PROTO mémoire - esam-c2.fr · Le temps, non pas le temps de la marche, mais le temps dans la...

68
PROTO-mémoire

Transcript of PROTO mémoire - esam-c2.fr · Le temps, non pas le temps de la marche, mais le temps dans la...

PROTO-mémoire

2

3

Pour la rédaction des textes qui composent ce «mémoire de find’études », j’ai établi le protocole d’écriture suivant :

J’écris d’abord à la main sur des morceaux de papier qui ont pour moi un intérêt, d’un point de vue sensible. Non lignées, crèmes, les feuilles que j’utilise sont parfois redécoupées dans un format qui me satisfait sur le moment. Les textes que j’y inscris et qui sont en réalité des brouillons de textes sont toujours écrits au crayon à papier.

Les erreurs orthographiques, grammaticales ou syntaxiques sont visibles. La correction qui intervient dans un second temps : ratures, sélections, renvois, vocabulaire de signes lié à l’écriture l’est également. Le tout sur la même surface de papier. Quand le texte me semble terminé, alors seulement je passe à la dactylographie.

La temporalité est intrinsèque à l’écriture. Pour un texte, le temps de l’écriture s’étire du début, des premières bribes d’idées que j’inscris, jusqu’au dernier mot ou signe de ponctuation par lequel je marque l’achèvement du texte. Entre la forme brouillon et la forme rendu d’un texte il y a une distance de datation. Le moment où je réalise le brouillon est différé de celui où j’utilise unclavierpourletextedéfinitif.

Ici, je travaille avec et à partir des brouillons et décide de les conserver, de les assembler et de les montrer. La temporalité de l’écriture est déliée. Je montre deux moments distincts d’un même texte. Si je datais tous les textes que je souhaite montrer. Il y aurait donc plusieurs dates pour un même contenu, chaque date correspondant à une forme possible de monstration de l’écriture. J’effectue le suivi de ma propre temporalité. D’une forme à une autre, je peux déplacer le support de l’écriture. De l’espace du mémoire à l’espace d’exposition. Je peux interroger deux méthodes de monstration possibles qui ensemble témoignent du trajet de l’écriture.

PROTOCOLE

4

Cette méthode est en quelque sorte une manière de me détourner de l’exercice, de me l’approprier et d’y prendre du plaisir. Ce que j’appelle la « matière écriture » peut de cette façon être modelée, séparée ou assemblée. Elle peut également être timide ou s’affirmer de manière plus brutale.Commetouteautrematière,elles’affineavecdesgestes,desoutils,de lapensée et du temps. La page est une sorte de « surface sensible du sensible » qui aurait la capacité de rendre compte, de témoigner d’une sensibilité latente à travers l’écriture au moment où elle s’effectue. Je pense ce mémoire comme un objet plastique. Cela me permet de l’interroger sur son statut, sur sa présence dans l’espace et sur le rapport que j’entretien avec lui.

Ces brouillons, surfaces visibles de recherche, grandissent et gagnent de l’espace au fur et à mesure de l’avancement de leur écriture. Dans mon espace de travail, ils se déploient sur un mur. L’écriture prend corps dans l’espace. Elle acquiert une présence différente. Pour accompagner cette idée. J’ai plusieurs fois employé l’image suivante. Un maçon fabrique ses propres briques de terre et les dispose autour de lui au rythme de leur conception, ilfiniparconstruireunmurcirculaireaucentreduquel ilestenfermé.Àl’intérieur,sansissue.L’accumulationdematièrefinitparlerecouvrir.Onpeut s’enfermer soi-même, créer son propre tombeau ou revenir dans son propre œuf.

Ma tentative est un sorte de réponse conceptuelle à l’exercice du mémoire. Je souhaite sortir de la structure dite classique où un plan est dans la plupart des cas prédéfini et tente d’approfondir une réflexion à partird’une problématique générale. Je ne souhaite pas soumettre ce mémoire à une façon de faire qui serait trop scolaire et qui à mon sens réduirait les possibilités de spontanéité, et le sensible. « L’objet mémoire » de par son contenu, l’organisation de celui-ci, sa forme et sa méthode de production doit pouvoir s’insérer dans mon travail plastique au même titre que les autres pièces qui sont et seront produites. Je souhaite à travers le mémoire questionner en partie son écriture, l’expérience de l’écriture et par extension, mon expérience de « scripteur ».

La majorité des textes qui sont regroupés ici gravite autour de la notion detémoignage.Selonladéfinitiondudictionnaire1, témoignage : « fait de témoigner, déclaration qui confirme la véracité de ce que l’on a vu, entendu, perçu, vécu. »Mapropreperceptiondutémoignages’écartedesdéfinitionsde la plupart des dictionnaires sur un point, la véracité. Le témoignage d’unmomentvécunepeutêtreentenducommeconfirmationd’unevérité

1 www.cnrtl.fr (Centre National de Ressources Textuelles et Lexicale)

5

incontestable. Le témoignage est l’expression de la perception subjective d’un événement passé. Le témoin traduit ce moment vécu. Il fait appel à sa mémoire pour exprimer son témoignage. L’événement, son souvenir, sa traduction et son expression écrite par exemple rapproche le témoignage dudiscoursfictionnel.GiorgioAgambenpropose troisdéfinitionspour letémoin. J’ai choisi de citer la suivante : « celui qui a vécu quelque chose, a traversé de bout en bout un événement et peut donc en témoigner2»

Le point de départ de l’ensemble des textes est mon expérience personnelle. L’expérience du « je » face à différents événements que j’ai vécu me rapprochedelaformejournal.Cependantlerapportàladatationspécifiqueà cette forme journal est bouleversé. Certains de mes textes sont datés, pour d’autres se sont des événements évoqués dans le contenu qui sont datés et parfois, aucune date n’est mentionnée. En choisissant le modèle du recueil de textes, un sommaire plutôt qu’un plan, l’emploi du « je » dés que possible et le récit d’expériences sensibles et personnelles, je ne rentre ni dans la forme journal, ni dans la forme mémoire mais interroge plutôt les limites desesformesdéfinies.Unmomentvécupeutdonnerlieuàuntextequandil pose question.

Ces questionnements concernent ce qui va toucher, heurter ma sensibilité dans un contexte qui est très souvent celui du quotidien. Ils ouvrent l’espace d’une réflexion. Employer l’écriture pour faire trace d’une expérienceet lui donner une forme. Entre l’expérience et son témoignage se trouve la perception de l’expérience. Cet espace entre les choses revient assez régulièrementdansmespensées.Ma situation, « j’écris », influencemonrapport aux choses et mon attention à l’environnement. Considérant que maintenant tout événement quel qu’il soit peut devenir le sujet d’un texte. Cettepositiondetémoin-passeurmepréoccupe.Àtraversl’ensembledestextes,jesouhaiteengageruneréflexionsurcettenotiondetémoignageetsur l’idée de faire trace. Le passage d’un moment à son témoignage et du témoignage à sa monstration. Un ensemble qui construirait à travers ma sensibilitéetmaréflexionuneidéeplusprécisedemespréoccupations.

2GiorgioAgamben;Ce qui reste d’Auschwitz. 1999. Rivages poche. p.17

7

M’échapper de la société des hommes, de leurs occupations et de leursorganisationsmepermettraiderendreinsignifiantes,uncourtmoment,les règles les plus convenues. Celles-ci existent soi disant pour encadrer le bon fonctionnement des relations entre les hommes dans un même milieu, social. Fixées par le pouvoir, elles existent surtout pour maintenir un état deschoses.Assurerlesinégalitésetparcemoyen,maintenirlepleinpouvoirentre les mains d’une même école politique.

Me retrouver seul, hors des villes, hors de la circulation, hors des fluxmarchands propres à une société néo-libérale telle que la notre me permettrait d’approcher un état d’ignorance vis à vis de ces règles. Feindre, faire comme si elles n’existaient plus. Tenter. Faire disparaître ce que l’on peut appeler la « contrainte sociale » est momentanément possible. Il faut être à l’extérieur des foyers de cette société, faire le choix de les quitter physiquement. Le mieux étant de partir à pied.

La marche entendue comme errance est politique, elle marque un refus. Elle permet de faire l’expérience d’un réel. Une réalité dont le principe est la solidité. Et où l’on peut distinguer la pérennité de certaines choses face au caractère éphémère de la plupart de ce qui nous entoure. Cette réalité inclue pour moi une prise de conscience de la nature et par extension, de la place de l’homme dans la nature.

Tout comme le rapport aux règles, celui à la temporalité peut être bousculé. Le temps, non pas le temps de la marche, mais le temps dans la marche est modifié.Larelationentretenueavec luichange.L’approcheestdifférente,ici, aller vite, gagner du temps ou le rentabiliser n’est plus important. Non essentiel. Le temps s’accompagne naturellement. Se mettre à son pas est une manière d’en prendre conscience. La particularité temporelle de la marche est en partie liée à la monotonie et à la répétition d’un même geste. Ainsi qu’à sa régularité. La lenteur, comprise comme le contrairede la précipitation est signe d’assurance. Marcher est le premier moyen

UNEÉNERGIESENSIBLE

8

d’appréhender physiquement un espace. La marche, en quelque sorte, étire le temps. Cet étirement approfondit l’espace intérieur. L’espace de la pensée.

Alors,peutnaîtreunesensationparticulière,prochedusentimentdeliberté.Je ressens un lâcher prise, un certain plaisir. Sentiment accentué par le fait qu’à la base, une décision est prise. Un choix est fait. Un choix en réponse à un besoin, celui de s’extraire, pendant un certain temps de l’environnement actuel, visible et vécu majoritairement dans les villes.

