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dossier TUMEURS RARES EN UROLOGIE : prostate, testis, urètre et pénis Correspondances en Onco-Urologie - Vol. V - n o 4 - octobre-novembre-décembre 2014 132 132 PROSTATE PROSTATE Cancers de la prostate neuroendocrines et à petites cellules A. Angelergues*, V. Vasiliu** * Service d’oncologie médicale, hôpital européen Georges-Pompidou, Paris. ** Service d’anatomopathologie, hôpital Necker, Paris. Observation M. O., âgé de 50 ans, sans antécédent, déve- loppe à partir de l’été 2012 une dysurie s’aggravant progressivement, se compliquant par un premier épisode de rétention aiguë d’urine en avril 2013. Il est initialement pris en charge en ville. L’état général est conservé ; le toucher rectal montre un blindage pelvien ; le taux de PSA est de 30 ng/ml. Le patient bénéficie d’une résection transurétrale avec examen anatomopathologique des copeaux : il est observé un adénocarcinome de la prostate peu différencié, avec un score de Gleason de 9 (5 + 4) sur tous les copeaux. L’IRM pelvienne retrouve un envahissement de la quasi-totalité de la prostate − s’éten- dant aux vésicules séminales − et des adéno- pathies pelviennes. La TEP-TDM à la choline montre une coulée ganglionnaire remontant en lombo-aortique, sans atteinte osseuse ni viscérale. Devant l’agressivité de la maladie, le patient bénéficie de l’association d’un blocage andro- génique complet et d’une chimiothérapie par docétaxel administrée toutes les 3 semaines. Après 3 mois de traitement, le taux de PSA chute à 0,04 ng/ml, mais le patient présente des signes cliniques de progression locale, sous la forme de nouveaux épisodes de rétention aiguë d’urine, avec une insuffi- sance rénale aiguë d’origine obstructive et une hématurie, ainsi qu’une hypercalcémie et une altération de l’état général. Il est alors adressé à notre service. Il bénéficie de décaillotages répétés, d’une nouvelle résection transurétrale de la pro- state, de la pose de sondes JJ et d’un trai- tement par bisphosphonates. À l’examen anatomopathologique, les copeaux sont massivement envahis par un carcinome peu différencié de morphologie neuro- endocrine, CD56+, PSA– (figures 1-3). Un nouveau bilan d’imagerie par TDM cérébro- thoraco-abdomino-pelvienne montre une prostate hétérogène avec un envahisse- ment vésical et rectal (figure 4), une coulée ganglionnaire nécrotique lombo-aortique (figure 5) et iliaque bilatérale, de nombreuses lésions secondaires pulmonaires, hépatiques (figure 6), ainsi qu’une localisation osseuse unique temporale gauche (figure 7). L’état général du patient continue de se dégrader rapidement, ne permettant pas la réalisation d’une nouvelle ligne de chimiothérapie. Il décède en octobre 2013, 6 mois après le diagnostic et un peu plus de 1 an après les premiers signes cliniques de la maladie. Discussion Les cancers de la prostate primitifs neuro- endocrines (qui comprennent le cancer à petites cellules) constituent une forme rare de la maladie (0,3 à 1 % des carcinomes de la prostate), dont l’évolution est agressive et dont le pronostic reste sombre (1). Ils peuvent survenir sous une forme “pure”, dans environ la moitié des cas, ou être associés à un adénocarcinome (2). L’expression du PSA étant inconstante, son dosage dans le sang est rarement utile, et doit être complété par le dosage de marqueurs neuroendocrines, la chromogranine A et la NSE (Neuron Specific Enolase). Les patients développent souvent des métastases viscérales (pulmonaires et hépatiques) plutôt qu’osseuses, mais égale- ment dans des localisations inhabituelles : épiploon, cordes vocales, os temporal, tissus mous. Les signes obstructifs locaux peuvent être au premier plan lors du diagnostic. La survenue de syndromes paranéoplasiques n’est pas exceptionnelle, comme dans les car- cinomes neuroendocrines d’autres localisa- tions : syndrome de Cushing, hypercalcémie, SIADH, etc. (3). Les principaux facteurs pro- nostiques identifiés sont l’élévation des LDH et la diminution de l’albuminémie (4). L’examen anatomopathologique retrouve typiquement un aspect hyperbasophile avec des cellules à haut rapport nucléo- cytoplasmique, des noyaux arrondis ou ova- laires à chromatine dense, des cytoplasmes peu visibles, de nombreuses mitoses et des plages de nécrose volontiers présentes. Sur le plan immunophénotypique, les marqueurs prostatiques (PSA, PSAP, PSMA, P501S) sont rarement exprimés, contrairement aux mar- queurs neuroendocrines (chromogranine, synaptophysine, CD56) [2]. Par ailleurs, la présence de gènes de fusion TMPRSS2-ERG semble pouvoir être fréquemment retrouvée en FISH, ce qui indiquerait une oncogenèse en partie commune avec celle des adéno- carcinomes de la prostate (5). Sur le plan thérapeutique, la maladie ne répond pas à l’hormonothérapie, sauf en cas d’adénocarcinome associé, les cellules cancé- reuses de phénotype neuroendocrine n’expri- mant pas le récepteur aux androgènes (6). Par analogie avec le cancer bronchique à petites cellules, le traitement repose avant tout sur la chimiothérapie à base de sels de platine, le plus souvent associés à l’étoposide (7) ; le taux de réponse est classiquement élevé (environ 60 %), mais la réponse est de courte durée. Une radiothérapie pelvienne peut éga- lement être envisagée dans les formes non métastatiques ou pour pallier les symptômes locaux (8). En raison de la rareté des cancers de la prostate primitifs neuroendocrines et à petites cellules, peu d’essais se sont intéressés

