Marmite et Microonde n°12

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    oVOUS M EN METTREZ UNE DOUZAINE o

    Vous tenez entre vos mains le numro 12 de Marmite &Micro-onde, et 12 est un nombre spcial pour le fanzine delimaginaire culinaire. Dabord, cest le nombre de pages deM&M. Mais surtout, cest par 12 que vont traditionnelle-ment les ufs. a tombe bien, vous trouverez dans cenumro une nouvelle sur les ufs. En chocolat, et a aussia tombe bien, car M&M12 a t compos durant le week-end de Pques.

    Laventure gastronomico-littraire quest Marmite &Micro-ondeprend parfois des proportions inattendues. Cesdeux dernires annes, la rdaction a t sollicite par laBNF, par le Ministre de lIntrieur, par le lyce de Niortdans le cadre de la semaine du got, et par une classe de

    4me

    de Vende la recherche dides pour un projet de jardin dherbes aromatiques. Dernirement, on ma mmedemand des conseils sur... lusage des fours micro-onde ! Il est vrai qu lpoque (octobre 2004. Depuis, nousavons t supplants par deux autres sites et ne sommesplus que 3

    me), quand on tapait micro-onde sur Google,

    ctait le site de M&M qui arrivait en premire position !1, cest pas mal aussi, comme nombre.

    Philippe Heurtel, Mars 2005

    o SPECIAL PAQUES :LOMELETTE SANS CASSER LES UFS oAdeptes des cuisines de lextr-

    me, avez-vous essay lomelettesans casser les ufs ? On en parlebeaucoup, de cette fameuse ome-lette, mais que je sache, on nen ajamais trouv la recette. Jusqu ceque lcrivain anglais CharlesStross se penche sur la questiondans son roman djant Le Bureaudes atrocits (Robert Laffont,

    Ailleurs & Demain, 2004. Romanque nous recommandons, pour desmotifs extra-culinaires, aux ama-teurs de fantastique et de science-fiction).

    Tout le problme est de battre,puis de cuire, luf, sans en briserla coquille. Pour la premire opra-tion injectez dans luf des brins delimaille de fer magntiss (par lec-

    trophorse, cela va de soi). Placezalors luf dans un champ magn-tique rotatif. Une fois luf battu, ilne vous reste plus qu en cuirelintrieur au micro-onde.

    Cest enfantin, il suffisait juste dypenser.

    Philippe Heurtel

    o OU SONT CACHES LES UFS o

    R

    ecette : LOmelette sans casser les ufs 1

    Les Ouvre-botes (Bozena Bazin) 2

    Les Camemberts de limaginaire 2

    Le Sandwich marial (Rmy Lechevalier) 4

    A

    utoportrait (Paul S. Sergeant) 4

    Les ufs (Didier Gazoufer) 5

    U

    n beau soir au clair de Lune (Gal Briand) 9

    P

    asser la casserole (Thomas Dumoulin) 10

    Triptyque cosmogonico-culinaire(Timothe Rey) 12

    Marmite & Micro-ondevainqueur par K.O. 12

    Les ufs de ce numro ont t peints par S-bastien Gollut, Audrey Isbled et Andr Savant.

    Le sous-titre est de Treizime Tante

    ISSN 1766-8816

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    Bozena Bazin est ne en Pologne, o elle a men des tudes de philologie romane. Elle vit en France depuis1976, et crit des nouvelles et de la posie depuis deux ans. Les Ouvre-botes est illustr par Audrey Isbled.

    m LES OUVRE-BOITES BOZENA BAZIN mJe vis seule. Je me nourris de

    conserves. Cest une solution idalequand on na personne qui mijoter

    des petits plats, saupoudrs detendresse. Il suffit davoir un ouvre-botes. Jen possde toute une col-lection. Dans mes moments decafard, je les sors du coffret en boisde merisier et je les tale sur lamoquette. Je les compte et recomp-te, je caresse leurs surfaces lisseset froides, jadmire leurs formes. Jeleur parle. Deux fois par semaine, jeles nettoie avec une peau dechamois pour quils brillent de millefeux glacs. Jen ai dj plusieurs

    douzaines, tous de forme diffrente.Jhsite longtemps avant de choisircelui qui conviendra le mieux. Cechoix dpend de mon humeur, dutemps quil fait dehors ou du platque je vais rchauffer.

    mDe plus en plus souvent, jai

    limpression que ce sont les ouvre-botes eux-mmes qui prennent ladcision ma place. Je les entends

    chuchoter dans leur coffret. Jemapproche, pas de loup, je collemon oreille contre la paroi, mais lesmurmures se taisent. Ils sont astu-cieux, mes ouvre-botes ! Ils postentdes sentinelles pour djouer mesruses dapproche.

    Je suis de plus en plus convain-cue quils complotent derrire mondos. Je les souponne davoir crune hirarchie au sein de leursocit car, depuis deux semaines,cest toujours le mme qui est

    pouss en avant par ses cong-nres. Quand jen choisis un autrequi me plat davantage, ils devien-nent menaants et cliquettent fu-rieusement. La stridence de leurscris enfle, bondit contre mes tym-pans endoloris, ricoche contre lesmurs, sinsinue dans ma pauvrette et parcourt le rseau de mesnerfs, tendus jusqu la limite derupture. Je me bouche les oreillespour ne plus les entendre et jemcroule, pantelante, sur le sol.

    Progressivement, le silence revient.Il ne dure pas longtemps. Les chu-chotis reprennent mais, je ne saisispas leur sens.

    m

    Je viens de me rendre compteque ces manifestations dagressi-vit et dhostilit mon gard ontdbut aprs lachat de mon dernierouvre-botes. Il est deux fois plusgrand que ses compagnons et,aussi, plus costaud. Cest certaine-ment lui qui est lorigine de mesennuis. Il a lair sournois et diaboli-que. Il a d fomenter un coup dtat,prendre leur tte, par la ruse ou laforce. Il est devenu dictateur ! Main-tenant, il prpare ses troupes lultime assaut !

    C

    ontre moi.

    mJe mtais compltement trompe.

    Il ma expliqu aujourdhui que jedois le sauver dune mort certaine.Jtais en train douvrir une boite desardines quand il sest mis meparler. Il a une belle voix, grave, unpeu rauque, trs sensuelle. Il madit de me dbarrasser des autresouvre-botes car ils complotentcontre lui. Ils veulent lassassiner.Ils sont jaloux de lui cause de sa

    beaut et de son intelligence. Il a unQI trs lev et il parle plusieurslangues, ce qui indispose ses coll-gues : des tres mdiocres, de sim-ples tcherons. Du coup, on sestmis parler en italien, en allemand,en russe, en anglais, en espagnol.Ctait passionnant. Jai oubli mesmaux de tte, mes angoisses. Jaimme ri !

