Rachid Mimouni: Analyse clinique d'une...
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RACHId MIMOUNI « Il a marqué la littérature algérienne de ces derniers années »
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« Rachid Mimouni, le célèbre écrivain algérien, lauréat de plusieurs prix littéraires. L’auteur de « L’honneur de la tribu » a marqué la littérature algérienne depuis les années quatre‐vingt par ses nombreux ouvrages qui avait la mérite, que doit remplir toute œuvre littéraire digne de ce nom, de nous déranger, de nous sortir de notre confort, de nous entraîner dans des sentiers non battus et, bien sûr, de nous donner le plaisir, même grinçant, même brutal, de lire, de le lire. »
Rachid Mimouni est né le 20 novembre 1945 à Boudouaou (alma), à 30 kilomètres à l’est d’Alger, d’une famille de paysans pauvres. Il fréquente l'école primaire du village avant de continuer ses études secondaires à Rouiba. Il poursuit ses études supérieures à Alger (licence en sciences en 1968).
Assistant de recherche à l'Institut National pour la Productivité et le Développement Industriel, il obtient une bourse d’un an à l'Ecole des Hautes Etudes Commerciales de Montréal au Canada où il termine sa post‐graduation avant de revenir enseigner dans le même établissement à partir de 1976. Il enseigne également, à partir des années 90, à l'Ecole Supérieur du Commerce.
Membre du Conseil National de la Culture, Président de la Fondation Kateb Yacine, Président de l’Avance sur recettes. Il a également occupé le poste de vice‐président d’Amnesty International.
Le 12 février 1995, Rachid Mimouni nous quittait. Sa mort surprit même ses proches. Rachid Mimouni a été admis en janvier 1995 à l’hôpital Cochin, à Paris.
Il fallut toute la persuasion de sa famille pour le décider à se soigner. Son état de santé n’était guère brillant à son arrivée à Paris. Pour prévenir toute menace intégriste, son hospitalisation fut tenue secrète.
Grâce à des soins intensifs, on le croyait tirer d’affaire. Un soir de février, il attendit que la poignée d’amis venue lui rendre visite quittât la chambre et alors que rien ne le laissait prévoir, il sombra dans un coma irréversible.
Rachid Mimouni mourut loin des siens, loin de l’Algérie. Pour ses amis qui ignoraient jusqu’à sa maladie, le choc fut terrible. Leur tristesse céda très vite la place à la colère.
« Il est mort de cette façon — en fugitif — dont meurent aujourd’hui quelques‐uns des meilleurs Algériens... », écrivait un de ses amis dans la presse.
Le chanteur Matoub Lounès exprima quant à lui sa stupeur et s’interrogeait sur cette « tragique fatalité qui colle aux talons de 1’Algérie. »
Rachid Mimouni est mort de maladie. Il n’a pas été exécuté par les intégristes. Pourtant ce n’est pas faute d’avoir été menacé. Sans protection aucune dans son pays, il constituait une proie idéale pour les tueurs.
Dès 1992, sa condamnation à mort était placardée dans la mosquée à quelques centaines de mètres à peine de chez lui. Malgré l’insistance de son entourage, il se refusa à changer de domicile. Il gardera les mêmes habitudes.
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L’écrivain Tahar Djaout, son ami de longue date, tomba à son tour sous les balles des intégristes. Rachid Mimouni ressentit durement cette mort. Il lui dédiera son dernier livre, « La Malédiction », en ses termes : « A la mémoire de mon ami, l’écrivain Tahar Djaout, assassiné par un marchand de bonbons sur l’ordre d’un ancien tôlier ».
Le danger se faisait chaque jour plus proche. L’insécurité régnait partout. Nul n’était à l’abri. Rachid refusa de céder à l’affolement. Imperturbable, il poursuivra son travail.
C’est dans ce contexte que survint aussi la mort de son père, emporté par la maladie. Rachid était très attaché à son « vieux paysan de père ». Sa mort l’ébranla au plus profond de lui‐même.
Dans « Une Paix à vivre », il décrit ainsi le paysan fier d’accompagner son fils à l’Ecole Normale. Au premier regard, on reconnaissait le paysan endimanché descendu dans la ville. Pour s’en convaincre il n’était que de voir l’énorme turban qui lui grossissait la tête ou le beau burnous blanc qui gardait encore les plis de son rangement. L’Algérie était à feu et à sang. Les menaces se faisaient chaque jour plus précis, plus imminentes. Le danger guettait maintenant ses enfants. Rachid se sentit coupable d’exposer ainsi la vie des siens. Il lui fallait partir et rapidement. La décision n’était pas facile à prendre. Rachid craignait l’exil par‐dessus tout.
Il pressentait quelque part que l’exil signifierait pour lui un non retour définitif. Il répétait souvent « Si je quitte l’Algérie, je perds mes sources de vie, je ne pourrai plus écrire ».
Il se résigna. Il quittera l’Algérie le 27 décembre 1993 au petit matin avec sa femme et ses enfants. Il n’y reviendra que pour y être enterré à côté de son père.
Ecrivain s’il en fut, Rachid Mimouni se lança très tôt dans l’écriture. A peine ses études en chimie et en économie terminées, sa seule préoccupation était d’écrire et surtout de se faire publier. Ce qui n’était pas une mince affaire en Algérie dans les années 1970.
Rien ne le découragera. Ni la censure qui n’a pas le courage de s’avouer et qui « estropie, édulcore le plus bénin des textes, une hérésie utilitariste qui veut privilégier l’ouvrage scientifique et technique en repoussant d’un revers méprisant ce qu’on commence à qualifier de littérature. »
Ni un régime arrogant et ne reculant devant rien pour faire taire les opposants. ‐ Kateb Yacine fut très vite interdit de parole publique ‐.
Ni une pratique éditoriale et les magouilles qui, écrit Rachid Mimouni « laissent dormir les manuscrits des années durant en vue de faire réimprimer des livres dont les stocks d’invendus encombrent les rayons des dépôts. »
Son premier roman, « Le Printemps n’en sera que plus beau » ne fut publié qu’après des années d’attentes et de tracasseries bureaucratiques non sans avoir été amputé de plusieurs passages jugés subversifs. Rachid ne se découragera pas pour autant. Son obstination à écrire, à se faire éditer à tout prix n’avait d’égal que son courage.
Face à un Pouvoir qui ne supporte aucune remise en cause, Rachid Mimouni, sans aucun appui, sans moyens, isolé du monde extérieur, fera front, seul. « Si hier, avec courage et talent, nos aînés se sont levés pour dénoncer l’oppression coloniale, leurs épigones ne doivent pas se tromper d’époque », écrit‐il.
Et Mimouni de s’en prendre à ces « Plébéiens thaumaturges » qui, insensibles au phénomène culturel, ont érigé au rang de panacée la vertu de l’action, ce qui leur fait assimiler la gratuité de l’œuvre à l’inutilité de l’artiste... Rachid en était convaincu. Il nous fallait réagir, sortir des discours d’autosatisfaction d’un régime tourné vers le passé, sans projet de société crédible et qui se complaît dans un état de « confortable sclérosé » Rachid voulait enrayer à tout prix cette « lente atrophie de la réflexion critique » qui a mené les débats à une consternante pauvreté.
Inlassablement, il plaidera pour une autre littérature, une littérature qui « se donne une société à changer, une littérature qui mette le doigt sur la plaie ». De ce fait elle ne peut qu’être « engagée » et s’inscrire pleinement dans la réalité algérienne. Mais, ajoute Rachid, la littérature est « vertu d’exigence ». Et de définir le rôle de l’écrivain, de l’intellectuel algérien. « Je crois à l’écrivain comme pure conscience, probité intégrale, qui propose au miroir de son art une société à assumer ou à changer, qui interpelle son lecteur au nom des plus fondamentales exigences de
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l’humain: la liberté, la justice, l’amour... Je crois à l’intellectuel comme éveilleur de conscience, comme dépositaire des impératifs humains, comme guetteurs vigilants, prêts à dénoncer les dangers qui menacent la société ».
En 1983, Rachid Mimouni publie « Une Paix à vivre » après trois ans d’attente dans les tiroirs de l’éditeur. Il y décrit la triste réalité de l’Algérie de l’après‐guerre. Une Algérie plongée dans une profonde léthargie que mène la mort‐surprise du président Boumediene ne viendra pas rompre. Le régime reste toujours obnubilé par les commémorations, la glorification des martyrs de la Révolution, La Célébration des « succès » de la planification socialiste. Rachid tentera de susciter une prise de conscience : « Il est temps de retrouver notre lucidité. L’oppression, l’injustice, l’abus du pouvoir sont inacceptables d’où qu’ils viennent, et il ne faut pas se contenter de dénoncer ceux d’hier. ». En vain.
Les intellectuels algériens continueront malgré ses appels à se complaire qui dans une collaboration avec le régime qui dans un silence complice.
« On est en droit de se poser des questions ! s’écrie Rachid. Quel a été leur rôle au cours de ces deux décennies? Quels sont les grands débats qu’ils ont initiés, les projets, les idées qu’ils ont générés? Qui a dit ce qu’il pensait en son âme et conscience de la revendication berbère ?... »
Désabusé, Rachid parlera de ces « intellectuels caméléons » méprisés par le pouvoir qui cependant a besoin d’eux pour propager son discours et qui leur demande « non seulement de chanter ses louanges mais aussi de brûler ce qu’ils adoraient hier et inversement ».
