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MASTER RECHERCHE
DROIT PUBLIC ECONOMIQUE
2006 - 2007
Mémoire
Le Contrat in house
Sous la direction de Monsieur Roland Vandermereen, Professeur associé
Nicolas SAGNE
Le Contrat in house
Nicolas Sagne – Master Recherche Droit Public Economique - 1 -
Table des matières
Introduction La commande publique et les règles de concurrence 4 Contrat in house et contrat avec soi-même 7 Les bases du régime du contrat in house 10 Contrat in house et problématique générale de sa mise en œuvre 13
Chapitre I : l’exception in house, une notion étroitement conçue 18
Section I/ La mise en œuvre de l’arrêt Teckal 19 I/ Le critère du contrôle analogue 20 A/ Les solutions apportées par les arrêts de 2005 20
1- Le rappel du contexte factuel des arrêts 20 2- Le contenu des décisions du juge communautaire 21
B/ Les méthodes juridictionnelles d’appréciation du contrôle analogue 24 1- Analyse structurelle et téléologique du contrôle analogue 24 2- La réception par le juge administratif du critère du contrôle analogue 27
II/ Le critère de l’exercice de l’essentiel des activités 29
A/ L’analyse étroite de la condition de l’exercice de l’essentiel des activités 29 1- L’approche du critère dans le silence du juge communautaire 30 2- Des précisions au critère de l’essentiel des activités :
la jurisprudence Carbotermo 31
B/ La condition supplémentaire en droit interne des besoins propres 33 1- La raison d’être de la notion de « besoins propres » 33 2- La notion de besoins propres : contenu et régime juridique 34
Section II/ La difficile identification d’une relation in house 38 I/ La nature singulière de la notion de contrôle dans le cadre de la relation in house 38
Le Contrat in house
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A/ In house et organisme de droit public 39 1- La notion d’organisme de droit public 39 2- Contrôle analogue et étroite dépendance 43
B/ In house et notions d’entreprise liée et d’entreprise publique 43 1- In house et entreprise liée 43 2- In house et entreprise publique 44
II/ L’identification d’une relation in house : d’une approche négative à une approche plus positive 45
A/ La détention à 100% du capital social d’une société par l’autorité publique 45 B/ Le partenariat public- public 47
Chapitre II : La portée de la notion de contrat in house 51 Section I/ Le contrat in house : les répercussions sur l’organisation de la sphère publique 52 I/ Les organes de la sphère publique à l’épreuve de la conception étroite du in house 52
A/ Les satellites des collectivités publiques et le bénéfice de l’exemption in house 52 1- La formule de l’établissement public 53 2- La formule de l’association 55 3- Les autres formules au service des collectivités publiques 57
A/ Les rapports horizontaux entre collectivités publiques : l’exclusion de principe du in house 58 1- Le contrat- maison et le contrat de maison à maison 59 2- La problématique de la mise à disposition : un contrat de maison à maison
particulier 62 II/ L’inconfortable position des SEM : l’exclusion du régime du in house 64
A/ Les préludes à l’exclusion du régime du in house : la banalisation de la SEM 65 1- Une évolution normative et jurisprudentielle d’assimilation de la SEM à une simple
société commerciale de droit commun 65 2- La subsistance de certaines particularités de la société d’économie mixte 67
Le Contrat in house
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B/ La solution de l’arrêt Stadt Halle : fondements et pertinence 69 1- Fondements et implications de l’arrêt Stadt Halle sur la structure de la SEM 70 2- La pertinence de la solution Stadt Halle 72
Section II/ Le contrat in house : entre assouplissement et solutions de compensation 74 I/ La problématique de l’assouplissement des conditions du contrat in house 74
A/ Une volonté communautaire naissante d’assouplir les conditions de l’exception in house 75 1- contexte et cadre général du règlement en matière de service public de transport de
voyageurs 75 2- L’approche souple de l’opérateur in house dans le cadre du contrat de service public
de transport de voyageurs 77
B/ Quelle modalité d’assouplissement pour l’exception in house ? 79 1- Assouplissement par un équilibrage des conditions du contrat in house 79 2- La subsistance d’incertitudes liées à l’extension ad infinitum de l’obligation de
transparence 82 a) L’extension de l’exception in house au droit primaire 83 b) L’exigence d’un minimum concurrentiel : les risques de réinternalisation de services 86
II/ Le contrat in house : le recours à des options alternatives 87 A/ Les solutions alternatives prévues par le droit français 88
1- La création des SPLA : une réponse à la jurisprudence Stadt Halle 89 a) les concessions d’aménagement : d’une convention sui generis à
l’intégration dans la catégorie des marchés publics ? 89 b) La société publique locale d’aménagement 91
2- Le contrat de simple organisation du service 93
B/ Le partenariat public- privé institutionnalisé : l’option alternative ou compensatoire de mise en concurrence de l’actionnaire privé 96
Le Contrat in house
Nicolas Sagne – Master Recherche Droit Public Economique - 4 -
Introduction
Il en va du in house comme il en va du mirage : une illusion séduisante. Pour bien
comprendre la pertinence de cette assertion, il est nécessaire de procéder par étapes. D’une
manière générale, le contrat in house sert à matérialiser la relation entre une entité publique et
un opérateur ou un prestataire qui est si étroite qu’elle peut être assimilée à celle que l’entité
entretient avec ses propres services. Il en résulte qu’une telle relation se situe hors de portée des
règles de concurrence.
La commande publique et les règles de concurrence
« Les marchés publics sont des contrats conclus entre des pouvoirs adjudicateurs (…) et
des opérateurs économiques publics ou privés, pour répondre à leurs besoins en matière de
travaux, de fournitures ou de services. »1 Depuis longtemps2, la nécessité d’encadrer les
marchés passés par les personnes publiques s’est fait sentir dans le souci d’assurer la bonne
utilisation des deniers publics. D’ailleurs, le Conseil constitutionnel n’a pas manqué d’affirmer
qu’ont valeur constitutionnelle les principes rappelés par le Code des marchés publics à savoir
la liberté d’accès à la commande publique, l’égalité de traitement des candidats et la
transparence des procédures3. Un principe peut être considéré comme fédérant tous les autres et
identifiant toute la problématique de la passation des marchés publics : le principe de mise en
concurrence. Il permet la sélection de la meilleure prestation dans l’intérêt de la collectivité
publique et correspond, en cela, à la logique de bonne utilisation des deniers publics ; il a
également pour finalité d’ouvrir la commande publique aux entreprises dans l’intérêt de
l’économie de marché. Rappelons, par ailleurs, que ce socle de règles se trouve consacré en
matière de conventions de délégations de service public par la loi Sapin du 29 janvier 1993.
1 Article 1 du nouveau code des marchés publics (Décret n° 2006-975 du 01 août 2006, portant code des marchés publics 2 Le premier code des marchés publics date de 1964 ; suivront les codes de 2001, 2004 et 2006. 3 CC décision n° 2003-473 DC du 26 juin 2003, loi habilitant le Gouvernement à simplifier le droit.
Le Contrat in house
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Au niveau communautaire, les autorités de Bruxelles ont aussi compris que les
administrations publiques ne se comportent pas forcément comme le consommateur privé
cherchant à obtenir le meilleur rapport qualité-prix, des considérations d’intérêt général entrant
souvent en jeu. Le droit communautaire a alors dû s’enrichir d’une réglementation de la
passation des marchés publics et des concessions dont la dernière en date est constituée par les
directives du 31 mars 20044. A cette réglementation, s’est ajouté un apport jurisprudentiel
consacré par l’arrêt Teleausria dans lequel la Cour de Justice décide que même dans
l’hypothèse où les directives communautaires ne s’appliquent pas, le pouvoir adjudicateur est
tenu de « respecter les règles fondamentales du traité en général et le principe de non-
discrimination en raison de la nationalité en particulier. (…) Cette obligation de transparence
qui incombe au pouvoir adjudicateur consiste à garantir, en faveur de tout soumissionnaire
potentiel, un degré adéquat de publicité permettant une ouverture des marchés (…) à la
concurrence ainsi que le contrôle de l’impartialité des procédures (…) »5. M. Arnould met
d’ailleurs tout à fait cette solution en relief en développant la conception selon laquelle « même
lorsque les contrats échappent réellement à l’emprise des directives relatives aux marchés
publics du fait de leur nature particulière, le Traité de Rome lui-même leur reste applicable
comme à tout autre mode d’action de l’administration »6 Le droit de la commande publique
n’est donc pas un droit purement national, tant s’en faudrait. Ceci est d’autant plus vrai que le
droit international lui aussi n’est pas en reste. Il suffit, pour s’en convaincre, de rappeler que
l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce) dispose d’un instrument juridique relatif aux
marchés publics et que la CNUDCI (Commission des Nations Unies pour le Droit Commercial
International) effectue un travail non négligeable dans ce domaine7.
Cette place de premier choix des règles de concurrence témoigne du caractère formalisé et
assez contraignant du droit de la commande publique, autant en déduire que les collectivités
4 La directive n° 2004/18 dite « secteurs classiques » remplace les directives « services » n° 92/50, « fournitures » n° 93/36, « travaux » n° 93/37 « travaux ». La directive n° 2004/17 dite « secteurs spéciaux » remplace la directive « secteurs spéciaux » n° 93/38. 5 CJCE, 07 décembre 2000, Teleaustria Verlags, aff C-324/98. 6 Joël Arnould, « les contrat de concession, de privatisation et de services « in house » au regard des règles communautaires », RFDA 2000, p.14. 7 Le premier accord plurilatéral sur les marchés publics (AMP), appelé aussi Code des marchés publics du GATT, a été signé en 1979, est entré en vigueur en 1981 et a été amendé en 1987. Le cycle d’Uruguay a abouti à un élargissement substantiel de sa portée ; le nouvel AMP a pris effet le 01 janvier 1996. La CNUDCI a été créée en 1966 afin d’harmoniser et d’unifier le droit du commerce international. Elle édicte des lois-types dont une sur les marchés publics ; celle-ci est censée servir de modèle standard pour les pays en développement notamment.
Le Contrat in house
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publiques ne s’y soumettent pas toujours de leur plein gré. C’est tout l’intérêt de l’exception in
house qui paraît, en théorie en tous cas, être le meilleur refuge pour échapper à ce formalisme.
En effet « la liberté du commerce et de l’industrie ne fait pas obstacle à ce que l’Etat
satisfasse, par ses propres moyens, au besoin de ses services »8. En l’occurrence, la fourniture
de pain par une boulangerie militaire à des établissements pénitentiaires ne méconnaît pas le
droit de la concurrence d’une manière générale. De même, une commune peut faire procéder
par ses propres agents aux travaux d’imprimerie nécessaires au fonctionnement de ses services
(CE, 27 juin 1936, Bourrageas, rec, p.609). Sur le plan du pur réalisme économique, de tels
procédés enlèvent d’importantes parts de marchés aux entreprises mais cela n’est pas de nature
à en affecter la légalité.
En revanche, le principe de la liberté du commerce et de l’industrie retrouve sa pleine
applicabilité en dehors des frontières de la sphère publique. Ainsi, l’armée n’est-elle pas
autorisée à vendre ses stocks d’essence aux particuliers (CE, 06 mai 1936, Chambre syndicale
de l’industrie du pétrole, rec, p.292), ou encore le service des poudres ne peut vendre au public
des cartouches de chasse (CE, 13 novembre 1953, Chambre syndicale des industriels et du
commerce des armes, D.1954, p.553). Les personnes publiques n’ont pas une liberté
d’intervention dans le marché en tant qu’opérateurs économiques. Une telle intervention ne
peut se faire que sous certaines conditions liées à la carence ou à l’insuffisance de l’initiative
privée9. Cette interdiction de principe faite aux personnes publiques de concurrencer les
personnes privées a d’ailleurs récemment fait l’objet d’une décision du CE, 31 mai 2006, Ordre
des avocats au barreau de Paris, dans laquelle le décret portant création de la mission d’appui
à la réalisation des contrats de partenariats est attaqué au motif qu’il permettrait à celle-ci de
fournir une expertise à tout pouvoir adjudicateur qui en ferait la demande et donc de
concurrencer notamment les cabinets d’avocats. Les juges du Palais Royal rappellent à cet effet
que les personnes publiques ne peuvent légalement prendre en charge une activité économique
que « dans le respect tant de la liberté du commerce et de l’industrie que du droit de la
concurrence ». Mieux encore, les règles de concurrence s’opposent à ce qu’au sein même de la
sphère publique les personnes publiques s’attribuent librement des marchés sans respect des
règles de passation. Bien sûr, cela suppose au préalable qu’elles puissent se porter candidates à
l’attribution de marchés publics. Le célèbre avis du Conseil d’Etat de 2000 pose, à ce titre, la
solution en limitant par la même occasion la portée traditionnelle du principe de la liberté du
8 CE, 29 avril 1970, Société Unipain, RDP 1970, p.1423, note Waline. 9 Voir CE, 30 mai 1930, Chambre syndicale du commerce en détail de Nevers, Rec. P.583)
Le Contrat in house
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commerce et de l’industrie : « aucun texte ni aucun principe n’interdit, en raison de sa nature,
à une personne publique de se porter candidate à l’attribution d’un marché public »10.
Le in house se trouve ainsi bien circonscrit et correspond à la logique simple selon laquelle
la collectivité publique n’est pas tenue de recourir forcément au secteur privé pour répondre à
ses besoins, elle peut décider de les satisfaire par ses propres moyens. En cela il s’apparenterait
au contrat avec soi-même.
Contrat in house et contrat avec soi-même
La doctrine civiliste a largement débattu de la notion de « contrat avec soi-même » en
partant d’exemples précis : hypothèse du mandataire qui contracte en son nom propre avec son
mandant pour un des objets pour lesquels il a reçu mandat ; ce faisant, il signe le contrat en sa
double qualité de représentant du mandant et en son nom propre. Est également cité l’exemple
d’une personne qui, dans certaines circonstances, se trouve pourvue de deux patrimoines en des
qualités différentes. Toutefois cette théorie du contrat avec soi-même ne fait pas l’unanimité au
sein de la doctrine, laquelle est partagée entre partisans de sa prohibition et tenants de sa
réception par le droit civil.
La question de la possibilité, pour une personne publique, de passer un contrat avec elle-
même a fait l’objet d’une étude approfondie par M. DELCROS dans sa thèse sur l’unité de la
10 CE, avis, 08 novembre 2000, Sté Jean Louis-Bernard Consultants, concl. Bergeal, BJDCP 2001, p.111 ; RFDA 2001, p.112. Cet avis a pu être interprété comme concrétisant les développements doctrinaux qui proposaient une substitution du principe de non concurrence tel qu’il résultait de l’application traditionnelle de la liberté du commerce et de l’industrie par celui de la libre concurrence ; Madame Lombard évoquait à cet effet la quasi désuétude du principe de la liberté du commerce et de l’industrie (« A propos de la liberté de concurrence entre opérateurs publics et opérateurs privés » D.1994, chron. p.163. Voir également les conclusions de Madame Bergeal sur l’avis). Toutefois, une telle liberté, à la supposer établie, ne saurait se passer d’un minimum d’encadrement. Dans son rapport de 2002, le Conseil d’Etat précise d’ailleurs que l’avis se borne à dire qu’ « il n’y a pas une incapacité commerciale par principe ou par nature des personnes publiques » et il ajoute : « L’intervention économique des personnes publiques sur un marché ne peut être régie par le seul principe de libre concurrence. Elle doit répondre à une réelle légitimité comme tendent à le faire prévaloir les principes traditionnels, notamment celui de la liberté du commerce et de l’industrie. […] Il ne paraît pas possible de considérer qu’est légal et donc légitime tout ce qui respecte une égale concurrence, d’autant que l’égale concurrence reste une notion qui ne se vérifie pas aisément et qui est dès lors davantage de l’objectif que de la réalité objective ». Pour en savoir plus : J. Y. Chérot, Nouvelles observations sur la Régulation par le Conseil d’Etat de la concurrence entre personnes publiques et personnes privées, Mouvement du droit public, Mel. F. Moderne, 2004, p.87.
Le Contrat in house
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personnalité juridique de l’Etat11, étude commentée par M. Frédéric ROLIN dans sa thèse12.
Selon M. DELCROS, la multiplicité des services autonomes au sein de l’administration d’Etat
implique qu’existent des accords de volontés entre ces services, accords de volontés dont on
pourrait envisager qu’ils prennent la forme de contrats. A l’obstacle juridique qui consisterait
en l’impossibilité pour un même patrimoine juridique de contracter avec lui-même, l’auteur
répond qu’il ne faut pas envisager de manière trop anthropomorphique la personnalité morale
et qu’il est pertinent de la spécifier par rapport aux règles prévalant pour les personnes
physiques afin d’admettre la possibilité, pour certaines personnes morales, de contracter à
l’intérieur d’elles-mêmes. Cependant la réception de cette thèse par le droit administratif est
loin d’être acquise.
Certes, l’analyse n’est pas dépourvue de toute traduction jurisprudentielle. En témoigne la
décision du Conseil de la concurrence de 199113 ; dans cette affaire la société requérante,
évincée d’une procédure d’appel d’offres lancée par le Ministre de la Mer, conteste la légalité
de l’attribution du marché à la direction de la construction et armes navales de Lorient ; elle
soulève à ce titre la violation de l’article 7 de l’ordonnance du 1er décembre 1986. Si, en
l’espèce, le Conseil de la concurrence conclut à la compétence du juge administratif pour
statuer sur la décision d’attribution du marché, il n’a pas manqué de rappeler que le droit de la
concurrence issu de l’ordonnance de 1986 est applicable à l’Etat exerçant des activités de
nature économique, y compris lorsque ce dernier passe un contrat avec lui-même. La Cour de
cassation confirma cette analyse14.
Mais le Conseil d’Etat, dans un avis déjà bien ancien, a clairement exclu l’idée du contrat
avec soi-même : « [Considérant] que la poudrerie nationale de Pont-de-Buis n’a pas de
personnalité distincte de celle de l’Etat ; qu’elle est juridiquement un service d’Etat dépendant
du ministère de la défense nationale ; que dans ces conditions, (…), elle ne peut passer un
contrat avec l’Etat et, par voie de conséquence, elle ne peut être admise à soumissionner à des
11 B. DELCROS, L’unité de la personnalité juridique de l’Etat (étude sur les services non personnalisés de l’Etat), thèse LGDJ 1976, spec, p. 83 à 109. 12 F. ROLIN, Accord de volontés et Contrat entre personnes publiques, thèse multig., ParisII, 1997, spec, p. 350 à 365. 13 Conseil de la concurrence, 29 mai 1991, Décision n° 91-D-25. 14 Cass. Comm. 14 décembre 1993, Bull. IV. n° 482
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appels d’offres pour les fournitures destinées à l’administration des PTT »15. Le Conseil pose
ainsi la condition de l’altérité comme un élément sine qua non de l’existence d’un contrat.
Au contentieux, l’arrêt Unipain peut être considéré comme une véritable référence en ce
sens qu’il est systématiquement cité par les auteurs dès lors qu’il s’agit d’illustrer le fait que le
droit français connaissait le in house ou, à tout le moins, une forme de in house avant même
que le juge communautaire n’en fasse une création prétorienne. En l’espèce une requête est
formée par la société Unipain en vue d’obtenir l’interdiction aux services des subsistances
militaires la fourniture de pain à certains établissements pénitentiaires. Dans un considérant de
principe, le Conseil d’Etat statue en ces termes : « (...) le principe de la liberté du commerce et
de l’industrie ne fait pas obstacle à ce que l’Etat satisfasse, par ses propres moyens, aux
besoins de ses services ; (…) l’extension des fournitures de pain par la boulangerie militaire à
des établissements pénitentiaires, motivée par des raisons d’économie, est conforme à l’intérêt
général »16. Sur la question du contrat avec soi-même, le Conseil d’Etat ne prend pas de
position explicite dans un sens ou dans un autre. Mais il semblerait, selon l’analyse de M.
ROLIN, qu’en reconnaissant à l’Etat la possibilité de répondre à ses besoins par ses propres
moyens, le juge ait admis simplement que « des services de l’Etat puissent tisser entre eux des
relations, mais celles-ci ne sont pas contractuelles » ; et, pour conclure, l’auteur estime que
malgré « les critiques dont il est l’objet, le principe de la liaison de la personnalité morale et
de la capacité de contracter trouve une justification essentielle dans le fait que seules deux
entités différentes sont susceptibles d’avoir deux volontés effectivement différentes ne se
subsumant pas dans une volonté supérieure, qui leur permettent de passer des contrats. »17
Trente ans après les travaux de M. DELCROS, les choses semblent quelque peu avoir
évolué ; les personnes publiques externalisent de plus en plus leurs services ; ce démembrement
de l’organisation administrative des collectivités publiques est guidé par un souci d’efficacité et
de souplesse de gestion. Lesdites collectivités confient de plus en plus des opérations à des
organes qui leur sont plus ou moins liés et qui, assez généralement, disposent d’une
personnalité juridique propre. La question n’est donc plus fondamentalement de rechercher si
l’organe concerné dispose d’une personnalité propre pour déterminer s’il peut exister un
contrat, le problème ne se posant pas, mais d’analyser le degré d’autonomie dont dispose
15 CE, section des travaux publics, 06 mai 1958, n° 274-337. 16 Arrêt précité, CE, 29 avril 1970, Société Unipain, rec., p. 280. 17 F. ROLIN, préc.
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l’organe dans sa relation avec la collectivité publique. Le but est de déterminer si la condition
d’altérité, c’est-à-dire d’existence de deux personnes distinctes aussi bien en droit qu’en fait,
est remplie pour que puissent être mises en œuvre les formalités de passation des marchés
publics. Telle est la logique actuelle du in house, règle consacrée par le juge communautaire.
Les bases du régime du contrat in house
Il semblerait que la notion ait d’abord été utilisée par la Commission qui se proposait « de
clarifier notamment (…) les marchés in house » dans sa communication du 11 mars 199818.
Mais ce sont plus particulièrement les avocats généraux qui s’emploieront à donner corps à la
notion19.
Ainsi, dans l’affaire BFI Holding, deux communes néerlandaises avaient-elles décidé de
confier l’activité de collecte et de traitement des ordures à une société anonyme, ARA, qu’elles
avaient créée à cet effet. L’attribution du marché avait été bien sûr effectuée sans procédure de
mise en concurrence, d’où le litige devant le juge communautaire. Dans ses conclusions, M.
l’avocat général La Pergola formule des observations édifiantes : « La survie d’ARA,
remarque-t-il, du point de vue économique, ne dépend en substance, pas tant du volume des
opérations de collecte et de traitement des ordures réalisées, ni de l’efficacité avec laquelle
elle gère ces services, qu’exclusivement de la volonté des communes d’affecter à ARA des
ressources financières appropriées par le biais d’un transfert de fonds budgétaires et de la
fixation à un niveau acceptable des tarifs pour les services fournis. » Les communes
exerceraient donc, selon ses propres termes, « un droit de vie et de mort » sur la société. Il en
découle que la « création d’ARA en lui confiant les tâches accomplies auparavant par les
communes répond (…) à l’intention de regrouper les services en question, plutôt que de les
confier à un tiers et les soustraire ainsi au domaine de compétence des communes ». Au terme
de l’analyse, l’avocat général estime qu’ARA n’a pas une qualité de tiers par rapport aux
18 Les marchés publics dans l’Union européenne, COM (1998) 143 final, 11 mars 1998, JOCE, 29 mai 1999, n° C 150, p. 64. 19 Pour l’emploi de l’expression par la doctrine, voir par exemple Joël Arnould, Les contrats de concession, de privatisation et de service « in house » au regard des règles communautaires, RFDA 2000, p. 2 : l’auteur utilise l’expression « service in house » qu’il définit comme « les mécanismes par lesquels les entités administratives, relevant ou non de la même personne morale, passent entre elles des contrats ou des accords d’un type particulier pour la fourniture de certains services »
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communes et que la situation correspond « à une forme de délégation interorganique »20.
Ainsi, sans même utiliser l’expression in house, ces conclusions ont-elles apporté des éléments
appréciables d’appréhension de la notion.
La configuration de l’affaire RI.SAN Srl, elle, est un peu plus compliquée. En l’espèce,
une commune a décidé de constituer une société anonyme, Ischia Ambiente SpA, avec une
société étatique de financement, GEPI SpA. La commune détient 51% du capital et GEPI SpA
49%, sachant que cette dernière est entièrement détenue par l’Etat italien. La société ainsi
constituée se voit confier la collecte des déchets urbains solides de la commune. Dans ses
conclusions, l’avocat général Albert retient une vision globale du contrôle public en estimant
que « la situation (…) se présente de la même manière que si l’Etat italien avait mis
directement à disposition de la commune d’Ischia les moyens financiers lui permettant de
fonder à elle seule cette société ». Et au bout de son raisonnement, il préconise une
qualification de « délégation interne à l’administration »21.
Enfin, dans la décision Teckal Srl, une commune a confié la gestion des installations de
chauffage de certains bâtiments communaux et la fourniture des combustibles nécessaires à
l’AGAC, un groupement de communes. Dans ses conclusions, l’avocat général COSMAS
précise que « si une commune, dans le cadre d’une meilleure organisation interne de ses
services, attribuait la fourniture à l’un de ses services, cela signifierait que nous sommes en
présence d’une forme de délégation interne, qui ne sort pas du cadre de ses structures
administratives propres ». Toutefois, constate-t-il, la participation de la commune à
l’assemblée du groupement ne s’élève qu’à hauteur de 0,9% ; il s’ensuit que ce dernier, dans sa
relation avec la commune, ne peut être assimilé à un organe interne22.
Se conformant aux conclusions de l’avocat général dans l’affaire précitée, la Cour de
justice, dans un énoncé de principe, consacre l’exception in house en esquissant, sinon une
définition, du moins des critères d’identification : pour qu’il y ait marché public, affirme-t-elle,
« il suffit, en principe, que le marché ait été conclu entre, d’une part, une collectivité
s20 CJCE, 10 novembre 1998, Gemeente Arnhem et Gemeente Rheden contre BFI Holding BV, aff C-360/96, avec les conclusions de l’avocat général Antonio La Pergola. 21 CJCE, 09 septembre 1999, RISAN contre commune d’Ischia, aff C-108/98, avec les conclusions de l’avocat général M. Siegbert Alber. 22 CJCE, 18 novembre 1999, Teckal Srl contre commune di Viano et AGAC, aff C-107/98, avec les conclusions de l’avocat général M. Georges Cosmas.
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territoriale et, d’autre part, une personne juridiquement distincte de cette dernière. Il ne peut
en aller autrement que dans l’hypothèse où, à la fois, la collectivité territoriale exerce sur la
personne en cause un contrôle analogue à celui qu’elle exerce sur ses propres services et où
cette personne réalise l’essentiel de son activité avec la ou les collectivités qui la détiennent. »
S’il ne se retrouve pas transcrit dans les directives de 2004, le in house a été repris dans les
codes français des marchés publics dont le tout nouveau qui dispose dans son article 3-1° que
les dispositions du code ne sont pas applicables aux « accords-cadres et marchés conclus entre
un pouvoir adjudicateur et un cocontractant sur lequel il exerce un contrôle comparable à
celui qu’il exerce sur ses propres services et qui réalise l’essentiel de ses activités pour lui à
condition que, même si ce cocontractant n’est pas un pouvoir adjudicateur, il applique, pour
répondre à ses besoins propres, les règles de passation des marchés prévues par le présent
code ou par l’ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005 ». Au contentieux le Conseil d’Etat, dès
le début, a été mis à même de se prononcer sur la validité de l’opération de codification. Par
deux décisions d’assemblée du 5 mars 2003, il juge que le code des marchés publics (celui de
2001) a pu, sans méconnaître les objectifs de la directive en cause, exclure de son champ
d’application les contrats conclus avec un prestataire in house. Il écarte les arguments soulevés
par les requérants, en particulier celui de la non conformité au principe d’égalité auquel il
répond que même si le cocontractant « peut être une personne privée, il se trouve en raison de
son étroite subordination à la personne publique avec laquelle il passe un contrat dans une
situation différente de celle des autres personnes de droit privé qui seraient susceptibles de
passer ce contrat »23. Cette solution n’a rien de surprenant. La position traditionnelle du juge
administratif la laissait deviner. En témoigne l’arrêt Unipain précité. En témoigne également, à
titre d’exemple, l’avis du 19 novembre 1987 (n°342940), sur la légalité de l’insertion dans les
bulletins officiels des ministères des messages publicitaires et de la perception à ce titre de
rémunération. Si, en l’espèce, le Conseil d’Etat exclut cette possibilité au bénéfice des bulletins
officiels, il retient nonobstant, s’agissant des autres publications administratifs, que « le
principe de la liberté du commerce et de l’industrie ne fait pas obstacle à ce que l’Etat soit son
propre publicitaire et insère dans ses publications des messages publicitaires relatifs à ses
diverses campagnes d’information. »
23 CE, 05 mars 2003, Union nationale des services publics industriels et commerciaux (req. n°233372) et Ordre des avocats à la Cour d’Appel de Paris (req. n°238039), CMP 2003, chron.4, concl. D. PIVETEAU
Le Contrat in house
Nicolas Sagne – Master Recherche Droit Public Economique - 13 -
Il semble néanmoins qu’il faille observer une différence fondamentale entre les approches
communautaire et française de la notion de prestations intégrées. Comme l’expliquent par
exemple les professeurs Fatôme et Richer24 ou encore Me Le Mière25, le juge communautaire
fonde la notion du in house sur l’idée de contrat ; la réglementation communautaire des
marchés publics ne peut s’appliquer que s’il existe un contrat conclu entre deux personnes
effectivement distinctes. Or le propre du in house est d’identifier la situation dans laquelle
l’opérateur économique est distinct de la collectivité au plan formel mais dépend d’elle au plan
décisionnel, de telle sorte que « La théorie du in house est donc une théorie du non contrat »26.
C’est une question de détermination du champ d’application des directives-marchés. Mais pour
aller plus loin qu’un simple cas de qualification, il convient d’ajouter que le juge
communautaire ne cherche pas à s’assurer que la collectivité publique a choisi la modalité de
gestion la plus efficiente pour la satisfaction de ses besoins. La Commission n’a d’ailleurs pas
manqué de présenter la règle du in house comme étant justifiée par le principe de neutralité du
traité vis-à-vis du régime de propriété consacré par l’article 295CE27. En revanche, le droit
national érigerait la notion en exception à l’application de la réglementation des marchés
publics sur le fondement de la nature spécifique du lien entre le prestataire in house et le
pouvoir adjudicateur. Devrait-on probablement mieux comprendre alors que ce qui était
considéré comme « une sorte d’Eden »28 imperméable à la liberté de concurrence, se soit vite
réduit à un parfait mirage.
