n°1 - Judaïsme en mouvement · Mars 2020 - n° 1 / Chema עמש • 3 Chema est une publication...

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Trimestriel • 2,50€ Un magazine plus que centenaire Les rabbins de JEM dialoguent à 5 voix L’affaire des 450 tableaux DOSSIER / De Hamevasser à Chema, la mutation d’un media Mars 2020 / Nissan 5780 n°1

Transcript of n°1 - Judaïsme en mouvement · Mars 2020 - n° 1 / Chema עמש • 3 Chema est une publication...

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2,50

€Un magazine plus que centenaire

Les rabbins de JEM dialoguent à 5 voix

L’affaire des 450 tableaux

DOSSIER /De Hamevasser à Chema,la mutationd’un media

Mars 2020 / Nissan 5780

n°1

Mars 2020 - n° 1 / Chema 3 • שמע

Chema est une publication Judaïsme en Mouvement - Tél. : 01 47 04 37 27 - Site internet : www.copernic.paris - Directeur de la publication : Richard Metzger - Comité éditorial :

Jean-François Bensahel, Gad Weil, Yaël Hirsch, Richard Metzger, Fabienne Sabban. Rédacteur en chef : Yaël Hirsch- Photos : Couverture : Olivier Ranson. Intérieur : ULIF, Patrick Altar,

DR, sauf mention contraire - Conception graphique : Muriel Bloch-Michel - Régie publicitaire : Pierre LEVY - Tél. : 07 85 74 44 32 - [email protected].

BV/CdC/2108260Remerciements à nos partenaires : Casip, Lamartine, Prévention sécuritaire, Salons Hoche, Warga.

Richard Metzger,administrateur de JEM

DR

Édito Au sommaire

Chers amis,

Ce numéro de Hamevasser est exceptionnel à plusieurs titres.

Tout d’abord, suite à la réunion de nos deux communautés, l’ULIF-Copernic et le MJLF, il devient le magazine commun de Judaïsme en mouvement (JEM) et sera un magazine communautaire qui apportera un éclairage juif à l’actualité.

Nous avons donc changé son nom. À la suite du Rayon, né en 1912, Hamevasser a vécu 46 ans. Aujourd’hui, vive Chema ! Un changement de nom provoque toujours des réactions, positives ou négatives. Et un besoin d’appropriation. Ce nouveau nom a comme ambition de montrer l’attachement de JEM aux valeurs du Judaïsme et notre capacité d’écoute. Nous y reviendrons.

L’actualité dramatique que nous traversons actuellement suite à la propagation du coronavirus (ou Covid-19) nous empêche de vous délivrer votre magazine sur papier, par voie postale ou en présentoir. Nous vous le présentons donc sous format numérique pour les fêtes de Pessah’, accompagné de notre « newsletter » et envoyé à environ 10 000 adresses. Par la suite, avant l’été, nous songerons à l’opportunité de le faire imprimer en y ajoutant quelques articles nouveaux. Cette dématérialisation concerne aussi d’autres activités de JEM, comme les offices et beaucoup de nos cours et conférences.

Ce n°1 de Chema est un numéro de transition. Nous avons réédité quelques articles ayant marqué les 46 ans de Hamevasser : un article de Robert Badinter sur la notion d’égalité dans la Déclaration universelle des droits de l’Homme, un article historique avec un dossier spécial sur « les Juifs de Paname », un article du rabbin Stephen Berkowitz sur l’historique de l’ULI, ancêtre de l’ULIF et du MJLF, etc.

Nous avons également, une fois n’est pas coutume, dressé un rapide portrait de ceux qui ont contribué ou contribuent encore à notre revue. Nous avons interviewé ensemble, là également une fois n’est pas coutume, nos cinq rabbins en leur posant des questions personnelles sur leur parcours.

Les 46 ans d’Hamevasser nous ont bien sûr inspiré des interviews plus psychologiques comme par exemple sur la notion de « métamorphose » (Emmanuel Niddam) et sur la « mue », en particulier des magazines (Thibaut Tretout).

La « nuit de Chavouot » aura lieu cette année le 28 mai. Nous vous en présentons la préparation et le pourquoi.

Francine (nous tairons son nom de famille) nous racontera son combat pour se faire restituer, près de 80 ans après leur spoliation, des œuvres de son grand-oncle, Armand Dorville.

Nous avons longuement interviewé notre rabbin Michaël Williams, en particulier sur ses origines britanniques, ce qui n’est pas anodin, et les 36 ans qu’il a passés avec nous tous.

Enfin, le Magen David Adom nous expliquera son implication dans la crise de l’épidémie actuelle du coronavirus en Israël.

Notre « nouveau » magazine comprend bien sûr d’autres rubriques, incontournables, telles que le carnet culture, celui des livres, un tour du monde des communautés, et un hommage sera ici rendu par le Rabbin Delphine Horvilleur à Théo Klein.

Nous vous souhaitons de bien vous porter en ces moments exceptionnels (mais « en quoi cette année est-elle différente des autres années ? ») et vous souhaitons de bonnes fêtes de Pessah’, même si elles seront probablement moins festives que d’habitude. ■

Ce numéro de Chema A ÉTÉ RÉALISÉ

AVEC LE SOUTIEN DE

Le mot des Présidents …………………… 4 à 5

6à 11

Judaïsme

• Dialogue à cinq voix Interview de Philippe Haddad, Floriane Chinsky, Yann Boissière, Delphine Horvilleur, Jonas Jacquelin par Yaël Hirsch

12 à 30

dossier

• La tribune de Yaël Hirsch• Les bonnes feuilles de Hamevasser

Quelques pages de mémoire, pas si datées que cela, et qui font pleinement écho aux principes de JEM... par Yaël Hirsch• 1O ans, un mot personnel du Rabbin Michael Williams• L’ULIF et le MJLF vont célébrer les 50 ans de l’etat d’israël • À la recherche d’une histoire perdue. Sur les traces de l’origine de l’union libérale

israëlite par le rabbin Stephen Berkowitz• Robert Badinter : le chemin parcouru en 50 ans nous incite à la modestie• Grand Rabbin René Sirat : Bâtir des relations de respect mutuel avec les Chrétiens• La responsabilité de juger par Raphaël Draï• La perte des nouveaux territoires par Georges Bensoussan• Les Juifs de Paname

• Les personnalités charismatiques de la rédaction d’Hamevasser Propos réunis par Yael Hirsch

• Rabbin Williams, l’héritage d’un « rabbin artiste » face aux défis de l’époque par Yaël Hirsch

31 à 45

actualités

• La chronique psychanalytique d’Emmanuel Niddam

• La chronique historique de Thibaut Trétout

• Le Seder de Théo Klein, un hommage par Delphine Horvilleur

• Juifs du monde entier Revue de presse par Yaël Hirsch

• En plus du coronavirus, le Magen David Adom continue à prendre en charge tous les appels d’urgence Interview d’Ilan Klein

• L’égalité au cœur de la Nuit de Chavouot “L’étude est une fête” Rencontre avec Fabienne Sabban

• L’affaire des 450 tableaux par Yaël Hirsch

• La solidarité nous rassemble par Laurent Dorf

46 à 52

culture • L’agenda culture par Yaël Hirsch

• YOM : « Mes deux parents sont issus de familles et peuples qui ont été déplacés » par Yaël Hirsch

• Bloc notes Les coups de cœur de la rédaction

53 à 57

infos communautaires JEM

4 • Mars 2020 - n° 1 / Chema שמע

le mot des présidents

au-dessus de l’épreuve,

comme l’ange à Pessah

a sauté au-dessus des

maisons d’Égypte de

nos ancêtres pour qu’ils

soient épargnés de la

dixième des plaies?

Le monde est un pont très étroit.L’essentiel est de ne pas avoir peur

Chers amis,

« Le monde est un pont très étroit. L’essentiel est de ne pas avoir peur », disait, dans l’un de ces aphor i smes , Rabb i Nahman de Braslav.

Voilà qui cingle avec stridence à nos oreilles. Le pont est vraiment très étroit, alors que nous avons tous autour de nous des proches malades, certains même décédés. C’est d’abord à eux que vont nos pensées désemparées. Et les autres, ceux qui sont porteurs sains et ne le savent pas, mais le craignent, ou ceux qui ne le sont pas mais redoutent la course facétieuse de tout virus, comme le notait déjà Péguy, que leur souhaiter, sinon d’enjamber, de passer

le jugement de soi,

l’introspection ; et les

actions de bienfaisance,

la solidarité active, le

souc i généreux e t

bienveillant de ceux qui

sont dans la difficulté.

grand traité de sagesse et de sérénité. Car sur quoi repose le monde pour ce t te grande œuvre ?

« Le monde repose sur 3 piliers : la Torah, le culte, les actions de bienfaisance ».

Ou si l’on préfère, en une adaptation libre et moderne, la Torah, c ’est-à-dire l ’étude, l’enseignement, et plus largement la culture, la vie de l’esprit ; le culte, c’est-à-dire la prière, c’est-à-dire aussi M

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Jean-François Bensahel et Gad Weil.

Alors comment ne pas avoir peur ? Bien sûr, statistiquement, en se fiant à la raison, aux succès obtenus en Chine ou ailleurs, ou encore à la science. Cer tes , ma i s nous ne sommes pas une stat ist ique. Désolés, cela aurait sans doute été plus simple. Pas plus que les probabilités, elles ne sont applicables aux affaires humaines.

Comment alors ? En continuant à avancer sur ce pont très étroit qu’est le monde, à

être bien assis sur les principes du monde, ne pas transiger avec eux dans cette période tragiquement inédite, et faire retour aux Pirké Avot , le grand traité éthique du judaïsme, le

Mars 2020 - n° 1 / Chema 5 • שמע

Le mot des présidents

n’écrivait-il pas qu’il faut fonder l’idée de progrès sur l’idée de la catastrophe : « Que les choses continuent comme avant, voilà la catastrophe ». Penser le neuf en étant fermement arrimé à ces 3 piliers du monde, voilà notre programme.

Et Pessah ? Alors que nou s ne pouvon s sortir de chez nous, comment célébrer la sortie d’Égypte ? Alors que nous sommes reclus dans nos maisons , comme célébrer la liberté ?

Mais, alors qu’individus t r i o m p h a n t s n o u s avions pris goût à la liberté de l’hédoniste, que l’esclavage ne nous signifiait plus rien, quel que soit notre effort d ’ imag inat ion , que le plateau du Séder devenait parfois trop luxuriant, et la ‘harosset trop bonne, trop sucrée pour rappeler le mortier, cette année nous allons nous rappeler que cette nuit est vraiment différente de toutes les autres, qu’elle a un goût amer comme rarement.

Les rabbins ont, il y a déjà longtemps, trouvé la réponse. Pessah, la sortie d’Égypte, soit en hébreu, la sortie de Mitsraïm. Tsar désigne en hébreu ce qui est étroit. Célébrer Pessah sera donc aujourd’hui célébrer notre capacité à sortir de, à nous

relation ; mais le digital permet aussi de faire vivre notre communauté, de tisser autrement des liens, qui appelleront, ensu i t e , ap rès , l a rencontre physique, les embrassades. Nos c o m m u n a u t é s e n seront changées, mais également le type de judaïsme que l’on y pratiquera.

L a t e c h n o l o g i e a d ’ a i l l eu r s tou jour s modelé le type de religion, qui est, bien évidemment aussi, une activité humaine, et qui comme telle, n’échappe pas à la révolut ion numér ique, e t aux nouvelles techniques de communication. La rel igion égyptienne avait pour support le papyrus, le parchemin : le judaïsme le rouleau ; le chr is t ianisme le codex ; le protestantisme le livre imprimé. En en sens, nous sommes techno-dépendants et devons penser pour nos communautés la transformation digitale, la dématérialisation. Les hébreux qui ont apporté au monde idolâtre la dématérialisation de Dieu, l’invisibilité de Dieu, devraient-ils s’en offusquer ? Sans cesse scruter l’avenir alors que la crise submerge, voilà ce que les Juifs ont toujours fait.

Wa l t e r B e n j a m i n , philosophe juif allemand de la première moitié du XXème s i èc l e ,

Quand nous avons dû prendre la décision terr ib le de fermer les por tes de nos synagogues, i l nous est apparu que nous devions impérativement continuer à être arc-boutés sur ces 3 piliers en ouvrant leurs portes sur le web.

1- La Torah, l’étude : chaque jour l’un de nos 5 rabbins prend la parole sur la chaîne YouTube de Judaïsme E n M o u v e m e n t . Chaque jour leurs cours sont disponibles en ligne. La Newsletter vous en in forme chaque semaine.

2- Le culte : nos offices sont retransmis en ligne sur cette même chaîne.

3- Le s a c t i o n s d e bienfaisance : nous avons constitué une chaîne de solidarité, et si vous voulez en être, faites-le nous savoir, pour appeler les personnes seules, ou âgées, ou en difficulté, prendre de leurs nouvelles, leur parler, se proposer de les aider dans leurs courses.

U n e c o m m u n a u t é digitale s’élabore dès maintenant, alors qu’au départ, nous pensions que ce serait une étape ultérieure de Judaïsme En Mouvement. Bien sûr il nous manque le lien physique, le toucher, la

débarrasser de nos esclavages intérieurs, de nos aliénations, de ce qui nous limite et nous tient, de ce qui nous rapetisse, de nos passions tristes (haine, jalousie, ressentiment, c o l è re… ) e t nou s empêche d’accéder à nous-même et à la paix véritable dans toute communauté humaine.

Voilà pourquoi cette année le Séder du 2ème soir sera un grand Séder digital animé par nos 5 rabbins. C’est parce que nous le fêterons tous ensemble que, malgré l’éloignement physique, nous continuerons à être ce peuple téméraire, qui n’abandonne pas, ne renie rien, mais avance ensemble, en n’oubliant jamais le passé. Inscrivez-vous en ligne !

Pour finir, ce numéro est un numéro de transition entre Hamevasser, revue de l’ULIF, et Chema, magazine de JEM. Nous nous devions de rappeler les grandes figures qui ont participé à cette merveilleuse aventure qu’a été Hamevasser, pour prendre exemple sur elles, avant que le nouveau magazine ne prenne la mer. ■

Hag Pessah

Sameakh

Jean-François Bensahel

et Gad Weil

6 • Mars 2020 - n° 1 / Chema שמע

Dialogue à cinq voix

judaïsme

Philippe Haddad

C’est après ma bar-mitsva. Ayant grandi dans une

famille non pratiquante, j’ai découvert le judaïsme par mon professeur de Talmud Torah, qui était le fils du grand rabbin Charles Touati. Spécialiste du Talmud et de la pensée juive médiévale, il a été plus tard mon professeur au séminaire israélite de France. Alors que j’avais commencé des études d’ingénieur, à un moment je me suis dit : «J’ai

accord avec ma tradition familiale. J ’ai continué à prendre des cours de judaïsme, dans de nombreux cadres, je me suis investie aux Eclaireurs Israélites, puis j’ai donné des cours de Talmud Torah à Copernic et au MJLF dès l’âge de 16 ans. Ensuite, j’ai découvert la synagogue Adath Shalom, où le rabbin Krygier a pris le temps de répondre à toutes mes questions. J’y ai donné des cours, dirigé quelques offices. Comprendre que je pouvais devenir rabbin en

découvert mes racines et je voudrais transmettre le judaïsme et permettre à d’autres personnes d’avoir la même démarche».

Floriane Chinsky

De mon côté, quand j’ai réalisé que devenir

rabbin était possible pour moi en tant que femme, j’ai su que ce chemin était celui que je suivais depuis longtemps déjà. En effet, petite fille, j’avais fait ma bat-mitsva à Copernic en

tant que femme m’a pris du temps. Seule le rabbin Paul ine Bebe exerçai t en France. Lorsque tous ces é léments se sont rapprochés et connectés, je me suis trouvée dans une position difficile. Le choix du rabbinat était drastique et sans retour. J’ai donc pris une année de réflexion-transition entre mes études de droit et mes études rabbiniques. Ce DEA de Sociologie du droit a été une passerelle parfaite. I l m’a permis d’étudier les matières juives en toute liberté, avant de me mener à un doctorat sur un sujet d’actualité : “Les représentations sociales de la flexibilité de la Loi juive”. Après mon DEA, je suis allée en Israël pour étudier directement en hébreu, à l’Institut Schechter qui appartient au mouvement Massorti. Il y avait cette e s p è c e d ’ é v i d e n c e impossible au début de mon parcours rabbinique. Les discussions avec le rabbin Alain Michel et la lecture de Viktor Frankl ont été déterminantes : j’ai évité les regrets en décidant de prendre des risques. Je ne pouvais pas savoir si les communautés françaises franchiraient ce pas, mais je ne pouvais pas ne pas faire ma part du chemin, comme le disent les Pirké Avot.

Propos recueillis par Yaël Hirsch

Pour Hanoukah, Hamevasser vous parlait de miracle. C’était prémonitoire ! Pour ce premier numéro de Chema, la revue de JEM, nous avons accompli un miracle en réunissant à nouveau les cinq rabbins de Judaïsme en Mouvement. Ce sont eux qui donnent le “la” de ce que vous allez trouver dans les pages d’un magazine riche de 46 ans de papier et d’idées, et qui opère une mue pour parler toujours à un plus large public. La parole est à Yann Boissière, Floriane Chinsky, Philippe Haddad, Delphine Horvilleur et Jonas Jacquelin….

5Quand avez-vous su

que vous vouliez, et peut-être deviez,

devenir rabbin ?

““

Mars 2020 - n° 1 / Chema 7 • שמע

DIALOGUE À CINQ VOIXPh

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Yann Boissière

Cela fait partie d’un “voyage de vie” qui m’a emmené dans beaucoup d’univers différents, un voyage qui

est en fait mon vrai fil directeur. Aujourd’hui, je perçois des cohérences rétrospectives à travers des parcours très différents, dans le cinéma, en tant que scénariste, en tant que créatif publicitaire dans le marketing, en tant qu’engagé dans des études…. Ces fils directeurs ne sont pas liés à des métiers mais à des choses que j’aime, j’ai un tropisme intellectuel, j’aime bien la pensée, j’aime bien réfléchir. Dans mon parcours de vie, cela m’a amené dans des univers complètement différents et à agréger des compétences diverses et complémentaires. Quant à rabbin, c’est venu tardivement, c’est quelque chose que j’avais toujours gardé dans un coin de tête, mais que je n’avais ni spécialement voulu, ni spécialement recherché. Cela s’est imposé à un moment comme la bonne chose à faire après avoir été pendant dix ans directeur du Talmud Torah.

Delphine Horvilleur

J’ai toujours été intéressée par l’étude, mais sans imaginer que le rabbinat était une possibilité pour une femme,

parce que je vivais dans un monde où cela n’existait pas. Après avoir vécu en Israël et en France, c’est sans doute la découverte du judaïsme américain qui a rendu les choses possibles pour moi. Je cite souvent une conversation que

j’ai eue avec un rabbin américain qui m’a dit : “Avec le parcours que tu as eu, pourquoi tu n’envisages pas le rabbinat toi-même ?”. À l’époque, j’étudiais beaucoup, mais j’ai ri à sa remarque. Lui n’a pas ri et cela a été un moment de révélation pour moi. Ce qui m’était apparu jusque-là comme une blague pouvait être autre chose qu’une plaisanterie…Et cela rendait les choses possibles, dans un monde où il y avait une normalisation de ce parcours. Tout à coup, je pouvais connecter les différents éléments d’un puzzle qui tout à coup prenait sens.

Jonas Jacquelin

C’est toujours délicat quand pendant un dîner, un ange passe et que les gens me demandent “Et vous,

comment avez-vous voulu être rabbin ?”. Je serais tenté de répondre “Pourquoi pas ? » mais je vais essayer de répondre quand même ! Je ne me suis jamais formulé la question de cette manière-là, mais c’est un ensemble d’évolutions dans ma vie, dans mes expériences, qui m’ont mis en situation à un moment donné d’entreprendre des études rabbiniques. L’étude des textes et l’enseignement étaient des choses importantes pour moi et cela m’a paru comme une évidence. À un moment s’est posée la question de savoir si je devais entreprendre ou non un parcours de chercheur en études juives et cette voie m’est apparue trop solitaire, alors que le rabbinat était une façon de rester versé dans l’étude tout en demeurant au cœur des affaires humaines.

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8 • Mars 2020 - n° 1 / Chema שמע

y apportons une expertise et aussi un style propre d’enseignement. C’est un moment d’expression personnelle, puisée dans des éléments traditionnels, et renouvelée. Et puis les enterrements. En général, en société, il y a toujours un temps d’appropriation, de rencontre de l’autre qui passe par des codes, les gens ne sont pas nécessairement ouverts... Ce temps est réduit à zéro dans les enterrements. À partir du moment où quelqu’un entre dans votre bureau et annonce la perte d’un être cher, nous sommes tout de suite dans la vérité humaine de cette famille, dans la vérité des sentiments. C’est quelque chose de très fort et le continuum de l’enterrement – qui ne se réduit pas à la cérémonie, mais qui s’étend avant et après – est un temps de densité humaine unique.

Delphine Horvilleur

Quand j’étais à l’école rabbinique, on nous parlait des différents types de rabbinat possibles, on nous disait :

“Est-ce que vous allez être des rabbins de communauté, des rabbins qui enseignent, des rabbins qui font de la recherche ? …” Je me rends compte que j’étais incapable de le dire à l’époque et je le reste encore aujourd’hui. Ce que j’apprécie le plus dans mon engagement quotidien c’est qu’il n’y a pas deux jours qui se ressemblent : on peut être à la fois dans des fonctions d’enseignement, d’accompagnement et de réflexion. Et je me dis souvent que ce qui me permet de penser et d’enseigner, c’est le fait qu’il y ait une vie pastorale où l’on accompagne sa communauté. Et oui, bien sûr, les enterrements sont des moments de vérité parmi les plus puissants, où j’ai l’impression de servir à quelque chose, notamment en rendant présente la tradition juive, qui permet de raconter, de dire le sacré dans ces moments-là. C’est vraiment le cœur de la pensée et de notre enseignement. Pour rien au monde je ne renoncerais à l’un de ces différents visages du rabbinat aujourd’hui, parce que ce qui se tisse entre ces différents éléments est la clé de notre fonction. Beaucoup de gens pensent qu’un rabbin c’est un prêtre pour les Juifs, mais c’est un malentendu. À mon sens, ce qui se rapproche le plus de notre métier, c’est le travail de traducteur, quelqu’un qui est tout le temps en train d’opérer un passage entre des mondes, entre l’écrit et l’humain.

Comment faites-vous le travail de traduction entre la tradition et les événements de la société actuelle ?

Philippe Haddad

Je vis ma fonction rabbinique comme un porteur d’espérance. J’essaie de trouver dans les textes ce

DIALOGUE À CINQ VOIX

Quels sont les moments

les plus intenses de votre vie de rabbin ?

Jonas Jacquelin

Nous avons tous la chance d’avoir des vies pleines d’inattendus. Avec les responsabilités de rabbin

de communauté, nous ne savons jamais ce qui va se passer dans les jours suivants. Des gens nous posent toutes sortes de questions, pour des choses heureuses comme pour des choses malheureuses. Et je dirais que le moment où j’ai l’impression d’être le plus utile, même si c’est vraiment très présomptueux de croire que l’on peut être utile à quelque chose, c’est quand, dans une situation inattendue, imprévue, nous sommes capables de trouver le mot, la source qui va donner un éclairage juif à quelque chose qui vient par hasard ou par surprise.

Philippe Haddad

Là où je me sens le plus utile, c’est soit dans l’enseignement, dans la transmission, dans un cours

officiel, soit dans l’accompagnement de familles dans des joies ou dans des peines… Pour moi le rabbin c’est l’enseignant, l’accompagnateur qui essaie de trouver la parole juste, ou même parfois de se taire… C’est là que je me sens à ma place.

Floriane Chinsky

Pour moi, les moments les plus intenses sont ceux où je me sens nécessaire, et ceux où je me sens inutile.

Une intervention rabbinique est nécessaire dans les débats publics, pour défendre les visions d’un judaïsme raisonnable, traditionnel et éviter les excès et certaines surenchères. On a également besoin d’un rabbin dans les moments du cycle de la vie, pour accompagner les décès, les maladies, ou plus joyeusement les mariages.D’un autre côté, j’apprécie énormément les moments où je ne suis absolument pas nécessaire, où je regarde les participants qui s’entraident dans une Hévrouta, une étude en binôme, où j’admire les bné-mitsva qui dirigent les offices…

Yann Boissière

Oui, il y a deux moments particuliers : les situations d’enseignement et les enterrements. L’enseignement

parce qu’il y a une double perspective qui est mobilisée, la connaissance de la tradition, une érudition… Nous

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Mars 2020 - n° 1 / Chema 9 • שמע

qui donne du sens, ce qui rassure, qui donne de la joie. Dans un verset de la Torah, il est dit : “Je place devant toi la vie et la mort, la bénédiction et la malédiction”. Cela engage à trouver le côté positif par rapport au côté obscur, le côté de la vie par rapport au côté de la mort. Ce choix de la vie, de la bénédiction, c’est une manière d’être, une manière de vivre. Bien évidemment on ne reçoit pas la grâce du ciel, parfois nous avons nos propres douleurs et nos propres doutes. Mais il faut arriver, par un travail intérieur, à proposer cette dimension de vie et d’espérance. C’est ce que j’essaie de faire par les cours, par la prière, par les rencontres, même les plus anodines… Trouver dans la tradition des sources d’espoir, de bonheur, de joie, ce qui paraît l’essentiel de l’existence.

Delphine Horvilleur

Plus largement que la fonction rabbinique, le judaïsme est une religion extrêmement politique, au sens

noble du terme. C’est un engagement ou une religion qui ne peut pas se déconnecter de l’engagement dans la cité. Je le ressens très souvent quand je pratique du dialogue interreligieux. Dès que les Juifs se mettent à parler, on passe dans un domaine politique, dans une réflexion sur le sens de notre action dans la cité. On lit la Torah le lundi et le jeudi parce qu’à l’époque c’étaient les jours de marché… La parole des rabbins est là pour se rendre sur les marchés, là où les gens sont. Quand on me dit qu’on vit dans un pays où il y a séparation entre l’église et l’état, j’ai envie de répondre que nous faisons l’expérience au quotidien que notre engagement rabbinique est un engagement politique. Pas de militantisme politique, mais un engagement : nous ne pouvons pas nous déconnecter d’une réaction et d’un face à face avec l’actualité et d’un positionnement sur le monde qui nous entoure. D’une certaine manière, nous sommes toujours dans l’action.

Jonas Jacquelin

Les réactions qui sont les miennes sont avant tout des réactions de Juif, pas de rabbin, pas de professionnel

du judaïsme. Le judaïsme nous aide, comme la littérature, à comprendre le monde. Michel Foucault parlait de son œuvre comme d’une boîte à outils, en disant : “J’ai envie qu’on puisse venir puiser dans mes concepts, puiser dans mes idées différents éléments pour comprendre, pour expliquer les choses comme elles sont.” Avec le judaïsme, nous avons comme une boîte à outils, et quelle que soit la strate de la tradition à laquelle on fait appel, qu’il s’agisse de textes très anciens ou de penseurs inspirés par ces textes et beaucoup plus contemporains, nous pouvons comprendre des choses à la lumière de cette sagesse qui permet d’habiter le monde – pour reprendre ce que disait Delphine sur la question très concrète de l’actualité et de la cité – et en

même temps qui permet de s’en détacher, puisque cela donne du recul et la possibilité de penser dans un temps long. Avec la tradition, en réalité, nous avons la chance d’avoir avec nous une expérience plurimillénaire pour aborder toutes les questions. Vous parliez de traduction et avec la force de la langue hébraïque, sa valeur, son message, sa syntaxe particulière, nous avons aussi une manière non occidentale de voir le monde alors que nous sommes au cœur de l’Europe. Nous avons souvent une extériorité qui donne une originalité à la façon dont nous pouvons lire le monde.

FlorIane Chinsky

Je pense qu’effectivement le message du judaïsme est adapté à l’actualité “par défaut”. L’actualité a un

peu tendance à tourner en rond. La prise de recul est essentielle pour moi, à deux niveaux : notre étude, notre approche des textes est nourrie des questions que nous retravaillons sans cesse et qui impactent nos actes et nos pensées ; ensuite, dans nos fonctions de rabbin, nous sommes en relation avec les aspects les plus intimes de la vie, nous sommes au contact de la mort par exemple, et cet acte met en lumière le sens de la vie d’une façon particulière. Avec ce recul, nous sommes rapidement capables de voir l’essentiel et l’accessoire dans le domaine de l’action. Pour ce qui est de l’actualité “brûlante”, il est important d’être capable de ne pas réagir trop vite, de ne pas “propager le buzz” et servir ainsi ceux qui profitent des grands coups de marketing. Dans le judaïsme, nous ne sommes pas à mille ans près !

Yann Boissière

J’aime l’inactuelle actualité du texte. Nous pouvons toujours le mettre en rapport avec des situations

immédiates mais ce n’est pas toujours le plus intéressant. Ce qui m’intéresse le plus ce sont les grands phénomènes humains qui sont à l’œuvre derrière, ceux qui sont éternels et ce, dans un monde qui change à chaque instant. Ce pas de côté, cette fixité, offre quelque chose de profondément actuel et vivifiant. Et effectivement, l’une des valeurs fondamentales de la Bible c’est que c’est un livre politique. D’abord parce que c’est un livre qui retrace et interprète quelques milliers d’années plus tard les effets de la révolution néolithique : on passe de petites entités collectives, d’une famille par exemple, à l’échelle des peuples. Ce rééchelonnement nourrit toutes les questions du vivre ensemble qui sont encore actuelles. Toute la Bible est un modèle de protestation contre les conceptions du pouvoir de l’époque, incarné par l’Egypte. L’on suit une quête de principes cohérents pour vivre ensemble.

DIALOGUE À CINQ VOIX

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10 • Mars 2020 - n° 1 / Chema שמע

Si le judaïsme est intrinsèquement

politique, comment voyez-vous le rôle

que vous jouez tous les cinq, ensemble,

dans le cadre de Judaïsme en mouvement ?

Jonas Jacquelin

JEM a été initié à Paris mais participe à un mouvement qui est général, qui touche la communauté juive en

France et s’inscrit dans une dynamique qui dépasse nos frontières. Il s’agit en partie du dépassement de l’organisation d’un judaïsme en courants hermétiques, mais surtout de la manière dont en tant que Juifs nous pouvons prendre la parole. Quelque part dans les Rêveries du promeneur solitaire, Rousseau dit qu’il ne pourra donner un avis sur le judaïsme que lorsqu’on laissera aux Juifs la possibilité de s’exprimer librement. Aujourd’hui, avec la naissance de l’Etat d’Israël, avec l’émancipation, en tant que Juifs, nous pouvons parler de grands sujets : la santé, l’écologie, les sujets liés au statut des hommes et des femmes, les sujets politiques... Et notre engagement aujourd’hui, au-delà de tel ou tel point particulier, c’est de pouvoir porter le message de la sagesse juive, non pas seulement pour les Juifs, mais pour le monde.

Philippe Haddad

Je n’ai pas toujours la conscience que nous sommes ensemble, mais je ressens une grande confiance

envers mes collègues. Nous sommes porteurs d’un judaïsme particulier, qui à la fois s’enracine dans notre particularisme et qui veut vraiment s’ouvrir à l’universel. Nous voulons porter cette dimension universelle du message de la Torah et qui, malheureusement, dans le monde orthodoxe d’où je viens, s’enferme dans le rituel. Il y a de grands penseurs aussi dans le monde orthodoxe mais le judaïsme dans lequel j’évoluais ne correspondait plus à l’enseignement de mes propres maîtres. Dans Judaïsme en mouvement, j’approuve l’idée de confiance, de pouvoir compter les uns sur les autres, pour un message qui sera porté à la communauté et au-delà. Pour nous cinq, c’est chacun sa particularité, sa spécialité, sa manière de voir les choses, mais nous évoluons tous dans cet esprit qui est celui de JEM et qui nous rassemble.

Floriane Chinsky

L’intelligence se nourrit de liberté. La liberté existe quand on peut exprimer une diversité. Cinq rabbins

qui travaillent ensemble expriment cette liberté et cette diversité du judaïsme. Nous pouvons alors nous épanouir chacun à notre façon, selon nos talents et aspirations, créant ainsi un espace où tous ceux qui nous connaissent sentent qu’eux et elles aussi peuvent choisir leur propre façon de s’épanouir dans le judaïsme. Ceci fait de JEM un acteur très important dans la communauté juive globale. Cette diversité et cette pluralité des voix sont fidèles à la nature de l’étude juive, qui permet à chacun d’ajouter toujours d’autres possibilités d’interprétation, d’éclairer les soixante-dix facettes de la Torah. Le judaïsme de JEM, c’est ce lien, cette diversité, cette capacité d’être ensemble, dans la diversité et l’intensité, de façon très “respirante”.

Yann Boissière

Oui, l’unité ne vient pas forcément d’un vécu commun. Mais nous avons une tâche commune, et c’est bien

de transmettre les visages multiples du judaïsme dans une traduction d’une tradition vis-à-vis de la société. C’est la force contributive du judaïsme envers la société : il s’agit de nourrir une communauté historique continue mais aussi de parler en-dehors de cette communauté, et de la renouveler par des concepts spécifiques qu’il faut donc traduire. Ce qui veut dire qu’il faut accepter et connaître les autres cultures, notamment par la philosophie. Le dialogue d’Athènes et de Jérusalem continue, c’est la dynamique fondamentale de notre occident. Les libéraux ont la tâche de poursuivre ce dialogue, nous sommes les mieux placés pour le faire et cela nous réunit. En même temps il est très important, comme le disait Floriane Chinsky, de donner à voir des visages multiples du judaïsme, la diversité est une partie clé de notre mission. Et la valeur ajoutée de JEM est de constituer une structure politique. Aujourd’hui, la seule spiritualité – quand bien même elle est organisée sous la forme d’institution – ne suffit pas. Et dans le contexte républicain organisé par l’état, il faut une structure politique. JEM permet de fournir une masse critique suffisante, indépendamment des messages spirituels, pour peser dans l’écosystème français.

Delphine Horvilleur

Pour rebondir sur ce que dit Yann Boissière, j’ai l’impression qu’on a beaucoup parlé ces dernières

années de “communautarisme” comme d’un mot négatif. Or, on ne sait plus très bien aujourd’hui ce que cela veut dire. Beaucoup de gens s’imaginent qu’il y a une voix juive, ou une voix musulmane, une voix chrétienne, qui parleraient chacune d’un bloc. Comme s’il n’y avait qu’une façon de vivre, de voter, de consommer à l’intérieur

DIALOGUE À CINQ VOIX

Mars 2020 - n° 1 / Chema 11 • שמע

d’une communauté. Or, la force de JEM est de montrer à quel point nous sommes capables d’unir des forces et la pluralité des voix. L’enjeu est de grandir avec le temps et que nous rejoignent des gens qui ont sans doute des façons de voir un peu différentes. C’est tout à fait possible, à condition que nous soyons capables de nous accorder sur des principes de base, sur lesquels nous ne pouvons pas transiger, par exemple l’égalité homme/femme… À partir de là, nous pouvons inclure une pluralité de voix à l’intérieur de notre action. Et je pense que c’est bénéfique de modeler cela à un niveau national.

Floriane Chinsky

Je suis tout à fait d’accord et j’ajouterais à ces principes de base la laïcité, la contribution à la défense de

l’espace laïc en France, qui permet, selon l’esprit des Lumières, à chacun et chacune de vivre en tant que citoyen, tout en développant par ailleurs des pensées spécifiques… ■

Le thème de la prochaine nuit

de Chavouot, c’est l’égalité. Qu’est-ce que

cela vous inspire ?

