Mandala

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MAṆḌALA Article écrit par Odette J. MONOD Prise de vue Le maṇḍala (terme sanskrit signifiant « cercle » ; en tibétain, dkyil-'khor) est l'expression d'un concept cosmologique qu'énoncent les textes anciens de l'Inde et que l'on traduit plastiquement sous des aspects variés. Il joue un rôle mystique et rituel dans les religions issues de l'Inde, notamment dans l'hindouisme, le bouddhisme lamaïque tibétain et le bouddhisme ésotérique japonais. Les diverses conceptions plastiques du maṇḍala offrent des points communs. En effet, qu'il soit construit pour des fins provisoires en matériau léger ou bien d'une manière durable, tel un monument architectural, qu'il soit peint sur toile ou qu'il figure en ronde bosse tel un objet, le maṇḍala est caractérisé par son plan. Celui-ci se présente – avec de nombreuses variantes – comme un diagramme géométrique centré autour d'un axe et orienté. Il figure la projection d'un cosmos divin sur une surface plane. La conception du maṇḍala se rattache à des notions de cosmologie fort anciennes et largement répandues, qui se sont développées surtout dans les pays influencés par la vieille culture de l'Inde, mais aussi dans le monde ancien chinois (certains auteurs situent même ses racines dans la Chine prébouddhique). Cependant, son origine serait bien antérieure, puisqu'il viendrait de la Mésopotamie (ziggourat). À ces notions se rattachent également des principes de relation entre le microcosme et le macrocosme, émanant des doctrines du Yoga. C'est ainsi que furent établies des correspondances entre le corps humain (le fidèle réalise un maṇḍala dans son propre corps), le plan de la maison, le schéma du palais royal, celui du monarque universel (cakravartin) et le plan d'un univers divin (maṇḍala). I-Rite de libération et symbolique spatio-temporelle En Inde, l'aspect le plus ancien du maṇḍala remonterait à l'époque védique où le sacrifice, cérémonie essentielle du védisme, était exécuté sur un autel (symbole de l'univers et du temps cosmique) placé au centre d'une aire consacrée, sorte de « cercle magique ». L'usage du maṇḍala proprement dit se développe dans le monde indien (et japonais) à l'époque où le bouddhisme, dans sa phase tardive (vajrayāna, véhicule du diamant), acquiert un contenu de plus en plus ésotérique. Il prend toute son ampleur avec l'enrichissement du mysticisme spéculatif et du ritualisme qui caractérise le tantrisme hindouiste et bouddhique. D'une manière générale, le maṇḍala compose l'essentiel d'un rite de libération. Mais ses fonctions sont diverses : il peut former le cadre d'un rituel initiatique et, d'autre part, constituer un moyen magique de coercition. Image réfléchie d'un cosmos divin, le maṇḍala assemble par ordre hiérarchique, selon les données imposées par les textes sacrés, un peuple de divinités groupées autour de la divinité principale. Cette assemblée devient symboliquement présente et efficace par l'effet de la méditation de l'officiant. C'est au cours d'ultimes épreuves d'initiation que le novice est admis à accéder dans le maṇḍala, sorte de labyrinthe où il pénètre accompagné de l'officiant (sādtaka), son maître. Par un long cheminement ponctué d'épreuves, il doit parvenir au centre de cet univers pour se confondre avec la divinité suprême, atteignant ainsi la délivrance finale. Mais, pour que l'opération réussisse, il faut avoir choisi, dans le temps, le moment astrologiquement auspicieux et, dans l'espace, le lieu favorable à l'installation du maṇḍala. En ce lieu, consacré par l'exécution de rites relatifs à la prise de possession du terrain, on établit, à l'aide de cordons, de sable et de poudres de couleur, les multiples enceintes concentriques percées de portes placées aux quatre orients. Quand le rite d'initiation est terminé, ce temple provisoire doit être détruit et les éléments de couleur sont jetés à la rivière. Mandala, E. Haas Moines de l'école bouddhique du Kalacakra construisant un mandala à l'aide de sables colorés.(Ernst Haas Courtesy of Hulton Getty) À l'exécution du rite qu'accomplit le novice en cheminant dans un espace restreint à travers un maṇḍala temporaire, on peut associer les rites des pèlerinages qui se déroulent aussi selon des itinéraires déterminés

