Marre de Celle Là

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    Marre De Celle L

    Grald Ligonnet

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    Premire dition papier: Novembre 2006

    Edition PDF: 2006Edition Epub: Mars 2016

    ISBN: 978-987-42-0237-6

    Grald Ligonnet 2003-2006

    Mail:[email protected]

    Web:http://marredecellela.free.fr

    http://amp.prod.free.fr

    mailto:amphetamine_fr%40yahoo.fr?subject=http://marredecellela.free.frhttp://amp.prod.free.fr
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    Remembrance

    Puta vida! Tout se concasse Et se noie dans ce trou sans face: Ma vie, mes rves, ma chaire, mon tre; Pour ne faire de mon me quun spectre Moins net et plus flou que lclat Sombre du Gange. Puta vida! Mes sens se fixent sur ses yeux Comme le quartz se saisie du pieu Et rend mon coeur un peu plus vif Que mon sang se mute en flot vif Et croit le disque de mes veines.

    Puta vida! Sa peau dindienne Matte, lisse, douce, belle, luie sous la lune Comme ces longs jours o, prs des dunes, R, de ses traits, crait ses mers Fausses mais qui nous poussaient faire Le vrai plongeon. Puta Vida! Mais le saut ne mne quau trpas, Le vide vient en fin de cet acte, Je me fais seul suite ce pacte, Je nai plus qu me dire: Oublie! Et rien de plus; alors joublie. Puta Vida!

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    celle let sa fille

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    MARRE DE

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    CELLE-L

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    Mais mon me existerait-elle sans toi? sans toi quelle flicit goterais-je? Non, je ne te quitte pas, je vais tattendre.

    Julie

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    Prologue p 17

    Acte 1 p 23

    Acte 2 p 85

    Acte 3 p 111

    Acte 4 p 141

    Acte 5 p 171

    pilogue p 211

    Post-Scriptum p 215

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    Prologue

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    Tu es devenue ma nouvelle Amphtamine,Ma folle Alpha Mthyl PHenyl EThyl AMINE,Tendre et douce telle une uligineuse cardamine ;Celle, au sourire adamantine, qui machemineSous lombre dun Idho, apaiseur dtamine. Tu es ce doux npenths qui me prdomine. Ton derm, aussi bistr quune estivale hermine,Plus contagionnant quune suave plaquemine,Aussi sensible quune mature balsamine,Mais plus prservative quune antique contre-mineImmole mes neurones dun flot de vitamine. Tu es ma Sylphide hroque que jincrimine. Lorsque je te vis, oh ! cratrice dalbumine,Aux mystres plus rouges que mon sang de vermine,Mes aortes expulsent un geyser do culmineMon cur fragile et vulnrable qui seffmineSous ta beaut. Oh ! ma divine benjamine. Enrob au sein de cette aura contre-hermine,Je semble errer dans des confins o mexamine,De son il expert, Harpocrate, lui qui domine,De sa voix transcendante, ma modeste chaumineO tu moffres ta venue et me contamines,Mhypnotises, mensorcelles, menvotes et mextermines,Me poussant consommer la scopolamine.

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    Ds lors, mes synapses refusent toute histaminePour noyer ma chaire spulcrale de mlanineEt calmer mon reste cochlaire do rumineCet cho salvateur que rien ne se termine. Ta sueur qui se rpand, telle la calamine,Sur mon saint leucoderme imprgn, alumineMes rvasseuses chorodes et dissmineToute entit de mon nvraxe qui rcrimineTout ce qui le pollua. Mon corps se lamineDans une folle overdose et alors limineToute apptence, victime de la pire des famines. Post face toi tel un dvou flamine,Je mimmortalise et sur mes planches abomine,De mon lgant et dvou porte-mine,Les syllabes que jamais neu fcondes ma mine. Tu es cette Desse l, celle qui enlumineMa vie, qui la majestifie, qui lillumine.Ton pouvoir est colossal, tu prdterminesMa destin qui gracieusement se chemineVers cette voluptueuse que dtermineCe bonheur que je partage avec Toi, gamine !Toi, Celle-L, nouvelle et divine amphtamine.

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    Acte 1

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    Je lai revue, lai retrouve, par un hasard consonance souponneuse, un neuf thermidor, tout aussi austral que rvolutionnaire. Elle tait poste, en cette fin daprs-midi dun lundi ensoleill, passive, attentive, pleinement expose ce rai dardant, projeter ses iris de jais dans maintes directions. Cependant, ds ma posture sous lombre porte dun tarco bien feuillu qui lui faisait face, elle sembla les terniser en un mme point, plongeant son galvanisateur regard dans mon abme crbral, comme attire par mes trous noirs oculaires. Mavait-elle reconnu ? Mme si je le souhaitai, je pus penser par laffirmative, car elle ne cessa de me mirer, de madmirer, me surexposant son assassin minois, alors non orn de son sourire unique, qui me parvenait sans cesse sous-expos de part mon filtre protecteur. De mon regard voil, je ne cessai, bien quelle ne put le savoir, de ladmirer, de la mirer, de mbahir de sa plastique juvnile, me morfondant jusque dans les profondeurs ultimes de ses entrailles bniques. Lavais-je reconnue ? Je laurais souhait, mais par fiert seulement, jaffirmerais que je doutai la reconnatre.

    Le temps stait bien coul, il stait effil, il stait dcompos, des aller-retour staient imposs, dautres regards staient superposs, mais cela dit, le Lth ne stait point dpos sur mon chaudron mnmonique. Je ntais parvenu loublier, leffacer de ma psych ; je lavais mme attendue, plusieurs journes, aprs cette fameuse aprs-midi o nous devions nous retrouver. Je lavais attendue plusieurs journes comme un chien haletant et dpendant, plusieurs journes sans espoir, dgobiller mon chagrin et ma tristesse dans cette maigre lgie monosyllabique lintitul obscur.

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    En un lundi matin dun printemps renouvel, bien avant la dcomposition de ce temps invariant et la superposition de ces regards oublis, bien avant la survenance de cette journe rvolutionnaire, le climat se voulut ensoleill mais doux. Je flnai, comme tous les matins, avec mon compagnon, sur cette place centrale y vendre quelques bijoux de graines et de cuir, de pierres et de mtal. Lglise avait dj sonn ses onze coups lorsquelle dvoila sa silhouette divine et fluette afin dobserver le pagne bien garni. Pourquoi, ou pour qui, stait-elle arrte ? Impossible de le savoir (mme si josai limaginer), mais je linvitai nanmoins sasseoir sur ce sol dall, et nous nous mmes converser afin dinstinctivement mieux se connatre. Jtais dj, cette poque, masqu par mes lunettes noires et rondes, et je fus tout de suite, dj, cette poque, ensorcel par son irrsistible minois. Jtais dj envot par ses yeux lencre dalizarine, par son sourire chaudeur daorte, par sa voix laigre sonate ; jtais dj captiv par sa douceur lenivrante brunissure, par sa beaut ptillante et fondante, par sa toise soyeuse et fuligineuse ; jtais dj fascin par son apparente puret, par son exubrante simplicit, par son effrayante fracheur ; jtais dj contamin par sa rconfortante aura, par cette anglique nergie quelle propagea, par son rayonnement inluctablement apaisant. cette poque, jtais dj sous son emprise, jtais dj intgralement sous son emprise.Durant notre succin conciliabule, je lui adressai bien videmment quelques mots de castillan laccentuation trop espagnole pour paratre du pays, mais jeus surtout cette impression de ne rien faire dautre que de la contempler :

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    la catalepsie tait totale. Je la scrutai inlassablement, je lobservai indfiniment, je la dvisageai ternellement, interminablement, je la pntrai imprissablement, pendant quelle me relata ses petites histoires de tous les jours. Elle se conta en me rvlant le ptillement de son regard et moi je la mirai avec frnsie ; je ne pus menfouir dans la fatigue la dfigurer ainsi, au contraire, je ne pus que sombrer dans la folie. Mais la folie neut raison de moi dans ce premier temps : une rvolution tant ncessaire pour cela ; et, lapptit nous haletant, il fallut alors nous sparer. Je ne pus nanmoins rsister lenvie de lui offrir cette paire de boucles doreille mailles langlaise quelle ne cessait de scruter du regard. Elle sembla tellement la dsirer quelle parut profondment ravie et un tantinet gne par la banalit de mon geste qui navait pour origine que le foudroiement de son regard.Elle retourna chez elle et me promit, une promesse sur laquelle je ne pouvais douter, elle me promit quelle repasserait dans laprs-midi. Nous nous lchmes un bien banal baiser et je la quittai donc, le cur plein dextase, comme preuve de ma renaissance, la mine clatante. Car jtais persuad, certain, que nous allions nous revoir dici quelques heures, et que de ce second acte natrait quelque chose dincontestablement puissant : une chose indestructible, inconcassable que la raison ne saurait dominer ; une chose infrangible, tant passionnelle que lternit ne pourrait en venir bout ; une chose indfinissable, quasi-gnomique qui ne pouvait tre que la rsultante de ce premier interlude que la Destine sembla alors maccorder comme un don Divin.

    La panse alourdie dune milanesa la cuisson douteuse, je retournai sur cette mme place centrale, et lattendis sous

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    cette aprs-midi chaleureuse, lombre apprciable dun modeste ficus, prs de ces mmes dalles qui lui servirent dassise en cette incroyable matine. Je lattendis, comme un chien haletant et dpendant, soumis mais confiant, sr, assur que linconcassable tait bel et bien inconcassable. Je lattendis, toute laprs-midi durant, mais elle ne vint, elle ne vint ce rendez-vous quelle mavait fix quelques heures auparavant. Elle ne vint et anantit, de par son absence anodine, cet indestructible pilier, me laissant neurasthnique, abattu, englouti sous les dcombres de mon larmoyant destin.Cependant, je rapportai mon espoir salutaire au lendemain (lindestructible ne pouvait tre quindestructible), toujours sur la mme place, toujours sous ce mme petit arbuste lombre gnreuse, toujours aussi proche de ces mmes dalles. Mais le salut ne vint point et il ne se fit mme jamais sentir, malgr mon obstination salutaire. Je finis donc par trs vite oublier sa douce physionomie, que dis-je, sa cleste morphologie, me persuadant quelle me reconnatrait aux abords dune errance citadine. Mais jamais nous ne nous revmes, jamais, et je finis par tourner la page, aid gracieusement par cette succession de monosyllabes rdige deux jours aprs ce premier interlude. Je finis par tourner cette page transparente comme un layer infographique, tout en gardant nanmoins son minois, son sourire, ses prunelles, sa beaut et sa fracheur crucifis dans les viscres de mon sillon ventriculaire.

