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N o 27 JANVIER-FÉVRIER-MARS 2020 DOSSIER Tarif standard : 8 • Tarif étudiant, chômeur, faibles revenus : 6 • Étranger : 10 SCIENCE DOSSIER MÉDICAL EN LIGNE : SOIGNER OU SURVEILLER ? par Michel Katchadourian TRAVAIL LUXFER DOIT ÊTRE NATIONALISÉE par Clément Chabanne ENVIRONNEMENT CHANGEMENT CLIMATIQUE, LE CHAMP DES POSSIBLES par Ivan Lavallée et Geoffrey Bodenhausen COVID -19 APRÈS LE CHOC, COMMENT FAIRE FACE?

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No 27 JANVIER-FÉVRIER-MARS 2020

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SCIENCEDOSSIER MÉDICAL EN LIGNE : SOIGNER OU SURVEILLER ?par Michel Katchadourian

TRAVAILLUXFER DOIT ÊTRE NATIONALISÉEpar Clément Chabanne

ENVIRONNEMENTCHANGEMENT CLIMATIQUE, LE CHAMP DES POSSIBLESpar Ivan Lavallée et Geoffrey Bodenhausen

COVID-19APRÈS LE CHOC, COMMENT FAIRE FACE?

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JANVIER-FÉVRIER-MARS 2020

Progressistes JANVIER-FÉVRIER-MARS 2020

ÉDITO De l’art de s’opposer en temps de crise et de danger majeur Amar Bellal .................................................................... 3

DOSSIER COVID-19 : APRÈS LE CHOC, COMMENT FAIRE FACE? ........................... 6

Retourner la stratégie du choc contre le capital Jean-François Bolzinger ........................................................................................ 7L’irruption du SRAS-CoV-2 en France : une situation inédite Jean-Jacques Pik ............................................................................ 10Tests, confinement, recherche, traitements et vaccins : faire face à la pandémie Jean-Jacques Pik ...................................... 14Implications écologiques et systémiques Alain Pagano ................................................................................................................. 18Détection du virus… Comment savoir si vous êtes infecté ? Anna Grandlarge et Arnaud Daime .................................................... 20Le cri de colère d’un chercheur Bruno Canard ................................................................................................................................ 22« En temps de crise, il est plus important que jamais de disposer de résultats fiables » Sabine Santucci ................................ 24« C’est de la médecine spectacle, ce n’est pas de la science » Damien Barraud ...................................................................... 26Les effets de la désindustrialisation des secteurs liés à la santé Jean-Pierre Escaffre, Jean-Luc Malétras et Jean-Michel Toulouse ... 29Pour un pôle public du médicament Laurent Ziegelmeyer ............................................................................................................... 32Crise sanitaire : n’oublions pas les médicaments dérivés du sang! Jean-Pierre Basset .............................................................. 34

L’IMAGE DU NUMÉRO ................................................................................................................................................................ 36

JEUX ÉCHECS La théorie de la valeur (1) Taylan Coskun ................................................................................................................ 37BRÈVES .............................................................................................................................................................................................. 38

CARTOGRAPHIE Nicolas Lambert ................................................................................................................................................... 40

SCIENCE ET TECHNOLOGIEHISTOIRE De la grippe espagnole de 1918-1919 au coronavirus de 2019-2020 Chloé Maurel ................................................... 41SOCIÉTÉ À propos de crise sanitaire : sur les vertus de la douche froide Yves Bréchet ............................................................... 44NUMÉRIQUE ET LIBERTÉS Dossier médical en ligne : prévenir et soigner ou… sélectionner et surveiller ? Michel Katchadourian ........................................................................................................................... 46

TRAVAIL - ENTREPRISE - INDUSTRIESOCIAL Sommes-nous égaux face à l’allongement de la durée du travail ? Collectif de mobilisation des agents de la DREES...... 48SERVICE PUBLIC Stratégie industrielle au service du progrès social et de la préservation de la planète CGT Renault ........... 51LUTTES Menacée de fermeture, Luxfer doit être nationalisée Clément Chabanne ......................................................................... 54

ENVIRONNEMENT & SOCIÉTÉCLIMAT Face au changement climatique, le champ des possibles Ivan Lavallée et Geoffrey Bodenhausen ................................... 57

LES SCIENCES ET LES TECHNIQUES AU FÉMININEva Mameli Claude Frasson ................................................................................................................................................................ 60

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Progressistes Tél. 01 40 40 13 41 • Directeur honoraire : † Jean-Pierre Kahane • Directeur de la publication : Jean-François Bolzinger Directeur de larédaction : Ivan Lavallée • Directeur de la diffusion : Alain Tournebise • Rédacteur en chef : Amar Bellal • Rédacteur en chef adjoint : Sébastien Elka • Coordinatricede rédaction : Fanny Chartier • Rubrique Science : Arnaud Vaillant • Rubrique Travail : Léa Bruido • Rubrique Environnement : Jean-Claude Cheinet • Brèves :Emmanuel Berland • Livres : Delphine Miquel • Cartographie : Nicolas Lambert • Jeux et stratégies : Taylan Coskun • Comptabilité : Mitra Mansouri • Abonnements :Françoise Varouchas • Rédacteur-réviseur : Jaime Prat-Corona • Comité de rédaction : Jean-Noël Aqua, Geoffrey Bodenhausen, Jean-Claude Cauvin, ClémentChabanne, Bruno Chaudret, Marie-Françoise Courel, Simon Descargues, Marion Fontaine, Claude Frasson, Clémence Grandlarge, Michel Limousin, George Matti, Simone Mazauric, Evariste Sanchez-Palencia, Pierre Serra, Peppino Terpolilli, Françoise Varouchas • Informatique : Joris Castiglione • Conception graphique et maquette : Frédéric Coyère • Experts associés : Luc Foulquier, Gilles Cohen-Tanoudji • Édité par : l’association Paul-Langevin (6, avenue Mathurin-Moreau 75167Paris Cedex 19) • No CPPAP : 0922 G 93175 • No ISSN : 2606-5479 • Imprimeur : Public imprim (12, rue Pierre-Timbaud, BP 553, 69637 Vénissieux Cedex).

Conseil de rédaction : Président : Ivan Lavallée • Membres : Hervé Bramy, Marc Brynhole, Bruno Chaudret, Xavier Compain, Yves Dimicoli, Jean-Luc Gibelin, ValérieGoncalves, Jacky Hénin, Marie-José Kotlicki, Yann Le Pollotec, Nicolas Marchand, Anne Mesliand, Alain Obadia, Marine Roussillon, Francis Wurtz, Igor Zamichiei.

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JANVIER-FÉVRIER-MARS 2020 Progressistes

ans cette crise, la tentation est forte dejustifier par des arguments scientifiquesque l’État pourrait faire autrement et beau-

coup mieux, qu’il pourrait concilier toutes lesattentes, que grâce à des campagnes de tests massifs,grâce à des avancées de la médecine on n’auraitpas besoin de mesures aussi drastiques que le confi-nement massif et prolongé, et pour conforter cetteconviction on avance même pour preuve l’exemplede certains pays qui n’ont pas pris de telles mesures.On peut répondre ce qui se dit déjà parmi les spé-cialistes : rappeler qu’il y a une vraie difficulté scien-tifique, que sans remèdes et sans vaccin on ne voitvraiment pas comment faire autrement que deprendre les mesures que l’on sait : confinement,pratique des tests ciblés, tentatives prudentes dereprise et de déconfinement plus ou moins partielpour éviter la mort économique et sociale (deuxmois c’est long), le tout avec un virus qui réserveencore des surprises. C’est difficile à entendre, caron aimerait bien un discours « clé en main » mettanttout cela sur le dos du capitalisme. Certes, on nepeut pas nier que le système en profite, quoiquepour les actionnaires c’est surtout une baisse énormede leurs profits (mais il leur reste suffisammentpour se gaver tout de même), et ils chercheront àse refaire une santé sur le dos des salariés. C’estaussi pour eux une grande source d’inspiration,avec cette expérience grandeur nature du travail àdistance, qui ne sera pas utilisée au bénéfice dessalariés prioritairement, loin de là. Mais dire quetout vient d’eux et que toutes les mesures prisesvisent à augmenter les profits – on entend souventcette petite musique – est excessif et ne permet pasde prendre la mesure des difficultés bien réelles dela situation.L’État est face à des injonctions contradictoires. Ildéconfine? c’est trop tôt et irresponsable. Il confine?il veut tuer la vie sociale. Il a l’idée d’annuler lepremier tour des municipales? il instrumentalisela pandémie contre la démocratie. Il maintient lepremier tour ? il joue avec la vie des Français. Ilinterdit les rassemblements ? c’est liberticide etinefficace, pour preuve l’intervention policière aucanal Saint-Martin, à Paris, au début de mois demai ; il les autorise ? il ne veut pas prendre dedécisions fortes et prend le risque d’une deuxièmevague; il ferme les restos? c’est une mesure excessive ;il les rouvre ? c’est beaucoup trop tôt et met endanger les salariés. Il maintient les écoles fermées?il entérine les inégalités face à l’enseignement àdistance ; il pense à les rouvrir ? il met en dangerles enfants et dénature l’école…

Il faut avouer que, tout adversaires politiques qu’ilssont, on n’aimerait pas être à leur place en cemoment. Et on peut penser aussi que, si nous étionsaux responsabilités – un gouvernement bien degauche, entendons-nous bien –, on s’en sortiraitcertainement mieux, mais pas beaucoup mieux.Une chose est sûre : en amont, on n’aurait pas casséles hôpitaux comme ils l’ont fait depuis des années,et cela joue dans la gestion d’une crise. On seraitaussi certainement plus équipés en matériel detoute sorte, plus prévoyants aussi, quoique lorsdes premières pandémies des années 2000 nousayions joint nos voix aux moqueries et reprochesciblant la ministre de la Santé de l’époque, RoselyneBachelot, lorsqu’elle passa commande massive demasques et de vaccins : on n’y voyait que la maindes industriels, des lobbies…

On peut même penser qu’un pouvoir de gauche –débarrassé de certaines idées antivaccin et antiscience,mieux vaut le préciser – et ayant donné plus demoyens à la recherche pendant des années auraità disposition en ce moment un remède, ou en toutcas une connaissance suffisamment forte de lafamille des coronavirus pour avancer plus vite.Mais là aussi, prenons le cas de la Chine, qui metpourtant des moyens massifs dans ce domaine,ayant été échaudée par le passé : elle n’est pas plusavancée. Preuve qu’en science, la volonté ne suffitpas, on n’obtient pas des résultats sur commande,même avec un financement important (cela dit,si on ne finance pas, c’est beaucoup plus simple :on est vraiment sûr de ne rien trouver).

On s’en sortirait certainement mieux, mais on seheurterait globalement aux mêmes problèmes – virus nouveau, pas de remède immédiat, fonc-tionnement d’une société moderne qui n’est plusdu tout habituée à ce genre de pandémie – et on seprendrait certainement les mêmes critiques, incom-préhensions et attentes contradictoires des gens…On peut ajouter que s’opposer à un gouvernementen temps de crise inédite, avec un danger majeuret imminent, c’est tout un art. Il faut soigner lacritique, ne pas tomber dans la caricature et savoirrelever les bonnes décisions, celles qu’on auraitnous-mêmes prises si nous étions aux responsabilités,celles qui pourraient être améliorées, tout en n’aban-donnant pas la critique de fond, en dénonçant lesinsuffisances de financement de la recherche, enrelevant l’importance des services publics, de l’outilindustriel… et de la nécessité de dépasser le capitalismepour affronter les grands défis de ce siècle.n

AMAR BELLALRÉDACTEUR EN CHEF DE PROGRESSISTES

De l’art de s’opposer en temps de crise et de danger majeurD

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COMMANDEZ LES ANCIENS NUMÉROS DE PROGRESSISTES

No 24 L’INDUSTRIE DU FUTURUn dossier sur les évolutions en cours età venir de l’outil industriel : la cyber-révolutioncomme moteur ; les liens entre services etindustrie ; la relation du capital à l’automa-tisation ; la cobotique et ses perspectives.Aymeric Seassau montre l’importance dela démocratie comme levier pour penserl’industrie. Après la rubrique « Sciences »(virus, vaccins, épistémologie), un passagepar les SCOP, le projet de scission d’EDF,une échappée dans le delta du Mékong.L’éditorial d’Amar Bellal appelant le mondescientifique à s’engager.

No 23 INTELLIGENCE ARTIFICIELLEProgressistes décortique les enjeux de l’in-telligence artificielle. Si les ordinateurs peuventaujourd’hui réaliser de plus en plus de tâchescomplexes jusqu’ici réservées au cerveauhumain, la cyber-révolution numérique révèleson potentiel, qui peut s’avérer aliénant ouémancipateur. À lire aussi, une réflexionmarxiste sur la gestion des entreprises parTibor Sarcey, les enjeux actuels de l’industriespatiale et de la recherche technique en courspar l’ingénieur Umut Guven, ainsi qu’unecontribution sur les liens entre paysages etluttes des classes.

No 25 MIX ÉLECTRIQUEDe l’article d’Yves Bréchet dénonçant la findu programme ASTRID par le gouvernementet l’intervention d’André Chassaigne, quisaisit le Parlement à ce sujet, aux propositionpour le secteur, le dossier aborde sans uto-pisme la problématique du mix électriquefrançais. Rejetant le scénario irréaliste d’un100 % EnR, il souligne l’importance d’unservice public de l’énergie appuyé sur unevision industrielle nationale. Dans les autresrubriques : papillomavirus, démocratie autravail, inégalités hommes/femmes, évaluationdes risques des produits phytosanitaires…

No 26 TERRITOIRES ET ÉCOLOGIEUn dossier sur les réalisations au niveaulocal de politiques écologiques et progressistes.Transport, géothermie, eau, alimentation,rénovation énergétique… des articles quidonnent à voir l’action de nombreuses muni-cipalités communistes. Également, un articlequi démonte les contre-vérités les plusrépandues déniant la réalité du réchauffementclimatique et son origine anthropique, duclimatologue Jean Poitou. On y trouveraaussi une traduction inédite d’une tribuned’Albert Einstein sur le socialisme.

No 22 LES FORMES DE L’EAUDu delta du Mékong au robinet, en passantpar la tempête Xynthia, c’est de la gestiondu bien commun, l’eau et des défis qui ysont associés qu’il s’agit. On trouvera dansles autres rubriques une alerte rouge sur lenucléaire civil, un retour sur la machine deTuring, une réflexion sur la santé au travailet AZF dix-sept ans après ainsi qu’uneanalyse du programme Négawatt et seshypothèses. Et bien sûr la rubrique «Livres»et un portrait de France Bloch-Sérazin, pourles sciences et techniques au féminin.

No 21 CHINE, PRÉSENT ET FUTURSCe dossier soumet à la réflexion les évolutionsrécentes des forces productives chinoisespour comprendre la voie spécifique surlaquelle s’est engagé le géant asiatique. Retrouvez aussi les autres rubriques avec,entre autres, un entretien avec l’astro -physicien Roland Lehoucq, un texte surla cobotique, la robotique collaborative etune contribution traitant des spéculationssur les denrées alimentaires par GérardLe Puill.

N° 20 LE NUCLÉAIREÀ L’INTERNATIONALUn dossier qui dresse un panorama dunucléaire civil dans le monde, des avancéesde la recherche et des coopérations inter-nationales existantes. On trouvera aussi un appel à distinguer le vrai du faux dansles médias par Sylvestre Huet. Retrouvezaussi les autres rubriques avec, entre autres,un entretien avec Jacques Treiner sur l’intérêtde mettre la science à la portée de tous,un texte sur la sécurité au travail et unecontribution sur l’eau Cristaline.

N° 19 BITCOIN, BLOCKCHAIN, TRADINGHAUTE FRÉQUENCE OUVA LA FINANCE?Un dossier inédit sur la finance et les tech-nologies numériques. Avec une contributionnotable de Nicole El Karoui, spécialiste enmathématiques financières. Retrouvezaussi les autres rubriques avec entre autresun texte sur la fameuse équation E=mc2,l’aménagement du territoire et le travail àdomicile. Enfin, nous rappelons l’engagementde Martha Desmureaux, ouvrière, avecune pétition demandant son entrée auPanthéon.

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COVID-19APRÈS LE CHOC

COMMENT FAIRE FACE?

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LÉGALISATION DE L’EXCEPTIONNELLors de chaque sortie de crise,les zélateurs du système néolibéralcherchent à transformer les déci-sions exceptionnelles ou tem-poraires en mesures ordinaireset permanentes. L’attentat du11 septembre 2001 ainsi que ceuxde ces dernières années leur ontservi à généraliser les aspectsantiterroristes de leur politique,à militariser la police, à réduireles libertés individuelles et à répri-mer des manifestations hostiles.La crise financière et économiquede 2008 leur a servi à pousserplus avant la domination de lafinance et le financement par lespeuples et les collectivitéspubliques du développementdes marchés financiers et de l’en-richissement de ce 1 % de l’hu-manité constitué par les classesdominantes aujourd’hui.

La pandémie de covid-19 est undrame planétaire. En Occident,des systèmes de santé perfor-mants ont été détruits pour fairela part belle à la gestion privée,d’où une situation d’imprépa-ration gigantesque à une pan-démie largement annoncée. Lespropos de Bill Gates lors de saconférence Ted en 2015 sur lesrisques majeurs de pandémieet sur le niveau d’impréparationpour y faire face sont rétrospec-tivement vertigineux par leurprécision.

Contrairement aux chocs etcrises précédentes, cette crisesanitaire et économique arriveà un moment où les contesta-tions et les alertes se sont mul-tipliées sur la planète. Sur tousles continents, des populations,souvent les plus jeunes, rejettentles inégalités, l’autoritarisme etla corruption. Du Chili au Liban,de l’Algérie aux États-Unis, del’Australie à la France…, partoutle néolibéralisme est acculé surles questions sociales et éco -logiques, climatiques, fémini -stes, démocratiques…Les cultures, les situations envi-ronnementales, les rapports deforce politiques, économiqueset sociaux, partout différents,vont peser lourd dans la suite.

ÉTATISME AUTORITAIRE DE MARCHÉLa spécificité de la France tientau fait que, contrairement à laplupart des pays, les luttes ontdépassé la société civile et ontmobilisé le monde du travail.Depuis 2016, les différentes com-posantes du mouvement socialse relaient, se conjuguent sur leterrain et sur le Net. Loi El Khomri(en fait déjà une loi Macron),deuxième loi « travail », mouve-ment des cheminots en 2018suivi du mouvement des Giletsjaunes puis du mouvement syn-dical sur les retraites… Ces mobi-lisations peuvent être considéréescomme des éléments d’un pro-cessus révolutionnaire.

La présidence d’EmmanuelMacron incarne parfaitementl’étatisme autoritaire de marché,forme de pouvoir découlant dunéolibéralisme qui ne fait pluscas de la démocratie ni de l’Étatde droit. Parlement, corps inter-médiaires, justice n’ont plusdroit de cité ; une bonne illus-tration en est aussi la réformeterritoriale actuelle et le rôle despréfets. Les forces de l’ordre –armée, police – et la communi-cation sont les seuls outils dupouvoir central tout entier auservice de la classe dominante.L’exemple des États-Unis estencore plus frappant : peuimporte la vérité des faits et desactes de Trump, seul prévaut lerapport de force politique quisert ceux qui pilotent les marchésfinanciers.

SOCIÉTÉ CIVILE ET MONDE DU TRAVAILLe mouvement social en Francea montré des atouts et certaineslimites encore à lever. Le mou-vement des Gilets jaunes s’estcertes soldé par des primes etdes aides fiscales, mais parmanque de conscience politiquesur la réalité du néolibéralismen’a pas transformé fondamen-talement le système salarial etsocial. Cela dit, la nouveautédes formes d’action et de viedémocratique, l’utilisation dunumérique, le renouvellementpermanent des porte-parole,l’ancrage territorial… ont émergé

Contrairement aux chocs et crises précédentes, cette crise sanitaire et éco-nomique arrive à un moment où lescontestations et les alertes se sont multi-pliées sur la planète.

Les mesures de sauve-qui-peut que le gouvernement est obligé de prendredans la lutte contre la pandémie démen-tent son propre discours refusant de consi-dérer la santé comme un bien public.

Retourner la stratégie du choc contre le capital

INTRODUCTION

Le XXIe siècle connaît une crise planétaire majeure avec la pandémie de covid-19. Adepte de la stratégie duchoc, le néolibéralisme utilise chaque crise pour tenter d’élargir son champ d’exploitation et de domination.

PAR Jean-François Bolzinger*

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nières sous l’entier contrôle dupatronat. L’intérêt général lesconcerne pourtant totalement.Le développement de l’inter-vention dans le secteur privés’avère décisif.

S’ATTAQUER AU MODE DE GESTION NÉOLIBÉRALLe Wall Street management estle support de fonctionnementdes entreprises porté par le néo-libéralisme. Issu de la logiqueprivée, il s’est diffusé ensuitedans le secteur public et la gestion de toute la société.Cherchant à tayloriser la partintellectuelle du travail, il s’ap-puie sur la fixation d’objectifsindividuels quantitatifs et decourt terme liés au seul résultatfinancier, faisant fi du profes-sionnalisme, du travail bien fait.Ce Wall Street managementenglobe les organisations dutravail à flux tendu, les stockszéro, la sous-traitance en cas-cade, le remplacement de laprévention des risques par lagestion des risques au nom de

l’optimisation financière. Il estl’outil de la politique de baisseforcenée du « prix » du travail.Ce mode d’organisation desentreprises et de la sociétéconduit à des drames humainsconsidérables : suicides au tra-vail, accidents graves tel celuid’AZF, désastres écologiques,gâchis économiques.Ayant développé ce mode degestion dans toutes les sphères

de la société, et notammentdans le secteur de la santé, lenéolibéralisme est rattrapé parla pandémie actuelle qui dévoileson caractère nocif de la manièrela plus dramatique. En quelquesannées, le néolibéralisme a misà mal les systèmes de santé denombreux pays. En France, ila détruit 100000 lits d’hôpitalen vingt ans, orchestré lemanque de moyens humains

et matériels (masques, tests,respirateurs…), provoqué l’arrêtdes recherches sur les vaccins,cassé les chaînes de productionde médicaments, amenant uneperte de souveraineté criante.La désindustrialisation du paysse paye ici au prix fort.Les mesures de sauve-qui-peutque le gouvernement est obligéde prendre dans la lutte contrela pandémie démentent sonpropre discours refusant deconsidérer la santé comme unbien public. Chacun, selon lui,est détenteur d’un capital santédont il est le seul responsable.Cette idéologie, qui fonde ledémantèlement programmé dela Sécurité sociale, montre icison inanité.

LE NÉOLIBÉRALISMERATTRAPÉ PAR LA PANDÉMIELa puissance des mouvementssociaux qui ont précédé l’épi-démie en France – notamment,dans la dernière année, le mou-vement sur les retraites pourune protection sociale solidaireainsi que le gigantesque mou-

vement dans le secteur de lasanté – fait que le confinementn’a pas arrêté le processus decontestation, de recherche desolidarité et d’alternative.La défiance envers le pouvoiret les principaux médias et leurdiscrédit se sont accentués. Desinitiatives de solidarité et de fra-ternité se sont développées dansle combat même contre la pan-démie. L’utilisation du numé-

rique à d’autres fins que lalogique marchande a marquédes points. Les informationssyndicales sur les droits et laprotection des travailleurs ontempli les réseaux sociaux. Lesinnovations de plates-formeset logiciels numériques coopé-ratifs ont explosé.Du lien social se crée en pleinconfinement. Les échanges trans-versaux permis par le numériqueexplosent. Les réflexions et pro-positions pour « l’après » se mul-tiplient. L’expérience du télé-travail, heureuse découvertepour les uns et enfer pour lesautres, bouleverse la manièrede travailler pour beaucoup.La mobilisation pour les soi-gnants a battu son plein. Lesactes d’entraide se sont mul-tipliés, augurant d’autresvaleurs que celle de l’incurienéolibérale.L’appel puis la pétition d’orga-nisations syndicales et sociétalescomme la CGT, la FSU,Solidaires, Oxfam, ATTAC…, sepositionnant « pour que le jourd’après soit en rupture avec le

des profondeurs du pays autourd’un contenu d’exigence dehausse du pouvoir d’achat, delutte contre la désertificationrurale, de nécessité de servicepublic de proximité, de refusdes inégalités, d’un désir demieux vivre et d’être respecté.Les mouvements syndicauxdans la santé, chez les cheminotset pour les retraites ont été sou-tenus par les deux tiers de lapopulation. Là encore la déter-mination et l’innovation dansles formes d’action et la batailled’idées ont marqué les esprits :nouveauté des formes de grève,progrès dans l’appréhensiondu numérique pour impliquerl’opinion publique, recherched’initiatives efficaces et sym-boliques de la réalité de travail(dépôt de blouses blanches chezles soignants, de codes du travailchez les inspecteurs du travail,de robes d’avocats, démissionsadministratives de centaines demédecins hospitaliers…).Un obstacle à lever est la mobi-lisation dans le secteur privéau-delà des cercles syndiqués.Au chantage à l’emploi s’ajoutela question de l’impact de lagrève, c’est-à-dire du non-travail,pour une majorité de salariésfonctionnant aux objectifs plusqu’au temps décompté. Le carac-tère de masse nécessaire pour

des luttes efficaces suppose unniveau de bataille d’idées beau-coup plus élevé. Cela renvoie àl’absence actuelle de débat, d’in-tervention, d’activité politiquedans le travail et l’entreprise.La politique ne peut être réduiteà la gestion du secteur public(20 % de la population active)et à un discours macro-écono-mique extérieur sur les entre-prises privées, laissant ces der-

La présidence d’Emmanuel Macron in-carne parfaitement l’étatisme autoritairede marché, forme de pouvoir découlantdu néolibéralisme qui ne fait plus cas dela démocratie ni de l’État de droit.

Des initiatives de solidarité et de fra-ternité se sont développées dans le com-bat même contre la pandémie. L’utilisation du numérique à d’autres finsque la logique marchande a marquédes points.

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désordre néolibéral », marqueune volonté unitaire de ne paslaisser les tenants du néolibé-ralisme imprimer leurs réponseséconomiques et financièrescomme sortie de crise.Dans l’urgence de trouver dessolutions au drame de la pan-démie se jouent, pendant leconfinement même, des bataillesimportantes pour la suite : finan-cement de l’hôpital par appelau don ou par des fonds publics?limitation du travail aux activitésessentielles ou pas? priorité àla protection des travailleurs ouà l’économie?…

RETOUR DU LIEN SOCIALLe retour de l’humain estaujourd’hui manifeste, lesdémarches citoyennes articuléesautour du « produire et consom-mer autrement », de la défensedu service public, des problé-matiques environnementales etsociales trouvent dans la criseencore plus de consistance avecla convivialité et les initiativesde proximité qui se développent.Le manque d’alternative politiqueapparaît au grand jour. Rien neserait pire que d’en rester à desdénonciations ou stigmatisationsde quelques dirigeants ou à desappels incantatoires, à des vœuxpieux de changement. Il n’y aaucune automaticité au chan-gement de société, quelle quesoit la violence de la crise. Seulel’action humaine est décisive.C’est elle qui fait l’histoire.La façon dont le pouvoir gèrela crise sanitaire tient comptede deux aspects :– gestion au mieux de la casseconsécutive à la non-préparationà une telle pandémie, sa difficultéétant que son arme favorite qu’estla communication se heurte auréel de la crise sanitaire;

– anticipation de la crise éco-nomique à venir en program-mant un déchaînement ultra-libéral et une surexploitationforcenée appuyée sur le chan -tage à l’emploi et à la fermeture d’entreprises.C’est parce que le pouvoir estconscient du potentiel de contes-tation et de changement existantqu’il accentue, dans la gestionde la crise, les marqueurs libérauxde sa politique : état de guerre,restriction des libertés et desdroits, lancement d’une étudepar la Caisse des dépôts et consi-gnation sur la privatisation dusystème de santé, mise en cause

des RTT et des congés payés…Dans la sortie de la crise sanitaire,les rapports de force développésavant et pendant la crise sontles meilleurs atouts pour forcerà tirer les enseignements engagnant des débats et interven-tions publiques visant à laréorientation des choix struc-turants du pays. Le sentimentque « ça ne peut plus durercomme ça » et qu’il faut modifiernotre rapport au monde est lar-gement répandu.Une lucidité collective s’estconstruite sur l’importance dusystème de santé et de l’hôpitalpublic; elle est montée sur l’enjeudu service public en général.Les carences de matériel ou de

médicaments liés aux déloca-lisations on fait apparaître augrand jour l’enjeu de souverai-neté en matière de productionindustrielle. L’idée d’un inves-tissement conséquent dans larecherche et d’une industrieécologique dont le pays ait lamaîtrise fait son chemin.Des axes de conquête sont aussià promouvoir, notamment entermes de droits démocratiques.

Le droit d’alerte sans sanction,garanti collectivement, est unedonnée importante pour la suite.L’exercice de ce droit s’avère pré-cieux pendant la pandémie pourla protection des travailleurs.

LA GUERRE SOCIALE ET ÉCOLOGIQUE EST DEVANT NOUSRetourner la stratégie du choccontre le capital est possibledans la mesure où le rapportdes forces social et sociétalpoursuit son développementen lui disputant la sortie decrise. Cela se joue à partir duterrain, dans la vie civile commedans la vie de travail, avec laconstruction de perspectivespour notre pays, pour l’Europeet pour la planète.Il est paradoxal que l’Unioneuropéenne, justifiée au départcomme le moyen d’éviter laguerre, montre aujourd’hui seslimites face à la mort. Le néo-libéralisme l’a éloignée del’Europe de nations solidairesqu’attendent les peuples.

Chacun sait que d’autres crisessont devant nous. La dérégle-mentation climatique est lourdede dangers; ainsi, par exemple,le dégel du permafrost qui peutlibérer des virus aujourd’huiinconnus.Comme les syndicats et associa-tions, le monde politique estattendu sur ses actes unitaires etde transformation pour nour rirune mobilisation, un réveil citoyenet du monde du travail d’ampleurdès la sortie du confinement. Endéveloppant une plate-formenumérique d’échanges sur« sciences, travail, envi ron nement »,complémentaire à sa productionpapier, la revue Progressistesentendapporter sa contribution au déve-loppement d’une telle dynamique.Le défi écologique oblige à seposer différemment les ques-tions, le féminisme également,mais nul changement profondne s’opérera sans que le moded’exploitation et de dominationne soit extirpé à sa racine, dèsl’acte de travail.Impossibles encore hier, deséchanges et rassemblementsdes salariés sur et au plus prèsdu lieu de travail, autour desenjeux politiques liés à leur travailet à leurs entreprises sont dé -sormais possibles. La sortie duconfinement est une invitationà ce que les salariés reprennentla main sur leur travail et leuroutil de travail, sur les orientationsstratégiques de leurs entrepriseset administrations, en liaisonavec les usagers, les consom-mateurs et les populations.Au-delà des initiatives nationaleset locales de la société civile,cette politisation des enjeux dutravail est sans doute une clépour enclencher des dyna-miques unitaires solides derenouveau d’une gauche trans-formatrice de la société. n

*JEAN-FRANÇOIS BOLZINGER est directeur de Progressistes.

Le manque d’alternative politique apparaît au grand jour. Rien ne serait pireque d’en rester à des dénonciations ou stigmatisations de quelques dirigeantsou à des appels incantatoires.

La sortie du confinement est une invi-tation à ce que les salariés reprennent lamain sur leur travail et leur outil de travail,sur les orientations stratégiques de leursentreprises et administrations, en liaisonavec les usagers, les consommateurs etles populations.

Il est paradoxal que l’Union euro-péenne, justifiée au départ comme lemoyen d’éviter la guerre, montre au-jourd’hui ses limites face à la mort.

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a disparition des mala-dies du millénaire pré-cédent – variole et peste

notamment, le recul d’affectionstelles que la diphtérie, la polio-myélite, la lèpre, le choléra(encore endémique en Haïti ;épidémique actuellement dansla région du Littoral, au

Cameroun) – a pu donner unefausse impression de sécurité.D’autres, hélas, connaissent unregain du fait de l’insuffisanteefficacité des politiques vaccinale,c’est le cas de l’hépatite B et dela rougeole.Parallèlement apparaissent régu-lièrement de nouvelles affections,

dites « maladies émergentes,dues à différents phénomènes :mutation virale, diffusion conti-nentale ou planétaire d’infectionsgéographiquement localisées(c’est grosso modo le modèle du VIH). Par ailleurs, le réchauf-fement climatique laisse crain-dre, à tort ou à raison, la réémer-gence de virus congelés dans le permafrost.La menace d’épidémies de mala-dies respiratoires reste très pré-sente, essentiellement du faitdes grandes concentrationsurbaines et de la proximité deshumains avec les espèces ani-males qui sont souvent des réser-voirs de virus. On ne s’étonneradonc pas de voir naître la plupartdes épidémies en Asie du Sudou du Sud-Est, régions à trèsforte concentration humaineet de très grande promiscuitéhumains/animaux.La question du bioterrorismeou des accidents d’originehumaine agite régulièrementles esprits depuis le début duXXIe siècle, sans que l’on puisseen dire beaucoup plus.

Historiquement, l’infection res-piratoire la plus meurtrière del’histoire de l’humanité demeurela tuberculose, dont le réservoirest exclusivement humain.Certes en régression, elle

demeure toutefois bien présentedans de nombreuses régionsdu monde et a même connu unregain, lié à la pandémie du VIH,au cours des quarante dernièresannées. Un traitement médicalde plusieurs mois d’antibiotiquescombinés reste indispensablepour en assurer la guérison.