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d o s s i e r

TUMEURS RARES EN UROLOGIE :

prostate, testis, urètre et pénis

Correspondances en Onco-Urologie - Vol. V - no 4 - octobre-novembre-décembre 2014132132

PROSTATEPROSTATE

Cancers de la prostate neuroendocrines et à petites cellulesA. Angelergues*, V. Vasiliu*** Service d’oncologie médicale, hôpital européen Georges-Pompidou, Paris.** Service d’anatomopathologie, hôpital Necker, Paris.

Observation

M. O., âgé de 50 ans, sans antécédent, déve-loppe à partir de l’été 2012 une dysurie s’aggra vant progressivement, se compliquant par un premier épisode de rétention aiguë d’urine en avril 2013. Il est initialement pris en charge en ville. L’état général est conservé ; le toucher rectal montre un blindage pelvien ; le taux de PSA est de 30 ng/ml. Le patient bénéficie d’une résection transurétrale avec examen anatomopathologique des copeaux : il est observé un adénocarcinome de la prostate peu diff érencié, avec un score de Gleason de 9 (5 + 4) sur tous les copeaux. L’IRM pelvienne retrouve un envahissement de la quasi-totalité de la prostate − s’éten-dant aux vésicules séminales − et des adéno-pathies pelviennes. La TEP-TDM à la choline montre une coulée ganglionnaire remontant en lombo-aortique, sans atteinte osseuse ni viscérale.Devant l’agressivité de la maladie, le patient bénéfi cie de l’association d’un blocage andro-génique complet et d’une chimiothérapie par docétaxel administrée toutes les 3 semaines. Après 3 mois de traitement, le taux de PSA chute à 0,04 ng/ml, mais le patient présente des signes cliniques de progression locale, sous la forme de nouveaux épisodes de rétention aiguë d’urine, avec une insuffi-sance rénale aiguë d’origine obstructive et une hématurie, ainsi qu’une hypercalcémie et une altération de l’état général. Il est alors adressé à notre service.Il bénéfi cie de décaillotages répétés, d’une nouvelle résection transurétrale de la pro-state, de la pose de sondes JJ et d’un trai-tement par bisphosphonates. À l’examen anatomopathologique, les copeaux sont massivement envahis par un carcinome

peu différencié de morphologie neuro-endo crine, CD56+, PSA– (figures 1-3). Un nouveau bilan d’imagerie par TDM cérébro-thoraco-abdomino- pelvienne montre une prostate hétérogène avec un envahisse-ment vésical et rectal (fi gure 4), une coulée ganglionnaire nécrotique lombo-aortique (fi gure 5) et iliaque bilatérale, de nombreuses lésions secondaires pulmonaires, hépatiques (fi gure 6), ainsi qu’une localisation osseuse unique temporale gauche (fi gure 7). L’état général du patient continue de se dégrader rapidement, ne permettant pas la réalisation d’une nouvelle ligne de chimiothérapie. Il décède en octobre 2013, 6 mois après le diagnostic et un peu plus de 1 an après les premiers signes cliniques de la maladie.