Seuls Kateb Yacine étouffé et persécuté par le pouvoir, Mouloud Mammeri et Mohamed Dib trouveront grâce à ses yeux.
Il rencontra Kateb Yacine pour la première fois quelques années avant sa mort. Ce fut, aux dires de Rachid, un grand moment. Ils parlèrent longuement de « Nedjma », livre qui l’a profondément influencé.
En 1982, Rachid Mimouni termine « Le Fleuve détourné ». Il essaiera en vain de le faire publier en Algérie. La bureaucratie, la censure le décourageront. De guerre lasse, il se décida à envoyer son manuscrit à Paris, à l’adresse d’un éditeur qu’il avait découpée dans une revue.
La parution du roman fit l’effet d’une bombe. Un livre révélait pour la première fois au monde l’existence d’une Algérie qui souffre en silence, écrasée par un pouvoir tout‐puissant. Une Algérie bien différente de celle décrite dans les discours officiels.
Jacques Cellard lui consacra un article retentissant dans Le Monde. Il y comparait « Le Fleuve détourné » au « Procès » de Kafka et à « L’Etranger » de Camus. « Ce ne sont pas de minces personnages, précisa‐t‐il. Rachid Mimouni en porte le poids sans faiblir »
Le coup était rude pour le régime, et cela d’autant plus qu’il venait non pas de l’un de ces vieux opposants connus et tolérés mais d’un jeune inconnu formé dans les écoles de l’Algérie Nouvelle. La jeunesse était censée être entièrement acquise aux « valeurs de novembre et aux constantes nationales ».
Trop tard pour réagir. Rachid Mimouni devint du jour au lendemain mondialement connu. Il était hors d’atteinte. Mais les tracasseries, les intimidations se firent plus fréquentes. Elles donnèrent lieu parfois à des situations fort cocasses. C’est ainsi que Rachid fut convoqué un jour par la police du Port d’Alger pour s’expliquer sur un colis contenant des livres et qui lui était adressé. Prudent, il demanda à son ami voisin de l’accompagner. Une fois arrivé au port, un policier lui demanda ce que signifier ce colis. Rachid, calmement, lui expliqua que ces livres édités en France lui étaient envoyés par l’éditeur parce qu’il en était l’auteur. Le policier entra dans une violente colère : « Et toi pourquoi tu n’écris pas en Algérie comme tout le monde? » Rachid regarda son ami et éclata d’un fou rire. Surpris par cette réaction, le policier les laissa repartir avec le précieux colis. Rien ne viendra entamer la détermination de Rachid. Ni les refus « d’autorisation de sortie du territoire national », ni les pressions exercées par une police politique omniprésente.
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Impassible, il continua à dénoncer les excès d’un pouvoir, toujours aussi répressif. Son pessimisme naturel et sa profonde inquiétude se cristalliseront dans « Tombéza » publié en 1984. Un désespoir insupportable se dégage de livre noir. « Mimouni pane de l’horreur sur un ton paisible sans remous, ni éclat », écrira un critique.
Mais derrière ce ton calme, éclate l’urgence d’un appel. Rachid, en « guetteur vigilant » tirait déjà la sonnette d’alarme.
« Je suis bien conscient que de la lecture de « Tombéza » émane d’un sombre désespoir. Le style veut traduire la véhémence d’un appel solitaire devant le tragique d’une société qui vit la déliquescence de ses valeurs et de ses institutions. Faute d’avoir été abordées avec le courage et la lucidité nécessaires, les contradictions de notre société n’ont fait que s’exacerber. Nous risquons ainsi de déboucher sur le drame. » Nous étions en 1985 !
Les événements d’octobre 1988 soulevèrent un immense espoir dans le pays. Une relative démocratisation de la vie politique vit le jour. La pression se relâcha. Pour Rachid, il y avait comme une accalmie. C’est durant ces années qu’il rédigea « Une peine à vivre ». A côté de l’inévitable thème de la mort on voyait poindre le thème de l’amour...
Mais le répit fut de courte durée. « Un terrible monstre venait d’émerger des abysses... il allait tout dévaster. » . Une barbarie sans nom déferlait sur 1’Algérie.
« Alors cet homme si pacifique et si doux s’est déchaîné », écrit Jean Daniel dans Le Nouvel Observateur. « Il a fait croisade, il s’est répandu partout pour alerter, mobiliser, combattre ».
Pour Rachid, une fois encore, il était urgent d’intervenir dans le débat politique. Pour « Essayer de dire peut‐être de démontrer que l’intégrisme est le plus grand danger qui menace l’Algérie » . On sait aujourd’hui, dix ans après sa déclaration combien il avait raison. La barbarie, elle, est toujours là, plus que jamais.
« Le génie de Mimouni, explique un journaliste algérien réside en cela, qu’aux pires des situations, des pressions que subit le citoyen, jamais ne cède l’artiste, un artiste doté d’une force d’observation, d’une lucidité à telle enseigne qu’en suivant son regard on se croit perché sur les épaules d’un Titan ».
Mais la détermination dont il fit preuve dams sa lutte solitaire contre le régime puis contre un monstre : l’intégrisme ne saurait masquer une autre dimension de sa personnalité : une profonde humanité. Ses proches connaissaient et appréciaient sa retenue, son sens de la mesure dans les mots, dans les gestes. Sa démarche lourde, son air bourru cachaient mal une sensibilité à fleur de peau et une pudeur de tous les instants.
André Brincourt a bien traduit ce double aspect de la personnalité de Rachid Mimouni.
« Il y avait chez lui d’une part la violence de ses écrits, l’urgence de sa révolte contre ce qu’il a si véhémentement nommé : la barbarie et d’autre part la douceur de sa voix dans la vie quotidienne, presque sa timidité, ou faut‐il dire mieux : sa fragilité dans ses rapports humains fraternels ».
Rachid Mimouni est né dans une famille de paysans près de Boudouaou, un gros bourg connu pour son marché hebdomadaire. Les paysans de la Mitidja et des montagnes environnantes s’y donnaient rendez‐vous.
Il grandit entouré de ses trois sœurs, d’un père chaleureux et d’une mère trop distante selon lui. Très tôt, il est affecté de douleurs aux articulations. Sa santé restera longtemps délicate. Rejoindre chaque jour l’école communale, fort éloignée de la maison, était pour lui un véritable calvaire.
« Rachid était un enfant fragile, raconte sa mère. Il éprouvait beaucoup de difficulté à courir. Pendant que ses camarades jouaient au ballon, lui, adossé à un mur, préférait lire ».
Il put avoir une scolarité presque normale grâce à son instituteur. Ce dernier était séduit par cet enfant sage et appliqué. Il l’accompagnait régulièrement chez le médecin qui s’efforçait d’atténuer son mal.
Son enfance fut donc loin d’être idyllique. « J’ai frôlé l’autisme », confia‐t‐il. Il gardera une tendresse toute particulière à un enfant autiste de son voisinage. L’enfant l’appelait Moumouni ! Ce qui remplissait Rachid de joie.
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Elève brillant, Rachid fut facilement admis au collège. Mais son adolescence fut tout autant laborieuse. Unique garçon, il lui fallut travailler très tôt pour aider son père à subvenir aux besoins de la famille.
Malgré ses problèmes de santé, Rachid trouva à s’employer très vite dans les immenses fermes coloniales entourant Alma (devenue Boudouaou). Les exploitations étaient surtout spécialisées dans la culture du tabac.
Ce travail, saisonnier, pénible le marquera profondément et laissera des traces dans son œuvre, notamment dans « Une peine à vivre » où il raconte son expérience.
« Durant plusieurs semaines, j’eus à disposer feuille après feuille sur la saignée du bras. Non, ce n’était pas un travail de forçat. Mais le rugueux parenchyme enduisait peu à peu de résine noire la peau des mains, des avant‐bras, de la poitrine, du cou puis du buste tout entier. Aucun savon ne parvenait à dissoudre cette viscosité et, durant la nuit, dans la grange où je dormais, je sentais la poussière s’agglutiner sur mon corps poisseux. Et surtout, surtout cette molle gomme imprégnait mon être d’une écoeurante odeur. J’eus des nausées à vomir toutes mes entrailles, des toux qui déchiraient mes poumons. Je devais en garder une incurable allergie au tabac ».
Rachid attachait beaucoup d’importance à cette expérience. Dans les dernières pages du roman, il revient sur son travail dans les champs de tabac :
« Nous n’aurions jamais dû accepter de travailler dans ce maudit champ de tabac. Cette peine à respirer, c’est une peine à vivre. Je n’ai jamais pu courir un 1000 mètres ni pousser une belle beuglante. Je déteste nager, car cela ravive ma crainte d’étouffer. Je ne pouvais même pas prendre de repos, car je ne me sentais jamais à mon aise. Comment espérer jouir de quelques moments de détente avec ma difficulté à aspirer? »
Rachid était tourmenté par la vie. Mais il arrivait à surmonter cette « peine à vivre » en s’imposant rigueur et discipline dans son travail, dans sa vie quotidienne. « Il faut toujours rationaliser, aimait‐il répéter, sinon... ».
