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Mémoire Des pistes d’amélioration pour le programme de procréation
médicalement assistée
Le Conseil du statut de la femme est un organisme de consultation et d’étude qui veille, depuis 1973, à promouvoir et à défendre les droits et les intérêts des Québécoises. Il conseille la ministre et le gouvernement sur tout sujet lié à l’égalité et au respect des droits et du statut des femmes. L’assemblée des membres du Conseil est composée de la présidente et de dix femmes venant des associations féminines, des milieux universitaires, des groupes socio-économiques et des syndicats. Deux postes sont actuellement vacants.
Ce mémoire a été adopté par les membres du Conseil du statut de la femme le 20 mai 2013.
Membres du Conseil Julie Miville-Dechêne, présidente Geneviève Baril Élise-Ariane Cabirol Nathalie Chapados Catherine des Rivères-Pigeon
Recherche et rédaction Olivier Lamalice
Recherche documentaire Julie Limoges
Coordination de la recherche et de la rédaction
Isabelle Desbiens
Coordination de l’édition Sébastien Boulanger
Conception graphique et mise en page Guylaine Grenier
Révision linguistique Bla bla rédaction
Date de parution Juin 2013
Toute demande de reproduction totale ou partielle doit être faite au Service de la gestion du droit d’auteur du gouvernement du Québec à l’adresse suivante : [email protected]
Éditeur Conseil du statut de la femme 800, place D’Youville, 3e étage Québec (Québec) G1R 6E2 Téléphone : 418 643-4326 Sans frais : 1 800 463-2851 Télécopieur : 418 643-8926 Site Web : www.placealegalite.gouv.qc.ca Courriel : [email protected]
Dépôt légal Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 2013 ISBN : 978-2-550-67906-6 (version électronique) © Gouvernement du Québec
Véronique De Sève
Francyne Ducharme
Carole Gingras
Rakia Laroui
TABLE DES MATIÈRES
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5
I. La prévention de l’infertilité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6
II. Un système de santé public et universel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9
III. Une limite au nombre d’embryons implantés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11
IV. Les coûts du programme de remboursement de la procréation médicalement assistée . . . . . . . . 12
V. La recherche, la surveillance et l’évaluation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13
VI. La levée de l’anonymat . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15
VII. L’évaluation des personnes ayant recours à la procréation médicalement assistée . . . . . . . . . . . . 16
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 18
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19
AVANT-PROPOS
Le Conseil du statut de la femme (Conseil) s’est prononcé à diverses reprises sur la question de la procréa-
tion assistée. Dès les années 1980, il admettait que les technologies de reproduction bouleversaient les
assises mêmes du rapport des femmes à la procréation, tout comme celui des hommes à la paternité. De
1986 à 1989, puis en 1996, il a publié différents avis et études qui traitaient de ce sujet; il a également
produit une documentation audiovisuelle et organisé un forum sur la question.
Dans un avis publié en 2006, le Conseil réagissait au projet de loi no 89. Plus récemment encore, en 2008,
il adressait une lettre et des commentaires à la présidente de la Commission de l’éthique de la science et
de la technologie (CEST), en vue des consultations qu’elle a par la suite menées sur la question. En juin
2009, il transmettait une lettre-commentaires au président de la Commission des affaires sociales lors de
la consultation sur le projet de loi no 26. En 2010, il publiait un avis sur deux projets de règlement sur la
procréation assistée et formulait des recommandations sur la question de la prévention et de la protec-
tion de la santé, la couverture publique des services, la surveillance des activités de procréation assistée et
le droit des enfants de connaître leurs origines. Enfin, en 2012, il faisait parvenir une lettre au ministre de
la Santé sur les modifications au Règlement sur les activités cliniques en matière de procréation assistée.
5
INTRODUCTION
Avec l’adoption de la Loi sur les activités cliniques et de recherche en matière de procréation assistée1 et
des deux règlements qui s’y rattachent, la Régie d’assurance maladie du Québec rembourse désormais
les frais médicaux et la médication entourant la procréation médicalement assistée (PMA), de l’insémina-
tion artificielle jusqu’à la fécondation in vitro (FIV).
