MEP Necronomicon DEF-1

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  • Simon

    Le Necronomicon

    Traduit de langlais (tats-Unis) par Philippe Touboul

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  • Ce recueil regroupe quatre ouvrages: Les Noms morts: LHistoire secrte du Necronomicon, Le Necronomicon,

    Le livre de sorts du Necronomicon, Les Portes du Necronomicon.

    Titre originaux:

    Dead Names: The Dark History of the NecronomiconCopyright 2006 by Simon

    NecronomiconCopyright 1977 by Schlangekraft, Inc.

    Necronomicon SpellbookCopyright 1981, 1987 by Simon

    The Gates of the NecronomiconCopyright 2006 by Simon

    Publis avec laccord de Avon Books, une marque de HarperCollins Publishers. Tous droits rservs.

    Bragelonne 2012, pour la prsente traduction

    Pour les illustrations de Goomi, voir aussi son site:www.goominet.com

    Lditeur dcline toute responsabilit quant lusage qui pourrait tre fait des sorts cits dans ces ouvrages. De mme lditeur ne pourrait tre tenu pour responsable si la fin du monde survenait suite la mise en pratique

    des rituels contenus dans ce recueil. Merci de tenir compte des avertissements et de prendre toutes les prcautions qui simposent.

    ISBN: 978-2-35294-610-6

    Bragelonne60-62, rue dHauteville 75010 Paris

    E-mail: [email protected] Internet: www.bragelonne.fr

    Collection dirige par Stphane Marsan et Alain Nvant

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  • Sommaire

    LES NOMS MORTS LHistoire secrte du Necronomicon 7 Remerciements 13 Introduction : La Chapelle prilleuse 15 Premire partie Une liste des rois avant le Dluge 21 Chapitre premier : Dcors et mise en scne 23 Chapitre 2 : La cathdrale de la Sagesse cleste 37 Chapitre 3 : La dcouverte du Necronomicon 71 Chapitre 4 : Les Enfants 95 Chapitre 5 : Magickal Childe 107 Seconde partie La tradition sumrienne et le dieu cach 133 Chapitre 6 : Les dieux oublis de Sumer 135 Chapitre 7 : Le dieu cach 155 Chapitre 8 : La magie du Livre noir 169 Chapitre 9 : Les Noms morts 185 Chapitre 10 : Summa necronomica 209 Chronologie 239

    LE NEcRONOMicON 253 Remerciements 259 Prface la deuxime dition 261 Introduction 265 Avertissement 299 Bibliographie et suggestions de lecture 301 Necronomicon 303

    LE LiVRE DE SORTS DU NECRONOMICON 521 Prologue 523 Les sept tapes 527 Les cinquantes noms de Marduk 531 Postface 583

    LES PORTES DU NECRONOMICON 585 Avant-propos 589 Prolgomnes une tude de loccultisme 593 Chapitre 0 : Le Necronomicon, les trente premires annes 611 Br

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  • Premire partie Le mythe des Portes 621 Chapitre premier : Le symbolisme de la Porte 623 Chapitre 2 : La Porte cleste dans les civilisations antiques 641 Chapitre 3 : La Grande Ourse, une cl pour les Portes 673 Chapitre 4 : La Grande Ourse dans le Tao de Shang Qing 691 Chapitre 5 : La formation du corps astral 705 Chapitre6:Leconflitprimordial 719 Deuxime partie Les rituels des Portes 733 Chapitre 7 : Rituels prliminaires 735 Chapitre 8 : La premire Porte 741 Chapitre 9 : La deuxime Porte 751 Chapitre 10 : La troisime Porte 755 Chapitre 11 : La quatrime Porte 761 Chapitre 12 : La cinquime Porte 765 Chapitre 13 : La sixime Porte 769 Chapitre 14 : La septime Porte 773 Chapitre 15 : LAppel 777 Troisime partie Tables de lOurse 785 Notes 873 Bibliographie 877

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  • L E S N O M S M O RT SL H i S T O i R E S E c R T E d u Ne cro N om i c o N

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  • Ceci est mon tmoignage sur tout ce que jai vu, et sur tout ce que jai appris

    Les vnements que je mapprte dcrire se sont drouls il y a plus de trente ans. Ils mettent en scne un univers, un monde parallle, qui nest connu que dun cercle trs restreint. Le lecteur doit tre prpar se trouver confront un vaste panorama de sujets mystrieux, allant des socits secrtes aux meurtres en srie, des minuscules glises ethniques aux assassinats politiques, de la religion organise aux formes les plus extrmes de loccultisme occidental.

    Et le plus choquant sera pour lui de prendre conscience que rien nest invent.

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  • Lawrence K. Barnes, qui a cru.Et W. Andrew Prazsky, qui na pas cru.

    W. Anthony Prazsky, qui a dit la vrit sur ce monde.Et Herman Slater, qui a dit la vrit sur le suivant.

    Esprit des cieux, souviens-toi !

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  • RemeRciements

    Comme le remarquera le lecteur attentif, certaines des personnes qui mritent dtre remercies prfrent ne pas tre mentionnes directement dans ce livre. Et comme dans mes prcdents ouvrages, je ne me prsente ici que sous le pseudonyme de Simon. Parfois, je mattribue des actions afin de protger la vie prive dautres personnes voques dans le texte. Cela inclut certains des membres du clerg avec lesquels mes collgues et moi-mme avons pris contact au cours de lanne passe afin dtablir cette petite chronologie. La plupart de ces messieurs sont soucieux de limpact que ce rcit pourrait avoir sur leurs rputations, leurs noms ont donc t retirs.Mais dautres personnes doivent tre cites ici. Parmi elles se trouvent dabord et avant tout Hugh et Mary Barnes, le pre et la belle-mre de Larry Barnes, qui mont trs gentiment donn accs aux archives de leur fils quand mes propres souvenirs me faisaient dfaut. Ils ont tout aussi aimablement autoris la reproduction de dessins de Larry dans ces pages.Je voudrais galement remercier Frater Inominandum de lOTO, qui ma fort sympathiquement donn accs des exemplaires de son admirable collection duvres occultes, le Behutet, et Michael Burgess, dont le livre intitul Lords Temporal and Lords Spiritual (Seigneurs temporels et seigneurs spirituels) fut un guide intressant sur lorthodoxie orientale. Je remercie aussi Judith McNally pour ses souvenirs de cette priode, les membres survivants de StarGroup One, qui sont prsent disperss dans tout le pays, et J.-C., extraordinaire diteur qui a permis ce livre de devenir meilleur quil ne ltait.Esprit de la Terre, souviens-toi !

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    introduction : La chapelle prilleuseCeci est mon tmoignage sur tout ce que jai vu, et sur tout ce que jai appris

    C tait le jour du Nol russe, le 6 janvier 1984. Un petit groupe stait rassembl dans la maison dAnthony Prazsky et de son fils Andrew, Pelham Bay, sur lavenue Hunter, dans la partie non encore rnove du Bronx, niche entre les docks laisss labandon dEastchester Bay, la menaante fort de Pelham Bay Park, et le paysage dsol de ce qui avait autrefois t un parc dattractions nomm Freedomland et qui tait devenu la Section 5 du plus vaste complexe dhabitations de lhistoire de New York : Co-op City.

    Les chants de la divine liturgie orthodoxe avaient dur des heures, et la petite glise, avec sa croix trois branches sur le toit, luisait la lumire des bougies, dans la nuit glaciale du nord de Baychester.

    Anthony Prazsky tait mcanicien et agent dentretien, ctait un homme petit mais massif dorigine slave, dont les parents taient arrivs aux tats-Unis en bateau via Ellis Island, au tournant du sicle pass. De constitution robuste et dot dune personnalit optimiste et affable, il tait passionn de ferronnerie et avait lui-mme forg les armes mdivales (lances, pes, f laux) qui ornaient les murs de la petite maison de bois du Bronx o il vivait en compagnie de son fils Andrew et de son ancienne pouse, Petronella.

    Ils vivaient juste ct de lglise : une petite btisse de briques rouges quAnthony lui-mme avait convertie en temple de fortune orn dicnes de type russe, dencensoirs de cuivre et dun autel sur lequel, chaque dimanche, on disposait avec rvrence lantimensia, un linge contenant des reliques de saints, en vue de la crmonie liturgique. Au sommet de cette btisse se trouvait une grande croix de bronze trois croisements au lieu dun seul. Et lune des branches tait en biais, dans un angle trange. Quelle crature monstrueuse, avait autrefois demand une voisine ge qui parcourait un soir la rue sans pavs ni clairage, a-t-elle t crucifie sur cette croix ? Quelle chose venue de la Terre ou de lenfer pouvait bien possder six bras ?

    Non, avais-je rpondu. Ne vous alarmez pas. Cest juste la manire de faire des glises de lEst. La barre suprieure reprsente le Br

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    panneau que Pilate avait fait rajouter en haut de la croix. Celle du bas est plus mystrieuse, mais se rfre une tradition qui veut que la victime ait eu une jambe plus longue que lautre, ce qui explique que le repose-pieds au bas de la croix soit pench.

    La vieille femme souponneuse mavait regard, puis son regard stait de nouveau pos sur la croix, elle avait alors hauss les paules et tait repartie en claudiquant vers le taudis qui tait le sien parmi tous les autres du quartier.

    En cette soire de Nol, Anthony quitta lassemble avant le dner et revint dans lglise, dans une intention connue de lui seul. Il tait 19 heures.

    Il faisait sombre, et le parfum de lencens tait encore trs prsent. Dans la pnombre, il pouvait distinguer les icnes sur la paroi de lautel, likonostasis, qui spare les croyants de la clbration du mystre divin par les prtres. L, il tait entour par les symboles dune foi mystique qui avait pris racine en Europe de lEst aprs le travail de missionnaire de deux saints orthodoxes grecs, Cyril et Mathodius, plus de mille ans auparavant. Ici, se trouvaient galement ses propres racines, car il vivait dans ce quartier du Bronx, depuis dinnombrables annes : une vie de dur labeur et de sacrifices.

    Alors que son fils, sa famille et ses invits conversaient et ftaient Nol ct, Anthony Prazsky observait avec une infinie dtresse les icnes, les bougies et lautel. Les rumeurs de la fte provenant de la maison rsonnaient en sourdine dans sa tte, comme la bande originale dun mauvais film dhorreur. Lorsquil leva le regard vers les chevrons, ses yeux semplirent de larmes.

    Se demandant ce qui pouvait bien le retenir ainsi, son fils, larchevque mtropolitain William Andrew Prazsky, alias larchevque Andrei, sortit son tour, traversa la rue gele et pntra dans lglise plonge dans lobscurit. Une icne de Jsus-Christ crucifi au-dessus de lautel, une image sacre reprsentant la croix au sommet dune colline orne dun crne et de deux os croiss, rappelait au visiteur que lglise elle-mme avait t btie sur la mort et le sacrifice. Et la vision de son pre, lvque Anthony Prazsky de lglise orthodoxe catholique autocphale, se balanant aux chevrons, suspendu par le cou au bout dune corde paisse devant la cloison des icnes, vint lui remmorer ce pass de la plus brutale des faons. Tout autour de lui, les visages sans expression des saints observaient dans lobscurit la tragdie qui venait de se drouler sous leurs yeux.