Dans ses livres, ses héros souffrent toujours et la mort est toujours là, au bout, presque comme une amie, pour les délivrer.
Comment ne pas penser à cette page admirable, la dernière de l’un de ses tout premiers romans « Une paix à vivre » Le jeune Djabri, malade est guetté par la mort. Il songe à sa fin prochaine.
« Il se vit étendu sur le sol, recouvert d’un drap blanc, tandis que l’assemblée psalmodiait uniformément des versets du Coran. Il vit la tombe creusée pour lui et imagina les mains attentives et respectueuses qui le placeraient dans sa dernière demeure où, après tant de drames et de luttes, il pourrait enfin goûter la sérénité du repos définitif. Ces pensées ne lui inspirèrent aucune tristesse, il fut même content à l’idée d’aller rejoindre, dans le sein de cette terre nourricière, ses parents et ses quatre sœurs... Il pensa à son enfance... Il comprit brusquement que la promesse de cette mort prochaine le libérerait de tous ses complexes, de toutes ses timidités, et qu’elle seule enfin était parvenue à l’exorciser de tous les démons de son enfance ».
Rachid Mimouni n’avait pas peur de la mort. Lorsqu’au plus fort des massacres et des attentats, son entourage le pressait de partir à l’étranger, il répondait toujours « Je suis algérien jusqu’à la moelle des os ». Il voulait partager le sort des siens. Il s’est battu pendant des années avec pour seules armes sa plume et son courage. Il a refusé toute compromission avec le régime. Mais voilà que, lui qui a sans cesse appelé à la résistance, est contraint à l’exil alors que son pays plongeait dans l’horreur. L’épreuve a été dure à supporter.
Lucide jusqu’au bout, Rachid Mimouni dresse un terrible constat, celui de l’échec d’un combat pour la liberté; « Triste histoire que celle des intellectuels algériens. Chaque fois qu’ils avaient rendez‐vous, ils ont raté le coche de l’histoire ».
Sa déception est à la mesure de son combat solitaire immense. L’indifférence devant le drame d’un peuple, les portes qui se ferment, accroissent son amertume : « La nuit tombe sur Alger la Blanche et une fureur meurtrière s’y déchaîne. Ceux qui ont été contraints de fuir cette aire de carnage buttent contre un mur d’impassibilité. Ils sont meurtris au plus profond de leur être » écrit‐il en mai 1994.
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Mais qu’avons‐nous donc fait pour mériter un pouvoir aussi médiocre, des dirigeants aussi bornés, une violence aussi cruelle, aussi aveugle? ‐ Interminable Malédiction ‐
Rachid Mimouni a‐t‐il préféré partir discrètement un soir d’hiver, comme s’il pressentait les noirs lendemains tant redoutés ?
SOURCE: site Officiel de l'écrivain Rachid MIMOUNI http://www.rachidmimouni.net
Rachid MIMOUNI: Analyse clinique d'une dictature Q : Comment le fils de paysans pauvres est‐il devenu un écrivain ? Y‐a‐t‐il eu un hasard bénéfique ?
Rachid Mimouni: J’ai eu la chance que mon père tienne à m’envoyer à l’école, à l’école française, je tiens à le préciser, ce qui n’était pas évident à l’époque. Les enfants d’Algériens n’allaient pas à l’école… Et il tenait à ce que je reste à l’école, à ce que je puisse poursuivre mon cursus normal.
Q : Pourquoi ?
Peut‐être parce qu’il avait une espèce de revanche à prendre sur le fait que lui‐même était totalement analphabète. Par son propre père, il a été mis au travail très tôt, il s’est rendu compte de la difficulté de vivre en faisant des travaux manuels.
Et s’est dit je souhaiterais réserver à mon fils ‐‐ je suis le seul garçon ‐‐ il voulait me préparer un avenir meilleur…
Q : Pourquoi une école française ?
Il n’existait à l’époque que l’école française. Il se trouve que je suis né (en 1945) dans un petit village de la colonisation, très typiquement colonial, Boudouaou, plus connu sous son nom d’Alma. A l’époque il n’y avait qu’une école française. Quelques années plus tard, on a créé une école coranique. Mais très vite le directeur de l’école… Nous étions quelques uns à faire en même temps l’école français et l’école coranique : nous étions mal vus des deux côtés.
C’était vraiment le village de colonisation, totalement créé par les colons, environ en 1870. Nous habitions dans les quartiers pauvres de la ville. Il n’y avait pas auparavant de concentration d’habitants. Le village de colonisation se définit d’abord par les deux grands édifices qu’il possède : d’un côté, l’église, en face, toujours au centre, la mairie. Les deux grands édifices qu’on retrouve toujours dans les villages décolonisation et au centre du village. Pourquoi ? Parce qu’il y a eu deux grands apports d’émigrés. Les colons d’un côté, qui avançaient derrière l’armée française, qui s’installaient là où ils pouvaient prendre des terres. Et eux ils étaient des gens très religieux, donc le premier édifice qu’ils commençaient à construire, c’était l’église.
Et beaucoup plus tard, vers 1880, après la montée du laïcisme en France, des exilés, dont la première préoccupation était de construire la mairie, parce que c’était le lieu laïc par excellence. Ces gens‐là ne sont pas devenus des colons mais ont travaillé dans l’administration ; par exemple l’enseignement était totalement tenu par eux.
Ca explique la typologie de ces villages de colonisation, à moitié des gens laïques qui ne fréquentaient jamais l’église, l’autre côté, les colons, qui eux étaient religieux.
Q : Donc votre père a voulu vous donner cette chance ?
Il était analphabète… Il n’y avait pas un livre chez nous.
http://www.rachidmimouni.net/
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Q : A quel moment y‐a‐t‐il eu un déclic, quand le fils de petit paysan s’est‐il intéressé aux livres, à la littérature, à l’écriture ?
Je pense que cela devait être vers la 4 eme. Cela a correspondu au fait qu’à ce moment là je commençais à maîtriser un peu la langue française, auparavant je parlais Arabe. Grâce à l’enseignement, j’ai pu accéder à la littérature. C’est à ce moment là que j’ai commencé à lire les grands classiques de la littérature française, et universelle. Cette envie est née comme ça, parce que dès le début j’adorais la littérature… Et j’ai continué à le faire.
Q : Donc vous avez découvert les livres. Un milieu tout à fait étranger par rapport à votre milieu familial. A quel moment avez vous dit "Moi, j’aimerais écrire"… Aimer les livres, c’est une chose, écrire…
C’est vrai, le livre était totalement étranger. Dans la maison de mes parents il n’y avait pas un livre, sinon les quelques ouvrages scolaires que j’amenais. En dehors de cela, pas un livre… Si bien qu’aujourd’hui mon père, quand il vient me voir, il regarde la bibliothèque. Il est très étonné de voir qu’on peut vivre dans cet univers de livres. Pour lui, c’est un monde qui lui est totalement fermé. Il a donc une espèce d’incompréhension, d’un côté. Mais aussi d’admiration qu’on puisse passer sa vie uniquement à regarder des pages écrites…
Q : Le premier livre qui vous a émerveillé ?
C’était le Grand Meaulnes. C’est le livre qui m’a le plus marqué à cette période là.
La littérature arabe, je n’y avais pas accès à cette époque là. Je parlais l’arabe bien sûr, je savais l’écrire, mais je n’avais pas une connaissance de la langue arabe suffisante pour accéder à la littérature. A l’époque, c’était toujours la période coloniale, dans mon lycée, on nous enseignait d’abord l’anglais comme première langue étrangère, et l’Arabe comme deuxième langue. Alors que c’est ma langue maternelle. Ca veut dire que même en nombre d’heures j’avais moins d’heures d’arabe que d’anglais. Ce n’est que beaucoup plus tard que j’ai étudié l’arabe en cours du soir, pour pouvoir… Je travaillais, j’enseignais dans un institut, je m’étais entendu avec quelqu’un qui étudiait l’arabe, c’était des cours particuliers, le soir…
Q : Le Grand Meaulnes, c’était un monde extraordinaire pour des petits Français, mais pour vous cela devait être un monde de rêves fabuleux ?
Le roman est fascinant… Cette atmosphère de mystère… C’était un monde auquel on accédait lentement à travers des extraits de textes qu’on avait dans nos livres. C’était un monde auquel je n’accédais que par la littérature. Je peux dire que j’imaginais, je voyais, je me représentais… D’ailleurs, quand je suis venu la première fois à Paris, j’avais l’étrange impression d’être dans une ville que je connais, je n’y avais jamais mis les pieds, mais par le biais de la littérature, j’y avais accédé. Je vois le parc Monceau, le jardin du Luxembourg… J’avais beaucoup lu sur ce monde que je n’avais jamais vu. Je l’approchais par la littérature. Si bien que quand je le voyais réellement, il me paraissait familier.
Q : Vous êtes rentré dans ce monde imaginaire… Est‐ce qu’un jour vous avez dit "Je veux écrire" ?