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    Nous tions de nouveau un lundi, laccent thermidorien cette fois-ci, les mois taient passs, les retours staient bel et bien effectus, mon cerveau stait mme chamboul ;

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    et en cette aprs-midi finissante et ensoleille, je la revis, assise, passive, attentive, et doutai la reconnatre, mais laissai envahir le doute et fis en sorte de ne point la reconnatre. Mais je la regardai, ladmirai, la scrutai, je la mordis inlassablement de mon regard voil et elle sembla en faire autant, la diffrence prs : ctait quelle mavait reconnu, je le sentais, a se sentait ; mais elle resta assise, lascive, immobile de la tte au pied, stabilisant ses iris de jais sur mon phare statufi.Sous lombre brise du tarco, tout sagita dans les profondeurs de mon sillon ventriculaire : son minois, son sourire, ses prunelles, sa beaut et sa fracheur semblrent effectus leur palingnsie, dlaissant cette croix infconde pour rejaillir dans les entrailles de mon subconscient o se reconceptualisa bien vite cet indfectible hors du temps et de tout raisonnement. Je ressentis cette chose surpuissante que javais perue, jadis, mais le doute tait si prsent que je ne pus me fier la certitude : donc je doutai, me confinant dans une absurde perplexit. Mais ctait bel et bien elle, de nouveau prsente, de nouveau expose mon regard voil ; ctait elle et le destin sembla continuer laccomplissement de sa comptine.Elle en mit du temps honte moi de dire a, et surtout de le penser avant de venir me rejoindre et de sasseoir mes cts, faisant soudainement resurgir, comme un instinct enfoui dans ma gangue encphalique, cette matine douce mais ensoleille o je lui avais offert cette paire de boucles doreille mailles langlaise quelle navait cess de scruter du regard. Ds lors, je la reconnus, ou tout du moins ne doutai-je plus la reconnatre, sa physionomie me rapparut comme une illusion, comme une dlivrance mme. Elle tait toujours aussi douce, toujours aussi belle, toujours aussi clatante et frache, toujours enrobe par

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    cette pure simplicit ; et son sourire, quelle moffrit ds son assise, se voulut plus que jamais fissurateur, que dis-je, fissionateur daorte.En guise de retrouvailles, nous concentrmes notre prsent conciliabule sur ces fameuses non retrouvailles dun lundi bien rvolu ; montant mme le ton, de faon humoristique, comme pour dramatiser la situation, ou plutt pour sembler ddramatiser sa dramatisation.Surprise que je ne semblasse lavoir reconnue en cette prsente journe honte moi pour la seconde fois elle me justifia sa non venue en cette journe passe par quelques problmes personnels, beaucoup trop insignifiants aux yeux de mon sensorium interprtatif, et je tachai de lui faire comprendre, sourire aux lvres, qu ce rythme, je ne pouvais que loublier. Mais ce qui fut clair, ctait quelle ne mavait point oubli, vu qu plusieurs reprises, elle maperut au passage dune rue, nosant minterpeller pour je ne sais quel motif. Pour ma part, je neus t capable dune telle perception : croire que le Lth avait bel et bien fini par ensevelir mon chaudron mnmonique honte moi pour la dernire fois.Mais ce qui importa prsent, ce fut quelle ft de nouveau mes cts, que nous fmes de nouveau runis, lun proche de lautre, que nous pmes de nouveau nous sentir et nous mouvoir de cet insens rapprochement ; ce qui importa, ce ft que je pusse de nouveau dvorer ses prunes bniques, que je pusse de nouveau entendre sa mlodieuse sonate. Nous tions de nouveau combins et ma fascination tait inchange : la catalepsie tait dcidment immuable.Nous palabrmes sous ce soleil dclinant de ces mois qui staient effils, de cette vie qui stait dcompose, de ces allers qui staient effectus et de ces retours qui

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    les avaient suivis. Nous ommes srement dvoquer ces autres regards croiss et constatmes que bien peu de choses staient produites durant ce temps, peu de choses moins que leurs spcificits ne fussent quinconsistances aux yeux de nos soudaines retrouvailles. Mais laprs-midi touchant sa conclusion, nous dmes nous sparer et l aussi, l encore, une fois de plus, elle me promit quelle repasserait me voir sur cette place centrale, sans cependant me datifier sa prochaine visite, souhaitant avant tout gnrer leffet de surprise. Je la crus, comme en cet autre jour dun pass rvolu, ne pouvant mettre sa parole en doute. Je la crus, non pas par navet, mais par pure confiance : principe dificateur de toute infrangible union ; non pas par aveuglement, mais par pur respect pour ses mots : principe dificateur de toute destinale rencontre ; non pas par satyriasis, mais par pure admiration pour son tre : garantie indniable du sentiment unanime que je lui vouais. Donc je la crus, car jen avais le pouvoir, et nous nous dmes bientt aprs nous tre lchs un bien banal baiser.

    Mon encphale retrouva alors sa mine, je semblai renatre de mes inertes cendres aprs quinze semaines bien plates. Je fus empli dune extase sibylline et sournoise, non apocryphe car trop authentique ; je fus combl dune alacrit foudroyante et me laissai driver dans des rveries incroyables : car javais la sereine persuasion que nous allions nous revoir. Je reportai donc la gense de cette entit inconnue parce quindestructible cette prochaine journe o elle me ferait le plaisir de sa visite inopine.De nouveau propuls face sa mine, clatante et sublime, jen retrouvai, par la mme occasion, ma mine : ma mine graphitique, ma mine exquise reine de lesquisse ;

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    et jlaborai alors, succinctement, dun trait simpliste et subtil, une divine Mre fcondant notre divine Terre. La naissance dune nouvelle vie mattendait, sa gestation tait en cours, le destin tait en marche, et il ne pouvait aboutir qu lengendrement dune entit imperfectible.Eus-je besoin de ceci pour que mon broc encphalique recouvrt sa vitalit, retrouvt sa fonctionnalit premire : celle de crer, de gnrer, de concevoir, comme a, de faon brutale et soudaine, comme a, de manire instinctuelle et pulsionnelle. Oui ! Il me fallut ce dclic, il me fallut cet artefact pour que sensuivt cette onde parabolique hors norme me convertissant de nouveau en un tre assujetti la matrise totale de mes sens avertis. Mais retrouver la matrise de mes sens fut une chose, retrouver ma muse sympathique en fut une autre. Car javais retrouv ma Desse, ma fleur inspiratrice, mon grie cratrice (mme si je ne lattendais pas) et plus rien dautre, partir de cet instant, ne compta mes brocs, quils fusent crbral ou cardiaque ; plus rien dautre ne compta mes yeux, et je finis par restreindre immdiatement mon champ sensoriel en un point unique et limit de part sa dfinition : la quintessence de Son minois.

    Le lendemain, bien avant que midi ne rsonnt de son ample phonme, je me positionnai sur cette place centrale, sous ce modeste arbuste lombre dsire, proche de cette alle aux dalles dracines, lattendre. Jtais anxieux, impatient, nerveux, anim dune folle envie de la revoir, et bien videmment excit par cette ide mme de la revoir. Je me contentai dun laconique sandwich la mortadelle et, ne sachant quelle heure elle pouvait poindre sa grce en ces lieux, je madonnai un repos non mrit. Je feuilletai par la suite quelques planches o

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    Saint Preux me confirma lexistence de ce que je souhaitai le plus au monde ; puis me noyai, juste aprs, dans mes penses fcondes en saints rthismes.Replongeant intgralement ma substance charnelle dans la clart opaline de ses prunes impriales, je revcus ce proche pass, cette folle journe dhier o javais de nouveau pu menthousiasmer face sa brune effigie. Quel dlice enivrant, je la revis, aussi mouvante que dans la ralit, aussi frache et passionne quelle ne pouvait ltre. Mais mes rveries, malgr leur douceur et leur dlectabilit, ntaient que tromperies ; jtais toujours seul, impatient, lattendre comme un chien docile et dpendant. Je lesprai, et les coups de cloche fredonnrent leur succession jusqu me conduire au terme de cette aprs-midi qui aurait pu tre ancestrale. Elle ne repassa point, me laissant seul, mais je nen fus pas pour autant attrist, car jtais parfaitement conscient du caractre imprvisible que dfinissait toute surprise. Cependant, je ne pus mempcher de repenser ce fameux lundi, rvolu mais qui se voulut noir, o elle ntait revenue. Lhistoire allait-elle se rcrire ? Non ! je ne devais lassombrir de faon si vhmente, je ne pouvais lobombrer aussi facilement : demain sonnerait lheure de sa surprise, je le sentis comme une proclamation retentissant sous les vibrations de mon endocarde dlirant.

    En ce mercredi-ci, je me trouvai toujours au mme point, toujours sur cette mme place centrale, sous ce mme petit ficus convoit, patientant, comme un chien haletant et dpendant, regarder, alors non masqu par mes lunettes, ce dixime danonymes incompris semmler les pieds sur ces dalles dracines. Je tachai dagir de faon ce que le temps scoult sereinement, de manire

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    fluide et limpide afin de ne point membourber dans une qurulence excitative. Je mavachis, de temps autre, sur cette herbe calcine, me projeter dans mes rves esseuls et moublier dans ses yeux ensorcelants. Je madonnai la lecture afin denrichir mes penses en aphorismes profonds : mais mme le Crpuscule des Idoles ny put rien, je ne pouvais oublier sa mine et lobscurcir un tel point : elle restait ma muse rvre et vnre, mon idole immuable et ternelle, ma belle inconteste et incontestable.Le temps passa, lentement, srement, je restai l, esprant ; les coups de cloche slimrent, se succdrent, de nouveau samplifirent, et ce ne fut que vers seize heure quelle mapparut, comme a, comme venue de nulle part, comme une vision inattendue, fantasmatique, troublante et divine. Elle tait toujours dcore de son sourire dvastateur, et sous les quelques rayons solaires qui parvinrent perforer cette place arbore, elle parut scintiller de mille clats, aussi douce et luisante quune nuit tastilienne.

    la vue de sa venue, je men fut submerg dune joie sans gale, ma stressante compression qui emprisonnait mon cur opprim sen fut volatilise, comme a, de manire subite ; mes orbes semblrent simbiber dans une exultation vaporeuse, je les sentis vaguer dans une mer conciliante. Elle vint prendre assise sur ma gauche fonctionnelle, sous lombre de ce petit arbuste, et nous nous mmes converser aprs nous tre lchs un bien modeste baiser. Enjolivant rapidement latmosphre de son enchantement verbal, elle me dpeignit les dtails de sa journe dhier, dnotant des lvres souriantes chaque fin de phrase. Je ladmirai avec merveillement : quelle tait jolie, pare de

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    son manche courte marin qui sut parfaitement bien mettre en valeur sa poitrine gracile et volute. Et, laprs-midi se poursuivant, elle ne cessa de se conter, de se raconter, gesticulant ses avant-bras dnuds pour thtraliser tous ses rcits dtudiante tourdie. Je lcoutai, attentif, amus, merveill par son ingnuit et je ne cessai de linspecter, de la contempler tout en lui narrant, quand mme, quelques lments de ma biographie : de ces errances infcondes, de ce rve patagonique, de sa terre promise et de ce dsir inpuisable sans cesse repartir, dsir que je qualifiai vaguement comme tant le seul remde loubli. Nous nous rvlmes ainsi, naturellement, passionnment, avec authenticit malgr lagitation de quelques trouble-fte qui perturbrent notre second interlude de lanne, nuisant ainsi cette intimit essentielle, cette intimit indispensable pour que tout fonctionne : car lintimit est affaire de pudeur, et cest quelque chose de prcieux. Mais ces trouble-fte, constatant notre ignorance commune face leurs bassesses verbales ou leurs offrandes thyliques, sen furent, srement frustrs, et furent donc trs vite oublis, pour que nous puissions enfin concentrer notre attention respective sur nous deux et notre paire, sur nous deux et sur rien dautre, sur nous deux et rien de plus, sur nous deux et tout en moins, sur nous deux un point cest tout.La journe se poursuivit lentement, paisiblement, au son de sa voix douce et harmonieuse, au son de son timbre loquent, au son de sa mlodieuse musicalit. Je savourai cet instant avec un maximum dintensit, la dvisageant de mon regard vulnrable, nen perdant aucune goutte. Non pas que je mimaginai ne plus la revoir aprs ce jour, mais le doute dut cependant subsister pour que je fisse preuve dune telle attention subliminale. Je lobservai palabrer avec fougue passion : ses yeux ptillrent dune sincrit

