On vous demande, sachez répondre

2
Actualités pharmaceutiques n° 530 novembre 2013 11 questions de comptoir © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés http://dx.doi.org/10.1016/j.actpha.2013.09.002 On vous demande, sachez répondre C ette rubrique, “questions de comptoir”, est conçue pour vous apporter des éléments de réponse éclairée face aux multiples questions que vous posent quotidiennement vos patients au comptoir de l’officine, dans le vaste domaine de la santé. Puis-je découper mon patch pour en réduire la dose ? F La réponse du pharmacien Il faut d’abord faire la distinction entre deux types de dispositifs transdermiques. Il existe, tout d’abord, le type réservoir, dont le principe actif est une solution ou une suspension libérée à vitesse constante grâce à une membrane polymérique semi- perméable. Dans ce cas, la coupure endommagerait la membrane de contrôle, ce qui laisserait la substance active s’écouler hors du réservoir. Le type matriciel est, quant à lui, constitué d’une masse polymérique dans laquelle est dispersé le principe actif. Ici, la peau est le facteur limitant la pénétration et la résorption. Ces patchs peuvent donc en théorie être découpés car le principe actif est présent sous forme solide et réparti de manière homo- gène. Cependant, toute modification de la structure d’un patch peut en transfor- mer la cinétique et, si l’on prend l’exemple du Durogésic ® , il n’existe aucune information sur la qualité, l’efficacité et la tolérance des fragments de patch. Dans tous les cas, il est donc préférable de se servir de patchs entiers et d’utiliser les dosages existants. Il vaut donc mieux éviter de couper les dispositifs transdermiques que ce soit pour en réduire la dose ou même pour les détruire. Il est également important de rappeler qu’ils ne doivent pas être jetés à la poubelle, mais être repliés sur eux-mêmes, remis dans leur emballage spécifique et rapportés à la pharmacie pour destruction. Dispositifs transdermiques Jérémy VONO Pharmacien Adresse e-mail : [email protected] (J. Vono). 3 rue Jean-Giraudoux, 19290 Sornac, France J’ai entendu dire qu’il était risqué de boire du jus de pamplemousse en prenant certains médicaments. Qu’en est-il vraiment ? F La réponse du pharmacien Le jus de pamplemousse est un puissant inhibiteur enzymatique connu pour interférer avec certaines classes de médicaments. Le mécanisme de cette inter- action semble être une augmentation de la biodisponi- bilité de ces substances lorsqu’elles sont administrées par voie orale. En effet, les cytochromes CYP3A4 entérocytaires, couplés à la glycoprotéine P, méta- bolisent une partie des médicaments directement dans l’épithélium intestinal. Cependant, certaines molécules contenues dans le pamplemousse, telles la bergamot- tine et la 6,7-dihydroxybergamottine, entreraient en compétition avec ce système, diminuant le métabolisme intestinal et augmentant d’autant la biodisponibilité des substances administrées. Les médicaments concernés sont toutefois en nombre limité. La biodisponibilité des statines (simvastatine, atorvastatine) peut être multi- pliée par 15, accroissant fortement le risque de rhabdo- myolyse. Il convient également d’être très vigilant avec les médicaments à marge thérapeutique étroite comme les immunosuppresseurs (ciclosporine, everolimus, sirolimus, tacrolimus). D’autres médicaments agissant sur le système cardiovasculaire sont aussi concernés par un risque de surdosage comme le vérapamil, la lercanidipine et l’ivabradine. Pour être plus exhaustif, citons la carbamazépine dont les effets indésirables peuvent être accrus. A contrario, une étude clinique a montré une diminution de l’absorption de nombreux médicaments par la prise concomitante de jus de pamplemousse 1 . Ces données n’ont, à l’heure actuelle, été confirmées par aucune autre étude scientifique fiable. Selon le Thesaurus 2013 2 , seul l’aliskiren présente un risque de diminution de son efficacité en cas de consommation de jus de pamplemousse. 1 Bailey DG. Fruit juice inhibition of uptake transport: a new type of food–drug interaction. Br J Clin Pharmacol. 2010 November;70(5): 645–55. 2 http:.//ansm.sante.fr Interaction jus de pamplemousse et médicaments © DR © DR © Fotolia.com © Fotolia.com

Transcript of On vous demande, sachez répondre

Page 1: On vous demande, sachez répondre

Actualités pharmaceutiques

• n° 530 • novembre 2013 • 11

questions de comptoir

© 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

http://dx.doi.org/10.1016/j.actpha.2013.09.002

On vous demande, sachez répondre

C ette rubrique, “questions de comptoir”, est conçue pour vous apporter des éléments de réponse éclairée face aux multiples questions

que vous posent quotidiennement vos patients au comptoir de l’officine, dans le vaste domaine de la santé.