    Il ma dit tre mon seul et uniqueami ; mes malaises sont provoquspar un ouvre-botes dorigine sud-

    amricaine pratiquant le vaudou.Celui-ci projette de me transformeren zombie avec laide de sescomparses, quil a initis cespratiques infernales. Les chuchote-ments et les cliquetis que jentends,ce sont des incantations malfiquesprofres au cours de leurs messesnoires. Ils sont prts passer lac-tion. Il ne leur manque quun seulingrdient du sacrifice rituel : le coq.Ils attendent que jachte une boitede coq au vin pour sen emparer et

    organiser lultime crmonie. Heu-reusement, lui, mon ami, est parve-nu me protger jusqu mainte-nant, mais cela devient de plus enplus difficile.

    Il me conseille de les tuer. Les jeter la poubelle nest pas suffi-sant, car ils risquent de revenir. Il

    nexiste quune seule faon de sendbarrasser pour toujours. Il faut lesfaire cuire, pendant trois heures,dans un court-bouillon de buf, uncube pour un demi-litre deau,auquel il faut ajouter deux litres devinaigre blanc, cent clous de girofle,trente grains de poivre noir et unetruffe. Reconnaissante, je note sarecette et je lembrasse. Je le laissesur la table de la cuisine pour quilne soit pas assassin par lesautres.

    mA lpicerie du coin, jachte tous

    les ingrdients, sauf la truffe. Cestune toute petite boutique et lpicierme regarde avec bahissementquand je lui demande sil en vend.Je dois me rendre au centre de laville pour en trouver. Jai faillimvanouir la vue du prix, mais jene veux pas tre transforme enzombie.

    De retour la maison, je prparele bouillon selon la recette donnepar mon ami. Je mempare du coff-ret contenant les ouvre-botes et jevide son contenu dans la marmite.Jouvre les fentres cause delodeur suffocante du vinaigre, et jeme rfugie, en compagnie de monalli, dans le sjour.

    On coute de la musique. Je doismettre le son trs fort pour ne pasentendre les gmissements et lescris dagonie qui nous parviennent

    de la cuisine, malgr la porteferme. Un de mes voisins, exas-pr par le tintamarre, frappe lacloison, mais je fais la sourdeoreille.

    Au bout de dix minutes, lintensitdes cris diminue et je baisse levolume du son. Je jette les cada-vres, noircis, la rivire. Je mesens revivre.

    mCest le bonheur. Mes malaises

    ont disparu. Mon ami et moi, nouspassons tout notre temps ensem-ble. On discute, on regarde la tl.Il maide faire les mots croiss.Pour le remercier de sa gentillesse,

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    je lui prsente une boite de conser-ve supplmentaire quil sempressedouvrir, en cliquetant joyeusement.Comme jai honte de jeter la nourri-ture, jai grossi de quelques kilos.Je voudrais tellement lui montrerma gratitude en lui offrant quelquechose de spcial, mais je suis court dides.

    Soudain, jai une illumination. Jesais ce qui lui fera plaisir !

    mLe soir mme, je le mets dans ma

    poche, je prends un sac et je vais lpicerie du coin. Je presse le pascar cest presque lheure de la fer-meture. Il y a un seul client dans laboutique. Je trane entre les rayons,en attendant son dpart. Enfin, ilpaye ses achats et part. Lpicierferme la porte cl, derrire lui, etse dirige vers moi.

    Alors, madame Charles, vousavez choisi ce que vous voulez ? Ilfaut que je ferme. Il est plus de dix-neuf heures , me dit-il, en souriant.

    Je lui montre une boite dechoucroute, pose sur le rayonnagele plus bas : Si vous pouviez medonner cette bote-l Je me suisfroiss un muscle dans le dos, et jesuis incapable de me pencher.

    Il saccroupit. Je lassomme, detoutes mes forces, avec le marteauque jai sorti de mon sac. Il scrou-le comme une masse. Pour tresre quil ne se rveillera pas desitt, je lui assne un autre coup.Un craquement sinistre se laisseentendre, je suis clabousse par lesang. Je le regarde. Il est mort. Jaid le taper trop fort.

    Je le laisse et je me dirige vers larserve. Avant dy entrer, jteins lalumire dans la boutique. Lesrayonnages plient sous le poids des

    boites de conserves. Je remarque

    aussi plusieurs cartons, entasssdans un coin. Je sors mon ouvre-botes de ma poche et je lui pr-sente tous ces trsors quil pourraouvrir. A cette vue, il rayonne de joie et cliquette allgrement, impa-tient de se mettre louvrage.

    mNous sommes fatigus tous les

    deux. Je regarde ma montre : il estsept heures du matin. Mon brasdroit est ankylos et mes doigtsendoloris. Je me lve pour medgourdir les jambes ; la saucetomate, mle de lhuile et ausirop de fruits, dgouline de mescheveux et vtements. Je suispoisseuse et visqueuse. Je drapeet je chute dans le fleuve boueuxcoulant mes pieds. Affole, je medbats entre les flots furieux deraviolis, des lentilles, de la chou-croute, des saucisses et des lgu-mes. Des poissons morts meregardent de leurs yeux vitreux etsengouffrent dans ma bouche. Jeles recrache et javale une grande

    goule dharissa. Jai les poumonsen feu, je crois ma dernire heurearrive.

    Mes forces mabandonnent. Parmiracle, je parviens magripper aupied de ltagre la plus proche.Jmerge, moiti morte, sur laberge glissante. Je cherche deregard mon ouvre-botes. Rassasi

    et impudique, il tale ses flancshuileux sur lpaisse couche decassoulet. Je men empare et nousquittons les lieux.

    La boutique est plonge dans lapnombre. Je distingue le corps delpicier qui gt prs de la portedentre. Bizarre ! Je lai tu prs durayon de conserves. Je le contour-ne. Jentends le bruit laborieux deson souffle. Soulage, je chuchote loreille de louvre-botes qui seprlasse dans ma main.

    La prochaine fois, on ira ausupermarch , mon chou. Mainte-nant, il est temps de se reposer

    Il me fait un clin dil et me souritde toutes ses dents.

    Les Camemberts de limaginaire

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    Un sandwich saint prsentant le visage de la Vierge Marie ? Le reporter de lextrme Rmy Lechevalier a enqutpour nous. Lhistoire ne dit pas si cest lui qui a remport lenchre...

    LE SANDWICH MARIAL REMY LECHEVALIER

    Diana Duyser, designer en joaille-rie domicilie en Floride, ralisa il ya dix ans le sandwich dont la photo-graphie est prsente ci-dessus.Aprs avoir mordu dedans, elledcouvrit dans la tranche de pain levisage de la Vierge Marie qui laregardait (avec, on peut le prsu-mer, un air de reproche). Le sand-wich, prcise la joaillire, a t fait

    avec du pain blanc et du fromageamricain, et grill sans huile nibeurre.