Yann Boissière

Une des leçons de Chavouot, c’est qu’avant qu’une voix plus spirituelle puisse être entendue, il faut

commencer par organiser le corps social, la société. Et cette organisation vient d’un intervenant extérieur. Il y a une magnifique articulation avec ce qu’aime faire le judaïsme libéral, à savoir cultiver une spécificité, des enseignements particuliers, mais dans une ouverture qui permet de vivre ensemble.

Delphine Horvilleur

Dans la pensée juive, à aucun moment l’égalité n’est un égalitarisme, ce n’est pas une façon d’écraser une

différence. L’égalité c’est toujours une reconnaissance qu’il y a du même et il y a de l’autre. Et que le même ne peut exister que s’il y a de la place pour l’autre. On ne demande pas à cet autre de devenir nous-même ! La capacité de faire de la place à l’altérité est la condition de l’égalité. La résonance avec les débats politiques actuels est très intéressante et c’est une question qui se pose toujours en démocratie : que peut bien vouloir dire politiquement l’égalité, si ce n’est pas l’égalitarisme et l’écrasement de la différence au nom d’un principe ?

Yann Boissière

Il y a un autre principe fondamentalement égalitaire dans Chavouot, c’est la révolution du savoir. Dans la société

antique, les gens étaient séparés par leur classe sociale ou leur fonction : ceux qui prient, ceux qui travaillent... Ce qu’installe Chavouot, c’est une égalité fondamentale fondée sur la capacité à lire un texte. C’est un texte qui est donné, et face à ce texte, tout le monde par définition est égalitaire, justement grâce à la pluralité des voix qui vont l’interpréter. C’est une révolution mentale et c’est l’aspect politique, toujours révolutionnaire de la pensée juive : l’égalité fondamentale de tous face au savoir, dans la capacité à lire et interpréter…

Jonas Jacquelin

L’égalité dans Chavouot, c’est évidemment dans un premier temps l’égalité de tous devant la loi, et le

moment du don de la Torah est le seul moment où l’Eternel s’adresse à tout le peuple, sans distinction aucune de genre, de richesse, d’âge ou d’éducation. Le Midrash Rabbah dit que chacun comprit la voix du Sinaï selon son potentiel (“kol ehad lefi koho”). On trouve ici l’idée d’une pluralité d’interprétations et d’une pluralité consubstantielle à la réception de la Torah. La question de l’égalité se doit donc aussi d’être celle de l’égale dignité des interprétations.

Philippe Haddad

Un enseignement rapporté par Rachi dit : “Ainsi tu iras à la maison de Jacob et tu enseigneras aux enfants

d’Israël”, c’est-à-dire les hommes et les femmes. Donc la Torah est vraiment donnée à la totalité de l’école d’Israël, et étudier la Torah pendant la nuit, c’est éclairer la nuit. La Torah nous permet de rester éveillés dans nos nuits et dans nos exils.

Floriane Chinsky

Et si Chavouot est la fête du don de la Torah, c’est aussi la fête de la conversion. Ruth “la moabite”, convertie

donc, en est l’héroïne. Les enfants d’Israël entrent eux-mêmes dans l’alliance en acceptant la Torah. Donc c’est la fête de l’égalité, le symbole de la légitimité de toutes et tous, de la valeur égale que nous avons aux yeux de la tradition. Il n’y a pas de hiérarchie entre Juifs et non-Juifs, pas de hiérarchie entre Juifs de naissance et Juifs par choix, pas de hiérarchie entre les femmes et les hommes. Nous sommes tous des personnes en chemin, en quête du judaïsme d’aujourd’hui et de demain. ■

DIALOGUE À CINQ VOIX

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12 • Mars 2020 - n° 1 / Chema שמע

Le dossierYaël Hirsch

Yaël Hirsch, rédactrice en chef

Un maillon et un ancrage au cœur d’une grande mutation...

Quand Jean-François Bensahel m’a appelée, il y a deux ans,

pour prendre la suite de Michaël Bar-Zvi comme rédactrice en chef de Hamevasser, j’ai été heureuse de rejoindre une équipe si humaine et si ambitieuse, enthousiasmée par l’angle du magazine : ce regard juif ouvert sur l’actualité, et très impressionnée, aussi, de prendre le relais d’un grand intellectuel que j’aurais adoré connaître, pour apprendre de lui, recevoir ses conseils... Et puis, et puis, il y a eu six numéros, avec de grandes questions et de petites victoires, avec une réception attentive de la communauté, avec, également, le sens d’une mission : ces numéros de Hamevasser portaient déjà dans leur ADN le beau projet JEM de réunir ce qui a été séparé pour donner plus de force et d’avenir à un judaïsme de lumière, de liberté et de dialogue.

Le moment de dire au revoir à Hamevasser, dans la joie de la création de Chema, est le moment où je me suis retournée vers le passé de cette communauté progressiste depuis 113 ans. Cette communauté ? Non ! Ma Communauté. En me plongeant dans les archives, en rencontrant un à un celles et ceux qui ont fait notre magazine, c’est mon passé, aussi, qui est remonté :

les Kippour sous le Talit de mon père, rue Copernic, puis au Palais des congrès (encore aujourd’hui je n’imagine pas être séparée des hommes de ma famille), les cours de Talmud Torah pour préparer ma bat-mitsva, le désir de savoir qui a conçu le livre de prières qui est le seul que j’aie jamais connu, le plaisir de retrouver le timbre chaud de la voix de Monsieur Benhamou et d’interviewer Michael Williams dont l’humour a bercé mon enfance, qui a enterré mon grand-père et est venu pour Shiva, pour mon père.

Achevée dans un contexte violent et plein de fantômes, celui du con f inemen t dans un Pa r i s quasiment « occupé » où JEM nous accompagne en passant au numérique, tout comme notre magazine, cette quête des racines m’a permis de réaliser trois choses importantes. D’abord, combien le passé retrouvé est commun à JEM tout entier, de fait jusqu’en 1977, puis dans les moments de combats et les célébrations communes. Ensuite, combien la promesse d’avenir est liée à la force que nous donne ce passé : ce n’est pas un hasard si, aujourd’hui un magazine centenaire repart pour de nombreuses années, sous un troisième nom, juif, central : Chema . Et enf in, combien le travail que nous faisons avec ma

merveilleuse équipe est en fait le maillon d’une longue chaîne qui nous projette encore et toujours vers l’avenir.

Merci à tous, à nos cinq rabbins, que nous suivons en numérique chaque soir du confinement, de s’être réunis pour nous parler, à tous ceux qui m’ont guidée dans cette quête de la juste transition, évidemment Richard Metzger et Jean-François Bensahel, Jonas Jacquelin, Philippe Haddad, Muriel Michel, Charlotte Sarrola et Ariane Bendavid, Tamar Cohen, Martine Bitran mais aussi Patrick Altar, Isabelle Williams et Bertrand Granat. Merci à Thibaut Tretout et Emmanuel Niddam pour leur réflexions sur ce qu’est une métamorphose réussie, Olivier Ranson pour cette couverture génialement inscrite entre tradition et modernité. Et merci à tous ceux et celles que j’ai rencontrés dans nos pages et dont l’énergie nous porte encore : André Gabay, Odette Chertok, Claude Bloch, Lucien Finel, Michael Bar-Zvi, ainsi qu’à celles et ceux que vous pourrez (re)découvrir dans ce numéro et qui ont été les forgerons d’une chaîne de vie

essentielle. ■

Yaël Hirsch

Mars 2020 - n° 1 / Chema 13 • שמע

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Les bonnes feuilles de Hamevasser... Par Yaël Hirsch

Les bonnes feuilles de Hamevasser...

Voici quelques pages de mémoire, pas si datées que cela, et qui font pleinement écho aux principes de JEM...

Le premier numéro de Chema est aussi l’occasion de nous plonger dans les archives. Sans aller remonter jusqu’au Rayon, c’est, au fil des pages d’Hamevasser de 1976 à nos jours, près de cinquante années de vie que nous avons retracées, une vie riche de ceux qui ont participé à la vie de la communauté, où l’on retrouve les Présidents, les rabbins, les grands événements nationaux et israéliens, ainsi que ceux propres à l’ULIF, comme les attentats de 1980 ou le centenaire de 2007. Et c’est aussi cinquante ans de vie intellectuelle que nous avons redécouverts, une vie au cœur du judaïsme français, une vie sioniste et attachée aux valeurs de la République, une vie humaniste et ouverte aux grandes questions d’actualité aussi bien qu’au dialogue avec les autres religions, où interviennent aussi bien le grand rabbin de France, que des intellectuels de renom. Le choix a été difficile, mais nous avons choisi pour vous quelques pages, écrites aussi bien par Michael Bar-Zvi, Odette Chertok, Guillaume Cerf, Yaël Scemama que par le Rabbin Williams.

50 années

N° 70 Mai-Juin 1984

1O ANS, UN MOT PERSONNEL DU RABBIN MICHAEL WILLIAMS

Il y a exactement 10 ans est paru le premier numéro de notre bulletin communautaire «Hamevasser». Il y a 10 ans exactement, j’ai

commencé à fréquenter la synagogue de la rue Copernic - “fréquenter” car je ne suis rabbin de la communauté que depuis 1976, bien que quelquefois, j’aie l’impression d’être ici depuis 1876. Depuis 10 ans, la forme extérieure de “Hamevasser” a très nettement changé malgré cela, il y a ceux qui disent que tout n’est pas parfait, que l’on pourrait faire mieux, également depuis 10 ans, la forme extérieure de notre communauté a quelque peu changé. Je ne parle pas des travaux d’aménagement du bâtiment, 24, rue Copernic, ni de notre fondation de deux communautés libérales dans le Midi au cours de la même

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14 • Mars 2020 - n° 1 / Chema שמע

période, mais, par exemple, des offices, surtout de l’office du samedi matin, qui ont connu des changements extérieurs assez nets malgré cela, il y a ceux qui disent que tout n’est pas parfait, que l’on pourrait faire mieux. On peut toujours faire mieux, Dieu merci. Quel monde fade et quel monde parfait ! ■

n° 121 - Avril 1998

L’ULIF et le MJLF vont célébrer les 50 ans de l’Etat d’Israël

Un brunch en l’honneur des 50 ans d’Israël sera organisé par les deux mouvements libéraux le 7 juin 1998.

A l’occasion des 50 d’Israël, l’ULIF et le MJLF se retrouvent pour un brunch le dimanche 7 juin 1998 de

12h à 16h au Musée des Arts Forains dans le XIIe

arrondissement de Paris. Ce Musée reconstitue le spectacle de la fête.

Manèges, boutiques foraines restaurées, ensembles de grandes œuvres

historiques, vous feront revivre dans un cadre impressionnant un patrimoine que vous aviez relégué au monde du rêve. Enfants et parents pourront évoluer sur ces manèges, assister aux spectacles de marionnettes, de clowns, de mimes, participer à une loterie, jouer aux billards japonais ou napolitains... Mais ce n’est pas tout ! Une animation de danses folkloriques et de chants israéliens a, bien entendu, été prévue. « Cela promet d’être un superbe évènement », a assuré le Président de l’ULIF, Claude Bloch. « Et nous comptons sur la présence de personnalités importantes de la communauté juive de France et de l’ambassade d’Israël. J’ajoute que nous sommes particulièrement heureux et fiers que nos deux communautés s’unissent pour célébrer cet événement. J’espère que d’autres occasions nous permettront de nous rassembler à nouveau. Son excellence l’Ambassadeur d’Israël en France, M. Avi Pazner, nous a lors de l’office de Chabbat du 28 février dernier, assuré de sa présence à notre manifestation. « Lorsque Claude Bloch m’a proposé de nous associer à cette manifestation, dans cet endroit magique, je n’ai pas hésité, assure le président du MJLF Felix Moschbasher. « Cet évènement est avant tout l’occasion pour tous les fidèles de nos deux communautés de fêter dignement l’anniversaire d’Israël. Ce sera aussi le moment de rendre hommage à ce qui a été réalisé et à tout ce qui reste à faire.

Vous pouvez dès à présent appeler (01 47 04 37 27) le secrétaire et réserver vos places pour ce brunch. Une participation aux frais de 300 F par adulte et 150 F par enfant jusqu’à 15 ans sera demandée. Odette Chertok. Musée des Arts Forains, 53 AV des Terroirs de France – 75012 Paris. ■

n° 106 Août 1998

À LA RECHERCHE D’UNE HISTOIRE PERDUESur les traces de l'origine de l'Union Libérale Israëlite

par le Rabbin Stephen BERKOWITZ

Dans le hall d’entrée de la synagogue de la rue Copernic, on peut remarquer une plaque de marbre, indiquant l’année “1907” comme

étant l’année de la “fondation” de l’Union Libérale Israélite. Or, 1907, ou plus précisément le 1° décembre 1907, fut la date à laquelle la synagogue fut inaugurée.

En effet, avant d’ouvrir sa propre maison de prières, l’ULI existait, en tant qu’association, depuis 1900. À cette époque, dirigée par Alphonse Pereyra avec le soutien actif de Mesdames Eugénie Simon et Marguerite Brandon-Salvador ainsi que de Messieurs Théodore Reinach, Salvador Lévi, et Gaston Bach, l’ULI se développa rapidement et réussit à attirer une centaine de familles de Paris et de province.

De 1900 à 1906, l’ULI a demandé, à maintes reprises, un soutien du Consistoire pour lui permettre de célébrer les offices, et d’éduquer les enfants au sein d’une des synagogues consistoriales. Devant le refus du Consistoire de donner suite à sa demande, elle prit la décision de créer sa propre synagogue - une démarche juridiquement possible grâce à loi de 1905 sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat.

Mais il semble que l’ULI ait connu une vie antérieure. Selon le rabbin Louis-Germain Lévy, un groupement, portant le nom d’Union Libérale Israélite, se créa vers 1895 et commença à étudier les possibilités « d’une modernisation du culte ».

Malheureusement, nous n’avons aucune trace de l’existence de ce premier noyau. Qui eut l’idée de le lancer ? Quels furent ses premiers membres ? Pour l’instant, ces questions restent sans réponses définitives.

Néanmoins, nous pensons pouvoir trouver quelques indices en étudiant l’histoire des conférences du dimanche, lancées par le Grand Rabbin de France, Zadoc Kahn. En lisant sa biographie, rédigée par le rabbin Julien Weill, il est effectivement possible de déduire une corrélation entre les efforts du Grand Rabbin et les origines de l’ULI. Il est frappant d’observer que le rabbin Weill parle dans son livre de la Genèse de l’ULI consécutivement au projet du dimanche lancé en 1896. Weil suggère que les participants à ces conférences, inaugurées en 1899, cherchaient autre chose qu’une expérience éducative :

L’assistance aux offices du samedi matin baissa de façon spectaculaire à la fin des années 1870. Pour lutter contre cette désaffection, on a introduit, à la rue de la Victoire, un office de Minha ; mais dès 1895, les gens ne se donnèrent même plus la peine de venir. En 1896, dans l’Univers lsraélite, Zadoc Kahn écrivit un article qu’il ne signa pas, dans lequel il demanda la création « urgente » d’un office et d’une prédication le dimanche matin à l’intention des jeunes et de leurs parents. Après avoir débattu le projet, le Consistoire inaugura des conférences pour adultes - et non des offices – en janvier 1899. Plus tard, le rabbin Kahn va pouvoir encadrer ses conférences par des prières. Ces conférences/offices ont eu une grande valeur pour les femmes de cette époque qui cherchaient à s’édifier et s’instruire.

Zadoc Kahn prit sur lui de les encadrer de lectures bibliques et de prières en français, pour faire plaisir à quelques auditeurs et surtout à quelques auditrices, qui désiraient mieux qu’une conférence instructive, à savoir un véritable office religieux, rehaussé de chants liturgiques. Dans leur pensée, la concession faite par le Grand Rabbin de France était un acheminement vers cet office qui existait déjà dans quelques grandes communautés d’Allemagne et surtout des États-Unis.

Bernard Blumenkranz et Georges Rivals confirment que les prémices de l’Union Libérale se trouvent dans cette expérience du dimanche.

La véritable histoire des origines de la première synagogue réformée en France reste toujours obscure. L’ULI se créa-t-elle indépendamment du Consistoire ou en fut-elle une émanation ? Ce qui importe, c’est de savoir qu’elle a une longue histoire en France. Ses fondateurs, il y a presque un siècle, s’inquiétaient du devenir du judaïsme, de l’avenir de leurs enfants, et attendaient que le Consistoire réagisse. Devant l’indifférence croissante, la baisse de fréquentation des synagogues,

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Les bonnes feuilles de Hamevasser...

Mars 2020 - n° 1 / Chema 15 • שמע

et des carences dans l’enseignement religieux, ils ont décidé d’agir et de créer une nouvelle communauté afin de mettre en place des réformes qu’ils ont jugées nécessaires. ■

UNION LIBÉRALE ISRAÉLITE Quelques dates et quelques étapes de son développement.

1895-1900 Un groupe de réflexion se créa pour étudier l’introduction des réformes. Ses membres encouragent le grand rabbin de France Zadoc Kahn à créer des offices du dimanche suivi par des conférences.

1900-1906 Association formée. Négociations avec le Consistoire de Paris concernant son adhésion.

1907 I nauguration de la synagogue au 24 rue Copernic, le 2 décembre, dimanche de Hannoukah.

1912 Le 15 septembre lancement de l’organe mensuel de l’’ULIF le Rayon qui poursuit un but d’instruction et d’édification portant à la fois sur tout ce qui concerne le judaïsme et sur le mouvement religieux en général.

1907-1924 Manifestation “Radicale” de l’ULI

1924-1939 Recentrage : sous l’impulsion d’Aimé Pallière et André Baur, le culte public se traditionnalise davantage.

1946-1969 Le Rabbin André Zaoui introduit une nouvelle approche libérale le “néo-hassidisme et le néo-haloutzisme”.

1985 Hannoukah, inauguration de l’Institut International des Études Hébraïques.

1970-1977 Années de transition, de développement et de rupture : 50 familles autour du Rabbin Daniel Farhi créent la seconde communauté libérale parisienne, le Mouvement Juif Libéral de France.

1974 HAMEVASSER (Le Messager) devient le nouvel organe de l’ULIF, il est dirigé par André Gabay.

1977 Le Rabbin Michaël Williams devient le Rabbin de la Communauté.

n° 124 Octobre 1998

ROBERT BADINTER : Le chemin parcouru en 50 ans

nous incite à la modestie« Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits ». Ainsi débute la Déclaration universelle des droits de l’homme, adoptée par les Nations Unies, et dont on commémore en cette fin d’année le 50 e anniversaire. Pour la première fois, la communauté s’était efforcée de définir la notion de droits de l’homme, jusque-là laissée à la seule discrétion des Etats. À la tête de la Mission de commémoration de cet anniversaire, confiée par le Premier ministre, Robert Badinter, ancien Garde des Sceaux et Président du Conseil constitutionnel, aujourd’hui sénateur, livre ses réflexions sur le chemin parcouru, la portée de la Déclaration Universelle, ses enjeux. Pour lui, l’heure n’est ni aux fanfares ni aux trompettes, mais au nécessaire examen de la situation actuelle des droits de l’homme dans le monde.

■ Que signifie, en 1948, la Déclaration universelle des droits de l’homme ?

La Déclaration Universelle des droits de l’homme est un grand moment de la conscience humaine, Nous sommes au lendemain de la Shoah et les plaies sont encore à vif. Certes l’URSS et ses satellites n’ont pas voté la Déclaration et elle est restée dans l’histoire comme une expression de la culture occidentale, mais

l’idée politique que les Nations Unies c’est-à-dire à l’époque les vainqueurs — proclament des valeurs en affirmant leur caractère universel, c’est-à-dire que ces valeurs sont celles de l’humanité entière, est une idée très forte, un grand progrès. Ce qu’il faut souligner, c’est l’universalité, plus encore que la nature des droits proclamés.

■ Quelle est aujourd’hui la valeur de la Déclaration ?

La Déclaration, les principes qui y sont énoncés n’ont rien perdu de leur force. Reste que face aux progrès actuels, aux avancées de la science, de nouvelles questions se posent aujourd’hui en termes de respect des droits de l’homme. La bioéthique, l’environnement, les nouveaux moyens de communication, en sont des illustrations. Mais le chemin parcouru en 50 ans nous incite à quelque mélancolie et à beaucoup de modestie. Plutôt que d’exalter la Déclaration, il faut réfléchir aux problèmes des droits de l’homme tels qu’ils se posent à l’orée du XXIème siècle. La mission que je préside est précisément animée par cette volonté de réflexion.”

Je voudrais ajouter que la dimension prise par l’action des ONG en matière de droits de l’homme est à mon sens un des progrès essentiels de ces 50 dernières années. Je suis d’ailleurs très heureux qu’à l’occasion de la commémoration, se tiennent à Paris les états généraux des ONG et que Paris soit le 10 décembre prochain, la capitale des droits de l’homme, comme elle l’a été le jour de la proclamation.

■ La Déclaration n’a pas de valeur juridique, elle n’a qu’une valeur de recommandation. Mais elle a inspiré des traités internationaux qui obligent leurs signataires à les respecter.

En effet, la Déclaration universelle a été suivie de deux pactes internationaux, adoptés tardivement en 1966. Je dois rappeler que les Chinois, les Américains, à ce jour, n’ont pas ratifié le pacte relatif aux droits sociaux, économiques et culturels. Je dois également rappeler qu’il aura fallu attendre 1981 pour que la France ne les ratifie et qu’ils entrent en vigueur. C’est dire que la politique internationale n’a jamais cessé d’être présente dans ce qui constitue le champ des droits de l’homme. Voilà pour ce qui concerne les textes. Je n’ai pas besoin de dire quelle tristesse m’étreint au regard des violations majeures des droits de l’homme. Depuis la Shoah, le génocide n’a hélas pas disparu de la surface de la terre. Et lorsque l’on voit ce qui se passe aujourd’hui au Rwanda, au Kosovo, en Algérie, en Afghanistan, un demi siècle après la Déclaration, on a envie de dire “homme, regarde ce que tu fais...”

■ Que représente pour vous cette année la création de la Cour Criminelle Internationale, qui à l’avenir, jugera les criminels contre l’humanité ?

C’est un progrès. Je n’ai jamais cessé de lutter pour la création de cette Cour, car je suis convaincu, que c’est à la fin du siècle, le seul grand progrès décisif moral dans le cadre des Nations Unies. Cela veut dire en clair que l’on n’admettra pas que les criminels contre l’humanité coulent des jours heureux et paisibles. Mais la première puissance du monde, les Etats-Unis, n’a pas signé le traité qui instaure sa création, ce qui en soi, pose de grandes questions.

Les bonnes feuilles de Hamevasser...

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16 • Mars 2020 - n° 1 / Chema שמע

■ Quel est aujourd’hui l’enjeu, à l’échelle universelle des droits de l’homme ?

La Déclaration annonce une ère nouvelle aussi bien en matière de droits civils et politiques, qu’en matière de droits économiques et sociaux. En ce qui concerne les premiers, nous avons fait des progrès sensibles. La fin du siècle a en effet été marquée par le triomphe de l’idéologie des droits de l’homme et de la démocratie. Mais aujourd’hui encore, au regard de la répartition des richesses, dans le monde, de l’accès aux soins et à l’éducation, nous sommes en présence d’inégalités structurelles saisissantes. Et c’est dans ce domaine que se trouve le véritable enjeu des droits de l’homme au XXIème siècle : le respect pour tous de la dignité humaine. L’idée que l’être humain a le droit au respect de sa dignité est le véritable apport de la Déclaration. René Cassin a beaucoup œuvré en ce sens. C’est une idée très forte, porteuse pour l’avenir. Je souhaite qu’à l’occasion de la commémoration, intervienne une révision de la Constitution inscrivant le respect de la dignité dans les principes constitutionnels. La dignité humaine n’existe plus quand on est un SDF, et que l’on porte ses hardes sur soi,

en essayant de se trouver un abri pour la nuit. ■

Propos recueillis par Yaël Scemama

n° 127 Juin 1999

Grand Rabbin René Sirat : BÂTIR DES RELATIONS DE RESPECT MUTUEL

AVEC LES CHRÉTIENSQuelques mois après la visite du Pape Jean-Paul II en Israël, retour avec le Grand Rabbin René Sirat sur un événement majeur de ce début de millénaire.

■ Que sont les Amitiés judéo-chrétiennes? Depuis quand existent-elles et quel est leur rôle?

Les Amitiés judéo-chrétiennes ont été appelées à l’existence pendant la Seconde Guerre Mondiale, autour des Amitiés chrétiennes, que le Père Chalier avait créées auprès de l’Archevêché de Lyon. Cette Amitié chrétienne qui a sauvé beaucoup de Juifs, notamment de nombreux enfants, a eu une action importante dans la Résistance. Après la guerre, elle s’est préoccupée de donner une suite à son action. Parallèle à cette action, fut celle du professeur Jules

Isaac qui entendait substituer l’enseignement de l’estime à celui du mépris. Cela a conduit à la conférence de Seelisberg en Suisse en 1947, à laquelle ont participé le Professeur Jules Isaac, mais aussi le Grand Rabbin Kaplan, le Grand Rabbin Safran qui, à l’époque, était Grand Rabbin de Genève.

Du côté chrétien, étaient présentes des personnalités catholiques et protestantes. C’est là qu’est née en quelque sorte l’Amitié judéo-chrétienne. Quand on regarde les progrès accomplis depuis un demi-siècle par ces Amitiés, on ne peut qu’être impressionné. On assiste à une volonté sincère de la part des Chrétiens de changer totalement leur attitude vis-à-vis des Juifs, de mettre un terme à l’enseignement du mépris. Quand on sait l’importance de la liturgie, on est frappé notamment de l’abandon de l’expression “Juif perfide”. En cela, un rôle dominant a été joué par Jean et le Concile de Vatican

Il marque un nouveau départ dans les relations judéo-chrétiennes. En particulier, je voudrais évoquer l’importante rencontre d’Assise, il y a 14 ans, lors de laquelle le Pape a voulu montrer qu’il fallait abandonner l’idée selon laquelle “hors de l’Eglise point de salut”. Désormais, les Chrétiens considéraient que toutes les religions issues du Livre, et d’autres religions d’Extrême-Orient pouvaient servir Dieu selon leur rite, sans que le salut ne soit conditionné par une conversion au christianisme. Pour nous Juifs, il n’y a rien là d’étonnant, puisque tout être humain, en tant que descendant de Noé, à condition qu’il respecte les lois noachides, à droit au salut : il n’est pas nécessaire de se convertir au judaïsme pour être sauvé. Disons que sur ce point, les Catholiques se sont ‘«judéisés”, ou rapprochés de nos positions.

L’Amitié judéo-chrétienne est fondée essentiellement sur deux principes intangibles qui appellent à une grande vigilance : pas de syncrétisme, ni de prosélytisme. Il ne s’agit pas de faire disparaître les différences, mais au contraire, de les reconnaître. Il faut vivre dans le respect les uns des autres et dans le respect des différences. Le fait que l’Eglise ait demandé aux Carmélites de quitter Auschwitz est un geste très symbolique. Ce départ fut difficile, mais il a eu lieu et permet de mesurer les progrès réalisés et le chemin parcouru aujourd’hui. Toutefois, nous devons rester vigilants : il est de nouveau question de la canonisation du Pape Pie IX. Or, pour nous Juifs, le Pape Pie IX est le Pape de l’Affaire Mortara. Cette affaire, avec l’Affaire de Damas, sont, on le sait, à l’origine de la création de l’Alliance israélite universelle, il y a 140 ans. Nous avons un contentieux avec Pie XII, mais au moins, ce dernier a permis le retour au judaïsme des enfants Finali, qui vivent aujourd’hui en Israël, alors que Pie IX, considérant que le baptême était irréversible, s’est opposé au retour à la communauté juive d’un enfant qui avait été converti contre la volonté de ses parents.

■ Qui fait partie des Amitiés judéo-chrétiennes ? Y a-t-il des relations entre Consistoire et les Amitiés judéo-chrétiennes ?

Officiellement, il n’y a pas de relations entre le Consistoire et les Amitiés judéo-chrétiennes, et il ne doit pas y en avoir. Des prêtres et des rabbins en font partie (moi-même, depuis quelques années, le Grand Rabbin Bernheim, qui en est le vice-président). Mais ce qui me paraît important, c’est que tout le monde ne peut pas se considérer comme compétent pour adhérer aux Amitiés judéo-chrétiennes. Il faut du sérieux et de l’humilité, et surtout des compétences pour pouvoir parler valablement au nom du judaïsme. J’ai très peur de tous ceux qui se propulseraient dans ces Amitiés, comme “spécialistes du judaïsme”, sans une bonne connaissance des textes fondateurs et sans s’être préparés, comme le font avec beaucoup d’humilité les prêtres catholiques et les pasteurs qui nous rejoignent.

■ La visite du Pape représente sans doute pour vous à la fois un aboutissement et un point de départ. Comment envisagez-vous aujourd’hui l’avenir ?

Je voudrais tout d’abord revenir un peu en arrière. Cette visite n’est pas le premier pèlerinage d’un pape en Terre Sainte : Paul VI a précédé Jean-Paul II. Il se trouve que j’étais à ce moment-là étudiant à Jérusalem (en 64-65), j’ai donc pu constater le contraste entre ces deux visites : Paul VI affichait un mépris souverain pour l’Etat d’Israël. Je vous rappelle qu’il a envoyé un télégramme de remerciements à “Monsieur Shazar, Tel-Aviv”, et non à “Monsieur le Président Shazar”. Je rappelle également que le Grand Rabbin Nissim était prêt à l’accueillir à Megiddo, à condition que le Pape lui rende sa visite à Jérusalem. Paul VI a refusé avec mépris, et le Grand Rabbin Nissim ne s’est donc pas rendu à Megiddo. Golda Meïr – entre autres – le lui a assez reproché. Mais quand Paul VI a prononcé, à Jérusalem, un discours dont le thème unique était la

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manière dont Pie XII avait sauvé des Juifs à Rome pendant la guerre, sans un mot de compassion pour les victimes de la Shoah, il est apparu clairement que le Grand Rabbin d’Israël avait eu la seule attitude possible. En revanche, le Pape Jean-Paul II est venu en Israël avec un discours de repentance qui devrait être étudié dans toutes les écoles. Sa visite au Mur a été un moment historique. Je l’ai vu seul, réciter sa prière, et la déposer entre les pierres du Mur, comme c’est la tradition. La différence est fondamentale : Jean-Paul II est venu tendre une main fraternelle au peuple juif, reconnaissant son droit à vivre dans son Etat.

■ Certaines personnalités ont reproché au Pape de ne pas être allé assez loin dans ses paroles de repentance. Que leur répondez-vous ?

Je trouve déjà admirable que le Pape ait demandé pardon à Dieu. Car les victimes ne sont plus là pour pardonner. Les survivants eux-mêmes ne peuvent se substituer aux victimes pour pardonner. Je pense qu’il n’y a là aucun procès d’intention à faire. Le problème qui se pose est plutôt vis-à-vis de l’avenir. Il faut être vigilant, bâtir des relations de respect mutuel.

■ Une dernière question, qui concerne plus particulièrement l’ULIF : nous avons l’habitude d’accueillir à Copernic des élèves d’écoles catholiques qui montrent un intérêt croissant pour le judaïsme. Les enseignants nous ont confié qu’ils n’avaient jamais pu être reçus dans des synagogues «consistoriales». Voyez-vous un moyen de remédier à cet état de choses ?

Il faudrait aborder le problème franchement avec Moïse Cohen et le Grand Rabbin Messas. Le Grand Rabbin Sitruk doit aussi être interpellé, car le problème se pose aussi pour les communautés de province. Pour ma part, j’ai toujours répondu aux invitations. J’ajouterais tout de même que maintenant, il faudrait aussi se préoccuper des relations entre le judaïsme et l’islam. Avec la paix qui s’annonce au Proche-Orient, il faut se préparer à un dialogue avec les Musulmans. Si les Amitiés judéo-chrétiennes ont pris, si je puis dire, leur rythme de croisière, nous n’en sommes pas encore là dans nos relations avec les Musulmans. Cela me paraît extrêmement urgent et important ; il y va de la mise en acte des principes que nous défendons depuis des millénaires. Les demandes viennent davantage des Catholiques, parce qu’il n’existe pas d’écoles musulmanes, et parce que les Musulmans sont mal organisés. Mais je vous rappelle que dans la Haggada, il est écrit qu’il faut aller vers celui qui ne sait pas poser de questions. C’est sans doute ce qu’il faut faire aujourd’hui avec les Musulmans. ■

Propos recueillis par André Gabay

n° 94 Août 1991

LA RESPONSABILITÉ DE JUGER par Raphaël Draï

M. Raphaël DRAÏ est Doyen de la Faculté de Droit d’Amiens et Directeur de l’Institut International d’Études Hébraïques, de la rue Servandoni. Ce texte est la retranscription d’une partie de sa contribution, intitulée «La responsabilité de juger dans le Michné Thora de Maïmonide», à la session d’Études sur «Les principes du droit hébraïque», organisée au Sénat par l’I.I.E.H. Ie 10 mars 1991.

J’aborderai cette question de «la responsabilité de juger» à partir du Michné Thora de Maïmonide, mais sans me limiter à ce texte. Le Juge, par définition, est celui qui va dire le droit (juris dictio) et qui va donc introduire le droit dans le langage. Plus exactement, le

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droit étant déjà une langue, il va transformer cette langue en parole. Une parole qui va d’abord de lui-même au justiciable, mais ensuite, une parole qui doit aller du justiciable à lui-même et des justiciables entre eux. De sorte que, si possible, le procès s’achève par une conciliation, ou par une réconciliation. Le Juge est donc celui qui va se servir du langage juridique pour reconstituer la parole sociale et l’échange inter-humain.

Pour éclairer cette approche-là essentiellement, je reviendrai sur la fonction des qualités qui étaient requises du Juge. Pourquoi le droit juif requiert-il ces qualités-là d’une personne qui souhaite être Juge ? D’autre part, quelle est la projection sociale et sociologique de ces qualités-là ? Nous verrons que, ce qui est en jeu, ce n’est rien moins que la paix sociale et la survie politique de la société qui se donne de tels Juges ou qui ne se les donne pas. Avant de développer ces deux points, je voudrais faire brièvement quelques observations. Ce questionnement se retrouve dans les sociétés contemporaines à propos de la fonction du Juge ; est-il un simple prescripteur de la loi ? Doit-il appliquer la loi, de manière «brutale» ? Doit-il intervenir comme agent social et dans ce cas, quelles sont les limites qu’il doit s’imposer pour ne pas sortir de son rôle ? Nous savons que le rôle du Juge est prévu par la Constitution Française, qui elle-même se rapporte à la théorie de la division des pouvoirs législatif, judiciaire et exécutif. Il n’empêche que ces trois pouvoirs doivent être également considérés comme des fonctions devant collaborer, car cette division n’est pas une fin en soi, mais est utilisée pour la stabilité et la survie de la société. Cette dernière étant qualifiée de démocratique en tant qu’elle respecte ce code.