La solitude, quand elle est le fruit d’un choix, permet une certaine prise de conscience, celle de l’essentiel. Sentir l’omniprésence de l’accessoire, d’un point de vue à la fois matériel et relationnel. J’entends par accessoire, à la fois ce qui est secondaire, et surtout ce qui peut être un moyen, moteur d’une relation sociale. Quand cette relation dépend de cet accessoire elle peutêtrequalifiéedesuperficielle,sansépaisseur.Lematérielétantdeplusen plus un outil du « néo-relationnel ».

Tourner son attention sur l’essentiel, c’est surtout la tourner vers soi-même. Une écoute, comme une rencontre avec ce « moi » qui ne serait plus rongé par un ensemble de règles institué par le social. Placer quelques-uns de nos lambeaux dans un espace mental autre et faciliter ce déplacement psychique par le déplacement spatial du corps dans son ensemble. Àdéfautdepouvoirconcrètementchangerleschosesonpeuttemporairementsortir de la soumission. Cette errance, cette conquête de la solitude à travers la marche prédispose à une nouvelle façon de penser. Plus honnête avec moi-même et donc plus sereine.

La marche comme énergie sensible.

11

Depuis quelque temps, je me tiens le mieux possible informé sur la situation présente dans la ville de Calais, à l’extrême nord de la France. Situation géographique, qui est la cause principale d’un rassemblement de plus en plus massif de réfugiés qui viennent en périphérie de la ville, pour uneduréeinconnue.Iciilssontàlaportedeleurobjectif,l’Angleterre.

Je me suis en quelque sorte perdu dans de multiples textes sur le sujet qui étaient plus de l’ordre du combat d’opinions que de celui de l’information liée à une réalité sociale. Ne sachant plus aisément faire le défrichage à travers ce corpus journalistique, j’ai décidé de me rendre sur place et de me confronter à ce lieu baptisé la Jungle(seprononceenanglais).Avoirunnouveau regard sur cette réalité, en faire l’expérience personnelle.

Accompagnédedeuxamis,jesuisrestétroisjourssurplace.Cettepremièreapproches’estconstituéedemultiplesrencontres.Ainsi,àtraversleregardde quelques hommes, j’ai pu répondre, ou plus précisément engager des réponses aux questions qui pour moi sont essentielles. Du comment et du pourquoi. Leurs histoires, leurs ressentis et leurs objectifs. Leur passé, leurs vies ici et leurs attentes.

Laplupartdesréfugiéssontoriginairesdunord-ouestdel’Afrique(Egypte,Soudan, Érythrée) et du Moyen-Orient (Iran, Irak, Pakistan). J’ai surtout rencontré et partagé avec la communauté soudanaise. Peu d’entre-eux en sont venus à me parler des causes de leur départ et de la situation de leur pays d’origine. Les conversations se situaient en grande majorité autour de leur mode de vie dans la Jungleainsiquesur leursobjectifs.Atteindrele Royaume-Uni ou pour peu d’autres, finaliser une demande d’asile. Ces conversations avaient lieu chez eux, dans des abris de fortune, pour la plupart chaleureux, autour d’un thé ou d’un café.

La Jungle compte un peu plus de 6500 personnes, réparties sur un ancien site naturel qui fut dans le passé une décharge municipale, elle se situe

JUNGLE

12

à 6 ou 7 kilomètres du centre-ville de Calais. La plupart des réfugiés sont des hommes majeurs bien que depuis trois semaines, 80 familles, hommes, femmes et enfants sont nouvellement arrivés d’Iran et d’Irak. Pour des raisons culturelles, les différents espaces s’organisent en fonction de la nationalité de ceux qui les habitent. Histoire, langue et religions communes.

J’ai croisé une sorte de rue commerçante où l’on trouve restaurants et épiceries. Ainsi que des infrastructures mises en place par certainshabitants et/ou par différentes associations présentes sur le terrain. École d’arts et métiers, écoles pour enfants et adultes, mosquées, église, théâtre, centred’accueilpourlesfamilles,hôpitaldecampagne,infirmerie,cuisinecollective, points d’eau et latrines.

Pour garder cela sous contrôle, et c’est important à signaler, un dispositif impressionnant de gendarmes mobiles et de CRS en tenue anti-émeute est présent. Dans la Jungle, autour de la Jungle et sur les axes qui desservent la Jungle. Contrôles systématiques et violences policières font parti du paysage quotidien des réfugiés.

Pour ce qui est du matériel essentiel. C’est à dire, matériaux de construction, vêtements et nourriture. Ce sont les organisations humanitaires présentes sur place quotidiennement qui organisent la logistique. Appels auxdons, stockage, et répartitions avecplusoumoinsd’efficacité. Il n’existeapparemment pas de coordination entre les différentes missions qui s’engagent sur place. Par jours, 1200 repas sont préparés et des vivres sont distribués de manière désorganisée. Premiers arrivés, premiers servis.

Aux dires de plusieurs personnes, le manque de moyens humains etlogistiquesestunesourcedeconflitsparfoisviolentsentreréfugiés.Pourles blessés et malades nécessitant des soins plus approfondis, les services d’urgences médicales ont obligation d’intervenir. Le système hospitalier français prend en charge gratuitement les soins.

Les habitats visibles vont de la simple tente Quechua qui trempe dans la boue et manque de s’envoler à chaque rafale de vent à l’abris en dur, en bois, isolé avec de la bâche en plastique et du tissu, beaucoup plus résistant aux intempéries. La qualité d’une construction qui ici se résume à solidité et isolation thermique est intrinsèque au temps de présence sur le site de sonhabitant.Aujourd’hui,lamajoritédesconstructionssonttrèsprécaires.

13

La population de la Jungle aurait doublé au cours du dernier mois. Pour les réfugiés les dangers sont omniprésents, risques de blessures graves et de décès directement liés aux tentatives de passer la frontière. Risques de santé liés aux conditions d’hygiène déplorables sur le site. Violence de la policeoud’organisationsradicales,cesdernièreseffectuentdesraflesdansla ville pour frapper de manière gratuite et acharnée certains d’entre-eux en guise d’exemple.

La violence psychologique est également présente. Ces hommes et ces femmes qui sont pour la plupart brisés, et qui ont fuit une violence déjà présente de leur pays se retrouvent confrontés en permanence à un gros risque, celui de se faire attraper par la police, de passer par un camp de rétention dans le sud de la France et parfois de retourner de force dans leur pays d’origine, à leur point de départ.

Déplacer dans le temps et l’espace le problème semble être la ligne directrice de la politique française. Le tout en investissant le moins de moyen possible. Politique fascisante et discriminatoire qui sous l’égide du sécuritaire prend de plus en plus de mesures liberticides et établit une nouvelle hiérarchie entre les hommes. « WE ARE NOT ANIMALS », « WE HAVE RIGHTS »,«PROUDTOBEBLACK»sontdesslogansquiapparaissentrégulièrementdans le bidonville.

Une énorme majorité des réfugiés a pour objectif commun d’atteindre le Royaume-Uni. Leur réponse à la question « pourquoi l’Angleterre ? »se résume en deux points. Le premier étant qu’ils sont pour la plupart anglophones, le second est que la législation au Royaume-Uni autorise pour le moment le travail des personnes sans papiers. En essayant de creuser pour mieux comprendre, je me suis rendu compte qu’il ne fallait peut-être pas chercher de réponse. Il y a une sorte d’énergie collective qui crée ce que l’on appelleun«fluxmigratoire».Laplupartd’entre-euxsemblesimplementsuivre la promesse d’unmode de vie occidental. À ces questionnementspeuvent s’en ajouter une longue série. Ici, les questions sans réponses, les incompréhensions restent toujours plus faciles à vivre que la clarté des causes réelles de la situation présente.

Quand je suis en déplacement, je m’arrange toujours pour avoir de quoi faire des images. Pendant mon court séjour à Calais, je n’ai fait aucune image. Prendre des photographies dans un espace comme la Jungle serait d’une grande maladresse de ma part. Une présence irrespectueuse. Je ne peux pas

14

faire d’images de gens et de leur intimité. D’autant plus quand celle-ci est précaire et concerne une situation de détresse particulière.

Dans une volonté de rencontre et d’appréhension d’un lieu et des personnes qui l’habitent, le dispositif photographique peut être une large frontière pour au moins deux raisons. Du point de vue de l’autre, qui, devenant sujet, peut de manière légitime y voir une potentielle agression. Du fait par exemple que son image peut être employée pour symboliser une certaine formedemisère.Etdupointdevueduphotographe,quipeutinfluencersonrapport à la réalité puisqu’il cherche, même si ce n’est pas le but premier, à faire des images. L’autorité de l’appareil photo est selon moi une chose qu’il faudrait plus souvent remettre en question. L’idée du témoin comme passeur peut exister d’une façon beaucoup plus juste que de manière intrusive. La présence d’un appareil photo dans ce genre d’endroit peut sous-entendre une curiosité malsaine. L’image que nous fabriquons d’autrui ne nous appartient pas.

Le soir, nous étions hébergés chez les parents d’un ami, proche du centre ville de Calais. On nous avait déconseillé de dormir au sein de la Jungle. Celle-ci était l’objet de nombreuses violences depuis trois jours notamment de la part des forces de l’ordre, qui, de plus en plus visibles, accentuent le climat de tension déjà présent auparavant.