Pas vraiment. Ca n’est pas venu comme ça. Cela a été insidieux. Lentement, je m’imprégnais des écrivains pour lesquels j’avais une immense admiration. C’était la période où je pensais que tous les écrivains que l’on retrouvait dans les livres étaient tous morts. Il m’était à cette époque là difficile d’imaginer qu’un écrivain soit encore vivant.
C’est venu très lentement. J’ai commencé à gribouiller des textes, comme on peut le faire à cet âge là, vers 13‐14 ans. Je les ai encore ces textes, mais ils sont très mauvais. Et puis cela a continué comme cela. Un peu plus tard, vers l’âge de 19 ans, j’ai publié mes premiers textes, quelques nouvelles.
Q : Comment réagissait votre père ?
Je le faisais encore en secret. Quand mes premières nouvelles sont sorties, mon père ne le savait pas. Je les ai publiées dans une revue algérienne, juste après l’indépendance.
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Q : Ces années de la fin de la guerre, vous les avez regardées en spectateur, ou en acteur ?
Quand la guerre d’Algérie a commencé, j’avais 9 ans. Elle s’est achevée, j’avais 16 ans. Donc j’étais un enfant, puis un adolescent…. Cela m’a terriblement marqué. Je n’ai pas été un acteur… C’est quelque chose qui a marqué terriblement mon enfance, parce que c’était une guerre spéciale. Ce n’était pas la guerre d’un pays, d’une armée, contre une autre armée. Des batailles qui peuvent se dérouler en rase campagne. C’était… Il y avait une présence extrêmement importante de l’armée partout. Je me rappelle, pour aller à mon lycée, en bus, à dix kilomètres, il y avait trois contrôles de l’armée. Et même à un enfant comme moi on lui fouillait son cartable, on lui demandait ses pièces d’identité.
Par la suite, notre quartier a été rasé, et on nous a mis dans un camp de regroupement parce qu’on soupçonnait certains de nos pères d’abriter des maquisards du FLN. Ce qui était vrai d’ailleurs. C’était un truc affreux. J’ai vécu les deux dernières années de la guerre… On nous avait donné très exactement 24 heures pour déménager, et aller construire une maison là‐bas. Ce camp de regroupement était un terrain vague. Il fallait construire des masures en roseau, c’est là dedans que nous avons vécu deux ans.
Q : Beaucoup d’écrivains se sont concentrés sur cette période. Vous même vous avez tiré un trait sur cette période, vous vous intéressez à autre chose, vos livres ne portent pas…
Moi, je parle des problèmes de l’Algérie actuelle, moderne. D’abord parce que nos aînés ont écrit sur cette période, sur cette guerre d’Algérie. Tout en continuant de penser que c’est une page très glorieuse de l’histoire de l’Algérie, je considère qu’il fallait parler des préoccupations actuelles des gens, plutôt que de continuer à chanter cette mélopée.
Q : Le personnage d’une Peine à vivre, le dictateur... Manifestement, on retrouve dans beaucoup de vos livres le thème du personnage qui détient une certaine autorité, et en abuse. Maintenant, pourquoi le dictateur ?
Il faut bien se rendre à l’évidence qu’effectivement ce thème du pouvoir est très présent dans mes écrits, parce que j’estime ‐‐ et le dictature le dit à un moment donné ‐‐ le pouvoir est une maladie. C’est quelque chose qu’il faut essayer de réduire à sa plus simple expression. Moins les gens détiennent le pouvoir, mieux c’est pour les citoyens.
Q : Comment êtes‐vous arrivé à cette conclusion ? Est‐ce que vous même vous avez souffert de gens qui avaient trop de pouvoir ? D’où vous vient cette…
Je crois que je ne suis pas le premier ! On a toujours dit depuis longtemps que le pouvoir pervertit. Je n’ai pas du tout, dans ma carrière, ni dans ma famille, eu à subir une forme de tyrannie ni d’oppression. Mais je considère, c’est une conviction à moi, que le pouvoir est un mal, et qu’il faut mettre en place des systèmes ‐‐ un pouvoir démocratique ‐‐ et à l’intérieur même d’un pouvoir démocratique, partager le pouvoir, ne pas le laisser aux mains d’une seule personne ou d’un groupe de personnes. Je crois que plus il y a de centres de pouvoirs autonomes les uns par rapport aux autres, mieux la démocratie se porte.
Q : Votre dictateur… Vous avez pensé à un certain nombre de dictateurs connus… Staline, Amine dada… Avez‐vous pensé à des dictateurs arabes en particulier ?
Bien sûr…. Il est certain que ce dictateur tire ses traits d’un certain nombre de tyrans qui ont existé, qui sont toujours… Ce dictateur a les insomnies de Staline, il a la panse d’Idi Amine, il a la moustache de Boumediène ou celle de Saddam Hussein, il a la grossièreté de langage du syrien Assad, quand il n’y a pas de micro… Ceux là plus particulièrement…
Q : Pourquoi est‐il un peu désincarné ? Il n’a pas une tête de dictateur arabe. Pourquoi ?
Ma première idée, c’est de dénoncer les dictatures à travers le monde. Nous savons tous qu’elles sont encore très nombreuses dans les pays du Tiers Monde. Je suis certain que si je l’avais localisé dans un pays donné, cela aurait posé des problèmes… d’abord techniques… On ne peut pas… puisque je parle d’un chef d’Etat, si je le localise en Algérie, on pense aux chefs d’Etat, à un des chefs d’Etat qui ont dirigé l’Algérie. Or ce personnage, bien qu’ayant emprunté des traits à un certain nombre de dictateurs ayant existé, il n'est pas Boumediène, il n’est pas Staline, il n’est pas Amine Dada, il n’est pas Saddam Hussein.
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J’aurais parfaitement pu le situer en Algérie, si le niveau du pouvoir qu’il exerce, ce tyran là, était plus bas, s’il s’agissait d’un directeur d’entreprise, ou d’un maire, cela aurait pu se faire… Mais à ce niveau là, techniquement, cela aurait été impossible, parce que les gens auraient dit "Non, ça n’est pas vrai, il ne ressemble pas à celui qui a existé"…
Q : D’autres raisons ?
Le premier élément, c’est que je voulais dénoncer toutes les dictatures, et pas seulement celle qui a existé en Algérie. J’avais peur que si je le situe en Algérie on dise "Oh les pauvres Algériens, c’est bien malheureux pour eux", en oubliant qu’il en existe bien d’autres. Aussi le fait que ça m’est venu comme ça, au départ le dictateur était dans un pays sans nom.
Q : Vous le présentez comme quelqu’un qui a des comptes à régler avec la société, une revanche à prendre… quelqu’un issu d’un milieu assez misérable… Quand on entend tout ça, est‐ce que finalement il n’est pas justifié, mais expliqué. Est‐ce que vraiment les dictateurs sont des gens qui ont des raisons logiques d’être dictateurs ?
Ils ont des raisons. Ce que j’ai voulu faire, c’est expliquer pourquoi il devient un tyran. Ce n’est pas du tout une tentative de justification. C’est vrai que quand on prend un dictateur, ce sont la plupart du temps des gens qui viennent de milieux très défavorisés et ont des comptes à régler avec leur passé ou avec leur milieu d’origine ‐‐ à l’exception des monarchies, qui elles aussi sont des formes de dictature, mais c’est un autre problème.
Prenez Nasser, sans être extrêmement misérable, son père était un tout petit fonctionnaire qui vivait très misérablement. Sadate était un paysan né au bord du Nil.
Les dictateurs sont souvent des pauvres types pour qui le pouvoir est une revanche. Mais un jour, ils réalisent que cette revanche est totalement illusoire et ils commettent une faute. Mon dictateur a succombé à l’amour ‐‐ peut‐être le seul sentiment capable de détruire le pouvoir.
Q : Pour cette analyse clinique du système dictatorial, est‐ce que vous avez réuni une documentation ? Avez vous fouillé dans la vie de Sadate, Nasser, Boumediène, avez vous fouillé dans la vie des dictateurs ?
Oui, parce que cette histoire des dictateurs m’a toujours intéressé. Je l’avais même lue auparavant, avant d’avoir l’idée d’écrire ce livre. Je me suis documenté pour reprendre des éléments précis. Dans le livre, le maréchalissime sort parfois en voiture dans la ville, et dès qu’il voit une belle femme, il la fait monter pour coucher avec elle. C’est un détail tout à fait vrai tiré de la vie de Beria. Beria faisait ça le soir quand il avait fini de travailler… Il sortait dans la rue avec sa voiture, et quand il voyait une belle femme, il l’emmenait chez lui.
Il y a aussi beaucoup d’autres détails. L’histoire de l’enlèvement de cette fille qu’il aime a tout à fait existé. J’ai complètement transformé les circonstances, mais cela a existé en Algérie il y a 20 ans, en 1970… Comme je n’avais pas à faire un essai…
Q : Quelles ont été les premières réactions en Algérie ?
