Lutte contre les discriminations : combat pour l’égalité ...

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UNIVERSITÉ EVRY VAL D’ESSONNE UFR sciences sociales et de gestion Département de sociologie Mémoire de Master 2 Sociologie, spécialité Développement social urbain soutenu le 14/15 octobre 2010 Elise HUGUENOT Lutte contre les discriminations : combat pour l’égalité ou gestion des inégalités ? Sous la direction de : Monsieur JOVELIN Emmanuel : Maître de Conférences en sociologie

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UNIVERSITÉ EVRY VAL D’ESSONNE

UFR sciences sociales et de gestion

Département de sociologie

Mémoire de Master 2 Sociologie, spécialité

Développement social urbain soutenu le 14/15 octobre 2010

Elise HUGUENOT

Lutte contre les discriminations : combat pour l’égalité ou gestion des

inégalités ?

Sous la direction de :

Monsieur JOVELIN Emmanuel : Maître de Conférences en sociologie

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Remerciements

Mes remerciements vont à Monsieur Emmanuel Jovelin, mon directeur de mémoire, pour ses

conseils et ses relectures. Je le remercie tout particulièrement pour la compréhension dont il a

fait preuve face au vol de quatre des entretiens que j’ai menés.

Un grand merci à Madame Jocelyne Adriant-Mebtoul, chef de la Mission « Intégration, Lutte

contre les discriminations, Droits de l’Homme », pour sa patience et sa disponibilité. Madame

Adriant-Mebtoul a assumé la fonction de maître d’apprentissage dans l’urgence et je la remercie

chaleureusement d’avoir accepté cette fonction.

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Résumé

Ce mémoire professionnel tente de contextualiser la naissance des politiques de lutte

contre les discriminations en France et à Paris. L’attitude des pouvoirs publics à l’égard des

étrangers et la gestion de l’accueil de ces derniers sur le territoire français permettent de saisir

les évolutions qui caractérisent les politiques françaises d’immigration mises en place depuis la

IIIème République. L’analyse des politiques successives conçues par les gouvernements français de

la IIIème à la Vème République illustre la posture paradoxale des pouvoirs publics face à l’accueil

d’étrangers sur le sol français. Faite d’avancés et de reculs significatifs, cette posture conditionne

la vision qu’ont les français des étrangers et des immigrés.

Accusés d’être responsables des maux de la société française, particulièrement en période

de crise économique, les étrangers du Second Empire et les immigrés du 21ème siècle sont l’objet

de stéréotypes et préjugés similaires. La croyance en ces jugements amènent, de manière plus ou

moins directe, les employeurs, les bailleurs, les propriétaires de logements, les gérants de

discothèque, les conseillers en insertion professionnelle etc. à discriminer des individus en raison

de leur origine. Cette réalité discriminatoire, fruit de l’Histoire, notamment coloniale, de la

France, n’est reconnue par celle-ci que tardivement, grâce aux mobilisations et aux

revendications menées par les immigrés et enfants d’immigrés.

La fin des années 1990 constitue un tournant dans les politiques de « traitement » de la

« question immigrée ». Sous l’impulsion de l’Union Européenne, instance décisive dans la fin de

l’immobilisme français, une politique de lutte contre les discriminations voit le jour à partir de

1998. Elle repose sur le principe d’égalité de traitement, prôné par l’Union Européenne, et se

décline en un volet législatif et administratif. Le début des années 2000 marque un changement

majeur dans la manière dont la France appréhende la question de la lutte contre les

discriminations. La politique de lutte contre les discriminations se mue en une politique d’égalité

des chances et de promotion de la diversité, symbole d’un environnement néolibéral et présenté

comme le versant positif de la politique de lutte contre les discriminations menée jusqu’alors.

Paris, ville-capitale, n’adhère pas à une vision si tranchée du traitement des

discriminations et fait le choix d’adopter une politique de lutte contre les discriminations

reposant sur trois volets complémentaires : l’égalité de traitement, l’égalité des chances et le

changement des représentations. L’élue en charge des Droits de l’Homme et de la Lutte contre

les discriminations à Paris, Yamina Benguigui, incarne ce programme, loin des querelles partisanes

caractérisées, de manière caricaturale, par le monopole de l’égalité de traitement par les partis

« de gauche » et la préférence des partis « de droite » pour l’égalité des chances et la diversité.

Définie comme une position « pragmatique » par les collaborateurs de l’élue, cette posture se

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situe en dehors du débat actuel emmené par les sociologues, qui accusent les pouvoirs publics de

dénaturer la lutte contre les discriminations au profit d’une politique de communication et

d’affichage et qui font du principe d’égalité de traitement la seule voie possible pour mener une

politique de lutte contre les discriminations.

Mots-clés : immigration, lutte contre les discriminations, égalité des chances, diversité

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La lutte contre les discriminations en image

Cette image est la couverture d’un dépliant visant à sensibiliser les collégiens parisiens sur leurs

droits lorsqu’ils sont victimes ou témoin d’une discrimination. Ce dépliant voit le jour en 2009 à

l’initiative de la Ville de Paris, en collaboration avec l’Association du Site de Prévention de la

Villette et de SOS Racisme.

