Premières Nouvelles Dim 10 06 2012

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1 Dimanche 10 juin 2012 # 4 Parler aujourd’hui des cultures, et tout particulièrement de leurs relations conflictuelles, demande beaucoup de prudence. Le sujet est sensible et les réactions exacerbées. À tant devoir marcher sur des œufs pour tenter de ne froisser personne, ne vaudrait-il pas mieux passer ce thème sous silence ? Ne risque-t-on pas de devenir consensuel à trop éviter le conflit… Si le taire sous- entend implicitement son irrévocabilité, s’en saisir par les mots et sur la scène vient a contrario ouvrir des perspectives de dialogue. À l’instar de Marjolijn van Heemstra, la metteure en scène du Mahabharata, certaines des propositions de ce festival tentent d’affirmer que le conflit, part irréductible de toute relation, peut justement être moteur de création. Family’81, le précédent spectacle de l’artiste hollandaise, s’attachait déjà à découvrir ce que l’on peut partager avec des personnes étrangères, lorsque la seule chose que l’on ait en commun est la génération à laquelle on appartient. Dans Mahabharata, second volet de la trilogie, Marjolijn van Heemstra explore avec l’acteur indien Satchik Puranik le dialogue interculturel qui peut émerger à partir d’une œuvre partagée, à savoir le film Mahabharata de Peter Brook, tourné en 1989. Le récit mythologique hindouiste se voulant universel, les deux acteurs en explore l’intemporalité afin de déceler ce qui peut encore résonner pour nous, en 2012, dans cette œuvre millénaire. Teintée d’idéalisme et de naïveté, la proposition de la jeune metteure en scène hollandaise est fort éloignée de l’engagement politique d’Anna Lengyel dont la démarche consiste davantage à se saisir de l’actualité, aussi brûlante soit- elle. Après Szóról Szóra, PanoDrama s’en est pris au système éducatif et s’attaquera prochainement à la justice dans une nouvelle création, utilisant toujours le verbatim comme quartier, à qui sont destinées les créations. Clichés sur l’Islam, conflits entre tradition et modernité, cultures orientale et occidentale, constituent le nœud du spectacle. Des thèmes récurrents qui ne cessent de provoquer la polémique mais dont les spectateurs du Heimathafen Neukölln sont susceptibles de s’emparer. Il importe maintenant de voir ce que le public du festival est à même d’y trouver... Sophie Coudray procédé documentaire. La metteure en scène, qui rejette le théâtre de divertissement que promeuvent largement les nouveaux directeurs des institutions artistiques hongroises, envisage le théâtre sous une forme pédagogique pouvant mener à une prise de conscience. Ce sont les préjugés racistes, la haine organisée et étatisée, mais aussi la désillusion et la résignation des peuples que combat Anna Lengyel, très attentive à la montée des extrêmes-droites fascisantes en Europe. Si Szóról Szóra ne se revendique pas ouvertement comme une pièce militante, elle n’en reste pas moins en prise directe avec le réel, dans une volonté de redonner au théâtre une fonction sociale que la désertion relative des salles, a amoindri. La démarche de Nicole Oder, si elle semble davantage sociale, se situe au cœur des problématiques soulevées par le dialogue des cultures. C’est dans un théâtre implanté dans un quartier turc de Berlin, le Heimathafen Neukölln, qu’est né le projet ArabQueen, inscrit dans une trilogie. Le théâtre qu’y pratique Nicole Oder se veut populaire et tend à prendre, lui aussi, le contrepied de la généralisation du divertissement spectaculaire. Les sujets abordés sont sensibles car vécus quotidiennement par les habitants du E DITO Multi-Culti Page 2 - Regard... ... critique Das andere Leben ...furtif Du théâtre et de l’histoire ... curieux Mahabharata, histoire(s) croisée(s) Page 3 - ...tourne vers Neukölln ...dubitatif Le Mâhârjolijnvanheemstra Page 4 - Hors sce ne En Hongrie Attentat théâtral Entretien Jan Linders, directeur du Badisches Staatstheater de Karlsruhe Pour prolonger le festival rendez-vous sur www.festivalpremieres.eu © Milan_Benak

