Se p t e n t r i o n

les aventures de radisson

1 • L’enfer ne brûle pas

M a r t i n F o u r n i e r

L E S A V E N T U R E S D E R A D I S S O N

T O M E 1

Se p t e n t r i o n

les aventures de radisson

1 • L’enfer ne brûle pas

M a r t i n F o u r n i e r

Pour effectuer une recherche libre par mot-clé à l’intérieur de cet ouvrage, rendez-vous sur notre site Internet au www.septentrion.qc.ca

Les éditions du Septentrion remercient le Conseil des Arts du Canada et la Société de dévelop pement des entreprises culturelles du Québec (SODEC) pour le soutien accordé à leur programme d’édition, ainsi que le gouvernement du Québec pour son Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres. Nous reconnaissons éga lement l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada (FLC) pour nos activités d’édition.

Direction littéraire : Éric Simard

Illustration de la couverture : Jean-Michel Girard

Révision : France Brûlé

Correction d’épreuves : Marie-Michèle Rheault

Mise en pages et maquette de couverture : Pierre-Louis Cauchon

Si vous désirez être tenu au courant des publicationsdes ÉDITIONS DU SEPTENTRIONvous pouvez nous écrire par courrier,par courriel à sept@septentrion.qc.ca,par télécopieur au 418 527-4978ou consulter notre catalogue sur Internet :www.septentrion.qc.ca

© Les éditions du Septentrion Diffusion au Canada :1300, av. Maguire Diffusion DimediaQuébec (Québec) 539, boul. LebeauG1T 1Z3 Saint-Laurent (Québec) H4N 1S2Dépôt légal :Bibliothèque et Archivesnationales du Québec, 2011 Ventes en Europe :ISBN papier : 978-2-89448-647-4 Distribution du Nouveau MondeISBN PDF : 978-2-89664-618-0 30, rue Gay-LussacISBN EPUB : 978-2-89664-647-0 75005 Paris

7

PRÉFACE

J e cherche depuis toujours les mots pour le dire. Depuis des années et des années, je voyage

avec des fantômes, des esprits oubliés, dans des époques mal connues ou des moments survolés du passé. Le premier étonnement du voyageur dans le temps, c’est le silence profond qui règne dans notre mémoire. Comment avons-nous pu, comment pouvons-nous encore taire d’aussi belles histoires ? Nous les francophones nord-américains, autrefois appelés « Canadiens » ou encore « Créoles » – ce qui revenait au même –, nous dont les ancêtres étaient, chez eux dans les grandes forêts sauvages, gens de métissage et de « découvertures », comment avons-nous pu nous renier à ce point au profit de héros aristocrates, militaires ou gens de robe, aux noms hoquetant de particules ? Nous étions les sans-grades, du côté des sauvages, loin des de La Galissionnière et des de La Fayette de ce monde. Ce monsieur de la Fayette, d’ailleurs, ne passe-t-il pas pour le sym-bole de la dimension française de l’Amérique ? Et nos voyageurs de tomber dans l’ombre, et les

8

Indiens aussi, qui seront des figurants commo-des. Au diable les descendants de Radisson, les Ladéroute, les Ladébauche et les Lafantaisie ! Et pourtant, nos coureurs d’espace, il nous faudrait les dire par tous les moyens, les écrire, les filmer, les représenter, les dessiner pour mieux encore les répéter. Jusqu’à ce jour, ils n’ont pas eu leur juste place. Dans les séries documentaires que nous achetons à l’étranger et que nous diffusons à répétition sur nos canaux dits spécialisés, nous en apprenons davantage sur l’impératrice Eugénie, la femme de Napoléon III, que sur nos propres souvenirs de famille.

Radisson, c’est une marque de commerce dans l’hôtellerie, une station de métro, un toponyme nouveau dans une baie James ancienne, le nom d’un brise-glace, une marque de canot en fibre de verre. Personne ne sait vraiment de quoi il en retourne. Il a bien dû être important, Pierre-Esprit Radisson, pour que son nom lui survive et nous parvienne en ce jour sans qu’on sache comment. Les gens de ma génération ont appris qu’il était un coureur des bois, qu’il était allé très loin dans les bois, oui, jusqu’à y perdre son âme et passer au service des Anglais – le traître ! Et puis il y avait cette série télévisée racontant les exploits de Radisson et Des Groseilliers, avec les comédiens Jacques Godin et René Caron, dans les temps soi-disant reculés où l’on croyait possible, encore,

9

de mettre en scène des histoires « historiques » au petit écran. La série en question n’était en rien conforme à la réalité, mais faudrait-il lui en vouloir ? Le Daniel Boone de la télé américaine et le Davy Crockett de Walt Disney ne sont pas en reste quant aux images farfelues prétendant représenter le passé.