Je choisis d’illustrer ce travail à l’aide de cette image car ce dépliant est l’illustration de la

croyance de Yamina Benguigui, élue en charge des Droits de l’Homme et de la Lutte contre les

discriminations à Paris, en les vertus de l’éducation et de la sensibilisation dans le « changement

des représentations ».

Le premier chapitre de ce travail, vous le verrez, montre à quel point les préjugés, souvent à

l’origine des discriminations, sont profondément et historiquement ancrés en nous. Si la lutte

contre les discriminations est un combat de droit, il me semble que déconstruire les préjugés, ou

mieux encore, anticiper leur apparition dans les esprits de la jeune génération, est un vecteur de

changement essentiel.

La lutte contre les discriminations nécessite donc la mise en place simultanée de différents outils

et méthodologies. Ce travail démontre, suffisamment clairement je l’espère, que la Mairie de

Paris, par sa politique publique de lutte contre les discriminations, tente de répondre à cette

exigence.

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Table des matières

Remerciements ........................................................................................ 2

Résumé .................................................................................................. 3

La lutte contre les discriminations en image .................................................... 5

Introduction ............................................................................................ 8

Histoire de l’immigration de la IIIème à la Vème République : continuité ou rupture ? .. 15

I - La France sous la IIIème République : la naissance du « problème » de l’immigration 15

II - De la Première Guerre Mondiale à 1945 : une politique d’immigration en chantier 25

III - L’ « après 68 » : entre récession économique et retours forcés ....................... 28

IV - La victoire de François Mitterrand en 1981 : le début d’une nouvelle ère .......... 31

La fin des Trente Glorieuses : de la crise économique aux premières revendications

identitaires ........................................................................................... 33

I - Crise économique et représentation des populations immigrées en France .......... 33

II - De l’Etat-providence à l’Etat social ........................................................ 36

III - Question sociale, question raciale : le « modèle français d’intégration » en crise 38

IV - Les revendications identitaires : un mouvement racialisé ............................. 42

V - La Marche des Beurs : un mouvement emblématique ................................... 44

VI - La réponse de l’Etat : une politique de lutte contre les discriminations raciales .. 48

Les années 1990-2000 : de la « question immigrée » à la « question minoritaire »... 52

I - De l’intégration à la lutte contre les discriminations : un nouveau paradigme ? ..... 52

1. « Intégration », « insertion », « discriminations » : kesako ? ...................................... 52

2. La lutte contre les discriminations : réactualisation de la politique d’intégration ? ......... 54

II - L’avènement d’un nouveau cadre normatif imposé par l’Europe ...................... 56

1. L’impulsion européenne .................................................................................. 56

2. En France : des principes républicains à l’injonction européenne ................................ 61

III - La montée en puissance de l’égalité des chances et de la promotion de la

diversité ou le traitement néolibéral des questions de discriminations ................... 65

1. L’ « égalité des chances » : un symptôme de la montée en puissance du néolibéralisme .... 66

2. Égalité des chances et méritocratie : la « loi de la jungle » ...................................... 70

IV - Politique minoritaire ou politique identitaire ? .......................................... 71

1. La peur des « communautés » en France .............................................................. 71

2. Des « immigrés » aux « minorités visibles » .......................................................... 72

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L’exemple parisien d’une politique publique de lutte contre les discriminations

raciales ................................................................................................ 75

I - La Ville de Paris et sa politique de lutte contre les discriminations ................... 75

II - Méthodologie d’enquête ..................................................................... 78

III – Les résultats de l’enquête ................................................................... 80

1. Une prise de conscience : les émeutes urbaines de 2005 ........................................... 80

3. La définition des trois volets de la politique parisienne de lutte contre les discriminations :

le pragmatisme de l’élue ...................................................................................... 85

4. La position des acteurs parisiens face aux choix nationaux : entre pragmatisme et idéologie

88

Conclusion ............................................................................................ 91

Bibliographie ......................................................................................... 99

Annexes .............................................................................................. 102

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Introduction

Le « problème » de l’immigration traverse les siècles depuis la IIIème République. Née dans

la seconde moitié du 19ème siècle, la fracture entre nationaux et étrangers, entre nouveaux venus

et sédentaires, dans les campagnes françaises puis dans le monde ouvrier, donne lieu à des

conflits violents et amène les pouvoirs publics à réfléchir à une gestion des flux migratoires qui

permette de répondre aux besoins de main d’œuvre de la France détruite par les guerres et qui

ne menace pas la cohésion sociale du pays, en proie à des manifestations xénophobes. La France

définit le contenu de ses politiques d’immigration successives au gré des crises et des

gouvernements. La France d’après-guerre ouvre ses frontières à la main d’œuvre étrangère, puis

les referme lors de la récession économique des années 1970. Rappelons que la France adopte une

« immigration choisie », en favorisant par exemple l’entrée de migrants de nationalités autres

qu’algérienne à partir du milieu des années 1950. La gestion des flux migratoires se caractérise

donc par des discontinuités et des ruptures. Néanmoins, la volonté d’exercer un contrôle sur ces

flux se maintient au travers des siècles, notamment en période de crise économique, lorsque le

chômage croît et que la paix sociale est menacée.