Bien sûr les Algériens vont décrypter les indices. Il y en a au moins un qui va leur permettre d’identifier ‐‐ de penser à Boumediène. C’est que le maréchalissime, quand il prend le pouvoir par un coup de force, son secrétaire général lui dit "Comment va‐t‐on appeler ce coup d’Etat" ? Le maréchalissime n’avait aucune idée, "c’était un coup d’Etat, j’ai pris le pouvoir, je n’ai pas besoin d’appeler ça comme ça". L’autre lui dit "Non, il faut quand même se justifier aux yeux de l’opinion nationale et internationale, on va appeler ça un "redressement révolutionnaire" ‐‐ Et comme vous le savez, quand Boumediène est venu au pouvoir, il a appelé ça un redressement révolutionnaire, donc les Algériens vont faire la chasse aux indices qui peuvent identifier l’Algérie... Il y en a beaucoup ? Non, quelques uns. Cinq ou six. A chaque fois, ça marche avec l’Algérie, c’est un pays au bord de la mer, un pays qui a des ruines romaines, qui produit du pétrole… Mais il y a de nombreux pays qui remplissent ces conditions.
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Q : Qu’est‐ce qui a changé pour un écrivain engagé en Algérie aujourd’hui ?
C’est très différent. Deux choses essentielles ont changé. Nous ne sommes plus surveillés par la police. C’est quand même une grande nouveauté. Avant 1988, j’étais régulièrement convoqué à la police, ce n’est jamais très amusant ces histoires là. Chaque fois que je faisais une conférence, le lendemain j’étais convoqué. A la fin, au lieu de répondre à leurs questions, je leur donnais le texte de la conférence.
En ce qui concerne mes livres, ils ont d’abord été interdits. Les premiers ‐‐ Le Fleuve détourné et Tombéza. On a même été jusqu’à interdire la presse française qui en faisait des critiques. Quand le Monde parlait du Fleuve détourné, il ne rentrait pas en Algérie.
Mes livres, surtout les premiers, ont provoqué des enquêtes des services de police, ils interrogeaient les gens de mon entourage, mes amis, l’institut où je travaillais. C’est très amusant de voir quel est le contenu de l’enquête, j’essaie de le montrer dans une peine à vivre. Les gens du pouvoir n’ont aucune sensibilité à la culture. La culture pour eux, c’est absolument inconsistant, ça n’existe pas, il n’y a de réalité que dans le pouvoir. Vous avez pu constater dans ce roman qu’à un moment donné le maréchalissime convoque tous les peintres qui existent encore dans le pays, c’est pas parce qu’il s'intéresse à la peinture, c’est parce qu’il recherche une femme, et il veut qu’on lui fasse le portrait le plus fidèle possible de cette femme. Il cherche à retrouver un visage, il a une idée très claire, il veut le visage de cette femme là pour en faire une photographie et pour la donner à ses agents pour qu’ils aillent la rechercher. Voilà l’idée qu’il se fait du peintre, c’est à dire que ce sont des gens qui savent dessiner de la façon la plus précise possible. Et donc il va les utiliser dans ce sens là. Leur production en tant qu’art, il y est totalement fermé, il ne sait pas ce que c’est.
Pour en revenir au propos de ces enquêtes qui ont été faites sur moi au moment de la sortie du Fleuve détourné, les policiers qui interrogeaient les gens, ils voulaient savoir
1) si j’avais, moi ou mon père, des terres qui avaient été nationalisées pendant la réforme agraire. Ils voulaient savoir si nous avions une usine qui aurait été nationalisée. Ils voulaient savoir si nous étions proches d’un des grands opposants politiques qui à l’époque étaient tous en exil, ou emprisonnés. Pour eux, si j’ai écrit un livre aussi contestataire, c’est que j’ai un compte à régler personnel avec les gens du pouvoir.
Ils cherchaient une raison… Pour eux, écrire un livre, faire de la littérature, n’est pas compréhensible. J’étais un citoyen comme un autre, il n’y avait pas de dossier sur moi.
Deuxième élément, il n’y a plus de censure en Algérie, on peut écrire ce qu’on veut, là où on veut. Très récemment, j’ai écrit un article très méchant, à la limite de l’insulte, contre le gouvernement, pratiquement j’insulte le gouvernement, bon, c’est passé. Avant, d’abord jamais cet article ne serait sorti, et s’il était sorti, j’aurais passé quelques jours en tôle.
Un autre exemple. Vous ne connaissez que les livres qui sont sortis en France. Mais avant, j’avais publié deux livres, deux romans, en Algérie. Le premier est passé sans problème, c’est un roman que j’ai écrit à l’âge de 20 ans, assez imparfait, parce qu’il n’y avait pas de contenu critique dedans. Mais j’ai publié un deuxième livre, "Une paix à vivre", qui lui a eu de très sérieux problèmes avec la censure. En fait, j’ai négocié avec la censure pendant 6 mois. Parce que dans certains chapitres de ce roman je parlais du coup d’Etat de Boumediène, je racontais l’histoire d’un groupe de lycéens qui sortaient dans la rue pour protester contre le coup d’Etat ‐‐ ils ont été pris, emprisonnés. C’est un peu autobiographique, puisque j’étais parmi ces lycéens sortis dans la rue.
Il était hors de question de laisser tout ce passage. Il y avait m^me une censure, je dirais littéraire. Quand le personnage disait "Merde", on disait "Non, c’est beaucoup trop grossier, on ne peut pas publier ça, est‐ce que vous pouvez le changer par un mot moins fort".
Il y avait autre chose… A un certain moment, je montrais le président ‐‐ après avoir parlé du coup d’Etat ‐‐ je le montrais dans un truc pas très sérieux, il faisait des bêtises… Par exemple, il venait assister à une pièce de théâtre, pour montrer qu’il s’intéressait à… (la culture) et il la quittait en milieu de pièce. dans ce système, dans toute la salle, il n’y a que des officiels et des agents de sécurité. Quand il s’en va, tout le monde s’en va avec lui ‐‐ il n’y a pas de public ‐‐ je traitais avec un peu de dérision ce genre de comportement. Le censeur me disait "Est‐ce que ‐‐ je veux bien, c’est vrai ‐‐ mais d’une façon générale est‐ce qu’on peut donner cette image d’un chef d’Etat ? Il y a des
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moments où il est sérieux. Pourquoi est‐ce que vous ne contrebalancez pas en mettant un passage bien. A mon avis, c’est marginal, ce qui est important, c’est ce qu’il fait par ailleurs. Pourquoi vous ne montrez pas ce qu’il fait d’important et d’essentiel". Au fond, il cherche à vous faire refaire votre roman, et à changer votre vision du monde.
Q : Est‐ce que pour les écrivains algériens c’est un nouveau chapitre ?
Oui, très important, maintenant les écrivains algériens peuvent écrire, publier, ce qu’ils veulent, là où ils veulent… y compris en Algérie. Très important pour les intellectuels.
Un intellectuel, c’est par définition quelqu’un qui doit s’exprimer. A partir du moment où il a la liberté d'expression, c’est fondamental.
Q : Pour vous, ça ne change pas grand chose?
Oui, moi j’ai eu la chance de pouvoir éditer ici en France. Mais nous avons beaucoup d’autres écrivains qui essaient ‐‐ essayaient ‐‐ de publier là bas, et ils étaient sous le poids de la censure.
Q : Vos livres ont ils été traduits en Arabe ?
J’en ai un, Tombéza. C’est l’unique livre traduit en arabe. L’Algérie est assez paradoxale. Alors que mes cinq livres ont été traduits, au total, dans onze langues étrangères… Il y a eu des éditions pirates au Moyen Orient, c’est très éphémère.
Q : Vous êtes un écrivain algérien de langue française. Pour qui écrivez vous d’abord ?
Mon public naturel, c’est le public algérien. Mais un écrivain, d’une façon générale, cherche à avoir le public le plus vaste et le plus diversifié possible. Par conséquent, je suis très heureux d’avoir un public ici en France, comme je suis très heureux d’être traduit en anglais, en allemand, en espagnol, en italien.
Que cherche un écrivain, au fond ? A faire aimer ce qu’il fait par le plus grand nombre de gens possible, à essayer de leur faire partager ses idées. Par conséquent, mon public premier, c’est l’algérien. Mais je suis très heureux d’avoir beaucoup d’autres publics
Q : Aujourd’hui, avec toutes les mesures d'arabisation en Algérie, quelle est la place d’un écrivain de langue française ? Etes‐vous sur une plate‐forme qui se rétrécit de plus en plus ? Etes‐vous un peu dans un cul de sac ? Ou au contraire, avec les nouvelles libertés, est‐ce que ?…
C’est une question très importante, aujourd’hui en particulier. En France, on voit très mal l’avenir de la langue française en Algérie. Souvent on me parle de cette loi qui a été votée il y a un an environ par l’assemblée… Vous avez pu constater qu’en dehors des pays je dirais naturellement francophones, la Suisse, la Belgique, le Quebec, le seul pays vraiment francophone, où l’usage du Français est très répandu, c’est l’Algérie. Ce n’est pas des pays comme le Sénégal, la Côte d’Ivoire, comme le Congo, le Zaire, dont la langue officielle est le Français. Nous, notre langue officielle, c’est l’Arabe. Mais le seul pays où on utilise couramment le Français, c’est l’Algérie.
