revenu moyen dun Franais reprsente dix fois celui dun Philippin et 82 fois celui dun Librien. Estimations bases sur le PIB par habitant, exprim en parit de pouvoir dachat, en 2009. Voir CIA (2009), World Factbook. (3) Estimations pour lanne 2000 pour des ressources renouvelables (agricoles, halieutiques, forestires) ou non (nergies fossiles, mtaux, minraux, etc.). Voir SERI, Global 2000 et Friends of the Earth Europe (2009), op. cit. 22. Pour une consommation durable - Premire Partie - Centre danalyse stratgique Janvier 2011 www.strategie.gouv.fr - 22 - Un instantan des ingalits mondiales : cartogramme du PIB national par habitant Source : PNUD/GRID-Arendal Maps and Graphics Library, donnes 2002 Ces ingalits sont galement importantes lintrieur dun mme pays : les 10 % des Franais les plus pauvres ont des revenus mensuels quivalents au quart des revenus des 10 % les plus aiss 1 . Les carts se creusent lorsquon prend en compte lensemble des dpenses incompressibles : une fois pay les impts, lalimentation, le transport, les soins de sant et dducation, les dpenses contraintes comme le logement, leau, le gaz, llectricit, les assurances et les technologies de communication, les catgories les plus pauvres ne disposent plus que de 13 % de leurs ressources mensuelles (soit 80 euros par mois en moyenne) pour les loisirs, lhabillement, lquipement mnager ou lpargne. Pour les catgories les plus aises, ce dernier poste atteint presque 35 % des ressources (1 474 euros). Cette ingalit saggrave : depuis le dbut de la dcennie 1980, les dpenses contraintes ont doubl pour les catgories de population aux revenus les plus bas : le logement, qui reprsente plus du quart des dpenses des mnages franais, mobilise lui seul 40 % 50 % du budget des plus modestes 2 . La deuxime critique est lie aux pressions environnementales et la rarfaction des ressources dj voques. Comme lobserve lAgence europenne de lenvironnement (1) Les catgories pauvres reprsentent les 10 % de la population la moins aise, dont les revenus mensuels avant impt sont infrieurs 780 euros par personne. Les hauts revenus constituent les 10 % de la population la plus aise, dont les revenus mensuels individuels sont suprieurs 3 010 euros. Voir Bigot R. (2008) Les classes moyennes sous pression , Cahier de recherche du CRDOC, n 249, dcembre. (2) Centre danalyse stratgique (2009), Sortie de crise : vers lmergence de nouveaux modles de croissance, rapport du groupe de travail prsid par Daniel Cohen, Paris, La Documentation franaise. Le prix et la contrainte budgtaire constituent des obstacles au dveloppement de la consommation durable, qui a cependant progress durant la crise. Voir aussi infra, section Lclosion des pratiques de consommation durable . 23. Pour une consommation durable - Premire Partie - Centre danalyse stratgique Janvier 2011 www.strategie.gouv.fr - 23 - dans un rapport publi en 2005, la tendance gnrale est un accroissement des pressions sur lenvironnement, car la croissance de la consommation fait plus que compenser les gains obtenus grce aux progrs technologiques. Les raisons ne sont pas un manque dactivit des pouvoirs publics sur le sujet, mais plutt un manque dintgration et de cohsion entre les politiques, et aussi le fait que les efforts ont surtout port sur loffre et la production 1 . Un exemple emblmatique de notre poque est celui de la tlphonie mobile 2 : depuis lintroduction des premiers portables au dbut des annes 1980, la quantit de matires premires ncessaire pour produire un tlphone a considrablement diminu, du fait des progrs technologiques et des amliorations dans la conception. Un modle moyen pesait un demi-kilo en 1983, 300 grammes sept ans plus tard, et 100 grammes aujourdhui pour les plus lgers, soit une rduction par cinq. Mais cet allgement est all de pair avec la chute du prix des appareils (3 500 dollars pour les premiers modles commercialiss en 1983 aux tats-Unis), leur dmocratisation et leur renouvellement acclr par les utilisateurs. Un milliard de tlphones taient en circulation en 2002 et plus de 2,5 milliards fin 2009, dont un milliard dunits vendues sur cette seule anne, ce qui aura requis lextraction de 15 000 