Que faire devant une allergie medicamenteuse -...

4

Click here to load reader

Transcript of Que faire devant une allergie medicamenteuse -...

Page 1: Que faire devant une allergie medicamenteuse - AllergoLyonallergo.lyon.inserm.fr/maladies_allergiques/allergie_medicamente... · Dossier dermoréactions (IDR) avec le ou les médicaments

19]Décision thérapeutique en médecine générale • n°31 • mai 2006

P armi tous les effets secondai-res des médicaments, lesmanifestations d’allure aller-

gique sont fréquentes (1). Lemédecin généraliste est souventconfronté à cette situation soitdevant un accident secondaire à saprescription, soit par une nécessitéde traitement tenant compte desantécédents allergiques figurantdans le dossier du patient. Ainsi ilest important de distinguer lesvraies réactions allergiques poten-tiellement sévères contre-indiquantdéfinitivement le médicament desréactions pseudo-allergiquesencore appelées intolérances,parfois graves, mais pour lesquellesle pronostic vital est rarement misen jeu et où le médicament pourraêtre repris le plus souvent (2, 3).

L’allergie ou hypersensibilité se définitpar les manifestations dues à deseffecteurs de l’immunité spécifique(anticorps ou lymphocytes spécifiquesde médicaments) ; la pseudo-allergie,elle, par des manifestations d’allureallergique, mais non dues aux effec-teurs de l’immunité. L’analyse des cri-tères de pharmacovigilance permetd’établir un score d’imputabilité, maisce score est souvent mis en défautdans ce contexte de manifestationsallergiques et ne permettra pas de dis-

tinguer les authentiques hypersensibi-lités des réactions d’intolérance. L’in-terrogatoire et l’examen cliniquepermettent d’identifier un accident detype immédiat ou de type retardé, d’é-valuer sa gravité, d’adapter la prise encharge et d’orienter les tests allergolo-giques réalisables à distance.

[ LES RÉACTIONS DE TYPE IMMÉDIAT

Ce sont les manifestations apparais-sant dans les minutes (< 1 h) suivant laprise d’un médicament quel que soitson mode d’administration. Il peuts’agit :- d’un prurit généralisé isolé ;- d’une urticaire aiguë : lésions érythé-mateuses, papuleuses, prurigineuses,bien délimitées, migratrices et fugaces(Figure 1) ;- d’une urticaire profonde ou angio-œdème : localisation où le tissu sous-cutané plus important permetl’extension en profondeur de l’œdème(visage). Il existe alors une tuméfactionferme, pâle, accompagnée d’une sen-sation de tension. Il peut être isolé ouassocié à une urticaire. L’atteinte desmuqueuses (langue, pharynx, larynx)constitue l’œdème de Quincke. Lessignes de gravité sont la dyspnée, ladysphonie et la dysphagie ;- d’un choc anaphylactique associantbronchospasme, toux, dyspnée sif-

flante, douleurs abdominales, vomis-sements, diarrhées, chute de PA,tachycardie et perte de connaissancepouvant aller jusqu’à l’arrêt cardiaque.

Ces manifestations, en dehors duchoc anaphylactique, nécessitentl’arrêt immédiat du (des) traitement(s),et l’administration d’un antihistami-nique H1 per os ou injectable. La corti-cothérapie même courte ne doit pasêtre systématique en présence d’unprurit généralisé, d’une urticaire oud’un angio-œdème du visage sanssigne systémique associé. En revan-che, devant une symptomatologie plussévère, il faut rapidement prévenir lessecours afin de mettre en place unevoie veineuse périphérique, injecterune ampoule de Polaramine®, débuterun aérosol O2 + adrénaline (1 ampoule0,5 mg) si gêne laryngée, administrer40 mg de solumédrol® si extension, et0,25 mg d’adrénaline en IM, IVL ou SCrenouvelable si évolution vers le choc.Une prise en charge en réanimationpeut être nécessaire avec remplis-sage, 02 et intubation. Le médicamentsera contre-indiqué en attendant lebilan allergologique. Le malade estensuite confié à l’allergologue référentou au service d’allergologie hospitalier.

À distance de l’accident (6 semainesminimum), des prick tests et des intra-

Que faire devant une allergiemedicamenteuse ?A.-L. Rival-Tringali, N. Gunera-Saad, F. Bérard, J.-F. Nicolas

FIGURE 1 : URTICAIRE 15 MINUTES APRÈS UN COMPRIMÉ D’AMOXICILLINE (CLAMOXYL®).