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    diaphane ; la matit de ses joues, lisses et soyeuses, senroba, timidement, dune tonalit vermeille, preuve vidente de son motivit ; chacune de ses phrases, elle les conclua par un sourire rserv do schappa de temps autre son mail miroitant. Laquarelle de sa frimousse tait dune telle puret que je semblai en perdre tous mes moyens, surtout quelle aussi me dvisagea passionnment. Jtais dstabilis, profondment mu ; mon anxit, qui convulsa mes pommettes, empcha mes larmes de se rpandre librement, mais je me sentis cependant emport par un torrent lacrymal que dchana mon martlement cardiaque. Entendit-elle cette dchirante complainte que je nosai, pour le moment, mettre sous une autre forme ? Pour ma part, javais cette loquente impression dour, malgr ma cophose, sa dclaration pulsative qui martyrisa, de son effervescence, sa poitrine attnue. Je laimai, comme un fou, par-dessus tout, plus que tout ; je laimai, beaucoup, profusment, beaucoup plus encore. Je laimai, dune virulence indicible, et ce sentiment, qui puisait sa richesse au sein de mon cur vocifrant, illumina mes marbrures crbrales dune candeur opaline.Pourquoi une telle affinit ? Un regard de sa part et je men fus conquis, pour un semblant ternel. Javais cette profonde impression, mme si durant notre bavardage nous ne rvlmes nos vritables penchants, quelle avait eu raison de ma vie, sans autre volont de sa part que de madmirer et de moffrir le bruissement de son souffle apexien. Ce que je sentis en sa prsence navait nul quivalent, tant lincomprhension mme de ce sentiment frisait lacm de la splendeur. Je ne sus pourquoi jprouvai un tel Amour pour celle-l et vrai dire je men moquai grandement : lAmour se rsigne

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    ne pas savoir disait Deguy. Alors, je membourbai dans cette succulente ignorance afin de sacraliser au plus haut point lengouement que je lui vouai. Quelle tait belle, douce, rayonnante, enveloppe dune puret des plus subtile. Je laimai, elle apaisait mes pulsions cardiaques de manire indescriptible, de faon prodigieuse : elle tait devenue ma nouvelle Amphtamine. Non pas ma nouvelle Hiroshima qui ne pouvait tre que lunique responsable de latomisation de mon cur, de sa perte, de ma perte, de ma fin ; mais ma nouvelle Amphtamine, celle qui tait capable de dmatrialiser mon environnement ambiant et de concentraliser mon attention sur sa seule mine. partir de ce jour, plus rien nexista, plus rien, mme Dieu, mme cette Cordillre, mme moi ; plus rien, excepte sa mine. Elle tait devenue ma Desse, mon opium attitr, ma dlivrance ultime, la source mme de mes motions, ma raison dtre, mon dtonateur dartefact, la fautive de ma contradiction neurotransmetrique ; elle tait devenue lorigine de mes pulsions, lorigine de mes motions, de mes frissons, lorigine mme de tout : ma convoite adnine. De nouveau, le destin fatal massomma, je ne pus plus me passer delle, je ne pus plus me passer de ses prunes dune clart charbonneuse, de son regard attis dune lueur assassine ; je ne pus plus me passer de ses lvres au dessin raffin, de son sourire tant attentionn ; je ne pus plus me passer de ses cheveux aussi sombres quune nuit bolivienne et de ses mains bien plus soyeuses quune toile de Kyoto. Ce jour-l, elle ne me fit don de ses caresses, mais jimaginai sans peine les indicibles ruptions quelles auraient provoques au sein de mon aorte sensible et fragile.

    Nous restmes accroupis, proche lun de lautre, sous cet

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    arbuste protecteur dun soleil znithal nous mirer avec intensit, papoter par intermittence et soutenance. Les quelques demi-heures que nous passmes ensemble, une bien maigre exprience mais les premires que nous vcmes rellement, nous permirent de nous sentir plus notre aise. Nos visages parurent ce fut une certitude pour le sien, mais quune impression pour le mien moins contracts et moins colors. Nous semblmes dclarer les mots avec plus de facilit tout du moins pour moi , limpulsivit tait maintenant reine, la gaiet aussi, les fous rires furent plus abondants. Bref ! je me sentis bien, et elle sembla tout aussi bien se sentir. Indubitablement nous tions heureux, ainsi, lun proche de lautre entrelacer nos regards, lun proche de lautre contempler notre motion. Nous tions heureux, mais lorsque la cloche sonna son septime coup conscutif, le malheur sembla sabattre sur nos corps convoitant la qute adamique et nous dmes nous remettre sur pied afin de prparer nos sparations. Quel chagrin jen ressentis, quelle tristesse jen prouvai, mon cur fut en proie une vasure des plus insoutenables : nous allions nous quitter. mon lever, jenfilai instinctivement mes boucliers dHliaque afin de dissimuler toute souffrance, mais je neus mme pas la dlicatesse de laider se remettre sur pied, tant apeur de la toucher, ou deffleurer son derme de tendresse. Le chemin jusqu larrt de bus se voulait court, mais nous usmes dun dtour afin de scarter de ses regards obsessionnels, perturbateurs invariants dune douce intimit, chose dcidment trop prcieuse. Nous rejoignmes cependant les dalles de la peatonnnale, noires de monde comme toujours en cette heure-ci, o les palabres se firent rares, mais la quitude prsente. Elle se laissa aller son lche-vitrine de petite rveuse, de petite

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    minette, scruter chaque fioriture estivale exhibant ses tendancieux coloris. Elle dut srement rver tre pare de lune delles, imaginant resplendir sa beaut qui navait nul besoin de tels artifices pour rayonner son fate. Cependant, jaurais rpondu sans entrave son caprice incompris de combler intgralement sa garde-robe de ces articles insignifiants.Au fil de nos pas, girouettant ses pupilles de galeries en galeries, elle osa tout de mme hausser son regard vers le mien me larguant, pour mon plus grand bonheur, son indescriptible sourire : quelle tait belle. Je lui aurais bien agripp sa main droite, alors totalement soumise lapesanteur, afin de munir elle et de rpondre la plus intense de mes envies ; mais je nosai, peur de bcler ce qui devait scrire de faon lente et prcise.Une fois proches de larrt, nous attendmes le bus ; elle ne cessa de porter son regard lhorizon de la San Martin, comme pour anticiper par avance le moment de nos sparations ; au lieu tout justement de profiter de ce moment pr-sparatif la contemplation, lvasion ou la confirmation. Mais peut-tre quelle aussi tait en proie un puissant chagrin et quelle nosa me le faire partager. Pour ma part, masqu de mes petites lunettes noires et rondes, je me paralysai sur sa mine, concentrant toute mon attention sur elle, sur sa sublimit, sur ses charmes insouponns, sur ses lvres tant rves. Je profitai de sa silhouette chimrique jusquau dernier moment, jusqu cette dernire seconde qui devait marquer nos ddaigneuses sparations. Mais elle, elle ne me lcha aucun regard, ne portant sa concentration que sur cet horizon o se dessina alors la face crulenne de son transporteur. Ds larrive du bus, nous nous lchmes un bien modeste baiser, identique aux prcdents, et

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    jentranai sa monte dans le bus en dposant ma main spasmodique sur sa toise dIndienne : elle me promit quelle repasserait le lendemain, et je la crus, afin ddifier de la manire la plus noble qui ft.

    Au dmarrage du bus, au son de son crachat carbonique, mon cur fut alors victime dun dchirement dcupl, il sembla cesser dmettre son tambourinement symphonique et mancipateur. Dj, elle me manquait, ses yeux me manquaient, son sourire me manquait, sa fracheur me manquait ; sa douceur, sa mlodie, son aura, tout ce qui la caractrisait me manquait, tout ce qui faisait delle un tre part, un tre unique, proche de la splendeur divine : ma nouvelle toile me manquait dj. Non pas cette Antars qui sen tait alle, jadis, dans ce divin firmament, au paroxysme mme de ce noble cleste ; mais ma nouvelle toile, mon Nar Al Zorak austral, conjuguant mon sort celui du phnix qui revint sans cesse de lEnfer. Et tout comme ce phnix, je renaquis de ce brlant chagrin qui dcomposa, jadis, ma carcasse charnelle en particules indolores. Je renaquis, mais pourtant je demeurai effondr suite cette sparation, effondr de lavoir quitte, effondr de ne plus la voir, de ne plus lavoir, de ne plus lcouter, de ne plus la sentir, de ne plus mincliner.Soit, demain aurait t trs vite l, mais maintenant, cet instant prcis, elle ntait pas mes cts, et mes yeux furent de nouveau noys dun bayou lacrymal qui introduisit parfaitement bien la venue dun destin improbable. Je ne souhaitai point la perdre, encore moins loublier, je souhaitai lavoir mes cts pour toujours, la savoir prs de moi pour cette mme dure. Je souhaitai quelle devnt ma chamelle, ltre que je ne pouvais quitter, mme pour la Patagonie ; ltre avec qui jaurais travers des dserts

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    entiers ; ltre dont jaurais t la partie intgrante ; ltre que seule ma mort aurait pu me priver.Perdu dans son imagerie dlicieuse, je ne cessai de spectralement la contempler afin dapaiser mon affliction que son dpart avait cause. Je laimai, cela ne fit aucun doute, le destin mavait frapp de son intransigeance en me la prsentant de nouveau. Et je perus un sentiment rciproque de sa part, une rciprocit qui ne put pleinement se dployer en ce jour, mais qui allait, et je le perus aussi, trs prochainement sexprimer dans son clat le plus foudroyant : lindestructible ne pouvait que natre de cette soudaine runion.

