Premières Nouvelles Dim 10 06 2012
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1
hors-sce ne
Dimanche 10 juin 2012
#4
Parler aujourd’hui des cultures, et tout
particulièrement de leurs relations
conflictuelles, demande beaucoup de
prudence. Le sujet est sensible et les
réactions exacerbées. À tant devoir
marcher sur des œufs pour tenter de
ne froisser personne, ne vaudrait-il pas
mieux passer ce thème sous silence ? Ne
risque-t-on pas de devenir consensuel à
trop éviter le conflit… Si le taire sous-
entend implicitement son irrévocabilité,
s’en saisir par les mots et sur la
scène vient a contrario ouvrir
des perspectives de dialogue.
À l’instar de Marjolijn van
Heemstra, la metteure en scène
du Mahabharata, certaines
des propositions de ce festival
tentent d’affirmer que le conflit,
part irréductible de toute relation, peut justement être moteur de création. Family’81, le précédent spectacle de l’artiste hollandaise, s’attachait
déjà à découvrir ce que l’on peut
partager avec des personnes
étrangères, lorsque la seule
chose que l’on ait en commun est
la génération à laquelle on appartient.
Dans Mahabharata, second volet de la
trilogie, Marjolijn van Heemstra explore avec
l’acteur indien Satchik Puranik le dialogue
interculturel qui peut émerger à partir d’une
œuvre partagée, à savoir le film Mahabharata
de Peter Brook, tourné en 1989. Le récit
mythologique hindouiste se voulant universel,
les deux acteurs en explore l’intemporalité afin
de déceler ce qui peut encore résonner pour
nous, en 2012, dans cette œuvre millénaire.
Teintée d’idéalisme et de naïveté, la proposition
de la jeune metteure en scène hollandaise est
fort éloignée de l’engagement politique d’Anna
Lengyel dont la démarche consiste davantage
à se saisir de l’actualité, aussi brûlante soit-
elle. Après Szóról Szóra, PanoDrama s’en
est pris au système éducatif et s’attaquera
prochainement à la justice dans une nouvelle
création, utilisant toujours le verbatim comme
quartier, à qui sont destinées les créations. Clichés
sur l’Islam, conflits entre tradition et modernité,
cultures orientale et occidentale, constituent le
nœud du spectacle. Des thèmes récurrents qui
ne cessent de provoquer la polémique mais dont
les spectateurs du Heimathafen Neukölln sont
susceptibles de s’emparer. Il importe maintenant
de voir ce que le public du festival est à même
d’y trouver...Sophie Coudray
procédé documentaire. La metteure en scène,
qui rejette le théâtre de divertissement que
promeuvent largement les nouveaux directeurs
des institutions artistiques hongroises, envisage
le théâtre sous une forme pédagogique pouvant
mener à une prise de conscience. Ce sont les
préjugés racistes, la haine organisée et étatisée,
mais aussi la désillusion et la résignation des
peuples que combat Anna Lengyel, très attentive
à la montée des extrêmes-droites fascisantes en Europe. Si Szóról Szóra ne se
revendique pas
ouvertement comme une pièce militante, elle
n’en reste pas moins en prise directe avec le
réel, dans une volonté de redonner au théâtre
une fonction sociale que la désertion relative des
salles, a amoindri.La démarche de Nicole Oder, si elle semble
davantage sociale, se situe au cœur des
problématiques soulevées par le dialogue des
cultures. C’est dans un théâtre implanté dans un
quartier turc de Berlin, le Heimathafen Neukölln,
qu’est né le projet ArabQueen, inscrit dans une
trilogie. Le théâtre qu’y pratique Nicole Oder se
veut populaire et tend à prendre, lui aussi, le
contrepied de la généralisation du divertissement
spectaculaire. Les sujets abordés sont sensibles
car vécus quotidiennement par les habitants du
E’ DitoMulti-Culti Page 2 - Regard...