    Aprs dix ans de grces diverses,dont des gains importants au casinolocal, Mme Duyser dcida de sesparer du sandwich saint. Elle lemit donc en vente sur e-bay. Maiscomme tous les vrais martyrs, MmeDuyser a du porter sa croix. Eneffet, alors que le sandwich attei-gnait une enchre de 22 000 $, ladirection d'E-bay dcidait de retirerl'article de la vente, prtendant quel'annonce enfreignait la politique dunumro 1 mondial de l'enchre en

    ligne de ne jamais proposer d'an-nonces qui soient des plaisanteries(par opposition des articles rels,susceptibles d'tre livrs l'ache-teur).

    Aprs une bataille juridique d'unesemaine avec le site, et aprs avoirprouv que le sandwich tait bienen sa possession, qu'il se prsentaitbien sous la forme reprsente surla photo, et qu'elle tait donc enmesure de dlivrer l'article mis envente l'acheteur potentiel, Mme

    Duyser a pu remettre en vente lesandwich sacr, avec en prime lesexcuses de la porte-parole d'E-bay.

    Le sandwich marial mis en ventele 15 novembre 2004 9,95 $ a tremport le 22 novembre pour28000 $.

    Bon apptit.

    http://cgi.ebay.com/ws/eBayISAPI.dll?ViewItem&category=19270&item=5535890757&rd=1

    Paul Garcia, alias Paul G. Sergeant, est n en 1952 Oran (Algrie). En tant que technicien audiovisuel,ralisateur TV, il a toujours crit ; si ce n'est par le truchement des mots ce le fut par les images. Il a animpendant trois ans un atelier d'criture dans le cadre d'un club de loisirs pour adultes. Il a crit, trois romans et deuxrecueils de nouvelles, ce jour indits.

    AUTOPORTRAIT PAUL G.SERGEANT Commenons par une vritable

    salade varie o tout se mlange,les couleurs, les saveurs, le sucret le sal, le craquant dun cur de

    laitue ou dune carotte ferme avecle moelleux dun haricot vert peinecuit. Il y en a pour tous les gots.Cest un mlange de vivacit, denonchalance, dhumeur, dhumour,de finesse, de sagesse, de folie, derve, de curiosit et dimprvus.Cest la base du personnage, monentre en matire, mon hors-du-vre.

    Le plat principal demande plusdattention. Imaginez une crote ali-mentaire bombe et arrondie, dune

    couleur chaume, protgeant uneviande rouge, tendre et saignante. Il

    faut pour me dguster sarmer depatience. La rgle du jeu interdit dese jeter sur le met comme un affa-m, car vous ntes pas dans un

    quelconque Macdo. Il faut prendreson temps, dcouper lentement lacrote avec dlicatesse, pour d-couvrir la tendresse de la viande quirside dans la carapace protectrice.Cette viande va vous rserver dessurprises, car elle est piquetedherbes de malice, dhumour, derserve attentionne, denfance, detendresse, imperceptibles la vueet si prsentes au got. Mais par-fois au dtour dune bouche, pre-nez garde au Tabasco. Il y a, de

    temps en temps, dans la saveurdlicate de cette viande, des rvol-

    tes inattendues au palais, aussi br-ves que fortes.

    Et pour conclure ce repas, rien detel quune omelette norvgienne

    pour mieux me cerner. Il y a, dansce dessert, ma nature timide etrserve qui varie selon les vne-ments animant ma vie trpidante.On y trouve tout autant le chaudque le froid, la passivit que lapassion, le calme que la tempte,lhumour que la mauvaise humeur.Mais tous ces points ngatifs sont,comme ce dlice, un amalgame quina quun temps.

    Alors, si ce menu vous tente, si laformule vous est plaisante, nhsi-

    tez pas, dgustez moi, vous ferezplaisir au chef.

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    N en 1967, Didier Gazoufer est informaticien. Passionn par les littratures de l'imaginaires depuis l'ge de 11ans, il s'essaye l'criture depuis quelques annes. Sur Internet, il publie avec une joyeuse quipe de mordus lewebzine Univers & Chimres (http://univers.chimeres.org). Nous avions dj dgust le Gigot de sept heure deDidier dans notre numro 6. Voici le dessert, qui a t publi en janvier 2003 dans lanthologie Un chocolatnomm dsir sur www.onire.com. Lillustration est de Andr Savant.

    o LES UFS DIDIER GAZOUFER o Ensipio, mon ami, venez me re-

    joindre s'il vous plat.Wogku Lambert, LE critique gas-

    tronomique de ce ct de la gala-xie, relche peine le bouton del'intercom que son cuisinier et amiEnsipio Gilobi entre dans la pice,en claudiquant lgrement causede ses deux jambes en plastacier.Certes, les deux prothses sontplus rapides que ses jambes d'ori-gine, mais il n'a jamais pu viter celger boitillement.

    Que se passe-t-il, mon cher ?Un problme ? Non, une dcouverte. Peut-tre.

    Ensipio, avez vous dj entenduparler du chocolat ? Du choco-quoi ? Du chocolat. C.H.O.C.O.L.A.T.

    C'tait une substance comestiblefortement prise il y a de nombreuxsicles sur la terre des origines. Iln'en reste que quelques tracesdans la base de donnes galacti-que. Certaines personnes sem-

    blaient en tre quasiment dpen-dantes. Mais je n'ai jamais rientrouv sur sa fabrication, sa prsen-tation ou mme son got. Enfin,pour tre exact, je n'avais rientrouv jusqu' tout l'heure. Figu-rez vous que, dans un obscurmuse de la Nouvelle BruxellesVous savez cette plante dont laspcialit culinaire est un tuberculecoup en btonnets, qu'ils plongentdans de la graisse chaude. Donc jevous disais que j'ai trouv dans lacollection d'un petit muse de cemonde, deux rfrences portant lenom duf de chocolat. Oh, vraiment ? Nous partons

    donc bientt pour la Nouvelle Bru-xelles, si je comprends bien. Bien sr. Nous ne pouvons pas

    passer cot de cette chance depouvoir en connatre plus sur lechocolat. Pensez notre livre surles mets perdus. Demandez auxrobots de prparer nos bagages etle vaisseau, nous partons le plusvite possible. Je m'occupe de tout. Pendant

    ce temps, essayez d'en savoir plusdans la BD-Gal.

    Sur ces mots Ensipio sort de la

    pice, pendant que Wogku se pen-che sur sa console pour essayer deglaner des renseignements suppl-mentaires.

    oSon mtier de critique gastrono-

    mique et sa position de leader danscette fonction ont fait de WogkuLambert un homme riche, un hom-me trs riche, un homme si richequ'il est l'un des rares privilgis

    possder personnellement un astro-nef hyperespace pour se dplacerde plante en plante dans toute lagalaxie. Ce vaisseau, baptis leGourmandise par son propritaire,est quip de tout le confort possi-ble, ce qui permet aux deux hom-mes de passer assez agrablementles deux semaines de voyage jus-qu' la Nouvelle Bruxelles.