LE XXe SIÈCLE ET LE DÉBUT DU XXIeCes deux derniers siècles ontété marqués par des épidémiesde virus grippaux. La contagiositéde ces souches virales est mas-sive. Rappelons les principalesvagues :– grippe « espagnole » [virusA(H1N1)] en 1918-1919, dansun monde qui venait de connaî-tre les désastres de la PremièreGuerre mondiale ; les diversesévaluations rapportent de 50 à100 millions de morts ;– grippe « asiatique » [virusA(H2N2)] en 1957, déjà née enChine par probable mutationd’une souche virale du canardsauvage ; 2 millions de victimesselon l’OMS ;

– grippe « de Hong-Kong » [virusA(H3N2)] en 1968 ; autour d’unmillion de victimes ;– grippe aviaire de 2004 à 2007,en réalité deux épidémies voi-sines (H5N1 et H7N7) atteignant

Historiquement, l’infection respiratoirela plus meurtrière de l’histoire de l’huma-nité demeure la tuberculose, dont le réservoir est exclusivement humain.

Les virus grippaux traditionnels circu-lent dans le monde entier en saison froideet connaissent des réaménagements génétiques qui nécessitent une adapta-tion annuelle des formules vaccinales.

L’irruption du SRAS-CoV-2 en France : une situation inéditeNous n’en avons pas fini avec les maladies infectieuses malgré les découvertes décisives des deux sièclesprécédents – vaccins et antibiotiques –, auxquelles il faut ajouter les progrès de l’hygiène. Aujourd’hui, leSRAS-Cov-2, un temps dénommé 2019-nCoV, représente un défi pour l’humanité… et une exigence de soutienaux hôpitaux publics.

PAR Jean-Jacques Pik* L

Les chauves-souris constituent le réservoir naturel du virus responsabledu SRAS (syndrome respiratoire aigu sévère), qui s’est répandu à traversle monde en 2003.

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s

du réseau Sentinelles montrentque les épidémies durent enmoyenne 9 semaines ; soit, enFrance, 4 à 16 semaines dansles cas extrêmes.

LA FAMILLE DES CORONAVIRUSDepuis 2003, l’attention s’estportée sur une autre famillevirale, celle des coronavirus(nom donné du fait de l’aspect« en couronne » de leur virionobservé au microscope électro-nique), connue pour donnerdes infections bénignes des voiesrespiratoires supérieures chezl’homme et diverses affectionsanimales. Les coronavirus sontde taille supérieure à celle desvirus de la grippe et se trans-mettent par des gouttelettesprojetées lorsqu’on tousse, éter-nue ou parle, ou encore parcontact avec des objets ayantreçu lesdites gouttelettes. Cesont des virus à ARN qui connais-sent des variations saisonnières,ils circulent surtout en saisonfroide, mutent peu. Ils induisent

une immunité locale au niveaudes muqueuses respiratoires decourte durée.Un foyer chinois d’une infectionrespiratoire beaucoup plussévère, appelée « syndrome res-piratoire aigu sévère » (SRAS),est apparu en 2002 ; le SRASs’est répandu à travers le mondeen 2003, puis a disparu. Sontaux de létalité était élevée :15 %, voire 50 % après 65 cas.Au total, l’OMS a signalé plusde 8000 cas et un peu moinsde 800 décès. Les chauves-sourisconstituent le réservoir natureldu virus responsable, et l’inter-médiaire avec l’espèce humaines’est révélé être la civette palmiste, animal sauvageconsommé dans le sud de laChine. La diffusion mondialea suivi les migrations aéropor-tuaires. À l’époque, les autoritéschinoises avaient été critiquéespour leur absence de commu-nication de données scienti-fiques et épidémio logiques ; cemanque de transparence a étéconsidéré comme dommagea-ble pour contrer la diffusionmondiale de l’épidémie.

En 2012, détection d’un nouvelleflambée virale par un nouveauvariant des coronavirus, qui futbaptisé MERS-CoV (pour MiddleEast Respiratory Syndrom), carac-térisée par la fréquence dessymptômes digestifs associés àla défaillance respiratoire entraî-nant une létalité élevée (35 %selon l’OMS). Le virus est éga-lement dans ce cas d’origineanimale, chauve-souris à nou-veau, l’hôte intermédiaire iden-tifié fut le dromadaire : 80 % descas en Arabie saoudite. La trans-mission interhumaine semblepossible mais faible, et les infec-

tions asymptomatiques nom-breuses. Si l’épidémie semblese poursuivre à bas bruit, l’ex-plosion épidémique redoutéedu fait des grandes concentra-tions humaines liées au pèleri-nage de La Mecque ne s’est heu-reusement pas produite.

LE SRAS-CoV-2L’affaire est connue de tous car,à la différence de 2003, les auto-rités chinoises ont très vite com-muniqué autour de l’émergencede cette nouvelle flambée épi-démique, avec une alerte àl’OMS dès le 31 décembre 2019alors que les cas princeps neremontaient qu’à trois semainesauparavant, à savoir des casgroupés de pneumonie viralechez des personnes ayant fré-quenté le marché aux produitsde la mer de Wuhan (Chine cen-trale), ville de 11 millions d’ha-bitants, au centre d’un importantréseau de communicationsmulti modales et dont les liensimportants avec la France ontété relevés par les commenta-teurs pour des raisons indus-trielles, commerciales et uni-

versitaires. L’OMS a très vitecommuniqué par le biais deconférences de presse, l’équipemédicale chinoise a très viteémis sa publication princeps(Chaolin Huang et al., « Clinicalfeatures of patients infectedwith 2019 novel coronavirus inWuhan, China », The Lancet,2020) dans le numéro en lignedu 24 janvier 2020 du Lancet,comportant étude clinique despremiers cas et séquençage dugénome viral en PCR. L’origine,une fois de plus animale, n’apas encore été complètementidentifiée.

les oiseaux sauvages. La trans-mission à l’être humain est restéetrès limitée ; quelques centainesde victimes tout de même ;– grippe pandémique de 2009par réassortiment de la soucheA(H1N1). La source porcinemexicaine, considérée commela plus probable, n’a jamais ététotalement confirmée ; mortalitéen France (probablement sous-estimée par biais de sous-décla-ration), 350 personnes (Bulletinépidémiologique hebdomadaire,no 1, 2011). Campagnes de vac-cination massive en France selonles recommandations de l’OMS;atteinte plus spécifique des sujetsjeunes (du fait d’une moindreimmunité acquise contre lessouches antérieures de H1N1).En dehors de ces vagues liées àl’émergence de nouvellessouches virales, les virus grippauxtraditionnels circulent dans lemonde entier en saison froideet connaissent des réaménage-ments génétiques qui nécessitentune adaptation annuelle desformules vaccinales. Les données

Les chauves-souris constituent le ré-servoir naturel du virus responsable, etl’intermédiaire avec l’espèce humaines’est révélé être la civette palmiste, ani-mal sauvage consommé dans le sud dela Chine.

Les coronavirus sont de taille supé-rieure à celle des virus de la grippe et setransmettent par des gouttelettes proje-tées lorsqu’on tousse, éternue ou parle, ouencore par contact avec des objets.

C’est leur couronne de protéines, observable en microscopieélectronique, qui a vallu leur nom au coronavirus (CoV), une vastefamille de virus, dont certains infectent différents animaux, entre autres l’homme.

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Des arguments solides tendentà orienter vers le rôle d’hôteintermédiaire le pangolin, unmammifère recherché pour sachair et ses écailles. L’hypothèsed’un virus ayant été cultivé dansle laboratoire de biologie dehaute sécurité de la ville deWuhan, classé P4 (sécurité maxi-male), a été avancée par descommentateurs recherchant lesensationnalisme. Absolumentrien de sérieux ne vient étayercette thèse.

LA SITUATION EN FRANCED’importantes disparités natio-nales sont apparues dès février2020 dans les diverses régionsdu monde, également au seinde l’Europe. L’épidémie semblaitalors sur le déclin dans les paysoù elle avait débuté, la Chine,la Corée de Sud, Singapour, lesPhilippines. En revanche, elles’accentuait en Europe, dansles Amériques et apparaissait

sur le continent africain. EnEurope même, les chiffres abso-lus et les taux de mortalité sem-blent très variables, de la tragédieitalienne à l’autre extrémitéconstituée par l’Allemagne, quiconnaît un nombre de décèscertes croissant mais beaucoupplus faible qu’ailleurs. S’agit-il

là d’un marqueur de la qualitéde l’accès aux soins ? de l’étatdu dispositif sanitaire ? ou biend’une différence d’approche ducontrôle de l’épidémie ? De nom-breuses explications péremp-toires circulent, il semble bienprématuré de pouvoir conclure.Des schémas différents ont étémis en avant : priorité au portdu masque et au pistage numé-rique en Corée du Sud, paysdéjà sensibilisé par l’épidémieSRAS, priorité aux tests enAllemagne. En France, les pré-conisations se sont adaptées aumanque de masques et de tests.Le gouvernement français afinalement pris le 17 mars 2020l’initiative du confinement com-plet de la population afin deralentir la circulation virale ainsique des mesures d’accompa-gnement du ralentissement éco-nomique, celui-ci étant vu defaçon différente par les travail-leurs et des syndicats, d’une

part, et le patronat, d’autre part.On précisera que, une fois deplus, tout est dans tout (et réci-proquement). Les politiquesdes gouvernements successifsde ces deux dernières décenniesont conduit à la fragilisation deshôpitaux publics – la fermeturede lits de réanimation et de

médecine se paie aujourd’hui ;la faible disponibilité des réactifset des masques de toutes sortesdécoule de choix stratégiquesdes années passées. Dès lors,les mesures prises sont obligéesde prendre en compte la réalitédu moment, et les responsabilitésdu pouvoir sont énormes dansla gestion de cette crise.La situation dans les hôpitauxest devenue de plus en plus cri-tique, l’activité a dépassé le seuil

de saturation, et a continué decroître alors même que presquetoutes les autres activités médico-chirurgicales étaient à l’arrêt etque les structures privées à butnon lucratif ont pris des patientsen transfert de l’hôpital. C’estdans les services de réanimationque les choses sont les plus dif-ficiles car toutes les unités sontsaturées, et les transferts versdes unités de soins éloignées etle tri des patients « réanima-toires » sont une réalité perma-nente, très mal vécue par leséquipes. De plus, derrière levocable de « lits de réanimation »se cachent de grandes disparitésentre d’authentiques servicesde réanimation lourde avec dupersonnel rompu à la disciplineet des unités montées à la hâtedans des salles de réveil de blocsopératoires avec des respirateursde transfert et du personneldévoué mais formé à la dernière

minute. Là encore, la compa-raison avec l’Allemagne estcruelle.La prise en charge des patientsles plus fragiles sur le planmédico-social – migrants, SDF,personnes résidant dans lesstructures médico-sociales oupsychiatriques, EHPAD – s’estvite révélée défaillante par insuf-fisance de moyens matériels, etles mesures prises par les auto-rités ne se sont pas montrées àla hauteur des enjeux, laissantles soignants et les intervenantsmédico-sociaux totalementdémunis.Dans les établissements médico-sociaux, EHPAD, foyers, la situa-tion a été pire : masques de pro-tection la plupart du tempsabsents alors que le virus estprésent et que les personnelsfont un effort désespéré pourcontinuer à travailler afin queles patients confinés et isolés

de leurs proches ne se sententpas seuls. Les dégâts psycho -logiques liés aux situations d’iso-lement s’ajoutent aux dégâtsphysiques, les patients desEHPAD n’étant pratiquementjamais hospitalisés.La pénurie de masques est cer-tainement le point le plus sen-sible de tous. De nombreux soi-gnants, médecins, infirmièresont été contaminés lors despremières phases de l’épidémiefin février-début mars, quandla disponibilité des masquesétait très faible. À l’heureactuelle, le stock reste tendu,il faut faire la journée dans uneunité covid avec au mieux deuxmasques FFP2, parfois un seul,parfois seulement un masquechirurgical.La mise à disposition d’un plusgrand contingent de masquesannoncée début mai 2020 estattendue avec impatience et

s

Les chauves-souris constituent le ré-servoir naturel du virus responsable, etl’intermédiaire avec l’espèce humaines’est révélé être la civette palmiste, ani-mal sauvage consommé dans le sud dela Chine.

Des arguments solides tendent àorienter vers le rôle d’hôte intermédiairele pangolin, un mammifère recherchépour sa chair et ses écailles..

Lors d’un éternuement, un nuage de gouttelettes est progeté avec force. Ces particules salivaires pouvant aller à 50 km/h peuvent atteindre plusieurs mètres.

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une certaine méfiance désabuséedu fait de la gestion plusqu’opaque de l’approvisionne-ment des dernières semaines.

LA TRANSMISSION DU VIRUS SARS-CoV-2Le modèle des gouttelettes aété retenu dès le début de lapandémie. Ces gouttelettes dediamètre inférieur à 5 µm sontprojetées dans un rayon de 1 mpar le porteur – éventuellementun peu plus dans certainesconditions (sport) – lorsqu’ilparle (postillons), tousse ouéternue ; si dans ces dernierscas il le fait dans ses mains, sesprojections peuvent déposer levirus sur leur surface. On admetqu’une personne porteuse duvirus va infecter en moyenne 2à 3 personnes (ce que l’onappelle le R0). Il existe proba-blement des personnes hyper-infectantes du fait de leur touxexpectorative.Dans l’état actuel des choses,rien ne vient étayer la thèse dela présence de virus dans lesmicrogouttelettes de plus petitcalibre, sauf si le patient bénéficied’un mode de ventilation « aéro-solisant » ses gaz expirés, ce quipeut être le cas à l’hôpital danscertaines circonstances. L’idéeretenue est celle que les micro-gouttelettes ne contiennent pasassez de virus pour s’avérerinfectantes.Quant à la rémanence du virussur les surfaces inertes, il estétabli qu’il est parfaitementdétruit par les désinfectantshabituels. Les médias ont lar-gement relayé la présence departicules virales dans le paque-bot de croisière DiamondPrincess dix-sept jours aprèsl’embarquement des passagers.Il faut rappeler que les virus nesont pas des substances vivantesau sens des bactéries ou des

protozoaires et que la présencede matériel viral ne signifie pasqu’il soit encore réplicatif etinfectant. Il semble certain quela survie « active » du virus soitdépendante des conditions : ilsemble moins réplicatif avec lachaleur, les climats humides(nos collègues guyanais espèrentbeaucoup de ces conditionspour limiter la diffusion viraledans leur région), probablementplus stable sur les surfaces inertes(plastiques, métaux). Le lavagedes mains et la désinfectionrégulière des surfaces restentles meilleures barrières possibles.Les préconisations du ministèrede la Santé pour la vie domes-tique avec une personne por-teuse comportent néanmoinsdes précautions renforcées vis-à-vis du linge de maison et dela vaisselle.La période de transmission faitencore l’objet de débats scien-tifiques. L’incubation de l’affec-tion chez les sujets qui déve-lopperont des symptômes estévaluée entre 5 et 14 jours. Ilssont potentiellement transmet-teurs quelques heures avantl’apparition des symptômes etle resteront entre 7 et 14 jours,avec de grandes variations inter-individuelles. La transmissionà partir de personnes totalementasymptomatiques reste encoreune question non complètement

élucidée. Elle est probablementtrès limitée, mais non nulle, enfonction de l’intensité descontacts interpersonnels et durespect des mesures barrières.Deux études d’épidémiologiedescriptive ont fait avancer laconnaissance, car elles sontindiscutables. D’une part, l’étudedes passagers du DiamondPrincess, isolé en quarantaineau large de Yokohama en février2020 avec un foyer d’infectionà bord. D’autre part, l’étude del’Institut Pasteur sur les établis-sements de Crépy-en-Valoisdans l’Oise.

Sur le Diamond Princess, 20 %des 3 700 passagers et membresd’équipage ont contracté le virus(PCR+), parmi lesquels la moitiéest restée asymptomatique, 5 %des infectés ont été en réani-mation et 1,3 % sont décédés(Morbidity and Mortality WeeklyReport, 26 mars 2020).Au lycée de Crépy-en-Valois,25 % des personnes testées ontcontracté le virus, avec unerépartition très différente selonl’âge : seuls 11 % des collégiensont été contaminés, contre 41 %des enseignants. Le tauxd’asymptomatiques était ici de17 %. À noter que l’étude deCrépy-en-Valois a été réaliséeà partir de tests sérologiques,la rendant difficilement com-parable à la précédente.Les premières données françaisespubliées par l’Institut Pasteurfin avril 2020 faisaient état d’uneprévalence nationale autour de5 % avec des taux entre 10 et

20 % dans les régions les plustouchées (Grand Est, Île-de-France, Hauts-de-France). Cesdonnées sont encore très pré-liminaires mais témoignent quel’on est actuellement loin d’uneimmunité collective suffisante.

L’ACCÈS AU MATÉRIEL DE PROTECTIONOn rappelle brièvement ici ladiversité des masques :Masques de protection FFP2. Ilsont pour objet de protéger, parleur étanchéité, les personnelssoignants. Ils n’ont aucune indi-cation auprès des autres publics,et leur port en public est par-faitement abusif. D’importantsstocks avaient été constituéslors des menaces de grippeaviaire et de la pandémie H1N1.L’affaire est désormais connue,la politique gouvernementalea changé ensuite, le ministèreayant jugé que les stocks étaient

inutiles et que les masquesseraient fabriqués en fonctiondes besoins. On voit la consé-quence désastreuse de ce choixà un moment où ces masquesparviennent en quantité trèsinsuffisante aux soignants, sou-vent obligés de se rabattre surdes masques chirurgicaux beau-coup moins protecteurs. Desstocks de masques résiduels de2011 sont utilisés, sans que l’onsache si leur capacité d’isolationa été altérée ou non. La présenced’une valve expiratoire rend lemasque plus supportable pourcelui qui le porte, mais n’em-pêche pas la diffusion de micro-organismes expirés, ils sont donctrès imparfaits dans l’usageactuel.Masques chirurgicaux.Ceux-cipermettent d’arrêter le principal(90 %) des sécrétions émiseslors d’une toux, d’un éternue-ment ou simplement de laparole. Ils sont également, et

s

L’OMS a très vite communiqué par lebiais de conférences de presse, l’équipemédicale chinoise a très vite émis sa pu-blication princeps.

Derrière le vocable de « lits de réanimation » se cachent de grandes disparités entred’authentiques services de réanimation lourde et des unités montées à la hâte avecdes respirateurs de transfert et du personnel dévoué mais forméà la dernière minute

On admet qu’une personne porteusedu virus va infecter en moyenne 2 à 3 per-sonnes (ce que l’on appelle le R0).

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pour les mêmes raisons, engrande pénurie dans le grandpublic, or ils constituent l’undes éléments indispensables, àcôté de la distanciation physique,de la prévention de transmissionautour d’un cas probable ouconfirmé.Masques « grand public. Ilsrépondent à un concept apparuau fil de la crise. Ce sont desmasques en deux couches de

tissu avec un filtre ; ils sont lava-bles et réutilisables. L’Afnor arécemment élaborée une normevisant à garantir qu’ils assurentune filtration de 70 % des par-ticules expirées par le porteurpendant 3 ou 4 heures. À la dif-férence des deux premières caté-gories, aucune étude ne peutgarantir leur efficacité clinique;il s’agit d’une stratégie d’adap-tation à la pénurie et à la sur-

enchère sur les masques chi-rurgicaux. Leur efficacité serarenforcée si toutes les personnesprésentes dans un lieu clos ensont porteuses dans des condi-tions de distanciation interper-sonnelle acceptable, ce qui nesera certainement pas le casdans les transports en commun.En matière d’hygiène manuelle,le lavage fréquent et suffisam-ment prolongée des mains à

l’eau et au savon (le temps dechantonner le refrain del’Internationale, par exemple)avec séchage soigneux par tam-ponnement de papier absorbantà usage unique est efficace.L’usage des solutions hydro -alcooliques sur des mains bienpropres et sèches, en présenced’un adulte s’il s’agit d’un l’enfant,est une option. Le port de gantsest à proscrire. n

s

LA MALADIE COVID-19La séquence clinique se présenteessentiellement comme celled’une une affection respiratoire,mais de véritables pneumoniessont possibles et il semblait exis-ter une surreprésentation del’association à des terrains dediabète et/ou de maladies car-dio-vasculaires, notammentl’hypertension artérielle. Avecle recul, la maladie virale chezl’enfant de moins de 10 ans nesemble pas donner lieu à unegravité quelconque dans l’im-mense majorité des cas, ce qu’ontconfirmé de nombreuses sériesinternationales. Pas de gravitésupplémentaire chez la femmeenceinte ni complications obs-

tétricales, l’allaitement maternelrestant possible même si la mèreest porteuse du virus.En revanche, l’irruption du virus

vertiges, malaises, rougeurscutanées, engelures, perte dugoût et de l’odorat, douleursthoraciques, courbatures, dou-leurs musculaires, troubles diges-tifs. Au total, un tableau beau-

coup plus polymorphe que celuide la grippe. Au bout de quelquesjours, l’évolution se caractérisechez la majorité des personnespar une atténuation progressiveavec persistance plus ou moinslongue d’un état de fatigue géné-rale. Chez certains patients,parmi lesquels les plus âgés oules plus porteurs de comorbi-dités, mais aussi plus rarementchez des personnes sans facteurde risque apparent, il se produitvers le 8e ou 10e jour des com-plications sévères comportantdétresse respiratoire, accidentsthromboemboliques, troublesneurologiques sévères qui fonttoute la gravité potentielle dela maladie, imposant l’hospi-talisation en service de soins

généraux, voire en service deréanimation lourde avec recoursà la ventilation assistée méca-nique, ou même à la ventilationextracorporelle (ECMO). La pré-sence de fièvre est loin d’être

systématique; les systèmes auto-matisés de détection de l’hy-perthermie, tant vantés par cer-tains, se sont révélés inopérants.L’explication de cette aggravationa été de mieux en mieux com-prise comme relevant d’une vio-lente réaction du système immu-nitaire, désormais appelée « choccytokinique » en rapport avecla brutale libération de subs-tances immunoactives par lesglobules blancs du patient, parmilesquels les interleukines (à cesujet, j’emprunte volontiers àGilles Pialoux l’image de la« gomme qui troue le papier »).En cela, la décompensation deces patients s’avère très différentedu syndrome de détresse res-piratoire que l’on rencontre dans

Tests, confinement, recherche, traitements et vaccins : faire face à la pandémie Une série de mesures exceptionnelles ont été mises en place pour contenir la pandémie. Le dispositif hospitaliera été mobilisé comme jamais auparavant, tandis que le monde de la recherche s’active pour trouver au plusvite une issue curative.

PAR Jean-Jacques Pik*

L’irruption du virus dans notre pratiqueclinique nous a fait découvrir des aspectsde la maladie que la littérature chinoiseinitiale n’avait pas décrits en détail.

dans notre pratique cliniquenous a fait découvrir des aspectsde la maladie que la littératurechinoise initiale n’avait pasdécrits en détail. C’est surtoutle développement de l’affectionen Italie et en France qui nousa fait mieux connaître laséquence de l’affection quandelle prend les chemins de lahaute gravité.À ce propos, reste encore ouverteune voie d’exploration au sujetd’éventuelles souches différentesdu virus, hypothèse que la majo-rité des équipes virologiques neretiennent pas mais qui est tou-jours l’objet de travaux derecherche. Globalement, les dif-férentes souches virales analyséesrestent très proches de la soucheinitialement séquencée à Wuhan.Les symptômes initiaux pré-

sentés par les patients se sontmontrés d’une grande diversitéet associés ou non entre eux :fièvre, toux sèche, maux de têtes,

Avec le recul, la maladie virale chezl’enfant de moins de 10 ans ne semblepas donner lieu à une gravité quelconquedans l’immense majorité des cas,

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d’autres affections, comme lagrippe saisonnière. De cettecompréhension sont nées desorientations thérapeutiques.De même, le mécanisme d’en-trée du virus dans les cellulescibles est désormais mieuxconnu : via le récepteur de l’en-zyme de conversion de l’angio-tensine, très présent dans denombreux tissus et potentiel-lement sujet à des variationsgénétiques et d’autres corécep-teurs, dont les récepteurs nico-tiniques, ce qui pourrait contri-buer à expliquer pourquoi lesfumeurs semblent moins sen-sibles aux formes graves : parsaturation de leurs récepteurspar la nicotine (ce qui reste lar-gement à confirmer). La largeprédominance masculine, bienau-delà de la surreprésentationdes comorbidités habituelles,reste pour l’heure inexpliquée.

LES TESTSOn se souvient qu’il s’agit detests de biologie moléculairequi identifient l’ARN viral parméthode de polymerase chainreaction (PCR). Ce sont des testsde technologie très fine, relati-vement coûteux (55 € l’unité),sujets à des possibles dans unsens ou dans l’autre, surtout desfaux négatifs (si le prélèvementnasal est trop superficiel, parexemple), à quoi s’ajoute le faitqu’ils exposent la personne quiprocède au prélèvement à unrisque élevé de contamination.Leur utilisation à très grandeéchelle est malaisée, elledemande de grandes quantitésde réactifs, lesquels, on l’a com-pris assez vite, n’étaient pas dis-ponibles en France. Et elle auraitnécessité la mobilisation de toutle réseau des laboratoires debiologie humaine et animale.Sans parler de dépistage géné-

ralisé, une enquête épidémio-logique plus poussée aurait pro-bablement été utile dans leszones cibles de février 2020 (Oise,Haut-Rhin) pour comprendrela progression souterraine del’épidémie et mieux anticipercertaines décisions.En pleine épidémie et périodede confinement, le dépistagedes personnes asymptomatiquesn’a pas forcément de justification.Il est trop tard pour l’épidémio-logie descriptive. En revanche,le dépistage des personnes symp-tomatiques, même et surtoutcelles qui n’ont que des symp-tômes mineurs, paraissait essen-

tiel pour continuer à tracer l’épi-démie et leur permettre deprotéger leur entourage.L’absence de réactifs en quantitésuffisante a malheureusementrendu impossible ce dépistageciblé mais élargi.Dans certains cas, il est considérédans les consultations avancéescovid que la présence de signesclés, tels la perte brutale du goûtet de l’odorat ou bien la présencede lésions typiques sur le scannerthoracique, permet de se passerdu test. Gardons toutefois enmémoire que si l’infection estenfin reconnue comme maladieprofessionnelle chez les soi-gnants et les autres professionsexposées, ce qui paraît la moin-dre des choses contrairementaux déclarations initiale duministre de la Santé, il demeureessentiel qu’un test soit réaliséet documenté. Soit initialement

un test PCR, soit ultérieurementun test sérologique.En effet, l’étape suivante com-porte la réalisation de tests séro-logiques, incomplètement vali-dés en ce début mai2020, mêmesi certains circulent déjà dansles laboratoires privés. Ces testsdépistent non le virus mais lesanticorps, qui sont des immu-noglobulines élaborées par l’or-ganisme lors de l’infection,qu’elles soient apparentes ounon. La technique classique desérodiagnostic ELISA (enzyme-linked immunosorbent assay)est beaucoup plus simple etmoins coûteuse que la recherched’ARN viral par PCR, en outreelle permettra des diagnosticsrétrospectifs. Lorsque ces testsseront disponibles, il sera essen-tiel de les généraliser pourconnaître l’extension de l’épi-démie dans la population géné-rale, et l’on pourra alors calculertous les taux sur lesquels nous

spéculons tous depuis dessemaines : morbidité, mortalité,hospitalisation, etc. La consti-tution de « sérothèques » estd’ores et déjà indispensable.Les anticorps des différentesclasses (IgM, IgA, IgG) appa-raissent progressivement dansles jours qui suivent le déclen-chement, à partir de 5 jours pourles premiers d’entre eux. Lesobservations concordent pourdire qu’ils montent plus vite età des taux plus élevés chez lespatients les plus symptoma-tiques, l’apparition des anticorpspouvant être retardée jusqu’à30 jours pour les personnes les

moins symptomatiques. Lecaractère neutralisant de cesanticorps, et surtout la duréede la protection qu’ils induisent,n’est pas encore connue aveccertitude car elle dépendra dutaux d’anticorps neutralisantsatteint, et bien entendu de l’éven-tualité de mutations significativesdu virus rendant la réponse anti-corps inefficace, comme pourla grippe saisonnière.

L’EFFICACITÉ DUCONFINEMENT ET SA LEVÉELe confinement était devenutotalement indispensable enphase épidémique non contrôléesans recours aux tests massifset sans protection systématiquegénéralisée par masques. Il aété globalement bien accepté,le niveau d’anxiété généraleayant monté d’un cran devantla courbe des décès. On entendrégulièrement que la décisiona été prise trop tard. Ce n’estpas certain, car elle aurait étéprise à la légère un mois plustôt par une partie de la popu-lation. Observons qu’il est cer-tainement plus facile d’adhéreraux conditions strictes quandon dispose de conditions de viede bonne qualité que dans leszones vétustes et surpeuplées.En cela, la tendance au rejet età la stigmatisation de ceux quiont du mal à respecter lesconsignes n’est pas acceptable,ce d’autant qu’elle tend à dilueret affadir les responsabilités dupouvoir. La question des SDFet migrants ultraprécarisés estune réalité quotidienne dansune région comme la nôtre, àCreil.Sa durée se devait de ne pas êtreinférieure à 6 semaines pourprendre le temps de diminuerla circulation virale (en ramenantle R0 autour de 1).La levée progressive de celui-cià partir du 11 mai 2020 pose le s

En pleine épidémie et période deconfinement, le dépistage des personnesasymptomatiques n’a pas forcément dejustification.

Le confinement était devenu totale-ment indispensable en phase épidé-mique non contrôlée sans recours auxtests massifs et sans protection systéma-tique généralisée par masques.

On ne peut toutefois mésestimer l’im-pact sociopsychologique, familial et mêmenutritionnel et sanitaire d’un confinementprolongé, notamment sur les enfants.

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problème des moyens de dépis-tage (tests) et de protection(masques) qui lui seront associés,et des restrictions des libertéset de l’État de droit qui semblentse profiler. Elle donne l’impres-sion de constituer prioritaire-ment une adaptation à la volontépatronale de relancer l’appareilde production, quitte à assumerune seconde vague épidémique.On ne peut toutefois mésestimerl’impact sociopsychologique,familial et même nutritionnelet sanitaire d’un confinementprolongé, notamment sur lesenfants.

LES TRAITEMENTSAucun traitement médical, à ladate de rédaction de cet article,ne peut être considéré commeefficace contre le virus SARS-CoV-2 sur la base d’essais cli-niques contrôlés.Actuellement, les patients non

graves, l’immense majorité donc,ne reçoit aucun traitement spé-cifique hors le paracétamol àtitre d’antipyrétique et d’antal-gique, souvent une vitamino-thérapie.Les patients hospitalisés justifientla plupart du temps une oxygé-nothérapie nasale, un traitementanticoagulant de prévention durisque thromboembolique, danscertains cas une antibiothérapiecomplémentaire. Les patientsles plus graves justifient uneventilation assistée par respi-rateur et des mesures très codi-fiées de réanimation. La carac-téristique de cette phase est sadurée, souvent plusieurssemaines; et les services de réa-nimation sont très souvent satu-rés, voire débordés dans lesrégions les plus tendues (Alsacenotamment). Les soignants sontépuisés, les respirateurs peuvent

manquer et se profile le spectredu choix des patients réanima-bles ou pas, déjà une réalitédans beaucoup de cas.Depuis la mi-avril 2020, la pres-sion hospitalière a notablementdiminuée, mais reste élevée enréanimation. Les services desoins de suite et réadaptationsont de plus en plus amenés àprendre ces patients en relaispour une réhabilitation, quipeut s’avérer fort longue, et ris-quent en plus de mêler despatients covid et non-covid.La reprise progressive des acti-vités médico-chirurgicales habi-tuelles observée depuis risquede télescoper la persistanced’une activité covid, sans mêmeévoquer une hypothétiqueseconde vague et les retards deprise en charge des autres affec-tions, retards diagnostiques etthérapeutiques. Cette reprisepourrait impacter lourdement

l’activité des services hospitalierset des médecins généralistes.Des traitements spécifiquesantiviraux sont en cours d’éva-luation dans le cadre de multiplesessais chez les patients hospi-talisés. En premier lieu l’essaiDiscovery du groupe REACTing,piloté par l’INSERM qui com-porte :– un bras « contrôle » avec lessoins de support les plus com-plets possible ;– un bras remdésivir, analoguenucléotidique antiviral du labo-ratoire états-unien Gilead, quia montré une activité sur d’autresvirus à ARN (Ebola, Marburg).Dans le cadre de l’essai, le médi-cament est fourni gracieusementpar l’industriel. On peut imaginerque la stratégie commercialede Gilead le poussera à ne pasproposer un prix élevé ensuite,le cas échéant. Notons que sur

la base d’autres essais, cettemolécule vient d’être homolo-guée par la FDA aux États-Unis ;– un bras lopinavir/ritonavir(lopi/rito), antiviral antiprotéaselargement utilisé contre le VIH.Ce médicament, administré parvoie orale, est issu du laboratoireAbbott/AbbVie mais génériquédepuis des années ;– un bras associant lopi/rito àun immunomodulateur, l’in-terféron bêta, dont on attendl’effacement de la réactionimmunitaire violente survenantà J6-J8 chez les malades les plusgraves ;

– un bras utilisant l’hydroxy-chloroquine, dont le rationnela été discuté plus haut, a étéajouté à la demande l’OMS etdu ministère de la Santé.Cet essai répartit les patientsau hasard dans les différentsbras, comme il est de règle dansles essais contrôlés. Ce pointest parfaitement éthique, enl’absence de référence d’un trai-tement antérieurement désignécomme efficace. Les épidémio-logistes et statisticiens del’INSERM travaillent jour et nuitpour que les données de cetessai soient utilisables au plusvite, quasi en temps réel. La

taille de l’essai (3200 patientsen Europe, dont 800 en France)et sa dimension multicentriqueet internationale laissent espérerune puissance considérable,aussi vite qu’il est scientifique-ment possible, y compris desalertes intermédiaires par desobservateurs indépendants sil’un des bras se révélait supérieurou bien inférieur aux autres.La réalité observée en ce débutmai 2020 est plutôt décevante.La coopération internationaleaux inclusions semble en panne,hormis au Luxembourg : celles-ci stagnent autour de 800. De

plus, les différents éclats média-tiques aboutissent à ceci quede nombreux patients refusentl’inclusion au nom de l’existencedu groupe contrôle ou bien lechoix au hasard mathématiquedu traitement. À l’heure actuelle,de premiers résultats intermé-diaires provisoires (non publiés)ne montrent pas de différencemajeure entre les groupes.Fin février 2020 est survenue lapublication de l’étude virolo-gique de l’équipe marseillaisede l’IHUi, annoncée sur Youtubeavant publication. Cette étudetout à fait préliminaire sur unevingtaine de patients montre

s

La large prédominance masculine,bien au-delà de la surreprésentation des comorbidités habituelles, reste pourl’heure inexpliquée.