Alors, vis à vis par exemple de l’auditoire, c’est assez paradoxal, le public de n’importe quel livre en Algérie, quand il est écrit en Français, il est double de celui quand on écrit en Arabe. A qualité égale, à même prix, un livre se vend deux fois plus quand il est écrit en français. Le signe le plus manifeste de cela, c’est les journaux. Un journal, quel qu’il soit, quand il sort en Français… Les journaux actuels ‐‐ une floraison. Il y en a 6 ou 7 qui vendent à 150.000 exemplaires par jour. Nous avons un très grand public ‐‐ les Algériens ont une soif de lire vraiment extraordinaire. Avant, nous avions les journaux officiels de l’Etat. Le Moudjahid tirait avant à 350.000 exemplaires par jour. Son équivalent du soir, Horizon, 300.000. Leur équivalent n Arabe, Chaab, à l’époque, tirait à 60.000 exemplaires, vendait à 30.000. Messa (équivalent du soir) 15.000 exemplaires. C’est le journal de l’Etat, il y a les mêmes informations dans le Moudjahid que dans Chaab.
Le lectorat de langue française est encore immense. dans toute l’Algérie, aujourd’hui, plus de 50 journaux, dont 5 ou 6 tirent à 150.000. Le Moudjahid a baissé ‐‐ encore à 200.000 ‐‐ le Watan à 150.000, Le Soir, à 150.000.
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Q : Donc vous n’êtes pas inquiet pour votre avenir ?
Au delà des débats… c’est un pays… Cette assemblée qui vote des lois complètement débiles ne représente pas du tout l’Algérie. Elle a été élue dans des conditions particulières, des bonshommes qu’on mettait là parce qu’on n’avait plus besoin d’eux ailleurs, des gens qui ne savent pas gérer, qui faisaient des bêtises quand on leur donnait des responsabilités, alors on les mettait dans l’assemblée.
Aujourd’hui l’Algérie se dirige naturellement, c’est une chance je pense, vers un système bilingue, où les gens parlent naturellement les deux langues. Je le constate parce que je suis enseignant, j’ai des étudiants qui font leur licence totalement en Arabe. Ils arrivent chez moi en post‐universitaire, ils passent très naturellement en Français, sans aucun problème. Le Français n’a jamais été autant enseigné que depuis l’indépendance. A l’époque, dans l’Algérie entière, il y avait 5.000 personnes qui allaient à l’école des Algériens. Aujourd’hui il y a 500.000 étudiants dans le cycle supérieur, qui étudient le Français…
Q : L’absence de censure crée‐t‐elle un nouvelle atmosphère ? Ouvre‐t‐elle un nouveau chapitre ?
Certainement, depuis la libéralisation… Pour le moment, cela s’exprime surtout dans la presse. Le monde de l’édition connaît des difficultés matérielles, ils n’ont pas assez de papier pour sortir les livres qu’ils aimeraient publier. Mes livres sont repris par un éditeur algérien qui les ressort là‐bas, sous son nom. C’est beaucoup moins cher. Une Peine à vivre 120 F, en Algérie cela vaudrait 500 dinars, alors mon éditeur le reprend, il serre le texte, parce que le papier est cher, la qualité est moins bonne… S’il a assez de papier, il va faire un premier tirage à 20.000 exemplaires. pas sûr qu’il puisse faire un second tirage. Il faut attendre au moins un an.
Q : En conclusion, comment vous définissez vous ?
Pour moi, l’écriture est un acte de transgression… J’appartiens à cette race d’écrivains militants ! Il n’est pas possible d’ignorer la misère, l’injustice, la corruption…
(Les Cahiers de l’Orient (extraits), 1992. The Middle East magazine, February 1992)
Source: http://www.chris‐kutschera.com/Rachid_Mimouni.htm
http://www.chris-kutschera.com/Rachid_Mimouni.htm
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RACHID MIMOUNI
Au printemps 2007, Le Fleuve détourné de Rachid Mimouni a connu une adaptation pour la scène. Nommée à la direction de la Maison de la Culture de Béjaïa, la metteure en scène Hamida Aït el Hadj y a retrouvé le dramaturge et metteur en scène Omar Fetmouche qui dirige le Théâtre de la ville et qui s’est attelé à adapter le plus célèbre roman de Mimouni. Lors d’une conférence de presse donnée en compagnie de l’animateur TV Mourad Khan et du chanteur de rap Lotfi Double Kanon, qui ont été sollicités pour les besoins de la pièce, Omar Fetmouche s’est ouvert des nombreuses difficultés de l’adaptation. La générale a eu lieu le 6 février 2007 au Théâtre national d’Alger. Le spectacle a ensuite été visible à Boumerdès, lors du 12è anniversaire de la disparition de l’écrivain, ainsi qu’à Béjaïa. Le 12 février 1995, la nouvelle tombait comme un couperet : l’écrivain Rachid Mimouni décédait à l’hôpital Cochin à Paris d’une hépatite aiguë. Alors que le pays s’enfonçait dans la spirale de la violence et des assassinats d’intellectuels et d’artistes, l’Algérie perdait l’une de ses voix les plus lucides et les plus attachantes. Dans un entretien accordé au milieu des années 80 à l’universitaire Hafid Gafaïti, Rachid Mimouni disait croire "à l’intellectuel comme éveilleur de conscience, comme dépositaire des impératifs humains, comme guetteur vigilant prêt à dénoncer les dangers qui menacent la société". Né en 1945 à Boudouaou (ex‐Alma) à l’est d’Alger, au sein d’une famille de paysans modestes, Rachid Mimouni se destinait à une carrière de scientifique. Après une licence de chimie obtenue en 1968 à l’ENS de Kouba, il poursuit des études de management à Montréal. De retour au pays, il enseigne l’économie à l’Inped, à l’Ecole supérieure de Commerce et à l’université d’Alger. Il mène parallèlement une carrière d’écrivain inaugurée avec Le Printemps n’en sera que plus beau, un premier roman écrit en 1971 et paru seulement sept ans plus tard. Auteur d’une dizaine de livres, Rachid Mimouni a commencé par publier des poèmes et surtout des nouvelles (une vingtaine), notamment dans la revue Promesses. La reconnaissance viendra avec Le Fleuve détourné, paru en 1982 à Paris et largement salué par la critique. Fervent lecteur de Kateb Yacine, Dos Passos, Joyce, Kafka et Camus, mais aussi des Sud‐Américains Borges, Asturias et Garcia Marquez, l’écrivain s’est imposé avec ce roman où le narrateur, un maquisard qui a perdu la mémoire lors d’un bombardement, retrouve ses esprits et son village après l’indépendance. Officiellement au nombre des martyrs de la guerre de libération, le personnage va s’épuiser à vouloir reconquérir une identité et retrouver les siens dans un pays où il ne reconnaît plus rien. D’abord édité en France, Le Fleuve détourné attendra trois ans avant de l’être en Algérie. L’auteur confiait que la police à cette époque enquêtait à son sujet et le convoquait pour l’interroger. Sensible à la réalité sociale algérienne, Rachid Mimouni s’est constamment attaché à investir le pays réel dont il a pu forcer le trait dans certains livres comme Tombéza (1984), un roman "volontairement poussé au noir". Citant Picasso, lorsqu’il déclarait en substance que "l’art n’est pas la vérité, mais un mensonge qui permet de l’approcher au plus près...", Mimouni disait croire très fort à ce pouvoir de l’art. "Imagination proliférante, refus d’une esthétique formaliste, notait à son sujet l’universitaire Benamar Mediene, en guise de préface à l’édition algérienne de L’Honneur de la tribu, Mimouni fait sauter les clôtures, ouvre à l’infini les perspectives de la parole. [...] Comme Julien Gracq, ajoute Mediene, Mimouni sait que la littérature et la poésie sont l’esprit de l’histoire. C’est dans l’histoire que Mimouni explore en ses profondeurs, en ses strates de non‐dits, pour donner forme et parole aux oubliés, aux silencieux, aux aphasiques, aux muets, aux bègues et aux ombres dans cet univers du temps des morts." Dans Une peine à vivre (1991), Mimouni s’est efforcé de "montrer l’horreur de la dictature et des systèmes totalitaires". Entre essai et pamphlet, avec pour point d’orgue les premières élections législatives pluralistes de décembre 1991, De la barbarie en général et de l’intégrisme en particulier (1992) se penche sur le legs de l’Algérie du parti unique et l’imposture des intégristes islamistes. Dans La Malédiction (1993), qui est aussi son dernier roman, les islamistes ont entrepris de prendre le pouvoir et de régenter la vie quotidienne de millions de citoyens pris en otage. En décembre 93, ce défenseur des libertés d’expression et de conscience s’était résolu, la mort dans l’âme, à quitter
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son appartement de Boumerdès à 50 km d’Alger pour s’établir à Tanger avec sa femme et ses trois enfants. Rachid Mimouni tiendra une chronique sur les ondes de Médi 1, qui fera l’objet d’un recueil publié à sa disparition. L’écrivain s’est éteint dans la fleur de l’âge. Il avait tout juste cinquante ans. Certains de ses romans ont été traduits, notamment en arabe (Tombéza, La Malédiction), en anglais (L’Honneur de la tribu, La Ceinture de l’ogresse), en allemand (Tombéza, L’Honneur de la tribu) et en espagnol (La Ceinture de l’ogresse). Deux romans ont en outre connu des adaptations pour le cinéma. Après Le Fleuve détourné, signé Okacha Touita et resté dans les tiroirs, ce fut au tour de L’Honneur de la tribu d’être adapté et porté à l’écran par Mahmoud Zemmouri. Bibliographie de Rachid Mimouni
Chroniques de Tanger (jan. 1994‐jan. 1995) (Paris, Stock, 1995) (Rééd., Paris, Presses Pocket, 1998) La Colline visitée. La Casbah d’Alger
Texte de Rachid Mimouni Dessins de Jacques Ferrandez (Paris, Editions DS, 1993) La Malédiction (roman)
(Stock, 1993) (Rééd., Paris, Presses Pocket, 1995) De la barbarie en général et de l’intégrisme en particulier
(Paris, Le Pré aux Clercs, 1992) (Alger, Rahma, 1993) (Rééd., Presses Pocket, 1994) Une Peine à vivre (roman) (Stock, 1991) (Rééd., Presses Pocket, 1993) L’Honneur de la tribu (roman) (Paris, Robert Laffont, 1989) (Paris, Livre de Poche, 1991) (Rééd., Stock, 1999) La Ceinture de l’ogresse (nouvelles) (Paris, Seghers/Le Fennec, 1990 ; 1998) (Rééd., Alger, Laphomic, *) (Rééd.,