... critique
Das andere Leben
...furtif
Du théâtre et de l’histoire
... curieux
Mahabharata, histoire(s) croisée(s)
Page 3 - ...tourne’
vers Neukölln
...dubitatif
Le Mâhârjolijnvanheemstra
Page 4 - Hors sce ne
En Hongrie
Attentat théâtral
Entretien
Jan Linders,
directeur du Badisches
Staatstheater de Karlsruhe
Pour prolonger le festival rendez-vous surwww.festivalpremieres.eu
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Regard...
...CuRiEuxMahabharata, histoire(s) croisée(s)
2
À travers une scénographie épurée, Nicole Oder nous propose de découvrir le quotidien d’une jeune fille issue des quartiers turcs berlinois. Mariam, de confession musulmane, n’aspire qu’à s’émanciper du carcan familial.
Dans une sorte de cérémonial chorégraphié, trois jeunes femmes apparaissent éclairées seulement à la lueur des bougies. Des chants orientaux placent alors le spectateur dans le contexte culturel de la pièce. Un rideau de tulle noir, tendu devant le public, tombe. Coup de projecteurs sur la scène : nous nous immisçons dans le foyer familial. La scénographie épurée se compose de grandes bâches blanches tendues au sol et en fond de scène, façon studio cinéma. Une estrade cubique est positionnée au milieu de la scène. Dans cette économie de moyens, les jeux de lumière définissent situations et environnements en accompagnant le jeu très rythmé des actrices. La lumière est tamisée pour les scènes « sacrées » en opposition au stroboscope des lieux de « débauche ». ArabQueen nous plonge en plein cœur des contradictions de la tradition musulmane dont les coutumes sont réexploitées. Mariam, sa famille et ses proches, nous propulsent dans un quotidien difficile et violent. La jeune femme est déchirée entre les exigences de ses parents et les tentations du monde occidental. Il est émouvant d’observer l’évolution de ce personnage qui prend peu à peu conscience de sa situation sous la complicité affectueuse de sa tante Hayat et l’entrain juvénile de son amie Lena. La petite fille modèle qui ouvre la pièce finit par rêver de Paris et d’une nouvelle existence à l’écart de son quartier où tous ses faits et gestes sont sous le contrôle étroit et autoritaire de la figure paternelle, dont l’ombre menaçante plane sur la représentation.
Sur scène, aucune présence masculine, les trois jeunes femmes sont seules pour se partager tous les rôles. Elles endossent les différents personnages avec une dextérité, une clarté et une énergie étonnantes. L’attention du spectateur se calque alors sur le rythme de jeu des comédiennes. Par le langage quotidien utilisé dans le spectacle, une proximité immédiate se crée entre elles et le public. Aucun tabou ne freine la metteure en scène qui livre dans ce spectacle des portraits sans pitié, parfois même caricaturaux : le couple de bourgeois parisiens, parents de la meilleure amie de Mariam, et leur bonne conscience mal placée ; la coiffeuse raciste ; la serveuse du steak-house, croqueuse d’hommes insatisfaite, en sont quelques exemples. Entre poésies grotesques et mimiques exacerbées, l’homme du quartier apparaît quant à lui comme le Roméo des temps modernes : fleurs en plastiques et mots doux désuets, Mariam est conquise.
Déployant un message accessible à tout public, ArabQueen aborde avec respect et humour, non sans un regard critique aiguisé, les mœurs de la culture musulmane. Dans le cadre du festival, la présence féminine, résonne tout particulièrement. Si les stratégies formelles et thématiques se démarquent d’un spectacle comme Magnificat, tous deux s’accordent pour mettre au centre des débats la question de la condition des femmes. Marine Ormières et Emmanuelle Schwartz
...furtif Du théâtre et de l’histoire
...CRitiquEDas andere Leben
« À qui appartient le Maha ̄ bha ̄ rata ? », interrogent Marjolijn van Heemstra et Satchit Puranik. À tous, si l’on en croit sa traduction littérale d’« histoire universelle de l’humanité ». Mais qu’en est-il dans les faits ? Que reste-t-il aujourd’hui du mythe et du film éponyme réalisé par Peter Brook qu’ils ont tous deux vus en novembre 1991, à l’âge de 9 ans ? Le spectacle raconte cette histoire, celle d’une rencontre entre deux cultures, deux expériences de spectateur.Auteure, poète et journaliste aux Pays-Bas, Marjolijn van Heemstra décide en 2010 de mettre en scène une trilogie sur
les relations humaines dans une société de plus en plus globalisée et individualiste.