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  • MAALA

    Article crit par Odette J. MONOD

    Prise de vue

    Le maala (terme sanskrit signifiant cercle; en tibtain, dkyil-'khor) est l'expression d'un conceptcosmologique qu'noncent les textes anciens de l'Inde et que l'on traduit plastiquement sous des aspectsvaris. Il joue un rle mystique et rituel dans les religions issues de l'Inde, notamment dans l'hindouisme, lebouddhisme lamaque tibtain et le bouddhisme sotrique japonais. Les diverses conceptions plastiques dumaala offrent des points communs. En effet, qu'il soit construit pour des fins provisoires en matriau lgerou bien d'une manire durable, tel un monument architectural, qu'il soit peint sur toile ou qu'il figure enronde bosse tel un objet, le maala est caractris par son plan. Celui-ci se prsente avec de nombreusesvariantes comme un diagramme gomtrique centr autour d'un axe et orient. Il figure la projection d'uncosmos divin sur une surface plane. La conception du maala se rattache des notions de cosmologie fortanciennes et largement rpandues, qui se sont dveloppes surtout dans les pays influencs par la vieilleculture de l'Inde, mais aussi dans le monde ancien chinois (certains auteurs situent mme ses racines dansla Chine prbouddhique). Cependant, son origine serait bien antrieure, puisqu'il viendrait de laMsopotamie (ziggourat). ces notions se rattachent galement des principes de relation entre lemicrocosme et le macrocosme, manant des doctrines du Yoga. C'est ainsi que furent tablies descorrespondances entre le corps humain (le fidle ralise un maala dans son propre corps), le plan de lamaison, le schma du palais royal, celui du monarque universel (cakravartin) et le plan d'un univers divin(maala).

    I-Rite de libration et symbolique spatio-temporelle

    En Inde, l'aspect le plus ancien du maala remonterait l'poque vdique o le sacrifice, crmonieessentielle du vdisme, tait excut sur un autel (symbole de l'univers et du temps cosmique) plac aucentre d'une aire consacre, sorte de cercle magique. L'usage du maala proprement dit se dveloppedans le monde indien (et japonais) l'poque o le bouddhisme, dans sa phase tardive (vajrayna, vhiculedu diamant), acquiert un contenu de plus en plus sotrique. Il prend toute son ampleur avecl'enrichissement du mysticisme spculatif et du ritualisme qui caractrise le tantrisme hindouiste etbouddhique. D'une manire gnrale, le maala compose l'essentiel d'un rite de libration. Mais sesfonctions sont diverses: il peut former le cadre d'un rituel initiatique et, d'autre part, constituer un moyenmagique de coercition. Image rflchie d'un cosmos divin, le maala assemble par ordre hirarchique, selonles donnes imposes par les textes sacrs, un peuple de divinits groupes autour de la divinit principale.Cette assemble devient symboliquement prsente et efficace par l'effet de la mditation de l'officiant. C'estau cours d'ultimes preuves d'initiation que le novice est admis accder dans le maala, sorte delabyrinthe o il pntre accompagn de l'officiant (sdtaka), son matre. Par un long cheminement ponctud'preuves, il doit parvenir au centre de cet univers pour se confondre avec la divinit suprme, atteignantainsi la dlivrance finale. Mais, pour que l'opration russisse, il faut avoir choisi, dans le temps, le momentastrologiquement auspicieux et, dans l'espace, le lieu favorable l'installation du maala. En ce lieu,consacr par l'excution de rites relatifs la prise de possession du terrain, on tablit, l'aide de cordons, desable et de poudres de couleur, les multiples enceintes concentriques perces de portes places aux quatreorients. Quand le rite d'initiation est termin, ce temple provisoire doit tre dtruit et les lments de couleursont jets la rivire.

    Mandala, E. Haas

    Moines de l'cole bouddhique du Kalacakra construisant un mandala l'aide de sablescolors.(Ernst Haas Courtesy of Hulton Getty)

    l'excution du rite qu'accomplit le novice en cheminant dans un espace restreint travers un maala temporaire, on peut associer les rites des plerinages qui se droulent aussi selon des itinraires dtermins

  • et ponctus de stations. Certains plerinages constituent un immense circuit d'une dure de plusieurs mois.

    Aux maala temporaires, qui se prsentent comme des diagrammes tracs sur le sol, correspondent lesplans de monuments appareills (bouddhiques ou brahmaniques), qui peuvent atteindre des dimensionsconsidrables. Citons, par exemple, au Tibet, le temple de Samye (bSam-yas, VIIIes.), vritable maala dontl'amnagement (purification et dlimitation du sol, dification des divers lments architecturaux) fut conucomme ayant valeur la fois d'un rite d'exorcisme en vue de rduire nant la puissance des dmonssouterrains locaux qui s'opposaient l'installation du bouddhisme au Tibet et d'un rite solenneld'implantation au Tibet du cosmos bouddhique. Citons, au Tibet encore, le vaste ensemble architectural duKumbum de Gyantse (Tsang), dont les innombrables chapelles aux cent mille images constituent lesupport d'un macrocosme parfaitement organis, que le fidle parcourt peu peu pour aboutir l'ultimechapelle, centre figur o rside la divinit suprme de cet univers. Ce dernier sanctuaire (XIIIes.?) rappellepar sa structure le clbre stpa de Borobuur (Java, IXes.), la fois temple-montagne en lvation etmaala par son plan. Les enceintes successives que l'on traverse pour pntrer jusqu'au cur dusanctuaire-maala sont reprsentes ici par les tages successifs d'une pyramide gradins au sommet delaquelle sige le Buddha primordial.