FIGURE 2 : PRICK CLAMOXYL® POSITIF EN LECTURE À 20 MINUTES > TÉMOIN POSITIF HISTAMINE CONFIR-MANT L’HYPERSENSIBILITÉ IMMÉDIATE AU CLAMOXYL®.

Page 2: Que faire devant une allergie medicamenteuse - AllergoLyonallergo.lyon.inserm.fr/maladies_allergiques/allergie_medicamente... · Dossier dermoréactions (IDR) avec le ou les médicaments

Dossier[

dermoréactions (IDR) avec le ou lesmédicaments seront réalisés et lesconclusions suivantes tirées.

Les tests sont positifs

On note alors l’apparition en20 minutes d’une papule urticarienneapparaissant en regard de la zone dutest. On retiendra le diagnostic d’hy-persensibilité immédiate ; on contre-indiquera le médicament ; on fourniraune carte d’allergie au patient(Figure 2). Puis, on recherchera desréactivités croisées avec les moléculesde la même famille pour proposer laréintroduction d’une molécule (néga-tive en test) bien tolérée. L’allergiereprésente seulement 7 % des réac-tions immédiates (réactions dites IgEdépendantes) : en effet, les IgE diri-gées contre le médicament provo-quent en présence du médicamentune dégranulation rapide et brutaledes mastocytes et des basophilesresponsable d’une histamino-libéra-tion massive pouvant conduire auchoc (4). Les manifestations débutentrarement après la demi-heure suivantl’administration et ne peuvent pas êtreprévenues par une prémédication parantihistaminique.

20 [ Décision thérapeutique en médecine générale • n°31 • mai 2006

Allergologie

FIGURE 3 ET 4 : EXANTHÈME MACULOPAPULEUX 4 JOURS APRÈS UN TRAITE-MENT PAR PYOSTACINE® (PRISTINAMYCINE).

FIGURE 5 : PATCH PYOSTACINE® POSITIF À ++EN LECTURE À 48 HEURES CONFIRMANT L’HYPERSENSIBILITÉ À LA PYOSTACINE®.

TABLEAU II : DÉMARCHE DIAGNOSTIQUE DEVANT UNE ALLERGIEAUX MÉDICAMENTS.

Intolérance aux médicaments

Imputabilité

Manifestations cliniquesImmédiates

- Choc - Urticaire

- Angiœdème

Retardées- Tox. érythémateuses

- DRESS- Lyell, Stevens-Johnson

Tests cutanésPrick / IDR

lecture 20 minutesPatch / IDR

lecture 48 heures

Tests +

AllergieHSI

Tests -

Pseudo-allergie

Tests +

AllergieHSR

Tests -

Pseudo-allergie

TABLEAU I : DIFFÉRENCE ENTRE ALLERGIE ET PSEUDO-ALLERGIE SUR L’ANAMNÈSE DES RÉACTIONS IMMÉDIATES.

Allergie immédiate IntoléranceSévérité Oui RareDélai/prise < 1 h > 1 hMédicament(s) 1 seul PlusieursDose dépendance Non OuiAntécédent d’urticaire chronique Non OuiAntécédent d’atopie Non OuiTests cutanés Positifs NégatifsRéintroduction Non : Oui si accident

contre-indication peu sévère sous anti-H1 et/ou

antileucotriènes

Page 3: Que faire devant une allergie medicamenteuse - AllergoLyonallergo.lyon.inserm.fr/maladies_allergiques/allergie_medicamente... · Dossier dermoréactions (IDR) avec le ou les médicaments

21]Décision thérapeutique en médecine générale • n°31 • mai 2006

Si l’accident est ancien (plus de3 mois), les IgE du patient peuvent neplus être à un taux suffisant pour posi-tiver les tests. Il faut donc réactiverl’immunité par une dose de rappel dumédicament (1/10 de la dose unitaire)et renouveler les tests 1 à 3 moisaprès. Ceux-ci sont réalisés à l’hôpital.

Les tests sont négatifs

On parlera alors de pseudo-allergie etla réintroduction du médicament seraréalisée si l’accident a été peu grave.Cette éventualité représente la majo-rité des patients qui présentent desréactions urticariennes. Les mastocy-tes sont activés par un effet “toxique”direct du médicament et/ou blocageenzymatique. Les manifestations sontd’apparition plus tardive, dose dépen-dante, et facilement contrôlées par lesantihistaminiques et/ou les antileuco-triènes ; elles sont donc rarementsévères. Chez ces patients, plusieursmédicaments ont été responsables deréactions identiques, et l’on retrouvesouvent un terrain d’urticaire chro-nique (Tableau I). Les accidents d’into-lérance aux médicaments ultérieurspourront être prévenus par des antihis-taminiques H1 qui sont débutés laveille (ou au moins 3 heures avant) dudébut du traitement, poursuivis toutela durée du traitement et arrêtés le len-demain de la fin du traitement (5).