Contrat in house et problématique générale de sa mise en œuvre
Quelques précisions terminologiques s’imposent. En effet plusieurs termes ou expressions
sont employés pour désigner la même réalité : contrat in house, « contrat-maison »29, exception
in house, prestations in house, « quasi-internes », « intégrées », « exclusives », relation inter-
24 Etienne Fatôme et Laurent Richer, Procédures de passation des contrats et pouvoir d’organisation des services, C.P, ACCP, juin 2002, n° 12. 25 Alexandre Le Mière, Prestation intégrée et droit exclusif : une interprétation divergente des juges communautaire et national, 26 Fatôme et Richer, préc. 27 Livre vert sur les partenariat public-privé et le droit communautaire des marchés publics et des concessions, COM (2004) 327 final, §63. 28 Caroline Pilone, Reflexions autour de la notion de contrat « in house », Contrats Publics, Mélanges Guibal, 2006, p. 701 29 Pierre Delvolvé, « Marchés publics : ‘’contrats-maison’’ », Rev. dr. UE, 2002, p. 53
Le Contrat in house
Nicolas Sagne – Master Recherche Droit Public Economique - 14 -
organique, « quasi-régie »30. Cette dernière expression est assez prégnante en ce qu’elle permet
d’introduire une nuance par rapport à la régie qui sert à identifier la situation simple dans
laquelle le pouvoir adjudicateur répond à ses besoins en interne, c’est la prestation in house au
sens stricte. Par « quasi-régie », est alors mieux mis en évidence le cas dans lequel la personne
publique fait appel à un service externe mais qui lui demeure lié, on peut parler de situation de
quasi in house. D’un autre côté, une nuance peut être apportée au terme « prestations » car il est
loisible de dire qu’en l’occurrence il s’agit moins de prestation que de prestataire ou, plus
exactement, du lien préexistent entre le pouvoir adjudicateur et le prestataire, lequel lien
légitime l’exclusion des règles de concurrence au moment de l’attribution du marché.
La formule contrat in house (en français, contrat-maison) a retenu notre faveur pour
l’intitulé de ce présent travail de recherche. A notre sens, elle matérialise parfaitement la
situation à la fois de dépendance et d’autonomie du prestataire par l’association des termes
« contrat » et « in house ». En effet, la relation entre la personne publique et son prestataire in
house doit faire l’objet d’une convention par laquelle sont définis la nature et l’objet des
missions à réaliser, prévues éventuellement les conditions de la rémunération ; ce sont là les
termes d’un contrat synallagmatique fait de droit et d’obligations réciproques31. Et puisqu’il ne
s’agit pas d’un marché, un tel contrat associant une personne publique et un prestataire serait,
pour reprendre la qualification proposée par M. Yves-René Guillou, « un contrat public sui
generis néanmoins soumis au régime général des contrats publics »32.
Le contrat in house revêt donc une nature singulière. Cette singularité est due à sa vocation
de constituer un îlot inaccessible aux règles de concurrence dans la mesure où celles-ci n’y
30 Laurent Richer, « Droit des marchés publics », collectif, éditions Le Moniteur, II. 200-1, avril 2005, p. 4. 31Article 1101C.Civ : « Le contrat est une convention par laquelle une ou plusieurs personnes s’obligent, envers une ou plusieurs autres, à donner, à faire ou à ne pas faire quelque chose » 1102C.Civ : « Le contrat est synallagmatique ou bilatéral lorsque les contractants s’obligent réciproquement les uns envers les autres » 32 Yves-René Guillou, L’exonération des relations « in house » du régime des marchés publics, CP-ACCP, n° 32, p. 72, avril 2004 ; l’auteur ajoute : « C’est un point cardinal du régime du « in house », dans la mesure où l’application de ce régime n’exonère pas les parties de toute obligation en ce qui concerne la passation du contrat les liant. Cela implique notamment, à la différence de l’exécution d’une prestation en régie, une « plasticité » des obligations des parties liée au fait qu’il y a nécessité d’un contrat à chaque « marché » passé par la personne publique auprès de son prestataire en situation de « in house ». (…) Cette obligation démontre le caractère a priori non systémique de la relation in house ».
Le Contrat in house
Nicolas Sagne – Master Recherche Droit Public Economique - 15 -
auraient pas leur raison d’être. Cet îlot s’étend à la totalité des marchés publics33 et également
aux concessions34
Toutefois comment le contrat-maison est-il appliqué ? Quelle réalité concrète traduit-il ? A
ces interrogations, la tentation est assez forte de répondre par le célèbre adage latin :
« Parturiunt montes, nascetur ridiculus mus »35. Mais il serait plus avisé de se garder d’un tel
diagnostic. En effet, il ne faut pas perdre de vue la création prétorienne de l’exemption in
house, le silence du législateur communautaire qui n’a pas, selon toutes vraisemblances, jugé
nécessaire de figer le in house dans les directives de 2004. A cela s’ajoute le spectre des
collectivités publiques considérant le contrat-maison comme une véritable aubaine à exploiter
de manière optimale, au besoin par des montages purement artificiels. Ce bref tableau appelle
donc une certaine réserve motivée par le souci de présenter la situation du in house dans une
perspective holistique.
Il est indiscutable que la CJCE a donné une interprétation très étroite du contrat in house.
Et s’il découle d’une règle élémentaire du droit que l’exception à un principe doit toujours être
d’interprétation stricte, sauf à vouloir priver de tout effet utile ce dernier36, la démarche adoptée
par la Cour dans une succession d’arrêts est sans doute allée bien au-delà du simple respect de
cette règle de base, à un point tel que la plupart des auteurs se sont interrogés sur l’utilité de
l’exception. A titre d’exemple, Mme Caroline PILONE évoque une « déconstruction »37 de la
notion et les Professeurs François LLORENS et Pierre SOLER-COUTEAUX donnent
l’analyse suivante, en parlant de l’espoir que le in house avait fait naître dans le chef des
personnes publiques : « Comme si elle craignait d’avoir ouvert la boîte de Pandore, la Cour a
tué cet espoir dans l’œuf »38.
33 En effet dans l’arrêt Teckal, la Cour reconnaît que le in house peut jouer pour l’application de la directive sur les marchés de fournitures, ensuite elle étend le champ d’application de l’exception aux marchés de services (CJCE, 11 janvier 2005, Stadt halle, aff C-26/03) et aux marchés publics de travaux (CJCE, 13 janvier 2005, Commission c/ Espagne,aff C-84/03) 34 Voir CJCE, 21 juillet 2005, Coname, aff C-231/03 35 signifie : les montagnes sont en travail, il en naîtra une souris ridicule. 36 Voir, à titre d’exemple, l’arrêt CJCE, 10 juillet 1984, Campus Oil c/ Ministre de l’énergie, aff C-72/83 37 C. Pilone, Réflexions autour de la notion de contrat « in house », Contrats Publics, Mélanges GUIBAL, 2006, p.701. 38 françois Llorens & Pierre Soler-Couteaux, Où en est-on du in house ?, CMP, mai 2006, n°5, p.1
Le Contrat in house
Nicolas Sagne – Master Recherche Droit Public Economique - 16 -
Par conséquent, évoquer un assouplissement de cette nouvelle catégorie de relations
contractuelles n’est pas inopportune, et pour cause ! Le Conseil d’Etat lui-même, dans son
rapport public pour 2002, (Collectivités publiques et concurrence), reconnaît que la voie du in
house est très étroite et préconise l’assouplissement de ses conditions de mise en oeuvre. Un tel
vœu doit néanmoins être considéré au regard de la place centrale qu’occupent les règles de
concurrence dans l’ordre juridique communautaire, c’est-à-dire correspondre toujours à la
situation dans laquelle il n’y aurait aucune raison d’appliquer lesdites règles parce que le lien
avec l’opérateur économique serait assimilable à une technique de gestion par la collectivité
publique de ses services. Or la forte élasticité du droit de la concurrence ne rend pas simple
l’appréciation du in house. Autrement dit, penser celui-ci dans le sens d’un élargissement de
son champ d’application reste délicat eu égard aux effets potentiellement restrictifs de
concurrence. D’un autre côté, le droit de la concurrence n’est pas une fin en soi ; il doit être, à
l’occasion, concilié avec d’autres intérêts légitimes dont l’autonomie organisationnelle des
personnes publiques. C’est toute la problématique du contrat in house : lui donner un effet utile
en permettant sa mise en oeuvre mais toujours dans le cadre d’une stricte nécessité, ce qui
suppose une réelle fermeté de la part du juge à l’endroit des pouvoirs adjudicateurs qui ont
nourri trop d’illusions à cet égard.
Les développements qui suivent s’attacheront donc, en toute logique, d’une part, à illustrer
l’option d’interprétation très restrictive des critères du contrat-maison arrêtée par le juge et,
d’autre part, à étudier sa portée, c’est-à-dire la problématique de son assouplissement
qu’appellent ses répercussions sur les structures de la sphère publique. Ces développements
s’articuleront en ces termes : le contrat in house, une notion étroitement conçue (chapitre
premier) ; la portée de la notion de contrat in house (second chapitre).
Le Contrat in house
Nicolas Sagne – Master Recherche Droit Public Economique - 17 -
Chapitre I : L’exception in house, une notion étroitement conçue
Rappelons que la jurisprudence Teckal qualifie le contrat liant le pouvoir adjudicateur au
prestataire de services de in house seulement « dans l’hypothèse où, à la fois, la collectivité
territoriale exerce sur la personne en cause un contrôle analogue à celui qu’elle exerce sur ses
propres services et où cette personne réalise l’essentiel de son activité avec la ou les
collectivités qui la détiennent ». Ainsi, la notion de contrat de prestations intégrées traduit-elle
la mutation du service public. Plus précisément, elle a été pensée comme étant de nature à
concrétiser juridiquement la réalité de l’interpénétration inexorable de la sphère publique et de
la sphère économique, laquelle se traduit par de nouveaux systèmes organisationnels des
personnes publiques. L’externalisation des services publics illustre sans doute de la manière la
plus éloquente ces formes d’adaptation de la sphère publique aux exigences mouvantes du
champ économique.
Alors que l’exception in house était encore dans les langes, il a semblé loisible de lui
donner une interprétation suffisamment large pour prendre en compte cette mutation du service
public. Dans l’affaire ARGE39qui concernait une procédure autrichienne ayant pour objet la
passation de marchés portant sur le prélèvement et l’analyse d’échantillons d’eau provenant de
lacs et de fleuves, était posée à la Cour une question préjudicielle sur l’applicabilité du in
house. Or était en cause une société détenue à 50,5% par la République autrichienne, les 49,5%
appartenant à des entreprises privées. En l’espèce, la Cour s’est contentée d’un renvoi à sa
décision Teckal. Aussi a-t-il pu en être raisonnablement déduit que le juge n’a pas entendu
exclure, par principe, les hypothèses de prises de participations majoritaires de personnes
publiques dans le capital social d’entreprises. Dans cette optique, il va sans dire qu’était
ouverte la voie à une interprétation de l’exception assez conséquente.
Toutefois, à l’euphorie du départ, succèdera vite un grand désenchantement car la CJCE
n’a pas tardé à manifester sa volonté de donner une interprétation des plus restrictives à la
notion dans sa mise en œuvre de l’arrêt Teckal (première section) rendant ainsi bien difficile
39 CJCE, 07 décembre 2000, ARGE Gewässerschutz, aff C-94/99
Le Contrat in house
Nicolas Sagne – Master Recherche Droit Public Economique - 18 -
l’identification du contrat in house (deuxième section).
Le Contrat in house
Nicolas Sagne – Master Recherche Droit Public Economique - 19 -
Section I : La mise en œuvre de l’arrêt Teckal
Les critères Teckal ne suffisent pas par eux-mêmes à donner une vision exacte de
l’exemption in house. D’ailleurs l’avocat général M. Philippe LEGER, dans ses conclusions sur
l’affaire ARGE précitée, remarque qu’on peut « regretter le manque de précision dont
souffrent ces critères » ; il ajoute que la «nature du contrôle exercée par une collectivité sur un
organisme juridiquement distinct ou le niveau à partir duquel on est en droit de considérer qu
celui-ci réalise l’essentiel de son activité avec l’autorité publique dont il dépend, en
particulier, peuvent susciter de sérieuses hésitations. »
A partir de l’année 2005 se multiplieront les litiges tranchés par la Cour et dans lesquels
les requérants soutenaient ou contestaient la possibilité de bénéficier de l’exception. C’est dans
ce contexte que le juge a eu l’occasion -ou devrait-on plutôt dire a été mis dans l’obligation- de
lui apporter des précisions supplémentaires.
A titre préliminaire, il convient de préciser que le in house au sens strict, c’est-à-dire visant
la situation dans laquelle la collectivité publique satisfait ses besoins par ses propres services,
ne pose pas de difficulté particulière de mise en œuvre. En réalité, les critères Teckal servent à
identifier une autre hypothèse, déjà énoncée dans nos précédents développements, qu’on peut
dénommer quasi in house et par laquelle le juge communautaire exclut de la réglementation des
marchés publics les prestataires en position de dépendance par rapport au pouvoir adjudicateur
mais sans que cette dépendance corresponde à celle de ses services. C’est pourquoi le in house
au sens Teckal suppose que le prestataire soit juridiquement différencié de la personne
publique ; ce qui, ici aussi, ne soulève aucune complication particulière car il suffit juste de
donner audit prestataire une personnalité juridique propre. En revanche la véritable pierre
d’achoppement réside dans l’appréciation de la condition de contrôle analogue (I) et d’exercice
de l’essentiel de l’activité (II).
Le Contrat in house
Nicolas Sagne – Master Recherche Droit Public Economique - 20 -
I~ Le critère du contrôle analogue
Ce critère a eu la primeur des débats sur l’étendue exacte de l’exemption. Les arrêts Stadt
Halle, Coname et Parking Brixen ont contribué à en améliorer les contours40.
A/ L’exception in house : les solutions apportées par les arrêts de 2005
Avant d’examiner le contenu proprement dit des décisions de 2005, un bref rappel des
différents contextes factuels s’impose.
1- Le contexte factuel des arrêts de 2005
Tout d’abord, les faits dans l’affaire Stadt Halle41 sont relatifs à un projet de traitement
préalable, de valorisation et d’élimination des déchets initié par la ville de Halle (Allemagne).
L’élaboration du projet fut attribuée à la société RPL Lochau sans engagement formel d’une
procédure de passation de marché ; en même temps des négociations sont engagées avec elle,
sans mise en concurrence préalable, en vue de la conclusion d’un contrat relatif à l’évacuation
des déchets urbains résiduels. RPL Lochau est une société à responsabilité limitée, de
participation du secteur public, détenue par une entreprise privée à hauteur de 24,9% et à
hauteur de 75,1% par la filiale d’une société appartenant à 100% à la ville de Halle. TREA
Leuna, une entreprise intéressée par les mêmes prestations, cherchant à obliger la ville à
procéder à un appel d’offres public, saisit le juge allemand. En l’occurrence, il s’agissait
essentiellement de savoir si pouvait être retenue la qualification d’ « opération interne »
soulevée par la ville au soutien de l’absence de procédure formelle de passation de marché.
40 En effet les critères de l’arrêt Teckal ont été confirmés dans l’arrêt ARGE du 07 décembre 2000 (aff. C-94/99) et dans un arrêt Espagne c/ Commission du 08 mai 2003 (aff. C-349/97). Néanmoins la Cour y rappelle les conditions de contrôle analogue et de l’essentiel de l’activité sans les préciser outre mesure. 41 CJCE, 11 janvier 2005, Stadt Halle, RPL Recyclingpark Lochau GmBH Arbeitsgemeinschaft Thermische Restabfall- und Energieverwertungsanlage TREA Leuna, aff. C-26/03, avec les conclusions de l’avocat général Mme Christine STIX-HACKL, (CP-ACCP, 2005, n°42, p.45, note Capitant D.; AJDA, 2005, p.899, note Rolin F. ; BJCP, 2005/40, p.180, note Maugüe C. ; CMP, 2005, n°68, note Eckert G. ; Droit administratif, 2005, comm.36, note Alonso Garcia A. et Mailliard A)
Le Contrat in house
Nicolas Sagne – Master Recherche Droit Public Economique - 21 -
Le contexte de la décision Coname42, quant à elle, concerne un litige opposant la commune
di Cingia de’ Botti (Italie) à la société Consorzio Aziende Metano (Coname), laquelle avait été
chargée du service portant sur l’entretien, la direction et la surveillance du réseau de gaz
méthane jusqu’au 31 décembre 2000. A partir de cette date, en effet, une délibération de la
commune avait décidé que le service serait confié à Padania, société à capitaux majoritairement
publics détenus par un groupement de communes dont celle di Cingia de’Botti qui participait
dans le capital social à hauteur de 0,97%. C’est cette délibération qui fut déférée au juge italien
au motif que les caractéristiques de la gestion in house n’étaient pas présentes et donc que
l’attribution dudit service aurait dû faire l’objet d’un appel d’offres.
Enfin, dans l’arrêt Parking Brixen43, la commune de Brixen, en application de la loi
italienne, avait créé une entreprise spéciale (Stadtwerke Brixen) chargée de la gestion de
services publics locaux, laquelle fut transformée par la suite en société par actions dénommée
Stadtwerke Brixen AG. Celle-ci s’est vue confier par la commune, sans procédure d’appel
d’offres préalable, l’exploitation de deux parcs de stationnement publics payants. La société
privée Parking Brixen GmBH a introduit un recours contre cette décision. A côté de
l’intéressante question relative à la délimitation entre concessions publiques de services et
marchés publics de services, la Cour devait, en l’espèce, se prononcer également sur la
distinction entre les marchés classiques soumis à une obligation de publicité et de mise en
concurrence préalable et les marchés in house non soumis à cette obligation.
1- Le contenu des décisions du juge communautaire
Concernant les décisions de la Cour de Justice proprement dites, dans la première affaire,
après avoir rappelé les dispositions Teckal, le juge communautaire tranche selon une
formulation lourde de conséquence : « la participation, fût-elle minoritaire, d’une entreprise
privée dans le capital d’une société à laquelle participe également le pouvoir adjudicateur en
cause exclut en tout état de cause que ce pouvoir adjudicateur puisse exercer sur cette société
42 CJCE, 21 juillet 2005, Consorzio Aziende Metano (Coname) c/ commune di Cingia de’ Botti, aff. C-231/03, avec les conclusions de l’avocat général Mme Christine STIX-HACKL, (CMP, n°280, note Zimmer S. ; CP-ACCP, 2005, n°50, p.65, note Richer L. ; AJDA, p.2340, chr. Broussy E., Donnat F. et Lambert C.). 43 CJCE, 13 octobre 2005, Parking Brixen GmBH c/ Gemeinde Brixen, Stadtwerke Brixen AG, aff. C-458/03, avec les conclusions de l’avocat général Mme Juliane KOKOTT, (CMP, 2005, n°306, note Eckert G.)
Le Contrat in house
Nicolas Sagne – Master Recherche Droit Public Economique - 22 -
un contrôle analogue à celui qu’il exerce sur ses propres services. » Au soutien d’une telle
solution, il avance l’idée d’une incompatibilité de principe entre, d’une part, l’intérêt public qui
régit les rapports entre l’autorité publique et ses services et, d’autre part, l’intérêt privé qui
gouverne l’action des entreprises privées et d’une nature totalement différente. Par ailleurs,
ajoute-t-il, et toujours dans le même ordre d’idées : « l’attribution d’un marché public à une
entreprise d’économie mixte sans appel à la concurrence porterait atteinte à l’objectif de
concurrence libre et non faussée et au principe d’égalité de traitement (…) dans la mesure où,
notamment, une telle procédure offrirait à une entreprise privée présente dans le capital de
cette entreprise un avantage par rapport à ses concurrents. » Autrement dit, et de manière plus
simple, les règles de concurrence s’opposent à ce qu’un marché public soit attribué à une
entreprise dans laquelle participe une personne privée. Par voie de conséquence, les sociétés
d’économie mixte sont exclues du bénéfice de l’exemption in house. Pourtant, l’avocat général
Mme STIX-HACKL, dans ses conclusions, préconisait une issue moins sentencieuse. Il
ressortait en effet de ses développements que l’appréciation devait se faire in concreto en
tenant en compte la situation de l’associé majoritaire au regard des dispositions pertinentes du
droit national ainsi que les textes qui aménagent le contrat de société afin de déterminer si
l’associé majoritaire exerce sur l’entreprise un contrôle suffisamment fort pour être qualifié de
contrôle analogue au sens de la jurisprudence Teckal. A l’appui de son raisonnement, elle citait
l’avocat général M. LEGER, dans ses conclusions sur l’affaire ARGE déjà citée, qui avait
considéré l’exception in house comme applicable même pour une participation qui n’était que
de 50,5%.
A propos ensuite de l’arrêt Coname, la CJCE y étend le bénéfice du contrat-maison aux
concessions. Elle confirme la voie arrêtée par la décision Stadt Halle en jugeant que « Padiana
constitue une société qui est ouverte, au moins en partie, au capital privé, ce qui empêche de la
considérer comme une structure de gestion « interne » d’un service public dans le chef des
communes qui en font partie » et que, dans ces conditions, « Les articles 43 CE et 49 CE
s’opposent (…) à l’attribution directe par une commune d’une concession relative à la gestion
du service public de distribution du gaz à une société à capitaux majoritairement publics et
dont ladite commune détient une participation dans le capital à hauteur de 0,97% ». Vu la
faiblesse d’une telle participation la position de la Cour n’appelle pas d’amples commentaires,
du moins en ce qui concerne spécifiquement l’existence ou l’absence du contrôle analogue. En
revanche, et de manière plus générale, elle pose la délicate question, que nous aborderons dans
le détail un peu plus loin dans nos développements, du regroupement des collectivités
Le Contrat in house
Nicolas Sagne – Master Recherche Droit Public Economique - 23 -
publiques en vue de la gestion d’une activité par le biais d’une structure commune. Dans ces
circonstances en effet, la qualification de relation in house est loin d’être évidente pour la
détermination ponctuelle du rapport entre une collectivité membre prise individuellement et la
structure de gestion de l’activité. Sera également analysée plus loin l’application faite du droit
primaire aux marchés publics et aux concessions qui n’allait pas de soi prima facie et qui est
largement étudiée en l’espèce par l’avocat général Mme STIX-HACKL.
Enfin le juge communautaire, dans l’affaire Parking Brixen, confirme la pertinence des
contrats de prestations intégrées dans le domaine des concessions ainsi que l’analyse des
exigences inhérentes à la passation des contrats publics sur le fondement du droit primaire. En
l’occurrence, juge la Cour, la nécessaire interprétation stricte des conditions Teckal, en
particulier celle du contrôle analogue, s’oppose à ce qu’une société bénéficie de l’exemption du
seul fait de la détention de son capital à 100% par la personne publique. Il convient, dit-elle,
d’effectuer un examen concret du cas d’espèce duquel doit résulter que « l’entité
concessionnaire en question est soumise à un contrôle permettant à l’autorité publique
concédante d’influencer les décisions de ladite entité », sachant qu’il « doit s’agir d’une
possibilité d’influence déterminante tant sur les objectifs stratégiques que sur les décisions
importantes. » Dans le cas sous examen, et au terme de son raisonnement, elle conclut que la
société a acquis une vocation de marché et que son conseil d’administration dispose d’amples
pouvoirs de nature à fortement atténuer le rapport de dépendance qui existait entre la commune
et l’entreprise spéciale avant sa transformation en société de droit commun. Parallèlement à
cette position jurisprudentielle, il est toujours édifiant de mentionner celle, sinon opposée, du
moins fortement plus nuancée des avocats généraux. Ainsi, pour cette affaire Parking Brixen,
l’avocat général Mme Julianne KOKOTT retient-elle, en ce qui concerne la vocation de
marché, que « l’obligation légale d’ouvrir le capital d’une société, dans un certain délai, à la
participation de tiers ne suffit pas, seule, à exclure que le pouvoir adjudicateur exerce sur cette
société un contrôle analogue à celui qu’il exerce sur ses propres services ». S’agissant des
pouvoirs importants de gestion dont disposerait la société par le biais notamment de son conseil
d’administration, il faudrait, selon elle, établir une distinction entre ses relations extérieures
avec d’autres opérateurs et ses rapports internes avec la commune ; c’est seulement dans la
deuxième hypothèse qu’il sera pertinent de vérifier que lesdits pouvoirs ne sont pas de nature à
compromettre ou à diluer le lien de dépendance à l’égard de la collectivité publique.
En définitive, ces trois arrêts révèlent fort bien la ligne jurisprudentielle de la Cour à
Le Contrat in house
Nicolas Sagne – Master Recherche Droit Public Economique - 24 -
propos de la mise en œuvre du contrat in house. La non concordance des approches respectives
du juge et des avocats généraux, comme le montrent les précédents développements, témoigne,
de prime abord, du caractère probablement contestable des solutions retenues ci-haut.
B/ Les méthodes juridictionnelles d’appréciation du contrôle analogue
Empruntons à M. Marco GIORELLO la définition qu’il donne des modalités d’approche
du juge : D’une part l’analyse structurelle qui consiste dans « l’examen détaillé des mécanismes
de fonctionnement de l’entité contrôlée, et en particulier de ses organes, dans le but de vérifier
si, et dans quelle mesure, leurs décisions sont influencées par le pouvoir adjudicateur »,
d’autre part l’analyse téléologique qui permet d’examiner « les objectifs poursuivis par l’entité
contrôlée dans le but de vérifier s’ils coïncident avec les finalités publiques propres de
l’autorité qui la détient »44
1- Analyse structurelle et téléologique du contrôle analogue
La démarche de la Cour de Justice est purement fonctionnelle. De toute évidence, la notion
de in house telle que prévue par la décision Teckal n’en commandait pas une autre.
L’autonomie juridique du prestataire consacrée par une personnalité juridique propre
n’implique pas nécessairement qu’il dispose d’une véritable autonomie décisionnelle. La
méthode d’appréciation du juge consiste donc à vérifier le degré d’autonomie dont bénéficie ce
prestataire. Si cette autonomie est insignifiante, alors la condition du contrôle analogue sera
considérée comme remplie. Il convient de remarquer que le procédé ainsi décrit confie, à n’en
pas douter, une large marge de manœuvre au juge qui a décidé, pour la première fois dans
l’affaire Parking Brixen, d’esquisser une définition positive de la notion de contrôle analogue
en ces termes : « Il doit s’agir d’une possibilité d’influence déterminante tant sur les objectifs
stratégiques que sur les décisions importantes ». Autant admettre d’emblée que cela suppose
une analyse factuelle qui renvoie toujours à cette marge de manœuvre déjà évoquée.
44 Marco GIORELLO, Gestion in house, entreprises publiques et marchés publics : la Cour de justice au croisement des chemins du marché intérieur et des services d’intérêt économique général, Revue du Droit de l’Union Européenne, 01/01/2006, n°1, p.23-50.
Le Contrat in house
Nicolas Sagne – Master Recherche Droit Public Economique - 25 -
Sur le fondement d’une approche structurelle, la Cour a pu, de ce fait, rejeter l’idée qu’une
entreprise détenue à 100% par l’autorité publique doive être, en tout état de cause, considérée
comme une entité in house. L’exemple de l’affaire Parking Brixen en montre l’intérêt. Le juge
communautaire y observe que le conseil d’administration de la Stadtwerke Brixen AG
bénéficie de pouvoirs importants de gestion puisqu’il « dispose de la faculté de prendre tout
acte qu’il juge nécessaire à la réalisation de l’objet de la société ». Il peut également constituer
des sûretés jusqu’à concurrence de cinq millions d’euros ou réaliser d’autres opérations sans
accord préalable de l’assemblée des associés. Par ailleurs le contrôle exercé par la commune ne
se limiterait, pour l’essentiel, qu’à la latitude que le droit des sociétés reconnaît à la majorité
des associés. A partir de cet ensemble factuel, la solution de la Cour peut, à notre sens, se
comprendre parfaitement car, selon toutes vraisemblances, rien ne s’oppose à ce que soient
prévus dans les statuts de la société des modalités de fonctionnement qui ont pour but ou pour
effet d’accorder une large autonomie de gestion et d’action par rapport à l’associé unique, en
l’occurrence, la collectivité publique.
L’approche structurelle est renforcée par une approche téléologique illustrée aussi bien par
l’arrêt Stadt Halle (confirmé sur ce point par l’arrêt Coname) que par l’arrêt Parking Brixen.
Dans le premier, rappelons le, le juge exclut de manière catégorique les entreprises d’économie
mixte du bénéfice de l’exemption in house. Il y aurait une contradiction entre les intérêts
publics et les intérêts privés rendant impossible, en tous cas pour l’application de l’exemption,
la détention commune du capital d’une société par des personnes publiques et des personnes
privées, quelque minime soit la participation de celles-ci par rapport à celles-là ; une
interdiction d’autant plus justifiée aux yeux du juge qu’elle répond à un souci de conformité
aux règles de concurrences d’une manière générale et au principe d’égalité en particulier car,
autrement, la personne privée disposerait d’un avantage concurrentiel injustifié par rapport à
ses concurrents. L’analyse téléologique vise donc à identifier les objectifs de l’entité contrôlée
et à s’assurer qu’ils sont conformes à ceux de l’autorité publique. D’ailleurs, les circonstances
particulières de l’affaire Mödling en caractérisent parfaitement l’importance. En l’espèce, la
CJCE condamne une construction artificielle par laquelle une commune autrichienne a entendu
attribuer sans appel d’offres un marché public de service relatif à l’élimination des déchets. La
manœuvre consistait à confier le contrat à titre exclusif et pour une durée indéterminée à une
société détenue à 100% par la ville de Mödling, sachant que, juste après la conclusion du
Le Contrat in house
Nicolas Sagne – Master Recherche Droit Public Economique - 26 -
contrat, cette société serait cédée à proportion de 49% à une entreprise privée45. Dans le
deuxième arrêt, le juge de Luxembourg observe que la société a acquis une vocation de marché
rendant précaire le contrôle de la commune. Militent en faveur de ce constat l’élargissement de
l’objet social de la société, l’ouverture obligatoire, à court terme, à d’autres capitaux,
l’expansion territoriale de ses activités et les amples pouvoirs du conseil d’administration. Il
déduit de tous ces éléments que la poursuite d’objectifs répondant à une mission commerciale
ne coïncide pas avec les objectifs propres à l’action d’une collectivité publique.