On entend régulièrement que la décisiona été prise trop tard. Ce n’est pas certain,car elle aurait été prise à la légère un moisplus tôt par une partie de la population.

Le confinement, indispensable, a été globalementbien accepté en France. Il est certes plus faciled’adhérer à ses conditions strictes quand on ne vit pas dans des zones vétustes et surpeuplées.

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une efficacité virologique toutà fait réelle de l’hydroxychloro-quine (HCLRQN), autre dérivéantipaludéen de synthèse lar-gement utilisé dans les maladiesauto-immunes, nettement plusfacile à manier en sécurité quela chloroquine proposée par

certaines publications chinoisessur de petites séries. HCLRQNest associée dans cet essai à unantibiotique, l’azithromycine,qui en renforce l’efficacité.Soulignons qu’il s’agit d’uneétude purement virologique,montrant la diminution majeurede la charge virale à J6 dans lescellules cibles, qui serait doncvirtuellement intéressante dansles formes débutantes.Cette publication a généré unecontroverse dès l’annonce toni-truante par le professeur Raoultde l’efficacité de cette association,publiée sur Youtube d’abord,dans une revue médicale ensuite.Redisons ici que cette piste estsuffisamment étayée pour méri-ter de plus amples investigations,mais pas suffisamment pourêtre généralisée d’emblée, cepour plusieurs raisons :– modèle virologique déjà envi-sagé pour d’autres affectionsvirales, avec efficacité virologiquemais échec clinique (MERS-CoV, dengue, chikungunya) ;– essai thérapeutique trop res-treint en effectifs, sans groupecontrôle apparié. Il en existe undont on ne sait rien ;– association médicamenteusejustifiant une surveillance rap-prochée des patients pour desraisons de contre-indications,précautions d’emploi et inter-actions médicamenteuses dif-ficiles à mettre en œuvre enurgence. Pour l’hydroxychloro-quine, les effets secondaires auxdoses préconisées par l’étude,plus élevées que dans les autresindications, ne sont pas connues,même si les patients inclus n’ont

pas semblé présenter d’effetssecondaires notables.– quant au fond, il sera ardu demettre au point un essai s’adres-sant aux patients « non graves »,puisque 80 % vont guérir sanstraitement et que les effectifs àenrôler dans un tel essai seraient

donc trop nombreux pour espé-rer une réalisation rapide.D’autres versions présentéesultérieurement par la mêmeéquipe sur des effectifs plusimportants présentaient lesmêmes biais méthodologiqueset n’emportaient pas la convic-tion, ce d’autant que plusieursdizaines d’autres études sur cesmolécules sont en cours et dontles premiers résultats ne sem-

blent absolument pas probants.Il n’en reste pas moins que leclimat lourdement polémiquegénéré par cette étude a néga-tivement impacté l’ensemblede la recherche clinique autourdes traitements de la covid-19.L’exigence d’un pôle public dumédicament est, à mon sens,renforcée par cette controverse.Plusieurs autres essais basés surles propriétés antivirales annexesde molécules anciennes ont étéentrepris, notamment avec l’ha-lopéridol et la chlorpromazine,entre autres, et même l’azithro-mycine seule.D’autres essais sont en cours,mettant en jeu des moléculesà effet immunomodulateur afind’éteindre l’« orage cytokinique »,tocilizumab notamment (anti-corps monoclonal dirigé contrel’interleukine 6) notamment,

avec des résultats prometteursà confirmer dans un essai pari-sien, également corticoïdes àhaute dose et interféron.Dans la pratique ordinaire deces derniers jours :– aucun traitement spécifiquepour les patients suivis à domicileen attendant les données à venirhormis le paracétamol ;– les patients hospitalisés horsessais, oxygénodépendants,bénéficient du traitement desupport classique décrit plushaut, auquel le médecin peutrajouter après discussion col-légiale soit du lopi/rito, soit del’hydroxychloroquine (seule) ;– en réanimation, le pivot dutraitement est la ventilation assis-tée, éventuellement extracor-porelle, prolongée sous sédation,associée à une antibiothérapieciblée et à une anti coagulationagressive en prévention d’unaccident throm bo embolique(ils sont nombreux).

La dernière édition des recom-mandations du Haut Conseilde santé publique remonte au23 mars 2020, accessible à toussur le site du HCSP, susceptiblede modifications rapides.L’utilisation hospitalière de l’hy-droxychloroquine est encadréepar une ordonnance ministériellespécifique (no 2020-324 du25 mars 2020).

QUID DU VACCIN ?Le SARS-CoV-2 est un virus àARN, par définition moins stableque les virus à ADN. Cela signifieque les « erreurs de recopiage »de son génome sont fréquentes,la plupart du temps sans consé-quences pour sa virulence maispeuvent gêner considérable-ment la conception d’un vaccinsi des zones significatives deson génome sont modifiées.

C’est ce qui coince depuis qua-rante ans la recherche d’un vac-cin contre le VIH, a empêchéla synthèse d’un vaccin contrele VHC et gêne encore le déve-loppement d’un vaccin contrela dengue.Dans de nombreux cas, les muta-tions successives font perdrede la virulence au virus, et lamaladie résiduelle devient tropbénigne pour justifier un vaccin(cas du rhume). Mais un scénariodiabolique est également envi-sageable, au moins au plan théo-rique : celui d’un regain de viru-lence, qui justifie la poursuitedes recherches.Dès lors, sachant qu’espérerqu’un vaccin puisse être trouvépour contrer l’épidémie en coursrelève de l’illusion, d’autres scé-narios restent possibles. Soit,en sortie de pandémie, les testssérologiques permettent d’isolerune partie indemne (séronéga-tive) de la population, qui seraitvaccinée ultérieurement (àcondition d’avoir vérifié que lamaladie est bien immunisante,ce sur quoi nous n’avons pasencore de données stables). Soit,le virus muterait de façon régu-lière sur des zones significativesdu génome, auquel cas de nou-veaux vaccins annuels seraientà créer, comme dans le cas dela grippe.Répétons, en guise de conclu-sion provisoire, que la recherchefondamentale sur les corona-virus a perdu beaucoup detemps depuis l’épidémie SRASde 2003, car considérée commenon prioritaire par les dirigeantsdes pays occidentaux, les nôtresen particulier. Une fois de plus,la priorité donnée aux critèresde la rentabilité capitaliste seretourne contre les peuples quile paient au prix fort. n

*JEAN-JACQUES PIK est docteuren médecine interne, centrehospitalier de Kourou.

1. Philippe Gautret et al.,« Hydroxychloroquine andazithromycin as a treatment of COVID-19: results of an open�labelnon�randomized clinical trial »,International Journal of AntimicrobialAgents, sous presse le 17 mars 2020.

Depuis la mi-avril 2020, la pression hos-pitalière a notablement diminuée, maisreste élevée en réanimation.

La reprise progressive des activités mé-dico-chirurgicales habituelles observée de-puis risque de télescoper la persistanced’une activité covid, sans même évoquerune hypothétique seconde vague

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a covid-19 est très pro-bablement une zoonose,une maladie transmise

par des animaux sauvages, etceux qui sont très fortementsuspectés sont des pangolins,des chauves-souris et/ou descivettes, pour les espèces quisont présentes en Chine, foyeroriginel de la pandémie. Le virusprésent dans ces animaux auraitmuté pour passer à l’humain.Ce qui permet de le penser, selonles scientifiques, c’est la trèsforte ressemblance génétiqueentre les coronavirus de ces troisgroupes d’espèces1.Cette interprétation scientifiques’appuie sur d’autres exemplescomparables de zoonoses, ce

qui fait dire à d’autres expertsque l’humain a une vulnérabilitécroissante face aux pandémiesde ce type à cause de la destruc-tion accélérée des habitats2.

LE CHANGEMENT CLIMATIQUEEST-IL RESPONSABLE?La question qui vient est com-ment est-il possible que ce virussoit arrivé à l’humain ? Le chan-gement climatique en est-il lacause ? ou bien à tout le moinsdes modifications environne-mentales ? Il est important derépondre à ces questionnements.Au-delà du fait qu’en Chine il ya commerce d’animaux sauvagesvivants pour des usages alimen-taires, et que cette pratiqueaurait favorisé le passage du

virus de l’animal à l’humain,des scientifiques pointent éga-lement d’autres facteurs : lesdéforestations, la réduction desécosystèmes favorables auxespèces sauvages, à laquelles’ajoute l’étalement urbain. Toutcela favorise la probabilité decontacts plus fréquents entrehumains et faune sauvage, doncaugmente la probabilité de trans-mission de virus. C’est l’hypo-thèse la plus fondée scientifi-quement aujourd’hui.Si les virus existent et se propa-gent de façon naturelle, les acti-vités humaines sont parfoisdéterminantes dans la survenuede nouvelles pandémies. Lamodification de l’environnementconsécutive à la surexploitationdes ressources naturelles estbien en cause, car la déforestation

répond souvent aux exigencesde l’agrobusiness plutôt qu’auxbesoins de la paysannerie deproximité. Cela questionne nosmodes de production et de déve-loppement, notre respect de laplanète, nos modèles de société.Certains militants de la causeenvironnementaliste invoquent,un peu vite, le réchauffementclimatique comme responsablede cette pandémie. Au stade denos connaissances scientifiques,

c’est périlleux de l’affirmer demanière péremptoire. En effet,on n’en a aucune preuve ! Etdonc parler du changement cli-matique sur cette question, c’estaller vite en besogne, voire contri-buer à passer à côté d’autrescombats à mener, comme lanécessaire protection des éco-systèmes et de leur biodiversité.En revanche, ce que l’on sait,c’est que des mutations géné-tiques peuvent survenir et êtrefavorisées dans le cadre de chan-gements environnementaux.Ce que l’on peut suspecter, c’estque de nouvelles maladies peu-vent survenir à cause des chan-gements environnementaux(cas du virus Ebola au Liberiaet en Sierra Leone, du virusChapare identifié en Bolivie, ouencore de la malaria à Bornéo3).Les effets du réchauffement cli-matique pourraient avoir poureffet de faire réapparaître desmaladies ou des virus aujour -d’hui non actifs mais qui pour-raient le devenir avec la fontedes glaces. Des espèces animalesvecteurs de maladie4 des paystropicaux, comme des mous-tiques, atteignent ou pourraientatteindre des pays tempéréscomme le nôtre5. La lutte pour

le respect de la planète et desécosystèmes est aussi une luttepour la santé humaine dansnombre de cas. Le changementclimatique en est parfois la cause.Mais l’exemple le plus probantn’est pas la covid-19.

CONFINEMENT,CONSÉQUENCES ÉCOLOGIQUES ET LES « JOURS D’APRÈS »Le confinement est une épreuvepour chacun. Mais, en parallèledes conséquences économiques,politiques et sociales, il a aussides conséquences écologiqueset systémiques marquées, enrupture avec l’avant-crise. Parsuite de la réduction des trans-ports et de l’activité industrielle,les émissions de CO2ont forte-ment baissé, ce qui est positifpour la lutte contre le réchauf-fement climatique. La pollutionde l’air a diminué également,ce qui, paradoxalement, est unebonne nouvelle pour la santéde nos concitoyens, cette pol-lution provoquant de la sur-mortalité. Cependant, il y a fortà parier que ce ne soit que pro-visoire si l’après ne change pasde l’avant-crise.Si on peut se féliciter de cesbonnes nouvelles environne-mentales dans un contexte demauvaises nouvelles, doit-onenvisager l’après avec une indus-trie réduite à l’indispensablesurvie et un confinement géné-ralisé ? La question est volon-tairement polémique, pour sus-citer le débat.En effet, alors que nos conci-toyens commencent à s’inter-roger sur les jours d’après, surla société qu’il faudra réinventer,je crois qu’il convient de réfléchirà quelques propositions pourrévolutionner notre société, nosmodes de production, dépasserun système capitaliste obnubilépar l’argent, surexploiteur des

Si les virus existent et se propagent defaçon naturelle, les activités humainessont parfois déterminantes dans la surve-nue de nouvelles pandémies.

Le pangolin est parmi lesvecteurs du virus de la covid-19,une zoonose donc.

Certains militants de la cause environ-nementaliste invoquent, un peu vite, le réchauffement climatique commerespon sable de cette pandémie.

Implications écologiques et systémiquesLa crise sanitaire, les trop nombreux décès qu’elle provoque, la mobilisation pour des solutions de protectionde nos concitoyens : que pouvons nous en conclure sur le plan de l’écologie?

PAR Alain Pagano*

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ressources naturelles et impliquédans la dégradation de la pla-nète. Car ce même système capi-taliste, mis en accusation parnombre de nos concitoyens, vapréparer sa défense, proposerdes solutions pour accroître samainmise sur la planète etaccroître ses profits, comme ilen est capable avec le réchauf-fement climatique où le droità émettre du CO2 se négociesur les marchés financiers.Ainsi, même un chaud partisande l’argent roi, défenseur dutemple capitaliste, empêtré dansles contradictions du systèmeet sa mise en accusation, s’obligeà des entorses sévères aux loisdu marché en relocalisant desproductions. Je pense auxmasques chirurgicaux et FFP2qui ne sont plus que rarementproduits en France quand l’es-sentiel provient de pays à bassalaires, et dans ce cas de Chine.C’est une bonne chose, surtoutsi ce n’est pas que provisoire.C’est un bel exemple de ce qu’ilfaudra généraliser demain pourcombiner la protection de nosconcitoyens et celle de la planète.Relocaliser, c’est mettre en placedes circuits courts. Circuit courtne vaut pas que pour les produitsagricoles, l’alimentation. Celavaut pour l’industriel également :il est indispensable de faire décroî-tre fortement le transport de mar-chandises sur des milliers de kilo-mètres, déplacements engendréspar les logiques de délocalisationdes productions et de dumping

social, fiscal, et donc de dumpingenvironnementalCar les circuits courts sont undes moyens de réduire l’em-preinte carbone exorbitante quereprésentent les transports6. Ilsdoivent être combinés à un effortd’investissement, de dévelop-pement vigoureux dans lesmodes de transports les pluspropres. Pour le transport despersonnes, il faut favoriser leferroviaire et les transports encommun dans nos sociétés dedemain. Pour le transport desmarchandises, ferroviaire, fluvialet maritime (cargos à voile) doi-vent être privilégiés au détrimentdu tout-camion et des avions.Face à l’objectif idéalisé par cer-tains d’une société totalementdécroissante qui prendrait lerisque de ne pas répondre à desbesoins fondamentaux des socié-tés humaines – vaincre la faim

et la pauvreté, améliorer la santé,rénover thermiquement deslogements… –, il convient deplaider pour une décroissancedes activités inutiles et une crois-sance de ce qui est socialementutile. Il convient de plaider pourdes relocalisations, une produc-tion agricole et industrielle de

proximité, en investissant dansla recherche pour que les pro-cessus productifs tant agricolesqu’industriels soient respectueuxde l’environnement et n’épuisentpas les ressources. À l’obsoles-cence programmée, conceptcertifié capitaliste destiné àaccentuer la vente de nouveauxproduits pour faire de nouveauxprofits, préférons l’économiecirculaire qui implique écocon-ception des produits, réparation,économie des ressources pourles produire. Il faut imaginerune société qui, si elle se donneles moyens, produise et propreet utile.Par ailleurs, la crise liée à lacovid-19 a favorisé nombre defake news, voire des théoriescomplotistes sur une fabricationhumaine du virus. Il n’en estévidemment rien, mais celamontre qu’il faut appeler à laprudence face aux propos hâtifset aux fausses nouvelles. Celamontre également, au-delà dela recherche médicale sur lestraitements et les vaccins pos-sibles pour prévenir la maladie,

qu’il est nécessaire de redyna-miser la recherche publique –en postes comme en moyensbudgétaires, en possibilités decoopération internationale plutôtqu’en tentations de repli sur soinationaliste – sur nombre d’as-pects et évidemment, pour cequi nous concerne, sur lesrecherches en écologie. Si l’onse doit d’agir dans l’immédiatetéde la crise, une vision et uneaction de long terme sont néces-saires, notamment en matièrede recherche.L’hôpital public sort renforcéde cette crise dans la mesureoù son utilité s’impose commeune évidence. Ce besoin d’unservice public fort devrait s’éten-dre aux médicaments, mais aussi

à tout ce qui touche à la gestiondes ressources naturelles, à laprotection de la santé de la pla-nète car il y a solidarité de destinentre elle et les humains. Et il ya solidarité de destins entrehumains. La coopération inter-nationale plus que les replis sursoi nationalistes et égoïstes…voilà une valeur pilier de« l’Humain et la Planète d’abord ».Enfin, pour changer notresociété, il faut qu’elle soit beau-coup plus démocratique. Quel’exigence démocratique prennele pas sur l’appât du gain. Quela santé des salariés prime surle taux de profit. Dans les entre-prises, les CSE (ex-CHSCT) pourle secteur privé comme les comi-tés sociaux (dont l’existencedevrait être généralisée dans lesecteur public) doivent avoirun pouvoir accru en matière desécurité au travail et de santé.Voilà quelques pistes deréflexions qui n’épuisent pas lesujet. n

*ALAIN PAGANO est maître de conférences en écologie et responsable de la commissionEnvironnement du PCF.

1. Donc, je me permets de le préciser,point d’inquiétude à avoir pour votreanimal de compagnie, car il n’est a priori pas impliqué dans la zoonose, et ne transmet donc pas la covid-19 à ce stade.2. Camille Lebarbenchon, « Le problème ne vient pas des espèces animales mais des changements environnementauxissus de nos activités », interview duscientifique publiée le 24 mars 2020dans le site Actu Environnement (actu-environnement.com).3. Marina Aizen, « Les épidémiescouvent sous les cendres des forêts »,in Anfibia, Buenos Aires, traduit et publié dans Courrier internationaldu 26 mars 2020.4. Par exemple dengue, fièvre jaune,fièvre Zika et chikungunya pour le moustique-tigre.5. Le moustique-tigre est désormaisinstallé dans la majeure partie de l’Hexagone sans y être, pour l’heure, vecteur de maladies.6. À titre d’exemple, le caractèreubuesque de la chaîne de valeur quiconduit à faire décortiquer au Vietnamdes crustacés écossais, puis les fairefumer à Madagascar pour, finalement,les vendre dans des magasins en Europe…

Les effets du réchauffement clima-tique pourraient avoir pour effet de faireréapparaître des maladies ou des virusaujourd’hui non actifs mais qui pourraientle devenir avec la fonte des glaces.

Si l’on se doit d’agir dans l’immédia-teté de la crise, une vision et une actionde long terme sont nécessaires, notam-ment en matière de recherche.

TRANSMISSIONS DE MALADIES DE L’ANIMAL À L’HOMME

Source : ministère de l’Agriculture.

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ès le début de la crise,la médecine et larecherche se sont lan-

cées dans une course contre lapandémie, et déjà de nom-breuses pistes paraissent pro-metteuses. Néanmoins, en paral-lèle de la recherche d’un remède,il est primordial de savoir quiest infecté ou qui l’a déjà été.Pour cela, deux techniques dif-férentes sont utilisées.

QU’EST-CE QU’UN VIRUS?Les virus font partie des agentsinfectieux les plus étonnants,car longtemps leur appartenancemême au monde du vivant afait débat. Une chose est en toutcas certaine, les virus ne pos-sèdent pas le matériel génétiqueles rendant aptes à leur propreréplication ; autrement dit, ilsne peuvent pas se répliquer sanshôte. Un virus peut se trouversous deux formes différentes.

À l’air libre, il est sous sa formeextracellulaire ; sous cette forme,la plupart d’entre eux possèdeune capside, soit une enveloppeprotectrice. Lorsque le virusinfecte un hôte, il infecte en faitses cellules, dans lesquelles ilpeut entrer grâce à ses protéines.Une fois dans la cellule, le virusest dans sa phase intracellulaire.Il ne se résume alors plus qu’àsa propre composante génétique,un brin d’ADN ou d’ARN. Levirus, à ce stade, va détourner

une partie du matériel génétiquede la cellule qu’il a envahie, lacellule hôte, et va l’utiliser pourse répliquer. La réplication d’unvirus consiste en la productionà la chaîne de ses propres clones.Lorsque le virus a trop exploitéla cellule dans laquelle il estentré, celle-ci est détruite et

libère l’ensemble des clonesviraux, qui vont alors infecterd’autres cellules.

LA PCR : RECHERCHE DU VIRUSComment savoir si l’on estinfecté ? La méthode la pluscommunément utilisée est laméthode par PCR (polimerasechain reaction, « réaction enchaîne par polymérase »).Néanmoins, celle-ci s’inscritdans un protocole à plusieursétapes.En premier lieu, on prélève chezl’individu malade des cellules,par simple échantillonnage desalive ou de sang. Si l’individuest infecté, le virus apparaît dansl’échantillon cellulaire. Néan -moins, le virus ne se trouve pasen quantité suffisante pour pou-voir être identifié. Cela semblecontre-intuitif, n’est-ce pas ?Nous venons de voir que le virusproduit des clones de lui-même,et n’est donc plus tout seul dansune cellule, Mais, en plus, nesuffit-il pas d’une seule copiedu virus pour déterminer son

identité ? Et bien non, en réalité,loin de là…La méthode d’identification uti-lisée ne fonctionnera que si desmilliers de clones du virus sontprésents. Pourquoi ? Pour résu-mer, contentons-nous de biencomprendre qu’analyser uneseule molécule de matériel géné-

tique du virus, dans un échan-tillon salivaire par exemple,revient à chercher une aiguilledans une botte de foin. L’appareilde détection nécessite un grandnombre de clones de séquencepour déterminer avec certitudela présence du virus. L’objectifsera donc de chercher à multi-plier artificiellement le signalde ce brin en en faisant des mil-lions de copies.C’est pour multiplier le virusqu’on recourt à la méthode dela PCR. Selon que le virus estun virus à ADN ou à ARN, dif-férents protocoles sont utilisés.Dans le cas de la covid-19, nousavons affaire à un virus à ARN.Aussi, avant la PCR, l’ARN duvirus va être rétrotranscrit enADN. L’ADN est constitué dequatre bases azotées : A (adé-nines), T (thymines) G (guanines)et C (cytosines). L’ordre d’en-chaînement de ces bases consti-tue l’identité spécifique de tousles gènes qui composent ungénome.Pour identifier un virus, les cher-cheurs doivent connaître la

Le virus, à ce stade, va détourner unepartie du matériel génétique de la cel-lule qu’il a envahie, la cellule hôte, et val’utiliser pour se répliquer.

Les virus font partie des agents infec-tieux les plus étonnants, car longtempsleur appartenance même au monde du vivant a fait débat.

Détection du virus…Comment savoir si vous êtes infecté?Si l’épidémie qui sévit est limitée par le confinement, elle ne sera définitivement endiguée que lorsque l’en-semble de la population sera immunisé ou disposera d’un traitement. Dans tous les cas, il sera nécessairede lancer des campagnes de tests de dépistage. Nous en détaillons ici le principe.

PAR Anna Grandlarge et Arnaud Daime* D

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phases. La première est la déna-turation de l’ADN. La deuxièmeest la phase d’hybridation desamorces à leurs gènes cibles.Enfin, la troisième est la phased’élongation, qui va permettrede cloner à la chaîne le ou lesgènes cibles en millions decopies.

La dernière étape de ce protocoleest le séquençage. À la fin decette étape, sur l’ordinateur, nosmilliers de séquences virales en

solution se sont transforméesen une séquence génétique degènes cibles spécifiques du virus.Si le virus recherché n’est pasprésent, rien ne sera séquencé.La technique par PCR peut êtretrès rapide, et la méthode estfiable. C’est la technique utiliséeactuellement pour détecter lecoronavirus. Nonobstant, d’au-tres techniques existent. Une,plus lente, se base sur une longueétape de culture cellulaire. Uneautre consiste en la détectiondes antigènes, soit certaines

protéines spécifiquement expri-mées par le virus. Enfin, il estaussi possible de rechercher lesvirus résistants.Les méthodes précédentes per-mettent de savoir si l’on estinfecté par un virus. Cependant,si l’on a guéri, le virus est indé-tectable, puisqu’il n’est plus pré-

sent. Dans la plupart des infec-tions virales, et très certainementdans l’infection par le corona-virus, une première infectionnous assure une immunité parla suite. Comment savoir si l’ona été infecté ou non ?

ELISA : RECHERCHE DES ANTICORPSPour cela, les chercheurs res-ponsables traquent des anti-corps. Les anticorps, chez lesmammifères, sont des protéinesproduites par le système immu-nitaire lors d’une infection bac-

térienne, virale ou parasitaire.Ces anticorps sont créés spéci-fiquement contre l’agent infec-tieux, et détectent spécifique-ment des protéines quicomposent l’envahisseur : lesantigènes. Une fois que l’infec-tion est terminée, le systèmeimmunitaire garde en mémoirece dernier envahisseur. Ainsi,si une nouvelle infection se pro-duit, le système immunitaire

peut, sauf exceptions, réagirimmédiatement et détruire l’in-fection dès le début, évitant ainsile développement d’une maladie.C’est pour cela que l’on dit « êtreimmunisé » à la suite d’une pre-mière infection. C’est sur ceprincipe de première recon-naissance que fonctionnent les

vaccins.Ainsi, lorsqu’uneinfection est termi-née, le virus n’estplus là, mais il resteles anticorps spé-cifiques. On peutalors les détecter,et ainsi savoir si l’ona déjà été infecté.Il existe plusieursméthodes de détec-tion, comme l’ag-glutination, le wes-tern blot (« transfert

de protéines »), l’immunoblot(« immunotransfert »). Mais pluscommunément on utilise laméthode du test ELISA (enzymelinked imunesorbent assay,« dosage d’immunoabsorptionpar enzyme liée »). Et là encoreplusieurs variantes sont possi-bles, qui, bien que différentes,reposent sur les mêmes raison-nements.La méthode ELISA directdemande en premier lieu derécupérer un échantillon cel-lulaire du patient. Les anticorpscirculant dans le sang, une prise

sanguine est la voie la plus fiable.Si l’on a eu le virus et que l’onest immunisé, l’échantillon san-guin contiendra l’anticorps.Sur une surface spécifique, uneplaque, des antigènes de virus(préalablement stockés par leslaboratoires ou synthétisés) vontêtre disposés et fixés. (Pour rap-pel, les antigènes de l’agentinfectieux sont les protéinesdétectées par les anticorps spé-

séquence de gènes, ou de régionsd’ADN, spécifiques du virus. Dansle cas du SRAS-Cov-2, le virusresponsable de la covid-19, troisde ses gènes spécifiques peuventêtre utilisés : E, RdRp et N. Grâceà la connaissance de ces gènes,on peut fabriquer des amorces.Les amorces sont des séquencesd’ADN qui sont identiques auxextrémités des gènes cibles. Pourcomprendre comment fonc-tionnent les amorces, il faut toutd’abord savoir la chose suivante :tout brin d’ADN à la capacité,grâce à ses propriétés chimiqueset à des enzymes spécifiques,de former une double hélice,en s’associant avec un brind’ADN complémentaire. Lesadénines se lient avec les thy-mines, et les guanines avec lescytosines. Aussi, les amorcesspécifiques sont créées de sorteà être parfaitement complé-mentaires aux extrémités deleurs gènes cibles, pour qu’ellespuissent se fixer à ceux-ci.

Pour démarrer une PCR, on aen solution les cellules lysées(dont la membrane a été détruite)de l’individu, des amorces spé-cifiques au virus que l’onrecherche, des bases azotéeslibres d’ADN et un dernier com-posant extrêmement important,la Taq polymérase, une enzymequi, sous certaines conditionsde température, va permettre lasynthèse d’un brin d’ADN com-plémentaire au gène ciblée parélongation des amorces.Aussi, la PCR se passe en trois

Analyser une seule molécule de matériel génétique du virus, dans unéchantillon salivaire par exemple, revient à chercher une aiguille dans unebotte de foin.

Pour identifier un virus, les chercheursdoivent connaître la séquence de gènes,ou de régions d’ADN, spécifiques duvirus.

J M G TT

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cifiques.) Ensuite, l’échantillonde sang préparé est disposé surla plaque. Si des anticorps sontprésents dans le sang, les anti-gènes fixés sur la plaque formentun complexe avec ces anticorps,puisque ils leurs sont spécifiques.Sur ces deux protéines liées, onajoute une troisième couche :la couche « anticorps secondairesliés à une enzyme ». Pour résu-mer : on aura donc sur la plaqueun complexe composé de l’an-tigène viral, de l’anticorps spé-cifique issu de l’échantillon san-guin, puis d’un autre anticorpsqui reconnaît, lui, uniquementle premier anticorps, couplé àune enzyme.

Pourquoi tout ça ? Parce que legénie de la méthode, c’est ladernière étape. L’enzyme, quiest fixée en fin de file, va émettreun signal fluorescent au contactd’un substrat. Oui, car on vaajouter un dernier composantà tout ce subtil agencement, lecinquième chef de file, le sub -strat. Si le substrat croise l’en-zyme (et il la croisera si elle estaccrochée), l’ensemble va émet-tre un signal lumineux, qui seracapté par photospectrométrie.Donc, pour récapituler, si l’in-dividu a été infecté par le passé,ou est en cours d’infection, ilcontient dans son sang l’anti-corps spécifique. Celui-ci est le

chaînon manquant qui permet-tra à la plaque d’émettre unsignal lumineux. Sinon, rien nesera émis. Ainsi, on sait si on aété infecté ou non.Comme on l’a dit, il existe plu-sieurs méthodes d’ELISA. Uneméthode est d’ailleurs en coursde développement, qui sera pro-bablement accessible au grandpublic pour que chacun puissese tester. Comme pour un testde grossesse, ou un test VIH enpharmacie, il suffira de déposer

un échantillon cellulaire : ici,une goutte de sang, sur le test.Suivant la couleur ou l’indicationqu’affichera le test, on pourrasavoir si on n’a pas été infecté,si on est en cours d’infection,si on sort d’une infection récenteou si on a subi une infectiondans le passé. n

*ANNA GRANDLARGE est docteureen biologie évolutive.

ARNAUD DAIME est chimiste.

s

La technique par PCR peut être très

rapide, et la méthode est fiable. C’est

la technique utilisée actuellement pour

détecter le coronavirus.

n 2002, notre jeuneéquipe travaillait sur ladengue, ce qui m’a valu

d’être invité à une conférenceinternationale où il a été questiondes coronavirus, une grandefamille de virus que je neconnaissais pas. C’est à cemoment-là, en 2003, qu’a émergél’épidémie de SRAS (syndromerespiratoire aigu sévère) et quel’Union européenne a lancé des grands programmes derecherche pour essayer de nepas être prise au dépourvu encas d’émergence. La démarcheest simple. À la question : com-ment anticiper le comportementd’un virus que l’on ne connaît

pas ? la réponse est tout aussisimple : en étudiant l’ensembledes virus connus pour disposerde connaissances transposablesaux nouveaux virus, notammentsur leur mode de réplication.Cette recherche est incertaine,

les résultats non planifiables,et elle prend beaucoup de temps,d’énergie, de patience. C’estune recherche fondamentalepatiemment validée, sur desprogrammes de long terme, quipeuvent éventuellement avoirdes débouchés thérapeutiques.Elle est indépendante aussi :c’est le meilleur vaccin contreun scandale Mediator bis.Dans mon équipe, nous avonsparticipé à des réseaux colla-boratifs européens, ce qui nous

Le cri de colère d’un chercheurAu CNRS, un directeur de recherche et son équipe de scientifiques travaillent depuisplus de dix ans sur les virus à ARN (acide ribonucléique), dont font partie les coronavirus. Il déplore dans le témoignage que nous publions ici l’abandon des recherches en virologie depuis plusieurs années.

PAR Bruno Canard*

J’ai pensé aux onze ans de CDD deSophia, ingénieure de recherche, qui nepouvait pas louer un appart sans CDI, ni faire un emprunt à la banque.J’ai pensé au courage de Pedro, qui adémissionné de son poste CR1 au CNRSpour aller faire de l’agriculture bio.

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a conduits à trouver des résultatsdès 2004. Mais, en recherchevirale, en Europe comme enFrance, la tendance est plutôtà mettre le paquet en cas d’épi-démie, et ensuite on oublie. Dès2006, l’intérêt des politiquespour le SARS-CoV avait disparu;on ignorait s’il allait revenir.L’Europe s’est désengagée deces grands projets d’anticipationau nom de la satisfaction ducontribuable. Désormais, quandun virus émerge, on demandeaux chercheurs·(-euses) de semobiliser en urgence et de trou-ver une solution pour le lende-main. Avec des collègues belgeset néerlandais(es), nous avionsenvoyé il y a cinq ans deux lettresd’intention à la Commissioneuropéenne pour dire qu’il fallaitanticiper. Entre ces deux cour-riers, Zika est apparu…La science ne marche pas dansl’urgence et la réponse immé-diate. Il faut le comprendre.Avec mon équipe, nous avonscontinué à travailler sur lescoronavirus, mais avec desfinancements maigres et dansdes conditions de travail quel’on a vues peu à peu se dégra-der. Quand il m’arrivait de meplaindre, on m’a souvent rétor-qué : « Oui, mais vous, les cher-

cheurs, ce que vous faites estutile pour la société… Et vousêtes passionnés. »Et j’ai pensé à tous les dossiersque j’ai évalués.J’ai pensé à tous les papiers que

j’ai revus pour publication.J’ai pensé au rapport annuel,au rapport à deux ans et au rap-port à quatre ans.Je me suis demandé si quelqu’unlisait mes rapports, et si cettemême personne lisait aussi mespublications.J’ai pensé aux deux congésmaternité et aux deux congésmaladie non remplacés dansnotre équipe de vingt-deux personnes.