[ LES RÉACTIONS DE TYPE RETARDÉ

On retrouve ici différentes entités cli-niques.

L’exanthème maculopapuleux

La présentation clinique est polymor-phe, constituée de lésions maculopa-puleuses de taille variable confluant enplaques (Figures 3-4). L’exanthèmedébute 3 à15 jours après le début dutraitement. Il représente la toxidermiela plus fréquente. D’abord localisé, ils’étend progressivement à l’ensembledu corps. Il peut être purpurique, scar-latiniforme ou morbilliforme. La fièvreet le prurit sont souvent présents et ilpeut exister aussi une hyperéosinophi-lie. L’évolution est favorable en moins

d’une semaine avec desquamation.L’étendue des lésions, la survenue delésions des muqueuses, un œdème duvisage, un décollement cutané avecsigne de Nikolsky, l’altération de l’étatgénéral doivent faire craindre une évo-lution vers une toxidermie bulleusegrave.

Le syndrome d’hypersensibilitémédicamenteuse ou DRESSsyndrome (drug reaction witheosinophilia and systemicsymptoms)

Il survient de façon brutale associantune éruption étendue, voire une éry-throdermie maculopapuleuse, unœdème du visage, une fièvre élevée,des adénopathies, une atteinte viscé-rale (hépatite, néphropathie, pneumo-pathie…), une hyperéosinophilie(> 1 500) et une lymphocytose.

L’érythème pigmenté fixe

Dans les heures ou jours suivant laprise médicamenteuse, on relève l’ap-parition d’un prurit et/ou brûlure locali-sée, puis de plaques ovalairesérythémato-violacées, œdémateuses,parfois bulleuses, laissant le plussouvent une séquelle pigmentée. L’at-teinte de la muqueuse génitale estévocatrice, mais des lésions cutanéesisolées sont possibles. Les récidivesaprès réintroduction du médicamentsurviennent aux mêmes endroits.

La pustulose exanthématiqueaiguë généralisée (PEAG)

C’est une éruption disséminée œdé-mateuse fébrile qui se couvre rapide-ment de pustules non folliculairesprédominant dans les plis et le tronc.On retrouve une hyperleucocytose àpolynucléaires neutrophiles. La régres-sion se fait en 15 jours avec desqua-mation.

Les syndromes de Stevens-Johnson et de Lyell

Ils débutent 10 jours après le début dutraitement par un érythème fébrilecompliqué rapidement d’érosions

muqueuses et de bulles. Le signe deNikolsky est positif (décollementcutané par le frottement de la peaunon bulleuse). Le pronostic est réservécompte tenu des troubles hydro-électrolytiques et du risque septique.Une extension des lésions supérieureà 30 % de la surface corporelle définitle syndrome de Lyell, une atteinte infé-rieure à 10 % correspond au syn-drome de Stevens-Johnson. Entre 10et 30 % d’atteinte de surface corpo-relle, ce sont les formes frontières.

Autres réactions possibles

• La photosensibilité : quelques heuresaprès l’exposition, on note l’apparitiond’un érythème, d’un œdème, etparfois de bulles en zone photoexpo-sée.• La photoallergie : eczéma débutanten région photoexposée et diffusantaux zones couvertes.• L’eczéma de contact aux médica-ments ou après administration systé-mique.• Le purpura vasculaire : lésions pur-puriques palpables qui ne s’effacentpas à la vitropression. Des arthralgies,des douleurs abdominales, etc.peuvent s’y associer.

Ces réactions imposent l’arrêt de tousles médicaments si possible, sinon aumoins des plus imputables. Il fautréaliser une NFP pour rechercher unehyperéosinophilie, un bilan hépatiqueà la recherche d’une cytolyse et unecréatinémie pour éliminer une insuffi-sance rénale. Une biopsie cutanéepeut être pratiquée pour confirmer lediagnostic. Le traitement repose surles antihistaminiques s’il existe unprurit, et sur la corticothérapie localeassociée aux émollients. Les tableauxplus sévères doivent faire hospitaliserles patients pour surveillance etpeuvent nécessiter une corticothéra-pie générale (DRESS) ou des immuno-globulines intraveineuses (syndromede Lyell). Le patient doit être adressé àl’allergologue référent ou au serviced’allergologie hospitalier.À distance (6 semaines minimum), destests épicutanés (patch tests) et/oudes IDR à lecture retardée seront réali-