Le terme des années 1970 marque la fin des Trente Glorieuses et le début d’une crise

économique majeure en France. L’Etat-providence de l’époque se désinvestit progressivement des

champs économique et social. Le chômage croît dramatiquement et frappe en premier lieu les

populations immigrées, arrivées du Maghreb et d’Afrique sub-saharienne dans les années 1960,

ainsi que leurs enfants, nés en France pour la plupart mais rencontrant d’importantes difficultés

dans l’accès à l’emploi. Le « modèle d’intégration à la française », universaliste et postulant

l’égalité de tous les citoyens, est en crise ; des revendications populaires éclatent. La « Marche

pour l’Egalité et contre le racisme » de 1983 est le mouvement emblématique de cette période.

Porté par des personnes immigrées ou d’origine immigrée, ce mouvement est racialisé : ses

initiateurs mettent en avant l’identité immigrée dans laquelle la France les enferme et

présentent leurs origines immigrées comme le fondement de leurs difficultés d’intégration et

d’insertion socioéconomique. Les limites du « modèle d’intégration à la française », de tendance

assimilationniste, éclatent au grand jour. Reposant sur un principe d’égalité formelle qui

s’applique de manière uniforme à tous, le « modèle d’intégration à la française » apparaît

finalement incapable d’ « intégrer » les populations immigrées, victimes de racisme et de

discriminations, revendiquant « une intégration sans assimilation, respectant leurs traditions

culturelles » comme l’expliquent Herrick Chapman et Laura L. Frader dans leur ouvrage « Race in

France. Interdisciplinary perspectives on the Politics of Difference », paru en 2004.

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Ces revendications aboutissent à la prise en compte par les pouvoirs publics de la question

des discriminations raciales à la fin des années 1990. Ainsi, les rapports de la Commission

Nationale Consultative des Droits de l’Homme en 19971 et du Haut Conseil à l’Intégration (HCI) en

19982 mettent en évidence le développement des pratiques discriminatoires et la nécessité de

mieux les identifier pour les combattre efficacement. Dès lors, dans le langage officiel, la

discrimination existe et elle est raciale : « ce ne sont plus les attributs des étrangers que l’on

considère comme responsables des difficultés auxquelles ils sont confrontés (leur « capital

humain ») mais le fonctionnement de la société française elle-même3 ». Cette citation d’un

rapport du HCI intitulé « Lutte contre les discriminations. Faire respecter le principe d'égalité »

révèle le passage d’un discours sur l’ « intégration » à un discours sur la « lutte contre les

discriminations ». Néanmoins, les deux termes sont « les deux faces d’une même pièce4 ». En

effet, il n’ y a pas de discrimination s’il n’y a eu un minimum d’intégration : « il faut vouloir faire

comme les autres, avoir tous les moyens de faire comme les autres et se faire arbitrairement

rejetés5 ». Pour qu’une personne apparaisse discriminée par rapport aux autres, dans l’accès à

l’emploi, il faut qu’elle se présente aux mêmes emplois que les autres et qu’elle fasse valoir sa

légitimité (par une qualification comparable, une expérience…). L’avènement des politiques de

lutte contre les discriminations raciales entérine la responsabilité du système dans la production

des discriminations : alors qu’une politique d’intégration attend que la personne « à intégrer »

fasse des efforts, une politique de lutte contre les discriminations reconnaît que le système en

place est discriminatoire.

C’est de la reconnaissance de cette responsabilité dont se saisissent les initiateurs des

revendications telles celle de 1983. En plaçant leur origine au cœur du débat sur l’égalité des

droits et la question des discriminations, des populations habituellement « invisibilisées6 » exigent

une visibilité sur la scène publique dont elles ont été jusqu’alors privées. Souvent issues des

classes populaires, ces « minorités visibles » n’ont pas d’autres choix que de mettre en avant leur

origine, leur « race », leur couleur de peau, pour être reconnues en tant que victimes : « dans les

classes populaires, l’identification à une origine peut compenser une appartenance sociale

défavorisée alors que les classes aisées ont le choix entre une plus grande palette d’affiliations

1 Commission nationale consultative des Droits de l'homme, La lutte contre le racisme et la xénophobie, Paris, 1997, 480 pages 2 Haut Conseil à l’Intégration, Rapport au Premier Ministre, Lutte contre les discriminations : faire respecter le principe d’égalité, Paris, 1998 3 Haut Conseil à l’Intégration, Rapport au Premier Ministre, Lutte contre les discriminations : faire respecter le principe d’égalité, Paris, 1998, p. 407 4 Étude et guide « Discriminations « raciales » et politiques antidiscriminatoires - Fiches pour l’action », Cahier Millénaire3, Grand Lyon, mai 2003. URL : <www.millenaire3.com> 5 Ibid., p. 19 6 FASSIN D. et E., De la question sociale à la question raciale. Représenter la société française, Paris : La découverte, 2009, p. 6

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gratifiantes7 ». Cette banalisation du référentiel racial répond à une double logique. D’une part,

les discriminés s’inscrivent dans un mouvement d’identification raciale : « on se reconnaît soi-

même dans une expérience collective […] partagée, de violence passée et présente » (Fassin,