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le Jorunal du Festival Premières

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Page 1: Premières Nouvelles Dim 10 06 2012

1

hors-sce ne

Dimanche 10 juin 2012

#4

Parler aujourd’hui des cultures, et tout

particulièrement de leurs relations

conflictuelles, demande beaucoup de

prudence. Le sujet est sensible et les

réactions exacerbées. À tant devoir

marcher sur des œufs pour tenter de

ne froisser personne, ne vaudrait-il pas

mieux passer ce thème sous silence ? Ne

risque-t-on pas de devenir consensuel à

trop éviter le conflit… Si le taire sous-

entend implicitement son irrévocabilité,

s’en saisir par les mots et sur la

scène vient a contrario ouvrir

des perspectives de dialogue.

À l’instar de Marjolijn van

Heemstra, la metteure en scène

du Mahabharata, certaines

des propositions de ce festival

tentent d’affirmer que le conflit,

part irréductible de toute relation, peut justement être moteur de création. Family’81, le précédent spectacle de l’artiste hollandaise, s’attachait

déjà à découvrir ce que l’on peut

partager avec des personnes

étrangères, lorsque la seule

chose que l’on ait en commun est

la génération à laquelle on appartient.

Dans Mahabharata, second volet de la

trilogie, Marjolijn van Heemstra explore avec

l’acteur indien Satchik Puranik le dialogue

interculturel qui peut émerger à partir d’une

œuvre partagée, à savoir le film Mahabharata

de Peter Brook, tourné en 1989. Le récit

mythologique hindouiste se voulant universel,

les deux acteurs en explore l’intemporalité afin

de déceler ce qui peut encore résonner pour

nous, en 2012, dans cette œuvre millénaire.

Teintée d’idéalisme et de naïveté, la proposition

de la jeune metteure en scène hollandaise est

fort éloignée de l’engagement politique d’Anna

Lengyel dont la démarche consiste davantage

à se saisir de l’actualité, aussi brûlante soit-

elle. Après Szóról Szóra, PanoDrama s’en

est pris au système éducatif et s’attaquera

prochainement à la justice dans une nouvelle

création, utilisant toujours le verbatim comme

quartier, à qui sont destinées les créations. Clichés

sur l’Islam, conflits entre tradition et modernité,

cultures orientale et occidentale, constituent le

nœud du spectacle. Des thèmes récurrents qui

ne cessent de provoquer la polémique mais dont

les spectateurs du Heimathafen Neukölln sont

susceptibles de s’emparer. Il importe maintenant

de voir ce que le public du festival est à même

d’y trouver...Sophie Coudray

procédé documentaire. La metteure en scène,

qui rejette le théâtre de divertissement que

promeuvent largement les nouveaux directeurs

des institutions artistiques hongroises, envisage

le théâtre sous une forme pédagogique pouvant

mener à une prise de conscience. Ce sont les

préjugés racistes, la haine organisée et étatisée,

mais aussi la désillusion et la résignation des

peuples que combat Anna Lengyel, très attentive

à la montée des extrêmes-droites fascisantes en Europe. Si Szóról Szóra ne se

revendique pas

ouvertement comme une pièce militante, elle

n’en reste pas moins en prise directe avec le

réel, dans une volonté de redonner au théâtre

une fonction sociale que la désertion relative des

salles, a amoindri.La démarche de Nicole Oder, si elle semble

davantage sociale, se situe au cœur des

problématiques soulevées par le dialogue des

cultures. C’est dans un théâtre implanté dans un

quartier turc de Berlin, le Heimathafen Neukölln,

qu’est né le projet ArabQueen, inscrit dans une

trilogie. Le théâtre qu’y pratique Nicole Oder se

veut populaire et tend à prendre, lui aussi, le

contrepied de la généralisation du divertissement

spectaculaire. Les sujets abordés sont sensibles

car vécus quotidiennement par les habitants du

E’ DitoMulti-Culti Page 2 - Regard...