    Je retournai, courb, seul, quasi effondr, jusqu la place centrale pour inaugurer mes vingt heures dattente avant son retour ; vingt heures passer sans elle, comme une absence impose pour lcriture sraphique dune histoire sans asthnie. Mon encphale simmergea dans des songes rallonges, des songes interminables o seule sa mine encombra mon rseau neuronal. Elle tait devenue la seule manifestation de mon activit psychique, elle enroba mon cerveau de sa divine corporalit, mes penses taient toutes centres sur elle, Elle, ma belle, ma douce et tendre. Elle tait parvenue tout ter de mon tumultueux nvraxe, le vider de ce vain superficiel qui lemballait de questions aux tristes rponses ou de croyances dcidment trop incroyables.Ractualisation ! Purification ! De sa beaut et de sa fracheur insouponnes, elle parvint nettoyer mon quotidien de ces dlires infertiles pour lassujettir une ivresse exaltante et invariante, pour lenrober de ce bonheur suprme qui puisa sa source dans cette osmose sensorielle que produisit notre soudaine harmonie

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    dyadique. Une harmonie intensifie, idoltre, sacralise par sa prsence, son attention, sa tendresse et par toute cette sublimatoire nergie quelle sut me lguer durant cette savoureuse aprs-midi. Impossible de me sparer de sa chimrique vision, au fate de lhumaine beaut ; impossible de lextraire, un tant soit peu, de ma rflexion immdiate. Rien ny put faire, rien ne put lextirper de mon mental ; elle en devint la propritaire, la jardinire, celle apte lembellir et le combler de merveilles incorruptibles. Elle y ratissait continuellement, sans relche, et rien ne put len extirper, rien, pas mme cette deuxime visite au commissariat pour absorption sur la place publique dun bien doux alambic de source brsilienne. Ils purent me questionner, me fouiller, me contredire, me harceler mme, elle seule tait prsente, arme de sa faucille protectrice, elle seule, mme lors de limpression de mon dermatoglyphe innocent.Accroupi lentre de la cellule, le vacarme incessant de ces machos innocents et coupables, leurs rires invariables et mphistophliques, leur abjecte puanteur cutane et dyspnique ou leurs hypocrites tatouages no-rvolutionnaires, tout ceci narriva mme pas me sensibiliser. Tous mes sens, dans leur union commune, ne trouvrent refuge que dans son minois, dans sa douceur, dans sa puret. Je ne pensai qu elle, rien qu elle : la contamination tait absolue. Javais hte que cette nuit insupportable se termint pour enfin la revoir. Javais hte, mais jtais toujours incarcr, noy, en pleine nuit, dans ce lieu infect et macul, noy, dans ce lieu putride et envenim, mais aussi noy dans son cur dlectable et miroitant, et sa submersion cardiaque avait bien videmment le dessus.Ce fut avant ma dlivrance ultime, toujours abandonn

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    dans ses prunes bniques, que je pris la dcision dcrire une uvre sur elle, un livre entier sur elle, un livre pique, homrique, potique, dantesque, peut-tre tragique, peut-tre dramatique, mais dans tous les cas une uvre unique. En ce jour-l, je pris la dcision dcrire un livre sur elle, afin den faire ma Batrice ; un livre, sur tout ce quelle pouvait reprsenter, mais jamais je ne lcrivis.

    Aprs cette nuit, certainement courte mais qui se termina tard, je retournai sur la place centrale avec lenvie dune seule chose : revoir ses iris de jais. Lunique fait de savoir quelle repasserait dans ce courant daprs-midi me remplit dune joie immense ; jtais impatient, empress, press de mirer de nouveaux ma thosophique topiairiste. Jattendis donc, aprs avoir ingurgit quelques milansas, sous ce ficus qui me protgea parfaitement bien de son ombre de midi, sa prochaine venue. Le temps scoula lentement ; je savais impertinemment quelle ne moffrirait sa prsence quaprs les 16h00, mais je ne pus mempcher, dans ces premiers instants, de virevolter mon regard tous azimuts afin de massurer de sa ponctualit quelques secondes avant son assise. Mais cette dernire ntait point pour maintenant, donc jattendis sagement, pendant que le temps scoula, lentement. Je moffris un moment de couchette ; je me divertis un instant la lecture : Homre pour me faire apprcier les rptitions ; je me laissai mme aller la rverie, car ctait durant ces moments que je parvenais distinguer sa vivacit contagieuse.Je rvai delle, et de son tre, de leffervescence de ses yeux, de la dlicatesse de ses doigts et du raffinement de ses lvres ; je rvai de sa beaut, de la soyeuset de ses cheveux, de larabesque de ses formes et de la tnuit de ses seins ; je rvai de son cho, de lacuit de ses mots,

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    de la magnificence de son sourire et de leuphonie de sa respiration ; je rvai de ses manations, de leffluence de son cou, de la senteur de sa langue et du bouquet de ses frissons. Je rvai delle, de manire unanime et immolai mon tre dans les abysses insouponns de son corps convoit. Ds lors, tout sobscurcit, je vagabondai dans une nuit sans voie lacte, lointaines toiles ni astrales constellations, je mvaporai dans une noirceur totale que seule sa morphologie sembla chromatiser. Inconsciemment attir par le trou noir de sa splendeur, ma chair sessentialisa pour fusionner en elle et diluer mon me dans lternit de son envotementMais lorsque le quatrime coup de cloche retentit, je ne pus rien faire dautre que de mirer cette alle qui ciselait la place et son environnement verdoyant de ses dalles dracines. Mon regard ne cessa de balayer les cent quatre-vingts degrs, voir mme un peu plus, de mon champ visuel thorique, il ne cessa de valser, de tournoyer, de rpter ce mme cheminement orbiculaire. Je souhaitai anticiper sa venue afin de ne pas tre victime du foudroiement qualimente tout effet de surprise. Je devais la savoir ici avant quelle ne me devint afin de lguer mon cur ce ncessiteux temps de soupir et de relchement, parfait palliatif cette suprme pression laquelle il tait expos. Et pendant ce temps, le temps scoula, fila, dfila, et mes orbes attentifs perdurrent leur farandole insoutenable. Je finis alors par our le cinquime coup de cloche qui sonna comme un tonnerre deffrois au sein de mon tympan qui semblait avoir perdu toute sensibilit face ma vision satrapique. Mais je gardai lespoir, trop persuad quelle viendrait ; je le savais, elle me lavait promis, la veille, lorsque nous nous tions quitts. Je perdurai donc mon irien mazurka, jinsistai comme un conqurant fou la

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    recherche de son le dsire, la forme gibbeuse et noye dans son vert. Jinsistai, assur que mon but serait vain, mais le sixime coup retentit et me fit perdre tout espoir.Ma qute prit donc fin, cet horaire funeste en tait sa conclusion, et je meffondrai, attrist par mon sort, par ce sort fatal de ne lavoir revue une finalit ma foi bien despotique. Mon cur ne fut pas en proie un dchirement sanguinolent la patience est une vertu qui sait retarder toute traumatisante excution , mais je fus profondment afflig par cette non visite quelle moffrit comme une obole empoisonne. Je lui trouvai un prtexte, la vie nest pas un long fleuve tranquille, et je me persuadai que notre prochain interlude serait pour le lendemain, le vendredi 31.

    En ce 31 donc, je me redposai, comme par rflexe, aprs mon menu de midi, sous ce ficus toujours aussi feuillu et lombre microclimate. 16h00 ntant quhoraire lointain, je moffris un moment de couchette afin de massurer du non mrite de mes repos successifs ; je madonnai de temps autre la lecture : Nietzsche afin de savoir si le marteau fonctionnait toujours ; je prolongeai mme mes rveries dlicieuses o elle savait mapparatre comme une allgorie ostentatoire, confectionneuse dune exquise ataraxie.Je rvai delle, et de son tre, de leffervescence de ses yeux, de la dlicatesse de ses doigts et du raffinement de ses lvres ; je rvai de sa beaut, de la soyeuset de ses cheveux, de larabesque de ses formes et de la tnuit de ses seins ; je rvai de son cho, de lacuit de ses mots, de la magnificence de son sourire et de leuphonie de sa respiration ; je rvai de ses manations, de leffluence de son cou, de la senteur de sa langue et du bouquet de ses

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    frissons. Je rvai delle, de manire unanime et immolai mon tre dans les abysses insouponns de son corps convoit. Ds lors, tout sobscurcit, je vagabondai dans une nuit sans toile, sans astre lointain ni lune gibbeuse, je mvaporai dans une noirceur totale que seule sa morphologie sembla chromatiser. Inconsciemment attir par le trou noir de sa splendeur, ma chair sessentialisa pour fusionner en elle et diluer mon me dans lternit de son envotementSurvint alors le quatrime coup de cloche, me poussant instinctivement cesser toute activit, aussi flegmatique ft-elle ; ou tout du moins limiter cette dernire un tango permanent de ma pugnacit oculaire. Je tournoyai mon regard, je le balayai, ratissant mon environnement immdiat la recherche de ma muse espre. Ne sachant par quel secteur ni par quel vecteur elle me proposerait sa venue, je tachai damplifier la frquence de mon dplacement visuel afin dimaginer obtenir, un mme instant, une vue synoptique de mon entourage. La place sembla effectuer sa rvolution, mes yeux excutrent leur rotation et, mme si cette exubrante verdure mempcha de la guetter, je sentis la grande aiguille effectuer la sienne propre. Le temps fila, seffila, dfila, et le cinquime coup de cloche retentit provocant, de son vacarme asschant, lenvole de ces pigeons bcoteurs comme celui de ma fougueuse esprance. Mais jy crus, jtais trop fou, et continuai de tournoyer, de traquer, de scruter, de rvolutionner : elle ne pouvait que passer. Nos curs avaient parl et plus rien ds lors ne pouvait les contredire, ils avaient prpar le terrain de leur fusion commune que rien ne semblait compromettre. Et de cette fusion ne pouvait natre que notre union : le cur a un pouvoir que la raison ne saurait dominer. Elle ne pouvait que passer, et je persvrai

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    dexaminer tous les recoins de la place centrale afin de vnrer son arrive de mon regard obnubil. Mais le sixime coup de cloche survint, raisonnant dignominie, et elle ne prsenta sa nubile tnuit mes yeux consterns.Je fus alors contamin de dcrpitude, mon broc crbral fut tritur dune tortueuse motion, et mon pauvre cur fut simplement en proie la dsutude. Je ne voulais pas la perdre, mais fusionner avec elle ; je ne voulais pas de nouveau mourir : ni de trouble psychique, ni dune noyade incestueuse, encore moins dune overdose de sueur ; je ne souhaitais pas tre victime dun autre souffle : un souffle ultra violent qui serait capable de dchiqueter mon piderme en une explosion sanguinolente de larmes. Javais peur que le temps ne scoult de nouveaux pour gnrer ce lointain garni de revers capricieux, capable de tuer toute esprance et de trancher sans remord un bien fragile cur. Pourtant, je sentis mon cur tranch, cisaill, de ne pas lavoir revue ce jour-l. Ny avait-il pas dAmour ? Quel tait donc ce sentiment omnipotent qui enjolivait mon me dune nergie incomparable ? Quelle tait cette transcendante sensation qui embrouillait mon cerveau de certitudes ? Il stait pass quelque chose entre nous, une chose incomprhensible dfiant tout systme prtabli, une chose inconcassable marchant en silence et apte fissurer lunivers ; une chose sans nom qui trouvait sa source dans nos pulsions ventriculaires et qui devait trouver son dnouement dans notre hymne rsolu.

    De part nos conversations passes, je savais quelle ne viendrait en centre ville les journes de fin de semaine, ce qui reporta trois jours notre ventuelle nouvelle rencontre. Jtais effondr, noy dans une errance cellulaire, enfouie

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    dans une dtresse synaptique, submerg dune cataracte lacrymale, mais je ne pus mempcher de croire en sa venue prochaine, je laimais trop pour mimaginer ne plus la sentir.

