Philippe Genaert, Le Peuple, 24/12/1976

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Les jeudis et vendredis à 20h30 et les mercredis à 19h. bons plans : 18, 19 et 20.03 | 8en prévente ; Lundi 30.03 à 20h30 | 6Matinée le 19.03 à 14h DOSSIER PÉDAGOGIQUE

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Les jeudis et vendredis à 20h30 et les mercredis à 19h.bons plans : 18, 19 et 20.03 | 8€ en prévente ; Lundi 30.03 à 20h30 | 6€Matinée le 19.03 à 14h

DOSSIER PÉDAGOGIQUE

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« La pièce la plus odieuse, la plus bête, la plus dégueulasse qu’il m’ait été donné de voir depuis l’époque où j’ai mis les pieds pour la première fois dans un théâtre. »

« Il faut que vous sachiez que cette belle saloperie est consacrée à la merde. Excusez-moi c’est ainsi. »

« Cette idiotie a pour auteur Roland Topor, et il s’est trouvé une poignée d’acteurs belges pour interpréter ce déconcertant navet. Je ne les comprends pas. »

« Peu importe les rôles qu’ils tiennent dans ce numéro de gugusserie pour débiles mentaux. »

« Il faudrait mettre la bêtise en prison. »

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Cher·e·s pédagogues,

Il est périlleux de s’inviter dans les phases régressives des adolescents. L’aire mouvante

entre enfance et responsabilité que l’on surnomme « l’âge bête » semble être un territoire

protégé, un ordre initiatique tabou pour l’adulte. Tantôt pipi-caca, tantôt existentialiste,

l’adolescent tangue entre les interdits et les ressources de l’éducation, la mise à l’épreuve

des limites, la découverte de ses désirs, de ses potentiels… Si l’on envisage « l’âge bête » comme une période exploratrice, alors peut-être que la régression est une rampe de

lancement vers la transgression.

Nous invitons les jeunes à une expérience régressive encadrée. En riant du tabou

scatologique, « Vinci avait raison » nous met face aux limites de notre tolérance à la bêtise

et au dégoût, mais aussi celles de notre tolérance à une autorité absurde, idiote et oppressive (comme celle d’un metteur en scène sur ses acteurs).

Certains riront à gorge déployée comme les gamins qu’ils sont encore un peu ; d’autres se

mureront dans la forteresse de leur nouvelle maturité, déjà trop adultes pour se rabaisser à

rire de ça. En utilisant l’expérience du spectacle comme une base d’échange, le pédagogue

peut s’aventurer sur les eaux contestées de la régression adolescente, en embarquant les élèves du secondaire supérieur sur le navire de la transgression. De qui, de quoi, au juste,

Roland Topor se moque-t-il en 1976 ? Et quelles résonances cela peut-il avoir aujourd’hui ?

Et nos ados, qu’est-ce qui les révolterait au point de chier sur la table ? Jusqu’où iraient-ils

pour être entendus ? Nous organiserons un atelier pratique de défécation collective.

Comment et pour quoi se faire entendre par un monde qui se bouche les oreilles ? L’occasion d’évoquer Greta Thunberg, les gilets jaunes, Julian Assange, Edward Snowden,

Nabilla Benattia…

Cette phrase de Bertolt Brecht constitue un excellent sujet de débat ou de dissertation :

« On dit d’un fleuve qu’il est violent parce qu’il emporte tout sur son passage, mais nul ne

taxe de violence les rives qui l’enserrent. »

La transgression dans la culture permet une initiation aux courants artistiques de la

culture de la contestation. Hard rock, Punk, surréalisme, actionnisme, mouvement

panique… Peut-on rire de tout ? Y a-t-il une limite à la caricature ? Cette pièce de 1976

qui finit par une fusillade donne un étrange écho à la tuerie de Charlie Hebdo…

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Activités pédagogiques en lien avec le spectacle

À la guise du pédagogue : visite en classe pour offrir une animation préalable à la

représentation ; ou discussion après le spectacle, en bord-plateau ou à l’école.