... critique

Das andere Leben

...furtif

Du théâtre et de l’histoire

... curieux

Mahabharata, histoire(s) croisée(s)

Page 3 - ...tourne’

vers Neukölln

...dubitatif

Le Mâhârjolijnvanheemstra

Page 4 - Hors sce ne

En Hongrie

Attentat théâtral

Entretien

Jan Linders,

directeur du Badisches

Staatstheater de Karlsruhe

Pour prolonger le festival rendez-vous surwww.festivalpremieres.eu

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Page 2: Premières Nouvelles Dim 10 06 2012

Regard...

...CuRiEuxMahabharata, histoire(s) croisée(s)

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À travers une scénographie épurée, Nicole Oder nous propose de découvrir le quotidien d’une jeune fille issue des quartiers turcs berlinois. Mariam, de confession musulmane, n’aspire qu’à s’émanciper du carcan familial.

Dans une sorte de cérémonial chorégraphié, trois jeunes femmes apparaissent éclairées seulement à la lueur des bougies. Des chants orientaux placent alors le spectateur dans le contexte culturel de la pièce. Un rideau de tulle noir, tendu devant le public, tombe. Coup de projecteurs sur la scène  : nous nous immisçons dans le foyer familial. La scénographie épurée se compose de grandes bâches blanches tendues au sol et en fond de scène, façon studio cinéma. Une estrade cubique est positionnée au milieu de la scène. Dans cette économie de moyens, les jeux de lumière définissent situations et environnements en accompagnant le jeu très rythmé des actrices. La lumière est tamisée pour les scènes « sacrées » en opposition au stroboscope des lieux de « débauche ». ArabQueen nous plonge en plein cœur des contradictions de la tradition musulmane dont les coutumes sont réexploitées. Mariam, sa famille et ses proches, nous propulsent dans un quotidien difficile et violent. La jeune femme est déchirée entre les exigences de ses parents et les tentations du monde occidental. Il est émouvant d’observer l’évolution de ce personnage qui prend peu à peu conscience de sa situation sous la complicité affectueuse de sa tante Hayat et l’entrain juvénile de son amie Lena. La petite fille modèle qui ouvre la pièce finit par rêver de Paris et d’une nouvelle existence à l’écart de son quartier où tous ses faits et gestes sont sous le contrôle étroit et autoritaire de la figure paternelle, dont l’ombre menaçante plane sur la représentation.

Sur scène, aucune présence masculine, les trois jeunes femmes sont seules pour se partager tous les rôles. Elles endossent les différents personnages avec une dextérité, une clarté et une énergie étonnantes. L’attention du spectateur se calque alors sur le rythme de jeu des comédiennes. Par le langage quotidien utilisé dans le spectacle, une proximité immédiate se crée entre elles et le public. Aucun tabou ne freine la metteure en scène qui livre dans ce spectacle des portraits sans pitié, parfois même caricaturaux : le couple de bourgeois parisiens, parents de la meilleure amie de Mariam, et leur bonne conscience mal placée ; la coiffeuse raciste ; la serveuse du steak-house, croqueuse d’hommes insatisfaite, en sont quelques exemples. Entre poésies grotesques et mimiques exacerbées, l’homme du quartier apparaît quant à lui comme le Roméo des temps modernes  : fleurs en plastiques et mots doux désuets, Mariam est conquise.