    Larchevque hurla.

    Je nappris le suicide dAnthony Prazsky que bien des annes plus tard, et cette poque son fils Andrew tait lui aussi mort dans

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    Les Noms morts

    dtranges circonstances. Dautres noms de personnes dcdes se sont ajouts cette funeste liste, dont Herman Slater, Ed Buczynski, Larry Barnes et bien dautres. Tous trop jeunes, trop talentueux, trop intenses, mais partageant une foi sotrique laquelle le reste de la socit police tourne le dos Les cadavres sempilaient, et personne navait tabli de lien entre eux, entre eux et un texte redout et vnr connu sous le nom de Necronomicon. Personne, sauf moi.

    Les vnements que je mapprte dcrire se sont drouls il y a plus de trente ans. Ils mettent scne en un univers, un monde parallle, qui nest connu que dun cercle dinitis. Pour cette raison, il me faudra prsenter une mise en situation qui permettra au lecteur qui, je limagine, nest pas fru de ces sujets exotiques de mieux comprendre le contexte dans lequel ils se sont produits. Le lecteur doit tre prt faire face un large ventail de sujets mystrieux, allant des socits secrtes aux meurtres en srie, des minuscules glises ethniques aux assassinats politiques, de la religion organise aux formes les plus obscures de loccultisme occidental.

    Et la rvlation la plus choquante de ce texte sera la prise de conscience que rien nest invent.

    Ces pages retracent lhistoire dun phnomne. Il y a trente ans, jtais assis dans un petit appartement de Brooklyn entour de dossiers, de feuillets, de documents et de publications, contempler un manuscrit que je venais dachever : la traduction dun livre que beaucoup pensaient fictif. Je nimaginais pas lpoque que louvrage sur lequel je travaillais tait ce point rvolutionnaire. Je savais seulement quil sagissait dun grimoire, un recueil de rites occultes et de sortilges. Tant dautres avaient t publis et taient disponibles, que je ne souhaitais rien de plus quapporter ma contribution personnelle, mme si elle tait unique. Cette ralisation, fruit de plusieurs annes dchanges entre universitaires, occultistes et linguistes, avait enfin pris forme et il ne manquait que ma propre introduction pour la situer dans un contexte historique et spirituel. Jignorais si mon travail serait un jour publi. Et pendant longtemps je crus quil ne le serait jamais.

    Depuis, ce livre sest vendu presque un million dexemplaires et a t en toute illgalit tlcharg un nombre incalculable de fois. Il est disponible en espagnol et en anglais et, galement de manire tout aussi illgale, en allemand et en russe. Il a acquis une notorit : lou par certains comme un puissant manuel de travail pour les sorciers, et conspu par dautres comme un dangereux canular.

    Alors que jtais occup sa composition, ce livre me hantait : mes rves et mes cauchemars taient devenus une scne sur laquelle dtranges Br

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    spectacles se jouaient dans une langue que je ne comprenais pas. Mon entourage et moi-mme avons continu faire lexprience de visions bizarres et dvnements anormaux tout au long de la priode dimpression et de reliure. Et aujourdhui, trente ans aprs lachvement du travail, la plupart de ceux qui, depuis le dbut, ont collabor ce projet sont dcds. Et aucun de causes naturelles. La plupart sont morts jeunes, certains plus jeunes que je le suis moi-mme actuellement : un sest pendu, un autre a t empoisonn, un autre encore a succomb une maladie et un dernier sa dpendance. Aucun ne mritait la mort quil a connue. Ils navaient rien de saints, mais, au fond, tous taient des gens bien : talentueux, gnreux, spirituellement quilibrs. Cest peut-tre cette sensibilit vis--vis de lAutre Monde qui les a condamns. Je nen suis pas sr. Alors, en lhonneur de mes camarades disparus, afin de rtablir la vrit les concernant, et aussi dexpliquer une fois pour toutes les origines et les caractristiques de ce clbre ouvrage, jai rdig Les Noms morts.

    Il sagit la fois dune biographie, et dune autobiographie. Cest un livre dhistoire, et de mysticisme. Comme il se concentre sur un monde clandestin qui est presque totalement inconnu de la plupart des lecteurs, jai d le diviser en deux parties. La premire retrace chronologiquement comment Le Necronomicon est arriv en ma possession, ainsi que la manire dont il a pour la premire fois t publi. La seconde partie est une explication occulte et une mise en lumire de limportance du livre, que jai dveloppes avec laide dautres experts en magie crmonielle. Elle est conue de manire rfuter un grand nombre des erreurs couramment rencontres dans la communaut occulte et New Age, que ce soit dans des ouvrages, ou sur le Web.

    La premire section est consacre non seulement aux rfrents classiques des socits secrtes et des ordres occultes, mais galement la religion organise et lexistence surprenante dun clerg de lombre baptis les vques errants . Bien que celui-ci ait t mentionn sans dtour dans la prface de la deuxime dition du Necronomicon, il est tonnant que personne nait relev ce point dans les dcennies qui ont suivi. Ainsi, il me parat important dexpliquer ce monde trange de moines, de prtres et dvques, en voquant les liens quils entretiennent avec le milieu, et pourquoi il est ncessaire de connatre ces gens afin desprer comprendre les vnements qui ont men la dcouverte du manuscrit original au dbut des annes 1970.

    Nous tudierons galement la renaissance occulte qui eut lieu aux tats-Unis la mme poque, en insistant particulirement sur ce qui se passait alors New York. Ce renouveau vit apparatre les wiccans, lOrdo Templi Orientis ou OTO, le mouvement paen dans son ensemble, lglise de Satan, lglise du processus du Jugement final, et mme la secte du Fils de Sam. Ce contexte permettant de saisir limportance historique

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  • Les Noms morts

    du Necronomicon, un grand nombre de ces groupes ayant exprim des opinions tranches sur le livre et sa porte lchelle mondiale.

    Nous examinerons aussi la vie de certains des principaux acteurs, comme Herman Slater, Larry Barnes et dautres dont les noms ont t trans dans la boue par des critiques et des historiens qui ne les connaissaient pas et ne comprenaient pas leur rle dans cette aventure. Jespre que ma modeste contribution cette documentation, fruit du travail de la seule personne qui connaisse lhistoire depuis ses origines, dissipera toute confusion sur le livre et apportera du rconfort aux mes qui ont quitt ce monde avant moi, et dont le nom et la rputation ont t ternis par les ignorants et les pernicieux.

    Jai gard le silence pendant des annes. Au cours de cette priode, lexplosion des nouvelles technologies a permis datteindre des domaines qui taient auparavant la chasse garde des grimoires manuscrits, des incantations murmures et des signes secrets. Les spculations autour des origines du Necronomicon, des principaux acteurs de sa diffusion, et des effets produits par sa publication sont alles de la plus saugrenue la pire des calomnies. Pratiquement rien de fiable nest actuellement disponible sur le sujet, que ce soit en version imprime ou sur Internet. Des pices du puzzle, dont certaines ont pourtant t mentionnes dans les diverses introductions du livre, ont t ignores en faveur dallgations infondes concernant ma personne, mes motivations, mes associs et le livre lui-mme. Il est sans doute rvlateur que ces accusations ne soient pas cohrentes et que les divers experts autoproclams soient en total dsaccord sur tous les points lexception dun seul : Le Necronomicon serait daprs eux un faux.

    Jai lespoir que, lorsque le lecteur aura achev ce rcit, ce memento mori, ce confessio, cette summa necronomica, il ou elle en tirera la conviction profonde que quoi que Le Necronomicon puisse tre, il ne sagit en aucun cas dun canular.

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    chapitre premier : dcors et mise en scne

    C ette histoire dbute, comme beaucoup dautres de notre gnration, en 1968. Plus prcisment, le 31 janvier 1968 : jour de loffensive du Tt et, par pure concidence, jour de la fte paenne dOimelc, une des quatre dates marquant lanne que clbrent les Celtes de lEurope antique, et les membres dun nouveau mouvement occulte : la Wicca. Saigon allait tomber le 30 avril 1975 : date de la Walpurgisnacht, une autre fte paenne, une autre des quatre dates.

    Alors que Walter Cronkite donnait lAmrique abasourdie les dernires nouvelles du Vietnam en lui disant quon tait en train de gagner , un jeune homme tait assis devant la tlvision dans son salon, Pelham Bay dans le Bronx, New York, et il prit la dcision quen aucun cas il ne senrlerait. Il pouvait lviter de diverses manires. Il pouvait entrer la facult et tirer parti dune clause qui prcisait que tant quil avait un C de moyenne, il ne pourrait tre incorpor. Il pouvait avouer au bureau de recrutement quil tait gay. Il pouvait faire croire quil tait malade, avait les pieds plats ou une mauvaise vue. Il pouvait fuir pour le Canada ou la Sude.

    Mais il y avait une autre possibilit.En plus des tudiants, des homosexuels et des infirmes, il existait

    une autre catgorie dexemption : la 4D. Les ministres du Culte. Le sursis du clerg. Les prtres ne sont pas appels. Et William Andrew Prazsky avait une armoire emplie de vtements : des chasubles, des surplis, des charpes romaines, des soutanes. Sans parler des calices, des ciboires et des reliques de saints. Une imitation de mitre et un bton dvque fait maison. Certains soirs, une trange odeur de saintet, manant dencens gloria brl dans un reluisant encensoir de cuivre, balanc en grands moulinets au bout dune chane, schappait de sa chambre et se rpandait dans la maison quil partageait avec son pre et sa vieille grand-mre, tous deux dorigine tchque. Sa grand-mre, Antonia, tait une immigrante venue de Tchcoslovaquie. Ses parents taient spars. Sa mre, Petronella, une Slovaque dobdience catholique romaine, vivait seule dans un appartement du Lower East Side, Manhattan. Son pre, William Anthony Prazsky, tait un presbytrien. Andrew avait grandi en parlant la fois tchque, anglais et slovaque. Grand, maigre, Br

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    brun, il possdait dj dix-sept ans le caractre tatillon dune vieille fille. Ceci formait un trange mlange avec la rudesse de ses origines et de son ducation, son pre tant un mcanicien de la Triboro Bridge & Tunnel Authority. la Christopher Columbus High School, sa singulire silhouette se reprait facilement : un lve aux rsultats mdiocres vtu dun costume et portant un attach-case, que lon trouvait en permanence prs des bureaux de ladministration, essayant de se faire bien voir auprs des professeurs afin damliorer ses notes. Il savait que pour lui les tudes suprieures taient a priori exclues : il ne parviendrait jamais rester C de moyenne sans aide extrieure. Il ne pouvait avouer au conseil de rvision quil tait gay, cela aurait tu son pre sil lavait appris. Il navait pas les moyens deffectuer un voyage ltranger et de toute faon naurait pas su se faire la vie dun expatri politique le cas chant. Il ignorait sil tait capable de simuler une maladie qui lui permettrait dobtenir lexemption 4F, mais il pouvait simuler autre chose. Il pouvait se faire passer pour un prtre.