Pour écrire le premier épisode, Family’81, elle parcourt le monde
à la recherche de personnes nées, comme elle, en 1981. C’est en Inde, dans une école de cinéma qu’elle rencontre Satchit Puranik avec qui elle collabore ici pour la deuxième fois. Enfants des années 1980, ils s’aperçoivent rapidement que malgré leurs origines différentes, ils partagent le même bagage culturel. Pour elle, « les gens sont les enfants de leur génération et non ceux de leurs parents. » Diplômée en sciences des religions, elle en vient rapidement à discuter avec lui du Maha ̄ bha ̄rata – omniprésent dans la culture indienne – et de l’adaptation cinématographique faite par Peter Brook. Ce dernier, désirant universaliser le mythe hindou, engagea des comédiens issus de tous les continents. Il déclara à l’époque dans une interview que « si l’harmonie était possible entre des acteurs de
De tous les spectacles
vus dans cette édition
de Premières, celui des
Russes, à partir du Journal
d’un fou, a eu à mes yeux
deux caractéristiques
notables : il était « réussi »,
c’est-à-dire qu’il atteignait
son adresse (ce qui ne
veut pas dire qu’il m’ait
« plu ») et, étrangement,
il était le seul qui ne
cherchait pas à justifier
politiquement son geste.
Pour le dire autrement, il avait une forme de nécessité –
pourrait-on parler d’évidence ? –, et il était le seul à se
poser explicitement dans une tradition, à ne pas interroger
son acte. À la différence des autres qui développaient, à
différents degrés, un rapport à une cause non-strictement
théâtrale (dénoncer la xénophobie en Hongrie, la condition
des femmes dans la Pologne ultra-catholique actuelle,
parler de la révolte de la jeunesse, déplorer la perte de
l’idéalisme des Lumières, etc.), qui revendiquaient donc un
discours. Loin de moi l’idée de penser que le rapport au
politique serait un affaiblissement en tant que tel ou une
perversion du théâtre, mais il y a incontestablement une
force à cette innocence, qui manque à d’autres spectacles,
aux prises avec quelque chose comme une « crise » de
la représentation, un questionnement sur la nécessité du
fait théâtral. Question qui, une fois posée, ne peut plus
s’ignorer… Il nous faudrait alors être à la hauteur de nos
questions. Et il est possible que le théâtre soit de tous les
arts celui dont le rapport à l’histoire soit le plus crucial – ce
n’est pas un clin d’œil à The End… Peut-il y avoir un acte
théâtral fort hors d’une prise en compte de ses conditions
historiques ? Question à suivre, à développer…
Diane Scottwww.lescorpssecrets.fr
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... touRne’vers Neukölln
... DubitatifLe Mâhârjolijnvanheemstra
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...furtif Du théâtre et de l’histoire
Nicole Oder, metteure en scène d’ArabQueen a créé le Heimathafen, une structure théâtrale implantée au cœur du Neukölln, quartier cosmopolite de la capitale allemande à forte population turque.