L’un de nous reçut un message lui demandant de regarder la télé. Les attentats terroristes à Paris venaient d’avoir lieu. Nous étions sous le choc puis inquiets pournosproches.À la violencede l’expérience calaisienne,s’ajoutait celle-ci. Plus directe, plus intense. Un spectacle d’horreur retransmis quasi-simultanément par la télévision. Spéculation, amalgames, contradictions, informations erronées. Une fois de plus le milieu du journalisme me montre ses faiblesses. Tenir l’antenne toujours, illustrer des propos encore. Selon moi, les médias ont énormément participé au climat de peur et de tension qui a suivi de prêt les événements du 13 novembre.

Le dimanche dans la Jungle, quelque chose de très beau s’est organisée. Une prière inter-religieuse et inter-communautaire, un moment de recueillement pourlesvictimesetpourlaFrance.Aucunjournalisten’étaitprésent.Lespersonnes que j’avais rencontré étaient sous le choc et se sentaient encore plus qu’auparavant comme des cibles pour le gouvernement. Un homme s’est presque excusé de partager la même religion que les auteurs présumés des attentats. Un choc qui arrive à la suite d’un autre n’atténue en rien

15

le premier. J’ai vécu cette expérience de trois jours à la Jungle de Calais comme une bousculade émotionnelle. Je ne comprends jamais vraiment les sentiments qui apparaîssent en moi dans un contexte complexe comme celui-ci. L’enrichissement est évident.

Je retournerai à Calais cet hiver, si les élections régionales qui ont lieu d’ici-là n’ont pas effacé d’une décision la présence de cette zone habitée.

Le 25 novembre 2015

Carte de la Jungle publiée sur lundi.am le 22 février 2016.

17

Comme celui qui le précède, le texte qui suit est un compte rendu de l’expérience à la Jungle de Calais. Son auteure qui était présente avec moi durant ces 3 jours a choisi de dresser de courts portraits des personnes qu’elle a rencontré sur place et avec lesquelles elle a partagé un moment.

18

Mango is preparing tea. He has a new gas cooker which allows him to cook everything easier andwithout the smell of coal fire.He puts one and two andfinallythreesugarinourglasswhilethewaterboiled.ASudanesehabit.Whentheweather is very hot, you need sugar all day to get enough energy to walk. It’s good to be healthy. « But here Mango, it’s colder. You will get fat if you keep doing this ! ». He laughs and serves the tea.

All in blue.A bridgeover a river is going to continueon the road through themontainsandforest.Treesalignedalongtheroadthatclimbs.Afencedparkwithonetreeandonebuildingisdown.Housesareonthetopofthemountain.Adnandrew the view from his window in Pakistan.

Pierre is going alone on the bench. Starting his ablution. Hands clasped, his lips move and whisper from his heart. He is french and came here to realize the situation and to help. He found friends and a new family. He found Human and Spirit.Hefoundhimself.Nowheliveshere,“Alhamdoulillah”ashesays.

Ayaisoneyearoldandherlanguagetocommunicatewiththeworldisnotyetthepersian but her smile and her eyes. On her mother’s knees sitting on the back seat, her eyes are wet. She is scared about the road. « Hello Aya ! Hello ! » Her big sister follows me. « Hello Aya ! Hello ! »Theirparentssmileandheralsoforafewseconds.Butwhentheredlightbecomes green, everybody had to restart. « Hello Aya ! Hello ! »

« Wow how nice Mercedes you have, it’s so comfortable inside! »AdamandTigeraretoo tall to sit in my old red Renault Supercinq, but they like it. « Are you sure that you know how to drive? I don’t want to see the doctor more broken than I am. I have my syrian licence if you want. - I just don’t know my left and my right. Show me the road with your hands. »Adamseesmysmile, laughs,andcontinuestomakemecompliments on my car.

PORTRAITS

19

J'ai choisi d'inclure dans ce recueil un texte de Mélissa pour les raisons suivantes. Rendre visible son texte est une façon de mettre en regard deux visions d'un même moment partagé et de tenter d'élargir le questionnement sur le témoignage. Son texte est né en partie d'une réaction à la lecture de Jungle qui le précède et plus particulièrement au paragraphe qui traite de l'image, de ne pas faire d'image. Elle a choisi de faire une série de Portraits écrits à partir de ce qu 'elle a retenu suite à différents échanges. Chacun des paragraphes correspond à une rencontre. Ici, le sujet n'est pas exactement la personne dont un portrait est dressé mais plutôt l'expérience de la rencontre elle-même.

Ce qui attire le plus mon attention, c'est que le texte soit écrit en anglais alors que son auteure n'est pas anglophone. Ici, écrire dans une langue différente de sa langue maternelle sonne comme une prise en compte des lecteurs potentiels. En effet, l'anglais est une langue que connaissent, parlent et lisent la plupart des personnes dont elle nous propose un portrait. En utilisant cette langue, elle nous indique qu'elle souhaite leur faire lire ce texte par la suite.

« Je te montre mon travail, ce que j'ai fais à partir de notre rencontre ».

Elleabesoind'unretour?D'unregardcritiquedelapartdesgensconcernés?Oualors,ellesouhaiteleurapprobation?Peut-être.

« Cela te conviens t'il ? Rien ne te gènes ? Je peux continuer et le montrer ? »

Imaginonsqu'elleairéalisécesportraits,maisenimagecettefois.Avecdesphotos de corps et de visages, on peut penser qu'elle ne se serait peut être pas occupée ou en tout cas dans une moindre mesure à confronter les sujets à leur image. Elle aurait demander un retour moins naturellement.

REGARD

20

La réponse : « Tu peux garder la photo.»faitofficedevalidation.Elleautorisele partage d'une image mais ne montre pas de partage à proprement parlé. Peut-être qu'ayant l'habitude d'être en présence d'images, d'en créer et d'en manipuler. Notre rapport à celles-ci devient routinier. Nous remettons plus difficilementenquestioncequenouspensonscommeacquis.

Il est possible de faire une photo d'une personne en renonçant au contact humain, à la rencontre ou à l'interaction. Ce rapport à l'image plutôt qu'au sujet est plus facile pour celui qui produit. Prendre l'image de quelqu'un à travers un dispositif photographique et garder cette image dans une mémoiretellequ'elleestungestebrutetrapide.Aucontraireréaliserunportrait écrit aussi court soit-il sur la relation établie avec la personne en question est un geste plutôt délicat et attentionné.

Généralement, l'écritureprenduncertaintemps,neserait-cequedans legeste d'écrire, encore plus si ce n'est pas dans notre langue maternelle. Le moment de l'écriture, le temps passé à écrire, à choisir les bons termes, à faire en sorte d'être bref sans oublier l'essentiel nous rapproche des personnes sur lesquellesonécrit.Réfléchiràpartirdece travaildeMélissa, essayerd'en faire une analyse rapide me rapproche d'elle en quelque sorte.

Avecl'écriturelesouvenirpeutexisterhorsdenousàtraversdesmots.Cesentiment de proximité qui s'est développé est une des raisons pour laquelle le besoin de montrer, de faire lire à l'autre se fait sentir. Pas exactement dans l'attente de critiques ou d'une approbation mais avant tout pour répondre à un besoin de partage. Partager de nouveau parce que maintenant on se sent plus proche, que l'on a pris du recul et que l'on veut l’exprimer à l'autre.

21

22

23

Le texte qui suit est une tentative de retranscription sur le modèle de la prise denote.Àpartirdepistessonoresenregistréeslorsd’uneéclipsepartielledu soleil. Entre 9h30 et 11h le 20 mars 2015 sur la place de la mairie à Saint-Contest, dans le Calvados.

24

Al’extérieur.(Vers 1:10 un homme explique le dispositif technique de façon très brève).

ÉCLIPSE

Brouhaha.Une voix domine. On ne distingue pas. 02:31.

Idem jusque 2:30.Evoque des dates à propos d’un calendrier en lien avec « la réalité astronomique ». 3:30 Une femme parle des années bissextiles. 4:30 L’homme reprend « la Lune fais un tour sur elle-même en... ». En lien avec l’établissement du calendrier musulman. Décalage de 11 jours. Évoque le ramadan. 5:10 Calendrier grégorien universel et adopté par tous les pays du monde. 07:00 Parle de l’éclipse. ÀCaensonpointmaximumà7h30.Puisinaudiblejusqu’àlafin.

25

Intérieur. 0:45Présenteles3assosquiontfaitdelapédascientifiqueauprèsdesjeunes.(Lune/Soleil/Terre). 1:25Alignementdesgensordonné(brouhaha).2:15 Compte jusque 10. Terre. Lumière 8 et 20 secondes pour arriver à la Terre. 300 milles km/sec. 150 millions de kilomètres. Unité astronomique entre Monsieur et Madame. 3:50 Observatoire de Nîmes. Laser et miroir sur la Lune. La lumière revient en un peu plus de 2 secondes. 4:50 Disque lunaire entre Terre et Soleil. Explique l’éclipse physiquement. Version très très simpliste.

Vénus. Jusque 15. Mars. Jupiter. 52 Personnes. (Jusqu’en 1781). 1=25. ParleduscientifiquedePontl’Evêque.D’un autre. Uranus et une autre planète qui la perturbe. [ Sorte d’historique des découvertes astronomiques dans le système solaire]. Calcul du déplacement d’Uranus (1846). ObservatoiredeBerlin4minutes.

26

2:20 seule terre pour la complète les Féroé. Finià2:59«y’enapasuneauMozambiquenon?»Extérieur. Grouped’enfantquipasse.« Chhhut ! »Je parle.

Brouillibrouilla.Grosbordel.