Naturellement, il faut remarquer que les deux modalités d’approches du juge dans
l’appréciation du contrôle analogue ne sont pas forcement exclusives l’une de l’autre. En effet,
dans l’arrêt Parking Brixen, l’approche structurelle n’a servi qu’à démontrer la vocation de
marché. Dans la décision Stadt Halle, si le juge se fonde sur le seul élément téléologique, force
nous est de constater que la contradiction entre intérêts privés et publics n’a de sens que si
l’actionnaire privé minoritaire est en mesure de faire respecter ses intérêts en vertu des droits
propres que lui confère son action. Or la mise en œuvre de ce droit concerne le fonctionnement
de la société et, par voie de conséquence, s’apprécie sur le fondement de l’élément structurel.
D’ailleurs, c’est sans doute ce qui rend contestable l’exclusion catégorique des sociétés
d’économie mixte du in house. Si l’on s’en tient à l’esquisse de définition donnée par la Cour
dans l’affaire Parking Brixen, il est évident que la possibilité d’influencer de façon
déterminante les objectifs stratégiques et les décisions importantes de l’entreprise ne saurait
s’embarrasser de l’exercice par l’actionnaire minoritaire d’un droit de vote qui pourra
difficilement faire obstacle à la prise des décisions importantes. Pour reprendre les propos de
M. GIORELLO, c’est seulement « dans le cas où le pouvoir adjudicateur peut poursuivre
directement ses objectifs par le biais de l’entité contrôlée, sans être influencé, même
potentiellement, par des intérêts ou des exigences d’une autre nature, que l’entité contrôlée
peut être considérée comme dépourvue d’autonomie décisionnelle en dépit de son autonomie
formelle ».
L’étroitesse de l’interprétation de la Cour de Luxembourg, animée par des préoccupation
de respect des règles de concurrence n’est pas absente des décisions du juge français qui, lui
aussi, a cherché à combler les failles dans lesquelles les pouvoirs adjudicateurs ont été tenté de
s’engouffrer.
45 CJCE, 10 novembre 2005, Commission des Communautés européennes c/ République d’Autriche, aff. C-29/04.
Le Contrat in house
Nicolas Sagne – Master Recherche Droit Public Economique - 27 -
2- La réception par le juge administratif du critère du contrôle analogue
Sur le fondement des premières directives communautaires relatives aux marchés publics,
le Conseil d’Etat avait déjà rendu un arrêt retentissant par lequel il décidait que les règles de
publicité préalable prévues par la directive 92/50/CEE du 18 juin 1992 étaient applicables à un
contrat par lequel une communauté de communes confiait à un syndicat mixte l’exploitation
d’un réseau d’assainissement, alors même que celle-là était membre de celle-ci46. Le Conseil
d’Etat illustrait ainsi solennellement l’ampleur du champ désormais couvert par les obligations
de mise en concurrence.
Rien de surprenant alors que le premier litige après la décision Teckal ait donné au juge
administratif l’occasion d’une application négative du contrat-maison. Dans l’arrêt CAMIF de
2001, il énonce que : « l’UGAP est un établissement public de l’Etat à caractère industriel et
commercial sur lequel l’Etat n’exerce pas un contrôle analogue à celui qu’il exerce sur ses
propres services ; qu’en outre, aucun des clients de l’UGAP, et notamment pas l’Etat, ne
représente à lui seul une part essentielle de l’activité de l’UGAP »47. Cette conception
restrictive concernant les centrales d’achat n’a cependant pas perduré. Les directives
communautaires de 2004 l’ont neutralisée en prévoyant expressément la possibilité pour un
pouvoir adjudicateur de recourir à une centrale d’achat, auquel cas, il n’aurait pas à appliquer
les règles de publicité et de mise en concurrence.
En faveur de l’étroite interprétation du contrôle analogue, plaide également l’arrêt de la
46 CE, sect., 20 mai 1998, Communauté de communes du Piémont de Barr, service des eaux et de l’assainissement du Bas-Rhin, req. n°188239. 47 CE, 27 juillet 2001, CAMIF, req. n°218067. L’UGAP a depuis longtemps bénéficié d’un statut d’un statut privilégié. A l’origine service administratif de l’Etat non doté de la personnalité morale, elle a été transformée en établissement public industriel et commercial de l’Etat, placé sous la tutelle du ministre de l’économie par le décret du 30 juillet 1985. Pour faciliter sa mission, le décret a prévu une dispense de mise en concurrence pour les acheteurs publics qui décideraient d’avoir recours à ses services. Jusqu’à l’arrêt de 2001, le juge administratif conforta plutôt ce statut ; dans l’arrêt du 29 juillet 1994, SA CAMIF, le CE rejette le recours en considérant que les moyens tirés de l’ordonnance de 1986 étaient inopérants à l’encontre d’un acte réglementaire ayant pour objet l’organisation du service des achats publics. Dans une décision du 13 janvier 1998 UGAP c/ CAMIF, la Cour d’appel de Paris affirme que l’UGAP disposait d’un monopole légal qui lui conférait une position dominante ; elle sanctionne quelques atteintes au droit de la concurrence imputables à l’UGAP mais laisse entier le problème de la dispense de mise en concurrence. Le revirement intervient avec l’arrêt précité de 2001.
Le Contrat in house
Nicolas Sagne – Master Recherche Droit Public Economique - 28 -
Cour administrative d’appel de Bordeaux dans l’affaire AURBA. Il s’agit, en l’espèce, d’une
convention confiant à AURBA, association régie par la loi du 1er juillet 1901, l’étude et la
réalisation d’un schéma directeur des déplacements urbains communautaires. Après avoir
qualifié la convention de marché public au sens de la directive 92/50/CEE, la Cour
administrative énonce que « la communauté urbaine de Bordeaux n’exerce pas sur AURBA un
contrôle analogue à celui qu’elle exerce sur ses propres services ; que d’ailleurs l’agence peut
(…) procéder également à des études…pour des collectivités publiques, des établissements
publics, ou même des particuliers, tant en France qu’à l’étranger… »48. S’il est permis
d’entrevoir ici l’idée de vocation de marché chère au juge communautaire par son interprétation
téléologique déjà ci-dessus analysée, on peut regretter le laconisme du juge français dont le
raisonnement ne laisse pas assez de place à un commentaire détaillé. Néanmoins, il faut mettre
sur le compte de ce laconisme le manque de familiarité avec une notion à laquelle, en ce
moment, le juge communautaire n’avait apporté aucun contour précis.
Dans cette optique, l’intérêt de l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Paris de 2005
est d’avoir déroulé une analyse assez détaillée sur la notion de contrôle analogue. Elle juge que
l’association pour la gestion de la patinoire et de la piscine de la commune de Boulogne-
Billancourt devait être regardée, en dépit de sa forme juridique, comme un service de la
commune ; elle a été créée dans le but exclusif de répondre à ce besoin, parmi les 13 membres
composant le conseil d’administration jusqu’en 1996, 11 membres appartenaient de droit au
conseil municipal, plus de la moitié de ses ressources était constituée par des subventions
municipales, enfin la commune exerçait un contrôle prépondérant sur les modalités de
fonctionnement des équipements sportifs49.
Il résulte de tous ces développements que le critère du contrôle analogue a vite fait de
cristalliser l’enjeu de l’applicabilité du contrat de prestations intégrées. Cela a eu pour
conséquence de rendre accessoire pendant un certain temps le critère pourtant cumulatif de
l’exercice par l’entité contrôlée de l’essentiel de son activité pour le compte de la ou des
collectivités qui la détiennent.
48 CAA Bordeaux, 19 mars 2002, AURBA, req. n°98BX02208 49 CAA Paris, 20 avril, Commune de Boulogne-Billancourt, req. n°02PA02193. Le raisonnement de la CAA a été entièrement confirmé par le Conseil d’Etat, en ce qui concerne l’assimilation de l’association à un service de la commune, dans un arrêt du 21 mars 2007 (n° 281796).
Le Contrat in house
Nicolas Sagne – Master Recherche Droit Public Economique - 29 -
II~ Le critère de l’exercice de l’essentiel des activités
Pour montrer à quel point ce critère tombe sous le sens, Marco GIORELLO (précité)
remarque qu’ « il semble difficile d’imaginer (…) l’hypothèse d’une entité liée à
l’administration publique par un contrôle tellement rigoureux qu’il devrait être considéré
« analogue à celui exercé sur ses propres services » mais qui, en même temps, exercerait une
partie importante de son activité en dehors de sa relation avec l’administration qui la
contrôle ». C’est pourquoi, il peut donner l’impression d’avoir un caractère purement résiduel.
Jusqu’à l’affaire Carbotermo de 2006, la Cour de justice ne l’aborda pas vraiment, s’arrêtant
toujours dans son analyse au stade de l’appréciation du contrôle analogue tout en intégrant
d’ailleurs des considérations qui auraient pu relever du critère de l’exercice de l’essentiel des
activités (elle mit par exemple sur le compte de l’absence d’un contrôle analogue, dans l’arrêt
Parking Brixen, l’expansion du domaine territorial des activités de la société à toute l’Italie et à
l’étranger). En termes de droit de la concurrence, le critère de l’exercice de l’essentiel de
l’activité est un moyen efficace pour s’assurer que l’entité contrôlée ne fausse pas le libre jeu
de la concurrence par l’avantage que lui procure l’attribution directe de prestations par le
pouvoir adjudicateur. Fort de ces préoccupations, le droit français est allé plus loin que le juge
communautaire en prévoyant une condition supplémentaire. Le code des marchés publics
dispose en effet que, même pour répondre à ses besoins propres, le prestataire in house doit
mettre en œuvre les règles de publicité préalable et de mise en concurrence.
A/ L’analyse étroite de la condition de l’exercice de l’essentiel de l’activité
Le critère a d’abord fait l’objet de commentaires dans les conclusions des avocats
généraux. Il faudra attendre l’arrêt Carbotermo de 2006 pour voir la Cour de justice
s’appesantir concrètement sur cette seconde condition du dispositif Teckal.
1- L’approche du critère dans le silence du juge communautaire
Une première esquisse apparaît au travers des développements de l’avocat général M. LA
Le Contrat in house
Nicolas Sagne – Master Recherche Droit Public Economique - 30 -
PERGOLA dans ses conclusions sur l’affaire BFI Holding (précité) lorsqu’il souligne le
caractère non pertinent de la circonstance selon laquelle ARA fournit des services à des tiers
contre rémunération ; ces activités ne constitueraient qu’une part marginale des fonctions
d’ARA et n’auraient aucune incidence économique sensible. Quant à M. LEGER (affaire
ARGE), il indique que l’entité sous contrôle ne pourra être considérée comme un prolongement
administratif de la collectivité publique que dans le cas où il y aurait une quasi-exclusivité, au
profit de cette dernière, des services qu’elle fournit. Ce qui témoignerait « d’une volonté de la
collectivité non seulement d’utiliser les prestations à des fins publiques, mais également de les
destiner principalement à son profit ».
Dans les affaires Stadt Halle et Parking Brixen, les questions soulevées respectivement par
les avocats généraux Mme Christine STIX-HACKL et Mme Julianne KOKOTTsont plus
concrètes et visent à apporter des débuts de réponse à la notion jusqu’alors très floue d’exercice
de l’essentiel de l’activité pour le compte de la ou des collectivités exerçant le contrôle. Toutes
les deux conviennent que, pour apprécier ce deuxième critère, seules importent les activités
effectives et « non pas les activités possibles d’après la loi ou les statuts de la société, ni même
les activités auxquelles l’entité contrôlée est obligée ». « La question centrale, ajoute Mme
STIX-HACKL, est donc de savoir à partir de quelle participation le seuil de l’exception de
l’affaire Teckal est atteint. Les opinions à ce sujet sont multiples. Elles vont de plus de 50% à
« exclusivement », en passant par « dans une proportion notable », « essentiellement » et
« presque exclusivement » ». Par ailleurs, elles abordent la question de savoir s’il faut que le
cocontractant du pouvoir adjudicateur réalise l’essentiel de son activité du point de vue aussi
bien quantitatif que qualitatif. A cela elles répondent par l’affirmative en estimant qu’il s’agit
de la meilleure manière de procéder à un examen global de toutes les circonstances du cas
d’espèce. Notamment, et dans le cadre de l’évaluation du caractère essentiel de l’activité, « la
position sur le marché de l’entité contrôlée, c’est-à-dire en particulier sa situation
concurrentielle par rapport à d’éventuels concurrents, » pourra jouer un rôle (Mme STIX-
HACKL) ; il en est de même du rayon géographique de l’entreprise contrôlée, estime Mme
KOKOTT, car « le simple fait qu’une entreprise publique communale opère ou puisse opérer
au-delà des limites d’une commune n’exclut pas pour autant nécessairement qu’elle réalise
l’essentiel de son activité pour cette commune ». Enfin Mme STIX-HACKL récuse le critère
des 80% de l’article 13 de la directive 93/38. Elle observe que même si ce critère, comme tout
autre pourcentage d’ailleurs, pourrait être objectif et approprié, sa rigidité peut tout aussi bien
constituer un obstacle à une solution appropriée ; qui plus est, il ne permettrait pas de prendre
Le Contrat in house
Nicolas Sagne – Master Recherche Droit Public Economique - 31 -
en compte les éléments qualitatifs.
Il appert que ces premiers éclaircissements apportés par les avocats généraux concourent à
mettre en exergue la dimension intrinsèque de ce critère qui, en venant comme un complément
normal et logique du contrôle analogue, permet de s’assurer que la prestation in house se situe
effectivement en dehors du marché et que l’activité marginale exercée dans le marché est d’une
incidence insignifiante sur le libre jeu de la concurrence.
En droit interne, le juge administratif a fait application de ce critère dans ses premières
décisions. Ainsi juge-t-il, dans l’arrêt CAMIF de 2001 précité, « qu’aucun des clients de
l’UGAP, et notamment pas l’Etat, ne représentait à lui seul une part essentielle de l’activité de
l’UGAP ». De la même façon, l’association A.U.R.B.A ne remplit pas le critère de l’essentiel
de l’activité et constitue donc une entité distincte de la communauté urbaine de Bordeaux en ce
sens qu’elle peut, en vertu de ses statuts, procéder à des études pour d’autres personnes
publiques, voire pour des particuliers, aussi bien en France qu’à l’étranger (affaire AURBA de
2002 précitée). Bien sûr, si l’entité a été créée exclusivement pour répondre à un besoin
spécifique de la collectivité publique et qu’elle n’exerce son activité que dans le cadre strict de
ce besoin, le critère sera assurément rempli50.
Il est à noter qu’un raisonnement vague comme celui adopté par le Conseil d’Etat dans
l’arrêt AURBA n’est conforme ni aux prescriptions faites par les avocats généraux, ni aux
précisions ultérieures apportées par le juge communautaire, plus spécifiquement au regard de
l’idée d’effectivité de l’activité.
2- Des précisions au critère de l’essentiel des activités : la jurisprudence Carbotermo51
En ce qui concerne le litige au principal, AGESP Holding SpA est une société par actions
née de la transformation d’une entreprise spéciale de la commune de Busto Arsizio. Son capital
est entièrement détenu par des communes dont Busto Arsizio à hauteur de 99,98%. AGESP est
une société par actions constituée et détenue à 100% par AGESP Holding. Entre la commune et
AGESP, on se situe donc dans le cas d’une prise de participation indirecte. En 2003 la
50 Voir pour exemple l’arrêt précité de la CAA de Paris du 20 avril 2005 51 CJCE, 11 mai 2006, Carbotermo SpA c/ Commune di Busto Arsizio, aff. C-340/04.
Le Contrat in house
Nicolas Sagne – Master Recherche Droit Public Economique - 32 -
commune de Busto Arsizio publie un appel d’offres pour la fourniture de combustibles ainsi
que pour la remise à niveau technique et réglementaire des installations de chauffage des
bâtiments municipaux. Quelques mois plus tard, jugeant que sa relation avec AGESP était
conforme aux conditions de l’arrêt Teckal, elle décide de retirer l’appel d’offres et attribue
directement le marché à cette dernière. C’est dans le contexte de leur éviction des marchés
ultérieurs passés par AGESP que Carbotermo et Consorzio Alisei, deux entreprises intervenant
sur le même marché, attaquent les décisions suspendant l’appel d’offres et attribuant
directement le marché à AGESP devant le juge italien.
Si, d’une manière globale, la Cour de Luxembourg, dans cette affaire, confirme sa
jurisprudence antérieure à propos du contrôle analogue, plus spécifiquement la décision
Parking Brixen, elle se prononce pour la première fois sur le deuxième critère relatif à
l’exercice de l’essentiel de l’activité. Elle statue au préalable sur la solution qui aurait pu
consister dans l’extension aux directives du secteur classique, en l’occurrence la directive
93/36 sur les marchés publics de fournitures, de la modalité d’évaluation de l’essentiel de
l’activité telle que prévue par la directive 93/38 sur les secteurs spéciaux. En effet celle-ci
prévoit son inapplicabilité aux marchés de services passés auprès d’une entreprise dite liée pour
autant que cette dernière réalise 80% de son chiffre d’affaires grâce aux prestations fournies à
l’entité adjudicatrice à laquelle elle est liée. La Cour de justice choisit d’exclure toute idée de
pourcentage en privilégiant une démarche qualitative. Elle explique que les conditions de la
jurisprudence Teckal ont pour but d’éviter que la concurrence soit faussée ; or le critère du
contrôle analogue à lui seul ne suffit pas à garantir le respect du libre jeu de la concurrence si
l’entité contrôlée peut encore exercer une partie importante de son activité économique auprès
d’autres opérateurs. Il faut donc que les prestations de cette entité soient substantiellement
destinées à la collectivité et, à cet effet, toutes les circonstances de l’espèce, tant quantitatives
que qualitatives, devront être prises en considération.
Ensuite, à la question du juge de renvoi de savoir si le chiffre d’affaires à prendre en
compte est celui réalisé directement avec la collectivité publique ou celui réalisé sur le territoire
de celle-ci, la Cour fournit deux éléments de réponse fort appréciables. D’abord elle juge qu’il
conviendra de tenir compte de toutes les activités que l’entreprise adjudicataire réalise dans le
cadre de l’attribution faite par le pouvoir adjudicateur « et, ce, indépendamment de l’identité du
bénéficiaire, qu’il s’agisse du pouvoir adjudicateur lui-même ou de l’usager des prestations ».
« Il est indifférent, dit-elle, de savoir qui rémunère l’entreprise concernée, que ce soit la
Le Contrat in house
Nicolas Sagne – Master Recherche Droit Public Economique - 33 -
collectivité qui la détient ou les tiers usagers de prestations fournies en vertu de concessions ou
d’autres relations juridiques établies par ladite collectivité. Il est également sans pertinence de
savoir sur quel territoire lesdites prestations sont fournies. » Puis elle rappelle que l’arrêt
Teckal mentionne expressément que l’entité contrôlée doit réaliser l’essentiel de son activité
avec « la ou les collectivités qui la détiennent ». Il s’ensuit, par conséquent, que « l’activité à
prendre en compte dans le cas d’une entreprise détenue par plusieurs collectivités est celle que
cette entreprise réalise avec l’ensemble de ces collectivités ».
Il résulte de tout ce qui précède que si la logique qui anime le raisonnement du juge
communautaire est celle d’une acception étroite de ce critère, il n’en demeure pas moins que
les éléments d’appréciation fournis par l’arrêt Carbotermo révèlent une grande souplesse des
modalités permettant de l’identifier. Il convient donc de tempérer les critiques adressées à la
jurisprudence de la Cour et dénonçant l’excessive étroitesse de l’exception in house par
l’interprétation ouverte de ce deuxième critère qui ne se veut pas inutilement restrictive. Que
dire alors de la condition supplémentaire prévue par le droit français ?
B/ La condition supplémentaire en droit interne des besoins propres
Elle figure expressément à l’article 3-1 du code des marchés publics. D’emblée il est
loisible de s’interroger sur la ou les raisons qui ont motivé ce choix du pouvoir réglementaire
français ainsi que sur les éventuelles difficultés et incertitudes liées au contenu et à la mise en
œuvre de la notion de « besoins propres ».
1- La raison d’être de la notion de « besoins propres »
Nous avons déjà évoqué l’idée qu’au delà de la transposition de l’arrêt Teckal, le droit
français procède d’une logique différente. Le juge communautaire raisonne en termes de
délimitation du champ d’application des directives. Celles-ci ne s’appliquent qu’aux marchés
publics qui sont des contrats conclus à titre onéreux. A contrario, s’il n’y a pas de contrat, elles
ne peuvent être invoquées. Or le propre de la relation in house est qu’elle ne peut donner lieu à
un vrai contrat, c’est une « théorie du non contrat » du fait de l’absence d’autonomie de
Le Contrat in house
Nicolas Sagne – Master Recherche Droit Public Economique - 34 -
volonté du prestataire qui ne remplit pas la condition de l’altérité. En revanche, le droit français
semble concevoir le in house comme une exception à l’application des dispositions normatives
relatives aux marchés publics. Ce qui revient à dire que ces dernières auraient dû être
respectées mais, en raison du lien particulier qui existe entre le pouvoir adjudicateur et l’entité
qu’il contrôle, elles se trouvent écartées. Et, afin de poursuivre la logique jusqu’au bout, il
prévoit que la personne bénéficiaire de la relation in house devra, pour répondre à ses propres
besoins, mettre en œuvre les règles du code. Il s’agit d’un transfert des obligations pesant sur la
collectivité publique au prestataire qu’elle contrôle de manière analogue à ses services. C’est
pour cette raison que les MM. Professeurs FATOME et RICHER52 considèrent que le code se
place en réalité non pas dans le sillage de l’arrêt Teckal mais dans celui d’un arrêt postérieur ;
le 12 juillet 2001, Ordine degli Architetti delle Province di Milano e Lodi, la Cour de
Luxembourg a admis en effet que dans le cas où un contrat avec un aménageur relevait de la
directive Travaux, il était possible à l’Etat de reporter l’application des règles de passation du
marché sur l’aménageur.
Le mécanisme introduit par le code interdit donc, en tout état de cause, de contourner
frauduleusement les formalités de passation des marchés en mettant en place un régime
étanche : si les prestations confiées par la personne publique à l’entité qui se trouve sous son
étroite dépendance sont exonérées de publicité préalable et de mise en concurrence, les achats
effectuées par ladite entité sont, elles, soumises aux droit des marchés publics. Deux questions
fondamentales restent cependant à examiner : que faut-il entendre par « besoins propres » ?
Quel régime juridique faut-il arrêter ?
2- La notion de besoins propres : contenu et régime juridique
L’entité contrôlée doit réaliser principalement, voire presque exclusivement, ses activités
avec le pouvoir adjudicateur. Son objet substantiel est la satisfaction des besoins de ce dernier.
D’où l’idée communautaire de l’exercice de l’essentiel des activités pour le compte de la
personne publique ; d’où également l’idée que toute activité hors relation avec celle-ci doit
rester strictement marginale. Dans ce cadre, comment définir les besoins propres ? Sans
analyse approfondie, la tentation serait de les concevoir comme couvrant les prestations autres
52 Dans leur article précité Procédures de passation des contrats et pouvoir d’organisation du service public, CP-ACCP, n°12, juin 2002, p.60
Le Contrat in house
Nicolas Sagne – Master Recherche Droit Public Economique - 35 -
que celles fournies à l’autorité publique. Me. Yves-René GUILLOU estime qu’une telle
solution serait tout simplement absurde. Elle « permettrait d’exonérer une part substantielle
des achats du prestataire à la soumission du code des marchés publics, alors même que la
reconnaissance du régime du « in house » a pour objet de soumettre les achats réalisés par le
prestataire « in house » au code. Par conséquent, ce que la disposition prévoit c’est de
soumettre au code l’ensemble des achats du prestataire, que ces achats soient réalisés dans le
cadre de la relation « in house », pour une part nécessairement essentielle [ou] (…) hors de la
relation « in house », pour une part nécessairement marginale. »53 Autrement dit, c’est
l’ensemble des besoins de l’opérateur contrôlé qui définit ses besoins propres.
Le raisonnement est des plus pertinents et constitue sans doute la solution conceptuelle à
adopter. Il suffit, pour s’en convaincre, de partir d’un exemple concret. Imaginons qu’une
commune décide de créer une entreprise à laquelle elle confie le service de la collecte et du
transport des ordures ménagères. L’entreprise exerce essentiellement cette activité pour le
compte de la commune mais, en même temps et à titre purement marginal, elle accomplit les
mêmes tâches auprès d’une commune voisine. Admettons que l’opération est effectivement
conforme aux conditions Teckal. Afin de démarrer sa mission, supposons que l’entreprise doive
se procurer sur le marché les équipements appropriés (bennes à ordures, bacs à poubelles…). Il
serait à l’évidence absurde de considérer que, sur le fondement de la notion de besoins propres,
cette entreprise se verra dans l’obligation de passer des marchés de fournitures en se soumettant
au code des marchés publics pour ce qui concerne la part accessoire d’activités effectuées pour
la commune voisine et sera exonérée d’une telle obligation à l’endroit des équipements qui
seront affectés aux activités réalisées pour la commune qui la détient. Une telle solution est
inacceptable au regard de l’idée de report d’obligations inhérent à la qualification de prestataire
in house. De ce fait la cour administratif d’appel de Paris, dans l’arrêt précité Commune de
Boulogne-Billancourt, après avoir qualifié l’association en cause de service de la commune,
jugea qu’elle avait agi pour le compte de cette dernière en souscrivant un contrat de
gardiennage avec la société Mayday Sécurité, qu’un tel contrat devait être regardé comme un
marché public de services soumis aux procédures de publicité et de mise en concurrence et
qu’ayant été conclu de gré à gré, il était par suite entaché de nullité.
Le deuxième élément qu’il convient d’examiner est celui du régime juridique applicable
53 voir article précité, note n°32
Le Contrat in house
Nicolas Sagne – Master Recherche Droit Public Economique - 36 -
aux besoins propres. Le prestataire in house n’est pas forcément un pouvoir adjudicateur visé à
l’article 2 du code. Il peut très souvent s’agir d’une personne privée. Quelles règles du code
celle-ci devra-t-elle respecter ? La question est pertinente au regard des conditions de seuils qui
diffèrent selon qu’il s’agit soit de l‘Etat ou d’un de ses établissements publics à caractère autre
qu’industriel et commercial soit d’une collectivité territoriale ou d’un établissement public
local ayant le même caractère. La réponse elle aussi paraît logique ; sur le fondement de l’idée
de transparence de l’entité contrôlée, l’affaire Commune de Boulogne-Billancourt a donné
l’occasion au Conseil d’Etat non seulement de confirmer la décision de la cour administrative
d’appel de Paris mais également de s’étendre sur la responsabilité de la commune en ces
termes : « le cocontractant de l’administration dont le contrat est entaché de nullité est fondé à
réclamer le remboursement de celles de ses dépenses qui ont été utiles à la collectivité envers
laquelle il s’était engagé »54. L’hypothèse visée est celle dans laquelle l’entité contrôlée n’a pas
été en mesure d’honorer un contrat conclu avec une tierce personne dans le cadre de sa mission.
Le juge appréhende la situation comme si le contrat avait été directement conclu avec la
collectivité elle même. Qui peut le plus pouvant le moins, il est certain que les règles
applicables seront celles prévues pour le pouvoir adjudicateur qui exerce le contrôle, du moins
en ce qui concerne les conditions de seuils. En effet le contenu de la soumission aux règles du
code appelle moins de certitude. Le prestataire in house est-il tenu de se conformer à
l’ensemble des dispositions applicables à la personne publique qui le contrôle (par exemple
constituer éventuellement une commission d’appel d’offres) ? Rien ne lui interdit, a priori, et
notamment au regard du droit communautaire, de s’organiser différemment, pourvu que les
procédures choisies respectent les règles fondamentales de la passation des marchés publics
que sont la liberté d’accès et l’égalité de traitement des candidats ainsi que la transparence des
procédures.
En définitive, les Professeurs FATOME et RICHER (article déjà cité) regrettent qu’en
introduisant une condition supplémentaire, le code ait rendu « la voie du « in house » non
seulement encore plus étroite mais encore plus aléatoire ». Néanmoins le pragmatisme qui
semble animer le juge paraît rendre ce caractère aléatoire plus théorique que pratique. Il en va
différemment de la plus grande étroitesse de la notion de in house consécutive à cette condition
supplémentaire et qui est incontestable. Car si, à ce stade de notre réflexion, il est un mot à
retenir, c’est bien celui de l’étroitesse de l’interprétation du contrat-maison, une étroitesse en
54 arrêt précité du Conseil d’Etat du 21 mars 2007
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soi justifiée mais qui a amené le juge communautaire plus spécifiquement, en voulant trop
prendre en compte la singularité de la notion, à se mettre dans des impasses intellectuelles.
Heureusement, depuis 2006 la CJCE paraît se montrer plus compréhensive. Il convient donc de
se pencher sur la question de savoir comment identifier une relation in house compte tenu de la
particulière singularité de la notion, une gymnastique à laquelle les derniers arrêts en la matière
ont apporté de précieux éclaircissements.
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Section II : La difficile identification d’une rela tion in house
La Cour de justice a essentiellement appliqué l’exception de l’arrêt Teckal de manière
négative en laissant sur leur soif requérants et commentateurs. Il faut voir dans cette attitude
une prudence telle qu’on pourrait, pour faire nôtre l’expression de M. Giannangelo
MARCHEGIANI, la définir comme « le syndrome du cheval à bascule »55. D’où le fait que
caractériser une relation in house n’est pas chose aisée. Concrètement, il faudra d’abord
franchir la barrière que constitue le critère du contrôle analogue. Or l’interprétation restrictive
qui en est faite et qui est démontrée plus haut dans nos développements laisse peu de marge et
révèle sa nature hautement singulière (I). S’il fallait nonobstant établir, dans le cadre de
l’identification de cette relation, une sorte de bilan, celui serait moins négatif que ne pourraient
le laisser paraître les écrits des auteurs dont un grand nombre est, à notre sens, exagéré par
endroits. Certes certaines positions de la CJCE demeurent tout à fait contestables mais certains
points ont eu le mérite d’être précisés et de se voir ainsi conférer une utilité non négligeable qui
démentit l’idée selon laquelle la notion de contrat in house serait en « déconstruction »56.