    Il avait dj pris lhabitude de priser, et stait fait pousser une moustache quil entretenait soigneusement la Salvador Dal : ctait un personnage dcal, hors du temps, qui passait presque totalement inaperu dans leffervescence des annes 1960, quand tant dautres actes tranges ou inquitants taient perptrs, ou du moins envisags. Il finirait par laisser tomber le tabac priser pour la cigarette, et la moustache pour la barbe, mais pas avant davoir rencontr Columbus High un autre jeune homme, avec lequel il allait chafauder un plan qui allait non seulement leur permettre dviter larme, mais aussi de dcouvrir un des ouvrages les plus tranges et les plus controverss jamais publis.

    Peter Levenda tait n dans le Bronx, comme Prazsky, et la mme anne : en 1950. Son pre tait un acteur qui avait tudi lAmerican Academy of Dramatic Art, mais qui stait auparavant rendu clbre en tant que sgrgationniste lors de la grve scolaire de Gary, dans lIndiana, en 1945. Sa mre avait tudi la danse et la chorgraphie. lpoque de leur mariage, son pre avait vingt et un ans et sa mre seulement dix-sept. Peter, leur premier enfant, naquit dix mois plus tard.

    Le garon tait dot dune rare intelligence et fut remarqu par des ducateurs la suite dun test dintelligence effectu dans tout ltat, et auquel il obtint des notes extrmement leves. Ctait les annes 1950, une poque durant laquelle diverses organisations gouvernementales et quasi gouvernementales craient des coles spcialises pour les enfants surdous. Walter Breen, collaborateur de longue date et poux de lauteur de Fantasy, Marion Zimmer Bradley, en faisait partie. Tout comme le spcialiste de physique thorique, Jack Sarfatti, il avait t

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    Les Noms morts

    slectionn New York lpoque o le cas de Peter tait tudi Chicago. Mais parce que, depuis la grve de lcole Gary, le pre de Peter avait t rpertori par le FBI comme fauteur de troubles potentiel, sa candidature ne put aboutir.

    La famille finit par dmnager en 1963 Charlestown, dans le New Hampshire. Ils sinstallrent dans une ancienne prison agricole, sur les hauteurs dHubbard Hill. Lendroit avait appartenu un certain Percy Whitmore, que la population locale considrait globalement comme drang. Il semble quil ait lev des chevaux Morgan qui furent tous emports par une pidmie. De plus, lindignation de voir des lignes lectriques traverser sa proprit fut pour lui une cause de grande souffrance. Comme une scne tire du film The Ring, la perte de ses chevaux couple la profanation de ses terres le conduisirent une sorte de dpression nerveuse. Percy avait une femme et une fille, et un jour toutes deux disparurent pour ne jamais plus rapparatre. Ce fut le jeune Peter Levenda, bien des annes plus tard, qui rsolut ce mystre par hasard en dcouvrant leur spulture secrte lors de lune de ses nombreuses promenades en solitaire dans les bois : deux tombes, cte cte, avec une simple plaque de granit pour en marquer lemplacement, et rien dautre.

    Plus tard, lors de la rnovation de la vieille maison deux tages du xviiie sicle dans laquelle ils vivaient, ils dcouvrirent un mur secret derrire lequel se trouvaient dissimules des tagres contenant une collection de divers poisons : de vieilles bouteilles en verre avec le dessin presque comique dun crne et de deux os croiss sur les tiquettes. La mme anne, alors que toute la rgion souffrait de la scheresse, un feu de fort se dclara aux abords de la ferme, mais il fut vite matris par des pompiers volontaires qui se prcipitrent sur les lieux. Lun dans lautre, ce fut une enfance assez trange.

    Peu de temps aprs, ils durent quitter la proprit, le travail tant difficile trouver dans le New Hampshire en 1963. Ils se retrouvrent tout dabord dans un petit appartement dans la proche bourgade de Claremont, New Hampshire, puis de nouveau dans le Bronx, la fin de 1965. Peter intgra la Christopher Columbus High School, et environ un an plus tard il allait faire la connaissance de William A. Prazsky, galement issu dune famille problmes et partageant lhritage slave de Peter, ainsi que sa fascination pour locculte.

    Lintrt de Peter pour le surnaturel fut veill par la dcouverte dexemplaires du magazine Fate chez un commerant de Claremont. Selon lui, la maison de Charlestown tait hante, et il fit tat du sentiment de panique absolue qui lavait envahi un jour alors quil se trouvait seul par un aprs-midi dt ensoleill dans la fort voisine, et quun silence de mort stait fait autour de lui. Les oiseaux staient subitement tus, les Br

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    cureuils avaient cess leur course folle, il avait alors eu la sensation dune prsence gigantesque et puissante qui lobservait, tapie l, la limite de son champ de vision. Effray, il avait couru chez lui trouver un semblant de refuge.

    Plus tard, aprs le dmnagement Claremont, Peter devint lami de George Harrison (pas le membre des Beatles, bien sr, mais un lve du coin), qui partageait son intrt pour locculte et les socits secrtes, comme pas mal de jeunes garons de treize ou quatorze ans. Cest cette poque quil dcouvrit Fate et les petites annonces de ses dernires pages, dans lesquelles on pouvait trouver toutes sortes de choses, depuis les boules de cristal et les cartes de tarot des manuels dcrivant comment organiser une sance de spiritisme ou de voyance. Lorsque sa famille finit par revenir New York, il dressa une petite liste de livres et dobjets dont il aurait besoin pour approfondir ses excentriques recherches.

    Malgr son intelligence hors du commun, Levenda tait un lve mdiocre, lexception de matires o il excellait telles que langlais, lhistoire et la gomtrie. En anglais, il faisait partie des meilleurs lments et tait le responsable ditorial du journal du collge. Il acquit une certaine aisance pour la traduction du franais, laquelle il sentranait depuis ses jeunes annes passes Chicago, et se mit tudier dautres langues pendant son temps libre. Dans le New Hampshire, ses parents lavaient inscrit des cours de la confrrie catholique. Ils semblaient convaincus que leur fils avait besoin dtre guid spirituellement, mais le garon avait fini par poser aux prtres et aux bonnes surs de nombreuses questions dlicates, et avait mme envoy par courrier (plutt que de les clouer sur la porte) sa propre version des quatre-vingt-quinze thses de Luther lglise du coin. Larrive dans le Bronx marqua la fin de ce type dducation religieuse classique, mais dans le mme temps il dveloppa une forte sensibilit spirituelle. La religion le fascinait, mais il mprisait les rformes de Vatican II et noircit de nombreux carnets sur ce sujet, ainsi que sur dautres problmes thologiques, tout en dvorant les uvres de Blaise Pascal, de saint Augustin et des philosophes grecs, qui figuraient dans la collection des Grands Livres du monde occidental que possdaient ses parents (mais quils finirent par mettre au clou pour rgler des dettes). Il sentait que la religion et loccultisme reprsentaient une sorte de systme, un mcanisme psychospirituel qui, une fois dbarrass du dogme, pouvait lui-mme devenir une force puissante. Adolescent passionn, il arpentait les couloirs de Columbus tel un fantme, perdu dans la masse et solitaire, sauf pour ce qui tait de son emploi de rdacteur dans le magazine de lcole, quil exerait en limitant au maximum les contacts humains.

    Puis il rencontra Prazsky, et trouva enfin quelquun avec qui partager son intrt pour la religion et locculte.

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    En 1968, sur fond de guerre du Vietnam, drogues hallucinognes et rvolution sexuelle, un autre phnomne se propageait grande vitesse travers le continent nord-amricain : la fascination pour les religions orientales et les sciences occultes. Comme la valeur et la pertinence de toutes les institutions amricaines taient remises en question et dnonces, et ce, quil sagisse du caractre sacr du mariage, du soutien une guerre voulue par le gouvernement, ou encore de la conscience collective, il tait tout naturel que les croyances soient soumises au mme degr de questionnement cynique. La religion organise tait une institution comme une autre, comparable au systme ducatif, aux bureaucraties de Washington et du Pentagone. Et ses valeurs, que ce soit le conservatisme des murs sexuelles ou la simple foi en Dieu, faisaient lobjet dattaques de plus en plus frquentes. Comme nous le savons aujourdhui, lglise aussi avait son ct sombre, particulirement la branche catholique : tant de jeunes garons, et quelques jeunes filles, avaient t abuss sexuellement par des prtres que sa corruption tait connue de beaucoup pas seulement des victimes, mais galement de leurs familles et de leurs amis quune rumeur montait, qui allait finir par se transformer en cri dans les annes 1990. On ne pouvait pas avoir confiance en lglise. Et alors que les jeunes sen loignaient pour se tourner vers les gourous orientaux, tous ceux qui choisissaient le catholicisme, le pape et les vques, taient considrs comme politiquement conservateurs. Et, en effet, le puissant cardinal Francis Spellman de New York ne faisait aucun mystre de son soutien la guerre du Vietnam comme lutte spirituelle contre le communisme impie.

    En plus de cela, lglise devait dj rpondre de son rle au cours de la Seconde Guerre mondiale et de son silence face lholocauste. Les rvlations sur lexistence dun bureau affili lglise qui avait effectivement aid des nazis fuir en Amrique du Sud, au Moyen-Orient et au-del commenaient se multiplier 1. Soudain, elle nattirait plus les jeunes gens idalistes qui souhaitaient servir Dieu. Trop de questions restaient sans rponses et, dans le sillage du concile de Vatican II, lglise avait voulu faire preuve de trop de tolrance lgard dune culture populaire dont elle ne connaissait pas grand-chose. Pouvait-on concevoir un tableau plus ridicule que celui quoffraient ses prtres souriant avec bienveillance aux hippies qui jouaient de la guitare durant la messe du dimanche ?

    Cette mme anne, lglise du processus du Jugement final gagnait en popularit dans les rues de Los Angeles. Secte controverse, fonde

    1. Voir par exemple Unholy Alliance de Peter Levenda, Aftermath de Ladislas Farago, Unholy Trinity de Aarons et Loftus, et dautres. Br

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    par des dus de la scientologie, elle allait tre associe ( tort !) Charles Manson, dont les crimes ignobles sur les hauteurs dHollywood allaient choquer le pays lanne suivante. Mais en avril, le pasteur Martin Luther King fut assassin Memphis par un homme blanc au chmage, un vagabond qui avait pourtant sa disposition assez dargent pour senfuir jusquau Canada et en Europe aprs le meurtre. Puis, peine quelques mois plus tard, en juin, le snateur Robert F. Kennedy tait abattu Los Angeles. Lassassin prsum ? Un chrtien palestinien, Sirhan Bishara Srhan, qui avait frquent les rosicruciens et la thosophie durant les mois qui avaient prcd lassassinat. Tout cela en pleine guerre du Vietnam et juste aprs lassassinat du prsident John F. Kennedy. On peut affirmer sans crainte que le pays tait dans la tourmente, et que les jeunes taient rvolts.

