Manifestations dermatologiques des maladies d’organes || Maladies rares digestives et...

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82 Maladies rares digestives et dermatologiques Emmanuel Delaporte, Didier Bessis Syndrome de Gardner 82-1 Syndrome de Peutz-Jeghers 82-2 Maladie de Cowden et syndrome des hamartomes par mutation du gène PTEN 82-4 Syndrome de Muir-Torre 82-6 Syndrome de Howel-Evans 82-7 Syndrome de Cronkhite-Canada 82-8 Maladie de Degos 82-8 Syndrome du blue rubber bleb naevus 82-8 Références 82-9 Syndrome de Gardner Le syndrome de Gardner est une affection héréditaire rare, dont l’incidence est évaluée à 1/10 habitants aux États- Unis. Sa transmission est autosomique dominante, son ex- pression variableet sa pénétrance complète. Il associe une polypose digestive, des osomes multiples, des tumeurs mésenchymateuses cutanées profondes, des anomalies den- taires et une hypertrophie congénitale de l’épithélium pig- mentaire rétinien ¹-⁴.Il est considéré comme une variante phénotypique de la polypose adénomateuse familiale (en- viron 10 % des cas), aection liée aux mutations du gène APC (adenomatous polyposis coli) situé en 5q21-q22. Les manifestations cutanées se caractérisent par des no- dules cutanésprofonds correspondantleplus souvendes kystes épidermoïdes ou sébacés, des tumeurs desmoïdes, plus rarement des bromes, des pilomatricomes ou des li- pomes.Les kystes épidermoïdes ou sébacés sont nos dans deux tiers des cas. Asymptomatiques, ils sont situésavec prédilection sur le scalp, le visage, le cou et les extrémités. Ils ne sont pas spécifiques, mais leur pcocité dapparition, àla puberté, etleur nombre éleest évocateur du diagnos- tic. Ilspcèdent généralement dune dizaine dannées le développement des polypes digestifs. Les tumeurs desmoïdes sont psentes en moyenne chez 10 à 20 % des patientset se développentleplus souvent au niveau intra-abdominal ou surla paroi abdominale, par- fois sur une cicatrice de laparotomie. Elles sont bénignes, surviennentvers l’âge de 30 ans avec un fort potentielinva- sif local et un taux de cidives élevé (65 %). Les bromes de Gardner constituent un marqueur spécifique pcoce des tumeurs desmoïdes et sont observés dans 70 % des cas. Ils surviennent pcocement au cours de lapremière décennie (en moyenne à l’âge de 5 ans). Cliniquement, il sagit de plaques de taille variable (en moyenne 4 cm) et peu circonscrites quitouchent électivementle dos etla gion paravertébrale, plus rarementla tête,le cou etles extrémités. Les osomes sont psents dans environ 1 cas sur 2. Le plus souvent multiples (entre 3 et6 de grande taille en moyenne), ils touchent électivement l’ angle des mandi- bules,les maxillaires et l’ os frontal(fig. 82.1). Les os longs, voire les phalanges, peuvengalement êtreatteints.Le développement des osomes pcède dune dizaine dan- nées lediagnostic de polypose.Leur mise en évidence re- pose surles radiographies (panoramique dentaire). Leur retentissement estleplus souvent esthétique en raison des déformations osseuses occasionnées, mais également par- fois fonctionnel: compression nerveuse ou oculaire, obs- truction des fosses nasales ou diminution de la mobilité Coll. clinique de Dermatologie, CHRU Lille Fig. 82.1 Ostéomes crâniens au cours d’un syndrome de Gardner D. Bessis, Manifestations dermatologiques des maladies d'organes © Springer-Verlag France, Paris, 2012

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82Maladies rares digestives et dermatologiques

Emmanuel Delaporte, Didier Bessis

Syndrome de Gardner 82-1Syndrome de Peutz-Jeghers 82-2Maladie de Cowden et syndrome des hamartomes parmutation du gène PTEN 82-4Syndrome de Muir-Torre 82-6

Syndrome de Howel-Evans 82-7Syndrome de Cronkhite-Canada 82-8Maladie de Degos 82-8Syndrome du blue rubber bleb naevus 82-8Références 82-9

Syndrome de Gardner

Le syndrome de Gardner est une affection héréditaire rare,dont l’incidence est évaluée à 1/10 ⁶ habitants aux États-Unis. Sa transmission est autosomique dominante, son ex-pression variable et sa pénétrance complète. Il associe unepolypose digestive, des ostéomes multiples, des tumeursmésenchymateuses cutanées profondes, des anomalies den-taires et une hypertrophie congénitale de l’épithélium pig-mentaire rétinien ¹-⁴. Il est considéré comme une variantephénotypique de la polypose adénomateuse familiale (en-viron 10% des cas), affection liée auxmutations du gèneAPC (adenomatous polyposis coli) situé en 5q21-q22.Les manifestations cutanées se caractérisent par des no-dules cutanés profonds correspondant le plus souvent à deskystes épidermoïdes ou sébacés, des tumeurs desmoïdes,plus rarement des fibromes, des pilomatricomes ou des li-pomes. Les kystes épidermoïdes ou sébacés sontnotés dansdeux tiers des cas. Asymptomatiques, ils sont situés avecprédilection sur le scalp, le visage, le cou et les extrémités.Ils ne sont pas spécifiques, mais leur précocité d’apparition,à la puberté, et leur nombre élevé est évocateur du diagnos-tic. Ils précèdent généralement d’une dizaine d’années ledéveloppement des polypes digestifs.Les tumeurs desmoïdes sont présentes en moyenne chez10 à 20% des patients et se développent le plus souventau niveau intra-abdominal ou sur la paroi abdominale, par-fois sur une cicatrice de laparotomie. Elles sont bénignes,surviennent vers l’âge de 30 ans avec un fort potentiel inva-sif local et un taux de récidives élevé (65%). Les fibromesde Gardner constituent un marqueur spécifique précocedes tumeurs desmoïdes et sont observés dans 70% descas. Ils surviennent précocement au cours de la premièredécennie (en moyenne à l’âge de 5 ans). Cliniquement, ils’agit de plaques de taille variable (en moyenne 4 cm) et