Quelle est l’histoire du Heimathafen ?C’est un théâtre indépendant privé qui a été fondé à Neukölln en 2007, alors que l’endroit avait une très mauvaise réputation. Nous voulions démentir cet a priori. Dans les années 1920, ce quartier était un quartier très animé et très vivant. Nous voulions y faire du Volkstheater (même si le théâtre populaire a, en Allemagne, une connotation négative).Pour relier le théâtre à la vie, il faut traiter de sujets polémiques et virulents, de ceux de la rue et du quotidien. L’idée d’un théâtre populaire, c’est également de recevoir au sein de notre lieu un public non habitué.
Avez-vous reçu des aides ?Au commencement nous n’avons reçu aucune aide publique, seulement quelques dons. Depuis 2009, nous avons une vraie « maison » avec deux salles de spectacle. Le studio a été ouvert avec ArabBoy et tout s’est enchaîné : Dès lors, des subventions publiques ont été obtenues pour chaque projet.
« Wir sind Volkstheater », « Volkstheater ist unsere Philosophie », que représentent ces mots d’ordre affichés au Heimathafen ?Nous traduisons ces aspects tant dans les thèmes choisis que dans l’esthétique des pièces et essayons de créer des spectacles compréhensibles par tous, tout en gardant un certain niveau d’exigence artistique.
Parlons un peu d’ArabQueen : la pièce est-elle basée sur un travail d’improvisation ? Tout à fait, même si aujourd’hui le texte est fixé. Je me base toujours sur des recherches effectuées en amont. Par exemple, j’ai rencontré des intervenants d’institutions et d’associations du quartier travaillant en lien avec des jeunes filles. Les actrices du spectacle se sont jointes à nous lors de petits ateliers. Il est très important que les acteurs sachent de quoi ils parlent. Pour moi, qui ne viens pas du théâtre, cette démarche est d’autant plus importante : j’ai des choses à dire, mais dois aussi expliquer pourquoi je les dis.
Avez-vous eu des réactions négatives envers ArabQueen compte tenu des sujets sensibles abordés ?La question du cliché revient assez souvent mais le théâtre joue toujours avec eux et nous décrivons ici une certaine réalité. Vivant à Neukölln depuis dix ans, je suis consciente qu’il existe des problèmes et ne veut pas qu’une société libre comme l’Allemagne les ignore. Je souhaite soulever des questions, mais n’en ai pas les réponses.Julie Cordebar et Céline Hentz
différentes races, pour une même histoire, alors le monde [avait] une chance. » Les critiques lui reprochèrent de les « immerger dans une histoire qui n’est pas la leur. » M. van Heemstra en est consciente : ce qui paraissait être une démarche pleine d’espoir apparait désormais comme une ridicule chimère héritée des années 1970. La montée du nationalisme – en Europe et en Inde – ainsi que les affrontements entre hindous et musulmans prouvent que l’utopie du réalisateur n’a pas même influencé le pays dont est issu le Maha ̄ bha ̄rata. Pour les comédiens, deux choix se profilent alors face à son œuvre : s’en souvenir ou l’oublier. Le duo, qui concède que Brook n’a pas su révolutionner la société, conclut toutefois que le film les a changé, eux. Leur décision est prise, ils ne l’oublieront pas.Fanny Soriano.
Conte ? Étude sociologique ? Documentaire ? Conférence ? Confidence ? La forme adoptée laisse ici
perplexe. Avec Mahabharata, Marjolijn Van Heemstra propose un théâtre
au croisement de différents styles et de différentes disciplines. Tout laisse
à penser qu’elle se place dans un refus délibéré de détermination et de
classification franche. Gardons-nous alors de fournir des qualificatifs pour
la définir. Il semblerait que la metteure en scène elle-même n’ait pas su
trancher.Entre distance et proximité L’ambition est donc à l’ouverture et au dialogue... Même
si le spectateur est d’emblée pris à partie, la communica-
tion a du mal à s’établir. Le récit des deux acteurs
nous invite à méditer sur les échanges culturels et les relations sociales que nous entre-tenons, quelle que soit l’aire géographique où nous évoluons. L’intention est louable mais la dé-monstration confuse. Le quatrième mur qui semblait avoir été aboli au début de la pièce, se dresse pro-gressivement.