La procréation assistée comporte notamment les activités suivantes : la stimulation
ovarienne, le prélèvement, le traitement, la manipulation in vitro et la conservation de
gamètes humains, l’insémination artificielle avec le sperme du conjoint ou celui d’un
donneur, le diagnostic préimplantatoire, la conservation et le transfert d’embryons
humains (CEST 2009, p. XV).
Ainsi, en août 2010, « le Québec [est devenu] le premier État d’Amérique du Nord
à payer pour la procréation assistée. L’Ontario a eu une politique semblable de
remboursement des frais liés à la PMA. Elle a été abandonnée en 1994 dans une
période de restrictions budgétaires. On a alors jugé que les économies en néonata-
logie ne justifiaient pas le financement d’un programme de remboursement de la
PMA (IRIS 2011, p. 5). En Europe, plusieurs pays offrent depuis longtemps le rem-
boursement de la FIV – les Français par exemple ont droit à quatre essais gratuits;
les Belges, à six » (Forget 2012, p. 76).
En plus de rembourser jusqu’à trois cycles de FIV, le gouvernement a dû modifier la liste des médicaments
devant être couverts par l’assurance médicament publique et par les compagnies d’assurance, y compris
les médicaments utilisés dans le traitement de l’infertilité : « […] les assureurs doivent couvrir au mini-
mum 68 % des coûts, qui peuvent s’échelonner généralement entre 1000 $ et 5 000 $, selon les doses
prescrites » (Forget 2012, p. 77).
1 La Loi peut être consultée à l’adresse suivante : http://bit.ly/17t44eV.
6
Depuis son instauration, le programme est populaire. En 2009, 1 831 cycles de FIV ont été réalisés au
Québec. Du 5 août 2010, date d’entrée en vigueur de la gratuité, jusqu’au 31 juillet 2011, 4 867 cycles
ont été faits, pour un total d’environ 1 300 femmes qui seraient devenues enceintes à la suite d’une FIV.
On estime que le programme aura atteint sa vitesse de croisière vers 2015; de 7 000 à 7 500 cycles seront
alors enregistrés chaque année, ce qui portera alors la facture à 63 millions de dollars (Forget 2012, p. 82).
Comme le mentionnait le mémoire du Conseil publié en 2006 :
Les techniques de PMA ne concernent pas seulement les femmes. Cependant, comme
elles concernent les relations entre les hommes et les femmes, comme elles ne peuvent
exister sans interventions sur le corps des femmes, comme ces interventions ne sont
pas sans danger pour leur santé et pour celle des enfants issus de ces techniques,
comme elles ont un impact majeur sur la conception de la maternité et de la parenta-
lité, comme les femmes porteront en grande partie le poids des décisions prises dans
ce secteur, ces techniques de PMA constituent une préoccupation importante pour le
CSF (CSF 2006, p. 13).
I. La prévention de l’infertilité
Dans son mémoire de 2010 portant sur la PMA, le Conseil prenait position sur la prévention de l’infertilité :
Les règlements ne font état d’aucune mesure pour contrer l’infertilité. Pourtant, le
recours à la procréation assistée est un phénomène en expansion et les divers pro-
blèmes de fertilité en sont la principale cause. Le discours sur leur financement évacue
et occulte le fait que les technologies de reproduction constituent un palliatif et un
contournement à la stérilité et à l’infertilité. Jusqu’à un certain point, il empêche même
de chercher la cause des problèmes et de travailler à les remédier (CSF 2010, p. 9).
7
Contourner l’infertilité en assurant la gratuité de la procréation assistée nous éloigne-t-il de la recherche
sur l’infertilité? Les causes de l’infertilité devraient être examinées en priorité, notamment l’utilisation
de produits chimiques et la pollution. « Les phtalates utilisés pour assouplir certains plastiques ainsi que
les pesticides agiraient comme perturbateurs endocriniens. Ils peuvent se trouver dans les milieux aqua-
tiques et éventuellement dans les sources d’eau potable. Dans le corps humain, ils stimulent l’action
des œstrogènes (des hormones féminines) et perturbent le développement des organes reproducteurs
masculins » (Forget 2012, p. 49).