    Pendant que Lambert effectue desrecherches, Gilobi confectionneavec amour des mets dlicieux,

    qu'ils partagent. Fait exceptionnel,et preuve de l'norme amiti ducritique pour son chef, car il a tou- jours refus quiconque le droit demanger sa table. C'est une ques-tion de concentration, dit-il. Il nepeut se concentrer convenablementsur les saveurs avec quelqu'und'autre en train de mastiquer cotde lui. Gilobi est sa seule exceptiondepuis l'enfance. Leur passion com-mune pour la nourriture, et le talentd'Ensipio, ont transform ce plaisir

    solitaire en une messe, une com-munion de plaisirs partags.

    C'est donc avec quelques kilos deplus qu'ils dbarquent sur la Nou-velle Bruxelles. Une plante lapopulation sympathique et accueil-lante. Donc nous sommes bien

    d'accord, Ensipio. Pendant que jevais donner quelques interviewsaux mdias locaux, pour donnerune raison officielle et lucrative ma venue ici, et surtout pour que

    l'on nous laisse tranquilles, vousallez reprer o se trouve le muse.Puis nous irons ensemble demain.Pourrais-je vous demander... Ne vous inquitez pas, mon

    cher. J'irai me renseigner discrte-ment pour savoir si les ufs sontbien prsents, mais j'attendrai de-main pour les dcouvrir avec vous. Ah, vous tes un vritable ami.

    Bni soit le jour o le destin fait secroiser nos chemins. A ce soirdonc.

    C'est dans un salon priv dumeilleur restaurant de la plante,que les deux hommes se retrou-vent. Seul le bruit des coquilles demoules vides que les deux convives

    jettent dans la poubelle de table,trouble le silence de ce moment siprcieux pour les deux hommes : ladcouverte d'une spcialit plan-taire.

    Le dernier mollusque et la der-nire frite avals, ils se dsaltrentd'une bonne chope d'une dlicieusebire verte. C'est sur un tonsatisfait, que Wogku s'exclame entapant son immense panse : Simple, comme plat, mais c'est

    dlicieux.

    Certes, il ne sert rien parfoisde trop compliquer les choses. Cesmoules-frites se suffisent elles-mmes. J'aurais peut tre ajoutune pointe de poivre bleu d'Altardans les moules, mais je chipote,leur chef est trs dou. Il ne vous arrive pas la chevil-

    le, mon cher Ensipio. Non, non, neprotestez pas. Vous tes LE matrequeux de la galaxie. Mais en atten-dant le dessert nous pouvonsparler. Qu'en est-il de nos ufs ?Avez-vous trouv le muse ? Oui, mais les ufs n'y sont plus.

    Ils ont t prts un muse de laPetite Rome, il y a 123 ans, pourune exposition, et ils n'en sontjamais revenus. Cela n'a pas eu l'aird'mouvoir le conservateur dumuse. Bon, et bien en route pour la

    Petite Rome. J'y connais une petitegargote o ils font des ptes, vousm'en direz des nouvelles. Ah ! Autre chose. Dans les

    archives du muse, il y avait unephoto avec la mention choco quelque chose, que je nai pasrussi lire. Je l'ai imprime, ellen'est pas de trs bonne qualit car

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    elle tait stocke dans un formatprhistorique que le logiciel nesavait plus trs bien dcoder.

    Gilobi, sort une photo de sa pocheet se penche travers la table pourla montrer son compre. Voil. Je n'ai pas russi avoir

    la rfrence exacte, mais elle taitstocke au mme endroit que les

    ufs avant d'tre dtruite, je nesais comment. Ne trouvez-vous pasque l'on dirait une poule ? Hmm, vous avez raison, mon

    cher. Je ne vois pas bien, mais ilme semble distinguer les contoursd'une poule, en effet. Remarquez, ce ne serait pas

    tonnant, il faut bien que les ufssoient pondus par quelque chose.Pourquoi pas une certaine race depoule ? Ce que je donnerais cherpour savoir, c'est si le chocolat qu'a-

    doraient tant de personnes venaitde luf ou de la poule. En fait, quevalait-il mieux consommer : le vola-tile ou le produit de sa ponte ? Luf ou la poule ? Vous avez

    raison, une fois encore, voil LAquestion. En route pour la PetiteRome, nous y trouverons peut trela solution.

    oTrois jours d'acclration, une se-

    conde d'hyperespace et deux joursde dclration plus tard, les deuxvoyageurs sont destination. Etant donn qu'ici nous sommes

    le matin, allons directement votremuse, mon cher Ensipio. Je suisimpatient de savoir s'il ont toujoursles ufs. J'appelle une navette, et nous y

    allons de ce pas. Si je puis dire.La Petite Rome n'est pas une

    plante, mais l'un des satellitesd'une gante gazeuse : un trs

    beau satellite amnag avec got.Sa population est volubile, expan-sive et sympathique. Bien qu'un peufanfaronne, parfois, de l'avis deLambert, qui connat bien les lieux,car la nourriture et le vin y sontd'une grande importance, et debonne qualit. Voil, messieurs, vous tes

    arrivs, dclare la voix enregistredu taxi-auto.

    Les deux hommes descendent dela navette aprs que Wogku ait

    entr son code rmunrateur sur leterminal, pour pouvoir sortir du vhi-cule. Le muse est situ dans unepetite ruelle. Le btiment est ancienet seule une petite plaque permet

    de savoir quun muse se trouve lintrieur. La porte tant ouverte, lecritique et son chef se permettentdentrer. Il fait sombre, mais la fra-cheur est agrable aprs la moiteurde lextrieur. Un vieil homme estassis derrire un antique guichet. Ilsemble somnoler. Aprs une brvehsitation et un lger toussotement

    Lambert dit : Bonjour monsieur. Veuillez nous

    excuser, mais pourriez vous de-mander au conservateur de cettablissement de bien vouloir nousrecevoir ? Bonjour. Et pour quelle raison

    voulez vous le rencontrer ? Nous souhaiterions savoir si le

    muse a en sa possession certainsarticles.

    Le vieillard se lve et revt uneveste qui tait pose sur le dossier

    de sa chaise. Je suis le conservateur. Quels

    sont ces articles ? Des ufs. Des ufs de choco-

    lat prts, il y a 123 ans par le mu-se pr-galactique de la NouvelleBruxelles. a date. Ils ont d les rcuprer

    depuis, non ? Et bien non. Cest la raison de

    notre venue ici. Ah ! Allons dans mon bureau

    que je consulte les archives.

    Le terme de bureau est un biengrand mot pour la pice danslaquelle les trois hommes pntrentdifficilement. Elle a la taille dundbarras, et est aussi bien range.Le conservateur prend une pile delivres sur la chaise devant laconsole, et la pose par terre. Il sefaufile prcautionneusement poursasseoir et commence tapotersur le clavier, pendant que les deuxvisiteurs se regardent, puis regar-dent la pice et dcident quil est

    trop dangereux de toucher quel-que chose dans ce fatras. Mieuxvaut rester debout. Ah, voil ! Vous mavez bien dit

    des ufs de chocolat arrivs ici il ya 123 ans ? Oui, cest cela. Et bien, il ne sont plus l. Ils

    nous ont t confisqus, avec dau-tres articles, par un officier de laGrande Allemagne, il y a une soi-xantaine dannes, lors de la guerrequi opposa nos deux mondes.