tonnes de cuivre, 350 tonnes dargent, 30 tonnes dor et 14 tonnes de palladium. Ces mtaux reprsentent environ 25 % du poids dun tlphone mobile : les quelque 500 millions dappareils obsoltes aurait pu permettre de rcuprer une partie des mtaux mais 1 % peine des tlphones a t effectivement recycl. Autrement dit, lallgement des tlphones a rendu leur fabrication moins intensive en matires premires mais ces progrs ont t loin de compenser lexplosion du volume des ventes et la diminution de la dure de vie moyenne : il faut dsormais de plus en plus de matires premires et de ressources naturelles pour rpondre aux besoins de la tlphonie mobile. La consommation dnergie des mnages franais, qui a augment en France de presque 10 % de 1990 2008, a volu selon le mme schma 3 . Les conomies ralises dans llectromnager (en dix ans la consommation des rfrigrateurs a baiss de 40 % et celle des lave-linge de 28 %) nont pas compens le doublement de la consommation d lectricit spcifique , li lexplosion des quipements audiovisuels et de la bureautique : multiplication des appareils, notamment de priphriques nergivores , utilisation de systmes de veille inutilement gourmands, agrandissement des crans plats 4 . Sous leffet de la progression de la demande, la consommation mondiale de ptrole a progress dun tiers entre 1980 et 2005 5 . Au total, ce sont 60 milliards de tonnes de ressources qui sont extraites chaque anne, soit 50 % de plus quil y a trente ans. Cette exploitation des ressources a permis le maintien et la diffusion de niveaux levs de consommation mais elle a aussi exerc une pression croissante sur les (1) Agence europenne de lenvironnement (2005), Household Consumption and the Environment, EEA Report n 11/2005. (2) SERI, Global 2000 et Friends of the Earth Europe (2009), op. cit. (3) Source : CEREN, in SOeS, Consommation dnergie du secteur rsidentiel et tertiaire par usage en 2008 . L lectricit spcifique correspond llectricit consomme par les mnages hors utilisation basique (eau chaude, chauffage, cuisson). (4) Enertech (2008), Mesure de la consommation des usages domestiques de laudiovisuel et de linformatique, rapport final du projet Remodece (ADEME/EDF/Union europenne), juillet. (5) Selon lEnergy Information Administration, la consommation mondiale de ptrole serait passe de 63 113 83 982 milliers de barils quotidiens de 1980 2005. 24. Pour une consommation durable - Premire Partie - Centre danalyse stratgique Janvier 2011 www.strategie.gouv.fr - 24 - cosystmes. Mme sil est critiquable, le calcul de lempreinte cologique mondiale montre que nous utilisons des ressources quivalentes 1,5 plante Terre, chiffre qui a doubl depuis les annes 1960 1 . Les consquences en sont visibles : lvaluation des cosystmes pour le millnaire 2 conclut que 60 % des services rendus par les cosystmes sont aujourdhui menacs, quil sagisse de la rgulation du climat, de lapprovisionnement en eau douce ou en produits de la pche 3 . Les impays de lempreinte cologique mondiale* * Aggravation de lcart entre lempreinte cologique des activits humaines et les capacits terrestres. Source : WWF, Living Planet Report 2010 Ainsi, la consommation individuelle mondiale nen finit pas de progresser 4 et de compromettre la capacit des cosystmes rpondre aux demandes croissantes en nourriture, fibres, nergie, eau potable, etc., malgr les amliorations de la productivit des ressources qui, mme importantes, sont annules par la modification des comportements et la progression des quantits consommes. Si lon veut diviser par quatre les missions de gaz effet de serre dans les pays dvelopps, il faut modifier les comportements sans tarder sous peine daboutir une augmentation de la temprature qui aurait des consquences catastrophiques pour la plante. Lrosion de la biodiversit est aussi alarmante. Mme si la situation (1) Estimation du Global Footprint Network base sur lanne 2007, in WWF (2010), Living Planet Report 2010. Lempreinte cologique comptabilise les incidences de lactivit humaine mondiale et les rapporte la capacit de rgnration de la plante (biocapacit). Elle prend en compte sous forme de stocks le volume deau et les surfaces mobilises pour satisfaire