Stock, 1999) Tombéza (roman) (Robert Laffont, 1984 ; Rééd., 1989) (Rééd., Alger, Laphomic, 1985) (Rééd., Paris, LGF, 1991)
(Rééd., Presses Pocket, 1996) (Rééd., Stock, 2000) Une Paix à vivre (roman) (Alger, ENAL, 1983 ; Rééd., 1994) (Rééd., Stock, 1995) Le Fleuve détourné (roman) (Robert Laffont, 1982) (Rééd., Alger, Laphomic, 1985) (Rééd., Presses Pocket, 1991)
(Paris, Stock, 2000) Le Printemps n’en sera que plus beau (roman) (Alger, SNED, 1978 ; Rééd., 1988) (Alger, ENAL, 1983 ; Rééd., 1994)
(Rééd., Stock, 1995) (Rééd., Presses Pocket, 1997)
Source : http://www.algeriades.com/news/previews/article1632.htm
http://www.algeriades.com/news/previews/article1607.htmhttp://www.algeriades.com/news/previews/article1607.htmhttp://www.algeriades.com/news/previews/article594.htmhttp://www.algeriades.com/news/previews/article594.htmhttp://www.algeriades.com/news/previews/article1632.htm
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Rachid MIMOUNI : Une œuvre majeure et plurielle
Écrit par Rachida Derguini 19‐02‐2009
Il y a quatorze ans, le 12 février 1995, Rachid Mimouni nous quittait. Plus vivante que jamais, l’œuvre de ce fils de paysan devenu grand écrivain, reste inlassablement ancrée à l’Algérie. A un moment où le pays tout entier n’a pas encore fini sa lutte contre l’obscurantisme, cette œuvre nous parle, encore et toujours actuelle et subversive… En hommage à cet écrivain, témoin lucide et inépuisable des heures les plus sombres de la folie meurtrière qui a saigné l’Algérie, un regard sur quelques‐uns de ses romans… Avec Le printemps n’en sera que plus beau (1), son premier roman, Rachid Mimouni fait revivre la période héroïque du combat d’un peuple pour son Indépendance : les héros de ce romans sont jeunes, graves, investis d’une mission essentielle. Comme dans une tragédie antique, ils évoluent dans une trame simplifiée qui fait de l’action principale une inexorable avancée vers la mort. La voix du poète, semblable à celle d’un coryphée, la très forte stylisation théâtrale du texte, le nombre réduit de personnages amplifient la portée symbolique de ce drame qui finit par s’incarner dans le sacrifice final de l’héroïne… Le printemps n’en sera que plus beau intègre ainsi l’incontournable thème de l’histoire de l’Indépendance algérienne… Mais, déjà, sont posées dans ce premier roman la problématique collective du sacrifice fondateur, celles de l’amour, de l’illusion et des engagements à tenir… Une paix à vivre(2) nous invite à suivre une tranche de la vie d’un adolescent aux toutes premières heures de l’Indépendance algérienne. L’Ecole Normale d'instituteurs en est le cadre narratif privilégié : lieu de formation de la jeunesse de l’après‐guerre, mais aussi lieu où se cristallisent de nombreux paradoxes. Ainsi en est‐il du culte de l’école cultivé par les parents alors même qu'il est contredit par leur propre inaptitude à en apprécier les acquis autrement qu’en termes de statut social : à l’exemple de Mohamed IGUER, petit berger devenu musicien mondialement reconnu, mais au génie totalement méconnu des siens, qui mourra dans une indifférence quasi‐générale... Ainsi en est‐il aussi de l’ apprentissage scolaire de la citoyenneté qui, pourtant, au sein de la société, se heurte aux barrières érigées à l’expression politique (avec la répression des manifestations estudiantines, et l’encadrement bureaucratique de l’expression…) . Ainsi en est‐il enfin d'une revendication de liberté à l’égard de la pression religieuse , et qui, pourtant, tourne court dès la première mise à l’épreuve de force… Mais au delà de cet arrière plan sociologique et politique, Une paix à vivre trouve sa dimension littéraire dans l’itinéraire poignant du personnage principal, Ali Djabri. Pour cet orphelin de seize ans, dont les sœurs ont été décimées par la maladie, l’ignorance et la misère, dont les parents ont été déchiquetés par les bombardements de l’armée française, il reste une échappatoire à la folie qui le menace : comprendre. Comprendre la logique meurtrière qui a ravi à son affection Fatma, sa sœur cadette, sa préférée, puis ses trois autres sœurs ; comprendre pourquoi « un déluge de feu s’était abattu sur (son) douar, dévastant les vieilles mechtas et poursuivant les petites fourmis humaines qui fuyaient à travers champs »… Le poids trop douloureux de la mémoire fait d’Une paix à vivre un impossible quête de l’oubli : et il finit par être mortifère… Le Fleuve détourné(3) amorce un tournant décisif dans l’écriture de Mimouni. La mise en évidence de l’absurde politique et social s’effectue par un entrelacement de deux itinéraires et un traitement particulièrement complexe de la temporalité romanesque. Le premier itinéraire est collectif : il concerne un groupe d’hommes considérés comme subversifs par une administration omnipotente qui entend bien les neutraliser au moyen d’une castration systématique.
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Le second itinéraire est individuel : un ancien moudjahid, figurant comme martyr‐chahid sur la liste de noms d’un monument aux morts, revient pourtant un jour, sur les lieux de son passé, à la recherche de son épouse et de son fils. Un seul et unique narrateur ‐ sans nom – pour deux quêtes entrecroisées : un mort vivant qui, de mémoire perdue en mémoire retrouvée, observe avec effroi l’état de délabrement moral de son pays. Cette polarité du récit décuple les possibilités de points de vue et c’est ainsi que, substituant au poids du passé et de l’histoire le poids non moins oppressif du présent et du vécu, Rachid Mimouni inaugure une thématique nouvelle : la thématique existentielle. Celle‐ci marquera l’ensemble de ses romans à venir. Elle est exprimée avec angoisse par ses différents personnages, dont celui de l’Ecrivain, à travers cette question fondamentale : « Que sommes‐nous ? » Et, en effet, lorsque l’injustice, le viol, la dépossession habitent un corps social, il y a trahison de la mémoire, et c’est alors « en nous‐même qu’il faut chercher l’origine de la trahison ». Dans le Fleuve détourné, Rachid Mimouni pose les jalons d’une orientation radicale de son écriture, renforcée par cette sorte de mise en écho interne de ses romans : en effet, on y trouve déjà formulés et même réitérés les mots de « malédiction » et de « peine à vivre » qui deviendront les titres de ses romans suivants, tandis que le thème obsessionnel du viol et de la bâtardise constituera la substance principale de Tombéza(4). Tombéza se déroule dans ce temps aussi infini que bref qu’est le temps d’une agonie. Au seuil de sa mort, le personnage Tombéza déroule le film de son horrible vie qui, inéluctablement, va se transformer en destin. Il se saisit alors du pouvoir de raconter mais aussi de celui de parler : parler sans peur, sans complaisance, mais avec une hargne, un écœurement et une inextinguible révolte, d’une société qui a fait de lui non seulement le produit d’un viol mais aussi le coupable de sa bâtardise. Tout comme sa mère qu’il n’a pas connue, sa mère, adolescente d’à peine seize ans lorsqu’elle fut non seulement violée par un inconnu mais aussi, et à cause de ce viol, battue à mort par son propre père. A travers le prisme d’une société qui condamne ses victimes, les déclare coupables d’avoir subi le viol et les punit pour ce même motif, Rachid Mimouni impose une autocritique sociale rigoureuse qui débouche sur l’idée que l’individu ne peut qu’accuser les traits de la société qui l’englobe. Ici, l’hypocrisie sociale et la lâcheté sous toutes ses formes : celle du tabou sexuel et de la misogynie qui offre au violeur une totale impunité, celle du tabou religieux qui permet à l’ignorance d’embrigader la foi et le savoir, celle du tabou de la bâtardise qui désigne le bouc émissaire …et la liste est longue. Une Peine à vivre (5) exploite le même motif d’un personnage au seuil de sa mort. Ce roman présente l’interminable râle d’un homme qui a su user de toute les compromissions, les lâchetés, les violences et les servilités qu’une société recèle à l’usage de qui veut bien s’en servir sans vergogne et sans scrupule pour gravir un à un les échelons qui mènent au faîte du pouvoir. Un râle en effet long et interminable puisque c’est celui du narrateur principal qui n’est autre que le tout puissant Maréchalissime, ligoté contre le mur du polygone en face d’un peloton d’exécution formé de ceux‐là mêmes qui l’ont adulé et l'ont vénéré jusqu'au moment de sa disgrâce. Les problématiques du pouvoir et de la dictature développées dans ce roman sont placées par l’auteur sous le double exergue de Nietzsche et de Camus. Nietzsche, dont Mimouni a choisi cette citation, ô combien prémonitoire : "Les hommes forts, les vrais maîtres retrouvent la conscience pure des bêtes de proie ; monstres heureux, ils peuvent revenir d’une effroyable série de meurtres, d’incendies, de viols et de tortures avec des cœurs aussi joyeux, des âmes aussi satisfaites que s’ils s’étaient amusés à des bagarres d’étudiants." Et Camus : « Nous portons tous en nous nos bagnes, nos crimes et nos ravages. Notre tâche n’est pas de les déchaîner à travers le monde. Elle est de les combattre en nous‐mêmes et dans les autres". Entre la bête immonde tapie en chacun de nous et une destinée plus humaine, le Maréchalissime, personnage dictateur n’a pas su faire le choix de l’amour et du bonheur… Quelques mois avant sa mort, Rachid Mimouni publiait son dernier roman, la Malédiction (6), dédié à son ami écrivain Tahar Djaout, assassiné lâchement par la horde intégriste à l’instar de nombreux autres intellectuels algériens. Avec comme toile de fond les événements (occupations et manifestations intégristes), qui ont marqué Alger, à la veille des élections législatives de 1991, la Malédiction dessine l’incroyable cheminement qui peut conduire un homme à haïr son propre frère au point de le sacrifier à la furie intégriste.