Entre spectacle et exposéDès les premières répliques, les deux protagonistes
convoquent l’imaginaire des spectateurs. Sous des allures
kitsch, complètement assumées, les comédiens se livrent
à un passage en revue des clichés qui irriguent chacune
des cultures mises en présence. Dérision, légèreté et
simplicité sont de mise. Ces attributions pourraient être
rafraîchissantes si le discours ne se refermait pas sur lui-
même. Nous nous perdons dans un dédale où la pensée se
disperse. Sitôt construite, sitôt détruite. Le jeu pourrait être
astucieux si les fins étaient explicites, mais nous n’en voyons
pas les contours.
Entre ficton et anecdoteSous la forme d’une conversation ouverte, le récit, plus
proche de l’anecdote que de la fiction à proprement
parler, mêle éléments autobiographiques et paraboles
mythologiques. Les deux comédiens, plongés dans leurs
parcours respectifs, dégustent devant nous leurs madeleines
de Proust, ne nous laissant que les miettes, repas frugal dont
il est bien difficile de se contenter. Marjolijn n’est pourtant
pas avare de paroles, mais le spectateur reste sur sa faim.
Certains atteindront peut-être les portes du nirvana,
beaucoup d’autres resteront sur le seuil, incapables de
« dépasser [leurs] conceptions individuelles pour atteindre
une histoire universelle », ambition dans laquelle s’origine
pourtant le projet de la pièce. Mahabharata pourrait-être le
nom d’une formule magique... encore faudrait-il que magie
opère. Julie-Marie Duverger
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hors-sce ne
Programme du jour : dimanche 10 juin 2012 TNS // 14h ET LA NUIT SERA CALME 16h MAHABHARATA
Maillon - Wacken // 11h ++RENCONTRE SYNDICAT DE LA CRITIQUE 18h30 SZÓRÓL SZÓRA
Espace Grüber // 13h45 ARABQUEEN
TJP/Petite scène // 16h15 CMMN SNS PRJCT
Journal conçu et rédigé par les étudiants en Master Arts du Spectacle de l’Université de Strasbourg. En collaboration avec le TNS et Le-Maillon.
Anca Bilbie, Alice Caboche, Amandine Chauvidan, Julie Cordebar, Sophie Coudray, Julie-Marie Duverger, Morgane George, Céline Hentz, Jean-Baptiste Mattler, Ioana Musca, Arnaud Moschenross, Louise Nauthonnier, Marine Ormières, Rhéa-Claire Pachocki, Emmanuelle Schwartz, Raphaël Szöllösy, Fanny Soriano, Jérémie Valdenaire Coordination Quentin Bonnell, assisté de Thomas Pondevie Maquette Jacques Lombard Remerciements Thomas Flagel, Diane Scott.
Le MaiLLonThéâtre de Strasbourg+33 (0)3 88 27 61 81le-maillon.com
TnSThéâtre National de Strasbourg+33 (0)3 88 24 88 24tns.fr
Entretien avec Jan Linders, directeur du
Badisches Staatstheater de Karlsruhe
Vous assistez actuellement au festival
Premières en tant que spectateur. Cela
vous donne-t-il déjà des idées quant
à la manière d’envisager la prochaine
édition du festival et sa programmation à
Karlsruhe ?J’ai assisté entre autres aux représentations de The
End et Magnificat. À l’instar de ces spectacles, je
désire présenter non pas des formes « à succès »
mais des formes qui prennent des chemins
différents et sortent des sentiers battus. Je suis
très curieux de trouver, avec l’aide de Barbara
Engelhardt, des choses inédites. Je ne recherche
pas des copies de maîtres comme Klaus Grüber ou
Bob Wilson, ni même des artistes dont le spectacle
retenu serait obligatoirement la première mise
en scène. Ce qui importe, c’est que les metteurs
en scène soient porteurs d’une nouvelle voix,
authentique et représentative d’une génération,
d’un pays.Par ailleurs, Premières tend à devenir transfrontalier. Il
ne faut pas laisser l’Europe aux politiciens. Il s’agit de
profiter de notre situation géographique : nous sommes
au cœur de l’Europe et devons continuer à tisser des
liens entre artistes, producteurs et spectateurs.