peu circonscrites qui touchent électivement le dos et larégion paravertébrale, plus rarement la tête, le cou et lesextrémités.Les ostéomes sont présents dans environ 1 cas sur 2. Leplus souvent multiples (entre 3 et 6 de grande taille enmoyenne), ils touchent électivement l’angle des mandi-bules, les maxillaires et l’os frontal (fig. 82.1). Les os longs,voire les phalanges, peuvent également être atteints. Ledéveloppement des ostéomes précède d’une dizaine d’an-nées le diagnostic de polypose. Leur mise en évidence re-pose sur les radiographies (panoramique dentaire). Leurretentissement est le plus souvent esthétique en raison desdéformations osseuses occasionnées, mais également par-fois fonctionnel : compression nerveuse ou oculaire, obs-truction des fosses nasales ou diminution de la mobilité

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Fig. 82.1 Ostéomes crâniens au cours d’un syndrome de Gardner

D. Bessis, Manifestations dermatologiques des maladies d'organes

© Springer-Verlag France, Paris, 2012

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82-2 Maladies rares digestives et dermatologiques

maxillaire.Des anomalies dentaires sont fréquentes (70%),à type de dents surnuméraires incluses, odontomes com-plexes, cémentomes et agénésies. L’extraction dentaire estsouvent difficile en raison de la nature hyperdense de l’osalvéolaire et de l’absence d’espace péridentaire liée à l’hy-percémentose.L’hypertrophie de l’épithélium pigmentaire de la rétine estprésente dans 90% des cas. Elle débute peu après la nais-sance et apparaît au fond d’œil comme de multiples tachesd’hyperpigmentation bien circonscrites, le plus souventbilatérales, et de coloration brun-noir avec un halo de dé-pigmentation périphérique ou central.Les manifestations gastro-intestinales du syndrome deGardner sont marquées par des polypes adénomateux (tu-buleux, tubulo-villeux, villeux) rectocoliques, gastriqueset de l’intestin grêle (fig. 82.2). La formation des polypesdébute vers la puberté et la transformation maligne estconstante avant 40 ans. Le syndrome de Gardner est éga-lement associé à un risque augmenté d’autres carcinomes,comme au cours de la polypose adénomateuse familiale :carcinome thyroïdien papillaire, adénocarcinome duodénalpéri-ampullaire, adénocarcinome pancréatique mais égale-ment hépatoblastome etmédulloblastome (syndrome deTurcot).

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Fig. 82.2 Polypes adénomateux profus du tube digestif au cours d’un

syndrome de Gardner

La prise en charge des patients atteints de syndrome deGardner, ou porteurs de mutation délétère du gène APC,repose sur la prévention, le dépistage et la prise en chargedes différentes tumeurs associées ³ :− cancers colorectaux : chez les enfants porteurs d’une

mutation germinale du gène APC, des rectosigmoïdo-scopies annuelles dès l’âge de 11 ans, puis vers 15 ansdes coloscopies complètes annuelles à la recherche depolypes colorectaux sont conseillées jusqu’à la décisionde colectomie totale, incontournable en cas de formeclassique, et réalisée le plus souvent entre 20 et 30 ans.Le suivi ultérieur est variable en fonction du type d’ana-stomose (iléo-anale ou iléorectale) ;

− adénocarcinomes duodéno-jéjunaux : la surveillancedigestive haute comporte une fibroscopieœso-gastro-duodénale tous les deux à trois ans à partir de l’âgede 20 ans. En cas de polypes duodénaux multiples, degrande taille ou dysplasiques, la surveillance sera plusrapprochée, jusqu’à 2 fois par an ;

− tumeurs desmoïdes : dans sa forme intra-abdominaleen particulier, une surveillance simple est préconiséeen l’absence de complications aiguës ou de retentisse-ment esthétique. Un traitement médical prolongé parsulindac (300 mg/j) peut être envisagé en cas d’augmen-tation de taille sans complication aiguë.Une exérèse chi-rurgicale ne sera proposée qu’en cas de retentissementde la tumeur à type d’occlusion intestinale ou d’obstruc-tion urétérale sans tenter une résection complète dela tumeur. En cas de tumeur inextirpable chirurgicale-ment et ne répondant pas au traitementmédical, uneradiothérapie ou une chimiothérapie à base de doxoru-bicine et de dacarbazine peut être efficace.

En revanche, les modalités de dépistage des autres cancersne font pas l’objet de consensus en raison de leur faibleprévalence. Le dépistage de médulloblastomes ou de car-cinomes thyroïdiens est clinique. Le dépistage de l’hépa-toblastome peut bénéficier d’un dosage de l’alpha-fœto-protéine et d’une échographie abdominale tous les ans,entre 0 et 6 ans.