    Pendant ce temps, attir par le vide spirituel grandissant aux tats-Unis et plus largement dans tout lOccident, un ressortissant britannique tait apparu sur les plateaux des talk-shows tlviss. Les Beatles avaient depuis longtemps prpar le public amricain la culture anglaise, mais celui-ci ntait peut-tre pas tout fait prt pour cette nouvelle importation : la sorcellerie anglaise.

    Lutilisation du terme sorcellerie fait lobjet dune controverse considrable, comme le fait remarquer Margot Adler dans son tude trs complte sur le sujet 1. Cest un mot forte charge motionnelle, qui peut tre employ de manire pjorative comme lont fait lglise et ltat, ou de manire sinistre et angoissante comme dans les scnarios dHollywood et dans les romans dhorreur, ou encore comme un terme anthropologique se rfrant un ensemble de superstitions et de pratiques vaguement occultes ou enfin, comme une autre manire de nommer la religion paenne wicca, dans laquelle la pratique de la magie sefface derrire la clbration dune foi purement paenne. Dans son ouvrage Aradia, publi en 1899, le spcialiste du folklore Charles Leland a tent de dmontrer la survivance dun culte paen adorateur dune desse en Italie. Dans les annes 1920, Margaret Murray a repris le f lambeau avec son Cultes des sorciers en Europe occidentale. Mais il fallut attendre les annes 1950 et 1960 et lexplosion mdiatique de Gerald Gardner pour que la sorcellerie et la Wicca deviennent ce quils sont aujourdhui : un phnomne religieux et culturel dans lequel la magie possde un rle secondaire.

    Gardner avait tent de prouver que la sorcellerie tait un culte ancestral qui avait survcu deux mille ans de chrtient, ses membres se rfugiant dans les rgions dsertiques dEurope et pratiquant en secret leur liturgie. Dans un sens, il est daccord avec lglise sur le fait que le

    1. Margot Adler, Faire descendre la Lune : sorcires, druides, adorateurs de la Desse et autres paens dans lAmrique daujourdhui, Viking, New York, 1979.

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    culte a exist, quil tait paen et prnait ladoration dun Dieu cornu. Seulement il nadmettait pas que ce Dieu cornu soit Satan, le prince des tnbres. Daprs lui il sagissait de Cernunnos, un dieu de la Nature et de la Fertilit. Il affirme avoir t initi par une assemble de sorcires en Angleterre, et son Livre des ombres tait prtendument un vritable manuel destin laccomplissement de rituels, contenant des sortilges et des rites utiliss depuis les temps anciens.

    Sybil Leek, une sorcire britannique de la Fort Neuve, tait dj parvenue donner un visage de matrone au culte . Obse et joufflue, vtue de mauve, couverte de bijoux sotriques, entoure danimaux familiers aux noms tranges, elle laissait entrevoir une sorcellerie pop base dastrologie et de remdes naturels basiques qui attirait non seulement les jeunes, mais aussi les femmes dun certain ge qui voyaient en Mrs Leek un espoir dmancipation. Cest en grande partie grce elle que nous avons pu nous familiariser avec le concept dune sorcellerie totalement dissocie du satanisme. Mme si la sorcire britannique et ses consurs vouaient un culte un dieu de la Nature (bien que ce dieu soit en effet cornu), ce ntait pas vers Satan que slevaient leurs prires, mais vers la puissance virile de la Nature elle-mme : un dieu plus ancien que Jsus et que Jhovah.

    Cette ide nest pas lapanage de Mrs Leek. Qui a oubli Adorable voisine avec Kim Novak, Jimmy Stewart et Jack Lemmon, qui parle dune assemble de sorcires ayant pour couverture un night-club de New York ? Ce film sorti en 1958 prparait le terrain pour le revival occulte des annes 1960 aux tats-Unis, qui donna de la sorcellerie une image moins menaante et plus attrayante que celle donne par lInquisition.

    Bien que Sybil Leek ait beaucoup fait pour promouvoir la sorcellerie, elle ne possdait pas une organisation suffisamment dveloppe pour accueillir les sorcires novices amricaines. Leek tait une excentrique vendant des livres sur des sujets occultes populaires et qui tait apparue sur les plateaux de tlvision comme une Martha Stewart en surcharge pondrale en pleine redescente dun trip lacide. Un autre citoyen britannique, Raymond Buckland, dsireux de remdier au manque de spiritualit du public amricain, allait se joindre au mouvement. Grce lui, la Wicca a rencontr un vif succs.

    Raymond Buckland est arriv aux tats-Unis en 1964, lanne des premires diffusions la tlvision de Ma sorcire bien-aime, avec Elizabeth Montgomery, une autre sorcire blonde sduisante et inoffensive. cette poque, le revival de la sorcellerie en Angleterre tait principalement d aux crits de Margaret Murray, Charles Leland et enfin Gerald Gardner, ainsi qu limposante personnalit de Sybil Leek.

    Mais lorsquon en arrive Gerald Gardner, la controverse sintensifie. Citoyen anglais, il a pass une grande partie de sa vie en Br

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    Asie du Sud-Est : au Sri Lanka (alors Ceylan), et surtout dans ce quon appelait lpoque la Malaisie occidentale et Singapour, o il est devenu expert dans lutilisation du couteau malaisien lame ondule, le kriss. Il est ensuite revenu en Angleterre pour se faire un nom dans lunivers du mysticisme occidental. Se liant damiti avec divers occultistes, il proclamait avoir t initi par une assemble de sorcires. lpoque, la sorcellerie tait hors-la-loi en Angleterre, et personne ne pouvait se dclarer sorcier sans risquer dtre interpell. Gardner prfra crire un roman occulte, Aide la haute magie, qui traitait de sorcellerie sans faire de proslytisme. Quand les lois sur la sorcellerie furent abroges dans les annes 1950, Gardner crivit plusieurs autres ouvrages sur le culte et finit par en devenir le reprsentant le plus en vue en Occident, tant et si bien que toute une branche de la foi porte son nom : la sorcellerie gardnrienne.

    Le problme de la sorcellerie gardnrienne est que son Livre des ombres (le manuel et recueil de rites et de mythes utiliss par une assemble de sorciers) est presque intgralement moderne : il comprend des pomes de Kipling et des rites tablis par le fameux magicien britannique Aleister Crowley, ou inspirs de ceux de la socit occulte anglaise de la fin du xixe sicle, lAube dore. Des preuves accumules depuis environ vingt-cinq ans dmontrent que Gardner tait un membre de la socit occulte de Crowley, lOTO ou Ordo Templi Orientis (ordre du Temple de lOrient), un groupe de type maonnique qui pensait avoir lucid le mystre du rapport entre la sexualit et la magie, et quil aurait en fait pay Crowley pour quil crive certains des rites du Livre des ombres. Il apparat donc que toutes les informations donnes par Gardner sur lanciennet et lauthenticit de sa secte sont suspectes. Et il existe plus dun auteur qui ne voit dans la sorcellerie gardnrienne quune simple ramification de lOTO de Crowley.

    Mais cela nempcha pas Raymond Buckland de devenir le lien indfectible entre lAmrique et la sorcellerie britannique. Ayant dmnag Brentwood, banlieue tranquille de Long Island, au bout de la ligne de Ronkonkoma, Buckland tait mari Rosemary, prsence thre et grande prtresse que beaucoup considraient comme une vritable sorcire. Son mari, avec son apparence plus sinistre, complte par un bouc diabolique et un corbillard gar devant son pavillon de banlieue, ressemblait plus un artiste de cirque la Anton LaVey, lhomme qui allait rendre clbre lglise de Satan en 1966. Buckland fut un grand vulgarisateur de la sorcellerie aux tats-Unis, et il est mme parfois apparu dans les missions de tlvision face Sybil Leek, chacun mettant en doute les vritables dons de sorcier de lautre.

    Mais malgr tous ses efforts, son doctorat de luniversit de Londres et ses nombreux travaux publis sur la sorcellerie, il ne put

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    contrler grand-chose lorsque le culte vola en clats aux tats-Unis. Peut-tre que la sorcellerie elle-mme, de par sa nature, ne se prtait pas une organisation centralise. Lexplication classique fournie lauteur est quune structure dcentralise tait beaucoup plus sre au cas o reviendrait le temps des bchers . Labsence de fichiers rpertoriant les membres et de hirarchie veillant au respect des rgles signifiait que personne ne pouvait craser le culte. Aujourdhui, alors que nous luttons contre des cellules terroristes dcentralises (avec le Patriot Act qui permet aux agences gouvernementales de rassembler des informations sur nos choix de lectures en sadressant aux bibliothques), on peut comprendre la sagesse de cette dmarche, mme si on dplore le manque de documentation concrte susceptible de soutenir les diffrentes revendications de lgitimit.

    La prise de conscience que le culte est fondamentalement ce que chacun veut en faire est du coup beaucoup plus vidente. Il est par nature plus proche dun jeu de rles de type Donjons et Dragons que dune glise. Et dailleurs, le jeu de cartes Magic a subi le courroux des parents soucieux de Pound Ridge, New York, lorsquils dcidrent que ce jeu avait plus voir avec la pratique de locculte quavec, par exemple, la belote.

    Diffrents groupes de sorciers ont commenc apparatre et recruter des membres. Les assembles alexandriennes furent cres autour dun certain Alex Sanders (ou Saunders), qui sappropria la sorcellerie gardnrienne et lui confra un parfum plus mdival, avec la dbauche de rituels que lon trouve dans les grimoires, les ouvrages de rfrence des sorciers et des magiciens. Cest la forme alexandrienne de la sorcellerie que Sharon Tate (la femme de Roman Polanski, le ralisateur dUn bb pour Rosemary, qui a connu le destin tragique que lon sait) fut initie Londres durant le tournage de Lil du malin. On a un temps avanc, pour finalement se rtracter, que Polanski avait eu recours aux services dAnton LaVey, le crateur de lglise de Satan, pour porter le roman dIra Levin lcran. En revanche, il ne fait aucun doute que lglise de Satan a mis en scne Susan Atkins, membre de la famille de Manson, dans le rle dun vampire mergeant dun cercueil lors de lune de ses messes noires filmes. Des liens apparaissent ainsi entre le film Un bb pour Rosemary, la famille de Manson, lglise de Satan et le meurtre de la femme du ralisateur Roman Polanski par la famille de Manson.