la demande de ressources (cultures, forts, pturages et ressources halieutiques), supporter les infrastructures et absorber le CO2 mis. Cet indicateur fait lobjet de critiques. Voir CGDD (2010), Une expertise de lempreinte cologique ? , , tudes & Documents, n 16, janvier. (2) Millennium Ecosystems Assessment (2005). Voir www.maweb.org. (3) WorldWatch Institute (2010), State of the World 2010: Transforming cultures From consumerism to sustainability, janvier. (4) La consommation mondiale de biens et services aurait quasiment tripl depuis les annes 1960, passant de 4,9 billions de dollars en 1960 30,5 en 2006, cependant que la population mondiale tait multiplie par 2,2. Voir WorldWatch Institute (2010), op. cit. 25. Pour une consommation durable - Premire Partie - Centre danalyse stratgique Janvier 2011 www.strategie.gouv.fr - 25 - de tous les stocks de ressources nest pas critique, celles-ci doivent tre partages lchelle mondiale et donc utilises de manire rationnelle. Faute de quoi les croissances dmographique et conomique mondiales exposeront lhumanit au risque dun dpassement ( overshoot ) des limites de la plante 1 . Les limites de lcosystme terrestre sont-elles dpasses ? Le respect de neuf limites plantaires (reprsentes ici par la zone centrale en vert) est ncessaire lintgrit du systme terrestre. Trois de ces seuils seraient dj dpasss : la biodiversit, lquilibre climatique et le cycle de lazote, essentiel de nombreux processus biologiques. Source : CGDD (2010), Horizons 2030-2050, n 3, septembre, daprs Rockstrm J. et al. (2009), A safe operating space for humanity, Nature, n 461, septembre, p. 472-475 La troisime critique reproche aux modes de consommation actuels de ne pas apporter le gage dune amlioration du bien-tre : lidal dabondance, voire de surabondance, promis par la socit de consommation savre insuffisant pour assurer une pleine satisfaction existentielle. Bien que tributaires dune certaine subjectivit, des tudes conomiques montrent que le bonheur des habitants des pays riches naugmente pas avec leur revenu et quil tend mme diminuer, une fois pass le cap qui rpond aux besoins essentiels. Ds les annes 1970, lanalyse de donnes dclaratives mettait en vidence cette stagnation de la satisfaction moyenne malgr lincontestable augmentation de la richesse depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale dans les pays dvelopps 2 . (1) Mesure de la consommation humaine de ressources naturelles. Voir Rees W, Testemale P. et Wackernagel M. (1995), Our Ecological Footprint: Reducing Human Impact on the Earth, New Society Publishers, Gabriola Island, Colombie britannique. (2) Easterlin R. (1974), op. cit. 26. Pour une consommation durable - Premire Partie - Centre danalyse stratgique Janvier 2011 www.strategie.gouv.fr - 26 - Richesse conomique et satisfaction individuelle : une relation aux horizons limits ?* Amrique centrale Amrique du Sud Australie et NZ Amrique du Nord Europe de l'Ouest Europe du NordEurope du Sud Afrique du Nord Moyen Orient Afrique Centrale Afrique de l'Est Afrique de l'Ouest Asie du Sud Chine Asie de l'Est Asie du SE Asie Centrale Europe Centrale Russie, Ukraine et Bilorussie 0 10 20 30 40 50 60 70 - 5 000 10 000 15 000 20 000 25 000 30 000 35 000 40 000 PIB par habitant en $PPA HappyPlanetIndexparsous-rgion * PIB par habitant en dollars, mesur en parit de pouvoir dachat pour chaque sous-rgion et Happy Planet Index (HPI). labor par la New Economics Foundation, cet indice Plante heureuse croise la satisfaction des habitants, lesprance de vie la naissance et lempreinte cologique. En France comme dans de nombreux pays dvelopps, on observe une absence relative de corrlation avec la croissance du PIB ou de la consommation. Source : CAS, donnes HPI PIB, consommation des mnages et indice Plante heureuse en France, 1962-2007 -4% -2% 0% 2% 4% 6% 8% 10% 1962 1965 1968 1971 1974 1977 1980 1983 1986 1989 1992 1995 1998 2001 2004 2007 Happy Planet Index (satisfaction des habitants x esprance de vie /empreinte cologique) PIB (volume, prix chans, base 2000) Consommation des mnages (volume, prix chans, base 2000) Source : CAS, donnes INSEE, HPI 27. Pour une consommation