Déployant un message accessible à tout public, ArabQueen aborde avec respect et humour, non sans un regard critique aiguisé, les mœurs de la culture musulmane. Dans le cadre du festival, la présence féminine, résonne tout particulièrement. Si les stratégies formelles et thématiques se démarquent d’un spectacle comme Magnificat, tous deux s’accordent pour mettre au centre des débats la question de la condition des femmes. Marine Ormières et Emmanuelle Schwartz

...furtif Du théâtre et de l’histoire

...CRitiquEDas andere Leben

«  À qui appartient le Maha ̄ bha ̄ rata ?  », interrogent Marjolijn van Heemstra et Satchit Puranik. À tous, si l’on en croit sa traduction littérale d’« histoire universelle de l’humanité ». Mais qu’en est-il dans les faits ? Que reste-t-il aujourd’hui du mythe et du film éponyme réalisé par Peter Brook qu’ils ont tous deux vus en novembre 1991, à l’âge de 9 ans ? Le spectacle raconte cette histoire, celle d’une rencontre entre deux cultures, deux expériences de spectateur.Auteure, poète et journaliste aux Pays-Bas, Marjolijn van Heemstra décide en 2010 de mettre en scène une trilogie sur

les relations humaines dans une société de plus en plus globalisée et individualiste.

Pour écrire le premier épisode, Family’81, elle parcourt le monde

à la recherche de personnes nées, comme elle, en 1981. C’est en Inde, dans une école de cinéma qu’elle rencontre Satchit Puranik avec qui elle collabore ici pour la deuxième fois. Enfants des années 1980, ils s’aperçoivent rapidement que malgré leurs origines différentes, ils partagent le même bagage culturel. Pour elle, « les gens sont les enfants de leur génération et non ceux de leurs parents. » Diplômée en sciences des religions, elle en vient rapidement à discuter avec lui du Maha ̄ bha ̄rata – omniprésent dans la culture indienne – et de l’adaptation cinématographique faite par Peter Brook. Ce dernier, désirant universaliser le mythe hindou, engagea des comédiens issus de tous les continents. Il déclara à l’époque dans une interview que «  si l’harmonie était possible entre des acteurs de

De tous les spectacles

vus dans cette édition

de Premières, celui des

Russes, à partir du Journal

d’un fou, a eu à mes yeux

deux caractéristiques

notables : il était « réussi »,

c’est-à-dire qu’il atteignait

son adresse (ce qui ne

veut pas dire qu’il m’ait

«  plu  ») et, étrangement,

il était le seul qui ne

cherchait pas à justifier

politiquement son geste.

Pour le dire autrement, il avait une forme de nécessité –

pourrait-on parler d’évidence  ? –, et il était le seul à se

poser explicitement dans une tradition, à ne pas interroger

son acte. À la différence des autres qui développaient, à

différents degrés, un rapport à une cause non-strictement

théâtrale (dénoncer la xénophobie en Hongrie, la condition

des femmes dans la Pologne ultra-catholique actuelle,

parler de la révolte de la jeunesse, déplorer la perte de

l’idéalisme des Lumières, etc.), qui revendiquaient donc un

discours. Loin de moi l’idée de penser que le rapport au

politique serait un affaiblissement en tant que tel ou une

perversion du théâtre, mais il y a incontestablement une

force à cette innocence, qui manque à d’autres spectacles,

aux prises avec quelque chose comme une «  crise  » de

la représentation, un questionnement sur la nécessité du

fait théâtral. Question qui, une fois posée, ne peut plus

s’ignorer… Il nous faudrait alors être à la hauteur de nos

questions. Et il est possible que le théâtre soit de tous les

arts celui dont le rapport à l’histoire soit le plus crucial – ce

n’est pas un clin d’œil à The End… Peut-il y avoir un acte

théâtral fort hors d’une prise en compte de ses conditions

historiques ? Question à suivre, à développer…

Diane Scottwww.lescorpssecrets.fr

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Page 3: Premières Nouvelles Dim 10 06 2012

... touRne’vers Neukölln

... DubitatifLe Mâhârjolijnvanheemstra

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...furtif Du théâtre et de l’histoire

Nicole Oder, metteure en scène d’ArabQueen a créé le Heimathafen, une structure théâtrale implantée au cœur du Neukölln, quartier cosmopolite de la capitale allemande à forte population turque.