Syndrome de Peutz-Jeghers

Cette affection rare, de prévalence estimée de 1/50 000à 1/120 000 naissances, est transmise sur un mode au-tosomique dominant, avec une forte pénétrance (plusde 90%) et une expressivité variable. Le gène impliquéLKB1-STK11 a été localisé sur le bras court du chromo-some 9. Ce gène suppresseur de tumeur code une protéineà activité thréonine-sérine kinase. Ses mutations (délé-tions/insertions, substitution de base) aboutissent à uneprotéine tronquée avec perte de son activité fonctionnelle.Une hétérogénéité moléculaire est toutefois possible carune mutation du gène LKB1-STK11 n’est identifiée quedans 30 à 80% des cas, et deux locus voisins 19p13.3 et13.4 pourraient être en cause.Le syndrome de Peutz-Jeghers est défini par l’associationd’une polypose gastro-intestinale hamartomateuse, d’unepigmentation mélanique cutanéomuqueuse et la présence

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Syndrome de Peutz-Jeghers 82-3

� IRM imagerie par résonance magnétique

d’un antécédent familial. L’absence de l’un de ces carac-tères ne permet pas cependant une exclusion formelle dudiagnostic. Ainsi une pigmentation caractéristique sanspolypose digestive cliniquement décelable a pu être dé-crite chez des malades issus de familles de syndrome dePeutz-Jeghers, témoignant d’une pénétrance incomplèteou d’une atteinte digestive infraclinique. De même, l’ab-sence d’antécédent familial est notée jusque dans 10 à 20%des cas, témoignant de possibles formes sporadiques.Les lentigines sont rarement présentes dès la naissance,mais apparaissent le plus souvent au cours des premiersmois, le plus souvent avant l’âge de 2 ans. Elles touchentde façon quasi constante les lèvres et dans 80% des casla muqueuse buccale : face interne des lèvres et des joues,gencives, palais alors que la langue est exceptionnellementatteinte (fig. 82.3). Le pourtour de la bouche est concerné àla différence de la maladie de Laugier et Hunziker maisles régions orbitaires, périnasales ainsi que les oreillespeuvent être touchées. D’autres localisations sont pos-sibles : paumes, plantes, face dorsale des doigts, régionanale. La pigmentation faciale tend à s’atténuer à partirde l’adolescence,mais persiste au niveau de la muqueuseorale, pouvant rendre compte de diagnostics tardifs.La polypose digestive intéresse le jéjunum et l’iléon (70-90%) mais aussi le côlon, le rectum (50%) et l’estomac(25%). Ces polypes sont des hamartomes, de taille variablede quelques millimètres à plusieurs centimètres, sessiles oupédiculés. Leur nombre est parfois supérieur à 100,maissemble inférieur à celui observé au cours de la polypose adé-nomateuse familiale. Lorsqu’elle est symptomatique, cettepolypose se manifeste le plus souvent au cours de la pre-mière décennie par des douleurs abdominales récurrentesavec parfois un véritable syndrome occlusif lié à une inva-gination. L’atteinte digestive peut également s’exprimersur un mode hémorragique occulte ou non : anémie hypo-chrome,méléna, rectorragies. La survenue de polypes delocalisation nasale (27% des cas d’une série de 22 maladesatteints issus d’une même famille)mais aussi biliaire, uté-rine, du tractus respiratoire et urinaire a été rapportée.Bien que la transformation néoplasique des polypes du

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Fig. 82.3 Lentiginose labiale et périorale au cours d’un syndrome de

Peutz-Jeghers

tube digestif soit rare, le risque de développer précocement,avant 40 ans, une tumeur maligne, en particulier de l’in-testin grêle, est nettement plus élevé que dans la popula-tion générale. La cancérisation pourrait survenir sur desfoyers de métaplasie adénomateuse ou à partir d’une fi-liation directe hamartome-cancer. L’incidence de cancersa été analysée sur une population de 419 patients satis-faisant aux critères diagnostiques de syndrome de Peutz-Jeghers (dont 297 avaient une mutation identifiée du gèneSTK11/LKB1). Les risques de développement d’un cancerà l’âge de 20, 30, 40, 50, 60 et 70 ans étaient respective-ment de 2%, 5%, 17%, 31%, 60% et 85%, surtout d’ori-gine gastro-intestinale (estomac-œsophage, intestin grêle,côlon-rectum et pancréas). Chez la femme, l’estimation durisque de développer un cancer du sein était de 8% et 31%respectivement à l’âge de 40 et 60 ans. Il n’existait pas decorrélation entre le génotype et le phénotype.Un risque augmenté de cancers gynécologiques (ovaires,endomètre, col utérin), pulmonaires, thyroïdiens et testi-culaires est également classique ⁵. La survenue de tumeursovariennes bénignes des cordons sexuels à tubules anne-lés est fréquente, quasi constante au stade microscopiquepour certains auteurs, le plus souvent bilatérales et multi-focales, parfois responsables d’irrégularités menstruellesou d’hypo-œstrogénie. Des tumeurs testiculaires bénignesà cellules de Sertoli, bilatérales, multinodulaires, de petitetaille, pouvant être à l’origine d’une féminisation révéla-trice (puberté précoce, gynécomastie) ont été rapportéesavec une faible fréquence.Le traitement repose sur un dépistage et une prise encharge précoce de la polypose digestive, dès l’âge de 10 ans,y compris chez les sujets asymptomatiques pour certainsauteurs, et ce par une gastroscopie et une coloscopie an-nuelle. Au cours de cet examen, l’endoscopiste devra enle-ver tous les polypes accessibles. En l’absence de nouveaupolype, cette surveillance sera espacée par la suite tousles 1 à 3 ans. La surveillance de l’intestin grêle devra êtreréalisée par des transits barytés tous les 2 ans, complétéssi possible d’entéroscopie poussée. Ces derniers examenstendent progressivement à être supplantés par la vidéo-capsule endoscopique pour le dépistage des polypes et parl’entéroscopie double-ballon pour leur résection. En casde découverte d’un polype de l’intestin grêle d’une taillesupérieure à 1,5 cm, une laparotomie avec entéroscopieperopératoire est préconisée.La recherche de tumeurs extradigestives devra être systé-matique et précoce :− mammaire : examen clinique annuel et échographie

et/ou IRM mammaire tous les 1 à 2 ans, dès l’âge de20 ans ;