On ne capte rien. Se termine à 1:46 par « on va commencer gentiment ».45 secondes Lune 380 milles kilomètres de la Terre. Présente des images ( diapo). Parle d’échelle relative. 1:45 Imaginer. Soleil. Ballondefoot.Terre. Tête d’épingle. Dimension en kilomètres. Soleil 1 million 40 milles. Terre 12700 kilomètres. Distance 2:30 Terre 1,50 Lune 600 Soleil.

3:00 Trajectoire. Terre autour du Soleil 365 jours.Extérieur. Parle du fait que l’on ne voit pas grand chose. Se réfère au luxmètre et à l’heure. « C’est dommage hein ». « Regarder sur la météo ». 1:35 « On mesure la lumière et la température à défaut de faire mieux ».

27

Rien de réellement exploitable. (rires).Bruitsdepas.Enfants. Voitures et vent dans le micro.

Aucuneparole.Durée 43 secondes.Extérieur. 20 secondes parle d’un article. Évoque Madagascar. « C’est tentant ». 20 août 2017. ElletraverselesUSA.« Là y’a de la place ». « C’est une occasion d’aller se promener aux États-Unis, si on a du temps ». Parle de celle de 1999 qui était « extraordinaire ». Évoque la météo prêt de Cherbourg avant l’éclipse de 99. « Ça baisse là ». «Àl’œilnuçasevoitpas».« Les températures au début on était à 8 et maintenant on est à 6 ». Parlent du luxmètre. 61 c’est 13% il faut ajouter la différence. « 87 » 4:12 Parle des 8 secondes qui jouent sur la transmission de la lumière. Une femme insiste sur la différence de luminosité entre l’intérieur et l’extérieur. 4:51 « L’œil est une machine terrible, c’est une machine infernale l’œil ». Ils se demandent s’il ne faut pas aller dedans puis ressortir pour percevoir la différence. 5:27 « Il est 10h25 ». « On est pas loin du maximum ». Un homme parle du fait qu’il fait des photos par intervalle de 5 minutes. Chuchotement. Radio pilotage je crois. [Rire (collectif)] à 6:20. Uneenfant«Maispourquoiilafaitçaaaaa...?».

28

Ànouveauchuchotement7:05.« Ne bouger plus Monsieur s’il vous plaît ».

7:30UnhommemedemandesijefaispartidelaSMERA.Se termine par « c’est bien votre petit truc » à propos de la caméra.Extérieur. Un homme. Température à baisser de 2°C. Lumière. 60 lux.Il a commencé les mesures il y a une heure. Brouhahajusque0:44.Puis « faire voir aux gens ce qu’on peut faire lors de l’observation ». Plus triste que l’on ai vu ces dernières années. En 99. Uncertainnombreàpouvoirenprofiter.On ne distingue pas grand chose. 2:36 explication du dispositif. Une fois de plus. « 35% ». Un enfant joue. Deux enfants. Ils couvrent la conversation. 4:35 Silence... je tousse.

La mère d’Hugo le rappelle à l’ordre. Fin à 5:15.Beaucoupdebruitautour. « En 99 y’avait 100 [...] ». Rire et déclencheur d’appareil photo. Fois 3.

1 Photographie publiée le 20 mars 2015 dans Ouest France.

1

31

C’est une prise de conscience que je qualifie de tardive, qu’uneidentitém’aétéattribué,quejeleveuilleounon,quejel’affirmeoul’infirmeet qui va tout au long de ma vie me coller à la peau, car c’est bien de peau dont il s’agit, de sa couleur blanche que je ne peux cacher.

Ma prise de conscience est la première expérience et le premier choc significatifdepuismonarrivéeenInde,oùj’aieul’occasiond’effectuerunvoyage d’étude de plusieurs mois en 2014. La rencontre avec une population dont la culture est absolument différente de la mienne. M’a poussé de manière naturelle à réfléchir à mon identité. Avant de se confronter àl’inconnu, et, de par se fait, être rendue plus visible, en premier lieu par les autres et très rapidement par moi-même, elle n’avait jamais été remise en question. Comme si mon identité, celle d’un homme, était indissociable de mon environnement, conditionnée par celui-ci, et que la sortie de cet environnementm’avaitpousséàréfléchiràcettequestion,nonparvolontéd’accepter ou non ma condition, mais d’en avoir une compréhension.

Tout comme l’identité, l’environnement n’est pas le résultat d’un choix. Le conditionnement estune sorted’emprise influentedansunespace socio-culturel déterminé. On peut être dans ou en dehors de cet espace mais il sera toujours un repère, un lieu de référence à partir duquel on pourra penser.

J’ai eu à plusieurs reprises l’occasion d’accompagner des occidentales dans le but de faire des démarches administratives qui m’étaient alors devenu familières. Il faut savoir que pour un homme, si les rapports avec la culture indiennesontparfoisdifficiles,pourune femmeceux-cisemblentencoreplus complexes. Que ce soit du point de vue légal, religieux, ou social, une femme n’a pas les mêmes droits qu’un homme. Son rôle, déterminé, ne laisse qu’une place très étroite aux idées d’émancipation ou de liberté.

IDENTITÉ

32

En observant d’un peu plus près, dans la publicité, de la télé aux devantures de supermarchés, quand l’image du corps est employée pour nous vanter les mérites d’un produit quelconque. C’est dans la majorité des images un corps blanc qui est représenté. Européen-ne, indien-ne, brun-ne, sourire aux lèvres et dents blanches. Les modèles indien-nes ont également la peau trèsclaireetreflètentdemanièreencoreplussignificativel’idéed’uncanonesthétique marchand qui prend entièrement en compte la couleur de peau.

Je pense à une domination du mode de vie occidental sur des sociétés différentes comme une conséquence directe des politiques colonialistes menées par les puissances économiques européennes par le passé. En Inde, les colons étaient anglais, portugais, hollandais ou français. Les relations économiques entres les anciennes victimes et leurs anciens bourreaux sont à la fois une sorte de suite logique aux déclarations d’indépendance desanciennescoloniesetunenouvellefaçond’affirmerunpouvoiretsonemprise. On parle donc de néo-colonialisme.

Ce qui frappe le plus quand on arrive dans ce pays qui nous est étranger ce sont tous ces regards rivés sur nous. J’ai eu l’impression d’être plus vu que je n’ai vu. Le malaise que nous éprouvions face à ces regards insistant revenait souvent dans nos conversations.

17 et 18 juillet 2014. Delhi.

Le regard que posent les indiens sur les occidentaux, le fait qu’il ne se passe pas un seul jour sans que l’on me demande si on peut me prendre en photo est principalement lié à la fascination qu’ils ont pour ma couleur blanche et ce qu’elle représente1.

1 Les citations en italique sont extraites de différents carnets de voyage que j’ai tenu en Inde et au Népal entre février et septembre 2014.

33

31mai2014.Auroville.

Une brochure d’information titre « AUROVILLE, UN ENDROIT POUR FAIRE DES EXPÉRIENCES» et en guise d’introduction cette phrase : « Pour ceux qui sont satisfaits du monde tel qu’il est, Auroville n’a évidemment pas de raison d’être. » Ce projet commence en 1968, à l’initiative de celle que tout le monde appelle La Mère, compagne de Sri Aurobindo, lui-même créateur de l’Ashram de Pondichéry. Les principales règles ou plutôt principes sont les suivants. Pas de propriétés privées, pas de circulation d’argent, et le travail vu comme moyen de se développer soi-même. Remplacer le gouvernement mental de l’intelligence par le gouvernement d’une conscience spiritualisée. Recherches écologiques et technologiques appliquées directement en vue de faire progresser le projet Auroville, citée idéale. Aujourd’hui, 40 nationalités sont présentes à Auroville, une large majorité d’indiens, puis des européens. Ce qu’on voit, c’est surtout la végétation, forêts et plantations, et l’industrie du tourisme... Visiteurs qui comme moi sans doute cherchent à voir de leurs propres yeux ce qui leur est vendu sur le papier. Les auroviliens et auroviliennes semblent pour la plupart être conscient de la difficulté de mener à bien ce projet. Reconnaissent des échecs mais continuent à expérimenter, à chercher des solutions pour vivre mieux, différemment et ensemble.

Uneautreexpériencevécuedanscemêmepays.Visitor’sCentre,Auroville,état de Pondichéry, ancienne colonie française.

Soit, mais cette ville expérimentale au dessein utopique est à l’initiative d’européen-nes aujourd’hui, la plupart de ceux rencontrés qui font vivre la machine à travers le tourisme et la médiation parlent français. Cet arrière goût avec le recul commence à prendre le dessus puis à rester en bouche. Cette vision, qui m’appartient, est celle d’un occidental qui a hérité d’une conscience liée à la période coloniale. Pour faire bref, je suis très sensible à ce sujet.

34

Comprendre. Comprendre que pour la plupart des gens qui me croisent ici je rentre dans un stéréotype. Je suis riche. Un des premiers facteurs de rencontre et de dialogue est lié à l’énorme éventualité de ma richesse. Ce moteur intéressé rend les échanges impossibles. Dans la mesure où je suis placé malgré moi dans une situation de supériorité qui m’apparaît comme totalement absurde.

Jesuisoccidental,maisjen’étaispasàproprementparleruntouriste.Bienque je me déplaçais à travers différentes régions du pays, j’étais ici pour un voyaged’étudede7mois.JevivaisseuldansunappartementàBangalore,pas loin de mon école. Je m’efforçais d’être le plus proche possible du mode de vie local. Je me déplaçais avec les mêmes moyens que la plupart des personnes, en transports en commun, bus ou train, peu confortables et économiques. Je communiquais directement en anglais et ne passais pas par un tiers. Ma compréhension de la culture était le résultat d’expériences personnelles et non d’explications généralistes provenant de guide de voyage tel que Le Routard par exemple. Je tenais un carnet de voyage que lorsquejequittaisBangalore.