C’est cette même logique que nous retrouvons dans le droit hébraïque. En d’autres termes, la fonction n’est pas dissociable des autres fonctions qui assurent la survie du peuple, et du peuple juif en l’occurrence. Cela est symbolisé par le mot michkan en hébreu, que l’on traduit par sanctuaire ; ce mot est lui-même constitué par les initiales des mots melekh, le roi, celui qui fait que la société se développe et advient, chofet, le juge, celui qui va dire le droit, Cohen, celui qui assure par la liturgie plus proprement religieuse la présence du divin (en hébreu la chekhina), et enfin le mot nabi, le prophète, celui qui vient mettre la société en crise pour qu’elle puisse prendre conscience des éventuels écartements ou dénaturations de ce code-là. On voit ainsi qu’il est destiné à garantir rien de moins que la liberté, et une liberté gagée sur la responsabilité de ceux qui l’invoquent. Dernière observation, d’ordre terminologique. Il y a deux mots pour dire juge en hébreu : le mot dayan et le mot chofet. Les mots en hébreu n’étant pas redondants, chaque mot désigne soit une fonction particulière, soit deux dimensions particulières d’une même fonction. A ce propos, on peut taire avec le langage juridique hébraïque le travail qu’a fait Benveniste avec le langage des institutions indo-européennes dont découle le langage juridique français Ainsi le dayan est celui qui applique le din, la Loi en tant que telle et qui la fait respecter. On peut dire à ce propos que c’est aussi celui qui fait respecter le day, le « ça-suffit », celui qui dit la limite.

Mais le juge est aussi le chofet. Là, le midrach joue sur les mots, entre chofet, le juge, et sfataïm, les lèvres. Le juge, c’est celui qui reconstitue le mouvement des lèvres, donc la possibilité de parler lorsque le conflit est d’une violence telle qu’il coupe la parole ou qu’il incite à passer à l’acte. Voilà donc pour ces deux étymologies, probablement conjecturales mais en tout cas parlantes à propos de ce qu’est un juge dans le droit hébraïque.

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moutons, mais seulement à un groupe d’hommes et de femmes qui sont capables de l’évaluer. Et ce jugement doit avoir lieu à tout instant, c’est-à-dire qu’il ne peut pas y avoir d’interruption dans le fonctionnement de la justice, parce qu’il n’y a pas d’interruption dans le fonctionnement de la vie.

L’enjeu de tout cela, c’est le Chalom, la paix. Et il nous restera à comprendre, bien évidemment, quel est l’enjeu de la paix ?

Maïmonide va expliciter ces qualités dans les Hilkhot Sanhédrin, et il va les reclasser d’une manière un peu différente. En reprenant ce passage du Sefer Chemot, il dit que les juges devront être «anachim ‘ha ‘hamin», sages, ensuite « nevonim », c’est-à-dire intelligents, qu’ils soient dotés de de’am merouba, d’une connaissance multiple que nous dirions aujourd’hui pluridisciplinaire. Il ajoute que le juge doit avoir des enfants «pour qu’il soit capable de compassion». En d’autres termes le juge n’est pas seulement l’homme qui va appliquer la loi d’une manière brutale, mais c’est celui qui va faire en sorte que la loi devienne acceptable, afin que l’important ne soit pas la punition mais la réparation possible ou rendue possible. Nous avons donc ‘ho’hma. bina da’at ; ceux qui sont quelque peu au courant de la mystique juive savent que ce ne sont pas là seulement trois qualités psychologiques mais que ce sont les trois fonctions fondamentales qui font que la Création existe en tant que telle. Ce sont les trois fameuses sephirot ‘habad qui font que la vie peut être constituée et qu’ensuite elle puisse se développer parce que cette structure sera incluse dans le temps. C’est cela la fonction de la rahamanouf, la compassion, à savoir faire crédit à quelqu’un car parfois faire payer comptant c’est le condamner à mort.

De ce point de vue, il y a un commentaire tout à fait étonnant d’un Rabbi Eli Melekh de Duvno qui reprend l’obligation de Maïmonide mais en insistant sur certains de ses termes. Lorsque le Deutéronome dit « des juges et des exécuteurs de justice, tu te les donneras à toi et bekol che’arekha », cette dernière expression pose un problème de traduction qui concerne aussi bien l’institution judiciaire que les qualités du juge. Le Rabbi de Duvno demande pourquoi il n’est pas dit bekol ‘erekha, dans chacune de tes villes. On a l’habitude de traduire cha’ar par porte, mais ce mot ne signifie pas seulement la porte ou n’importe quelle porte. Ce mot apparaît la première fois lors du rêve de Jacob, lorsqu’il voit l’échelle reliant la terre et le ciel, et qu’ensuite il prend conscience de ce dont il a rêvé, il dit «zé che’ar hachamaim», ça c’est la porte des cieux. C’est l’huis, le seuil à partir duquel on peut accéder à la notion de chamaim. Il y a une autre tradition, dans le Zohar qui dit que chamaim c’est « la Thora écrite » C’est donc une Thora interprétée en hauteur, encore faut-il que le juge soit capable de mon ter cette hauteur. Là, le Rabbi de Duvno fait observer que le juge a une fonction particulière ; il doit juger, c’est-à-dire peser. Non pas simplement appliquer un poids unilatéral à une affaire qui sera observée grosso modo, mais c’est appliquer une activité intellectuelle à un cas humain. C’est pourquoi les Rabbins mettent, en jouant sur les mots, en balance le terme chekel qui signifie peser et le mot sekhel qui signifie réfléchir. D’où «dans la mesure où tu veux exercer le jugement et être juge, il faut toi-même que tu institues des juges et des agents de filtrage à tous les seuils qui font venir vers toi l’information. Là, l’interprétation est tout à fait belle, Elimelekh de Duvno dit que, pour l’individu, bekol che’arekha ce sont les yeux, les narines, les oreilles et la bouche. Ce sont là les seuils, les passages qui vont de la réalité à l’individu. En d’autres termes, à partir du moment où quelqu’un se mêle de juger quelqu’un d’autre, il doit être d’abord son propre juge.

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Revenons à ces qualités qui authentifient l’aptitude et la capacité à juger

Le droit juif affirme qu’aucune société n’est viable si elle ne respecte l’état de droit, lui-même fondé sur le principe de la juridiction, c’est-à-dite l’instauration des tribunaux. Personne ne peut être juge et partie dans sa propre affaire ; quiconque a un litige, doit le porter devant un tribunal. Cela, ce n’est pas du droit spécifiquement juif, mais du droit humain. Mais on peut se poser la question de savoir pourquoi le droit juif, au Sinaï, a repris cette règle du droit noahique. C’est tout simplement, qu’il n’y a pas d’autre alternative. Lorsqu’une société ne respecte pas l’état de droit et cette règle-là fondamentale, ce qui s’ouvre à elle, c’est la perspective du meurtre, et du meurtre indéfini. C’est ce qui est dit dans le Sefer Berechit à propos de Caïn ; lorsqu’il tue son frère, la réaction de Dieu est de dire : « quiconque tuera Caïn, il sera vengé à l’infini ». Lorsque chacun se fait justice à soi-même, et parfois cela peut porter sur la vie de l’autre, ce qui se met alors en place c’est la «vendetta», la vengeance qui a cette particularité de ne jamais cesser. Nous retrouvons ici cette fonction du juge, dayan, celui qui va dire day, «ça-suffit». Dans une querelle qui peut aller jusqu’à son paroxysme, il dit la limite. Une limite tout d’abord négative, mais nous allons le voir, une limite aussi qui fasse sens.

Maïmonide rappelle que c’est une mitsva positive, une obligation positive, d’instituer des juges dans tous les lieux où ils sont requis, selon le chapitre 16 du Deuthéronome et notamment les versets 18 à 22 dont je signale qu’ils constituent le noyau du code de procédure, non pas seulement juridique, mais du code de procédure d’Israël. Les différentes séquences de ces versets constituent les différentes étapes de la procédure juridique, en tant qu’elle permet l’établissement de la parole, interindividuelle mais aussi sociale et politique.

Nous comprenons dès lors pourquoi lorsque le peuple hébreu a été libéré d’Égypte, la première des démarches et la première initiative a été d’instituer, non pas la police, non pas l’armée, mais le corps des juges. Lorsqu’on lit le récit de la Thora, la constitution de la juridiction précède même le don de la loi, parce qu’il ne peut pas y avoir de parole socialement acceptable si le canal de cette parole n’existe pas.

Les procédures de choix des juges étaient telles qu’en réalité pour six cent mille personnes il y avait soixante-dix mille juges en Israël. On pourrait penser que c’est une saturation extraordinaire de l’espace judiciaire, mais il faut garder à l’esprit que ces juges n’étaient pas des juges professionnels et que l’économie ainsi faite était que les jugements étaient rendus très rapidement, par des juges de proximité. Il ne s’agissait pas non plus d’improviser, d’où ces qualités dont nous avons parlé ; ces juges devaient être des anchétemet, c’est-à-dire des «hommes de vérité», d’abord des hommes, capables de ressentir ce que d’autres hommes ressentaient, et de vérité, c’est-à-dire qui n’acceptaient pas le mensonge et l’illusion, tout ce qui constitue la pseudo-réalité. Ils devaient haïr la corruption et être «craignant Dieu». Il ne faut pas prendre cette dernière for-mule dans un sens «intégriste» ou même purement théologique ; craindre Dieu c’est simplement ici ne pas craindre le pouvoir politique. Ainsi par exemple, ils ne devaient pas craindre Moïse ou Aaron. Enfin leur fonction, et la formule est importante : «et ils jugeront tout le peuple en toute occasion». Il y a là deux particularités du verset, ils devraient juger le peuple, c’est-à-dire qu’il n’y a pas de fonction juridique au sens juif si elle n’est pas associée à la réalité du peuple en tant que tel. On ne saurait appliquer un jugement à un troupeau de

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parachever. Ce parachèvement-là n’est pas accidentel, il est la vocation même de l’homme, qui a été créé pour cela. C’est pour-quoi, dans la prière du Chabbat on finit en disant la’asot, pour faire ; l’homme est fait pour faire et non pas pour rester isolé, l’état de droit étant une sorte d’appareil de contention qui surtout évite que l’homme n’extériorise sa liberté et sa créativité, un peu comme le parent qui a peur que sa fille ou son fils traverse la rue pour la première fois. Non, l’homme juif est un homme qui traverse, avec les dangers de la traversée, mais il faut l’avertir de ces dangers et l’amener à réparer.

Nous comprenons pourquoi nous avons dans les Psaumes, cette formule tout à fait étonnante : « Les morts ne peuvent pas glorifier Dieu ». Seuls les vivants peuvent le faire, mais être vivant c’est un risque social qui doit être assumé en tant que risque social ; c’est le juge qui va être placé au seuil, pour voir effectivement à partir de quand il s’agit de l’exercice d’une responsabilité et à partir de quand cette responsabilité se transforme en son inverse, l’irresponsabilité. Cette dernière étant jugée par quelqu’un qui est lui-même responsable, et non pas quelqu’un situé en état d’extériorité ou d’exterritorialité par rapport au peuple. ■

Propos retranscrits par Jaïs Azoulay

n° 193 Septembre 2015

LA PERTE DES NOUVEAUX TERRITOIRES par Georges Bensoussan

En 2002, les Éditions Mille et une nuits publiaient un ouvrage collectif dirigé par E. Brenner, pseudonyme de G. Bensoussan, «Les territoires perdus de la République », qui souleva un flot de critiques dans les cercles de la bien-pensante en France. A. Finkielkraut fut un des seuls à voir dans cette enquête l’annonce d’un échec de l’école dans le domaine de la transmission. Au lendemain des attentats du mois de janvier, Fayard, propriétaire des éditions Mille et une nuits, demanda à Georges Bensoussan de préparer une troisième édition d’un ouvrage dont la couverture était, cette fois, beaucoup plus explicite que celle de 2004. À cette occasion, le maitre d’œuvre du livre rédigea, à sa demande, une longue postface (avril 2015). À la suggestion d’une autre maison d’édition, et en vue d’un autre ouvrage collectif, Georges Bensoussan a décidé d’étendre son investigation à d’autres domaines que l’école, mais affectés par les mêmes difficultés. Il a répondu sans ambages à nos questions pour ce dossier.

Hamevasser: Depuis 2002 avons-nous regagné des «territoires » ou bien en avons-nous perdu d’autres ?

Georges Bensoussan: Malheureusement nous avons perdu d’autres « territoires ». Le livre de 2002 ne concernait que les milieux de l’enseignement, qui était le domaine dans lequel nous travaillions, et ce que je constate aujourd’hui dans le cadre de la préparation d’un nouveau livre, c’est qu’il y a d’autres domaines de la vie civile, professionnelle et sociale qui sont devenus des lignes de front. Le terme, guerrier, est utilisé par mes interlocuteurs, notamment dans le cadre de la médecine, du travail social ou de la police.

H. : Est-ce que vous définissez cette crise comme une crise de la transmission ?

G. B.: Je crois que c’est d’abord le prolongement d’une crise sociale et culturelle qui dure en France depuis plus de quarante ans. Le chômage de masse qui a laminé le tissu social. Plus de 5 millions de chômeurs avec, contrairement au reste de l’Europe, une natalité forte. L’Allemagne a perdu 8% de sa population ces dix dernières années, la France dans le même temps en a en gagné 12%. Un deuxième élément bouleverse la donne, c’est une immigration africaine de masse, venue du Maghreb et

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Nous voyons que les qualités qui sont requises du juge, ne sont pas des qualités purement formelles. L’homme qui se mêle de juger son prochain s’instaure comme Dieu vis-à-vis de son prochain, encore faut-il qu’il ait les qualités qui soient les mêmes que celles du Dieu de la Thora ; qu’il juge en din mais qu’il juge aussi en rahamanout. C’est aussi celui qui prend le temps de comprendre l’affaire, qui entre dans le débat, qui accepte la procédure avant de rendre le jugement.

Cela c’est l’innovation abrahamique essentielle, lorsque Dieu a décidé que le crime de Sodome était tellement grand que devait s’ensuivre la destruction de la ville, Abraham s’instaure lui-même en défenseur de Sodome et Dieu accepte de discuter avec ce défenseur. Nous voyons qu’il faut beaucoup d’humilité dans la tradition juive pour s’instaurer et pour prétendre à la qualité de juge. Et lorsque l’on met l’accent sur toutes ces qualités, c’est simplement en guise d’avertissement. Parce qu’il est déjà difficile d’être juge de sa propre existence ou de juger ses propres qualités, quand on veut juger du sort de l’autre, il faut savoir, comme le dit le midrach, qu’il y a une épée suspendue sur la tête de chaque juge et qui pourrait le sanctionner si le jugement n’était pas rendu en din emet, en jugement de vérité.

L’autre aspect que je voudrais aborder, c’est le rapport qu’il y a entre l’action de juger et la créativité sociale, puis entre la créativité sociale et la survie politique. Nous avons évoqué le verset «ils jugeront le peuple», et le mot ‘am, le peuple, n’est pas ici indifférent. Il y a plusieurs termes dans la sociologie juive et dans le droit public juif, pour désigner une collectivité ; nous avons les termes « goy », « eda », « kahal » etc... Quand on emploie « ‘am », on use intentionnellement d’un mot qui est bâti sur l’adverbe qui signifie avec, car on ne constitue un peuple en ce sens que si l’on est capable de «vivre avec». Dès lors la définition de la fonction du juge a pour but de permettre aux bne Israël de continuer à vivre ensemble.

La fonction judiciaire n’est donc pas ici une fonction de sanction et de diffraction sociale, mais bien au contraire une fonction de conjonction qui est destinée à faire en sorte que l’agrégat d’esclaves qui était sorti d’erets misraim redevienne un peuple de citoyens et accepte surtout l’état de droit.

Ici intervient un certain nombre de particularités sur lesquelles il faut insister. Tout d’abord, quand on est juge en Israël, on est juge dans une société ouverte. Le mot réalité, en hébreu, se dit metsiout, mot lui-même bâti sur une racine qui signifie sortir. En d’autres termes, la réalité dans la pensée juive n’est pas quelque chose de statique et de refermée mais elle est toujours émergente. Cela se traduit aussi dans la vie sociale ; on ne peut pas être un peuple et se refermer sur soi. On ne peut être un peuple et ne pas être créateur. Mais aussi, comme le dit la Michna, on ne peut pas être créateur, prendre des initiatives et ne pas risquer de provoquer des dommages. D’après le droit civil de la responsabilité juive, l’homme doit être toujours considéré comme mo’ad, c’est-à-dire comme susceptible de provoquer des dommages. Le droit hébreu va donc être un droit de la prévention, il a à éviter que le dommage ne se produise puisque l’on est averti que l’homme du fait même de l’exercice de sa responsabilité, peut provoquer des dommages. A partir du moment où, malgré ces avertissements, le dommage est causé, il faut surtout s’occuper de la réparation. Celle-ci n’est jamais simplement une réparation matérielle, elle est aussi une réparation sociale ; il faut faire ce que l’on nomme en hébreu un tikoun. Cela va très loin dans la conception même du schéma de la vie, tel qu’il est développé dans le Zohar est que Maïmonide reprend sous différentes formes. Dans le Zohar, on affirme cette chose qui peut paraître étonnante, Dieu n’a pas créé le monde fini ; il a créé un monde ouvert que l’homme doit

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d’Afrique noire. Aujourd’hui, en Europe, un musulman sur quatre vit en France. L’immigration maghrébine s’intègre mieux que celle d’Afrique noire, mais le contentieux colonial n’a pas été totalement liquidé. Il en habite encore un grand nombre, en particulier du côté de l’immigration algérienne (plusieurs millions de personnes en comptant les étrangers et les descendants de....). L’Algérie, en effet, a violemment souffert dans sa chair de la colonisation dès le début de la conquête qui fut souvent barbare. Sans oublier l’ultra violence de la guerre de décolonisation. De là la question : quel ressentiment cette horreur passée et racontée de génération en génération a-t-elle pu nourrir dans les familles ?

Par ailleurs, il faut compter avec un puissant courant d’intellectuels, souvent de gauche, qui a nourri l’autoculpabilisation de l’Occident, ce que Pascal Bruckner avait défini en 1983 comme « le sanglot de l’homme blanc ». Une idéologie qui a aggravé la crise de l’intégration et de la transmission : on intègre d’autant moins bien qu’on ne s’accepte pas. Une partie des élites intellectuelles de ce pays n’aime guère une France qu’ils confondent avec l’esprit étriqué de Vichy ou de la petite bourgeoisie conservatrice de province. C’est le refrain de la « France moisie » des uns, de la « France rance et raciste » des autres, comme si la France se limitait à cette caricature. Pour ce courant intellectuel, ce qui est lié à l’identité est confondu au nationalisme et donc à la guerre. De même assimile-t-il histoire culturelle et essentialisme. Bref, toute une partie, je dis bien une partie, des élites intellectuelles de ce pays ont entretenu une haine de soi qui a freiné l’intégration de l’immigration. Or, en France, la cohésion nationale est de plus en plus fragile. On y est très loin de ce patriotisme omniprésent dans les rues américaines ou israéliennes où les drapeaux flottent au vent de nombreuses maisons.

H. : Pensez-vous qu’il s’agit d’un rejet de l’héritage et du passé national et culturel français ?

G. B.: Il y a un rejet du passé, notamment celui du colonialisme. Mais la mémoire de Vichy a aussi joué un rôle important. Et à ses côtés les effets pervers d’une mémoire de la collaboration et de la Shoah qui a été dévoyée. La mémoire collective, qui nous est essentielle pour vivre, a été ossifiée en rituel commémoratif’, en pieux catéchisme de bonnes intentions, en programme lénifiant et lassant du « camp du Bien » où chacun fera assaut de bons sentiments pour assurer sa posture morale. On est très loin ici du politique, on est dans le spectacle et l’émotion. Partant, dans l’irresponsabilité politique. En 2005, à l’occasion de la victoire d’Austerlitz, Dominique de Villepin, alors Premier ministre, renonce à célébrer l’événement pour ne pas heurter les associations noires. Bonaparte, en effet, avait en 1802 rétabli l’esclavage dans les colonies françaises. Du coup, et quoiqu’on pense du personnage Bonaparte, Austerlitz, ce moment clé de la Grande Nation, avait disparu au profit d’une vision moralisante transformé en procureur et militante de l’histoire.

H. : Pourtant ces élites, une partie d’entre elles, ne cesse d’invoquer les valeurs de la République, la laïcité, la fraternité, pourquoi se référer à des valeurs d’une nation si on ne l’aime pas ?

G. B.: En France, la République n’est pas seulement une forme de régime, c’est aussi une culture. En invoquant seulement la République et en ne l’ancrant pas dans une nation, on retrouve à nouveau ce défaut que j’évoquais : la « République » seule comme l’URSS de jadis, n’a pas de terre désignée. Par ailleurs, on a parfois le sentiment, en France, que la République est d’autant plus invoquée qu’elle prend eau de toutes parts. Comme aussi on n’a pas assez attention qu’il fallait désormais mettre en avant la nation pour intégrer, pour faire de cette immigration des Français qui se reconnaissent peu ou prou dans le roman national et l’épopée de sa langue. Était frappant au lendemain des attentats de janvier 2015 le fait qu’il n’y avait pas une nation ressoudée, mais deux peuples, l’un en face de l’autre, Celui qui était Charlie et celui qui ne l’était pas et le disait surtout. Clivage ethnique et culturel, clivage de classe aussi étaient lisibles le 11 janvier 2015 dans les rues de Paris. Force est de constater que la France des banlieues était le plus souvent absente

ce jour-là. Et en province, les grandes manifestations n’eurent pas lieu dans les zones à forte population immigrées comme le nord ou l’est, mais dans des villes à faible densité étrangère (ou descendante d’étrangers) comme Bordeaux.

H : Vous dites qu’il y a deux peuples en France, mais au fond

n’y-a-t-il pas trois France ?

G.B. : Oui en effet, on repère une France intégrée des villes et centre villes, composée de classes moyennes et majoritairement blanches. En deuxième lieu, une France des périphéries, des petites villes et des espaces interurbains, plus pauvre et blanche aussi en majorité. Enfin, la France des banlieues et des grandes cités à fortes populations immigrées et descendants africains, parfois mal intégrées. Ce sont trois Frances juxtaposées dont les deux dernières, les plus nombreuses, ont le sentiment d’avoir été abandonnées par les élites. Or, c’est cette deuxième France, dite périphérique, telle que l’a montré Ch. Guilluy, qui constitue le vivier du Front National même si ce n’est pas que l’on compte le plus fort pourcentage, mais c’est là que l’on vit un abandon social et une insécurité culturelle que la gauche n’a pas su prendre en compte, considérant, à tort, que seule la population étrangère souffrait de malaise identitaire. C’est pourquoi aujourd’hui, et cette évolution est dangereuse parce qu’elle prête le flanc aux démagogies simplistes, le clivage gauche/droite semble supplanté par le clivage classes populaires/élites.

Ce sont trois Frances juxtaposées donc les deux dernières, les plus nombreuses, ont le sentiment d’avoir été abandonnées par les élites

Enfin, les préjugés racistes et antisémites surtout ne sont plus du Front National. Un antijudaïsme virulent fait partie du fond culturel d’une grande partie des familles du Maghreb ( on attend toujours les démentis scientifiques et une condamnation venue des milieux maghrébins sur ce sujet, à l’instar des voix de Boualem Sansal, Smaïn Laacher, Zohra Bitan et de quelques autres.) Ce qui frappe encore dans Fondapol menée par Dominique Reynié en 2014 c’est que les préjugés antisémites sont plus forts au Front de gauche qu’au FN.

Je suis frappé par la facilité avec laquelle aujourd’hui plusieurs de mes interlocuteurs évoquent un risque de guerre civile. Les affrontements dans les rues de Paris ou de Sarcelles en juillet 2014 n’étaient que des abcès de fixation préludant à des affrontements civils à venir, autrement plus graves. Les Français non juifs se sont désintéressés de Merah, Nemmouche et autres tueurs antijuifs. Ils ont eu tort. Ils seront demain en première ligne, et une bonne partie de la communauté juive (dont le niveau socioculturel est élevé) aura, elle, disparu. Bref, tandis que le pays s’appauvrit par ces départs devenus conséquents, une bonne partie des médias contribue à occulter réalité.

Il est possible que le judaïsme français vive sa dernière génération. L’immigration maghrébine, et elle seule, a importé en France son anti-sémitisme spécifique, aggravé encore par le conflit du Proche-Orient. Mais, en toile de fond, il y a plus grave, il y a divorce et quasi sécession territoriale avec une population qui ne se sent pas partie prenante de la nation française et essaie ses codes et ses valeurs. La charte de la laïcité qu’on demande aux parents de signer à la rentrée scolaire 2015 se heurtera ici et là à une opposition de familles qui prétendront y voir une forme de stigmatisation. En ne comprenant pas que la laïcité n’est pas une option en France, c’est la France. Cela renforcera leur sentiment d’être des victimes, haïes de et c’est là pain bénit pour la radicalisation salafiste qui joue sur et le cherche. À terme, cela renforcera leur sentiment d’être une population dans la population.

H. : La laïcité aujourd’hui en France qu’est-ce que cela signifie ?

G.B.: Jusqu’à l’arrivée de la population arabo-musulmane, ce terme était tombé en désuétude. On n’en parlait plus guère parce que la

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Mars 2020 - n° 1 / Chema 21 • שמע

culture laïque avait été intégrée. Si le combat laïc reprend de la vigueur aujourd’hui, c’est parce que l’on refuse clairement à l’islam la possibilité de dérogerà la règle commune imposée aux chrétiens et aux juifs, et, plus grave, de s’imposer sur la vie civile en France. C’est ce qu’avec le courage ambiant, personne n’ose formuler de la sorte et dire qu’en effet, au regard de la Laïcité, des Lumières et de la démocratie qui sont le fonds commun de notre vie en société, l’islam apparait comme une réalité étrangère aux Lumières de la démocratie.

H.: Le peuple juif ne va-t-il pas d’une certaine façon à l’encontre de ce rejet de l’identité nationale, puisqu’il se définit comme un peuple de passeurs et en cela peut-être

dérange-t-il ?

G.B.: Le Juif est un signe identitaire fort. Dans une société qui ne s’origine que de soi-même, où l’on vit dans l’instant et dans le zapping, la transmission est en crise. Les Juifs, symbole de la filiation (c’est la religion mère autour de la Méditerranée et au-delà...), deviennent ce groupe qui indispose, À quoi s’ajoute cette culpabilité épuisante liée à la Shoah, ... Ce sont là deux des ingrédients qui nourrissent le rejet du sujet juif et l’actuelle judéophobie occidentale. ■

n° 141 Décembre 2002

LES JUIFS DE PANAMEA l’occasion de la parution du “Guide du patrimoine juif parisien” de Dominique Jarrassé (Editions Parigramme), nous vous proposons un dossier sur les Juifs de la capitale. Tous les historiens s’accordent sur le fait que la présence d’une communauté juive est très ancienne, mais aussi très fluctuante. Ville de passage, aux nombreuses vagues d’immigration, Paris a attiré les Juifs et continue d’entretenir avec eux des relations passionnelles et complexes. Les «lieux de mémoire» sont nombreux les événements souvent dramatiques et les personnalités juives marquantes ne manquent pas. Existe-t-il un Paris juif ? Comment le faire découvrir ? Que devient-il à l’aube du siècle ? Des grands philanthropes du XIX*» siècle, aux yiddishistes de l’entre-deux-guerres, des peintres de l’école de Montparnasse -des années 20 aux odeurs pimentées de la rue Montmartre des années soixante-dix, quels sont les traits communs ?

De Chilperic à la RévolutionLa continuité de la présence juive n’a pas pour autant contribué à l’éclosion d’une identité spécifique. Le judaïsme parisien s’est forgé dans le pluralisme et la variété. Le patrimoine monumental ne se constitue réellement qu’à partir du siècle, même si les premières traces d’une communauté datent du VIe siècle. Un historien récent donnait à son ouvrage le sous-titre “De Chilpéric à Chirac”, soulignant ainsi les nombreux témoignages sur la présence juive depuis les Capétiens (1). Expulsés à plusieurs reprises à partir de 1182 jusqu’en 1394, date à laquelle Philippe Auguste prononce la suppression de la communauté, les Juifs reviennent individuellement dans la capitale jusqu’au XVIIIe siècle. Après la Révolution et l’Empire, la création du Consistoire donne aux Juifs de Paris une organisation communautaire, reconnue par les autorités de la République. Le XIXème siècle voit une participation croissante des Juifs à la vie économique et au développement industriel de la ville. L’affaire Dreyfus à la veille du XXe siècle, représente sans aucun doute un tournant dans les relations « judéo-parisiennes ». L’antisémitisme, les guerres mondiales, l’occupation allemande et le régime de Vichy, l’accueil des réfugiés des camps, le sionisme, puis l’indépendance d’Israël seront autant d’étapes sur le chemin sinueux des rapports avec la communauté juive.

Où habitaient les Juifs ?Au Moyen-Âge, ils résidaient principalement dans le quartier des Champeaux (les Halles) et sur la rive gauche, à hauteur de la rue de Harpe. La rue de la Juiverie est devenue rue de la Friperie, les rues de la Vieille Draperie et le quartier de la Sainte Madeleine abritent les échoppes juives, mais c’est au XIIe siècle que Paris voit l’ouverture de la première Yechiva. Des disciples de Rachi créent une véritable école de Responsa, dont certains maîtres sont restés célèbres comme Judah Ben Isaac ou Yehiel Ben Joseph, fondateur de la Yechiva de Paris à Saint Jean d’Acre lorsqu’il fut expulsé de Paris. Le XIIIe siècle reste marqué par l’incinération du Talmud en place de Grève en 1242, événement qui exacerbe les persécutions anti-juives et est suivi de nombreuses mesures de discriminations de la part des rois de France, Saint Louis, Philippe III le Hardi et Philippe le Bel. Accusés d’empoisonnement des puits en 1321, les Juifs de Paris sont massacrés, puis exilés à nouveau. Au XIVe siècle, les seuls Juifs résidant à Paris se trouvent dans le Marais, près de l’Hôtel Saint- Paul, de la rue du Petit Musc et de la rue Saint-Antoine, futur quartier juif du Pletzel.

Le nouveau statut des Juifs de ParisÀ partir du XVIIème siècle, les Juifs vivent dans des rues proches du Marais, les rues Saint-Martin, Brisemiche ou Montmorency. Ils commencent à acquérir des concessions dans les cimetières, des bains et des hôtels. Les interdictions de la pratique religieuse appliquées lors de la Terreur frappent également une communauté qui s’organisait autour de la synagogue. Cependant, la population juive de Paris se multiplie pendant cette période, puisqu’elle passe de 500 à 3000 de 1789 à 1800. La réunion du Grand Sanhédrin en 1807 par Napoléon aboutit à l’instauration d’une communauté dotée d’institutions, de notables et de guides spirituels. Désormais Paris sera aussi la capitale du judaïsme et verra une lente diminution de l’influence des autres communautés (Alsace-Lorraine, Bordeaux, Comtat- Venaissin etc). La création du Consistoire Central, l’ascension économique et sociale des familles Rothschild, Worms ou Péreire apportent aux Juifs de Paris une place nouvelle dans le paysage de la métropole. Les Juifs contribuent à la transformation de la ville par le Baron Haussmann en fondant notamment le Crédit Mobilier et en participant aux grands aménagements, tels que Le lancement des chemins de fer ou la construction de grands parcs. Au milieu du XIX e siècle, des Juifs font leur apparition sur la scène politique français comme Crémieux et proposent un modèle judéo-français alliant les valeurs libérales de la démocratie et les vertus morales issues de la Bible. Cette vision du monde sera à l’origine de la création de Israélite universelle, À la veille de l’affaire Dreyfus, la population juive s’élève à 40 000 âmes.

L’affaire Dreyfus, un tournantDominique Jarrassé dresse un remarquable portrait de la communauté, qui divisa les Français mais qui fit aussi connaître certaines personnalités juives comme La réunion du Grand Sanhédrin ou le Grand Rabbin Zadoc Kahn, Bernard Lazare, Marcel Proust, Edmond Fleg, André Spire et Léon Blum. On sait aussi le rôle que joua le procès dans la rédaction par Herzl d’un petit livre intitulé «L’Etat des Juifs». Mais à travers Dreyfus, c’est le «modèle» juif français qui est atteint et bafoué. Même la participation des Juifs à la première guerre mondiale dans les rangs de l’armée française ne suffira pas à réconcilier la communauté avec son hôte. Les Juifs de Paris continuent, même après la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat, à appartenir à des associations culturelles issues du Consistoire de Paris, alors que celles-ci n’ont plus de fondement légal. Aidées par des mécènes comme Daniel Osiris ou Edmond de Rothschild, de nombreuses Synagogues sont construites pour accueillir les Juifs de l’Est, de plus en plus nombreux en région

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parisienne. Entre les deux guerres, la population juive de Paris grossit de près de 100 000 âmes, et l’on estime qu’à la veille de la deuxième guerre mondiale il y 156 000 Juifs entre Paris et sa banlieue. Une des caractéristiques des communautés ashkénazes entre les deux guerres, c’est l’importance de la vie associative. En 1926, une Fédéraion des Sociétés Juives de France est créée sur une base politique. Pour leur part, les yiddishistes se regroupent autour du Bund, le KKL de France est fondé par quelques Juifs du Pletzel et vient renforcer le mouvement sioniste, dont tous les partis ont une section. Jabotinsky, fondateur du Betar et du mouvement révisionniste vécut à Paris plusieurs années et fréquenta les milieux artistiques issus de l’émigration russe. La Lica, organisation de lutte contre l’antisémitisme, est fondée en 1928, au lendemain de l’acquittement de Samuel Schwarzbard, mais aussi les Eclaireurs Israélites de France en 1923 par Robert Gamzon. Entre 1929 et 1939, la presse juive comprend plus de 100 titres d’importances diverses, dont les plus célèbres sont les trois quotidiens en yiddish Parizer Haint, Neue Presse et Unzer Shtime, l’hebdomadaire sioniste La Terre Retrouvée et l’Univers Israélite de tendance consistoriale. Une vie culturelle intense anime la rue juive, des peintres, des écrivains et des comédiens font la fierté de ceux qui croient à ce « petit paradis » parisien. L’antisémitisme à la française ne vise pas les petits artisans mais les notables, et l’on s’efforce de croire qu’un véritable lien unit le peuple de Paris à sa communauté juive, composée essentiellement d’ouvriers et de petits commerçants, éloignés eux aussi des grandes familles riches. L’occupation allemande et l’arrivée du régime de Vichy réveilleront les vieux démons.

Le choc de la guerreRappelons que les allemands avaient utilisé l’acte de désespoir d’un jeune juif Herschel Grynszpan à l’encontre d’un conseiller de l’ambassade du Reich à Paris, pour déclencher la Nuit de Cristal. L’avènement du gouvernement de Pétain entraîna la mise en place d’un statut des Juifs, puis les discriminations et les rafles qui commencèrent à Paris en mai 1941 pour aboutir à la grande rafle du Vel d’hiv en juillet 1942. Sur les 76 000 juifs français morts en déportation, une grande part venait de la région parisienne. Des plaques commémoratives sont apposées depuis quelques années par les autorités françaises pour rappeler les arrestations d’enfants juifs dans les écoles communales de Paris. La reconstruction sera difficile et ne s’accomplira qu’avec l’aide d’organisations philanthropiques américaines. Le judaïsme parisien abandonne son “israélitisime» pour devenir plus militant, plus engagé dans le soutien à Israël et plus attaché à la pratique religieuse. Plusieurs institutions incarnent ce nouveau message: l’Ecole Gilbert Bloch dite d’Orsay, qui forme les cadres des Eclaireurs israélites de France, l’Ecole Normale Israélite Orientale dirigée par par Emmanuel Levinas, le Centre Universitaire d’Etudes Juives de Léon Askenazi et bien plus tard, le Collège des Etudes Juives, fondé par Schmuel Trigano.

