Pour l'analyse minimaliste de certaines expressions de quantite

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Journal of Pragmatics 8 (1984) 661-691 North-Holland 661 POUR L’ANALYSE MINIMALISTE DE CERTAINES EXPRESSIONS DE QUANTITE Rkponse h des objections d’Anscombre et Ducrot Benoit DE CORNULIER * In a series of recent publications (from 1975 to 1983) J.C. Anscombre and 0. Ducrot attempt to refute what they call the ‘minimalist’ thesis; according to this thesis, such expressions as to &‘nk _? pints or French Prre aussi grand que ‘to be as tall as’ have a unique, non-restrictive, literal meaning, sometimes paraphrased as to drink at least 3 pints, to be af Ieasf as tall as, while their restrictive meaning, sometimes paraphrased as ro drink only 3 pints, to be just as toll as, is contextually derived through something like the Gricean maxim of quantity. Anscombre and Ducrot claim that the minimalist analysis makes it necessary to postulate an underlying au mains ‘at least’ in the non-restrictive meaning of expressions of quantity; they offer a number of counter-examples; and to overcome the many difficulties they have pointed out, they propose to substitute the minimalist approach with a theory according to which a non-derived, primitive argumentative force is built into the basic meaning of the discussed expressions. I try to show that their refutation of minimalism is founded on a misunderstanding of the Gricean approach, such as it is developed by Horn and Fauconnier, and that their counter-examples are not counter-examples to minimalism. 1. Introduction On a souvent observk qu’une expression telle que avoir 18 ans paraissait avoir tantat une signification restrictive, du genre avoir 18 ans (pus plus), et tantat une signification non-restrictive, du genre avoir 18 ans (au moins). Ainsi, k la question Avez-vous 18 ans?, une personne de 60 ans peut rkpondre Oui, depuis fongtemps! s’il s’agit d’Ctre s’agit d’&tre assez Bgt pour voir un film interdit aux enfants, et Non, mais j’ai une dispense s’il s’agit d’Ctre assez jeune pour se p&enter k un contours de recrutement. On a souvent pen& qu’il s’agissait d’une ambigu’itk irrdductible de l’expression linguistique de la quantitk, et que, par exemple, le mot franeais dix-huit devrait se voir assigner deux valeurs, restrictive et non-restrictive, dans le dictionnaire. Suivant une analyse diffkren- te, que Jean-Claude Anscombre et Oswald Ducrot appellent ‘minimaliste’, l‘expression avoir I8 ans n’a qu’une valeur fondamentale ou ‘lit&ale’, la * Author’s address: Benoit de Comulier, Pont-hus, 44 390 Petit-Mars, France. 0378-2166/84/$3.00 0 1984, Elsevier Science Publishers B.V. (North-Holland)

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Journal of Pragmatics 8 (1984) 661-691

North-Holland

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POUR L’ANALYSE MINIMALISTE DE CERTAINES EXPRESSIONS DE QUANTITE Rkponse h des objections d’Anscombre et Ducrot

Benoit DE CORNULIER *

In a series of recent publications (from 1975 to 1983) J.C. Anscombre and 0. Ducrot attempt to

refute what they call the ‘minimalist’ thesis; according to this thesis, such expressions as to &‘nk _?

pints or French Prre aussi grand que ‘to be as tall as’ have a unique, non-restrictive, literal meaning,

sometimes paraphrased as to drink at least 3 pints, to be af Ieasf as tall as, while their restrictive

meaning, sometimes paraphrased as ro drink only 3 pints, to be just as toll as, is contextually derived

through something like the Gricean maxim of quantity. Anscombre and Ducrot claim that the

minimalist analysis makes it necessary to postulate an underlying au mains ‘at least’ in the

non-restrictive meaning of expressions of quantity; they offer a number of counter-examples; and

to overcome the many difficulties they have pointed out, they propose to substitute the minimalist

approach with a theory according to which a non-derived, primitive argumentative force is built

into the basic meaning of the discussed expressions. I try to show that their refutation of

minimalism is founded on a misunderstanding of the Gricean approach, such as it is developed by

Horn and Fauconnier, and that their counter-examples are not counter-examples to minimalism.

1. Introduction

On a souvent observk qu’une expression telle que avoir 18 ans paraissait avoir tantat une signification restrictive, du genre avoir 18 ans (pus plus), et tantat une signification non-restrictive, du genre avoir 18 ans (au moins). Ainsi, k la question Avez-vous 18 ans?, une personne de 60 ans peut rkpondre Oui, depuis fongtemps! s’il s’agit d’Ctre s’agit d’&tre assez Bgt pour voir un film interdit aux enfants, et Non, mais j’ai une dispense s’il s’agit d’Ctre assez jeune pour se p&enter k un contours de recrutement. On a souvent pen& qu’il s’agissait d’une ambigu’itk irrdductible de l’expression linguistique de la quantitk, et que, par exemple, le mot franeais dix-huit devrait se voir assigner deux valeurs, restrictive et non-restrictive, dans le dictionnaire. Suivant une analyse diffkren- te, que Jean-Claude Anscombre et Oswald Ducrot appellent ‘minimaliste’, l‘expression avoir I8 ans n’a qu’une valeur fondamentale ou ‘lit&ale’, la

* Author’s address: Benoit de Comulier, Pont-hus, 44 390 Petit-Mars, France.

0378-2166/84/$3.00 0 1984, Elsevier Science Publishers B.V. (North-Holland)

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valeur non-restrictive, generalement paraphrasee par avoir dix-huit ans au

moins, d’ou le nom de ‘minimal&me’ (quantite minimale); l’interpretation restrictive (auoir 18 ans, pus plus) resulterait de la combinaison de cette valeur

de base avec une espece de presomption de precision maximale de Yevaluation (si, en disant ‘18 an?, on est tense prendre en compte toutes les annees, il n’y en a done pas plus de dix-huit); les deux valeurs de l’expression negative ne pas avoir I8 ans, c’est-a-dire, avoir moins de 18 ans et avoir ou plus, ou moins de 18

ans, ne seraient que le rtsultat de l’application de la negation aux valeurs respectivement non-restrictive et restrictive de avoir 18 ans. M&me chose, par exemple, avec des mots comme aussi ou autant que, exprimant tantot une grandeur Cgale ou superieure, tantot une grandeur Cgale (pas superieure). 11 existe diverses variantes de l’analyse ‘minimaliste’; mais ce qu’elles ont en commun d’essentiel est de poser, pour les expressions de quantite auxquelles on les applique, une seule signification de base, parfois dite ‘litterale’, ne comportant en soi aucune restriction [l].

L’analyse rninimaliste est seduisante, mais elle ne va pas de soi. Admise notamment par Larry Horn (1972), elle est rejetee, arguments a l’appui, specialement dans le cas de au.ssi/autant par Jean-Claude Anscombre (1975); pour Anscombre, la valeur restrictive d’une expression du type Lot esr aussi

beau que Lin est fondamentale (et non derivee a partir d’une valeur a minima), mais le mot aussi, dans sa valeur litterale, comporte une indication de portee argumentative: selon qu’on s’interesse a Lin ou a Lot, cette proposition se presente comme un argument en faveur de la beaute de Lin, ou de l’absence de beaute de Lot; suivant ce point de vue, la correlation entre ambigu’itb des expressions positives et negatives observee ci-dessus est secondaire et ne s’explique qu’indirectement. Gilles Fauconnier (1976a, b) fournit de nouveaux arguments en faveur de l’analyse minimaliste, et de l’idee que la valeur argumentative qu’Anscombre juge primitive pourrait n’etre qu’une conse- quence de la signification fondamentale non-restrictive. Anscombre et Ducrot (1983: 51-78) defendent de nouveau l’analyse ‘argumentative’ contre l’analyse ‘minimaliste’. Mon propos, en intervenant dans ce debat, est limit& j’essaierai, essentiellement, de montrer que les objections d’Anscombre et Ducrot ne refutent pas vraiment l’analyse minimaliste. 11 nest pas de contester la perti- nence de considerations argumentativistes dans l’analyse du discours; ni mCme de contester l’existence de valeurs argumentatives ‘primitives’. Enfin, je serais

[l] J’ai adopt6 l’analyse minimal&c pour des expressions quantitatives dans Notions de pragmn-

tique, publiC par A. Borillo et autres (CNRS, LSI, 109 bis rue Vauquelin, F-31 058 Toulouse,

1982), et dans Efft de Sens (k paraitre).Ce qui me par&t inthessant dans l’analyse ‘minimaliste’

n’est pas tant l’opposition entre des significations ‘d&ivtes et une signification ‘lit&ale (notion dont je veux bien volontiers croire qu’elle est probbhmatique) que 1’idC gCn&ale de considerer des

significations comme resultant de combinaisons et calculs en contexte. Merci pour leurs remarques

sur une premitre version de cet article h Robert Martin, Henning Nnlke, et F.M. RCcuillaume.

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plus enclin que ne me semblent l’etre Anscombre et Ducrot a distinguer des cas d’espece dans l’appreciation de l’analyse minimaliste: il n’est pas dans mon intention de soutenir que ce type d’analyse doit s’etendre a toutes les expres- sions quantitatives.

2. Sur I’objet des lois du discours

Suivant l’analyse minimaliste, dans Je n’ai pas 18 ans, mais 20 ans, il faut entendre Je n’ui pus 18 ans comme la negation de l’interpretation restrictive de J’ai 18 ans. Or cette interpretation restrictive, remarquent Anscombre et Ducrot (1983: 76) serait censee resulter de l’application d’une ‘loi du discours’, la Loi d’ExhaustivitC; ceci serait done ‘contraire a l’esprit d’une semantique logique, qui, par definition, fait agir les lois de discours uprks les operateurs linguistico-logiques’.

11 serait vain d’essayer d’esquiver cette objection en s’abritant derriere l’idee,

pourtant admise par Anscombre et Ducrot eux-memes, qu’il s’agit ici d’un usage special, ‘poknique’, de la negation. D’abord, et accessoirement, parce que je doute qu’un tel usage doive ici forctment &tre suppose: Oswald Ducrot (1973: 129-130) caracttrise la negation ‘descriptive’ (non ‘polemique’) par le fait qu’elle conserve les presuppositions; et d’autre part il propose de considerer II n’est plus fatigue comme negation de II est encore fatigue (presupposition commune: ‘11 ttait fatigue’); or une grand-mere invitee a un bal et repondant Je n’ai plus I6 ans, fiches-moi done la paix! presuppose qu’elle a eu (seulement) 18 ans; de plus, son affirmation qu’elle ‘n’a plus 18 ans’ ne me parait pas exiger une suite rectificative telle que, par exemple, mais j’ui 80 ans, alors que la negation ‘polemique’ selon Anscombre et Ducrot (1983: 23 n.3) exige une telle sorte de correction. Ensuite, et surtout, on constate qu’il existe une masse d’exemples cornparables ou la negation n’est pas en jeu; par exemple, dans Si vous aver 18 ans vous kites trop jeune pour concourir, la loi d’ExhaustivitC s’appliquerait a l’interieur de la conditionnelle, et ainsi la conjonction si aurait pour objet un produit de cette loi; mCme chose pour ou dans Ou elle a 18 ans,

ou elfe en a 19 dans l’interpretation excluant qu’elle en ait plus de 19. 11 est indeniable que l’interpretation restrictive des expressions du type avoir 18 ans est banale mCme quand ces expressions ne constituent pas a elles seules une Cnonciation, une information autonome. Mais qu’en conclure?