2009, p.17). Ces « minorités visibles » sont pensées et se pensent sur le mode victimaire. Un

second mouvement d’assignation raciale explique cette tendance à la racialisation de la société

française : « celles et ceux que l’on perçoit comme autres se voient imposer l’altérité radicale de

leur appartenance supposée à un groupe phénotypiquement ou historiquement constitué »

(Fassin, 2009, p.17). Concrètement, il s’agit d’une radicalisation raciale, et souvent raciste, dans

les classes populaires et dans les discours et pratiques des élites politiques, intellectuelles et

médiatiques à l’encontre des populations arabes ou musulmanes, ou plus récemment noires,

qu’elle soient étrangères ou françaises (Fassin, 2009, p. 261).

Les années 1990 assistent donc au passage du paradigme de l’immigration à celui de la

lutte contre les discriminations raciales, de la « question immigrée » à la « question raciale ». Les

victimes de discriminations utilisent la « race » comme une ressource pour défendre leurs

intérêts. Chez les acteurs politiques, la question de la lutte contre les discriminations raciales fait

consensus. De manière caricaturale, si à droite, la lutte contre les discriminations raciales est

mobilisée pour alimenter une vision du monde qui s’efforce d’occulter les formes de dominations

économiques (Fassin, 2009, p. 177), la gauche appréhende les phénomènes discriminatoires

comme un risque majeur pour la cohésion nationale. Au-delà de ces clivages caricaturés à

outrance, certains sont opposés aux politiques de lutte contre les discriminations raciales. Ainsi,

pour ceux qui restent attachés à l’égalité républicaine, les politiques de lutte contre les

discriminations menacent la cohésion nationale en instituant un traitement différencié des

citoyens de la République pourtant Une et Indivisible, alors que ceux qui sont sensibles aux

inégalités de classes considèrent que la question de la lutte contre les discriminations est un effet

de mode, les seules inégalités sociales étant les inégalités socioéconomiques.

Ces clivages n’empêchent pas Martine Aubry, alors Ministre de l’Emploi et de la Solidarité,

le 21 octobre 1998, lors d’un discours au Conseil des Ministres, d’inscrire la lutte contre les

discriminations dans les axes de l’agenda politique. Cette reconnaissance officielle de l’existence

des discriminations est suivie de la création d’outils et de l’élaboration d’un appareil législatif

spécifique, sous l’impulsion de l’Union Européenne : la lutte contre les discriminations est perçue

comme un combat de droit, relevant d’une politique de justice. La législation européenne impose

ainsi un cadre à la France et aux États membres en matière de politique de lutte contre les

discriminations. Deux directives (« RACE » et « EMPLOI ») sont validées en 2000. La première

7 A. Spire et D. Merlliée décrivent cette situation dans un article intitulé « La question des origines dans les statistiques en France. Les enjeux d’une controverse » cité dan Fassin D. et E., De la question sociale à la question raciale. Représenter la société française, Paris : La découverte, 2009, p. 180

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repose sur l’égalité de traitement entre les personnes, sans distinction de « race » ou d’origine

ethnique et vise à lutter contre les discriminations dans les domaines de l’emploi, de l’éducation,

du logement etc. La directive « EMPLOI » entend combattre les discriminations dans le domaine

de l’emploi, liées à la religion, aux convictions, au handicap, à l’âge ou à l’orientation sexuelle.

L’Union européenne commande également aux États membres la création d’un organisme

indépendant chargé de combattre la discrimination fondée sur « la race et l’origine ethnique »

pour apporter une aide indépendante aux victimes, conduire des études indépendantes

concernant les discriminations, publier des rapports indépendants et émettre des

recommandations. Les directives européennes sont traduites en France par l’adoption de la loi du

16 novembre 2001 relative à la lutte contre les discriminations et par la création de la Haute

Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l’Égalité (HALDE) en 2004.

L’institutionnalisation de la lutte contre les discriminations raciales intervient dans une

société française en mouvement. Le renversement du « modèle d’intégration à la française » par

des mouvements de révoltes dans les années 1980-1990 entraîne une reconnaissance officielle de

la réalité des situations discriminatoires dont les « minorités visibles » sont victimes. Ces

mouvements font émerger une « question minoritaire8 » qui se substitue à la « question

immigrée » des années 1960-1970. Les politiques de lutte contre les discriminations sont préférées

aux politiques d’intégration et font consensus dans la classe politique. Au niveau local, les

municipalités investissent diversement ce champ, la lutte contre les discriminations ne devenant

que récemment une préoccupation locale.