durable - Premire Partie - Centre danalyse stratgique Janvier 2011 www.strategie.gouv.fr - 27 - Toutes ces critiques nont pas la mme origine : les organisations internationales de dveloppement, linstar du PNUD, mettent laccent sur les ingalits sociales tandis que les ONG environnementales se concentrent sur la pression cologique, et que de plus en plus dconomistes se focalisent sur labsence de corrlation entre croissance conomique et bonheur. Mme si elles ne saccordent pas sur une dfinition, ces analyses convergent sur la ncessit de traiter la question de la consommation durable. Cette prise en compte constitue un pas important vers la fondation dune politique ddie. Il y a notamment urgence prserver les gains environnementaux obtenus par la productivit accrue des ressources et viter quils ne soient annuls par les effets rebond ; les comportements de consommation ne doivent pas engendrer une obsolescence acclre des produits durables ni la croissance de la demande miner les progrs raliss grce des produits plus propres. Pourquoi leffet rebond mine-t-il lamlioration de lefficacit nergtique ? Difficile valuer au niveau national et rarement trait par les politiques publiques, leffet rebond explique pourquoi le soutien linnovation technologique ne suffit pas diminuer la pression environnementale1 . Lamlioration de lefficacit nergtique des biens et services engendre des conomies budgtaires ; celles-ci entranent leur tour sur lconomie dans son ensemble des effets rebond qui sanalysent trois stades distincts2 . Le premier effet, local ou direct, se situe au niveau dun bien ou service : la baisse de prix3 amne le consommateur utiliser la part du budget ainsi libre pour consommer plus du mme bien ou service (effet de substitution) ou dun autre (effet revenu). La hausse du taux dquipement des mnages, des volumes vendus mais aussi certains modes de consommation (renouvellement rapide, achat de dispositifs nergivores , mise en veille des appareils)4 ont ainsi largement contrebalanc la baisse de lintensit nergtique de llectromnager (voir graphique suivant). volution des missions de CO2 lies au chauffage des mnages, 1990-2007 Source : CGDD (2010), CO2 et activits conomiques de la France, tendances 1990-2007 et facteurs dvolutions , tudes & Documents, n 27, aot (1) Madlener R. et Alcott B. (2009), Energy rebound and economic growth: A review of the main issues and research needs , Energy, 34(3), mars, p. 370-376. (2) Herring H. et Roy C. (2007), Technological innovation, energy efficient design and rebound effect , Technovation, 27(4), avril, p. 194-203. (3) Leffet rebond est li llasticit de substitution du consommateur, cest--dire sa capacit remplacer un produit par un autre selon les variations de prix. (4) Enertech (2008), Mesure de la consommation des usages domestiques de laudiovisuel et de linformatique, op. cit. 28. Pour une consommation durable - Premire Partie - Centre danalyse stratgique Janvier 2011 www.strategie.gouv.fr - 28 - Le second effet, global ou indirect, est relatif limpact de ces comportements individuels agrgs sur le niveau de la demande globale et de la production induite. Dans des secteurs comme la tlphonie ou lautomobile, lamlioration de lco-efficacit a t plus quannule par laugmentation de la production, conduisant la baisse des prix de lnergie et la hausse de la consommation. Dans une perspective macroconomique de long terme, ces deux effets permettent dapprhender le changement de socit induit par linnovation technologique (effet dit de transformation ). Sur le march automobile, lamlioration des performances nergtiques des nouveaux vhicules a t largement compense par la croissance et le vieillissement du parc ainsi que par lallongement des distances parcourues. Si les voitures particulires ont vu leur consommation moyenne diminuer de 17 % de 1990 2008, et leurs missions de CO2 dcrotre de 20 %, in fine, la part des missions nationales de gaz effet de serre qui leur est imputable a augment de 2 % de 1990 20071 . Enfin, leffet rebond permet de comprendre comment linnovation technologique se rpercute sur lconomie dans son ensemble et par secteur dactivit. En France, le dcouplage