    Mais vous ntes plus en guerre,nest ce pas ? Non, nos deux plantes sont

    amies depuis une quarantainedannes.

    Bien. Auriez vous le nom de cetofficier, par hasard ? Oui, bien sur : Colonel Kleine-

    reierkopf. Nous vous remercions beau-

    coup pour votre aide. Nous nallonspas vous dranger plus longtemps. Oh, vous ne me drangez pas.

    Vous souhaitez peut tre visiter le

    muse ? Certes, mais malheureusement

    nous nen avons pas le temps.Merci encore.

    Dun commun accord, les deuxvoyageurs sortent de la petitepice, en faisant bien attention nerien renverser. Ce ne fut pas unmoindre exploit pour le critique auxdimensions hors normes. En route pour la Grande Allema-

    gne, je prsume. Vous prsumez bien, mon cher

    Ensipio. Mais avant, comme pro-mis, allons dans cette petite gargotedont je vous ai parl, pour y dgus-ter leurs dlicieuses ptes.

    oCette fois-ci, pas besoin de voya-

    ger en hyperespace, La GrandeAllemagne est un autre satellite dela gante gazeuse. Les deux hom-mes y parviennent en une dizainedheures, le temps pour eux de

    digrer, tout en dormant, les diver-ses varits de ptes dont ils sesont gavs la Petite Rome.

    Il y fait beaucoup plus froid, ce quiexplique, peut tre, le caractrebeaucoup plus rigide des autochto-nes, par rapport leur voisins petitsromains. Trouvons vite ce Kleinereierkopf

    ou ses descendants, et filons vitede cette maudite plante, dclaresans prambule Wogku Lambert.Devant le regard tonn de Gilobi, il

    poursuit : Je dteste ce satellite. On y

    gle, et la nourriture y est beaucouptrop grasse mon got. Alors dpchons-nous de re-

    trouver nos ufs.Gilobi se poste devant une conso-

    le publique, et pianote un moment,pendant que le critique gastronomi-que tape dans ses mains et souffledessus pour les rchauffer. Alors, o en tes vous ? Jai presque fini. Jimprime la-

    dresse et nous pouvons y aller.Appelez un auto-taxi pendant cetemps, je nen ai que pour quelquessecondes.

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    Une fois dans la navette, le cuisi-nier reprend la parole : Nous avons de la chance, le

    colonel nest pas mort. Il vit dans unchteau isol en pleine fort. Jaigalement imprim la carte, au caso.

    Une heure plus tard, lauto-taxi lesdpose devant la porte dun ch-teau de conte de fes avec donjonset tourelles. Ils payent un suppl-ment pour que la navette reste lesattendre. Puis ils se dirigent versune norme porte en bois.

    Le soir est tomb depuis un bonquart dheure, et lambiance est

    lugubre. Les deux hommes hsitentet tirent sur lantique chane de lasonnette pour annoncer leur visite.Il faut bien cinq minutes avant quilsentendent des bruits de pas quisapprochent. Lhuis souvre avecun grincement terrible. La lumiredans lentre les aveugle par sonintensit aprs lobscurit de la nuit. Que dsirent ces Messieurs ?

    demande un robot dun modlelargement dpass. Euh nous souhaiterions parler

    au colonel Kleinereierkopf. Peut-ilnous recevoir ? Qui dois-je annoncer ? Messieurs Lambert et Gilobi,

    rpond le gastronome.

    Suivez moi je vous prie. Je vousconduis la bibliothque, o vouspourrez attendre confortablement.

    Les deux visiteurs suivent le roboten admirant la dcoration des lieux.Partout o se posent leurs yeux, il ya des uvres dart : tableaux, tapis-series, sculptures, bijoux, la liste estlongue. La bibliothque est immen-se. Les deux amis sont en traindadmirer de vieux livres de cuisinedatant du XXVIme sicle, quand laporte souvre sur un nouveau robot. Bonsoir Messieurs, dclare une

    voix synthtique en provenancedun haut-parleur situ lavant du

    chariot. Ma demeure est honorede votre prsence. Wogku Lambert,le critique culinaire et Ensipio Gilobison fameux cuisinier... Cest ungrand plaisir. Jai lu tous vos livres.

    En lexaminant, plus srieuse-ment, les deux hommes se rendentcompte quil ne sagit pas dunrobot, mais dun vieillard enchssdans un systme de survie mobile. Tout lhonneur est pour nous.

    Nous sommes toujours heureux derencontrer des lecteurs.

    Pourrais-je vous demander uneddicace ? Avec joie. Mais je suppose que vous ntes

    pas ici, pour rendre visite un

    lecteur, mme fidle. Non, en effet. Nous sommes

    la recherche de deux ufs de

    chocolat, qui auraient t... euh...emprunts par vos soins dans unmuse de la Petite Rome, il y a decela une soixantaine dannes. Arh, ctait la guerre ! Et comme

    vous pouvez le constater, jaimebeaucoup les uvres dart. Je mesuis laiss emporter et... Mais pourquoi avoir pris les

    ufs ? Sont-ce des uvres dart ? Non. Ils ont t inclus dans mon

    emprunt par erreur, je pense,car ils ne mintressaient pas.

    Vous ne les avez pas jets ?sinquite Lambert. Non, ils doivent toujours tre

    dans leur crin cryognique, dansma cave. Jai lhorrible dfaut de nejamais rien jeter.

    Si je puis me permettre, ceserait ici une qualit. Accepteriezvous de nous les cder ? Hmm... Bien sur, mais une

    seule condition. Que vous acceptiezque monsieur Gilobi me confection-ne un succulent dner, et que vous

    mangiez ma table. Ce serait avec plaisir, commen-

    ce Lambert. Mais jai pour rgle detoujours manger seul. Vous comprendrez que, dans ce

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    cas, je ne puisse vous donner lesufs. Voyons, mon cher Wogku, ne

    pourriez vous faire une exceptionpour le colonel ? Et puis, vous con-naissez dj ma faon de cuisiner.Je vous promet de ne rien faire denouveau. Pensez aux ufs, nousnavons pas fait tout ce chemin pour

    rien. Ecoutez, colonel, je suis prt

    vous rtribuer dune belle somme.Ne pourrions nous pas nous arran-ger ? Je crains que non. Comme vous

    pouvez le voir, je suis moi-mmeassez riche et largent ne mintres-se pas. Non, la seule chose que jedsire, cest ce repas.

    Aprs force bougonnements,Lambert fini par accepter du boutdes lvres. Aussitt, Ensipio se

    presse de demander la cuisine,pour ne pas laisser son ami letemps de se rtracter. Comme sou-vent, le repas, prpar par sessoins, est un vritable enchante-ment pour les convives.