Il ne faut pas seulement parler d’un espace commun
et de ce que l’on peut faire ensemble, mais
également de ce qui nous sépare. Les différences
sont intéressantes, il faut les cultiver, c’est à cela que
s’attachera le festival l’année prochaine.
Il s’agira donc également, pour tisser ces
liens, de faire venir le public français à
Karlsruhe l’année prochaine…
C’est effectivement très important. Nous souhaiterions
qu’un quart ou un tiers du public à Karlsruhe soit
français. Pour cela, nous mettrons en place des bus
gratuits, ainsi que le sur-titrage de tous les spectacles
dans les deux langues, française et allemande.
Journaux et programmes devront, eux-aussi, être
bilingues. Tout doit être mis en place afin de faciliter
la venue du public français, de les accompagner dans
leur trajet et de les accueillir comme il se doit. Afin
qu’un véritable échange soit créé, il faudrait que les
Allemands se déplacent à Strasbourg pour les éditions
à venir. Morgane George et Céline Hentz
En HongrieAttentat théâtralDésœuvrement, ignorance, incivisme, désillusion politique et
racisme… Autant de termes pour tenter de décrire l’atmosphère
viciée de la société hongroise. Avec Szóról Szóra, la compagnie
PanoDrama refuse de se contenter de ce sombre constat pour
œuvrer à une prise de conscience collective de la situation
actuelle. En Hongrie, quatrième pays européen à accueillir la plus importante
communauté Rom – 700 000 personnes – les tensions ethniques sont
courantes. L’organisation de raids en milieu rural, menée par des extrémistes à
l’encontre des Roms, n’est que la partie visible d’un ensemble de provocations
et d’intimidations quotidiennes. Dans son spectacle, la metteure en scène
Anna Lengyel s’empare de faits particulièrement violents survenus en 2008
et 2009. Six personnes ont été tuées, beaucoup d’autres gravement blessées
suite à des attentats visant ces minorités. Le Fidesz, parti actuellement au
pouvoir, ne s’est pas positionné politiquement sur la question. Ces crimes de
haine raciale ont été classés au statut de faits divers. En ce sens, le Fidesz a
toléré la présence et les actes de miliciens néonazis proches du Jobbik, la garde
magyare, leur permettant de continuer à intimider et violenter les membres de
la communauté tsigane en toute impunité. La Hongrie n’a d’ailleurs jamais
dénoncé les crimes nazis et sa propre collaboration avec le IIIe Reich. Face à
ce constat alarmant, il n’est pas impossible de se retrouver confronté à une
certaine déroute identitaire. « Depuis 2009, nous dit Anna Lengyel, les choses
ont un peu évolué et les milices sont désormais interdites ». N’oublions pas
cependant que les situations de crise sont un terreau favorable à l’extrême-
droite qui gagne du terrain en propageant ses idées sans complexes, à l’instar
de Chryssi Avghi, le parti néonazi qui vient de faire son entrée au parlement
grec… Cela implique une intolérance grandissante à l’égard des Roms encore
persécutés et stigmatisés partout en Europe.
PanoDrama s’insurge avec Szóról Szóra et réagit vivement face à cette situation
insoutenable, au silence des médias et de l’opinion publique. Anna Lengyel,
bien qu’initialement éloignée du théâtre militant concède : « ces conditions
sociales nécessitent impérativement un recours au théâtre politique. »
Julie Cordebar et Ioana Musca
EntrEtiEn « Les différences sont intéressantes,
il faut les cultiver. »