Anscombre et Ducrot en concluent que l’analyse minimaliste est incorrecte, mais leur refutation presuppose que cette analyse minimaliste est indissociable d’une ‘semantique logique’ telle qu’ils l’entendent et qui, ‘par definition disent-ils, c’est-a-dire telle qu’ils la supposent, ne peut faire intervenir l’effet de sens restrictif qu’ ‘apr&s les operateurs linguistico-logiques’; ils disent ailleurs (1983: 70) que 1’ ‘esprit’ de la ‘theorie’ minimaliste ‘est d’isoler une semantique profonde, independante des contraintes liees a l’activite d’tnonciation’. Or le

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principe essentiel de l’analyse minimaliste peut etre tenu a l’ecart de cette conception rigide d’une semantique pure, Ctanche, des syntagmes, qui baigne- raient sans s’y souiller dans la pragmatique des Cnonciations. Le choix ne se situe pas simplement, ici, entre une analyse ‘argumentative’ fondamentale et une analyse ‘informationnelle’ par derivations; il se situe aussi, plus finement, entre plusieurs conceptions de l’analyse pragmatique et derivationnelle. Or, independamment de ce debat, il a deja CtC observe qu’a des degres divers, parfois, le domaine des ‘implicatures conversationnelles’ a la Grice (ressem- blant aux effets de sens par ‘lois du discours’ chez Ducrot) s’etend a des expressions qui ne sont qu’une partie d’une Cnonciation complete, par exemple, a l’interieur dune subordonnke non assert& Ainsi dans cet exemple de Wilson (1975) rappele par Gazdar (1979) Mieux uaut se marier et auoir un enfunt

qu’auoir un enfant et se marier (je traduis de l’anglais), oh la valeur de succession dans le temps pour une expression X et Y, valeur consideree comme d&i&e (implicature), doit Ctre calculee a l’interieur de chaque proposition elementaire (puisque le mCme ne peut pas valoir mieux que le meme); cf. Gazdar (1979); on peut comparer ceci au niveau d’application de certaines figures; quand on dit Platon est sur I’.Gtagkre, oh le mot Platon peut designer par metonymie un ouvrage attribue a Platon, il est raisonnable de supposer que la mttonymie opere au sein m&me de l’expression sujet, et qu’a aucun niveau sous-jacent de l’analyse stmantique ne doit apparaitre l’idte que la personne m&me de Platon est sur l’etagere (cf. Fauconnier (1984: 16)). Pour tenir compte de nombreux faits de ce genre, - et non simplement pour defendre l’analyse minimaliste -, il faut renoncer a la conception cloisonrke de la pragmatique prbuppode par les objections d’Anscombre et Ducrot, et supposer entre la semantique fondamentale et les effets de sens en discours des possibilites d’interactions complexes. Tel est peut-&tre le point de vue de Fauconnier, et en tout cas le mien; dans cette perspective, l’objection que je viens de discuter devient une observation inttressante sur un cas d’interaction.

On objectera qu’une telle conception risque d’abolir la distinction nette

entre l’analyse des effets de sens en discours et l’analyse des valeurs linguis- tiques fondamentales. C’est possible; mais il est possible, aussi, qu’il y ait entre ces phenomenes une reelle continuite, dont l’analyse doit rendre compte sans tracer une frontiere nette la ou elle n’existe pas.

3. Sur la conception du dhombrement et du comnnrafif ‘d’kgalih?

Fondamentale, et particulierement percutante, t:st t’analyse critique dans laquelle Anscombre et Ducrot (1983: 25-26) approfondissant les objections d’Anscombre (1975: 16-17), denoncent l’inconsistance de l’analyse minimaliste dans son principe m&me; ce texte essentiel merite d’etre cite integralement:

Admettons provisoirement que l’honck Pierre est aussi grand que Marie, pris dans sa totalitk,

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puisse signifier, parfois, que la taille de Pierre est au moms @ale a celle de Marie. On montrera que

cette signification n’est pas, en tout cas, attach&z au morpheme aussi. Comment comprendre,

sinon, que I’on forme, sans redondance, l’expression nu mains auk grand? Comment expliquer, de

meme, qu’on dise exoctement auk grand, ce qui n’a auctm sens si aussi grand signifie > ? Plus

grave: si je sais que Pierre et Marie ont exactement la mCme taille et que je declare Pierre o une taille kgale ou supkieure 6 celie de Marie, on me reprochera de ne pas avoir dit tout ce que je sais.

Mais nul ne me fera ce reproche si je dis que Pierre est aussi grand. D’oii on peut conclure que le

morpheme aussi n’est pas directement responsable d’une Cventuelle interpretation par a.

D’oh viendrait done cette interpretation? 11 s’agit, dira-t-on, dune loi g&r&ale selon laquelle tout enonce peut ttre compris de facon litotique, de sorte qu’il n’exclut jamais un Cnonce “plus

fort” que lui. S’appliquant, dans le cas de Pierre est auk grand que Marie, h une signification

litterale qui pose seulement l’egalitt, cette loi de discours amtne a comprendre que l’egalite est “le

mains qu’on puisse dire”, et qu’il s’agit peut-Ctre de plus, a savoir dune suptriorite. Sous cette

forme, la these disc&e Cchappe aux contre-exemples. Mais on paie l’adequation descriptive

recuptrte d’une incapacite explicative. On n’explique mCme plus la negation. Si en effet la

lecture > est introduite, le cas echeant, par une loi de discours rtgissant l’interpretation des

&non&s, comment expliquer l’enonce ntgatif Pierre n’est pas auk grand que Marie? La loi,

puisqu’elle concerne les &non&s, intervient seulement aprbs que (cet kconce negatif), dans sa

totalite, a recu une interpretation litterale: elle ne peut done pas servir a produire cette premiere

interpretation, qui donnera simplement les tailles pour differentes. Mais on ne voit pas pourquoi la

litote, appliquke a cette indication, la transforme plutbt en inferioritt qu’en superioritt. De sorte

que I’effet minorant de la negation reste mysttrieux.

Allons plus loin - car la difficulte tient a un point essentiel. On definit l’effet litotique en disant

qu’un Cnonck prend une signification phforte que sa signification litterale. Mais comment savoir

ce qui est plus fort? Si la signification litterale de l’tnonct affirmatif est l’egalitt, pourquoi la

superior& est-elle consider&e comme une signification plus forte? Et, dans l’tnonce negatif oii la

signification litterale est l’inegalite, pourquoi la signification plus forte est-elle, cette fois,

l’inferioritt? En d’autres termes, l’utilisation d’une loi comme la litote suppose que les significa-

tions litterales aient, auparuvant, CtC grad&es, que la notion de force ait, auparauant, et6 definie.

Or ceci est impossible si la signification litterale est purement informative et comporte seulement

des notions comme ‘Cgalitt’ ou “inegalitt? (. .). Si nous avons present6 en detail cette discussion, c’est que la these discutke illustre une

tendance generale a recuperer au niveau informatif les phtnomenes pragmatiques. Le mouvement

est le suivant. On a, au depart, le sentiment dune difference entre Ctre auk grand et auoir la &me t&e: la deuxieme expression comporte une symttrie absente de la premiere. Mais cette non-

symetrie du comparatif d’egalite, on veut la traduire en termes d’informativite, en supposant

qu’elle refltte I’existence dune relation non symetrique entre les objets cornparks (la relation

mathematique 2 ). Ce faisant, on force malheureusement les faits. Car on ne peut nier qu’au

niveau informatif, awsi grand implique l’egalitt et est incompatible avec la superiorite.

Pour tenir compte de cette critique ou y repondre, il me parait necessaire den Cclaircir la signification (qui ne m’est pas apparue d’emblee). Soit les grandeurs p et m, de type numerique, correspondant respectivement a la taille exacte de

Pierre et a la taille exacte de Marie, les relations mathematiques: = ; -e ; > ; a , etc., et, a partir de ces relations, les propositions du type suivant:

A p=m.

B p<m.

C p>m.

D pam.

E p # m. (Negation logique de (A) .)

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L’analyse d’Anscombre et Ducrot implique, implicitement et sans justification, les deux chases suivantes:

Postulat 1. Le contenu informationnel de l’enonce Pierre est aussi grand que Marie est equivalent a l’une des relations mathematiques sus-citees. Plus precisement, on doit choisir entre l’interprttation en p > m (analyse minima- liste), et p = m (analyse non-minimaliste).

Post&at 2. La formule D ci-dessus, p > m, a la m&me signification que la proposition disjonctive F:

(F) (p=m)ou(p>m).

Done l’analyse minimaliste attribue a Pierre est aussi grand que Marie le m&me contenu informationnel qu’a: Pierre a une taille (exactement) .&gale ou supkrieure ci celle de Marie ou A Pierre et Marie ont la mPme taille l’un que l’autre.

Ces postulats permettent a Anscombre et Ducrot d’enfermer l’analyse minima- liste dans l’alternative suivante: ou bien (1) Minimalisme litteral: la significa- tion litterale de Pierre est aussi grand que Marie est p > m; ou bien (2) Minimalisme d&i&: la signification litterale de cet &once est p = m; mais une loi de ‘litote’, renforqant les significations au niveau du discours, confere a l’assertion de p = m la signification ‘plus forte’ de p 2 m, ou k l’assertion de p # m (Pierre n’est pas aussi grand que Marie) la signification ‘plus forte’ de p < m.

Coulent alors de source les objections irrefutables. (1) Contre le minima- lisme litttral: si Pierre est aussi grand que Marie signifiait Pierre est d’une taille exactement-&gale-ou-suphieure ci celle de Marie, il serait redondant de modifier l’evaluation disjonctive exactement-&gale-ou-supkrieure par au moins et absurde de la modifier par exactement; or aussi admet l’un et l’autre de ces modifieurs; il serait toujours possible de remplacer Pierre est aussi grand que Marie par Pierre a une taille &gale ou suphieure 6 celle de Marie, or qa ne l’est pas forcement ‘si je sais que Marie et Pierre ont Cgalement la m&me taille’. (2) Contre le minimalisme derive: une proposition est ‘plus forte’ qu’une autre pour les minimalistes si elle l’implique sans reciprocite; or la proposition p > m n’implique pas p = m (en fait, c’est p = m qui implique p >, m); et il est vrai que la proposition p < m implique strictement p # m, mais c’est aussi vrai de la proposition p > m, qui elle aussi implique strictement p # m; pourquoi done la ‘litote’ selectionnerait-elle, pour pas aussi: la valeur moins, plutot que la valeur plus? (Done les minimalistes presupposent, sans se l’avouer, une ‘graduation’ des tnonds, par quoi ils ne sont pas plus Cconomes que les argumentativistes avec leur Cchelle argumentative primitive). Cette objection au coeur du minimalisme parait particulierement percutante; elle laisse l’impres-

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sion que les defenseurs du minimalisme, cette doctrine qui a le merite ‘spec-

taculaire’ selon Anscombre et Ducrot (1983: 72) de rendre compte des nega- tives en dispensant de leur ‘loi d’Abaissement’ argumentative sont des illusion- nistes.

Cette critique radicale est encore celle d’Anscombre et Ducrot (1983: 51-78) dans l’article oh ils tentent de refuter la simplification minimaliste que Fauconnier (1976b) proposait de leur propre point de vue: ils y affirment que le minimaliste ‘doit decider’ que A est plus grand que B implique A est aussi grand que B, faute que cette implication puisse decouler des significations; ou qu’il est oblige de ‘postuler’, puis ‘gommer’, une foule proliferante de au moins ‘dans la structure semantique profonde’ (1983: 55, 69). Les memes critiques s’etendent naturellement a l’idte, admise par Fauconnier que Odette a trois

enfants implique Odette a deux enfants (Anscombre et Ducrot (1983: 55)). Cette extension de la critique se comprend, pourvu qu’on attribue a l’enonce

Odette a deux enfants, en supposant que n designe par definition le nombre exact des enfants d’odette, un contenu informatif litteral equivalent a ceci:

n = 3.

Alors l’idte que Odette a trois enfants implique Odette a deux enfants est manifestement illusoire puisque, n Ctant ici un nombre unique, n = 3 est incompatible avec n = 2.

Cependant toute cette critique fondamentale, vigoureuse, me paralt reposer sur un non moins vigoureux et fondamental malentendu. Les postulats 1 et 2, presupposes par Anscombre et Ducrot, ne vont pas de soi et leur conjonction doit, tout simplement, Ctre exclue par l’analyse minimaliste.

Commencons par les Cnonces du type Odette a deux enfants. Nous venons d’en expliciter une interpretation non-minimaliste. Une interpretation minima- liste sera plutot Cquivalente (si indirectement que ce soit) a quelque formule existentielle du genre suivant: soit x, y, des variables sur le domaine des ‘enfants’; alors:

11 existe x, il existe y (x # y), tels que Odette a x et Odette a y.