Discussion

Les cancers de la prostate primitifs neuro-endocrines (qui comprennent le cancer à petites cellules) constituent une forme rare de la maladie (0,3 à 1 % des carcinomes de la prostate), dont l’évolution est agressive et dont le pronostic reste sombre (1). Ils peuvent survenir sous une forme “pure”, dans environ la moitié des cas, ou être associés à un adénocarcinome (2). L’expression du PSA étant inconstante, son dosage dans le sang est rarement utile, et doit être complété par le dosage de marqueurs neuroendocrines, la chromogranine A et la NSE (Neuron Specifi c Enolase). Les patients développent souvent des métastases viscérales (pulmonaires et hépatiques) plutôt qu’osseuses, mais égale-ment dans des localisations inhabituelles : épiploon, cordes vocales, os temporal, tissus mous. Les signes obstructifs locaux peuvent être au premier plan lors du diagnostic. La

survenue de syndromes paranéoplasiques n’est pas exceptionnelle, comme dans les car-cinomes neuroendocrines d’autres localisa-tions : syndrome de Cushing, hyper calcémie, SIADH, etc. (3). Les principaux facteurs pro-nostiques identifi és sont l’élévation des LDH et la diminution de l’albuminémie (4).L’examen anatomopathologique retrouve typiquement un aspect hyperbasophile avec des cellules à haut rapport nucléo-cytoplasmique, des noyaux arrondis ou ova-laires à chromatine dense, des cytoplasmes peu visibles, de nombreuses mitoses et des plages de nécrose volontiers présentes. Sur le plan immunophénotypique, les marqueurs prostatiques (PSA, PSAP, PSMA, P501S) sont rarement exprimés, contrairement aux mar-queurs neuroendocrines (chromogranine, synaptophysine, CD56) [2]. Par ailleurs, la présence de gènes de fusion TMPRSS2-ERG semble pouvoir être fréquemment retrouvée en FISH, ce qui indiquerait une oncogenèse en partie commune avec celle des adéno-carcinomes de la prostate (5).Sur le plan thérapeutique, la maladie ne répond pas à l’hormonothérapie, sauf en cas d’adénocarcinome associé, les cellules cancé-reuses de phénotype neuroendocrine n’expri-mant pas le récepteur aux androgènes (6). Par analogie avec le cancer bronchique à petites cellules, le traitement repose avant tout sur la chimiothérapie à base de sels de platine, le plus souvent associés à l’étoposide (7) ; le taux de réponse est classiquement élevé (environ 60 %), mais la réponse est de courte durée. Une radiothérapie pelvienne peut éga-lement être envisagée dans les formes non métastatiques ou pour pallier les symptômes locaux (8). En raison de la rareté des cancers de la prostate primitifs neuroendocrines et à petites cellules, peu d’essais se sont intéressés

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ILLUSTRATION CLINIQUE

Correspondances en Onco-Urologie - Vol. V - no 4 - octobre-novembre-décembre 2014 133133

Figu

re 4

Prostate augmentée de volume, hétérogène, au contact de la vessie et du rectum.

Figu

re 6

Métastases hépatiques multiples.

Figu

re 5

Coulée ganglionnaire lombo-aortique.

Figu

re 7

Métastase de l’os temporal gauche.

Figu

re 1

Figu

re 3

Figu

re 2

Marquage membranaire CD56.