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Durant la décennie 90, la réalité, hélas, a, en horreur, dépassé la fiction . Mais si la littérature ne se laisse pas réduire à cette macabre comparaison, c’est que finalement Rachid Mimouni dans son geste créateur a accompli sa fonction sociale d’écrivain pour avoir, ainsi qu’il se l’était proposé, tendu à la société algérienne le miroir qui lui renvoie, aujourd’hui plus que jamais, sa propre image…
Source :http://www.mediaterranee.com/Rubriques‐generales/Culture/RachidMimouniUneoeuvreMajeureEtPlurielle.html
La MALEDICTION : la mort de Rachid Mimouni
L’écrivain algérien est décédé samedi des suites d’une hépatite aiguë. Le journaliste belge Luc Beyer de Ryke l’avait rencontré récemment.
« Non, il n’était pas prêt à mourir. ».
EN répondant à l’appel qui m’annonçait la mort de Rachid Mimouni, je songeai à ces mots écrits dans son dernier
roman au titre prémonitoire, « la Malédiction ». Le personnage principal, Khader, est condamné à mort par les
intégristes. Comme Mimouni. L’écrivain, lui, n’a pas été assassiné mais pourtant c’est à cause d’eux qu’il est mort.
Pourchassé, il a tardé à faire soigner le mal qui l’assaillait. S’il « n’était pas prêt à mourir », il vivait néanmoins avec
l’idée de la mort. Il la redoutait. Moins pour lui que pour les siens. Pour sa petite fille menacée à diverses reprises.
C’est lors de l’une de ces alertes que j’ai connu Rachid Mimouni. Je l’avais invité à « Rencontre », émission de la RTBF
(Radio‐Télévision belge de langue française), semblable à ce qu’était en France « Radioscopie » de Jacques Chancel.
Pour l’interviewer ‐ même à Paris ‐, il fallait s’entourer de précautions. On me fixa rendez‐vous dans un
établissement près de Denfert‐Rochereau pour me conduire ensuite dans un appartement ami où m’attendait
Mimouni. Je le trouvai un peu tendu, angoissé, le col de la chemise blanche, froissé, largement échancré, le cheveu
poivre et sel en broussaille. Après avoir échangé quelques mots, il s’apaisa, se laissa aller à se raconter, à clamer ses
indignations, à s’insurger contre « la malédiction » qui s’étendait sur sa terre, sur l’Algérie tant aimée. Il parlait avec
intelligence mais plus encore avec passion. « Mon livre est un cri d’urgence contre la barbarie. C’est à dessein que
j’use du terme car même s’il prend des formes différentes en terre d’islam, l’intégrisme annonce le retour de la
barbarie. Qu’il s’agisse de l’Iran, du Soudan, où s’accomplit dans le sud un génocide, de l’Arabie Saoudite, de
l’Egypte, partout nous avons affaire à une internationale islamiste qui s’appuie sur des complicités occidentales, en
particulier américaines. Les Etats‐Unis y voient une garantie d’ordre au service du libre‐échange. En Algérie, ils
veulent remplacer la langue française par l’anglais. »
Mais que vient faire l’islam là‐dedans ? « L’intégrisme n’en est qu’une falsification amenée sous le couvert de
certains versets du Coran mutilés et amputés. Lorsqu’on évoque le dialogue, « ils » répondent par le meurtre.
Bouhalza fut égorgé devant sa fille de dix ans. Un militant du mouvement berbère qui avait exigé que les islamistes
soient traités en prisonniers politiques, interrogeait un de ses compagnons de cellule : « Lorsque nous serons libérés,
si tu me vois attablé à la terrasse d’un café buvant une bière, que feras‐tu ? » Et l’autre de répondre : « Je
t’égorgerai. »
Avec tristesse, le regard empreint d’une grande lassitude, avant que je le quitte, Rachid Mimouni me récita cette
sourate mise en exergue de « la Malédiction » : « Celui qui a tué un homme qui lui‐même n’a pas tué ou qui n’a pas
commis de violence sur la terre est considéré comme ayant tué tous les hommes. »
LUC BEYER DE RYKE
Article paru le 14 février 1995 http://www.humanite.fr/1995‐02‐14_Articles_‐La‐Malediction‐la‐mort‐de‐Rachid‐Mimouni
http://www.mediaterranee.com/Rubriques-generales/Culture/RachidMimouniUneoeuvreMajeureEtPlurielle.htmlhttp://www.humanite.fr/1995-02-14_Articles_-La-Malediction-la-mort-de-Rachid-Mimouni
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Bibliographie (http://www.librairie-gaia.com/Dossiers/Algerie/Mimouni.htm )
"Le fleuve détourné"
Il partit dans la montagne avec ceux du maquis alors que se levait sur l'Algérie le vent de l'indépendance. Blessé lors d'un bombardement, il perdit la mémoire. Ce n'est que bien plus tard qu'il rassemble maladroitement les fragments épars de son identité en miette. Il décide alors de regagner son village. Mais là‐bas, personne ne l'attend plus. On le croyait mort. On avait inscrit son nom sur quelque monument. Qu'a‐t‐on à faire d'un revenant dans un pays meurtri ? Un pays qui n'est plus irrigué par le fleuve immémorial de la tradition et se meurt doucement. Mais le revenant s'obstine. Veut revoir femme et enfant. Veut savoir et comprendre. Commence alors une enquête déchirante qui le confrontera à une terrible vérité. Une voix venue de l'Algérie nouvelle qui raconte les souffrances de son peuple. Un roman d'une densité et d'une rigueur exemplaires par un jeune écrivain algérien d'expression française, considéré comme un des chefs de file des écrivains de sa génération.
"Une peine à vivre"
Face au peloton d'exécution, le dictateur attend la mort. Tandis que les soldats épaulent leurs fusils, l'homme se souvient... De son enfance misérable; de son engagement dans l'armée; de son absence de scrupules et d'humanité; du putsch sanglant qui fit de lui le maître absolu... Il se souvient surtout de la seule femme qu'il ait aimée et qui a mystérieusement disparu. Dans quelques instants, les balles traverseront sa poitrine et il sourit... Etrange itinéraire d'un dictateur amoureux qui courut à sa perte pour avoir été confronté à un dilemme terriblement humain : l'amour ou le pouvoir...
"Tombéza"
On ne peut parler avec justesse de l'horreur que sur un ton paisible, sans remous ni éclats. C'est le parti qu'a choisi Rachid Mimouni pour nous raconter l'histoire d'un enfant, d'un adolescent puis d'un adulte ‐ celui qu'on appellera Tombéza ‐ qui, né dans d'horribles circonstances, parcourra toutes les horribles circonstances qui mèneront à la naissance de la nouvelle Algérie. Et quand, ayant fait son trou dans cette société qui se cherche à tâtons, parvenu à l'honorabilité et presque aux honneurs, il sera abattu par plus corrompus que lui, s'achèvera la trajectoire d'un destin maudit. Au‐delà du portrait d'un homme monstrueux ‐ et finalement extr