Convenons, dans le present article, de reecrire cette formule a 2 variables de la man&e suivante:

11 existe 2 x, tels que Odette a x.

Peu importe, pour la presente discussion, le caractbre gauche de telles formules, et le fait qu’elles refletent mal, par exemple, la relation enfant de (s’agit-il d’enfants d’odette?); elles s’inspirent un peu, par commodite du mode d’ecri- ture le plus vulgar% de la logique quantificationnelle; mais, faut-il y insister,

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en donnant les Cnonces du type Odette a deux enfants pour informativements t?quivalents, je ne les donne pas pour formellement semblables aux formules a prefixe quantificateur, a quelque niveau de ‘structure semantique profonde’ que ce soit. D’une man&e plus g&kale, nous dirons qu’une evaluation du type F(2) est existentielle si on l’interprete comme Cquivalente a Existe x,

existe y (x f y), F(x) et F(y), que nous reecrivons en Existe 2 x, F(x). Dans le m&me esprit F( I ) s’interprete existentiellement comme equivalent a Existe x, F(x), formule classique a une seule variable; ainsi de suite. En generalisant, l’interpretation existentielle de F(n) est Cquivalente a une formule F(n) prefixee par une serie de n quantificateurs existentiels Existe x, existe y, etc., a variables distingukes.

L’echelle implicative numerique est une simple consequence de ces interpre- tations: si m est plus grand que n, ntcessairement F(m) implique F(n) au sens existentiel, - alors mCme que x = m n’implique pas x = n. Par exemple, F( 2) implique F( 1) parce que Existe x, existe y (x # y), F(x) et F(y) implique trivialement Existe x, F(x). L’analyse minimaliste ne presuppose ici aucune ‘graduation’ exterieure au sens, ni aucune occurrence de au moins sous-jacente dans une ‘structure semantique profonde’ et qu’il faudrait ‘gommer’. Le ‘paradoxe’ selon lequel ‘des phrases qui ne contiennement pas de au moins se

comportent parfois comme si elles en contenaient un’ n’a pas besoin d’etre adouci par une graduation argumentativiste fondamentale, il n’existe pas dans le point de vue minimaliste a la Grice de Horn, Fauconnier, ou moi-meme, il n’existe que dans l’hypothese non-minimaliste qu’Anscombre et Ducrot sup- posent au coeur du minimalisme. Le terme mCme d’hypothese ‘minimaliste’, forge par Anscombre et Ducrot pour designer la theorie de Fauconnier, risque d’entretenir le contresens, en suggerant des interpretations ‘minimalistes’ en ‘au moins’ (‘au moins’ = ‘au minimum’); ni Horn, ni Fauconnier ne l’emploi- ent. Ce n’est qu’apres avoir redige la premiere version du present article que j’ai eu connaissance d’une analyse ‘minimaliste’ du type de celle qu’Anscombre et Ducrot me semblent refuter: Van der Auwera (1983: 4-5) Ccrit (je traduis de l’anglais) a propos de l’enonce Muriel a vote pour Hubert:

J’ai suggCrC (Van der Auwera, 1983a), en d&eloppaut Horn (1972), que Muriel signifie litterale-

ment au mains Muriel. En fait, la plupart des mots et expressions de la langue usuelle contiennent

un ophateur au mains implicite fourre (“stuck”) dans leur signification lit&ale. Ainsi Muriel a

uottpour Hubert pourrait au moins &tre dCvelopp& sous cette forme: (au moins (Muriel)) (au moins

(a vote)) (au moins (pour Hubert)).

Mais dans le passage m&me oh il propose cette analyse, Van der Auwera fait reference a la critique de Ducrot (1978) contre le ‘minimalisme’ et semble plutot rapprocher sa position de celle de Ducrot (1972), qui ‘Ctait un minima- liste contextuel’.

A son tour, l’effet minorant de la negation est une simple consequence du sens et n’a rien de ‘mysterieux’ (Anscombre et Ducrot (1983)) dans l’analyse

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minimaliste. En effet, si X implique Z, il s’ensuit logiquement (contraposition) que Non-Z implique Non-X, cas de ‘renversement d’echelle’ pour Fauconnier. Le merite qu’a cette analyse de dispenser de la loi argumentative d’Abaisse- ment n’est pas seulement ‘spectaculaire’ (Anscombre et Ducrot (1983)): point de truquage, c’est du vrai!

I1 est sans fondement de supposer a ces interpretations existentielles la ‘forme disjonctive’ imposee par le Postulat 2 d’Anscombre et Ducrot; certes, l’interpretation existentielle de F( I ) est indirectement Cquivalente a F(I) ou F(2) - entre autres disjonctions en nombre infini - mais il n’en resulte pas que notre definition de F( I ) soit la definition mCme de F( I ) ou F( 2); a ce compte, on pourrait dire de n’importe quelle proposition qu’elle ‘comporte une disjonc- tion’ (par exemple, toute proposition P Cquivaut a P ou P). Une remarque, a ce propos, sur le Postulut 2: il est vrai que le symbole mathematique > se prononce en francais est @al ou suptrieur, et m&me se decompose graphique- ment en deux figures; mais il ne s’ensuit pas que sa definition mathematique comporte, d’une man&e fondamentale et necessaire, la forme d’une disjonc- tion. Qu’on pense a un linguiste qui presupposerait que le symbole de l’inclu- sion ensembliste 3 se dtfinit forcement par une disjonction ‘parce que $a veut dire contient tout juste ou strictement ‘.

Objectera-t-on que l’interpretation existentielle de Odette a deux enfunts est tiree par les cheveux, imaginee pour les besoins de la cause? C’est affaire de gout, non d’argumentation; ce type d’interpretation m’est ‘naturel’, et j’avoue avoir peine pour imaginer quelle interpretation differente la critique d’Anscombre et Ducrot pouvait presupposer et faire prtsupposer aux minima- listes.

Passons des Cnonces du type Odette a deux enfants A ceux du type Elle en a autant que Julie ou Marie a gob6 autant d’ozufs que Pierre. Nous attribuerons a cet &once un contenu informatif a peu prb equivalent (si indirectement que ce soit), a: Quel qui soit Ie nombre exact p d’awfs gob& par Pierre, Marie a gobt

p ozufs (cf. Fauconnier (1976b: 31)); ou mCme a: Pour tout nombre p tel que

Pierre a gob6 p ceufs, Marie a gob6 p a?ufs. A l’interieur de ces formulations, entendons les expressions Marie a gob& p ceufs et Pierre a gob& p ceufs de man&e existentielle. Maintenant, supposons qu’il se trouve, en fait, que Pierre a gobe exactement 2 ceufs. Suivant notre interpretation, la proposition Marie a

gob6 autant d’ozufs que Pierre est vraie si et seulement si la proposition Marie a gob& 2 ozufs (interpretee existentiellement) est vraie; or cette derniere est vraie, comme nous l’avons vu, m&me si Marie a gobe plus de 2 ceufs. Done la valeur de l’expression autant d’cpufs que n’est pas limitative. Ainsi l’interpretation existentielle de autant rend possible une analyse minimaliste, sans qu’il soit besoin ni de supposer des au moins ‘sous-jacents’ puis ‘gommes’, ni aucune espkce de graduation argumentative fondamentale. L’existentialisme est un minimalisme!

11 n’a jusqu’ici CtC question que d’ceufs qu’on gobe ou d’enfants qu’on a,

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610 B. de Corm&r / SW I’expression restrictive de la quantitk

c’est-a dire de quantites disc&es et de nombres entiers. J’ai mange mon pain blanc: La man&e commode dont j’ai choisi de presenter le sens des Cval- uations minimales, en y traduisant les nombres entiers par des suites de prefixes existentiels en nombre correspondant, ne s’etend pas telle quelle, ou pas si facilement, aux nombres non entiers. On m’accordera pourtant sans doute que si les evaluations absolues ou comparatives peuvent effectivement s’interpreter d’une maniere non-limitative quand il s’agit de nombres entiers, il serait singulier qu’elles ne puissent en aucun langage s’interpreter de la meme man&e quand il s’agit, par exemple, de nombres fractionnaires. Si on peut effectivement concevoir une interpretation non-limitative de Pierre a gob& deux

ozufs et de Marie a gob.6 autant d’czufs que Pierre, on doit pouvoir en concevoir une de Pierre a bu 5 de litres d’eau et de Marie a bu autant de litres d’eau que

Pierre. Pensons, dans cet esprit, a quelque formule (ici purement suggestive) du genre: Existe q, Pierre a bu q, et quel que soit q tel que Pierre a bu exactement q, Marie a bu q, oh q correspond a une quantite Cventuellement fractionnaire de litres d’eau. De la, on doit pouvoir passer a des interpretations non-limitatives

d’evaluations en aussi correspondant a des quantites mesurables; par exemple, a partir dune grandeur de q unites, on peut definir le predicat grand au degre

q, puis le comparatif aussi grand que, non-limitativement: Marie est aussi grande que Pierre, s’il s’agit d’une mesure numerique, doit pouvoir se traduire non-limitativement dans l’esprit d’une formule de ce genre: Quel que soit q tel que Pierre est grand exactement au degrk q, Marie est grande au degrk q. L’analyse minimaliste de telles expressions ne suppose rien d’autre que la possibilite, demontree sur les nombres entiers, de les interpreter effectivement d’une maniere non-limitative.

On objectera peut-etre qu’en admettant que de tels degres soient definissa- bles pour la grandeur (mesuree), ils ne le sont pas pour la beaute, la bonte, l’intelligence, etc. . . . Peut-Ctre; mais en parlant de beaute ou de bonte de X ‘Cgale’ ou ‘superieure’ a celle de Y, les locuteurs supposent quotidiennement, pour le moins, des gradations de ces qualites (cf. Anscombre (1975: 8)). Sans engager la metaphysique personnelle du linguiste, ces hierarchies doivent se refleter dans ses analyses.

Jean-Claude Anscombre et Oswald Ducrot (1983: 55-56) objectent a l’analyse minimaliste qu’elle n’est ‘a peu pres vraisemblable’ que dans des Cnonces oh il est question dune ‘substance’ dont on a la ‘possession’ (au sens, suivant leur propre exemple, oh je posdde ‘cinq pieces dans ma poche’). L’analyse minimaliste obligerait par exemple a croire que qualifier Pierre d’aussi beau que Marie, c’est supposer l’existence d’une ‘substance’, la beaute, dont Pierre ‘possederait’ une grosse quantite. 11 suffit de considerer les paraphrases ci-dessus pour constater qu’elles n’engagent en rien a ce substan- tialisme ndif. En fait, sur ce point, Anscombre et Ducrot me semblent vouloir prendre au mot Fauconnier (1976b: 25sv.): celui-ci prend la precaution d’intro- duire le mot ‘substance’ entre des guillemets, et l’utilise ensuite dans des

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B. de Cornulier / SW I’expression restrictive de la quantitk 671

paraphrases oh on peut ne voir qu’une man&e commode de parler; le mot est absent du passage (p. 23-24) ou il annonce le ‘modele’ correspondant a sa ‘generalisation’. L’objection, sur ce point, me semble un peu verser dans la caricature.

(A propos de reproches en ‘isme’: quoique defendant le minimalisme, je ne me sens pas concerne par l’affirmation d’Anscombre et Ducrot (1983: 24) selon qui c’est ‘l’esprit du positivisme’ qui pousserait certains a chercher dans le contenu ‘informationnel’ des tnoncts ce qu’Anscombre et Ducrot trouvent dans leur structure argumentative primitive; et je soupconne ce mot de positioisme d’avoir ici une valeur purement argumentative de reprobation).