Autrement dit, l’approche essentiellement négative adoptée par le juge au départ a cédé un peu
le pas à une approche plus positive (II)
I~ La nature singulière de la notion de contrôle dans le cadre de la relation in house
La notion de contrôle est familière au droit de la concurrence d’une manière générale tant
communautaire que français. Pour preuve il suffit de rappeler qu’elle constitue la clef de voûte
du dispositif des opérations de concentrations économiques57. De façon plus circonscrite, le
55 Giannangelo MARCHEGIANI, « Les relations in house et le syndrome du cheval à bascule. Quelques considérations à propos de l’arrêt Stadt Halle », RMCUE, n°494, janvier 2006. L’auteur explique le mécanisme du cheval à bascule : « Il accomplit une action alternative consistant en un balancement de part et d’autre de son centre d’équilibre ; toutefois, bien que donnant l’impression d’un mouvement, son activité n’entraîne ni changement de position ni déplacement ». Selon lui « la Cour de justice semble avoir décidé d’adopter le même comportement lorsqu’elle s’est vue confrontée à la nécessité de remplir le vide » que le législateur a laissé en évitant de régler la question des contrats in house. 56 C. PILONE, précitée, note n°37 57 Voir le règlement 4064/89 sur les concentrations
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droit des marchés publics ne l’ignore pas non plus au-delà du sujet qui nous intéresse. Elle
apparaît dans quelques dispositions des directives de 2004, lesquelles ont été reprises dans le
nouveau code des marchés publics de 2006 et dans l’ordonnance du 6 juin 2005. Il s’agit des
dispositions relatives aux organismes de droit public, à la notion d’entreprise liée et aux
entreprises publiques.
A/ In house et organisme de droit public
Avant de singulariser la notion de contrôle en matière de relation in house par le biais
d’une mise en exergue de ce qu’elle recouvre à propos de l’organisme de droit public, il est
opportun de définir un tantinet la notion même d’organisme de droit public.
1- La notion d’organisme de droit public
Les directives communautaires énoncent trois conditions cumulatives aux fins de la
qualification d’organisme de droit public : il faut que l’organisme ait été créé spécifiquement
pour satisfaire un besoin d’intérêt général ayant un caractère autre qu’industriel et commercial,
qu’il dispose de la personnalité morale et qu’il soit sous la dépendance des pouvoirs
adjudicateurs58. Une précision s’impose : l’enjeu essentiel de la notion s’est joué autour du
contenu et de la délimitation à conférer à l’expression « besoins d’intérêt général ayant un
caractère autre qu’industriel ou commercial ». La jurisprudence est abondante à cet effet.
Ainsi, dans l’affaire Mannesmann59, la Cour de Luxembourg juge-t-elle que le fait que
l’organisme ait été créé spécifiquement pour satisfaire des besoins à caractère autre
qu’industriel ou commercial n’implique pas qu’il soit uniquement chargé de satisfaire de tels
58 L’article 1 de la directive 2004/18 dispose : « Par organisme de droit public, on entend tout organisme
créé pour satisfaire spécifiquement des besoins d’intérêt général ayant un caractère autre qu’industriel ou commercial ;
doté de la personnalité juridique, et dont soit l’activité est financée majoritairement par l’Etat, les collectivités territoriales ou d’autres
organismes de droit public, soit la gestion est soumise à un contrôle par ces derniers, soit l’organe d’administration, de direction ou de surveillance est composé de membres dont plus de la moitié sont désignés par l’Etat, les collectivités territoriales ou d’autres organismes de droit public. »
59 CJCE, 15 janvier 1998, Mannesmann, aff. C-44/86. Dans le même ordre d’idée, CJCE, 12 décembre 2002, Universale-Bau AG, aff. C-470/99 ; CJCE, 10 novembre 1998, Communes d’Arnhem et de Rheden c/ BFI Holding, aff. C-360/96.
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besoins. Naturellement toute distinction selon que l’activité a ou non un caractère industriel ou
commercial serait vaine au regard de la soumission aux dispositions des directives ; celles-ci
s’appliquent en tout état de cause à l’organisme de droit public en tant qu’il est pouvoir
adjudicateur. La dimension organique l’emporte sur la dimension fonctionnelle. Un autre
apport important a été le fait de l’arrêt du 10 novembre 1998, Communes d’Arnhem et de
Rheden, dans lequel la Cour ajoute que « le fait qu’il existe une concurrence ne suffit pas pour
exclure la possibilité qu’un organisme financé ou contrôlé par l’Etat se laisse guider par des
considérations autres qu’économiques » car étant donné qu’ « il est difficilement concevable
que des activités ne puissent en aucun cas être exercées par des entreprises privées, la
condition qu’il n’y ait pas d’entreprises privées qui puissent satisfaire les besoins pour lesquels
l’organisme a été créé risquerait de vider de sa substance la notion d’organisme de droit
public »60.
La troisième condition visée par les directives est celle qui concerne plus particulièrement
notre analyse comparative : la dépendance étroite à l’égard de l’Etat, des collectivités
territoriales ou d’autres organismes de droit public.
2- Contrôle analogue et étroite dépendance
L’article 1 de la directive 2004/18 cite les différents moyens par lesquels s’exerce l’étroite
dépendance. Il peut s’agir soit d’un financement majoritaire de l’activité de l’organisme par
l’Etat, les collectivités territoriales ou d’autres organismes de droit public, soit du contrôle de
sa gestion par ces derniers, soit de la désignation par eux de plus de la moitié des membres du
conseil d’administration, de direction ou de surveillance de l’organisme de droit public. Pour
une illustration édifiante de cette troisième condition, il est possible de citer le cas français des
sociétés d’HLM qui font l’unanimité sur le fait qu’elles ont été créées spécifiquement pour
satisfaire des besoins d’intérêt général autre qu’industriel ou commercial. Dans un arrêt de
2001, la Cour de justice a eu à statuer sur l’existence d’un contrôle par les pouvoirs publics de
la gestion des sociétés d’HLM. « Il convient (…), dit-elle, de rechercher si les différents
60 Voir aussi CJCE, 10 mai 2001, Agorà et Ente Autonomo Fiera Internazionale di Milano, aff. C-223/99 et C-260/99. Pour un récapitulatif de la jurisprudence, se reporter à CJCE, 16 octobre 2003, Commission c/ Espagne, aff. C-283/00 ; Pour quelques analyses doctrinales, voir par exemple Jean Yves CHEROT, « Les organismes de droit public dans les directives marchés publics », BJDCP n°4, mai 1999, p.322.
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contrôles auxquels les SA HLM sont soumis créent une dépendance étroite d’un organisme à
l’égard de l’Etat, des collectivités territoriales ou d’autres organismes de droit public ». Selon
la Cour, le contrôle exercé par l’Etat sur les SA d’HLM remplit la condition d’étroite
dépendance61.
Dans une autre affaire de 2000 la Cour de Luxembourg a également statué sur les
financements publics pouvant entraîner une situation de dépendance. Il doit s’agir de
financements versés sans la contrepartie d’une prestation : « Le mode de financement d’un
organisme donné peut être révélateur d’une dépendance étroite de cette organisme par rapport
à un autre pouvoir adjudicateur, force est toutefois de constater que le critère n’a pas une
portée absolue. Tous les versements effectués par un pouvoir adjudicateur n’ont pas pour effet
de créer ou d’approfondir un lien spécifique de subordination ou de dépendance. Seules les
prestations qui financent ou soutiennent, au moyen d’une aide financière versée sans contre-
prestations spécifiques, les activités de l’entité concernée peuvent être qualifiées de
financement public »62.
En résumé, les organismes de droit public constituent des entités comprises dans la sphère
d’influence des pouvoirs publics63. Dès la consécration de l’exception in house par le juge
communautaire, la notion de contrôle analogue a pu être comparée à celle de dépendance
étroite prévue pour ces organismes. En témoigne de la meilleure des manières le Conseil d’Etat
dans son rapport précité de 2002 (Collectivités publiques et concurrence). « On conçoit mal,
dit-il , que la notion de « contrôle » utilisée comme condition de qualification d’une prestation
de prestation « in house » puisse différer des critères utilisés par les directives pour définir
l’organisme de droit public soumis au droit communautaire de la commande publique ». A la
lumière toutefois de la jurisprudence de la Cour de justice, force nous est de constater que cette
61 CJCE, 1 février 2001, Commission c/ France, aff. C-237/99. 62 CJCE, 3 octobre 2000, University of Cambridge, aff. C-380/98. 63 M. MARCHEGIANI (article précité) résume ainsi la situation des organismes de droit public : « il est désormais possible de croire que le point d’arrivée de toutes ces considérations concernant la notion d’organisme de droit public doit être recherché dans le rapport entre la satisfaction desdits besoins à caractère non commercial ou industriel et l’organisation de l’Etat. Il s’agit là, en d’autres termes, d’une notion qui est caractérisée par l’exercice d’une activité visant à satisfaire des besoins d’intérêt général au moyen d’une dépendance économique de l’organisme en question vis-à-vis des pouvoirs publics. Dépendance constituant la conséquence naturelle d’un mécanisme automatique de compensation des pertes qui caractérise la structure de la relation existant entre les organismes de cette nature à l’organisation de l’Etat. Au contraire, lorsque l’activité d’une entité se base sur des critères économiques et d’autonomie financière, on se trouve sûrement en dehors de la catégorie d’organisme de droit public ».
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dernière a bien entendu retenir la divergence entre ces deux notions. Plus exactement, l’idée
d’une influence déterminante aux fins de matérialiser le contrôle de l’entité en cause n’est pas
appréciée de la même manière ; c’est d’une différence en intensité qu’il s’agit. Au titre de la
dépendance étroite de l’organisme de droit public, la détention majoritaire du capital social
d’une société suffira. Par conséquent l’entreprise d’économie mixte est susceptible de recevoir
la qualification d’organisme de droit public alors que l’arrêt Stadt Halle l’exclut expressément
de l’exemption in house en estimant qu’il ne peut être satisfait à la condition du contrôle
analogue dans ces circonstances. Par ailleurs même une détention à 100% du capital ne saurait
par elle même suffire à caractériser le contrôle analogue (arrêt Parking Brixen). Il apparaît
nécessaire d’avoir à l’esprit les finalités opposées des deux notions : la qualification
d’organisme de droit public justifie l’application des règles de passation des marchés publics
tandis que la qualité de prestataire in house permet de les écarter. Il n’est certainement pas
surprenant alors que le juge communautaire soit plus disposé à admettre l’applicabilité des
directives marchés publics qu’à les écarter au profit d’une exemption qui, en tout état de cause,
ne peut être que d’interprétation stricte. Le contrôle du pouvoir adjudicateur analogue à ses
propres services ne peut en aucune manière être réduit à une simple détention majoritaire de
capital, laquelle n’empêche pas l’éventualité d’une minorité de blocage.
Concrètement, l’autorité publique dispose à l’égard de ses services d’un pouvoir
hiérarchique qui lui octroie des prérogatives rendant impossible toute autonomie du service à
son égard (possibilité de modifier, réformer ou annuler les décisions émanant dudit service). Si
le contrôle analogue dans le cadre du in house n’est pas identique au pouvoir hiérarchique, il ne
doit pas en être trop éloigné. L’autonomie du prestataire in house ne sera que formelle, et sa
dépendance à l’égard de la personne publique devra être telle qu’elle lui dénie toute altérité.
D’où le fait que le contrat-maison s’apparente à un contrat avec soi-même. Il s’ensuit que la
proposition du Conseil d’Etat, bien que séduisante en ce qu’elle rendrait plus prévisible et plus
accessible l’exception de l’arrêt Teckal, n’en est pas moins hasardeuse au regard de l’élasticité
du bénéfice de cette exception qu’elle engendrerait ; ce qui ne correspondrait plus, non
seulement, à la logique initiale qui a animé le juge communautaire dans sa création prétorienne
du in house mais encore, et par suite, à la règle traditionnelle de droit qui veut que l’exception à
un principe juridique soit d’interprétation stricte.
Donc, entre le contrôle exercé sur l’organisme de droit public et celui exercé sur l’entité in
house, la similitude ne va pas au-delà du terme. L’approche comparative s’illustre également
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par le biais de deux autres notions, celle d’entreprise liée et celle d’entreprise publique, qu’il
convient d’examiner.
B/ In house et notions d’entreprise liée et d’entreprise publique
Les deux notions sont consacrées en droit interne par le code des marchés publics pour
l’entreprise liée et par l’ordonnance du 6 juin 2005 pour l’entreprise publique.
1- In house et entreprise liée
Le Code des marchés publics de 2006, reprenant en cela la directive 2004/17, relative aux
secteurs spéciaux (elle s’applique aux pouvoirs adjudicateurs lorsque ceux-ci exercent des
activités d’opérateurs de réseaux), définit l’entreprise liée. Il pose au préalable le principe de
son inapplicabilité aux marchés et accords-cadres passés par une entité adjudicatrice avec une
entreprise liée. « Sont des entreprises liées à une entité adjudicatrice, dit le code, les
entreprises qui sont soumises directement ou indirectement à l’influence dominante d’une
entité adjudicatrice » ; « L’influence des entités adjudicatrices est réputée dominante lorsque
celles-ci, directement ou indirectement, détiennent la majorité du capital, disposent de la
majorité des droits de vote ou peuvent désigner plus de la moitié des membres de l’organe
d’administration, de direction ou de surveillance » (article 138 du code). Toute remarque ici à
propos de la faiblesse de cette influence par rapport à l’intensité du contrôle de l’autorité
publique sur l’opérateur in house serait superfétatoire, les considérations retenues au sujet des
organismes de droit public étant transposables, sur ce point, à l’entreprise liée. Il convient
d’ajouter cependant qu’aussi bien les directives que le Code des marchés publics ont entendu
traiter de manière spéciale les activités dites de réseaux décrites de façon exhaustive à l’article
135 du code (quatre secteurs d’activités sont visés : l’énergie, l’eau potable, le transport et les
services postaux). Si les principes fondamentaux de la passation des marchés publics
demeurent invariables, les modalités de leur mise en œuvre, elles, tiennent compte de la
complexité et de la haute technicité inhérentes aux activités de réseaux. Donc la souplesse
constitue le maître mot dans ces secteurs et la notion d’entreprise liée qui n’en est qu’une
manifestation peut être vue comme le pendant de l’exception in house de l’article 3-1 du code
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sous une forme lénifiée.
2- In house et entreprise publique
Enfin par « entreprise publique » la directive 2004/17 entend « toute entreprise sur
laquelle les pouvoirs adjudicateurs peuvent exercer directement ou indirectement une influence
dominante du fait de la propriété, de la participation financière ou des règles qui la régissent.
L’influence dominante est présumée lorsque les pouvoirs adjudicateurs, directement ou
indirectement, à l’égard de l’entreprise détiennent la majorité du capital souscrit de
l’entreprise, ou disposent de la majorité des voix attachées aux parts émises par l’entreprise,
ou peuvent désigner plus de la moitié des membres de l’organe d’administration, de direction
ou de surveillance de l’entreprise »64. Bien sûr, il est inutile de s’étendre sur le caractère lâche
du lien de dépendance entre le pouvoir adjudicateur et l’entreprise publique en comparaison
avec le contrôle analogue en matière de in house.
Par ailleurs, si l’entreprise publique, conçue de manière large, peut même recouvrir la
notion d’organisme de droit public –la jurisprudence communautaire indique en effet qu’il n’y
a pas d’incompatibilité congénitale entre organisme de droit public et activité de nature
commerciale –il n’en demeure pas moins que, comme le souligne la Cour de justice, « … le
législateur a opéré une distinction entre, d’une part, les besoins d’intérêt général ayant un
caractère autre qu’industriel ou commercial et, d’autre part, les besoins d’intérêt général
ayant un caractère industriel ou commercial … » ; or les directives (93/38/CEE et
2004/17/CEE) spécifient que seuls les organismes de droit public ont été créés pour satisfaire
des besoins à caractère autre qu’industriel ou commercial. L’intérêt de rappeler cette distinction
réside dans le fait d’en déduire que, finalement, l’entreprise publique stricto sensu n’est que le
moyen privilégié d’exercice par les personnes publiques d’activités économiques. D’ailleurs le
droit de la concurrence définit l’entreprise sans tenir compte de sa nature publique ou privée65.
Tout ceci pour éclairer le point de vue de M. MARCHEGIANI selon lequel « l’entreprise
publique au sens strict ne peut pas fournir une prestation de services à un pouvoir adjudicateur
dans le cadre d’une relation in-house. » L’entreprise « exerce une activité économique 64 Cette définition est une reprise des termes de la directive 80/723/CEE de la Commission du 25 juin 1980, relative à la transparence des relations financières entre les pouvoirs publics et leurs entreprises publiques. 65 Voir par exemple CJCE, 1991, Höfner e Elser, aff. C-41/90.
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supportant tous les risques liés à ce type d’activité, y compris celui de tomber en faillite
[contrairement à l’organisme de droit public qui peut bénéficier d’un mécanisme de
compensation des pertes]. Ce qui est en contradiction évidente avec une prestation qui, bien
que de nature formellement économique, est en réalité accomplie sans risques, en faveur d’un
seul client ».
Les différentes approches comparatives ainsi retenues démontrent que le contrat in house
est une figure juridique atypique. On remarque également qu’il est plus aisé de dire ce qu’il ne
recouvre pas que ce qu’il recouvre. A ce stade de notre analyse, il convient, par conséquent,
d’éprouver la pertinence de la métaphore du cheval à bascule.
II~ L’identification d’une relation in house : d’une approche négative à une approche plus positive
Les solutions jurisprudentielles jusqu’ici évoquées à l’appui de nos développements ont
montré une application essentiellement négative de l’exception in house. Devrait-on dire que
lesdits litiges ne se prêtaient pas à des solutions positives ou plutôt que la théorie du in house
n’en était encore qu’à ses premiers balbutiements ? Toujours est-il que le juge communautaire
semble depuis peu plus disposé à lâcher un peu de la bride. Deux exemples peuvent servir
d’illustration : le cas des sociétés entièrement détenues par un pouvoir adjudicateur et celui des
partenariats public-public
A/ La détention à 100% du capital social d’une société par l’autorité
publique
Quelle place pour les sociétés commerciales au sujet du bénéfice de l’exemption in house ?
L’arrêt Parking Brixen a mis en évidence leur difficile compatibilité avec les conditions de la
décision Teckal. En l’espèce, rappelons que la transformation en société par actions de
l’entreprise spéciale sur laquelle la commune exerçait un contrôle strict mais aussi et surtout la
vocation de marché acquise par cette société avaient emporté la conviction de la Cour de justice
selon laquelle le moyen tiré de l’exemption in house était irrecevable.
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Sans révolutionner les choses dans le fond, l’affaire ANAV66 a confirmé l’idée que, bien
évidemment, au risque de porter une atteinte excessive à la liberté organisationnelle des
personnes publiques, il n’était pas permis d’exclure systématiquement de la relation in house
les sociétés commerciales notamment les sociétés anonymes. En l’espèce, le litige est relatif à
l’attribution directe par la commune di Bari du service de transport public sur son territoire à la
société par actions AMTAB Servizio dont le capital est entièrement détenu par la commune. Si,
dans cette affaire, la Cour de justice réaffirme le principe de l’applicabilité du droit issu du
Traité ainsi que celui de la non conformité de l’actionnariat privé au critère du contrôle
analogue67, elle statue pour la première fois à propos de l’exception Teckal de manière
positive : « les articles 43 CE, 49 CE et 86 CE, ainsi que les principes d’égalité de traitement,
de non-discrimination en raison de la nationalité et de transparence, ne s’opposent pas à une
réglementation nationale qui permet à une collectivité publique d’attribuer un service public
directement à une société dont elle détient entièrement le capital, à condition que la collectivité
publique exerce sur cette société un contrôle analogue à celui qu’elle exerce sur ses propres
services et que cette dernière réalise l’essentiel de son activité avec la collectivité qui la
détient ». Même s’il appartient au juge national de vérifier, comme l’invite à le faire le juge de
Luxembourg, la réalité de la qualité de prestataire in house d’AMTAB, la situation telle
qu’exposée dans l’arrêt ne paraît pas réserver de surprise particulière. AMTAB est entièrement
détenue par la commune et il ne semble pas faire de doute que celle-ci la contrôle étroitement ;
qui plus est, la société a pour mission d’assurer le service de transport public exclusivement sur
son territoire.
Cet arrêt montre que la Cour de justice n’a pas entendu reléguer le contrat-maison au plan
de la pure théorie dépourvue de toute connexion avec la réalité. Toutefois il n’a pas pu avoir
pour effet d’infirmer la solution de l’affaire Parking Brixen selon laquelle la détention à 100%
du capital social d’une entreprise ne suffit pas en soi à satisfaire à l’exigence du contrôle
analogue. Cette solution, quelque sévère qu’elle puisse être, est fondée en raison. Prenons le
cas des sociétés anonymes. La responsabilité des actionnaires est limitée à leurs apports et,
corrélativement, il existe un principe de répartition impérative des pouvoirs entre les organes de
66 CJCE, 06 avril 2006, Associazione Nazionale Autotrasporto Viaggiatori (ANAV) c/ Commune di Bari, AMTAB Servizio SpA, aff. C-410/04. 67Voir points 18 et 31 de l’arrêt. Plus précisément, le juge réitère sa solution dans l’affaire Commission c/ Autriche, du 10 novembre 2005 (C-29/04) ; il juge que si, « pendant la durée du contrat en cause au principal, le capital d’AMTAB Servizio est ouvert à des actionnaires privés, l’effet d’une telle situation serait d’attribuer une concession de services publics à une société d’économie mixte sans mise en concurrence, ce qui porterait atteinte aux objectifs poursuivis par le droit communautaire ».
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la société ; l’assemblée des actionnaires sera seule compétente par exemple pour statuer sur une
augmentation de capital tandis que le pouvoir de gestion est censé ressortir de la compétence
des dirigeants (directeur général pour le conseil d’administration ou directoire et conseil de
surveillance). Il résulte de cette répartition que, même dans l’hypothèse d’un actionnaire unique
qui nommerait les dirigeants, l’autonomie de gestion de ces derniers ne saurait être susceptible
d’une remise en question. A cela s’ajoute qu’une telle structure suppose l’ouverture du capital à
l’entrée de nouveaux actionnaires. Pour ces raisons, il y a lieu de conclure que les
caractéristiques normales d’une société anonyme ne sont pas faites pour correspondre au in
house68 sauf pour l’autorité publique actionnaire unique à aménager des modalités de contrôle
allant au-delà de ce que prévoit le droit des sociétés. C’est seulement de cette manière que la
condition du contrôle analogue à ses propres services pourra être remplie. Et il appartiendra au
pouvoir adjudicateur d’apporter la preuve que la relation qu’il entretient avec la société qu’il
détient relève de l’exception de l’arrêt Teckal.
B/ Le partenariat public-public
En exigeant que l’entité contrôlée exerce son activité avec « la ou les collectivités qui la
détiennent »69, la Cour de justice a ouvert l’éventualité d’une détention publique conjointe
d’une entreprise. On parle à ce propos de partenariat public-public ou d’entreprises publiques
mixtes. Au regard des deux conditions Teckal, l’exercice de l’essentiel de l’activité ne pose pas
a priori de difficulté vu que seront pris en compte les activités réalisées pour l’ensemble des
collectivités publiques70. En revanche l’appréciation du critère du contrôle analogue est plus
problématique. Comment en effet déterminer l’influence dominante dans ce cas ?
Dans une affaire espagnole de 200771, la CJCE a apporté une réponse sur une partie du
problème. Le litige est né d’une plainte déposée par l’Asemfo au motif que Tragsa abuserait de
sa position dominante sur le marché espagnol des travaux, des services et des projets forestiers.
Il sied au préalable de mettre en exergue le statut de Tragsa. Selon la législation espagnole,
68 voir le point 69 de l’arrêt Parking Brixen précité. 69 Arrêt Teckal précité 70 solution posée par la jurisprudence Carbotermo déjà étudiée. 71 CJCE, 19 avril 2007, Asociacion Nacional de Empresas Forestales (Asemfo) c/ Transformacion Agraria SA (Tragsa), Administracion del Estado, aff. C-295/05, avec les conclusions de l’avocat général M. L. A. GEELHOED.
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Tragsa est une société d’Etat qui fournit des services essentiels en matière de développement
rural et de conservation de l’environnement ; il est prévu que les communautés autonomes
puissent participer à son capital social selon certaines modalités. Plus concrètement, Tragsa est
un instrument propre et un service technique de l’administration tenue de réaliser
exclusivement les prestations qui lui sont confiées par l’Etat, les communautés autonomes et
les organismes publics qui en dépendent sachant que lesdites prestations devront relever des
matières qui constituent son objet social. La question est de savoir si, dans ces circonstances,
Tragsa peut se voir reconnaître la qualité de prestataire in house sur le fondement de laquelle
les commandes qu’elle reçoit de la part des administrations en cause seraient affranchies de
toute publicité et mise en concurrence. Contre toute attente, la Cour répond, en prenant le
contre-pied des propositions de l’avocat général, que les directives « ne s’opposent pas à un
régime juridique tel que celui dont bénéficie Tragsa, qui lui permet, en tant qu’entreprise
publique agissant en sa qualité de moyen instrumental propre et de service technique de
plusieurs autorités publiques, de réaliser des opérations sans être soumise au régime prévu par
lesdites directives ». Elle juge les conditions du contrat in house remplies. Ce qui emporta plus
spécifiquement sa conviction fut le fait que Tragsa ne disposait d’aucune liberté ni pour refuser
des commandes ni pour fixer les prix de ses prestations ; par conséquent le fait que seules
quatre communautés autonomes détenaient une part symbolique de 1% dans son capital social
contre 99% au profit de l’Etat était indifférent ; ces communautés disposaient des mêmes
prérogatives que l’Etat espagnole, du moins en ce qui concerne le caractère non contractuel de
leurs rapports avec la société pour les raisons sus indiquées72.
Pour en revenir à la question du partenariat public-public, et à la lumière de cette affaire
espagnole, il est possible d’affirmer que l’entité contrôlée par une pluralité de personnes
publiques a toutes les chances d’être regardée comme prestataire in house pour autant qu’elle
apparaît comme une structure commune au service de ces différentes personnes publiques.
Dans l’arrêt ci-haut, la circonstance que le statut légal de Tragsa en fait un moyen instrumental
et un service technique au profit des administrations publiques a sans doute suffi à la rendre
conforme à la nécessité d’un minimum de coordination entre les autorités publiques en cause.
Certes le cas de cette société d’Etat espagnole est quelque peu singulier mais, si le juge
communautaire a pu admettre en l’occurrence l’application des critères Teckal, il en ferait a
fortiori de même dans l’hypothèse où les autorités qui détiennent l’entreprise publique mixte 72 L’avocat général M. GEELHOED avait retenu une solution plus classique en estimant que Tragsa était certes au service des régions mais que rien ne permettait d’affirmer qu’elle était contrôlée par elles. Pour de plus larges commentaires, éclairés en cela par les conclusions pertinentes de l’avocat général, se reporter sur le II de la première section du deuxième chapître.
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matérialiseraient leur collaboration ou leur coordination au moyen d’un organisme commun ad
hoc ou d’une convention conclue avant la création de l’entreprise dans le but de fixer les
objectifs et les modalités de fonctionnement de l’organisme ou de l’entreprise. Le Conseil
d’Etat a d’ailleurs statué en ce sens.
Remarquons au préalable que, dans sa transposition de la décision Teckal, le code des
marchés publics n’a pas retranscrit la possibilité d’un contrôle public mixte. Mais le juge
administratif n’a pas entendu écarter cette éventualité. Dans l’arrêt de 2007, Commune d’Aix-
en-Provence73, l’Etat, la région Provence-Alpes-Côte-d’Azur, le département des Bouches-du-
Rhône et la commune d’Aix-en-Provence avaient décidé de faire du festival international
d’Aix-en-Provence un service public culturel et d’en confier la gestion à une association. Les
juges du Palais Royal se prononcèrent en indiquant que les collectivités publiques pouvaient
assurer directement la gestion d’un service public dont elles sont responsables ; ils
poursuivirent en ces termes : « elles doivent aussi être regardées comme gérant directement le
service public si elles créent à cette fin un organisme dont l’objet statutaire exclusif est, sous
réserve d’une diversification purement accessoire, de gérer ce service et si elles exercent sur
cet organisme un contrôle comparable à celui qu’elles exercent sur leurs propres services leur
donnant notamment les moyens de s’assurer du strict respect de son objet statutaire » ; ils
décidèrent en l’espèce que, compte tenu de son objet statutaire et du contrôle effectué sur elle
par les quatre collectivités ci-dessus citées, l’association devait être regardée comme un
opérateur auquel il était permis de recourir sans avoir à passer une convention de délégation de
service public ou un marché public de service.
Cette solution jurisprudentielle correspond donc tout à fait à l’admission de l’applicabilité
de l’exception in house dans le cas où il existerait une collaboration formalisée entre autorités
publiques. Cependant l’entreprise publique mixte ne procède pas toujours d’une création
commune. Elle peut d’abord avoir été mise en place par une personne publique avant de voir
son capital social ouvert par la suite à la participation d’autres personnes publiques. Dans de
telles conditions, elles risquent de se limiter dans leur pouvoir d’influence sur la société.
D’ailleurs comment faudra-t-il appréhender l’influence déterminante dans pareil cas ? D’un
autre côté, il ne sera pas forcément aisé de démontrer une convergence des intérêts animant les
personnes publiques en cause. Autant dire que pour cet aspect du partenariat public-public, les
73 CE, 06 avril 2007, Commune d’Aix-en-Provence, req. n°284736
Le Contrat in house
Nicolas Sagne – Master Recherche Droit Public Economique - 50 -
interrogations restent ouvertes. Ce qui semble certain, c’est que seule une démarche in concreto
devra être mise en avant. A ces interrogations pour l’instant sans début de réponse, s’ajoute
l’élément resté inchangé et très controversé, à savoir l’exclusion des sociétés d’économie mixte
du régime du in house. La situation de l’économie mixte ne cesse d’alimenter les vives
critiques à l’endroit de l’interprétation restrictive du in house opérée par la Cour de justice et à
propos de laquelle il convient aussi bien de mesurer l’impact sur l’autonomie organisationnelle
de la sphère publique que de poser la question d’un éventuel assouplissement.