Prendre contact avec les Riches-Claires pour imaginer, avec le metteur en scène, une

animation adaptée aux besoins spécifiques. ([email protected] 02/548.25.70)

Liens possibles avec le programme scolaire et les socles de compétence (2è et 3è degrés général)

Cours de français Genres artistiques :

- Acquérir des connaissances culturelles et conceptuelles (identifier le genre littéraire)- Comprendre un spectacle théâtral en vue de le résumer, le commenter et le critiquer.- Imaginer un décor, costumes, distribution, mise en scène à partir des didascalies.- La spécificité des genres théâtraux : la comédie, la farce, la tragédie.- Les différents types de comique (verbal, gestuel…).- Conventions et procédés théâtraux (coup de théâtre, aparté, quiproquo, monologue,

scène d’exposition, rapport entre personnages, rôle du décor, choix de mise en scène…)

Exercer son esprit critique :

- Distinguer le fait de l’opinion- Identifier les valeurs inhérentes au texte- Distinguer ce qui relève du texte, de la mise en scène ou de ma propre perception

Expression orale :

- Compétence ECOUTER : le débat : la prise de parole- Défendre sa position en situation clivante- Ateliers d’improvisation en classe

Cours de morale

L'humanité et les droits de l’Homme

- Ethique et universalité- Je conscientise ma responsabilité au niveau de l'humanité et des droits de l’Homme

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Cours de philosophie et citoyenneté

Exercer son esprit critique : légitimité et légalité de la norme

- Conceptualiser la notion de norme- Questionner le fondement des normes- Justifier une prise de position par rapport à la légalité ou la légitimité d’une norme.

Partir d’un questionnement - Le questionnement artistique :

Les supports artistiques méritent une attention toute particulière au moins pour deux

raisons : d’abord parce qu’ils développent non seulement des compétences cognitives,

mais aussi des compétences sociales, ensuite parce qu’ils relèvent de l’esthétique qui a

pour objet d’étude l’expression du concept à travers la matière. En première approche, on peut utiliser une grille d’analyse artistique telle que ci-dessous :

- Qu’ai-je vu ?- Qu’ai-je entendu ?- Qu’ai-je ressenti ? (« Ressentir » à la fois au sens de l’émotion et de la sensation)- Qu’ai-je compris ?

L’État: pourquoi, jusqu’où?

- Concepts et notions : État, Liberté négative et liberté positive, Loi liberticide, Idéologie,

État de nature, état de société, Volonté générale, État de droit, Anarchisme,

Communisme, Libertarisme, État gendarme, État-providence, État social actif,

Libéralisme, Socialisme(s) …

- A quel type de domination êtes-vous soumis... Etes-vous libres ? Question à mettre en

relation avec, notamment, l’institution scolaire elle-même…

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Cahier d’activités sur le thème de la merde

à l’usage des futurs chômeurs, des actuels révoltés, des gros glandeurs,

et des petits surdoués.

Bref, La merde à la portée de tous

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Résumé

Les Moreau et les Boulin se réunissent pour un week-end à la campagne. Hélas les toilettes

sont bouchées, il faut aller chez les voisins.

Au moment du repas, c’est le choc : il y a un caca sur la table. Les hommes sont policiers et

usent des meilleures méthodes pour mener l’enquête. Ils trouvent bientôt des crottes dans

toute la maison…

Qui est-ce qui chie partout ?

Propos

Roland Topor utilise la métaphore d’une inondation de merdes dans une maison bourgeoise pour semer la panique dans le système « parfait » d’un chef de famille violent

qui interdit que l’on chie — même aux cabinets — et nie donc la nature même.

L’idéal de propreté de ce haut fonctionnaire de la police est si totalitaire qu’il tend à l’idéal

de pureté qu’on retrouve par exemple dans l’idéologie nazie. Il y a de quoi sortir l’artillerie

lourde de l’outrance pour caricaturer un tel tyran…

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Démarche du metteur en scène

La première fois que j’ai lu la pièce, j’ai cru mourir de rire, mais mon rire était ambivalent.

À la fois je vivais l’expérience libératrice de ressentir que l’on peut donc vraiment rire de

tout ; et à la fois j’étais honteux de rire de ça.

À trente-cinq ans, je suis supposé être un adulte accompli, un professionnel de ma

profession, un modèle pour mon fils et pour les générations futures, pas un vieux gamin qui se bidonne sur pipi-caca.