− ovarienne et utérine : examen gynécologique completavec frottis de l’endocol tous les ans, complété d’uneéchographie pelvienne et ovarienne ;

− testiculaire : palpation testiculaire annuelle complé-tée éventuellement d’une échographie testiculaire, dèsl’âge de 10 ans ;

− pancréatique : échographie endoscopique ou abdomi-nale tous les 1 à 2 ans dès l’âge de 30 ans.

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82-4 Maladies rares digestives et dermatologiques

� NEM néoplasie endocrinienne multiple

Une enquête familiale est indispensable avec réalisationd’un test génétique chez les sujets à risque. Ce diagnosticgénétique devra cependant rester non formel, en l’absencede mutations constantes du gène LKB1/STK11 au cours decette affection : 60% et 50% respectivement au cours desformes familiales et sporadiques. Ces résultats reflètent lapossibilité d’une hétérogénéité du locus incriminé ou d’unsecond gène encore non identifié.

Maladie de Cowden et syndrome des

hamartomes par mutation du gène PTEN

La maladie de Cowden ou syndrome des hamartomesmultiples est une affection rare dont l’incidence est éva-luée à 1/200 000 habitants. Elle est probablement sous-estimée en raison d’une expressivité variable et de la dis-crétion habituelle des signes cutanés. La plupart des obser-vations rapportées sont caucasiennes, avec une prédomi-nance féminine (4F/3H). La transmission est autosomiquedominante, avec une pénétrance variable liée à l’âge. Laquasi-totalité des patients développe des lésions cutanéo-muqueuses à la fin de leur deuxième décennie. Cette af-fection est liée à la mutation germinale du gène tumeur-suppresseur PTEN (ou PTEN/MMAC1 pour phosphataseand tensinhomolog/mutated inmultiple advanced cancers1) si-tué en 10q23.3. Cette mutation est identifiée chez environ80% des malades qui satisfont aux critères diagnostiquesde l’International Cowden Consortium ⁶-⁸ (encadré 82.A).Les signes cutanéomuqueux sont présents dans 99 à 100%des cas, et se développent en moyenne au cours de ladeuxième et de la troisième décennie (âge de début variableentre 4 et 75 ans). Les papules du visage sont les plus fré-quentes (près de 90% des cas). Elles sont de petite taille(jusqu’à 4 mm), asymptomatiques de couleur peau normale,localisées sur le pourtour des yeux et de la bouche, s’éten-dant parfois dans les narines (fig. 82.4). Histologiquement,elles peuvent correspondre 1o à des trichilemmomes(ou tricholemmomes), tumeurs bénignes à différentiationpilaire développée aux dépens de la gaine trichilemmale ex-terne, pathognomoniques de cette affection ; 2o à des hy-perplasies de degré variable de l’infundibulum folliculaire,parfois similaire à des tumeurs de l’infundibulum follicu-laire ; 3o à des lésions kératosiques histologiquementindistinguables de verrues vulgaires ; 4o à des kératosesfolliculaires inversées. Les lésions hyperkératosiques ver-ruqueuses acrales (30%) sont situées sur les faces d’exten-sion des extrémités et sur les paumes et les plantes (fig. 82.5).Histologiquement, il s’agit des lésions constituées d’unehyperkératose orthokératosique compacte, d’une hypergra-nulose et d’une acanthose, parfois avec une différenciationtrichilemmale. L’atteinte de la muqueuse orale (80%) estconstituée par des papules papillomateuses, de localisationbuccale et gingivale, parfois coalescentes à l’origine d’unedisposition pavimenteuse caractéristique (40%) (fig. 82.6).Une extension à l’oropharynx, la langue, le larynx, la mu-queuse nasale et anogénitale est possible. Histologique-ment, les lésions muqueuses correspondent le plus souvent

Critères diagnostiques de la maladie de Cowden

82.A

Critères pathognomoniques

Lésions cutanéomuqueuses :

− Trichilemmomes du visage

− Kératoses acrales

− Papules papillomateuses

− Lésions muqueuses

Critères majeurs

Cancer mammaire

Cancer thyroïdien (non médullaire), en particulier de type folliculaire

Macrocéphalie (� 95e percentile)

Maladie de Lhermitte-Duclos

Cancer de l’endomètre

Critères mineurs

Autres lésions thyroïdiennes (adénome, goitre multinodulaire)

Retard mental (QI � 75)

Hamartomes gastro-intestinaux

Maladie fibrokystique du sein

Lipomes

Fibromes

Malformations ou tumeurs génito-urinaires (cancer, fibrome utérin)