entre la consommation dnergie et la production sexplique en partie par la diminution de lintensit nergtique depuis les annes 1970, mais surtout par limportance croissante du secteur tertiaire, moins intensif en nergie2 . Dcouplage entre niveau de lactivit et consommation dnergie en France, 1971-2007 0 50 100 150 200 250 300 1971 1973 1975 1977 1979 1981 1983 1985 1987 1989 1991 1993 1995 1997 1999 2001 2003 2005 2007 PIB (volume, prix chans, base 2000) Approvisionnement en nergie par habitant Intensit nergtique (consommation d'nergie primaire/PIB) Source : calculs CAS, donnes INSEE et OCDE (1) Baisse de la consommation unitaire moyenne de carburants : de 8,2 6,8 l/100 km de 1990 2008 ; et des missions moyennes de CO2 des vhicules neufs : de 176 140 g/km de CO2 de 1995 2008, in CGDD/SOeS (2010), op. cit. (2) Voir lanalyse du CGDD (2010), CO2 et activits conomiques de la France, tendances 1990- 2007 et facteurs dvolutions , tudes & Documents, n 27, aot. 29. Pour une consommation durable - Premire Partie - Centre danalyse stratgique Janvier 2011 www.strategie.gouv.fr - 29 - 1.4. Vers une politique publique de la consommation durable Une nouvelle dfinition Dans les socits modernes, la consommation a dpass la simple qute dutilit ou de fonctionnalit. Le consumrisme conduit les individus associer accumulation matrielle et bien-tre 1 , avec pour consquences lpuisement des ressources, la pollution de leau, des sols, de lair, le rchauffement climatique, lexploitation des travailleurs dans les pays en dveloppement Cest en raction une surconsom- mation non durable car excessive dans ses prlvements et ses rejets, et le plus souvent inquitable quil faut penser la consommation durable. Le modle actuel est issu dune orientation prise au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, qui a fait du couple production standardise/consommation le moteur principal dun nouvel quilibre conomique. Lcoulement de la production sappuie sur une culture consumriste, rige la consommation au rang de motivation essentielle et de symbole de russite. Ce modle est dsormais insoutenable, et ne traiter quune seule de ses dimensions serait se condamner lchec. Il faut dfinir la consommation durable, certes en rfrence au dveloppement durable, mais aussi de manire spcifique en abordant la question du changement socital. Une dfinition La consommation durable nous parat devoir se dfinir comme un triple changement des habitudes de la socit de consommation : un changement dans les finalits de la consommation, trop souvent considre comme la voie daccs au bonheur et comme un symbole majeur dans les relations sociales. Dans les pays dvelopps, elle doit fournir les lments ncessaires la satisfaction des besoins, et librer un espace pour linvention dun nouvel art de vivre qui respecte les besoins actuels comme ceux des gnrations futures (puisque la finitude du monde est incompatible avec la gnralisation de notre mode de consommation) ; une modification des pratiques et des comportements, qui doivent tre rorients vers une consommation de biens et services plus respectueux des hommes et de la plante, conome en ressources, moins gnratrice de pollution, plus favorable au progrs social, incitant la rcupration et au recyclage, et enfin plus dmatrialise (location, partage, change, etc.) ; une volution de la culture et des modes de vie : grce au temps et aux ressources ainsi libres, il sagit de trouver un quilibre entre valeurs matrielles et valeurs immatrielles qui peuvent tre, ou non, lobjet dchanges marchands (liens familiaux et sociaux, culture, art, sport, loisirs, vie associative). Dans cette optique, la consommation marchande perd son rle central dans les rapports humains. En revanche, dautres formes dchanges marchands, dmat- rialiss, mergent. La consommation durable nest pas une dconsommation mais une nouvelle cologie domestique porteuse dune meilleure qualit de vie pour tous et chacun, quel que soit son niveau de revenu. (1) Les caractristiques du systme de consommation outrance sont notamment dcrites par Gilles Lipovetsky in Lipovetsky G. (2006), Le Bonheur paradoxal. Essai sur la socit dhyper- consommation, Paris, Gallimard. 