    Les sorciers traditionalistes formaient un autre groupe, celui-ci spar en tribus ethniques : traditionalistes irlandais, traditionalistes gallois, etc. Ils tiraient leur inspiration des classiques de la tradition antique des Celtes, comme le Mabinogian, mme si leurs rites ne diffrent pas normment de ceux des Gardnriens (par exemple). Ils utilisent tous deux beaucoup de rituels hrits de lAube dore, une clbre Br

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    socit occulte britannique de la fin du xixe et du dbut du xxe sicle, qui comptait parmi ses membres William Butler Yeats et Aleister Crowley. Et, tout en proclamant tre irlandais, ou gallois, et ainsi de suite, ils acceptaient des membres issus de toutes origines et de tous les groupes ethniques. Les traditionalistes insistent sur le fait quils sont les reprsentants dassembles de sorciers qui existaient avant la cration de la sorcellerie dite gardnrienne , mais des preuves existent nanmoins quils ont adopt depuis nombre des innovations des Gardnriens.

    Buckland, aprs stre brouill avec certains Gardnriens, a cr sa propre branche de la sorcellerie, baptise sorcellerie Seax ou saxonne . Elle ne fut jamais aussi populaire ni aussi rpandue que le gardnrianisme, peut-tre cause de sa sparation davec sa femme Rosemary, bien plus charismatique que lui. Et puis il y eut Gavin et Yvonne Frost avec leur trange mouvance monothiste beaucoup plus axe sur la sexualit que celles de leurs concurrents. De nombreux groupes se refusrent considrer cette forme de sorcellerie comme vritable, et ce, mme si dun point de vue purement thologique leur propre lgitimit tait tout aussi contestable. En effet, si la seule preuve dauthenticit que nous ayons rside dans le Livre des ombres gardnrien, avec sa posie de Kipling et ses rituels par Crowley, alors il devient trs difficile, voire impossible, de savoir ce quest la vraie sorcellerie. Le fait que les assembles soient composes de treize membres avec un grand prtre et/ou une grande prtresse doit sans doute plus Hollywood qu la Fort Neuve.

    Mais pour ces Amricains qui recherchaient une spiritualit autre quasiatique (bouddhiste ou hindoue), avec de plus une bonne dose de pratiques occultes et dimplications proactives dans le monde (sans oublier la projection de sortilges et les diverses formes de sexualit), la sorcellerie prsentait une sduisante alternative. Dans la sorcellerie (ou Wicca , comme elle est communment appele, un hommage au terme dorigine indo-europenne pour divination ou sorcellerie ), il ny a pas de notion de ngation de lindividu, ni dabstinence comme chez les fakirs, ni de renonciation, ni de visions de la douleur comme chez les bouddhistes. La sorcellerie est occidentale, europenne. Son nom mme a des rsonances qui remontent des milliers dannes. Elle est cense tre la fois joyeuse et mystrieuse, et prsente un attrait indniable pour les lecteurs (et les crivains) de Fantasy et de science-fiction. Elle nest pas aussi intellectuellement prouvante que les obligations labores et complexes imposes par la magie crmonielle (qui est de toute faon davantage une technique quune religion, et qui nest pas conue pour attirer un grand nombre dadeptes). La taille des assembles tait suffisamment rduite pour que des personnes modestes puissent atteindre des positions prminentes, et leur multiplication signifiait que

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    des formes trs diverses de sorcellerie pouvaient tre cres et maintenues de manire relativement aise, chacune tant accepte par les autres. Pour ceux qui taient impliqus dans le crmoniel du type de lAube dore et dans les rites de haute magie, le culte avait quelque chose de roturier. Et pour ceux qui prenaient part la clbration, la magie crmonielle avait quelque chose de trop astreignant et de trop exigeant. Elle tait de toute faon destine des solitaires, et saccordait mal avec la mentalit de ftards de certaines des assembles les plus dvergondes. De plus, la magie crmonielle tait trs empreinte de judo-chrtient. Il semblait impossible dtre la fois un magicien crmoniel et un paen. Assurment, si lon accordait le moindre srieux la notion de Wicca , on ne pouvait en son me et conscience envisager de pratiquer des rites dans lesquels le dieu hbraque tait invoqu, ou des anges appels par lintermdiaire de formules kabbalistiques. Les grimoires avaient t rdigs par des hommes travaillant dans le cadre de la tradition judo-chrtienne en Europe mdivale et au Moyen-Orient. Ils navaient rien de paens, sauf peut-tre leur croyance basique que a) la ralit pouvait tre manipule et que b) il existe des forces caches dans le monde qui relient des objets et des vnements qui semblent a priori navoir aucun lien. Ces ides taient familires des philosophes de la Renaissance, Giordano Bruno, par exemple, et auraient conduit au bcher quiconque les aurait voques lpoque de lInquisition.

    Mais si un grimoire purement paen avait bel et bien exist, alors tous ces obstacles philosophiques et religieux pourraient perdre jusqu leur raison dtre. Aprs tout, la magie est bien antrieure au judasme et la chrtient. Mme celle de type initiatique de lAube dore, avec ses stades de comprhension qui mnent de la conscience ordinaire une sorte de superconscience situe un niveau suprieur, plus olympien, tait reprsentative de certaines religions paennes. Des degrs initiatiques de ce type peuvent par exemple tre reprs dans certains manuscrits de lgypte ancienne. Et les leusiniens pratiquaient de mystrieux rites qui f lirtaient avec les limites de la folie et de lextase. Les Sumriens, les Akkadiens et les Babyloniens priaient dans des temples consacrs aux divinits plantaires et qui taient souvent constitus de sept niveaux, chacun ddi une des sept plantes visibles : le Soleil, la Lune, Mercure, Vnus, Mars, Jupiter et Saturne, une sorte dUr-Qabala qui a servi dinspiration aux systmes occultes suivants, ceux de Robert Fludd, Athanasius Kircher, Paracelsus, Bruno et les Rose-croix dun ct, et les noplatoniciens de lautre. Mais il semble quil y ait eu un schisme entre dune part les mages antiques dont loccultisme tait bien plus complexe et intellectuellement sophistiqu que, par exemple, le chamanisme sibrien (mme sil na semble-t-il jamais eu de tradition crite, ni na form le socle dune socit secrte de la mme Br

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    manire que les Templiers auraient t les prdcesseurs des francs-maons, eux-mmes lorigine de lAube dore et des socits occultes modernes), et la philosophie occulte savamment expose dautre part. On trouve dans les crits de Platon et de Pythagore des dtails qui indiquent quun tel systme a exist : Pythagore lui-mme affirmait avoir t initi par une socit secrte gyptienne et avait jur de garder le silence sur ses rites et ses mystres. La vision reprsente par la Table dmeraude dHerms Trismgiste (un classique de la pense occulte noplatonicienne) na jamais t plus que cela : une idologie, sans vritable procd rituel.

    Face cela, les sorciers paens eurent soudain des ides aussi attrayantes que faire descendre la Lune , et tracer un cercle, invoquer quatre tours de garde aux quatre points cardinaux, et suivre un calendrier fond sur les solstices, les quinoxes, et les quatre jours sparant lanne en quartiers quivalents mais cela sans la vision globale dun occultisme pratique qui irait de lastrologie la cosmologie, en passant par linitiation spirituelle la magie rituelle. Le revival de locculte en Amrique dans les annes 1960 semble stre divis entre les sorciers et leurs sabbats parfois sensationnels au cours desquels des gens nus prenaient la pose pour les reporters et les photographes en souriant, une dague la main, et les magiciens plus discrets qui brlaient de lencens dans des sous-sols de banlieue, vtus de robes labores, dcores de caractres hbraques, en agitant des pes, invoquant des forces lmentaires pour quelles leur obissent et rclamant laide, et la protection, de Jhovah ou de Jsus.

    Des groupes tels que lglise de Satan ou celle du processus du Jugement final ntaient pas paens. Alors que lglise de Satan tait ouvertement satanique, invoquant dlibrment lantithse de Jsus et de Jhovah, lglise du Processus vouait, elle, un culte aux trois. Les membres de la premire pratiquaient la magie crmonielle sous diverses formes, mais le caractre en tait toujours eh bien, satanique. Tout ce quils faisaient relevait dun projet ou servait un point de vue politique. Les activits de la seconde taient relativement plus mystrieuses, et le devinrent encore plus la fin des annes 1960 et au dbut des annes 1970. La scientologie dcoulait de lOTO dAleister Crowley, cre par un crivain de science-fiction (ce qui est fort appropri) ayant particip aux pratiques occultes et magiques de lOrdre en Californie, aprs la guerre. Lglise du processus ou Processus fut fonde par des membres dus de la scientologie. Il y avait donc une sorte de succession apostolique allant de Crowley Gardner et Alex Sanders dun ct (la partie paenne ), et la scientologie et au Processus de lautre. Mais lhritage le plus notable de Crowley fut minimis par les deux courants : il sagit de la magie crmonielle. Pas assez scientifique pour la scientologie, trop judo-chrtienne pour les sorciers, elle a dpri durant le renouveau de locculte en Amrique, seulement pratique par

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  • Les Noms morts

    une poigne de pseudo-reprsentants de lAube dore, quelques adeptes dAleister Crowley (certains membres de lOTO), et par beaucoup dautres individus dans les sphres prives, en secret, seuls dans leurs caves ou dans leurs studios. En fait, on pourrait dire que la magie crmonielle a t conue pour tre pratique en solitaire, alors que la sorcellerie, et tout particulirement celle des wiccans, tait prvue pour tre clbre en groupes. Aleister Crowley est all jusqu crer un ordre magique, une socit secrte baptise Argentum Astrum, qui avait t subtilement structure pour procurer un Ordre dans lequel les praticiens solitaires pouvaient spanouir et dans lequel chaque membre ne connaissait que celui qui lavait initi et celui quil allait son tour former. Ctait la structure en cellule , quelque chose que les agents communistes et les terroristes arabes pouvaient apprcier : en cas de capture, un membre ne pouvait en impliquer que deux autres, car il ne connaissait rien de la stratgie globale, ni de la composition du groupe.

    Mais la magie promettait bien plus ceux qui la pratiquaient. Elle offrait dentrer en contact avec les forces obscures, avec des tres dmoniaques et des cratures angliques, datteindre des niveaux de conscience nouveaux sans se servir de drogues (ou sans se servir uniquement de drogues), mais galement des techniques, des mthodes de privation sensorielle qui permettraient au magicien deff leurer les fils de la toile de lexistence, jouant de la ralit comme dune harpe.

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    chapitre 2 : La cathdrale de la Sagesse cleste

    A u beau milieu de toute cette activit, un vnement surprenant se produisit dans le monde des livres et des bibliothques, des glises et des sectes. Le 16 mars 1973, deux moines de lglise orthodoxe orientale furent accuss davoir drob toute une srie de livres rares dans des bibliothques et des collections prives de toute lAmrique du Nord. Il sagissait du plus vaste larcin de toute lhistoire du pays. Les pres Steven Chapo et Michael Hubak avaient de bien tranges antcdents, et javais fait leur connaissance bien avant quils soient arrts par les autorits fdrales :

    Larchevque de lglise catholique orthodoxe slave autocphale des Amriques du Nord et du Sud mavait en effet confi la mission dinfiltrer leurs plans.