Les autres causes de l’infertilité sont multiples : surpoids, tabagisme, consommation de drogues, infec-
tions transmissibles sexuellement et par le sang (ITSS), etc. Il serait donc primordial de ne pas seulement
contourner les problèmes de fertilité par le remboursement de la PMA, mais aussi de sensibiliser la po-
pulation aux causes de l’infertilité. L’âge demeure l’un des facteurs d’infertilité les plus importants : plus
un couple sera âgé, plus la fertilité sera réduite (CSF 2006, p. 19).
Au début des années 2000, la moitié des couples qui consultaient les cliniques le faisaient à cause d’un
problème d’infertilité masculine. Ce pourcentage se situe désormais entre 65 % et 70 %. « Aucune
étude n’a encore prouvé que l’infertilité masculine était à la hausse, mais les soupçons planent » (For-
get 2012, p. 49). Or, même si les problèmes d’infertilité sont souvent masculins, ce sont les femmes qui
subissent les interventions médicales les plus intrusives.
De surcroît, en ayant recours à l’insémination artificielle, « on contourne la sélection naturelle. Des sper-
matozoïdes anormaux peuvent se trouver gagnants dans la course à la reproduction, alors que les gènes
qu’ils portent n’auraient jamais dû être transmis » (Forget 2012, p. 55). Les hommes infertiles qui ont
recours à des techniques de fertilisation médicale transmettent dès lors leur infertilité à leurs garçons :
« […] pour la première fois dans l’histoire, l’infertilité est en voie de devenir une maladie héréditaire »
(Forget 2012, p. 55).
8
La prise en compte de la notion d’infertilité est particulièrement importante pour les
femmes. Que le problème d’infertilité soit imputable à l’homme ou à la femme, c’est
cette dernière qui aura à subir la majorité, sinon la totalité, des interventions liées à
la fécondation in vitro. Comme ce sont essentiellement les femmes qui subissent les
interventions de procréation assistée et qui sont affectées par ses conséquences, les
techniques de procréation assistée impliquent donc que les femmes s’adaptent au
problème. À l’inverse, miser sur la prévention permet d’éviter aux femmes de subir une
série d’interventions et contribue à solutionner le problème (CSF 2010, p. 9).
Le programme de remboursement de la PMA entré en vigueur en août 2010 contourne les problèmes
d’infertilité et n’accorde pas suffisamment de place à la recherche et à la sensibilisation sur l’infertilité. En
plus de rendre accessibles les techniques de PMA, il y aurait lieu de sensibiliser davantage la population
aux causes de l’infertilité. Une telle sensibilisation pourrait réduire le recours à la PMA dans des cas qui
ne sont pas essentiels. De plus, elle aurait pour effet de responsabiliser davantage certains patients qui
se tournent vers la PMA. La gratuité a ses effets pervers; par exemple, selon la psychologue du Centre de
reproduction McGill, Janet Takefman, les patients étaient plus préparés à la FIV lorsqu’ils devaient payer
eux-mêmes l’intervention. Ils suivaient aussi plus rigoureusement les protocoles, condition essentielle à
la réussite de la FIV. Selon elle, la gratuité a pour effet que certains patients banalisent l’intervention :
« C’est gratuit, pourquoi ne pas essayer? » (Forget 2012, p. 83).
Les conditions et les milieux de travail font aussi partie des facteurs sociaux qui ont un effet sur la santé
reproductive des femmes et des hommes. Toutefois, peu d’études existent à ce sujet. Les quelques écrits
font surtout état du potentiel nocif de certains agents utilisés ou présents dans des milieux de travail et
ciblent certains secteurs plus à risque. D’autres éléments, tels que les effets du stress, les facteurs ergono-
miques et l’horaire de travail, peuvent aussi nuire à la fertilité. En conséquence, le Conseil recommande
(CSF 2010, p. 10) :
1. Que le gouvernement accorde une priorité au financement de la recherche des causes et des
moyens de prévenir la stérilité et l’infertilité.
2. Que des programmes scolaires soient mis en place afin d’informer les jeunes sur les causes
de l’infertilité, notamment les infections transmissibles sexuellement et par le sang.
