Qu est-ce qu une dissection des artères cérébrales - · PDF...

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151 Correspondances en neurologie vasculaire - n° 4 - Vol. II - octobre-novembre-décembre 2002 Qu’est-ce qu’une dissection des artères cérébrales ? L a dissection correspond à un saignement qui forme un hématome dans la paroi de l’artère caro- tide ou de l’artère vertébrale. La conséquence en est un rétrécissement du passage du sang (figure 1). L’hématome déchire la paroi de l’artère (on parle de dissection) dans le sens longitudinal, mais il n’y a pas de rupture de la paroi. Le diamètre de l’artère s’élargit proportionnellement au volume de l’hématome, qui s’étend vers la partie externe de la paroi et vers la partie interne, c’est- à-dire vers la lumière de l’artère qui diminue de taille. Ce rétrécissement de la lumière de l’artère peut être complet, bouchant totalement le passage du sang vers le cerveau. dossier patients QUELLES EN SONT LES CONSÉQUENCES POUR LE CERVEAU ? Il y a deux situations : soit l’artère est totale- ment bouchée, soit elle est simplement rétrécie. Que se passe-t-il lorsque l’artère est com- plètement bouchée ? – soit le sang ne passe plus du tout et n’arrive plus au cerveau, provoquant une attaque céré- brale du côté de la dissection ; – soit le sang arrive quand même au cerveau car, par chance, le sujet possède un petit pont entre le côté droit et le côté gauche de la circu- lation cérébrale, qui permet à l’artère du côté opposé d’apporter le sang au cerveau non seu- lement de son côté mais aussi du côté de l’ar- tère malade, évitant ainsi (ou limitant) l’at- taque cérébrale. Que craint-on lorsque l’artère n’est pas com- plètement bouchée par l’hématome de paroi ? Dans ce cas, il peut se former un caillot qui adhère à la paroi interne de l’artère qui a souf- fert par la dilacération exercée par l’hématome qui écartèle la paroi. Ce caillot peut être plus ou moins volumineux, plus ou moins adhérent, et constituer une menace pour le cerveau, car Figure 1. (A) Schéma montrant un petit hématome (flèches vertes) de la paroi d’une artère carotide situé en pleine paroi de l’artère (appelée média); (B) en cas de volumineux hématome (flèches rouges), la lumière de l’artère peut être très rétrécie (flèche jaune) ou totalement obstruée. Dissection des artères cérébrales

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151Correspondances en neurologie vasculaire - n° 4 - Vol. II - octobre-novembre-décembre 2002

Qu’est-ce qu’une dissectiondes artères cérébrales ?

L a dissection correspond à un saignement qui forme un hématome dans la paroi de l’artère caro-

tide ou de l’artère vertébrale. La conséquence en est un rétrécissement du passage du sang

(figure 1). L’hématome déchire la paroi de l’artère (on parle de dissection) dans le sens longitudinal,

mais il n’y a pas de rupture de la paroi. Le diamètre de l’artère s’élargit proportionnellement au

volume de l’hématome, qui s’étend vers la partie externe de la paroi et vers la partie interne, c’est-

à-dire vers la lumière de l’artère qui diminue de taille. Ce rétrécissement de la lumière de l’artère

peut être complet, bouchant totalement le passage du sang vers le cerveau.

d o s s i e r p a t i e n t s

QUELLES EN SONTLES CONSÉQUENCES POUR LE CERVEAU ?

Il y a deux situations : soit l’artère est totale-ment bouchée, soit elle est simplement rétrécie.

● Que se passe-t-il lorsque l’artère est com-

plètement bouchée ?

– soit le sang ne passe plus du tout et n’arriveplus au cerveau, provoquant une attaque céré-brale du côté de la dissection ;– soit le sang arrive quand même au cerveaucar, par chance, le sujet possède un petit pontentre le côté droit et le côté gauche de la circu-

lation cérébrale, qui permet à l’artère du côtéopposé d’apporter le sang au cerveau non seu-lement de son côté mais aussi du côté de l’ar-tère malade, évitant ainsi (ou limitant) l’at-taque cérébrale.