Cependant, Daniel Boone existe dans l’in-conscient collectif des Américains, eux qui ont su fabriquer le mythe de leur histoire, en faisant des films, en écrivant des livres, documentaires ou romancés. Ils nous l’ont imposé, comme ils ont imposé l’Ouest au monde entier, Hollywood oblige. L’avons-nous trop facilement accepté ? Lorsque j’étais jeune, nous portions le casque en raton laveur de Davy Crockett ! Voilà bien notre perte, notre manque et, je dirais, notre infirmité identitaire. Reconnaître nos premiers rôles, nous n’avons jamais su le faire. Pourtant, Pierre-Esprit Radisson se pose comme la référence ultime de tous les coureurs d’espace dans la mémoire de l’Amérique. En comparaison, Daniel Boone est un enfant d’école et le petit dernier de la classe. Or, nous serions bien trop timides pour réclamer notre part de l’épopée américaine, avec des Radisson en tête de liste, un Iberville qui est l’archétype des pirates, un Louis-Joseph Gaultier (La Vérendrye) qui précède Lewis et Clark dans la vallée de la Roche jaune.

10

Martin Fournier persiste et signe, il emprunte à l’âme de son héros. Il a déjà écrit un essai important sur Radisson. Puis il en a entrepris la version romancée. Vaste programme, en vérité. Cependant, un grand travail est amorcé et les premiers résultats sont là, publiés au Septentrion, une maison qui rapaille depuis longtemps les bribes et les morceaux de notre histoire. Puisqu’il faut revoir tous les sentiers de notre identité amé-ricaine, il est juste de donner sa place à ce maître des maîtres que fut Radisson. Sa vie fut si dense, si vaste dans l’espace, si intense dans l’action, si diverse et longue qu’il faudra plusieurs tomes pour en venir à bout. C’est une saga boulever-sante reposant sur les épaules d’un seul homme. Quiconque entend d’un trait, sans relâcher son attention, le récit intégral de la vie de Radisson ne s’en remet pas facilement. Car cette vie est impossible. Il fut Parisien et Français, Canadien algonquin, Iroquois, Sauteux, Cri, Anglais, il fut le premier à voir les Sioux, il fut guerrier amérindien, voyageur, il a écrit des relations de voyages, il fut homme d’affaires, gentilhomme anglais, explo-rateur, pirate dans les Caraïbes, il fut à Boston, à Londres, à la rivière Nelson de la baie d’Hudson, aux Mille Lacs au Minnesota, il est mort dans son lit, vieux, impécunieux.

Dans L’enfer ne brûle pas, Martin Fournier entre-prend le voyage, il nous invite à nous rapprocher

11

le plus possible de l’intense humanité d’un per-sonnage qui fut bien réel, bien vivant, un homme « pas tuable » en vérité. Voilà un Radisson qui a eu peur, qui a eu mal au cœur, qui a eu froid, qui s’est égaré dans ses sentiments, ne sachant plus qui il était, mais devant vivre avec ses choix. L’histoire objective a le regard trop éloigné ; elle passe trop vite sur les tempêtes de neige ou les nuées de mouches noires, sur la difficulté de ramer toute la journée, sur le fait de tuer et de ne pas être tué, sur la torture, la douleur, mais encore, sur la réalité des amitiés, sur la résistance, la force au long cours, sur le monde de l’autre, sur la beauté des volées d’oies dans un ciel de printemps… Martin Fournier a trouvé les mots pour le dire, son Radisson est humain parmi les humains, intelligent, rebon-dissant, immensément capable au fil de ce récit envoûtant et palpitant.

Plongez dans la première étape de ce voyage épique, alors que Radisson est jeune et qu’il va vivre sa douloureuse mais formatrice période iroquoise. C’est la première transformation, le premier grand tableau des passages entre les cultures. Martin Fournier utilise la force du roman pour nous entraîner encore plus dans le monde surréaliste de Radisson. Sa vie américaine commence sur les chapeaux de roue, elle ne se relâchera jamais. La réalité du héros de Fournier dépasse la fiction, comme le dit l’expression

consacrée. Car même les scénaristes les plus aventureux, les plus fous, n’auraient pas osé de telles péripéties, de tels dénouements qui furent pourtant le quotidien de cet homme plus grand que nature.

Alors, lisons, bien humblement.

Serge Bouchard

13

PROLOGUE

Pierre-Esprit Radisson immigre en Canada

P ierre-Esprit Radisson est le plus célèbre coureur des bois de l’histoire du Canada. Par bonheur,

les récits détaillés qu’il nous a laissés permettent de reconstituer ses extraordinaires aventures.