9
II. Un système de santé public et universel
Le Conseil s’est toujours prononcé en faveur d’un système de santé public et universel. Dès l’introduction
du remboursement de la PMA, en 2010, le Conseil a salué cette initiative comme une avancée bienvenue
dans la couverture offerte par le Régime d’assurance maladie du Québec. En raison des coûts très élevés
des traitements de PMA, ceux-ci étaient souvent inaccessibles à une portion importante de la population.
Or, les personnes qui sont aux prises avec des problèmes d’infertilité ne devraient pas être pénalisées par
les coûts des traitements.
Le fait de ne pouvoir accéder à ces services contribue à causer des inégalités sociales
non désirables puisque les personnes dont les revenus sont plus limités n’y ont pas
accès. En effet, la privatisation des services de santé affecte particulièrement les per-
sonnes à faible revenu et pénalise celles à revenu moyen. Le Conseil s’oppose donc à
l’offre des services et des soins de santé au privé en général (CSF 2010, p. 13).
Le Conseil se demandait de plus en 2010 si la présence importante du secteur privé à but lucratif dans le
domaine de la PMA n’était pas de nature à fragiliser les principes qui sont à la base de la nature publique
du système de santé :
La recherche de profit inhérente aux organisations à but lucratif peut-elle être occultée?
Les intérêts financiers n’entraveront-ils pas un accès aux services respectueux de l’éthique
et des valeurs chères à la population québécoise et qui placent en priorité la santé des
personnes comme indicateur de succès d’une intervention? (CSF 2010, p. 13-14)
Selon Julie Depelteau, chercheuse associée à l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques
(IRIS), « tout comme c’est le cas en matière d’avortement, le gouvernement est prompt à remettre aux
établissements privés le champ de la pratique médicale liée à la santé reproductive des femmes, en fi-
nançant les soins prodigués par ces établissements à même le régime public. […] Les cliniques privées
génèrent des profits grâce aux soins ultra-spécialisés facilités par le programme québécois de procréa-
tion médicalement assistée, mais délèguent aux établissements publics, qui souffrent d’un sous-finan-
cement chronique, la prestation de soins de base liés à ce programme, tel l’accouchement » (citée dans
Leduc 2011, p. A12).
10
« On nous répète que le programme, bien que son coût soit important, ne constitue
pas une nouvelle dépense en santé, car il suscite des économies dans d’autres do-
maines, comme les soins des nouveau-nés. Or cet argument est contestable, puisque
les économies réalisées sont entièrement captées par les nouvelles techniques utili-
sées par l’industrie pour réduire le nombre de grossesses multiples qu’elle engendre.
Les économies sont réelles, mais elles ne permettent pas de contrebalancer les coûts
du programme de procréation assistée : elles défraient seulement les coûts des nou-
velles techniques utilisées par l’industrie pour solutionner le problème qu’elle crée elle-
même. Bref, le financement public permet de régler le problème causé par le secteur
privé tout en maintenant, et même en accroissant, ses marges de profit » (IRIS 2011).
En décembre 2011, le ministre de la Santé, Yves Bolduc, a annoncé qu’à la mi-2013, la moitié des FIV
allaient être assurées par le secteur public. Trois embryologistes d’expérience ont alors quitté le privé pour
venir travailler à la nouvelle clinique de fertilité affiliée au Centre hospitalier de l’Université de Montréal
(CHUM), implantée au coût de 16 millions de dollars (Daoust-Boisvert 2011, p. A3). En mars 2013, cer-
tains traitements de PMA sont offerts par le secteur public dans les villes de Chicoutimi, de Trois-Rivières,
de Sherbrooke et de Québec. Si toutefois les patientes doivent avoir recours à la FIV, elles devront être
redirigées vers les cliniques offrant ce service : trois cliniques publiques de PMA étaient en activité, toutes
à Montréal. Quatre autres cliniques privées offrent ce service à Montréal. Hors de la métropole, une seule
clinique – privée – offre la FIV, à Québec2.
À cet égard, la recommandation du Conseil formulée en 2010 est encore d’actualité :
3. Que le gouvernement veille à ce qu’une expertise en procréation assistée soit développée
dans le réseau public.