Critères diagnostiques individuels

1. Lésions cutanéomuqueuses seules si :

a. Présence de 6 ou plus papules faciales, dont au moins trois

sont des trichilemnomes, ou

b. Papules cutanées faciales et papillomatose orale muqueuse,

ou

c. Papillomatose orale muqueuse et kératose acrale, ou

d. Kératoses palmo-plantaires (au moins 6 lésions)

ou

2. Deux critères majeurs dont au moins un comprend la macrocéphalie

ou la maladie de Lhermitte-Duclos ou

3. Un critère majeur et trois critères mineurs ou

4. 4 critères mineurs

Critères diagnostiques au sein d’une famille dont un membre

est atteint demaladie de Cowden

1. Un critère pathognomonique ou

2. Un des critères majeurs avec ou sans critère mineur ou

3. Deux critères mineurs

à des fibromes bénins ou à une hyperplasie fibroépithéliale.Les neuromes cutanéomuqueux constituent une manifesta-tion cutanée parfois précoce et présente dans 5 à 10 % descas ⁹,¹⁰. Ils siègent préférentiellement sur les extrémités,à la différence des neuromes cutanéomuqueux observéspréférentiellement sur les zones péri-orificielles du visageet des muqueuses au cours de la néoplasie endocriniennemultiple de type 2B (NEM2B).Les autres lésions cutanées observées comprennent les lym-phangiokératomes ¹¹, les xanthomes, les collagénomes detype storiforme ¹² (fig. 82.7), les taches café au lait, la languescrotale, les lentigines péri-orales et acrales, l’acanthosisnigricans et le vitiligo. Une prédisposition héréditaire auxcancers cutanés n’est pas prouvée, même si des observa-

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Maladie de Cowden et syndrome des hamartomes par mutation du gène PTEN 82-5

� IRM imagerie par résonance magnétique

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Fig. 82.4 Trichilemmomes du front au cours d’une maladie de Cowden :

papules verruqueuses couleur peau normale

tions de carcinomes basocellulaires et épidermoïdes, demélanome, de carcinome de Merkel et de carcinome trichi-lemmal sont décrites.Les principales manifestations extracutanées du syndromede Cowden sont :− gastro-intestinales (70 à 85%), constituées par des po-

lypes, le plus souvent bénins, de taille variable (1 mm àplusieurs centimètres) et localisés surtout au niveau co-lique,plus rarementdans l’intestin grêle, l’œsophage oul’estomac. Leur histologie est non spécifique, hamarto-mateuse, lipomateuse, fibromateuse ou adénomateuseet leur risque de transformation maligne exceptionnel ;

− mammaires, marquées par le risque de maladie fibro-kystique du sein chez 2/3 des femmes atteintes et unrisque de carcinome mammaire estimé approximative-ment à 20%. Il s’agit préférentiellement d’adénocarci-nome canalaire, bilatéral dans deux tiers des cas et sur-venant une dizaine d’années plus précocement qu’aucours des formes sporadiques. Des cancers mammaireschez l’homme sont également rapportés mais leur fré-quence n’est pas connue ;

− thyroïdiennes, constituées par un risque de maladiethyroïdienne (goitre multinodulaire, adénomes folli-culaires, nodule thyroïdien) chez 2/3 des patients etun risque de carcinome thyroïdien (surtout adénocarci-nome folliculaire) estimé entre 7 et 10% ;

− gynécologiques, marqué par l’augmentation du risquede cancer de l’endomètre estimé entre 5 et 10% et lerisque élevé de kystes ovariens (près d’1/4 des cas) ;

− neurologiques (20%) dont la maladie de Lhermitte-Duclos ou gangliocytome dysplasique cérébelleux ca-ractérisé par une lésion hamartomateuse de la fossepostérieure, et qui constitue un des marqueurs de lamaladie de Cowden.

De nombreux autres cancers non cutanés sont décrits defaçon sporadique : adénocarcinome pulmonaire, carcinomeovarien, carcinome pancréatique, carcinome transitionnelvésical, leucémie aiguë myéloïde, lymphome non hodgki-nien,mélanome, liposarcome, carcinome à cellules clairesrénal, hépatocarcinome.

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Fig. 82.5 Lésions hyperkératosiques verruqueuses acrales au cours d’une

maladie de Cowden

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Fig. 82.6 Papules papillomateuses coalescentes à disposition

pavimenteuse de la gencive supérieure au cours de la maladie de Cowden

La prise en charge de patients atteints de maladie deCowden/syndrome de Bannayan-Riley-Ruvalcaba ou depatients porteurs de mutation délétère du gène PTEN re-pose sur le dépistage d’éventuelles tumeurs malignes. Unexamen physique annuel détaillé est proposé dès l’âge de18 ans, ou 5 ans plus tôt que le cas de cancer le plus précocediagnostiqué dans la famille. Il comprend un examen com-plet du tégument cutané et des muqueuses, une palpationthyroïdienne etmammaire (avec enseignement et encou-ragement à l’autopalpation) et des examens paracliniquesorientés :− mammaires : IRM mammaire annuelle à partir de l’âge

de 20-25 ans, ou 5 à 10 ans plus tôt que le cancer dusein le plus précoce connu dans la famille ;

− thyroïdiens : échographie thyroïdienne à partir de l’âgede 10 ans, répétée annuellement ;

− utérins : examen gynécologique complet avec frottistous les ans et biopsies endométriales à l’aveugle an-nuelles à partir de l’âge de 35-40 ans, ou 5 ans plustôt que le cancer de l’endomètre le plus précoce connudans la famille, complété d’une échographie pelvienneannuelle post-ménopausique ;

− rénaux : cytologie urinaire annuelle (recherche d’héma-turie) et échographie rénale en cas d’antécédent fami-lial de cancer du rein.

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82-6 Maladies rares digestives et dermatologiques

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Fig. 82.7 Collagénome storiforme au cours d’une maladie de Cowden :

nodule scléreux du dos

Le traitement des lésions cutanées faciales n’est pas codi-fié et décevant. Le 5-fluorouracil en application locale, lesrétinoïdes oraux, la cryochirurgie, la dermabrasion et l’abra-sion par laser sont le plus souvent d’efficacité incomplèteet les récidives fréquentes. Le traitement chirurgical des lé-sions muqueuses buccales s’accompagne majoritairementde récidives.