Les quartiers juifsCe que Dominique Jarrassé appelle la topographie, c’est à dire les quartiers juifs comprennent avant tout le mythologique Pletzl, avec la rue des Rosiers, au coeur d’un projet de rénovation contesté par la Mairie (2). La rue des Ecouffes, la rue Pavée où se trouve une des plus anciennes synagogues de Paris, la rue Malher, la rue Ferdinand Duval et la rue des Hospitaliers Saint-Gervais, l’espace des Blancs-Manteaux où furent rassemblés les enfants Juifs du quartier en 1942. On trouve dans ce quartier tous les services communautaires, nourriture cacher et restaurants, synagogues, Mikve, les librairies bien connues Bibliophane et Chir Hadach ou encore depuis quelques années, les studios de Radio J et surtout les dimanches, un public qui y retrouve un microcosme d’Israël. Deux autres quartiers ont connu une forte présence, Belleville dans les années d’après-guerre et au moment de l’arrivée des Juifs du Maghreb. Les synagogues de la rue Julien Lacroix et de la rue Ramponeau, accueillaient les Juifs qui se retrouvaient sur le boulevard. La rue de Belleville, célèbre dans les années soixante

pour ses magasins de chaussures et les marchands de cuir des rues avoisinantes est devenue aujourd’hui un petit Chinatown. Les Juifs sont partis un peu plus loin vers les Buttes-Chaumont, où la première école juive de Paris, Lucien de Hirsch, continue son œuvre éducative. Un autre quartier a attiré les juifs sépharades, celui de la Rue Montmartre, à proximité des Grands Boulevards. On y retrouve les mêmes ingrédients et les mêmes odeurs de vie, restaurants et oratoires, les Juifs et les Arabes, mais aussi depuis quelques années d’autres immigrés, se fréquentent, travaillent ensemble dans un périmètre restreint et dans un bruit infernal de voitures. Mais la vie juive à Paris s’est étendue à d’autres quartiers, notamment sous l’évolution sociale des membres de la communauté. Des Juifs sont partis vers le le XVIe et le XVII» arrondissements. Les communautés libérales, Copernic, MILF, Adath Shalom ont vu de nombreux nouveaux membres grossir les bancs de leurs synagogues.

Les sites juifs Il aura fallu attendre l’année 1998 pour que Paris se dote d’un Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme (3) mais cette longue gestation n’a pas empêché la création de nombreux autres sites juifs. Les synagogues érigées pour la plupart au XIXe siècle sont belles et imposantes, dignes d’un pays de liberté et d’une croyance pour laquelle honorer Dieu par la recherche du beau est un saint devoir” (4). Mais à côté des oratoires et lieux de prière le patrimoine juif offre à la curiosité des visiteurs de la capitale bien des surprises : la statue de Dreyfus réalisée par Tim ou encore celle d’Eugène Manuel, les plaques signalant la présence de Juifs prestigieux, Heine, Roth, ou Benjamin. Mais aussi ce bâtiment extraordinaire qui se trouve Passage de Dantzig dénommé «La Ruche», qui accueillit tous les grands peintres juifs venus de Russie à Paris. Mais il y a à Paris deux autres richesses uniques au monde. La première, c’est sans aucun doute les innombrables sites recensés par Dominique Jarrassé dans son chapitre sur le Paris des mécènes et philanthropes juifs : les fondations Rothschild, le Musée Nissim de Camondo, l’Hôtel Osiris, l’Espace Albert Kahn à Boulogne, la fondation Deutsch, l’Hôtel de Hirsch rue de l’Elysée. Ces sites ont sans doute marqué Paris de leurs sceaux autant que l’ont fait ces hommes et femmes qui ont souvent brillé par leur goût pour l’esthétique. La deuxième source d’intérêt se trouve dans les cimetières parisiens. En effet, Paris a un cimetière portugais datant du XVIIe siècle, situé rue de Flandre dans le XIXe arrondissement. Mais la présence d’illustres disparus d’origine juive a permis la construction de véritables oeuvres d’art. On signalera la reproduction du Moïse de Michel-Ange sur la tombe de Daniel Osiris au cimetière de Montmartre. Ou encore la tombe de la comédienne Rachel au Père Lachaise. C’est au cimetière de Montparnasse que sont enterrés deux personnalités du judaïsme parisien, le Grand Rabbin Zadoc Kahn et Isaac Adolphe Crémieux dont les tombes méritent une visite. Les caveaux d’associations du cimetière de Bagneux sont toujours l’occasion de se rappeler la richesse des communautés juives européennes. Au cimetière du Père Lachaise on remarquera les monuments de la déportation notamment, ceux consacrés aux victimes d’Auschwitz, de Buchenwald et de Mathausen. La mémoire des évènements tragiques de la Shoah est présente aussi à d’autres endroits de la capitale, à l’emplacement de l’ex-Vel d’hiv et près du pont de Bir Hakeim. Paris offre au promeneur juif toutes les clés pour satisfaire sa curiosité. ■

Guillaume Cerf.

(1) R. Berg, «Histoire des Juifs de Paris», éditions du Cerf 1997.

(2) La mairie du IVeme envisage de transformer la rue des Rosiers en voie piétonne, au grand dam des commerçants qui craignent de perdre une grande partie de leur clientèle pendant la durée des travaux.

(3) 71, rue du Temple, 75003, dans l’Hôtel de Saint Aignan

(4) Grand Rabbin Zadoc par D. Jarrassé page 63.

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Mars 2020 - n° 1 / Chema 23 • שמע

Les personnalités charismatiques de la rédaction d’Hamevasser

israélienne ». Elle a dit oui pour mener ces deux activités prenantes de front parce que dès son entretien avec Odette Chertok et Gilbert Weill, « Cela a été une évidence. Copernic est ma communauté depuis toujours. Mon grand-père l’a choisie en arrivant de Salonique dans les années 1920, car c’est la synagogue qui correspondait à l ’ idée qu’ i l se fa isa i t du j u d a ï s m e : l i b e r t a i r e , progress i s te , é g a l i t a r i s t e h o m m e s -femmes » . Extraordinaire p é d a g o g u e e l l e d i t : « L’enseignement c’est ma vocation » et estime qu’« il faut commencer très tôt à former les esprits à l’ouverture ». Ariane Bendavid a commencé à écrire dans Hamevasser dès son arrivée, alors que le magazine é ta i t orches t ré par Yaë l Scemama : « À chaque numéro, Yaël me proposait de participer ; je le faisais régulièrement, et avec un grand plaisir. Nous avions même réalisé une série sur l’histoire du sionisme, où, à chaque numéro, j’évoquais une figure centrale du mouvement depuis ses origines : Ahad Ha’am, Léo Pinsker... Par ailleurs, comme j’organise souvent des voyages culturels sur les traces des Juifs du monde entier, je revenais à chaque fois avec un carnet sur l’histoire et la vie des Juifs du lieu que j’avais visité avec mon groupe. Grâce aussi aux rencontres exceptionnelles que j’avais faites sur place, j’étais en mesure d’évoquer les diasporas avec une approche plus vivante que celle des livres ».

Jean-François Bensahel

Jean-François Bensahel est Président de l’ULIF-Copernic

depuis 2011. C’est à la fois un intellectuel, un entrepreneur, et

Patrick Altar

De 1990 à 1997, Patrick Altar a supervisé le bimestriel,

secondé un temps par Jaïs Azoulay. Il nous explique : « Q u a n d A n d r é G a b ay , responsable historique du magazine, est décédé, s’est posé le problème de reprendre le flambeau. À l’époque, j’organisais la commission communication, dont Hamevasser dépendait. Nous avons créé un comité de rédaction, avons donné au magazine une allure plus moderne en privilégiant les visuels et en créant de nouvelles rubriques comme «Diasporevue», une revue de presse des journaux communautaires du monde. Tout en étant résolument tournés vers la communauté et ses activités, nous avons structuré chaque numéro autour d’un dossier central. Nous avons

aussi ouvert les yeux sur le reste du monde : p u i s q u e nous faisions part ie de la World Union

of Progressive Judaism, nous étions le mouvement historique français qui voulait sortir le judaïsme de certaines de ses pratiques que nous considérions comme antiques, i l fal lai t regarder ailleurs et notamment vers l’Angleterre et les États-Unis pour nous moderniser». Photographe publicitaire de formation, Patr ick Altar a également fait du reportage et

beaucoup travaillé à l’identité visuelle du magazine. Richard Metzger nous rappelle que non seulement cet «homme très investi, entier, honnête et droit a fait beaucoup pour Hamevasser», mais qu’il a aussi travaillé en étroite collaboration avec le rabbin Williams pour l’édition d’un nouveau Sidour, le Rituel de prières journalières de Copernic, du Mahzor des 3 fêtes et du Mahzor de Kippour.

Michael Bar-Zvi

Adoré par tous, le regretté Michael Bar-Zvi a piloté en

grande partie depuis Israël Hamevasser de 2003 à son décès en 2018. La légende veut qu’il ait écrit tant d’articles que parfois, i l les publiait sous pseudo. Richard Metzger raconte : «Quand j’ai rejoint le magazine, il faisait équipe avec Odette Chertok : elle était directrice de publication et lui rédacteur en chef. Avec Odette, on a fait pendant environ un an un passage de témoin. Et avec Michael nous sommes vraiment devenus amis. Il a été comme un parrain pour ma fille qui avait déménagé à Tel Aviv. Nous étions différents, lui plus intellectuel, moi plus pragmatique. Il avait des idées claires et puissantes qu’il savait mettre à la portée de tout le monde. Nous avions ensemble des discussions géopolitiques où nous n’étions pas toujours d’accord et c’était très riche».

Jean-François Bensahel dit de ce profond philosophe : «C ’é t a i t un vrai penseur, un pédagogue hors pair, un amoureux d’Israël et de la France. Michael était très ouvert et chaleureux, toujours disponible, à l’écoute. Très lucide et même prophétique, il avait profondément réfléchi aux enjeux contemporains et ne se laissait pas rattraper par les modes».

Ariane Bendavid

Directrice du Talmud-Torah de l’ULIF-Copernic depuis 1997,

mais aussi Maître de conférences à Paris IV Sorbonne, traductrice et biographe du poète de langue hébraïque Haïm Nahman Bialik, Ariane Bendavid nous offre presque à chaque numéro d’Hamevasser un ou plusieurs articles dont une tribune claire, fouillée et profonde, reliée au dossier du trimestre, et un de ses fameux carnets de voyages. Agrégée d’Hébreu et titulaire d’une maîtrise de philosophie sur Spinoza, elle prend la tête du Talmud Torah et décroche la même année son poste à la Sorbonne, où elle enseigne toujours : « J ’ai un cours d’exégèse biblique, un autre de philosophie juive moderne de Spinoza à Lévinas et un troisième de littérature hébraïque et

Les personnalités charismatiques

de la rédaction d’Hamevasser À l’occasion de la mue de Hamevasser en Chema, la revue de JEM, nous nous sommes plongés dans les archives et l’histoire du magazine. Il est l’heure de rendre hommage à tous ceux et celles qui ont travaillé et travaillent toujours avec acharnement à rendre possible ce rendez-vous trimestriel qui sait faire du lien et du sens. Belles plumes et forts caractères, voici l’équipe de la rédaction à travers les âges, pour vous servir, encore et toujours.

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en France en 1934, a été résistant deux ans avant l’âge requis. Secrétaire général des jeunesses communistes, il a eu une destinée de leader : aussi bien comme journaliste pour le quotidien Ce soir, que dans ses affaires, comme membre du comité directeur du CRIF ou maire. Sa fille explique : « Il a appris dans la Résistance à prendre des responsabilités, et, très jeune, il s’est senti responsable de sa mère et de sa sœur ». Profondément marqué par l’arrestation de son père sous ses yeux, en 1941, devant la mairie du 4e, l’arrondissement même où il sera maire, et sa déportation, il était athée mais tenait à perpétuer la tradition. Pupille de la nation, il rencontre sa femme, Mira, qui vient d’un m i l i e u p l u s o b s e r v a n t . Luc ien éta i t très proche de son beau-père et respectait ses coutumes. Ils vont d’abord à la très orthodoxe Rashi Shul, rue Ambroise Thomas avant de trouver le chemin de la rue Copernic. « Il s’est intégré dans cette communauté dont il a aimé l’ouverture. Il y a rencontré des personnalités comme Daniel Farhi, Colette Kessler et évidemment, plus tard, le rabbin Williams, qui partageaient son mode de pensée ». Il était également un enfant du Pletzl, au cœur du 4e, dont il s’est beaucoup occupé et son affect est resté là : « Au fond, pendant 40 ans, i l a énormément aidé non pas seulement le mouvement libéral, mais toute la communauté juive », nous dit sa fille. Cet autodidacte qui n’a pas pu étudier à cause de la guerre et a néanmoins obtenu les palmes académiques, adorait écrire. Parmi les thèmes qui l’habitaient le plus et qui irriguent les textes qu’on retrouve dans Hamevasser : conserver la mémoire, alerter et lutter contre l’antisémitisme. Il a transmis cet engagement de

un homme de développement, aussi bien pour le Judaïsme libéral et notre communauté que pour les entreprises qu’il a contribué à construire. De formation d’abord scientifique, il est parallèlement tombé amoureux de la philosophie et a

écrit plusieurs ouvrages dont un dialogue sur les relations judéo-c h ré t i e n n e s ave c l ’archevêque Pierre d’Ornellas, et une lettre

ouverte à l’apôtre Paul et à nos contemporains. Toutes ces activités aussi bien pour JEM, pour les projets de travaux de la rue Copernic, pour la vie de la communauté, etc., supposent du travail, bien sûr, mais il est aidé par son faible besoin de sommeil !

Claude Bloch

Président de 1989 à 2011, C l aude B l o ch l i v r a i t

régulièrement ses tribunes à notre magazine. « C’était un homme d’un dévouement ex t rême , d ’ une g rande hau teur de vue , d ’ une profonde sérénité, un homme profondément humain », dit de lui son successeur, Jean-François Bensahel. Sa fille, Muriel, devenue, après son retrait, graphiste du magazine Hamevasser, revient sur sa trajectoire : « Il est né en mai 1931 à Mulhouse. Il était fils unique de boucher cacher. Il a fait une formation de photographe à Vevey ». Son fils, Hervé, ajoute : « Mes grands-parents ont vendu tout ce qu’ils avaient pour financer son premier laboratoire de

photographie à Paris ». Ne se retrouvant pas dans le judaïsme orthodoxe, il inscrit ses trois enfants dès les années 1970 au Ta lmud Torah de

Copernic, où ils ont fait leur bnei-mitsva et côtoyé les jeunes de l’ULIF. Claude Bloch, lui, a eu 13 ans pendant la guerre et n’a jamais pu faire sa bar-mitsvah. Il s’est beaucoup

rapproché de la religion à la fin de sa vie, notamment grâce à Armand Benhamou avec qui il a commencé à apprendre l’hébreu, et il s’est de plus en plus impliqué dans la communauté, comme ses enfants et sa femme à qui il lisait ses discours. Administrateur, trésorier puis président pour plusieurs mandats, il savait rappeler les besoins de la communauté quand il faisait des appels aux dons, mais selon son fils, « la partie qu’il préférait, c’était défendre des idées humanistes et ses discours reprenaient des thèmes qui lui étaient chers ». Il était avec son fils et sa fille à Copernic lors de l’attentat de 1980, sa femme était en route pour les rejoindre.

Odette Chertok

Plume nécessaire du journal, membre du comité éditorial

depuis les années 1990, Odette Chertok a pris la responsabilité éditoriale du magazine de 1999 à 2003. Tout le monde a le sourire aux lèvres et de l’admiration dans les yeux quand on évoque « cette grande dame de caractère », selon les mots du rabbin Williams. Jean -Franço i s Bensahe l évoque « cette pionnière, cette femme qui nous a tous fait grandir, tant marqués, si engagée dans l’égalité homme-femme et dans le combat des idées. JEM et Copernic ne peuvent se penser sans elle ». Elle nous a quittés en 2014. Son fils, Grégoire, revient sur le parcours de cette femme née à Anvers dans une famille de diamantaires venus de Cracovie au tournant du 20e siècle. Il évoque son enfance protégée dans un milieu où la tradition est importante, et sur le choc du 10 mai 1940 qui force la famille à quitter la Belgique à la dernière minute, quand Odette a 17 ans. Traversant la France sur les routes de l’exode, ils rejoignent un des frères du père qui a ouvert une succursale du commerce de

diamant familial à New-York en mai 1940. Odette reprend ses études au collège Barnard et commence à travailler à l’ONU. À l’occasion de vacances en Europe, elle rencontre Léon Chertok qui vient faire un stage en psychiatrie à l’hôpital Mount Sinai de New York. Ils se marient en 1954 à Paris, qu’elle n’a plus quitté. Très sioniste, comme ses parents qui ont beaucoup bâti en Israël, elle a gardé toute sa vie sa nationalité belge, deux de ses oncles chéris étant morts sous ce drapeau. « Elle a fait son retour vers le judaïsme un peu plus tard dans sa vie, vers les années 1970, et elle s’est tout de suite tournée vers l’ULIF, très attachée, entre autres, au fait que les offices soient mixtes. Elle défendait l’idée que les femmes puissent être rabbin. Ça lui aurait plu énormément q u ’ o n a i t dé so rma i s deux femmes rabb ins » , nous dit son fils, qui y a suivi le Talmud Torah et fait sa bar-mitsva. Grande lectrice, intellectuelle, elle apprenait tout le temps, l’hébreu et même le chinois dans les dernières années de sa vie. Elle a beaucoup œuvré pour qu’on célèbre Yom Hashoah dans la communauté. « Hamevasser, c’était très important pour elle, elle était très diplomate et elle apaisait les tensions ; elle a établi beaucoup de passerelles entre les uns et les autres ».

Lucien Finel

Au lendemain de l’attentat du 3 octobre 1980 dont

i l réchappe de justesse, Lucien Finel écrit en une d’Hamevasser : « Tirant la leçon de ce tragique événement, je m’emploierai à ce que le gouvernement de notre pays prenne les mesures nécessaires pour qu’il reste celui de la liberté, de l’égalité et de la fraternité ». Président de l’ULIF-Copernic de 1978 à 1989, ce combattant venu de Pologne

Les personnalités charismatiques de la rédaction d’Hamevasser

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conférences et l ’écrit où l ’on construit plus sa pensée, où l’on chois i t mieux s e s mo t s e t l’on se reprend. Quand j’écris mes textes pour la dracha du vendredi soir, je cherche un juste milieu entre l’oral et l’écrit, j’écris mes textes mais je m’impose un nombre de signes pour rester autour de 7 minutes ». Auteur de nombreux livres dont une biographie de Maïmonide, L’aigle de Dieu, toujours le premier à nous envoyer chaque trimestre un texte pour Hamevasser, Philippe Haddad estime que « c’est toujours une joie d’écrire dans notre magazine car cela permet de structurer sa pensée et de transmettre ce qui nous paraît important par rapport à un thème ». « Je ne saurais rien échanger au monde pour nos entretiens en tête-à-tête. Rares moments de grâce, d’élévation », ajoute Jean-François Bensahel.

Yaël Hirsch

Elle aussi « enfant de Copernic » où elle a fait sa bat-mitzvah, Yaël Hirsch est la rédactrice en chef de Hamevasser depuis deux ans et poursuit cette mission avec Chema. À la fois docteure en science politique, enseignante et journaliste, elle a dédié sa thèse (Rester Juif ? Perrin, 2014) aux Juifs convertis au christianisme. Passionnée de culture au sens large, elle a aussi fondé le site d’actualité culturelle www.toutelaculture.com, où elle exerce depuis 2012 son autre passion : animer une équipe de rédacteurs dans une direction commune. Tenter de faire la même chose à bord de Chema, avec son équipe à la fois si impressionnante et s i humaine, avec ce passé si riche, est un magnifique défi. Richard Metzger dit d’elle : « C’est quelqu’un de très brillant, très accrocheur, très

combattant à ses enfants et a insufflé cette énergie unique à notre magazine.

Bruno Fraitag

Copernicien depuis toujours, Bruno Fraitag venait à

l’ULIF avec ses parents. Il y a fait sa bar-mitsva, s’y est marié et ses trois filles ont fait chacune leur bat-mitsva à Copernic. Sa fille aînée a aussi célébré son mariage à Copernic. C’est ainsi qu’il dispose d’un double enregistrement très précieux, celui des Cheva Brakhot, l’un par le regretté ´hazan Emile Kaçman et l’autre par son successeur Armand Benhamou. Travaillant dans la santé en tant que gastro-entérologue pendant de nombreuses années, il est passionné de musique et doit son intérêt tout particulier pour la musique liturgique à un article publié il y a fort longtemps sur ce sujet dans Hamevasser par Hervé Roten, directeur de l’Institut européen des musiques juives (qui s’appelait alors Centre français des musiques juives). Il y a 15 ans, Bruno a compté parmi les membres fondateurs de la « chorale de l’Ulif », dont il a

rapidement assumé le management. I l a p r i s t o u t naturellement la d i rect ion de la commission culture et a institué une

véritable saison de concerts à Copernic, contribuant à la renommée musicale de la communauté. Avec l’arrivée d’Itaï Daniel il y a 10 ans, que Bruno Fraitag a engagé comme successeur de Brenda Lefebvre en tant que chef de choeur, la chorale de l’Ulif est devenue « l’Ensemble choral Copernic » , qui possède désormais un test d’admission pour les nouveaux venus et a pris un essor considérable, pour devenir l’un des tout premiers chœurs juifs français, se produisant à Londres, à Berlin, à Saint-Pétersbourg,

etc. Au même moment, était créé « Voci Copernic » (les voix de Copernic), autre chorale d’amateurs, dont la vocation est d’accueillir toute personne désirant chanter de la musique juive. Dans Hamevasser, Bruno Fraitag écrit régulièrement des art ic les dédiés à la musique, pour présenter des musiciens importants, volontiers sous forme d’interviews : dernièrement, vous avez pu découvrir grâce à lui l’organiste Nicole Wiener, puis son successeur Didier Seutin, la pianiste Eloïse Bella Kohn et la violoniste Marina Chiche.

André Gabay

Directeur d’Hamevasser à sa création en 1974, André

Gabay l ’a pi loté pendant plus de 20 ans. « Mon père a été déterminant dans la naissance du magazine. C’est lui qui a donné le nom de cette publication qui faisait suite au Rayon », nous raconte Marc, son fil, qui dessine le portrait d’un homme « très impliqué dans la synagogue mais qui ne voulait pas se mettre en avant pour que la voix de la communauté puisse s’exprimer ». « Il adorait écrire », ajoute-t-il, « et dans ses papiers on a retrouvé la manière très précise dont il se documentait pour ses articles de Hamevasser ». Marc Gabay raconte le parcours de ce fils de marchands devenu patron d’une entreprise de matières plastiques et de caoutchouc, q u i s ’ e s t b e a u c o u p d éve l o p p é e a p r è s l a guerre. Issu d’une famille venue de Turquie, André Gabay allait à l’origine à la synagogue séfarade et traditionnelle de la rue Buffault, où il emmenait Marc et sa sœur. Puis : « Mon père avait pris conscience du fait que le judaïsme devait s’adapter au 20e siècle et voulait trouver pour ses enfants une synagogue traditionnelle mais ouverte sur

la vie de la société et c’est cela qui l’a amené à nous inscrire à Copernic. Au début c’est nous qui allions au Talmud Torah avec Colette Kessler et Liliane Rosenthal. Mon père allait encore rue Buffault et puis, petit à petit s’est investi à la synagogue de la rue Copernic. Il était à la fois la voix du traditionalisme au travers de son expérience turque et française, et du modernisme au travers de sa volonté que ses enfants puissent vivre un judaïsme plus moderne ». Le schisme de 1977 a beaucoup marqué André Gabay et son fils, qui a été fier qu’on rappelle le rôle de son papa dans notre histoire lors du centenaire de 2007, est heureux aujourd’hui de voir « que la boucle se boucle », avec JEM.

Rabbin Philippe Haddad « C’est un grand intellectuel, homme très réservé dans la vie de tous les jours mais, quand il se retrouve devant le public sur la téba, il s’illumine, à la fois capable d’interprétations puissantes et savantes de la Halakha, mais aussi chef de bande lors de soirées, avec sa guitare qui entraîne la communauté en chantant des chansons lors des dîners de chabbat », dit Richard Metzger. Notre rabbin Philippe Haddad tient à maintenir un équilibre entre l’oral et l’écrit : « Quand j’étais au séminaire israélite de France nous avions des cours de français avec un vieux professeur qui s’appelait Monsieur Abramovitz ». Le maître leur donnait comme exercice quotidien la copie d’une page d’un grand auteur et l’écriture personnelle d’une page. « Je suis très reconnaissant à ce professeur à l’ancienne qui m’a permis d’écrire. C’est important de jouer sur le tableau de l’écrit et de l’oral. S’il y a deux Torah, écrite et orale, c’est pour maintenir ces deux niveaux. J’aime l’enseignement en direct, les cours, les préparations des bnei-mitsva, mais aussi les

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vie politique, avec ses séries sur Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy, et ses chroniques sur les plateaux de « On a tout essayé », « On ne peut pas plaire à tout le monde » et «T’empêches tout le monde de dormir », il dédie plusieurs albums et illustrations au judaïsme. En 1984, son premier album s’intitule Cendrillele : La première bande dessinée judéo-satirique !. Il est également l’illustrateur d’Être juif aujourd›hui de Yaël Hassan et son album Les aventures de Supfermann : La vérité, ma mère ! est sorti en juin 2008. Envoyé par sa mère pour étudier dans une Yehsiva à Aix-les-Bains, où il côtoie une partie de la fratrie de Gad Weil, le Président du MJLF, il connait bien le judaïsme. Il se présente toujours comme Juif et n’hésite pas à provoquer, en particulier sur Facebook, pour défendre cette identité, qu’il veut laïque. Ce « Juif défroqué », comme le décrit affectueusement Richard Metzger, ne veut plus entendre parler de pratique religieuse et, chaque année, il donne rendez-vous à ses amis pour se taper une cloche au Pied de Cochon, le jour de Kippour. Il n’empêche : sa connaissance des textes est telle que nul autre que lui ne peut faire des dessins aussi fins et aussi justes pour approcher l’actualité d’un point de vue juif.

Yaël Scemama

Yaël Scemama a été rédactrice en chef de Hamevasser

pendant plusieurs années, de 1998 à 2003, date à laquelle elle a passé la main à son ami - devenu le nôtre - Michaël Bar-Zvi, qui nous a quittés l’an dernier après une longue maladie.

Par ailleurs avocate, mère de quatre enfants, Yaël est la fille de Serge Hajdenberg, l’ancien directeur de Radio J, et la nièce d’Henri Hajdenberg, ancien président du Crif. Passionnée de littérature, elle anime également

tenace, qui a une connaissance très large, à la fois d’activités culturelles au sens général du terme, mais aussi de la culture et des rites juifs. Le mélange est d’une grande richesse. Elle est toujours positive, travailleuse et va toujours de l’avant. Elle est aussi créative et artiste : sa messagerie de téléphone est toujours pleine, mais c’est cet assemblage à la fois bordélique et très rigoureux qui fait que cela fonctionne ».

Rabbin Jonas Jacquelin « Intellectuel et polyglotte » (français, allemand, russe, anglais...), selon les mots de Richard Metzger, très littéraire et très impliqué dans la vie de la communauté, le rabbin Jonas Jacquelin livre lui aussi dans Hamevasser, chaque trimestre, un texte où la loi éclaire un thème d’actualité. De notre magaz ine qu ’ i l connaissait avant de rejoindre l’ULIF en 2014, il dit : « Ce qui me frappait déjà à la lecture de chaque numéro était la capacité de ses concepteurs à mêler avec beaucoup de tenue des dossiers de fond avec un regard juif sur les grandes problématiques c o n t e m p o r a i n e s e t d e s informations communautaires

à l ’apparence parfois plus anecdotique ». Il poursuit : « L’une des premières personnes que j’ai rencontrée en prenant mes fonctions de rabbin fut Michaël

Bar Zvi, qui préparait alors le numéro des fêtes de Tichri et qui souhaitait alors réaliser avec moi un entretien portrait pour me présenter aux fidèles. J’ai adoré nos rencontres jusqu’à sa disparition car il avait l’art de poser les vraies questions. Non pas seulement des questions dérangeantes bien sûr, mais celles qui obligent à réfléchir et dont il n’est jamais possible de se sortir avec une pirouette. C’est un plaisir depuis près de deux ans de travailler avec Yaël Hirsch. Non seulement parce

qu’elle est une amie, mais aussi et surtout parce qu’elle a su apporter au journal sa curiosité et sa liberté et lui permettre ainsi de toujours se renouveler ». Pour Jean-François Bensahel, «Jonas s ’ in téresse avec pass ion aux sujets contemporains, notamment éthiques, et à leur confrontation avec la Tradition. Nul doute qu’il faudra compter avec ses interprétations, qu’il sera un des rénovateurs du judaïsme. Il est d’une très grande élégance intellectuelle et morale ».

Richard Metzger

L’administrateur en charge de Hamevasser est un

homme de presse. Ancien directeur général de plusieurs quotidiens, il met son savoir-faire au service de notre magazine depuis plusieurs années. Jean-François Bensahel dit de lui qu’il est « un très grand professionnel, d’une grande capacité de synthèse, d’une gentillesse et d’une courtoisie rayonnantes. Comme Hil lel , Richard est toujours prêt à donner la parole à l’autre en premier. ». Et quand Richard raconte une anecdote, personne ne résiste à son humour yekke. Alsacien, il a été élevé à Strasbourg dans un milieu consistorial traditionnel : « Au Talmud Tora, quand on se trompait, certains professeurs nous donnaient un coup de poing dans l’omoplate et le jour de la bar-mitsvah, le Grand-rabbin nous obligeait à mettre un chapeau », se rappelle-t-il pour décrire « un judaïsme assez triste qui était le meilleur moyen pour éloigner les jeunes du judaïsme ». Une fois venu à Paris, il se décrit comme étant alors un « Juif de kippour » qui par respect pour ses parents veut célébrer cette fête. Il s’est dirigé vers Copernic un peu par hasard : « J’ai redécouvert ce qu’était le judaïsme grâce au juda ïsme l i bé ra l » . I l d e m a n d e ce qu’i l peut faire pour la communauté et

devient administrateur, il y a 18 ans. Étant donné son parcours, c’est tout naturellement qu’on le dirige vers la supervision de Hamevasser : « Le magazine en lui-même est important mais le principal est le lien entre la communauté et le judaïsme libéral. Notre support permet le rayonnement du judaïsme libéral, au sens le plus plein du terme avec JEM »

Muriel Michel-Bloch

Ayant baigné dans la vie de Copernic depuis son

enfance, fille du Président Claude Bloch, Muriel Michel-Bloch est graphiste publicitaire. Alors qu’elle a participé à la refonte de deux maquettes, c’est elle qui met en page Hamevasser depuis 2012. Précise, rapide, inventive sur les formats, les couleurs, elle s’engage entièrement dans chaque numéro. Parfaitement au fait de la vie de la communauté, elle est une précieuse source d’informations et d’une humanité qui rappelle à chaque instant ce qui est important, même au cœur du rush du « bouclage ». Elle est d’une implication et d’un engagemen t rare pour le m a g a z i n e e t n o t r e communauté. F r e e - l a n c e depuis 1994 , elle a lancé la marque « La petite baigneuse » il y a 2 ans, pour laquelle elle personnalise graphiquement des supports en bois (rondins, boîtes…). Muriel est mère de deux brillants jeunes gens et vit dans le Sud-Ouest.

Olivier Ranson

Dessinateur attitré du Parisien-Aujourd’hui en France, mais

travaillant également, entre autres, pour la Tribune Juive, L’Arche et des émissions de télévision, et éditeur de bandes dessinées, Olivier Ranson est un collègue et ami de Richard Metzger. Si le grand public le connaît comme croqueur de

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des activités cultuelles ou des cours, il est important d’apporter un éclairage à l’actualité et de permettre à différentes personnes de s’exprimer ». Et s’il devait faire deux remarques pour l’avenir : il ne veut pas de surlignages dans les articles pour ne pas se « faire influencer par quelqu’un d’autre », et il voudrait qu’on ouvre une section « courrier des lecteurs ». C’est très important pour moi de mettre en question un article, de critiquer, d’exprimer son désaccord.

Steven Lerys

À Copernic « depuis toujours », puisque ses arrière-

grands-parents ont participé à la fondation de la communauté et que ses parents s’y sont connus, et mariés. Son père y avait bien sûr fait sa bar-mitsvah et a été administrateur et vice-président. Sa sœur Danièle et son beau-frère Will s’y sont mariés. Après leur disparition tragique en Israël, leur fille Yaël y a été présentée à la Torah, et y a fait sa Bat Mitzwah. Steven Lerys (né Lévy) a été administrateur pendant quinze ans avant de se retirer, il y a une quinzaine d’années. Il lit très régulièrement et attent ivement Hamevasser depuis longtemps : « I l m ’ a r r i ve même de ga rde r de s exemp la i re s ou de découper des articles. J’ai conservé des art ic les du Rayon. » Quand il se penche sur Hamevasser, il trouve « que le magazine est bien fait, qu’il a bien évolué », notamment en tenant le cap entre des articles de fond de qualité et un contenu communautaire. Un peu en retrait depuis quelques temps, il est « favorablement impressionné par le nombre d’activités » proposé par JEM. Pour le magazine en devenir, il a plusieurs suggestions : ne pas oublier de parler des fêtes, toutes les fêtes, et « mettre en avant la particularité des pratiques libérales ». ■

depuis une trentaine d’années une rubrique littéraire sur Radio-J: Katava, diffusée tous

les lundis à 15h05, et disponible en Podcast.

Yaël a su donner un nouvel élan à notre r e v u e , ave c d e s articles de fond et des

interviews de personnalités, d’écrivains, d’ intel lectuels marquants de la communauté - et en dehors. Elle s’y est consacrée avec tout son cœur, aidée par une parfaite connaissance de l’actualité et de la vie juive en général, tant en France qu’en Israël.

Rabbin Williams

Comment présenter encore celui qui, pendant 36 ans,

a été notre rabbin ? Celui dont on attendait avec impatience les sermons aux offices, l’accent anglais et le rythme très marqué de sa voix nous menant toujours à voir l’actualité, les fêtes ou notre quotidien avec une distance qui semblait parfois faire exactement la taille du « channel ». L’humour et l’angle unique de ses tribunes ont aussi marqué la vie du journal et Hamevasser l’a mis en couverture pour lui dire au revoir et merci en juillet 2012. Il nous livre dans ce numéro une interview lucide et généreuse où il revient sur son œuvre quotidienne et ses engagements. Toujours présent et discret, Michael Williams

a su accompagner nombre d’entre nous de manière absolument excep t i onne l l e e t sa femme, Isabelle, conserve et connaît nos archives : c’est la

mémoire de Copernic. « Par-delà son immense culture, Michael Williams est un visionnaire », n o u s d i t J e a n - Fr a n ç o i s Bensahel : « Historien, il a appris du passé, il sait comment nous devons avancer dans les incertitudes de tous les moments que nous avons vécus, comment le judaïsme devait se transformer, comment Copernic devait se transformer ; il est clairvoyant,

à la lumière des prophètes. Et il a ce don incomparable de la compréhension de la souffrance d’autrui. Ce qui lui a permis d’accompagner tant de familles dans la détresse. On ne peut pas le séparer de son épouse Isabelle, à la capacité de cœur inégalée, à l’empathie et à la disponibilité exceptionnelles. Sans aucun doute, Isabelle est une grande âme de notre temps. »

L’AVIS DES LECTEURS

Ils sont membres actifs de la communauté depuis très longtemps, ils lisent Hamevasser attentivement depuis pa r fo i s t ou t au s s i l o n g t e m p s . Vo i c i quelques échos sur nos pages par ceux qui les consultent...