2 La liste des cliniques en activité est disponible à l’adresse suivante : http://bit.ly/YgV1wY.
11
III. Une limite au nombre d’embryons implantés
Le Conseil s’est toujours montré favorable à la limitation du nombre d’embryons pouvant être implantés
en FIV. « En vertu du Règlement sur les activités cliniques en matière de procréation assistée, les mé-
decins sont tenus de transférer un seul embryon aux femmes de 36 ans et moins, aux maximum deux
embryons lorsque le dossier médical le justifie – quand la femme a connu des échecs répétés avec la FIV,
par exemple. Chez les patientes de 37 ans et plus, chez qui les chances de succès sont considérablement
réduites, on peut aller exceptionnellement jusqu’à trois » (Forget 2012, p. 70).
Le Conseil se montre satisfait que le Québec se soit inspiré des exemples suédois, finlandais et belge en
interdisant en 2010 l’implantation multiple d’embryons chez les femmes de moins de 37 ans. L’État a ainsi
voulu freiner la multiplication des naissances multiples; rappelons que l’augmentation de 50 % de 1989
à 2009 de naissances de jumeaux est tributaire de la procréation assistée (Forget 2012, p. 70). Or, les
naissances multiples sont souvent la source de problèmes de santé chez la mère, les fœtus et les enfants
(CEST 2009, p. XVI). En outre, la moitié des jumeaux sont traités en néonatalogie (Mathieu 2010, p. 21) :
Comme nous le mentionnions dans notre avis de 2010 :
La réglementation prévoit quatre options comportant chacune l’équivalent d’un maxi-
mum de trois essais complets de cycles de fécondation in vitro couverts par la Régie
de l’assurance maladie. La réglementation fait une distinction entre la fécondation
in vitro faite sur un cycle d’ovulation stimulé ou naturel modifié et la fécondation in
vitro pratiquée à partir d’un cycle naturel d’ovulation. Cette dernière est considérée
comme un demi-essai. Selon l’option choisie, cela a pour conséquence d’augmenter
jusqu’à six le nombre réel d’essais possible.
La multiplication des essais, du coup, multiplie aussi les interventions sur le corps des
femmes et amène le Conseil à émettre certaines réserves. En plus des effets incommo-
dants lors de la prise des médicaments nécessaires à la surstimulation ovarienne, ses
conséquences à moyen et à long terme sur la santé des femmes sont particulièrement
questionnées. La ponction ovocytaire nécessite aussi des interventions, entre autres
l’anesthésie locale ou générale, qui ne sont pas sans risques et sans conséquences sur
la santé des femmes. Pour sa part, la fécondation in vitro sur cycle naturel comporte
les avantages d’éviter la prise de médicaments et l’hyperstimulation, d’être moins coû-
teuse et elle implique très peu de risques de grossesses multiples (CSF 2010, p. 11-12).
12
En 2012, dans une lettre envoyée au ministre de la Santé par le Conseil, celui-ci se positionnait en fa-
veur de la limitation à deux plutôt qu’à trois du nombre d’embryons qui peuvent être implantés chez les
femmes de plus de 37 ans. Par conséquent, le Conseil recommande :
4. Que le nombre d’embryons pouvant être implantés simultanément chez les femmes de plus
de 37 ans soit limité à deux.
IV. Les coûts du programme de remboursement de la procréation médicalement assistée
Plusieurs critiques contre le remboursement de traitement d’infertilité par le Régime d’assurance mala-
die ont été soulevées. D’abord, de nombreuses personnes ont souligné le fait que l’infertilité n’est pas
une maladie, qu’elle ne met pas en danger la vie. Ensuite, les budgets alloués au système de santé ne
semblent pas être suffisants pour répondre aux besoins les plus criants : le manque de ressources pour
les soins à domicile et les soins palliatifs affectent particulièrement les femmes car elles sont, beaucoup
plus souvent que les hommes, les proches aidantes de parents malades. L’accès rapide aux médecins de
famille est encore problématique puisque « seulement un adulte québécois sur trois (32 %) peut voir un
médecin le même jour ou le lendemain, en cas de besoin. Ce pourcentage est le plus faible des pays » qui
ont participé à une enquête du Commonwealth Fund citée par le Commissaire à la santé et au bien-être
(CSBE 2012). Dans ce contexte, se payer le luxe de rembourser la procréation assistée correspond-il à une
bonne allocation des ressources (Forget 2012, p. 78)?