J’ai pensé aux pots de départ,pour retraite ou promotion ail-leurs, et aux postes perdus quin’avaient pas été remplacés.J’ai pensé aux onze ans de CDDde Sophia, ingénieure de re -

cherche, qui ne pouvait pas louerun appart sans CDI, ni faire unemprunt à la banque.J’ai pensé au courage de Pedro,qui a démissionné de son posteCR1 au CNRS pour aller fairede l’agriculture bio.J’ai pensé aux dizaines de milliersd’euros que j’ai avancés de mapoche pour m’inscrire à descongrès internationaux très coû-teux. Je me suis souvenu d’avoirmangé une pomme et un sand-

wich en dehors du congrès pen-dant que nos collègues de l’in-dustrie pharmaceutique allaientau banquet.J’ai pensé au crédit d’impôtrecherche, passé de 1,5 milliardsd’euros à 6 milliards annuels(soit deux fois le budget duCNRS) sous la présidenceSarkozy.J’ai pensé au président Hollandepuis au président Macron, quiont continué sciemment ce hold-up qui fait que je passe montemps à écrire des projets ANR.J’ai pensé à tou(te)s mes col-lègues à qui l’ont fait gérer lapénurie issue du hold-up.J’ai pensé à tous les projets ANRque j’ai écrits, et qui n’ont pasété sélectionnés.J’ai pensé à ce projet ANR franco-allemand, qui n’a eu aucunecritique négative mais dont l’éva-luation a tellement duré qu’onm’a dit de le redéposer tel quelun an après, et qu’on m’a fina-lement refusé faute de crédits.J’ai pensé à l’appel flash de l’ANRsur le coronavirus, qui vientjuste d’être publié.J’ai pensé que je pourrais arrêterd’écrire des projets ANR.Mais j’ai pensé ensuite aux pré-caires qui travaillent sur ces pro-jets dans notre équipe.J’ai pensé que, dans tout ça, jen’avais plus le temps de faire dela recherche comme je le sou-haitais, ce pour quoi j’avais signé.J’ai pensé que nous avionsmomentanément perdu la partie.Je me suis demandé si tout celaétait vraiment utile pour lasociété, et si j’étais toujours pas-sionné par ce métier.Je me suis souvent demandé sij’allais changer pour un boulotinintéressant, nuisible pour lasociété et pour lequel on mepaierait cher.Non, en fait.J’espère avoir fait entendre parma voix la colère légitime trèsprésente dans le milieu univer-sitaire et de la recherche publiqueen général. n

*BRUNO CANARD est directeur de recherche CNRS à Aix-Marseille.

L’Europe s’est désengagée de cesgrands projets d’anticipation au nom dela satisfaction du contribuable. Désor-mais, quand un virus émerge, on de-mande aux chercheurs de se mobiliseren urgence et de trouver une solutionpour le lendemain. La science nemarche pas dans l’urgence et la ré-ponse immédiate.

Un scénario envisageable, au moins au plan théorique : celui d’un regain de virulence du virus, ce qui justifie l'importance des recherches pour un éventuel vaccin.

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Pourquoi avez-vous décidéd’émettre ce communiqué ?Sabine Santucci : Nous jouonsnotre rôle en tant que scienti-fique, afin de dépassionner ledébat. Sur le site PubPeer, deschercheurs ont formulé de nom-breuses critiques de la premièreétude du professeur Raoult. Lesremarques sont récurrentes, etc’est un signe. Ce qui revenaitsouvent concernait notammentles résultats de PCR de l’étude.La PCR est une technique ana-lytique très sensible qui permetde comparer des échantillonspréparés et testés exactementdans les mêmes conditions(même machine, voire mêmeexpérimentateur).

La première étude du professeurRaoult ne répond pas du tout àces critères, car tous les patientsdu groupe traité ont été analysésà Marseille, alors que la majoritédes patients du groupe témoinont été analysés dans d’autrescentres. Qu’il n’y ait pas eu depanachage de patients traités etnon traités sur les différents sitesde l’étude est un gros problème.Le groupe contrôle est invalidepour plusieurs raisons. Dans cegroupe, un quart des patientsont entre 10 et 14 ans, alors quedans le groupe traité aucunpatient n’a moins de 20 ans ; oncompare donc deux groupes depetite taille avec des moyennesd’âge très différentes pour le trai-

tement d’une pathologie donton sait que l’âge a un impact sursa progression et sa gravité. Unsecond problème avec les résul-tats de ce groupe est que la plupartdes données PCR sont man-quantes, alors que l’étude reposesur la quantification de la chargevirale pendant 7 jours consécutifs,la majorité des patients témoins(11/16) n’ont pas été testés tousles jours, certains même n’ontété testés que 2 jours sur 7. Si unétudiant en master me rendaitun tel travail, je lui dirais que cen’est pas bon. C’est assez sidérant,je dois dire, et même extravagantà ce niveau.Dans la deuxième étude du pro-fesseur Raoult, il n’y a mêmepas de groupe contrôle, ce qui,une fois de plus, ne permet pasde conclure. On peut juste noterque les résultats obtenus quantau devenir des 80 patients traitéspar le cocktail hydroxychloro-quine-azithromycine sont com-parables aux chiffres connuspour les patients covid-19 engénéral, c’est-à-dire approxi-

Controverse : l’avis d’une c

Nous publions deux entretiens parus dans la Marseillaise, avec l’aimable autorisationdu journal. Pendant des semaines, la France a été secoué par une polémique autourdes travaux du professeur Raoult sur l’hydroxychloroquine, une pétition a même étélancée pour demander que ce médicament soit reconnu comme bénéfique dansle traitement de la covid-19, et donc administré. Il nous est apparu important de revenir sur cet épisode, car il a une valeur pédagogique pour comprendre commentfonctionne la recherche, comment se fait la science, l’évaluation par les pairs, au-delà des effets d’annonces et de l’instrumentalisation dont elle fait l’objet.

« En temps de crise, il est plus important que jamais de disposer de résultats fiables »

ENTRETIEN AVEC

Sabine Santucci, biologiste(CNRS-université Côte d’Azur), publié le 5 avril 2020.

Afin d’éclairer le débat alimenté par les nombreuses critiques formulées à l’encontredes deux études communiquées par l’IHU Méditerranée Infection menées auprèsde patients covid-19 traités à l’hydroxychloroquine, un communiqué daté du30 mars du syndicat CGT Campus 06 décrypte les résultats annoncés par l’équipedu professeur Didier Raoult. Des études qui, pour l’heure, en attendant les résultatsd’essais plus solides, « ne permettent pas de conclure sur l’efficacité » de la mo-lécule, indique ce communiqué.

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mativement 80 % de cas bénins,15 % de cas sévères et 5 % decas critiques.

Face à la pandémie, DidierRaoult estime qu’il raisonne enmédecin, pas en méthodologiste.Qu’en pensez-vous ?S.S. : On ne peut pas justifierdes études aussi faibles par l’ur-gence. Si des scientifiques onttravaillé depuis longtemps pourétablir des protocoles calibrésafin de réaliser des essais cli-niques solides, ce n’est pas pourqu’ils ne soient pas respectésen cas de crise sanitaire. C’estau contraire plus importantque jamais de disposer de résul-tats fiables, étayés par des essaiscliniques coordonnés. S’asseoirsur les règles au prétexte del’urgence de la pandémie, jetrouve cela grave et dangereux.Cela oblige certains médecinsà user de l’énergie sur un pro-

blème qui n’aurait pas lieud’exister. Notamment, en cequi concerne le recrutementdes patients pour l’essai cliniqueDiscovery, les investigateurs sesont heurtés au refus de plu-sieurs malades inclus dansl’étude qui ne veulent que l’hydro xychloroquine.

À ce titre, Didier Raoult est décritcomme « antisystème »…S.S. : Contrairement à ce qu’avan-cent certains politiques, Raoultn’est pas si antisystème qu’onle prétend. C’est au contraire lefruit du système qu’on tente denous imposer dans le secteurde la recherche depuis plusieursannées. C’est un système quiconsidère que les meilleurs sontceux qui publient le plus, selondes critères de sélection plusquantitatifs que qualitatifs. Lesévaluations annuelles se fondentsur le nombre des papiers

publiés, qui jouent un rôle déter-minant dans l’attribution desfinancements aux laboratoires.Didier Raoult a très bien utiliséce système : avec plus de3 000 publications, il a ses propresfinancements et tout un réseaude politiques qui le soutient.Donc, quand on dit qu’il esthors système, c’est exactementl’inverse. Il est en revanche horscontrôle, la preuve : si sur laseule base de sa réputation scien-tifique il est capable de sortirdes études aussi bancales entemps de crise, c’est bien lafaillite d’un système… et c’estreprésentatif de la manière dontest gérée la recherche actuelle-ment. Il y a dix ans, cela n’auraitpeut-être pas été possible.

Quelles problématiques pose le financement de la rechercheactuellement ?S.S. : On est pris dans un cerclevicieux : pour être financé, ilfaut publier.Juste avant l’épidémie, les cher-cheurs étaient en plein mouve-ment contre le projet de loi deprogrammation pluriannuellede la recherche (LPPR). Avec ceprojet de loi, on constate quele système va s’aggraver, avecune évaluation quantitative deséquipes de recherche. Or, si onavait financé des travaux portantsur les coronavirus à la hauteurnécessaire après l’épidémie deSRAS-CoV de 2003, on en sauraitdavantage sur cette famille devirus, ce qui nous aurait permispeut-être de développer plus

rapidement des stratégies thé-rapeutiques ciblées.C’est également le cas d’autresthématiques qui pâtissent dece système, car le financementse fonde désormais sur desappels à projets, et non plus surde l’argent récurrent. Avecl’Agence nationale de larecherche (ANR), il y a encoredes appels à projets de recherchefondamentale, mais le taux desuccès est très faible, de l’ordrede 10 %. Les projets sont de plusen plus orientés, notammentavec la LPPR, afin de privilégierdes projets d’innovation, quiambitionnent des retombéeséconomiques à court et moyenterme. C’est donc de plus enplus difficile de faire de larecherche fondamentale. Faceà cette diminution de la mannerécurrente d’argent public del’État, les scientifiques peuventêtre amenés à fonctionner viaun réseau politique, ce qui esttrès problématique. Car lesrégions et les villes participentà notre financement.

Comment sont évaluées les publications scientifiques ?S.S. : Une fois qu’une publicationest prête, le papier est envoyéà un éditeur de la revue. Celui-ci transmet le papier à plusieursreviewers, qui restent anonymes.Ils retournent ainsi un avis. Soitla publication est acceptée enl’état, ce qui est très rare, soit ily a des révisions mineures oumajeures, soit il est rejeté si lesrésultats ne sont pas assez

e chercheuse et d’un médecin

Contrairement à ce qu’avancent cer-tains politiques, Raoult n’est pas si antisys-tème qu’on le prétend. C’est au contrairele fruit du système qu’on tente de nousimposer dans le secteur de la recherchedepuis plusieurs années.

25s

Si on avait financé des travaux sur lescoronavirus à la hauteur nécessaireaprès l’épidémie de SRAS-CoV de 2003,on en saurait davantage sur cette famillede virus.

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robustes. Pour la première étudedu professeur Raoult, elle n’apu être « reviewée », car elle aété transmise le 16 mars etpubliée le 17. Par ailleurs, l’undes coauteurs de l’étude est lechef d’édition de la revue[International Journal of Anti -microbial Agents, NDLR], ce quireprésente un conflit d’intérêtsmanifeste.

Que pensez-vous du choix de Didier Raoult de communiquersur les réseaux sociaux ?S.S. : Mettre à disposition lesrésultats en ligne, ce n’est pasinintéressant pour mettre sesdonnées à disposition. Encorefaut-il laisser le temps à la com-munauté scientifique d’exprimerson avis, avant de déclarer « finde partie pour la covid » et decommuniquer au grand publicqu’un remède a été trouvé avantmême d’ailleurs d’avoir sortison étude, juste sur la base d’uneétude chinoise qui ne rapportaitaucune donnée brute.

De fait, communiquer en s’affranchissant de l’avis des pairs exacerbe les théoriesdu complot ?S.S. : Je pense que c’était le rôledu ministre de la Santé et de laRecherche de faire de la péda-gogie à ce niveau, d’expliquerpourquoi ces études ne sont pasvalables. Le problème, c’est quele gouvernement, qui était enretard sur la gestion de la logis-tique de crise subit de plein fouetla défiance des citoyens. En plus,il y a déjà eu des scandales médi-caux en France. Face à une parolepolitique décrédibilisée, à desscientifiques atones, l’opinionpublique s’est donc engouffréevers cette personnalité scienti-fique d’envergure qui a le seulmérite d’exister, alors qu’en facec’est le néant, avec des personnelssoignants livrés à eux-mêmes,sans masques et œuvrant dansl’urgence dans un hôpital publicexsangue. Dans un autrecontexte, il n’aurait pas eu cetimpact.Que pensez-vous des prises de position de certaines

personnalités politiques en faveur de la prescription de chloroquine ?S.S. : Je trouve que c’est incon-séquent et inconscient. Ce nesont pas des scientifiques, ilsn’ont aucun recul sur les étudeset ont néanmoins une influencesur l’opinion publique, ce quiest catastrophique. C’est le casdu maire de Nice Christian Estrosi,

qui a indiqué avoir été « guéri »par le traitement hydroxychlo-roquine-azithromycine, alorsque cela ne prouve rien : il faitpeut-être partie des 80 % de casbénins. Et à partir d’un cas indi-viduel il émet une généralité, cequi est bien l’inverse d’unedémarche scientifique. C’estquasiment de l’obscurantisme,cela relève de la croyance. Et

comme beaucoup de gens ontbesoin de croire, il fallait bien sedouter que de tels propos auraientdes conséquences, en France etmême au-delà. On aurait puattendre du couple Véran-Vidalqu’ils clarifient avec force cegenre de situation, tout commeune prise de position aurait étésouhaitable de la part des orga-nismes de recherche pour coupercourt à cette affaire, ce qui n’apas été fait. Le vide thérapeutiqueterrifie les malades et les soi-gnants, mais cela ne légitime pasces comportements extravagantspour combler ce vide. n

Propos recueillis par BENJAMIN GRINDA.

Quelle est la situationactuellement dans votre servicede réanimation ?Damien Barraud :On a l’impres-sion d’avoir passé le fameuxpic, atteint un plateau. Le rushd’admissions semble être der-rière nous, même si le servicecontinue à tourner à plein. Sile tri des malades est habituelen réanimation, on avait suffi-samment de capacité pour nepas faire de tri aussi drastiqueque celui qui semble s’êtredéroulé en Italie, avec des limitesd’âge très basses. On a travaillécomme on l’aurait fait horspériode de crise.

L’effraction médiatique de la communication du professeurRaoult a-t-elle gêné le travail des médecins dans cette crise ?D.B. : Elle a gêné le travail desmédecins à plusieurs niveaux :si nous étions sur la même lignedans mon équipe, il y a eu dansmon hôpital certains collèguesde services conventionnels quivoulaient prescrire de l’hydro-xychloroquine, ce qui a suscitébeaucoup de palabres et de dis-cussions. Il y a eu égalementdes conséquences pour nos rap-ports aux malades et aux familles,qui nous ont demandé parfoisde manière très véhémente de

« C’est de la médecine spectacle, ce n’est pas de la science »

ENTRETIEN AVEC

Damien Barraud, médecin réanimateur en unité covid au CHR de Metz-Thionville, publié le 11 avril 2020.

Le jeudi 9 avril 2020, le docteur Didier Raoult dévoilait sa dernière étude. Les com-mentaires de la communauté scientifique ne semblent toujours pas dessiner deconsensus. Si à propos de la visite d’Emmanuel Macron à l’IHU Méditerranée Jean-Paul Hamon, président de la Fédération des médecins de France, regrette une dé-rive relevant de la politique spectacle, certains dénoncent désormais un scandaleéthique, à l’instar du docteur Damien Barraud, qui explique pourquoi, selon lui, lesannonces du professeur Raoult ralentissent la lutte contre le coronavirus en ajoutantde la confusion et un battage médiatique autour d’une figure qualifiée désormaisde « populiste » par de nombreux scientifiques.

s

Les projets sont de plus en plus orien-tés, notamment avec la LPPR, afin de pri-vilégier des projets d’innovation, quiambitionnent des retombées écono-miques à court et moyen terme.

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prescrire de l’hydroxychloro-quine, en nous menaçant deprocès si nous ne le faisions pas.Entre le stress et la pression,cette polémique a généré uneambiance pesante, dont nousnous serions bien passés tantle climat était déjà difficile. Enfin,cela entrave la bonne marchede la recherche, certains patientsrefusant de recevoir d’autrestraitements.

Comment expliquez-vousl’emballement qui a propulsé le docteur Raoult sur le devantde la scène médiatique malgrédes études très critiquées par la communauté scientifique ?D.B. : L’emballement me semblemultifactoriel. Il s’explique pro-bablement d’abord par le modede communication adopté parle professeur Raoult, qui a suutiliser Youtube et les réseauxsociaux pour rapidement seposer en sauveur de la nation,avec une solution miracle, dansune période de grand stress dansla population. Toutefois, la fai-blesse des preuves scientifiquesfournies par son équipe auraitdû clore le débat immédiate-ment. Si cela ne s’est pas passéainsi, c’est, me semble-t-il, liéà une défaillance chronique dusystème hospitalo-universitairefrançais, qu’une telle crise sansprécédent a révélé au grand jour.Certains reproches à l’encontredu gouvernement concernantla gestion de la crise sont justifiés.Il y a eu de vraies erreurs, tellesque les pénuries de masques,de matériel… Mais la pressiona été telle que le gouvernementa dû lâcher la bride lorsqu’unbateleur annonça sur la placepublique qu’il disposait d’untraitement miracle, et que ceserait « l’infection respiratoirela plus facile à traiter ». Le décretgouvernemental concernant la

prescription de l’hydroxychlo-roquine est le témoin de cetteprise d’otage.Dans un fonctionnement nor-mal, la communauté scientifiqueaurait dû s’élever et mettre finà tout cela. En 2017, un rapportdu Haut Conseil de l’évaluationde la recherche et de l’ensei-gnement supérieur (HCERES)a pointé de graves dysfonction-nements au sein de l’IHUMéditerranée Infection, suffi-sants pour entraîner en 2018 laperte de la labellisation INSERMet CNRS. Dès 2006, des faits d’in-conduite scientifique ont été

mis au jour, qui ont entraînéune interdiction transitoire de publication scientifique par l’American Society of Micro -biology et de nombreux com-mentaires sur le site PubPeerpar des scientifiques du mondeentier.

Concernant la publication desa première étude sur son trai-tement contre la covid-19, il n’ya probablement pas eu de revie-wing, l’éditeur en chef de cejournal [Journal of AntimicrobialAgents, NDLR] étant le bras droitde Raoult. Lorsque l’étude a étépubliée dans PubPeer, beaucoupde scientifiques ont pointé lesanomalies de ce travail. Etl’équipe de Didier Raoult nerépond pas à ces questions.L’International Society ofAntimicrobial Chemotherapy,société savante à laquelle appar-tient le journal scientifique ayantpublié ce travail, a même prisses distances cette semaine, enémettant une note exprimantla mauvaise qualité de cettepublication, qui n’aurait pas dûêtre publiée. Au niveau hospi-talier, l’AP-HM sait aussi ce qu’ilse passe. Le problème est simple :

les équipes de l’IHU rapportent25 % des points SIGAPS (systèmed’interrogation, de gestion etd’analyse des publications scien-tifiques) de l’AP-HM, ce quireprésente énormément d’argentpour l’institution, qui n’a aucunintérêt à perdre la poule aux

œufs d’or. Lorsque des publi-cations de recherche l’interro-gent, comme le British MedicalJournal, Didier Raoult préfèredécliner les questions, et posterune vidéo sur Youtube. C’estgravissime. Dans un monde nor-mal, tout est réuni pour que soitjustifiée une mise au ban de lacommunauté scientifique duprofesseur Raoult. Mais rien nese passe. Tout le monde se taitou ne proteste que mollement,alors qu’il s’agit d’un véritablescandale.

Quelles conséquences sur le plan éthique relevez-vous ?D.B. : Dans son dernier papier,il inclut deux enfants de dix ans,ce qui est une entorse éthiquegrave, parmi d’autres. En plusd’être une faillite scientifique,ces travaux sont une failliteéthique. Si la recherche cliniqueest réglementée, s’il existe desrègles méthodologiques qui ontété élaborées avec le temps, çan’est pas pour rien, mais pourproduire de la meilleure science.Sa manière de communiquerva à l’encontre du code de déon-tologie médicale, qui prévoitque le médecin doit faire preuvede prudence, ne faire état quede données confirmées, et pasde publicité. Lorsqu’il indiquequ’on meurt moins à Marseille,c’est un tour de passe-passe :le taux de mortalité bas est liéà une politique de dépistagesystématique, ce qui fait appa-raître une augmentation desformes asymptomatiques oupeu sévères, ainsi qu’à l’absencede service de réanimation, abais-sant ainsi de fait le nombre dedécès. Alors, en effet, cela n’estpas mentir stricto sensu, onmeurt moins à l’IHU, mais celan’est en aucun cas grâce à sontraitement. Faire croire cela n’estpas déontologique. Ainsi, mêmesi l’hydroxychloroquine marche,ce que je souhaite, il fait perdrebeaucoup de temps avec sesméthodes hors des clous.

La méthodologie demeure-t-elleessentielle pour être « dans lesclous », dans ce genre de crise ?

s

La pression a été telle que le gouver-nement a dû lâcher la bride lors qu’unbateleur annonça sur la place publiquequ’il disposait d’un traitement miracle.

Il y a eu également des consé quencespour nos rapports aux malades et aux fa-milles, qui nous ont demandé parfois demanière très véhémente de prescrire del’hydroxychloroquine, en nous menaçantde procès si nous ne le faisions pas.

Le paracétamol a été administré aux patients suivis à domicile. À défautde traitement spécifique, on a traité des symptômes : fièvre et douleurs.

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D.B. : Nous sommes passés del’empirisme à des méthodesstructurées car nous sommesjustement passés par des échecs,dont nous avons appris. L’histoirede la médecine est jonchée dedizaines de ces échecs. Ce quepropose le professeur Raoult,c’est le degré zéro de la recherchescientifique. C’est de la vieillemédecine, surannée, simplisteet de faux bon sens, dans laquellel’expertise est seule suffisante :Ils n’ont rien retenu, selon moi,des échecs du passé. L’expérienceest importante mais non suffi-sante : il nous faut des données.Ce sont les données qui sontirréfutables, pas l’expertise, quipourrait d’ailleurs être ques-tionnée.L’argument d’autorité fondé surle productivisme d’articles estde la poudre aux yeux. Les indicesde bibliométrie ne font pas laqualité d’un chercheur. Pourrevenir à la question du sensd’un traitement, l’importantn’est pas uniquement de fairedisparaître un virus dans le nez,il faut également que le maladeaille mieux. Le meilleur exempleavec l’hydroxychloroquine enest le chikungunya : l’hydroxy-

chloroquine inhibait le virus invitrode manière tout a fait effi-cace, mais chez l’homme elleaggravait l’état du patient. Doncil n’y a pas d’autre moyen des’en rendre compte que de réa-liser des essais dans les règlesde l’art, avec un groupe contrôle,et idéalement avec placebo.C’est tout à fait possible enurgence. Et parfaitement éthique.

Dans son dernier « préprint »mis en ligne sur son site de l’IHU,et qui a mon sens ne passerajamais l’étape d’un reviewing,il ne règle aucun problème etne montre rien. Car il n’y a pasde groupe contrôle. Il peut conti-nuer avec 100 000 patients,l’étude sera toujours aussi mau-vaise méthodologiquement. Lesrègles, c’est comme le code dela route : cela paraît contraignant,mais c’est fait pour permettreau plus grand nombre de

conducteurs, ou de patients,d’arriver à bon port. C’est d’au-tant plus important en périodede crise.

Que pensez-vous de la prise à témoin de l’opinion publiquesur les réseaux par le professeurRaoult ?D.B. : C’est une sorte de braquagescientifique. Quand on com-munique très vite comme étantun sauveur, on prend tout lemonde en otage : le gouverne-ment et les citoyens. Son argu-ment d’autorité et d’expertisecherche à asseoir un appui popu-

laire, au détriment de celui deses pairs. C’est du populismemédical.On dit et on donne auxgens apeurés ce qu’ils ont envied’entendre et de recevoir : untest et une pilule. La médecinen’est pas un barnum à la télé,ce sont des discussions de scien-tifiques qui débattent ensemblede résultats tangibles.Le bien-fondé d’un traitementn’est pas décidé par des prisesde position à l’emporte-pièced’hommes politiques en quêtede visibilité. Ni par des pétitionsdémagogiques. Ni avec des son-dages comme celui du Parisien.C’est cela qui prend en otage toutle monde, et qui a d’ailleurs forcéle comité de pilotage de l’essaiDiscovery à rajouter un bras depatients traités à l’hydroxychlo-roquine. On marche absolumentsur la tête, et les malades et l’in-telligence en pâtissent.

De nombreuses accusations ontsurgi à l’encontre de certainsdétracteurs du docteur Raoult. Ona parlé de conflits d’intérêts.Qu’en pensez-vous?D.B. : Il est vrai que certains pra-ticiens peuvent être exposés àdes conflits d’intérêts. C’est unvéritable problème. Mais le doc-

teur Raoult n’en est pas exempt :Sanofi, le producteur françaisdu Plaquenil, est partenaire del’IHU et le finance. Si la chlo-roquine ne coûte pas cher, unmarché de 30 millions deFrançais… cela fait de grossessommes. Malheureusement lesconflits d’intérêts font partied’un système ancestral, et il nefaut certainement pas faire pas-ser le docteur Raoult pour uneblanche colombe. On ne peutpas refuser de liens avec l’in-dustrie pharmaceutique, maisil faut exclure tout avantage oucadeau. Il peut exister égalementdes conflits d’intérêt non finan-ciers, pour monter en gradedans la hiérarchie hospitalo-universitaire par exemple, etqui poussent certains à publierbeaucoup et vite. Mais cettecourse au scoop produit toujoursde la mauvaise science, et estdélétère pour une bonne marchede la médecine.

Que regrettez-vous dans cettepolémique ?D.B. : Tout. Tout le déroulementde ce cirque dont nous n’avionspas besoin dans cette périodesi difficile. Et je regrette que lesmédias entretiennent cela plutôtque d’être apaisants. Il faudraitque les médias soient dans unmouvement éducatif, afin d’éle-ver les gens, de leur apprendreà critiquer, à prendre du recul,pour ne pas tomber dans la pre-mière croyance. Des journalistesne jouent pas ce rôle en lamatière. Lancer des sondages,demander son avis à tout lemonde sur un plateau, est irres-ponsable. Du coup, les gens, engrand stress dans cette période,se raccrochent au premier quileur donne de l’espoir. Ce n’estpas déontologique. Plus lapériode est grave, plus nousnous devons, nous tous, méde-cins, chercheurs, soignantscomme journalistes, de garderla tête froide et de travailler demanière rigoureuse. n

Propos recueillis par L.M., rendus par MIREILLE ROUBAUD.

L’argument d’autorité fondé sur le pro-ductivisme d’articles est de la poudre auxyeux. Les indices de bibliométrie ne fontpas la qualité d’un chercheur.

Dans un fonctionnement normal, lacommunauté scientifique aurait dû s’éle-ver et mettre fin à tout cela.

Des journalistes ne jouent pas ce rôleen la matière. Lancer des sondages, de-mander son avis à tout le monde sur unplateau, est irresponsable.

s

Le 30 mars 2020, l’émission Balance ton posteest consacréé à la chloroquine et au professeur Raoult.

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CE QUE NOUS INDIQUE LA SCIENCE DES DANGERSLes catastrophes de toute natureont fait l’objet de travaux scien-tifiques finalement peu nom-breux au regard des enjeux

sociaux, pour ne pas dire civi-lisationnels. Ces travaux, dé -sormais regroupés dans ce qu’ilest convenu de dénommer« sciences du danger », ou cin-dynique, nous montrent le rôle

secondaire des facteurs tech-niques (Guy Planchette1), aux-quels s’ajoutent les facteurshumains, en particulier le facteurorganisationnel. Ce sont les défi-

cits internes aux organisationsqui favorisent les catastrophes,en faisant converger un ensem-ble de détonateurs qui, seuls,n’engendrent guère de danger.Il a donc fallu intégrer à� l’analyse

des aspects qui guident lesactions des acteurs : valeursculturelles, règles admises, fina-lités. Des « dissonances » entreacteurs peuvent générer desbifurcations non souhaitées.L’histoire des analyses des dan-gers montre qu’elle est fortementliée à� la culture et aux intérêts.On recense cinq approches :– analytique, provenant deshabitudes acquises ;– fondée sur le risque, en oubliantle danger qui en est la source2 ;– « événementielle », qui prioriseles études de risques sur la pro-babilité� de déclenchement d’unévénement ;– « sensorielle » (la connaissancedes dangers ne repose que surceux perçus par nos sens) ;– préférence quantitative, enoccultant le fait que les aspectsqualitatifs, émotifs, influencentles actions des individus.

LA PANDÉMIE : RIEN DE « NATUREL »La propagation particulièrementrapide de la covid-19 suit, commetoute pandémie, les voies deséchanges internationaux. Ellefut dans ce cas particulièrementrapide et intense du fait destransports aériens. Comme lemontre le professeur PhilippeSansonetti3, la route du virus sesuperpose parfaitement à celledes liaisons aériennes dans lemonde, d’où la fulgurance quia mis les moyens humains locauxdans un état de sidération.Cependant, cet état n’apparaîtjamais sur un terrain capabled’absorber sans tension les évo-lutions saisonnières habituellesdes maladies et celles des fluxd’hospitalisation, ce pour lasimple raison qu’une certaine« tranquillité » permet de conce-voir des visions politiques ettechniques à moyen et longterme, bref de se munir de scé-narios prospectifs dits « catas-trophes » – c’est-à-dire des évé-nements qui pourraient générerun ébranlement des structuresinstitutionnelles, jusqu’à� leurarrêt – afin de s’y préparer.Dans la situation présente, cene fut pas le cas, bien aucontraire. Nous nous trouvonsdans la deuxième approche pré-sentée plus haut : la mise endanger par minimisationconsciente du risque. Le systèmehospitalier public est en tensioncontinue depuis plusieursannées, avec des files d’attentequi s’allongent partout du faitd’un manque criant de person-nels ainsi que des matérielsmédicaux vieillissants, souventde fabrication étrangère, d’oùdes problèmes de maintenanceet des coûts élevés. Inutile derevenir sur les multiples signauxd’alarmes récurrentes lancéspar toutes les professions desanté et les associations depatients, non pas dans quelques

Les effets de la désindustrialisation des secteurs liés à la santé

PAR Jean-Pierre Escaffre, Jean-Luc Malétras, Jean-Michel Toulouse*

Une pandémie annoncée, dont les effets auraient pu être moins dévastateurs, a été le révélateur d’une politique de mise à mal de l’industrie, de déni des dan-gers… Pour se sortir du marasme, des solutions ont été conçues. Elles ne sauraientêtre mises en œuvre sans débat, sans démocratie, sans une autre politique.

La filière de l’imageriemédicale est dominée par des

firmes étrangères : l’états-unienneGeneral Electric, l’allemande

Siemens, la néerlandaise Philips,la japonaise Toshiba et la

coréenne Samsung.

L’actualité a aussi mis en lumière lapénurie persistante de masques médi-caux de protection et de respirateurs,eux aussi importés (les deux dernièresusines filiales de groupes étrangers ayantfermé récemment leurs établissementsde production.

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sites mais partout sur le territoire.La pandémie s’est donc rajoutéeà� la tension permanente. Lasolution d’urgence fut d’arrêterune partie importante des fluxhabituels de patients pour pou-voir dégager des moyens plusou moins adaptés à� la vagueépidémique et d’étaler celle-cidans le temps par un confine-ment strict de la population.Curieusement en Suède, parexemple, de telles mesuresextrêmes n’ont pas été prisesau moment où ces lignes sontécrites – il est vrai que le systèmehospitalier suédois, moderne,n’a pas été démantelé commeen France, en Italie ou enEspagne…Une fois de plus, les problèmesorganisationnels sont à l’originede l’évolution catastrophiquede la pandémie : les scientifiquesde la cindynique ne s’étaientpas trompés, les « lois » sonttoujours présentes.Pourtant, dès la fin des années1990, le manque de personnelssoignants avait été signalé� demultiples fois aux autoritésministérielles par les chercheursainsi que par les organisationsprofessionnelles et syndicales,il en fut de même des dangers

des délocalisations industriellesinduisant l’évanescence despouvoirs de décision sur les pro-ductions des matériels hospi-taliers et la médication.Dès lors, la constance du posi-tionnement des instances poli-tiques gouvernementales4depuisdes décennies, malgré les crisd’alarme récurrents du « terrain »,laisse ce goût amer qu’en réalitécela correspondait et correspond

encore à� une stratégie délibéréede dépouillement des moyensdes souverainetés essentiellesdu pays, laissant professionnelset population en désarroi dufait de leur croyance naïve endes gouvernements naturelle-ment protecteurs, comme àl’époque des Trente Glorieuses.