    Cest un colonel Kleinereierkopfmu qui regarde ses nouveauxamis repartir dans leur navetteauto-taxi. Ils emportent avec eux lesdeux ufs. Ceux-ci, denvirontrente centimtres de haut, sontconservs depuis de nombreux

    sicles dans deux compartimentscryogniques autonomes, dans lat-tente dtre ramens leur tatdorigine.

    oEnfin de retour chez eux, les deux

    compres sont installs dans lagigantesque cuisine. Devant eux,les deux ufs sont poss sur latable. Cher ami, il faut prendre une

    dcision. Que faisons nous ? Quelleest notre hypothse, finalement ?Choisissons nous luf ou lapoule ? Et comment pouvons nousles prparer ? C'est vous le spcia-liste. Et bien, Wogku, si nous essay-

    ons de mettre l'un des ufs dans lacouveuse artificielle dont je me sert

    pour fabriquer mes poules ? Peuttre aurons nous une ide decomment la prparer quand nousverrons la bte vivante. Qu'enpensez-vous ? Je ne sais pas. Je ne connais

    pas bien le principe de votre cou-veuse. Oh, c'est facile, cela simplifie la

    vie des cuisiniers. J'achte mesufs cryogniss en gros et je lesstocke ainsi facilement. Puis, lors-que j'ai besoin d'un poulet, je placeun uf dans la couveuse artificielle,elle dcongle luf, puis le faitparvenir closion. On obtient ainsiun poussin, qu'il ne reste plus qu'mettre dans cet appareil-ci qui val'amener maturit en deux jours.Ou, si l'on a le temps, et c'est lamanire que je prconise pour cetuf prcis, vous pouvez lever ce

    poussin normalement dans un pou-lailler. Nous pourrions en installerun dans le parc. Soit. C'est risqu, mais qui ne

    tente rien n'a rien. Va pour lacouveuse.

    Ensipio sort l'un des ufs avecprcaution de son tui, et le dposedoucement dans la couveuse. Je vais mettre le temps de

    dconglation le plus long, c'estmoins dangereux.

    Il met le minuteur sur cinq minu-

    tes. Les deux visages sont anxieux,la sueur perle sur les fronts, leslvres se pincent, les regards sefixent. Les cinq minutes sont inter-minables. Finalement, la sonneriede l'appareil fini par retentir, les cinqminutes se sont coules. La dconglation s'est bien pas-

    se. Je passe la fonction couveu-se.

    Le silence est total. Juste un lgersouffle en provenance de la cou-veuse. Au bout d'une minute

    peine, sous leurs yeux attentifs, lacoquille de l'uf commence s'effondrer doucement. Mon dieu ! La coquille semble

    se liqufier. J'arrte la couveuse...Trop tard, l'uf est fondu !

    Une forte odeur assez plaisanteau dbut, mais curante force,se dgage, d'un espce de coulis

    marron. Une fois la tempratureredescendue, le liquide durcit assezrapidement. Bon, et bien voil pour la poule. Je suis vraiment dsol, Wogku,

    je pensais vraiment... Ah ! Ce n'est pas si grave, il

    nous reste encore un uf. Et sivous nous faisiez une omelette ?

    Luf est bien assez gros pournous deux. Hein, qu'en pensez-vous ? Nous essayons une omelet-te au chocolat ? Pourquoi pas. Nous pourrons au

    moins voir ce que cet uf a dans leventre. Soit, allons-y. Je vais vous

    chercher un saladier pour la prpa-ration.

    Le gros homme court avec fbrilitchercher les ustensiles ncessaires la confection de la fameuse ome-

    lette. Pendant ce temps, Ensipiomet le dernier uf dans la couveu-se pour le dcongeler. Jusque l tout va bien, tout s'est

    bien pass comme tout l'heure.Le cuisinier prend luf deux

    main et le frappe sur le bord du bolpour en briser la coquille. Celle-cise casse en plusieurs morceaux, lechef se prcipite au dessus durcipient pour ne pas perdre lecontenu du si prcieux uf. Maisrien, la seule chose qui tombe dans

    le saladier, ce sont quelquesmorceaux de cette paisse coquillemarron.

    Les deux amis se regardent,bouches bes, dus, dconfits. Vide ! Les ufs devaient tre

    trop vieux lorsqu'ils ont t cryog-niss. Oui, vous avez srement raison,

    Ensipio. Nous ne saurons donc jamais quoi ressemblait ce mythi-que chocolat. Et, pire, nous n'enconnatrons jamais la saveur.

    C'est bien dommage, en effet. ilne me reste plus qu' jeter cesmorceaux de coquille et me laverles mains. C'est fou ce que cettecoquille marron peut tacher ! dit-ilen se dirigeant vers lincinrateurtout en se lchant machinalementles doigts.

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    Nous devons Gal Briand le texte LAstropoulet (M&M n7). Toujours n en 1984, Gal est un gros mangeur dechips, surtout aprs le poulet partag entre amis le vendredi soir. Il est membre du collectif d'criture PUAT. Ilddicace la prsente nouvelle (illustre par Audrey Isbled) au burek de Croatie, aussi calant qu'un kouign aman dechez lui. Ha oui, son job depuis 3 ans, ct des cours, c'est vendeur de fruits et lgumes sur le march. Celaexplique peut-tre son attachement ces habitants du frigidaire.

    P UN BEAU SOIR AU CLAIR DE LUNE GAL BRIAND PRonav et Caro taient adosss

    au mur froid. Au loin, un faible haloberait le monde de Kelvinator. Unmonde bien trange, vrai dire, ola lumire claboussait soudaine-ment tous les habitants, et qui sesoldait en rgle gnrale par unmeurtre non rsolu. Ronav racon-tait sa vie, comme son habitude,du jour o il naquit en pleine terreavec sa famille de navets jusquaujourdhui, anniversaire de la mortde son dernier frre. Il avait toujours

    appris vivre dans le danger, accepter la mort de ses prochesavec philosophie en sachant quun jour, son tour arriverait. Les cliva-ges de race ou de couleur taientdpasss depuis longtemps. La Vielui avait enseign que, dans Kelvi-nator, aucun lgume ntait privil-gi. La mort ne frappait personneen particulier, elle ne faisait aucunedistinction, si bien quil ne voyaitpas pourquoi lui en ferait.