Paris est une ville cosmopolite comptant 110 nationalités et plus de 20 % d’étrangers ou

d’immigrés. Ce territoire-capitale ne peut ignorer le melting-pot qui le caractérise et les

difficultés auxquelles les populations immigrées ou d’origine immigrée sont susceptibles d’être

confrontées. Depuis deux siècles, Paris accueille des migrants venus des provinces françaises

(Savoie, Auvergne, Bretagne), des pays européens (Italie, Pologne, Espagne, Portugal), des régions

autrefois colonisées (Maghreb, Afrique noire subsaharienne, Asie du Sud-est), d’Amérique du Sud

et du Nord, et plus récemment des migrants venus de Chine, du sous-continent indien et des pays

d’Europe de l’Est. La municipalité élue en 2001 crée une Mission « Intégration et Lutte contre les

discriminations, Droits de l’Homme » au sein de la Délégation à la Politique de la Ville et à

l’Intégration (DPVI). Cette nouvelle délégation est incarnée par Yamina Benguigui, adjointe au

Maire de Paris en charge des Droits de l’Homme et de la Lutte contre les discriminations pour la

mandature 2008-2014. Ville-capitale et emblématique, Paris souhaite se positionner en ville

« leader » sur l’enjeu de la lutte contre les discriminations raciales. Au regard des divers rapports

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édités ces dernières années (Rapport Fauroux de 2004, Rapport du Bureau international du travail

de 2007, Rapports annuels de la HALDE) qui confirment une prévalence des discriminations liées à

l’origine ethnique et raciale, la Ville de Paris entend, tout d’abord, lutter contre les

discriminations ethniques et raciales. Ce combat se décline en un plan d’action à trois volets :

l’égalité de traitement, l’égalité des chances et le changement des représentations. L’ « égalité

de traitement » renvoie à des actions de prévention et de réparation des discriminations par la

modification des pratiques et tend à supprimer tout élément qui peut engendrer un traitement

inégal9. Il s’agit des dispositifs visant à faire respecter la législation en vigueur (permanences par

exemple). L’ « égalité des chances » vise à corriger les inégalités réelles par la mise en œuvre d’

« actions positives » en vue de donner les mêmes chances à chacun, quelle que soit sa situation

ou son origine (Adriant-Mebtoul, 2008, p. 3). La Ville projette de « s’appuyer sur une politique

d’action positive à destination de publics spécifiques : populations des quartiers Politique de la

Ville, femmes, jeunes, handicapés…10 ». Le « changement des représentations » correspond à des

actions destinées à déconstruire les stéréotypes sur l’Autre, à faire évoluer les représentations

négatives qui sont à l’origine des discriminations.

Afin d’incarner ces trois volets et suite à une étude commandée à Vigeo Group11 en 2007,

la Ville met en place un plan municipal de lutte contre les discriminations. Cette étude révèle

trois obstacles à la mise en place d’une politique parisienne de lutte contre les discriminations

efficace et cohérente : l’absence de transversalité imputable à une difficile coopération entre les

différents services de la Ville, le manque d’une véritable définition commune des concepts

attenants à la lutte contre les discriminations et la nécessité d’améliorer les méthodes

d’évaluation des actions mises en place. Le plan municipal de lutte contre les discriminations se

décline en plusieurs plans de lutte contre les discriminations (PLCD) locaux, par arrondissement et

tente de répondre à l’exigence de cohérence du plan d’action parisien. En 2010, quatre

arrondissements sont concernés par le lancement d’un PLCD : les 12ème, 13ème, 18ème et 20ème

arrondissements.

8 FASSIN E. et HALPERIN J.-L., Discriminations : pratiques, savoirs, politiques, Paris : La Documentation française, Collection Etudes et recherches, 2009, 182 pages 9 ADRIANT-MEBTOUL J., « Note à l’attention du directeur de cabinet du Maire de Paris relative à la lutte contre les discriminations », DPVI, 7 juillet 2008, p. 2 10 ADRIANT-MEBTOUL J., « Pour une politique parisienne de lutte contre les discriminations, Diversité, lutte contre toutes les discriminations et égalité des chances », à l’attention de Yamina Benguigui, en charge des Droits de l’Homme et de la lutte contre les discriminations, DPVI, 21 mars 2008, p.4 11 Le Groupe Vigeo mesure les performances des entreprises en matière de développement durable et de responsabilité sociale, et fournit ces données aux gestionnaires d’actifs. Le Groupe Vigeo est également spécialisé dans les audits en responsabilité sociale auprès des entreprises et des organisations.

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Le questionnement central auquel ce travail tentera de répondre est le suivant :

Qu'est-ce qui explique que la Ville de Paris construise son plan d'action autour des trois volets

« égalité de traitement », « égalité des chances » et « changement des représentations »

alors que la tendance actuelle en matière de lutte contre les discriminations s'incarne

davantage dans la promotion de l'égalité des chances et de la diversité au détriment du

principe d'égalité de traitement? Qu'est-ce qui fait la spécificité du modèle politique d'égalité

mis en avant par la Ville de Paris et quel sens les acteurs parisiens donnent-ils à ce modèle

d'action?

Il s'agit donc de cerner les représentations qui sous-tendent la politique parisienne de lutte contre

les discriminations et de comprendre les orientations politiques que la Ville de Paris donne à son

action.

L’hypothèse avancée est formulée ainsi :

L’approche de la Ville de Paris, par la définition des trois volets du plan d’action et les

fondements de ses plans locaux de lutte contre les discriminations, repose sur un modèle fondé

sur l’égalité de traitement, la non-discrimination et l’égalité des droits12. Cette approche se

distingue de l’évolution actuelle des politiques de lutte contre les discriminations à l’échelle

nationale, fondées sur des concepts tels que l’égalité des chances et la promotion de la

diversité13.