Syndrome de Muir-Torre

Le syndrome de Muir-Torre est une affection héréditairerare, caractérisée par le développement de tumeurs à diffé-renciation sébacée ou de kératoacanthomes, associée defaçon simultanée ou séquentielle à une ou plusieurs tu-meurs viscérales malignes, en particulier colorectale, en-dométriale et génito-urinaire ¹³-¹⁶. Sa transmission est au-tosomique dominante mais sa pénétrance et son expres-sivité sont variables. Il est lié le plus souvent à une muta-tion d’un des gènes MMR (pour mismatch repair) majori-tairement hMSH2, plus rarement hMLH1. Ces gènes sontimpliqués dans le système de réparation des mésapparie-ments de l’ADN et la présence d’une mutation germinaleallélique d’un de ces gènes est une cause reconnue de pré-disposition au cancer colorectal héréditaire sans polypose(HNPCC pour hereditary non polyposis colorectal cancer) ousyndrome de Lynch. Le syndrome de Muir-Torre est actuel-lement considéré comme une variante phénotypique dusyndrome HNPCC. La plupart des observations sont rap-portées chez des patients à peau dite blanche, avec uneprédominance masculine (3H/2F). L’âge de survenue de lapremière tumeur viscérale maligne varie entre 23 et 89 ans,avec une moyenne de 53 ans.Les manifestations cutanées se caractérisent par des tu-meurs à différenciation sébacée (adénome, épithélioma, tu-meur kystique, carcinomes) de classification histologiqueparfois difficile et des kératoacanthomes. La présence d’uneou plusieurs tumeurs cutanées sébacées (restreintes auxadénomes, épithéliomas et carcinomes) en association avecau moins un cancer viscéral définit le syndrome de Muir-Torre. Les tumeurs cutanées varient en nombre, de la lésionunique à une centaine de lésions disséminées. Elles se dé-

veloppent dans près de 60% des cas après le diagnostic dela première tumeur viscérale maligne, dans 6 % des cas defaçon concomitante et peuvent précéder le diagnostic decancer viscéral dans près de 20% des cas.L’adénome sébacé est la tumeur cutanée la plus commune.Elle esthistologiquement composée de lobules glandulairessébacés de taille variable et incomplètement différenciés,contenant des cellules basaloïdes en périphérie et des élé-ments sébacés matures (vacuoles cytoplasmiques carac-téristiques) au centre (fig. 82.8). Ces tumeurs rares appa-raissent généralement comme des papules ou des nodulesde couleur peau normale à jaune-rosée, de topographie ubi-quitaire mais localisés avec prédilection sur le visage et lescalp (fig. 82.9). L’épithélioma sébacé (sébacéome) est simi-laire au carcinome basocellulaire mais avec une différen-ciation sébacée. Le carcinome sébacé est constitué d’uneprolifération épithéliale maligne intradermique non encap-sulée, infiltrant volontiers les tissus cutanés profonds. Salocalisation palpébrale, en particulier sur la paupière supé-rieure, est fréquente et développée généralement à partirdes glandes de Meibomius, parfois à partir des glandesde Zeiss. Cliniquement, il s’agit d’un nodule ferme, jauneayant tendance à s’ulcérer et à envahir le tissu adipeux orbi-taire. Au stade débutant, il peut être confondu avec un cha-lazion ou révélé par une blépharo-conjonctivite chronique.Son évolution est imprévisible,marquée par un risque de

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Fig. 82.8 Examen histologique d’un adénome sébacé : lobules

glandulaires sébacés contenant des cellules basaloïdes en périphérie et

des éléments sébacés matures (vacuoles cytoplasmiques) au centre

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Syndrome de Howel-Evans 82-7

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Fig. 82.9 Adénomes sébacés du visage au cours d’un syndrome de

Muir-Torre

dissémination métastatique. Dans 30% des cas, le carci-nome sébacé est associé au syndrome de Muir-Torre. Les tu-meurs kystiques sébacées constituent des marqueurs trèsspécifiques, presque constamment associées au syndromede Muir-Torre. Cliniquement, il s’agit de nodules cutanésd’une taille variant entre 1 à 2 cm et localisés avec prédi-lection sur le tronc. Histologiquement, ils sont constituéspar des structures kystiques non connectées à l’épidermeet ils regroupent un spectre de lésions histologiques allantde l’adénome sébacé kystique aux tumeurs proliférativeskystiques sébacées, ces dernières correspondant peut-êtreà des carcinomes sébacés bien différenciés. Les autres tu-meurs sébacées bénignes communes, comme l’hyperplasiesébacée ou le stéatocystome, ne sont pas associées préféren-tiellement avec le syndrome de Muir-Torre. Les kératoacan-thomes au cours du syndrome de Muir-Torre ne peuventêtre différenciés des formes sporadiques, mais la présenced’une différenciation histologique sébacée est évocatrice.De même la coexistence au sein d’une même lésion d’un adé-nome sébacé et d’un kératoacanthome (séboacanthome)est très suggestive du syndrome de Muir-Torre. La possi-bilité de kératoacanthomes sans tumeur à différenciationsébacée au cours du syndrome de Muir-Torre a été rappor-tée.Le risque de cancer viscéral est particulièrement importantpour le carcinome colorectal (de l’ordre de 50%) et le cancerde l’endomètre (de l’ordre de 40%), le cancer des ovaires (del’ordre de 10%) et les carcinomes des voies urinaires hautesà cellules transitionnelles comprenant la vessie, les reins etles uretères. Les autres cancers rapportés sont mammaires,pulmonaires, gastriques, parotidiens, laryngés et des hé-mopathies malignes. Les cancers sont multiples dans prèsd’un cas sur deux (jusqu’à quatre cancers chez un mêmeindividu dans 10% des cas). Le cancer colique associé ausyndrome de Muir-Torre débute en moyenne vers l’âge de50 ans, soit 15 à 20 ans plus précocement que dans la po-pulation générale.