    Jentamai donc mes quarante-huit heures dattente certifie, certifi de ne point la revoir, car je savais quelle ne viendrait pas durant ce laps de temps. Jallai donc, durant ce dernier, doubler mon attente ; mais, contrairement la premire moiti, je ne pourrais en ressortir plus effondr. Les journes se passrent nanmoins sur la place centrale, non pas attendre, mais laisser couler dans la somnolence, dans la lecture : picure pour ponctuer mon quotidien dun vertueux plaisir ; et vendre quelques bijoux de graines et de cuir, de pierres et de mtal. Le temps tait correct, le taux dhumidit invariable, lensoleillement optimal, peine une lgre brise pour nous caresser le visage, mme si en dbut de soire, quelques violentes bourrasques surent se faufiler dans les venelles de la cit. Jtais lascif, abandonn dans des songes troublants et obscurs o elle mapparaissait tincelante et rayonnante ; je pensai elle, rien qu elle : elle tait devenue lunique information que vhiculrent mes axones, qui en stimula leur fonctionnalit.Mes yeux simmergrent dans ce paisible ocan que forgeait sa vaporeuse beaut ; et je me noyai comme attir par ce trou noir insens qui constellait lintimit mme de son cur. De mes penses volatiles sclipsrent le pis : cet abandon insoutenable auquel je pourrais tre expos, le caractre insincre des sentiments quelle parut moffrir et cette continuit improbable ou impossible que je ne souhaitai crire. Car je ne souhaitai la perdre de nouveau, encore moins loublier ; je ne souhaitai procrer

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    un deuxime Puta Vida, jaurais t bien incapable de fconder une semblable lgie monosyllabique : et quel intitul lui aurais-je allou ? Non ! je ne souhaitai la perdre de nouveaux, alors je me persuadai que je la reverrais, quil ne pouvait en tre autrement, il y avait quelque chose qui stait pass entre nous, quelque chose dinnommable, quelque chose de fort, de violent, qui ne pouvait se relguer au rang de banalit. Mon cur avait parl, le sien avait d hurler, mais nous avions entendu leur plainte, leur beuglement, leur insatiable envie dtre jamais unis. Je ne pouvais ne pas la revoir, cela me semblait impensable, inimaginable et tout simplement incomprhensible.Je laimais trop et quest-ce qui pouvait anantir cet Amour surpuissant, lui-mme apte anantir lunivers tout entier ? Rien ! lanantisseur ne pouvait tre ananti. Par consquence, je ne pouvais que la revoir, ctait lvidence la plus indubitable : Il me fallut donc vacuer tout doute prjudiciable capable de nuire en mon avenir prmuni. Alors, jvacuai. Il y a des martlements qui en disent plus long que toute langoureuse dclaration : elle maimait et je laimais, ctait elle et ce ne pouvait tre quelle seule. Quoi dautre que son propre cur pouvait mensevelir dans une flicit intgrale ? et qui dautre quelle mon propre cur pouvait dverser toute cette effervescence qui le dfinissait ? Nous tions destins lun pour lautre, jen avais la troublante conviction, jtais endoctrin par cette certitude irrfragable.

    Le week-end se passa donc ainsi, martel par de pntrantes penses, et se termina, mortuairement, mes sillons crbraux noys dans une imagerie confuse.

    Un nouveau lundi pointa le jour, une nouvelle semaine

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    dbuta sous le resplendissement incontest de ce ciel au bleu roi. Je navais rien dautre faire ou tout du moins je navais que a faire que de retourner sur la place centrale, sous ce petit arbuste lombre vnre, prs de ces dalles dracines, pour prolonger mon attente interminable et donner une lueur despoir mon apptence. 16h00 tant encore loin, je moffris un moment de couchette ; je madonnai un instant la lecture : Serres pour rester optimiste ; je me morfondis mme dans mes rveries solitaires et amphigouriques afin de porter mon attention ailleurs que sur les alles et venues de ces quidams incompris.Je rvai delle, et de son tre, de leffervescence de ses yeux, de la dlicatesse de ses doigts et du raffinement de ses lvres ; je rvai de sa beaut, de la soyeuset de ses cheveux, de larabesque de ses formes et de la tnuit de ses seins ; je rvai de son cho, de lacuit de ses mots, de la magnificence de son sourire et de leuphonie de sa respiration ; je rvai de ses manations, de leffluence de son cou, de la senteur de sa langue et du bouquet de ses frissons. Je rvai delle, de manire unanime et immolai mon tre dans les abysses insouponns de son corps convoit. Ds lors, tout sobscurcit, je vagabondai dans une nuit sans toile, sans astre lointain ni lune gibbeuse, je mvaporai dans une noirceur totale que seule sa morphologie sembla chromatiser. Inconsciemment attir par le trou noir de sa splendeur, ma chair sessentialisa pour fusionner en elle et diluer mon me dans lternit de son envotementSurvint alors le quatrime coup de cloche, je me mis en phase dobservation, diagnostiquant le moindre recoin de la place, expertisant chaque brindille vgtale ou porosit caillouteuse afin de cerner, de part leur prompte mobilit,

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    larrive ventuelle de ma Muse inconteste. Mes iris guinchrent dune danse rptitive et demie cyclique, je scrutai, en version panoramique, cette place centrale afin de massurer au plus tt de sa prsence. Tout mtait perceptible depuis le point o je me trouvai, tout, mais je ne laperus, et le cinquime coup retentit de sa rcursivit effrayante. Je ne perdis point espoir, jtais fou, et poursuivis ma tache salutaire elle ne pouvait que venir amplifiant le maelstrm de mon regard acharn. De part ma gambille visuelle, je voulus juste me rassurer de sa visite quelques secondes avant quelle ne me lcht son sourire dvastateur, afin de ne point succomber au choc motionnel que provoquerait sa surprenante venue. Donc je scrutai, visualisai mon entour intgral pour anticiper mes probantes prmditations. Je scrutai inlassablement, mais le sixime coup nasalisa inexorablement son effrayante kyrielle, et elle ne vint ce rendez-vous tant rv.Je meffondrai de nouveau, jtais accabl dune tristesse sans gale, rong par le dsarroi le plus intense, le cur froiss par tant de deuils accumuls. Je navais revu sa mine et ses bniques prunelles, je navais rcout sa mlodie et son sourire, je ne lavais de nouveau sentie. Jtais effondr, affect par un destin que je ne pus approuver car trop combl dabsences incomprises. Jesprai donc, mes paupires accumulant leurs bases convulses un palude de larmes vaporeuses, rpondre toutes ces absences au lendemain. En attendant, ce fut contre le pelage abm de Ngra que je tchai dvacuer mon spleen motionnel. Elle sembla parfaitement bien rpondre mon dversement sentimental par ses caresses jugulaires dignes des plus fidles. Mais je recherchai la fidlit ailleurs ; alors, je massombris dans cette atrabile insoluble, rservoir ternel de mon alarmante affliction.

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    Le lendemain donc, je retournai sur cette mme place centrale, toujours au mme endroit, sous lobscurcissement du ficus : ctait dici que la vue sur les dalles dracines tait la plus spectaculaire. Javais ingurgit une bonne pizza entire dans ce mercado tant coutumier et, afin de mieux digrer, je me permis une petite sieste, toujours lombre, pour donner mon repos tout son caractre non mrit. Je me mis ensuite la lecture : Schopenhauer pour mimaginer devenir pessimiste ; je me laissai mme errer dans mes douces rveries plus que jamais hiroglyphiques o elle mapparut, stimulatrice apodictique de ma toile pendymaire.Je rvai delle, et de son tre, de leffervescence de ses yeux, de la dlicatesse de ses doigts et du raffinement de ses lvres ; je rvai de sa beaut, de la soyeuset de ses cheveux, de larabesque de ses formes et de la tnuit de ses seins ; je rvai de son cho, de lacuit de ses mots, de la magnificence de son sourire et de leuphonie de sa respiration ; je rvai de ses manations, de leffluence de son cou, de la senteur de sa langue et du bouquet de ses frissons. Je rvai delle, de manire unanime et immolai mon tre dans les abysses insouponns de son corps convoit. Ds lors, tout sobscurcit, je vagabondai dans une nuit sans toile, sans astre lointain ni lune gibbeuse, je mvaporai dans une noirceur totale que seule sa morphologie sembla chromatiser. Inconsciemment attir par le trou noir de sa splendeur, ma chair sessentialisa pour fusionner en elle et diluer mon me dans lternit de son envotementLglise vibra alors de son quatrime coup de cloche successif, me forant me redresser et pivoter mon regard, dantipode en antipode, afin de ne pas rater son arrive. Je scrutai de toute part la recherche de sa divine

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    caryatide, la vnust incomparable, symbole mme de la perfection humaine et responsable unanime de mon bonheur futur. Je ne manquai rien la bouillonnante agitation qui secouait ces lieux baigns dune illumination irrprochable. Tout dplacement humain, toute venue du moindre bipde propulsa mon regard attis dans sa direction, mimaginant alors la contempler. Jtais sensible aux plus infimes remous de matire thre, toute modification de son enchevtrement me poussa croire en son avnement. Mes rpliques oculaires furent sujettes une vhmence encore inconnue ce jour, tout attira mon attention, tout, mme ce cinquime coup de cloche qui retentit comme un vacarme assourdissant. Mais je scrutai toujours, jtais fou, je ne pouvais baisser les bras aussi facilement, et mon esprance tait encore telle que mes rflexes ne parvinssent perdre leur vivifiante impulsivit. Mon tango visuel se poursuivit sans relche le long de cet espace temporel qui ne faisait que rtrcir, samoindrir jusqu our ce sixime coup qui raisonna comme une foudre excutrice. Rien ! aucune venue, aucune arrive de ma Muse vnre. Rien ! pas mme un souffle de sa prsence. Rien ! except moi, ma solitude et ma peine insurmontable.Noy intrieurement par un flot de larmes spumescentes, je meffondrai, suffocant, attrist par le dchirement profond de mon cur dtraqu. Fallait-il abandonner tout espoir ? Fallait-il loublier pour toujours ? Non ! Je ne souhaitai rcrire Puta Vida, jen aurais t incapable. Je pris cependant possession de ma mine, ma mine exquise reine de lesquisse et zbrai, de mon sirupeux trac, deux visages, senlaant, sembrassant, streignant, lis par ce cordon lacrymal, preuve irrfutable dun Amour divinisable. Ces larmes, de leur panchement

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    dithyrambique, se voulurent le symbole suprme de la sincrit, de la vracit, de lauthenticit, mais aussi de la simplicit de toute affectivit, de toute passion : Il ny a pas dAmour sans larme. Ce dessin se voulut puissant, riche dune douleur motionnelle rarement atteinte, dune force telle quil aurait pu tre sans problme la premire de couverture de cette uvre unique, tragique, potique et dantesque que je voulus mais ne pus malheureusement jamais crire. Alors, joubliai ce dessin, en revanche, elle, je ne pouvais loublier, je ne pouvais ne pas la revoir, mon destin tait tout trac.