HES × 10

HES × 20

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TUMEURS RARES EN UROLOGIE :

prostate, testis, urètre et pénis

Correspondances en Onco-Urologie - Vol. V - no 4 - octobre-novembre-décembre 2014134134

à cette pathologie. En phase II, l’adjonction de doxorubicine au doublet carboplatine-étoposide s’est révélée délétère (9).Un plus grand nombre d’essais sont dis-ponibles concernant les adénocarcinomes de la prostate présentant une évolution neuro endocrine ou anaplasique (authen-tifiés par une élévation des marqueurs neuroendocrines ou l’apparition de méta-stases viscérales), qui représentent 10 à

20 % des cancers de la prostate résistant à la castration. Cependant, l’extrapolation de leurs résultats aux formes neuroendocrines primitives doit être prudente. Dans cette situation, l’association docétaxel-cisplatine s’est révélée peu efficace et toxique (10). L’association docétaxel-carboplatine peut être plus prometteuse (11), mais sans comparaison directe au traitement de réfé-rence. Il pourrait en tout cas être raisonnable

d’associer docétaxel et sels de platine dans les formes mixtes, le docétaxel seul ayant une activité faible dans les cancers à petites cellules d’autres localisations, avec des taux de réponse de l’ordre de 25 % (12, 13), et le carboplatine ayant également une activité faible en monothérapie dans les adéno-carcinomes de la prostate (14). ■

A. Angelergues déclare avoir des liens d’intérêts avec Sanofi (honoraires).

1. Humphrey PA. Histological variants of prostatic carcinoma and their signifi cance. Histopathology 2012;60(1):59-74.

2. Wang W, Epstein JI. Small cell carcinoma of the prostate. A morphologic and immunohistochemical study of 95 cases. Am J Surg Pathol 2008;32(1):65-71.

3. Abbas F, Civantos F, Benedetto P et al. Small cell carcinoma of the bladder and prostate. Urology 1995;46(5):617-30.

4. Spiess PE, Pettaway CA, Vakar-Lopez F et al. Treatment out-comes of small cell carcinoma of the prostate: a single-center study. Cancer 2007;110(8):1729-37.

5. Guo CC, Dancer JY, Wang Y et al. TMPRSS2-ERG gene fusion in small cell carcinoma of the prostate. Hum Pathol 2011;42(1):11-7.

6. Bonkhoff H, Stein U, Remberger K. Androgen receptor status in endocrine-paracrine cell types of the normal, hyperplastic,

and neoplastic human prostate. Virchows Arch A Pathol Anat Histopathol 1993;423(4):291-4.

7. Amato RJ, Logothetis CJ, Hallinan R et al. Chemotherapy for small cell carcinoma of prostatic origin. J Urol 1992;147(3 Pt 2):935-7.

8. Stein ME, Bernstein Z, Abacioglu U et al. Small cell (neuro-endocrine) carcinoma of the prostate: etiology, diagnosis, prognosis, and therapeutic implications–a retrospective study of 30 patients from the rare cancer network. Am J Med Sci 2008;336(6):478-88.

9. Papandreou CN, Daliani DD, Thall PF et al. Results of a phase II study with doxorubicin, etoposide, and cisplatin in patients with fully characterized small-cell carcinoma of the prostate. J Clin Oncol 2002;20(14):3072-80.

10. Culine S, El Demery M, Lamy PJ et al. Docetaxel and cis-platin in patients with metastatic androgen independent

prostate cancer and circulating neuroendocrine markers. J Urol 2007;178(3 Pt 1):844-8.

11. Aparicio AM, Harzstark AL, Corn PG et al. Platinum-based chemotherapy for variant castrate-resistant prostate cancer. Clin Cancer Res 2013;19(13):3621-30.

12. Smyth JF, Smith IE, Sessa C et al. Activity of docetaxel (Taxotere) in small cell lung cancer. The Early Clinical Trials Group of the EORTC. Eur J Cancer 1994;30A(8):1058-60.

13. Hesketh PJ, Crowley JJ, Burris HA et al. Evaluation of doce-taxel in previously untreated extensive-stage small cell lung cancer: a Southwest Oncology Group phase II trial. Cancer J Sci Am 1999;5(4):237-41.

14. Canobbio L, Guarneri D, Miglietta L et al. Carboplatin in advanced hormone refractory prostatic cancer patients. Eur J Cancer 1993;29A(15):2094-6.

R é f é r e n c e s