Quelle est l’histoire du Heimathafen ?C’est un théâtre indépendant privé qui a été fondé à Neukölln en 2007, alors que l’endroit avait une très mauvaise réputation. Nous voulions démentir cet a priori. Dans les années 1920, ce quartier était un quartier très animé et très vivant. Nous voulions y faire du Volkstheater (même si le théâtre populaire a, en Allemagne, une connotation négative).Pour relier le théâtre à la vie, il faut traiter de sujets polémiques et virulents, de ceux de la rue et du quotidien. L’idée d’un théâtre populaire, c’est également de recevoir au sein de notre lieu un public non habitué.

Avez-vous reçu des aides ?Au commencement nous n’avons reçu aucune aide publique, seulement quelques dons. Depuis 2009, nous avons une vraie « maison » avec deux salles de spectacle. Le studio a été ouvert avec ArabBoy et tout s’est enchaîné  : Dès lors, des subventions publiques ont été obtenues pour chaque projet.

« Wir sind Volkstheater », « Volkstheater ist unsere Philosophie », que représentent ces mots d’ordre affichés au Heimathafen ?Nous traduisons ces aspects tant dans les thèmes choisis que dans l’esthétique des pièces et essayons de créer des spectacles compréhensibles par tous, tout en gardant un certain niveau d’exigence artistique.

Parlons un peu d’ArabQueen : la pièce est-elle basée sur un travail d’improvisation ? Tout à fait, même si aujourd’hui le texte est fixé. Je me base toujours sur des recherches effectuées en amont. Par exemple, j’ai rencontré des intervenants d’institutions et d’associations du quartier travaillant en lien avec des jeunes filles. Les actrices du spectacle se sont jointes à nous lors de petits ateliers. Il est très important que les acteurs sachent de quoi ils parlent. Pour moi, qui ne viens pas du théâtre, cette démarche est d’autant plus importante : j’ai des choses à dire, mais dois aussi expliquer pourquoi je les dis.

Avez-vous eu des réactions négatives envers ArabQueen compte tenu des sujets sensibles abordés ?La question du cliché revient assez souvent mais le théâtre joue toujours avec eux et nous décrivons ici une certaine réalité. Vivant à Neukölln depuis dix ans, je suis consciente qu’il existe des problèmes et ne veut pas qu’une société libre comme l’Allemagne les ignore. Je souhaite soulever des questions, mais n’en ai pas les réponses.Julie Cordebar et Céline Hentz

différentes races, pour une même histoire, alors le monde [avait] une chance.  » Les critiques lui reprochèrent de les « immerger dans une histoire qui n’est pas la leur. » M. van Heemstra en est consciente : ce qui paraissait être une démarche pleine d’espoir apparait désormais comme une ridicule chimère héritée des années 1970. La montée du nationalisme – en Europe et en Inde – ainsi que les affrontements entre hindous et musulmans prouvent que l’utopie du réalisateur n’a pas même influencé le pays dont est issu le Maha ̄ bha ̄rata. Pour les comédiens, deux choix se profilent alors face à son œuvre : s’en souvenir ou l’oublier. Le duo, qui concède que Brook n’a pas su révolutionner la société, conclut toutefois que le film les a changé, eux. Leur décision est prise, ils ne l’oublieront pas.Fanny Soriano.

Conte ? Étude sociologique ? Documentaire ? Conférence ? Confidence ? La forme adoptée laisse ici

perplexe. Avec Mahabharata, Marjolijn Van Heemstra propose un théâtre

au croisement de différents styles et de différentes disciplines. Tout laisse

à penser qu’elle se place dans un refus délibéré de détermination et de

classification franche. Gardons-nous alors de fournir des qualificatifs pour

la définir. Il semblerait que la metteure en scène elle-même n’ait pas su

trancher.Entre distance et proximité L’ambition est donc à l’ouverture et au dialogue... Même

si le spectateur est d’emblée pris à partie, la communica-

tion a du mal à s’établir. Le récit des deux acteurs

nous invite à méditer sur les échanges culturels et les relations sociales que nous entre-tenons, quelle que soit l’aire géographique où nous évoluons. L’intention est louable mais la dé-monstration confuse. Le quatrième mur qui semblait avoir été aboli au début de la pièce, se dresse pro-gressivement.