30. Pour une consommation durable - Premire Partie - Centre danalyse stratgique Janvier 2011 www.strategie.gouv.fr - 30 - Six facteurs cls de succs Comme le souligne une note produite pour la Commission europenne 1 , certains facteurs cls pour une politique de dveloppement durable se dessinent : la consommation durable doit tre reconnue indpendamment des politiques et programmes portant sur la production. Admettre que la consommation des mnages est prioritaire en termes de dveloppement durable sera un premier pas dcisif vers la dfinition dune politique de consommation durable adapte ; toutes les phases de lacte de consommation des produits sont prendre en compte (achat, utilisation et fin de vie). Lamlioration des performances nergtiques et environnementales des produits et services ne doit pas tre annule par laugmentation de leur consommation. Une politique de consommation durable ne se contente pas de dvelopper loffre durable et dorienter la demande vers ce march mais vise changer explicitement les modes dutilisation des produits et les niveaux de consommation ; en labsence dune dfinition consensuelle de la consommation durable, une telle politique doit sappuyer sur une prise en compte large des diffrentes approches. Elle doit tre flexible, notamment dans les domaines o les progrs techno- logiques sont rapides, et prvoir des outils de suivi prcis ; la transformation de la culture consumriste dominante prendra plusieurs dcennies et sappuiera sur des pionniers culturels , pour rorienter les institutions cls dans les domaines de lducation, des mdias mais aussi des entreprises et de ltat ; les urgences environnementales et sociales imposent dagir rapidement. Dans un premier temps, la politique de consommation durable se concentrera sur quelques enjeux clairement identifiables, comme la lutte contre le changement climatique et lquit des changes commerciaux. Il parat utile de la concentrer sur les domaines de consommation qui font lessentiel des impacts. Les entretiens mens loccasion du prsent rapport confirment les conclusions dune rcente tude europenne : trois secteurs reprsentent 70 % 80 % de la pression exerce sur les cosystmes, savoir lalimentation, le logement (y compris les quipements lectroniques) et les transports (notamment les dplacements touristiques) 2 . Laction publique devra cibler ces trois secteurs, qui prsentent en outre la caractristique dtre fondamentalement dtermins par la consommation des mnages ; cette politique ne sera efficace long terme que si elle modifie les comportements des producteurs et des consommateurs : elle devra privilgier les domaines dans lesquels la consommation a un vritable effet de levier, en tenant compte de la part des dpenses contraintes dans le budget des consommateurs. (1) Rubik F. et al. (2009), Promoting sustainable consumption. New policy approaches , Policy Brief. Institute for Ecological Economy Research (IW, Berlin), Institute for European Studies (IES, Bruxelles), The National Institute for Consumer Research (SIFO, Oslo), mars. (2) Tukker A. et al. (2006), Environmental Impact of Products (EIPRO). Analysis of the life cycle environmental impact related to the final consumption of the EU-25, Technical Report EUR 22284 EN, Bruxelles, juillet. 31. Pour une consommation durable - Premire Partie - Centre danalyse stratgique Janvier 2011 www.strategie.gouv.fr - 31 - Le bilan carbone du consommateur franais : postes de consommation et missions de carbone associes (en %) Source : Lenglart F., Lesieur C. et Pasquier J.-L. (2010), Les missions de CO2 du circuit conomique en France , in Lconomie franaise, INSEE 2 Des intentions aux actes Comprendre le comportement du consommateur est un vritable enjeu pour les pouvoirs publics soucieux de gnraliser les bonnes pratiques. Les politiques mises en uvre ne porteront leurs fruits que si elles tiennent compte des dterminants et des rcentes volutions en matire de comportements. 