    Larchevque Andrew Prazsky tait alors g de vingt-deux ans. Son pre, lvque Anthony Prazsky, tait encore employ de la Triboro Bridge & Tunnel Authority en tant que mcanicien, mais il approchait de la retraite. Leur avenir semblait sannoncer sous les meilleurs auspices et leur cercle damis comptait des personnalits influentes.

    Lun de ces amis tait membre de la police monte royale du Canada, une femme travaillant pour leur service des renseignements. Un autre tait un prtre orthodoxe syrien, que je ne connus que sous le nom de pre Fox , et qui avait des sources de renseignements partout dans le monde. Le pre Fox avait vcu en Irlande du Nord, o il avait t arrt pour trafic darmes. Il avait galement vcu au Vietnam, mais je nen connus jamais la raison. Il avait une femme et un enfant dans le Bronx, auxquels il crivait sporadiquement. Il tait diplm de la Fordham University, et pouvait sexprimer en russe et en arabe. De toute vidence, il tait un prcieux agent des renseignements, travaillant sans doute son compte. Fox tait affili lOrdre grec de Saint-Denis de Zante, un ordre de chevalerie qui comptait parmi ses membres de nombreux politiciens de premier plan.

    Daprs Andrew Prazsky, cest le pre Fox qui provoqua larrestation de Chapo et dHubak. Br

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    Lhistoire est longue et complexe, je vais donc lcourter au maximum. Lorsque tout fut fini, Chapo me baptisa le furet , un indice de mon rle dans cette affaire. Quand Chapo et Hubak me rencontrrent pour la premire fois, ils ignoraient que jtais dj au courant de leur entreprise criminelle parce quils avaient donn larchevque Prazsky de nombreux livres et manuscrits traitant doccultisme afin quil continue les soutenir dans lombre.

    Des prtres dans la nature

    Beaucoup de ce qui a t crit sur lglise slave orthodoxe et les deux moines flons (et il y a trs peu de chose) reste spculatif et confus. Les journaux et les autres rapports publis confondent les noms des glises, ainsi que ceux des prlats concerns. Souvent, les membres de ce type de clerg ont plusieurs patronymes (un nom sculaire et un nom sacr), et cela ajoute la confusion, notamment chez les journalistes et les historiens qui ne sont pas familiers de lorthodoxie orientale, et plus particulirement de ces groupes dont les chefs sont qualifis depiscopi vagantes, ou vques errants , cest--dire des prtres sans rfrences ou dont ces dernires sont fort douteuses. Les origines ecclsiastiques de Prazsky taient les mmes que celles des plus clbres prtres errants du pays et partageaient des aspects de lhritage apostolique de prdcesseurs aussi tranges que David Ferrie, Jack Martin et Carl Stanley : des personnes qui, selon le procureur de La Nouvelle-Orlans Jim Garrison, auraient t impliques dans la conspiration ayant abouti lassassinat de J.F.K. Mais en fait, lhistoire de Prazsky est encore plus trange et extraordinaire.

    la fin des annes 1960, Christopher Columbus tait un lyce de New York comme les autres. Pour le corps tudiant, la guerre du Vietnam tait comme un cyclone qui approchait et qui allait arracher les toits de tous les jeunes hommes en passe dtre diplms. La rvolution sexuelle et la disponibilit dun large ventail de drogues (principalement de la marijuana et du LSD) avaient aussi une influence certaine. Les tudiants pour une socit dmocratique tenaient des assembles gnrales dans lcole, et les professeurs eux-mmes, sous la frule stricte dAl Shaker, avaient fait grve au cours dun semestre, ce qui avait repouss de plusieurs jours la date douverture de lcole.

    Le lyce Columbus est situ dans le Bronx, prs de Fordham Road et de Pelham Parkway. Dans les annes 1960 ce quartier tait majoritairement juif, et les lves se rendaient parfois dans les piceries locales pour y dguster des knish aux pommes de terre et boire du cola en critiquant leurs professeurs ou leurs parents, et en se demandant comment

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    chapper lappel. Une des plus clbres anciennes lves de Columbus fut Christine Jorgensen, la transsexuelle. Un autre, David Berkowitz, purge dsormais sa peine pour son rle dans les meurtres perptrs par le Fils de Sam .

    Alors que la rvolution sexuelle battait son plein dans tout le pays, lhomosexualit restait un sujet tabou. Les lves gays de Columbus avaient tendance rester entre eux cette poque, sils parvenaient toutefois se reconnatre les uns les autres. Comme ils taient rejets, ils sassociaient souvent avec dautres lves qui, mme sils ntaient pas gays, taient eux aussi, pour diverses raisons, des exclus.

    Ce fut le cas de William A. Prazsky.N en juin 1950 dans une famille de Slaves de la deuxime

    gnration, Prazsky tait grand, mince et manir. Il arborait une moustache taille et gomine la Dal alors quil tait encore lycen et avait en permanence sur lui une tabatire et, occasionnellement, une canne pe. Il tait passionn par les antiquits, liconographie religieuse, et la musique sacre. En rsum, il sagissait dun dandy lancienne, fait dautant plus surprenant que son pre, Anthony Prazsky, tait un homme petit, bourru et extraordinairement fort qui travaillait au service de maintenance de la Triboro Bridge & Tunnel Authority. Cet homme ne jurait que par les chansons country enregistres sur un orgue lectrique et les plateau-repas devant la tl. Son passe-temps favori tait la soudure.

    Il avait fabriqu dans son atelier une importante collection darmes mdivales. Des masses, des lances, des haches, des armoiries, des pes, des casques toute la panoplie de la brutalit du Moyen ge tait expose chez lui. Entrer dans le foyer familial, o la majeure partie de cet quipement tait dispose, ctait comme visiter une chambre de torture. Bien ralises et lourdes, ces armes ntaient pas simplement des rpliques russies destines la dcoration. Elles taient solides et fonctionnelles, et auraient remport un franc succs dans des manifestations de reconstitution historique.

    William Prazsky, son fils unique, tait, quant lui, plutt f luet et vaniteux, ce qui navait pu chapper son pre et avait peut-tre contribu sa passion pour larmement mdival. William Junior chrissait la splendeur ornementale de la religion, et stait constitu au fil des ans une collection de chasubles, de surplis, dtoles et dautres accessoires catholiques. Il nourrissait aussi un profond intrt pour les ouvrages traitant de religion et, accessoirement, de locculte. Il se rendait dans la partie de Columbus ddie aux langues trangres et tentait de se rapprocher des professeurs qui y exeraient, prtendant avoir des connaissances en italien et en latin quil ne possdait absolument pas. Ses notes taient mdiocres, et ses facults intellectuelles se limitaient aux domaines qui sduisaient sa nature artistique. Il dtestait les tudes Br

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    et lcole en gnral, et faisait dextraordinaires efforts pour viter de sasseoir en classe. Son anglais crit tait lui aussi mdiocre, et il tait facilement distrait. Il portait des costumes pour se rendre au lyce et, avec ses moustaches gomines la perfection, les visiteurs occasionnels devaient probablement le prendre pour un professeur.

    Il avait peu damis, et ces derniers partageaient les mmes centres dintrt et taient membres du Tiers Ordre des franciscains, une sorte dordre laque pour les catholiques attirs par le religieux et le monacal. Ils changeaient des informations sur les endroits o on pouvait acheter des cols romains ou des soutanes, ou sur quel anneau dvque tait tape--lil ou de bon got. Sans larrive Columbus dun certain nombre dindividus extraordinaires qui allaient tout simplement changer sa vie, Prazsky aurait sans doute poursuivi son existence triste et solitaire.

    Parmi ceux-ci, on comptait Stanley Dubinsky, un crivain et pote extrmement talentueux et cratif, dot dun apptit de vie gargantuesque et dun sens de lironie fort aiguis. Et puis il y avait Peter Levenda, un autre crivain qui allait un jour connatre un modeste succs grce ses tudes sur lhistoire de lpoque nazie. Cest Levenda qui, alors quils taient adolescents, avait suggr Prazsky de former une corporation religieuse. Cest Dubinsky qui avait pris parti pour une vision athe dun monde o les glises et la religion navaient pas leur place. Entre ces deux jeunes gens, et dautres amis au sein de lcole et aux alentours, la conception de Prazsky tait en train de voir le jour.

    Les trois amis se rencontrrent un jour presque par hasard. Levenda tait le rdacteur du magazine de lcole consacr lart et la littrature, Horizon. Pour cette publication, il avait crit un court article sur lalchimie qui voquait le lgendaire scientifique Van Helmont, et lide de la transmutation. Un dessein bien ambitieux pour un lycen dans les annes 1960. Un jour, dans une salle de classe par ailleurs inusite, Levenda commena expliquer les mcanismes derrire les tours de magie crmonielle, un systme utilis par les magiciens mdivaux pour entrer en contact avec les forces spirituelles, comme les anges et les dmons, et qui a encore cours de nos jours de par le monde. Son auditoire tait compos de quelques lves, dont Stanley Dubinsky, qui trouva le discours fascinant mme sil ntait pas particulirement daccord avec le confrencier sur lide que, dune certaine manire, le systme fonctionnait . Ce qui importait, cest que ctait diffrent, intelligent et mme amusant. Dubinsky entreprit ensuite de contacter un autre de ses amis tranges, William Prazsky (quil appelait Billy , ce qui ne manquait pas de lirriter), et linvita rencontrer ce Levenda, qui semblait aussi intress que lui par les sujets spirituels et religieux.

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    La gnalogie de Levenda tait pour le moins exotique, et sa propre adolescence turbulente semblait faire cho celle de ses parents. Il ressemblait en fait une version sixties de Harry Potter (ses grosses lunettes et son apparence conservatrice ne faisaient que renforcer cette image), du fait de son histoire et de ses aspirations.

    Il avait en commun avec Prazsky le fait que leurs parents taient spars. Mais, plus important, leur ethnicit les rapprochait. Les parents de Prazsky taient tchques et slovaques, et le pre de Levenda tait slovaque. Levenda tait donc moiti slovaque, comme Prazsky. Ctait un point commun qui les runissait, et il ntait pas des moindres.

    Prazsky trouva stimulantes les confrences impromptues de Levenda sur locculte. Voil une personne qui partageait certaines de ses lubies : la mlancolie dEurope de lEst, un intrt profond pour la religion et loccultisme, une personnalit solitaire. Levenda ne faisait partie daucun des clans de Christopher Columbus, et navait que quelques amis, que lon qualifierait dans largot moderne de geeks ou, plus gentiment, de nerds . Des parias. Malgr son rle de rdacteur du magazine de lcole (d ses bonnes notes en anglais et son talent dcrivain et de critique), Levenda tait pratiquement anonyme au sein de ltablissement. cette poque, ses parents avaient de srieux problmes, et son pre quitta le domicile familial avant quil obtienne son diplme. Mais Prazsky possdait un trait de personnalit que Levenda ne partageait pas et navait mme pas remarqu au dbut : il tait gay.