Le 24 mai 1651, ce jeune Français de quinze ans met pied à terre en Nouvelle-France. Il a effectué la périlleuse traversée de l’Atlantique à partir de Paris pour rejoindre ses deux sœurs Marguerite et Françoise à Trois-Rivières. À cette époque, la bour-gade compte tout au plus 300 habitants. Montréal a été fondé neuf ans plus tôt et n’abrite même pas 200 personnes. La région de Québec est le principal centre de peuplement avec plus de 1 000 habitants. En tout, à peine 2 000 âmes d’origine française vivent en Nouvelle-France.

Trois-Rivières se trouve au confluent de la rivière Saint-Maurice et du fleuve Saint-Laurent, là où les Indiens ont depuis longtemps l’ habitude de se rassembler durant l’été. La bourgade établie par les

14

Français compte une trentaine de maisons en bois équarri à la hache, entourées d’une haute palissade de pieux, protégées par quatre solides bastions en coin. Seule la résidence des missionnaires jésuites est construite en pierre. Quand Radisson y rejoint ses deux sœurs, la guerre fait rage entre les Français et la puissante nation des Iroquois. Celle-ci a décimé la nation des Hurons l’année précédente, ses ennemis de longue date. Comme les Hurons étaient les principaux alliés des Français dans la traite des fourrures, qui est l’unique source de revenus de la colonie, la Nouvelle-France traverse une période critique. Son existence est menacée.

À cette époque, les nouvelles voyagent très lente-ment. Radisson n’était donc pas au courant de cette situation quand il a quitté la France. D’après les trois lettres que sa sœur Marguerite avait fait parvenir à sa famille, en cinq ans, la Nouvelle-France offrait tout ce qu’il désirait. C’est pourquoi il avait finale-ment décidé d’abandonner le faubourg parisien où il vivait de petits commerces avec sa mère pour aller faire sa vie en Nouvelle-France.

Radisson est très surpris de ce qu’il découvre dans la colonie : des forêts immenses, de larges cours d’eau qui sillonnent un territoire en appa-rence infini, de la neige en quantité phénoménale et un hiver plus long et plus froid qu’il n’aurait pu l’imaginer. Trois-Rivières est aussi bien plus petit et plus isolé qu’il ne le croyait. Le pire est que la

colonie est à moitié paralysée. Radisson habite chez sa sœur Marguerite, avec son mari Jean Véron dit Grandmesnil. Il n’en peut plus d’être immobilisé dans cette bourgade.

17

CHAPITRE 1

Radisson n’a peur de rien

L es yeux pétillants d’énergie, la bouche pleine de viande d’orignal, étourdi par la soif de vivre qui

le dévore, Radisson écoute d’une oreille distraite son beau-frère Jean Véron dit Grandmesnil raconter pour la vingtième fois son exploit favori.

— T’aurais dû voir nos douze grands canots remplis de fourrures ! s’exclame-t-il. Quand j’arrive en vue de Trois-Rivières avec Saint-Claude et les trois chefs hurons dans le premier canot, je tire un coup de fusil en l’air tellement je suis content ! Tout le monde vient nous retrouver sur la grève. On échoue les canots, on débarque, on se donne l’accolade. Les hommes admirent les précieuses fourrures qu’on rapporte et ma belle Marguerite m’embrasse en pleurant de joie…

Radisson se voit parcourir ces immenses contrées que ne cessent de lui décrire les habitants de Trois-Rivières qui ont voyagé dans l’Ouest. Il rêve qu’il part jusqu’au bout du monde, qu’il y trouve bonheur et richesse. Il sent qu’il est prêt pour l’aventure.

18

— Les missionnaires jésuites qui sont revenus embrassent ceux qui sont restés, poursuit Véron. Puis le père Le Mercier, le Supérieur, remercie les Hurons d’être venus de si loin porter leurs fourru-res encore une fois, malgré les dangers du voyage. Il leur promet qu’ils seront bien satisfaits de ce que les Français leur donneront en échange. Ensuite, on passe à table pour le festin. Nos peaux de castor font tourner les têtes encore plus que l’eau-de-vie…

Dehors, une féroce tempête de neige s’abat sur Trois-Rivières. Radisson n’a jamais rien vu de tel. Il s’arrête de temps à autre, entre deux bouchées, pour écouter les giclées de neige qui cognent aux vitres comme du sable projeté par un géant. Les violentes bourrasques font gronder le feu qui consume en un rien de temps les bûches que Marguerite ne cesse de remettre dans l’âtre pour lutter contre le froid. Le vent siffle à travers le village, hurle dans les bois, file sur l’étendue gelée du fleuve Saint-Laurent. La neige s’accumule autour des maisons qui résistent aux assauts de la tempête et restent chaudes, serrées les unes contre les autres, protégées par la palissade qui brise l’élan des rafales glacées. Comme sa sœur et son beau-frère ne montrent aucun signe d’in-quiétude, Radisson continue son repas.