LE CAS DE L’INDUSTRIE LIÉE À� LA SANTÉ�L’actualité a mis en lumière lapénurie de médicaments enFrance, massivement importés.Il n’y a pourtant rien de nouveau,sinon que la situation s’est brus-quement aggravée, en particulierpour les anesthésiants. Tout lemonde se souvient des pénuriesrécurrentes depuis quelquesannées de médicaments utilespour les affections cardiologiques

ou oncologiques. Il fut un tempsou� , démocratie encore vivantedans notre pays, le ministre dela Santé� aurait été démis de sesfonctions dans la journée.L’industrie pharmaceutique estdominée en France par Sanofi5

(groupe international détenupartiellement par le groupe decosmétiques L’Oréal), puis pardes PME telles que Servier,IPSEN, Pierre Fabre. Elle emploie

dans notre pays plus de100000 personnes en direct.L’actualité a aussi mis en lumièrela pénurie persistante demasques médicaux de protectionet de respirateurs, eux aussiimportés (les deux dernièresusines filiales de groupes étran-gers ayant fermé récemmentleurs établissements de pro-duction, puis fait détruire lesmachines pourtant modernesdans une déchetterie locale !).La destruction de ces produc-tions industrielles ne concernepas que ces deux produits. Lamême logique a frappé d’autressecteurs des dispositifs médicauxdepuis longtemps, dont l’ima-gerie médicale. Celle-ci est domi-née par des firmes étrangères :l’états-unienne General Electric,l’allemande Siemens, la néer-landaise Philips, la japonaiseToshiba et la coréenne Samsung.En réalité, Siemens et Philipsutilisent les conceptions destechnologies d’imagerie deThales, entreprise d’armementencore française. Les syndica-listes CGT de celle-ci proposentdepuis plusieurs années la créa-tion d’une filière française dédiéeau secteur santé� , dotée d’éta-blissements de prototypage àl’instar de la Compagnie généralede radiologie (CGR), vendue à�General Electric. Cette propo-sition, dont les éléments tech-niques ont été validés par lesprofessionnels du secteur, nerencontre pas pour autant l’at-tention qu’elle mérite de la partdes autorités politiques. Unexemple de plus non pas de sur-dité de celles-ci contrairementà� ce qui est fréquemment pré-tendu mais de la continuité opi-niâtre de leur stratégie de des-

truction de la cohérence du tissuindustriel de notre pays.Face à� la montée des protestationsde la population, ces autoritéspolitiques aux pouvoirs ultra-concentrés, comme nulle partailleurs dans le « monde occi-dental démocratique », préten-dent qu’il convient de faire revenirles usines non pas obligatoire-ment en France mais en Europe.Gageons qu’il ne s’agira pas de nationaliser mais de créer de multiples partenariatspublic/privé (PPP), dont l’inef-ficacité est largement avérée, sice n’est pour continuer à abonderles comptes des multinationales.En effet, ces PPP organisent undessaisissement total des maîtresd’ouvrage (conception, exécutionet gestion-maintenance de l’ou-vrage public) contre un contratprévoyant une « redevance» pen-dant 30 à� 99 ans, au terme des-quels l’ouvrage redevient la pro-priété de la personne publique,et ce dans un état très critique.

SOLUTIONS POLITIQUES ET ORGANISATIONNELLES À DÉBATTREMais il faut se sortir du marasme,ébranler le mur de la pseudo-surdité passe par un renouveaupolitique prenant en compte leproblème dans sa globalité.Selon nous, ce renouveau,dépendant de la mobilisationdes forces endogènes du paysen qui il faut faire confiance,devrait reposer sur trois piliers :– une réorganisation globale dupilotage politique et stratégiquede la santé� publique,– une démocratisation en pro-fondeur du secteur hospitalierpublic, – la création d’une filière indus-trielle dédiée dotée de centresd’innovations technologiqueset de prototypages.Nous en proposons ici lesgrandes lignes, en nous concen-

Il n’y a pourtant rien de nouveau, sinonque la situation s’est brusquement aggra-vée, en particulier pour les anesthésiants.Tout le monde se souvient des pénuries récurrentes depuis quelques années demédicaments utiles pour les affections cardiologiques ou oncologiques.

Les industries des dispositifsmédicaux, avec un effectifd’environ 65000 personnes en France, constituent un atoutconsidérable pour rebâtir unefilière digne de ce nom.

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trant sur les caractéristiques dutroisième pilier. Le lecteur trou-vera plus de détails dans notreouvrageLa Santé� sans industries?Refonder le lien entre le systèmesanitaire et l’industrie française.

Premier pilierDémocratiser en profondeur le pilotage de la santé� publiqueIl est essentiel de politiser lesenjeux stratégiques des poli-tiques de santé� en responsabi-lisant les instances politiques.En lieu et place des agencesrégionales de santé (ARS), il fautune organisation de pilotagepolitique et stratégique reposantsur l’implication et l’écoute dupersonnel, et plus largementdes citoyens6. En support deschambres politiques nationaleet locales démocratiques, créa-tion de chambres locales d’or-ganisation de la santé� dotéesde deux administrations locales :– l’administration locale d’or-ganisation de la santé� ;– l’administration des études,de la recherche, de la prospectiveet de l’évaluation technique dela santé� . Celle-ci aurait entreautres missions d’assurer lesliaisons entre les unités de R&Ddes hôpitaux (à� créer aussi) etl’industrie.

Second pilierDémocratiser en profondeur les structures hospitalières publiquesL’hôpital doit retrouver son statutd’établissement public admi-nistratif (EPA) avec personnalitéjuridique et l’autonomie finan-cière. La T2A doit être suppriméeet remplacée par des budgetsspécifiques négociés. La démo-cratisation des instances de l’hô-pital aura des effets décisifs surl’écoute et la considération des

« héros en blouse blanche ». Seseffets se feront sentir égalementsur la conception des dispositifsmédicaux et des produits ainsique sur leur production indus-trielle. Elle aura aussi uneinfluence déterminante sur lesdécisions d’investissement enmatériels.

Troisième pilierCréation d’une filièreindustrielleComme l’a révélé la crise sani-taire actuelle, la France doit sedoter des moyens de reconstruireune industrie forte de fabricationde matériels permettant de four-nir aux établissements une nou-velle génération d’équipementsrépondant directement auxbesoins spécifiques des soi-gnants, qu’ils soient hospitaliers,

urgentistes ou médecins deproximité. Cela nécessite la créa-tion d’une filière industrielle –et d’un comité de pilotage indus-triel multidisciplinaire souscontrôle parlementaire – com-prenant des centres d’innova-tions technologiques et de pro-totypages7 (les prototypagesn’existent plus en France!), maiségalement la création d’uneossature industrielle et de ser-vices. Créer, par exemple, unSiemens français ne coûteraitque 500 millions d’euros enregroupant 200 start-up (lasomme de leurs actifs nets).C’est ce type d’action qui, après-

guerre, a permis la création,entre autres, de la SNCF et d’EDF.Les industries des dispositifsmédicaux emploient un effectifd’environ 65000 personnes enFrance8, uniquement consacréà la R&D et à la production. Ellessont en fait composées de PMEet ETI (1100 entreprises, sansappui étatique : pas de clustersdédiés !), repoussées vers desmarchés de niche par les mul-

tinationales étrangères, essen-tiellement états-uniennes etallemandes. Demeure encorela puissance de feu de larecherche française, avec plusde 1100 chercheurs statutaireset près de 700 doctorants et post-

doctorants qu’il conviendra demobiliser rapidement, avantque la réforme des structuresuniversitaires et de recherchevotée récemment par les ins-tances politiques ne produiseson effet dévastateur.On voit donc que les potentialitésne manquent pas pour relancerle mécanisme de réindustriali-sation d’une filière française desdispositifs médicaux. Cet impé-ratif catégorique n’est pas horsde portée de la sixième puissanceéconomique mondiale.L’État stratège, l’État républi-cain, doit veiller à ce que lepeuple français ne perde passa souveraineté économiqueau profit d’un quarteron demultinationales sous tutellenord-américaine. Et cela n’em-pêchera pas, bien au contraire,les coopérations entre Étatssouverains. Il ne manque quele courage politique. n

*JEAN-PIERRE ESCAFFRE estdocteur en droit public, anciendirecteur d’hôpital public.

JEAN-LUC MALE�TRAS estconsultant, ancien responsable de lacoordination CGT du groupe Thales.

JEAN-MICHEL TOULOUSE estagrégé� , maître de conférences en sciences de gestion, HDR.

La France doit se doter des moyens dereconstruire une industrie forte de fabrica-tion de matériels permettant de fournir auxétablissements une nouvelle générationd’équipements.

Créer, par exemple, un Siemens fran-çais ne coûterait que 500 millions d’eurosen regroupant 200 start-up (la somme deleurs actifs nets).

1. Guy Planchette, « Danser le tango sur l’asymptote. Science du danger et complexité », VRS, n° 410, 20172. Danger : capacité� à� provoquer des dommages. Risque : confrontation de personnes ou équipements à des dangers.3. Conférence du professeur Philippe Sansonetti : « Covid-19 ou la chroniqued’une émergence annoncée », Collège de France, 16 mars 2020.4. Nous faisons ici la distinction classique entre gouvernement, de l’ordre du politique, et l’État, moyen essentiel à la disposition des gouvernements.Accuser l’État de l’orientation politique de ses moyens est stupide ; autant accuserla bêche du jardinier plutôt que le cerveau et la main du jardinier !5. Sanofi est le produit de la privatisation de Rhône-Poulenc, acceptée parLaurent Fabius. L’essentiel de la R&D fut alors transférée à� la filiale de Boston,aux États-Unis, spécialisée en particulier dans la production de la chloroquine.Donald Trump vient de commander la mise au point d’un vaccin contre le coronavirus, avec obligation de destiner ce vaccin en premier lieu à� la population états-unienne.6. Voir aussi Jean-Pierre Escaffre et Raphaël Favier, La France se délite :réagissonsl !, HDiffusion, 2017.7. Ceci nécessitant de notre point de vue une reconsidération du Conseil nationalde l’industrie (CNI) et des comités stratégiques de filières (CSF).8. Ministère de l’Industrie, « Technologies clés 2020 ».

Les auteurs de cet article ont publiéDes soins sans industrie? (à commander sur le site :https://dessoinssansindustrie.fr).

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LA RENTABILITÉ AVANT TOUTLa gestion par la rentabilité estassassine pour les pays du Sud,également néfaste pour les tra-vailleurs et travailleuses du Nord.Pendant des années, on a consi-déré ici ou là que l’industriepharmaceutique avait des effetsnégatifs surtout pour les maladesde pays pauvres. Les effets decette politique pour les popu-lations du Sud sont effectivementédifiants : les médicaments sonttrop chers, handicapant lour-dement toute politique de santépublique ; les maladies « nonrentables » sont négligées ; seul1 % des 1393 molécules médi-camenteuses mises au pointentre 1975 et 1999 concernaitles maladies spécifiques de cespays ; certains traitements sonttellement anciens que des résis-tances se sont développées, lesrendant inefficaces.Il est d’ailleurs légitime de seposer la question suivante : sila covid-19 n’avait touché que

les pays pauvres, y aurait-ilautant d’essais lancés dans lemonde pour trouver un traite-ment? On peut en douter.La crise sanitaire liée au coro-navirus démontre – si on devaitencore le faire – que dans lespays riches aussi la politiquedes groupes pharmaceutiques

a un impact très fort. La main-mise du privé pose aussi denombreuses questions dans les pays du Nord. Quel accèsaux médicaments pour les po -pulations les plus pauvres, en constante augmentation ?Comment sont fixés les prix deces médicaments et quelle estleur implication dans le finan-cement de la protection sociale?Comment un gouvernementpeut-il élaborer une ambitieusepolitique de santé si l’industriepharmaceutique telle qu’ellefonctionne va à son encontre?La pandémie montre bien qu’ilest grand temps de remettre surla table des propositions sur

l’industrie pharmaceutique etsouligne le fait que le médica-ment ou le vaccin ne sont pasdes produits comme les autres.Dans cette période, on peutarrêter de fabriquer du Play -mobil, pas des médicaments !En plus de toutes celles et ceuxqui sont en première ligne dansle combat contre le virus, il y ales salarié(e)s de l’industrie phar-maceutique qui travaillent surla covid-19, et qui continuentaussi à produire les autres médi-caments, car toutes les autresmaladies continuent de sévir.

Faisons donc la distinction entreles dirigeants des grands groupesqui, comme leurs actionnaires,se gavent (le terme est faible),et les salarié(e)s qui veulent,d’abord et avant tout, contribuerà améliorer la santé.Cette crise vient confirmer queles seuls intérêts privés ne peu-vent régler la situation, que lapuissance publique doit jouerun rôle, car la question c’est lacoopération pour combattre cenouveau virus, et non la com-pétition. Il ne s’agit pas d’imposeraux laboratoires de faire l’au-mône mais bien de donner àchaque humain le droit à lasanté. Cela repose les questionsdu médicament : pour qui, pourquoi faire, avec quelle industriepharmaceutique?Prenons un exemple de la gestionaujourd’hui dominante : l’usineFamar de Saint-Genis-Laval(région lyonnaise), seule à pro-duire de la chloroquine, est enredressement judiciaire! Un peud’histoire : en 2003, Aventis, des-

Pour un pôle public du médicament

PAR Laurent Ziegelmeyer*

La pandémie de covid-19 révèle les besoins en termes de collaboration inter -nationale dans le secteur du médicament. Malgré l’existence de géants pharma-ceutiques nationaux, l’industrie pharmaceutique française ne prend clairement passa part dans la mise en commun internationale des moyens techniques et humainspermettant de répondre aux besoins de toutes les populations.

Il est d’ailleurs légitime de se poser laquestion suivante : si la covid-19 n’avait tou-ché que les pays pauvres, y aurait-il autantd’essais lancés dans le monde pour trouverun traitement ?

Il ne s’agit pas d’imposer aux labora-toires de faire l’aumône mais bien de don-ner à chaque humain le droit à la santé.Cela repose les questions du médicament :pour qui, pour quoi faire, avec quelle indus-trie pharmaceutique ?

Centre de recherche Sanofid’Alfortville. La fermeture de cesite, où ont été conçues et testéesdes molécules médicamenteusesutilisées dans le monde entier, est toujours d’actualité malgré la pandémie.

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cendant direct de Rhône-Poulenc et Roussel-Uclaff, avendu ce site à l’entreprisegrecque Famar, laquelle, prisedans d’énormes difficultés, aété reprise par KKR, un fondsd’investissement états-unien.KKR a placé cette usine en redres-sement judiciaire, et les onzeautres usines de Famar sont encours de vente à la découpe.On pourrait aussi évoquer, parmiles aberrations, le nombre deprincipes actifs importés deChine et d’Inde, comme le para-cétamol, mettant en dangernotre souveraineté sanitaire,alors qu’ils pourraient être pro-duits localement.Enfin, sur la recherche, Sanofia décidé en 2019 de fermer lecentre d’Alfortville. Malgré lapandémie, le plan continued’être mis en œuvre. En France,rien que dans ce groupe les effec-tifs de recherche ont fondu demoitié en dix ans. Ces différentsexemples montrent bien quedans ce domaine on ne peutpas faire confiance au privé.Alors oui, un pôle public derecherche et de production phar-maceutique est indispensabledans notre pays. « Impossible ! »vont hurler les libéraux et lespatrons de cette industrie. Ilsont la mémoire courte.

L’EXPÉRIENCE DES NATIONALISATIONSLes nationalisations des années1980 ont conduit à des change-ments de propriétaire, mais lalogique est restée identique.Prenons le groupe Sanofi, dontles origines généalogiques sontprincipalement partagées entrois :– Rhône-Poulenc, nationaliséeau début des années 1980, cequi a sauvé l’entreprise ;

– Roussel-Uclaff, où l’État a eujusqu’à 40 % du capital ;– enfin Sanofi, filiale pharma-ceutique du pétrolier Elf, quiétait une entreprise publique.C’est donc bien l’argent publicqui a permis la constitution dece groupe. Un pôle public phar-maceutique est possible, indis-pensable et nécessaire, maisavec une gestion qui, à la diffé-rence de ce qui s’est fait dansannées 1980, devra prendre encompte l’avis des salarié(e)s et les besoins de santé ici et ailleurs.Dans les années 1980, nousavons donc connu la nationa-lisation d’une partie de l’industrie

pharmaceutique. Cela n’a pasempêché� des scandales commecelui de l’oltipraz, traitementcontre la bilharziose mis aupoint à Rhône-Poulenc… etjamais produit. Cela n’a pas per-mis non plus la constitutiond’un grand pôle pharmaceutiquepermettant de répondre auxbesoins de la population. Enfait, Rhône-Poulenc était uneentreprise « publique », maisgérée selon les critères de ren-tabilité� du privé. La nationali-sation avait permis de la sauver,mais jamais il n’y eut la moindreréflexion sur un autre type degestion.

POURQUOI UN PÔLE PUBLICCe que nous avons évoqué ausujet des nationalisations n’apas permis la constitution d’un

grand pôle pharmaceutique quiait autorité sur la recherche, laproduction et la distribution.Or un tel pôle serait utile pourimposer une gestion véritable-ment démocratique et fondéesur les besoins des populations.Il s’agit tout d’abord de débattrede la notion de propriété� intel-lectuelle et de son appropriation.Les brevets dans le domaine dela santé ne sont qu’une véritableconfiscation pour servir les inté-rêts de certains qui y trouvent

une source de bénéfices. Onpeut d’ores et déjà évoquerquelques donnés qui caracté-risent le fonctionnement de lapropriété intellectuelle, et quisont à transformer d’urgence :la durée excessive des brevets,leur systématicité quel que soitle médicament, leur applicationidentique au Nord et au Sud…L’idée que le médicament n’estpas un produit comme les autresfait son chemin. Il faut considérerle médicament comme partieintégrante de la politique desanté, comme un bien public,au même titre que l’eau, l’air,l’énergie… La recherche, la production et la distributionpharmaceutique ne doiventdonc pas être régies commeaujourd’hui, sous le contrôleexclusif de quelques grands

groupes privés. Il apparaît clai-rement la nécessité� d’un réelcontrôle public. Cela ne veutpas dire automatiquementnationalisation.Ce contrôle public peut s’arti-culer autour d’une interventionsur la demande, d’une véritabletransparence sur le médicament,d’une réelle politique du prixet, enfin, de la place que doitoccuper la puissance publique.Tout d’abord, on peut évoquerla mise en place d’un véritableconseil du médicament, indé-pendant des industriels, quipuisse établir des priorités, enlien avec les ONG et les asso-ciations de malades. Les conclu-sions de ce conseil devraientservir d’orientations tant à larecherche publique qu’à l’in-dustrie privée.Comment? Les aides publiquesseraient soumises à ces orien-tations, et on peut concevoirégalement l’obligation pour lestrusts d’utiliser une partie deleurs bénéfices à des rechercheset à des productions utiles etindispensables. Aujourd’hui,dans le cas de Sanofi, on voitque la moitié des bénéfices sontversés aux actionnaires, qui tou-chent depuis des années prèsde 150 millions d’aides de l’État,dont le crédit d’impôt recherche,sans obligation de contrepartie.Sanofi a quand même supprimé3000 postes de chercheurs endix ans en France. Le dernierplan est en cours, avec la fer-meture du site d’Alfortville.D’autres pistes peuvent être évo-quées : fonds alimenté par unetaxe sur les bénéfices, fonds de

On pourrait aussi évoquer, parmi lesaberrations, le nombre de principes actifsimportés de Chine et d’Inde, comme le paracétamol, mettant en danger notresouveraineté sanitaire.

Il faut considérer le médicament com -me partie intégrante de la politique desanté, comme un bien public, au mêmetitre que l’eau, l’air, l’énergie…

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soutien à la recherche publiqueet à des initiatives de solidaritéinternationale… On pourraitimaginer aussi un dispositif uti-lisant ces fonds (ou d’autres res-sources) pour assurer un finan-cement de programmes dans lecadre des priorités du conseil,avec comme condition l’absencede brevet, faisant des moléculesdestinées à des thérapies desbiens publics. Réfléchissons éga-lement à un mécanisme per-mettant que des molécules effi-caces mais abandonnées nerestent pas dans les tiroirs deslaboratoires. Ces produits sontsouvent brevetés, il est tempsde réveiller ces brevets dormants!On peut penser enfin à la réqui-sition des unités de fabrication

qui ne sont pas utilisées, ce afinde produire les médicamentsfaisant défaut aujourd’hui (consi-dérons sous cet angle le cas del’usine Famar de Saint-Genis-Laval). Le terme de « réquisition »peut faire peur, mais est-il pluseffrayant que cette logiqueactuelle de l’industrie, faite demépris pour les malades du Sudet de destruction de l’emploidans le Nord?

On le sait, le privé de toute façonne voudra pas travailler sur tout.Se pose donc clairement laconstitution d’un pôle publicdu médicament.La constitution d’un grand pôlepublic de recherche et de pro-duction pharmaceutique estnécessaire, mais avec un modede gestion qui ne soit pas calquésur le privé. Il devra au contraireêtre géré, dans le cadre du débat

démocratique par les chercheurset les salariés, et impliquant lessyndicats, les associations demalades, les ONG. Ce pôle publicserait ouvert sur les collabora-tions internationales, notam-ment avec le Sud (le transferttechnologique étant, pour moi,l’avenir dans ces pays), ouvertégalement aux collaborationspublic/privé, mais sur une based’égalité et non pas dans uncadre de domination du privé,comme c’est trop souvent le casaujourd’hui.Il est temps de sortir le médi-cament, ce bien public, de lalogique capitaliste ! n

*LAURENT ZIEGELMEYER est élu du personnel du groupe Sanofi.

Tout d’abord, on peut évoquer la miseen place d’un véritable conseil du médi-cament, indépendant des industriels, quipuisse établir des priorités, en lien avec lesONG et les associations de malades.

a crise de la covid-19révèle au grand jour descarences que, hier, seuls

des milieux spécialisés ou mili-tants abordaient, comme ladépendance à l’Asie pour desmédicaments essentiels. Devantles faits, le président Macronen personne s’est rendu le31 mars 2020 à l’entrepriseKolmi-Hopen de Saint-Barthé -lemy-d’Anjou (Maine-et-Loire),qui produit des masques chi-rurgicaux. Il y a déclaré que« notre priorité est de produiredavantage en France et en Europe,

partout où nous avons des sitesde production français, de monteren volume, de pousser davantagenos capacités et de créer ausside nouvelles capacités de pro-duction [et qu’]il nous faut retrou-ver la force morale et la volontépour produire davantage enFrance et retrouver cette indé-pendance ».

LA FILIÈRE FRANÇAISE À L’ABANDOND’autres problèmes sanitairesrestent inconnus du public,comme le besoin de médica-ments dérivés du sang (MDS)ou la situation difficile de l’éta-blissement public qui les produit,le LFB (Laboratoire du fraction-nement et des biotechnologies).Les MDS se répartissent en troiscatégories : l’albumine, utilisée

dans les pratiques hospitalières;les facteurs de coagulationpourles hémophiles et les immuno-globulines (ig) pour traiter lesdéficits immunitaires. Pour lesdeux premiers, notre pays estautosuffisant, pour les ig noussommes déficitaires, le LFB nefournissant de quoi couvrir que35 % des besoins.Le LFB fractionne chaque année980000 L de plasma fournis parles donneurs de sang bénévoles.Certains MDS, comme l’albu-mine ou les ig, sont produits en quantité ; d’autres, commealfa-1 antitrypsine (pour le trai-tement du déficit pulmonaireou hépatique) ou le facteur XI(pour le traitement d’une formerare de l’hémophilie), sontextraits en quantités microsco-piques à des coûts que lescitoyens ne peuvent imaginer.Le LFB, dont l’usine principalese situe à Lille, n’a jamais étéfinancé à la hauteur des besoinsde santé publique. En moyenne,quelque 500000 malades béné-

Crise sanitaire : n’oublions pas les médicaments dérivés du sang!Peu connus du public, les médicaments dérivés du sang sont un enjeu industrielmajeur. Pourtant, depuis des années les centres de productions ont été délais-sés, navigant entre insuffisance dans les investissements et incompétence deleurs dirigeants.

PAR Jean-Pierre Basset*

Le LFB, dont l’usine principale se situe àLille, n’a jamais été financé à la hauteurdes besoins de santé publique.

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ficient annuellement des pro-ductions du LFB, qui disposede 18 autorisations de mise surle marché (AMM), donc d’autantde médicaments traitant80 pathologies. Fin 2018, l’usinede Lille, obsolète, a connu degraves pannes entraînant la des-truction de médicaments et leblocage de lots en attente deleur validation par l’Agencenationale de sécurité des médi-caments (ANSM), qui a établiun calendrier de rupture desstocks. Dans un contexte déjàdifficile, cela a « plombé » lesressources du LFB. Gouvernement et direction ontalors décidé « d’ouvrir le capital »du LFB, opération rendue pos-sible grâce à l’article 48 de laloi… Macron, alors ministre.Cela transformerait les produitssanguins éthiques en marchan-dise générant des dividendes.C’est inacceptable pour les don-neurs de sang.Il est à noter que financementinsuffisant s’est conjugué avecincompétence des administra-teurs nommés par l’État. Jusqu’àfin 2017, seulement deux d’entreeux « avaient une expériencedans le secteur pharmaceutique,aucun dans le fractionnementdu plasma »1, particulièrementcomplexe.Des interventions parlementaireset l’action de militants du donde sang ont conduit l’État à four-nir 51,3 millions d’euros puis

96 millions, au titre « d’avanceen compte courant d’action-naire ». Mais il manque encoreenviron 170 millions pour ter-miner, en 2023, la constructionde l’usine d’Arras, dont la tailleet la capacité (3 millions de litres)réduiront les coûts et pourraientmême permettre l’autosuffisancenationale.Si l’avenir du LFB n’était pasassuré, nous deviendrions encore

plus dépendants des multi -nationales qui tiennent le marchémondial dans un contexte depénurie et de besoins croissants,de 10 % par an en France commedans le monde. Répondant àun rapport de la Cour descomptes de 2019, Agnès Buzyn,ministre de la Solidarité et dela Santé, qui note des tarifs desig du LFB inférieurs aux prixpratiqués en Europe et aux États-Unis par les firmes multinatio-nales concurrentes2, écrit : « unaffaiblissement du LFB pourraitengendrer une hausse des tarifsde ig en France », donc desdépenses de santé publique.Dans cette réponse, MmeBuzyn

soulignait que, au monde, « septspécialités sont produitesaujourd’hui exclusivement parle LFB ». C’est dire la gravité del’enjeu pour les victimes demaladies rares à disposer d’unétablissement public et la légè-reté des pays développés qui nes’en préoccupent pas, la com-plexité de ces productions et lenombre limité de malades n’en-gendrant pas de profits suffisantspour les multinationales.

INTERPELLATION POLITIQUECela a amené André Chassaigneet le groupe GDR à l’Assembléenationale à demander la créationd’une commission d’enquêtesur le système transfusionnel3.Toutes les sensibilités parle-mentaires devraient s’associerà cette démarche, et les citoyens« y mettre leur nez ». C’est unenjeu de santé publique.De son côté, mi-avril 2020, ladirection de la Fédération fran-çaise des donneurs de sangbénévoles s’est adressée au pré-sident Macron pour demanderle financement par l’État desbesoins du LFB. La demande a

été rapidement relayée par desunions départementales auprèsdes parlementaires.Au chapitre des gâchis et del’abandon, on notera que faceaux difficultés financières consé-cutives aux pannes de Lille (età la gestion erratique passée),la direction du LFB a décidé –et le gouvernement a laissé faire– de vendre sa filiale dédiée auxbiotechnologies4, CellForCure,à la multinationale suisseNovartis pour produire l’anti-cancéreux Kymriah, que laSécurité sociale a accepté derembourser au tarif de 320000 €l’unité, et ce bien que la HauteAutorité de santé ait considéré

que ce médicament « apporteun service médical rendu mineur(ASME IV) en termes d’efficacité».CellForCure avait été en 2013le premier plateau européen demédicaments de thérapie cel-lulaire, sur le site des Ulis(Essonne).La Cour des comptes observedans son rapport de 2019 (p. 280)que, d’une part, le développe-ment des biotechnologies a étéencouragé par l’État et que, del’autre, ce développement a étéfinancé (700 millions d’euros)par « un prélèvement sur la margedégagée par l’activité de frac-tionnement du plasma », c’est-à-dire par le don de sang béné-vole. La vente à Novartis en estd’autant plus scandaleuse. Sion vivait dans un monde normalune commission d’enquête par-lementaire aurait dû être créée.Après la crise sanitaire, le débatdevrait s’engager rapidementpour la création d’un pôle publicdu médicament, dans lequel leLFB devrait avoir une place,ainsi que la filiale pharmaceu-tique de l’EFS. n

*JEAN-PIERRE BASSET est militantdu don de sang, Valence.

1. Cour des Comptes, rapport 2019,p. 281.2. Depuis 1993, une directiveeuropéenne classe les dérivés du sang en « médicaments », ce qui permet leur commercialisationpar quatre multinationales, y comprisdans les hôpitaux français. L’essentiel du plasma collecté par les multinationales est prélevé en rémunérant des populationsdéfavorisées aux États-Unis, en Europe centrale aussi.Paradoxalement, les États-Unis, qui collectent 70 % du plasmamondial, ne disposent pas d’uneindustrie du fractionnement. Ils sontdépendants des multinationalesopérant en Europe à partir du plasmaaméricain transporté congelé.3. Assemblée nationale, no 2628, 30 janv. 2020.4. Le LFB explore aussi le domaine de la transgénèse pour la productionde protéines recombinantes pourl’antithrombine et des facteurs de coagulation, ainsi que la production d’animauxtranschromosomiques avecl’hypothèse de traiter Ebola par des immunoglobulines spécifiques.

Si l’avenir du LFB n’était pas assuré, nousdeviendrions encore plus dépendants desmultinationales qui tiennent le marché mon-dial dans un contexte de pénurie.

Cela transformerait les produits sanguinséthiques en marchandise générant des di-videndes. C’est inacceptable pour les don-neurs de sang.

Siège du Laboratoire français du fractionnement et des biotechnologies(LFB), dans le parc d’activités de Courtabœuf, Les Ulis (Essonne).

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L’image du numéro

Cette image, obtenue au microscopeélectronique à transmission, montre le SARS-CoV-2 – dénommé 2019-nCoVdans un premier temps –, le virus qui cause la covid-19 isolé d’un patientaux États-Unis. Des particules de virusémergent de la surface de cellulescultivées en laboratoire. On distingue lespointes sur le bord extérieur des particulesdu virus, lesquelles paraissent dessinerune couronne, ce qui lui a valu le nom de coronavirus. Image capturée et coloriée au NIAID Rocky MountainLaboratories (RML) à Hamilton, Montana.

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n ÉCHECS

Dans les pas de l’école soviétique d’échecs

La théorie de la valeur (1)PAR TAYLAN COSKUN*,

u jeu d’échecs, on attri-bue à chaque pièce unevaleur moyenne. Ainsi :

– un pion vaut un pion ;– un Cavalier, tout comme unFou, vaut trois pions ;– une Tour vaut cinq pions ;– une Dame vaut neuf pions.Le Roi, lui, n’a pas de prix, cars’il est perdu (échec et mat !)tout est perdu.Comme certains économistesqui ne savent calculer qu’à partirdes valeurs moyennes, lesjoueurs débutants qui connais-sent ce tableau de valeursmoyen nes jouent pour avoirune supériorité matérielle surl’adversaire pour le battre.Beaucoup sont contents quand ilsont gagné la Dame. Ils pensent,pauvres fous, avoir gagné la partie.Or, contrairement à d’autresjeux de plateau, les échecs nesont pas un jeu d’accumulationmatérielle. Un joueur peut perdre

presque toutes ses pièces, maiss’il lui reste un dernier pion pour« capturer » le Roi adverse, pourle mater, il aura gagné contreun adversaire qui aurait toutesses troupes. Ce dernier pion nevaut pas alors un pion ! Il a autantde valeur que le Roi adverse.Selon la position qu’elles occu-pent, selon la coordination quiexiste entre elles, selon les pos-sibilités locales de dominer leRoi adverse, les pièces changentde valeur. À côté de leur valeurmoyenne, elles ont une valeurrelative qui est fonction de ladynamique de la partie. C’estleur valeur d’usage qui primesur leur valeur d’échange.L’école soviétique d’échecs étaitfriande de cette stratégie fondéejustement sur l’instabilité de lavaleur des pièces, qui se modifieen fonction de leur usage. Seloncette stratégie, il s’agit de sacrifierdes forces inutiles ailleurs etoccuper ainsi les forces de l’ad-versaire loin du terrain des opé-

rations afin d’avoir les mainslibres pour y créer une domi-nation partielle et aboutir àl’échec et mat.Du point de vue du rapport desforces matérielles, on peut doncêtre en infériorité et pourtantgagner en « capturant » ce qui ale plus de valeur, le Roi. Ce stylede jeu de domination partielle,fait d’instabilité et fondé surl’évaluation fine de la valeur rela-tive des forces en présence, s’ap-pelle jeudynamique. Il impliquede l’attaque et des sacrifices envue de l’objectif final.Le représentant le plus fulgurantde ce style est sans contesteMikhaïl Tal, le 8e champion dumonde. En 1960, alors qu’il avaitvingt-quatre ans, il battit enmatch pour le titre l’un des fon-dateurs de l’école soviétiqued’échecs, Mikhaïl Botvinnik, ditle Patriarche. Tal devint ainsi leplus jeune champion du monde,et seul l’actuel champion,Magnus Carlsen, fit mieux que

lui en 2013 : il avait vingt-troisans. Les parties de ce matchsont accessibles en ligne(http://www.chessgames.com/perl/chesscollection?cid=1034777).Et Staline avait certainementtort d’évaluer uniquement àpartir de leur valeur moyenne,les forces dont dispose le pape.Il pensait en économiste, nonen stratège. Et si le stalinismen’est plus là pour constater quele Vatican avec ses petites divi-sions est toujours bien vivant,une des causes est peut-être àrechercher dans cette « petiteimprécision de calcul straté-gique » dans l’évaluation desforces en présence.Ne commettez pas la même erreur.Dans les trois exercices proposés,vous avez l’armée la moins nom-breuse… et pourtant si vous êtesbon stratège, vous trouverez lechemin, unique, pour gagnercontre toute attente. n

*TAYLAN COSKUN, membre du comité de rédaction de Progressistes.

A

1. D’abord, voyons la position finale de la partie, où Rubinstein n’a plus de Dame. En valeur moyenne, statique,les Noirs ont 20 pions et les Blancs 28. Les Noirs trouvent le coup gagnant.