Le Contrat in house
Nicolas Sagne – Master Recherche Droit Public Economique - 51 -
Chapitre II : La portée de la notion de contrat in house
Une précision élémentaire s’impose : le fait pour un opérateur économique de se voir
dénier la qualité de prestataire in house n’interdit pas au pouvoir adjudicateur de recourir à ses
services. La qualité de prestataire in house a pour effet de permettre à la collectivité publique
de respirer en lui évitant la lenteur et le coût des formalités de passation des marchés publics et
des délégations de service public. En cela elle constitue un vecteur appréciable de l’autonomie
organisationnelle des personnes publiques. D’où également la nécessité de mettre en exergue
l’adéquation ou l’inadéquation des principales structures de la sphère publique avec le contrat
in house tel qu’il est conçu et mis en œuvre par le juge (section première). Et, de cette analyse,
découlera l’intérêt d’évoquer un assouplissement des conditions posées par la jurisprudence
Teckal (deuxième section)
Le Contrat in house
Nicolas Sagne – Master Recherche Droit Public Economique - 52 -
Section I : Le contrat in house : les répercussions sur l’organisation de la sphère publique
Dans leur grande diversité en effet, les structures des collectivités publiques, de par leur
création et leur mode de fonctionnement, sont plus ou moins intéressées par la notion de contrat
de prestations intégrées (I) ; sachant que les sociétés d’économie mixte, du fait de la singularité
de leur situation au regard tant du droit communautaire que du droit national, méritent une
attention toute particulière (II).
I~ Les organes de la sphère publique à l’épreuve
de la conception étroite du in house
On retiendra tout d’abord la formule « satellites » des collectivités publiques qui, bien que
d’usage commode, ne correspond à aucune réalité juridique précise. Néanmoins, au plan
fonctionnel, elle recouvre les différentes institutions et structures sur lesquelles la collectivité
exerce un pouvoir de direction parce qu’elles participent de l’exercice de ses missions.
Afin de mieux caractériser l’exception de l’arrêt Teckal, il faudra ensuite mettre en exergue
l’intérêt de la distinction entre le contrat dans la maison et le contrat « de maison à maison »74.
A/ Les satellites des collectivités publiques et le bénéfice de l’exemption in house
Comme déjà indiqué, les sociétés d’économie mixte sont bien des satellites mais feront
l’objet d’une analyse spécifique. A côté de celles-ci, les formules de l’établissement public et
de l’association revêtent une importance considérable, auxquelles s’ajoutent d’autres
instruments tels le groupement d’intérêt public (GIP) ou tout simplement le délégataire de droit
privé.
1- La formule de l’établissement public
74 Pierre Delvolvé, Marchés publics : les critères des « contrats-maison », Revue du droit de l’Union européenne, 1/2002, p. 53
Le Contrat in house
Nicolas Sagne – Master Recherche Droit Public Economique - 53 -
L’établissement public peut se définir comme un service public personnalisé. Deux
attributs essentiels le caractérisent : la personnalité morale qui le distingue des services en régie
et le principe de spécialité qui le différencie des collectivités publiques et autres personnes
publiques à vocation générale. Peut d’ailleurs lui être assimilée la régie dite personnalisée,
laquelle est doté de la personnalité morale et de l’autonomie financière et a donc une vie
indépendante par rapport à la collectivité territoriale.
Par ailleurs il n’est plus à démontrer aujourd’hui que l’établissement public est une notion
d’une extrême complexité et d’une grande variété. Par conséquent la solution de facilité qui
aurait consisté dans la distinction entre établissement public administratif (EPA) et
établissement public industriel et commercial (EPIC), distinction de laquelle il aurait résulté
que seul l’EPIC serait concerné par le in house puisque les règles de concurrence propres aux
marchés publics et aux délégations de service public n’ont aucune raison de s’imposer
lorsqu’est en cause une activité ne revêtant pas de nature économique, aurait été totalement
inappropriée. En effet le régime de droit privé auquel est soumis l’EPIC et l’avantage de la
souplesse de gestion qui en découle ont souvent motivé des qualifications erronées que le juge
a pris soin de reconsidérer75. Qui plus est, témoignent de la dilution de la distinction les notions
d’établissement public à double visage et d’établissement public à visage inversé76.
L’approche dualiste EPA/EPIC n’est donc pas d’un grand secours d’autant que la nature
administrative de l’activité est loin d’être exclusive de tout caractère économique vue
l’interprétation extra-large faite par le juge communautaire de l’activité économique. Mieux
encore, la forme administrative de l’établissement public se prête probablement davantage au
in house que sa forme industrielle ou commerciale. Cette dernière englobe largement les
entreprises publics à propos desquelles nous avons déjà évoqué la difficile applicabilité de
l’exception in house.
En tout état de cause, et de manière plus concrète, les attributs de l’établissement public le
75 Ainsi le Fonds d’orientation et de régularisation des marchés agricoles (FORMA, supprimé en 1986) fut qualifié d’EPIC alors qu’il était en charge d’un service public administratif : Tribunal des Conflits, 24 juin 1968, Société Distilleries bretonnes ; il en est de même du Centre français du commerce extérieur : CE, 06 février 1987, Maurice, et TC, 26 octobre 1987, Morisot. 76 Voir les rapports de 1971 et de 1985 dans lesquels le Conseil d’Etat dénonce le caractère fictif de la distinction.
Le Contrat in house
Nicolas Sagne – Master Recherche Droit Public Economique - 54 -
prédisposent plus ou moins aux critères de l’arrêt Teckal. D’une part, doté de la personnalité
civile et de l’autonomie financière, il dispose d’organes propres, de biens propres, d’un budget
autonome avec une organisation interne variant selon les statuts de chaque établissement. En
revanche cette autonomie n’est pas dépourvue de contrôle dit de tutelle exercé par la
collectivité de rattachement. Sur le fondement du principe « pas de tutelle sans texte », le
contrôle sera cependant subordonné à l’existence de règles formelles de nature législative ou
réglementaire. D’où le fait qu’il sera plus ou moins intense selon les établissements. Aussi, le
critère du contrôle analogue s’appréciera-t-il au cas par cas en évaluant le degré d’autonomie
dont bénéficie l’établissement public par rapport à sa collectivité de rattachement. D’autre part,
le principe de spécialité en fait une structure intervenant dans un domaine précis auquel la
collectivité a entendu conférer une gestion efficace. Il est vrai que la jurisprudence admettant
que l’administration puisse exercer de manière permanente des activités commerciales si elles
apparaissent comme le complément normal d’une activité de service public77 vaut aussi pour
les établissements publics ; le Conseil d’Etat a jugé qu’ils pouvaient se livrer à d’autres
activités économiques à la condition qu’elles soient techniquement et commercialement le
complément de leur mission statutaire principale78. Mais, à l’image de la notion de part
marginale d’activité que peut exercer le prestataire in house en dehors du rapport avec le
pouvoir adjudicateur, la gymnastique consistera, ici aussi, à vérifier que l’établissement public
ne porte pas une atteinte excessive aux règles de concurrence.
Au stade de ces quelques remarques sur la formule de l’établissement public, il est
opportun de mentionner les établissements publics de coopération institués par la loi dans le but
d’organiser la coopération entre les collectivités territoriales. Parmi les plus connus, figure
l’établissement public de coopération intercommunal auquel ont souvent recours les communes
dans des domaines où elles ne disposent pas toujours des moyens nécessaires pour assumer une
gestion individuelle. Tel est le cas, par exemple, en matière d’assainissement (collecte,
transport et traitement des ordures ménagères), comme le montrent la plupart des arrêts de la
Cour de justice jusqu’ici étudiés. A ce titre, nos analyses sur le partenariat public-public valent
ici également. Pour rappel, dans le cadre d’un partenariat entre collectivités publiques, les
collectivités partenaires doivent définir avec clarté les compétences de l’établissement de
coopération, organiser de manière cohérente ses modalités de fonctionnement de sorte qu’il
apparaisse comme une véritable structure commune dans laquelle la participation d’un
77 Voir CE, 1942, Mollet ou encore CE, 1959, Delansorme. 78 Voir l’avis du 07 juillet 1994, à propos de la diversification des activités d’EDF-GDF.
Le Contrat in house
Nicolas Sagne – Master Recherche Droit Public Economique - 55 -
membre, quelque faible soit-elle, sera sans incidence signifiante sur sa faculté à peser dans
l’activité de ladite structure. A cet effet, et en dépit de sa nature singulière due à son statut
assez spécial, l’exemple de l’organisme espagnol Tragsa illustre bien nos propos ; la Cour de
Luxembourg a jugé dans son arrêt précité du 19 avril 200779 que, malgré une participation
symbolique de 1% au capital social de Tragsa, les quatre communautés autonomes espagnoles
exerçaient sur cette société un contrôle au sens de la jurisprudence Teckal.
En définitive, la formule de l’établissement public n’est ni incompatible ni présumé
compatible avec le contrat in house. Il s’agira, dans chaque cas d’espèce, pour le pouvoir
adjudicateur, de démontrer que l’établissement public qui lui est rattaché a, tant par son statut
que par son mode de fonctionnement, la qualité de prestataire in house. La solution est
similaire en ce qui concerne l’association.
2- La formule de l’association
L’article 1er de la loi du 1er juillet 1901 définit l’association comme la convention par
laquelle deux ou plusieurs personnes mettent en commun, de façon permanente, leurs
connaissances ou leurs activités dans un but autre que de partager des bénéfices. Elle est
normalement de droit privé et dispose, lorsqu’elle est déclarée, de la personnalité morale. Le
recours à la formule associative pour l’exécution de missions publiques a été fortement
encouragé par la souplesse de son statut80.
De manière générale, les relations entre une collectivité territoriale et une association
doivent s’inscrire dans un cadre conventionnel. Il peut s’agir, pour ce qui nous intéresse ici,
d’une délégation de service public ou d’un marché public (s’il y a fourniture d’une prestation
de service sans que pour autant soient réunis les critères de la délégation de service public).
Autant comprendre donc d’emblée que les règles relatives à la passation de ces contrats
s’appliquent pleinement ; s’applique, de façon plus extensive, le droit de la concurrence et il
n’est pas rare de voir des associations sanctionnées pour pratiques anticoncurrentielles. Un
79 Ref. note de bas de page n°71 80 Dans certains cas, c’est l’Etat lui-même qui encourage la création de structures associatives pour l’exercice d’activités publiques : la loi du 31 décembre 1992 relative à la répartition des compétences en matière touristique consacre ainsi le statut particulier des offices de tourisme-syndicats d’initiative qui ont un statut associatif.
Le Contrat in house
Nicolas Sagne – Master Recherche Droit Public Economique - 56 -
domaine convaincant à ce titre est celui du transport ou de la restauration scolaire.
Toutefois les collectivités publiques ne se contentent pas de recourir, par le biais de
conventions, à des associations existantes. Elles suscitent également la création d’associations
pour en faire un mode d’exercice d’un service public81. Justement c’est dans dette dernière
hypothèse que l’applicabilité du in house est la plus pertinente. En effet, dans le premier cas, un
lien de dépendance au sens de la jurisprudence Teckal est beaucoup moins probable ; c’est tout
juste si on peut conjecturer qu’une subvention accordée par la collectivité soit tellement
importante qu’elle permette à cette dernière d’avoir une influence déterminante sur
l’association ; encore faudra-t-il, pour être légal, que le financement soit d’utilité communale ;
l’utilité publique et l’utilité communale limitant la capacité des associations à bénéficier de
subventions des collectivités. Dans le second cas (création d’une association), il s’en faut de
peu pour que les critères du in house soient remplis. A ce propos, la jurisprudence
administrative a fourni des illustrations positives du bénéfice de l’exemption de l’arrêt Teckal.
Aussi bien dans l’affaire Commune de Boulogne-Billancourt (création d’une association par
une commune) de 2005 que dans l’affaire Commune d’Aix-en-Provence de 2007 (création
d’une association par une pluralité de collectivités publiques)82, le juge administratif retient la
notion d’association transparente parce que créée dans le but exclusif de répondre à un besoin
spécifique identifié par la ou les collectivités, financée en grande partie et étroitement contrôlée
par celles-ci. L’association a donc toutes les chances de se voir conférer la qualité de prestataire
in house lorsqu’elle apparaît comme un service de la collectivité. Ainsi conçue, sa transparence
en fait tout simplement une structure administrative organisée à partir du modèle associatif.
A côté des formules de l’établissement public et de l’association dont la conformité au
contrat-maison peut être établie au cas par cas, gravitent autour des collectivités publiques
d’autres satellites dont la compatibilité avec cette nouvelle catégorie contractuelle doit être
exclue de prime abord.
81 Force est de reconnaître que cela constitue une sorte de détournement du statut associatif. D’où l’idée d’association transparente dont la sanction se trouve dans la gestion de fait ; celle-ci correspond à la situation d’une personne maniant des fonds publics sans y être autorisée. Bien sûr, il ne s’agit pas en soi d’un fait délictueux, c’est un état qui conduit la personne déclarée gestionnaire de fait à devoir rendre compte du bon usage des deniers publics qui ont été mis à sa disposition au risque de s’exposer à des sanctions (remboursement personnel desdits fonds, amendes). 82 Arrêts précités, voir notes de bas de page n°49 & 73.
Le Contrat in house
Nicolas Sagne – Master Recherche Droit Public Economique - 57 -
3- Les autres formules au service des collectivités publiques
Ce sont essentiellement, toujours hormis les sociétés d’économie mixte, les groupements
d’intérêt public, ou encore les délégataires de droit privé.
Le GIP est peu pratiqué dans le milieu local. Il a été mis en place par la loi du 15 juillet
1982 dans un souci d’éviter les dérives des associations « para-administratives ». Ses domaines
d’intervention sont très variés : protection de l’environnement, tourisme, aménagement, santé,
action culturelle etc. Une telle structure présente l’intérêt de réunir des personnes morales de
droit public et de droit privé, pour une durée en principe déterminée, aux fins d’exercer des
activités ou de gérer des équipements. Par ailleurs son objet est à but non lucratif mais sans que
cela fasse obstacle à sa faculté de gérer des services publics tant administratifs qu’industriels ou
commerciaux. Il s’agit, en définitive, d’une formule qui n’est pas sans rappeler le groupement
d’intérêt économique de droit privé. Sur le terrain du in house, l’option qui, logiquement,
retient l’attention consiste dans la transposition de la jurisprudence Stadt Halle à la formule du
GIP : en associant à la fois des personnes publiques et des personnes privées, celle-ci serait, de
ce fait même, par nature, incompatible avec les critères énoncés par l’arrêt Teckal. Autrement
dit, la contradiction congénitale des intérêts publics et privés rendrait impossible un contrôle
public du groupement comparable à celui qu’exerce la personne publique sur ses propres
services. Sur le fondement de ces considérations, une commune ne pourra pas confier la gestion
d’un service public culturel par exemple à un GIP auquel elle appartient sans passer par une
mise en concurrence conformément aux dispositions de la loi SAPIN de 1993.
Quant au délégataire de droit privé, il est, lui aussi, un satellite de la collectivité. Il peut
être une association ou une société d’économie mixte ou encore, et c’est la majorité des cas,
une entreprise privée. Sans qu’il soit besoin de reprendre tous nos développements à propos des
sociétés commerciales83, il convient de rappeler que le rapport entre ces dernières et le contrat
in house est loin d’être hypothétique ou purement théorique quand bien même il serait délicat à
établir. Dans la gestion de leurs services publics, les collectivités publiques peuvent bénéficier
de l’exemption prévue par la jurisprudence Teckal en ayant recours, par exemple, à une
entreprise dont elles détiennent 100% du capital social, qu’elles contrôlent étroitement et qui
réalise l’essentiel de ses activités pour lesdites collectivités. C’est une possibilité déjà admise
83 Voir dans la première section de cette présente étude : II-B/
Le Contrat in house
Nicolas Sagne – Master Recherche Droit Public Economique - 58 -
par la Cour dans l’affaire ANAV de 2006 précitée. C’est également une possibilité désormais
admise au profit des collectivités territoriales, en matière d’aménagement, depuis la loi ENL du
13 juillet 200684.
A la lumière de tout ce qui précède, il faut conclure que les satellites des collectivités
publiques, notamment des collectivités territoriales, sont un moyen d’action efficace et souple
justement en vertu d’une certaine autonomie dont elles sont investies. En contrepartie de cette
autonomie, elles restent soumises, par principe, aux formalités de publicité et de mise en
concurrence lorsque les collectivités décident de recourir à leurs services par le biais de
conventions de délégation de service public ou de marchés publics. Le in house n’est dès lors
qu’un moyen de lénifier ou d’édulcorer la rugosité de cette contrainte de formalités à chaque
fois qu’il s’avère que le lien de rattachement du satellite à la collectivité publique est si étroit
qu’il est comparable à celui qui unit cette dernière à ses propres services. Il ne saurait, par
conséquent, y avoir de présomption irréfragable quand il s’agit d’invoquer le régime de
l’exception Teckal ; à chaque fois que de besoin, preuve devra être faite par le pouvoir
adjudicateur qui s’en prévaut de la conformité audit régime de sa relation avec l’entité qui lui
sert de prestataire. Il en est autrement des rapports dits de « maison à maison » ; par principe
les critères du in house n’y peuvent être remplis.
B/ Les rapports horizontaux entre collectivités publiques : l’exclusion de principe du in house
Lorsqu’un opérateur est « dédié »85 à un pouvoir adjudicateur, selon la formule du in
house, il ne peut pas l’être, sous réserve des hypothèses de coopération spéciale entre plusieurs
collectivités, à l’endroit d’un autre pouvoir adjudicateur. Dans cette optique, le cas particulier
de ce qu’il convient d’appeler la mise à disposition, laquelle est aussi une modalité
d’organisation de la sphère publique, mérite quelques analyses.
1- Le contrat- maison et le contrat de maison à maison
84 Voir, pour plus de détails, la dernière section de ce présent chapitre. 85 Terme emprunté à MM. Fatôme et Ménéménis, Concrrence et liberté d’organisation des personnes publiques, AJDA 2006, n°2 p. 67-72
Le Contrat in house
Nicolas Sagne – Master Recherche Droit Public Economique - 59 -
Comme déjà esquissé dans l’introduction à la présente étude, il a fallu au préalable
consacrer la faculté pour une personne publique de se porter candidat à l’attribution d’un
marché public. Le célèbre avis du 8 novembre 2000, Société Jean- Louis Bernard
Consultants86, déjà évoqué, admet cette possibilité. Par conséquent, le contrat de maison à
maison suppose que la personne publique soumissionnaire soit traité comme tous les autres
candidats.
Partant de ce bref rappel, la personne publique a le choix légitime et inconditionné soit de
recourir à des opérateurs extérieurs soit d’exercer les missions « en interne » et, dans un tel cas,
« il ne peut être question, juge la Cour de Luxembourg, de contrat à titre onéreux conclu avec
une entité juridiquement distincte. Ainsi, il n’y a pas lieu d’appliquer les règles
communautaires en matière de marchés publics »87. Pour illustrer notre propos, prenons un
exemple des plus connus : l’INSEE. Cet organisme est une direction de l’administration
centrale spécialisée dans les études statistiques et économiques. Si un service de l’Etat envisage
de diligenter de telles études, il pourra faire appel à lui sans avoir à passer un marché public de
services. N’importe quel service de l’Etat peut librement passer des commandes de cette nature
auprès de l’INSEE. En revanche, ses autres clients, pouvoirs adjudicateurs, (collectivités
territoriales, établissements publics…) sont tenus de le mettre en concurrence avec d’autres
prestataires publics ou privés. Il est un simple service pour l’Etat, collectivité publique,
concourant à la réalisation de ses missions et, en même temps, un opérateur économique en
dehors de la sphère étatique88. Le procédé de cette double fonctionnalité se retrouve aussi au
sein d’autres organismes comme l’Institut Géographique National (IGN)89 et permet de tracer
la frontière entre ce qui relève du in house au sens strict et ce qui appartient au secteur
concurrentiel.
86 Voir, au contentieux, l’arrêt du Conseil d’Etat de la même année, Compagnie méditerranéenne d’exploitation des services d’eaux ; la Haute Cour statue en ces termes : « le principe de la liberté du commerce et de l’industrie ne fait pas obstacle, par lui-même, à ce qu’un établissement public se porte candidat à l’obtention d’une délégation de service publique proposée par une autre collectivité territoriale ». 87 Arrêt Stadt Halle précité. 88 Dans leur article précité, MM. FATÔME et MENEMENIS vont au bout de la logique en imaginant la situation dans laquelle l’INSEE, pour des raisons d’efficacité économique, se verrait conférer une personnalité juridique propre avec mission de réaliser, pour qui les lui demande, des études statistiques ou économiques. Il deviendrait alors un opérateur économique concurrentiel, y compris à l’égard de l’Etat qui ne pourra plus lui passer commande librement. 89 Concernant sa possibilité d’intervenir en tant qu’opérateur sur le marché, voir un ancien arrêt du Conseil d’Etat de 1965, Société aérienne de recherche minière : légalité d’une intervention de l’IGN dans l’activité de location de matériel destiné à l’exécution de missions de photographie aérienne parce qu’il pratiquait des tarifs qui n’étaient pas inférieurs à ceux que proposaient les entreprises privées.
Le Contrat in house
Nicolas Sagne – Master Recherche Droit Public Economique - 60 -
En bref, tant que les différents services en cause appartiennent à la même personne morale
de droit publique, les relations qu’ils entretiennent entre eux sont affranchies de toute
contrainte procédurale. Pour un intérêt essentiellement intellectuel, on peut se demander,
comme l’a fait le Professeur Delvolvé, « si, lorsque plusieurs services sont aménagés à
l’intérieur d’une même personne juridique mais ne sont pas entre eux dans une situation de
subordination hiérarchique, « les commandes » de l’un à l’autre ne doivent pas désormais être
l’objet d’une mise en concurrence »90. Bien sûr la question a été tranchée de manière négative
depuis fort longtemps, le Conseil d’Etat ayant, dans sa décision Unipain du 29 avril 1970,
considéré que le principe de la liberté du commerce et de l’industrie ne faisait pas obstacle à ce
qu’une boulangerie militaire (qui relève du ministère des armées) fournît du pain à des
établissements pénitentiaires (qui relèvent du ministère de la justice). Or, remarque à juste titre
M. Delvolvé, le « contrôle exercé par une personne publique sur un service qu’elle a
« externalisé » mais qui ne travaille que par et pour elle est plus fort que celui d’un ministre
sur les services d’un autre ministre, à l’égard desquels il n’a aucune autorité ». Il explique que
les rapports entre des services qui relèvent hiérarchiquement du même supérieur sont
« verticaux » et que, appartenant à la même maison, ceux-ci n’ont naturellement pas à
s’imposer les règles de concurrence ; en revanche, les services relevant hiérarchiquement de
supérieurs distincts ne peuvent avoir que des rapports « horizontaux » et, par voie de
conséquence, ne sont en mesure de conclure que des contrats « de maison à maison », lesquels
sont soumis à une mise en concurrence préalable.
Toutefois M. Delvolvé finit par concéder que les considérations ci-dessus ne sont que
pures « conjectures » et il est peu probable, à notre sens, qu’elles soient traduites dans la réalité
par une interprétation sinon dévoyée, du moins exagérément audacieuse de l’exception in
house. En effet, cela remettrait sérieusement en cause, sans fondement pertinent, l’autonomie
organisationnelle des collectivités publiques. La personnalité juridique autonome inhérente à
l’applicabilité du contrat-maison au sens de l’arrêt Teckal fait défaut aux services ministériels
car la collectivité publique d’une manière générale (et donc l’Etat) est pensée dans son
ensemble et sa personnalité morale n’est pas subdivisée selon les différentes structures qui la
composent sauf hypothèse d’externalisation.
90 Article précité
Le Contrat in house
Nicolas Sagne – Master Recherche Droit Public Economique - 61 -
Une question qu’on peut se poser, même si la réponse tombe sous le sens, est celle de
savoir si une personne publique, l’Etat par exemple, dispose de la faculté de se mettre lui-
même en concurrence. Assurément, il lui est permis de le faire notamment pour savoir si le
recours aux opérateurs externes ne serait pas plus efficace et plus avantageux économiquement.
Il suffit, pour s’en convaincre, de citer la décision de la Chambre commerciale de la Cour de
Cassation du 14 décembre 1993, Société Guy Couach Plascoa. En l’espèce, le ministre délégué
chargé de la mer (Direction des gens de mer et de l’administration générale) avait attribué, à
l’issu d’un appel d’offres restreint, un marché public pour le remplacement d’une vedette
régionale d’assistance et de surveillance à la direction de la construction et armes navales de
Lorient, autre service de l’Etat. La Haute Cour y juge que « l’entente entre le soumissionnaire
qui s’est vu attribuer le marché et l’administration responsable du marché relève des articles
7, 8 et 10 de l’ordonnance du 1er décembre 1986, le soumissionnaire fut-il lui-même un service
de l’Etat »91. Un service de l’Etat a donc la faculté de mettre en concurrence un autre service de
l’Etat mais cela ne fait pas obstacle à ce que l’un fasse appel à l’autre de manière libre en vertu
de leur appartenance commune à une même collectivité publique. Cela relève du libre
management par l’Etat de ses différents services afin de répondre à ses besoins, peu importe
que, du point de vue du pur réalisme économique, des parts potentielles de marché soient
exclues du libre jeu de la concurrence ; la logique du in house stricto sensu doit jouer
pleinement. Pour reprendre les faits de l’arrêt Unipain, penser que la boulangerie militaire
devrait être mise en concurrence avant de pouvoir fournir du pain à des établissements
pénitentiaires est, à notre sens, pour le moins radical ; le droit de la concurrence n’est pas une
fin en soi et ne doit pas porter atteinte à l’autonomie organisationnelle de la sphère publique
que le contrat in house s’attache à préserver.
En résumé, le contrat maison doit s’entendre comme intégrant les services ou structures
qui appartiennent à la même personne publique et dont l’unité, en dépit de l’autonomie qu’ils
peuvent avoir les uns par rapport aux autres, est matérialisée par une personnalité juridique au
profit de la seule personne publique : c’est le in house au sens strict. En revanche, dès lors
qu’une structure est dotée d’une personnalité juridique propre, c’est au regard des conditions
posées par la jurisprudence Teckal qu’il va falloir apprécier si elle doit toujours être regardée
comme un service de la collectivité nonobstant son apparente autonomie : c’est le in house au
sens Teckal. Une autre problématique, beaucoup plus délicate en ce qui concerne les
91 Cass. Com., 14 décembre 1993, Société Guy Couach Plascoa, D.A. août-septembre 1994, note Israël.
Le Contrat in house
Nicolas Sagne – Master Recherche Droit Public Economique - 62 -
restrictions de concurrence, reste le phénomène des mises à disposition ou contrats
d’assistance.
2- La problématique de la mise à disposition : un contrat de maison à maison particulier
Selon la définition proposée par MM. FATÔME et RICHER, la mise à disposition
« consiste de la part d’une collectivité, le plus souvent l’Etat, qui confie des missions à une
structure donnée (qui peut être elle-même une autre collectivité) à décider, pour éviter les
doubles emplois, que cette structure pourra recourir, pour accomplir cette mission, aux
services et moyens de la collectivité d’origine, qui ne transfère pas les services ou moyens,
parce qu’ils lui servent à accomplir d’autres missions et qu’elle en a toujours besoin. »92 Un
des exemples les plus explicites de la mise à disposition est constitué par le cas des parcs
départementaux d’équipement. En application de la loi du 7 janvier 1983, relatif à la répartition
des compétences entre les communes, les départements, les régions et l’Etat, et de son décret
d’application du 13 février 1987, le parc de l’équipement a été défini comme un service
déconcentré de l’Etat mis à la disposition du département, voire des communes. L’article 1er de
la loi du 2 décembre 1992, relative à la mise à disposition des départements des services
déconcentrés du ministère de l’équipement, consacre la possibilité pour les départements de
recourir aux services du parc départemental de l’équipement. Quant aux communes et à leurs
groupements, l’article 7-1, tel qu’introduit par la loi MURCEF du 11 décembre 2001 dans la loi
du 7 janvier 1983, dispose : « Les communes et leurs groupements qui ne disposent pas, du fait
de leur taille et de leurs ressources, des moyens humains et financiers nécessaires à l’exercice
de leurs compétences dans les domaines de la voirie, de l’aménagement et de l’habitat
bénéficient, à leur demande, pour des raisons de solidarité et d’aménagement du territoire,
d’une assistance technique fournie par les services de l’Etat, dans des conditions définies par
une convention passée entre le représentant de l’Etat et, selon le cas, le maire ou le président
du groupement ».
Ces dispositions normatives accordent aux départements et aux communes la faculté de
bénéficier d’une assistance technique de la part des services de l’Etat. Lorsque l’assistance est
prévue par un contrat à titre onéreux –ce qui est souvent le cas –, se pose le problème de
l’application éventuelle de la réglementation des marchés publics. D’ailleurs, de façon plus
92 Article précité.
Le Contrat in house
Nicolas Sagne – Master Recherche Droit Public Economique - 63 -
globale, c’est le droit de la concurrence qui est concerné93. A ce propos, le Conseil d’Etat,
toujours dans son rapport précité (Collectivités publiques et concurrence)94, n’a pas manqué de
formuler de manière pertinente et claire la problématique : « doit-on (…) faire l’effort
d’admettre que, d’une manière générale, la notion de mise à disposition de services telle
qu’elle a été conçue par le législateur pour favoriser un partenariat entre le préfet et le conseil
général dans la recherche d’un calibrage sur le moyen terme des ressources humaines et des
moyens matériels relève exclusivement de l’organisation interne de la sphère publique et que,
dès lors, toutes les prestations, qu’elles aient pour objet des fournitures, des travaux ou des
services entrant dans le champ des conventions conclues sur le fondement de (…) la loi du 2
décembre 1992, échappent par nature au Code des marchés publics ? ». Doit-on se contenter
de dire qu’il s’agit tout simplement de contrats d’organisation des services publics ? A
l’évidence, puisque le principe constitutionnel de libre administration des collectivités
territoriales n’a pas suffi à permettre que les transferts de compétences à celles-ci
s’accompagnent aussi des transferts de ressources équivalentes, le concours technique peut
apparaître comme un moyen de compensation et donc répondre à des impératifs d’organisation
et de cohérence des services publics. On obtient ainsi des contrats de maison à maison qui, tout
en correspondant aux caractéristiques de marchés publics, seraient de simples contrats d’
« organisation interne de la sphère publique » et non des marchés publics soumis au code des
marchés publics.