    Se dcouvrir homosexuel dans un monde o lon attend des hommes quils soient des costauds et muscls amateurs de sport, darmes et de sexe facile (et htro) peut mener un jeune homme la confusion. On se retrouve trs tt exclus de la socit, et lorsque cela se produit certains adolescents se trouvent attirs par ce qui est obscur, impopulaire, nglig et choquant. La dcouverte de la part fminine de sa personnalit est sans doute lorigine de son intrt pour les attributs externes du rituel : les robes longues, les bijoux voyants, les nuages dencens, la musique thre. Ainsi que pour les langues mortes.

    Prazsky sintressa tout cela, et plus encore. Il apprciait les antiquits et collectionnait tout ce quil pouvait avec largent quil arrivait obtenir de ses parents spars (ou quil leur volait occasionnellement). Sa vieille stro diffusait toute heure du jour et de la nuit des chants grgoriens. Il se mit fumer des cigarettes alors quil tait encore au lyce, et pendant les heures de cours il prisait, dposant dlicatement quelques grains sur sa main pour les renifler et nettoyant ensuite son nez laide dun mouchoir en dentelle. Rappelons au lecteur qu cette poque Prazsky tait g de seize ans et vivait dans le Bronx.

    Il parlait tchque et slovaque, mais il ne sagissait pas de langages prestigieux et romantiques et, de toute faon, ils lui rappelaient trop Br

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    ses parents et ses vritables et quelconques origines. Il affectait donc de connatre litalien et le latin. Son pre, protestant, ne connaissait pas le latin. Mais sa mre, elle, tait catholique, et cest vers le catholicisme que Prazsky se tourna lorsquil commena sintresser aux rituels. Un psychologue pourrait en dduire que le catholicisme de sa mre, et ladoption par Prazsky des attributs de la foi catholique, taient lis son homosexualit. Et que sa conversion par la suite lorthodoxie orientale fut une tentative de rconcilier la foi agrmente de rituels de sa mre et les origines ethniques de ses deux parents.

    Il est certain que Prazsky tait rfractaire aux rformes mises en place par le concile de Vatican II, car il prfrait de beaucoup le rituel majestueux de lancienne cole. Comme ctait le cas pour son ami Peter, les messes folks clbres par des hippies blafards jouant de la guitare acoustique dans le sanctuaire le laissaient de marbre. Il voulait des robes satines et des mitres constelles de pierres prcieuses, des encensoirs se balanant et des anneaux damthyste ainsi que lautorit quun prtre exerait sur sa congrgation, lautorit spirituelle et lacceptation qui tait refuse partout ailleurs un homosexuel en 1966.

    cause des rgles strictes rgissant le clibat des prtres, avant lordination les sminaristes sont gnralement spars en deux catgories : les sportifs et les gays. Afin de sublimer au maximum les pulsions sexuelles, les premiers pratiquent toute heure des jeux agressifs tels que le basket, le football amricain, ou autres. Pour les seconds, les choses sont relativement plus simples, mme si elles doivent demeurer clandestines : ils peuvent avoir des relations sexuelles, voire romantiques, les uns avec les autres du moment que ces relations ne sont pas dvoiles au grand jour. Des rvlations rcentes concernant les abus sexuels perptrs par des prtres catholiques sur de jeunes garons tmoignent sans doute de cette situation. Mais ce que ces cas ne rvlent pas, cest le caractre commun des relations sexuelles entre prtres, labri du regard des fidles et de lil inquisiteur de la hirarchie.

    Prazsky tait bien conscient de tout cela lorsquil tait jeune lycen. Avant ses dix-neuf ans, il avait dj eu une relation de nature sexuelle avec un homme plus g, un autre prtre qui apparatra plus loin dans notre histoire. Nanmoins, avant cela, il avait t approch par des enseignants de Columbus qui taient de notorit publique soit gays soit des pdophiles qui sattaquaient aux enfants. Lun deux tait un professeur qui abusait parfois de ses lves devant la classe, pensant que personne ne remarquait ce quil faisait. Et puis il y avait un autre enseignant, un jeune homme blond qui possdait un appartement Manhattan, et qui allait devenir un des premiers apporter son aide la cration de lglise orthodoxe slave.

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    Levenda et Prazsky commencrent se rendre ensemble aprs lcole dans les piceries juives autour de Fordham Road, partageant leur savoir sur la religion et les rites. Prazsky tait beaucoup plus impliqu dans la religion catholique que Levenda. Il frquentait des runions du Tiers Ordre franciscain et y avait un ami, Tony, qui vivait Manhattan, vers Yorkville, avec un autre homme plus jeune, un garon drang qui rvait de violence, et prtendait tre lhritier de la fortune des Doges. Ainsi, Prazsky pouvait par exemple aisment pntrer dans la cathdrale Saint-Patrick, et explorer des lieux que Levenda navait jamais vus, une exprience impressionnante. De plus, Prazsky possdait une collection complte de vtements sacerdotaux de rituels, rangs dans sa chambre dans une vieille armoire de bois. Il avait tout, de la simple soutane noire et du col romain du prtre de paroisse aux barrettes, chasubles, surplis, toles, un ostensoir en or (qui sert prsenter la sainte eucharistie lors des crmonies spciales), un calice, des patnes et dautres instruments. La panoplie complte, et rien bnir.

    Pendant ce temps, Levenda stait pench sur le concept de la religion et de lglise avec lintensit dun rudit. Prazsky avait remarqu que son ami excellait en anglais et en histoire, et lui avait demand de laider pour ses devoirs. Ce qui signifiait en gnral que Levenda les faisait sa place. Mais alors lchance des diplmes approchait, les jeunes gens avaient dautres soucis en tte. Le premier tait luniversit, le second, la guerre du Vietnam.

    Levenda navait pas les moyens financiers daller la fac. Ses parents se sparaient, son pre buvait chaque semaine tout son salaire, et sa mre tait sans emploi. Il passait donc peu de temps au lyce. Il restait chez lui avec sa mre un ou deux jours par semaine, permettant ainsi lun de ses frres et surs daller en cours sa place. Les trois enfants allaient ainsi en classe tour de rle, lun deux devant constamment rester au chevet de leur mre malade.

    Prazsky, quant lui, possdait les ressources ncessaires pour aller luniversit, son pre ayant depuis longtemps un emploi stable la Triboro Bridge & Tunnel Authority, et leur maison dans le quartier de Pelham Bay du Bronx prenant dsormais de la valeur. Le plus grand projet immobilier de lhistoire de New York, Co-op City, se montait juste de lautre ct de la rue. Le garage des vhicules de la Section 5 serait construit devant chez eux, ce qui accroissait la valeur de leur maison dlabre.

    Tous deux prirent conscience que le seul moyen pour eux dchapper la guerre tait dintgrer luniversit et dobtenir la dispense correspondante. Cela posait des problmes particuliers chacun deux : Prazsky, qui pouvait se permettre de rgler les frais dinscription, naurait jamais pu obtenir une moyenne suffisante pour conserver sa dispense, Br

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    et Levenda, qui tait plus quapte, ne pouvait tout simplement pas se permettre dy aller, sa priorit aprs le diplme tant de trouver un emploi et de gagner assez dargent pour subvenir ses besoins et ainsi allger quelque peu le fardeau des dpenses de ses parents spars.

    De toute faon, Prazsky ne souhaitait pas aller la fac, pas sil pouvait trouver une autre solution. Alors, comme des dtenus qui se chargent eux-mmes de leur dfense, ils lisaient tout ce quils pouvaient trouver sur le systme de slection du service, et soudain la solution leur problme leur apparut : la dispense 4D, ou dispense du culte, uniquement rserve aux hommes dglise.

    Mme si le service militaire aurait considrablement perturb le programme personnel de recherches religieuses et mystiques de Levenda, il ne souhaitait pas intgrer un sminaire catholique : il craignait que la rglementation et les restrictions lempchent de continuer tudier loccultisme, un domaine qui, ses yeux, constituait la meilleure voie pour le dveloppement de la conscience vers lautotranscendance.

    Prazsky hsitait lui aussi intgrer un vritable sminaire, car cela aurait srieusement compromis ses autres activits. En outre, il lui semblait impensable de dbuter au bas de lchelle. Il stait dj promen au lyce en costume, avec ses moustaches gomines, sa canne pe et sa tabatire en argent. Comment aurait-il pu abandonner tout cela pour devenir un modeste sminariste ? Il aurait forcment d tirer un trait sur son tabac et sur sa canne. Et puis il navait aucune chance de matriser le cursus, nayant toujours pas assimil lorthographe.

    Depuis des annes Levenda se demandait ce quil allait bien pouvoir faire aprs le lyce. Ses centres dintrt taient bien trop tranges pour le monde rel. Quel type demploi pouvait-il esprer, sil parvenait chapper la conscription ? Il avait toujours souhait devenir crivain, mais nimaginait pas pouvoir en vivre. Il stait rsign lide de passer des annes crire pour ses fonds de tiroir , avant de pouvoir intgrer le monde littraire. Mais avant cela, comme beaucoup dautres jeunes gens, il plucha les petites annonces la recherche de la cl secrte de son avenir. Il trouva une annonce de lglise de la vie universelle, et sinscrivit pour 5 dollars. Il reut par retour de courrier une carte qui le prsentait comme un ministre du culte en bonne et due forme et un fascicule expliquant comment devenir riche en jouant aux courses. Il montra sa carte Prazsky, et bien sr celui-ci fut intress. Levenda entreprit de se renseigner sur les dispositions lgales des glises et des entreprises religieuses, et petit petit il se rendit compte quaucun obstacle lgal ne les empchait de crer leur propre paroisse.

    Ils lignoraient lpoque, mais ils empruntaient ainsi un chemin maintes fois parcouru. La plupart des gens savent quil existe des

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    universits bidon dans lesquelles on peut acqurir un diplme pour quelques centaines ou quelques milliers de dollars. En change de son argent, on obtient un bout de papier, et rien de plus. Certes, il peut sagir dun document magnifiquement imprim, mais il a moins de valeur que le papier qui lui sert de support. Les gens achtent ces faux afin de donner plus de poids leurs CV, esprant que les employeurs ne chercheront pas plus loin et ne dcouvriront pas que luniversit cite est en fait une usine diplmes : un business mis en place avec la seule intention dmettre des copies, gnralement envoyes depuis une poste restante.