2.1. Une opportunit saisir : lmergence dune socit de services En vingt ans, les modes de vie et le march des biens et services ont profondment chang. Certaines tendances jouent dailleurs en faveur dune consommation durable. Le succs des offres qui renforcent le lien social notamment grce aux communications virtuelles et qui contribuent au bien-tre personnel et familial est le signe dune conomie de plus en plus tourne vers les consommations immatrielles et culturelles. rebours de lhyperconsommation quantitative qui a suivi lre de la consommation de masse, la consommation nouvelle semble acqurir une dimension qualitative. 32. Pour une consommation durable - Premire Partie - Centre danalyse stratgique Janvier 2011 www.strategie.gouv.fr - 32 - Aux racines de lhyperconsommation, des mcanismes psychosociologiques La sociologie comportementale parle de consommation et de gaspillage ostentatoires1 pour lucider les mcanismes de la surconsommation. Les intentions du consommateur se sont loignes des fondamentaux rationnels de la satisfaction des besoins premiers : lobjet ne vaut que pour le symbole social dont il est porteur. Au XIXe sicle, avec la monte dune nouvelle lite possdante, la consommation supplante graduellement le loisir comme marqueur social. Par la suite, llvation du niveau de vie dans les socits occidentales tend dmocratiser lactivit rcrative. Les plus aiss trouvent donc un autre biais pour se distinguer des classes moyennes : ce sera la consommation du superflu, qui manifeste un confort matriel au-del des premiers besoins physiques. Un phnomne de dsir mimtique oriente plus ou moins consciemment le consommateur2 . Ce dsir est contradictoire, puisquil sagit la fois de possder la mme chose quautrui et dtre le seul en jouir, notamment dans la consommation matrielle o domine lidal du rare. La logique publicitaire, en exploitant le pouvoir dattraction dun tiers photographi, montr en situation de possession, combl par lobjet ou le service, entretient chez le consommateur ce rve de flicit que promet laccs exclusif lobjet de sa convoitise. La recherche de services personnaliss La libralisation des marchs favorise le jeu de la concurrence et llargissement de loffre de produits et services. Mme sil est plus au fait des mcaniques mercantiles, le consommateur est dsormais confront une plthore doffres indites, dans des domaines quil ne matrise pas forcment, en particulier les produits financiers ou technologiques. Pour ces biens et services, et plus largement pour ceux dits dexprience 3 (longvit, performance culturelle) ou de confiance 4 (traitement mdical, travaux disolement, ducation), il ne dispose pas de connaissances accumules lors de consommations antrieures. Il demande alors assistance auprs dautres services (agences de voyages, conseillers financiers, relookings , etc.) qui acquirent progressivement une place prpondrante. En tmoignent le dplacement des dpenses de consommation des Franais au profit de ces offres et une augmentation de la part des dpenses ddies, en valeur (30 % en 1960, plus de 50 % depuis le milieu des annes 2000). Cette volution est surtout due la hausse de la part du logement dans le budget des mnages 5 et une volution des prix des autres services suprieure celle des biens. Depuis 1991, ce sont en effet les services qui tirent la croissance de la consommation en volume (voir graphique suivant). (1 ) Veblen T. (1899), Theory of the Leisure Class. Pour la version franaise : Thorie de la classe de loisir, Paris, Gallimard, 1970. Cet conomiste et sociologue amricain (1857-1929) relie lapparition de la consommation ostentatoire par accumulation lvolution des socits industrielles. Les dpenses ostentatoires se distinguent par leur fonction sociale et par leur lien consubstantiel avec le gaspillage : Conspicuous consumption of valuable goods is a means of reputability to the gentleman of leisure () In order to be reputable, it must be wasteful (in Conspicuous Consumption, 1902). (2) Girard R. (1978), Des choses caches depuis la fondation du monde, Paris, Grasset ; Girard R. (1982), Le bouc missaire, Paris, Grasset. Lauteur dcrit une dynamique de mimesis sans borne qui peut revtir la forme dune concurrence violente. (3) Dont les attributs ou qualits ne peuvent tre apprhends quaprs lusage. (4) Dont les attributs ou qualits ne peuvent pas tre apprhends par le consommateur, mme aprs usage. (5) Comprenant les loyers rels ou imputs aux propritaires occupant leur logement. La moiti de la hausse tient aux seuls services de logement. 