François Curiel

François Curiel se décrit comme un « pur produit de

Copernic » où i l a s s i s t a i t M o n s i e u r Kacmann pour les offices dès 1958, a fait sa bar-mitsva en 1960, participé activement aux offices des jeunes, célébré son mariage en 1972 et la bat-mitsva de ses filles en 1988 : « Toute ma vie religieuse a été bercée par l’ULI, devenue ULIF, que nous appelions Copernic ou plus souvent Cop ». Même lorsqu’il a étudié et travaillé à l’étranger, il revenait à Copernic pour les fêtes de Tichri : « Cette année en 2020, j’espère célébrer la bat-mitsva d’une de mes petites-filles et aussi mon 62eme Kippour ». Durant toutes ces années, Hamevasser a été le lien : « Il nous a ‘religieusement’ tenus au courant des activités de la synagogue, des événements de la vie de l’ULIF et nous aidait à

comprendre certaines situations grâce à des articles de fond écrits par des personnalités de premier ordre », dit-il. « Il est important de traiter de l’actualité d’un point de vue juif et de voir aussi quelles sont les opinions des rabbins et des dirigeants de la communauté ». Il se félicite de la naissance de Chema qui « pourrait devenir l’organe du judaïsme libéral en Europe francophone ». Il plaide à la fois pour un magazine visuel, moderne, qui propose des articles de fond et n’hésite pas à rappeler le sens et l’explication des fêtes juives.

Bertrand Granat

Arrivé en février 2010 à Copernic, Bertrand Granat

est intendant général de l’ULIF : « Je suis un peu comme le régisseur au théâtre ou au c i n é m a , e t j’essaie de faire que tout tourne bien », dit-il. Il a beaucoup échangé avec des membres de la rédaction, notamment Odette Chertok et Michael Bar Zvi, dont il ne partageait pas toutes les idées, des idées fortes et d’autant plus respectables qu’elles « n’impactaient pas le magazine ». Michaël lui a fait redécouvrir le fondateur du sionisme révisionniste, Vladimir Jabotinsky. Lecteur compulsif, très réfléchi et engagé, Bertrand Granat lit attentivement et régulièrement notre magazine. Il a suivi les mues d’Hamevasser avec intérêt : « J’ai vu la maquette évoluer deux ou trois fois en dix ans. C’est important, un magazine doit évoluer en fonction des saisons, c’est comme un habit. » Et il se rappelle notamment d’un numéro entièrement consacré à la question des femmes, ce qui lui avait semblé important : « Cela allait dans le changement et l’évolution de Copernic où les femmes montent à la théba ». Chema a, selon lui, un rôle crucial à jouer : « Si les fidèles viennent à Copernic pour

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Rabbin Williams, l’héritage d’un « rabbin artiste » face aux défis de l’époque

■ Entré à Copernic en

1976, vous avez connu

Hamevasser depuis ses

débuts, comment était le

magazine ?

Le Hamevasser que j ’a i connu dans les années 70 était ronéotypé et agrafé. Il a commencé à avoir une forme de magazine dans les années 80. Souvent je ne le lisais pas. J’avais parfois besoin de voler au-dessus des petites notes de rivalité entre les différentes tendances.

Puis cela a beaucoup changé. Il y a eu plusieurs rédacteurs en chef : André Gabay, Odette Chertok et, il y a peu de temps, Michael Bar-Zvi Z’’l ; beaucoup d’autres personnes dont je lisais les articles et que j’admirais y ont aussi contribué.

Rabbin de Copernic pendant 36 ans, le Rabbin Williams est une figure importante pour des centaines de familles de Judaïsme en Mouvement. Depuis sa retraite en 2012, il demeure très proche de la communauté et continue d’intervenir auprès de certaines familles. Il a suivi l’épopée du rapprochement, les trajectoires de nos cinq rabbins, ainsi que le devenir de fidèles qui l’ont tant mobilisé. Il nous parle ici de son parcours, des défis qu’il a relevés mais aussi de l’avenir de Judaïsme en Mouvement en des temps qui changent, quand les valeurs d’un judaïsme ouvert sont plus que jamais nos points de repères.

rencontre avec le Rabbin Williams Propos recueillis par Yaël Hirsch

souvent pu rester en retrait, je laissais fonctionner les différents éléments de la vie communautaire. Je ne voulais pas que les gens se mêlent de mon travail, alors je n’allais pas me mêler du leur, vous comprenez. C’est comme cela. Chacun a son caractère, son his to ire . Curieusement, malgré - vous me pardonnerez ces termes – « ma grande gueule » en public, en-dehors des moments où j’officiais comme rabbin, je me suis souvent mis en retrait.

D’abord, parce que j’étais p ro b a b l e m e n t e n c o re marqué par mes origines anglaises et mes origines orthodoxes. J’avais 29 ans la première fois que j’ai mis les pieds dans une synagogue libérale, peu de temps après avoir été admis au séminaire libéral Leo Baeck à Londres,

■ Et vous y interveniez systématiquement ? On y trouve souvent des reprises de vos discours, dans lesquels vous faites toujours le lien entre actualité et approche juive. C’est un peu la ligne éditoriale du journal non ?

Interpréter notre époque à travers le prisme de la tradition, c’est le rôle des rabbins, non ? Nous sommes là pour faire le lien entre le passé et le présent. Mais dans Hamevasser, je n’intervenais pas à chaque fois. Seulement dans les moments où il fallait réagir et où on ne pouvait pas rester silencieux, comme par exemple après l’attentat du 3 octobre 1980, ou après certains événements importants de la vie juive ou de la vie en général. Mais i l est vrai que j ’a i

Rabbin Williams

Rabbin Williams, l’héritage d’un « rabbin artiste »

face aux défis de l’époque

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où j’ai rencontré ma femme Isabelle. Et puis après, je l’ai suivie à Paris, et je peux vous dire la vérité ? La France de l’époque n’était pas tout à fait ma « tasse de thé ». Je suis très british, imaginez-vous un rabbin libéral anglais qui débarque dans la France du milieu des années 70 !

Par exemple, j’étais bouche bée lorsque des enfants élèves à Janson de Sailly, lors de leur préparation à la Bar Mitzvah, venaient me demander pourquoi ils s’étaient entendu dire qu’ils étaient les « tueurs du Christ ». Visiblement, certaines idées sur les Juifs de France n’avaient pas évolué depuis des siècles. Il y a 45 ans, le monde était très différent. Et donc en tant que Juif anglais, je n’ai jamais cherché à jouer les porte-parole.

Mars 2020 - n° 1 / Chema 29 • שמע

Rabbin Williams, l’héritage d’un « rabbin artiste » face aux défis de l’époque

■ Comment interveniez-vous ?

Après l‘attentat, mais pas uniquement à cause de l’attentat, j’ai été invité par des communautés juives en Amérique et au Canada, pour parler un peu de l’histoire et de l’actualité du Judaïsme français. J’ai parlé de la montée de l’antisémitisme qui est pour moi un ressac, avec des moments de marée basse et de marée haute ; j’ai aussi parlé de l’attentat de Copernic, des différences entre la vie juive américaine ou canadienne et la vie juive française, trente ans après la Shoah. Une fois, en rentrant d’un de ces voyages, mon Président, Lucien Finel, qui était maire du 4ème arrondissement , m’appelle pour me dire qu’il est convoqué à cause de moi

la France de l’époque ! Si je suis resté « discret », c’est aussi peut-être parce qu’il y avait beaucoup d’éléments dont je n’ai pas pu parler. Il fallait toujours être couvert et c’était souvent délicat pour un étranger. Je ne voulais pas mettre ma famille en difficulté, alors je me suis fait discret malgré mon franc-parler...

■ Vous croyez que vous auriez pu davantage vous faire entendre ?

Parfo is , je me d is que j’aurais dû être plus insistant, écrire des livres quand on me l’a demandé, j ’aurais peut-être pu m’impliquer davantage dans le dialogue interreligieux. J’ai grandi dans une Angleterre de culture chrétienne dans laquelle je n’ai jamais été confronté à

¢ Daniel Franck - Paris

par le Secrétaire général de l’Elysée ! En effet, Le Président de la République de l’époque avait entendu dire par le Consulat de Toronto que je l’aurais critiqué en public. Le matin de la convocation, je suis allé dans un café de Saint-Germain-des-Prés attendre le coup de fil de Lucien Finel au sortir de l’Elysée (c’était bien avant l’époque des portables). Il m’a dit : « Finalement vous pouvez rester en France ». Il était très sérieux, c’était

l’antisémitisme mais j’aurais pu faire plus. J’aurais peut-être dû aborder plus de sujets avec le président du CRIF ou d’autres responsables communauta i res quand j’allais à des dîners ou à des réceptions. J’aurais peut-être dû être plus présent dans les médias, dans le monde social où j’étais souvent invité, mais je ne l’ai pas fait. Chacun fait ce qu’il peut, surtout dans une carrière ou un « métier » qui n’est pas comme les autres.

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Quand j’étais enfant, j’étais un petit garçon juif dans un quartier sympathique avec une maman veuve et pas de grands horizons. Pour moi, la synagogue était un abri psychologique et un lieu de transmission de choses qu’on ne trouvait pas ailleurs facilement. Mon grand-père étai t orthodoxe et nous avions le sentiment d’entrer dans un univers beau et enrichissant où l’on trouvait ce dont on avait besoin, même si c’était une petite synagogue. Les gens venaient car ils éprouvaient le besoin de se sentir ensemble dans un contexte spirituel, musical ou esthétique et peut-être que maintenant, les choses sont différentes : ils ont leur psy, leur iPhone, ils voyagent plus, ils sont sollicités…. Vous voyez, pour le meilleur ou pour le pire, j’ai été élevé dans un monde où le judaïsme était vécu plutôt intérieurement pour ainsi dire, non pas par peur ou par honte mais parce qu’on n’éprouvait pas le besoin de nous définir constamment ni à nos propres yeux ni aux yeux des autres. Autres temps, autres mœurs.

■ En 36 ans à Copernic vous avez dû connaître des hauts et des bas…

Evidemment, au cours de ces années, il y a eu des moments de tension. Les débuts ont pu être difficiles ; il fallait défendre l’approche l ibérale chaque jour en

tant que rabbin et puis, à Copernic, il y avait parfois des désaccords. Un jour, un président du passé s’est vanté auprès de moi : « Monsieur le rabbin, j’ai renvoyé cinq rabbins ». Il exagérait un peu, il n’y en avait que trois ou quatre... Et je lui ai dit pour l’encourager : « Jamais cinq sans six ».

Vous savez, plusieurs fois, j’ai voulu partir. La première fois, c’était neuf mois après mon arrivée mais pile à ce moment, il y a eu ce que les gens appel lent « la scission ». C’était dramatique et je ne pouvais pas partir à ce moment-là, je n’aurais quand même pas pu laisser la communauté sans rabbin. Et puis quelques années plus tard, je me suis dit que c’était peut-être le moment de retourner en Angleterre ; j’en ai parlé avec ma femme mais il y a eu l’attentat, un vendredi soir. Ce n’était pas le moment de partir non plus. Donc chaque fois il y a eu quelque chose qui m’a retenu. Je crois qu’il y a une grande main, un destin, qui m’a lié à ceux qu’on appelle les fidèles. Ils étaient touchants, souffrants, très admirables, parfois drôles...

Les querelles, les tensions, tout ceci est normal, tous les rabbins le savent. On entend toujours les rabbins se plaindre de leurs problèmes avec... les Juifs. C’est pour cela qu’on ne peut pas être rabbin sans bien connaître

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les Juifs ! J’ai aimé mon travail sur le terrain et j’ai été tellement occupé avec les fidèles que je n’éprouvais pas le besoin d’être ailleurs, professionnellement, qu’au cœur de ma communauté. Il faut se rappeler que pendant très longtemps nous n’étions que deux rabbins libéraux en exercice en France, ce qui rendait la tâche très lourde avec tous les mariages, bar-mitsva, conversions, enterrements, etc. Et ce surcroît de travail tombait bien. Lorsque j’étais attristé par la petitesse des luttes internes (en général querelles de personnes déguisées en désaccords théologiques ou phi losophiques) , les nombreux contacts que j’avais avec des gens pour qui la rencontre avec un judaïsme à la fois ancré dans la tradition, mais aussi humain, était très importante, m’étaient d’un grand réconfort.

■ En parlant de ce judaïsme « humain », que voulait dire pour vous : défendre une « approche libérale » ?

Au début de ma carrière, il fallait tout le temps expliquer que nous n’étions ni des hérét iques ju i fs , n i des goyim déguisés, que nous respections les grandes lignes de base de la tradition juive. De nombreuses fois, des famil les orthodoxes

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Rabbin Williams, l’héritage d’un « rabbin artiste » face aux défis de l’époqueD

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assistant chez nous à un mariage ou à une bar/ bat-mitsva, sont venues me voir après l’office pour me dire « Oh monsieur le rabbin, vous nous avez soulagés, vous êtes vraiment des Juifs ». Il y avait énormément de préjugés et d’ignorance. Maintenant, le monde a changé. Mais moi, j’étais rabbin quand le fait d’être libéral était quelque chose de re la t i vement « inhabituel ».

■ Vous avez donc vécu en direct la scission. Malgré elle et après elle, a vez-vous senti un lien fort avec les autres rabbins libéraux en France ?

Évidemment nous disions souvent : « Chez nous c’est ceci et chez eux c’est cela ». Mais ça s’est calmé. Pendant un temps nous avons eu très peu de contacts. Mais ça, c’est le passé. JEM est un projet plein d’avenir dans lequel i l faut garder un certain équilibre entre les deux éléments fondateurs. Il faut travailler ensemble, pour maintenir et faire évoluer cette branche libérale...

■ Vous avez posé des bases qui rendent possible un judaïsme libéral tel que le conçoit JEM... Comment voyez-vous le travail de nos cinq rabbins actuels ?

Je crois que c’est pour chacun un travail personnel que j ’admire. Dans mon

parcours de rabbin, j ’a i fait face aux défis de mon époque : scission, attentats, antisémitisme, des défis qui étaient peut-être plus dramatiques qu’aujourd’hui mais moins chroniques. Le travail de nos cinq rabbins au quo t i d i en re s t e l e même. Il devrait être, dans la pratique, au plus proche de la communauté mais en même temps, il consiste aussi à faire face à des défis qui reviennent, et à renouveler leur discours sur ces défis. Je trouve ça magnifique de voir s’impliquer une jeune génération dans le rabbinat, faire face à ces grands changements car il y en a beaucoup.

■ Dans le numéro de Hamevasser dont vous faites la couverture pour votre départ, à l’été 2012, Jean-François Bensahel écrit que l’on peut vraiment vous faire dire : « J’ai plus de souvenirs que si j’avais mille ans ». Si vous deviez en choisir un seul, lequel serait-ce ?

Il y a toutes sortes de rabbins, des érudits, des militants communautaires, des rabbins axés sur le social … Moi je pense avoir été plutôt, vous me pardonnez le terme, un rabbin avec une âme d’art iste. Le souvenir le plus fort que je retiendrais serait mon dernier office de Kippour, en 2012, quand, à mon étonnement, à la fin de l’office, juste après la sonnerie du shofar, il y a eu une sorte de « standing ova t ion » . C ’é ta i t t rè s émouvant, j’ai été surpris et très touché. Je me suis rendu compte que mes fidèles étaient individuel lement probablement reconnaissants de ce que j’avais fait pour eux. À ce moment-là, j’ai compris que je n’avais pas, peut-être, entièrement perdu mon temps. ■

Mars 2020 - n° 1 / Chema 31 • שמע

Métamorphose la chronique d’Emmanuel Niddam

Chaque saison, le psychanalyste et psychologue clinicien Emmanuel Niddam, actif au sein de l’association Maavar à Paris, mobilise sa discipline ainsi que les traditions juives et philosophiques pour interroger un point sensible de notre culture.

Emmanuel Niddam

La métamorphose est-elle l’effet du temps ? Ou le temps est-il le fruit des métamorphoses ?

chronique d’emmanuel niddam

En l’an I, Ovide proposait son récit de la création :

une histoire du passage du néant au tout appelée métamorphose. Un peu plus tard, Apulée nous faisait vivre l’inquiétante étrangeté d’une autre métamorphose : la souffrance et le décalage qu’elle permet pour observer le monde. Enfin, plus proche de nous, Franz Kafka proposait, par sa Métamorphose, une représentation des sombres aménagements moraux de la bourgeoisie dans la visée d’une exclusion.

D a n s c e s r é c i t s , l e s métamorphoses aiguisent notre curiosi té par leur inexplicabil i té. Comment passe-t-on du néant au tout, de l’humain à l’âne, de l’humain à l’insecte repoussant ? Deux états différents de la réalité cohabitent sur le même objet, contredisent alors la croyance que nous avons de sa permanence, dans deux instants successifs. La métamorphose serait, en que lque sor te , une contradiction temporalisée.

Parmi les enseignements d e F r e u d 1 , l e p l u s essentiel tient sans doute dans l ’é tabl issement de l’inconscient comme objet d ’étude. Lui et d ’autres défricheurs ont découvert les premiers traits de cette instance qui nous échappe en nous-même, et qui peut

1 FREUD S., Métapsychologie (1915), PUF, Paris, 2018

nous agir malgré nous. Parmi eux : l’inconscient ignore la contradiction tout comme il ignore le temps.

À ce titre, il est un contra-dictoire temporalisé dont chacun fait l’expérience : le passage adolescent2. L’ instant d’avant enfant, l’instant d’après homme. Ce qui semble consciemment impossible n’est tenable qu’au prix d’un redéploiement de l’inconscient, qui seul permet d’admettre la superposition de ces deux états contradictoires si rapprochés dans le temps. En ouvrant dans la parole un espace pour l’inconscient, l ’ impossible peut devenir accep tab le . Le dé tour par l ’ inconscient permet d’admettre la métamorphose dans la réalité, tout comme le détour par la narration.

De s é t a t s s upe rpo sé s contradictoires sont le sel de l’Ecclésiaste : « Il est un temps pour pleurer et un temps pour rire »3. Le célèbre chapitre trois des écrits du roi Salomon est pourtant introduit d’un verset à la traduction impossible4. Sa traduction classique s’appuie sur un commentaire de Rachi5 : « Il y a un temps pour tout, et chaque chose a son heure sous le ciel. »

2 RASSIAL J.-J., Le passage adolescent, Eres, Paris, 1996

3 Ecclésiaste, Chapitre 3, Verset 5

כל,זמן;ועת לכל-חפץ,תחת השמים 4 – .לEcclésiaste, Chapitre 3, Verset 1

5 Rachi remarque que le mot « חפץ» peut être utilisé pour siginifier « chose » dans la Michna

Tout comme celle du mot « chose », la traduction du mot « heure » est discutable6. En effet, « חפץ/chose » peut aussi en hébreu littéraire se lire «חפץ/désir » . De son côté, concernant la traduction de« עת/heure », il n’est pas moins juste de proposer celle-ci : « עת /moment ». Ainsi, ce verset énigmatique adopte une autre allure : « Pour le tout, il y a le temps, pour chaque désir, il y a le moment. » Les moments de rire ou de pleurer ne seraient alors pas les effets d’un temps qui passe, mais l’instanciation de désirs contradictoires.

Ces désirs contradictoires trouvent successivement leur place dans l’univers, forment des réal i tés di f férentes placées l’une après l’autre : voilà des métamorphoses. Et, ce seraient ces états offerts par la métamorphose que nous nommons « moments ». En désignant ces différents états de la réalité « moment », nous menons un ac te conscient de découpage de la réalité. C’est nous qui voulons y voir des moments. Notre conscience comble l’inexplicable métamorphose de la réalité en lui attribuant une cause intangible que nous nommons abusivement « temps ».

Récemment, afin de décrire la portée phi losophique de la formule de Ludwig

6 Le mot « עת» signifie de nos jours « moment » ou « instant »

Bol tzmann à propos de l’entropie7 - la mesure du désordre dans la matière - Carlo Rovell i écrivait : « Tous les phénomènes qui caractérisent l’écoulement du temps se réduisent à un état « particulier » dans le passé du monde, qui est « particulier » à cause du flou de notre perspective »8. La réalité du physicien serait ainsi plutôt du côté de la continuité : les métamorphoses n’y sont que le fruit de notre incapacité, de notre manque. Ce flou de notre perception, là où notre désir de voir une causalité surgit, produit ce que nous nommons abus i vement temps, mais qui ne serait que la succession d’états que nous-mêmes trouvons particuliers. Aux yeux du physicien, âne ou humain forment la continuité d’une même matière. Le temps n’est dans ce sens pas la cause de la métamorphose, mais ce serait la métamorphose qui mène les hommes à la conviction de l’existence du temps.

A c c u e i l l o n s d o n c l e s métamorphoses comme des créatrices, assurés que nous sommes que celle qui transforme ces pages créera de vastes espaces d’analyse et de fraternité. ■

7 1877 – « S = k log W »

8 ROVELLI C., L’ordre du temps, Champs Science, Flammarion, Paris, 2017, p. 47

32 • Mars 2020 - n° 1 / Chema שמע

Ancien élève de l’École Normale supérieure de Cachan, Thibaut Trétout est agrégé, enseignant et docteur en histoire. Spécialiste de la monarchie et du XIXe siècle, il propose avec ses chroniques un bel antidote aux idées reçues.

Par Thibaut Trétout

la chronique historique de Thibaut Trétout

la chronique historique de Thibaut Tretout

Dans les magasins de l’Histoire : genèse et mutations des magazines

ACTUALITÉS

la première fois par le libraire londonien Edward Cave, au prix d’une anglicisation, appelée à s’imposer, du mot français magasin. C’est toutefois durant un long XIXe siècle, étendu des années 1830 aux années 1940, défini par l’historien

rendue indispensable par la segmentation des publics, l’ouverture internationale sans méconnaissance des réalités locales et la valorisation des concepts éditoriaux.

Le magazine, en somme, s’apparente à un recueil de récits visuels destiné à séduire un spectateur-feuilleteur, qui selon Jean-Marie Charon devrait pouvoir réussir sa mutation, à condition de privilégier ou de systématiser le modèle dit user centric, soit l’avènement

de papier » ne requérant de son lecteur ni travail, ni discipline. Propos de 1937, qui témoigne de la massification du magazine durant l’Entre-deux-guerres, sous la houlette notamment du patron de presse Jean Prouvost, et à l’initiative d’équipes qui, de

Christophe Charle comme le « siècle de la presse », que le magazine devient, sinon un genre éditorial, du moins une parution à part entière, distincte du journal illustré comme du quotidien. Cette invention du magazine a été notamment étudiée par Thierry Gervais, à travers l’exemple de La Vie au grand air : fondé en 1898, cet hebdomadaire consacré principalement aux activités de loisirs et aux compétitions spor t i ves repose sur le double primat de l’illustration photographique – chaque exemplaire est, en moyenne, illustré à 70 % – et de la mise en page conçue comme une mise en scène cinématographique. La Vie au grand air constitue ainsi l ’une des premières parutions à faire du lecteur moderne, non plus seulement le déchiffreur de rubriques ordonnées, mais le spectateur d’une actualité « donnée » à voir en la feuilletant et en effeuillant ses légendes.

Parution pionnière, La Vie au grand air joua un rôle décisif dans la genèse du magazine, que l’ami de Walter Benjamin, Jean Selz, devait superbement décrire comme ce « petit cinéma

horizontal du lectorat co-éditeur. Si nous allons livrer ce magazine à la commande en tirage papier dès que la fin du confinement le permettra, chaque recueil de récits visuels se doit surtout d’être numérique, donc connecté - un peu comme votre premier Chema va vous arriver cette fois-ci d’abord en pdf - mais aussi coopératif : il s’agit d’associer le lectorat à la coproduction et à la coréalisation des contenus. En ce sens que le fil continu des parutions Le Rayon, Hamevasser et Chema vous interpelle intimement, en proposant un éclairage juif sur l’actualité, ce qui est peut-être le meilleur remède pour la longévité. Alexis de Tocqueville avait défini l’individualisme comme l ’une des p i res menaces pesant sur les sociétés démocratiques : il pourrait bien être le meilleur garant de la pérennité des magazines, au premier rang desquels le vôtre, où nous espérons que vous continuerez à retrouver les éclairages nécessaires au déchiffrement toujours renouvelé d’une actualité qui intéresse notre commune humanité. ■

Paris Soir à Match et à Marie Claire, les deux publications les plus lues par les soldats de la ligne Maginot, s’en tiennent à la règle d’or du succès définie par Pierre Lazareff - « Pas de phrases, coco, les faits précis ! » – et Hervé Mille : « […] que la vue de l’image suffise à susciter la curiosité et le besoin, pour mieux la comprendre, de lire la légende qui l’accompagne. » Cette même règle devait faire le succès du quotidien France-Soir, très largement redevable à un choix rédactionnel plagié des magazines – « Que tout soit mis en scène ; pas un papier sans personnage » –, comme elle explique l’appétence de nombreuses entreprises pour un format qui fabrique de la promotion de marque.

Dans le flou permanent et évolut i f qu’est le champ médiatique contemporain, que distingue la quasi instantanéité, la presse magazine présente des caractéristiques propres qui, selon le sociologue Jean-Marie Charon, participent de sa singularité et de son actualité : le primat du visuel – artistique ou non –, l’impératif de créativité qu’impose sa périodicité, la lisibilité des contrats de lecture

Quel est le secret de la vie, de la survie et de la longévité

d’un titre de presse ? Aussi légendaire que controversé, le sexagénaire magazine Playboy ne sera désormais plus disponible en magasin, son directeur, Ben Kohn, ayant fait le choix, précipité en partie par la pandémie de coronavirus, de consommer le passage du plus espiègle des titres de presse grand public au tout numérique. Le lapin dessiné sur papier par Art Paul devrait donc poursuivre une existence d’abord et avant tout virtuelle. Quant à nous, après 46 années déjà d’existence, voire 108, puisqu’il a existé dès 1912 sous le titre Le rayon, Hamevasser continue et grandit pour devenir Chema, le magazine de « Judaïsme en Mouvement ». À cette heure où votre magazine opère sa mue, il semblait judicieux de retracer la genèse des magazines en France, afin de comprendre comment ce format peut évoluer et continuer à répondre à vos attentes.

Si le périodique apparaît, historiquement, dès le début du XVIIe siècle, il faut attendre les Lumières pour que l’appellation de magazine soit employée pour

Mars 2020 - n° 1 / Chema 33 • שמע

Le séder de Théo Klein, un Hommage, Par Delphine Horvilleur

Cette voix du Hineni fut celle de Théo, en bien des occasions…

Dans la vie de l’avocat qu’il va devenir, un avocat à la cour d’appel, dans son cabinet parisien et plus tard au barreau de Jérusalem. Un avocat qui va réinventer les codes de la profession par son aptitude à aller à la rencontre de ses clients, à se mettre en route vers eux, plutôt que d’attendre qu’ils viennent à lui.

Le Hineni résonne en bien des lieux et des temps de sa vie de militant, engagé dans la construction du centre communautaire, de l’UEJF, du Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme, dans son combat pour la justice, contre les spoliations juives, et pour les droits des Juifs d’Afrique du Nord, dans sa lutte pour la mémoire, dans l’affaire du Carmel d’Auschwitz, et dans la construction du CRIF, dans son engagement pour la Paix et pour le dialogue israélo-palestinien.

Vous connaissez, les uns et les autres, ce long parcours, à nul autre pareil, d’un homme qui a marqué le siècle, par son engagement juif humaniste.

Dans un de ses livres, Théo tente d’expliquer d’où cela lui vient, et comment ont surgi ses convictions… et, au sujet de la guerre et de cette nuit que l’humanité a traversées au siècle dernier, il écrit :

C’est l’histoire d’une famille juive qui, comme de très

nombreuses familles juives, se réunit autour d’une table, un soir de Pessah, la Pâque juive. C’est l’histoire d’une famille qui, comme chaque année, raconte la même histoire, l’histoire de la sortie d’Égypte et d’un peuple qui se met en route vers la l iberté. Et tout au bout de la soirée, tout au bout du récit, à la dernière page du livre, sont écrits les mêmes mots que l’on prononce de génération en génération :

H’assal siddour Pessah’, kehilh’ato Keh’ol mishpato veh’oukato

Ainsi s’achève le séder de Pessah’, selon toutes ses lois et toutes ses prescriptions

Et l’on ajoute alors ces mots, connus de tous ou presque :

Beshana habaa beYiroushalayim – L’an prochain à Jérusalem !

Cette scène, bien des familles juives l’ont vécue. Mais dans l’une d’entre elles, depuis toujours, on la vit différemment. Dans la famille Klein, à la fin du séder, on chante ces versets sur un air très particulier :

H’assal siddour Pessah’, kehilh’ato Keh’ol mishpato veh’oukato (sur l’air de la Marseillaise)

Vous l’avez compris, dans la famille de Théo Klein, la sortie d’Égypte se chante sur l’air de la Marseillaise… Et cette petite anecdote, ce détail de rien du tout que les

enfants de Théo ont eu la gentillesse de partager avec moi, raconte, à mon sens, mieux que tous les récits, l’histoire de cet homme que nous accompagnons.

A lors , j ’ a i eu env ie de commencer par là, pour évoquer la vie de Théo Klein et honorer sa mémoire devant tant de celles et ceux qui l’ont connu et aimé.

Voilà ce que fut une certaine façon d’être juif en France, qu ’ un homme a su s i magnifiquement incarner. La conscience, héritée sans doute du judaïsme alsacien dont il était l’enfant, d’un dialogue infini et harmonieux entre l’amour de la France et l’amour du peuple juif. La conscience subtile que l’un et l’autre de ces ancrages, la promesse juive et la promesse républicaine, racontent ensemble et en écho un même rêve d’émancipation, une mise en route des hommes vers la l iberté . Théo Klein fut un enfant de ce franco- juda ï sme . Arrière-petit-fils du rabbin de Colmar, fils et petit-fils de médecins, descendant d’une famille très profondément at tachée à la France et aux traditions juives, i l a l i t téralement traversé un siècle, nourri de ces idéaux qui transparaissent dans chacun des engagements qui furent les siens.

Pour raconter la v ie de Théo Klein, on peut, bien sûr, commencer le récit à des dates di f férentes . À la fin du XIXe siècle, bien avant

sa naissance, quand une famille alsacienne s’installe à Paris. En 1920, quand naît un enfant dans le Xe arrondissement de la capitale.

O n p o u r r a i t r a c o n t e r son a t tache ment à ses parents Salomon et Selma. Un père, médecin, extrêmement dévoué et engagé, attaché à lui transmettre ce sens de l’engagement, ce qu’en yiddish on appelle la capacité ou le devoir d’être un Mentsch, un homme digne et courageux. Et une mère aimante, qu’il va perdre jeune, pendant la guerre, et dont le souvenir va le hanter tout au long de sa vie.

Et il nous faut, bien sûr, parler de cette guerre, de ce qu’un tout jeune homme va alors prendre sur ses épaules, comme membre des éclaireurs israélites, son engagement dans le groupe de résistance qu’on appelle la « 6e » , à Marseille, en charge du sauvetage de jeunes gens et d’enfants qui vont lui devoir leur survie. Et cette capacité à dire « Je suis là » et à se construire dans l’engagement.

Cer ta ins parmi vous le savent : dans la tradition biblique, les héros du texte sont toujours des hommes qui savent prononcer un mot, le mot Hineni, « Me voici » et répondre à un appel, c’est à dire littéralement engager leur « responsabilité », affirmer leur capacité à répondre…

Texte prononcé par le Rabbin Delphine Horvilleur lors des funérailles de Théo Klein, le 5 février 2020.

Le séder de Théo Klein,

un HommagePar Delphine Horvilleur

DR

Théo Klein

>page 34

34 • Mars 2020 - n° 1 / Chema שמע

« De ces événements, j’ai tiré une triple conviction : d’abord la nécessité d’un combat pour une terre où le peuple juif pourrait être vraiment en sécurité, ensuite la certitude que seule la démocratie était à même de mettre les Juifs à l’abri de la violence et de la persécution, enfin la nécessité de toujours garder ouverte la possibilité de dialoguer avec les autres, quels qu’ils soient ».

La sécurité pour les siens, l’amour d’Israël, la démocratie pour tous, la passion pour la France, et le dialogue avec l’autre, quel qu’il soit…

Autant de pil iers qui ont soutenu et guidé son existence.

Et dont vous pouvez, sans doute, témoigner bien mieux que moi, vous ses enfants et sa famille. Jean-Michel, François, Laurent, et Véronique. Des valeurs dont pourraient témoigner celles qui l’ont accompagné, Sophie bien sûr, et Liliane. Témoigner de ces valeurs qu’il a pu transmettre à ses huit petits-enfants, et qui éclaireront les sept arrière-petits-enfants qu’il a eu la joie et la bénédiction de connaître.

Vous êtes tous les héritiers de tout cela, de ces combats qui ont valu à votre père et grand-père bien des honneurs, mais aussi, pardon du terme, parfois, bien des « emmerdes ». Disons plus poliment… bien des attaques et des contestations.

Le moins que l’on puisse dire est que Théo Klein n’était pas exactement un homme « consensuel ».

Patrick Klugman le rappelait dans un article il y a quelques jours : Théo Klein aimait dire, en souriant, qu’il avait souvent fait l’unanimité …mais l’unanimité contre lui. Mais, apparemment, cela ne lu i fa i sa i t pas peur. Il aimait dire qu’il aurait fait un grand « président de la République ». Je ne sais pas si c’est vrai.

Mais quoi qu’il en soit, il n’hésitait pas à défier les consensus, à plaider à contrecourant. Il s’est fait (par exemple), en bien des occasions durant ces dernières années, l’avocat d’une paix et d’un dialogue auquel plus personne ne croyait vraiment.

Et je voudrais à nouveau le citer. Il a écrit, un jour : « J’entends les rires et les sarcasmes. Voire les soupçons de pacifisme au détriment de ceux qui sont les miens, ou d’excès de considération pour ceux que désormais on ne considère plus que comme des ennemis » . Mais, ajoute-t-il, « Je refuse cette part i t ion simpliste, intellectuellement indigente et humainement accablante. Les Palestiniens ne sont pas voués à être nos ennemis. Ils sont nos voisins. » … et Théo écrit enfin : « L’avocat que je suis sait d’expérience que bien mieux qu’au prétoire, pacifique réplique du champ de bataille, c’est autour d’une table que les parties opposées finissent par s’entendre. »

Et nous voici de retour autour d’une table. Autour d’une table où Théo Klein nous invite à nous asseoir, autour d’une table de négociation qu’il a bien connue ou autour d’une table familiale, autour d’une table de Séder. Je crois qu’encore, et même par-delà sa mort , Theo Klein est capable de nous inviter à nous y asseoir. En cet instant, je voudrais vous inviter à fermer les yeux et à imaginer que nous y sommes installés. Et qu’autour de cette table, nous ont rejoints bien des êtres, des hommes et des femmes que Théo a eu le temps de connaître en ce siècle d’homme qu’il a traversé. En cet instant , dans ce cimetière, selon la tradition juive, s’ouvrent les portes du ciel où des mondes se touchent, le monde des vivants et le monde des disparus, et rien ne nous empêche alors de nous asseoir à la même table.

Et autour d’elle, il y a sans aucun doute les grands a m i s d e T h é o K l e i n , Claude Lanzmann ou Shimon Peres, le cardinal De Courtray et le cardinal Lustiger, qui lui disent combien ils sont fiers de ce que leur amitié a permis de faire, de construire et de réparer.

Et sont assis, autour de la table de Théo, les grands de ce monde et de tout un siècle réuni, les mentsch de la famille Klein et les héros du franco-judaïsme, un vieux rabbin de Colmar, très orthodoxe, qui demande : mais depuis quand existe-t-il des femmes rabbins ?… Et puis, il y a tous les clients de Théo, qui viennent célébrer l’avocat qu’il fut, et puis tous ceux qui ont un jour rêvé d’être invités au dîner du CRIF et qui attendent encore leur invitation.