    Au jour suivant, alors que le soleil dominait les cieux de sa splendeur znithale, je dposai mon postrieur dlicat sur ce pan de pelouse qui avait lhabitude de le soutenir ; sous cet arbuste apaisant qui avait lhabitude de lombrager ; prs de ces dalles dracines qui prenaient plaisir faire trbucher tout individu. Afin de laisser 16h00 arriver tranquillement, car il ntait encore quhoraire bien lointain, je moffris une petite sieste, agrable car non mrite ; je madonnai un instant la lecture : Camus pour ne faire de ma vie quune absurdit ; je me laissai mme aller la rverie mlancolique : elle, toujours elle, seulement elle.Je rvai delle, et de son tre, de leffervescence de ses yeux, de la dlicatesse de ses doigts et du raffinement de ses lvres ; je rvai de sa beaut, de la soyeuset de ses cheveux, de larabesque de ses formes et de la tnuit de ses seins ; je rvai de son cho, de lacuit de ses mots, de la magnificence de son sourire et de leuphonie de sa respiration ; je rvai de ses manations, de leffluence de son cou, de la senteur de sa langue et du bouquet de ses frissons. Je rvai delle, de manire unanime et immolai mon tre dans les abysses insouponns de son corps

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    convoit. Ds lors, tout sobscurcit, je vagabondai dans une nuit sans toile, sans astre lointain ni lune gibbeuse, je mvaporai dans une noirceur totale que seule sa morphologie sembla chromatiser. Inconsciemment attir par le trou noir de sa splendeur, ma chair sessentialisa pour fusionner en elle et diluer mon me dans lternit de son envotementRsonna alors le quatrime coup de cloche, je me mis en position de furetage : droit comme une querre ; je dvastai du regard lensemble de la place, observai, mirai, scrutai la venue de ma Desse. Jtais imperturbable durant cette tache, rien ne pouvait men dmembrer tel un dmocrate fou dvou au bonheur de sa cit. Mais ma cit tait cleste et unique, et parvenait par sa seule existence annihiler toute autre existante entit. Je nimaginai mon bonheur que dans lharmonie de notre paire, que dans notre bien-tre partag ; mais jamais je ne lenvisageai sans elle, impossible ! Alors, jexcutai ma valse impriale la recherche de ce bonheur assur, mais je ne la vis et le cinquime coup de cloche retentit avec une violence qui me fit frissonner. Mais je persvrai, je macharnai, jtais fou, je laimai trop : elle ne pouvait que venir difier de sa splendeur cristalline cette flicit que nous devions compatir. Je poursuivis donc ma trpidation faciale ; engag, tenace, ttu, tel tout auteur tatou dune lutte artistique. Mais, en suintant sa stridulation dvoise, le sixime coup explosa ma cochle de manire fulgurante, mjectant dans un monde sans face, concassant mon visage et linondant de larmes ternelles : symbole en consquence dun malheur insoutenable.Jen fus effondr, attrist, terrass, comme cette poque rvolue o, sur le bord des routes patagoniques, je terminai ma journe sans mtre dplac, seul mais

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    persuad que mon tour viendrait, porter mes esprances au lendemain. la diffrence quici, il ny avait point dinimiti, point de malsaines animosits : je laimais trop. Et tout cet Amour que je lui portai et qui svacuait de mon cur bouillonnant, parvint sans difficult expulser toute cette haine obligatoire et utile sans laquelle nous, citoyens modernes, ne pourrions justifier notre plus infime sympathie. Cela faisait une semaine que nous nous tions quitts, une semaine quelle mavait promis sa visite tant attendue : jen avais fini par perdre la notion du temps. Compltement dconnect, comme cette mme poque rvolue o, grce cette perte primordiale, javais fini par devenir un tre humain Libre. Avais-je retrouv ce statut tant rv ? Non ! car une envie insatiable trottait mon esprit rveur et fragile : celle de la revoir. Et lon ne peut tre libre lorsquune envie nous trotte lesprit, lorsque notre cerveau est imbib dun dsir trop fcond : on ne peut tre libre. Mais fort heureusement, croire que je ltais finalement, je me persuadai quelle viendrait, sujet une certitude invincible, lchelle de lAmour que je lui portais. Cependant, jtais toujours l, toujours seul, plus que jamais esclave et dpendant, accompagn par mon insatiable envie, qui tait depuis peu la rgente de ma vie, avant que la source mme de cette envie ma belle et douce inconteste ne devinsse la matresse officielle de ma fragile destine.

    En cette journe de Jupiter, le temps tait inchang, radieux mais humide, venteux mais paisible. Les cloches de lglise chantonnrent tout juste leur monologue lorsque je vins minstaller sous cet arbuste toujours garni de son vert feuillage qui, de son paisseur, savait moffrir la plus douce des ombres. Je fis une petite sieste pour

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    faciliter la digestion qui, depuis peu, avait perdu de son fonctionnement optimal. Je me mis ensuite la lecture : Marx pour persvrer dans ma lutte ; je me mis mme rver de faon bien nave.Je rvai delle, et de son tre, de leffervescence de ses yeux, de la dlicatesse de ses doigts et du raffinement de ses lvres ; je rvai de sa beaut, de la soyeuset de ses cheveux, de larabesque de ses formes et de la tnuit de ses seins ; je rvai de son cho, de lacuit de ses mots, de la magnificence de son sourire et de leuphonie de sa respiration ; je rvai de ses manations, de leffluence de son cou, de la senteur de sa langue et du bouquet de ses frissons. Je rvai delle, de manire unanime et immolai mon tre dans les abysses insouponns de son corps convoit. Ds lors, tout sobscurcit, je vagabondai dans une nuit sans toile, sans astre lointain ni lune gibbeuse, je mvaporai dans une noirceur totale que seule sa morphologie sembla chromatiser. Inconsciemment attir par le trou noir de sa splendeur, ma chair sessentialisa pour fusionner en elle et diluer mon me dans lternit de son envotementJe fis mon come-back terrestre lorsque jentendis le bourdon rsonner pour la quatrime fois conscutive. Lartefact tait toujours fonctionnel, je me dressai, et me mis scruter mon environnement quotidien et coutumier avec le plus defficacit possible. Je le connaissais tellement bien que toute modification de sa composition ft sujette mon attrait visuel. Et depuis tout ce temps, la plus belle modification quaurait pu me lguer cet environnement tait bel et bien sa prsence. Elle laurait tant embelli de sa candeur olympienne que ce monde se serait mut en un Eden paradisiaque apte apaiser tout cur pilonn dune chagrine esprance. Mais aucun

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    changement probant ne survint, toujours le mme dcor, non glorifi de sa fline dmarche ; aucune trace dune beaut unanime, ni mme dune sublimit virginale, et le cinquime coup trpida alors de ses ondes nauseuses. Mais il fallait persvrer, donc je persvrai et baladai mes iris dilats aucunement contraris par quelques rflexes palpbraux, jesprai le miracle, priai intrieurement son arrive. Toutes ces esprances ne pouvaient que me conduire dans cet idyllique paradis, mon Lot ne pouvait se dvier de cet horizon providentiel, elle ne pouvait que venir, ctait crit. Mais le sixime coup de cloche vibra et me lgua sa sonate excutrice, anantissant mon cur dj bien fragilis par cet optimisme drivant.Pourquoi le destin devait-il me rduire nant ? Pourquoi ne devais-je point la revoir ? Pourquoi ne devait-elle pas soffrir ma sensibilit charnelle ? Pourquoi fallait-il que je restasse seul ? Pourquoi ? Mme si ces questions durent tout juste meffleurer lesprit, car trop tourment par sa mine espre, je me les posai, mais ny apportai aucune rponse, peureux de ny trouver quune accablante fatalit. Je mternisai un instant supplmentaire sous cet arbrisseau inchang, jvacuai mes songes dans une noyade nihiliste et purificatrice. Insensible au charivari ambiant car trop atterr, jlevai mon regard contract vers cet Empyre qui posment se gouacha dun pourpre coloris : garantie inbranlable dun lendemain au climat somptueux. Je ne fus merveill par ce cleste spectacle, croire que jtais isol de toute rceptivit, car je sus impertinemment que cette magnificence chromatique naurait aucune influence sur la somptuosit de mon avenir. Alors, je sombrai, neurasthnique, dans ce Cocyte tumultueux qui ne parvint nanmoins souiller le plus abyssale et le plus raffin de mon insatiable dsir.

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    La semaine active se termina sous un ciel partiellement nbuleux, la temprature sen fit dailleurs ressentir : dcidment, rien ntait certifiable en ce bas monde ! Je pris place, comme laccoutume, sous cet arbuste bien feuillu, prs de ces dalles dracines : je venais alors de mingurgiter une bonne pizza. 16h00 ntant que distal horizon, je profitai du temps que jeusse devant moi pour siester un moment ; pour madonner la lecture : Rousseau afin dtre un ternel rveur, donc je rvai, je rvai ternellement : elle bien sr, toujours. Je rvai de ses prunelles tincelantes, de ses lvres raffines, de son minois ptillant, de sa soyeuse chevelure, de sa grce vnre, de sa beaut foudroyante, de son aura paralysante. Mais je rvai aussi de sa venue, de nos rvlations, de notre runion. Je rvai dune vie avec elle, dune vie deux, domine par une ipsissimosit gmine, dune liaison parfaite et harmonieuse : fruit de la quintessence de notre Amour. Je rvai dune existence sujette la flicit suprme, loigne de ces horreurs rquilibrantes ; dun Amour deux, et seulement deux, sans exhibition intgrative ou refoulement certificateur ; dun Amour parfait que les mots ne sauraient expliquer tant leurs rivalits face llocution du cur ntaient que vent mdiocre. Je ne cessai de rver, menfouissant dans des songes paisibles qui me firent oublier toutes ces attentes interminables. Je ne savais si elle viendrait un jour, mais le fait de mimmerger dans cette mlancolie me confirma que cet acte ne pouvait que se produire.Ce fut alors que 16h00 retentit de son glas dsesprant, je quittai donc mes songes virtuels et portai ma vision au fate de ses possibilits. Je connaissais tous les coins et les recoins de la place, mais je ne me retins de la scruter, afin den savoir et den voir toujours plus. Mais rien ne vint

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    sajouter sa constitution, elle resta vide de sa prsence : pas le moindre clat, pas mme une petite tincelle de son halo. Rien ! seuls moi et ma dsesprance progressive. 17h00 perfora mon tympan en action, mais josai y croire, alors je portai mes yeux sur chaque passant qui saventura au sein de mon primtre visuel, et passai sans cesse au suivant tant sa physionomie ne correspondit mes attentes. Elle ne vint, le sixime coup retentit alors et, linstar du gong de la Paix, me pulvrisa, dchiqueta intrinsquement ma carcasse frmissante. Ce ne fut point une atomisation cardiaque, llue sen tait dj charge, mais jy fus proche, trop proche : allait-elle devenir ma deuxime Hiroshima, ou plus clairement ma Nagasaki non souhaite ?Lincertitude menvahit alors, devenant presque labile face cette inique situation : tait-il sage de ma part desprer la revoir ? tait-il raisonnable de persvrer lattendre ? Daprs nos discussions passes, je savais quelle ne passerait point en ce week-end venir, ce qui reportat notre ventuelle rencontre trois jours. Allais-je prolonger mon attente ou ma raison allait-elle baisser les bras ? Mimaginer la ngative cette premire question meffraya, mimaginer la positive la seconde me traumatisa. Quel pouvoir avait ma raison face celui de mon cur ? Je ne pouvais ne pas prolonger mes assises en cette place, je ne pouvais ne pas persister, je ne pouvais stopper mes attentes en ces lieux ; car mme si elles devaient stirer des semaines entires, jtais persuad qu leur conclusion se prsenterait cet indfectible, cet inconcassable que josai nommer le bonheur ultime.