33. Pour une consommation durable - Premire Partie - Centre danalyse stratgique Janvier 2011 www.strategie.gouv.fr - 33 - Dpenses de consommation et contributions des biens manufacturs et des services la consommation -1,0% 0,0% 1,0% 2,0% 3,0% 4,0% 5,0% 1979 1981 1983 1985 1987 1989 1991 1993 1995 1997 1999 2001 2003 2005 2007 2009 Contribution des biens manufacturs Contributions des services Evolution annuelle des dpenses en volumes par habitant Source : INSEE, calculs CAS Le choix du consommateur repose donc de plus en plus sur la confiance accorde loffreur (la marque) ou lapprciation de ses pairs. Les risques dinsatisfaction sont ainsi multiplis, dans la mesure o ce type de consommation nest ni chang ni retourn. Lintrt grandissant pour lexprience vcue plutt que pour lachat de biens matriels participe galement de ce changement et favorise la consommation doffres culturelles, de tourisme et de restauration comme lieux de rencontre. Le retour en vogue de lamnagement intrieur du logement marque une valorisation du cocooning et de la vie personnelle, avec de fortes exigences sur la qualit des biens durables lors de lachat. Le march sest lui aussi transform : il accorde une place grandissante la valeur immatrielle de loffre (marque, services lis, sentiment dappartenance une communaut dutilisateurs, atmosphre sur le point de vente). En tmoigne lexplosion des concept-stores qui proposent une gamme de produits et services dans une thmatique spcifique : la dcouverte de la nature (Nature & Dcouvertes) ou un cadre cosy et convivial (Starbucks). Pour soutenir une demande perptuelle, alors mme que les besoins sont largement satisfaits, le march cible dsormais au plus prs les attentes des consommateurs : Ikea pour lquipement intrieur ou H & M pour le textile illustrent cette cration de besoins toujours renouvels, grce la segmentation des produits et leur dsutude planifie . Le rle des technologies numriques La monte en puissance des technologies numriques et du e-commerce a induit une pntration de plus en plus rapide des produits, leur obsolescence acclre relle 34. Pour une consommation durable - Premire Partie - Centre danalyse stratgique Janvier 2011 www.strategie.gouv.fr - 34 - ou perue et le besoin de consommer en flux tendu. Les jeunes gnrations, en particulier, sont en recherche constante de satisfaction de leurs dsirs de consommation, influencs par ceux de leur communaut. Internet peut aussi servir chapper aux excs de la consommation de masse. Sans la remettre radicalement en cause, il permet lmergence dune consommation hors des circuits classiques ou reposant sur des produits de seconde main. Il a ainsi contribu gnraliser la vente et lachat doccasion, qui ont fait le succs de eBay 1 ou de PriceMinister. Il encourage le do it yourself , o des communauts de bloggeurs changent astuces de bricolage ou recettes de cuisine, et louverture de boutiques artisanales (Etsy) 2 . Internet favorise aussi des comportements daubaine 3 : les achats et leur prparation en ligne se sont dvelopps 4 . Cette approche rpond la gnralisation du modle low cost , qui fait flors en priode de crise conomique et dinquitude sur le pouvoir dachat. La figure du consommateur malin et conome se trouve valorise. La demande dinformation croissante face lhyperchoix pourrait susciter la mise en place de sites ad hoc. Lextension de la socit de services et sa dmatrialisation transforment loffre de services, qui soriente vers la commercialisation de solutions ou la rsolution dune demande. Dbutant par loffre de bouquets 5 , elle se dploie vers un marketing relationnel : le service vendu nest quun aspect certes important de la relation tablie avec le client. Ce dveloppement des offres personnalises entrane toutefois un rtrcissement du march traditionnel et limpossibilit pour le consommateur de comparer les propositions. Il renforce la relation commerciale contractuelle et augmente donc les dpenses pr-engages, qui sont une forme de dpenses contraintes. Nanmoins, Internet a partiellement rquilibr le rapport