— C’est cette traite-là qui nous a rendus riches, ajoute Véron. Oh ! pas riches comme les marchands de Québec, pour sûr que non ! Mais pour des habitants de Trois-Rivières, on manque de rien,

19

hein Marguerite, de rien pantoute ! C’est depuis ce jour-là que le gouverneur de Québec me fait confiance et m’écrit pour me demander conseil.

Marguerite a fini de ranger les ustensiles de cuisine. Avec précaution, elle jette une autre bûche dans l’âtre à travers les flammes vives, puis elle rejoint son mari et Radisson à table. Elle com-mence à être grosse d’un enfant qui va naître à l’été. Voyant que son frère se régale du ragoût d’orignal qu’elle a préparé, elle lui demande : « En veux-tu une autre platée, mon Pierre ? T’as tellement l’air d’aimer ça ! »

Radisson acquiesce à grands coups de tête, un sourire rayonnant aux lèvres, trop heureux de découvrir cette viande qu’il ne connaissait pas. Ce sont les Algonquins qui habitent à cinquante pas du fort qui en ont donné à Véron et Marguerite en échange de farine et de pois, au retour de leur grande chasse d’hiver. Radisson n’en avait jamais entendu parler mais il a vite appris que les Algonquins étaient d’indispensables alliés des Français contre les Iroquois. Ils les fréquentent presque à tous les jours comme tous les habitants de Trois-Rivières, et leur langue compliquée, leurs vêtements de peau et leurs manières étranges le fascinent.

Jean Véron a terminé son récit. Après un moment de silence, perdu dans ses pensées, il change de ton et se tourne vers sa femme.

20

— C’était le bon temps, hein Marguerite ? soupire-t-il…

— T’en fais pas, mon mari, ça va revenir, lui répond-elle. La traite va reprendre comme avant. C’est juste une mauvaise passe.

— Que Dieu t’entende, ma femme ! Parce que si ça continue, la traite dans les Grands Lacs, c’est fini ! Tant que les Iroquois nous feront la guerre, on pourra pas y retourner, c’est certain.

Le visage sombre, Jean Véron retourne à ses cogitations silencieuses, comme si d’évoquer la guerre contre les Iroquois le laissait sans voix, sans espoir. Pendant ce temps, Radisson avale ses dernières bouchées de ragoût sans sourciller. On l’entend saper bruyamment entre les sifflements du vent et les crépitements du feu. Lui qui n’a jamais vu d’Iroquois ne comprend pas la gravité de la situation. Marguerite pose une main ferme et rassurante sur l’épaule de son mari qui retrouve un peu d’allant. Il s’adresse à nouveau à Radisson.

— C’est avec des jeunes comme toi qu’on va s’en sortir ! lui dit-il. Au printemps, tu vas venir à Québec avec moi pour prendre les ordres du gou-verneur. Après, si tu veux, tu viendras à Montréal avec les hommes qui seront parés à nous accom-pagner pour qu’on trouve un moyen de résister aux Iroquois et, surtout, de remplacer les Hurons dans la traite des fourrures. Il faut pas se laisser abattre, le jeune. Même si la colonie est quasiment

TABLE DES MATIÈRES

Préface 7

Prologue • Pierre-Esprit Radisson immigre en Canada 13

Chapitre 1 • Radisson n’a peur de rien 17

Chapitre 2 • Entre la vie et la mort 49

Chapitre 3 • Une nouvelle famille ? 71

Chapitre 4 • Subir la torture 103

Chapitre 5 • Devenir iroquois 117

Chapitre 6 • Orinha, l’apprenti guerrier 137

Chapitre 7 • À l’attaque ! 175

Chapitre 8 • Le vent tourne 195

Chapitre 9 • Le retour du guerrier 207

Chapitre 10 • Surprises à Rensselaerwyck 241

Chapitre 11 • Orinha ou Radisson ? 273

Chapitre 12 • Une nouvelle vie commence 307

composé en arno pro corps 13selon une maquette de pierre-louis cauchon

ce quatrième tirage a été achevé d’imprimer en novembre 2014sur les presses de l’imprimerie marquis

à montmagnypour le compte de gilles herman

éditeur à l’enseigne du septentrion