Et peut-être qu’à la table, qui sait, il y a François Mitterrand, qui avait dit un jour à Théo Klein : « Comment faites-vous pour supporter tous ces Juifs ? ». Théo lui aurait répondu : « Je les aime, monsieur le Président ».

J’espère que, devant cette foule d’amis et de proches réun i s , i l pourra i t aujourd’hui encore nous dire la même chose. Qu’il nous aime… comme nous, nous lui disons, qu’avec tout ce qu’il a été, dans nos accords et nos désaccords, dans nos histoires et traditions communes ou différentes, nous l’avons aimé.

Chaque année, le soir de la Pâque juive, des familles s’assoient autour d’une table. Et on raconte l’histoire de quatre fils qui fêtent la Pâque, on raconte que se tiennent côte à côte des enfants sages ou rebelles, des naïfs, ceux qui posent trop de questions ou ceux qui n’en posent pas assez. Et on dit que tous ont

une place autour de la table. Voilà comment se tissent les liens de la fraternité et les liens entre les générations… dans leur capacité à se transmettre des récits, des chants et du courage. Leur capacité à accompagner une génération qui part et à murmurer encore ces mots, à la toute fin du livre, à la toute fin de la vie :

Hassal siddour Theo, Kehilchato, kekhol mishpato vetorato. Ainsi s’achève la vie de Théo, selon ses lois et ses prescriptions.

Et ces lois et ces prescriptions, par-delà sa vie nous obligent, elles nous disent : où que tu sois, mets-toi en chemin vers la liberté, que ce chemin te mène à la France ou à Jérusalem. Assure-toi que ta quête de justice et de paix, te conduise toujours vers ta terre promise, où qu’elle se trouve.

Que la mémoire de Théo Klein soit une bénédiction. Et que son âme soit accrochée au fil de nos existences. ■

Le séder de Théo Klein, un Hommage, Par Delphine Horvilleur

Delphine Horvi l leur est rabbin de JEM-Judaïsme en Mouvement et directrice de la rédaction de Tenou’a, où ce texte a été publié au mois de février (tenoua.org).

Man

uel L

agos

Cid

Delphine Horvilleur

Mars 2020 - n° 1 / Chema 35 • שמע

CORONAVIRUS,POUR SE PROTÉGER

ET PROTÉGER LES AUTRES

Se laver très régulièrement les mains

Tousser ou éternuer dans son coude

ou dans un mouchoir

Utiliser un mouchoir à usage unique et le jeter

Saluer sans se serrer la main, éviter les

embrassades

Vous avez des questions sur le coronavirus ?0 800 130 000

(appel gratuit)

36 • Mars 2020 - n° 1 / Chema שמע

ACTUALITÉS Juifs Du Monde entier …

Comme chaque trimestre, votre magazine fait le tour des actualités juives du monde entier. Avec des nouvelles qui oscillent entre politique et insolite. Notre confinement et la lutte contre le coronavirus sont omniprésents et cependant, quand on y regarde bien, même confinée ou attentivement monitorée, la vie des Juifs se poursuit avec ses fantômes et ses projets.

Les messages du confinement...

Il n’y a pas que les artistes qui proposent des concerts depuis leur lieu de confinement.

D e p u i s l e lundi 16 mars en France, les rabbins s’expriment aussi depuis chez eux par de pe t i t e s

v idéos qu i c i rcu lent e t donnent de l’espoir. Ainsi de la parole rabbinique de nos 5 rabbins que vous pouvez retrouver chaque soir sur la page Facebook de JEM. Mais aussi de celle de Haim Korsia. Apparaissant vendredi 20 mars en toute simplicité devant ses rideaux, dans une maison où l’on pouvait entendre les doux bruits des préparatifs du Chabbat, notre Grand Rabbin a livré un message de paix, de solidarité et a enjoint chacun à célébrer Chabbat à 9h du matin le samedi et à réfléchir aux Parashot du passage au mois de Nissan au regard de notre actuel confinement. ■

Un Rothschild poursuit la ville de Vienne

Citoyen américain, Geoffrey Hoguet est l’arrière-petit-fils d’Albert de Rothschild qui a créé à Vienne en 1905 une fondation pour rendre

Juifs

revue de presse politique, sociale et

culturellePar Yaël Hirsch

violente pour la Berlinale qui s’affirme comme un festival progressiste récompensant des f i lms pol i t iquement engagés (cette année l’Ours d’or est allé au cinéaste iranien assigné à résidence Mohamed Rasoulof pour There is no evil, une réflexion sur la peine de mort, et l’Ours d’argent à la réalisatrice juive de Brooklyn Eliza Hittman qui proposait avec Never Rarely Sometimes Always un film militant sur l’avortement). En conséquence, le festival a cessé de remettre le “Alfred Bauer Silver Bear” (existant depuis 1987) à un film ouvrant de nouveaux hor i zons cinématographiques... ■

L’Arche se demande : Emmanuel Macron doit-il son ascension aux réseaux jésuites ?

Le passé nazi de son fondateur a obscurci la 70e Berlinale

Le Fest ival International du Film de Berlin a pu se dérouler sans encombre, du 20 février au 1er mars 2020 – contrairement au Festival de Cannes qui a d’ores et déjà annoncé qu’il n’aurait pas lieu en mai pour cause de COVID19. Néanmoins,

hommage à son frère , Nathaniel de Rothschild et qui porte son nom : Nathaniel Freiherr von Rothschild. Cette fondation dédiée aux soins psychiatriques a été à l’initiative de la création de deux hôpitaux. Initialement gé ré e p a r u n c o m i t é comprenant 12 membres que la famille dirigeait. Elle avait été dissoute en 1938 avec l’Anschluss, alors que les Rothschild étaient expulsés. Puis elle a été réinstaurée en 1956 et confiée à la mairie de Vienne. Aujourd’hui, l’héritier des Rothschild conteste la gestion de cette fondation par la municipalité : il estime qu’elle a vendu des biens matériels de cette fondation à des prix sous-évalués, et poursuit Vienne devant la justice au nom de la mémoire de son arrière-grand-oncle, en requérant que la famille reprenne le contrôle du comité de direction de cette fondation. Il a fait savoir par l’intermédiaire de ses avocats : « Je ne cherche a u c u n e c o m p e n s a t i o n financière mais je veux que la fondation soit rétablie dans la configuration souhaitée par mon aïeul et qu’on lui redonne vie. » ■

la publication d’un long reportage dans le magazine Die Zeit a assombri les festivités de la 70e édition berlinoise. L’hebdomadaire y démontre qu’avant de créer le festival en 1951 et de le diriger jusqu’en 1976, Alfred Bauer avait été un éminent membre du par t i naz i , travaillant à la propagande du régime auprès de Josef Goebbels. Une révélation très Ancienne fondation Rothschild

DR

Le numéro des mois de mars et avril de la revue

¢ Fa

yard

Mars 2020 - n° 1 / Chema 37 • שמע

Providence à Amiens. Il y a rencontré sa femme, et il citait volontiers comme philosophe de référence Paul Ricoeur lui-même proche du Père jésuite Paul Beauchamp. La thèse de ce dossier original repose sur le fait que l’explication de l’ascension fulgurante de notre Président tiendrait dans son réseau jésuite. Une drôle de façon de répéter et transposer les rumeurs de l’impact du réseau juif de la banque Rothschild, où Emmanuel Macron a travaillé. ■

À Varsovie, des escouades juives pour nourrir les Justes en temps de Coronavirus

L’an dernier, avec le projet « From the depth », un groupe de jeunes Juifs s’est constitué à. Varsovie pour venir en

du monde entier

de nourrir environ 20 Justes.

La Pologne s’est illustrée ces

dernières semaines par son

bel élan de solidarité, avec

notamment la création sur

Facebook par Filip Zulewski,

44 ans, de La Main visible,

qui a dépassé les 100 000

membres et propose toutes

sortes d’entraides aussi bien

psychologique, sportive, que

pour faire des courses... ■

Les archives de Pie XII

sont ouvertes

Juifs Du Monde entier …

aide aux Polonais qui ont

sauvé des Juifs pendant

la Guerre et notamment

leur offrir des courses de

taxi. Ces voitures ont été

transformées, dimanche

15 mars, alors que la pays

état en quasi-quarantaine,

en pet i te escouade de

ravitaillement, et permettent

t r imestr ie l le édi tée par le Fonds social juif unifié, l’Arche, propose un dossier sur «Macron , prés ident jésuite ? », avec la photo de notre Président en 1990, lors de sa profession de foi à Amiens. Voici les faits : Emmanuel Macron a étudié chez les Jésuites de la 6ème à la terminale au lycée de la

aussi comme des victimes de la Seconde Guerre Mondiale. I l prend pour exemples l’exposition Hurra, wir leben noch ! (Hourrah, nous sommes encore vivants) qui s’est tenue à la sortie de la gare de Cologne, montrant la ville sous les bombardements de 1945, et l’exposition de l’hôtel de ville de Brême qui présente le temps nazi comme une des deux « occupations » que les Allemands ont eues à subir. Il parle aussi de l’ouvrage du politiste Samuel Satzborn qui se penche sur ce phénomène dans son livre Kollektive Unschuld (édité chez Hentrich & Hentrich) et essaie de comprendre pourquoi aujourd’hui 70 % des allemands estiment que leurs familles ne faisaient pas partie des bourreaux et que la moitié d’entre elles étaient des victimes. Et les Allemands ne sont pas seuls à mélanger Dresde et Auschwitz. Un mélo comme La voleuse de livres

de qui il disait devoir la vie, plusieurs historiens, depuis Saul Friedländer jusqu’à notamment Susan Zucotti (Under His Very Windows, 2000, Yale University Press) e t Mar ie -Anne Matard-Bonucci (L’Italie fasciste et la persécution des Juifs, Perrin, 2007), à partir des archives du 3e Reich, montrent que la rafle de 1 259 Juifs vivant à Rome du 16 octobre 1943 a eu lieu non loin du Vatican et sans réaction du souverain pontife. Avec l’ouverture des archives locales, nous allons enfin en savoir plus... ■

Les Allemands « confondent bourreaux et victime »

À la suite du succès du parti nationaliste et eurosceptique Alternative pour l’Allemagne (AfD) aux élections régionales de Thuringe ce mois de février 2020, le rédacteur en chef d’Akadem, Ruben Honigmann, attire notre attention dans La Croix (17/02/2020) sur une tendance lourde et dérangeante de certains Outre-Rhin : se présenter eux

Cre

ativ

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(2013) du britannique Brian Perceval présentait, autour d’une petite fille juste, lisant des livres à un Juif qu’elle sauve, toute une série de pauvres familles allemandes victimes des bombardements. De quoi susciter de nouveaux débats sur la clarté des informations et les nuances à inclure dans le vital « devoir de mémoire »… ■

d’un historien du Saint-Siège

que Pie XII aurait protégé des

Juifs a provoqué la colère

du Grand Rabbin de Rome

Riccardo Di Segni. Tandis

que Eugenio Zolli, le Grand

Rabbin de Rome pendant

la guerre, qui s’est converti

au catholicisme après la

guerre, avait défendu Pie XII

Depuis lundi 2 mars, les archives du Vatican sur le pape de la Seconde Guerre, qui a inspiré à Rolf Hochhuth sa pièce très controversée Le Vicaire (1963, librement adaptée par Costa Gavras dans Amen en 2002) , sont enfin ouvertes aux chercheurs. Mais dès le jour de l’ouverture, l ’annonce

38 • Mars 2020 - n° 1 / Chema שמע

■ Combien d’appels par jour le 101, numéro d’urgence du Magen David Adom, reçoit-il à propos du COVID-19 ?

En tant qu ’organ isa t ion nat iona le des urgences médicales, le 101 reçoit en temps normal aux alentours de 4000 appels par jour.

peuvent sortir une heure par jour pour se ravitailler mais pas beaucoup plus que cela. Enfin, s’ils ont des symptômes alors qu’il n’y a pas eu de contact, nous les envoyons vers les Koupot Holim (caisses d’assurance maladie) afin qu’ils soient suivis et pris en charge.

■ Et que se passe-il quand une personne est testée positive par vos équipes ?

J u s q u ’ à l a s e m a i n e dernière, nous envoyions s y s t é m a t i q u e m e n t u n e ambulance du Magen David Adom pour transporter le malade vers un hôpita l . Désormais, nous travaillons au cas par cas : si le malade est très atteint, nous le transportons à l’hôpital, si c’est un malade léger qui peut s’isoler chez lui sans mettre en danger sa famille, nous le laissons à la maison. Si la personne n’a pas cette possibilité, il existe des centres pour les malades positifs à Tel- Aviv et à Jérusalem où l’on envoie celles et ceux qui risquent de contaminer leurs familles.

■ Et les personnes venues de l’étranger qui sont automatiquement mises en quarantaine, où vont-elles ?

Au début de l’épidémie, on a conçu des centres où on les gardait pour 70 heures jusqu’à ce qu’on les renvoie chez elles. Mais désormais personne ne peut rentrer sur le territoire israélien, sans avoir de maison où rester, même avec une mise en quarantaine.

à cette explosion de demandes, nous avons ajouté au standard national et aux dix standards régionaux existants, cinq autres standards spécifiquement dédiés au COVID-19. Le numéro d’appel reste le 101 pour tous, avec le n° 1 pour joindre les urgences « normales », avec un temps d’attente maximal de six secondes, et le n°2 pour joindre

En plus du coronavirus,

le Magen David Adom continue à prendre en charge

tous les appels d’urgence

ACTUALITÉS Magen David Adom continue à prendre en charge tous les appels d’urgence

Alors qu’Israël est un des premiers États à avoir fermé ses frontières pour protéger sa population, notamment à certains ressortissants européens dès le 5 mars, malgré les campagnes massives de dépistage et l’utilisation des technologies, le COVID-19 est une préoccupation majeure. Ilan Klein, directeur adjoint du département international du Magen David Adom, le service d’urgence, d’ambulance et de don du sang israélien, a fait le point avec Chema, dimanche 22 mars, sur la manière dont sont organisés les secours en Israël, en partenariat avec le Ministère de la Santé. Alors que « l’évaluation de la situation change chaque jour », il nous explique comment la prévention et les soins évoluent. Et comment il faut anticiper les prochains mois de crise.

le plus vite possible, de réaliser très vite qui est malade afin d’éviter les contagions.

■ Quand on joint le service d’urgence dédié au coronavirus, quelle est la procédure ?

Nous proposons un questionnaire à ceux qui appellent. Deux critères comptent : s’ils ont des symptômes et s’ils ont eu un contact avec un malade positif. Si la réponse est positive pour les deux, nous leur envoyons une équipe pour faire un dépistage à domicile. S’ils ont été en contact avec un malade positif au coronavirus mais ne présentent pas les symptômes, nous leur donnons l’ordre de rester en isolement chez eux 14 jours. Au bout de cette période, s’ils sont asymptomatiques, ils peuvent reprendre une vie normale, comme les autres citoyens, à qui nous recommandons de rester chez eux au maximum, même pour ceux qui vivent dans des régions où il y a peu ou pas de cas déclarés. Ils

rencontre avec ilan Klein Propos recueillis par Yaël Hirsch

Depuis plus d’un mois, nous sommes face à l’urgence de la pandémie de coronavirus et nous recevons entre 40 et 50 000 appels par jour, avec un pic à 82 000 appels ! Face

directement le standard dédié au coronavirus, avec un temps d’attente que nous avons réussi à maintenir entre une minute et une minute et demie. Le but est de recevoir les informations

© MDA

Mars 2020 - n° 1 / Chema 39 • שמע

■ Combien d’hommes et femmes du Magen David Adom sont actuellement actifs dans le pays ?

Chaque jour, nous avons plus de 1500 acteurs sur le terrain. Le Magen David Adom, c’est 2000 salariés et 25 000 bénévoles, dont certains se sont mobilisés spécialement pour lutter contre le corona. Ce sont aussi beaucoup de donateurs parmi la population, sans lesquels nous ne pourrions pas effectuer la même couverture.

■ En collaboration avec le Ministère de la Santé, le Magen David Adom a lancé un questionnaire numérique disponible sur l’application «My MDA» pour répondre aux nombreuses interrogations de la population. Quel en a été l’impact ?

Ce questionnaire s’adresse à chaque personne en isolement, qui peut entrer sur le site et remplir le questionnaire. C’est important, c’est comme cela que nous savons combien de per sonnes son t en isolement. Nous arrivons à des pourcentages assez importants car je crois que la population comprend bien la complexité de cette situation. Les chiffres de ce 22 mars à 8h du matin sont de 122 000 personnes en confinement, 20 000 dépistages depuis le début de l’épidémie, 960 malades, une personne décédée et 37 personnes guéries. Mais bien évidemment, cela change tous les jours.

■ En Israël, au contraire de la France, la technologie permet de suivre les trajectoires des personnes malades et de mettre en garde celles ou ceux qu’elles auraient pu infecter. Comment cela fonctionne-t-il ?

À chaque malade, on demande de faire le détail horaire des lieux où il s’est rendu durant les 14 jours précédant le dépistage.

et d’autres ouvrent à Jérusalem, Ber-Sheva et Haïfa, avec un objectif défini par le Premier ministre de 10 000 dépistages par jour.

■ De quoi avez-vous le plus besoin ?

À l ’heure actuel le , nous essayons d’anticiper ce qu’il se passera dans un mois. Il y aura des centaines de milliers de gens à la maison. Et ils auront besoin de diagnostics et de traitements pour leurs otites, maux de dos, de pieds et autres infections que le COVID19, mais ils ne pourront pas sortir consulter. Dans un mois, les

Magen David Adom continue à prendre en charge tous les appels d’urgence

Comment aider Magen David Adom depuis la France ?

Depuis votre lieu de confinement français, vous pouvez contribuer auprès du Magen David Adom France, en ce moment soutenu dans cette campagne par plusieurs parrains : Michel Boujenah, Elie Semoun, Ary Abitan, pour équiper 3.000 secouristes qui se déplaceront à domicile en Israël. Ils éviteront aux Israéliens des déplacements dangereux, en procédant aux dépistages et en soignant les malades chez eux.

Pour un don en euros ou en shekel, c’est ici :https://tinyurl.com/u94awsd

ou par le biais d’une cagnotte leetchi : https://tinyurl.com/ug8hcsf

Nous rentrons les données dans des fichiers Excel et plusieurs applications permettent de publier leurs trajectoires et ainsi d’alerter celles et ceux avec qui les malades ont été en contact.

■ L’Autorité Palestinienne a déclaré un confinement de 14 jours le 21 mars, travaillez-vous aussi à surveiller la situation épidémique aux frontières entre Israël et les territoires palestiniens ?

Le Magen David Adom n’a pas le droit d’entrer sur les territoires, mais il y a eu des contacts et un suivi entre le Ministère de la Santé israélien et l’Autorité Palestinienne, une partie des dépistages ayant été effectuée en coopération. Les Israéliens suivent ce qui se passe dans les territoires palestiniens, où l’expansion de la pandémie toucherait forcément Israël.

■ Comment prévoyez-vous les prochaines semaines ?

Nos luttons depuis plus d’un mois contre le coronavirus entre 14 et 18 h par jour. Le résultat ne dépend pas que de nous, même si nous espérons que tous les moyens mobilisés feront la différence. Il ne faut pas oublier non plus qu’en plus du coronavirus nous devons continuer à prendre en charge tous les appels d’urgence qui ont lieu en temps normal. Pour ce faire, depuis le 20 mars, nous avons mis en place des « drive-in » : au lieu d’envoyer des milliers de secouristes partout en Israël au domicile des malades, celles et ceux qui appellent notre standard et qui présentent des symptômes, reçoivent de notre part un rendez-vous à heure fixe avec un code barre, et se présentent en voiture au drive-in pour faire le dépistage. Ils rentrent ensuite à la maison et reçoivent le résultat entre 24h et 48h après. Un premier drive-in a ouvert à Tel-Aviv qui a fait 3500 dépistages dès le premier jour,

Michel Ktorza -Président, Lazare Kaplan - Vice-président, Victor Wintz - directeur général, Olivier Kaplan- trésorier. 40 rue de Liège 75008 Paris, tel : 01 43 87 49 02, mail : [email protected]

INFORMATIONS ET CONTACT MDA FRANCE

© M

DA

c l iniques seront fermées. Nous avons donc décidé de construire des unités de soins infirmiers et paramédicaux, dont le personnel se déplacera avec tout l’équipement nécess-aire pour pratiquer de la médecine ambulatoire. Depuis nos standards, des médecins dédiés examineront à distance les patients, effectueront les diagnostics et décideront des traitements qui seront administrés par nos nouvelles unités à domicile. N o u s v o u l o n s c r é e r 200 équipes de cette nature, or, le matériel nécessaire à chacune d’entre elle revient déjà à 13 000 euros. ■

40 • Mars 2020 - n° 1 / Chema שמע

nous rejoindre en différents l ieux : d’Est en Ouest ! Aujourd’hui, nous avons trois lieux, mais nous espérons que dans le maximum de lieux possibles, les questions citoyennes et les textes de la tradition puissent dialoguer.

■ Traditionnellement on étudie le Livre de Ruth à Chavouot, pourquoi ?

En effet, le Livre de Ruth est lu dans de nombreuses synagogues le jour de Chavouot et étudié pendant la nuit. Chavouot marque à la fois l’anniversaire de la naissance et de la mort du roi David et le Livre de Ruth retrace sa généalogie, où l’on apprend que Ruth est l’aïeule de David. Par ailleurs, il y a des scènes de récoltes décrites dans le Livre de Ruth et Chavouot est décrite dans la Bible comme la fête des Moissons. Ce livre nous raconte l’histoire d’une étrangère, Ruth la Moabite, qui décide de rejoindre le peuple juif. Ruth vit au temps des Juges, avant qu’une monarchie soit inst i tuée en Israël. Après la mort de leurs époux respectifs, Ruth refuse de laisser sa belle-mère, Noémie, partir seule, et lui dit : « Partout où tu iras, j’irai, où tu demeureras, je demeurerai, ton peuple

ACTUALITÉS L’égalité au cœur de la Nuit de Chavouot

Si la situation sanitaire permet à nouveau les rassemblements, la nuit du 28 mai, les trois lieux de Judaïsme en Mouvement, Beaugrenelle, Copernic et Surmelin, vivront à l’unisson - de 18h45 à 6h pour le premier site, et jusqu’à 1h du matin pour les deux autres - une nuit d’étude exceptionnelle. Fabienne Sabban, programmatrice de La Nuit de Chavouot, la place en 2020 sous le thème de l’égalité. Alors qu’on vient d’apprendre que si le confinement dure, cette nuit aura lieu tout autant et par voie numérique, son organisatrice répond à nos questions sur cet événement traditionnel et néanmoins éternellement moderne.

activités. Depuis quatre ans, nous avons un thème commun et vraiment recentré sur l’étude, autour du don en 2017, et en 2018, pour les 50 ans, nous avons repris des slogans de mai 1968 comme « Il est interdit d’interdire » ou « Faites l’amour, pas la guerre », non pas pour les réévaluer aujourd’hui mais plutôt les revisiter comme clés de lecture pour mieux comprendre la Torah. L’an dernier, le thème était « La Loi et Nous ». Partant du constat que la Loi s’impose inéluctablement à nous tous, chacun se positionne de façon différente par rapport à elle, nous avons exploré sept directions…

■ C’est un beau challenge de l’établir sur les trois sites …

L’étude des textes de la t r ad i t i on es t au cœur d u J u d a ï s m e , d e s a transmission ! Si la fin du conf inement le permet, étudier sur nos trois sites, sur le même thème, est un facteur d’unité et d’ouverture de notre Mouvement. Nous sommes ouverts sur la Cité. Nous espérons donner l’opportunité à tous ceux qui auraient envie d’étudier, ou peut-être de découvrir ce qu’est l’étude juive, de venir

rencontre avec Fabienne Sabban Propos recueillis par Yaël Hirsch

■ Et cela dure vraiment toute la nuit ?

Oui, nous étudions vraiment toute la nuit, jusqu’au petit matin ! À Beaugrenelle, après l’office du soir de 18 h 45, nous enchaînerons des études sur textes interactives, des études en Havrouta (méthode tradi t ionnel le d’étude où les participants travaillent deux à deux sur le texte, nldr.) et une table ronde jusqu’à l ’office du matin. C’est le moment où le soleil se lève, nous sommes ivres de Loi, d’étude, et nous entendons la lecture des dix paroles … Chaque année, c’est un moment extraordinaire de joie et de partage.

■ Comment organisez-vous cette nuit ?

Cette nuit existe depuis toujours au MJLF. Nous avons connu différents formats : pendant quelques années, ce fut « La folle nuit de Chavouot », avec de multiples

DR

L’égalité au cœur de la Nuit de Chavouot

“L’étude est une fête”

Fabienne Sabban

■ Pouvez-vous expliquer pour ceux qui ne le connaissent pas le principe de la nuit de Chavouot?

À Chavouot, nous célébrons le Don de la Torah, le Don de la Loi. Un midrash raconte que pendant la nuit précédant le Don de la Torah, les enfants d ’ Israël a l lèrent dormir paisiblement sans montrer d’impatience particulière. D ieu dut lu i -même les réveiller pour leur donner la Torah ! C’est pour corriger ce manquement que la tradition rabbinique a institué une Nuit d’études à Chavouot. Dan s no s S ynagogue s JEM, nous respecterons cette tradition en étudiant la Torah toute la Nuit de Chavouot, de la manière la plus traditionnelle possible : avec des études bibliques sur textes, animées par des rabbins et des exégètes hébraïsants qui dialogueront entre eux.

Mars 2020 - n° 1 / Chema 41 • שמע

est mon peuple, ton Dieu est mon Dieu. » Les deux femmes von t a in s i en Israël, où par sa capacité de prendre son destin en main, Ruth gagne le cœur de Boaz, un proche parent de Noémie. Ils appliquent la loi du Lévirat et se marient. Leur lignée sera celle du Roi David. Nous étudierons cette année le Livre de Ruth sous l’angle de l’égalité : celle des hommes et des femmes, celle qui permet l’accueil des étrangers et qui n’empêche pas l’exception (statut de Boaz, loi du lévirat…) quand cette exception permet de réaliser une autre égalité : celle de la justice sociale.

■ Pourquoi avoir choisi ce thème de l’égalité pour l’année 2020 ?

Le sujet de l’égalité paraît ê t re l a p réoccupa t i on principale de tous ceux qui descendent dans la rue et aussi des hommes et femmes politiques. Depuis la crise des gilets jaunes en novembre 2018, la devise de notre République : « Liberté, Egalité, Fraternité », écrite sur le fronton de nos écoles et de nos bâtiments publics, est sur toutes les lèvres. En août 2019, le sommet du G7 de Biarritz se donnait pour but de lutter contre les inégalités. « L’école doit pleinement assumer les défis de notre époque : le défi de l’égalité des chances... » a déclaré le ministre de l’Education Nationale lors de la présentation des priorités de l’année scolaire 2019-2020, le 27 août 2019. Or, à l’inverse, la crise intervenue en décembre 2019 au sujet de la réforme des retraites était une protestation face à la disparition des régimes spéciaux : surtout pas égaux !

Un même régime de retraite pour tous paraît aux yeux de beaucoup, insupportable !

invi tat ions sont lancées et nous avons pressenti : Roger Pol Droit, Dominique Schnapper, Pierre Birnbaum, Paul Bernard, Alexis Nouss, Marc Alain Ouaknin, Henri Cohen Solal, Bruno Karsenti et Francois Rachline... Nous avons à cœur, comme les années antérieures – où nous av i ons reçu des intellectuels comme Gérard Haddad, Jean Pierre Winter, Daniel Sibony, David Haziza, Gabriel Abensour – de faire intervenir des personnes i s s u e s d e s d i f fé re n t s courants du Judaïsme, qui connaissent bien les textes de la tradition et qui ont cette capacité de lire le monde contemporain à travers ce prisme. Ces textes nous aident à vivre, permettent un questionnement différent de notre époque, porte ouverte vers de nouvelles réponses.

■ Quelle est l’implication des cinq rabbins de JEM dans cette Nuit de Chavouot?

Nos cinq rabbins animent d i f fé ren t e s é t ude s ce soir-là. I ls sont tous très enthousiastes à propos du thème choisi. Les études sont toujours interactives et fonctionnent avec les supports du texte hébreu et de sa traduction. Elles sont donc accessibles et ouvertes à des non hébraïsants.

Et puis, au milieu de cette nuit, pendant deux heures, nos rabbins animeront, sur les trois sites, une étude en Havrouta sur le Livre de Ruth sous l’angle de l’égalité. Nous nous retrouverons comme dans une maison d’études traditionnelle, une Yeshiva, à

L’égalité au cœur de la Nuit de Chavouot

Retrouvez toutes les informations sur la Nuit de Chavouot sur le site, la newsletter et les réseaux sociaux JEM.

I N F O R M A T I O N S

étudier avec nos camarades, nos amis, en confrontant avec eux les aspérités d’un texte, ses enseignements, ses ouvertures. Les rabbins seront là pour répondre à nos questions et pour proposer, en exploitant les interventions des uns et des autres, un ou des enseignements. C’est la mise en pratique de l’art de la controverse ! Pour ceux qui ne connaissent pas, venez vivre cette mervei l leuse expérience, vous verrez, vous ne pourrez plus vous en passer !!

■ Est-ce qu’on fait la fête pour Chavouot ?

Oui, c’est très fest if ! À Beaugrenelle, notre chorale nous enchantera à l’office du soir. Puis sur les trois sites il y aura un grand buffet lacté et tout au long de la nuit, open bar de café, thé, et gâteaux ! Nous terminerons par un merveilleux petit-déjeuner après l’office du matin. Et l’étude elle-même est une fête ! Ces moments sont extrêmement conviviaux et riches d’échanges. Vers 3h du matin, la table ronde où divers sujets seront abordés, autour de l’égalité à travers le prisme de l’actualité, sera un feu d’artifice qui nous tiendra en éveil.

■ Que va-t-il rester de cette nuit d’étude ?

Nous garderons la mémoire de ce t te nu i t d ’é tudes par des écrits. J’appelais cette trace de mes vœux depuis des années : cette année, nous l’aurons ! Nos Rabbins et intervenants de cette nuit y contribueront, mais beaucoup d’autres également… ■

■ Quels divers aspects de l’égalité vont être abordés ?

Afin de planter le décor, nous commencerons par définir ce qu’est l’égalité républicaine. Puis nous aborderons dans la perspective de la Loi juive la question de l’égalité de droits face aux inégalités de fait, la question de savoir si la halakha (loi juive) est égalitaire et si elle peut fonc t i onne r dan s une société démocratique. Nous interrogerons également l’égalité entre frères et le transhumanisme pour savoir s’il est facteur d’égalité ou d ’ inégal i té . De manière plus générale, alors que les réseaux sociaux et la montée de l’individualisme créent une société où l’horizontalité a remplacé la verticalité, à l’heure où nous pensons que nous sommes tous égaux, la mise en pratique du principe d’égalité nous confronte à des diff icultés que nous n’imaginions pas. Pouvons-nous vraiment mettre tout le monde sur un pied d’égalité ? Parents et enfants, élèves et professeurs, étudiants et enseignants ? Comment élever un enfant si le parent est dans l’incapacité de se montrer dans une position d’autorité donc d’inégalité, pour poser des limites ? C o m m e n t t r a n s m e t t re des connaissances quand un ense ignant n ’a pas la poss ib i l i té d ’ob ten i r le si lence de ses élèves pour prendre la parole ? L’égalité républicaine, si el le est confondue avec l ’ é g a l i t a r i sme , s emb l e mener à une impasse. Mais quid de la loi Juive ? Nous la questionnerons sous le prisme de l’égalité, ainsi que la ou les pensées qui en découlent.

■ Qui sont les invités ?

Outre nos cinq rabbins et nos responsables du Talmud Torah , Rev i ta l Sho lman et Ariane Bendavid, les

42 • Mars 2020 - n° 1 / Chema שמע

avaient identifiés. Elle m’apprit que l’héritage venait d’Armand Dorville, mais que ce nom n’évoquait rien pour elle. J’ai pu lui dire que c’était l’oncle de ma mère, mort en 1941, et qu’elle m’en avait beaucoup parlé. Elle m’avait raconté qu’il était avocat, mais pas qu’il était collectionneur d’art. Parmi les dix ayants droit identifiés, que je ne connais pas tous, je suis peut-être la plus concernée car, née en 1948, je suis la seule à avoir entendu parler de lui depuis toujours.

■ Qu’est-ce qui déclenche cette revisite de l’héritage d’Armand Dorville ?

L.B. : L’affaire du trésor de Munich et des 1 500 œuvres d’art possédées par Cornelius Gurlitt (1932-2014), f i ls du collectionneur Hildebrand Gurlitt (1895-1956), retrouvées entre 2012 et 2014, lance les choses . L’h is tor ienne Emmanue l le Po lack , qu i fait partie de la « Taskforce Gurlitt », devait s’occuper des œuvres d’origine française. Elle a retrouvé le catalogue de la vente de la collection Armand Dorville, comprenant 450 œuvres, et qui a eu lieu à Nice en juin 1942. À l’issue des travaux de la Taskforce, il

L’Affaire des 450 Tableaux

ACTUALITÉS L’Affaire des 450 Tableaux

Le mercredi 22 janvier 2020, Francine* était officiellement à Berlin pour recevoir des mains de la Ministre allemande de la Culture, Monika Grütters, trois œuvres ayant jadis appartenu à son grand-oncle, Armand Dorville. Ce collectionneur juif avait réuni des œuvres de Monet, Manet, Renoir, Constantin Guys ou Jean Forain. Mort en 1941, plus de 450 des œuvres qu’il possédait avaient été mises aux enchères à l’occasion d’une vente spoliatrice en juin 1942 à Nice. Près de 80 ans plus tard, le processus de restitution commence, complexe et long, que nous détaillent Francine et la journaliste Leslie Benzaquen, qui suit « L’affaire des 450 tableaux » depuis ses débuts et lui a consacré une série de podcast en 5 épisodes produite par Moustic Studio et disponible sur toutes les plateformes : Spotify, Deezer et Apple podcasts.

y a eu plusieurs conférences de presse, l’historienne et les généalogistes ont conjugué leurs forces à partir de 2015 pour retrouver les ayants droit… Quand je rencontre Francine, elle est au début des démarches juridiques et nous pensons tous que cela va pouvoir s’arranger à l’amiable. Mais très vite, je me rends compte que cela n’est pas si simple que cela. Des commissions travaillent sur le dossier, mais en tant que journaliste je n’arrive pas à avoir une interview. En 2018, le Premier Ministre Edouard Philippe a décidé que ce serait désormais le Ministère de la Culture qui centraliserait ces recherches, en créant une mission de recherche et de restitution des biens culturels spoliés présidée par David Zivie, qui a publié un rapport il y a deux ans. Emmanuelle Polack et les généalogistes ont rencontré les mêmes réticences que moi. Il faut comprendre qu’il existe des textes de loi, tels que l’ordonnance de 1945, mais tant que vous ne passez pas devant un tribunal, impossible d’honorer une restitution. Et pour que des œuvres spoliées soient rendues, il faut être certain à 100 % de la trajectoire des tableaux. Cela nécessite

Propos recueillis par Yaël Hirsch

Leslie Benzaquen

*Parce qu’elle n’est qu’une des 10 ayants droit d’Armand Dorville, Francine préfère être nommée par son prénom, pour rester discrète. Nous avons bien sûr respecté ce souhait.

Francine

DRDR

■ Comment s’est passée votre rencontre ?