En premier lieu, nous reviendrons sur la genèse de l’immigration en France depuis la IIIème

République afin de déceler les continuités et les ruptures existant en matière d’accueil des

étrangers sur le sol français et de « traitement » de la « question immigrée ».

Puis, nous détaillerons le contexte socioéconomique dans lequel se sont inscrites les

premières revendications des populations immigrées et la naissance de la politique nationale de

lutte contre les discriminations. Cette analyse nous permettra de comprendre en quoi la lutte

contre les discriminations est objectivement produite par des conditions historiques et

subjectivement construite par les agents sociaux (Fassin, 2009).

Nous analyserons ensuite la tendance actuelle en matière de lutte contre les

discriminations en France. Il s’agira d’expliciter l’évolution des politiques françaises

12 NOEL O., « Entre le modèle républicain et le modèle libéral de promotion de la diversité : la lutte contre les discriminations ethniques et raciales n’aura été qu’une parenthèse dans la politique publique en France ? », Intervention au colloque CASADIS, CGT, Montreuil, novembre 2006 13 BENN MICHAELS W., La diversité contre l’égalité, Paris : Raisons d’agir, 2009, 155 pages

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d’immigration et de saisir les conditions du passage de la « question immigrée » et à la « question

minoritaire ».

Enfin, nous tenterons de qualifier la position de la Ville de Paris dans le domaine de la

lutte contre les discriminations à l’aide de l’analyse d’entretiens menés auprès d’acteurs

politiques et institutionnels intervenant dans ce champ.

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Histoire de l’immigration de la IIIème à la

Vème République : continuité ou rupture ?

Afin de comprendre les enjeux contemporains en matière de lutte contre les

discriminations, il est indispensable de saisir les mécanismes sociaux, économiques, politiques et

culturels qui ont mené à la situation actuelle. Ces mécanismes sont relatifs au « traitement » de

la « question immigrée » en France. Ils sont conjoncturels, liés aux différentes crises qu’a

traversées la France depuis le début du 19ème siècle, mais également structurels car liés à la

manière dont la France se représente en tant que Nation.

Considérée comme un « problème » dès la IIIème République, la gestion des flux migratoires

sur le territoire français évolue au gré des crises économiques et des gouvernements successifs.

Répondant au cruel manque de main d’œuvre de la France d’après-guerre, l’immigré devient,

quelques décennies plus tard, l’objet de toutes les critiques et le responsable de tous les maux de

la société française. Développant une politique d’immigration tantôt ouverte, tantôt restrictive,

procédant à des retours forcés dans les années 1970, puis à des régularisations massives dix ans

plus tard, la France peine à construire une politique d’immigration cohérente et respectueuse des

Droits de l’Homme.

I - La France sous la IIIème République : la naissance

du « problème » de l’immigration

De 1860 à 1880, la France voit son empire colonial se développer : le pays accueille des

migrants en provenance d’Algérie et d’Amérique latine mais aussi de Belgique, d’Italie,

d’Espagne, d’Allemagne et de Suisse, qui viennent travailler dans l’industrie de transformation.

Dans la seconde moitié du 19ème siècle, l’immigration devient un problème du fait d’une

contradiction14 : le phénomène migratoire s’accentue pour l’intérêt de l’économie alors que se

développe un processus de construction sociale de la nation « France » pour transcender les

particularismes locaux et les différences de classes (création de la carte d’identité, distinction

entre nationaux et étrangers). Face à cette contradiction, l’intervention de l’État dans le

domaine de l’immigration devient légitime. Le « problème » de l’immigration fait irruption dans

le débat public français entre 1880 et 1900. C’est à cette période que naît l’opposition entre

14 WEIL P., La France et ses étrangers. L’aventure d’une politique de l’immigration de 1938 à nos jours, Paris : Gallimard, 2005, 579 pages.

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national et étranger. Les pouvoirs publics mettent en avant le « génie assimilateur15 » de la

France : les provinces constitutives de la France, d’abord étrangères les unes aux autres, se

seraient fondues dans le creuset national et la Révolution aurait donné une conscience collective

au pays.

La France est le pays d’Europe où l’État se reconstitue le plus vite après l’effondrement de

l’Empire carolingien. Les rois capétiens étendent leur territoire à l’aide de guerres et d’alliances.

La royauté conforte sa légitimité en s’appuyant sur l’Eglise chrétienne, le roi étant considéré

comme l’envoyé de Dieu sur Terre. Le caractère sacré de la monarchie capétienne explique

l’importance attachée à l’unité de la foi dans le royaume. Les dissidences religieuses sont

combattues, les « hérétiques » (les cathares puis les huguenots) et les juifs sont persécutés. Au

début de la IIIème République, sur 36 millions d’habitants, la France comprend 35.4 millions de

catholiques (Noiriel, 2007). C’est au début de la IIIème République que les rois imposent aux curés

(qui s’occupent des registres consignant l’identité des sujets du royaume) de rédiger ces registres

en français. C’est par le biais de ces documents que des millions de paysans sont mis en contact

avec la langue de l’État. Autres facteurs facilitant l’émergence de la langue française à travers

les provinces françaises : l’invention de l’imprimerie, qui accroît les possibilités de

communication à distance, la création de l’Académie française, chargée de codifier et d’imposer

les normes de la langue officielle du royaume et la naissance de la société de cour implantée au

Château de Versailles à l’initiative de Louis XIV. C’est toute une culture française qui s’invente.