    Jentamai donc, en ce samedi matin, mes quarante-huit heures dattente certifie, certifi de ne point la voir durant

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    ce laps de temps. Mais ces quarante-huit heures nallaient-elles pas se prolonger en une ternit sans mme la revoir ? Ce fut trange, mais javais limpression que jtais apte attendre cette ternit. Car si javais parfaitement accept, jadis, mon atimie, en aucun cas je naurais pu tolrer sa perte pour un vulgaire refus de ma part patienter : il me fallait donc languir ternellement.Les journes se passrent nanmoins sur la place centrale, non pas attendre, mais errer dans une somnolence sans fin. Ne layant point vu toute la semaine durant, il me fallut rver sa gracieuset sans discontinuit ; faire chavirer sa vnust de mon pont de Varole afin de me limaginer proche de moi, ou tout du moins un peu plus proche de mon affinit fictionnelle. Avachi sous lombre de mon ficus, je me laissai dfaillir par le passage moutonnier de ces quidams incompris, dont la moiti seulement sembla parvenir viter le pige tendu par ces dalles dplantes. Certaines culbutes me firent sourire, mais ma sensibilit se voulut avant tout porte sur sa mine la grce incomparable, sur sa prminence inexplicable et incomprise : je laimais, elle tait ma Callisto, et ni rien ni personne ne pouvait y changer mme mes incomprhensions tant son embrasement dpassait toute perptuit cleste, au-del mme de ce Mizar refoul.Alors, je sombrai dans ma nostalgie, oubliant ce cosmos, cette inconcevable Hra, et tachai dimmerger de cet abme inorganique en feuilletant quelques pages de Nabokov afin de mieux cerner le concept. Mais rien ! Un Amour vacant de toute quiddit, quasi-Entlchique, ne pouvait se transcrire aussi facilement par des termes anodins ; un tel Amour se voulait au-del de toutes dfinitions ou axiomes fondamentaux, au-del de toute exigence thique ou sociale, au-del de toute ralit

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    matrielle. Ctait un Amour omniscient, aux fondements motionnels trop intenses pour trouver une explication lvidence souhaite. Alors, joubliai cette soudaine envie de savoir et moubliai dans son assimilatif cristallin jusqu mensevelir dans une conciliante lthargique que seule son aura pouvait moffrir. Je laimai, elle tait ma destine, et ce dogme tait insubmersible.

    Le week-end se passa donc ainsi, estourbi dune optionnelle mningite, et se termina mortuairement, mon arachnode et leurs mres noyes dans une imagerie diffuse.

    Une nouvelle semaine dbuta et, en ce lundi matin, ma sant tait au plus bas. En effet, la veille, je mtais permis dintroduire ma soire par labsorption dun yaourt liquide la date de premption douteuse. Et ceci ny manqua point : ds mon rveil, je fus sujet aux vomissements les plus douloureux, inondant alors la vespasienne de mon miasme excrmentiel, mais aussi dun coprolithe qui osa paissir mon sphincter contamin. De part cette violente rgurgitation, ce ntait point toute la tristesse tiraillant mon cur fbrile que jvacuai, encore moins les rvoltes qui envenimaient mon cerveau ; non ! de part ce violent dgobillement, je ne fis que dgorger ce poison butyreux et ces tomates avec lesquelles javais oses laccompagner.Ce fut donc dans un tat valtudinaire que je quittai mes appartements, horrifi par toute approche alimentaire, et ce fut donc dans un tat grotant que je vins prendre assise sous cet arbuste non ombrageux, sujet un martlement crbral des plus harassant. Jattendis la venue de ma Douce car il me fallait attendre sagement en apparence, mais la dfaillance sembla globale. Il me fut impossible de siester un instant, bien que je leus mrit ;

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    impossible deffleurer la moindre page dactylographie de Carroll afin danalyser ma vie de faon syllogistique ; impossible mme de rver tant ma dyspepsie sut brouiller mon esprit en qute dune thermisation qui aurait pu me faire oublier cette fracheur inhabituelle. Jtais mal, au plus mal, je sentis des remontes mphitiques et vaporeuses sextirper de mon sophage, comme victime dune envie soudaine ritrer mes prouesses du levant.Ce fut lors du tintement monosyllabique de lglise, me sentant comme inapte prolonger mon esprance, que je quittai mon trne suffrutescent pour rejoindre mon ghetto et sombrer, sans rmettre daubade scrtoire, dans les bras de Morphe qui, de sa mlope hypnode, sut me faire oublier ma Tendre et Sainte Aime. tait-elle passe en ce courant daprs-midi ? Ceci eu aurait t un comble si cela avait t le cas ! Mais mes paupires se claustrrent, annihilant toutes penses interrogatives, et je minsinuai dans les trfonds les plus atrabilaires dune nuit interminable et thrapeutique.

    Ce fut donc au lendemain matin, aprs vingt heures de relchement hypnagogique, le cerveau moins meurtri mais la panse rclamante, que je repris place, en meilleure forme tout de mme, sous ce baliveau ombrageux le ciel ayant retrouv son noble azur proche de ce pavage inchang. Jtais fatigu, cela ne fit aucun doute, mon visage fut en proie de violentes contractions, comme cicatris par des ravines introversives ; mes yeux semblrent sujets un profond chagrin, enfouis dans leurs orbites, comme noys dans une marre de larmes assches ; mes lvres se voulurent biaises, victime dune lgie des plus funbre. tait-ce d la maladie ? tait-ce d ces tergiversations rptitives et incessantes ? Ou tait-ce d

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    ce doute convulsif qui me poussait croire quelle tait passe en cette veille agite et quelle noserait, comble dune lourde dception, ritrer cet acte en cette journe apaise ? Mais pourquoi ne devrait-elle pas rpter sa venue ? Pourquoi ne devait-elle pas faire preuve dune persvrance identique la mienne ? Pourquoi ? Elle maimait ! je lavais ressenti, elle me lavait fait comprendre, ctait crit : doutais-je ? Non ! je ne devais point me perdre dans de futiles conjectures, mais me confier entirement mon destin.16h00 ntant quhoraire distant, je tachai doublier ce scepticisme obscurcissant par une mridienne des plus ardente, mais il me fut difficile de majorer cette nuit purificatrice. Alors, je me saisis, tel un palliatif, de ma lecture du jour : Mishima au cas o je me ferais hara-kiri ; doutai-je ? Probablement, vu que je fus par la suite incapable de mensevelir dans mes douces rveries. Alors, je couvris cette marre assche de mes boucliers dHliaque et me mis patienter, rejouant au chien haletant et dpendant, bouleversant ainsi mon emploi du temps de quelques rvolutions. Sachant le compte rebours non enclench, je nlevai point mon attention son plus haut degr, mais perdis mon regard, protg de ces ondes, dans un trac divagu et stochastique. Les quarts dheure se succdrent sans que je ne portasse attention leur longation, et je finis par mankyloser dans une monotonie gestuelle. Je parus absent, refoul de mon ficus, loin de cette verdure, la cervelle girouettante mais le regard vide de perception. Aucune particule ni onde spectrale nexcita mon chiasma, ma chaire tait comme tlporte dans un cosmos inerte la troublante vacuit. Mon esprit fut envahi par un flou opaque, charg en leptons, et mon intellect sembla se pulvriser en une pathtique et mouvante dlitescence :

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    mais mouvais-je ? Quen savais-je !Et cest alors quelle apparut, brutalement, sur ma gauche, tel un ange dsirable et dsir, plus rayonnante quune sylphide ensorcelante et convoite. Je me crus de suite noy dans les songes les plus dlectables, apais par la vision la plus sraphique : elle avana, posment, son petit sweet rouge sous le bras, et mexhiba son sourire pulvrisateur. Le mien calligraphia alors mon visage stigmatis ; mes mares violemment se desschrent, sans pour autant humecter mon facis dont les contractures qui le tiraillrent seffacrent, instinctivement, comme libres par un ordre divin. Je ntais point en train de rver, ctait bel et bien elle, sapprochant dune dmarche de fline et, aprs toutes ces attentes, elle sembla briller dune somptuosit phnomnale, dune gracieuset ingale ; ou peut-tre, pour tre plus sobre et donc plus authentique, elle me parut indfectiblement mignonne, plus que jamais.

    Aprs nous tre lchs un bien banal baiser, elle prit place sur ma gauche fonctionnelle et jtai alors mes lunettes qui navaient plus raison dtre : je navais plus rien cacher, je navais plus besoin de masquer ma tristesse, je ntais plus triste, je ntais mme plus malade dailleurs. Tout en gardant son sourire qui possdait un pouvoir inintelligible sur mon comportement dendritique, elle me demanda si jallais bien. Maintenant que tu es l, oui ! lui rpondis-je dun timbre univoque qui donna cette lapalissade toute son vidence. Elle se mit pouffer, non pas quelle douta de la vracit de ma rponse, mais quelle dut prendre conscience que cela faisait deux semaines quelle mavait promis sa venue.Se saisissant presque instinctivement de mes pare-soleil

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    que javais dposs sur sa droite et quelle se mit triturer comme pour masquer une certaine gne, elle me profra ses excuses : les prparatifs de sa prochaine rentre estudiantine, les radotages, ncessaires, quelle devait partager avec ses amies, et les commrages, concepteur dimprvus, qui agitaient son barrio isol mais tranquille. De banales broutilles, parfaitement acceptables, mais que mon sensorium gocentrique ne put interprter que bien approximativement ! Cependant, comme pour marquer sa propre contre-attaque, elle maffirma quelle tait venue, en cette veille agite, afin de se porter ma rencontre, car elle me regrettait et souhaitait imptueusement me revoir. Elle mavait cherch, toute laprs-midi durant, de la Balcarce la San Martin, de la peatonale la terminal, et elle avait termin la journe mattendre, se protgeant de cette bruine contrariante, sous ce mme ficus, telle une chienne haletante et dpendante. Elle avait quitt les lieux au septime coup de cloche, peut-tre due mais non attriste car trop sujette une exubrante et juvnile frivolit.Elle tait donc bien passe ! quelle gne jen ressentis, quelle affliction jen prouvai. Alors, je lui lanai mes maux intestinaux, mes odieuses scrtions comme broutilleuses excuses parfaitement justifiables : quelle en fut son interprtation ? Mais peu importe nos gnes et nos excuses, nous tions de nouveaux ensemble, runis lun proche de lautre et, aprs ces quinze jours desprance, ctait bien la seule et unique chose qui pouvait me rendre heureux, et je ltais, heureuxHeureux de la revoir, de la rentendre, de sentir de nouveau ses vibrations olympiennes, de mimmerger de nouveau dans ses ondes encalmines, de me noyer intgralement de son aura lnifiante. Que je me sentis bien ses cts,

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    apais, rassur, victime dune srnit noble et curieuse ; et son visage, moustill de sa matit naturelle, me parut tant radieux et resplendissant, que je ne pus limaginer que victime des mmes maux, unie moi par un rapport des plus synallagmatique.Nous reprmes notre causette, oubliant pour ma part ces espoirs, ces lectures et ces rveries passes ; javais retrouv ma mine et ds cet instant je pus me permettre de tout oublier, absolument tout car seule elle comptait, elle et moi, nous deux, tout simplement. Elle me dblatra son quotidien, la pseudo-monotonie de ce dernier, leffervescence qui pouvait de temps autre le secouer ; elle me rvla ses rves, ses dlires, son insatiable envie dindpendance, de libert, voire mme de fuite des rvlations connues. Elle fut mme comme surprise de ne pas me savoir parti pour la Patagonie : quinze jours sans elle fut un vritable enfer, que serait-ce que deux mois, voire trois, une mort assure. Je ne me permis de lui faire cette rvlation pour ne pas la gner davantage, vu quelle me semblait dj ltre, masser sans cesse mes assombrissants vitraux, cette partie essentielle de mon anatomie. En revanche, lorsque je me mis lui narrer mon incomprise incarcration, je lui nonai trs firement quelle rconfortante vasion mavait procur sa douce physionomie, sans pour autant lui relater ce drame pistolaire qui mtait alors venu lesprit : cette uvre unique et potique que jamais je ncrivis. Elle en sourit, mexposant son mail tincelant, pommelant ses joues rousseles, accentuant lhypnotisme de son regard : quelle tait belle et jtais subjugu, ttanis, intgralement envot.Cependant, gne par quelques intrus nfastes et non suffisamment loigns pour juger notre intimit prserve,

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    elle me proposa de changer de place, et de se positionner aux antipodes de cet arbuste ombrageux que la nostalgie aurait bien fini par me faire regretter. Jacceptai, bien videmment ; dune part parce que je ne pouvais rien lui refuser, mais surtout parce que notre intimit, sa prservation, son immunit, taient les choses les plus srieuses qui mimportaient.