Le pire, c’est que j’ai tout de suite ressenti une folle envie de — non, pas une folle envie de

ce que vous pensez, tas de dégoûtants ! — une folle envie de rassembler une troupe pour

monter cette pièce dès que possible.

💩 Après avoir vu la pièce, un critique de 1976 a écrit : « Il faudrait mettre la bêtise en prison. »

Méritez-vous la prison ? Racontez votre dernier fou rire débile.

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À la première lecture, les comédiens ont réagi comme moi : ils riaient à en tomber de leur

chaise. Se redressant avec dignité, ils bredouillaient entre deux gloussements « On peut pas jouer ça ! On va se faire assassiner ! » Alors nous l’avons fait.

Je suis propre, bien élevé, blond aux yeux bleus, les mères de mes copines m’ont toujours

adoré, mes profs de français aussi. Eh bien ce fayot désigné n’a qu’une idée en tête : tirer la

langue comme une gargouille et hurler un grand bâââââh inconvenant avant de chier sur

la table !

Pousser un cri, chier sur la table. De quoi ce désir est-il fait ?

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Pousser un cri

À seize ans, ce n’est pas avec des diplômes que Greta Thunberg symbolise la lutte contre le

réchauffement climatique mais avec un cri du cœur. Elle répète qu’il est temps d’écouter

les rapports des scientifiques. Ses détracteurs l’ont dite irrationnelle, illettrée, superficielle,

qu’elle n’apporte pas de solutions concrètes, qu’elle est manipulée… La députée

d’extrême-droite Emmanuelle Ménard a même raillé sa jeunesse en tweetant : « Dommage que la fessée soit interdite, elle en mériterait une bonne. »

Peu importe, pour ses détracteurs, que Greta ait tort ou raison de tirer les sonnettes

d’alarme. À leurs yeux, il faudrait d’abord qu’elle acquière une forme de légitimité avant

que l’on daigne lui prêter l’oreille. Moi, ça me révolte que l’on traite avec mépris une

personne qui a le courage de s’exprimer. La liberté d’expression ne se mérite pas, c’est un droit fondamental.

Chier sur la table

Vous avez entendu parler du mouvement spontané des « gilets jaunes », qui ont bloqué

les ronds-points pour protester contre la hausse des prix du carburant. En peu de temps,

leurs revendications se sont diversifiées : niveau de vie inégalitaire, délaissement des

territoires, privilèges des élites, etc. Un grand ras-le-bol généralisé est apparu d’une voix que le gouvernement français n’arrivait pas à faire taire. Les détracteurs ont déploré que

leur mouvement ne soit pas structuré autour d’une pensée claire et ont critiqué la violence

de leurs manifestations. Les violences policières seraient-elles plus acceptables ?

Pour tenir la dragée haute au pouvoir, un sage défilé ne sert à rien. La démocratie nous

garantit le droit de manifester mais dans le périmètre délimité par les forces de l’ordre. On peut faire la grève, mais sans déranger ceux qui continuent à travailler.

En d’autres mots, on a le droit de chier en cachette, mais pas sur la table.

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💩 Et vous ? Qu’est-ce qui vous révolte ? Méritez-vous une fessée ? Qu’êtes-vous prêt·e à transgresser pour être entendu·e ?

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Le metteur en scène dirigeant les comédiens.

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L’ordre

« Je trouve qu’une civilisation, un ordre, qui nie les besoins naturels des hommes, et qui nie que l’homme est un animal, est une civilisation oppressive. Alors j’ai voulu faire le heurt, le choc entre la Joconde, Mao, la culture, tout ce qui est culte de la personnalité, tout ce qui est chic, tout ce qui est grand, tout ce qui est idéologique, tout ce qui est désincarné, tout ce qui est propre... et la merde. » (Roland Topor)

Dans Alice au pays des merveilles, Alice connaît les règles du croquet, mais dans la partie qu’elle joue, les balles sont des hérissons, les arceaux des cartes à jouer vivantes, et les crosses sont des flamants roses. Cela nous raconte qu’un système a beau être parfait sur le papier, il se détraque dès que les éléments qui le composent sont vivants.