Mais, à tout le moins, il est certain que le droit de la concurrence doit être un minimum
respecté. En particulier, la collectivité publique qui fait appel au concours technique de l’Etat
ne devra pas conclure un contrat qui ne lui laisse aucune porte de sortie ( par exemple si la
durée du contrat est trop longue) car il s’agit d’une simple possibilité dont elle doit pouvoir
évaluer l’avantage par rapport à d’autres moyens comme la passation de marchés publics. En
tout état de cause, ces formes contractuelles devraient toujours, au risque de sévèrement
compromettre leur survie, faire l’objet de stricts encadrements. Comme l’affirment MM.
FATÔME et RICHER, dans leur article plusieurs fois cité, même « si les relations en cause
relèvent de l’ « organisation interne de la sphère publique », elles peuvent se répercuter sur la
concurrence et la liberté d’entreprendre. Il conviendrait donc de mettre en place des règles
93 Pour un exemple de pratiques anticoncurrentielles reprochées à ces conventions, voir : Conseil de la concurrence, avis n°99-A-21 du 08 décembre 1999, relative à une demande d’avis de l’Union des syndicats de l’industrie routière française concernant l’intervention des parcs départementaux de l’équipement dans le secteur de la production d’émulsions de bitume et des travaux routiers. 94 EDCE, 2002, p.318.
Le Contrat in house
Nicolas Sagne – Master Recherche Droit Public Economique - 64 -
permettant de garantir que l’atteinte à ces principes est justifiée par les nécessités de la
meilleure organisation du service ».
Entre le contrat-maison auquel les règles de concurrence ne sont pas applicables et le
contrat de maison à maison auquel elles le sont, il y a donc la mise à disposition qui est une
forme de contrat de maison à maison à l’égard duquel elles ne devraient pas être totalement
absentes. Mais il est impossible de s’entourer, à l’heure actuelle, de certitudes sur ce dernier
point. Il en est autrement s’agissant des sociétés d’économie mixte pour lesquelles la solution
au regard du in house est certes sujet à critique mais, au moins, tranchée.
II~ L’inconfortable position des SEM : l’exclusion
du régime du in house
La société d’économie mixte est une société commerciale à majorité de capital public. Elle
doit revêtir la forme juridique de la société anonyme régie par la loi n°66-537 du 24 juillet
1966 modifiée, sous réserve des dispositions dérogatoires à l’application de la loi sur les
sociétés commerciales prévues par la loi du 7 juillet 1983 et qui concernent la participation des
collectivités territoriales au sein de sociétés anonymes. Sa création ne nécessite aucune
autorisation préalable, elle s’exerce librement par les collectivités territoriales comme par leurs
groupements et ses compétences sont très étendues. Elle intervient pour la réalisation
d’opérations d’aménagement, de construction, pour exploiter des services publics à caractère
industriel ou commercial ou pour toute autre activité d’intérêt général ; ceci fait que les
collectivités interviennent largement dans le secteur économique par le biais des SEM locales.
Toutefois, les prestations effectuées par les SEM pouvant, dans la majorité des cas,
recevoir la qualification de marchés publics ou de conventions de délégation, il a fallu résoudre
la question du lien entre les collectivités et celles-ci, notamment celle de savoir si les
collectivités pouvaient librement faire appel à elles sans respecter les formalités imposées par
le Code des marchés publics ou par la loi SAPIN. A cet égard on constate que le phénomène de
banalisation de la SEM a sonné comme le prélude à la solution de l’arrêt Stadt Halle.
Le Contrat in house
Nicolas Sagne – Master Recherche Droit Public Economique - 65 -
A/ Les préludes à l’exclusion du régime du in house : la banalisation de la SEM
Aussi bien les décisions jurisprudentielles que le pouvoir normatif ont consacré cette
banalisation alors que, dans le même temps, subsistent des particularismes mettant ainsi la
SEM dans une situation des plus inconfortables.
1- Une évolution jurisprudentielle et normative d’assimilation de la SEM à une simple société commerciale de droit commun
La formule de la SEM a suscité dès le départ un grand intérêt pour les collectivités
territoriales qui y ont toujours vu la possibilité de confier directement à des organismes qu’elles
ont créés et qu’elles contrôlent étroitement des activités jugées indispensables pour la
population qu’elles administrent. Cependant, la loi n°93-122 du 29 janvier 1993 a mis un terme
à cette possibilité de déléguer directement aux SEM, sans mise en concurrence, des services
publics, sauf en ce qui concerne les opérations d’aménagement. Dans le même sens, statuant
sur la constitutionnalité de ladite loi, le Conseil constitutionnel censura, sur le fondement de
l’atteinte au principe d’égalité, les dispositions prévoyant une exception à l’application des
procédures de publicité et de mise en concurrence au profit des SEM. Il retint qu’en effet les
dispositions en cause « ne [pouvaient] se justifier ni par les caractéristiques spécifiques du
statut des sociétés en cause, ni par la nature de leurs activités, ni par les difficultés éventuelles
dans l’application de la loi propres à contrarier les buts d’intérêt général que le législateur a
entendu poursuivre »95.
Une autre étape importante a été constituée par l’évolution des règles concernant les
contrats de mandat. En effet ceux-ci sont un moyen essentiel par lequel les collectivités
confient des missions aux SEM. Le Code des marchés publics de 2001 prévit, dans son article
3-7°, d’exclure de son champ d’application cette catégorie contractuelle. Sur requête, entre
autres, de l’Union nationale des services publics industriels et commerciaux (UNSPIC), les
juges du Palais Royal se prononcèrent sur cet article par l’arrêt d’assemblée du 5 mars 2003 en
décidant « que si le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie soutient que les
contrats de mandat qui ont pour objet exclusif de confier au mandataire mission de représenter
95 Décision n°92-316 DC du 20 janvier 1993, Loi relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques, J.O. 22 janvier 1993, p. 1118.
Le Contrat in house
Nicolas Sagne – Master Recherche Droit Public Economique - 66 -
une personne publique mandante n’entrent pas dans le champ d’application des annexes I A et
I B de [la] (…) directive [n°92/50/CEE], le 7° de l’article 3 ne pouvait, sans méconnaître les
objectifs de cette dernière, soustraire de façon générale et absolue tous les contrats de mandat
à l’application des dispositions du code des marchés publics »96. Prenant acte de la décision du
Conseil d’Etat, le Code des marchés publics de 2004 supprima l’article litigieux (suppression
non remise en cause par le nouveau Code des marchés publics de 2006). Cette seconde étape
illustre ainsi l’idée selon laquelle la société d’économie mixte serait une entreprise comme les
autres.
Enfin, les opérations d’aménagement ont été rattrapées par les formalités de publicité et de
mise en concurrence. Jusqu’à l’affaire SOGEDIS du 9 novembre 2004, les collectivités
territoriales étaient dispensées, en vertu de l’article L. 300-4 du code de l’urbanisme, de
l’obligation de mettre en œuvre lesdites formalités lorsqu’elles confiaient à une SEM la
réalisation d’une opération d’aménagement. Saisie d’une convention par laquelle la commune
de Cilaos a confié à la SOGEDIS la construction d’équipements pour l’aménagement de son
centre de ville, la Cour administrative d’appel de Bordeaux, après avoir qualifié la convention
litigieuse de concession d’aménagement, jugea « qu’une telle concession n’était dès lors pas
soumise au code des marchés publics ; qu’en vertu des dispositions du dernier alinéa de
l’article L. 300-4, elle n’entrait pas [non plus] dans le champ d’application des dispositions de
la loi n°93-122 du 29 janvier 1993 (…) [sur] les délégations de services publics ; que,
toutefois, elle n’était pas pour autant exclue du champ d’application des règles fondamentales
posées par le traité de l’Union, qui soumettent l’ensemble des contrats conclus par les
pouvoirs adjudicateurs aux obligations minimales de publicité et de transparence propres à
assurer l’égalité d’accès à ces contrats »97. Il est inutile de démontrer que cet arrêt de la CAA
de Bordeaux a largement été inspiré de la jurisprudence Teleaustria de la CJCE déjà abordée.
Ces quelques illustrations démontrent le terme apporté à un certain nombre de facilités
dont jouissaient les SEM en tant qu’elles sont un moyen privilégié du développement local.
Désormais considérées comme des candidats ordinaires par les textes et la jurisprudence, elles
devront faire leur preuve pour se voir attribuer un marché public ou une délégation de service
public. Qui plus est, et toujours dans le même ordre d’idées, la collectivité ne pourra pas se
contenter de présumer que la société d’économie mixte satisfera mieux à l’intérêt général qu’un
candidat entreprise privée. D’ailleurs, il n’est pas inopportun de rappeler le souci de
96 Ref. note de bas de page n°23 97 CAA Bordeaux, 09 novembre 2004, Sogedis c/ Commune de Cilaos, req. n°01BX00381
Le Contrat in house
Nicolas Sagne – Master Recherche Droit Public Economique - 67 -
transparence qui se lit à travers les dispositions pertinentes de l’article L. 1524-5 (al. 6) du
Code général des collectivités territoriales qui prévoit que les élus mandataires d’une société
d’économie mixte ne sont pas autorisés à participer à la commission de délégation lorsque la
société d’économie mixte est candidate ( cet article a également pour but de protéger les élus
contre le délit d’avantage injustifié de l’article 432-14 du code pénal). Toutes ces règles
inspirent à Madame Claudie BOITEAU la remarque suivante : « ces dispositions incitent la
société d’économie mixte à s’assurer un « savoir-faire avant de se porter candidate à la
délégation et à ne pas être une simple coquille vide, le faux-nez trop voyant de la collectivité
publique »98.
Il faut comprendre néanmoins que, quelque réel et consistant que puisse être ce phénomène
de banalisation, des nuances doivent être apportées car, au-delà de la fiction juridique
d’indifférenciation de la SEM par rapport à la société commerciale ordinaire, on ne peut
s’empêcher de reconnaître un certain particularisme de la société d’économie mixte.
2- La subsistance de certaines particularités de la société d’économie mixte
Tout d’abord, quelle que soit la banalité que l’on veut conférer à la SEM, le lien avec la
collectivité territoriale est loin d’être banal. Cette dernière la crée ou recourt à elle pour la
satisfaction d’un besoin jugé d’intérêt général pour les administrés. C’est pourquoi il semble
que les entreprises privées ne sont pas toujours tentées de présenter leur candidature et de
supporter le coût d’une offre aux fins de l’attribution d’un marché public ou d’une convention
de délégation de service public lorsqu’elles savent qu’une SEM est en lice. Certes les textes et
la jurisprudence s’efforcent de s’assurer que les contrats soient attribués dans une totale
transparence mais, dans bien des cas, la réalité ne correspond pas au but du libre jeu de la
concurrence qui est la pluralité des candidatures. Les collectivités sont tellement promptes à
faire le choix politique de confier la gestion de leurs services publics aux SEM, au besoin, en se
départant de tout souci d’efficience économique, que la Cour des comptes, dans son rapport
public de 2005 sur les transports publics urbains, n’a pas manqué l’occasion de dénoncer les
dérives constatées dans l’attribution de contrats à des sociétés d’économie mixtes qui ne
présentaient pas du tout les garanties professionnelles, financières ainsi que l’expérience
98 Claudie BOITEAU, Les sociétés d’économie mixte et les contrats de délégation de service public, RFDA 2005, p.946
Le Contrat in house
Nicolas Sagne – Master Recherche Droit Public Economique - 68 -
nécessaires ; une dérive telle que, souvent, c’est la sous-traitance qui a dû servir de porte de
sortie.
En outre, et surtout, l’entrée en vigueur des directives communautaires 2004/17 et 2004/18
sur les marchés publics ont contribué à intensifier le particularisme des SEM. Celles-ci sont en
effet des sociétés commerciales ; les contrats qu’elles concluent sont donc de droit privé et
devraient normalement être passés en toute liberté. Seulement, il n’en est pas toujours ainsi et,
ce, du fait de la notion communautaire d’organisme de droit public. Sans qu’il soit besoin de
revenir en long et en large sur l’acception de cette notion99, on peut brièvement rappeler que le
critère du risque économique et financier joue un rôle incontournable dans la qualification
d’une entité d’organisme de droit public. Si l’entité en question supporte un tel risque, la
qualification d’organisme de droit public doit être exclue ; dans le cas contraire, elle peut être
retenue. Or il s’avère que beaucoup de SEM ne diversifient pas vraiment leurs activités et sont
assez souvent titulaires d’un unique contrat de délégation tout en étant tenues d’assurer la
continuité du service public. Dans ces circonstances, il n’est pas exagéré d’imaginer voire de
présumer plusieurs modalités que prévoira l’actionnaire public afin de maintenir la SEM en vie
quelles que soient les difficultés financières rencontrées (compensation des pertes
d’exploitation, compensations de charges imposées par les pouvoirs publics, octroi d’avantages
financiers sous forme de non perception de bénéfices ou de non recouvrement de créances).
D’ailleurs, la Cour de justice de Luxembourg s’inscrit dans le sillage des remarques que nous
venons d’exposer. Ainsi, considère-t-elle, dans l’affaire Riitta Korkhonen, que « si des sociétés
[d’économie mixte] présentent, sur le plan juridique, peu de différences avec les sociétés
anonymes détenues par les opérateurs privés dans la mesure où elles supportent les mêmes
risques économiques que ces dernières, et peuvent également être déclarées en faillite, les
collectivités territoriales auxquelles elles appartiennent permettront rarement qu’un tel
événement se produise et procéderont, le cas échéant, à une recapitalisation desdites sociétés
afin qu’elles puissent continuer à assumer les tâches pour lesquelles elles ont été créées »100.
Pour présenter les choses de manière plus concise, les SEM des collectivités territoriales
sont susceptibles d’être considérées comme des pouvoirs adjudicateurs (ou des entités
adjudicatrices d’ailleurs) avec, comme conséquence, l’obligation de se soumettre aux 99 Voir, à cet effet, les développements sur l’organisme de droit public dans la première section de la présente étude 100 CJCE, 22 mai 2003, Arkkitehtuuritoimisto Riitta Korkhonen Oy c/ Varkauden Taitotalo Oy, aff. C-18/01, point 53. Voir, dans le même sens, CJCE, 16 octobre 2003, Commission c/ Royaume d’Espagne.
Le Contrat in house
Nicolas Sagne – Master Recherche Droit Public Economique - 69 -
procédures de publicité et de mise en concurrence pour passer leurs propres contrats101. A partir
de l’arrêt Teckal, les pouvoirs publics avaient vu dans l’exception in house une voie de
contournement des règles de concurrence accessible aux sociétés d’économie mixte. La notion
communautaire d’organisme de droit public pouvait donc être compensée par cette exception.
Cependant la solution radicale de l’arrêt Stadt Halle aura eu raison de leurs prévisions.
B/ La solution de l’arrêt Stadt Halle : fondements et pertinence
Rien ne laissait présager la solution Stadt Halle en dépit de la jurisprudence
constitutionnelle et administrative mentionnée ci-dessus. Les avocats généraux avaient admis
que les SEM pussent recevoir la qualité de prestataire in house. L’avocat général M. LEGER,
dans ses conclusions sur l’affaire ARGE retint cette possibilité. Il en est de même de l’avocat
général Mme STIX-HACKL dans ses conclusions sur la présente affaire ; elle y est d’avis que
la participation d’entreprises privées dans le capital de la société d’économie mixte « n’a en
principe pas d’impact négatif » (point70). Dans le même sens, le Conseil d’Etat, saisi de la
légalité du point 3.1.1 de l’instruction d’application du code de 2001, avait admis la légalité de
cette disposition qui précisait que le régime du contrat in house était susceptible de s’appliquer
aux relations contractuelles existant entre « une collectivité territoriale et une société
d’économie mixte qu’elle a créée, qu’elle contrôle et qui réalise l’essentiel de son activité avec
elle »102. Le Ministre de l’économie et des finances, lui aussi, confirma un peu plus tard cette
approche mais avec un peu plus de circonspection103. Ceci amène à se poser deux questions
essentielles : quels sont les fondements et les implications de la solution Stadt Halle sur la
structure de la société d’économie mixte ? Quelle en est la pertinence ?
101 En sus de ces contraintes, les garanties susceptibles d’être apportées par les actionnaires publics des SEM, et à cause desquelles celles-ci peuvent se voir reconnaître la qualité d’organismes de droit publics, seront probablement confrontées à la réglementation sur les aides d’Etat. 102 CE, 09 juillet 2003, Fédération française des entreprises gestionnaires des services, aux équipements, à l’énergie et à ‘environnement et autres, n°239879 ; CMP, 2003, comm. 169 103 Il a affirmé que « pour déterminer si la collectivité exerce sur la SEM un contrôle analogue à celui qu’elle exerce sur ses propres services…, il conviendrait d’examiner si la collectivité détient non plus seulement la moitié du capital social mais une part suffisamment importante de celui-ci pour qu’aucune minorité de blocage ne puisse être constituée face à l’actionnaire majoritaire » (Rep. min. n°9614 : JO Sénat Q, 1er avril 2004, p.802, CMP, 2004 comm. 100, BJCP 35/2004 p.323). Il ajoute un peu plus tard qu’ « il n’est pas possible de déterminer a priori si les sociétés d’économie mixte locales, y compris lorsque leur capital est détenu majoritairement par des collectivités territoriales, satisfont aux conditions posées par l’article 3-1 du Code des marchés publics » (Rep. min. n°10707 : JO Sénat Q, 13 mai 2004, p.1037 ; CMP 2004, comm. 158 ; JCP A 2004, 1396).
Le Contrat in house
Nicolas Sagne – Master Recherche Droit Public Economique - 70 -
1- Fondements et implications de l’arrêt Stadt Halle sur la structure de la SEM
Commençons par rappeler la disposition pertinente et controversée de l’arrêt : « la
participation, fût-elle minoritaire, d’une entreprise privée dans le capital d’une société à
laquelle participe également le pouvoir adjudicateur en cause exclut en tout état de cause104
que ce pouvoir adjudicateur puisse exercer sur cette société un contrôle analogue à celui qu’il
exerce sur ses propres services ». Nous avons également fait état des deux raisons essentielles
avancées par le juge communautaire au soutien de sa décision : d’un côté, l’incompatibilité
consubstantielle entre intérêt public et intérêt privé, lesquels, selon la Cour, ne sauraient
coexister au sein d’une même société qui serait qualifiable d’opérateur in house ; d’un autre
côté, le faussement du principe d’égalité qui résulterait de l’avantage anormal dont bénéficierait
l’actionnaire privé par rapport à ses concurrents du fait de l’attribution directe, sans mise en
concurrence, du marché public à l’entreprise d’économie mixte.
La décision ainsi prise par la CJCE intéresse au premier chef les sociétés d’économie
mixte locales qui doivent obligatoirement comporter au moins un actionnaire privé (article
1521-1 du Code général des collectivités territoriales). Et, en tout état de cause, leur
participation au capital de la SEM ne peut excéder 85% (c’est la loi du 2 janvier 2002 qui a
porté ce taux à 85% au lieu de 80%). Sur le fondement de ce pourcentage, il est tout à fait
plausible d’affirmer que les actionnaires privés sont en mesure de disposer d’un pouvoir
conféré par le droit des sociétés et en vertu duquel une qualification éventuelle de contrôle
analogue au sens de la jurisprudence très stricte de la Cour ne pourra pas être retenue en faveur
du contrôle majoritaire de l’actionnaire public. D’ailleurs, dans le cas d’espèce, l’instance
allemande saisie estima qu’ « il ne pouvait pas être question d’ « opération interne » du fait
que la participation minoritaire privée dépassait le seuil de 10% à partir duquel,
conformément à la réglementation allemande sur les sociétés à responsabilité limitée, on est en
présence d’une minorité qui dispose de certains droits déterminés » (point 19 de l’arrêt).
Naturellement, l’accord de domination peut réserver à la collectivité actionnaire des
prérogatives allant au-delà de ce que prévoient les dispositions normatives relatives au contrôle
104termes soulignés par nous.
Le Contrat in house
Nicolas Sagne – Master Recherche Droit Public Economique - 71 -
majoritaire. En effet, il est vrai que le poids des actionnaires privés dans la prise de décisions
des SEM est assez relatif puisque, bien évidemment, les collectivités territoriales sont
majoritaires au capital et possèdent, par conséquent, la majorité des voix dans les organes
délibérants de la société. Mais il s’en faut de peu pour faire échec au critère du contrôle
analogue. Aussi, paraîtrait-il qu’il soit possible, par le biais de procédés tels que le système du
visa ou du contreseing des décisions105, de rendre complètement fictif le pouvoir de décision
des dirigeants de la SEM. Cela reviendrait alors à considérer celle-ci comme un véritable
service de la collectivité. Or, n’est-ce pas l’objet même du contrat-maison que de soustraire aux
règles de concurrence les relations contractuelles existant entre la collectivité et une entité
susceptible d’être appréhendée comme un de ses services ? Seulement, dans le cas de
l’économie mixte, un autre problème, non moins fondamental, est à soulever : les SEM sont
soumises à la loi du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales qui consacre justement leur
autonomie structurelle et décisionnelle. Mme SABATTIER et M. PEYRICAL, avocats à la
Cour, résument le dilemme en ces termes : « soit la SEM dispose d’un pouvoir de décision
effectif par rapport à la collectivité, et dans ce cas, les critères des contrats « in house » ne
sont pas remplis ; soit elle ne dispose pas d’une réelle indépendance dans ce pouvoir de
décision, dans ce cas les critères susvisés s’appliquent mais la SEM perd non seulement son
autonomie mais aussi sa justification et sa légitimité »106.
En dépit des quelques ajustements susceptibles de servir de modalité alternative aux deux
hypothèses ci-dessus décrites, on peut se demander, à juste titre, si ce n’est pas la nature
intrinsèque de la SEM qui commande son inadéquation au régime de l’ « opérateur interne ».
Dès lors, la décision Stadt Halle paraît ou devrait paraître moins choquante.
2- La pertinence de la solution Stadt Halle
A titre préliminaire, il convient de préciser que la méthode adoptée par la Cour de justice et
qui a abouti à la solution sous examen ne s’imposait pas. Une analyse classique du critère du
contrôle analogue aurait suffi à exclure, en l’occurrence, le bénéfice du in house et le juge
nationale avait déjà résolu la difficulté en informant la Cour que le seuil de 10% permettant, en
105 Exemples donnés par Jean-Marc PEYRICAL et Céline SABATTIER, avocats à la Cour, Collectivités locales et SEM : les limites du « in house », ACCP-CP, n°29, janvier 2004, p.32. 106 même article, p.34
Le Contrat in house
Nicolas Sagne – Master Recherche Droit Public Economique - 72 -
droit allemand, à l’actionnaire minoritaire de disposer de pouvoirs non négligeables avait été
atteint. Mais le juge communautaire a préféré poser autrement la question en se demandant si le
seul fait qu’une entreprise privée détienne une participation, même minoritaire, dans le capital
de la société cocontractante du pouvoir adjudicateur suffit à rendre applicable, en tout état de
cause, les règles de passation des marchés publics.
Tout en répondant positivement à la question qu’elle s’est elle-même posée, la Cour de
Luxembourg nous livre des motivations qui, au regard du caractère péremptoire de sa décision,
sont loin d’être convaincantes. En ce qui concerne tout d’abord l’opposition de nature qu’elle
retient entre les intérêts privé et public, il est difficile d’admettre qu’ils sont forcément dans un
rapport de contradiction. La conception traditionnelle française veut que, même si l’intérêt
général transcende les intérêts particuliers, ceux-ci soient subsumés dans celui-là. Par
conséquent, le fonctionnement normal de la SEM ne s’inscrit pas dans une logique de
confrontation permanente entre actionnaires privés et publics mais bien dans celle de la
complémentarité, comme l’estime M. CAPITANT qui voit dans la mixité de la société les
avantages réciproques suivants : « recours à des capitaux privés, à des modes de gestion plus
souples, à une compétence technique pour la personne publique ; rémunération, proximité avec
la décision publique pour la personne privée »107. Quant au deuxième élément de motivation, à
savoir la non conformité au principe d’égalité de l’attribution directe d’un marché public à une
entreprise dans laquelle une personne privée est actionnaire, il paraît plus acceptable, plus
fondé. En effet, l’actionnaire privé de la SEM dispose indéniablement d’un avantage par
rapport à ses concurrents justement, et pour en revenir aux avantages avancés par M.
CAPITANT, du fait de sa proximité avec la décision publique. Néanmoins, le propre de
l’économie mixte est aussi d’engendrer un certain nombre de charges. Dans le cas notamment
d’une convention de délégation de service public, le principe de la continuité du service public
peut être à l’origine de quelques contraintes que subit l’actionnaire privé.
En définitive, au lieu d’apporter une réponse circonstanciée, le juge communautaire a
préféré opter pour une position de principe. Devant l’extrême difficulté de faire de la SEM une
entité in house sans annihiler sa justification et sa légitimité, lesquelles se reconnaissent dans
son autonomie structurelle et fonctionnelle, il a tout simplement permis de mettre fin au
dilemme par sa décision radicale qui aura eu, au moins, le mérite de la sécurité juridique et de
107 D. CAPITANT, Les SEM exclues du « in house », CP-ACCP 2005, n°42, p.45.
Le Contrat in house
Nicolas Sagne – Master Recherche Droit Public Economique - 73 -
ne pas accroître les incertitudes autour de la notion de contrat-maison dont le régime est déjà
largement aléatoire. Il est certain que les SEM ne peuvent être que fortement présumées
incompatibles avec le régime des contrats de prestations intégrées. Toutefois considérer cette
présomption comme irréfragable nous paraît quelque peu excessif. Rien ne permet d’affirmer
avec certitude que, de manière exceptionnelle, une entreprise d’économie mixte ne présenterait
pas les caractéristiques d’un opérateur in house. Ainsi, M. ECKERT s’interroge-t-il sur « le
point de savoir si le raisonnement tenu par la Cour vaut également dans le cas où les
actionnaires privés de la société seraient entièrement contrôlés par des personnes publiques,
comme ce peut être le cas de filiales de la Caisse des Dépôts et Consignations »108. La question
est encore plus pertinente avec l’avènement des sociétés publiques locales d’aménagement109 ;
on pourra se demander ce qui sera la position de la Cour si l’actionnaire privé n’est autre
qu’une entité in house.
Mais il est important de savoir qu’au-delà des commentaires sur la sévérité de cette
décision au regard de l’applicabilité de l’exception de l’arrêt Teckal, ce sont les sociétés
d’économie mixte tel que le droit interne les conçoit qui sont mises dans une situation rendue
de plus en plus délicate à cause de leur assimilation croissante à des sociétés commerciales
ordinaires sans aucune spécificité propre. L’arrêt Stadt Halle n’est qu’une illustration de plus.
Et si le fait d’espérer être dans la bonne situation d’invoquer le in house est si vital, peut-être
faudrait-il repenser l’économie mixte, pour ne s’en tenir qu’à celle-ci, sauf si la conception
restrictive jusqu’ici retenue par la CJCE en venait à être assouplie.
Section II : Le contrat in house : entre assouplissement et solutions de compensation
En tant qu’exception au principe de concurrence gouvernant la passation des marchés
publics, le contrat-maison n’a pas eu pour finalité de concerner tous les cas d’externalisations
de services des pouvoirs publics ; loin s’en faudrait. Il n’est réservé qu’à des cas très limités
dans lesquels l’entité en cause revêt une structure et fonctionne de manière inhabituelle par
rapport au fonctionnement normal d’une entreprise privée ou encore d’un service classique de
la collectivité publique. D’ailleurs, commentant l’arrêt Stadt Halle de 2005, M. ROLIN
concède qu’on a l’impression que « la notion de prestation in house est finalement réservée à 108 G. ECKERT, note sous l’arrêt Stadt Halle, CMP 2005, n°68. 109 Voir dans la deuxième section de ce chapitre (II-A)
Le Contrat in house
Nicolas Sagne – Master Recherche Droit Public Economique - 74 -
des situations quasiment pathologiques »110 et qu’au regard du droit commun des sociétés, « un
être moral qui répondrait à ces caractéristiques serait regardé comme une société fictive »111.
Il relève donc de l’évidence que le souhait des pouvoirs publics est celui d’un
assouplissement des critères de la jurisprudence Teckal. Mais entre souhait et faisabilité, il y a
un fossé qu’on ne s’empressera pas de combler ; l’assouplissement soulève une problématique
dont l’issue est pour le moins incertaine (I). D’où l’existence de solutions alternatives à la
ténuité du champ d’application du contrat in house (II) .
I~ La problématique de l’assouplissement des conditions du contrat in house. Quelle que soit la volonté des pouvoirs publics de rendre plus souple l’appréciation des
critères de l’arrêt Teckal et quelles que soient les modalités d’action qu’elles prennent en ce
sens, il faudra nécessairement un alignement du droit communautaire. Il s’agit donc de
chercher d’abord à démontrer que les institutions communautaires ne sont pas forcément sur la
même longueur d’ondes. Ce qui pourrait amener la Cour de justice de Luxembourg à revoir
nolens volens son interprétation des critères de l’exception in house. Il s’agit ensuite de faire
part de quelques réflexions sur la meilleure manière d’assouplir lesdits critères sans pour autant
ouvrir une brèche dans laquelle s’empresseraient de s’engouffrer les collectivités publiques
dans le but d’échapper anormalement aux règles de concurrence.
A/ Une volonté communautaire naissante d’assouplir les conditions de mise en œuvre de l’exception in house ?
Pareille volonté a pu être manifestée dans un secteur spécifique : celui des services publics
de transport des voyageurs. L’initiative de la Commission européenne d’adopter une
réglementation harmonieuse dans ce secteur a été l’occasion de positions de la part des autres
institutions qui ont révélé des divergences dont il sera intéressant de faire l’analyse après avoir,
au préalable, établi le contexte et le cadre général de la réglementation en cause.