    Nous nous rendmes donc vers ce lointain antipode o nous prmes place sous un palmier bien trop haut pour nous sentir suffisamment protgs. Assis sur son ombre amincie, nous maintnmes nanmoins une distante suffisante lun lautre afin dcrire les choses de la manire la plus noble qui ft. Notre posture en fut plus allonge aussi, quasi avachie sur ce traversin ligneux et nous reprmes notre conversation, leuphonie entache par mes soins, avec le mme atticisme : nous rvlant, nous racontant, nous rsumant, nous refoulant mme, le tout en prsence de ma discrtion et en prsence de sa fracheur. Le mlange se voulut voluptueux, sincre, non expressif mais impulsif, il tait lharmonie parfaite, la symbiose la plus clatante, la plnitude manifeste, telle quelle peut se rvler lorsque deux tres, que la vie a destin, se ctoient.Tout frisa la perfection, notre complmentarit excella de simplicit : partout o elle moffrit des rcits mlodramatiss par sa gestuelle, je lui rpondis des comptines que seule ma monotonie vocale savait bouleverser ; chaque fois quelle me rvla ses superstitions indignes et lointaines, je lui dballai mes dlires utopiques et striles. Et mme lorsque je lui instaurai, tripotant mes mains de timidit, mon silence impos, je pris un plaisir norme lentendre le briser de sa mlodie interrogative.Quelle tait belle, douce et attrayante ! que jaurais souhait

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    magripper ses lvres pour la dvorer de baisers ! que jaurais souhait la plaquer contre mon cur palpitant qui ne demandait que cela pour trouver apaisement ; que jaurais souhait la serrer trs fort entre mes bras afin de trouver consolation dans sa chaleur ; que jaurais souhait mensevelir sur son paule pour labreuver des larmes que ma sensibilit se devait dvacuer ! Que jaurais souhait tout ceci pour combler mon plus grand dsir, mais je nagis de la sorte, peur de me perdre dans une incartade imprmdit ! Alors, mes lvres restrent assches, loignes de toute agrable fusion ; mon cur palpita de plus belle, ne trouvant rconfort que dans ces apptences bien profondes ; mon pauvre corps ne maintint sa tideur que grce cette clmence climatique ; mes larmes ne se dversrent quintrieurement, tapissant mon regard dune illumination quelle sut parfaitement bien me rendre. Souhaitait-elle se perdre dans un identique comportement ? je ne le sus, alors nous poursuivmes notre causette pendant que les minutes scoulrent au son de notre tactilit visuelle.Jtais insensible au dfilement temporel, ce terrifiant timbre horloger, aux va-et-vient incessants de ces quidams incompris ; cependant, tout sembla se passer bien plus rapidement que lorsque je passais mes aprs-midi lattendre. Et il fallut bien que de cette vlocit naqut le grand glas final. En effet, la cloche exposa sa sonate heptaphonique dvoilant ainsi ce moment o elle devait retourner dans sa chaumire, ce moment cruel mais invitable o elle devait me quitter.Nous nous levmes, bien tristement pour ma part, elle me rendit mes lunettes que je repositionnai immdiatement sur mon nez comme si ds cet instant javais quelque chose cacher et nous quittmes ce haut palmier. Ne

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    souhaitant emprunter la Florida ou sa voisine toujours noire de monde ces heures-ci, nous nous dirigemes vers la Buenos Aires, plus reposante malgr sa frnsie voiturire. Une frnsie qui se voulut dj perceptible sur cette voie entourant la place centrale, blinde de chauffards sujets lempressement et consommateurs drgls de ce klaxon assourdissant. La sentant comme apeure par cette inepte agitation, peut-tre pur dlire imaginatif de ma part ! je me saisis, impulsivement mais dlicatement, de sa main droite et nous traversmes ce bitume us, sans encombre apparente.Nous pitinmes le long du trottoir, ainsi, unis par nos phalanges Enfin ! Enfin, je pus la sentir, autrement quavec mes yeux, mes narines ou mon oreille, et je la serrai donc trs fort, de ma main spasmodique, la conservant bien avec moi, mon piderme sous lemprise sdative de sa pression unguale : que jtais bien. De par cette modeste combinaison, qui avait la jonction de nos paumes comme point nvralgique, je me sentis sujet, cette fois-ci, un envotement organique ; linfime partie de sa chaleur quelle moffrit au travers de cette union enveloppa ma fbrile corporalit dune douceur des plus dlicieuses. Jtais imprgn par une sorte daura narcoleptique, berc par un exaltant balancement, rassrn par cette subite dlicatesse au combien enivrante. La texture de ses ongles quelle me fit sentir chacun de ses effleurements dchargea mes vertbres dun frisson apraxique qui enjoliva mes penses dune satiation enchanteresse.Durant notre traite, o rien ne sut nous dsunir, nous ne nous changemes aucun mot, ni mme ne nous mirmes, mais marchmes, ainsi, dun pas lapparence cadence par notre probable nervosit.

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    Arrivs la San Martin, face cette poutre verticale peinte dun A1, nous nous dlimes comme victime dun choc lectrique, que dis-je ? dun choc synaptique. Elle porta ses iris sur ce proche horizon afin dobserver la venue de son transporteur pendant que moi, je concentrai toute mon attention sur sa tnuit : je la contemplai et mattristai avant lheure de dj la quitter. Prs de quinze jours dattente pour ne profiter delle que quelques heures : jtais en proie une existence dcidment bien cruelle. Ctait vingt-quatre heures durant que je souhaitai sentir sa fracheur, ma vie entire que je la dsirai proche de moi, et non deux heures et demie quotidiennes : oh, cruelle fatalit !Elle me promit quelle repasserait le lendemain 16h30 prcise, une prcision telle que je ne pus mettre en doute sa parole. Nous fixmes le rendez-vous sous le ficus, le jugeant trop primordial pour notre sacre, mais aussi jugeant ce palmier bien trop haut pour la prservation de notre bien-tre. Son bus rvla alors au loin sa face crulenne et sonna, de sa motorisation encore muette, linstant fatidique : jallais la quitter, nous allions nous quitter. Jtais effondr, atterr, dtritur, mais mes yeux masqus ne purent le dvoiler ; alors, je mattristai sans relche, rconfort de ne point tre surpris. Elle, en revanche, ne me parut pas autant effondre, elle dgagea avec simplicit cette mme srnit, cho de sa dsirabilit ; ou peut-tre tait-elle plus apte dissimuler ses sentiments, vu que sa tristesse naurait fait quamplifier la mienne ; ou peut-tre la jugeai-je trop dsirable pour tre sujette chagrin : possder un tel pouvoir semblait la vouer un bonheur assur.Le pullman couina ses pneus notre base, je lui rappelai notre rendez-vous, elle me rappela lheure dune harmonie vocale apte me rassurer ; et avant quelle ne montt, je me saisis de sa nuque, enfouis mes ongles dans sa

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    toise impriale et la forai dposer ses lvres sur les miennes. Ce fut bref, court, mais nergtiquement plus mancipateur que tous ces banals baisers passs. Elle grimpa nonchalamment, je lui dis A demain ?, elle mannona 16h30 !, je lui rappelai sous le ficus !.Elle me lcha son sourire subversif et le bus partit, lemportant avec elle, lloignant de ma vision, de mon champ dattraction, de ma chair dchiquete. Jtais constern par la furtivit de ce bonheur qui ne gchait bien videmment rien en sa puissance. Allais-je la revoir au lendemain ? Ctait oblig, elle me lavait promis avec la plus sincre des prcisions. Elle maimait comme une folle, je laimais par-dessus tout, et elle pouvait bien me mentir sur son age, rien ne saurait modifier les sentiments que je lui dvouais, ils taient irrversibles, irrfutables, indiscutables, indestructibles : je ne pouvais en avoir marre de celle-l !

    Au lendemain, aprs une nuit plutt creuse, le temps se voulut plus nuageux, mais aucune bruine ne svada de cette masse surplombante. Mon tat intestinal ne stait gure amlior, mais le bonheur que je me faisais de la revoir mobligea me concentrer uniquement sur sa mine et non sur mes maux. Alors, lexcitation me stimulant, je pris trs vite position, juste aprs les douze coups de midi, sous ce ficus difi qui ne put, en ce jour, me protger de son ombre agrable mais qui aurait t parfaitement apte, en cas chant, me couvrir dun furtif embrun. Bien cal contre le tronc, je me mis lattendre, mais 16h30 ntant que lointaine extrmit, je maffaissai pour sombrer dans une sieste lapparence mrite.Mais ce fut certainement en cour de somme, gar dans un rve trs vite oubli, quune fine pluie vint me

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    caresser la glabelle, mobligeant un lever bien brutal. Me repositionnant, de faon accroupie, sous ce ramage des plus protecteur, je pris plaisir assister lagitation qui secoua ces pitons en cette journe bruineuse : ils dguerpirent, grandes enjambes, allant chercher refuge ailleurs que sur cette place centrale. Non point quelle se vida intgralement de son quiet troupeau, me larguant dans la plus parfaite des solitudes, mais elle parut trs vite baigne dune accalmie des plus inhabituelle pour cet horaire qui stait bien peu long depuis mon arrive. Plong dans cette nouvelle configuration, jeus du mal poursuivre ma chaume, comme si mon anxit sen tait trouve perturbe, agite par une envie prsente. Je restai donc, passif, attendre, esprer ma douce et divine aime, Erasme restant dans ma poche pour ne pas sombrer dans la folie ; je fus mme incapable de mvaporer dans mes songes les plus dissolutifs afin dlever mon cur jusquaux prmisses de sa beaut.Les minutes se succdrent avec harmonie, la bruine cessa son aspersion pour laisser place une froidure bien agrable en cet t quasi tropical, et lglise rsonna de son quatrime coup. Bien que sachant cette heure lgrement htive, je ne pus mempcher de scruter les coins de la place o, tant cette dernire fut blanche de monde, sa venue maurait t trs vite perceptible. Je virevoltai mon regard, sans pour autant faire preuve dune tangible nervosit, cette dernire ne devenant perceptible que lorsque sonna lheure mdiane.Ds cet instant, mon balayage facial se fit plus pressant, plus complet, plus fou aussi, telle une girouette perdue dans la tourmente altiplanique. Les minutes passrent, sans que je ne la visse ; je devins crisp, convulsif, mes cylindraxes durent tre blinds dadrnalines, ma

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    vasomotricit tait en plein dlire, proche de larrt cardiaque. La grande aiguille poursuivit posment son ascension