Louis XIV confie des fonctions administratives et judiciaires à des bourgeois, qu’il anoblit.

Ces derniers devant tout à leur prince, le servent avec beaucoup de zèle. En 1789, 2 000

personnes contrôlent tout le royaume. Sous leur impulsion, le domaine royal devient un espace

public géré par un corps d’administrateurs détachés du service domestique du roi. L’État français

moderne se construit. La principale tâche de ces administrateurs est de renflouer les caisses de

l’État, asséchées par les entreprises guerrières de la monarchie. C’est la première forme

d’économie : le mercantilisme, fondée sur une comptabilité rigoureuse des importations et des

exportations. Sont créés les premiers instruments pour recenser les ressources du royaume.

Durant le dernier siècle de l’Ancien Régime une « mise en écriture » des activités économiques et

sociales est effectuée, embryons de recensement.

L’« immigration » correspond au déplacement des individus d’un endroit à un autre et le

franchissement d’une frontière. Qualifier l’immigration implique que l’État prenne possession

d’un territoire bien délimité, sur lequel exercer sa souveraineté. Pendant l’Ancien régime, le roi

exerce son pouvoir sur des sujets, non sur un espace. Le pouvoir du roi repose alors sur les

15 NOIRIEL G., Immigration, antisémitisme et racisme en France (XIXè-XXè siècles). Discours publics,

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allégeances personnelles des sujets car il n’existe pas de moyens techniques pour imposer son

pouvoir à distance. Le roi prend appui sur des « corps intermédiaires » qui représentent les

différentes communautés cohabitant sur le territoire : le roi ne cherche donc pas à « assimiler »

les populations qui dépendent de lui. Dans les territoires, les gens ont leurs coutumes propres et

parlent leur langage. A partir de 1750, la mobilité des hommes se développe. Les deux

préoccupations pour l’État sont d’assurer la sécurité des hommes qui circulent sur le territoire et

de trouver des moyens pour surveiller tous les inconnus qui sillonnent l’Europe. Dans un monde où

les rapports sociaux reposent sur l’interconnaissance, l’étranger est celui que l’on n’a jamais vu.

On le juge sur sa mine et ses manières. La maréchaussée en milieu rural et la police en milieu

urbain permettent d’améliorer la sécurité. L’outil de la police pour gérer les problèmes de

mobilité est le passeport. Il permet de canaliser les déplacements pendant les périodes de crise :

on interdit l’entrée des villes aux vagabonds et aux mendiants en les rapatriant dans leur paroisse

d’origine. Sous l’Ancien régime, tous les habitants nés sur le territoire d’une seigneurie ont la

nationalité française car ils sont considérés comme les « hommes » du seigneur. Ils lui doivent

obéissance, il les protége en contrepartie. A partir du 19ème siècle, l’État monarchique s’approprie

les prérogatives des seigneurs. Les personnes nées dans le royaume sont considérées comme

françaises. Les étrangers qui s’installent dans le pays bénéficient de la protection royale mais

doivent en échange payer des taxes. Pour remplir les caisses de l’Etat, une taxe visant les chefs

de famille étrangers résidant en France et leurs descendants (9 000 personnes entre 1697 et 1707)

est créée en 1697. La création de cette taxe constitue une initiative inédite, l’édit de 1697 étant

la première tentative d’identification de la population étrangère dans le royaume. Cette tentative

est un échec du fait du manque de moyens pour distinguer les nationaux et les étrangers.

Nous l’avons vu, le roi s’appuie sur la bourgeoisie pour développer les fonctions

administratives de l’Etat : la noblesse d’épée s’en trouve appauvrie. Le développement de la

culture écrite et les rivalités entre noblesse d’épée et noblesse de robe sont des objets de

controverses publiques. L’aristocratie dénonce le pouvoir administratif qui anéantit ses libertés.

Pour les aristocrates, les privilèges de l’aristocratie sont justifiés car ils descendent de la « race »

qui a vaincu les Gaulois. A l’époque, « nation » et « race » sont interchangeables : ils désignent un

groupe d’individus ayant en commun la même naissance, c’est le sens médiéval de « lignage » qui

domine. Les aristocrates dénoncent les pratiques monarchiques d’anoblissement qui créent une

noblesse « artificielle » car on ne peut pas « changer le sang » par un acte administratif