Leslie Benzaquen : J’avais envie de faire un reportage sur les familles juives qui recherchent les tableaux spoliés de leurs aïeux. En chemin, je suis tombée sur l’historienne Emmanuelle Polack qui m’a ouvert son carnet de recherche. Elle m’a parlé de la collection de Armand Isaac Dorville. À l’époque, je préparais un reportage pour l’émission « 13h15 le samedi » sur France 2. Les généalogistes qui travaillaient avec Francine, l ’une des dix ayants droit de la succession d’Armand Dorville, lui ont parlé de mon projet d’émission, nous nous sommes rencontrées et de fil en aiguille nous sommes devenues proches….

Francine : De mon côté, l’histoire date d’octobre 2016, à peu près un an avant le reportage pour France 2. Ma nièce m’a dit un jour que des généalogistes l’avaient contactée à propos d’un héritage et que j’étais aussi concernée. Les informations é t a i en t vagues ca r l e s généalogistes ne pouvaient pas faire de « révélation » tant qu’ils n’avaient pas contacté tous les ayants droit qu’ils

souvent plusieurs années de discussions, de documents et de rencontres pour arriver à une restitution. Dans le cas Dorville, l ’Allemagne a été la première à rendre trois tableaux.

F : Oui, d’autres tableaux ont été présentés dans la salle de l’exposition du Mémorial de la Shoah l’an dernier, mais ils étaient prêtés, grâce à l’action d’Emmanuelle Polack, par le Louvre et le musée d’Orsay, pas restitués. L’affaire est un peu compliquée car nous ne demandons pas la restitution de tous les tableaux de la collection, seulement de ceux de la vente de juin 1942. En effet, Armand Dorville avait fait un premier testament en 1914 et un deuxième en 1939 où il avait prévu des dons à de grand musées, dont 50 dessins de Constantin Guys. Il avait une passion commune pour cet artiste avec son grand ami Jean Goujon, mort avant lui et qui lui en a légué certains. Le

Mars 2020 - n° 1 / Chema 43 • שמע

don au Musée d’Art Moderne de Par is s ’accompagnai t d’une condition : qu’une salle dédiée porte leurs deux noms. Aujourd’hui, les dessins ne sont pas exposés car ils sont fragiles, ils sont archivés et nous ne savons pas si, en 1946, quand le musée a touché cet héritage, il les a exposés dans une salle portant les noms des deux amis ou pas. Dorville a aussi légué au Musée Carnavalet trois tableaux d’Henri Béraud, qui ont été remis à cette institution en 1946 également. Tous les autres tableaux étaient légués à ses quatre nièces : Denise, Monique, Marie-Thérèse (Mitèse) et ma mère (Milou). Et les parents, Charles, Valentine et Jeanne, étaient usufruitiers. Une partie de la famille, réfugiée à Megève, dont Valentine, la sœur d’Armand, ses deux filles et ses deux petites-filles, a été dénoncée et déportée. Après-guerre, il ne restait plus qu’un frère, une sœur – ma grand-mère – et deux nièces. On ne sait pas si certains membres de la famille d’Armand Dorville étaient à ses côtés lorsqu’il est mort dans son château de Cubjac, en Dordogne. Toutes les questions que je voudrais poser arrivent trop tard : ma mère aurait pu y répondre mais elle est morte il y a 27 ans…

LB : Et la question qui se pose, c’est celle du destin des nièces d’Armand Dorvil le si el les avaient bénéficié du fruit de la vente de ses œuvres. Elles auraient peut-être pu fuir, éviter la déportation…

■ Donc alors qu’il y avait des héritiers, 450 œuvres ont été spoliées, récupérées par le Commissariat aux Questions Juives et vendues ?

F : Je ne sais pas qui organisé la vente de l’Hôtel Savoy à Nice en juin 1942. En tout cas, on a nommé un commissaire, Amédée Croze, et l’argent de cette vente n’a pas été remis à la famille mais mis sous séquestre.

LB : Des musées nationaux ont aussi acheté des œuvres par l’intermédiaire de leurs conservateurs. Par exemple René Huygue a acheté une douzaine d’œuvres pour le Louvre à cette vente. Dans les correspondances des dirigeants du CGQJ conservées aux Archives nationales, René Huygue est mentionné comme « intéressé » par les œuvres d’Armand Dorville. Selon moi, il ne pouvait ignorer qu’il était juif.

Ces achats par des musées ont permis de retrouver facilement des œuvres de la collection. Si vous tapez « Dorville » dans le catalogue du Metropolitan à New York, par exemple, des tableaux vont s’afficher, avec pour provenance la vente 1942,

L’Affaire des 450 Tableaux

LB : Dans les correspondances du Commissariat général aux Questions juives, émanation du régime de Vichy, qui sont aux Archives Nationales, on voit en effet que le produit de la vente est confisqué et déposé sur des comptes bancaires verrouillés. Et que l ’administrateur provisoire Amédée Croze a été rémunéré pour son office. Ce qu’il faut mesurer, c’est qu’il y a plus de 60 000 dossiers individuels de spoliation dans les archives. S’il n’y avait pas eu le travail d’Emmanuelle Polack, une histoire un peu connue par les amateurs d’art, rien n’aurait pu être fait pour exhumer l’Affaire Dorville, qui serait restée lettre morte. Francine et tous les autres ayants droit ignoraient tout de cette histoire…

F : Oui, j’ignorais tout, et quand j’ai été informée de ce dont il s’agissait, j’ai tout de suite dit que nous ne ferions aucune recherche de notre côté pour ne pas télescoper le travail d’Emmanuelle Polack et des généalogistes.

LB : Je peux témoigner que pour bien des héritiers spoliés qui se lancent dans les recherches seuls, c’est très difficile, et ils peuvent passer une bonne partie de leur retraite aux archives…

F : C’est vrai que je suis arrivée « comme une fleur » à Berlin, avec tous les honneurs, et que j’ai du mal à mesurer l’immense travail fait en amont.

■ Qui a acheté des tableaux à cette vente ? Savaient-ils que c’étaient des œuvres spoliées ?

F : Il y avait aussi bien des particuliers que des institutions. La vente était intitulée « Cabinet d’un amateur d’art parisien ». Nulle part n’était affiché qu’il s’agissait d’Armand Dorville. Certains acheteurs particuliers ont pu acheter des œuvres en toute bonne foi, des galeristes également , comme René Gimpel, eux-mêmes spoliés plus tard.

Pour revivre toute l’aventure de Francine et de la collection de son oncle Armand Dorville, suivez le podcast « L’affaire des 450 tableaux », réalisé par Leslie Benzaquen et produit par Moustic Audio, disponible sur Spotify, Deezer, Apple podcasts. ◗ Cliquez ici : https://tinyurl.com/uc6mhv8

INFOS PRATIQUES

et jusqu’à présent personne ne s’était posé de question…Jusqu’ici, Emmanuelle Polack a identifié une vingtaine de tableaux, mais les autres, s’ils sont dans des collections privées, sont impossibles à retrouver, à moins qu’il y ait mise en vente et recherche de maison de vente sur la provenance.

■ Qu’avez-vous ressenti toutes deux quand les trois œuvres de Forain et Guys ont été remises à Francine à Berlin ?

F : C’est très impressionnant, avant d’être émouvant, d’être en présence de la Ministre et qu’elle fasse cette restitution. Et je crois que pour elle aussi c’était important que je sois là, pour représenter les ayants droit. Mais il y avait beaucoup de presse et cela m’a peut-être empêchée de saisir toute l’émotion de la scène. Il est vrai que pour l’Allemagne, il est important de médiatiser un tel événement.

LB : Je ne sais pas si c’est en tant que journaliste ou en tant que personne, car nous avons créé un lien de confiance avec Francine et Emmanuelle Polack, mais j’ai été très émue. Et j’ai trouvé hallucinant qu’on puisse encore, en 2020, faire avancer cette histoire. Nous n’en avons toujours pas fini avec la Seconde Guerre mondiale, il y a beaucoup de travail à faire pour bien peu de témoins.

F : Et la Ministre m’a posé la question de savoir ce que vont devenir ces trois tableaux. L’image serait belle que je puisse les accrocher dans mon salon comme Armand Dorville les avait accrochés dans le sien. Mais la réalité est que nous sommes dix et que je ne pouvais pas prendre cette responsabilité. Les œuvres sont soit chez les généalogistes, soit chez les commissaires-priseurs, et comme on ne peut les couper en dix, il est plus que probable qu’elles devront être vendues. ■

44 • Mars 2020 - n° 1 / Chema שמע

Connue pour son activité soc ia le auprès des

personnes âgées et des personnes défavorisées, le Cas ip-Cojasor est la p r i n c i p a l e Fo n d a t i o n d’action sociale au sein de la communauté juive depuis 210 ans, qui accompagne plus de 6 000 familles. Bénévoles et salariés sont toujours en action et déploient une énergie sans faille dans ce combat contre l’isolement, l’indifférence et la précarité. Il y a aujourd’hui nécessité à transmettre la notion de philanthropie fondée sur la Tsedaka.

Notre rôle est de collecter auprès de ceux qui ont pour redistribuer à ceux qui ont moins. N’oublions pas que des dizaines de mil l iers de personnes de notre communauté vivent dans la précarité et l’exclusion. Ce sujet nous concerne tous . La so l idar i té doi t rester un impératif au sein de notre communauté . Cette solidarité s’exprime à travers des appels aux dons. Ainsi au cours de cette année nous organisons de nombreux événements, comme par

exemple la « loterie » avec des lots exceptionnels, un des temps forts et classiques du Casip-Cojasor, (ndlr. La première s’est tenue en 1844). Le Casip est connue par notre service « vestiaire », qui distribue plus de 2 500 tenues complètes par an.

Le Cosajor, qui a fusionné avec le Casip en 2000, a permis l’accueil après la Guerre des populations immigrées de Pologne (1945-1947), a facilité l’intégration des réfugiés juifs venus d’Europe centrale et orientale en 1930, et des populations juives originaires d’Afrique du Nord (entre 1950 et 1970), ainsi que l’arrivée de Juifs d’ex-URSS (début 1990). Depuis leur regroupement, ils ont été encore plus efficaces dans l’accompagnement des personnes en difficulté. Ainsi, en 2002 et 2003, la Fondation ouvre deux EHPAD, l’un à Paris et l’autre à Créteil, proposant lieux de culte, repas casher et respect des fêtes juives. Le Casip-Cojasor accompagne également les personnes en situation de handicap, mental et physique, avec à Paris le Foyer Michel Cahen où résident 41 adultes. Cent

autres personnes, vivant seules ou chez leurs parents sont suivies par les éducateurs professionnels du SAVS – Centre Lionel (ndlr. SAVS : Service d’accompagnement à la vie sociale).

Il y a également le Foyer Brunswic, qui accuei l le 60 personnes vieillissantes présentant un handicap mental ou psychique, ou encore la plateforme multi ressources EMERJANCE, qui permet de coordonner l’accompagnement avec : l’organisation des séjours de répit, l’accueil des aidants, le service de tutelle, la maison des Jeunes ( iMAJ) , etc. Au cœur de la Fondation, le pôle « intervention sociale » vient en aide à près de

20 000 personnes, afin de lutter contre la précarité et l ’exclusion et aider à l’insertion professionnelle. Autant de thématiques que les travailleurs sociaux traitent de manière à permettre à chacun de retrouver une place digne dans la société.

Le Casip-Cojasor est aussi un pôle de proximité qui œuvre au maintien du lien social avec la livraison de repas casher (41 300 repas livrés en 2019), des activités pour les séniors à la Maison des Séniors et de la Culture Bluma Fiszer, l’accompagnement de plus de 1 000 survivants de la Shoah, un soutien psychologique et bien d’autres services. Tous ces engagements ne peuvent exister sans la générosité de chacun d’entre-nous. Pour aider les membres de la communauté juive confrontés à des difficultés quotidiennes, nous vous sollicitons pour aider un enfant ou un foyer. Votre don nous aide à agir pour eux.

Comme le disait Albert Einstein : « La valeur d’un homme tient dans sa capacité à donner et non dans sa capacité à recevoir ». ■

Pour les donateurs particuliers, vos dons sont déductibles de 66 à 75% de l’impôt sur le revenu, et pour les dons provenant d’entreprises, la déduction est de 60% (avec franchise de 20 000 euros). Pour plus de précisions, et pour faire un don ou un leg, contactez le service des dons au 01.44.62.55.22, ou rendez-vous sur le site www.casip.fr.

LA SOLiDARITé NOUS RASSEMBLE

ACTUALITÉS LA SOLIDARITé NOUS RASSEMBLE

Laurent Dorf, Directeur de la communication et du fundraising de la Fondation Casip-Cojasor

Bientôt Pessah ! Nombreux sont celles et ceux qui sollicitent de l’aide. Le budget course des ménages s’envole et nous sommes sur le qui-vive pour la distribution de colis, une aide financière, ou des bons alimentaires à valoir chez les commerçants. Les milliers de familles que la Fondation aide au quotidien savent que cette année encore, offrir un repas de fête à leurs enfants et à leurs proches sera difficile sans une aide complémentaire. La générosité des donateurs est cruciale. Malheureusement les dons sont encore trop insuffisants pour couvrir les besoins des personnes en situation de précarité. Plus que jamais, Pessah est la fête de la solidarité et nous avons besoin de vous.

46 • Mars 2020 - n° 1 / Chema שמע

CINÉMANé à Jérusalem (et toujours vivant), la comédie tragique de Yossi Atia

carnet culture

COMME CHAQUE SAISON, NOTRE MAGAZINE REPÈRE POUR VOUS LES INCONTOURNABLES SORTIES CULTURELLES. PASSEZ UN PRINTEMPS RICHE EN CULTURE ET RENAISSANCE… ATTENTION, DEPUIS LE SAMEDI 14 MARS À MINUIT, PAR MESURE DE PRÉCAUTION CONTRE LE CORONAVIRUS, TOUS LES « LIEUX RECEVANT DU PUBLIC, NON INDISPENSABLES À LA VIE DU PAYS, SONT FERMÉS JUSQU’À NOUVEL ORDRE ». À L’HEURE OÙ NOUS IMPRIMONS, NOUS NE SAVONS PAS CE QUI VA JOUER OU PAS. EN ESPÉRANT QUE LES SORTIES AIENT BEL ET BIEN LIEU, MÊME AVEC UN LÉGER DÉCALAGE...

SÉRIE EN STREAMINGHunters : Al Pacino parrain d’une escouade de chasseurs de nazis Réalisée par David Weil, produite et diffusée sur Amazon Prime depuis le 21 février 2020, la série Hunters nous plonge dans le quotidien d’une escouade de chasseurs de nazis du New-York des années 70. Le jeune Jonah Heidelbaum (Logan Lerman) vit seul avec sa grand-mère Ruth, survivante des camps de la mort. Il travaille pour subvenir à leurs besoins. Une nuit il aperçoit celui qui la tue. « Vous ne pourrez pas vous cacher », dit sa grand-mère à l’inconnu avant qu’il puisse s’enfuir. Lors des sept jours de deuil, apparaît un personnage

EXPOSITIONS

Le surréalisme de Victor Brauner s’expose au MAMSous le titre « Je suis le rêve, Je suis l’inspiration », plus d’une centaine d’œuvres, peintures et dessins du peintre et sculpteur juif-roumain Victor Brauner (1903-1966), doivent s’exposer au Musée d’Art Moderne de Paris. Réfugié à Paris en 1938, puis à Marseille et réchappé miraculeusement de l’occupation, ce proche de Breton depuis 1925 est passé par le dadaïsme avant de devenir surréaliste. Borgne, comme le montre son inquiétant Autoportrait de 1930, il est connu des Français pour son inquiétant portrait d’Hitler (collections du Centre Pompidou). Certaines de ses œuvres sont montrées en France pour la première fois depuis la dernière rétrospective à Paris en 1972.

Victor Brauner, Je suis le rêve, Je suis l’inspiration, Musée d’Art Moderne de Paris, 11 Avenue du Président Wilson, 75116 Paris. Exposition prévue initialement du 24 avril au 16 août 2020.

◗ Cliquez ici : https://tinyurl.com/sarl7o9

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En août 2012, dans le cadre d’un programme culturel à Jérusalem, Yossi Atia a mis en place une performance sous la forme d’une visite guidée de la rue Jaffa, à l’endroit où eurent l ieu certaines des attaques terroristes les plus célèbres. Cette performance s’est traduite en projet cinématographique : « J’ai voulu faire un film qui soit à la fois une comédie noire et une comédie romantique, avec aussi un aspect quasi documentaire sur le quartier et la ville. J’espère que le film alterne le sérieux et le léger, le drôle et le triste, l’immédiat et l’éternel, la jeunesse et l’âge qui vient. Ce sont ces sentiments contradictoires qui m’animent. » Il porte à l’écran, en collaboration avec David Ofek, son personnage du guide « touristique » qui faisait visiter les lieux des attentats Ronen Matalen… Une comédie au cœur du tragique, film à succès après avoir été un succès « live ».

Yossi Atia et David Ofek, Né à Jérusalem (et toujours vivant), Israël, 1h23

Aurait dû sortir en salle le 25 mars.

Deux volets de la trilogie de Yaron ShaniLe co-réalisateur de Ajami, film choral qui nous donnait en 2010 un aperçu du quotidien de familles arabo-israéliennes de Jaffa, est de retour cette année avec sa Love Trilogy, qui brouille les frontières entre documentaire et f ict ion avec un casting d’acteurs non-professionnels. Les deux premiers volumes, Chained et Beloved, ont été présentés en diptyque à la section Panorama de la Berlinale. L’histoire ? Trois perspectives sur la destinée d’un couple, elle infirmière et

lui policier. Ils s’aiment et tentent d’avoir un enfant, quand lui est accusé de bavure…

Filmé du point de vue du mari, Chained était annoncé pour le 6 mai.Filmé du point de vue de la femme, Beloved devait sortir le 13 mai. Yaron Shani, Love Trilogy, avec Eran Naim, Stav Almagor, Stav Patai. Israël / Allemagne.

fantasque et protecteur, Meyer Offermann (Al Pacino), qui lui conseille de choisir la vie pour faire mentir le passé. Mais Jonah est malin et remonte doucement la piste vers ce riche monsieur pour découvrir qu’il travaillait avec Ruth à documenter la vie d’anciens nazis venus vivre en toute impunité aux États-Unis. La saison 1 compte 10 épisodes, à la fois kitschs et tendres, irradiant d’une nostalgie très newyorkaise qui rend crédible le yiddish d’Al Pacino.

Hunters, de David Weill, avec Logan Lerman, Jerrika Hinton, Al Pacino, 10 épisodes de 52 à 90 minutes, sur Amazon Prime.

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Victor Brauner, Cérémonie, 1947 Collection particulière © Adagp, Paris, 2019

Mars 2020 - n° 1 / Chema 47 • שמע

Jewish Hour, c’est l’émission radiophonique d’une journaliste f r ança i s e qu i commen te l’actualité politique, économique et sociétale à travers le prisme du « peuple élu ». L’annonce soudaine de la mort de Bernard-Henri Lévy la fait rapidement glisser vers un moment de comédie aussi enlevé que cruel sur un peuple, ses obsessions, ses névroses, mais aussi sur la judéité en France, qui est aussi la mienne. C’est en France que j’ai découvert que j’étais juif ».

La création a eu lieu à la fin du mois de février au Phénix de Valenciennes, et le spectacle devrait tourner dans les salles de France tout cet été. À surveiller !

MUSIQUE

Découvrir le jeune chef israélien Lahav Shani à la Philharmonie de ParisC’est l’une des révélations des dernières années qu’on a pu entendre aussi bien dans les plus grandes salles d’Europe qu’au mythique Festival de Verbier : le jeune chef Lahav Shani dirigera l’Orchestre de Paris pour deux séries de concerts à la Philharmonie : d’abord avec la violoniste Lisa Batiashvili, dans un programme

L’école de Paris afflue au mahJLe Musée d’art et d’histoire du Judaïsme (mahJ) propose sous le commissariat de Pascale Samuel une exposition « Paris pour école (1905-1940) », qui réunit 130 œuvres de Marc Chagall, Chaïm Soutine, Amedeo Modigliani, mais aussi d’artistes un peu moins connus comme Michel Kikoïne, Jules Pascin, Jacques Lipchitz, Louis Marcoussis, Chana Orloff, Moïse Kisling, Ossip Zadkine ou de créateurs oubliés comme Walter Bondy, Henri Epstein, Adolphe Feder, Alice Halicka, Henri Hayden, Léon Indenbaum, Georges Kars, Léopold Lévy, Mela Muter, Simon Mondzain ou Léon

Yaron Herman à Jazz à la Villette, ou encore La 10ème Symphonie de Beethoven dirigée par Pascal Rophé :

◗ Cliquez ici : https://tinyurl.com/uoyboaq

Randy Newman à la Cigale Le songwriter mythique qui affectionne d’offrir à ses rythmes d’americana des intermèdes parlés sur sa famille juive de Los Angeles, où les compositeurs de musique hollywoodiens sont légion, doit passer à Paris. Lui-même a signé aussi bien la musique de Toy Story que du dernier film de Noah Baumbach, diffusé sur Netflix, Marriage Story. Et c’est également lui qui a écrit le fameux « You can leave your hat on », popularisé par Joe Cocker et le sulfureux film 9 semaines et demie . Un rendez-vous incontournable pour tous les amateurs de chansons à texte, par un monstre sacré.

Le concert est prévu le 23 juin à La Cigale, 120 bd Rochechouart, 75018 Paris, 45-95 euros.

◗ Cliquez ici : https://tinyurl.com/wddhe7u

Les « plus belles mélodies israéliennes » à Paris et à SofiaL’Ensemble Choral Copernic, dirigé par Itaï Daniel, avec la soprano Rebecca Joy Lones

aux cartes. Dans son studio d ’enregis trement , son f i l s , l’écrivain Georges Tabori (Roland Timsit, seul en scène avec la voix de Marion Loran), recrée cette histoire. Sa mère intervient, le corrige. Mais est-elle encore vivante, cette mère dont il ne parle qu’au passé ?

Le courage de la mère de Georges Tabori, mis en scène par David Ajchenbaum, avec Roland Timsit.

Debussy (Prélude à l ’après-midi d’un faune), Szymanowski (Concerto pour violon n°1) et Tchaïkovski (Symphonie n° 5). Puis, avec le violoniste Frank Peter Zimmermann, dans un programme Barber (Adagio), Berg (Concerto pour violon « À la mémoire d’un ange ») et Franz Schubert (Symphonie n° 9).

Lahav Shani & l’Orchestre de Paris étaient prévus les 8 et 9 avril, les 6 et 7 mai, à 20h30, Philharmonie de Paris, 221, avenue Jean-Jaurès, 75019 Paris,

◗ Cliquez ici : https://tinyurl.com/rz8h6hy

En attendant la reprise des concerts, la Philharmonie propose une belle somme de concerts en streaming, parmi lesquels

en soliste et Jeremy Hababou au piano, propose un concert le 7 juin à 18h00 à Copernic, le 14 juin à 18h30 au Centre communauta i re ECUJE de la rue Lafayette, et cet été lors du Festival de Chœurs Juifs Européens, à la Grande Synagogue de Sofia.

Informations et réservations : [email protected] Les dates de ces concerts doivent encore être confirmées.

© RMN-Grand Palais (Musée nat ional Picasso-Paris) / Adrien Didierjean / Amedeo Modigliani, La Chevelure noire, dite aussi Jeune fille brune assise, détail, 1918

La pièce devait avoir lieu du 18 mars au 03 mai 2020 au Théâtre de la Reine Blanche, 2 bis Passage Ruelle, 75018 Paris, durée 1h, 10-20 euros. ◗ Cliquez ici : https://tinyurl.com/swbc67u

En attendant de pouvoir jouer, le metteur en scène David Ajchenbaum a ouvert une page Facebook où il met en ligne ses pièces de théâtre. La page s’appelle “Durant les travaux, l’exposition continue” et est déjà riche de 3 pièces :

◗ Cliquez ici : https://tinyurl.com/vbldd5w

The Jewish Hour : la Terre Promise, de Yuwal Rozman

En résidence en 2019 à la prest igieuse Chartreuse de V i l l eneuve- lez -Av ignon , le dramaturge Yuwal Rozman (qui a travaillé avec la comédienne française Laetitia Dosch) propose sous le titre The Jewish Hour le deuxième volet de sa trilogie sur la Terre Promise. Le premier, TMB, posait la question d’un point de vue politique, le troisième, Adesh , l ’abordera sous un aspect économique, tandis

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Weissberg. Cette exposition se propose de présenter les œuvres et leur parcours dans le contexte xénophobe de l’époque. Une exposition qui s’accompagne d’un catalogue co-édité avec la RMN.

Chagall, Modigliani, Soutine... Paris pour école, 1905-1940, Musée d’art et d’histoire du Judaïsme, Hôtel de Saint-Aignan, 71 Rue du Temple, 75003 Paris. Exposition prévue initialement du 2 avril au 30 août 2020.◗ Cliquez ici : https://tinyurl.com/u8x986y

SPECTACLES

Le courage de la mère : George Tabori mis en scène par David Ajchenbaum au Théâtre de la Reine BlancheBudapest, 1944. Sortie pour aller jouer au rami chez sa sœur, une femme est arrêtée par la police hongroise et envoyée vers Auschwitz. À la frontière avec la Pologne, elle est libérée grâce à un incroyable concours de circonstances, et rentre à Budapest à l’heure pour jouer

que The Jewish Hour aborde le versant religieux. Le pitch de cette pièce, lauréate de l’aide à la création, est goûteux : The

48 • Mars 2020 - n° 1 / Chema שמע

■ Merci d’avoir accepté cette interview pour le premier numéro de Chema, la revue de Judaïsme en Mouvement...

C’est un grand plaisir pour moi de faire partie de ce numéro inaugural, j’ai joué plusieurs fois à Copernic, notamment dans le cadre de Jazz’n klezmer. Nous avons aussi participé à la soirée inaugurale des Voix de la Paix en 2016 organisée avec le MJLF, notamment avec Yann Boissière mais aussi avec des représentants de toutes les religions. J’assurais la partie musicale artistique dans les salons de l’Hôtel de Ville. Pour le final, il y avait une dizaine de chanteurs et chanteuses qui représentaient toutes les religions....

■ Vous avez rejoint le projet Baby Doll qui suit la trajectoire d’une migrante, un de vos albums s’appelle Le Silence de l’exode (2014) et une de vos dernières tournées s’intitule Éternelle Odyssée. Peut-on dire que

milliers de personnes dont on n’entendra jamais parler, qui subissent l’exil et doivent accomplir des actes héroïques. Nous avons lancé ce projet avant que je rejoigne Baby Doll, qui traite d’une thématique tout à fait similaire.

■ Pouvez-vous nous parler du sujet de Baby Doll ?

C’est une adaptation par Marie-Ève Signeyrole du film d’Elia Kazan pour parler d’un sujet qui nous importe tous aujourd’hui : le problème des migrants sous l’angle de la condition de la femme. Elle l’a fait d’une manière qui permet de parler des deux à la fois et d’universaliser son propos. Elle s’est rendue sur le terrain avec l’artiste en charge des vidéos du spectacle et elles ont rencontré Hourria, dont les récits ont inspiré tout le spectacle. C’est un spectacle dur qui raconte ce qui s’est réellement passé. Et des textes informatifs apparaissent qui ne laissent pas la possibilité de sortir de là en faisant semblant qu’on n’a pas compris… Je suis impressionné et admiratif de la manière dont Marie-Ève traite notre sujet. Et je peux vous dire que lors de la première, lorsque

le thème de l’exil est au cœur de vos préoccupations ?

Je pense que c’est avant tout des raisons personnelles et familiales qui m’ont mené vers cette thématique. Mes deux parents sont issus de familles et de peuples qui ont été déplacés. Mon père est né dans le bassin minier de Lens, à un moment où, après avoir fait vivre des générations de mineurs dans sa famille, la mine a fermé. Il s’est retrouvé adopté à l’adolescence par un américain. J’ai écrit l’album Song for an old man (2016) comme une relecture de l’exode américain de mon père, avec cette difficulté pour lui de ne pas pouvoir retourner aux sources. Quant à ma mère, elle est d’origine juive de Transylvanie, une région qui a été successivement partagée entre la Roumanie et la Hongrie. Sans que les villages changent, la région changeait de nationalité plusieurs fois par siècle. Ce sont les lois roumaines interdisant aux Juifs d’avoir accès à l’université qui ont poussé mon grand-père plutôt bon élève à quitter la Transylvanie pour émigrer en France, en 1936. Heureusement

Mes deux parents sont issus de familles et peuples

qui ont été déplacés

YOM

Inspiré par le film d’Elia Kazan, Baby Doll est un spectacle initié par Marie-Ève Signeyrole qui mêle danse, cinéma, musique symphonique et musique du monde pour évoquer le parcours de Hourria, 19 ans, Erythréenne qui a réussi à rejoindre Paris avec sa fille de 4 ans. Face à l’Orchestre de chambre de Paris dans de 7e de Beethoven, Yom et son quatuor proposent une musique d’inspiration klezmer et orientale. Alors que nous célébrons confinés la sortie d’Égypte, le compositeur et clarinettiste nous parle de la place de l’exode dans son œuvre et de ce nouveau projet, « objet symphonique et migratoire », qui a dû annuler ses premières dates, mais tournera en Europe en 2020 et 2021.

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culture

qu’il y a eu ces lois, sinon qui sait ce qu’il serait devenu... Pendant la Guerre, il faisait partie d’un réseau de résistants qui emmenaient les enfants en Suisse. Il a rencontré ma grand-mère à cette période. El le étai t professeure de Latin, Grec et Français au Chambon-sur-L ignon, où elle enseignait auprès des enfants réfugiés. Tout cela mis bout à bout m’a sensibilisé à l ’ idée de l ’appartenance, de l’identité, mais aussi de soudain devoir quitter son pays pour se retrouver dans un pays étranger et lointain. Alors que je me suis toujours intéressé à l’étrange, à l’ailleurs, le Silence de l’exode était un retour aux sources, un retour à mes propres racines. Et c’était également une plongée dans l’Ancien Testament pour remonter 35000 ans en arrière. Mon dernier projet en trio, avec Fréderic Deville au violoncelle et Régis Huby au violon, se nomme en effet Éternelle Odyssée et se penche, comme Baby Doll, sur le sort des migrants, mis en abyme avec l’épopée d’Homère. Il s’agit de faire résonner des échos entre la chanson de geste d’Ulysse et les odyssées anonymes de

rencontre avec YOMPropos recueillis par Yaël Hirsch

Mars 2020 - n° 1 / Chema 49 • שמע

place. Marie-Ève est experte en image et en mise en scène. Pour la musique, elle a fait certaines remarques très fines mais en-dehors de cela j’avais carte blanche. En plus des danseurs, de l’orchestre symphonique et de notre quatuor, il y a un écran sur scène qui déroule un film tourné en direct par une cadreuse qui a l’air d’une danseuse elle-même... Réunir tous ces différents media et manières de faire c’est un tour de force, et que tout marche ensemble, un grand bonheur.

■ Où en êtes-vous de vos autres projets avec les Wonder Rabbis et la composition ?

J’ai en effet créé les Wonder Rabbis en 2010, un groupe dansant de musiques actuelles, j’ai arrêté en 2013 puis repris en 2017 et nous avons refait un disque. En ce moment ce projet est à nouveau en pause, je travaille sur des créations plus acoustiques en

YOM

Baby Doll, conception : Marie-Ève Signeyrole, Orchestre de chambre de Paris, Intermèdes musicaux et clarinette : Yom, Piano : Leo Jassef, Violon ténor : Régis Huby, Percussions : Maxime Zampieri; avec Annie Hanauer, Stencia Yambogaza et Tarek Aït Meddour, Coproduction : Orchestre de chambre de Paris, Cité musicale-Metz / Auditorium, Orchestre national de Lyon, Opéra Orchestre national Montpellier Occitanie, Opéra de Rouen Normandie, Fondation Calouste-Gulbenkian de Lisbonne, Philharmonie de Paris.Production déléguée : Orchestre de chambre de Paris.Site de l’artiste : www.yom.fr/

DR

Hourria elle-même est montée sur scène, c’était très fort. Plus aucun doute n’était possible...

■ Vous dites avoir rencontré votre instrument, la clarinette, en écoutant Pierre et le loup de Sergueï Prokofiev. Avec Baby Doll vous retrouvez la musique classique. C’est aussi un retour aux sources ?

Même si j’ai découvert dès l’âge de 6 ans Naftuli Brandwine, mon clarinettiste klezmer préféré, mes parents qui m’ont offert tous ses disques étaient très mélomanes. Alors que mon grand-père hongrois jouait du piano et connaissait bien la musique classique, ils étaient ce type de famille où l’on écoutait huit versions différentes d’une symphonie. J’ai donc été élevé dans la musique classique, j’écoutais Bartok ou Brahms en cassette et j’ai décidé de faire de la clarinette mon instrument en écoutant Pierre et le loup. Je suis entré au CNR de Paris à l’âge de 9 ans et j’ai poursuivi mes études en temps aménagé jusqu’à 17 ans, où j’ai eu le premier prix du conservatoire. J’ai alors dérivé vers le klezmer qui est devenu ma musique, mais tout mon background jusqu’à mes 17 ans est classique à 100 %.

■ Le choix de la 7e Symphonie de Beethoven est-il impressionnant ?

Quand j’ai rejoint le projet Baby Doll, Marie-Ève Signeyrole et l’Orchestre de Chambre de Paris avaient déjà mis la 7e Symphonie au cœur du projet. Pour être franc, au tout début, comme on ne m’a pas bien expliqué le projet, j’ai failli dire non, car j’avais peur des mélanges entre Beethoven et la musique orientale. Deux jours plus tard, j’ai discuté avec Marie-Ève et le projet est devenu limpide : il ne s’agissait pas du tout d’ajouter quelque chose à Beethoven, mais de dialoguer. Et la 7e Symphonie est parfaite : il y a des moments plus légers presque mozartiens et ce deuxième mouvement aux

accents quasi-orientaux qui peut faire le lien. Il y a cette couleur très solennelle qui évoque une marche, quasiment funèbre, et se rattache aux épopées des réfugiés. Un instrument comme la grosse caisse symphonique peut faire le liant, parce qu’elle fait penser, en version géante, à un daf ou un bendir, qui sont de grands tambours orientaux qui se jouent avec les mains. Alors oui, on est du côté de la marche et du mouvement, mais cela ne peut pas être une aventure gentillette ou légère. Et de notre côté, il faut pouvoir répondre à un orchestre de 45 musiciens. On n’aurait pas pu le faire avec une guitare acoustique et une clarinette. J’ai tout de suite pensé à quelque chose d’assez orchestral : avec une grosse caisse donc, mais aussi un piano à queue, un violon ténor avec des effets pour se différencier de Beethoven, et un tout petit peu d’électricité voire d’électronique pour la réverbération sur les cordes frappées. D’un côté Beethoven représente l’eldorado occidental à atteindre, un idéal vers lequel on veut aller. Et notre quatuor avec Léo Jassef, Régis Huby et Maxime Zampier, avec qui je travaille depuis longtemps, fait plutôt la narration du quotidien, de la réalité du chemin. C’est quelque chose d’un peu littéral. Il y a eu une belle entente avec l’Orchestre de Chambre de Paris, et ayant compris qu’on m’avait appelé pour une mission précise, qu’on avait envie de mon côté lyrique et aussi un peu dramatique, j’ai vite compris que pour que les choses fonctionnent et qu’il n’y ait pas d’antagonisme, il fallait mettre mon ego de côté pour se glisser dans ce qui était possible.

■ Dans ce spectacle, il y a aussi de la danse et des écrans, c’est un « art total » ?