À VOUS DE JOUER

« Le pape, combien de divisions ? » Joseph Staline

Les deux Fous, la Tour et le Cavalier noirs contrôlent toutesles cases autour du Roi adverse, qui est donc complètementdominé. Il ne reste plus qu’à trouver un coup qui permettede faire échec et mat. La réponse est 1… - Th3 (la Dameblanche est clouée, impossible de prendre la Tour). Le matsuivra quel que soit le coup blanc : 2 ... - Txh2#.

3. Enfin, remontons encore quelques coups pourbien comprendre comment on crée une dominationpartielle du champs de bataille dans une partie.Trait aux Noirs.

Notre problème ? Enlever le Fou blanc en e4car il protège g2, la seule case non dominéeautour du Roi. Donc, le bon coup est1 … - Td2 !, qui attaque la Dame, seuleprotection du Fou e4 et du pion h2.

Le bon coup est 1 … - T×Cç3. On sacrifie la Dame(2 g×h4), mais c’est pour s’attaquer au Fou blancen e4 qui bouche le chemin du Fou noir en b7 ;celui-ci est indispensable pour attaquer la case g2 laseule non encore dominée autour du Roi.

2. Remontons quelques coups en arrière.Voyons comment Rubinstein crée ce réseaude mat autour du Roi (trait aux Noirs).

Nous allons travailler sur trois positions issues d’une partie célèbre qui opposait en 1907 Georg Rotweli (pièces blanches) à Akiba Rubinstein (pièces noires), un très grand champion qui a beaucoup inspiré les joueurs soviétiques.

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n PANDÉMIE, TRAÇAGE NUMÉRIQUE ET LES LIBERTÉS?Hong Kong demande aux personnes arrivant del’étranger de porter des bracelets de suivi, et Singapourdispose d’une équipe de détectives numériques poursurveiller ceux qui sont en quarantaine. En Israël, leShin Beth, le service de sécurité intérieure, a commencéà utiliser des technologies sophistiquées et des donnéestélécoms pour pister les civils. Une démarche, autoriséepar le gouvernement, jusqu’alors réservée à l’antiter-rorisme. La Chine va jusqu’à attribuer des codes couleuraux QR codes sur smartphones (vert, jaune, rouge),qui déterminent où un citoyen peut aller… ou pas.En France, le ministre de l’Intérieur Christophe Castanerjugeait un tel recours au numérique comme contraireà la culture française. Volte-face : c’est désormaisune piste sérieuse. L’ambition est donc, au moyend’une application spécifique, de tracer nos dépla-cements, de reconnaître les autres téléphones àproximité sur lesquels elle est aussi installée, et doncde nous envoyer une alerte si nous avons croisé unepersonne testée positive au coronavirus. Cette applia un nom : StopCovid.

Afin que l’application de traçage du gouvernement soitefficace, il faudrait un taux de pénétration élevé, estiméà 60 % de la population nous dit Olivier Tesquet, journalistespécialiste des questions numériques. Or le journalisterappelle que « le taux d’équipement en smartphone enFrance est à peine plus important », et il chute à seulement40 % chez les personnes âgées. De là à avoir l’intégralitédes possesseurs de smartphones comme utilisateurs« volontaires » d’une telle application…Si l’utilisation n’est pas obligatoire aujourd’hui, sa non-utilisation peut devenir excluante. Être un bon citoyenserait-ce donc d’accepter demain la technologie detracking sans souci de la finalité? n

n CHARGÉ DE COURS À L’UNIVERSITÉ : L’ÉTAT PAIERA?Le ministère de l’Enseignement supérieur et de laRecherche, sur « recommandations » impérieuses deBercy, a acté que l’ensemble des heures des chargésde cours n’ayant pas été effectuées pour cause deconfinement n’avaient pas à être payées.À l’occasion de la crise sanitaire, c’est une mise enœuvre insidieuse de la loi de programmation pluriannuellede la recherche rejetée par l’immense majorité de lacommunauté universitaire, tant elle va aggraver laprécarité dans ce secteur.Les travailleurs concernés sont déjà précaires. Lerisque est réel de décourager les futurs médecins,chercheurs, enseignants… qui étaient et serontencore plus une réponse progressiste aux crises queconnaît la société française. De même, la crainte dela communauté universitaire est de voir les étudiantspénalisés ainsi que l’envie d’exercer dans la rechercheamenuisée. n

Fermeture de Fessenheim : une forfaiturePar YVES BRÉCHET de l’Académie de sciences

Au-delà de la controverse pro-/antinucléaire, le traitement des salariés de lacentrale, méprisés et jetés comme des Kleenex, manœuvrés comme des pionssur un échiquier par les politiques, est simplement indigne.Il est temps d’appeler un chat un chat. Il n’y a aucun sens du point de vue du bien public à arrêter un outil industriel amorti, dont la sûreté est garantiepar l’ASN, indépendante, et qui fournit de l’électricité décarbonée.Il relève de la forfaiture de dire aux salariés que la perte d’emplois seracompensée par les activités de démantèlement quand on sait qu’il faut dixfois moins de personnel, sur une durée du même ordre de grandeur, pourdémanteler une centrale que pour la faire fonctionner.Il est insensé de prendre de telles décisions avant d’avoir mis en place lesdispositifs de remplacement qui permettent d’assurer la fourniture d’électricitépilotable. Il est inconscient de penser s’appuyer sur nos voisins, qui ont biendu mal à gérer l’intermittence de leur parc de renouvelables.Si on rajoute à cela les indemnités de fermeture anticipée à verser auxactionnaires, indemnités justement prévues par la loi pour que l’État nepuisse se permettre de spolier sans contrôle ni vergogne, y compris lesactionnaires allemands et suisses, on converge vers le grand n’importe quoidu point de vue du bien commun.Pourtant ceux qui font cela sont tout sauf bêtes. Il y a une logique à cela, elleest vieille comme la politique, elle s’appelle clientélisme.Il est temps de faire un parallèle évident avec d’autres fermetures d’usinesrentables dans d’autres secteurs industriels, pour le seul profit à court termedes actionnaires. La différence est que le maître à servir ici n’est pas l’actionnairemais l’électorat vert, qu’on espèreattirer par cette décision absurde.Nous voyons à l’œuvre ce que j’ap-pelle l’« actionnariat électoral »où, pour attirer des votes, on sacrifiele bien commun. Nous le voyonsici pour l’« actionnariat vert », vousle verrez bientôt pour l’« action-nariat brun », probablement avecles mesures idoines. C’est d’unelogique impeccable, une logiquede « banquier électoral ».Raymond Aron (sans doute undangereux gauchiste…) avait définiil y a longtemps ce style de poli-tiques : « Ils sont faits pour laconquête du pouvoir, pas pour sonexercice. » n

FORFAITURELittré :Terme de féodalité.Violation duserment de foi et hommage. Le fief pou-vait être repris pour cause de forfaiture.Dictionnaire de l’Académie française :DROIT FÉODAL.Violation par un fonction-naire public, un magistrat des devoirsessentiels de sa charge.Trésor de la langue française :Par exten-sion : Manquement grave à une paroledonnée, à son devoir; trahison de laconfiance d’autrui. Couvrir, vis-à-visdu peuple français, une liquidationéventuelle de son Empire serait, de notrepart, une forfaiture (Charles de Gaulle,Mémoires de guerre,1954, p. 608).

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n ONEWEB VICTIME DE LA CHUTED’ACTIVITÉ ET DU CONFINEMENT

Pour enjamber la crise de la covid-19, Softbank Groupa décidé de couper le financement de l’ensemble desprojets jugés risqués. Celui de OneWeb, société desatellites fabriqués par Airbus, en fait partie. Avant lacrise, la société était pourtant à deux doigts d’obtenirles 2 milliards nécessaires pour continuer à peupler sa constellation de 650 satellites à l’horizon 2021.Par ricochet, c’est une mauvaise nouvelle pour un autreacteur du secteur : Arianespace – premier créancier deOneWeb –, qui avait programmé des lancements. Lasociété OneWeb a annoncé en mars 2020 sa mise enfaillite volontaire auprès des tribunaux compétents auxÉtats-Unis. Sauf acquisition, cette « disparition » laisseun peu plus de place à SpaceX, son gros concurrentarrivé peu après lui, en 2015. n

n PLANET OF THE HUMANSPeu d’échos chez les associations écologiques sur cetrès bon documentaire réalisé par Jeff Gibbs et pro-duit par Michael Moore, en visionnage libre sur You-

tube (sous-titré en français). Cette discrétions’explique peut-être parce que ce film permet de com-prendre que les nouvelles énergies renouvelablesélectriques (solaire et éolien) ne sont pas la panacéeet qu’elles n’ont pas que des avantages, loin de là…En effet, en amont les renouvelables nécessitent uneconsommation d’énergie fossile non négligeable, deminerais aussi, ce qui induit des pollutions que l’onpeut quantifier ; le film aurait pu les comparer un mi-nimum à celles des énergies fossiles. D’une manièregénérale, une éolienne ne fait pas de miracles maiselle permet tout de même de diminuer les pollutionssi le mix électrique est dominé par du charbon et dugaz (c’est le cas aux États-Unis). Enfin, on peut nepas partager la conclusion selon laquelle il y auraittrop d’humains sur la planète et pas assez d’énergiepour tout le monde : l’accès à l’énergie bas carbonepourrait être garanti à tous si on se donnait lesmoyens et si on le décidait ensemble, en acceptantde développer les énergies renouvelables intermit-tentes (ENRI), certes de façon raisonnable, maisaussi l’hydraulique et le nucléaire pour l’électricité,ainsi que tout le volet chaleur renouvelable. n

L’Allemagne en passe d’atteindre son objectif climatique

L’impact de l’arrêt brutal d’une majeure partie des activités économiques enAllemagne – comme ailleurs – induit une baisse de ses émissions de CO2. Ainsi,l’industrie allemande émettrait à elle seule 10 à 25 millions de tonnes de CO2 de

moins que si les chosessuivaient leur cours habi-tuel. Le pays serait ainsien mesure d’atteindreson objectif climatiquepour 2020, et pourraitmême le dépasser.Pour Máximo Miccinillidu Center on Regulationin Europe (CERRE), ungroupe de réflexion établià Bruxelles, « L’incertitude

et l’instabilité du système pourraient entraver les plans d’abandon progressif ducharbon. Cela risque aussi de réduire les recettes publiques provenant des ventes[de quotas d’émissions] et de ralentir les investissements [dans des projets] faiblesen carbone ». Soit, mais il ne reste pas moins que les centrales à charbon sontsoumises à une forte concurrence de la part des centrales à gaz, car le prix de cedernier est historiquement bas, indépendamment de la pandémie de covid-19.Or le gaz naturel émet moitié moins de CO2que le charbon. La centrale à charbon,électricité d’un autre temps, survivra-t-elle au SRAS-CoV-2? n

Inquiétante nomination au comitéd’éthique de l’Académie de médecine

Bien que mise en examen pour trafic d’influence au profit des laboratoires Servierdans le scandale de l’antidiabétique Mediator, l’ancienne sénatrice UMP de Paris,Marie-Thérèse Hermange, a été confirmée au tournant du mois de février-marsau comité d’éthique de l’Académie de médecine.Et pourtant, les éléments de l’enquête qui ont conduit, en 2013, à sa mise enexamen et en septembre 2019 à une comparution au pénal avec vingt-deux autresprévenus sont aussi parlants que lourds de sens. Le Mediator des laboratoiresServier a été retiré de la vente en 2009 en raison de sa dangerosité ; en effet, ilentraînait une hausse des risques de valvulopathie. Néanmoins, chargée derédiger un rapport au Sénat sur ce sujet, Marie-Thérèse Hermange aurait décidéde faire relire son épreuve au professeur Claude Griscelli, un « proche » dulaboratoire qui, selon son propre aveu, a tout fait pour minimiser les responsabilitésde l’industriel. n

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PAR NICOLAS LAMBERT*,

L’ÉPIDÉMIE DE COVID-19Grâce à l’ouverture des données,de nombreuses cartes ont vu lejour pendant le confinementpour représenter l’évolution ducoronavirus en France. Mais peud’entres elles ont essayé de s’af-franchir d’un maillage adminis-tratif départemental ou régionalqui enferme les données dans

un carcan qui a finalement peude sens au regard du phénomènereprésenté. Les cartes gouver-nementales du déconfinementen sont un exemple éclatant.La carte que nous publions icireprésente le nombre de décèsliés à la covid-19 dans les hôpi-taux, pondéré par la populationdes départements dans lesquelsils se trouvent. Une méthoded’interpolation spatiale fondée

sur la distance permet alors de« dessiner » la donnée selon ungradient continu allant du noir(pour les faibles taux de mortalité,dans le Sud-Ouest) au jaune(pour les forts taux de mortalité,dans le Grand Est). Si cette cartepermet de percevoir d’un seulcoup d’œil la géographie del’épidémie, elle permet cepen-dant mal d’en saisir l’ampleur,car les décès en EHPAD et en

ville ne sont pas pris en compte.Cela dit, cette sous-estimationde la réalité n’empêche pas d’enappréhender la logique spatialeet son évolution dans le temps.Une version animée et mise àjour quotidiennement de la carteest d’ailleurs disponible en ligne(https://frama.link/geocovid19).n

*NICOLAS LAMBERT,cartographe au CNRS.

Les cartes ne sont jamais innocentes…

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n HISTOIRE

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PAR CHLOÉ MAUREL*,

n 2019-2020, la crise ducoronavirus, nouveauvirus grippal apparu en

Chine, replace sur le devant dela scène l’Organisation mondialede la santé (OMS). La grippe, connue depuis l’Anti -quité grecque – elle a été décrite

par le médecin Hippocrate il ya 2400 ans – est une maladietrès meurtrière. Il y a un siècle,en 1918-1919, l’épidémie degrippe espagnole a fait en deuxans entre 20 et 50 millions demorts dans le monde, soit 4 à5 fois plus que le nombre de vic-times de la Première Guerremondiale. C’est la pandémie laplus grave que le monde aitconnue : la « peste noire » de1348 avait fait 34 millions demorts, d’après des estimations.C’est d’ailleurs cette épidémiede grippe espagnole qui a pousséla Société des Nations (SDN),créée en 1919, à instaurer enson sein un Comité d’hygiène,ancêtre de l’OMS.

ORIGINELe virus responsable de la grippedite « espagnole » avait en fait

vraisemblablement son origineen Chine, puis il a muté auxÉtats-Unis. Et si elle a été appelée« grippe espagnole », c’est parceque l’Espagne a été le seul paysà publier librement des infor-mations sur cette épidémie. Eneffet, l’Espagne, État neutre pen-dant la guerre, n’était pas tenueau secret militaire1.

Cette maladie a été mortellepour 2 à 5 % des personnescontaminées, elle a causé unemortalité 10 à 30 fois plus hauteque la grippe saisonnière. Enl’absence d’antibiotiques, lamort survenait au bout de dixjours de symptômes douloureuxdont étaient victimes des indi-vidus épuisés et affaiblis2. D’aprèsl’historien Niall Johnson, lagrippe espagnole a touché sévè-rement l’Inde (18 millions demorts, soit 6 % de sa population),la Chine (9 millions) et l’Europe(2,3 millions)3.Elle a proliféré car les populationsn’avaient pas conscience –contrairement à aujourd’hui –des mesures d’hygiène et deprécaution élémentaire à pren-dre : confinement, distanciationphysique, lavage des mains…À l’époque, le virus de la grippe

espagnole a été répandu par lesnombreux voyageurs qui, à bordde paquebots, traversaientl’Atlantique, et a engendré unfoyer épidémique particulière-ment vif du côté de Boston etde la Californie. Bientôt, la majo-rité des grandes villes améri-caines furent infectées.En Europe, le virus a été sansdoute apporté par les soldatsaméricains venus en 1917 enrenfort pour aider la TripleEntente dans la guerre.

UNE PANDÉMIE MONDIALEEn 1918, le virus connaît unediffusion exponentielle : en deuxsemaines, il couvre tout le conti-nent nord-américain. Le moisd’octobre 1918, un mois avantla fin de la guerre, est particu-

lièrement meurtrier, le virus yest très virulent et mortel surdes populations fragilisées parla guerre. Des personnalitéscomme le poète GuillaumeApollinaire y succombent. AuxÉtats-Unis, c’est la panique, etune infirmière sur quatre meurtdu virus.

De l’Europe, le virus se répandjusqu’aux colonies par le biaisdes paquebots. En novem-bre 1918, alors qu’on célèbre lafin de la guerre, l’épidémiedevient une pandémie. Elle estprésente sur tous les continents.En Afrique et en Asie, la pro-portion de personnes contami-nées oscille entre 30 et 80 % dela population, chiffre énormequi peut s’expliquer par le faibleniveau d’hygiène, la pauvretéet la situation démunie des colo-nisés. Seule l’Australie parvientà mettre sur pied un systèmeefficace de quarantaine4.Pourquoi n’a-t-on pas beaucoupparlé de cette pandémie dansla presse de l’époque? À causede la censure de guerre. De fait,la grippe espagnole n’est pas

restée très présente dans lesmémoires collectives, éclipséepar la mémoire très forte de laPremière Guerre mondiale, célé-brée ensuite par les cérémoniesofficielles et par les ancienscombattants.Après une accalmie en décem-bre 1918, l’épidémie reprend

Pourquoi n’a-t-on pas beaucoup parlé de cette pandémie dans la presse de l’époque? À cause de la censure de guerre.

Une des plus grandes pandémies de l’histoire de l’humanité, la grippe espagnole,provoqua plusieurs dizaines millions de morts. Un siècle plus tard, ces événements fontétrangement écho à celle déclenchée par un nouveau coronavirus.

De la grippe espagnole de 1918 -1919au coronavirus de 2019-2020

Cet article est une version plus développée d’un article publié initialementsur le site The Conversation France le 21 mars 2020.

La réponse médicale a été complètementinadaptée : « manque de lits, de médicaments et surtout de personnel, les médecins, infirmiers et infirmières – qui comptent aussi parmi les premières victimes de la maladie – étant massivement mobilisés sur le front.

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n SANTÉ

de la vigueur en 1919. Certainspays restent même touchésjusqu’en 1920. Parmi les bizar-reries liées aux phénomènes derumeurs et des mouvements depanique, le prix du rhum, réputéantidote, flambe5.Pourquoi cette grippe est-elleapparue à ce moment-là ?Comme le rappelle le profes-seur Patrick Berche, cela s’ex-plique par « de mauvaisesconditions sanitaires, des popu-lations affaiblies et de grandsrassemblements » liés aucontexte de la fin d’une guerreplanétaire longue de cinq ans.« On pense que la grippe espa-

gnole est apparue d’abord auKansas, où elle a contaminé dejeunes soldats américains, quiétaient réunis trois mois dansdes camps de formation mili-

taire, à raison de 50 000 à70000 individus, avant de tra-verser le pays et de prendre lamer pour l’Europe.6 »Comme l’analyse l’historien dessciences Guillaume Lachenal,au plus fort de l’épidémie, à l’au-tomne 1918, la réponse médicalea été complètement inadaptée :« manque de lits, de médicamentset surtout de personnel, les méde-cins, infirmiers et infirmières –qui comptent aussi parmi lespremières victimes de la maladie– étant massivement mobiliséssur le front. Les autorités militairesagissent à l’aveuglette, laissantdes malades en permission dif-

fuser la grippe dans tout le pays,tout en faisant au mieux pourrecenser les cas, grâce à unebureaucratie minutieuse et dis-crète – censure oblige.7 »

Il y avait déjà eu une épidémiede grippe en 1889-1890, dite

« grippe russe », mais les sociétésn’avaient apparemment pasassez tiré les leçons de ce premieravertissement8.

LA SITUATION EN FRANCEEn 1918, les autorités françaisesne prennent pas la mesure àtemps de la gravité de la situa-tion : comme l’écrit FrédéricVagneron, « au milieu de l’été[1918], l’épidémie est considéréecomme un problème sinon envoie de règlement, du moins neprêtant pas à l’inquiétude.L’affirmation de la nature grip-pale de la maladie sert à rassurerla population, plus encline àl’affolement en cas de maladieinfectieuse comme le choléra etle typhus, dont la presse indiquela réapparition sur le front orien-tal au même moment. Dans cecontexte, la gestion des premiers

cas de grippe par la Suisse, quia adopté des mesures énergiquespour contrôler la circulation despersonnes, limiter les regroupe-ments, est jugée trop sévère et denature à inquiéter inutilementles populations »9. L’historiensouligne « l’étrangeté de cetterelative ignorance de la grippepar les contemporains ».La presse française tarde à ren-dre compte de l’épidémie degrippe espagnole : comme l’ob-serve Françoise Bouron, « dansla presse nationale, les articlessur l’épidémie de grippe sontquasi inexistants jusqu’à la findu mois de mai » 1918. Puis desarticles fantaisistes paraissent,indiquant des remèdes invrai-semblables : manger de la farine,par exemple. Les journaux col-portent de folles rumeurs : « En1918, la rumeur court que lagrippe aurait été envoyée parles Allemands dans les boîtesde conserve, ou qu’elle seraitarrivée jusqu’en France par sous-marin, ou encore que les premierscas auraient été observés à laprison de Sing Sing aux États-

Unis et que, de là, elle auraitgagné l’Europe à bord desbateaux qui transportaient lesmilitaires américains.10 ».La grippe espagnole a eu desconséquences sur le moral etle comportement des popula-tions, après coup. Dans lesannées 1920, la guerre et l’épi-démie étant passées, on entredans les Années folles, les peuplesont besoin de s’amuser; et, pourSvenn-Erik Mamelund, la grippeespagnole pourrait avoir pro-voqué par contrecoup un véri-table « baby-boom » dans lesannées 1920 dans certains pays,comme la Norvège11.

LA CRÉATION DE L’ANCÊTRE DE L’OMSL’épidémie de grippe espagnolea été un catalyseur pour pousserà la création d’une organisation

Hôpital d’urgencedurant la pandémieaux États-Unis.

En 1918, les autorités françaises ne prennent pas la mesure à temps de la gravité de la situation.

Il y avait déjà eu une épidémie de grippe en 1889-1890, dite « grippe russe », mais les sociétésn’avaient apparemment pas assez tiré les leçons de ce premier avertissement.

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JANVIER-FÉVRIER-

internationale consacrée à lasanté mondiale. En 1907 déjà,l’Office international d’hygiènepublique (OIHP) avait été crééà Paris, muni d’un secrétariatpermanent et d’un comité per-manent qui organise plusieursconférences. Mais en 1918-1919

les États-Unis s’opposent à ceque l’OIHP passe sous le contrôlede la Société des Nations (SDN),à laquelle ils n’ont pas adhéré,le Congrès états-unien se pro-nonçant contre, au nom de l’isolationnisme.Dans l’entre-deux-guerres,l’OIHP poursuit son action,adoptant en 1926 une Conven -tion sanitaire internationalecontenant pour la première foisdes dispositions relatives à lavariole et au typhus. Jusqu’à laSeconde Guerre mondiale, deuxorganismes sanitaires interna-tionaux distincts coexistent enEurope, l’OIHP et l’Organisationd’hygiène de la Société desNations; pour le continent amé-

ricain, c’est l’Organisation sani-taire panaméricaine qui tentede mettre en place une gouver-nance continentale de la santé.Il faudra attendre la fin de laSeconde Guerre mondiale et lacréation de l’ONU, en 1945, pourqu’une agence spécialisée char-

gée de la santé, l’OMS, basée àGenève, soit créée en 1948. Samission est de conduire la popu-lation mondiale au « plus hautniveau de santé possible ».

DE LA GRIPPE ESPAGNOLE DE 1918 À LA COVID-19 En réalité, la médiatisationactuelle des alertes grippalesne doit pas faire oublier que, auquotidien, depuis des années,d’autres maladies sont beaucoupplus meurtrières, surtout pourles peuples des pays du Sud tou-chés par la pauvreté : le palu-disme tue entre 1 et 3 millionsde personnes par an, et le sida,considéré depuis 2002 commeune pandémie globale, tue

actuellement près de 800000 per-sonnes par an (2 millions paran il y a une douzaine d’années). Le 11 mars 2020, l’OMS annoncel’alerte pandémique et déplorel’inaction des gouvernementspour combattre ce virus. « Noussommes très inquiets des niveauxde diffusion et de dangerosité,ainsi que des niveaux alarmants

de l’inaction» des États, a déclaréle directeur général de l’OMS,l’Éthiopien Tedros AdhanomGhebreyesus. En effet, en à peinetrois mois, près de 120000 casde coronavirus se sont déclarésdans 110 pays, tuant plus de4300 personnes12.

Au premier trimestre 2020, lesÉtats réagissent distinctement,chacun à sa façon, à cette crisepandémique. L’Union euro-péenne ne réagit pas de manièrecoordonnée. L’OMS, agence degouvernance globale de la santé,devrait coordonner au niveaumondial les mesures à prendreet veiller à ce que les populationsles plus pauvres ne soient paslaissées pour compte et à ce queles États coopèrent entre euxpour vaincre la maladie. Maisen sera-t-elle capable? n

*CHLOÉ MAUREL est historienne.

Le virus de la grippe espagnole (image obtenue au microscope électronique). Il a été reconstitué par géniegénétique à partir d’échantillons conservés de victimes de 1918 à des fins médicales.

L’épidémie de grippe espagnole a été un catalyseur pour pousser à la création d’une organisationinternationale consacrée à la santé mondiale.

1. Lise Loumé, « Grippe espagnole : le mystère de son origine enfin résolu »,Science et Avenir, 30 avril 2014.2. Sur ce sujet, voir Michel Morange, « Expliquer les épidémies : le cas particulierde la grippe espagnole de 1918 », les Secrets du vivant, 2012, p. 125-133.3. Niall Johnson, Britain and the 1918-1919 Influenza Pandemic. A DarkEpilogue, Routledge, 2015.4. Sur ce sujet, voir Vincent Viet, la Santé en guerre, 1914-1918. Une politiquepionnière en univers incertain, Paris, Les Presses de Sciences Po, 2015.5. Louise Wessbecher, « 100 ans avant le coronavirus, la grippe espagnole avaitaussi ses masques et ses remèdes miracle », Le Huffington Post (en ligne),actualisé le 20 mars 2020.6. Pauline Fréour, « L’origine du virus de la grippe espagnole de 1918 enfinprécisée », le Figaro, 29 avril 2014 (en ligne).7. Guillaume Lachenal, « C’était en 1918… L’épidémie de grippe espagnole »,Vie-publique.fr, Parole d’expert, 27 février 2020 (en ligne).8. Sur ce sujet, voir Patrice Bourdelais dir., Aux frontières de la maladie. L’histoirede la grippe pandémique en France (1889-1919), , EHESS, Paris, 2015.9. Frédéric Vagneron, « Quand revient la grippe. Élaboration et circulation desalertes lors des grippes “russe” et “espagnole” en France (1889-1919) »,Parlement[s], Revue d’histoire politique, 2017/1, no 25 , p. 55-78.10. Françoise Bouron, « La grippe espagnole dans les journaux français »,Guerres mondiales et conflits contemporains, 2009/1, no 233, p. 83-91.11. Svenn-Erik Mamelund, « La grippe espagnole de 1918 est-elle responsabledu baby-boom de 1920 en Norvège? », revue Population, 2004/2, vol. 59 ,p. 269-302.12. « Coronavirus : l’épidémie de covid-19 considérée comme une pandémie parl’OMS », le Monde et AFP, 11 mars 2020 (en ligne).

La grippe espagnole a eu des conséquencessur le moral et lecomportement despopulations, après coup.

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La crise engendrée par un nouveau coronavirus nous rappelle quelques évidencesde la rationalité politique qui dépassent largement les questions de santé publique.

PAR YVES BRÉCHET*,

e bien individuel dépenddu bien commun : lasanté personnelle dépend

de la santé publique; l’éducationdes individus, indépendammentde leurs revenus, de la capacitéde la société à entretenir un sys-tème éducatif robuste ; la sécu-rité individuelle, de l’existenced’une police et d’une arméebien équipées, bien entraînéeset soutenues par sa population.On pourrait allonger la liste, etil ne serait pas inutile de se don-ner comme grille de lecture desinterventions d’un État les situa-tions ou le bien individueldépend du bien commun. C’estcette conscience qui « faitsociété », et qui distingue uneassemblée d’êtres sociaux d’unehorde d’animaux sauvages.Ceci accepté, il en découle natu-rellement trois règles qui rendentpossible la rationalité politique.

LES TROIS RÈGLESLa première est le sens du bienpublic : l’intérêt collectif ne doit

pas être pensé comme uneentrave à l’intérêt personnelmais comme sa condition d’exis-tence. Il faut que l’on acceptede renoncer à une liberté totale(de déplacement, de réunion)pour pouvoir avoir une libertégarantie. Sinon, pour reprendrele mot de Jaurès, c’est le « renardlibre dans le poulailler libre ».La seconde est le sens des prio-rités : en cas de crise, on ne peutagir qu’avec les outils déjà opé-rationnels. En cas de crise sani-taire, en l’absence de vaccin, ilfaut bien avoir recours auxmesures de confinement. Encas de crise climatique, on doitdéployer les solutions qui effec-tivement décarbonent notreéconomie, même si d’autresmoins matures auraient notrepréférence. En cas de crise inter-nationale, la diplomatie ou l’in-tervention militaire, si elles nerésolvent pas les problèmes defond, permettent de « parer auplus pressé ».La troisième est le sens de ladurée : les mesures de confine-ment en cas de crise sanitairepermettent d’avoir le temps derechercher un vaccin ; les solu-tions énergétiques actuelles, en maintenant une économiedécarbonée, permettent le tempsde développer les modes de pro-duction autres avec les tech-niques de stockage nécessaires;les interventions diplomatiquesou militaires contre des agres-sions terroristes ne dispensentpas de réfléchir à la racine dumal.

Le sens du bien public supposeune intégrité sans faille. Le sensdes priorités suppose la luciditétechnique. Le sens de la duréeimplique qu’on maintienne descompétences, des moyens, enparticulier dans le domaine de

la recherche, y compris dans lespériodes où l’on croit ne pas enavoir besoin.

UNE DÉRIVE QUI FRAPPE LES SOCIÉTÉS OCCIDENTALESOn a vu, au moins dans les socié-tés occidentales, une constantedérive éloignant de ces règlessimples. Sans même parler dela règle d’intégrité, le sens despriorités et le sens de la duréeont progressivement disparude l’horizon politique.Les analyses techniques solidesqui permettent d’évaluer la vali-dité de solutions à déployer oula nécessité de se mettre en étatde les déployer dans un certaindélai ont cédé le pas à une agi-tation désordonnée qui essaiede suivre les exigences de lacommunication (« ce qu’on veutdire ») plutôt que celles de l’action(« ce qu’on doit faire »). Le sensdes priorités s’y perd.La conscience de la temporalitédes actions et du nécessaire

développement de socles deconnaissances, de compétences,d’investissements pour pouvoirdévelopper dans le long termeles solutions de substitution,s’est progressivement dissoutedans l’obsession du court terme.

On peut relire la transition ducapitalisme patrimonial vers lecapitalisme industriel, puis ducapitalisme industriel vers lecapitalisme financier, commele triomphe du court terme surle long terme. Les programma-tions excessives des activités derecherche relèvent de la mêmedérive. On croit voir ces fils debonne famille des romans duXIXe siècle qui flambaient l’argentà papa. Quand on achète le pré-sent sans se préoccuper de pré-parer le futur, on est à peu prèscertain de faire deux mauvaisesaffaires.

FAIRE FACE À TROIS CRISES MAJEURESNous sommes face à trois crisesmajeures (au moins, car on pour-rait ajouter la crise du systèmeéducatif…) : la crise sanitaire,la crise climatique, et la crisesociale et politique. La crisesociale a conduit au mouvementdes Gilets jaunes, la crise cli-

n SOCIÉTÉ

À propos de crise sanitaire : sur les vertus de la douche froide

Le sens de la durée implique qu’on maintienne des compétences, des moyens, en particulier dans le domaine de la recherche, y compris dans les périodes où l’on croit ne pas en avoir besoin.

Ce texte a été publié sur le réseau Linkedin le 13 mars 2020. Nous le reproduisons avec l’autorisation de son auteur.

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matique nous apparaît commede plus en plus présente dansses manifestations les plus spec-taculaires, et la crise sanitairenous frappe de plein fouet avecle coronavirus. Dans ces troiscas, nous pouvons voir de façon

limpide le caractère délétère del’individualisme forcené quinous est souvent donné commemodèle, comme fin ultime.Dansles trois cas, on voit à quel pointla transition de la horde vers legroupe d’êtres sociaux – tran-sition que ce sens du bien publica rendue possible – est fragile,à quel point la violence sauvageaffleure quand le besoin de « faireensemble » se dissout.Mais la crise sociale se traduitd’abord par une lente dégrada-tion des conditions de vie deceux que les dirigeants ne voientjamais, dégradation que l’onpense soigner par des gadgets,des commissions et des rapports.Quant à la crise climatique, ellemine depuis des années notreécosystème, et les alertes répétés

du monde scientifique n’y fontrien : on se contente de mesuresemblématiques dont on n’évaluejamais le réel impact, de déci-sions symboliques dont l’effetde communication est largementsupérieur à leur efficacité réelle,

comme si on ne savait pas queles symboles sont des courts-circuits de cervelle.Et voilà que survient la crisesanitaire, majeure, l’épidémie,la situation où on ne peut plusse contenter de gadgets de com-munication parce que le pro-blème est là, sous nos yeux.Situation amplifiée par lapanique complaisamment entre-tenue par les médias, qui libère,quand elle ne les induit pas, lescomportements hallucinantsque nous avons pu voir. Et onne peut plus se contenter dedire, il faut faire, parce que lerésultat de vos actes est là, toutde suite. Parce que l’urgenceexige d’agir et que s’agiter nesuffit plus. Et on est bien forcéde travailler avec les moyens

existants : les mesures de confi-nement. Et on est bien obligéde constater que la préparationd’un vaccin prend du temps, etqu’elle n’est possible que si ona conservé un socle de compé-tences en recherche médicale.Et on voit bien que l’on n’enpeut sortir que si le sens du bienpublic reprend le dessus.C’est ce que j’appelle l’« effetbénéfique de la douche froide » :la crise sanitaire nous remetbrutalement face aux trois règlesde la rationalité politique : lesens du bien public, le sens despriorités et le sens de la durée.Elle nous rappelle ce qui fait

que nous ne sommes pas unehorde de bêtes sauvages maisun groupe d’êtres sociaux. Ellenous montre à quel point il estfacile de revenir à un compor-tement de horde de bêtes férocesdans ces situations de crises.L’évidence immédiate de cettecrise et des mesures nécessaires

doit nous faire réfléchir sur lescrises plus « distantes », cellesoù on a cru pouvoir se contenterde gadgets pour amuser la ga -lerie et alimenter les servicesde communication.Le discours du président Macronsur la crise sanitaire, justementmotivé par l’urgence de la situa-tion, et d’une haute tenue, doitaussi nous rappeler, à nouscitoyens aussi bien qu’à la classedirigeante, que ni la crise cli-matique, ni la crise sociale, niles autres crises ne trouverontde solutions pérennes si on neremet pas au centre du processusde décision le sens du bien public

et l’exigence d’intégrité, le sensdes priorités et l’exigence d’ana-lyses techniquement solides, etle sens de la durée pour préparerl’avenir. n

*YVES BRÉCHET est membre de l’Académie des sciences et ancienhaut-commissaire à l’énergieatomique.