● Que craint-on lorsque l’artère n’est pas com-

plètement bouchée par l’hématome de paroi ?

Dans ce cas, il peut se former un caillot quiadhère à la paroi interne de l’artère qui a souf-fert par la dilacération exercée par l’hématomequi écartèle la paroi. Ce caillot peut être plusou moins volumineux, plus ou moins adhérent,et constituer une menace pour le cerveau, car

Figure 1. (A) Schéma montrant un petit hématome (flèches vertes) de la paroi d’une artère carotidesitué en pleine paroi de l’artère (appelée média); (B) en cas de volumineux hématome (flèches

rouges), la lumière de l’artère peut être très rétrécie (flèche jaune) ou totalement obstruée.

Dissectiondes artèrescérébrales

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une partie peut se détacher et être emportéepar le courant sanguin vers le cerveau à l’inté-rieur duquel il peut boucher une artère essen-tielle pour l’une des fonctions cérébrales. Il seproduit alors soit une attaque cérébrale plus oumoins sérieuse, soit des symptômes qui nedurent que quelques minutes ou quelquesheures.

QUELS SONT LES SYMPTÔMES ANNONÇANTLA DISSECTION ?

Les deux symptômes principaux sont une dou-leur à l’endroit de la dissection de l’artère (auniveau du cou sur le trajet de l’artère maladequi va au cerveau, ou bien autour de l’œil ou dela région frontale) et une attaque cérébrale si lesang n’arrive plus au cerveau à cause du rétré-cissement de la lumière de l’artère.Certains patients n’ont que la douleur de la dis-section, d’autres ont à la fois la douleur de ladissection et l’attaque cérébrale et ses consé-quences (paralysie, perte de sensibilité ou dela parole, perte d’une partie du champ devision, perte d’équilibre ou de coordination).Certains patients ont la douleur de la dissec-tion et, plusieurs jours plus tard, l’attaque céré-brale ; cela parce qu’un caillot s’est formé enregard de la dissection et qu’une partie ducaillot, devenue peu adhérente, s’est détachéequelques jours plus tard et a été emportée parla circulation sanguine jusqu’au cerveau.Parfois, le patient entend un bruit (acouphène)pulsatile (un bruit piaulant ou un souffle) dû ausang qui passe à travers un rétrécissementimportant de l’artère carotide.

QUELS EXAMENSPERMETTENT DE FAIRE LE DIAGNOSTICDE DISSECTION ?

L’examen de référence est désormais l’image-rie par résonance magnétique (IRM) qui montrel’image de l’hématome de la paroi de l’artèrecérébrale, siège de la dissection. On est alorscertain du diagnostic (figure 2).L’échographie-Doppler (ultrasonographie) desartères peut aussi montrer l’hématome de laparoi (figure 3), mais elle ne permet pas d’étu-dier la totalité de la longueur de l’artère, à causedes os du crâne qui gênent le passage des ultra-sons. L’étude de l’effet Doppler donne des argu-ments indirects très importants pour le médecinpour suspecter le diagnostic de dissection.L’angiographie cérébrale par rayons X estencore fréquemment réalisée (figure 4a). Ellea été cependant supplantée par l’IRM

Figure 2. Imagerie par résonance magnétique (IRM) montrant l’hématome de la paroi de la caro-tide gauche (partie blanche, flèche rouge) qui élargit le calibre de l’artère, et la lumière résiduelle

(flèche verte) laissant passer un petit filet de sang ; de l’autre côté, on voit la lumière de l’artèrecarotide droite dont le diamètre est normal (dans le cercle bleu et flèche bleue).

Figure 3. Échographie de l’artère carotide montrant la lumière résiduelle (en couleur, flèches) et l’hématome de la paroi (flèches) qui élargit le calibre de l’artère.