Cela faisait des années que je n’avais pas participé au projet de quelqu’un d’autre et à chaque fois, ce que je recherche, c’est à faire partie d’un tout où chacun est convoqué en fonction de ce qu’il représente profondément, artistiquement. Et du coup, chacun est à sa

ce moment. Le trio Éternelle Odyssée a beaucoup tourné et on reprendra à la fin du confinement. J ’ai terminé d’enre gistrer mon prochain album avant la création de Baby Doll. Il s’appellera Célébration, sortira à l’automne et célèbre la naissance de mon fils qui vient de naître. C’est un album de studio où le compositeur prend peut-être le pas sur le clarinettiste. Certains morceaux sont sans clarinette, il y a aussi de la grosse caisse symphonique et du piano, c’est tout. Comme j’ai installé un studio à la maison, je travaille également sur une composition pour un spectacle de danse contemporaine avec Jan Gallois et avec un cinéaste qui s’appelle Dayan David Oualid et a remporté plusieurs prix pour son court-métrage Dibbuk. Je compose la musique de deux longs-métrages qu’il est en train de finaliser. Je réalise que de plus en plus, je suis dans une phase de composition, et après 22 ans sur les routes, je fais un peu moins de tournées. ■

rencontre avec YOM

50 • Mars 2020 - n° 1 / Chema שמע

RÉÉDITION D’UN ROMAN DE GEORGE STEINER : LE TRANSPORT DE A.H. Les éditions Noir sur Blanc viennent de rééditer dans une traduction revue et corrigée, avec une postface inédite de l’auteur, ce roman publié en 1979 (1981 en français), dans lequel le grand et regretté critique littéraire imagine Adolphe Hitler capturé à l’âge de 90 ans par un groupe de chasseurs de nazis dirigé par un survivant des camps. La traque

dans la jungle amazonienne, la capture et s u r t o u t l a question de savoir si Hitler sera jugé, à J é r u s a l e m , c o m m e E i c h m a n n , ou ai l leurs , fou rn i s sen t l a t r a m e sol ide d ’un

thriller qu’on ne lâche pas. Ce roman, originellement publié à Londres et qui a fait l’objet d’une adaptation théâtrale, culmine dans le monologue de défense de « A.H. » : « Vous avez exagéré. Grossièrement. Hystériquement. Vous m’avez dépeint comme une sorte de fou démoniaque, la quintessence du mal, l’enfer incarné.Alors que je n’étais, à la vérité, qu’un homme de mon temps » (p. 188). En temps de populisme, la « banalité » de l’homme politique « de son temps » marque les esprits et fait réfléchir, d’autant

bloc-notes

Hamevasser a sélectionné pour vous en partenariat avec

plus que le Hitler de Steiner ajoute qu’il a aussi paradoxalement servi la cause juive en permettant l ’ ex i s t ence d ’ I s r aë l . Une argumentation violente et décriée lors de sa sortie, mais dans laquelle il n’est pas inintéressant de se replonger dans un cadre fictionnel. Car c’est bien un roman que propose le grand philosophe et spécialiste de littérature comparée, né à Paris de parents juifs viennois et parti aux États-Unis pendant la Guerre. Trilingue (anglais, français allemand), grand défenseur de la culture classique après avoir étudié à l’Université de Chicago, auteur de grands essais sur la littérature et la langue (Les Antigones, Après Babel), mais aussi sur la compromission de la culture au 20e siècle (Dans le château de Barbe bleue), Steiner, décédé le 3 février dernier en Angleterre, à Cambridge, exprime dans son roman nombre de nuances et contradictions qui ont pu lui être reprochées, notamment ses dialogues avec le philosophe Pierre Boutang, disciple de Charles Maurras et professeur de notre regretté rédacteur en chef Michael Bar-Zvi, ou son enthousiasme pour le roman de Lucien Rebatet Les deux étendards, alors que Les décombres du même auteur est l’une des œuvres les plus antisémites du siècle, qui lui a valu condamnation à mort …

Alors qu’un grand penseur emblématique du 20e siècle nous quitte, les éditions Noir sur Blanc nous proposent de le redécouvrir par une fiction et c’est précieux. ■

Georges Steiner, Le Transport de A.H., trad. Christine de Montauzon, les éditions Noir sur Blanc, 200 p., 15 euros. Sortie le 5 mars 2020. YH

LA MAISON ALLEMANDE DE ANNETTE HESS DÉCRIT UN PASSÉ QUI NE PASSE PAS ...Connue pou r s e s s é r i e s Weissensee (2010) , Ber l in 56 (2016) et Berlin 59 (2018) diffusées sur Arte, Annette Hess a publié en 2018 un premier roman dérangeant où une jeune femme du Francfort des années 60 découvre peu à peu l’histoire de son pays et de sa famille, vingt ans plus tôt. Eva, traductrice de polonais, aide parfois au service dans le restaurant convivial de ses parents où les oies sont fameuses, et a pour projet d’épouser le riche et torturé Jürgend. Elle sort du déjeuner de présentations officielles de son fiancé à ses parents quand David Miller entre dans sa vie comme une bombe de désapprobation. Cet avocat canadien est le procureur en charge d’un procès contre les SS de la ville lors du « Second Procès d’Auschwitz », et le tribunal a besoin sur le champ d’une traductrice de polonais.

Elle débarque là sans rien savoir de ce qu’il s’est passé pendant la guerre. Inéluctablement, elle est attirée par ce travail terrifiant et bouleversant qui touche au p lus proche du passé de sa famille. Elle s ’ a c c r o c h e , m a l g r é l e s d i f f i c u l t é s et même s’ i l fa u t m e t t re son amour, sa sécurité et sa famille en péril. Livre riche d’un personnage de femme forte, m o d e r n e , plutôt saine mais complètement ignorante du passé, qui opère une mé tamorphose d ’o i e blanche du refoulement en lionne qui ouvre les yeux en grand, La Maison Allemande parvient à mener de front trois réalités. D’une part le côté «heimlich» et cocon de cette famille de restaurateurs avec des parents petits-bourgeois très tendres, puis l’indicible du passé, et enfin, le suspense de savoir comment l’héroïne va faire face et si la justice va trancher et permettre – enfin, 20 ans après – une sanction collective... À l’exception du petit frère (qui a eu la « grâce de naître après »), tous les personnages sont

COMME CHAQUE SAISON, ET PEUT-ÊTRE ENCORE DAVANTAGE SI VOUS PASSEZ BEAUCOUP DE TEMPS CHEZ VOUS, LA RÉDACTION LIT ET CHRONIQUE DES TITRES RÉCENTS ET MARQUANTS POUR LA PENSÉE ET LA LITTÉRATURE JUIVES.

Mars 2020 - n° 1 / Chema 51 • שמע

complexes et très fouillés et l’on retrouve parfaitement l’ambiance à la fois «swinging» et grevée de mauvaise foi d’un Francfort en plein boum économique. Un roman touffu et fin, très vivant et porteur de l’insupportable silence. ■

Annette Hess, La Maison Allemande, trad. Stéphanie Lux, Actes Sud, 400 p., 23 euros. Octobre 2019. YH

SHALOM INDIA RESIDENCE : PLONGÉE DANS UNE RÉSIDENCE JUIVE DE AHMENABAD, avec Esther David

Les éditions Heloïse d’Ormesson rééditent un roman de 2012 de la voix juive d’Ahmenabad. Alors que Le livre d’Esther (Eho, 2009) ouvrait sur l’univers gourmand des recettes tradit ionnelles j u i ves ind iennes , Sha lom India Residence fonctionne à la manière d’un Immeuble Yacoub ian pour sa i s i r l a vie d’une communauté peu connue. Tout commence dans le sillage du prophète Elie, qui selon la coutume descend un premier soir de Pessah dans tous les foyers de la résidence. En commentant la qualité du verre de vin qui lui est offert par les foyers juifs fêtant la libération d’Égypte, le prophète présente brièvement tous les personnages du roman. La suite est une série de nouvelles se penchant sur la vie de chacun, dans lesquelles, à l’occasion d’un concours de déguisement organisé par la synagogue, tous les personnages parlent de leur rapport à la tradition. En tant que voisins et liés par le destin d’une toute petite communauté, ces personnages

ont bien sûr des trajectoires qui se croisent, mais tout le talent d’Esther David est de parvenir à rendre chacun émouvant dans sa personnalité et ses choix individuels. I l est beaucoup question d’Israël, puisque face à une communauté de plus en plus réduite et à l’impératif de devoir épouser des « Bnei israël » (des Juifs), la plupart des jeunes rêvent d’aller vivre en Terre Promise. Évidemment la question des amours avec des membres d’autres communautés est au cœur du roman. Et ce qui est réjouissant chez Esther David est que le choix pour les jeunes de s’affranchir de la tradition par amour finit toujours plus ou moins bien. Par ailleurs le livre reste ouvert : les populations se mélangent et quand un appartement se libère, le louer à un non-juif n’est pas vraiment un problème. Il est donc aussi question de poèmes ourdous, de costumes de mariage traditionnels indiens et de mode de vie israélien, dans ce roman multicolore où la narratrice se dépeint elle-même dans la dernière nouvelle. Construit de manière brillante, empli de belles histoires qui résonnent universellement et véritable caisse de résonance de trajectoires internationales, Shalom India Résidence est un magnifique roman. ■

Esther David, Shalom India Résidence, Eho, 304 p., 20 euros. Sortie le 19 janvier 2012. YH

JOSEPH KESSEL : 1 600 PAGES SUR LA PISTE DU LION Réédition d’un « roman » fleuve de 1985, cette biographie est une somme parfaite qui ressort à point, en temps de coronavirus et de confinement, puisqu’elle fait longuement voyager avec une des figures les plus aventurières et truculentes du siècle, Joseph Kessel. C’est un ami proche de Joseph Kessel, interlocuteur de son dernier grand reportage sur Israël (Les fils de l’impossible, Plon, 1970), Yves Courrière, qui dédie une biographie-fleuve au « Lion ». Son livre poursuit peu ou prou une trame chronologique, depuis l’auberge familiale que quitte le père Samuel à Kovno, quand il fait défection aux études

rabbiniques pour aller vivre en France. Lui-même né en Argentine en 1898, mais lycéen à Nice, aîné d’une fratrie de trois, en deuil très rapidement de son petit frère Lazare avec qui il a passé le concours du conservatoire d’art dramatique, avant de s’engager comme aviateur pendant la Première Guerre mondiale, Joseph Kessel connaît son premier succès l ittéraire avec L’Équipage à 25 ans . Correspondant du Journal des débats avant de

et c’est Israël qu’il soutient de son premier voyage au dernier. Montrant les failles du lion, son souci de vieillir, Yves Courrière présente aussi avec intensité les moments d’écriture, acharnés, obsessionnels et met en avant combien c’est peut-être par ses romans, Le coup de grâce, Fortune Carrée, La Passante du Sans-Souci et évidemment L’Armée des ombres, ou le Lion, plus que par ses reportages, que l’Académicien est résolument immortel. Une fresque immense, sur un reporter par un autre reporter, qui se lit facilement et fait revisiter l’histoire du 20e siècle depuis un avion, sans oublier d’explorer les racines juives de Kessel. ■

Yves Courrière, Joseph Kessel ou sur la piste du Lion, Plon, Collection « L’abeille », 1536 p., 17 euros, sortie le 5 mars 2020. YH

PENSER LA JUSTICE, UN PORTRAIT DU THÉORICIEN AMÉRICAIN MICHAEL WALZER EN ENTRETIENS avec Astrid von BusekistÀ l’âge de 85 ans, le fondateur de la revue Dissent, Michael Walzer, peut dire qu’il est toute sa vie resté social-démocrate. Dans une somme d’entretiens profonds avec la professeure de théorie politique Astrid von Busekist, qu’elle a elle-même traduits, Albin Michel publie un portrait de ce Juif américain singulier. Engagé politiquement et théoriquement contre la guerre au Viêt-Nam, pour la

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guerre préventive en Israël en 1967, pour la guerre juste et la justice sociale en général, l’inlassable intellectuel se veut clair pour tous, non-philosophe, et descend encore dans la rue à

créer Gringoire où il publie en épisodes Belle de Jour en 1928, Kessel vit de ses reportages, mais aussi de l’immense succès de ses romans. Yves Courrière présente le portrait d’un rustre russe, fêtard au-delà de l’excès, demandant à ses diverses compagnes de le suivre dans ses tournées de vodka et harengs, très attaché à sa première femme Sandi, morte de phtisie en 1928, mais incapable de monogamie et accumulant les épouses et maîtresses officielles, toujours dans le « trop », s’endettant pendant dix ans en une seule soirée au casino…. Rien de fin ou de séducteur donc dans ce Kessel rustre, si ce n’est trois points centraux : un courage animal, la fidélité en amitié toujours indéfectiblement, et surtout les courageux choix politiques : quitter Gringoire quand l e magaz i ne v i re antisémite (et pour le coup, se fâcher avec Henri Béraud) ou être ému à l’appel de Pétain, ne pas entendre celui de De Gaulle, mais depuis Lisbonne entrer en Résistance. Et dans tous les cas, aussi loin Kessel soit-il de la religion, l’ancrage juif est clé : c’est contre l’antisémitisme qu’il lutte dès les années 1930

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la « marche des grands-pères » aux côtés de sa petite-fille pour défendre les droits des femmes. Alors qu’il a passé ces dernières années à se plonger de manière approfondie dans la pensée juive (À l’ombre de Dieu, 2012, codirection depuis 2003 de la somme The Jewish Political Tradition, Yale University Press), ces 370 pages (dont presque 10 pages de notes savantes rédigées par Astrid von Busekist) nous plongent dans une trajectoire généreuse et cohérente, mais auss i dans 60 ans de v ie intellectuelle américaine, ouverte sur le monde, notamment sur Israël. Dans la riche introduction, Astrid von Busekist nous livre un précieux portrait intellectuel de Michael Walzer : penseur engagé, défenseur de la morale, des particularismes, du « pas lent » de la social-démocratie, elle le présente comme un spécialiste constructif de la contestation. Puis les entretiens s’enchaînent de manière thémat ique et chronologique à la fois, avant d’entrer dans une thématique pure. Le premier chapitre balaie l’aspect religieux de son œuvre de doctorat sur « la Révolution des Saints » jusqu’à ses derniers travaux sur la pensée juive (qu’interroge le tout dernier chapitre des entretiens), ainsi que sa famille juive new-yorkaise et du Connecticut.

Le deuxième chapi tre fa i t le point sur les études et les engagements de jeunesse, le Vietnam summer, et sur ceux d’aujourd’hui. Le troisième chapitre se focal ise sur la naissance de la revue Dissent, avec des collègues eux aussi juifs sécularisés, mais qui ne voulaient pas adhérer à une chapelle marxiste pour « substituer une orthodoxie à une autre » (p. 104). Puis arrive la guerre et le texte sur les Guerres justes et injustes ( 1977 ) devenu doublement classique avec la guerre du Viet-Nâm et l’intervention américaine de 2003 en Irak. Walzer et Von Busekist reviennent sur le pragmatisme d’un livre qui pose des thèses fortes : protéger les civils, préserver le rapport aux lois même quand on les met de côté dans un État d’exception et ne jamais faire abstraction de la morale, mais discuter avec les militaires et tout contextualiser

Le chapitre suivant rappelle la nécessité de l’État, qui chez Walzer protège les individus dans leur diversité. Cette diversité est indispensable à la justice selon Walzer.

I l conserve tou jours une perspective libérale et a même forgé son ouvrage clé, Sphères de Justice (1983), autour de cette question, à la suite d’un cours donné par le libertarien Robert Nozick, mais critique fortement le chef de file libéral John Rawls (Théorie de la Justice, 1973) en expliquant qu’il faut inclure les morales et croyances de chacun quand on pense la justice, les processus formels ne sont pas suffisants. Enfin, le chapitre clé sur la théorie polit ique l ivre des c lés for tes pour comprendre Walzer : le refus du systématisme, le refus de la philosophie surtout si elle est européenne et incompréhensible du grand public comme celle Jacques Derrida ou de Michel Foucault, la préférence pour la « petite théorie » et l’engagement qui doit précéder les œuvres théoriques : « Chacun de mes livres à un objectif politique » (p. 200). Et c’est Michael Walzer qui assure seul la conclusion de cette série d’entretiens avec un mot final plein d’espoir : « Je crois encore en une politique transformatrice » (p. 276). De quoi nourrir aujourd’hui de nouveaux engagements et une manière de les penser avec cohérence. ■

Michael Walzer, Penser la justice, entretiens avec Astrid von Busekist, traduction et notes : Astrid von Busekist, Albin Michel, 368 p., 22,90 euros. Sortie le 29 janvier 2020. YH

COMPRENDRE LE MONDE, UNE « PETITE CONFÉRENCE » SAGE de Delphine HorvilleurDans la série des « Petites conférences » in i t iées par Gilberte Tsaï sur un titre inspiré par Walter Benjamin, les éditions Bayard publient une rencontre qui a eu lieu le 29 mars 2017 au Nouveau Théâtre de Montreuil. Accessible à tous, Delphine Horvilleur commence sa réflexion littéraire et moderne sur les légendes qui nous habitent par « Il était une fois » et Star Wars. Ce n’est que dans un deuxième temps qu’elle lie ces légendes

à la Bible, principalement à la sortie d’Égypte. Pour les petits comme pour les grands elle rend claire la différence entre vérité historique et vérité textuelle, avec l’idée que « ne pas dire la réalité ne signifie pas nécessairement qu’on ne dit pas la vérité » (p. 19), puis va creuser du côté de la nostalgie pour esquisser un anticorps aux réseaux sociaux et ancrer ce qui nous relie aux légendes. C’est ce lien fort qui nous constitue et nous évite de nous « envoler ». À la suite de cette peti te conférence claire et compré hensible, qui est une bonne introduction à la pensée et à la méthode de réflexion de Delphine Horvilleur, quelques questions-réponses lui permettent de préciser sa pensée sur la vérité et de présenter ses engagements. À offrir à ceux et celles qui voudraient commencer à lire la femme rabbin et l’intellectuelle. ■

Delphine Horvilleur, Comprendre le monde , Plon, Les petites conférences, 72 p., 12,90 euros. Sortie le 19 février 2020. YH

RÉINVENTER LES AURORES, LE PLAIDOYER RÉPUBLICAIN de Haïm Korsia Inspiré par un vers d’Apollinaire, orné d’une œuvre de Pierre Soulage et placé sous la férule de Charles Péguy, l’essai du Grand Rabbin de France, Réinventer les aurores, propose en deux parties engagées de battre en brèche les amertumes et les déceptions pour « retrouver le souffle des premiers matins de la République » (p. 11). Face à la montée des populismes, aux gilets jaunes et aux critiques radicales du la démocratie représentative, Haïm Korsia

propose de rester lucide, mais de ne pas se laisser aller au désespoir. « Convaincu que le projet de société porté par le Président Macron ne trouve pas sa matrice originelle dans le néolibéralisme, mais dans une capacité à additionner les possibles », il mêle les références b ib l iques et républ ica ines (Bachelard, Péguy) ou sociales-démocrates (Walzer) pour fustiger la « pensée unique », « la pensée ant i l ibérale » , la panique identitaire et le déclinisme, et pour soutenir le rêve, la promesse, la diversité et la démocratie. Terminant son premier essai sur l’image arendt ienne d ’une brèche « entre la t rad i t ion e t la modernité », il propose dans le deuxième essai un éloge des couturiers qui s’activent pour

bloc-notes

fermer ce trou béant. Plaidoyer pour des institutions que nous nous devons de réenchanter, brassant des sujets aussi larges que l’intelligence artificielle, la mondialisation, la dignité au travail et la laïcité, ce petit texte appelant à « réparer la République » se termine sur la reviviscence des « communs ». Et la conclusion se place sous l’étendard des Psaumes de David pour appeler à l’espérance. Un essai aussi joli et nostalgique que son titre et qui essaie de prôner de l’union, ici et maintenant. À noter : pour l’instant, elles sont annulées pour cause de COVID19, mais toute une série de rencontres est prévue aussi bien aux Mathurins qu’à la librairie Lamartine autour du livre du Grand Rabbin. ■

Haïm Korsia, Réinventer les aurores, Fayard, 208 p., 17 euros. Sortie le 26 février 2020. YH

Mars 2020 - n° 1 / Chema 53 • שמע

carnet des activités JEM printemps 2020

Ce fut un réel succès dès la première édition où vous avez été plus de 500 familles à regarder l’office

de vendredi soir et près de 300 le samedi matin. Nous vous remercions infiniment pour votre soutien et pour vos avis. Nous continuerons à trouver des alternatives numériques durant le confinement pour faire vivre l’esprit communautaire en accueillant toujours plus de familles juives. Découvrez notre programme qui reste 100 % digital tout au long du confinement et repassera « live » nous l’espérons, rapidement. ■

Depuis le premier vendredi du confinement, le 20 mars, nous avons opté pour la mise en ligne de la plupart de nos cours, activités et conférences via « zoom ». Nous avons également choisi de vous offrir la possibilité d’assister aux offices en streaming.

Infos communautaires

JEM AU QUOTIDIEN pendant le confinement

PERMANENCES JEM durant le confinement

Permanence JEM Copernic : 06 66 70 27 93

JEM Beaugrenelle et Surmelin : 06 51 20 05 56

En cas d’urgence (enterrement) :

Rabbin Jonas JACQUELIN 06 32 60 68 02

Rabbin Philippe HADDAD 06 50 58 78 67

Chaque soir du confinement, un de nos cinq rabbins prend la parole. À 18h, retrouvez la «parole rabbinique» de JEM sur la chaîne youtube de JEM :

◗ Cliquez ici : https://tinyurl.com/sdhpxjo

Un rendez-vous que vous pouvez également retrouver sur notre page facebook.

◗ Cliquez ici : https://tinyurl.com/r4ytxr6

Pessah Un Séder numérique

Nous vous proposerons dans les prochains

jours le programme que nous pourrons assurer pour fêter dignement

Pessah tous ensemble. Nous allons sortir de cette période comme nous sommes sortis d’Egypte, en tant que peuple ! ■

Mercredi 8 avril Office 1er soir de Pessah

Jeudi 9 avril Office 1er jour de Pessah

Faire un don aux « Paniers de Pessah »

Directement à l’ECUJE !Pour contribuer à l’opération « Paniers de Pessah » et adresser un don,

◗ Cliquez ici : https://www.weezevent.com/Pessah

et précisez que vous êtes un membre JEM lorsqu’il vous sera demandé : « Comment avez-vous connu la campagne Paniers de Pessah ? ». ■

54 • Mars 2020 - n° 1 / Chema שמע

Infos communautaires

Talmud Torah numérique

Chères familles, chers parents,

Depuis quelques semaines, nous vivons une situation terrible et sans précédent. Avant toute chose, nous espérons que vous allez tous bien et vous souhaitons courage et patience pour affronter ces moments difficiles. Nous allons en sortir comme nous sommes jadis sortis d’Egypte !

Comme vou s l ’ avez déjà constaté, notre

communauté n’a pas tardé à faire tout ce qui était en son pouvoir pour maintenir vivant le lien qui nous unit. Cela nous a paru encore plus indispensable qu’en temps normal. Beaucoup d’entre vous ont même pu suivre les offices de chabbat en streaming… En ce qui concerne le Talmud Torah, depuis l’annonce du confinement et l’interruption des cours, toute l’équipe de Judaïsme en Mouvement s’est mobilisée pour vous rassurer, échanger avec vous, et vous proposer des solutions adaptées à chaque situation.

Depuis plusieurs semaines, nous avons mis en place un enseignement en ligne. Des classes virtuelles ont été proposées à tous les enfants via leurs enseignants, à travers un site de visio-conférence.

Vos enfants peuvent aussi t o u j ou r s c on t i nue r à apprendre sur notre site

https://www.e-talmud.com/ et nous vous invitons à vous y connecter avec eux.

Ils pourront y apprendre tout ce qui concerne la fête de Pessah et chanter le chant Ma Nichtana, qui prendra cette année un sens bien particulier : qu’est-ce qui différencie cette nuit de toutes les autres nuits… Malheureusement, certains enfants ont été contraints de reporter leur bar ou bat-mitsva. Mais ce n’est que partie remise ! Pour ces futurs bnei-mitsva, nos répétiteurs on t ma in tenu chaque semaine leurs répétitions par téléphone ou par Skype. Comme auparavant, ils ont fait travailler les enfants, et continueront à le faire tout au long de cette période. Un immense merci à toute l’équipe qui a su répondre à

notre appel dans un très grand élan de solidarité.

La Direction du Talmud-Torah de JEM

Les Offices de ChabbatAuront lieu en streaming pendant la période de confinement.

• Tous les vendredi : 18h45

• Tous les samedi : 10h30

À suivre sur notre site, cliquez ici :https://judaismeenmouvement.org/index.php/un-nouveau-nom/

Diffusion via Facebook live, cliquez ici : https://www.facebook.com/judaismeenmouvement/

À suivre sur YouTube, cliquez ici : https://www.youtube.com/channel/UC4OMlfV7DUiQhZDbCYdFyEQ

Ils sont annoncés par une newsletter hebdomadaire JEM chaque vendredi matin. Pour s’inscrire, c’est ici : https://judaismeenmouvement.org/index.php/rejoignez-nous/

Les Parachiot des semaines à venir sont :

chabbat numérique

3/4 avril Chabbat Hagadol, Tzaw10/11 avril Chabbat Hol Hamoed Pessah17/18 avril Shemini

24/25 avril Tazria Metzora1/2 mai Ahare-Mot Kedoshim8/9 mai Emor

15/16 mai Behar Behoukotaï22/23 mai Bemidbar

Le cours qui a lieu le samedi matin à 9h30 à Surmelin passe en numérique pour tout JEM. Le 3 avril, c’est Pierre Haïat qui enseigne Erev-Torah. À quelques jours de Pessah, il propose une réflexion sur la notion de TEMPS, si omniprésente dans le récit de la sortie d’Égypte.

Vendredi 15h30-18h45, Erev Torah est à suivre ici :

https://zoom.us/j/692463272

Pour obtenir les documents p r é p a r a t o i r e s c o n t a c t e r [email protected]

Un Minyane avec nos rabbins a lieu chaque mardi à 8h…

Information et lien sur nos réseaux et le site JEM

Voici le programme :

• Mardi 31 mars, 8 heures : office mené par le rabbin Yann Boissière

• Mardi 7 avril, 8 heures : office mené par le rabbin Floriane Chinsky

• Mardi 14 avril, 8 heures : office mené par le rabbin Philippe Haddad.

Matin-Torah se transforme en Erev Torah !

Mars 2020 - n° 1 / Chema 55 • שמע

Infos communautaires

LES COURS

Les cours du rabbin Jonas Jacquelin sont à suivre en direct et en ligne :

• Se préparer au Seder de Pessah Lundi 6 avril à 20hA quelques jours du Seder de Pessah, nous nous pencherons sur la signification des différentes étapes de la soirée et sur celle des différents éléments du plateau du Seder.

Participer à la réunion Zoom, cliquer ici :

https://zoom.us/j/353969918?pwd=aVlOM2pwTUFiYmhmNXo1MGR1OEJYdz09ID de réunion : 353 969 918 / Mot de passe : 043649

• Judaïsme et questions de société : le végétarisme, Mardi 21 avril 2020 à 20hLa critique de la consommation de viande se fait de plus en plus forte dans nos sociétés. Nous nous pencherons sur la manière dont les textes juifs de la Bible à nos jours abordent cette question et la manière dont ils peuvent nous aider à penser notre alimentation.

Participer à la réunion Zoom, cliquer ici :

https://zoom.us/j/556298367?pwd=SEE0UWkybUdiTEpVN2xoWmZkSm5LZz09ID de réunion : 556 298 367 / Mot de passe : 049309

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Le cours du rabbin Yann Boissière

Les fondamentaux se donne en ligne, depuis le 24/03, le mardi à 19h.

À suivre sur youtube, cliquer ici :

https://tinyurl.com/uct8gfg

Sur la page Facebook de Yann Boissière, cliquer ici :

https://www.facebook.com/y.boissiere

Et sur le Facebook JEM, cliquer ici : https://tinyurl.com/s6car29

Le Cour de pensée juive du Rabbin Philippe Haddad

« Pour un monothéisme humaniste : Comment concilier l’idéal monothéiste et ses exigences, avec celui de l’Humanisme né à la Renaissance » devient (également) numérique. Information : [email protected]

Les cours d’hébreu de Catherine Gabbay sont également accessibles en ligne • le lundi à 14h, le niveau avancé est à suivre ici : https://zoom.us/j/544504632

• le lundi à 16h, le niveau moyen est à suivre ici : https://zoom.us/j/832229662

- le jeudi à 18h30, le niveau débutant est à suivre ici : https://zoom.us/j/378211300

Si vous n’êtes pas inscrit à ce cours, vous êtes le bienvenu, mais pour le suivre efficacement, contacter :[email protected]

Les cours de liturgie pour adultes avec Eve Klein

5780 (2019-2020) qui proposent un Apprentissage des principales prières des offices de Chabbath (vendredi soir et samedi matin) ont lieu un lundi sur deux, hors vacances scolaires et fêtes juives,De 19 h 30 à 21 h. En temps normal ils ont lieu à Beaugrenelle, 3e étage, salle 6. Pendant le confinement, ils se suivent via zoom tous les lundis à 19h30.

Information sur nos réseaux et le site JEM.Programme :

• lundi 27 avril : Baroukh Chéamar

• lundi 11 mai : Amida (1re partie : deux premières bénédictions)

• lundi 25 mai : Amida (2e partie : troisième bénédiction)

• lundi 8 juin : Sortie de la Torah - Baroukh Chénatane Torah - Vezoth haTorah - Rentrée de la Torah

• lundi 22 juin : Eyn kÉlohénou – Kiddoush et Motsi du samedi matin

• lundi 29 juin : Kaddish final – Chants et cantiquesContact : [email protected]

Les cours du rabbin Floriane Chinsky sont aussi numériques : • Koulam ! histoires de la Torah pour petits et grands, a déjà 10 épisodes en ligne est accompagné de petits tests amusants, avec des questions de difficulté variée. Demandez aux plus petits de répondre d’abord. Pour les grands comme les petits. Suivre le cours, ici :

https://rabbinchinsky.fr/category/0-lieu/on-line/ • Boker Tov, la rencontre quotidienne autour de l’office du matin, par le rabbin Floriane Chinsky permet de bien commencer la journée. À suivre, sur la chaîne youtube du rabbin :

https://tinyurl.com/rxarfzt

56 • Mars 2020 - n° 1 / Chema שמע

Infos communautaires

Fondation Julien et Stella Rozan sous l’égide de la Fondation du Judaïsme Français

Appel à CandidatureL’HUMOUR AU FÉMININ

Ce Prix est décerné – sur présentation d’un dossier – à une femme juive dont le talent artistique s’exprime avec humour par le chant, le dessin, la danse, l’écriture, le spectacle...

Montant du Prix : 4 000 euros

Dépôt du dossier : 31 Mai 2020

Remise du Prix : Novembre 2020

PRiX DE LA COOPÉRATiON FÉMiNiNE 2020

Coopération Féminine, 39 rue Broca, 75005 [email protected]

01 42 17 10 90 ou 10 83 (Simone Lévy)

LES COURS (suite)

les cours d’hébreu moderne avec Ruth Vrubel

D’habitude enseignés à Surmelin, les cours se poursuivent au téléphone pendant le confinement. Si vous êtes inscrits contactez JEM pour savoir comment suivre le cours dans sa forme dématérialisée.

Yoga. Camille, la professeure de Yoga

qui propose d’habitude un cours hebdomadaire à Copernic les lundis de 12h à 13h30 propose un « live yoga » traditionnel et tous niveau gratuit à 18h30 tous les jours à 18h30 sur Facebook, Youtube et Twitch pendant le confinement. Pour s’inscrire et consulter le planning de la semaine, c’est ici :

https://www.camsyoga.fr/live

“Les rendez-vous du lundi” de Beaugrenelle se transforment

en “Prenons le thé” avec Michèle Modigliani.

Venez passer une après-midi agréable dans une ambiance chaleureuse (conversations, jeux, chansons...) le mercredi à 15h. Un test aura lieu le premier avril et s’il est concluant, donnera lieu à un rendez-vous hebdomadaire numérique.

Information et lien sur nos réseaux et le site JEM

Le Bridge avec René Prisker

sur les chelems est disponible en ligne pour les habitués du cours, le mardi de 15h à 17h30 via zoom.

Information, lien et code à demander à JEM

Sincères condoléances à leurs familles et à leurs proches.

PROCHAiNES FêTES

ET RENDEZ-VOUSYom HaShoah

Yom Hashoah se déroulera comme tous les ans du 20 avril 19 heures au 21 avril 19 heures. Le nom des déportés sera lu sans interruption pendant 24 heures.

La célébration commencera par la cérémonie d’ouverture et se terminera par le kaddish des rabbins.

En raison des circonstances, la lecture des convois sera faite à partir des lectures des années précédentes qui ont été enregistrées. Seront lus les noms des déportés à partir du convoi 58 jusqu’à la fin, puis des premiers convois jusqu’au convoi 5.

La lecture pourra être suivie sur le site du Mémorial de la Shoah et sera retransmise par d’autres médias dont la liste sera diffusée très rapidement.

Il était important que cet événement dont le MJLF est à l’origine et dans lequel JEM joue un rôle d’organisateur ait lieu cette année. Nous le devons à ceux qui sont partis. Et en cette période de doutes, de peur, il nous ancre dans notre histoire et relativise nos ennuis.

ChavouotSi le confinement prend fin, la nuit du 28 mai, les trois lieux de Judaïsme en Mouvement, Beaugrenelle, Copernic et Surmelin, vivront à l’unisson une Nuit de Chavouot qui a pour thème cette année « L’égalité ». Rendez-vous de 18h45 à 6h du matin à Beaugrenelle et jusqu’à 1h du matin pour les deux autres sites, pour une nuit d’étude exceptionnelle. À noter : si le confinement se prolonge, cette nuit aura lieu tout autant et par voie numérique.

Information sur nos réseaux et le site JEM.

14 mars 2020

Boris DEMAL Elsa OTT

Florence COOLING Valentin BOKOBZA Arthur BLANCHARD

Un grand Mazel tov

Mars 2020 - n° 1 / Chema 57 • שמע

Alors que la crise du Coronavirus repousse de nombreuses célébrations, notamment les mariages et les bnei-mitsva et que nous ne savons pas quand elles pourront avoir lieu, voici le carnet JEM de ce début d’année. Un carnet qui sera complété très prochainement pour vous donner dès que possible les nouvelles de la communauté.

✡ Gabriel BARTHELEMY

✡ Clause Gérard BLUM

✡ Daniel CLETZ

✡ Alain COHEN

✡ Litka FASS

✡ Naoum GANI

✡ Gilbert GUEZ

✡ Albert HANDSHUH

✡ Laure (Lea) JABLON

✡ Miriam JUNGFER née OIFFER

✡ Théo KLEIN

✡ Henri. KERSEN

✡ David KESSLER

✡ Jeanine LÉVY née BUMSEL

✡ Jean MARCOVICI

✡ Jacob NAÏM

✡ Josette SOLAL née LASRY

✡ Vladimir SOSKIN

✡ David YACOUBOVITCH

4 janvier 2020

Samuel KOSKAS

18 janvier 2020

Léon PERL

Anouk VALTON

Michael UNGLIK

25 janvier 2020

Juliette ASSOULINE

Solal GUEZ

31 janvier 2020

Sarah HASSO

1er fevrier 2020

Emma MONSENEGO

Sarah HASSON

8 février 2020

Alexandre AMON

Emilien AMON

Noam ZEITOUN

15 février 2020

Marc KONCZATY (adulte)

22 février 2020

Simon ZEITOUN

29 février 2020

Nathanaël BENAÏCHE

Sacha SALBERT

7 mars 2020

Arno CHOUKROUN