Puis-je découper mon patch pour en réduire la dose ?

F La réponse du pharmacien

Il faut d’abord faire la distinction entre deux types

de dispositifs transdermiques. Il existe, tout

d’abord, le type réservoir, dont le principe actif est

une solution ou une suspension libérée à vitesse

constante grâce à une membrane polymérique semi-

perméable. Dans ce cas, la coupure endommagerait la

membrane de contrôle, ce qui laisserait la substance active

s’écouler hors du réservoir. Le type matriciel est, quant à lui,

constitué d’une masse polymérique dans laquelle est

dispersé le principe actif. Ici, la peau est le facteur limitant la

pénétration et la résorption. Ces patchs peuvent donc en

théorie être découpés car le principe actif est présent sous

forme solide et réparti de manière homo-

gène. Cependant, toute modification de

la structure d’un patch peut en transfor-

mer la cinétique et, si l’on prend l’exemple

du Durogésic®, il n’existe aucune information sur

la qualité, l’efficacité et la tolérance des fragments de

patch. Dans tous les cas, il est donc préférable de se servir

de patchs entiers et d’utiliser les dosages existants. Il vaut

donc mieux éviter de couper les dispositifs transdermiques

que ce soit pour en réduire la dose ou même pour les

détruire. Il est également important de rappeler qu’ils ne

doivent pas être jetés à la poubelle, mais être repliés sur

eux-mêmes, remis dans leur emballage spécifique et

rapportés à la pharmacie pour destruction.

Dispositifs transdermiques

Jérémy VONOPharmacien

Adresse e-mail : [email protected] (J. Vono).

3 rue Jean-Giraudoux, 19290 Sornac, France

J’ai entendu dire qu’il était risqué de boire du jus de pamplemousse en prenant certains médicaments. Qu’en est-il vraiment ?

F La réponse du pharmacien

Le jus de pamplemousse est un puissant inhibiteur

enzyma tique connu pour interférer avec certaines

classes de médicaments. Le mécanisme de cette inter-

action semble être une augmentation de la biodisponi-

bilité de ces substances lorsqu’elles sont administrées

par voie orale. En effet, les cytochromes CYP3A4

entéro cytaires, couplés à la glycoprotéine P, méta-

bolisent une partie des médicaments directement dans

l’épithélium intestinal. Cependant, certaines molécules

contenues dans le pamplemousse, telles la bergamot-

tine et la 6,7-dihydroxybergamottine, entreraient en

compétition avec ce système, diminuant le métabolisme

intestinal et augmentant d’autant la biodisponibilité des

substances administrées. Les médicaments concernés

sont toutefois en nombre limité. La bio disponibilité des

statines (simvastatine, atorvastatine) peut être multi-

pliée par 15, accroissant fortement le risque de rhabdo-

myolyse. Il convient également d’être très vigilant avec

les médicaments à marge thérapeutique étroite comme

les immunosuppresseurs (ciclosporine, everolimus,

sirolimus, tacrolimus). D’autres médicaments agissant

sur le système cardiovasculaire sont aussi concernés

par un risque de surdosage comme le vérapamil, la

lercanidipine et l’ivabradine. Pour être plus exhaustif,

citons la carbamazépine dont les effets indésirables

peuvent être accrus. A contrario, une étude clinique a

montré une diminution de l’absorption de nombreux

médicaments par la prise concomitante

de jus de pamplemousse1. Ces données

n’ont, à l’heure actuelle, été

confirmées par aucune autre

étude scientifique fiable. Selon

le Thesaurus 20132, seul l’aliskiren

présente un risque de diminution de son

efficacité en cas de consommation de jus de

pamplemousse.

1 Bailey DG. Fruit juice inhibition of uptake transport: a new type of food–drug interaction. Br J Clin Pharmacol. 2010 November;70(5): 645–55.2 http:.//ansm.sante.fr

Interaction jus de pamplemousse et médicaments

© DR

© DR

© Fotolia.com

© Fotolia.com

Page 2: On vous demande, sachez répondre

Actualités pharmaceutiques

• n° 530 • novembre 2013 •12

questions de comptoir

J’ai prévu d’aller cueillir des champignons ce week-end. Quelles sont les précautions à prendre ?

F La réponse du pharmacien

La “cueillette” des champignons est un loisir

incontournable à la campagne mais qui peut

s’avérer dangereux. Afin d’éviter tout risque d’intoxi-

cation, il est nécessaire de suivre quelques consignes.