Vous connaissez la frustration de devoir rester assis en classe alors qu’on aimerait courir au grand air. Dès l’enfance, nous sommes en quelque sorte dressés à ravaler nos pulsions de façon à respecter l’ordre général. Un lieu-clef de ce conformisme est l’école. Selon notre tempérament, nous négocions avec cet ordre pour ménager nos espaces de liberté. Certains auront besoin de dessiner sur les tables ou de se passer des petits mots, d’autres se sentiront obligés de chahuter le prof, seront tentés de sécher les cours…

Les premières traces de ce comportement conformiste / anti-conformiste remontent à l’époque où, vers deux ans et demi, trois ans, nous avons appris à « être propres », c’est-à-dire à contrôler nos sphincters. Ce nouveau pouvoir nous a permis de «  faire un beau caca » quand nous le demandaient nos parents, ou au contraire de nous retenir lors d’une visite au musée. Ce pouvoir contenait aussi un contre-pouvoir, son corollaire, en nous offrant le plaisir d’emmerder nos parents quand cela nous chante, par exemple en faisant caca au moment où ils nous donnent le bain ou en nous retenant des jours entiers pour les obliger à nous supplier, et ainsi les soumettre à notre bon vouloir anal.

C’est à peu près la même chose lorsque nous choisissons d’obéir ou non à un prof : soit on se retient, soit on se lâche. Ces comportements sont sains et sont le ferment de la liberté individuelle. Si votre professeur est intelligent — ce dont je ne doute pas puisqu’il vous a emmenés voir notre chef-d’œuvre scatologique — il saura jouer son rôle de gardien des règles tout en vous laissant la marge de liberté dont vous avez besoin. Si votre professeur est un idiot — ce qui est malheureusement possible aussi vu la quantité d’idiots en circulation — il ne vous laissera aucune plage de liberté, et vous aurez le choix entre vous soumettre à une autorité stupide, ou faire des conneries.

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💩 Dessinez rapidement, sans soin ni talent, votre plus grande révolte, combinée

avec votre dernier fou rire débile

Pour nous faire rire autant que pour nous gêner, Roland Topor a écrit une pièce sur un conformisme extrême. Les personnages sont policiers et vivent dans un intérieur

impeccable. Alain, haut-fonctionnaire de la police, interdit tout simplement que l’on chie,

et se vante de ne jamais aller aux toilettes. Un anti-conformisme tout aussi extrême va faire

voler en éclats cet ordre absurde : on a chié sur la table et dans toute la maison. En

poussant les curseurs au maximum, Topor caricature les tenants de l’ordre.

Nous rions parce que nous aimons voir des gens bien-comme-il-faut s’accrocher à leurs

convenances et leurs tabous, mais nous sommes gênés parce que nous tenons tout de

même un minimum à cet ordre qui nous permet de vivre ensemble. Et, il n’y a rien à faire,

la merde nous dégoûte, nous insupporte, et aucun de nous n’a vraiment envie de la voir

apparaître partout ni d’en respirer le fumet.

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« Et bizarrement, la merde paraît beaucoup plus effrayante que Mao ou qu’Hitler. Si on

faisait une pièce sur Hitler et la merde, eh bien ce sera la merde qui sera gênante pour passer

à la télévision, ce sera pas Hitler. Pourtant, que je sache, la merde a tué beaucoup moins de

gens qu’Hitler... » — Topor

💩 Dessinez la merde qui coule du cul du Führer

Peut-être même que cette merde est vivante ? Elle pourrait dévorer Hitler,

ou se former en nuage de pluie au-dessus de sa tête… Laissez votre imagination souiller la page librement.

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Topor oppose à un monde oppressif et castrateur la possibilité d’une grande libération : la

libération des moeurs, l’affirmation de soi, la reconquête de son animalité... Cette

libération prend la forme, l’odeur, l’horrifique apparence d’une merde dont on s’est libéré.

Topor dit que ça ne doit pas rester à l’intérieur. Il nous invite à nous libérer de ce qui nous

encombre. C’est un cri de contestation, de révolte et de liberté que symbolise à eux seul la prolifération d’étrons tout au long de la pièce.

💩 Est-ce que ces exercices vous font du bien ? ………………………………………………………………………………………………………………………

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