Le plus important pour moi était de faire en sorte que mon comportement, ou que le comportement des groupes dans lesquels j’ai pu me trouver ne suive pas de logique dominatrice. Sur qui ou quoi que ce soit, personnes ou environnements.Àtraversetmalgrémoi,peutfacilementagirl’emprisedel’Occident. L’idée de ne pas lutter contre, d’user de cette emprise, de voyager plus facilement et d’être affilié à un certain type de tourisme occidentalserait équivalent au fait de renoncer à des principes et des convictions désormais stables et réfléchis. Ces touristes occidentaux qui, de bus enhôtels climatisés, leur écran solaire et leur anti-moustiques sur la peau, semblent avoir de rapports avec la culture du pays dans lequel ils sont en vacances, qu’à travers leur richesse matérielle qui transpire l’indécence.

35

25 juillet 2014. Phyang.

Nous assistons à une danse en costumes et masques. Haut en couleurs. L’armée blanche est également présente et pointe de ses armes numériques ce qu’elle pense être la tradition. Je ne sais pas à quoi je fais face. Cérémonie religieuse ou spectacle. On ne paye pas de ticket mais ils font un appel aux dons. Il y a plusieurs stands à la sortie si l’on souhaite s’acheter un souvenir. Le rôle du spectateur potentiel client change le sens de l’événement. Quand tourisme et tradition ne peuvent pas danser ensemble, c’est malheureusement ici, la tradition qui s’assoit pour laisser la piste libre à toutes expressions.

Il me semble juste aujourd’hui de dire que je ne me suis pas confronté à une autre culture dans le seul but de voyager mais également pour être bousculé. L’aspiration vers l’ailleurs rime souvent avec le mal être de l’ici. En être conscient est une autre histoire, qui souvent s’écrit dans l’ailleurs et se relit au retour dans l’ici.

37

« Dans quelle langue m’adresser au lecteur ? Si je privilégiais l’authenticité, la vérité, ma langue serait pauvre, indigente. Les métaphores, la complexité du discours apparaissent à un certain degré de l’évolution et disparaissent lorsque ce degré a été franchi en sens inverse. De ce point de vue, le récit qui va suivre est inévitablement condamné à être faux, inauthentique. Pas une fois je ne m’attardai sur une pensée. Le seul fait de l’essayer me causait une douleur vraiment physique. Pas une fois durant toutes ces années, je n’admirai un paysage: si je garde quelque chose dans ma mémoire, il s’agit d’un souvenir plus tardif [...] Comment retrouver cet état et dans quelle langue le raconter? L’enrichissement de la langue, c’est l’appauvrissement de l’aspect factuel, véridique du récit. »

Varlam Chalamov1.

1PréfacedeLubaJurgenson.VarlamChalamov;Récits de la Kolima. 2003. Verdier. page 8.

39

Un dimanche comme les autres, je me rends au marché aux alentoursde13heures.J'yvaisrégulièrementquandilapprochedelafin.Leplus souvent pour rejoindre des amis à la terrasse d'un café et/ou observer la « remballe ». C'est ce moment particulier où en l'espace de très peu de temps tout est enlevé, chargé, libéré et nettoyé.

D'abord les différents commerçants bradent le prix de leurs produits, la prioritén'estplusdefaireduprofitmaisplutôtd'allégerlepluspossiblelepoids du chargement qui va suivre. Ensuite, certains commencent à transférer leurs produits des étales jusque dans leur véhicule, des camionnettes pour la plupart. Il doit être 13h30.

Ils accumulent autour des poubelles mises à disposition par la municipalité ce qu'ils jugent comme n'étant pas consommable ou plutôt plus vendable. Collectivement, ils fabriquent des sortes d'îlots composés de fruits et de légumes abîmés, de boîtes à chaussures, de cartons, de cagettes et d'autres emballages en tout genre. Des goélands, à la recherche de nourriture font du sur place au dessus de ces îlots. Entre temps les glaneurs sont arrivés. Les camions quittent péniblement le port à tour de rôle. Et arrive la meilleure partie, le nettoyage.

Un grand nombre d'agents d'entretien des espaces publics, reconnaissables àleurcombinaisonjaunefluopassentàl'action.Toutsembletrèscoordonné.Des agents à pied déblayent les objets restés sur le sol pour permettre à d'autres, véhiculés, de manoeuvrer plus librement dans l'espace. Leurs véhicules biplaces envoient de puissants jets d'eau vers l'avant et chacun des côtés, de grandes brosses rigides en plastique rouge frottent le sol dans un mouvement rotatif. Moins d'une heure après l'arrivée des équipes de nettoyage, l'espace est quasiment vide.

AVISDETEMPÊTE

40

Une des seules traces visibles de cette chorégraphie est le sol mouillé. La brillancedusoleilquisereflètesurlafinecouched'eaum'obligeàcrisperlevisageetàfroncerlesyeux.Jepeineàobserver.Jedistinguedifficilementles silhouettes des corps qui avancent dans ma direction. Je me demande ce qu'ils pensent de ma grimace et s'ils partagent ma gêne. Je longe lentement le port.

Un dimanche particulier, le dimanche 7 février, il est presque midi. Je retrouve Marianne à la terrasse d'un café auquel je suis habitué. Le vent souffle violemment.Unebourrasque traverse la terrasse et renversequelques verres sur une table voisine. Mon bonnet manque de s'envoler. Je croise le regard du voisin qui vient de perdre sa bière et il m'apprend que des ventviolentsontétéannoncé.Eneffet,unealerteorangeestfixéejusqu'aumardi suivant dans tout le département. Météo France prévoit des rafales pouvant atteindre 110 km/h.

Je me retourne pour faire face au marché. La plupart des stands sont couverts avec des auvents ou des barnums. Une bourrasque se coince dans la toile d'un auvent. Deux maraîchers le retiennent avec difficulté. Lescommerçants que j'observe maintiennent ce qui constitue leur espace de vente. Un morceau de carton de taille conséquente atterri sur le coin de l'étale d'une boulangerie. Le boulanger a l'air perdu. Il tient son étale d'une main et a l'autre posé sur un tas de sac en papier. Il semble analyser la situation. Comme moi sûrement, il constate que tout le monde, en tout cas tout ceux qui se trouvent dans cette partie du marché sont dans un moment d'arrêt et d'attente. Une accalmie arrive et le boulanger s'accroupi et resserre les liens quifixentsonespaceausol.Dessacsplastiquescourentlelongdubitume,se plaquent contre les jambes des passants un instant puis reprennent leur course. Un stand s'écroule un peu plus loin. Un chien prend peur et se met à aboyer. Il se retourne vers son maître de l'autre côté de la laisse et semble demander du réconfort.

Je regarde à ma droite maintenant, vers un bouquiniste. Le vent s'engouffre entre les pages des livres disposés à plat sur l'étale. Comme un lecteur invisible. Il feuillette au hasard, s'arrête sur certains passages, ferment quelques ouvrages. Les pages sont malmenées. Le bouquiniste clôture ce ballet en déplaçant les livres dans les cartons prévus à cet effet. Il remballe.UneamierejointMarianneàlaterrasseducafé,j’enprofitepourrépondreà

41

monenviedem’exposer.Jefermemonmanteau,enfilemacapucheetparsau sein du marché pour sentir la force du vent. Tout le monde commence à ranger maintenant. Les conditions météo exceptionnelles ont écourté le marché. Le vent se plaque sur mon côté gauche. Je fais plusieurs tours sur moi-même,lesyeuxclos.J'ailasensationquelaforcedusouffletourneautourde moi. J'ai le sourire aux lèvres. Pendant un court instant j'ai le sentiment de ne pas être ici. J'ouvre de nouveau les yeux et reprends ma promenade. Chacune des bourrasques qui heurtent mon corps me demandent un effort pour ne pas dévier de trajectoire. Je me sens vulnérable. Comme à plusieurs reprises dans le passé, je prends conscience de ma fragilité et cela accroît mon sentiment d'existence. « Je » subit une force extérieure et j'éprouve du plaisir. Je me remémore des sensations similaires. Je suis en montagne.

Ces îlots de déchets auxquels je suis attaché n'ont pas tenu en place aujourd'hui, les poubelles municipales sur lesquelles ils s'appuient habituellement sont couchées. Les goélands, moins nombreux, peinent à se déplacer.

Soudain, un désir me prend. Je veux fabriquer quelque chose. Je veux jouer avec le vent. Je me hâte de trouver sur place, parmi les nombreux déchets qui se meuvent sur le sol les matériaux qui me serviront à construire un cerf-volant.

[…]

Je suis maintenant sur le port, assis sur un banc. J'utilise du bois léger de cagettecommearmatureetducartond'emballagequi feraofficedetoile.Je tente d'accrocher un morceau du carton aux lattes de la cagette en le coinçant sous les agrafes encore présentent sur celles-ci. Pour cela je me sers d'un Opinel que je trouve au fond de mon sac. Je coince la pointe de la lame sous les agrafes, pivote le manche légèrement, glisse le morceau de cartondansl'intersticeainsicréépuisjefixeletoutenrepliantlespattesdesagrafescontre les lattesdubois.Àcemoment j'aidans lesmainsunlosange approximatif. Je prends de nouveau le couteau et redessine une forme plus précise en creusant des rainures pour fragiliser le bois. Je casse ainsi aisément le surplus de matière. Je suis proche de la forme originale

42

du cerf-volant.Un losangedont les diagonales sont perpendiculaires.Aucroisementdecesdeuxdiagonales,j'attacheuneficellegrossièreenfibresplastiquesbleues.Etpourfinirjerelieensembletroismorceauxdeficelleàla première. Je dois avoir une longueur proche des 6 mètres.