Entre spectacle et exposéDès les premières répliques, les deux protagonistes

convoquent l’imaginaire des spectateurs. Sous des allures

kitsch, complètement assumées, les comédiens se livrent

à un passage en revue des clichés qui irriguent chacune

des cultures mises en présence. Dérision, légèreté et

simplicité sont de mise. Ces attributions pourraient être

rafraîchissantes si le discours ne se refermait pas sur lui-

même. Nous nous perdons dans un dédale où la pensée se

disperse. Sitôt construite, sitôt détruite. Le jeu pourrait être

astucieux si les fins étaient explicites, mais nous n’en voyons

pas les contours.

Entre ficton et anecdoteSous la forme d’une conversation ouverte, le récit, plus

proche de l’anecdote que de la fiction à proprement

parler, mêle éléments autobiographiques et paraboles

mythologiques. Les deux comédiens, plongés dans leurs

parcours respectifs, dégustent devant nous leurs madeleines

de Proust, ne nous laissant que les miettes, repas frugal dont

il est bien difficile de se contenter. Marjolijn n’est pourtant

pas avare de paroles, mais le spectateur reste sur sa faim.

Certains atteindront peut-être les portes du nirvana,

beaucoup d’autres resteront sur le seuil, incapables de

«  dépasser [leurs] conceptions individuelles pour atteindre

une histoire universelle  », ambition dans laquelle s’origine

pourtant le projet de la pièce. Mahabharata pourrait-être le

nom d’une formule magique... encore faudrait-il que magie

opère. Julie-Marie Duverger

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Page 4: Premières Nouvelles Dim 10 06 2012

hors-sce ne

Programme du jour : dimanche 10 juin 2012 TNS // 14h ET LA NUIT SERA CALME 16h MAHABHARATA

Maillon - Wacken // 11h ++RENCONTRE SYNDICAT DE LA CRITIQUE 18h30 SZÓRÓL SZÓRA

Espace Grüber // 13h45 ARABQUEEN

TJP/Petite scène // 16h15 CMMN SNS PRJCT

Journal conçu et rédigé par les étudiants en Master Arts du Spectacle de l’Université de Strasbourg. En collaboration avec le TNS et Le-Maillon.

Anca Bilbie, Alice Caboche, Amandine Chauvidan, Julie Cordebar, Sophie Coudray, Julie-Marie Duverger, Morgane George, Céline Hentz, Jean-Baptiste Mattler, Ioana Musca, Arnaud Moschenross, Louise Nauthonnier, Marine Ormières, Rhéa-Claire Pachocki, Emmanuelle Schwartz, Raphaël Szöllösy, Fanny Soriano, Jérémie Valdenaire Coordination Quentin Bonnell, assisté de Thomas Pondevie Maquette Jacques Lombard Remerciements Thomas Flagel, Diane Scott.

Le MaiLLonThéâtre de Strasbourg+33 (0)3 88 27 61 81le-maillon.com

TnSThéâtre National de Strasbourg+33 (0)3 88 24 88 24tns.fr

Entretien avec Jan Linders, directeur du

Badisches Staatstheater de Karlsruhe

Vous assistez actuellement au festival

Premières en tant que spectateur. Cela

vous donne-t-il déjà des idées quant

à la manière d’envisager la prochaine

édition du festival et sa programmation à

Karlsruhe ?J’ai assisté entre autres aux représentations de The

End et Magnificat. À l’instar de ces spectacles, je

désire présenter non pas des formes « à succès »

mais des formes qui prennent des chemins

différents et sortent des sentiers battus. Je suis

très curieux de trouver, avec l’aide de Barbara

Engelhardt, des choses inédites. Je ne recherche

pas des copies de maîtres comme Klaus Grüber ou

Bob Wilson, ni même des artistes dont le spectacle

retenu serait obligatoirement la première mise

en scène. Ce qui importe, c’est que les metteurs

en scène soient porteurs d’une nouvelle voix,

authentique et représentative d’une génération,

d’un pays.Par ailleurs, Premières tend à devenir transfrontalier. Il

ne faut pas laisser l’Europe aux politiciens. Il s’agit de

profiter de notre situation géographique : nous sommes

au cœur de l’Europe et devons continuer à tisser des

liens entre artistes, producteurs et spectateurs.