Tout d’abord, la récolte doit avoir lieu dans un endroit sain,

en évitant les sites pollués (fossés, décharges…) car les

champignons ont la propriété de concentrer les toxiques.

Ils doivent être ramassés dans leur totalité et uniquement

s’ils sont en bon état. Un champignon doit être identifié à

partir de caractères mycologiques précis, ce qui est

impossible à partir de photographies. Les champignons

doivent être déposés, non entassés, dans une cagette ou

un carton afin d’éviter leur “pourrissement” ainsi que tout

risque de contamination. En effet, il peut se former des

produits de décomposition plus ou moins toxiques –

tels que la cryptomaïne, l’ammoniaque ou des dérivés

phénolés – lors du vieillissement de certains d’entre eux

(Collybie à pied en fuseau, Morilles, Clitocybe nébuleux,

Armillaire couleur de miel). Le lieu de récolte et la conser-

vation constituent des paramètres importants car une

intoxication peut être due au champignon lui-même mais

aussi à une contamination microbienne ou à une

pollution par des pesticides. Les cham-

pignons consommables doivent

ensuite être conservés au réfrigérateur

et mangés dans les 2 jours. Certaines

espèces comestibles doivent être cuites de

manière suffisante car elles contiennent des subs-

tances toxiques comme les hémolysines thermolabiles.

Cependant, même en respectant toutes ces précautions,

des intoxications restent possibles car la mycologie est

très complexe et il existe des milliers d’espèces différentes,

rendant omniprésent le risque de confusion entre un

champignon comestible et un toxique. En cas d’apparition

d’un ou plusieurs symptômes d’intoxication (tremble-

ments, vertiges, troubles de la vue, nausées, vomisse-

ments…) associés à une consommation de champignons

de cueillette, il faut contacter immédiatement un centre

antipoison ou le 15. Les symptômes peuvent apparaître

jusqu’à 12 heures après la consommation. En cas d’intoxi-

cation, il sera alors utile de noter les heures du ou des

derniers repas, ainsi que l’heure de survenue des premiers

signes. Les restes de la cueillette et les vomissures éven-

tuelles devront être conservés pour aider à l’identification

du champignon et à la prise en charge thérapeutique.

Intoxication par les champignons

J’ai les pieds abîmés. J’ai entendu parler de la fish-pédicure, en quoi cela consiste-t -il ?

F La réponse du pharmacien

La fish-pédicure est un gommage des

squames de la peau des pieds par le biais de

petits poissons d’eau douce, les Garra Rufa. Cette

pratique est courante en Turquie, en Asie et au Moyen-

Orient. Ce type de pédicure met en avant l’esthétique et le

bien-être mais aussi, parfois, un effet thérapeutique.

Il n’existe pourtant aucune validation scientifique de l’effica-

cité et de la sécurité de cette méthode. Cette pratique, appa-

rue depuis peu en France, suscite aujourd’hui un réel

engouement, tant et si bien que de plus en plus d’établisse-

ments la proposent. La fish-pédicure n’est pour le moment

encadrée par aucune réglementation sanitaire spécifique.

La qualité de l’eau et la présence de micro-organismes

pathogènes dans les bacs ne sont que peu étudiées. Du fait

de la présence des poissons, il est impossible d’y introduire

des agents désinfectants. La succession des usagers dans

un même bac sans renouvellement d’eau et en

l’absence de désinfection possible entre deux utili-

sateurs amplifie donc le risque de transmission

d’agents pathogènes d’autant que les patients se

tournant vers ce type de pédicure présentent

souvent une hyperkératose, pouvant être d’origine

mycosique. Certains sujets, plus fragiles, sont particu-

lièrement exposés comme les diabétiques, les immuno-

déprimés et les personnes présentant des lésions aux pieds.

L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation,

de l’environnement et du travail (Anses) estime « qu’il n’est

pas possible de maintenir cette activité en l’état sans un

changement profond et rigoureux des pratiques actuelles »

et considère comme possible le risque de transmission

d’agents pathogènes (d’origine humaine ou animale), en

particulier, pour les patients à risque. Par conséquent, elle

recommande l’encadrement strict de la fish-pédicure afin

de prévenir les risques d’infection des utilisateurs et des

professionnels.

Risques de la fish-pédicure

© DR

de la f

© DR

© Fotolia.com

© Fotolia.com

Déclaration d’intérêts 

L'auteur déclare ne pas avoir

de confl its d’intérêts en relation

avec cet article.