Les études moléculaires chez les patients atteints de syn-drome de Muir-Torre ontmis en évidence une instabilitédes séquences microsatellites du génome dans les tumeurscutanées sébacées et les carcinomes colorectaux ¹⁷. Les mi-crosatellites sont des séquences d’ADN constituées d’unerépétition de 1 à 4 bases, distribuées sur l’ensemble du gé-nome. L’absence de réparation des erreurs de réplication del’ADN aboutit à l’instabilité de ces microsatellites et consti-tue un marqueur de déficience des gènesMMR, en particu-lier au cours des mutations des gènes hMLH1 et hMSH2.Cette instabilitédes microsatellites peut se rechercher direc-tement au niveau tissulaire par test génétique moléculaire.Elle peut indirectement être objectivée sur le plan immu-nohistochimique par l’absence d’expression nucléaire desprotéines MSH2 et MSH6 (avec laquelle MSH2 forme nor-malement un hétérodimère) dans les tumeurs cutanées etcoliques en comparaison avec le tissu sain adjacent.La prise en charge de patients atteints de syndrome deMuir-Torre ou de patients porteurs de mutation délétèredes gènes hMSH2 ou hMLH1 repose sur la prévention, le dé-pistage et la prise en charge des cancers colorectaux,de l’uté-rus et des éventuels carcinomes sébacés. Elle comprend unexamen annuel complet du tégument cutané et des mu-queuses, une palpation mammaire et des examens paracli-niques orientés :− une coloscopie tous les deux ans à partir de l’âge de

20 ans ;− un examen gynécologique annuel avec une échographie

+/– transvaginale utérine avec mesure de l’épaisseurutérine et +/– des biopsies endométriales dès l’âge de30 ans.

En revanche les modalités de dépistage des autres cancersne font pas l’objet de consensus en raison de leur faible pré-valence. Une gastroscopie et une échographie de l’abdomenet des voies génito-urinaires (ou une tomodensitométrie ab-dominale et pelvienne) tous les un à deux ans doivent êtreenvisagées en cas d’antécédent familial de cancer gastriqueou des voies génito-urinaires.Le traitement des tumeurs sébacées bénignes et des kéra-toacanthomes repose sur l’excision chirurgicale ou la cryo-thérapie. En cas de carcinome sébacé, une excision largeavec une marge de 5-6mm est le traitement de premièreintention. Les rétinoïdes oraux, associés ou non à l’IFN α2aont été proposés avec succès dans le traitement préventifdes lésions cutanées sébacées et des kératoacanthomes.

Syndrome de Howel-Evans

Transmis sur un mode autosomique dominant avec un lo-cus morbide situé sur le chromosome 17q, ce syndromeexceptionnel se manifeste parune kératodermie palmoplan-taire à caractère focal ¹⁸. Les paumes peuvent être respec-tées ¹⁹. Deux types ont été identifiés ¹⁹,²⁰ : le type A danslequel la kératodermie apparaît tardivement, entre 5 et15 ans, et le type B qui est généralement diagnostiqué à lanaissance ou au cours des premières années de vie et dans le-quel les aires kératodermiques sont bien limitées et d’épais-seur uniforme. La distinction est importante puisque l’as-

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82-8 Maladies rares digestives et dermatologiques

sociation aux cancers n’est significative que pour le type A.C’est le carcinome épidermoïde de l’œsophage qui a été rap-porté dans les premières publications ²⁰ avec un risque trèsélevé aux alentours de 90%. Depuis, d’autres cancers, dela peau, de l’estomac, du larynx et des bronches ¹⁹ ont étédécrits.

Syndrome de Cronkhite-Canada

Non héréditaire, ce syndrome exceptionnel d’étiologie in-connue qui apparaît chez des sujets d’âge moyen associeune polypose gastro-intestinale diffuse avec tableau clinico-biologique d’entéropathie exsudative et des manifestationscutanéophanériennes de nature carentielle : pigmentationdiffuse de type addisonienne plus accentuée sur le visage,le cou et les extrémités (dos des mains, face palmaire desdoigts, paumes et plantes) ; alopécie initialement en aireset d’évolution rapide ; dystrophie de tous les ongles desdoigts et des orteils, signe le plus constant de la maladie ²¹.Des lésions bulleuses dont le mécanisme reste à préciseront également déjà été observées. La régression de ces ma-nifestations durant les phases d’amélioration digestive ouaprès correction des anomalies biologiques est possiblemais en fait rarement constatée.Inaugurée habituellement par une diarrhée, des douleursabdominales, un amaigrissement et des œdèmes, l’affec-tion dont l’évolution est lentement progressive peut par-fois être stabilisée par une corticothérapie et une assistancenutritionnelle ²². Récemment, des auteurs japonais ont rap-porté la rémission des signes extradigestifs ainsi que de lapolypose après traitement à visée anti-Helicobacter pylori ²³.Les anti-histaminiques à forte dose, associés à l’azathio-prine, peuvent également constituer une alternative thé-rapeutique ²⁴. Le pronostic est néanmoins réservé avec untaux de mortalité chiffré à 55% à 5 ans. Bien qu’inflamma-toire et hamartomateuse, la polypose comporte un risquede dégénérescence estimé à 15% ²⁵.