Que reste-t-il, finalement, de la critique centrale du principe de l’analyse

minimaliste? Uniquement, me semble-t-il, sa justification finale: ‘On ne peut nier qu’au niveau informatif, aussi grand implique l’egalite et est incompatible avec la suptriorite; un minimaliste le nie-t-il? ‘On force malheureusement les

faits’. D’ou vient cette assurance? Vient-elle de l’intuition semantique du linguiste? J.C. Anscombre (1975: 14) estime qu’ ‘une premiere idee - et qui semble naturelle - est qu’un tel &once (Pierre est aussi grand que Jacques) est destine a annoncer une identite de taille ENTRE Pierre ET Jacques’; Anscombre (1975: 16) juge qu’ ‘il semble tout a fait conforme a l’intuition que le contenu informationnel commun (a l’enonct precedent et a Jacques est uussi grand que Pierre) soit l’egalitt de taille ENTRE Pierre ET Jacques’ [capitales miennes]; l’intuition d’Anscombre semble done etre que ces Cnonces expriment l’egalite entre la grandeur evaluee et la grandeur de reference [2]. 11 ne peut pas Ctre dans l’intention d’Anscombre et Ducrot de presenter cette ‘intuition’ comme un argument contre l’analyse minimaliste; en effet, d’une part, cette analyse implique dans son principe m&me (la derivation stmantique) la mise en question de nos ‘intuitions’; d’autre part, l’intuition dont il s’agit est sensible aux variations contextuelles; exemple: Si Pierre est uussi grand que Jacques,

nous en voulons bien duns notre equipe de basket; muis est-il uussi grand que Jacques? - Purdi! et lurgement. Si Jacques fait lm 80 et Pierre 2m, il peut &tre entendu qu’il est admis. On peut rassurer un timide par T’es uussi intelligent

que n’importe qui duns cette Salle!, ca n’implique pas que toutes les personnes dans la Salle ont le mCme degre d’intelligence les unes que les autres, ni que le timide nest pas plus intelligent que la plus bCte; comparer mulin comme tout

[2] L’intuition d’Anscombre et Ducrot peut s’autoriser de l’appellation traditionnelle, come&e par

Fauconnier, de comparatif d’egalite, mais le probltme est de savoir quoi est Cgal a quoi. La

definition de Fauconnier (1976b: 31) dont je me suis inspire, ne permet d’introduire l’kgalitd proprement dite que dam un dtveloppement de ce genre: Socrate a bu autant quillcibiade equivaut litteralement a: Quelque quantitt (maximale) Q(A) qu’ait bu Alcibiade, il existe une quantite Q(S) bue par Socrate telle que Q(S) = Q(A). Ceci n’est pas limitatif et le mot ‘maximal

lui-meme n’est pas indispensable. L’interpretation, a mes yeux inexacte, du comparatif d’egalitt comme signifiant simplement l’egalite entre la quantite de reference et la quantitt a tvaluer est

celle que formalise J.C. Milner (1973: 50 sv.; chapitre ‘Comparatives et relatives’).

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qui peut-Ctre pus plus malin que qui que ce soit si l’evaluation Ctait necessairement restrictive. L’affirmation d’Anscombre et Ducrot suivant laquelle ‘on ne peut pas nier’ que auk exprime une Cgalite reciproque, et on force les ‘faits’, ‘malheureusement’, si on le nie, doit done se fonder sur les contre-exemples qu’ils opposent a l’analyse minimaliste, et dont nous dis- cuterons maintenant.

4. Du ou des nombres d’ceufs qu’un gobeur peut gober

La premiere objection qu’Anscombre et Ducrot (1983: 68) adressent a l’analyse minimaliste des quantites est la suivante:

On remarquera en premier lieu que l’hypothitse minimaliste complique certaines descriptions, par

exemple celle des interrogations. Ainsi, comment interpreter la question:

A. Quelle quantitk Pierre a-t -il bue?

Si avoir bu une certaine quantite x, c’est avoir bu ou WJWS x, il semble inevitable de comprendre

A comme Quelle quantit6 Pierre a-t -il au mains bue? Mais le singulier du mot quantite est alors

illogique: si Pierre a bu au moins x, on doit dire a fortiori, pour toute quantite x’ inferieure ou

&ale a x, que Pierre a bu au moins x’. I1 y a done une infinite de quantit.5 que Pierre a au moins

bues, meme s’il n’a bu qu’une seule fois. La seule question raisonnable, dans le cadre minimaliste,

est celle qui recourrait au pluriel:

B. Quelles quantitk Pierre a -t-ii hues?

Une fois admise cette consequence, (au moins) dew problemes apparaissent:

(a) 11 faut expliquer pourquoi B n’est pas utilise, si Pierre n’a bu qu’une fois, alors qu’il est, du

point de we des tchelles implicatives ( = la signification minimale), le seul enonce ‘logique’. Bien

plus, il serait inintelligible, dans cette situation, a qui n’a pas lu Gilles Fauconnier.

(b) Meme si on admet cet ‘illogisme’ de la langue, il reste a expliquer la genese de la phrase

interrogative au singulier. I1 faudrait imaginer un processus comme le suivant (. ).

Suit une explication, imaginee par Anscombre et Ducrot, et dont le caractere assez invraisemblable discrkdite a leurs yeux l’analyse minimaliste, en montrant qu’elle implique des consequences absurdes.

Cette objection peut se transposer integralement avec des exemples de denombrement d’objets par des nombres entiers: par exemple, pour simplifier la discussion, on peut remplacer A et B sans rien changer au probleme par:

A’. Quel nombre d’ceufs Pierre a-t-i1 gob&? B’. Quels nombres d’ceufs Pierre a-t-i1 gob&?

et ceci, bien sfir, en negligeant le probleme, ici accessoire, lie au fait que le

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B. de Cornulier / SW l’expression restrictive de la quantit; 613

pluriel (gob&, awfs, nombres) pourrait faire presupposer un nombre superieur a (1). Or considerons les exemples suivants, en imaginant une kermesse ob Pierre, participant au Grand Contours de Gobage d’Oeufs, en a gobes ni plus ni moins que cinquante:

(1) Article 3 du Reglement du Contours: ‘Si vous avez gobe un certain nombre d’aeufs, a savoir 13, vous avez droit au titre de Grand Gobeur.

(2) ‘50’ est le nombre d’oeufs que Pierre a gob& (ou: tel est le nombre . . .). (3) ‘12’ est un (ou: le) nombre d’ceufs que Pierre a gob&. (4) ‘50’, ‘49’, ‘48’ (et cetera . . .) sont les (ou: des) nombres d’oeufs que Pierre a

gob&.

L’CnoncC (2) apparait comme vrai et parfaitement grammatical; et on peut comprendre qu’en vertu de (1) (‘article 3’) Pierre a droit au titre de Grand Gobeur. C’est done qu’on comprend d’une part, dans (2) que ‘50’ est le nombre d’ceufs qu’il a gob&, et d’autre part, dans (1) que ‘13’ est ‘un nombre’ d’ceufs qu’il a gob&. Pourtant, au sujet de Pierre, les Cnonces (3) et (4) paraissent franchement bizarres. Cette observation me suffirait, mais suppo- sons encore cette information:

(5) L’article 2 du Reglement du Contours dit que si on a gobe un certain nombre d’aeufs, a savoir 36, on gagne un quadruple cornet de frites a l’armoricaine.

On peut comprendre que Pierre, gobeur de 50 oeufs, a droit au quadruple cornet; pourtant, il serait bizarre [3] de dire l’une des chases suivantes:

(6) ‘36’ et ‘50’ sont des nombres d’aeufs que Pierre a gob&. (7) Pierre a gobe certains nombres d’oeufs, a savoir (ou: notamment) 36 et 50.

Mon propos ici n’est pas debrouiller ce petit puzzle: il est plutbt de montrer que le type d’illogisme ob Anscombre et Ducrot voient uniquement une consequence (inacceptable) de l’analyse minimaliste telle qu’ils l’entendent existe indtpendamment de cette analyse, dans la langue; et que si la seule explication qu’ils envisagent leur parait absurde, c’est qu’il doit en exister une meilleure. Jusqu’a plus ample informe, le probleme qu’ils soulevent ne con- stitue done pas en soi un argument en faveur d’une analyse non-minimaliste.

A propos de ce probleme, remarquons seulement qu’une explication devrait

[3] Une tournure de phrase telle que ‘Socrate a bu les memes quantitks qu’Alcibiade’ est

effectivement employ&e, dans sa discussion, par Gilles Fauconnier; elle ressemble ti mes exemples

6 et 7, mais elle apparait prCcisCment au sein d’un expod de la thkie minimaliste, contexte

exceptionnellement favorable.

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sans dome tenir compte du fait que l’article defini, dans l’expression le nombre, et le determinant quelle au singulier, favorisent un presuppose d’unicite du ‘nombre’ ou de la ‘quantitC’ dans A et B; et que s’il est un nombre caracteristique par rapport a l’idee que Jules a gobe 3 ceufs, c’est bien le nombre 3 lui-m&me (un nombre superieur serait douteux; un nombre inferieur ne distinguerait pas Jules de ceux qui ont moins bien gobe); il est done nature1 que l’expression definie le nombre tende a dtfinir le nombre maximum pour une certaine propriete. Un autre facteur qui pourrait jouer, me signale Robert Martin, est le fait que selon le contexte l’expression nombre de N peut fonctionner ou non comme quantificateur.

Nous rencontrons ici un autre argument d’Anscombre et Ducrot contre l’analyse minimaliste et en faveur de l’analyse ‘argumentativiste’ (1983: 68-69):

II nous semble que la conception minimaliste permet ma1 d’expliquer certaines oppositions

hnguistiques, notamment l’opposition entre:

X. Socrate a bu autant qu’Alcibiade.

Y. Socrate a bu la m6me quantitt qu’Alcibiade.

(structures que nous nous sommes efforces d’opposer radicalement, en comparant les argumenta- tions possibles a partir de a est auk grand que b et n a la m.Zme taille que b).

Avant de ‘s’efforcer d’opposer radicalement ces structures’ pour justifier l’as- signation de valeurs argumentatives radicales opposees, il conviendrait de verifier que ces structures ne s’opposent pas sur le plan semantique ‘infor- mationnel’; plutot que de proceder a cette verification, Anscombre et Ducrot me semblent presupposer l’equivalence semantique necessitee par leur argu- ment. Cette equivalence, sur un plan ‘radical’, me parait douteuse, et la definition que j’ai proposke de autant que au paragraphe 2, dans l’esprit de Fauconnier, n’a aucune raison d’etre appliquee a priori a la mPme quantitt? que; il suffit de relever cette incertitude pour &carter l’objection d’Anscombre et Ducrot sur ce point. Notons seulement qu’une analyse stmantique soigneuse de la mCme quantitt que, sans doute trb delicate a faire, devrait tenir compte du role que joue dans cette expression l’article defini [4].

5. L’interpktation maximale de la quantitb de rkfkrence

Dans l’enoncd F:

F. Socrate a but autant qu’Alcibiade.

on compare une quantitt bue par Socrate a une quantite bue par Alcibiade. Or, objectent Anscombre et Ducrot (1983: 69), si la quantite attribuke par autant h

[4] L’insertion de lurgement me semble, a premiere vue et hors contexte, plus naturelle dans Pierre a (largement) autant de cheveux que Marie que dans Pierre a (largemen?) le msrne nombre de cheueux que Marie.

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B. de Cornulier / Sur I’expression restrictive de la quantitb 675

Socrate s’interprete minimalement, c’est-a-dire, si on admet l’analyse minima- liste des expressions en autant, ‘il faut, dans F, appliquer cette regle a la fois a ce qu’a bu Alcibiade et a ce qu’a bu Socrate’; le sens serait done, non pas Socrate a bu au moins la quantitk maximum bue par Alcibiade, mais Socrate a bu au moins une quantitt bue (au moins) par Alcibiade; supposons qu’Alcibiade ait descendu 5 litres de Vieux Papes; il a done a fortiori bu (au moins) une goutte de Vieux Papes; et ainsi on pourrait dire qu’il suffit de boire une goutte pour ‘avoir bu au moins autant qu’Alcibiade’ qui a bu 5 litres; mais on ne peut pas l’entendre ainsi; done l’analyse minimaliste est incorrecte. On montre ensuite qu’elle ne peut pas se sortir Clegamment de cette ‘difficulk’.