    Mais rares sont ceux qui connaissent lexistence des faux clergs et de la fausse noblesse. Seul un petit cercle dinitis sait que certaines glises fonctionnent sur le principe d usines prtres . La fausse universit est facile identifier : en gnral on ny trouve pas de corps enseignant, pas de personnel, et pas de campus. Une fausse glise est plus difficile dfinir, puisquune glise lgitime peut tre abrite aussi bien par une cathdrale que par une modeste choppe. Souvent, des glises officielles oprent depuis des lieux de rsidence privs. Alors, comment reconnatre les fausses ?

    Il existe plusieurs indices. En premier lieu, les fausses glises ne possdent pas proprement parler de fidles. Elles disposent dun clerg, parfois des centaines de prtres et dvques, mais ils sont largement plus nombreux que les ouailles. Ensuite, les fausses glises cherchent tout prix dmontrer quelles ne le sont pas. Quelle glise vritable fait preuve dun tel empressement ? La fausse glise prouve sa bonne foi en produisant des documents qui renforcent sa lgitimit, son hritage apostolique .

    Par consquent, une glise protestante peut tre fausse ou ne pas ltre. Cest ses fidles potentiels den dcider. Mais dans le cas des glises catholiques ou orthodoxes , le problme est beaucoup plus srieux. Ces groupes insistent beaucoup sur les rites et sur la saintet de leurs sacrements. Les rgles tablissant qui peut pratiquer ces rites et dans quelles circonstances sont largement rgies par la loi canonique. Si lglise opre selon ces prceptes stricts et peut prouver que ses vques se succdent sans interruption depuis le premier pape, saint Pierre, alors on peut penser quelle est canonique et donc quil ne sagit pas dune fausse. Cela peut sembler ntre quune simple formalit, mais cest souvent tout sauf simple et facile dterminer.

    En plus des fausses glises, il existe galement une fausse noblesse. Cest--dire de faux ordres de chevalerie, de faux titres de baron, de marquis, de comte et de duc. Il y a bien sr des lignes de lgitimes, et des ordres de chevalerie lgitimes, comme le fameux (ou tristement clbre, selon son point de vue) ordre de Malte. Mais un grand nombre ont t tablis dans la seule intention de soutirer leurs dollars des citoyens crdules. Br

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    Le lecteur sera peut-tre intress dapprendre que, souvent, ceux qui crent ces faux ordres de chevalerie sont galement impliqus dans de fausses glises, et parfois mme dans de fausses universits.

    La plupart des personnes nayant pas souvent loccasion de ctoyer dans leur quotidien des chevaliers, des comtes ou des ducs, ces pratiques perdurent en toute clandestinit. Pourtant, on ne peut nier leur existence. Elles ont parfois attir lattention des autorits gouvernementales, que ce soit aux tats-Unis ou ltranger, et pas seulement parce que les titres ainsi dispenss sont sans valeur, mais parce que les nobles, les vques et les doyens ainsi nomms sont en fait des agents de services de renseignements trangers. Et cest cela que raconte notre histoire.

    Depuis plus dun sicle, de prtendues glises et autres sectes gravitent autour des organisations catholiques et orthodoxes mieux implantes. Il sagit soit de groupes sparatistes qui se sont marginaliss la suite dun conflit ou dun dsaccord, ou simplement cause dun problme interne, soit de groupes entiers ns de limagination dbride dinadapts sociaux. Concernant lorthodoxie orientale, il faut bien garder lesprit que la guerre froide faisait tout autant rage par lintermdiaire des glises que par celui des gouvernements et des agences despionnage. Cette relation clandestine entre les glises orthodoxes et les agences de renseignements amricaines et internationales na jamais t tudie srieusement. Et lorsque Levenda et Prazsky entamrent leur qute du lieu parfait pour leur culte, ils durent faire face un autre concurrent : le culte de linformation.

    cette poque, les gots de Levenda en matire de religion se portaient vers une glise austre et mystique qui privilgierait lintensit aux ornements. Pour Prazsky ctait tout le contraire : beaucoup dornements, de dorures, de joyaux, et gure plus. Ils saccordaient toutefois sur le fait quil devait sagir dune vritable glise, ayant une existence lgale. Ils ignoraient comment ils allaient pouvoir gagner leur vie de cette manire, mais ils taient srs quelle leur offrirait une tribune pour leurs centres dintrt et peut-tre, presque certainement, dchapper larme.

    Mais qui aurait pu croire que ces deux adolescents taient des prtres ? Et qui donc aurait pu les ordonner, diriger lglise et leur fournir la crdibilit ncessaire ? En outre, quel type dglise allait le mieux leur convenir ? Certainement pas lglise protestante : pas assez de rites. Ce ne pouvait videmment pas tre lglise catholique, le cardinal Spellman de New York naurait certainement pas t daccord ! De plus, pour les deux garons, les rites catholiques avaient perdu leur attrait dantan. Ils taient devenus moins mystrieux, plus banals.

    Des voyages dans New York et des rencontres avec Tony et dautres franciscains du Tiers Ordre leur firent envisager une autre

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    solution. Et cest donc dans un tat quelque peu fbrile que lon retrouve ces deux mes sur le seuil de lglise orthodoxe russe de la diaspora, communment nomme le synode , et situe New York, sur la 93e rue.

    Cest l que sjournait le frre Victor qui connut un destin si tragique.

    Le synode tait une sorte danachronisme. Il sagissait du sige du clerg et de la hirarchie de lglise orthodoxe russe qui avait fui la Russie aprs la rvolution de 1917. Ses reprsentants taient venus accompagns de quelques membres de la famille royale ayant russi quitter le pays avec dimportantes fortunes sous forme duvres dart, de bijoux et dautres biens. La famille fit lacquisition dun grand immeuble langle de Park Avenue et de la 93e rue, qui avait lorigine t bti pour un magnat de lindustrie ferroviaire, et destina la moiti du btiment lusage de lglise. Cette partie devint la cathdrale et le monastre. Lautre moiti de limmeuble tait rserve la famille royale elle-mme. Les migrs crrent aussi une cole sur place, Saint-Sergius, et cest l que le duo dsespr rencontra frre Victor.

    Un dimanche matin, ils se rendirent au synode pour assister la superbe divine liturgie orthodoxe orientale, qui se clbre en tenues dapparat lors dun rituel qui dure trois heures, et au cours duquel personne ne sassoit, vu quil ny a pas de chaises. Les deux jeunes hommes observrent respectueusement les vques aux longues barbes et aux habits de crmonie colors qui agitaient des encensoirs dcors et le chur rput pour ses chanteurs hors pair, qui psalmodiait en russe. On aurait dit une scne issue du Docteur Jivago. Cest la bonne, se dirent-ils. Cest ici que nous devons tre. Cest eh bien, cest cool. Tous deux taient vtus de costumes noirs et portaient des cols romains, ressemblant des sminaristes catholiques, voire des prtres, et ils attirrent lattention de quelques paroissiens.

    Se tenant respectueusement sur le ct, ils tentrent de rester discrets. Dans cette crmonie, ils taient des trangers. Les fidles russes napprcient gure les curieux bats, et Prazsky et Levenda tentaient dafficher un air solennel et attentif et de faire preuve de la plus grande politesse.

    Un jeune moine la barbe blonde et clairseme, vint leur rencontre, il se prsenta sous le nom de frre Victor, le responsable de lcole. Ils discutrent pendant un petit moment, puis prirent rendez-vous pour plus tard dans la semaine un moment o Prazsky et Levenda navaient pas cours. Ils se prsentrent sous les noms de pre Elefterij et pre Petro. Ainsi naquit la lgende.

    Petro est, bien sr, la forme slave de Peter . Elefterij , vient quant lui du mot grec qui signifie libert . Les deux jeunes gens Br

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    avaient vu un film surprenant nomm Le Mage, avec Anthony Quinn et Michael Caine, daprs le roman de John Fowles, et au cours dune scne qui dcrit une rvolte de Grecs contre les nazis, on les entend scander ce mot comme un cri de guerre. Prazsky sen tait saisi et lavait adopt. Dans les annes qui suivirent, il allait finalement abandonner Elefterij et revenir son deuxime prnom, Andrew, mais lglise orthodoxe slave venait dtre cre, presque par accident au cours de cette premire rencontre fondatrice la cathdrale de lglise orthodoxe russe hors de Russie.

    Cette glise tait fortement implique dans des intrigues antisovitiques (et plus tard pro nazi) depuis les annes 1920. Durant la guerre froide, des personnes aussi illustres leur manire que George deMohrenschildt (le mentor de celui qui fut accus de lassassinat du prsident, Lee Harvey Oswald) et dautres membres de la communaut, des Russes blancs qui entouraient Oswald Dallas, avaient eu des liens avec lglise. Fonde par des aristocrates russes qui avaient fui la rvolution de 1917, il sagissait dun foyer dactivits despionnage anticommuniste dont le quartier gnral tait situ New York depuis 1952.

    Les deux garons approfondirent leurs connaissances : ils tudirent le slave (qui est lorthodoxie russe ce que le latin est lglise catholique), mmorisrent les prires et les chants traditionnels dans cette langue, et se procurrent une garde-robe adquate. La tenue des hommes dglise orthodoxes diffre nettement du style occidental des prtres et des vques catholiques romains. En premier lieu, les soutanes de style oriental, les riasa , sont beaucoup plus volumineuses. Les prtres portent des couvre-chefs cylindriques et sans rebord, les klobuks , qui sont familiers quiconque a vu Zorba le Grec ou Le Docteur Jivago. Ces klobuks sont galement souvent envelopps dans des voiles.

    Prazsky, qui tait le plus manuel des deux, se mit fabriquer lui-mme ces chapeaux. Il commena par les confectionner avec un matriau de dcoration rigide et se rendit dans plusieurs magasins afin den trouver un noir. Mais aprs les premires tentatives, il finit par comprendre quils devaient tre raliss la manire de vritables chapeaux, et en fit faire plusieurs sur commande dans le sud de Manhattan : certains destins tre des klobuks, et dautres de somptueuses mitres qui faisaient ladmiration de tout ecclsiastique. Ces dernires sont ces espces de couronnes portes par les vques dans les glises tant catholiques quorthodoxes, les orthodoxes tant rondes, et les autres en pointe et troites. lorigine, les mitres orthodoxes sont assez lourdes, mais Prazsky avait russi en raliser laide de matriaux lgers, ce qui prsentait un rel avantage dans la chaleur de lt ainsi que pour les vques les moins muscls du cou. Finalement, plus tard dans

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    sa carrire, il parvint en revendre dautres vques et finit par prendre des commandes provenant de tout le pays, tant elles taient recherches.

    Pendant ce temps, Levenda se mit chercher comment prparer larrive de leur nouvelle glise, qui devait sappeler lglise orthodoxe slave. Un nom quils navaient pas choisi au hasard.

    La Tchcoslovaquie tait une sorte de pays artificiel qui avait t cr la fin de la Premire Guerre mondiale, au moment de la dissolution de lEmpire austro-hongrois. Deux rgions, lune tchque et lautre slovaque, furent rassembles pour ne plus former quune seule nation. Mais leurs langues, cultures et religions