Lumière résiduelle

Hématome de paroi

(figure 4b), d’autant plus que la résonancemagnétique peut aussi montrer une image“angiographique” (angiographie par réso-nance magnétique) (figure 5) qui se rapprochebeaucoup des images de l’angiographie parrayons X. Elle consiste à faire une ponctiondans l’artère fémorale au niveau de l’aine quipermet de monter un petit cathéter dans l’ar-tère et d’injecter un produit de contraste iodé(attention, prévenez votre médecin si vousêtes allergique à l’iode) dans la lumière desartères qui se dirigent vers le cerveau. Onprend alors des photographies des artèrescérébrales et l’on peut voir l’endroit de la dis-section, c’est-à-dire là où il y a un rétrécisse-ment allongé sur le trajet de l’artère malade(figure 4a) ou là où il y a un arrêt total du pas-sage du sang (figure 6).

QUEL EST LE DEVENIR D’UNE DISSECTION ?

✓ L’hématome qui s’est formé dans la paroi del’artère (qui l’a disséquée) va se résorber spon-tanément, petit à petit, comme n’importe quelhématome que l’on se fait sous la peau aprèss’être donné un coup, par exemple.✓ Si l’artère s’est initialement bouchée parce quel’hématome de la paroi était très gros, elle peut :– soit rester définitivement bouchée ;– soit se déboucher à la faveur de la résorptionde l’hématome. Elle peut alors retrouver saforme initiale, et il n’y a plus de traces de la dis-section. La guérison locale est complète ;– soit avoir été fragilisée par l’hématome, et ilse forme une dilatation de la paroi de l’artère àl’endroit de l’hématome, ou même une cavitéappelée “anévrysme” postdissection.

Les anévrysmes sont rarement évolutifs. Ilsrestent le plus souvent stables et peuvent par-fois spontanément disparaître avec le temps.Certains, par leur taille, peuvent entraîner unecompression des nerfs qui passent à proximité.Ce sont les nerfs de la sensibilité de la face dumême côté (le nerf trijumeau), les nerfs desti-nés à certains muscles qui permettent d’avalerou qui participent à la rotation de la tête ouencore à la motricité de la langue ou del’épaule. La compression nerveuse la plus fré-quente, y compris au moment où l’hématomede paroi est le plus gros, est celle du nerf sym-pathique qui est habituellement collé à la paroiexterne de l’artère carotide. Le nerf sympa-thique est destiné à la motricité de la pupille del’œil du même côté et à l’écartement des pau-pières (appelé “fente palpébrale”). Ainsi, dansles cas de dissection avec compression du nerfsympathique, la pupille devient plus petite quecelle du côté sain opposé et la fente palpébralese rétrécit, c’est-à-dire que la paupière infé-rieure remonte légèrement et la paupière supé-rieure s’abaisse un peu (votre médecin parle de“syndrome de Claude Bernard-Horner”). Aprèsguérison de la dissection (disparition de l’hé-matome de la paroi de l’artère carotide), ce syn-drome peut disparaître, mais certains patientsgardent un petite réduction de la fente palpé-brale de façon définitive.

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Dissection

des artères

cérébrales

Figure 4a. Angiographie parrayons X, dissection (flèches)

sous la forme indirecte d’un rétrécissement irrégulier

de la lumière de l’artère.Figure 4b. Même cas, dissection

(flèches) montrant LE signe directqui est l’hématome de la paroi de l’artère (ici les deux artères

carotides). Le petit rond noirexcentré correspond à la lumière

restante de l’artère qui laisseencore passer le sang.

Figure 5. Angiographie par résonancemagnétique montrant à la fois la lumière

résiduelle (grandes flèches) et l’hématome de la paroi

(petites flèches) avec élargissement du vaisseau.

Notez l’augmentation du diamètre de l’artère carotide (petites flèches)

par comparaison au diamètre de la carotide du côté opposé.

Lumière résiduelle

a b

Figure 6. Obstruction complète de lalumière de l’artère carotide interne(flèche) par un hématome volumineuxde la paroi de l’artère avec pour consé-quence un arrêt du passage du sangvers le cerveau du même côté.