Mais cette difficult6 decoule uniquement de l’exigence formulte au depart de l’objection: ‘il FAUT appliquer cette regle a la fois a ce qu’a bu Alcibiade et a ce qu’a bu Socrate’ [capitales miennes]. Cette exigence me semble Ctre l’application d’un principe du genre suivant: ‘Si deux expressions de quantite sont correlees au sein d’une m&me Cnonciation, et que l’une s’interprete minimalement et sans effet discursif de restriction, l’autre doit, de m&me, s’interpreter minimalement et sans effet de restriction’. Ce principe d’une severe Cgalite - appelons-le Principe de la Niveleuse - qu’on envoie faire des ravages chez les minimalistes ne me parait se motiver que dans la mesure ou les expressions correlees, auxquelles on veut faire subir exactement le m&me traitement tant au niveau fondamental qu’au niveau du discours, sont exacte- ment paralleles sous tous rapports. Tel n’est pas le cas dans une comparaison ordinaire [5]: dire que ‘Socrate a bu autant qu’Alcibiade’, c’est fondamentale- ment mesurer une quantitt h haher (celle qu’a bu Socrate) par rapport a une quantitk de rkf&ence (celle qu’a bu Alcibiade). Cette dissymetrie justifie large- ment une analyse specifique de l’un et l’autre terme de la comparaison, ne serait-ce qu’au niveau du discours; Anscombre et Ducrot eux-m&mes attribuent aux deux termes de la comparaison des valeurs argumentatives et thematiques differentes, voire oppodes. Cette dissymetrie fondamentale justifie largement une analyse specifique de l’un et l’autre terme, ne serait-ce qu’au niveau du discours: or il se trouve - c’est ce que montre l’objection - que S a bu autant

que A n’a de sens qu’en supposant qu’il s’agit de la quantite maximale bue par A; c’est une bonne raison pour l’entendre ainsi; et si cette raison, propre a la quantitt de reference, implique qu’on l’interprete d’une man&e restrictive, pourquoi serait-il obligatoire d’appliquer come que cotite l’interpretation re- strictive a la quantite a Cvaluer?

L’objection n’oblige done qu’a choisir entre l’analyse minimaliste et le Principe de la Niveleuse, dont la rigueur sans nuance n’a, semble-t-il, jamais CtC justifiee.

[5] Cependant la rkiprocitt inhkrente L la comparaison (dire que Socrate est aussi saoul qu’Alcibiade implique qu’ Alcibiade n’est ‘pas plus saoul que Socrate’) entraine parfois des effets rttroactifs, dont j’ktudie quelques exemples dans Cornulier (1984).

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6. L’analyse thkmatique selon Anscombre et Ducrot

Pour ‘sauver’ l’analyse minimaliste du peril que nous venons de voir, Anscombre et Ducrot (1983: 70, 76-77) indiquent la marche a suivre, non sans avertir qu’elle sera ‘lourde de consequences’; il faudrait notamment supposer ce qu’on appellera le postulat Theme = Sujet:

Postulat “Thkme = Sujef”: Le comparatif d’CgalitC (autant, oussi que) impose que le theme soit

don& par le sujet grammatical (Socrate, dans Socrate a bu autant quillcibiade).

D’autre part, Anscombre et Ducrot (1983: 77) attribuent a Fauconnier une ‘ version contextuelle du minimalisme’ dont ils estiment qu’elle s’impose a tous les minimalistes, et qui comporterait l’hypothese suivante:

Hypothke de minimalisaiion du thke: “La minimalisation tient k ce qu’en attribuant B la personne

prise pour thitme la quantitk de taille de l’ttalon, on n’exclut pas qu’elle posskde une quantitk de

taille suptrieure”.

Autrement dit, l’analyse minimaliste, qui est censee n’etre applicable qu’au ‘theme’, se sauverait du peril en postulant que le theme est toujours identique au sujet grammatical.

Mais cette planche de salut, a peine offerte aux partisans de l’analyse minimaliste, leur est aussitot retiree: ‘L’CnoncC avec autant n’est pas neces- sairement thematise sur le sujet grammatical; c’est ce qui rend possible une figure argumentative dont nous avons souvent park Alcibiade n’est pas bien fort: Socrate a bu autant que lui ‘; Anscombre et Ducrot observent que dans ce contexte, comme en temoigne la possibilite d’inserer m&me devant Socrate, le mot Alcibiade, quoique non sujet grammatical de la comparaison, en est be1 et bien theme: c’est pour parler d’Alcibiade, montrer sa faiblesse, qu’on lui compare Socrate. Ce point est indiscutable.

L’analyse minimaliste ne me parait pas condamnee pour autant, et ceci pour deux raisons dont chacune serait suffisante.

(1) Jean-Claude Anscombre et Oswald Ducrot presupposent ici une theorie de la perspective thematique particulibement rigide, dans laquelle une expres- sion pourrait etre ou bien ‘theme’, ou bien propos (ou ‘foyer’, selon la terminologie), mais pas les deux. Or pour des raisons independantes du present debat, j’ai propose ailleurs (1979: 63) de renoncer a la traditionnelle dichoto- mie absolue et exclusive entre theme et foyer: ‘Un element du discours n’est pas theme (ou foyer) en soi; il l’est par rapport a une perspective determinee; et de ce fait, les perspectives pouvant etre multiples, la dichotomie d’une Cnonciation en thkme et foyer peut Ctre insuffisante. Par exemple dans un r&it du genre: Les horions pleuvaient. C’est alors qu’klevant tout h coup sa voix d&espMe la DProute apparut . . . ‘. Le mot alors est toujours thematique, d’oh notamment la bizarrerie du dialogue: Quand mourut-il? - Alors; il apparait

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B. de Cornulier / SW l’expression resrricrive de la quanritk 611

pourtant ici enchbd dans c’est . . . que, qui lui confkre une valeur de foyer; il est done theme ET foyer, suivant deux perspectives de pertinence distinctes Cvoqukes dans l’article que je me fais l’honneur de me-titer. 11 faut done dkfinir le domaine par rapport auquel une expression peut Ctre qualifike de theme ou de foyer. Socrute peut Ctre theme, non dans l’absolu, mais relativement au domaine restreint correspondant B la seule phrase dont il est sujet, Socrate a bu autant que lui; ceci n’empkhe pas Alcibiade d’Ctre la personne dont on parle principalement -. ‘thtme’, si on veut - dans le domaine plus vaste de la suite Alcibiade n’est pus bien fort: Socrate a bu autant que lui; ainsi lui, complement dans la seconde phrase, peut Ctre, en un sens, qualifik de ‘thkmatique par rapport B l’ensemble des deux phrases. Cette conception pluraliste et en l’occurrence, hikrarchique, de la perspective thkmatique n’est pas particulikre- ment anti-intuitive, elle est implicite dans un commentaire aussi banal que celui-ci: ‘On parle de Socrate pour parler d ‘Alcibiade’; tout simplement, les centres d’intCrCt ou de pertinence d’un discours peuvent se subordonner les uns aux autres. Ce point de vue jamais rCfutC (mCme si on prtsuppose souvent son contraire) permet d’imaginer que, selon le contexte, le dernier mot de Socrute a

bu autant qu’Alcibiade soit ‘thitme’ B quelque Cgard sans empkher Socrate d’Ctre, aussi, thbme g quelque Cgard (cf. [4] ci-dessus). Or l’objection discutke prksuppose une telle exclusion.

(2) Dew&me raison de rejeter l’objection. Le danger dont l’analyse thCma- tique proposke par Anscombre et Ducrot est censk (ne pas) sauver l’analyse thtmatique est imaginaire. D’abord parce que, comme nous l’avons vu au paragraphe 4, il prksuppose un Principe de la Niveleuse non moins douteux qu’impitoyable. Mais surtout parce que 1’Hypothke de Minimalisation du ThPme dont l’objection fait la base de l’analyse minimaliste est le contraire mCme du minimalisme. Un commentaire s’impose pour dissiper le malentendu: dans l’esprit d’Anscombre et Ducrot, le mot ‘minimalisation’ (qui du reste n’apparait pas dans Fauconnier (1976b)) dksigne un effet de sens au niveau du discours, 1’ ‘effet de minimalisation’ (1983: 56); et cet effet serait celui qui convertit la signification lit&ale de aussi (CgalitC rkiproque) en une significa- tion diffkrente (CgalitC-rkciproque-ou-SupQiorioritC). Ce que dit 1’Hypothbe de Minimalisation du Theme, c’est que cet effet n’est applicable qu’au theme. Les minimalistes devraient croire tout cela. D’oti les ‘lourdes constquences’ signalkes par Anscombre et Ducrot. Or toute cette presentation du minima- lisme n’est qu’un prolongement du malentendu que j’ai essay6 d’klaircir et de dissiper au paragraphe 2: les minimalistes, et en tout cas pas Fauconnier (1976b) ni moi, n’ont pas B croire que la minimalisation concerne le theme, parce qu’ils ne croient pas ?I la minimalisation; et ils n’y croient pas parce que, niant ce qu’Anscombre et Ducrot (1983: 26) croient qu‘on ne peut nier’, ils ne croient pas que la signification lit&ale de aussi soit l’Pgufit6 rkiproque, et croient qu’elle est d’emblke non-limitative; minimale d’emblk, elle ne nkcessite aucun ‘effet de minimalisation’.

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678 B. de Corm&v / SW l’expression restrictive de la quantith

Le probleme que posent Anscombre et Ducrot ne se pose done pas pour les minimalistes.

7. Voyages durant 21 jours et 45 au plus

Comparons ces deux exemples, differents par la seule insertion de au moins:

G. Pour un voyage qui dure 21 jours et 45 au plus, vous pouvez beneficier du tarif APEX.

G’. Pour un voyage qui dure 21 jours au moins et 45 jours au plus, vous pouvez beneficier du tarif APEX.

L’enond G, et lui seul, parait bizarre, parce qu’en l’absence de au moins l’interpretation restrictive tend a s’imposer dans qui dure 21 jours, et qu’ici l’idee de voyages qui durent ‘21 jours exactement et 45 au plus’ parait conflictuelle. D’ou cette objection a l’analyse minimaliste:

I1 faudrait admettre, dam le cas de G, une application automatique - et non pas facultative - de la

loi d’Exhaustivitt (. .). Cette tkessite de donner a l’Exhaustivit8 un caractere automatique, non

motive, apparait particulibement dans I’exemple choisi. En effet:

- La loi d’ExhaustivitB devrait s’appliquer a un membre de phrase (la relative qui dure 21

jours), done a une entite linguistique qui ne fait pas, en tant que telle, I’objet dune enonciation.

Comment parler encore, dans ces conditions, de Loi de discours? _ Cette application devrait se faire malgrt un contexte linguistique tout a fait defavorable a la

lecture exhaustive, et qui favorise au contraire le sens durer au mains 21 jours, fondamental selon l’hypothese minimaliste; ce dernier sens est en effet le seul qui justifie I’indication complementaire

45 jours au plus.

Or, si l’application de la loi d’Exhaustivitt dans G est non pas d&clench&e par des circonstances

particulieres, mais automatique, pourquoi postuler pour cette phrase une valeur fondamentale

condam& d’avance a disparahre? (Anscombre et Ducrot (1983: 71))

Le contenu de la premiere partie de l’objection est indiscutable, et j’ai deja fait les reserves qui s’imposaient sur une conception rigide et cloisonnte des interpretations restrictives (paragraphe 1); mais on peut ne pas parler de ‘loi de discours’, et conserver l’hypothbe minimaliste. Le point spkcifique de cet excellent exemple est qu’en effet une interpretation restrictive tend a s’imposer malgrt une justification contextuelle contraire. Mais le probleme effectivement souleve est moins grave que ne la&se entendre l’objection; car, puisqu’il est aise de trouver des contextes ou qui durent 21 jours admet une interpretation minimale, il est necessairement faux que l’application dun effet de sens restrictif ne soit PAS d&clench&e dans G ‘par des circonstances particulieres’; cet effet de sens est necessairement declenche par des proprietts particulieres du contexte, autres, bien stir, que celle qui joue en sens contraire, et dont l’objection presuppose qu’elle est l’unique particular-it6 de ce contexte. Or, a G, comparons N et I:

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B. de Cornulier / SW l’expression resiriciive de la quantith 619

H. Pour que la croisiere puisse btneficier de l’assurance COMACO, il faut qu’elle dure 21 jours, mais pas plus de 60.

I. Pour &tre admis dans la SociCtC ‘Z’, il faut avoir 21 ans, et pas plus de 40.

L’exemple H me parait, sinon le plus nature1 possible, du moins sensiblement moins choquant que G, auquel il ressemble pas mal; l’exemple I me parait assez aisement comprehensible. Ainsi, lorsqu’on fait varier, justement, les ‘circonstances particulihes’ du contexte, on fait varier la pression en faveur de l’interpretation restrictive ou de l’interpretation minimale. Avant de voir dans cet ensemble d’exemples une objection contre l’analyse minimaliste, il faudrait Clucider les facteurs de cette variation.