[…]

Àprésent jesuisdeboutsur lapromenadeduport.Lesyeux levésvers leciel,j'observemoncerf-volant.Jedoisserrerfermementlaficellecarleventle malmène. Il est sûrement trop fort par rapport à la qualité de réalisation du cerf-volant. Celui-ci oscille frénétiquement de gauche à droite comme lorsqu'on souffleavec force sur la tranched'une feuilledepapier. Ilperdrégulièrement de l'altitude sans pour autant s'échouer sur le sol. Lorsque leventestrégulier, lecerf-volantsemblepresqueimmobile.Laficelleesttoujours tendue et l'idée me traverse de la lâcher, juste pour voir. Mais non. Encore un peu. Comme si il voulait me contredire, le cerf-volant tombe une première fois. La chute n'est pas assez violente pour l'endommager. En me baissant pour le ramasser je me rends compte que certaines personnes me regardent. La plupart d'entres-elles s'amusent de mon jeu. Certaines se moquentgentiment.Aucunenem'adresselaparolepourautant.Jelelâcheen l'air de nouveau et le cerf-volant reprend sa danse. J'ai le sentiment d'être leseuliciàprofiterduvent.

[…]

Lescommerçantsremballentdifficilement.Lespromeneurssontdeplusenplusrares.Aumilieudecetteagitation,jesuislà,reliéparuneficellebleueà l'objet de mon détachement. Le cerf-volant heurte le sol une deuxième fois. Unmorceaudecartonsedécroche.Jelâchelaficelleetsuitlecerf-volantduregard jusqu'à ce que le vent le bloque dans un renfoncement. Je le laisse redevenir un déchet parmi d'autres. Je longe lentement le port.

Le cerf-volant. Photographie réalisée le 17 février 2016 à Caen.

44

« Il n’y a pas de réel en soi, mais des configurations de ce qui est donné comme notre réel, comme l’objet de nos perceptions, de nos pensées et de nos interventions. Le réel est toujours l’objet d’une fiction, c’est à dire d’une construction de l’espace où se noue le visible, le dicible et la faisable. C’est la fiction dominante, la fiction consensuelle, qui dénie son caractère de fiction en se faisant passer pour le réel lui-même et en traçant une ligne de partage simple entre le domaine de ce réel et celui des représentations et des apparences, des opinions et des utopies2. »

« La fiction n’est pas la création d’un monde imaginaire opposé au monde réel. Elle est le travail qui opère des dissensus, qui change les modes de présentation sensible et les formes d’énonciation en changeant les cadres, les échelles ou les rythmes, en construisant des rapports nouveaux entre l’apparence et la réalité, le singulier et le commun, le visible et sa signification. Ce travail change les coordonnées du représentable ; il change notre perception des événements sensibles, notre manière de les rapporter à des sujets, la façon dont notre monde est peuplé d’événements et de figures1. »

1JacquesRancière;Le spectateur émancipé. 2008. La fabrique éditions. Page 72.2 Ibid. Page 84.

Jacques Rancière.

45

« La représentation n’est pas l’acte de produire une forme visible, elle est l’acte de donner un équivalent, ce que la parole fait tout autant que la photographie. L’image n’est pas le double d’une chose. Elle est un jeu complexe de relations entre le visible et la parole, le dit et le non-dit. Elle n’est pas la simple reproduction de ce qui s’est tenu en face du photographe ou du cinéaste. Elle est toujours une altération qui prend place dans une chaîne d’images qui l’altère à son tour. Et la voix n’est pas la manifestation de l’invisible, opposé à la forme visible de l’image. Elle est la voix d’un corps qui transforme un événement sensible en un autre, en s’efforçant de nous faire «voir» ce qu’il a vu, de nous faire voir ce qu’il nous dit3. »

3 Ibid. Page 103.

47

Je garde rarement le souvenir de mes rêves. Les bribes que ma mémoire arrive à capter sont dans un registre proche du réalisme. C'est à dire qu'il n'y a pas de manifestations d'éléments qui sont éloignés du réel. Je ne parle pas avec des êtres fantastiques, je ne vole pas et je ne rencontre pas de personnes décédées. La plupart des péripéties que mes rêves me racontent semblent sans surprises.

Le caractère onirique se manifeste à travers la question du lieu. Plus précisément, un contexte, un lieu que je connais dans la réalité, va se révéler être non pas un autre lieu mais un lieu à usage autre. Par exemple, mon école, que je nomme et désigne comme « école », dont je connais l'architecture et les usagers va dans un rêve devenir une sorte de gymnase ou plutôt un immense terrain pour la pratique sportive. Les personnes présentes sont les personnes habituellement présentes dans l'école. Je ne m'en étonne pas et semble être à l'aise dans cet environnement qui pour moi est entendu comme une école, comme mon école. Comme si le fait de penser être dans l'école, de m'attacher au terme « école » me permettait de substituer une définitionà laplaced'uneautre toutengardant lemêmemot.Unmêmesignifiantauquelpeuvents'attacherdenombreuxconcepts.

L'école est une boulangerie. L'école est un théâtre. L'école est une église. L'école est un dortoir.

RÊVE

48

Une nuit du mois de novembre, une mauvaise nuit. Mon sommeil a été fortement perturbé par un rêve. Dans ce rêve, j'étais en train de dormir dans le même espace que celui où j'étais effectivement en train de dormir. J'ai en quelque sorte rêvé de la situation réelle. Le même espace, un lit dans une chambre,lamême(in)action,jedors.Àproposdupointdevuedanscerêve,je n'ai pas le souvenir de si je voyais de mes propres yeux ou d'un regard extérieur à mon corps.

J'ai pris conscience de cette interpénétration entre rêve et réalité parce que je me suis réveillé de manière très brève et à de nombreuses reprises. Est-ce quejemeréveilledanslerêveouhorsdurêve?Jem'endormaisdenouveauen très peu de temps. Quelque chose de particulier se passé. Je n'arrivais pas à déterminer si ces courts moments d'éveil avaient lieu dans la réalité ou dans le rêve. Un sentiment de stress intense s'est imposé à moi lorsque j'ai pris conscience de ce qu'il se passé et que malgré cela j'étais toujours incapable de savoir dans quel état je me trouvais. J'ai poussé un cri qui a provoqué mon réveil. J'étais donc dans le réel avec l'impression de ne pas avoir été aussi sûr de cela depuis pas mal de temps.

Je me suis naturellement levé du lit pour me mettre sur mes jambes, aller me servir un verre d'eau et le boire. Une manière d'utiliser consciemment mon corps pour reprendre des repères. Mon inconfort s'est estompé. Je n'ai pas réussi à me rendormir rapidement, cette expérience que je venais de vivre de manière assez violente m'a tout de suite posé question. Je me demandais si mon esprit était aussi à plat qu'il ne pouvait se manifester autrement qu'en reproduisant la réalité. En même temps que je me rendais compte que (re)produire un contexte de réalité assez exact pour que ma conscience puisse s'y perdre à ce point demandait une élaboration complexe et précise de l'inconscient.

Il me semble que nous sommes spectateur des actions de notre inconscient, même si celles-ci existent à travers des contextes qui peuvent être complexes et dans lesquels l'image de notre corps est et se meut. Le rêve est un sorte defictionduréel.Laprisedeconsciencedurêveursefaitgénéralementauretourdanslaréalité.Aumomentduréveil,quandlerêvepasselafrontière,il devient le souvenir du rêve. Souvenir qui s'échappe et dont on peut tenter de faire exister dans le temps les quelques images qui nous en reste sur une page de cahier. Trace écrite. Témoignage d'un moment hors du réel dont la relecture atténuera l'origine. Ne pouvant éviter la recherche d'interprétation. « Traduire la réalité d'un rêve » ne peut être qu'une tentative.

49

Dans le réseau qui relie la pensée au langage, au sein d'un même individu, s'effectue une multitude de traductions, de relectures et de corrections. Entre la perception sensorielle et le langage encore plus. La pensée étant déjà un lieu du langage. À cela, on ajoute la nécessité sociale des êtreshumains à communiquer entre-eux et l'on peut sans problème poser ou reposer la question de la réalité du langage.

La tête de canard dont il est question dans le texte ci-contre.

51

Je marchais sur un trajet quotidien, le long du port de Caen, avec dans la main une tête de canard factice, en plastique. Cet objet est le fragment d’un appâtflottantqu’utilisentcertainschasseurspourattirerd’autrescanards,réels cette fois, pour pouvoir les tuer bien cachés dans une hutte de laquelle ne dépasse généralement que le canon des fusils. Cette tête m’avait été offerte par une amie. L’intérêt de cet objet pour moi, résidait dans le fait que le sectionner en deux le rendait obsolète. Son rôle utilitaire n’existait plus, ou du moins avait changé.

Sur mon trajet donc, qui est une longue ligne droite, j’ai croisé une bonne dizaine de personnes. Parmi elles, une large majorité a remarqué ce que je tenais dans la main. C’est à partir de là d’ailleurs que j’ai moi-même pris conscience du caractère étrange de la situation. Il y a eu différentes réactions. Échanges de regards, sourires en coin, sensation de gène et aussi, et c’est ce qui m’intéresse plus particulièrement, quelques phrases courtes qui m’étaient destinées. Réponses verbales et succinctes à un geste, qui, danscecontexteentraitdanslechampdel’absurde.Amenerquelquechosedenouveaudanssonquotidienetparextensiondansceluidesautres.Bienque bref, le contact a eu lieu, il y a eu interaction. Et c’est l’autre qui en a décidé. Un objet simple comme celui-ci peut changer le regard et créer de l’échange, court mais réel, et je le pense, naturel. Un accessoire surprenant, qui, amené dans un contexte banal et quotidien semble avoir le pouvoir de briser cette barrière théorique qui nous sépare la plupart du temps des gens que l’on « ne connait pas ». Une sorte d’objet médiateur.