    II-Mditation et offrande cosmique

    Si le passage du microcosme au macrocosme peut tre excut symboliquement par diversdplacements, il peut galement s'effectuer par un acte mental: soit en prsence d'un maala tabli telleune sorte de maquette architecturale, soit devant un maala peint sur toile. Dans chacun de ces deux cas,les maala sont utiliss comme support de mditation par l'officiant qui, par l'effet de l'intenseconcentration de sa pense, parvient voquer le cosmos donn et l'animer. Ici encore, c'est la divinitcentrale que le fidle tend s'intgrer. Les maala peints sur toile sont connus grce aux belles peinturesexcutes par les Npalais, et surtout par les Tibtains passs matres en ce genre. Chefs-d'uvre d'artabstrait (aux harmonies souvent clatantes) pour les amateurs occidentaux, ils sont pourtant objetsrituels et sacrs dont les moindres dtails sont dicts l'artiste par les textes canoniques. Il existe unegrande varit de maala peints, dont l'ordonnance diffre selon les catgories, les sectes religieuses ou ladivinit principale. Au Tibet, des lments communs prdominent, ayant chacun une valeur symboliquedtermine. Le maala proprement dit est limit par trois ou quatre cercles concentriques: le cercle du feu(ou de la connaissance), le cercle des cimetires (ou du monde des sensations), le cercle des vajra (ou de lastabilit) et celui du lotus (ou du monde spirituel). l'intrieur de ce dernier, plusieurs carrs concentriquesfigurent des enceintes successives. Chacune de leurs faces est perce en son milieu par un passagesurmont d'un portique en T. Au centre de ce diagramme, enfin, un lotus huit ptales abrite en son cur ladivinit suprme.

    En gnral, les divinits sont reprsentes par leur image. Cependant, pour certaines catgories demaala qu'utilisent surtout les sectes du bouddhisme sotrique japonais, la prsence des divinits estsuggre par des symboles conventionnels: par un attribut de la divinit pour le Samaya maala; par unesyllabe magique note par un caractre ou un groupe de caractres alphabtiques (supposs contenir enabrg l'essence de la divinit) pour le Bja (semence) maala.

    Le maala se prte encore d'autres formes de rituel. L'un des plus rpandus (issu de l'Inde) consisteen l'offrande de l'Univers la divinit qui se voit, en effet, proposer par l'officiant l'ensemble des mondescosmiques sous forme d'un maala-objet. Si ce dernier se prsente le plus souvent simplifi, telle une petitepyramide (de pte ou de riz) tages circulaires, il existe, au Tibet, des spcimens sculpts en bronze dor,magnifiquement labors: sur un tambour cylindrique o sont graves les ondes des ocans se dresse, aucentre, le mont Meru (axe du monde et demeure du grand dieu Indra) entour aux quatre orients par lescontinents cosmiques que peuplent divinits et symboles divers sous forme de petites figurines.

    Enfin, signalons qu'aux yeux de diverses sectes religieuses le maala implique un certain symbolismesexuel que s'efforce d'analyser l'cole psychanalytique de C.G.Jung.

    Odette J. MONOD

  • Bibliographie G.BGUIN, Mandala. Diagrammes sotriques du Npal et du Tibet au muse Guimet, Findakly, Paris, 1993; Les Mandala himalayens

    du muse Guimet, catal. expos., R.M.N., Paris, 1981

    M.BRAUEN, Mandala: cercle sacr du bouddhisme tibtain, trad. de lall. J.-D.Pellet, Favre, Paris, 2004

    S. KRAMRISCH, Hindu Temple, Calcutta, 1946

    D.P.LEIDY & R.A.F.THURMAN, Mandala: The Architecture of Enlightenment, Shambhala, Boston, 1997

    A. MACDONALD, Le Maala du Majurmulakalpa, Paris, 1962

    M.T. DE MALLMANN, tude iconographique sur Majur, Paris, 1964

    O.MONOD, Peintures tibtaines, Paris, 1954

    P. MUS, Barabudur, in Bull. cole fran. Extrme-Orient, 1932-1933-1934

    R. TAJIMA, Les Deux Grands Maalas et la doctrine de l'sotrisme Shingon, in Bull. Maison franco-japonaise, nouv. sr., noVI,Tky-Paris, 1959

    G.TUCCI, Tibetan Painted Scrolls, Rome, 1949; The Theory and Practice of the Maala, Londres, 1961.

    Prise de vue