110 F. ROLIN, Les étrangers dans la maison ou l’économie mixte exclue des contrats in house, AJDA 2005, p.898 111 Voir, à ce propos, J. MESTRE, Sociétés commerciales, Lamy 2004, n°2019 & s.
Le Contrat in house
Nicolas Sagne – Master Recherche Droit Public Economique - 75 -
1- Contexte et cadre général du règlement en matière de service public de transport
La législation communautaire dans le domaine de la fourniture de transports publics relève
du règlement 1191/69 du 26 juin 1969, relatif à l’action des Etats membres en matières
d’obligations inhérentes à la notion de service public dans le domaine des transports par
chemin de fer, par route et par voie navigable, modifié par le règlement 1893/1991. En vertu de
ces textes, les Etats peuvent « imposer des obligations de service public visant à garantir des
prestations conformes à certaines normes tarifaires, de continuité, de régularité ou de
capacité, à charge pour eux d’en compenser les coûts pour l’opérateur ». Si le cadre normatif
ainsi décrit était conçu au départ pour un secteur où les fournisseurs étaient exclusivement
nationaux, régionaux ou locaux, il ne reflète plus aujourd’hui la réalité, laquelle est caractérisée
par l’émergence d’un marché unique des transports publics112. Qui plus est, parce qu’il ne
définit pas les modalités d’attribution des contrats de service public et qu’il comporte
d’importantes dérogations, le règlement de 1991 est devenu source d’insécurité juridique. Dès
lors, la nécessité de procéder à une réforme s’est imposée.
Le 26 juillet 2000, la Commission européenne adopte une proposition de règlement. Celle-
ci établit la notion de « transport public suffisant de voyageurs », instaure la règle selon
laquelle les interventions des autorités dans le secteur des transports publics doivent prendre la
forme de contrats de service public (article 5), sauf quand les autorités définissent des critères
minimums applicables à l’exploitation des transports publics (conditions posées à l’article 10) ;
la proposition prévoit également des critères minimums afin que tous les opérateurs respectent
la mission et les exigences d’un service public ; concernant les procédures, elle modernise et
simplifie les règles définies par le règlement de 1969.
112 La Commission note que l’ « ouverture à la concurrence a entraîné l’émergence de fait d’un marché international pour la prestation de services de transports publics. Au départ, certains groupes industriels privés comme Connex, Arriva et Concordia étaient les plus actifs dans la recherche de contrats en dehors de leur pays d’origine. Nombre de ces opérateurs réalisent aujourd’hui plus de 50% de leur chiffre d’affaires dans d’autres pays que le leur. Des groupes du secteur public, comme DB (D), NS (NL) et la RATP (F) les ont rejoints depuis. Les opérateurs nationaux historiques ont profité de cette évolution pour intervenir ou prendre des participations sur de nouveaux marchés dans leur propre pays (par exemple, la RATP, opérateur de transports urbains à Paris, intervient aussi à Mulhouse ou à Clermont-Ferrand) ou en dehors (comme l’opérateur ferroviaire national néerlandais qui a décroché le contrat de transport ferroviaire urbain de Liverpool)
Le Contrat in house
Nicolas Sagne – Master Recherche Droit Public Economique - 76 -
La proposition de règlement ainsi brièvement décrite a été portée devant le Parlement
européen qui a formulé des amendements conséquents sur le texte. Tenant compte de ceux-ci,
la Commission a modifié substantiellement son texte avant de le transmettre au Conseil. Puis la
proposition y est restée bloquée du fait qu’elle remettait en cause le maintien des régies locales
de transport. Les Etats sont restés « très divisés sur l’étendue même de l’ouverture des
transports terrestres à la concurrence compte tenu, notamment de la disparité des expériences
d’ouverture qui y sont menées ». Ne souhaitant pas voir cette situation de paralysie perdurer, la
Commission a réexaminé sa proposition à la lumière, notamment, des apports de la
jurisprudence Altmark de 2003 (C-280/00). Elle a déposée une nouvelle proposition113,
considérée en fait comme une révision de celle de 2000, directement devant le Conseil qui,
cette fois-ci, est parvenu à un accord politique114.
Pour s’en tenir aux disposition intéressant directement notre propos, c’est-à-dire les
conditions d’attribution des contrats de service public de transport de voyageurs, le règlement
distingue les contrats de service public qui revêtent la forme de marchés publics de service au
sens des directives 2004/17 et 2004/18 et ceux qui revêtent la forme de concessions. Les
premiers sont attribués selon les procédures prévues par les directives relatives aux marchés
publics ; les seconds sont régis par l’article 5 du règlement qui fixe, à la fois, les principes de
passation mais également les exceptions à l’attribution avec mise en concurrence dont,
essentiellement, l’attribution d’un contrat à un opérateur « interne ».
2- L’approche souple de l’opérateur in house dans le cadre du contrat de service public
de transport de voyageurs
La disposition pertinente figure à l’article 5-2 du règlement : « Sauf interdiction en vertu
du droit national, toute autorité locale pertinente, qu’il s’agisse ou non d’une autorité
individuelle ou d’un groupement d’autorités fournissant des services intégrés de transport
public de voyageurs, peut décider de fournir elle-même des services publics de transport de
voyageurs ou d’attribuer directement des contrats de service public à une entité juridiquement
distincte sur laquelle l’autorité locale compétente, ou, dans le cas d’un groupement 113 Proposition de règlement relatif aux services publics de transports de voyageurs par chemin de fer, et par route, COM (2005) 319 final du 20 juillet 2005. 114 Etat du dossier au 25 juillet 2007 : avis de la Commission européenne sur les amendements apportés par le Parlement européen sur la position commune du Conseil
Le Contrat in house
Nicolas Sagne – Master Recherche Droit Public Economique - 77 -
d’autorités, au moins une autorité locale compétente, exerce un contrôle analogue à celui
qu’elle exerce sur ses propres services (…). Lorsqu’une autorité locale compétente prend une
telle décision, les dispositions suivantes s’appliquent :
a) aux fins de déterminer si l’autorité locale compétente exerce un tel contrôle,
il est tenu compte d’éléments tels que le niveau de représentation au sein
des organes d’administration, de direction ou de surveillance, les précisions
y relatives dans les statuts, la propriété ainsi que l’influence et le contrôle
effectifs sur les décisions stratégiques et sur les décisions individuelles de
gestion. Conformément au droit communautaire, la détention à 100% du
capital par l’autorité publique compétente, en particulier dans les cas de
partenariats publics-privés, n’est pas une condition obligatoire pour établir
un contrôle au sens du présent paragraphe, pour autant que le secteur
public exerce une influence dominante et que le contrôle puisse être établi
sur la base d’autres critères ;
b) le présent paragraphe est applicable à condition que l’opérateur interne et
toute entité sur laquelle celui-ci a une influence, même minime, exercent
leur activité de transport public de voyageurs sur le territoire de l’autorité
locale compétente, nonobstant d’éventuelles lignes sortantes et autres
éléments accessoires à cette activité se prolongeant sur le territoire
d’autorités locales compétentes voisines, et ne participent pas à des mises
en concurrence concernant la fourniture de services publics de transport de
voyageurs organisés en dehors du territoire de l’autorité locale
compétente ».
L’approche consacrée par l’article 5-2 du règlement a été des plus laborieuses. Le contrat
in house a été, en effet, une question centrale de conflit entre la Commission, le Parlement et le
Conseil. Selon la Commission, les régies ou les sociétés publiques locales de transport qui sont
des entreprises ne pouvaient pas bénéficier de traitement différent de celui des autres
entreprises. « Toute autre solution, estima-t-elle, qui consisterait à ne pas appliquer ces
dispositions aux cas où l’Etat agit en tant qu’entreprise ne garantirait pas l’application non
discriminatoire du droit communautaire ». Elle rappelle, dans son Livre vert sur les services
d’intérêt général, que « s’agissant de la participation de l’Etat à la fourniture des services
d’intérêt général, il incombe aux autorités publiques de décider de fournir ces services
directement via leur propre administration ou de les confier à un tiers. Néanmoins, les
Le Contrat in house
Nicolas Sagne – Master Recherche Droit Public Economique - 78 -
fournisseurs de services d’intérêt général, y compris les fournisseurs de services internes, sont
des entreprises et sont dès lors soumis aux règles de concurrence prévues par le traité. Les
décisions d’accorder des droits spéciaux ou exclusifs aux fournisseurs de services internes ou
de les favoriser par d’autres moyens peuvent constituer une violation du traité, malgré la
protection partielle offerte par l’article 86 »115. Donc, concrètement, elle refusait de céder sur
le fait que l’exception des « contrats dans la maison qui peut jouer dans le cadre général des
directives relatives aux marchés publics n’avait pas vocation à s’appliquer dans le cadre d’un
règlement dont l’objectif est, dans le cadre d’une concurrence régulée, d’ouvrir le marché des
transports de voyageurs par route et par chemin de fer à la concurrence ». Dans sa proposition
révisée de 2005, elle finit cependant par concéder que l’exception de l’arrêt Teckal pût
s’appliquer. C’est à cette occasion que le Conseil préconisa une approche plus souple des
critères d’identification de l’opérateur interne et, plus spécifiquement, la possibilité d’étendre le
régime du in house aux hypothèses de partenariat public-privé.
Ainsi, si les positions de principe de la Commission se situent dans le droit sillage de
l’interprétation restrictive faite par la Cour de justice de Luxembourg du contrat in house, les
autres institutions, notamment le Conseil, ont entendu prendre le contre-pied de la
jurisprudence communautaire en écartant la décision très controversée retenue dans l’affaire
Stadt Halle. En vertu de cette proposition de règlement, une SEM pourra, dans le secteur en
question, avoir la qualité de prestataire in house. Ce qui amène à se demander si la volonté
politique manifestée au cours des différentes consultations (toujours en cours) n’a été que
circonstanciée ou si, au contraire, elle doit être regardée comme le signe avant-coureur d’un
futur assouplissement du cadre général d’application du contrat in house.
B/ Quelle modalité d’assouplissement pour l’exception in house ?
Pour poser la question autrement, par quel moyen le régime du in house peut-il être
assoupli sans pour autant risquer de remettre en cause, de manière excessive ou injustifiée, les
principes gouvernant la passation des marchés publics et des concessions ? D’un autre côté,
peut-on raisonnablement imaginer que, malgré tout, la forte élasticité des règles de
concurrence, qui se manifeste dans l’obligation de transparence, soit de nature à fortement
115 COM (2003) 270 final, du 21 mai 2003.
Le Contrat in house
Nicolas Sagne – Master Recherche Droit Public Economique - 79 -
relativiser toute démarche visant à atténuer les conditions de mise en œuvre de l’exception in
house ?
1- L’assouplissement du in house par un équilibrage de ses conditions
Il ne suffira pas, pour atténuer les conditions du in house, de se contenter d’étendre la
sphère administrative face au tout marché par une vision lénifiée du critère du contrôle
analogue. Si la raison d’être de l’exception consiste dans le fait qu’elle se situe hors du jeu des
règles concurrentielles et qu’il n’y a donc aucun intérêt à les mettre en œuvre, le simple
assouplissement du critère du contrôle analogue aurait probablement l’inconvénient de
l’artificialité et, partant, de limiter exagérément le champ du droit de la concurrence. C’est
pourquoi, à notre sens, la solution est à chercher du côté du second critère de l’exercice de
l’essentiel de l’activité de l’entité in house avec la collectivité qui la détient.
Comme nous l’avons déjà vu, la condition de l’exercice de l’essentiel de l’activité est une
condition de bon sens : il est normal que la collectivité publique qui s’est arrangée pour exercer
un contrôle sur un opérateur économique comparable à celui qu’elle exerce sur ses propres
services soit le client quasi exclusif de ce dernier. Mais, concrètement, cela ne change rien au
plan économique. Les conclusions pertinentes de M. GEELHOED sur l’affaire Asemfo c/
TRAGSA du 19 avril 2007 déjà étudiée tiendront lieu d’illustration de nos propos. En effet, il
observe que le type d’organisation administrative dont fait l’objet TRAGSA « a pour
conséquence qu’une partie importante des activités en question, qui pourrait également être
confiée à des entreprises privées, [lui] est de ce fait réservé (…), en tant qu’organe
instrumental du pouvoir central, ce qui a pour effet de rétrécir le marché à l’avenant pour les
entreprises privées originaires d’autres Etats membres qui seraient susceptibles de s’y
intéresser ». Mais la question principale ne se situe pas à ce niveau. La délimitation de la
sphère administrative n’est pas conditionnée en soi par son effet restrictif ou non de
concurrence. Justement, l’exception in house a pour effet de limiter la concurrence si l’on se
contente de laisser planer un regard de pur réalisme économique. Ce qui fait que, une fois cette
sphère administrative délimitée, il est indispensable qu’elle n’empiète pas dans la sphère du
marché. Le second critère de la jurisprudence Teckal est censé permettre d’éviter un tel
scénario. Il nous semble donc, à notre niveau, plus judicieux de ne pas cristalliser toutes les
attentions sur l’examen du critère du contrôle analogue. L’admettre de façon un peu plus
Le Contrat in house
Nicolas Sagne – Master Recherche Droit Public Economique - 80 -
souple n’aura pas forcément pour effet d’élargir le champ du in house de manière inappropriée
si, en contrepartie, le juge reste intransigeant sur la condition d’exercice des activités pour le
compte de la collectivité publique. Or, à ce propos, comme le souligne M. GEELHOED, la
condition selon laquelle la majeure partie des activités de l’entité contrôlée doit être réalisée
avec la personne publique, pour nécessaire qu’elle soit, est insuffisante.
Pour en revenir au cas de TRAGSA, il exerce l’écrasante majorité de ses activités au profit
des entités publiques qui le contrôlent. Mais il fournit également des prestations, censées être
marginales, à d’autres personnes, publiques ou privées. Ce schéma est possible pour tout
prestataire in house ; l’avocat général soulève deux questions intéressantes à cet égard :
« Tragsa doit-elle, pour cette partie moindre de ses activités, être considérée comme une
personne juridique au statut, certes, particulier, qui, pour le surplus, se trouve en concurrence,
sur pied d’égalité, avec d’autres candidats privés en lice pour l’obtention de marchés d’
« autres » entités publiques ? » Ou alors « demeure-t-elle un service instrumental des entités
publiques pour lesquelles elle exécute la majeure partie de ses travaux et qui, au moyen de sa
capacité résiduelle, exerce des activités annexes et s’accapare ainsi l’espace encore disponible
du marchés des travaux dans le domaine de l’infrastructure agricole et de la protection de
l’environnement ? » Il en résulte qu’à défaut de s’accorder sur le fait que le second critère
devrait être synonyme d’exclusivité, la tolérance de la part marginale d’activité au profit
d’autres personnes pourrait simplement être remplacée par la possibilité qui serait reconnue à
l’entité in house d’avoir un double visage : l’un en qualité d’instrument de la collectivité
publique, l’autre en qualité d’opérateur ordinaire intervenant sur le marché. Toutefois, un tel
procédé nécessite des garanties expresses et fiables de maintien, tant au plan financier ou
comptable que matériel et personnel, d’une frontière étanche entre ces deux qualités. Le but est
de prévenir toute forme ouverte ou déguisée de financements croisés. En effet, en vertu de
l’article 86 §1 CE, les Etats membres n’édictent ni ne maintiennent, en ce qui concerne les
entreprises publiques, aucune mesure contraire aux règles du traité, notamment à celles prévues
à l’article 12 et aux articles 81 à 89 CE. Or, l’absence de transparence pourrait, dans ce
mécanisme de prestataire in house à double visage, lui permettre d’utiliser les avantages
financiers qu’il tire de son statut d’instrument de la collectivité publique lorsqu’il entre en
concurrence avec d’autres opérateurs sur les segments ouverts du marché116. Tout juste pourra-
116 Dans le cas de TRAGSA, l’avocat général souligne que le régime légal qui lui est applicable n’est pas de nature à fournir les garanties adéquates propres à empêcher des financements croisés.
Le Contrat in house
Nicolas Sagne – Master Recherche Droit Public Economique - 81 -
t-on augurer qu’en dépit de l’opacité, en général, du financement des entreprises publiques117,
l’expérience acquise par les juridictions en matière d’aides d’Etat soit suffisante pour donner
une certaine faisabilité et une crédibilité à une hypothèse de prestataire in house à double
visage.
Aussi, nous semble-t-il, un meilleur équilibrage des conditions du contrat-maison est la
meilleure manière d’en assouplir la mise en œuvre ou, devrait-on plutôt dire, d’en faire une
application plus rationnelle. D’ailleurs, dans son rapport de 2002 déjà cité (Collectivités
publiques et concurrence), le Conseil d’Etat se place également au niveau des activités réalisées
par l’entité in house pour préconiser une atténuation de la mise en œuvre du contrat- maison. Il
retient la solution qui consisterait à n’admettre l’existence d’une prestation in house que si le
prestataire contrôlé par le pouvoir adjudicateur applique les règles de publicité et de mise en
concurrence pour répondre à ses besoins propres. Une telle solution mérite d’être, à la fois,
simple et pragmatique mais présente l’inconvénient de n’appréhender la qualification de
prestation in house qu’a posteriori ; ce qui n’est pas vraiment l’idéal en termes de sécurité
juridique. Par ailleurs, on s’aperçoit que l’omniprésence des règles de concurrence ne facilite
pas les choix des personnes publiques.
2- La subsistance d’incertitudes liées à l’extension ad infinitum de l’obligation de transparence Normalement, du moins initialement, la réglementation communautaire des marchés
publics est le fait des directives qui ont un champ d’application bien délimité, notamment par le
biais de conditions de seuils. Cependant, le juge n’a pas tardé à dégager ce qu’il convient,
aujourd’hui, d’appeler un principe général de transparence et grâce auquel le droit de la
concurrence donne l’impression d’une extension ad infinitum.
La référence jurisprudentielle, en matière d’obligation de transparence, est la décision
Teleaustria118 de la Cour de justice de Luxembourg du 7 décembre 2000. Rappelons que, par
cette affaire, la Cour a décidé que le législateur communautaire n’a pas entendu étendre
l’application de la directive 93/38 aux concessions de services publics. Mais, plus intéressant
117 Cette opacité a amené la Commission européenne à adopter la directive communautaire 80/723/CEE du 25 juin 1980, relative à la transparence des relations financières entre l’Etat et leurs entreprises publiques. 118 Décision citée en introduction, aff. C-324/98. Voir dans le même sens, à propos de l’application de l’article 30 CE, l’ordonnance Bent Mousten Vestergaard, du 3 décembre 2001, aff. C-59/00
Le Contrat in house
Nicolas Sagne – Master Recherche Droit Public Economique - 82 -
encore, elle dit pour droit que, malgré cette exclusion, les entités adjudicatrices qui concluent
de tels contrats « sont néanmoins tenues de respecter les règles fondamentales du traité en
général et le principe de non-discrimination en raison de la nationalité en particulier ». Les
deux arrêts Coname et Parking Birxen, déjà cités, ont apporté de récents et éclairants
développements sur le principe. Dans la première affaire, après avoir décidé que l’attribution
d’un contrat tel qu’une concession de service public de distribution de gaz n’était régi par
aucune des directives réglementant le domaine des marchés publics, la Cour observe qu’en
« l’absence d’une telle réglementation, c’est à la lumière du droit primaire et, plus
particulièrement, des libertés fondamentales prévues par le traité que doivent être examinées
les conséquences du droit communautaire relatives à l’attribution de telles concessions »119. A
ce propos, ajoute-t-elle, « il convient de relever que, dans la mesure où ladite concession est
susceptible d’intéresser également une entreprise située dans un Etat membre autre que celui
du comune di Cingia de’ Botti, l’attribution, en l’absence de toute transparence, de cette
concession à une entreprise située dans ce dernier Etat membre est constitutive d’une
différence de traitement au détriment de l’entreprise située dans l’autre Etat membre120 (…).
Or, à moins qu’elle ne se justifie par des circonstances objectives, une telle différence de
traitement, qui, en excluant toutes les entreprises situées dans un autre Etat membre, jouent
principalement au détriment de celles-ci, est constitutive d’une discrimination indirecte selon
la nationalité, interdite en application des articles 43 CE et 49 CE »121. Le second arrêt reprend
dans les mêmes termes le raisonnement ci-dessus déroulé122.
Le droit interne a également tiré les conséquences de la jurisprudence Teleaustria. L’article
1er du Code des marchés publics, qui consacre un ensemble de principes gouvernant la
passation des marchés publics, en est une des expressions les plus éloquentes. Au plan
jurisprudentiel, il suffit, pour preuve, de se référer à l’arrêt déjà cité de 2004, Commune de
Cilaos c/ Sogedis, dans lequel la Cour administrative d’appel de Bordeaux a jugé qu’en dépit
du fait que la concession d’aménagement ne pouvait être regardée ni comme un marché public,
ni comme une convention de délégation de service public, il n’en demeurait pas moins que son
119 § 16 de l’arrêt 120 § 17 de l’arrêt 121 § 19 de l’arrêt 122 Pour une application plus récente de l’obligation de transparence, se référer à l’arrêt ANAV du 06 avril 2006 (aff. C-410/04) : « Nonobstant le fait que les contrats de concession de services publics sont exclus du champ d’application de la directive 92/50, remplacée par la directive 2004/18, les autorités publiques les concluant sont néanmoins tenues de respecter les règles fondamentales du traité CE en général et le principe de non-discrimination en raison de la nationalité en particulier »
Le Contrat in house
Nicolas Sagne – Master Recherche Droit Public Economique - 83 -
attribution devait être soumise à concurrence en vertu des règles fondamentales du droit
communautaire primaire.
Il est à noter toutefois que l’obligation de transparence ne recouvre aucune réalité certaine.
Or, elle a vocation surtout à s’appliquer lorsque les directives sur les marchés publics, pour une
raison quelconque, ne sont pas invocables. En ce qui concerne le sujet qui nous intéresse, il est
donc intéressant de savoir comment l’obligation de transparence s’articule avec l’exception in
house avant de s’interroger sur les risques qu’elle pourrait présenter pour l’externalisation en
tant que mode d’organisation par les personnes publiques de leurs services.
a) L’exception in house, un obstacle à la mise en oeuvre de l’obligation de transparence ?
La solution jurisprudentielle a été de consacrer le principe selon lequel l’exemption in
house vaut également à l’égard des principes et règles fondamentales issus du traité. Mais cela
suffit-t-il à dissiper l’impression générale des pouvoirs publics de devoir quasi
systématiquement satisfaire à l’exigence d’un minimum concurrentiel ?
L’opinion de l’avocat général, Mme KOKOTT, dans ses conclusions sous l’arrêt Parking
Brixen avait consisté dans l’affirmation suivante : « les directives en matière de marchés
publics ont, quant à elles, simplement pour but de concrétiser les règles fondamentales du
traité, telles qu’elles découlent en particulier des libertés fondamentales. Les dérogations aux
directives sont donc en dernier ressort des dérogations à ces principes123. Cet élément plaide
lui aussi en faveur d’une transposition de la jurisprudence Teckal aux cas dans lesquels les
principes de non-discrimination et de transparence découlent directement des droits
fondamentaux et ne sont pas mis en œuvre par les directives en matière de marchés publics ».
Autrement dit, et de manière plus brève, selon l’avocat général, l’exception in house échappe
aux principes et dispositions pertinentes issus du droit primaire par ricochet en ce sens qu’elle
échappe aux directives qui, elles, ne sont qu’une traduction desdits principes et dispositions.
Cette lecture du rapport entre contrat-maison et obligation de transparence ne résiste cependant
pas vraiment à l’examen pour la simple raison que celle-ci présente justement l’intérêt
d’étendre les règles de concurrence aux hypothèses non prises en compte par les directives sur
les marchés publics comme, en l’occurrence, les concessions de service public.
123 Souligné par nous
Le Contrat in house
Nicolas Sagne – Master Recherche Droit Public Economique - 84 -
Le juge communautaire a choisi, quant à lui, toujours dans l’affaire Parking Brixen, un
cheminement intellectuel différent même si le résultat, en l’espèce, est identique. Il observe
d’abord que la théorie du in house, entendue comme une théorie du « non contrat », c’est-à-
dire comme caractérisant un lien contractuel factice entre le pouvoir adjudicateur et une entité
qu’il contrôle, ne peut automatiquement s’appliquer aux principes et règles fondamentales du
traité parce que, contrairement aux directives sur les marchés publics, ceux-ci ne dépendent
pas, pour leur application, de l’existence d’un contrat. Ce qui signifie que si la dévolution
unilatérale d’un service public paralyse la mise en œuvre des directives, elle ne devrait pas
pouvoir faire obstacle à l’obligation de transparence issue du droit primaire124. Une fois cette
remarque préalable faite, il poursuit en estimant que la théorie du in house peut néanmoins être
transposée aux dispositions du traité et aux principes qui s’y rapportent. « En effet, juge-t-il,
dans le domaine des marchés publics et des concessions de services publics, le principe
d’égalité de traitement et les expressions spécifiques de celui-ci que sont l’interdiction de
discrimination en raison de la nationalité ainsi que les articles 43 CE et 49 CE trouvent à
s’appliquer dans le cas où une autorité publique confie la prestation d’activités économiques à
un tiers. En revanche, il n’y a pas lieu d’appliquer les règles communautaires en matière de
marchés publics ou de concessions de services publics au cas où une autorité publique
accomplit les tâches d’intérêt public qui lui incombent par ses propres moyens administratifs,
techniques et autres, sans faire appel à des entités externes »125. Par voie de conséquence,
« l’application des règles énoncées aux articles 12 CE, 43 CE et 49 CE, ainsi que des principes
généraux dont elles constituent l’expression spécifique est exclue si, tout à la fois, le contrôle
exercé sur l’entité concessionnaire par l’autorité publique concédante est analogue à celui que
cette dernière exerce sur ses propres services et si cette entité réalise l’essentiel de son activité
avec l’autorité qui la détient »126. Des propos de la Cour, il résulte que le in house ne
s’applique pas au droit primaire par simple ricochet comme le suggère l’avocat général Mme
Kokott. Dans le cas des directives comme dans celui du traité, c’est la notion de tierce personne
qui est déterminante. Seulement, devant celles-là, elle sert à vérifier s’il existe un véritable
contrat indispensable à leur applicabilité tandis que devant celui-ci, l’existence ou l’absence
d’un contrat étant indifférente, elle serait probablement une traduction de la liberté
organisationnelle reconnue aux pouvoirs publics par le droit communautaire ; or l’exception in
124 Notons au passage que cette obligation de transparence devrait neutraliser la jurisprudence Fondation assistance aux animaux du 03 mai 2004 par laquelle le Conseil d’Etat a refusé d’appliquer la loi SAPIN aux délégations de service public consenties par voie unilatérale. 125 §61 de l’arrêt 126 §62 de l’arrêt
Le Contrat in house
Nicolas Sagne – Master Recherche Droit Public Economique - 85 -
house s’inscrit dans cette liberté. Nonobstant, la nuance présente certes un intérêt pratique en ce
qu’elle permet d’éviter que ce qui constitue une dérogation aux directives sur les marchés
publics le soit aussi, de façon automatique, à l’endroit des dispositions pertinentes du traité et
des principes qui s’y rapportent mais, en définitive, aussi bien pour les directives que pour le
traité, la raison d’être première, lointaine et profonde de l’exception est assurément la même :
l’autonomie organisationnelle de la sphère publique.
D’un autre côté, à considérer que le droit communautaire primaire ait envahi le secteur des
marchés publics, ne peut-on pas s’attendre à ce que des objectifs autres que celui du marché
intérieur générent quelque influence ? Selon M. MARCHEGIANI, il n’est pas à exclure que
l’attribution d’un service in house puisse méconnaître certains principes en matière de politique
économique de l’Union européenne, à savoir celui de l’article 4, n. 3 du traité en vertu duquel
les Etats membres maintiennent leurs finances saines et celui de l’article 98 qui leur impose
d’assurer une allocation efficaces des ressources étatiques. Il affirme que « lorsque le service
en question consiste en l’exercice d’une activité à caractère commercial ou industriel, cette
activité pourrait être accomplie à des conditions économiquement plus avantageuses par des
fournisseurs privés » ; il s’ensuit, selon ses propos, que le fait de confier un tel service à une
entité in house, au mépris des principes indiqués par la jurisprudence Teleaustria, « risquerait
non seulement de créer un obstacle à la libre concurrence, mais également de porter préjudice
à une gestion saine des finances et à une allocation efficace des ressources publiques »127.
Mais il est peu probable que le juge communautaire s’avance en profondeur dans cette
direction parce que le propre du in house est de rendre inopérant la démarche qui consisterait à
apprécier, au regard de l’apport que pourrait constituer le recours au secteur privé, l’opportunité
pour la personne publique de satisfaire à ses besoins par ses propres moyens.
En soi, le contrat-maison enfreint donc les règles de concurrence mais leur grande
élasticité, qui a retenu une partie de notre attention, n’est pas exempte de toute influence sur le
comportement des personnes publiques dans leur choix de recourir ou non à des services
internes.
b) L’exigence d’un minimum concurrentiel : les risques de réinternalisation de services
127 Article précité
Le Contrat in house
Nicolas Sagne – Master Recherche Droit Public Economique - 86 -
L’obligation de transparence participe de l’impression globale d’incertitude que peuvent
avoir les collectivités publiques. Sachant que l’interprétation très étroite des conditions de
l’arrêt Teckal n’est plus à démontrer, la pierre d’achoppement, selon la plupart des auteurs,
réside dans le degré de certitude qui anime les pouvoirs adjudicateurs lorsqu’ils estiment
recourir à une entité in house. Pour présenter les choses autrement, il s’agit d’une question de
sécurité juridique qui, pour reprendre les termes de Madame Caroline PILONE, fait augurer
des « possibilités grandissantes de requalification des relations contractuelles [qui pourraient]
ainsi pousser les pouvoirs adjudicateurs à systématiser la passation des marchés publics ou
des délégations de service public »128. En d’autres termes, en s’interrogeant sur les risques
qu’elles encourent en contractant librement, les personnes publiques pourraient préférer le
confort d’une plus grande sécurité juridique en choisissant une soumission systématique aux
règles de publicité et de mise en concurrence. Une telle analyse a pour conséquence logique de
diagnostiquer une certaine remise en cause indirecte, par le juge communautaire, de
l’autonomie organisationnelle de la sphère publique.