Tout se passe autour et en rapport avec l’objet. L’action de cet objet est désintéressée dans la mesure où elle n’a pas été guidé pour provoquer ou non des réactions. C’est son existence dans un temps et dans un lieu donné, avec acteurs et témoinsqui l’on enquelque sorte « gratifié » d’un statutde médiateur. L’action toujours, pour garder tout son sens, ne doit pas être répétée.Cettepartiedutextequienposelaréflexionetl’objetdeplastiqueen question sont selon moi les deux seuls acteurs possibles du témoignage.

L’ACTIONDEL’OBJETESTL’OBJETDELARÉACTION

52

Dans notre époque contemporaine, ce genre d’événement touche. Qu’il soit comme ici à une échelle réduite ou au contraire à l’échelle d’un grand groupe d’individu, d’une foule. Les liens qui unissent les personnes entres-ellessemblentdeplusenplusraresetfriables.Àentendrelesparolesde personnes plus âgées, de la génération de mes parents par exemple, j’ai l’impressionqu’ilyaunepertedeconfiancemanifesteenl’autre.Commeune méfiance généralisée qui se serait imposée depuis quelques années.Le voisinage par exemple, partager un même espace de vie, que ce soit un palier, un immeuble ou une rue. Les rapports de proximité qui sont présents semblent décliner et être de moins en moins liés aux rapports humains que nous entretenons. Ne connaître ni le nom ni le visage de son voisin ou de sa voisine est aussi banal qu’étonnant aujourd’hui.

Les inégalités sociales sont certainement un des facteurs les plus importants de cette atténuationdes relationshumaines.Aujourd’hui etpeut-êtredemanière plus visible qu’hier les inégalités entre la « classe populaire » et la «classedominante»s’élargissent.PourPierreBourdieulesclassessocialesn’existent pas vraiment. « Ce qui existe, c’est un espace social, un espace de différences, dans lequel les classes existent en quelque sorte à l’état virtuel, en pointillé, non comme un donné, mais comme quelque chose qu’il s’agit de faire1 ». L’espacesocialestàlafoisunespacehiérarchiqueetunespaceconflictuel.Selon lui toujours, cet espace comprend les trois grandes classes sociales, c’est à dire la « classe populaire », « la petite bourgeoisie » et la « classe dominante ». L’appartenance à l’une ou l’autre de ces classes est définieselon trois critères. Le capital économique, qui correspond à la richesse monétaire. Le capital culturel qui est lié au niveau d’instruction au sein du milieu familial puis à la réussite scolaire. Et le capital social qui correspond à un réseau de relations durables. Cette analyse du système des classes placée dans le contexte d’une société néo-libérale semble cloisonner la plupart des individus dans le milieu duquel ils sont issus. Les relations entre les différentes classes sont rares. Quand elles ont lieu elles semblent toujours dirigées par la domination et l’intérêt d’une classe sur une autre. Dans le milieu du travail par exemple. La direction dominante entretient une relation avec les cadres qui entretiennent une relation avec les ouvriers. Ces relations ne sont pas à proprement parlé des relations humaines. Elles existentdansunbutprécis, leprofit.Enélargissant l’angledevue,onserend compte que toute institution quelle qu’elle soit est organisée comme tel suivant le principe de la hiérarchisation pyramidale.

1PierreBourdieu;Raisons pratiques. 1994. Seuil. Page 28.

53

Notre société n’est peut-être pas individualiste mais elle semble de plus en plus indifférente à l’autre. Ici, individualiste n’est pas compris au sens libertaire du mot, c’est à dire accorder un maximum d’importance à l’individu et réduire la notion de contrôle de l’état. Mais dans un sens plus péjoratif, s’affranchir de la solidarité, en clair, ne vivre que pour soi.

Je ne cherche pas à expliquer ou à résoudre un problème, j’essaie d’en poser le constat. Comme beaucoup, témoin quotidien de cette situation, mon objectif est d’en avoir une compréhension.

55

Le présent, selon les dictionnaires en vigueur est une partie du temps,unduréedistincte.C’estuninstantfictif,unmomentthéoriquequidistingue le temps qui a cessé d’être de celui qui n’est pas encore et où l’on se place par l’imagination. Plutôt que de moment, je préfère parler d’espace théorique.Ausensoùonnepeutpasl’appréhenderphysiquement.Onnepeutleconcevoirqu’àtraversl’imagination.Abstraitdonc,cetespaceexisteque par ce qu’il sépare et détermine.

Dansquellemesurepuis-jepercevoirleprésent?Lemécanismedelapenséeaussi rapide qu’il soit ne me permet pas de percevoir et d’avoir conscience de ce qui est perçu simultanément. Dans le mince espace qui se trouve entre le perception et la prise de conscience de ce qui est perçu le présent s’est déplacé. Il est en perpétuel mouvement. Je peux faire l’expérience du présent mais à travers le passé. Quand je pense percevoir le présent, celui-ciestdéjàunfantômedupassé.Etsijetentedelefigerenenfaisantlatraceparexemple?Alorsj’entredanslechampdelafiction.Latraced’unmoment présent est le souvenir que je fabrique du moment présent et non le présent lui-même. « Subjectiver » un événement tel qu’il soit c’est une façondele«fictionner».Oùsetrouveleprésent?Iln’existepasdanslaréalité. Il est de l’ordre de la notion ou du concept. Il semble être une sorte d’outil pour permettre une compréhension plus globale du temps.

Lors d’une de ses conférences publiée sous le titre La pensée et le mouvant en 1938. Henri Bergson, philosophe français, développe le concept de«l’épaisseurdurée».Selonsaréflexion,leprésentettoutepenséeconscientedéborde à la fois sur la passé et l’avenir. Ce présent est subjectif dans la mesure où il est lié à l’ouverture de champ de conscience de chacun. Pour illustrer son idée, il emploie une image.

PRÉSENT

56

« Mon présent, en ce moment, est la phrase que je suis occupé à prononcer. Mais il en est ainsi parce qu’il me plaît de limiter à ma phrase le champ de mon attention. Cette attention est chose qui peut s’allonger et se raccourcir, comme l’intervalle entre les deux pointes d’un compas. Pour le moment, les pointes s’écartent juste assez pour aller du commencement à la fin de ma phrase ; mais, s’il me prenait envie de les éloigner davantage, mon présent embrasserait, outre ma dernière phrase, celle qui la précédait : il m’aurait suffi d’adopter une autre ponctuation. Allons plus loin : une attention qui serait indéfiniment extensible tiendrait sous son regard, avec la phrase précédente, toutes les phrases antérieures de la leçon, et les événements qui ont précédé la leçon, et une portion aussi grande qu’on voudra de ce que nous appelons notre passé. La distinction que nous faisons entre notre présent et notre passé est donc, sinon arbitraire, du moins relative à l’étendue du champ que peut embrasser notre attention à la vie. Le « présent » occupe juste autant de place que cet effort1. »

Le passé peut resurgir dans la conscience, être actualisé dans le présent sous la forme du souvenir en fonction de l’intérêt subjectif. Un présent du « je me souviens » qui est déjà en nous et qui peut être stimulé et revenir dans notre présent, redevenir conscient. L’intérêt, par l’intermédiaire de la mémoire déplacelessouvenirs.Unmécanismequisertunefin.Une« simplification de l’expérience antérieure, destinée à compléter l’expérience du moment ; en cela consiste ici la fonction du cerveau2.»

De mon point de vue, dès qu’il y a récit d’un moment, d’un fait, d’une action quiaeulieudanslapasséouquiauralieudansl’avenir.Ilyafiction.Récitentendu comme trace sensible liée à la conscience personnelle de cette perception. Créer un dispositif quel qu’il soit de monstration de l’expérience, témoigner,c’estcréerdelafiction.Jeréactivemessouvenirsdansleprésent,j’effectue ce retour dans le passé à travers ma mémoire, je porte un nouveau regard sur ce passé, un nouveau regard sur les traces de mon passé. Lorsque je témoigne d’un moment qui a eu lieu, je témoigne avant tout à partir de traces, d’images de mes souvenirs. Quand j’amène le mot et la phrase, je met du langage pour communiquer ce passé, j’effectue une traduction. Le parcours entre le lieu de la mémoire et le lieu de la parole travesti en quelque sorte l’originalité de mon expérience. La subjectivité intrinsèque à cette réactualisation du souvenir place le témoignage sur le seuil de la fiction,ouauseinmêmedelafiction.

1HenriBergson;La pensée et le mouvant. 1938. P.U.F. Page 169.2 Ibid. Page 171.