    Ronav aimait discuter avec

    Caro, une fine carotte qui ne staitjamais totalement remise davoir tscalpe un jour de pluie sur lemarch du village. Elle passait sontemps songer sa ravissantetouffe dantan, ses longues mchesvertes dont elle tait si fire, et pleurer en se regardant dans unvieux bocal de confiture. Sa vie taitfinie : comment pourrait-elle encoreplaire, maintenant quelle taitchauve comme un uf ? Ronav nedisait mot, bien que sa tte soitaussi lisse quune peau de citron. Iltentait de la rassurer en lui certifiantquelle lui plaisait, que ce quicomptait, ce ntait pas laspectmais bien le got il citait lexem-ple du saumon qui tait rest des jours et qui avait empest le mon-de : il tait pourtant bien rose ! Unjour, ce brave saumon avait fait uneconfidence Ronav : il lui avaitracont quun saumon en pleinesant a la peau rose, mais beau-coup plus blanche que la sienne.Cest de cette faon que lon recon-nat un saumon sauvage, nergi-que. Lui tait n malade et broutaitdes farines dans un bassin rempli

    de saumons tous malades.Caro scha ses larmes et

    appuya sa tte sur lpaule deRonav. Un moucheron papillonnaitautour de la faible clart lunaire.Ctait beau ! Ronav contemplaittour tour la lumire et Caro, Carofixait Ronav, leau la bouche, etils sembrassrent en dpit detoutes les moqueries que pourraitprovoquer un couple aussi original.Le temps passait, silencieux, se-rein, et Ronav sentit avec quelques

    secondes davance quun nouveaumeurtre nallait pas tarder. Il

    semblait entendre des bruits trslointains, comme si sa longueexprience lui confrait un pouvoirde prmonition.

    Le flair de Ronav savra effica-ce, et il neut que le temps de distin-guer les doigts rapides de Michelitoattraper Caro. Il la suivit des yeux leplus longtemps possible, sachantpertinemment que ses restes jon-cheraient, dans quelques secondesla bouche du garon qui ne faisaitaucune distinction entre les carot-

    tes, pourvu quil puisse en mangerune avant de monter au lit.

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    Jeune auteur de 17 ans, Thomas Dumoulin partage sa vie entre ses tudes et lcriture. Depuis peu, ses nouvellescommencent tre publis dans des fanzines et des e-zines. Et en plus il est illustr par Sbastien Gollut ; quedemander de plus ?

    G PASSER A LA CASSEROLE THOMAS DUMOULIN G Ah non ! Cest hors de question !

    Pour rien au monde je naccepterai

    de passer la casserole ! criais- je. Mais il nest pas trs facile defaire respecter son point de vuequand on est trimball de gauche droite sur lpaule rugueuse dungant de la fort, saucissonncomme pas deux dans une lianegluante et rpugnante.

    Et pour preuve, le gant qui nousavait arrach, moi et mon ami, notre qute de nourriture, sur lesversants du mont Thayr, ne lenten-dait pas de cette oreille et se

    moquait fichtrement de ce que jepouvais raconter, sautant en gam-badant dune pierre lautre, fran-chissant des torrents normes etdes gouffres sans fonds.

    On a lair malin !, pestait Durum,mon fidle cuyer, avec qui jemtais retrouv embarqu danscette galre. a, on peut le dire ! Je pestais moi aussi. Encore, sil

    avait eu cinq ans, son erreur auraitt pardonnable. Mais vingt ans

    (et demie), on ne fait plus griller delimaces en plein milieux dune fortpleine de gants !

    Article un du code des ChevaliersCueilleurs : Pas de feux en fort, aattire lennemi.

    Mais je mtais loign, poursui-vant un renard, et je navais purevenir temps au campementpour empcher Durum. Le gantnous avait surpris alors que je mef-forais dteindre le foyer. Rsultat,il a englouti toute notre rcolte, dont jtais pourtant fier (un lphant,deux cerfs, trois renards et deuxloutres), et qui nous aurait valu biendes loges la ville. Non contentde cela, il avait voulu nous dvorernous aussi, et lon ne devait notresurvie qu la venue imminentedautres gants qui, menaant lerepas de notre brave visiteur,lavaient forc nous prendre emporter comme dans un vulgairefast-food de lavenue du Chteau.

    Durum donna des petits coups deses poings sur le dos du gant,lequel grogna.

    On se calme, l-haut ! Ctait la premire fois quil nous

    parlait depuis le dpart, et je doisdire que ctait une bonne chose.

    Les gants qui parlent appartien-nent lespce des montagnes, etils sont plus cultivs, moins barba-res que leurs collgues des valles,et plus gourmets encore. Aussipouvais-je esprer ne pas finir enhomard bouillant, et compter unemort rapide avant dtre mang. Jefrissonnai : lAcadmie des Che-valiers Cueilleurs, on nous avaitracont plusieurs fois cette lgendehorrible dun des ntres qui fut ava-l tout cru et tout vivant, telle une

    hutre, par un troll affam. Je mappelle Rachel, Chevalier

    Cueilleur et Moine-Cuisinier, hrosbien connu de la cit de Burp. Je mappelle Kall le gant, et je

    mangerais bien toute la cit deBurp, si loccasion men tait donn.Rachel, Chevalier Cueilleur, dit ton ami de se calmer, sans quoi jele donne manger mon chien.

    Par chien, il entendait cettecrature horrible, longue de deuxmtres, qui nous suivait depuis

    toujours et qui lorgnait mes molletsavec envie. Durum entendit aussibien que moi et, curieusement, ilcessa de gesticuler. Kall fit un bonprodigieux qui me donna le vertige :nous commencions lascension dumont Thayr, nous rentrions chez lui.

    Rachel, Chevalier Cueilleur etMoine-Cuisinier, cest bien ? Exactement. Jai fais mes armes

    dans les meilleurs coles dumonde. Je men tais dout. Tes che-

    veux sont encore emprunts desodeurs de cuisine. Je suis bienaise, cela mvitera de tassaison-ner !

    Il rit. Massaisonner ? Mais tu ny

    penses pas !, mexclamai-je. Qui,plus tard, te donneras les bonnesrecettes, si ce nest pas moi, hein ? Recettes, recettes... Balivernes !

    Je ne suis pas cuisinier, moi, je suismangeur. Alors laisse-moi devenir ton

    cuisinier personnel et tu verras, tuseras un bien meilleur mangeur.

    Je concoctais une stratgie desplus intelligentes : en me faisantson cuisinier, jaurais tt fait de

    lempoisonner et de regagner ainsima libert.

    Il faut du temps pour cuisiner, etjaurai bientt faim.

    Oui, mais tu as deux prises,aujourdhui, Kall. Il y a moi, leMoine-Cuisiner, mais aussi soncuyer, qui est un homme venu desprovinces du nord o il a couru,enfant, dans les grandes herbes, senourrissant des meilleurs grains dela valle, ayant toujours vcu quietdans la paix, aux muscles gros ettendres, aux os lgers et la chairdouce...

    H !, cria Durum. Ne lui fais pasenvie !

    Article deux du code des ChasseursCueilleurs : Si vous-mme tescueillis, donnez votre cueillette.

    Cest le genre de met qui secuisine sur les fourneaux des trolls,o jai appris mon art. Vraiment, stonna Kall ? Assurment, repris-je. Jy ai

    mme cuisin un tout jeune enfant,qui rgala bien des rois et des

    reines. Cet cuyer-l est un peuplus vieux, mais il na pas vingt ans.Et il est de bonne taille, bien enchair et fort goutu.