Selon la chercheuse Julie Depelteau, de l’IRIS, il est probable que le coût du programme public de pro-
création assistée soit plus élevé que les 80 millions de dollars annoncés initialement. La façon dont sont
compilés les trois cycles de FIV remboursés par l’État, la forte demande et la congélation des embryons
contribueraient à faire augmenter le coût réel du programme (Depelteau 2011, p. 5). Ainsi, « selon
l’IRIS, les coûts réels du programme risquent beaucoup de se rapprocher de l’évaluation faite par la Fédé-
ration des médecins spécialistes du Québec qui estimait plutôt que le programme coûterait 200 millions
par année » (Leduc 2011, p. A12). Malgré la diminution des tarifs versés aux spécialistes pour un cycle de
FIV adoptée en décembre 2011, les coûts du programme de PMA dépassent les prévisions. En février 2013,
le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) annonçait que le programme coûterait au moins
5 millions de dollars de plus que les prévisions pour l’année budgétaire 2012-2013 (Daoust-Boisvert 2013).
En mai 2013, le cabinet du ministre de la Santé Réjean Hébert admettait que le programme avait coûté au
moins 120 millions depuis sa mise sur pied, en août 2010.
13
La Fédération du Québec pour le planning des naissances (FQPN) a déploré cette utilisation des res-
sources importantes pour une question non urgente. Selon elle, « la société québécoise ferait mieux
d’investir dans les programmes d’éducation et de sensibilisation à l’école, pour prévenir les infections
transmissibles sexuellement, responsables de bien des cas d’infertilité. Elle croit aussi qu’on devrait
multiplier les politiques sociales pour encourager les femmes à avoir des enfants plus tôt, en favorisant
les garderies en milieu d’études ou en offrant davantage de prêts et bourses aux femmes enceintes »
(Forget 2012, p. 78).
Le problème d’accessibilité aux soins se pose aussi. Comme l’a rappelé le président de l’Association des
obstétriciens et gynécologues du Québec, le Dr Robert Sabbah, les femmes ont déjà de la difficulté à
avoir accès à un médecin qui pourra les suivre durant leur grossesse. Or, encourager davantage les nais-
sances par la procréation assistée complique ce problème d’accessibilité : de rares ressources financières
sont octroyées pour rembourser les FIV et non pour les services de première ligne. (Forget 2012, p. 78-79).
Si les gouvernements ont des choix budgétaires à faire dans le but de prioriser les soins essentiels en ma-
tière de santé pour les femmes, nous sommes d’avis que l’universalité des procédures de PMA devrait être
sacrifiée.
Par conséquent, le Conseil recommande que :
5. Les procédures de PMA soient offertes gratuitement aux patientes et aux patients ayant des
revenus moins élevés.
V. La recherche, la surveillance et l’évaluation
Puisque les techniques de PMA ont des effets sur la santé des personnes, tout en conservant leur carac-
tère exploratoire, et qu’elles transforment le processus de reproduction humaine, elles devraient faire
l’objet d’un processus étroit de recherche, de surveillance et d’évaluation.
Selon l’IRIS, les pratiques médicales et la recherche sur la PMA ne sont pas encadrées par la Loi sur les
activités cliniques et de recherche en matière de procréation assistée, mais plutôt par les règlements
administratifs qui en découlent. De ce fait, la reddition de comptes des établissements qui pratiquent la
PMA est limitée. De plus, les effets à long terme de la PMA sont peu connus (Lambert et Sirard 2005).
L’IRIS, qui s’est prononcé sur le sujet en 2011, considère même que les techniques de PMA sont au
« stade expérimental ». De surcroît, « aucun indicateur ne porte sur la santé des femmes y ayant recours
et des enfants issus de la PMA » (Depelteau 2011, p. 5).