57

« Un effort, une émotion, peuvent ramener brusquement à la conscience des mots qu’on croyait définitivement perdus. Ces faits, avec beaucoup d’autres, con-courent à prouver que le cerveau sert ici à choisir dans le passé, à le diminuer, à le simplifier, à l’utiliser, mais non pas à le conserver3. »

3 Ibid. Page 172.

59

Àl'entréedemonatelier,côtédroit,suruneétagèreenboissetrouveune pierre de petite taille. Elle fait partie d'une collection qui est répartie dans plusieurs endroits et rangée dans différents sacs en papier. Cette pierre fait référence à un souvenir précis, elle est un fragment du contexte d'un souvenir. La trace d'un lieu qui rentre dans la poche. Lorsque que je vois revois cette pierre. Le souvenir lié à son acquisition est réactualisé dans mon présent. Comme si les objets que je garde et collectionne étaient regroupés, non pas par rapport à leurs qualités physiques mais avant tout parce qu'ils sont tous liés à des souvenirs. En premier lieu celui de leur acquisition. Peut-être que je place de la mémoire dans certains objets. Comme si je craignais de perdre certains de mes souvenirs. Si tel est le cas il serait plus juste de dire que je collectionne des souvenirs à travers le rassemblement d'objets dans l'idée de les préserver. Comme une sauvegarde extérieure au corps.

Le collectionneur est dans un rapport d'observation au monde des objets. Lorsquejemarche,monregardestnaturellementattirerparlesol.Attentifaux choses qui s'y trouvent. Prêt à me baisser pour ramasser quelque chose qui se retrouvera au fond de ma poche. La possibilité de trouver une nouvelle piècepourunecollectioninfluencemadémarche. Jemepose laquestionmais je n'arrive pas à savoir pourquoi je collectionne. Je sais simplement que je suis plus proche de la pulsion que de la raison.

Selon Thiphaine Samoyault, la « systématisation du désir de posséder n'est pas lié à la question de la propriété elle-même mais à un problème de positionnement dans le monde que l'homme résout dans les choses. Si le désir de posséder du collectionneur, lié au visuel et au tactile, est une façon de regagner indirectement une authentique compréhension du monde, on peut dès lors y voir une passion de l'homme moderne ayant perdu une certaine évidence de son rapport au monde1. »

1ThiphaineSamoyault;Le Cabinet d’amateur (revue d’études perecquiennes) n°6. 1997. Page 93

COLLECTION

60

Le collectionneur rassemble des objets d'une manière systématique qui est constituée par le point commun entre ces objets. Collectionner correspond à un désir de rassemblement et d'appropriation et d'ordonnancement du monde compris dans sa totalité pouvant aller jusqu'à la maniaquerie. Un collectionneur tente de constituer une sorte de modèle réduit de ce monde àtraverslesobjetsqu'ilrassemble.Àtraverslacollectionilpeutmaîtriseret posséder son univers plus aisément. La collection serait l'abréviation de l'univers personnel du collectionneur. Un objet collectionné est un objet qui n'est plus utilitaire. Le collectionneur en quelque sorte ôte aux choses par leur appropriation leur caractère de marchandise.

Paradoxalement, le geste d'accumulation peut atténuer les souvenirs. Je garde l'exemple de la collection de pierre. Même en faisant un effort de concentration.Àpartird'unecertainequantité,jenepeuxplusprécisémentme rappeler où telle pierre a été ramassé et quel souvenir y est rattaché. Cette perte du souvenir lié à l'accumulation me paraît une conséquence logique de la collection. Je n'ai jamais réellement répertorier les différents objets qui constituent mes collections.

Aveclaquantité,unautrecaractèredelacollectionapparaîtégalement,lecaractère temporel. La quantité des objets témoigne d'une durée, celle de la collection. Plus les objets sont nombreux plus le temps qui a passé depuis le débutdeleurcollectionestétendu.Unecollectionn'apasdefin,ellepeuts'agrandirchaquejourettoutenouvelleacquisitionmodifiel'ensemble.

En 2001, l'artiste anglais Michael Landy expose son installation Break Down pendant deux semaines dans un magasin de prêt-à-porter désaffecté. Le principe de l'oeuvre est le suivant : une équipe d'ouvriers habillé en bleu s'affaire autour d'une grande chaîne de montage comme celles que l'on peut trouver dans certaines usines. Les ouvriers procèdent au démontage d'une importante quantité d'objet qui circule dans des bacs en plastique jaune le long d'un transporteur à courroie. Les différents objets sont triés selon leurs matériaux puis broyés. Tous les jours, le temps de l'exposition un nouveau lot d'objet est éliminé. Ces objets au nombre de 7227 représentent la totalité des possessions que l'artiste a réuni au long de sa vie. Il aurait passé un an à inventorier tous ces biens dans une base de donnée informatique dans laquelle ils sont classés en 10 catégories telles que vêtement, denrée périssable, appareils électroniques, etc... Les objets sont mis dans des sacs plastiques transparents sur lesquels une étiquette indique le numéro sous lequel ils ont préalablement été enregistré.

61

Àlafindel'exposition,ilneresteplusriendescesobjetsexceptéunlivrequi en fait l'inventaire. Il range les restes de cette vie dans des sacs qu'il fait enterrer, rendant ainsi impossible toute circulation commerciale et artistique.

Ces objets dont l'artiste s'est séparé peuvent être considéré comme une collection de biens matériels. Une collection de tout ce qui est gardé en quelque sorte. Chaque objet à une histoire qui lui est propre. Chacun d'eux correspondent à un moment précis dans la vie de leur propriétaire, celui de où il sont devenus une propriété justement.

63

« Ce qui est décisif, dans l’art de collectionner (Sammeln), c’est que l’objet soit détaché de toutes ses fonctions primitives, pour nouer la relation la plus étroite possible avec les objets qui lui sont semblables. Celle-ci est diamétralement opposée à l’utilité et se place sous la catégorie remarquable de la complétude. Qu’est-ce que cette complétude ? Une tentative grandiose pour dépasser le caractère parfaitement irrationnel de la simple présence de l’objet dans le monde, en l’intégrant dans un système historique nouveau, créé spécialement à cette fin, la collection (Sammlung). Pour le vrai collectionneur, chaque chose particulière devient, dans ce système, une encyclopédie rassemblant tout ce qu’on sait de l’époque, du paysage, de l’industrie, du propriétaire dont elle provient. Le sortilège le plus profond du collectionneur consiste à enfermer la chose particulière dans un cercle magique où elle se fige tandis qu’un dernier frisson la parcourt (le frisson de la chose qui fait l’objet d’une acquisition). Tout ce qui est présent à la mémoire, à la pensée, à la conscience devient socle, encadrement, piédestal, coffret de l’objet en sa possession. Il ne faut pas croire que soit particulièrement étranger au collectionneur le topos uperouranios (lieu supracéleste) où, selon Platon, demeurent les archétypes immuables des choses. Le collectionneur se perd, assurément. Mais il a la force de se redresser de nouveau au moindre souffle, au plus petit fétu de paille et la pièce qu’il vient d’acquérir se détache comme une île de la mer de brume qui enveloppe ses sens. L’art de collectionner (Sammeln) est une forme de ressouvenir pratique, et, de toutes les manifestations profanes de la proximité, la plus convaincante. »

1WalterBenjamin, Le Livre des passages. Paris. Capitale du XIXème siècle. Le Cerf. 1989. Page 221-222.

WalterBenjamin1.

AGAMBEN,Giorgio.Ce qui reste d’Auschwitz. Paris: Éditions Payot & Rivages, 1999.

BACHELARD,Gaston.L’intuition de l’instant. Paris:ÉditionsGonthier,1932.

BARTHES,Roland. Le Plaisir du texte. Paris : Seuil, 1973.

BENJAMIN,Walter.Paris. Capitale du XIX°siècle. Le livre des passages. Francfort : Suhrkamp Verlag, 1982. Paris : Le Cerf, 1989.

BERGSON,Henri.La pensée et la mouvant. Paris : P.U.F. 1938.

BLANCHOT,Maurice.Le livre à venir. Paris:Gallimard,1959.

BOURDIEU,Pierre.Raisons pratiques. Paris : Seuil, 1994.

CALVINO,Italo.La collection de sable. Milan:Garzantieditore,1984.Paris:Seuil,1986.

CHALAMOV,Varlam.Récits de la Kolima. Paris : Verdier, 2003.

64

65

BIBLIOGRAPHIE

LEVI, Primo. Si c'est un homme. Turin:GiulioEinandiéditeur,1958.Paris:Julliard,1987.

McEWEN,Adam(rédactionenchef).Palais/Magazine n°13. Paris : Palais de Tokyo, automne 2010.

PEREC,Georges.La vie mode d'emploi. Paris : Hachette littérature, 1978.

RANCIÈRE,Jacques.Le spectateur émancipé. Paris : La Fabrique édition. 2008.

SAMOYAULT,Thiphaine.Le Cabinet d'amateur n°6 (revue d'études perecquiennes). Toulouse : P.U.M. 1997.

WALSER,Robert.La promenade. Paris:Gallimard,1987.

CHEVRIER, Jean-François, ROUSSIN, Philippe (sous la direction de). Le parti pris du document. Communications n°71 (revue). Paris : Seuil, 2001.

DIDIHUBERMAN,Georges.Être crâne. Paris : Les éditions de minuit, 2000.

Écorces. Paris : Les éditions de minuit, 2011.

67

REMERCIEMENTS

Je tiens à remercier sincérement :

CélineB-L.poursonhonnêtetédanslacorrection.

MaudC.etAlexisM.pourleurpatienceetleurécoute.

Phil STEPHENS pour ses discussions sur les brouillons.

Mélissa M. pour son texte et son engagement à Calais.

EmmanuelZWENGERpourChalamovetlafiction.

CatherineBLANCHEMAIN,PierreAUBERTetChantalMARIE pour leur accueil et leur disponibilité.

ThierryTOPICetÉricPAQUOTTEpourlatechnique.

Et toutes les personnes qui ont contribué de près ou de loin à l’existence de cet objet.

Mémoire du DNSEPImprimé à l’ Ésam Caen

en mars 2016

Cyril Favory.