Mais, à notre sens, il ne faudrait pas surestimer ce risque de réinternalisation des services
parce que le contrat in house ne saurait être réservé qu’à des cas spécifiques, lesquels ne
peuvent en aucune manière correspondre à la plupart des externalisations que réalisent les
collectivités publiques. Il faut avoir présent à l’esprit que même si le contrôle analogue ne veut
pas dire identique à celui exercé par le pouvoir adjudicateur sur ses propres services, il n’en
demeure pas moins qu’il en est étroitement proche, ce qui signifie qu’il est inconcevable
qu’une simple structure externalisée sur laquelle la personne publique conserve un certain droit
de regard reçoive, de ce fait même, la qualité de prestataire in house. Certes en conférant de
l’autonomie à des entités qui lui restent rattachées, la collectivité entend bien faire appel à leurs
services mais elle ne pourra s’affranchir du respect préalable des formalités de mise en
concurrence qu’à la condition de démontrer ou d’être en mesure de démontrer que malgré
l’externalisation, l’entité en cause ne dispose pas d’une véritable autonomie et qu’elle lui reste
soumise pour toute question ou décision qu’elle jugera importante ou stratégique.
Donc le risque pour la personne publique d’être confrontée à un minimum concurrentiel en
tout état de cause, si elle fait appel à une entité qu’elle estime, à tort, remplir les critères du in
house, relève en grande partie de sa responsabilité. Le contrat-maison ne peut être réduit qu’à
128 Article précité.
Le Contrat in house
Nicolas Sagne – Master Recherche Droit Public Economique - 87 -
son strict minimum, toute solution contraire participerait davantage à alimenter justement une
plus grande insécurité juridique devant la vocation résolument attractive du droit de la
concurrence129. Et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle ont été introduites des règles et
instruments juridiques visant à donner de plus grandes options aux collectivités publiques.
II~ Le contrat in house : le recours à des options alternatives
Face au tout marché, les pouvoirs publics se sont vus dans l’obligation de s’adapter en
intégrant plus de souplesse et d’efficacité dans leur action par une réorganisation de leurs
structures. Mais ils demeurent, avant tout des gardiens de l’intérêt général. Or, comme nous
l’avons vu tout au long de nos développements, la banalisation de leurs moyens d’action a eu
pour contrepartie de les submerger dans un environnement concurrentiel qui ne fait aucune
distinction entre la qualité publique ou privée de l’acteur économique. La contractualisation,
devenue signe de souplesse et de modernité et moyen privilégié de l’intervention publique, ne
fait d’ailleurs pas l’unanimité. Mme le Professeur Hecquard-Théron fustigeait déjà en 1993 ce
phénomène. Selon elle, « La banalisation du contrat, ou plus largement de la convention, la
tendance marquer à le substituer à la décision unilatérale, dans toutes les hypothèses ou le
choix des moyens est possible, contribuent à atténuer artificiellement la frontière entre
initiative publique et initiative privée. Plus grave, elle nourrit la confusion grandissante entre
intérêt public et intérêts privés. Sous prétexte d’adapter les réponses aux besoins et aux
mutations sociales, elle estompe davantage l’image d’une administration gardienne de l’intérêt
général »130.
Comme nous l’aurons suffisamment rappelé, l’exception in house s’inscrit dans la
perspective de préserver la sphère administrative du tout concurrence mais seulement pour
129 Pour une récente illustration de cette attractivité, se reporter à la privatisation des sociétés concessionnaires d’autoroutes qui, jusque-là, étaient des pouvoirs adjudicateurs. Leur privatisation aurait eu pour effet d’en faire des sociétés privées non concernées désormais par les règles de concurrence si l’Etat n’avait prévu, dans les conditions de la privatisation, que l’acquéreur de la majorité du capital s’engagerait à accepter un avenant aux contrats de concessions, lequel comporterait une clause selon laquelle les concessionnaires d’autoroutes, pour les marchés de travaux supérieurs à 2 millions d’euros et pour les marchés de services et de fournitures supérieurs à 240000 euros, s’engagent à se soumettre à l’ensemble des règles applicables aux pouvoirs adjudicateurs non soumis au code des marchés publics. 130 M. Hecquard-Théron, La contractualisation des actions et des moyens publics d’intervention, AJDA 1993, p.451.
Le Contrat in house
Nicolas Sagne – Master Recherche Droit Public Economique - 88 -
certaines de ses structures. Face son champ extrêmement réduit, les pouvoirs publics sont donc
à l’affût de nouveaux instruments ou de nouvelles combinaisons juridiques qui leur donneraient
plus de marge de manœuvre. Dans cette optique, le droit français a déjà arrêté deux solutions
alternatives qui méritent notre attention, auxquelles s’ajoute une hypothèse alternative ou de
compensation plus ou moins certaine dans le cadre du partenariat institutionnel.
A/ les solutions alternatives prévues par le droit français
D’une part, le législateur a tiré les conséquences de la jurisprudence communautaire en
matière de in house, notamment le très controversé arrêt Stadt Halle, en décidant la création de
sociétés publiques locales d’aménagement (SPL). D’autre part, le juge administratif, un peu
avant, consacrait ce qu’il convient de dénommer le « contrat de simple organisation du
service »131
1- La création des SPL : une réponse à la jurisprudence Stadt Halle
Il convient d’abord de décrire la spécificité des conventions en matière d’aménagement urbain
et surtout les multiples rebondissements qu’elles ont connus avant de s’intéresser de plus près
aux SPL.
a) La concession d’aménagement : d’une convention sui generis à l’intégration dans la catégorie des marchés publics ?
Empruntons à M. le député Jean-Pierre GRAND sa définition sommaire de l’opération
d’aménagement : elle « consiste en une action intermédiaire entre, d’une part, les actions de
planification urbaine, fondées sur des schémas directeurs et sur les plans locaux d’urbanisme
des différentes communes et, d’autre part, la construction publique ou privée »132. La loi SRU
introduisit, concernant ces opérations d’aménagement, la distinction entre la convention
publique d’aménagement, laquelle était expressément exclue des dispositions de la loi Sapin
(article 300-4 du code de l’urbanisme) et la convention d’aménagement. Mais il était admis,
131 Dénomination empruntée à MM. FATÔME et RICHER, La découverte par le Conseil d’Etat du contrat de « simple organisation » du service public, 132 Ass. Nat., rapport fait au nom de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire sur le projet de loi (n°2352), relatif aux concessions d’aménagement, n°2404.
Le Contrat in house
Nicolas Sagne – Master Recherche Droit Public Economique - 89 -
aussi bien par la doctrine que par la jurisprudence, que la convention d’aménagement, de façon
générale, ne rentrait ni dans la catégorie des marchés publics ni dans celle des conventions de
délégation de service public et était dès lors affranchie des mesures de publicité et de mise en
concurrence.
La jurisprudence Teleaustria va bouleverser cet état du droit. Plus particulièrement, elle
inspirera la décision, plusieurs fois rappelée, de la Cour administrative d’appel de Bordeaux du
9 novembre 2004, Sogedis c/ Commune de Cilaos. La Cour d’appel y fait application de
l’obligation de transparence en jugeant qu’en dépit de leur caractère sui generis, les
conventions d’aménagement ne peuvent méconnaître les règles fondamentales issues du traité
et en vertu desquelles une publicité et une mise en concurrence adéquates s’imposent en tout
état de cause. Dans le même mouvement, la Commission européenne formera un recours en
manquement contre la France le 25 octobre 2004 sur le fondement de l’incompatibilité de
l’article 300-4 du code de l’urbanisme au droit communautaire.
Cette évolution suscitera la réaction du législateur qui adopta la loi n°2005-809 du 20
juillet 2005. Celle-ci en revient à la dénomination unique de concession d’aménagement et met
donc fin à la distinction qui avait été opérée par la loi SRU. L’objectif de la loi a été de
préserver la particularité de l’aménagement urbain mais en la conciliant avec les exigences du
droit communautaire par l’organisation d’un régime spécifique qui respecterait un minimum
concurrentiel. En même temps, elle valide les conventions conclues avant sa publication et dont
la survie aurait pu être menacée pour défaut de publicité et de mise en concurrence. Seulement,
l’architecture ainsi posée par le législateur a été récemment fragilisée de manière sérieuse par le
juge communautaire dans l’affaire Auroux. En l’espèce, est en cause la délibération autorisant
un maire à confier la mission de réalisation d’un pôle de loisirs à une société d’économie mixte
locale (la société d’équipement du département de la Loire-SEDL-). Parmi les questions
préjudicielles posées à la Cour, le tribunal administratif de Lyon demande si la convention
signée pour cette opération d’aménagement peut être regardée comme un marché public. Dans
un arrêt du 18 janvier 2007, la Cour de justice statue en ces termes : « Il ressort de l’analyse de
la convention que l’objet principal de celle-ci (…) est l’exécution d’un ensemble de travaux
aboutissant à la réalisation d’un ouvrage au sens de l’article 1er, sous c), de la directive, à
savoir un pôle de loisirs. Les éléments de services prévus par la convention, tels que
l’acquisition foncière, la recherche de fonds, l’organisation d’un concours d’architecture et/ou
d’ingénierie ainsi que la commercialisation des bâtiments font partie de l’achèvement de cet
Le Contrat in house
Nicolas Sagne – Master Recherche Droit Public Economique - 90 -
ouvrage »133. Par conséquent, « une convention par laquelle un premier pouvoir adjudicateur
confie à un second pouvoir adjudicateur la réalisation d’un ouvrage constitue un marché
public de travaux au sens de l’article 1er, sous a), de la directive ».
L’affaire Auroux, sans anéantir la délimitation entre marchés publics de travaux et
concessions d’aménagements, puisque la seule réalisation d’un ouvrage n’est pas suffisante en
soi pour caractériser le marché public (d’autres critères entrent en jeu, notamment celui de la
rémunération ; ce qui permet, par exemple, de le différencier de la concession publique de
travaux), a ébranlé cependant la frontière entre ces deux catégories contractuelles en n’excluant
plus qu’une concession d’aménagement puisse, le cas échéant, être requalifiée en marché
public. Qui plus est, elle démontre la vulnérabilité de la validation législative dont bénéficient
les conventions antérieures à la publication de la loi du 20 juillet 2005 et qui, en l’espèce, était
censée couvrir la convention passée entre la commune de Roanne et la SEDL. D’ailleurs, sur la
base de l’arrêt de la Cour de justice de Luxembourg, le tribunal administratif de Lyon statua
comme suit: « l’article 11 de la loi n°2005-809 du 20 juillet 2005, en tant qu’il valide les
conventions publiques d’aménagement signées avant le 21 juillet 2005 dont la légalité serait
contestée au motif que la désignation de l’aménageur n’a pas été précédée d’une procédure de
publicité permettant la présentation de plusieurs offres concurrentes, n’est pas conforme aux
obligations de publicité et mise en concurrence imposées par les stipulations précitées du 1 de
l’article 7 de la directive n°93/37 du 14 juin 1993 »134. L’illusion de sécurité juridique résultant
de cette validation législative a ainsi amené le Professeur DUBOS à observer, dans un style
assez ironique que « le législateur a certainement oublié que, s’il pouvait être au dessus de la
jurisprudence de la Cour administrative d’appel de Bordeaux, il ne pouvait être au dessus de
la jurisprudence de la Cour de justice et si la jurisprudence bordelaise reprend la
jurisprudence luxembourgeoise, l’Assemblée nationale, nolens volens, s’en trouvera soumise à
la Cour de Bordeaux »135.
Telle est la situation juridique actuelle des concessions d’aménagement dont il fallait
retracer brièvement l’évolution afin de mieux saisir l’importance de l’initiative du Parlement de
procéder à la création d’un nouvel instrument juridique au service des collectivités
territoriales : la société publique locale d’aménagement. 133 CJCE, 18 janvier 2007, Jean Auroux, aff. C-220/05. 134 TA Lyon, 22 mars 2007, Jean Auroux, req. n°0205404 135 Olivier DUBOIS, La validation législative des anciennes conventions d’aménagement : vanitas vanitatis !, AJDA 2005, p.1753.
Le Contrat in house
Nicolas Sagne – Master Recherche Droit Public Economique - 91 -
b) La société publique locale d’aménagement
La loi du 20 juillet 2005 a introduit l’article L. 300-5-2 dans le Code de l’urbanisme et en
vertu duquel les règles de publicité et de mise en concurrence ne s’appliquent pas « aux
concessions d’aménagement conclues entre le concédant et un aménageur sur lequel il exerce
un contrôle analogue à celui qu’il exerce sur ses propres services et qui réalise l’essentiel de
ses activités avec lui ou, le cas échéant, les autres personnes publiques qui le contrôlent ». Il
s’agit d’une reprise expresse des critères de l’arrêt Teckal. Mais, là aussi, les collectivités
territoriales n’ont pas eu l’heur de profiter vraiment de l’exception in house. En effet, les SEM
occupent un rôle de premier choix en matière d’aménagement, elles sont vues comme « le
prolongement des services municipaux organisés autrement, apportant davantage de facilité et
de souplesse pour cibler une opération d’aménagement et la réaliser »136. Or elles sont exclues
du in house. Ainsi, dès l’examen du projet de loi relatif aux concessions d’aménagement de
2005, l’idée a été émise de créer des sociétés locales qui seraient publiques à 100%. Dans son
rapport présenté à l’Assemblée nationale, M. Jean-Pierre GRAND rappelle que la France est le
seul pays de l’Union européenne à ne pas admettre la détention à 100% du capital d’une
entreprise publique locale par une ou plusieurs collectivités publiques ou par des collectivités
publiques et d’autres entités publiques. Il observe en outre que « La société publique locale
offrirait aux collectivités locales des avantages qu’elles ne peuvent trouver dans d’autres
formes juridiques tel l’établissement public local, particulièrement dans les domaines de la
transparence, de la maîtrise, de la sécurité et de l’efficacité ».
Il faudra attendre la loi n°2006-872 du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le
logement (ENL) pour voir les SPL consacrées par le législateur en tant qu’instrument juridique
nouveau destiné à répondre aux attentes des collectivités territoriales en leur permettant,
notamment, de pouvoir bénéficier du in house. Le chapitre VII de la loi dispose : « Les
collectivités territoriales et leurs groupements peuvent, à titre expérimental, pour une durée de
cinq ans, prendre des participations dans des sociétés publiques locales d’aménagement dont
ils détiennent la totalité du capital.
136 Rapport précité de l’Assemblée nationale.
Le Contrat in house
Nicolas Sagne – Master Recherche Droit Public Economique - 92 -
« Une des collectivités territoriales ou un des groupements de collectivités territoriales
participant à une société publique d’aménagement détient au moins la majorité des droits de
vote.
« Ces sociétés sont compétentes pour réaliser, pour le compte de leurs actionnaires et sur le
territoire des collectivités territoriales ou des groupements de collectivités territoriales qui en
sont membres, toute opération d’aménagement au sens du présent code.
« Les sociétés publiques locales revêtent la forme de société anonyme… »
La SPL se distingue donc principalement de la SEM classique par le fait qu’elle permet la
détention de son capital à 100% par les collectivités territoriales. Au stade actuel de la
jurisprudence communautaire, deux certitudes nous sont acquises : d’un côté, la détention de la
totalité du capital social d’une entreprise ne signifie pas nécessairement qu’il est satisfait au
critère du contrôle analogue mais elle fait peser une très forte présomption dans ce sens ; d’un
autre côté, la forme de la société anonyme que doivent revêtir les SPL inspire une grande
méfiance au juge communautaire. De ces deux constats, il découle que la SPL ne bénéficiera
pas du in house de façon automatique. Plus concrètement, les statuts de la société devront
prévoir des modalités de contrôle et d’influence allant au-delà de ce que prévoit le droit des
sociétés. Quant au second critère de l’exercice, par la société, de l’essentiel de ses activités
avec la collectivité ou les collectivités qui la détiennent, il nous semble qu’il ne posera pas de
difficulté majeure. En effet, la loi ENL limite leurs activités aux opérations d’aménagement
pour le compte et sur le territoire des collectivités et/ou groupements de collectivités qui les
détiennent. Or, à la lumière de la jurisprudence Carbotermo, l’appréciation de ce critère se fait
en tenant compte justement de l’ensemble des activités réalisées pour les collectivités dans le
cas d’un groupement et, s’il s’agit d’un actionnaire unique, il ressort de la loi que l’action de la
société ne devra pas sortir des limites du territoire dudit actionnaire.
Partant de l’initiative du législateur français, on se rend compte qu’est peut-être bien plus
positive la démarche qui consiste à organiser certaines structures de façon à satisfaire aux
exigences du contrat in house que celle qui se réduit à fonder des espoirs sur de futurs et
hypothétiques revirements de jurisprudence de la Cour de Luxembourg. Un peu avant la loi
ENL de 2006, le Conseil d’Etat avait lui aussi adopté une démarche constructive dont les
conséquences sont, a priori, non négligeables en termes de choix alternatifs à l’exception
Teckal.
Le Contrat in house
Nicolas Sagne – Master Recherche Droit Public Economique - 93 -
2- Le contrat de simple organisation du service
La notion de contrat de « simple organisation du service » trouve son fondement dans
l’avis du Conseil d’Etat du 23 octobre 2003, Fondation Jean Moulin137. S’inquiétant des
risques encourus au regard des règles de concurrence , le ministre de l’intérieur, de la sécurité
intérieure et des libertés locales et le ministre de la fonction publique, de la réforme de l’Etat et
de l’aménagement du territoire s’enquirent auprès du Conseil, entre autres, de la nature des
conventions que l’Etat passe avec la Fondation Jean Moulin au titre des prestations qui entrent
dans le champ d’application de l’article 9 de la loi n°83-634 du 13 juillet 1983, portant droits et
obligations des fonctionnaires. L’article 9 en question prévoit que les fonctionnaires peuvent
bénéficier de prestations à caractère social et que « L’Etat, les collectivités locales et leurs
établissements publics peuvent confier à titre exclusif la gestion de tout ou partie des
prestations dont bénéficient les agents à des organismes à but non lucratif ou à des
associations nationales ou locales régies par la loi du 1er juillet 1901, relative au contrat
d’association ». Ils demandèrent, en outre, au Conseil si, quel que soit le régime applicable,
lesdites prestations peuvent être directement confiées à la Fondation Jean Moulin sans
soumission préalable aux procédures de publicité et de mise en concurrence.
Il faut savoir que les activités en cause sont tout à fait familières aux domaines des
marchés publics et des délégations de service public : gestion de restaurants administratifs, de
crèches, de centres de vacance… MM. Fatôme et Richer, dans leur article précité, font
remarquer à cet effet que les prestations sont financées par des subventions et par les usagers.
Par conséquent, poursuivent-ils, elles évoquent soit une délégation de service public (dans
l’hypothèse où seraient considérées comme un service public les facilités ainsi consenties aux
fonctionnaires) soit un marché public (« à supposer admis que les versements qualifiés de
subventions soient, en réalité, une rémunération pour service rendu »). Aussi, à partir de telles
considérations, et abstraction faite de l’option audacieuse et originalement singulière choisie
par le Conseil d’Etat, aurait-on pu penser que ce dernier fît appel à l’exception in house pour
vérifier s’il était loisible à l’Etat de passer les contrats sans que trouvassent à s’appliquer les
règles de concurrence. En effet, la Fondation Jean Moulin est une personne morale de droit
privé, reconnue comme établissement d’utilité publique par un décret de 1952 et très largement
137 Avis n°369315
Le Contrat in house
Nicolas Sagne – Master Recherche Droit Public Economique - 94 -
contrôlée par le ministère de l’intérieur : la moitié des membres de son conseil d’administration
sont des hauts fonctionnaires du ministère dont le président qui dispose, en cas de partage égal
des voix, d’une voix prépondérante ; le ministère lui confie des missions dans le cadre d’une
convention qui définit ses secteurs d’intervention ainsi que les modalités de suivi et de contrôle
de ses activités par le ministère. Qui plus est, le second critère du contrat in house semble a
priori parfaitement rempli car la Fondation a été créée à l’initiative du ministère de l’intérieur
avec un objectif circonscrit à « l’organisation d’actions sociales au profit des fonctionnaires et
agents du ministère de l’intérieur, en activité ou en retraite, et de leurs familles ».
Naturellement, rien ne permet d’affirmer avec une totale certitude que l’examen des critères de
l’arrêt Teckal aurait conduit le Conseil d’Etat à conclure que la Fondation avait la qualité de
prestataire in house. Néanmoins, les différents éléments ci-dessus décrits le laissaient
sérieusement penser.
Contre toute attente, le Conseil d’Etat emprunte dans cet avis une voie originale et, pour le
moins, judicieuse. En effet, il focalise son raisonnement sur l’aspect social des prestations
fournies par la Fondation. Il rappelle d’abord sa décision du 23 janvier 2003 dans laquelle il
juge que « eu égard à leur objet, ces dispositions ont nécessairement pour effet de permettre
aux collectivités publiques de choisir un ou plusieurs organismes pour gérer les prestations
d’action sociale de leurs agents sans avoir à procéder à la publicité et à la mise en
concurrence préalables prévues par le Code des marchés publics »138. Autrement dit, et
comme le constatent les Professeurs Fatôme et Richer, le Conseil estime que le législateur
autorise les collectivités publiques à s’affranchir des exigences de publicité et de mise en
concurrence lorsqu’elles font appel à des entités poursuivant un but non lucratif. Ensuite,
prenant un cheminement totalement différent, il soutient que « les prestations d’action sociale
en cause, qui constituent un élément de la politique de gestion des ressources humaines de ce
ministère, ne présentent pas, dans les conditions où elles sont mises en œuvre, le caractère
d’une activité économique ». Il s’ensuit, ajoute-t-il, « qu’en organisant la gestion de ces
prestations, le ministère procède à une simple organisation du service et il lui est loisible, soit
de gérer lui-même en régie lesdites prestations, soit d’en confier la charge par voie de
convention à la « Fondation Jean-Moulin », sans être astreint dans ce dernier cas à la
passation d’un marché public de prestation de service ».
138 CE, 23 janvier 2003, Mutuelle générale des services publics et autres, req. n°235.176 ; BJCP 2003, n°27, p.135, concl. P. FOMBEUR.
Le Contrat in house
Nicolas Sagne – Master Recherche Droit Public Economique - 95 -
Pour bien comprendre le considérable apport de cet avis, on peut dire que le Conseil d’Etat
vient ajouter un élément supplémentaire dans la définition du marché public. Là où les
directives communautaires sur les marchés publics (en l’occurrence, la directive 92/50) se
contentent de définir le marché public comme un contrat conclu à titre onéreux sans aucune
addition d’un élément supplémentaire tenant à la nature de l’activité du cocontractant, il retient
justement que la nature économique de l’activité conditionne la qualification de marché public.
A contrario, lorsque l’activité en cause s’inscrit dans le cadre d’un rapport non marchand, le
contrat auquel elle donne lieu n’est pas un marché public. On se référera aux développements
fournis par MM. Fatôme et Richer, lesquels ont tenté de démontrer la pertinence de la solution
ainsi consacrée par le Conseil. Sa position peut s’expliquer, disent-ils, « par une interprétation
des directives au regard des objectifs du Traité de la Communauté européenne, qui vise à créer
un marché unique en favorisant la compétition entre opérateurs économiques, ce qui aurait
pour conséquence que les directives ne pourraient concerner que les activités marchandes ».
Cette explication est d’autant plus convaincante, font-ils remarquer, que « l’article 1er-8 de la
directive 2004/18 (…) ne désigne plus le cocontractant d’un marché de service comme
« prestataire » mais comme « opérateur économique » ».
Deux limites sont à soulever cependant à l’égard de cette solution. D’une part, le juge
communautaire ne l’a pas encore validée, ce qui lui confère une certaine instabilité ; d’autre
part, la jurisprudence communautaire retient constamment une acception très étendue de
l’activité économique, ce qui a pour effet de donner une dimension forcément très réduite de
l’activité ayant une nature non économique. Qui plus est, la frontière entre les deux blocs obéit
à des critères qui ne sont pas toujours très clairs. Néanmoins, cet avis constitue, encore une
fois, une illustration du souci de plus en plus marqué de préserver l’autonomie
organisationnelle de la sphère publique.
Enfin, à côté des options alternatives prévues par le législateur dans le cadre de la SPL et
par le Conseil d’Etat dans le cadre du contrat de simple organisation du service, quelques
réflexions peuvent s’organiser autour de la question du partenariat public-privé institutionnalisé
dans le but de se demander si certaines combinaisons ne sont pas susceptibles de le rendre
compatible au contrat in house..
Le Contrat in house
Nicolas Sagne – Master Recherche Droit Public Economique - 96 -
B/ Le partenariat public-privé institutionnalisé : l’option alternative ou
compensatoire de mise en concurrence de l’actionnaire privé
Il s’agit de se poser la question de savoir si la mise en concurrence de l’actionnaire privé
suffirait éventuellement à donner l’occasion aux SEM d’être en mesure de bénéficier de
l’exception in house. En effet, l’argument de poids de la Cour de justice est l’avantage dont
bénéficierait l’actionnaire privé en matière d’accès à la business opportunity, dit-on, si la SEM
se voyait accorder directement des activités économiques sans appel à la concurrence. A
l’inverse, il est logique de penser, en théorie en tous cas, que la rupture d’égalité entre
opérateurs soulevée par le juge serait corrigée par le mécanisme de mise en concurrence.
En l’état actuel du droit, il appartient à la collectivité publique de choisir son partenaire
privé en toute liberté, conformément à la règle de l’ intuitu personae. Cette règle s’applique
également dans d’autres pays de l’Union européenne tels que le Royaume-Uni, la République
Tchèque ou encore la Slovénie, pour ne citer que ceux-là. Certains Etats prévoient, en
revanche, une procédure d’appel d’offres (Espagne, Hongrie, Italie, Pologne…) ou de mise aux
enchères (Estonie, Lettonie). Le système du partenariat public-privé institutionnalisé se
complète par la mise en place d’un moyen pour l’actionnaire public de conserver un contrôle
permanent sur toute modification de la composition du capital. Ce contrôle s’exerce par voie de
mise en œuvre d’un droit de préemption dans l’hypothèse où l’actionnaire privé souhaiterait
revendre ses parts (Royaume-Uni), par le biais d’un pouvoir de minorité de blocage sur les
modifications susceptibles d’apporter des changements dans les représentations des différents
partenaires (Espagne), par la conservation obligatoire de la majorité du capital et des voix
(France).
Concrètement, le choix de l’actionnaire privé est susceptible de s’effectuer à trois moments
différents : avant la création de la société d’économie mixte, concomitamment ou
postérieurement à cette création. Si le choix s’effectue antérieurement ou concomitamment à la
création de la société, le fait de le subordonner à des exigences de publicité et de mise en
concurrence adéquates pourra être considéré comme une condition préalable à l’attribution
directe d’une délégation de service public ou d’un marché public à la future SEM. Quant au cas
où le choix serait postérieur à la création de la société, c’est-à-dire, en cas de privatisation
partielle d’une entreprise entièrement publique, nous savons que le juge communautaire a déjà
Le Contrat in house
Nicolas Sagne – Master Recherche Droit Public Economique - 97 -
condamné le procédé par lequel une commune avait partiellement privatisé une entreprise
qu’elle détenait entièrement mais après lui avoir confié, peu de temps avant, et sans aucune
procédure formelle, des missions dans le domaine de l’élimination des déchets. En l’espèce, le
juge avait conclu à l’artificialité du procédé en tant qu’il constituait une fraude aux règles de
concurrence139. On peut se demander donc si la contradiction avec l’exception in house serait
maintenue si le transfert des parts sociales au tiers privé se faisait dans le respect desdites règles
de concurrence. L’avocat général, Mme Kokott, dans ses conclusions sous l’arrêt Parking
Brixen, estime d’ailleurs qu’il suffit de prendre les précautions requises en se conformant aux
libertés fondamentales qui exigent « en cas de participation d’un tiers, personne privée, dans
une entreprise publique, le respect des principes de non-discrimination et de transparence, en
particulier la garantie d’un degré suffisant de publicité »140. Par conséquent, poursuit-elle,
dans le cas d’espèce, « l’obligation légale d’ouvrir le capital d’une société, dans un certain
délai, à la participation de tiers ne suffit pas, seule, à exclure que le pouvoir adjudicateur
exerce sur cette société un contrôle analogue à celui qu’il exerce sur ses propres services »141.
A le supposer admis, un mécanisme de mise en concurrence de l’actionnaire privé de la
SEM dans le but de rendre celle-ci plus en phase avec l’exception in house appelle cependant
quelques réserves. En effet, l’interprétation finaliste faite par la Cour de justice du rapport entre
intérêt public et intérêts privés continuerait de faire obstacle, a priori, à une qualification de la
SEM de prestataire in house. Par ailleurs, certaines dispositions préalables s’imposeraient car
l’opération de mise en concurrence, qui permettrait éventuellement à la société de se voir
attribuer directement un marché public ou une convention de délégation de service publique, ne
vaudrait que pour celle-ci ou celui-là. Autrement dit, dans le cas où la SEM se verrait confier
d’autres missions, une nouvelle mise en concurrence s’imposerait. La périodicité éventuelle des
mesures de publicités et de mise en concurrence nécessiteront donc que soient prévues
certaines clauses dans les statuts de la société. Ainsi, Mme Marie-Yvonne Benjamin propose-t-
elle que soient envisagées, dans ce sens, des clauses de caducité de la qualité d’associé (qu’elle
préfère à l’expression communément admise de clauses de rachat forcé) qui permettraient à
l’associé publique majoritaire d’obliger l’actionnaire sortant à céder ses actions au nouvel
opérateur privé dont la candidature serait retenue142.
139 Commission c/ Autriche, précité, aff. C-29/04. 140 §61 de l’arrêt 141 §62 de l’arrêt 142 Marie-Yvonne Benjamin, La mise en concurrence du capital privé des sociétés d’économie mixte, voir le dossier précité : Les sociétés d’économie mixte. Bilan et perspectives
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Retenons que le mécanisme ainsi exposé reste théorique, du moins en ce qui concerne les
vertus qu’il serait susceptible d’avoir au regard du contrat-maison. Il constitue une idée de plus
censée aider à desserrer l’étaux du tout concurrence dont le rapport avec l’autonomie
organisationnelle de la sphère publique mérite une réflexion plus élargie et dépassant le cadre
de notre propos.
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