Page 4: Que faire devant une allergie medicamenteuse - AllergoLyonallergo.lyon.inserm.fr/maladies_allergiques/allergie_medicamente... · Dossier dermoréactions (IDR) avec le ou les médicaments

sés avec le ou les médicamentssuspects sur la peau saine du dos defaçon à identifier la molécule respon-sable surtout lorsque plusieurs médi-caments peuvent être en cause. Si lestests sont positifs à 48 ou 72 heures(cotation en nombre de croix), onretiendra l’hypersensibilité retardée(allergie retardée), on contre-indiquerale médicament et on remettra unecarte d’allergie au patient. On cher-chera un médicament de remplace-ment en testant en patch desmédicaments de la même famille(recherche de réactivité croisée) oud’une autre famille (Figure 5).Au contraire, si les tests sont négatifs,on retiendra une pseudo-allergie et lemédicament sera réintroduit unique-ment si l’accident était peu sévère. Laréintroduction des médicaments n’estpas conseillée dans les toxidermiessévères (bulleuses).L’hypersensibilité retardée fait appel àl’immunité spécifique due aux lympho-cytes T spécifiques du médicament etest responsable des tableaux les plussévères. Chez un individu sensibilisé,l’accident se développe 1 à 3 joursaprès le début du traitement. En revan-che, un patient peut se sensibiliser encours de traitement, et l’accident sur-viendra alors 7 à 15 jours après ledébut de ce traitement. En revanche,les réactions pseudo-allergiques retar-dées ont un caractère de dose dépen-dance dans leur déclenchement et/ouextension et peuvent être dues à latoxicité directe du médicament et/ou àl’addition de multiples médicamentssur un terrain particulier dans uncontexte de pathologie sous-jacente.À ce sujet, il faut signaler la fréquencedes éruptions eczématiformes du sujetâgé, dues à la multiplicité des traite-ments, et en particulier à la prescrip-tion d’inhibiteurs calciques.

[ CONCLUSION

Tout effet indésirable d’allure aller-gique au cours de prises médicamen-teuses doit être considéré comme uneréaction d’hypersensibilité jusqu’àpreuve du contraire et doit fairesuspendre le traitement au moins tem-porairement. Les allergies vraies

immédiates ou retardées sont cepen-dant rares. Il est important de consi-gner précisément les manifestationscliniques présentées par le patient(délai entre les réactions et la prise dumédicament, durée du traitement) et la(ou les) molécule(s) imputable(s) : DCIet nom commercial. Ainsi, l’explorationimmuno-allergologique par les testscutanés prendra ici toute sa place(Tableau II). Un diagnostic final seraporté en fonction du tableau clinique,des résultats des tests cutanés et unestratégie thérapeutique sera alors pro-posée : contre-indication pour certai-nes molécules et réintroductiond’autres afin de conserver un arsenalthérapeutique confortable au lieud’une longue liste d’éviction médica-menteuse.

Références1. Queuil le E., Favier B., Savet M.,Cousin F., Bureau J., Nicolas J.-F. “Phar-maco-allergologie. Place du pharmaciendans le diagnostic et le suivi des intolé-rances médicamenteuses”. J Pharm Clin,2002, 21 : 255-259.2. Cousin F., Catelain A., Philips K.,Favier B., Queuille E., Nicolas J.-F. “L’hy-persensibilité immédiate est rarement encause dans les urticaires médicamenteu-ses”. Ann Dermatol Venereol, 2003 Mar ;130 (3) : 321-4.3. Cousin F., Philips K., Favier B., Bien-venu J., Nicolas J.-F. “Drug-induced urti-caria”. Eur J Dermatol, 2001 ; 11 (3) :181-7.4. Bérard F., Saint-Mezard P., Cousin F.,Mecheri S., Nicolas J.-F. “Urticaires —Mécanismes immunologiques et nonimmunologiques”. Ann Dermatol Vene-reol, 2003 ; 130 (5 Suppl) : 10-5.5. Eymard B., Cousin F., Nicolas J.-F.“Prévention d’un angio-œdème à l’aspi-rine par l’association antileucotriène/anti-histaminique”. Ann Dermatol Venereol,2003 (in press).

Dossier[

22 [ Décision thérapeutique en médecine générale • n°31 • mai 2006

Allergologie