Il ne faut pas seulement parler d’un espace commun

et de ce que l’on peut faire ensemble, mais

également de ce qui nous sépare. Les différences

sont intéressantes, il faut les cultiver, c’est à cela que

s’attachera le festival l’année prochaine.

Il s’agira donc également, pour tisser ces

liens, de faire venir le public français à

Karlsruhe l’année prochaine…

C’est effectivement très important. Nous souhaiterions

qu’un quart ou un tiers du public à Karlsruhe soit

français. Pour cela, nous mettrons en place des bus

gratuits, ainsi que le sur-titrage de tous les spectacles

dans les deux langues, française et allemande.

Journaux et programmes devront, eux-aussi, être

bilingues. Tout doit être mis en place afin de faciliter

la venue du public français, de les accompagner dans

leur trajet et de les accueillir comme il se doit. Afin

qu’un véritable échange soit créé, il faudrait que les

Allemands se déplacent à Strasbourg pour les éditions

à venir. Morgane George et Céline Hentz

En HongrieAttentat théâtralDésœuvrement, ignorance, incivisme, désillusion politique et

racisme… Autant de termes pour tenter de décrire l’atmosphère

viciée de la société hongroise. Avec Szóról Szóra, la compagnie

PanoDrama refuse de se contenter de ce sombre constat pour

œuvrer à une prise de conscience collective de la situation

actuelle. En Hongrie, quatrième pays européen à accueillir la plus importante

communauté Rom – 700 000 personnes – les tensions ethniques sont

courantes. L’organisation de raids en milieu rural, menée par des extrémistes à

l’encontre des Roms, n’est que la partie visible d’un ensemble de provocations

et d’intimidations quotidiennes. Dans son spectacle, la metteure en scène

Anna Lengyel s’empare de faits particulièrement violents survenus en 2008

et 2009. Six personnes ont été tuées, beaucoup d’autres gravement blessées

suite à des attentats visant ces minorités. Le Fidesz, parti actuellement au

pouvoir, ne s’est pas positionné politiquement sur la question. Ces crimes de

haine raciale ont été classés au statut de faits divers. En ce sens, le Fidesz a

toléré la présence et les actes de miliciens néonazis proches du Jobbik, la garde

magyare, leur permettant de continuer à intimider et violenter les membres de

la communauté tsigane en toute impunité. La Hongrie n’a d’ailleurs jamais

dénoncé les crimes nazis et sa propre collaboration avec le IIIe Reich. Face à

ce constat alarmant, il n’est pas impossible de se retrouver confronté à une

certaine déroute identitaire. « Depuis 2009, nous dit Anna Lengyel, les choses

ont un peu évolué et les milices sont désormais interdites ». N’oublions pas

cependant que les situations de crise sont un terreau favorable à l’extrême-

droite qui gagne du terrain en propageant ses idées sans complexes, à l’instar

de Chryssi Avghi, le parti néonazi qui vient de faire son entrée au parlement

grec… Cela implique une intolérance grandissante à l’égard des Roms encore

persécutés et stigmatisés partout en Europe.

PanoDrama s’insurge avec Szóról Szóra et réagit vivement face à cette situation

insoutenable, au silence des médias et de l’opinion publique. Anna Lengyel,

bien qu’initialement éloignée du théâtre militant concède : «  ces conditions

sociales nécessitent impérativement un recours au théâtre politique. »

Julie Cordebar et Ioana Musca

EntrEtiEn « Les différences sont intéressantes,

il faut les cultiver. »