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QUEL EST LE DEVENIR EN CAS D’HÉMIPLÉGIEOU D’ATTAQUE CÉRÉBRALE ?

Comme signalé plus haut, toutes les dissec-tions n’entraînent pas d’hémiplégie mais,lorsqu’elle est présente, il y a récupération leplus souvent, dont l’importance est trèsvariable d’un patient à l’autre. Certains gué-rissent complètement, d’autres devrontsuivre une longue rééducation (reportez-vousaux dossiers patients parus dansCorrespondances en neurologie vasculaire

numéros 2 et 3 sur “Le retour au domicileaprès l’attaque cérébrale”).

QUELLE EST LA CAUSE DE LA DISSECTION ?La cause de la dissection et la raison pourlaquelle l’hématome se forme un jour dans laparoi d’une artère carotide ou vertébrale res-tent encore inconnues. On soupçonne des ano-malies de l’élasticité de l’artère. Les fibres élas-tiques de la paroi de l’artère présententquelques petites anomalies dont l’origine n’apas encore été identifiée, vraisemblablementcongénitale. Mais pourquoi ces petites anoma-lies, un jour, favorisent-elles la dissection ?Quels sont les facteurs surajoutés qui la préci-pitent ? Ce sont des éléments actuels de larecherche très active sur cette maladie.

On observe souvent chez les patients qui ontune dissection des facteurs associés, telsqu’une migraine, une infection récente (un grosrhume, une bronchite, une sinusite, etc.), untraumatisme ou un accident récent (chute àvélo, chute à skis, coup porté à la nuque oucoup sur le trajet des artères carotides ou ver-tébrales).

Plus rarement, la dissection est observéedans le cadre d’une maladie rare ; on trouvealors une maladie de la paroi appelée dys-plasie et, très exceptionnellement, une mala-die du tissu élastique (maladie d’Ehlers-Danlos, maladie de Marfan, maladies ducollagène).

QUEL EST LE RISQUE QUE CELARECOMMENCE ?

Il est très faible : moins de 5 % des patients ontune autre dissection artérielle. C’est-à-dire que95 % des patients n’auront plus jamais de dis-section, à tel point qu’il n’y a pas de besoin detraitement pour éviter les conséquences d’uneéventuelle récidive.La surveillance porte sur l’évolution de la gué-rison de l’artère durant les premiers mois. Ons’assure par échographie-Doppler, ou par uneangiographie cérébrale, ou encore par IRM quela paroi de l’artère a retrouvé son aspect nor-mal. Lorsqu’il existe une petite poche anévrys-male, on surveille le plus souvent son évolutionpar ces derniers examens. L’évolution est trèsgénéralement bénigne et sans conséquence.

Y A-T-IL UN TRAITEMENT SPÉCIFIQUE ?Au moment de la dissection, on craint qu’unepetite partie du caillot qui s’est formé dans lalumière de l’artère en regard de l’hématome dela paroi de l’artère ne se détache, réalisant uneembolie emportée par le courant sanguin vers lecerveau, qui peut ainsi aller boucher une artèredu cerveau et provoquer une attaque cérébrale.Pour l’éviter, le médecin prescrit souvent un trai-tement anticoagulant (anticaillot). Ce traitementpeut être maintenu quelques semaines. Au-delà,il est arrêté car il n’y a plus aucun risque.

EST-CE HÉRÉDITAIRE ?Il n’y a pas de transmission génétique connuede la maladie. En revanche, les très rares mala-dies du tissu élastique (maladie d’Ehlers-Danlos, maladie de Marfan) sont des maladiestransmissibles. Il a été décrit des familles danslesquelles des dissections sont observées chezde nombreux membres, mais il est possible quecela soit dû à une maladie du tissu élastiqueencore non identifiée. Leur grande rareté faitqu’il est très généralement inutile, en pratique,de faire une enquête familiale chez un patientqui a une dissection.