On peut relire la transition du capitalisme patrimonialvers le capitalisme industriel, puis du capitalismeindustriel vers le capitalisme financier, comme le triomphe du court terme sur le long terme.

Nous pouvons voir de façon limpide le caractèredélétère de l’individualisme forcené qui nous estsouvent donné comme modèle, comme fin ultime.

Des patients covid-19 ont été évacués par hélicoptère militaire. Destination : un hôpital à l’étranger.

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Le partage des données dans le domaine médical attise les convoitises des géantsd’internet et du monde de l’assurance. Cela met en danger la solidarité sur laquellese fonde notre système de santé. À l’inverse, cette masse d’information pourrait bé-néficier à la recherche médicale.

PAR MICHEL KATCHADOURIAN*,

LE SNIIRAM : UNE BANQUEDE DONNÉES CONVOITÉELe projet de transférer les com-pétences de la Sécurité socialevers les complémentaires santé(assurances, mutuelles, fondsde pensions) n’est pas nouveau.Le dernier épisode du feuilletonse joue dans un entrepôt ultra-sécurisé à Évreux, où de grossesmachines d’une capacité destockage de 140 téraoctets« ingurgitent » chaque année1,2 milliard de feuilles de soins.Cette base de données de santé,une des plus vastes au monde,la France la doit à notre systèmede sécurité sociale issu duConseil national de la Résistance,en 1945.Inconnu du grand public, leSNIIRAM (Système nationald’information interrégimes del’Assurance maladie) contientdes milliards d’informationssur les prescriptions de médi-caments, les consultationsmédicales, les tarifs, etc. Depuisplusieurs années, il est au cœurd’un combat larvé pour l’accèsà ces données particulièrementsensibles, convoité par lesgrands groupes capitalistes :Apple, Facebook, Google pro-posent aujourd’hui une sortede carnet de santé connecté,par exemple…Nombreux sont ceux qui s’in-quiètent de la manière dont de

telles données vont être traitées.L’entreprise de Mark Zuckerbergjure, la main sur le cœur, ne rienfaire des données médicales deses utilisateurs. Ces dernièresne seraient consultables que parle réseau social, qui ne les par-tagera ni avec amis ni avec desentreprises tierces. Facebookexplique aussi ne récupérer aucunrésultat médical et se contenterde savoir si oui ou non vous vousêtes rendu à un examen.Étant donné le passé deFacebook et le statut privé deson nouveau service, des doutessubsistent chez certains. Lesplus avertis savent pertinemmentque le géant états-unien seratenté d’en faire plus, de revendreles données ou encore de lesutiliser pour un service assurance

crée à terme… Pour l’heure,seuls les utilisateurs américainssont concernés par son appli-cation Preventive Health. Onne connaît pas encore les plansde Facebook à l’international.Au regard de ce qui se passeavec le débat sur la réforme desretraites qui a mis en lumièreBlackRock, premier gestionnaire

d’actifs financiers au monde, ily a de quoi s’inquiéter. L’états-unien n’est pas le seul à pouvoirprendre une part du gâteau : siles Français épargnent plus pourleur retraite par obligation, lesacteurs français (Amundi, BNP,Axa…) sont eux aussi dans lacourse capitalistique.

UN TARIF EN FONCTIONDE VOTRE ÉTAT DE SANTÉLe concept de couverture soli-daire complémentaire, sansquestionnaire ni sélection, étaitdéjà mis en avant dans le cadredu rapport Chadelat.Pour la petite histoire, Jean-François Chadelat était déjà pré-sent dans le groupe de travaildu rapport Gisserot de jan-vier1985, commandé par Michel

Rocard, Pierre Bérégovoy etJacques Delors. Fameux rapportqui mit fin à l’exclusivité de lacomplémentaire santé géré parles mutuelles. La concurrencelibre et non faussée avant l’heure!L’idée d’une sécu bis par lescomplémentaires, avec la priseen charge au premier euro, étaiten filigrane dans le rapport

Chadelat. La dérive libéralen’ayant pas de limite, le rapportBabusiaux (2003) préconisaitque « les assureurs complémen-taires » puissent accéder auxdonnées de santé.Bien sûr, tous garantissent l’ano-nymat, mais les assureurs necachent pas que le but est deproposer des catégories decontrats « plus diverses et mieuxadaptées ». En clair, un tarif enfonction du dossier de l’assuré,dans l’hypothèse de leur inter-vention accrue « sur le marchéde la santé ». Voilà qui est extrê-mement dangereux pour tousles assurés sociaux. La sortierégulière du marronnier « dossierde santé partagé » ne doit rienau hasard, d’autant plus quel’OCDE, prenant exemple surle Canada et le Royaume-Uni,tient le même discours, dans lecadre de la réduction des coûtsde santé remboursés par les sys-tèmes obligatoires.

UN OUTILPOTENTIELLEMENT UTILEPersonne ne conteste l’idée selonlaquelle un dossier mis en com-mun peut éviter les actes redon-dants, inutiles et améliorer lesprotocoles.L’information fait partie inté-grante de la relation de soin.Cette information doit permettreà la personne de prendre, avecle professionnel de santé, lesdécisions concernant sa santé,

n NUMÉRIQUE ET LIBERTÉS

Dossier médical en ligne : prévenir et soignerou… sélectionner et surveiller ?

Ce sont les gens eux-mêmes qui, fragilisés par le libéralisme économique et social, présenterontspontanément leur dossier de santé à leur assureur, à leur employeur, à leur bailleur…

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d’éclairer son consentement etde faciliter son adhésion au trai-tement. Elle contribue ainsi àl’amélioration de la qualité dessoins. La possibilité pour unepersonne d’accéder directementaux informations formaliséesne fait que compléter son droità l’information. Les profession-nels de santé, les établissementsde santé, les structures sanitaireset médico-sociales détenant lesinformations doivent, certes,veiller à ce que les modalitésd’accès au dossier assurent lapréservation indispensable dela confidentialité vis-à-vis detiers (famille, entourage, em -ployeur, banquier, assureur...). De son côté, la personne doitexercer son droit d’accès au dos-sier avec la pleine consciencedu caractère strictement per-sonnel des informations de santéqu’elle va détenir. Mais le dossierpartagé n’a pas pour seul but laréponse aux besoins des citoyens.Réduction des remboursementsdes dépenses de santé, transfertssur les assurances, donc les assu-rés, marché européen concur-rentiel… le dossier de la Sécuritésociale est trop sensible politi-quement pour que les différentsacteurs soient dupes des véri-tables intentions des lobbiesassurantiels.

PARTAGÉ AVEC QUI?Pour bénéficier de ces informa-tions, les contrats complémen-taires devraient répondre à desnormes solidaires et n’utiliserces informations que pour desactions de prévention.Nous ne vivons pas dans unesociété idéale, chacun peut levérifier; la précarité, le chômage,la mise en concurrence des popu-lations conduisent à des auto-sélections. Personne ne deman-dera ouvertement le dossier de

santé ; ce sont les gens eux-mêmes qui, fragilisés par le libé-ralisme économique et socialdans cette guerre du tous contretous, le présenteront spontané-ment à leur assureur, à leuremployeur, à leur bailleur…Les assureurs complémentaires,pressés par les objectifs de ren-tabilité décidés par les action-

naires, mettront en œuvre descritères très sophistiqués pouréviter les risques. Et, pour tenterde survivre dans cette junglecapitalistique, les mutuelles àbut non lucratif seront obligéesde suivre le diktat du marché.Avec le développement dessciences et des techniques, dumarketing, de l’évaluation desrisques de chaque individu enfonction de son patrimoinegénétique, le résultat peut nousamener à l’arbitraire total, à unesociété invivable. La questionest aujourd’hui particulièrementpréoccupante du fait du déve-loppement du commerce élec-tronique, qui se fonde notam-ment sur un « marché » desdonnées personnelles.Celles-ci sont en effet des outilsde marketing permettant auxassurances de fidéliser leursclient(e)s en leur proposant unservice sur mesure déduit del’analyse de leur comportementsur les réseaux sociaux, parexemple viaune presse spécia-lisée, des jeux ou des enquêtes« ludiques » ! La CNIL parled’« explosion » depuis que la

consultation de ces fichiers àdes fins administratives est auto-risée par la loi, notamment pourl’accès à certains emplois dansla sécurité et le gardiennage.L’intercollectif DELIS (Droits etLibertés face à l’informatisationde la société) avait lancé unappel pour tenter de peser surle débat parlementaire autourde la CNIL. DELIS suggéraitnotamment d’étendre la notionde « données sensibles » auxcaractéristiques génétiques etaux données sociales et psy-chiques touchant à la vie privée,avec l’idée de rendre aussi lenuméro de Sécurité socialemoins parlant.

L’intégration des complémen-taires au système Sésame-Vitale,la possibilité d’obtenir la télé-transmission directe de donnéestelles que les codes des actes dela nouvelle classification com-mune, les codes identifians deprésentation (CIP) des médica-ments, ou la tarification à l’acte(T2A) à l’hôpital méritent undébat public et contradictoire.Or chacun le constate, c’estplutôt l’omerta sur ce sujet.La multiplication des hébergeurs,des concentrateurs, dans lechamp de la complémentairesanté, en France mais aussi viades systèmes délocalisés, faitque partout sur la planète virtuellerisquent de se promener desinformations hypersensibles.

LES PUCES RFIDÀ l’instar de n’importe quelleautre technologie de sécurité,les puces RFID, outils de radio-identification censées améliorerla traçabilité des produits ou lecontrôle d’accès des individus,lutter contre la fraude ou encoresécuriser les passeports élec-troniques, sont piratables. Il est

facile d’y placer subrepticementdes cookies, à la manière deceux qu’envoient les sites web,afin de suivre à la trace le trajetdes objets, donc des personnesainsi identifiées.Différents types de puces RFIDexistent :– les puces passives : elles fonc-tionnent sans batterie et sontactivées au moyen d’un lecteur-émetteur-récepteur qui leurtransmet des ondes magnétiques(par exemple les badges RFID) ;– les puces actives : elles possè-dent leur propre batterie et trans-mettent de façon autonome desinformations qu’elles enregis-trent au capteur ;– les puces intelligentes : ellessont munies d’un système desécurité qui permet de crypterles informations qu’elles contien-nent. Les données pour êtreaccessibles nécessitent une iden-tification (par exemple les cartesbancaires).Par ailleurs, un marché desimplants sous-cutanés se déve-loppe… Ainsi, ce qui suscitaitdes craintes il y a quelquesannées et effraie beaucoupaujourd’hui s’est concrétisé parce qui peut apparaître commeun phénomène de mode : l’ou-verture dans deux boîtes de nuit,à Rotterdam et à Barcelone, d’es-paces VIP réservés à une clientèleainsi « pucée ».Avant de se précipiter dans lesbras d’un Big Brother, il fautpeut-être réfléchir à une alter-native ou seule une sécuritésociale démocratisée et des pro-fessionnels de santé sous ser-ment et contrôle public seraienten mesure de gérer ce type d’in-formation.Il est possible d’obtenir desréformes de progrès, et la ques-tion du dossier médical méritebien un débat public dans latransparence et avec tous lesacteurs concernés afin que lenuméro de Sécurité sociale nedevienne jamais un numérod’insécurité sociale, économiqueet politique. n

*MICHEL KATCHADOURIAN estmilitant mutualiste.

Dossier médical en ligne : prévenir et soignerou… sélectionner et surveiller ?

Ce qui suscitait des craintes il y a quelques années et effraie beaucoup aujourd’hui s’est concrétisé par l’ouverture dans deux boîtes de nuit, à Rotterdamet à Barcelone, d’espaces VIP réservés à une clientèleainsi « pucée ».

Pour l’heure, seuls les utilisateurs américains de Facebook sontconcernés par l’application Preventive Health. L’entreprise de MarkZuckerberg jure, la main sur le cœur, ne rien faire des données médicales.

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n SOCIAL

PAR LE COLLECTIF,DE MOBILISATION DES AGENTS,DE LA DREES,*,

ans l’article 10 du projetde loi portant réformedes retraites, il est indi-

qué que l’âge légal de départ àla retraite restera de 62 ans, maisqu’un âge d’équilibre (ou âge« pivot ») sera introduit. Dansun premier temps, cet âge seraitde 64 ans, puis il augmenteraitchaque année, à raison des deuxtiers des gains constatés d’es-pérance de vie à la retraite. Dèslors que les personnes partiraientavant l’âge d’équilibre, un malus(décote de 5 % par an) viendraitréduire le montant de la retraite.Inversement, un bonus s’appli-querait pour les personnes par-tant à la retraite après l’âged’équilibre. D’après le gouver-nement, le mécanisme de l’âged’équilibre permettrait à chacunde choisir la date de son départà la retraite, selon un arbitragepersonnel. Mais les travailleursne seront pas égaux face au choixde l’âge de départ.

DE FORTES INÉGALITÉS DUESAUX CONDITIONS DE TRAVAILLes conditions de travail diffèrentgrandement selon le métierexercé. La prolongation de ladurée du travail se traduiraitdifféremment selon les catégoriessocioprofessionnelles, et elleserait plus difficile pour les per-sonnes affectées par la pénibilitéde leur emploi.

Sommes-nous égaux face à l’allongementde la durée du travail?Révélatrices d’inégalités sociales, la pénibilité du travail et l’espérance de vie, surtout enbonne santé, interrogent sur l’égalité des situations au moment du départ à la retraite,a fortiori quand une « réforme » inique du système de retraites est à l’ordre du jour.

D

Les enquêtes de la Statistiquepublique attestent les écartsconsidérables d’exposition àdes conditions de travail difficilesselon les catégories sociopro-fessionnelles, en particuliers’agissant des contraintes phy-siques. En 2016, d’après l’enquêteConditions de travail-Risquespsychosociaux de la DARES,seulement 6 % des cadres cumu-lent au moins trois contraintesphysiques (postures, déplace-ments, poids à porter ou à dépla-cer, exposition à des secoussesou à des vibrations). A contrario,qu’ils soient qualifiés ou nonqualifiés, plus de 60 % desouvriers et près d’un employéde commerce ou de service surdeux sont concernés (gra-phique 1). Les ouvriers sont éga-lement les premiers concernés

par les expositions aux bruits,aux fumées, aux poussières etaux produits dangereux.

DES LIMITATIONS D’ACTIVITÉPLUS FRÉQUENTESDes conditions de travail dégra-dées peuvent peser sur la santédes personnes exposées, commele montrent les enquêtes qui

retracent la carrière des per-sonnes et permettent de suivreleurs conditions de travail etleur état de santé dans le temps.Ainsi, en 2006, d’après l’enquête

Santé et itinéraire professionnelde la DARES, parmi les per-sonnes âgées de 50 à 60 ansayant passé au moins 10 ans deleur vie en emploi, 19 % déclarentêtre limitées dans leurs activitésdu quotidien (voir encadré).Pour les personnes des mêmesâges dont la carrière a été mar-quée par 15 ans d’exposition à

des facteurs de pénibilité, cetteproportion atteint 24 %. Demanière générale, la part d’an-nées de vie passées en bonnesanté à partir de 50 ans dépend

La référence à une « carrière complète », autour de laquelle se structure le débat, s’avèreaveugle à l’impact des conditions de travail sur le déroulé des carrières.

Graphique 1

Ce texte est une contribution du collectif de mobilisation des agents de la DRESS, direction statistique du ministère de la Santé.

EXPOSITION À DES CONDITIONS DE TRAVAIL DIFFICILES

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des conditions de travail toutau long de la carrière, commel’a, par exemple, montré unevaste étude portant sur des tra-vailleurs du secteur du gaz etde l’électricité.

PROBLÈMES DE SANTÉ : UN MAINTIEN DANS L’EMPLOIPLUS DIFFICILELa survenue ou l’aggravationde problèmes de santé, qu’ilssoient temporaires ou perma-nents, jouent également sur lemaintien ou l’accès à l’emploi.Ainsi, parmi les actifs en emploien 2006, ceux en mauvaise santéétaient moins fréquemment enemploi en 2010 que ceux enbonne santé (71 %, contre 86 %,à structure d’âge comparable,pour tenir compte de la dégra-dation de la santé perçue avecl’âge).

En 2018, la situation profession-nelle à partir de 50 ans varieselon l’état de santé déclaré àce moment : les personnes for-tement limitées dans leurs acti-vités du quotidien partent à laretraite après avoir passé enmoyenne 3,9 années en emploi,mais 8,5 années au chômageou en inactivité. Durant la mêmepériode, les personnes qui nesont pas limitées dans leurs acti-

vités du quotidien passent enmoyenne 10,2 années en emploiet 1,8 année au chômage ou eninactivité.Les personnes en bonne santépartent donc à la retraite à62,1 ans en moyenne, soit plustôt encore que les personnesdont la santé est déjà pénalisée(62,4 ans). Ces dernières ne pro-fitent pas pleinement des dis-positifs de départ anticipé dusystème actuel et seront, enl’état actuel du projet de loi[mars 2020], pénalisées par ladécote dans le système à venir.Par conséquent, la référence àune «carrière complète», autourde laquelle se structure le débat,s’avère aveugle à l’impact desconditions de travail sur ledéroulé des carrières. De plus,restreindre le champ des expo-sitions prises en compte et ne

pas aborder frontalement laquestion de la pénibilité dansle débat est source d’iniquitésmanifestes. Les enjeux associésaux conditions de travail et à lapénibilité sont donc multiples,par exemple la compensationdes expositions, d’autant plusque ces conditions de travaildégradées ont pour conséquenceune espérance de vie plus courte.

ÉCART D’ESPÉRANCE DE VIEENTRE OUVRIERS ET CADRESLe gouvernement justifie lereport de l’âge de départ à laretraite « taux plein » par l’aug-mentation de l’espérance devie, mais ne tient pas comptede l’espérance de vie sans inca-pacité. Or celle-ci est déterminéepar le type de métier exercé :les personnes qui auront connudes conditions de travail difficilesprofiteront moins longtemps,voire pas du tout, d’une retraiteen bonne santé.L’espérance de vie (voir encadré)moyenne en 2017 est de 85 anspour les femmes et de 80 anspour les hommes. Toutefois,d’après l’INSEE, des inégalitéssont constatées selon la catégoriesocioprofessionnelle. En 2013,un homme ouvrier de 35 ans aune espérance de vie de 42,6 ans,ce qui équivaut à atteindre l’âgede 78 ans.

ESPÉRANCE DE VIE À 35 ANSSELON LA CATÉGORIESOCIOPROFESSIONNELLEA contrario, un homme cadrede 35 ans a une espérance devie de 49 ans, ce qui équivaut àatteindre l’âge de 84 ans. Pourles femmes, en 2013, cette dif-férence est moins marquée :l’espérance de vie restante à35 ans en 2013 pour les ouvrièresest de 49,8 ans (85 ans) alorsqu’elle est de 53 ans (88 ans)pour les femmes cadres (voirtableau). L’écart d’espérance devie à 35 ans entre ouvriers etcadres est passé de 5,7 ans en2003 à 6,4 ans en 2013 pour les

hommes et de 2,3 ans à 3,2 anspour les femmes. Depuis la findes années 1970, cet écart s’estmaintenu autour de 6,5 ans pourles hommes et 2 ans pour lesfemmes.

ESPÉRANCE DE VIE SANS INCAPACITÉ Au-delà des écarts d’espérancede vie, c’est plus particulièrementl’espérance de vie sans incapacité(voir encadré)qu’il est pertinentde regarder.En 2018, l’espérancede vie sans incapacité est de64,5 ans pour les femmes et de63,4 ans pour les hommes. Lesouvriers ont une vie à la retraiteplus courte et une plus longuepériode avec des incapacitésdiverses (17 ans pour les hom -mes, 22 ans pour les fem mes) ;pour les cadres cette périodeest plus courte (13 ans pour leshom mes, 16 ans pour les fem -mes). En 2018, ces inégalitéspersistent, puisque les ouvrierssont 14 % à déclarer être forte-ment limités au cours de la pre-mière année de retraite, contre2 % parmi les cadres (gra-phique 2). L’écart est encore plusmarqué si on ajoute les per-sonnes qui déclarent être limi-tées, mais pas fortement, aucours de la première année deretraite : 34 % pour les ouvriers,14 % pour les cadres.

ESPÉRANCE DE VIE À 35 ANS, AVEC ET SANS INCAPACITÉAvec un âge d’équilibre à 64 ans,ce serait au moment où les pre-mières incapacités apparaîtraientque les cotisants pourraient avoir

Le gouvernement justifie le report de l’âge de départà la retraite « taux plein » par l’augmentation de l’espérance de vie, mais ne tient pas compte de l’espérance de vie sans incapacité.

ESPÉRANCE DE VIE

ESPÉRANCE DE VIE ET CAPACITÉ OU INCAPACITÉ

Graphique 2

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droit à une retraite sans décote.Cependant, ces incapacités n’ap-paraissent pas de façon uniformeentre les individus : 15 % deshommes et 9 % des femmes nés

en 1975 ne pourront espérervivre plus de 10 ans en retraitesans incapacité, tandis que 17 %des hommes et 33 % des femmesnés la même année bénéficierontde cette situation pendant plusde 25 ans. De plus, les hommesnés en 1975 devraient être 8 %à décéder avant de liquider l’in-tégralité de leurs droits à la pen-sion. Cela pourrait concerner4 % des femmes.Là encore, il existe de fortes dis-parités selon la catégorie socio-professionnelle. En 2003, unouvrier de 35 ans peut espérervivre sans incapacité jusqu’à59 ans, contre 69 ans pour unhomme cadre (graphique 3). Uneouvrière de 35 ans peut comptervivre sans incapacités jusqu’à62 ans, alors que cet âge s’élèveà 70 ans pour une femme cadre.Finalement, les catégories socio-professionnelles les moins favo-risées ont une espérance de vie

plus courte et une espérancede vie avec incapacités pluslongue. Elles se retrouvent doncà subir une « double peine ».Ainsi, là où les catégories socio-

professionnelles les plus favo-risées peuvent espérer profiterpleinement de leur retraite sansincapacité pendant plusieursannées, celles qui sont les moinsfavorisées font face à des inca-pacités plus précoces au momentde l’âge de la retraite. Pour cer-taines personnes, ces incapacitésapparaissent même plusieursannées avant de pouvoir y avoirdroit.Finalement, en dépit de lavolonté affichée du gouverne-ment de créer un système uni-versel qui mettrait tout le mondeà égalité, la prise en compte del’espérance de vie sans incapa-cité montre que le projet deréforme du système de retraiteconduirait à renforcer les injus-tices et l’idée que certaines caté-gories socioprofessionnellesfinancent une retraite « heu-reuse » pour d’autres. n

Au-delà des écarts d’espérance de vie, c’est plusparticulièrement l’espérance de vie sans incapacité(voir encadré) qu’il est pertinent de regarder.

DISPARITÉS SELON LES CATÉGORIES SOCIOPROFESSIONNELLES

Graphique 3

Source : enquête Emploi 2018 (INSEE), calculs DREES.Note : Les retraités sont classés selon leur catégorie socioprofessionnelle antérieure.Champ : France métropolitaine, hors personnes n’ayant jamais travaillé.

Les indicateurs d’espérance de vie synthétisent les conditions de mortalitépar âge sur une période donnée. Il ne s’agit donc pas de prévisions maisd’une photographie de la situation à cette période.L’espérance de vie à la naissance correspond à la durée de vie moyenned’une génération fictive qui serait soumise, à chaque âge, au risque dedécéder à cet âge observé au moment du calcul de l’indicateur.Lorsqu’on calcule une espérance de vie à 35 ans selon la catégorie socio-professionnelle, on considère la durée de vie moyenne pour une personnequi connaîtrait, à partir de 35 ans, les risques de décès encourus par lespersonnes de cette catégorie socioprofessionnelle à tous les âges supérieursà 35 ans tels qu’ils sont observés au moment du calcul de l’indicateur.Afin de disposer d’effectifs par catégorie socioprofessionnelle suffisants,les conditions de mortalité sont observées sur une période de plusieursannées. Ainsi, les données les plus récentes disponibles portent sur lesannées 2009 à 2013.L’espérance de vie sans incapacité (EVSI) combine l’espérance de vie avecla fréquence observée des incapacités aux différents âges pour donner lenombre d’années qu’un individu peut espérer vivre sans suffrir d’une incapacité.Plusieurs mesures des incapacités peuvent être mobilisées.Les calculs de la DREES pour 2018 utilisent la réponse des individus à laquestion « Êtes-vous limité(e) depuis au moins six mois, à cause d’unproblème de santé, dans les activités que les gens font habituellement? »,les réponses peuvent être « Oui, fortement limité(e) », « Oui, limité(e) maispas fortement » ou « Non, pas limité(e) du tout ». Cette question provientd’un dispositif d’enquête européenne, le European Union Statistics on Incomeand Living Conditions (EU-SILC), qui harmonise les indicateurs des limitationsd’activité générales et permet, à ce titre, des comparaisons européennes.D’autres indicateurs peuvent compléter cette approche globale des limitationspour le calcul des EVSI. Les résultats de l’article « La “double peine” desouvriers : plus d’années d’incapacité au sein d’une vie plus courte »1 commentésdans cette publication exploitent l’enquête Santé de 2003. L’EVSI décrites’entend au titre d’une espérance de vie sans limitation fonctionnelle résiduellephysique ou sensorielle (difficulté à voir de près ou de loin, à entendre, àmarcher, à se pencher ou à utiliser ses mains et ses doigts) qui dénote unbesoin d’aide technique ou d’aménagement du domicile ou du poste detravail. L’article mobilise d’autres conceptions des incapacités (difficultésdans les activités en général, problèmes sensoriels et physiques), pourlesquelles les écarts entre cadres et ouvriers vont toutes dans le même sens.Les indicateurs d’EVSI ont été critiqués dans les débats à l’Assembléenationale sur la base de leur caractère déclaratif, et donc jugés nonscientifiques. Si l’interprétation des EVSI doit rester prudente, et si laformulation des questions a effectivement son importance, le fait que cetindicateur soit déclaratif ne saurait le discréditer, sauf à remettre en causeles autres indicateurs issus des enquêtes de la statistique publique. Lacorrélation des indicateurs de santé subjective avec la mortalité est attestée,qu’il s’agisse de la santé perçue ou des incapacités déclarées. De plus,les différentes mesures des incapacités confirment toutes les écarts entrecadres et ouvriers et justifient l’intérêt de la mesure des années passéesavec et sans restrictions d’activité.

1. Emmanuelle Cambois et al., Population et société, no 441, janv. 2008.

ESPÉRANCE DE VIE ET ESPÉRANCE DE VIE SANS INCAPACITÉ, DE QUOI PARLE-T-ON?

n SOCIAL

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PAR LA COORDINATION,DES SYNDICATS CGT RENAULT,

POUR UN VÉRITABLEPROJET INDUSTRIELAprès les deux accords de com-pétitivité des années2013 et2016(Cap 2020), la direction engageà partir du mois de mars 2020des discussions sur un accordà l’échelle du groupe et en mêmetemps dans chacun des établis-sements de Renault France,filiales comprises.Au niveau du groupe, la direc-tion affiche clairement sesambitions de revoir à la baissel’ensemble de la couverturesociale de Renault (temps detravail, congés spéciaux, heuresde franchise, majorations denuit et d’heures supplémen-taires, prime de départ à laretraite, prime d’ancienneté,grilles de salaires…) pour tousles salariés du groupe RenaultFrance, toutes catégoriesconfondues. Cet accord vise àcadrer les conditions socialesau plus faible niveau au-delàduquel les établissements deRenault ne pourront pas aller.Il s’agit d’adapter à Renaultune nouvelle convention col-lective unique de la métallurgie,que le patronat de la brancheespère bien faire signer par lesautres organisations syndicalesavant juin 2020.

Au niveau local, et au nom dela « compétitivité », la directionvise à aligner chaque établisse-ment français (ingénierie etfiliales comprises) sur les condi-tions sociales des pays les plusaffaiblis socialement (Turquie,Maroc, Espagne, Slovénie, Rou -manie, Chine…) avec toujoursplus de travail, moins de salariés,moins de salaires…Il y a urgence à tourner le dosà la logique financière de courtterme mise en œuvre par lesdirigeants de Renault au profitunique des actionnaires, via lesdélocalisations et moins-disantsociaux.La CGT défend des propositionscohérentes et étayées permettant

de répondre à la nécessaire réin-dustrialisation de notre pays etsatisfaire ainsi les besoins demobilité avec des réponses tech-nologiques multiples. Il est pos-sible de fabriquer plus d’un mil-lion de véhicules Renault enFrance à courte échéance, pourrépondre aux enjeux sociaux,sociétaux et environnementaux.

Un développement de l’industrieautomobile française (productionet ingénierie) qui se conjugueau développement de l’emploi

en CDI. Ce projet industriel etsocial répond à l’intérêt dumonde du travail. Il peut seconcrétiser si toutes les catégoriesprofessionnelles s’en saisissentet se mobilisent pour l’imposer.

CONDITIONS DE TRAVAIL,MAÎTRISE DES MÉTIERS ET QUALITÉLes coûts de garantie montrentune détérioration continue dela qualité des véhicules du groupelivrés aux clients. En 2019, ilsdevraient encore augmenter etdépasser les 700 millions d’euros,contre 345 millions en 2012.Associés aux rebuts, arrêts dechaîne et retouche en tout genre,ces coûts vont représenter ungaspillage de plus de 1 milliardd’euros pour la seule année2019. Autant de manque à gagnerpour l’investissement !Ces problématiques renvoientaux tares fondamentales de l’en-

treprise et des fournisseurs qu’ilest urgent de résoudre : notreingénierie doit disposer de tempssuffisant pour concevoir, tester

Pour les usines de montage, la fabrication des câblages est un enjeu majeur pour la maîtrise de la technologie des véhicules électriques et hybrides,tout comme la fabrication et la peinture des boucliers

Stratégie industrielle au service du progrèssocial et de la préservation de la planèteLes changements à la tête du groupe Renault sont l’occasion pour les syndicats de faireun bilan des stratégies passées et de proposer de grands axes stratégiques pour le groupe,dont la mise en place répondrait aux enjeux économiques, sociaux et écologiques del’époque. La coordination des syndicats CGT Renault a publié sa proposition pour l’avenirde la filière automobile en France, elle la présente dans nos colonnes.

Vue aérienne de l’usine Renaultde Flins.

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ses idées, ses développementsproduits bien en amont de laproduction; en secteur de fabri-cation, les opérateurs, les tech-niciens doivent disposer dutemps nécessaire pour exercerau mieux leur activité intégrantdes temps de repos et de respi-ration qu’ils n’ont plus.Pour chacune de ces activitésil y a nécessité d’apporter lesinvestissements, y compris lesformations qui s’imposent auregard des demandes des salariéseux-mêmes. Il faut égalementrenforcer les effectifs en CDIavec l’embauche des intérimaireset des prestataires. Cela permetd’assurer la permanence deséquipes et l’appropriation desmétiers. Les critères de qualitédes salariés, de l’ouvrier à l’in-génieur, doivent être considéréscomme la condition incontour-nable pour valider la mise enfabrication et la vente de nosproduits. Les remontées duréseau commercial devraientêtre prises en compte. Afin defaire de la coopération l’aiguillondes organisations du travail, ilfaut mettre fin à la mise enconcurrence des salariés pourrecréer des collectifs de travail.Enfin, les qualifications de l’en-semble des catégories profes-sionnelles doivent être reconnuespar les salaires, les promotions…Il ne peut y avoir de « qualité »sans capacité à pouvoir bienfaire son travail, et dans de

bonnes conditions sociales.Des voitures de qualité, durables,à prix de vente raisonnable, àfaible coût d’usage (consom-mation et entretien) sont desconditions indispensables pourrépondre aux besoins des clientset les satisfaire. Mais c’est aussiéviter les gaspillages, préserver

l’environnement, les ressourcesde la planète, et prendre encompte les dimensions socialesen termes d’emplois, de quali-fications, etc.

PRÉSERVER MAÎTRISE DES TECHNOLOGIES ET INDÉPENDANCEPour assurer sa capacité d’in-novation, ne plus être contraintaux prix des équipementiersavec l’achat complet des sys-tèmes et garantir un niveau dequalité optimal, Renault doitréintégrer des activités deconception, de fabrication, voireles deux selon les activités. Legroupe assurerait ainsi une plusgrande maîtrise de la chaîne devaleur. Pour l’ingénierie, Renaultpeut reprendre en main une

partie de la conception et de lavalidation des sièges, des piècesplastiques, de l’aide au pilotage– frein de parking et préventionsdes chocs –, des pompes à cha-leur, du freinage électrique…Et bien entendu des technologiesdu véhicule électrique, deshybrides et de l’électronique de

puissance. Pour les usines demontage, la fabrication descâblages est un enjeu majeurpour la maîtrise de la technologiedes véhicules électriques ethybrides, tout comme la fabri-cation et la peinture des bou-cliers. Pour les usines de méca-nique, la maîtrise et la fabricationdes châssis et parties roulantes,des groupes motopropulseurshybrides, avec moteur thermiqueet électrique couplés (EV, HEVet PHEV) est un impératif pourRenault.