14
Même son de cloche à la FQPN : « […] la FQPN constate que le projet de réglementation ne prévoit pas
de mécanisme national de collecte de données avec des normes uniformisées et standardisées pour tous
les centres de procréation assistée. Bien au contraire, le législateur préfère risquer l’aléatoire en laissant
à chaque centre, lors du rapport annuel, la responsabilité d’une cueillette de données d’ordre adminis-
tratif » (FQPN 2010, p. 2).
À cet égard, le Règlement sur les activités cliniques en matière de procréation assistée prévoit, dans
la section II, la collecte de différents types de renseignements. Le directeur d’un centre de procréation
assistée doit conserver les renseignements relatifs au consentement des personnes parties prenantes au
projet parental (article 15). Il doit aussi consigner l’information sur la cession de gamètes ou d’embryons
(article 25). Enfin, le Règlement demande que, dans son rapport annuel, chaque centre de procréation
assistée indique, notamment, des données sur le nombre de personnes traitées, le type et le nombre de
traitements entrepris. À ce sujet, le Conseil réitère les recommandations formulées en 2010 :
6. Que, pour chaque demandeuse et demandeur de services de procréation assistée, la régle-
mentation oblige tout médecin qui dispense des services de procréation assistée à collecter
les données telles que le problème ou la situation à l’origine de la demande, l’âge des de-
mandeurs, leur état de santé et les données relatives à leurs milieux de travail.
7. Que la réglementation prévoie, pour chaque naissance issue de la procréation assistée,
la consignation de la technique de procréation assistée utilisée, du nombre d’enfants nés
d’une même grossesse, de l’état de santé de la mère et des enfants, du sexe de l’enfant.
8. Que, à partir de l’ensemble des renseignements colligés, sur une base annuelle, un état de
la situation soit produit.
9. Qu’une évaluation nationale soit faite aux trois ans sur le financement et tout le processus
de procréation assistée à la suite de laquelle un comité d’éthique proposera des recomman-
dations au gouvernement.
Le Conseil réitère son étonnement, dont il avait fait part au ministre de la Santé en mai 2012, au sujet
de l’article 8 et du troisième paragraphe de l’article 30 de la Loi sur les activités cliniques et de recherche
en matière de procréation assistée. En effet, ces articles prévoyant que tout projet de recherche sur des
activités de procréation assistée soit approuvé par un comité d’éthique de la recherche reconnu par le
ministre et que le gouvernement puisse déterminer les conditions qu’un projet de recherche doive satis-
faire ne sont toujours pas en vigueur. Le Conseil recommande donc :
10. Que l’article 8 et le troisième paragraphe de l’article 30 de la Loi sur les activités cliniques et
de recherche en matière de procréation assistée entrent en vigueur dans les plus brefs délais.
15
VI. La levée de l’anonymat
Une tendance semble s’installer dans le monde : la levée de l’anonymat des donneurs de gamètes et
d’embryons. « En Suède, aux Pays-Bas, au Royaume-Uni, en Allemagne, en Finlande, en Belgique, en
Nouvelle-Zélande et dans certains États australiens, le don anonyme est désormais interdit » (Forget 2012,
p. 145).
Le Conseil s’est positionné en 1996 pour la levée de l’anonymat. Dans une lettre adressée à la présidente
de la CEST, il écrivait :
En accord avec la nécessité et l’obligation d’éliminer toute discrimination envers les en-
fants en leur garantissant les mêmes droits, quelles que soient les circonstances de leur
naissance, le Conseil s’est prononcé sur la nécessité d’établir formellement les origines
biologiques de ces enfants. Conséquemment, il a recommandé la levée de l’anonymat
des donneurs, sous certaines conditions (CSF 2010, p. 19).
En conséquence, nous rappelons les recommandations du Conseil formulées en 1996 :
11. Que le Code civil soit modifié de telle sorte qu’il lève l’anonymat dans le cas de l’insémination
artificielle avec donneur qui y a consenti afin de donner accès, sur demande, aux renseigne-
ments médicaux et non médicaux nominatifs à l’enfant à sa majorité.
12. Qu’une structure soit mise en place pour la cueillette et la conservation permanente des
informations sociales et médicales des donneurs de gamètes.