Maladie de Degos

La maladie de Degos ou papulose atrophiante maligneest une affection systémique très rare (moins de 200 casdécrits) de cause inconnue, touchant préférentiellementl’adulte jeune, mais des cas pédiatriques ont été rappor-tés ²⁶. Bien que quelques cas familiaux aient été décrits, laplupart des observations sont sporadiques. Il n’existe pasde traitement et l’évolution est le plus souvent fatale, deuxtiers des malades décédant dans les deux ans qui suiventl’apparition de la maladie. Elle est caractérisée par une vas-culite thrombosante des petits vaisseaux, responsable denombreux micro-infarctus de la peau, du tube digestif, dusystème nerveux central atteint dans 20% des cas, et plusrarement d’autres organes. Les lésions cutanées, toujoursprésentes et souvent révélatrices, sont caractéristiques. Ils’agit initialement de papules érythémateuses non prurigi-neuses dont la surface devient rapidement atrophique etde teinte blanchâtre, porcelainée. Les lésions, cerclées parun fin liseré érythémateux, évoluent vers une cicatrice atro-

Coll.

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Fig. 82.10 Maladie de Degos : papules atrophiques porcelainées à

centre blanchâtre et cernées d’un fin liseré érythémateux

phique (fig. 82.10). Elles sont en nombre très variable et d’âgedifférent du fait de l’évolution par poussées. Elles siègentessentiellement sur le tronc et les membres supérieurs.Les lésions digestives présentes dans près de 60% des cass’observent souvent dans les mois ou années qui suiventl’apparition des signes cutanés. Elles se traduisent par desmanifestations non spécifiques à type de diarrhée, vomisse-ment, malabsorption, ou un tableau chirurgical par perfo-ration intestinale qui peut être inaugurale ²⁷. Les infarctusréalisant les mêmes lésions blanchâtres que sur la peaupeuvent siéger sur tout le tractus digestif (surtout l’intes-tin grêle)mais également les autres organes abdominaux.Les manifestations neurologiques sont à type d’infarctuscérébrauxmultiples, de thromboses des sinus veineux etd’hématomes sous-duraux.Il existe des formes qui semblent uniquement cutanéeset qui de ce fait seraient de bon pronostic ²⁸. Il faut cepen-dant savoir que le délai d’apparition des manifestationssystémiques peut être supérieur à 12 ans. Un bilan d’auto-immunité et de thrombophilie doit être systématique enprésence de lésions cutanées évocatrices car il a été suggéréque la maladie de Degos ne serait pas une entité propremais correspondrait à une forme clinique rare de maladiede système, lupus principalement, mais aussi dermatomyo-site, sclérodermie, voire maladie de Crohn ²⁶.Des anticorpsantiphospholipides ont été trouvés chez certains maladessans signification précise.Aucun des nombreux traitements essayés n’est efficace :anti-thrombotiques, fibrinolytiques, héparine, corticoïdes,azathioprine, stanozolol, échanges plasmatiques et récem-ment, immunoglobulines intraveineuses et infliximab ²⁹.

Syndrome du blue rubber bleb naevus

Plus souvent sporadique que transmis en dominance auto-somique, ce syndrome isolé par Bean est une angiomatoseveineuse cutanéodigestive rare : environ 200 cas rappor-

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Références 82-9

tés dans la littérature anglo-saxone. Présentes dès la nais-sance ³⁰ ou apparaissant dans l’enfance, les lésions cutanéessont bleuâtres, saillantes, dépressibles et de consistanceélastique d’où leur comparaison à des tétines de caoutchouc(fig. 82.11). Pouvant siéger en n’importe quel point du tégu-ment ainsi que sur les muqueuses buccales ou génitales,ces lésions mesurent de 0,5 à 3 cm de diamètre, sont ennombre variable et ont tendance à se multiplier au coursde la vie. Indolores ou sensibles spontanément ou à la pres-sion, elles peuvent être associées à des nappes ou massesde malformations capillaroveineuses ainsi qu’à des maculesbleutées qui traduisent la présence de lésions situées plusprofondément dans la peau.La gravité de ce syndrome tient aux localisations diges-tives quasi constantes qui peuvent siéger sur l’ensembledu tractus. Souvent asymptomatique, sans aucune corréla-tion avec le nombre de lésions cutanées, cette atteinte està rechercher systématiquement par endoscopie et vidéo-capsule dont l’intérêt est évident compte tenu de la pré-dominance des lésions dans l’intestin grêle ³¹. Elle peutêtre responsable d’invaginations intestinales mais surtoutd’hémorragies aiguës ou occultes révélées par une anémieferriprive. La numération sanguine apparaît ainsi commeun élément de surveillance essentiel. Le traitement de ceslésions digestives est difficile et fait appel à la photocoa-gulation par laser, à la sclérothérapie ou à la chirurgie quipour certains auteurs ³² devrait être systématiquement en-visagée au lieu d’être réservée au traitement d’urgence deshémorragies. Les autres atteintes viscérales (hépatiques,cérébrales, génito-urinaires) sont exceptionnelles.

Coll.

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Fig. 82.11 Papules et nodules bleuâtres saillants en tétine du thorax au

cours du syndrome du blue rubber bleb naevus

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82-10 Maladies rares digestives et dermatologiques

Toute référence à ce chapitre devra porter la mention : Delaporte E, Bessis D. Maladies rares digestives et dermatologiques. In : Bessis D, Francès C, Guillot B, Guilhou JJ, éds, Dermatologie et Médecine,

vol. 4 : Manifestations dermatologiques des maladies d’organes. Springer-Verlag France, 2011 : 82.1-82.10.

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