Attardons-nous pourtant sur ces exemples. Dans ooyage qui dure 21 jours et

45 au plus (G), l’interpretation de ‘45’ est-elle minimale, ou restrictive. A premiere vue, on la croirait restrictive, puisque c’est au plus; mais cette restriction apportee par au plus, est-elle DANS la signification de qui durent 45

(jours)? 11 me semble que au plus ne peut sensement qualifier qu’une borne superieure: durer au plus ‘au moins 45 jours’ ne serait pas durer au plus un maximum de 45 jours; un minimum maximal n’est pas un maximum; au contraire, l’interpretation restrictive de ‘45’ fournit une combinaison satisfai- Sante: on nous dit qu’une durte dont la mesure tot&e est de 45 jours est une duke maximale. Un peu d’attention me semble done faire deviner que malgre l’apparence contextuelle globale, dans l’exemple object6 par Anscombre et Ducrot, la loi d’Exhaustivite, ou ce qui en tient lieu, s’applique a l’interpreta- tion de la seconde indication quantitative. C’est le moment ou jamais de faire jouer le Principe de la Niveleuse d’Anscombre et Ducrot (cf. paragraphe 4 ci-dessus); puisqu’ils appliquent ce principe a des expressions quantitatives entre lesquelles la structure comparative instaure une dissymetrie radicale, a plus forte raison doivent-ils l’appliquer a G, oh les expressions quantitatives ne sont pas likes par le dissymetrique uutunt que, mais par le symetrique et; en vertu de ce principe, ‘45’ s’interprttant d’une man&e restrictive, ‘21’, qui lui est lie par et, devrait aussi s’interprtter d’une manibre restrictive; m&me l’adjonction de au plus A ‘45’ ne fait que renforcer le parallelisme en ce sens. En faveur dune telle analyse [6] (meme nuancke) joue le fait que H et I, ou une virgule et surtout muis creusent une leg&e dissymttrie ou distance entre les expressions quantitatives, le parallelisme restrictif est sensiblement moins pregnant.

La encore, le probleme, assurement delicat, souleve par Anscombre et Ducrot, ne me parait pas constituer en soi une objection contre l’analyse minimaliste.

[6] Ceci dit, on pourrait imaginer une interprktation IittCralement limitative de durer n jours,

analogue g la deuxikme definition de coirter par Anscombre et Ducrot (cf. paragraphe 8 ci-dessous), et que je n’ai aucune raison ?I priori de refuser.

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680 B. de Cornulier / SW I’expression restricfiue de la quantiti

8. Ni ‘argumentativiste’, ni ‘minimaliste’!

Admettons qu’une somme de 15 F contient ‘logiquement’ une somme de 10 F: ‘cela ne nous apprend rien sur les predicats LINGUISTIQUES cotter 10 F et coirter 1.5 F ‘, observent justement Anscombre et Ducrot (1983: 73); ils s’expli- quent ainsi en note:

Admettons qu’une somme de 15 F contienne une somme de 10 F. Pour en tirer I’implication X c&e 15 F - X c&e 10 F, il faudrait supposer en outre: X coiite Y = (par dkfinition) II faut

dormer Y pour auoir X L’implication disparait en revanche avec une definition du type: X coirte Y = (par definition) II est ndcessnire et suffiisant de dormer Y pour avow X.

Ceci se comprend aisement dans la theorie ‘implicative’ de Gilles Fauconnier, en supposant pour donner n francs ou donner n F une definition ‘existentielle’ de ce genre: Z donne n francs = Existe n F, Z donne F (oti F est une variable correspondant aux francs), cf. paragraphe 4 ci-dessus. Les deux definitions de coitter imagines par Jean-Claude Anscombre et Oswald Ducrot reviennent alors, pour X coiite n francs h Z, h ceci:

DGfinition 1: ‘X cotite n francs a Z’ = 11 est necessaire que (Existe n F, Z

donne F) pour que Z ait X. Dgfinition 2: ‘X coute n francs a Z’ = 11 est necessaire et suffisant que (Existe n F, Z donne F) pour que Z ait X.

Or le schema Existe n F, Z donne F est logiquement associe a une Cchelle implicative au sens de Fauconnier: s’il est vrai pour un nombre n quelconque, il est vrai pour tout nombre inferieur. D’autre part, si une proposition P implique une proposition Q, il s’ensuit naturellement que I1 est nCcessaire que P implique II est nbcessaire que Q, et par contre il ne s’ensuit pas que II est nkessaire et suffisant que P implique II est nkessaire et suffisant que Q (parce que suffisant renverse le sens de l’implication que conservait ntcessaire). Ainsi, moyennant les deux definitions que nous venons d’imaginer (en conformite avec celles d’Anscombre et Ducrot) pour le sens de coitter, la theorie implica- tive prevoit que X coitte 1.5 F implique X cokte 10 F dans un sens du verbe coitter, et pas dans l’autre.

Qu’en conclure? D’abord, il faut accorder a Anscombre et Ducrot qu’une proposition

contenant une expression quantitative n’est associee a une Cchelle implicative que si son sens s’y p&e; il depend du sens du verbe coitter que Cu cokte 15 F implique, ou n’implique pas, Cu coirte 10 F. Loin d’exclure ce principe, la theorie implicative de Fauconnier n’en est qu’un developpement, et ses applica- tions les plus ‘spectaculaires’ a mes yeux sont de celles dont Anscombre et

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B. de Comulier / SW l’expressron restrrctiue de la quantit? 681

Ducrot (1983: 74) previennent: ‘Now ne discuterons pas ici de ces autres faits’; elles concernent la distribution des expressions dites polarisees notam- ment dans les questions totales (Fauconnier (1979, 1980)).

Mais faut-il aussi conclure que l’analyse minimaliste est refutte? Ca depend de ce a quoi on l’applique. A cet Cgard, quelques formules de Fauconnier (1976b) me semblent preter le flanc a la critique par leur caractere g&&al, precisement parce qu’elles peuvent sembler ne pas tenir compte du principe contextuel de la theorie implicative. Ainsi: ‘La valeur de aussi est en definitive

au moins 4gal ( . . .) en vertu du fait que l’expression aussi que . . exprime une quantite tout comme dix-huit am, lm90, 600 kilos, dans (tels) exemples’; on risque de comprendre, en lisant ceci, qu’il suffit qu’une expression exprime une quantite, pour qu’elle ait une valeur non-restrictive par rapport a cette quantite; un tel ‘Minimalisme’ universe1 n’a jamais CtC justifie, et le choix m&me des exemples de Fauconnier ne me semble pas montrer qu’il y croie. Autre formule pouvant preter a confusion: ‘Les Cchelles de quantite sont toutes structurkes de la mCme facon, si bien qu’avoir 25 ans c’est en avoir 18’,

etc. (Fauconnier 1976b: 33); un lecteur distrait peut comprendre que toutes les expressions de quantitt sont structurk de la mCme facon, mais il s’agit ici plus precisement des Cchelles de quantite; les travaux de Fauconnier Gent a

montrer l’importance d’echelles implicatives dans la langue, mais a ma con- naissance ils ne visent pas a montrer qu’il n’en existe pas de differentes. On peut tres bien penser que la signification fondamentale de X a 3 enfunts

implique la signification fondamentale de X a 2 enfunts sans se croire oblige a priori de penser qu’il en va de mCme pour les propositions Ii est 3 heures et II est 2 heures considerees globalement. L’existence d’importantes classes

d’enonces quantitatifs fondamentalement non-restrictifs n’exclut pas l’ex- istence d’enonces fondamentalement restrictifs. Entre le ‘Minimalisme’ uni- verse1 - defendu peut-&tre par personne - et un Restrictivisme universe1 non moins aventureux, il ya place pour un ‘minimalisme’ circonstancie.

Considerons maintenant cette critique d’Anscombre et Ducrot (1983: 75) contre la theorie implicative:

Dune facon g&r&ale, now avow l’impression que les implications en question sont avant tout un “ true” de logicien, permettant que la negation logique, appliqued a la representation logique dune

phrase, ait le m&me effet que la negation (descriptive) de la langue, appliquke a cette phrase. Un

exemple classique de ce procede. En disant qu’un certain comportement n’est pas facultatif, on

n’envisage pas la possibilite qu’il soit interdit; on le presente au contraire comme obligatoire. Pour

rendre compte d’un tel fait, on pose habituellement que l’interdiction implique la facultativite, qui

serait (dans la terminologie du ‘carre logique’) un subalteme. Rien certes n‘interdit cette

manoeuvre, a condition de voir que c’en est une. Mais nous en preferons une autre. Nos hypotheses

gentrales sur l’argumentation conduisent a admettre une tchelle oh l’interdiction est au-dessus de la facultativite, echelle orient&e vers la dissuasion (alors que permission et obligation sont sur une tchelle inverse, orient&e vers l’incitation): declarer une action facultative, c’est donner une raison

de ne pas la faire, raison que l’on peut bien skr, comme tout argument, qualifier ensuite d’insuffisante. Pour dire cela, nous nous appuyons sur l’emploi de mais dans des phrases comme:

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682 B. de Cornulier / SW I’expression restrictioe de la quantitP

C’est facultatif; mais tu as intPrc?t 6 le faire. Nous nous appuyons aussi SW I’effet paradoxal obtenu

en substituant ici et g mais, cm en disant: F&-/e: c’est facultatif: A quoi s’ajoute encore le fait que

les augmentatifs (C’est absolument facultatif) insistent sur la possibilitiquek de ne pas faire I’action,

non SW celle de la faire.

Les exemples choisis montrent bien que X est interdit n’implique pas X est

fucultatif. On en conclura avec Anscombre et Ducrot que l’analyse minimaliste ne doit pas &tre appliquee a la relation entre ces deux mots; mais non pas que ce ‘true de logicien’, ce ‘pro&de’, est incorrect a quelque expression francaise qu’on l’applique.

Du reste, je ne vois pas pourquoi il faudrait tomber du Minimalisme universe1 dans une espece d’Argumentativisme universel. Comparons en effet:

A. En Egypte ancienne, le viol incestueux Ctait obligatoire; dans notre France moderne, loin d’etre obligatoire, il est (meme) interdit.

B. En Egypte ancienne, le viol incestueux Ctait obligatoire; dans notre France moderne, loin d’etre obligatoire, il est facultatif, et m&me interdit.