    Article trois du code des ChasseursCueilleurs : Vantez votre cuisinepour dissuader vos ennemis devous manger cru.

    Avec quelques ingrdients dontmoi seul ai le secret, je te ferai unplat dont tu me diras des nouvel-les.

    Une main norme passa tout prsde mon visage, mais sempara ducorps svelte de Durum.

    H ! Quest-ce que vous faites !Non, non !

    Kall jugeait sa proie, pour savoir sielle mritait dtre cuisine.

    Admettons que je sois daccord.Quel plat me prparerais-tu, Moine-Cuisinier, avec cette chose ?

    La victoire tait moi. Dsormais,on entrait dans la description denourritures dlicieuses, et je nepouvais que lui mettre leau labouche. Sans y aller trop fort toute-fois, car il pourrait aussi me dvorercru.

    Que prfres-tu, Kall mon ma-

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    tre ? Un ragot, une soupe, un gra-tin, une salade, un gteau, une fri-casse, un rti ? Tu peux donc faire tout cela

    avec cet tre ? Plutt deux fois quune ! Je peux

    mme te faire une tarte, ou unsouffl, ou un sandwich, unique-ment avec quelques plantes et cet

    cuyer. Durum ne disait plus rien. Mort de

    peur, il tait certain dsormais quilallait dguster.

    Ma foi, reprit le gant, jaimebeaucoup les soupes. Je ne mangeque de , je nai quune marmite. Une marmite ?, mexclamai-je.

    Quelle concidence, cest exacte-ment ce quil me faut pour te prpa-rer une soupe ! Oui alors, quelle concidence. Ces gants sont vraiment stupi-

    des, et celui-ci tout particulirement. Que mettras-tu dans ta soupe ? Du thym, de la salsepareille, et

    des petits fruits darbousier, et delamome dAssyrie. Jen ai leau la bouche,

    murmura-t-il.

    Article quatre du code desChasseurs Cueilleurs : Quand votreennemi est point, laissez lem joter.i

    Alors je ne ten dis pas plus,

    Kall, sans quoi la surprise ne serapas totale.

    Nous tions parvenus la grotteo il logeait. Naturellement, il medposa face la marmite, et installaDurum, toujours ligot, dans celle-ci.

    Fais ton travail, cuisinier ! or-donna-t-il. Je commenais mon u-vre. Je pris soin dajouter masauce quelques fruits dune consis-tance inhumaine, de sorte que sadigestion allait lendormir. Je pour-

    rais alors menfuir, et regagnerBurp, o je devrais faire tat de laperte dune rcolte et dun cuyer.Dommage, cela dit en passant, carDurum ntait pas mauvais. Enfin.

    Ctait un sacrifice utile, et en re-merciement, jacceptais de lui quil

    nentre dans la soupe quau dernierinstant, et la tte la premire, car ilavait la plante des pieds fragile. Jeservis sous le regard suspicieux duchien, qui avait tout lair dunmonstre.

    G

    Ce fut un rgal ! dclara legant, une main sur son estomacgrossi, lautre sur le chaudron vide. Merci, Kall, rpondis-je humble-

    ment. Tu fais vraiment des soupes

    succulentes. Tout lhonneur est pour moi. Jinsiste. Dommage que lon doi-

    ve en rester l. En rester l ?

    Il allait me relcher ? On navait jamais connu a, mme dans lesannales de Burp !

    Cest que, tu es tellement boncuisinier que tu ma mis en bouche.Et ce gringalet est loin de meremplir. Mais alors, quest-ce que cela

    signifie ?

    Comme toute rponse, Rachel, leChasseur Cueilleur, Moine-Cuisi-nier, hros bien connu de la cit deBurp, se sentit saisi par la tte, ettermina tout habill dans lestomacde Kall le gant.

    Article cinq du code des ChasseursCueilleurs : Lapptit vient en man-geant.

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    Timothe Rey, 37 ans, est prof de lettres-histoire dans un lyce htelier prs de Nice, o il force des Bac Proptissiers et des CAP cuisiniers lire Pratchett, Dick et Zelazny. Il collectionne les fossiles, les cactus et lesemballages de sucre, coute Duke Ellington, adore cuisiner, et lit Borges, Vance, Chesterton, du space op etJacques Rda. Il a publi un recueil de pomes, Bestioles (1986, SATC). Depuis, il auto-dite ses pomes(disponibles au 3 rue Juge, 06000 Nice). Les 3 pomes qui suivent ont t envoys par casserole express.

    TRIPTYQUE COSMOGONICO-CULINAIRE TIMOTHEE REY loignon

    pleine plante dans la mainavec son brin de tige au plenord, sa broussaille plutt drleau sud, le reste en parchemin

    notre couteau froid gographepar lquateur spare en deuxce monde au destin hasardeuxloignon (quelle trange orthographe)

    la peau jauntre craque secquand, sismes !, nos doigts la plentil faut trancher les paralllesdans cette chair dun blanc impec

    bulbe promu sphre armillairenos yeux se brouillent larmoyantsface tes orbes (malveillantsgaz lacrymos que le nez flaire)

    frits dans lhuile dont nous oignonsla pole ce cosmos de fontetes anneaux la cuisson promptefont de bien ternes lumignons

    constellation dastres presavec quel plat taccompagnonsnous ? ce ne sont pas vos oignonslecteurs, et encor moins vos cpres !

    la lune camembert

    la lune camembertquun pouce inquisiteur

    longuement a ttlastre crme, libre

    son onctueux babeurrecontre la Voie Lacte

    Doppler-Fizeau

    Tout autour de cette table obscurejonche de miettes la clarttincelante et dclaboussureso les bougies jouent miroiter,

    convives portant Epicureet Bacchus des toasts hbts,dans des rires dont la graveluretrahit une paisse brit,

    qui, louchant sur la seule bouteilleintacte encor du Ctes-de-Nuits ! ,manuvrez vers le jus de la treille,

    vous semblez ces galaxies qui bougentau loin : chez vous aussi se produitun net dcalage vers le rouge.

    Marmite & Micro-onde, vainqueur par K.O. (31 octobre 2004)

    Lisez... Les internautes peuvent tlcharger M&Men couleur sous la forme dun fichier PDF en se rendant surhttp://www.oeildusphinx.com, puis en cliquant sur Marmite & Micro-onde. Pour la version papier, envoyez deuxtimbres, ou abonnez-vous pour trois numros contre six timbres (noubliez pas de prciser partir de quelnumro dbute votre abonnement). Il est toujours possible de commander les anciens numros.

    Ecrivez... Auteurs de nouvelles, pomes, articles, illustrations, bandes dessines : proposez-nous vos uvres(si vous navez pas dadresse Internet, joindre une enveloppe timbre et auto-adresse pour la rponse). Tousles genres sont les bienvenus (littrature gnrale, SF, fantastique, polar, humour, etc.).

    Oui, mais o ? Philippe Heurtel, 9-11 rue des lavandires St Opportune, 75001 PARIS. Ou directement pare-mail, [email protected].