POUR UNE FILIÈRE BATTERIEFRANÇAISE AVEC SAFTPour ne plus être dépendantedes Coréens ou des Chinois, laFrance doit se doter d’une filièrebatterie en coopération avec lesconstructeurs Renault, PSA, lefabricant français de batterieSAFT et le CEA pour assurer laR&D et la fabrication sur le solnational. La France est le paysle plus décarboné du mondeindustrialisé. Une fabricationfrançaise aura un impact envi-ronnemental dans le cycle devie d’un véhicule. Renault etPSA ont les moyens de garantir

des volumes suffisants pourassurer les investissementsnécessaires.Si Renault est revenuà la table des négociations avecSAFT, PSA et l’État, elle doit s’en-gager fermement et assurer ainsila souveraineté nationale enmatière de technologie des bat-teries. C’est bon pour l’emploi,l’environnement et l’aménage-ment du territoire.

RÉÉQUILIBRER LES VOLUMESDE FABRICATION À TRAVERSLE MONDEPendant que les usines françaisessont sous-utilisées, les usinesroumaines, turques, slovènes,espagnoles ou marocaines sontsur-utilisées avec des conditionssociales inacceptables. Il y adonc nécessité de rééquilibrerles volumes de productions entretoutes les usines Renaultd’Europe, turques et marocaineset d’améliorer et d’aligner pourtous des conditions socialesdignes du XIXe siècle en termesde réduction du temps de travail,de conditions de travail, d’aug-mentation de salaire… Cerééquilibrage passe par la loca-lisation en France de la produc-

La France est le pays le plus décarboné du mondeindustrialisé. Une fabrication française aura un impactenvironnemental dans le cycle de vie d’un véhicule.Renault et PSA ont les moyens de garantir des volumes suffisants pour assurer les investissements nécessaires.

Pour ne plus être dépendante des Coréens ou desChinois, la France doit se doter d’une filière batterieen coopération avec les constructeurs Renault, PSA, le fabricant français de batterie SAFT et le CEA pourassurer la R&D et la fabrication sur le sol national.

Le véhicule Zoé à propulsion électrique reste encore inaccessible pour le plus grand nombre. Développer un petit véhicule électrique à moins de 10000 € est une nécessité.

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tion de 150000 Dacia Sandero,Logan, Duster, Lodgy, Dokkervendues sur le territoire nationalet dans les pays limitrophes.Relocaliser en France un certainvolume de fabrication de Clio,Megane et Captur, évalué à200000 véhicules supplémen-taires, permettrait de lisser l’ac-tivité des sites et de fournir lesbesoins des marchés locaux(France, Allemagne…). Chargerles usines françaises à 100 %,avec 350000 véhicules supplé-mentaires à produire, c’est redy-namiser la filière automobiledu pays. C’est bon pour l’emploi,avec plus de 4000 CDI supplé-mentaires pour Renault et sesfournisseurs, et pour l’empreintecarbone.Cela permet égalementde réduire le déficit de la balancecommerciale française d’environ120 millions d’euros.Le chargement de toutes lesusines à 100 % de leur capacitépermet de réduire les coûts fixestout en conservant des margessuffisantes pour les investisse-ments. Les relocalisations etlocalisations génèrent des inves-tissements supplémentairesd’environ 60 millions d’eurospar an sur quatre ans et uneaugmentation des coûts variablesjusqu’à 80 millions d’euros en2025, mais ce sont des sommesbien faibles comparées aux4,8 milliards d’euros que Renaulta versés en cinq ans à ses action-naires ! Un effet d’entraînementsur l’activité économique estégalement à prévoir, avec unehausse de la consommation enFrance de l’ordre de 300 à400 millions d’euros par an.

EXTENSION DE LA GAMMERENAULT (VU/VP)MULTIÉNERGIES ET MODES D’HYBRIDATIONAu vu des enjeux, l’ingénieriemécanique ne doit pas fairel’objet de restrictions budgé-taires, bien au contraire! Renaultdoit se donner les moyens entermes d’investissements etd’effectifs pour développer desmotorisations thermiques irré-prochables couplées à l’élec-trique et pouvant fonctionner

au GPL, GNV et biocarburant.Des solutions d’hybridationlégères doivent être développéesrapidement pour l’ensemblede la gamme, y compris pourles VU (véhicules utilitaires).Les versions des véhicules Zoéet la plate-forme Alliance seg-ment C doivent être complétéesavec des solutions d’extensiond’autonomie, petits moteursessence génératrice ou petitepile à combustible (appeléeBEV). Une démarche identiquepeut être appliquée aux utilitairesen concevant des architecturespermettant des solutions élec-triques avec pour priorité l’ex-tension d’autonomie.

UN PETIT VÉHICULEÉLECTRIQUE POPULAIREPRODUIT EN FRANCEEn France, 80 % des déplace-ments automobiles sont liés auxtrajets domicile-travail de moinsde 20 km. Une part importantede la population n’a pas lesmoyens de s’offrir un VE telle laZoé, par exemple, pour se rendreau travail. Pour s’attaquer réel-lement aux problèmes environ-nementaux, les voitures décar-bonées, la voiture électrique

entre autres, mais aussi leshybrides, ne doivent pas être unluxe réservé aux plus aisés.Renault peut proposer rapide-ment une petite voiture écolo,pas chère et qui crée des emplois.Cette voiture, conceptualisée etréalisée par des ingénieurs ettechniciens de Renault existe,il n’y a plus qu’à la fabriquer.

Elle est moderne, d’une concep-tion répondant à des contraintesexigeantes en termes de sécurité,Cx inégalé, et donc d’une faibleconsommation. Elle peut êtrerechargée sur une prise basiqueet rechargée en arrivant au tra-vail. Elle offre une autonomied’environ 120 km, capable, sanssubvention, de concurrencer

en coûts d’usage une Twingod’entrée de gamme pour lestrajets domicile-travail. Le toutpour un prix de vente inférieurà 10000 € (+ 25 € par mois pourla location de batterie).Avec sa filiale RCI, Renault peutaussi innover en offrant unelocation sans engagement dedurée dont le montant ne soitpas plus élevé que le coûtd’usage (carburant, entretien…) du véhicule (gazole ou essence)utilisé pour se rendre actuel-lement au travail. Ce véhicule

électrique serait rentable et lesinvestissements nécessaires nedépassent pas 250 millions d’eu-ros pour des prévisions d’en-viron 100000 ventes annuelles.Sa plate-forme est évolutive etpeut être étendue au segmentB (Clio).En localisant la production àFlins ou à Douai, ce sont plu-

sieurs centaines d’emplois enCDI qui sont en jeu pour Renaultet la filière automobile française,mais c’est aussi une opportunitépour répondre résolument auxenjeux climatiques.

DÉCONSTRUCTION ET RECYCLAGELe parc automobile français estconstitué de plus de 35 millionsde véhicules. En 2018, selonCCFA, l’âge moyen de ce parcétait de 9,1 ans, contre 5,8 ansen 1990; 28 % du parc est consti-tué de véhicules du groupeRenault; 74 % du parc est consti-tué de petites voitures etmoyennes inférieures. Il y a donc

des opportunités importantesen termes de renouvellement,et cela relève d’enjeux importants,à commencer par les questionsenvironnementales.Le renouvellement du parc pardes véhicules les plus décarbonéspossible est un passage obligépour résoudre les probléma-tiques d’émissions de gaz à effetde serre. Le renouvellement duparc est une opportunité pournos ventes, et notamment pourles voitures d’entrée et de milieude gamme. Mais c’est aussi uneopportunité pour aborder laquestion de la déconstructionet du recyclage des véhiculesdu parc dans une dimensionqui dépasse largement la capa-cité des trois entreprises fran-çaises qui travaillent sur le sujet,et qui va toucher de plus en plusfortement le recyclage des véhi-cules électriques. À cet égard,Renault pourrait développer eninterne ce type d’activité en uti-lisant les chaînes de montagepour démonter et recycler lesvéhicules en fin de vie. C’est àla clé des emplois et le dévelop-pement de la filière automobilefrançaise. n

Pendant que les usines françaises sont sous-utilisées,les usines roumaines, turques, slovènes, espagnolesou marocaines sont sur-utilisées avec des conditionssociales inacceptables.

Charger les usines française à 100 %, avec 350000 véhicules supplémentaires à produire, c’est redynamiser la filière automobile du pays. C’est bon pour l’emploi, avec plus de 4000 CDIsupplémentaires pour Renault et ses fournisseurs, et pour l’empreinte carbone.

Le renouvellement du parc par des véhicules les plus décarbonés possibles est un passage obligé pour résoudre les problématiques d’émissions de gaz à effet de serre.

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n LUTTES

PAR CLÉMENT CHABANNE*,

vec le développementde cette pandémie cau-sant des troubles respi-

ratoires, l’intérêt stratégique del’outil industriel et des savoir-faire des salariés apparaît augrand jour. Les salariés de l’en-treprise viennent de lancer unepétition, reprise par le députécommuniste André Chassaigneet d’autres élus du Puy-de-Dôme,pour la nationalisation définitive

Menacée de fermeture, Luxfer doit être nationaliséeDéjà largement combattue par les salariés de l’entreprise et leur syndicat CGT depuisplus d’un an, la fermeture de l’usine Luxfer à Gerzat, la seule usine française fabriquantdes bouteilles d’oxygène, revêt un caractère encore plus scandaleux en pleine crisedu coronavirus.

Ade cette entreprise. Le site estoccupé par les salariés depuisle 20 janvier 2020.

UN TERRITOIRE DÉJÀ SINISTRÉ…Le Puy-de-Dôme a déjà payéun lourd tribut aux stratégiesde délocalisations et de des-tructions d’emplois des multi-nationales. Depuis 2016, le bassinindustriel du département asouffert de plusieurs centainesde suppressions de postes à la

SEITA, Dietal, Flowserve, MSD,Michelin ou à la sucrerie deBourdon. L’abandon de ce ter-ritoire est un symptôme du refusdu gouvernement et des auto-rités locales non seulement dejouer un rôle stratégique, maismême de simplement faire appli-quer la législation existante.Du côté des élus locaux, si AndréChassaigne et d’autres élus dudépartement sont montés aufront, la Région et son présidentLaurent Wauquiez refusent tou-

jours à ce jour de rencontrer lessalariés malgré leurs multiplesdemandes. Du côté préfectoral,les commissions de revitalisationont cessé depuis février 2019.Là encore, les salariés sont laissésseuls malgré leurs propositionsde monter une Scop ou d’êtrerepris par le groupe chinoisJinjiang.

… ABANDONNÉ PAR L’ÉTATAu niveau national, le ministèrede l’Économie et des Finances

L’usine Luxfer fabrique des bouteilles de gaz haute pression enaluminium de très haut de gamme. La production inclut les matérielsd’oxygénothérapie, notamment les bouteilles d’assistance respiratoirepour les ambulances et hôpitaux, mais aussi les ARI (appareilrespiratoire isolant) utiles aux pompiers.

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multiplie les attaques contre lessalariés v que les preuves de sasoumission face au groupe bri-tannique. Ses représentants encharge du dossier, Mme AgnèsPannier-Runacher, secrétaired’État auprès du ministre del’économie et des Finances, etM. Patrick Ivon, du cabinet dela précédente, se permettent deposer des lapins aux salariés del’usine. Lorsque ces dernierssont reçus, c’est pour entendreen guise de réponse que l’Étatn’est pas en capacité d’intervenir.Il est pourtant de sa responsa-bilité de faire respecter par Luxferle plan de revitalisation et leplan de sauvegarde de l’emploi,et de faciliter la recherche d’unrepreneur. Les salariés attendenttoujours le fin mot de l’histoirequant à la non-application duplan de revitalisation par Luxfer.Ce plan, porté par les salariés,qui devait sauver 55 emplois n’ajamais été mis en place. Le minis-tère et l’entreprise se renvoientla balle, sans que jamais Luxferne soit inquiété quant à sonrefus d’appliquer le plan quidure depuis décembre 2019.M. Jean-Pierre Floris, représen-tant du ministère de l’Économie,a révélé les véritables raisonsde l’abandon des salariés deLuxfer lors de sa visite en janvier2019. Il a déclaré devant les syn-dicats : « Vos emplois appartien-nent à Luxfer, les locaux appar-tiennent à Luxfer, les machinesappartiennent à Luxfer, c’est lapropriété privée. Si un actionnairea décidé de casser son jouet, peuimportent les conséquences, nousn’interviendrons pas. » Le cœurdu problème est là, dans ce refusd’envisager que la puissancepublique puisse contester auxgrands groupes privés la gestionde la production pour la mettreau service de l’intérêt général.

ENTORSES AU DROIT DU TRAVAILDepuis le début du conflit, ladirection du groupe multiplie les méthodes illégales, voiremafieuses, sans être inquiétéepar la justice. Outre son refusd’appliquer le plan de revitali-

sation, le groupe est accusé parla Direccte d’avoir sous-estimévolontairement le nombre de sessalariés. Tout groupe employant1000 salariés en Europe est soumisà la loi Florange, qui impliquedes obligations de dédomma-gement plus importantes enversles territoires et les salariés. Legroupe Luxfer déclarait 500 sala-riés en Europe, mais la Direcctea été capable d’en dénombrer

au moins 976, un nombre queles enquêteurs eux-mêmes esti-ment encore inférieur à la réalité,sans pouvoir le prouver.Le motif des licenciements estégalement douteux. Luxfer plaidele motif économique introduitpar les ordonnances Macronpour justifier le licenciementdes salariés protégés. Or ce motifn’est justifiable qu’en cas deforte concurrence. Ce n’est apriori pas le cas de Gerzat, quiest une usine unique en songenre au niveau mondial. Laconcurrence évoquée par Luxferconcerne la production d’ex-tincteurs. Aucun extincteur n’estproduit à Gerzat ! L’inspectiondu travail a d’ailleurs déboutéle motif économique. D’ailleurs,Luxfer Holding PLC assumedans son communiqué de pressedu premier trimestre 2019 quele démantèlement du site répondplus à des considérations bour-sières qu’à une stratégie indus-trielle. BlackRock l’a d’ailleursbien compris, qui a investi 33 mil-lions d’euros de titres de l’en-treprise pour les revendre rapi-dement en empochant unesolide plus-value. Le risque estmaintenant que comme dansle cas de Whirlpool, de Copirelou de la SEITA, le ministèrevalide le motif économique enpassant par dessus l’avis de l’ins-pection du travail.

En termes de reclassement,Luxfer est bien en dessous deses obligations légales. Seule -ment 15 % des salariés ont étéreclassés, dont la moitié encontrats précaires et à plus de30 km de leur domicile. Pendantplus de quatre mois, Luxfer arefusé de respecter l’accord PSEsigné en préfecture en refusantde rembourser des frais de for-mation. Le groupe s’est vanté

devant la Direccte de le fairesciemment, pour « donner uneleçon de vie aux salariés ». Enl’absence de réaction de laDireccte ou de la préfecture, cesont les syndicats et 100 salariésde l’entreprise qui ont dû mani-fester leur colère devant l’usinepour débloquer la situation.

MISE EN DANGER DES POPULATIONSEn septembre2019, l’inspectiondu travail bloquait une premièretentative de démantèlement dusite. Les entorses au droit du travailétaient légion : non-consultationdu CHSCT, mise en danger desentreprises voisines… En jan-vier2020, la direction profitait dela loi « travail » et de l’arrêt desmandats CHSCT, CE et DP pour

se débarrasser des représentantsdu personnel sans mettre en placede CSE. Une pratique sans risquepour la multinationale qui n’en-court que 7500 € d’amende. Le13 janvier 2020, le groupe a tentéde manière totalement illégaled’entreprendre la destruction du

site. Cette opération, finalementavortée, faisait courir un dangergrave à la population, puisqueles machines encore branchéescontenaient jusqu’à 14 t d’huile,ce qui implique des risques envi-ronnementaux, sanitaires etd’incendie.Le 20 janvier, les engins de démo-lition arrivaient devant l’usine.Les salariés ont alors, face à lapassivité de l’État, réquisitionnél’usine. Depuis, une soixantainede salariés se relaient jour etnuit pour occuper et protégerle site en attendant que la puis-sance publique prenne ses res-ponsabilités. Nul doute que lessalariés ont rendu là un grandservice à la population et aussià l’État – qui refuse de les défen-dre – puisque la fuite du groupeLuxfer pourrait laisser la notede dépollution sur les bras desfinances publiques, pour unesomme comprise entre 2 et20 millions d’euros.

DES PRATIQUES MAFIEUSESDepuis le début du conflit, ladirection du groupe a multipliéles coups bas. Ses multiplesaccusations diffamatoires visantà justifier des licenciementspour faute grave ont systéma-tiquement été démenties par leRenseignement territorial, entraî-nant la suspension du PSE.Luxfer est allé jusqu’à accuserles salariés de séquestration dudirecteur, de harcèlement d’uningénieur qui n’était même plussur le site, ou d’avoir prévu defaire exploser le bâtiment admi-

nistratif. Des accusations évi-demment mensongères.Les membres de la directionsont même venus à l’usine pourdire aux salariés « Vous ne vousêtes pas donné les moyens deréussir dans la vie, c’est normalque vous soyez licenciés »,

La sortie de M. Floris sur l’usine « jouet desactionnaires » est insultante pour les salariés dans ce contexte de guerre patronale. Elle reflèteégalement l’absence totale de stratégie industrielledu gouvernement.

Holding PLC assume dans son communiqué de presse du premier trimestre 2019 que le démantèlement du site répond plus à des considérations boursières qu’à une stratégieindustrielle.

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« Contrairement à nous, les diri-geants, en tant qu’ouvriers vousne vous êtes pas donné les moyensd’entretenir correctement votrefamille», « Vous êtes des personnesincivilisées ». Le directeur lui-même insultait les salariés parsa fenêtre. Les élus du personnelont été suivis dans Gerzat pardes « gardes du corps » asser-mentés appelés par la direction.Pendant quatorze mois de lutte,les salariés ont été soumis à cespratiques mafieuses. Dénoncéesà la Direccte, ces insultes et inti-midations n’ont pas été sanc-tionnées pour le moment.

LUXFER À GERZAT,TOUT SAUF UN JOUETLa sortie de M. Floris sur l’usine« jouet des actionnaires » estinsultante pour les salariés dansce contexte de guerre patronale.Elle reflète également l’absencetotale de stratégie industrielledu gouvernement. Commentqualifier ainsi cette usineconstruite en 1939 pour lesbesoins d’armement et qui a sudepuis s’adapter aux évolutionsdu secteur de la métallurgie ?Avant d’être bradé à Luxfer, c’estsous le contrôle de Pechiney,alors entreprise nationale, quele site a connu ses plus bellesheures. Les machines aujour -d’hui vouées à la destructionpar Luxfer sont héritées de cettepériode Pechiney, elles ont doncété financées par l’argent public. Avec ce site industriel excep-tionnel, Luxfer dispose del’unique usine fabriquant desbouteilles de gaz haute pressionen aluminium de très haut degamme. Globalement, l’ensem-

ble des productions de l’usinede Gerzat revêt un intérêt stra-tégique majeur, d’autant plusévident que la pandémie decovid-19 met en avant lesbesoins en assistance respira-toire. La production inclut les

matériels d’oxygénothérapie,notamment les bouteilles d’as-sistance respiratoire pour lesambulances et hôpitaux, maisaussi les ARI (appareil respira-toire isolant) utiles aux pompiers.Tout est donc réuni pour quece site industriel soit reconnucomme relevant de l’intérêtnational et soit mis sous contrôlecollectif, comme le demandele syndicat.Luxfer fait aujourd’hui la preuvequ’une entreprise privée dontla stratégie n’est fixée qu’enfonction du profit des action-naires est incapable d’assurerefficacement ces productionsd’intérêt général. Le groupe bri-tannique se sert de son mono-

pole dans le secteur pour baisseren gamme tout en maintenantdes prix élevés et s’assurer desmarges plus importantes. Enfermant l’usine de Gerzat, Luxferprive le monde entier de matérielmédical de qualité, au seul nom

de sa rentabilité. En tant queprincipaux clients de ces pro-duits, soit via la Sécurité sociale,soit directement sur les budgetsde l’État, la puissance publique

devrait se sentir le devoir depréserver la filière en danger.Malheureusement il n’en estrien. Le gouvernement françaissemble déterminé à accompa-gner la casse.

IMPOSER LA NATIONALISATION ET L’ORGANISATION D’UNE FILIÈRE INDUSTRIELLEL’épidémie de covid-19 révèlele besoin urgent d’une organi-sation industrielle mise au servicede l’intérêt général. L’arrêt dela seule usine capable de pro-duire des bouteilles d’oxygènemédical en pleine épidémierévèle l’incompatibilité entrebesoins des populations et ges-tion par les seuls capitalistes.

Par la nationalisation de cetteentreprise stratégique, l’Étatpeut mettre l’outil de productionau service des besoins urgentsen matériel médical.

Cette opération devrait s’inscriredans une stratégie globale et delong terme visant à sortir lessecteurs économiques straté-giques de la gestion par le seulcritère de la rentabilité. Avec laconstruction d’un vaste pôlepublic industriel en matière desanté, allant des médicamentsà l’oxygène médical, il est pos-sible de conjuguer satisfactiondes besoins et élévation desdroits des salariés, non seule-ment en termes d’horaires detravail et de rémunération, maisaussi en termes de pouvoir degestion et d’organisation de laproduction. n

*CLÉMENT CHABANNE est économiste.

Avec ce site industriel exceptionnel, Luxfer disposede l’unique usine fabriquant des bouteilles de gazhaute pression en aluminium de très haut de gamme.

En fermant l’usine de Gerzat, Luxfer prive le mondeentier de matériel médical de qualité, au seul nomde sa rentabilité.

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OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2014 Progressistes

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n CLIMAT

L’Académie des sciences préoccupée des conséquences du changement clima-tique, alors que l’accord de Paris apparaît comme étant déjà hors de portée, a consa-cré un colloque à examiner les possibilités pour faire face.

PAR IVAN LAVALLÉE,ET GEOFFREY BODENHAUSEN*,

ans l’atmosphère feutrée de l’au-ditorium André-et-Liliane-Bettencourt,l’Académie des

sciences a organisé les 28 et29 janvier 2020 un colloqueconsacré à la crise climatique.Nous revenons ici sur ces deuxjournées, dont les organisateursprincipaux furent SébastienBalibar, Jean Jouzel et Hervé LeTreut. Le colloque était introduitcomme suit :

« Notre planète se réchauffe, l’aci-dité des océans augmente, lasécheresse sévit par-ci et les pluiestorrentielles par-là, les forêtsprennent feu, les ouragans battenttous leurs records, les glaciersfondent, la biodiversité recule…Réunis à Paris en 2015 pour la21e édition de la COP (conférencedes parties), les pays du mondeentier avaient reconnu la res-ponsabilité humaine dans cechangement climatique et pro-posé de limiter le réchauffementnettement en dessous de 2 °C parrapport aux années 1880-1900.Pour y parvenir, chaque paysavait présenté des transitionsénergétiques ambitieuses. Maisquatre ans plus tard, les trans-ports, l’habitat, l’activité indus-trielle et agricole émettent tou-jours plus de gaz à effet de serre,et l’objectif semble hors d’atteinte.Il faudra s’adapter au réchauf-fement, mais les transitions éner-

gétiques doivent être engagéesd’urgence sur la base de solutionsréalistes. Cela nécessite des effortssolidaires, de la recherche et beau-coup d’information. Au lende-main de la COP 25 tenue enEspagne sous la présidence duChili, et à l’occasion de ce colloqueouvert à tous, l’Académie dessciences propose au public devenir débattre des problèmesscientifiques, sociaux et politiquesqui se posent à nos sociétés. »

Des vingt-quatre interventionsnous avons relevé les proposparticulièrement alarmants deValérie Masson-Delmotte surles mesures de température etles conséquences du réchauf-fement degré après degré.Nicolas Meilhan a fait remarquerque les malus sur les voitureslourdes étaient tout à fait ino-pérants, que la mode des SUVa complètement annulé les pro-grès de l’efficacité des moteursthermiques, que les mesuresd’émissions de CO2 se feront en

laboratoire, et non en conditionsréelles, jusqu’en 2030.

DES PERSPECTIVESNous avons aussi relevé les pro-pos qui, à défaut d’être rassu-rants, ouvrent des perspectivesnouvelles.Ainsi, Isabelle Czernichowski-Lauriol a parlé du captage et du stockage du CO2 à grandeéchelle ; Philippe Malbranchede l’Alliance solaire internatio-

nale, donnant une vision assezoptimiste des sources d’énergierenouvelables (éoliennes et pan-neaux photovoltaïques), sanstrop s’attarder toutefois sur lesproblèmes d’intermittence ni

de la logistique associée (quantitéde béton nécessaire, centralesà gaz de recouvrement…). Jean-Marie Tarascon a évoqué desbatteries moins coûteuses baséessur des matières abondantes,équipées de circuits de diag-nostic, voire d’autoréparationen cas de défaillances. YvesBréchet a brossé des perspectivesdu potentiel de la productionélectrique nucléaire en circuitfermé avec recyclage partiel des

combustibles, qui permettraitde retarder l’épuisement de res-sources non renouvelables de100 à 1000 ans, sans émettre duCO2, ce qui rejoint le propos deValérie Masson-Delmotte sur

Face au changement climatique, le champ des possibles

Des vingt-quatre interventions nous avons relevé les propos particulièrement alarmants de ValérieMasson-Delmotte sur les mesures de température et les conséquences du réchauffement degré après degré.

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la nécessaire électrification mas-sive des activités humaines.Posant le problème de la glo-balisation prise comme unepossible chance pour l’huma-nité, Mireille Delmas-Marty abrossé un tableau des ressourcescontestées du droit suprana-tional (« flou, mou ou doux »)et d’une refondation des nations,qui ne seraient plus fondéessur un récit national plus oumoins mythologique mais surune anticipation commune dufutur sanctionnée par un droitinternational RCD, à savoir res-ponsabilité commune et diffé-renciée. Elle pose là de fait unproblème fondamentalementpolitique auquel d’une façonou d’une autre l’humanité seraconfrontée bon gré mal gré, etplus tôt que tard.Pierre Léna a appelé à une meil-leure préparation des instituteurset autres enseignants.Céline Guivarch et Henri Wais -man ont essayé de nous montrerà quoi pourrait ressembler unmonde atteignant l’objectif del’accord de Paris « de contenirl’élévation de la températuremoyenne de la planète nettementsous les deux degrés ». Hervé LeTreut a abordé l’évolution desterritoires sous l’influence deschangements climatiques. Ilnote que nous avons de moinsen moins la possibilité de modi-fier significativement l’évolutionclimatique par nos actionslocales. Il est donc nécessairede nous adapter préventivementà des évolutions qui relèvent àla fois de la part déjà irrémédiabledes changements à venir et desretards ou échecs possibles desactions internationales. Les ter-ritoires ont dans ce cadre unrôle privilégié à jouer.

LE FONCTIONNEMENT DU SYSTÈME CLIMATIQUEAnny Cazenave a discuté dufonctionnement complexe dusystème climatique et de sonévolution sous l’effet des forçagesnaturels et anthropiques, ainsique des impacts du changementclimatique sur les systèmes natu-rels et les sociétés humaines,

les grands organismes interna-tionaux et les agences spatialesque nombre de pays ont mis enplace depuis environ trois décen-nies, qui fournissent une grandevariété de systèmes d’observa-tion de paramètres climatiques,aux échelles globales, régionaleset locales. Ainsi, le GCOS (globalglimate observing system) a per-mis de définir plusieurs dizainesde variables climatiques, essen-tielles appelées ECV (essentialclimate variables), devant êtreobservées de façon très précisesur le long terme, depuis l’espaceou du sol, pour mieux compren-dre les processus en jeu et leursinteractions, et valider lesmodèles simulant les évolutionsfutures.Jean-Pierre Gattuso évoqua lesservices que nous rendent lesorganismes et les écosystèmesmarins, soulignant les risquesqu’ils encourent du fait de l’aci-dification de l’océan. Deux scé-narios seront pris en compte :la poursuite des émissions degaz à effet de serre (GES) sur lerythme actuel et leur diminutionde manière à limiter la haussede la température de la planèteau-dessous 2 °C d’ici à 2100, enadéquation avec l’accord deParis. Le niveau de l’océan estmonté de 5 cm en un siècle.L’océan est à la fois un acteur

et une victime des changementsclimatiques.Olivier Boucher disserta sur lesmodèles du climat et leurslimites. Ce propos est pour -suivi par les interventions de Venkatrami Balaji, SoniaSeneviratine et Isabelle Chuine,qui précisa les technologies dis-ponibles et la prise en comptedes événements extrêmes. Ellea donné une perspective de ces

événements extrêmes : ainsi,une augmentation moyenne de1,5 °C n’exclut pas des augmen-tations locales de 5, voire 8 °C.Isabelle Chuine a montré à quelpoint la biosphère est menacée,et comment les arbres et autres

végétaux auront de la peine àmigrer vers des latitudes plusclémentes.

UN PEU DE POLITIQUE TOUT DE MÊMELa rédaction de Progressistes,invitée et présente en force, aété frappée par l’absence detoute dimension politique desdébats. Le terme « capitalisme »n’a pas été mentionné une seulefois, le terme « sociétal » per-mettant de masquer les enjeuxréellement politiques. Les appelsaux normes et aux règles quidevraient être édictées par lesÉtats n’ont jamais été accom-pagnés d’avertissements du faitque nombre de ces mêmes États

sont tombés sous la coupe d’oli-garques peu enclins à se battrepour la planète.L’enjeu qui apparut en filigranetout au long des exposés est quela préservation du climat et del’environnement est incompa-tible avec une vision à courtterme à l’échelle d’un territoireou d’un pays. La question sepose à l’échelle planétaire,comme relevé par Mireille

Delmas-Marty, et nécessiteraitune gestion à cette échelle etsur des constantes de tempsincompatibles avec la boulimied’accumulation de capital quicaractérise le système actuel deproduction et d’échanges. Mais,

comme lors d’un célèbre procès,« la question ne sera pas posée ».Ce sont là les limites de l’exercice,car si la technique et la sciencene sont que des outils, c’est auniveau politique que ces outilsdoivent être mis en œuvre. Si lecapital trouve profit dans ledérèglement climatique, alorsil n’y a pas de raison pour qu’ilactionne résolument lesditsoutils.Une quinzaine de jeunes étu-diantes et étudiants, emmenéspar Serge Planton, avaient pré-paré quelques questions, asseztimorées au demeurant, parexemple sur le rôle de l’expertisescientifique dans la parole poli-tique. En effet, nombre de poli-tiques émettent des avis, voiredes injonctions, sans justificationscientifique. Seule une question,du troisième groupe de jeunesintervenants, faisant allusionaux politiques publiques, auxinnovations sociales et sociétales,aux conséquences de la sobriétéchoisie, a attiré quelques applau-dissements. Les journées se sont concluespar quelques mondanités assezconvenues de Cédric Villani, duprince de Monaco et de LaurentFabius. n

*IVAN LAVALLÉE est directeur de la rédaction de Progressistes,

GEOFFREY BODENHAUSEN est chimiste, professeur à l’ENS.

Hervé Le Treut a abordé l’évolution des territoires sous l’influence des changements climatiques. Il note que nous avons de moins en moins la possibilité de modifier significativement l’évolution climatique par nos actions locales.

Ce sont là les limites de l’exercice, car si la techniqueet la science ne sont que des outils, c’est au niveaupolitique que ces outils doivent être mis en œuvre. Si le capital trouve profit dans le dérèglementclimatique, alors il n’y a pas de raison pour qu’il actionne résolument lesdits outils.

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Les sciences et les techniques au féminin

Eva Mameli (1886-1978)« Le vent, quand il vient de loin, apporte à la ville des présents insolites, dont seules quelquesâmes sensibles peuvent s’apercevoir, comme ces enrhumés des foins que font éternuer lespollens de fleurs venues d’autres terres.1 » Ces âmes sensibles évoquées dans les premièreslignes de Marcovaldo, Italo Calvino les connaît bien, puisqu’il est le fils de l’une d’elles : labotaniste Eva Mameli.

Eva commence sa brillante carrière en devenant successivement lauréate de mathématiqueà l’université de Cagliari en 1905 puis la première Italienne diplômée en sciences naturelles,à Pavie en 1907. Ces années d’études seront particulièrement fécondes, puisqu’elle y publiesa première contribution scientifique : « Sulla flora micologica della Sardegna. Prima contribuzione »,dans les Atti dell’Istituto botanico de l’università di Pavia. Elle devient, en 1915, la premièrefemme habilitée à enseigner la botanique dans une université italienne. Ses domaines derecherche sont vastes et concernent notamment la lichénologie, la mycologie, la physiologieet la génétique appliquée aux plantes, la phytopathologieainsi que la floriculture. Elle contribue durant toute sacarrière à l’enrichissement et à la diffusion des connaissancessur ces sujets en dirigeant deux stations de floricultureexpérimentales (à Santiago de las Vegas, à Cuba, puis àSanremo en Italie) et en fondant, avec son mari MarioCalvino, la Società italiana amici dei fiori ainsi que la revueIl Giardino Fiorito, que le couple dirigera de 1931 à 1947.À sa mort, en 1978, le fonds Mario Calvino et Eva MameliCalvino (somme documentaire considérable composéd’environ 12000 publications, allant de la photographieaux articles, en passant par les études préparatoires) estlégué à la bibliothèque de Sanremo.

CLAUDE FRASSON

1. Traduction, Martin Rueff.

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