11 parait bizarre de presenter dans B le viol incestueux comme ‘facultatif, et mCme interdit’; pourtant 1’ ‘Cchelle orientee vers la dissuasion’ ou Anscombre et Ducrot alignent le ‘facultatif’ et 1’ ‘ interdit’ n’exclut pas cette formule. Je proposerais done une analyse differente, tenant, en premiere approche, dans une definition de ce genre: X est facultatif signifie ‘X n’est pas obligatoire’ et presuppose ‘X est permis’. La bizarrerie de B tient a ce que le viol incestueux, qualifie d’interdit en France, y est presuppose permis. Les potentialites argumentatives de fucultatif d&ekes par Anscombre et Ducrot sont de simples consequences de cette definition non ascriptiviste: C’est facultatif, mais tu as intt+Pt h le faire est nature1 au m&me titre que Ce n’est pas obligatoire, mais tu

as int%t ~5 le faire; la conjonction et est moins naturelle que mais dans la premiere suite parce qu’il en est de meme dans la seconde; Fais-le: c’est

fucultatif est curieux parce que Fuis-le: ce n’est pas obligatoire l’est aussi; dans tous ces exemples la pertinence argumentative de fucultatif decoule clairement de son sens. L’ ‘Cchelle argumentative’ fondamentale qu’Anscombre et Ducrot sont ‘conduits a admettre’ par leurs ‘hypotheses g&r&ales sur l’argumentation’ n’est done pas ici justifiee. Une simple definition de type classique fait l’affaire. Je crois mCme qu’on peut la rendre plus exacte, et cela en la simplifiant, en renongant a y distinguer le ‘presuppose’ du ‘pose’: supposons en effet une definition de ce genre: facultatif = ‘qui fait l’objet d’une permission de ne pas’; par exemple, qualifier un art-et de bus de ‘facultatif’ est signifier qu’il fait l’objet dune permission de ne pas s’arreter; une telle permission n’aurait aucune raison d’etre, si l’arret Ctait par principe general interdit; il faut plutot supposer qu’il est plutot en general permis ou m&me obligatoire; d’ou la

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B. de Cornulier / SW I’expression restrictive de la quantitk 683

‘presupposition’ de la definition precctdente [7]. En critiquant le minimalisme, Anscombre et Ducrot (1983; 54) se proposent

‘non certes d’eliminer, mais de reglementer’ l’usage des ‘lois du discours’; leur exemple de cotter suggere en effet cette regle, qu’avant de poser une Cchelle implicative entre des expressions, on essaie de les definir. Mais l’exemple de fucultatif montre qu’il serait sage d’appliquer aussi cette regle aux Cchelles argumentatives primitives.

9. Cas de nbgation minorante sans valeur positive minimale

Rappelons que l’analyse minimaliste explique la negation ‘minorante’ (Je n’ui pas 18 am au sens de J’ai MOINS de 18 am) par la valeur minimale de l’expression sans negation (Si j’avais 18 ans au sens de Si j’avais 18 ans au

moins), alors que cette correlation necessite chez Anscombre et Ducrot le recours a une ‘loi d’Abaissement’ purement argumentative. Anscombre et Ducrot opposent done a l’analyse minimaliste des exemples de negation minorante qui ne semblent pas correspondre a une valeur positive minimale. Ainsi :

Supposons raisonnable de conclure de II a bu 4 Iitre B II a bu $ de litre - sow pretexte qu’il y a,

dam le dtroulement du processus “bone f litre”, un instant ol est realist le processus “boire f de

litre”. 11 faut remarquer cependant que le passe compose francais a pour fonction non seulement

de relater un processus, mais aussi d’indiquer l’etat present qui en resulte (aspect accompli): avoir bu x = se trouver dam 18tat de quelqu’un qui a bu x. Dans ce cas, l’implication de la quantite

superieure a I’inferieure n’a plus de justification, ce qui n’empkhe en rien I’effet d’abaissement

[ = la negative exprime une quantite inferieure]: accuse d’&tre en Ctat d’ivresse, quelqu’un se

defendra en disant qu’il n’a pas bu !, de litre.

D’une facon &n&ale, nous avons l’impression que les implications en question sont avant tout

un “true” de logicien, permettant que la negation logique, appliquke a la representation logique

d’une phrase, ait le mdme effet que la negation (descriptive) de la langue, applique a cette phrase.

(Ascombre et Ducrot (1983: 74))

Ecartons d’abord un trait de caricature: le ‘pretexte’ p&e aux minimalistes, suivant lequel avoir bu f Iitre impliquerait avoir bu f de litre parce qu’ ‘il y a un instant ou est realise le processus boire f de he’, pretexte en effet ridicule,

[7] Cette definition permet de rapprocher le sens actuel de facultatif de celui, ignore des

dictionnaires francais, qu’a encore parfois ce mot par exemple chez A. Comte: ‘qui est permis’. Le

passage du sens de ‘permis (de faire)’ a celui de ‘permis (de ne pas faire)’ est analogue a celui qu’a opCrC le mot dispense du sens classique de ‘permission (de faire)’ a c&i, modeme, de ‘permission

(de ne pas faire)‘. Les dictionnaires francais se refilent, du LittrC au T.L.F., des definitions symetriques du type ‘qu’on a la possibihte de faire ou de ne pas faire’, dont une glose

argumentativiste a la Anscombre-Ducrot vient, en quelque sorte, compenser la symetrie. Mais le

plus simple est de corriger les definitions.

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684 B. de Cornulier / SW I’expressron restnctive de lo quontrti

n’est pas dans l’analyse minimaliste; cf. paragraphe 4 ci-dessus; si j’ai avale 3 couleuvres, j’en ai a fortiori avale 2 m&me si je les ai gobees dans la m&me gorgee. Passons a l’essentiel. Le contre-exemple ne souleve pas la moindre difficult6 si, accuse d’ivresse, quelqu’un replique Je n’ui pas bu f de litre, il peut (notamment) signifier selon une interpretation minimale de auoir bu f de

litre qu’il a bu moins d’$ de litre; Ctant entendu qu’il ne peut pas etre ivre pour si peu, il peut par la pretendre prouver qu’il ne peut pas Ctre ivre.

Oh done reside la force supposed de cette objection? J’imagine qu’Anscombre et Ducrot p&tent implicitement aux minimalistes un ‘raisonnement’ du genre suivant: puisque avoir bu f implique auoir bu f quand il s’agit seulement d’evaluer des quantites bues, avoir bu 4 implique avoir bu f m&me quand, par les quantites hues, on veut exprimer les Ctats qu’elles entrainent; autrement dit, Ztre dans l’etat de quelqu’un qui a bu (au moms) + devrait impliquer Etre dans I’etat de quelqu’un qui a bu (au moins) $. Ce raisonnement ne serait, bien Cvidement, qu’une gross&e faute de logique: de ce que X implique Y, il ne s’ensuit pas logiquement que, quel que soit f, f(X) implique f(Y); c’est notamment evident si f est la negation (cf. le role des ‘renversements d’echelle’ chez Fauconnier). Autrement dit, admettre une analyse minimaliste de l’inter- pretation purement quantitative de auoir bu x n’oblige pas a admettre la m&me analyse pour la signification globale Ptre duns I’ttat de quelqu’un qui a bu x, et l’analyse minimaliste de avoir bu x doit tout naturellement dependre du sens dans lequel on entend cette expression. Le ‘true de logicien’ qu’Anscombre et Ducrot pretent aux minimalistes me semble ici se reduire a une faute de logique dont les minimalistes ne leur disputeront pas la paternite.

Autre cas: selon Anscombre et Ducrot (1983: 74) Je n’etais pas lb depuis

deux heures se comprend toujours comme J’etais lb depuis moins de deux heures

(negation minorante), et cependant J’etais lb depuis quatre heures n’implique pas J’etais lb depuis deux heures (l’implication serait ‘particulibrement problematique’); done le ‘cotit de l’entreprise’ des minimalistes serait dissuasif. L’objection me semble reposer sur un Cchantillon insuffisant d’exemples hors- contexte. Supposez qu’on offre une Prime de Bonne Patience aux gens qui ont fait longtemps la queue a un guichet: Les personnes qui sont lb depuis deux heures ont droit & la Carte de Patient Supporteur; cela ne me semble pas forcement exclure celles qui sont la depuis deux jours; et on peut imaginer ce dialogue dans la queue: Est-ce que t’es I& depuis deux heures, tot? - Oui, et mCme depuis 4 heures; le oui suppose la valeur minimale. L’analyse minima- liste, cela va de soi, n’implique pas que l’interpretation non-restrictive soit independante du contexte, comme ce type d’objection parait le supposer.

Deux autres cas (Anscombre et Ducrot (1983: 74)): Le sommet de la Metje

n’atteint pas 4000 m., avec ‘negation descriptive’, ‘signifie toujours’ Le sommet de la Meije atteint moins de 4000 m., mais Le sommet de la Meije atteint 4500

m. parait exclure, et non impliquer, Le sommet de la Meije atteint 4000 m.

MCme chose avec Je (ne) roulais (pas) ir moms de 60 km/h. Admettons que

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B. de Cornulier / SW l’expression restrictrue de la quantiik 685

dans ces deux exemples la valeur minimale sans nkgation soit effectivement exclue en tout contexte (j’ai un 1Cger doute - qui m’importe peu - pour le seul second exemple). On peut uniquement en conclure que, sauf autres justifica- tions, il n’y a aucune raison d’appliquer l’analyse minimaliste h ces exemples. 11s n’ont force de contre-exemples que contre le ‘Minimal&me universel’, qui, il faut le conckder, n’a jamais CtC justifik.

10. Pour ou contre-exemples?

Anscombre (1975), et de nouveau Anscombre et Ducrot (1983: 24-25), oppo- sent h l’analyse minimaliste les contre-exemples suivants:

Pourquoi la suite:

A. Pierre est aussi grand que Marie, et Marie aussi grande que Pierre.

est-elle sentie comme ridiculement redondante, et la suite:

B. Pierre est aussi grand que Marie, mais Marie pas aussi grande que Pierre.

comme contradictoire? Si auk grand devait se comprendre comme >, le second membre de

phrase, dans chacune de ces suites, apporterait une information a la fois difftrente de celle donnke

par le premier, et compatible avec elle.

La question prksuppose comme tvident que A para”it ‘ridiculement redondant’; mon sentiment n’est ni si net, ni si analytique, mais qu’importe. L’objection est que, conformkment h Yintuition’ d’Anscombre (1975: 16) sur le sens d’CgalitC rkciproque de aussi, A est ‘senti’ comme (parfaitement) redondant, c’est-h-dire ses deux coordonnkes comme (parfaitement) Cquivalentes en contenu ‘infor- mationnel’. Comparons h A:

A’. Pierre est au moins aussi grand que Marie, et Marie au moins aussi grande que Pierre.

Est-il Cvident que A soit plus ‘ridicule’ que A’? Pas h moi, ni h la premihe personne h qui j’ai soumis ces exemples sans commentaire (F.M.). Mais alors l’objection tombe: car le caracttre minimal des Cvaluations est rendu explicite par au mains, done indiscutable, dans les coordonn6es de A’. Reste uniquement 1’ ‘intuition’ d’Anscombre et Ducrot, comme quoi aussi marque l’tgalitt rkciproque et A sonne ‘redondant’; ces intuitions ne peuvent &tre object&s h une analyse qui, justement, dkvoile le caractkre construit et d&iv& de nos intuitions kmantiques.

M&me si le sentiment de ‘ridicule’ disparaissait quand on indre au moins

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686 B. de Cornulier / SW I’expression restrictive de la quantitB

(A’), l’objection serait contestable. Schematisons A par P et M, et voyons si son caractere Cventuellement problematique peut s’expliquer dans le cadre dune analyse minimaliste. De l’enonciation de P (Pierre est aussi grand que

Marie), au moment ou elle est faite, suivant la loi d’Exhaustivitt de Ducrot, on peut deduire que, (1) ou bien il n’est pas interessant de savoir si Pierre est plus grand que Marie, (2) ou bien le locuteur ne sait pas si Pierre est plus grand que Marie, (3) ou bien le locuteur veut dire que Pierre est aussi grand que Marie, et qu’il ne Pest pas plus. S’ajoute ensuite l’assertion (par et) de Q (Marie est aussi grunde que Pierre) qui est censee Climiner les hypotheses (1) et (2); elle impose done l’hypothese (3). Mais si d’embk (ce qu’on imagine spontanement dans un exemple en contexte nul) le locuteur savait et devait dire que Q, pourquoi s’etre d’abord borne a donner une information inferieure? N’etait-il pas plus simple (dans l’esprit, encore, dune ‘loi d’economie de Ducrot lui-meme, (1969: 38)) de dire du premier coup Pierre est juste uussi grand que Marie, ou Pierre est de la m@me tuille que Marie, ou Pierre et Marie ont la mPme tuille,

etc., ou encore plus simplement Pierre est uussi grand que Marie si la situation permet alors de compter sur la loi d’ExhaustivitC? En un mot l’objection me semble presupposer l’inexistence de la semantique derivationnelle et, en par- ticulier, de l’analyse conversationnelle a la Grice, alors qu’elle pretend juste- ment refuter une application de cette theorie. 11 est facile du reste, d’imaginer des situations legitimant des Cnonces du type de A; exemple: deux personnes riches et envieuses se querellent, on raisonne l’une: Vous Ctes uussi riche que X, il est uussi riche que uous, alors pourquoi cette

bagurre?; l’argumentation justifie ce parallelisme, qu’on interprete aussi riche minimalement ou restrictivement. En un mot, ou bien l’exemple A ne vise qu’a exprimer l’egalite reciproque, et ii est peut-&tre contraire a l’economie du discours, ou bien le balancement qu’il opere a une justification argumentative, et il est naturel. Comparer: Vous &es tous deux uussi sots l’un que l’uutre.