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VII. L’évaluation des personnes ayant recours à la procréation médicalement assistée
Une évaluation psychosociale des patientes et des patients est prévue par le ministère de la Santé et des
Services sociaux :
Bien que la loi ne prévoie pas de limite d’âge prédéterminé pour l’accessibilité au Pro-
gramme, la décision relève du jugement clinique du médecin traitant. C’est aussi au
médecin que revient la décision de procéder ou non au traitement selon la condition
physique et psychosociale de la personne, en plus de considérer le bien-être du bébé à
naître. À cet effet, il peut demander une consultation auprès d’une équipe multidisci-
plinaire qui l’aidera dans sa réflexion3.
Toutefois, cette évaluation psychosociale n’est pas aussi poussée que celle qui est faite auprès des gens
voulant adopter. Selon nos sources, l’évaluation psychosociale dure de 40 minutes à 1 heure et est
réalisée par un professionnel de la santé mentale. Elle ne vise pas à « présélectionner les patients pour
déterminer s’ils vont faire de bons parents. Toutefois, des risques potentiels, comme l’abus d’alcool ou
d’autres drogues, des psychopathologies, sont évalués, ce qui peut entraîner notre retrait du dossier ou
le report du traitement », selon le Centre universitaire de santé McGill (CUSM), dont les propos ont été
cités par La Presse (Duchaine 2012).
Le programme de PMA a d’ailleurs fait la manchette à ce sujet en octobre 2012, lorsqu’on a annoncé
que le CUSM avait « créé un enfant de la DPJ » (Duchaine 2012). En effet, la clinique de fertilité du CUSM
avait accepté de traiter une mère aux prises avec de graves problèmes de santé mentale, victime de vio-
lence conjugale et ayant des antécédents judiciaires. Résultat : à la naissance de l’enfant, celui-ci a été
immédiatement placé sous l’aile de la Direction de la protection de la jeunesse. Deux cliniques de fertilité
avaient auparavant refusé de traiter cette femme, ce qui représente un cas extrême selon nos sources.
En effet, les cliniques ont plutôt tendance à inviter les clientes à reconsidérer leur choix, par exemple, si
elles souffrent de dépression ou si elles prennent des médicaments qui entrent en interaction avec ceux
3 http://bit.ly/15HLUst
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prescrits pour le traitement en PMA. Un refus de traitement est une exception. Il demeure que ce cas
inusité amène le Conseil à se poser certaines questions sur le processus d’évaluation des patientes et des
patients qui se tournent vers la PMA. Il y aurait peut-être lieu de s’inspirer, à cet égard, de la démarche
mise en place dans les cas d’adoption.
Dans cette optique, le Conseil recommande :
13. Qu’une équipe multidisciplinaire issue du réseau public établisse des critères encadrant
l’évaluation des personnes qui veulent recourir à la PMA. Que ces critères uniformes soient
appliqués dans les cliniques publiques et privées.
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CONCLUSION
La procréation médicalement assistée (PMA) interpelle le Conseil du statut de la femme depuis de nom-
breuses années. La Loi sur les activités cliniques et de recherche en matière de procréation assistée et les
règlements qui s’y rattachent ont permis, dans une certaine mesure, de baliser l’exercice de la PMA au
Québec, tout en rendant cette intervention accessible à l’ensemble de la population.
Toutefois, la Loi et ses règlements comportent toujours des lacunes. D’abord, la prévention et la re-
cherche sur l’infertilité sont occultées au profit de techniques de contournement de l’infertilité. De plus,
certaines dispositions renforcent le système de santé privé, bien que des ajustements aient été apportés
à ce chapitre. Rappelons que le Conseil s’est toujours positionné sans équivoque en faveur d’un système
de santé public et universel. Soulignons aussi que les coûts d’un programme de remboursement de la
PMA par le Régime d’assurance maladie du Québec sont importants. Bien que le Conseil appuie cette
mesure pour les moins nantis, celle-ci ne devrait pas être mise en avant au détriment des soins de pre-
mière ligne. Enfin faut-il rappeler que certaines techniques de PMA sont toujours au stade expérimental :
il est important d’assurer un suivi approprié des interventions pratiquées, des naissances qui en découlent
et des effets à long terme.
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www.placealegalite.gouv.qc.ca