L’exemple B, Pierre est uussi grand que Marie, muis Marie pus aussi grunde que Pierre, dont la question d’Anscombre et Ducrot presuppose qu’il est ‘senti comme contradictoire’, fait-i1 Cgalement tomber l’analyse minimaliste? Comme dans le cas precedent, pour que seule l’analyse minimaliste rencontre ce probleme, il faudrait que la bizarrerie presumee hors-contexte pour B dis- paraisse totalement dans B’, oti au moms explicite une signification minimale:

B’. Pierre est au moins aussi grand que Marie, mais Marie n’est pas aussi grande que Pierre.

Je n’ai pas, sur B et B’, un sentiment comparatif aussi net. Supposons, pourtant, que B, et lui seul, doive choquer; que peut prevoir une analyse minimaliste de B?

Comme l’a montre Fauconnier (1976b), les ‘Cchelles pragmatiques’ qu’on peut associer aux analyses minimalistes ont, automatiquement, ‘des proprietes

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B. de Cornulier / SW l’expression restrictive de la quantitk 681

argumentatives’: si une proposition X implique strictement une proposition Y, alors, si X est un argument en faveur d’une conclusion r, Y fournit (au moins) le mCme argument en faveur de r. De leur tote Anscombre et Ducrot ont oppose des objections a l’analyse minimaliste, mais non a l’idee que si on l’admettait, elle prevoyait certaines proprietes argumentatives. Or supposons une interpretation minimaliste, sans restriction, de Pierre est aussi grand dans B; cette proposition fournit un argument en faveur de la grande taille de Pierre ou de la petitesse de Marie; la proposition suitvante, Marie n’est pas aussi grande que Pierre, fournit un argument en faveur de la petitesse de Marie, ou peut-Ctre de la grande taille de Pierre; les deux propositions ont done des potentiali& argumentatives convergentes, ou du moins non contraires. Or nul ne sait mieux qu’Anscombre et Ducrot que mais relie des propositions argumentativement contraires. Nul n’est done plus qualifie qu’eux pour montrer que B n’est PAS un contre-exemple a l’analyse minimaliste, et est, dans cette analyse, un excellent exemple (sauf insertion dans un plus vaste contexte) de ‘contradiction’ argumentative.

Anscombre et Ducrot (1983: 25) completent les contre-exemples que nous venons de voir par le suivant:

Ou encore, pourquoi C peut-il s’utiliser dans certaines situations, mais jamais D?

C. Pierre est aussi grand que Marie, mais pas plus grand.

(reponse a quelqu’un qui a declare Pierre plus grand).

D. Pierre est aussi grand que Marie, mais il n’a pas la m&me taille.

L’acceptabilite differente de C et de D fait en effet problemme si Pierre est auk grand que Marie offre le choix entre z et = . Dans C, le second segment nie l’eventualite que la taille de Pierre soit

suptrieure, et cela ne choque pas. Comment expliquer alors qu’on ne puke pas nier aussi l’egalite

comme le ferait D?

Admettons qu’en effet D ne puisse ‘jamais’ s’utiliser (la encore, je serais plus prudent). La encore, essayons l’analyse minimaliste dans D, qui est tense lui Ctre en contre-exemple. Puisqu’on vient d’affirmer que Pierre est (au moins) aussi grand que Marie, en disant qu’il n’a pas la meme taille on implique qu’il est ou plus, ou moins grand qu’elle; et, plus precidment, qu’il est plus grand qu’elle (puisque l’autre eventualite vient d’etre exclue); autrement dit, affirmer D revient a affirmer D’:

D’. Pierre est aussi grand que Marie, mais plus grand qu’elle.

La encore, c’est a Anscombre et Ducrot, plutot qu’a moi, que devrait revenir l’honneur-d’expliquer l’incongruite de D’ hors contexte; le mot mais prbup- pose des forces argumentatives (dtrivees) convergentes. D’oh le conflit, et le

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caractere problematique de l’enonce: bonne illustration, et non contre-exem- ple, pour l’analyse minimaliste.

11 convient en outre de noter que l’apparence de contre-exemple, dam cette objection, Ctait suspendue a la presentation qu’on y fait de l’analyse minima- liste: aussi, rapproche du symbole mathematique > , y offrirait le ‘choix’ entre > et = ; Anscombre et Ducrot precisent m&me ensuite que Pierre est

aussi grand que Marie ‘comporte une disjonction’. Cette presentation est biaide, au point de verser dans l’inexactitude. Affirmer que ‘P’ sans exclure que ‘Q’ ce n’est pas affirmer que ‘P ou Q’ compte tenu, notamment, des implicatures conversationnelles a la Grice, ou des lois du discours a la Ducrot, ces affirmations ont des potentialites pragmatiques toutes differentes. Or l’analyse minimaliste, comme nous l’avons vu au paragraphe 2, c’est-a-dire dans sa formulation de type ‘existentialiste’ (!), presente une non-exclusion, et non une disjonction.

Enfin, deux contre-exemples d’Anscombre (1975: 17). Suivant l’analyse minimaliste, ‘on ne comprendrait pas’ la possibilite d’enonces comme:

E. Pierre vient aussi rarement qu’il peut,

en face de l’impossibilite de E’:

E’. Pierre vient au moins aussi rarement qu’il peut.

11 s’agit encore d’une analyse minimaliste ma1 comprise. 11 est d’emblee evident que Pierre ne peut pas venir plus rarement qu’il ne peut. E dit que Pierre va jusqu’au bout du possible, mais ne dit rien de l’impossible dont on sait qu’il est tel; E’ dit que Pierre va ‘au moins’ jusqu’au bout du possible, done dit que le maximum possible est un minimum pour Pierre, suggerant ainsi explicitement la possibilite de l’impossible; l’apparence de contre-exemple est suspendue a ce contresens sur l’analyse ‘minimaliste’. Deuxieme contre-exemple d’Anscombre (1975: 17):

ConsidCrons enfin F, Mm jardin est moitiP aussz grand que le ubtre. Un tel tnonct recevrait la paraphrase F’, Mm jardin est moitiP au moins aussi grand que le u&e. F devrait done 6tre

incomprkhensible ce qui n’est pas le cas.

11 est vrai qu’on ne dit pas moitik au moins aussi grand, pas plus d’ailleurs que la moitit! de au moins 10, ou que la moitiC de au plus 10: il n’y aurait aucun sens a appliquer la notion exacte de moitik h quelque chose d’aussi flou que IO ou plus de 10, ou IO ou moins de IO; mais la encore la fabrication du contre-exem- ple consiste uniquement B remplacer une expression non-limitative de la quantite par l’expression explicite d’un minimum de quantite, qui bloque

l’interpretation exacte imposke par le contexte: moitik (de) . . Ce contre-exem- ple ne vaut done que contre la version du ‘minimalisme’ due a Anscombre et Ducrot.

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11. Conclusion: Le minimalisme bande encore

Recapitulons quelques-unes des precisions, concessions ou mises au point auxquelles ce debat nous a conduits.

(1) L’analyse ‘minimaliste’, attribuant a certaines expressions telles que boire 10 litres, boire autant que X, des significations litterales paraphrasables par boire au moins . . plutot que par boire exactement . , analyse amplement justif& dans certains cas par Larry Horn (1972), Gilles Fauconnier (1976a, b), etc., doit Ctre motivee cas par cas; il n’y a pas plus de raison de la generaliser par principe a toutes les expressions de quantite, que de la refuser par principe a toutes. Refuter l’analyse minimaliste d’une expression n’est done pas refuter le principe m&me du minimalisme. Je ne defends pas un ‘Minimalisme uni- versel’ menace par un ‘Argumentativisme universel’, mais un minimalisme circonstancie, parfaitement compatible a priori avec un argumentativisme Cgalement circonstancie.

(2) Le minimalisme n’est pas solidaire d’un certain nombre de theses au moyen desquelles Anscombre et Ducrot le coulent. En particulier, il n’est pas solidaire d’une theorie cloisonnee Semantique abstraite des syntagmes/SCman- tique discursive des Cnonciations. 11 est interessant d’admettre que les effets de sens restrictifs capables de convertir une signification non-restrictive du type IO (au moins) en une signification restrictive du type IO (pas plus) peuvent optrer non seulement au niveau de l’enonciation entiere, mais au niveau d’expressions de dimension inferieure.

(3) Le minimalisme n’est pas non plus solidaire de l’analyse thematique trop simplement unidimensionelle presupposee par la critique d’Anscombre et Ducrot.

(4) Le principe que j’appelle ‘de la Niveleuse’ (paragraphe 5) presuppose par la refutation d’Anscombre et Ducrot, n’etant pas motive, n’a pas lieu d’etre impose a l’analyse minimaliste.

(5) En posant que les expressions qui expriment litteralement 1’ ‘existence’ d’une quantite Q n’impliquent pas la non-existence d’une quantite superieure, l’analyse minimaliste n’implique pas que ces expressions signifient litterale- ment que ‘Q est un minimum’, ou signifient ‘Q ou plus que Q’; les paraphrases du type Q au moins, ou Q ou plus (que Q), ne sont que des traductions, commodes, mais inexactes: elles consistent Cvidemment a comp&ter la signifi- cation litterale de Y&once de man&e a bloquer l’implicature restrictive qui pourrait se produire en leur absence, ou inversement a imposer une valeur restrictive. Le terme m&me d’hypothbe ‘minimaliste’, utilise par Anscombre et Ducrot pour refuter l’analyse de Fauconnier (1976), et conserve ici pour leur repondre, risque d’induire au contresens denonce ici; en particulier, la notion d’interpretation ‘minimale’ ou ‘minimaliste’ est a Cviter en faveur de celle d’interpretation ‘non-restrictive’.

(6) L’analyse minimaliste, justifike par Fauconnier (1976b) pour les com-

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paratifs dits ‘d’egalik en aussi et autant que, ne signifie pas qu’ils expriment litteralement une egalite reciproque entre la quantite de reference et la quantite a &valuer; Socrute a bu autant qu’Akibiade exprime plutot, litteralement, l’idee que si la quantite maximale bue par Alcibiade est Q, il existe une quantite Q telle que Socrate a bu Q; ce qui n’est pas limitatif.

Compte tenu de ces mises au point, il ne semble pas que le minimalisme soit atteint par les objections d’Anscombre et Ducrot (1975, 1976, 1983). 11 n’y a du reste aucune contradiction de principe entre le minimalisme, m&me litteral, et l’argumentativisme, m&me litteral.

(7) Une regle de bonne methode voudrait que pour defendre une analyse fondamentalement ‘minimaliste’ ou ‘argumentativiste’ d’une expression, on cherche a definir le sens de cette expression.

RCfCrences

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Benoit de Cornufier (b. 1943) is professeur de langue et littkrature frangaises at the Universitk de

Nantes. Main publications: Etudes de phonologic frun@se (co-edited with F. Dell). Paris: Editions

du C.N.R.S. (1978); Meaning detachment: A study on self -reference in explicit performatives. Amsterdam: John Benjamins. (Series: ‘Pragmatics and beyond’.) (1980); Thkorie du vers: Rimbaud, Verlaine, Mallarme. Paris: Editions du Seuil (1982); Effects de sem (to appear).