(Boulainvilliers). Des écrivains comme Montesquieu contestent l’importance accordée à la « race »

et soulignent le rôle du « climat » (du milieu) dans l’histoire des peuples. Le mot « nation »

désigne alors la communauté issue de la fusion des groupes ethniques initiaux, c’est-à-dire le

humiliations privées, Paris : Fayard, 2007, p. 18

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« tiers-état ». A la veille de la Révolution française, les élites aristocratiques et bourgeoises ont

intériorisé les normes de la culture officielle française, mais pas les classes populaires : la société

française est caractérisée par une grande hétérogénéité. Le manque de moyens explique

l’incapacité du pouvoir central de franciser les régions très éloignées de Paris. De plus, la mise en

place de la société de cour attire la noblesse à Versailles et affaiblit les relais qui permettaient de

maintenir le lien entre le centre et la périphérie. A noter également l’illettrisme de la majeure

partie de la population paysanne. A la Révolution de 1789, la bourgeoisie qui a combattu

l’absolutisme royal et les privilèges de l’aristocratie prend le pouvoir. Le discours du pouvoir

révolutionnaire est le suivant : c’est le tiers-état qui détient la souveraineté, non plus le roi. Dès

lors, la vie publique s’incarne dans le Parlement et l’opinion publique est véhiculée par la presse

(création du Journal des débats en 1789 qui informe quotidiennement les citoyens sur les

péripéties de la vie politique). Une importance considérable est accordée à l’égalité des droits et

le rejet des discriminations fondées sur l’origine : c’est la suite du combat mené par l’élite

bourgeoise contre les privilèges de l’aristocratie. En effet, au 19ème siècle, l’infériorité des

bourgeois n’est pas économique et culturelle mais juridique et symbolique, c’est pourquoi les

révolutionnaires pensent qu’établir l’égalité des droits va permettre d’accéder à l’égalité des

conditions. On assiste à l’émergence d’un espace national juridiquement homogène, reposant sur

un appareil administratif centralisé et fortement hiérarchisé commandé par l’échelon supérieur

dont les rouages sont regroupés à Paris, relayé par les autorités cantonales et départementales,

qui exerce son action dans les 36 000 communes de France. L’homogénéisation du territoire

français entraîne la démarcation nette entre l’intérieur et l’extérieur.

Dans les premières années de la Révolution, la définition de la nationalité est civique :

l’étranger est considéré comme un citoyen s’il se comporte comme un patriote. Ce n’est pas

l’origine ni le lieu de naissance qui importe mais l’engagement politique. La question nationale ne

se pose aux européens que lorsque la République entre en guerre contre ses voisins. La bataille de

Valmy entraîne une bouffée de nationalisme et une chasse aux espions. Le 1er août 1793, la

Convention décrète que ceux qui viennent de pays en guerre avec la République et qui ne sont pas

domiciliés en France doivent être arrêtés ou expulsés.

La Révolution donne lieu à la nationalisation de la société française : le Code civil

nouvellement créé donne les mêmes droits à tous les français. Mais ce premier stade de la

nationalité ne suffit pas à assurer l’intégration verticale de toutes les classes au sein de l’Etat.

Avec la suppression des privilèges, la propriété privée triomphe, la noblesse et la bourgeoisie se

fondent dans une nouvelle classe dirigeante : les notables, de grands propriétaires vivant de leurs

rentes et qui constituent des relais essentiels entre l’Etat central et la société locale. Ils sont

hostiles à la démocratie car ils estiment que les classes populaires ne sont pas assez éduquées

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pour participer pleinement à la vie politique. Pour Guizot, président du Conseil des Ministres, les

classes supérieures ont pour mission de « représenter » les classes pauvres et de les protéger.

Jusqu’au Second empire, l’industrie textile prédomine, les usines s’installent à la

campagne, l’exode rural est faible, les migrations demeurent internes au monde rural, des

migrants saisonniers sont recrutés dans l’agriculture. Entre 1801 et 1846, la population de Paris

double (547 000 / 1 million). Les migrants viennent de France et des pays voisins (37 000

étrangers en 1832). Chaque groupe se spécialise dans une activité particulière. Tous ces migrants

se regroupent en petites communautés en fonction de leur origine locale ou régionale. Ils

possèdent leurs sociétés de bienfaisance, leurs églises, leurs écoles. L’intensification des

mouvements migratoires entraîne la multiplication des conflits entre nouveaux venus et

sédentaires. Dans les villes, les conflits se produisent surtout pendant les périodes de crise

économique. Les gens du pays reprochent aux « étrangers » de venir « manger leur pain » et de

travailler à des tarifs inférieurs aux usages locaux (Noiriel, 2007, p. 39). Les urbains rédigent des

pétitions et des « placards » pour exiger des autorités l’expulsion des envahisseurs. Ces conflits

illustrent l’ampleur des cloisonnements entre des micro-sociétés locales, ce qui alimente des

préjugés sur les groupes minoritaires (les gitans égorgeurs d’enfants, les juifs trafiquants...).

Jusqu’en 1848, le clivage nationaux / étrangers n’est pas au centre des conflits car ce sont

toujours les appartenances locales qui priment. Dans les années 1849, Louis Desnoyers publie un

ouvrage consacré aux « étrangers à Paris » qui souligne, à force de comparaisons stéréotypées

certes, que tous ces étrangers (belges, polonais, russes, espagnols...) sont « très proches de

nous » (Noiriel, 2007, p. 42). En revanche, dans un contexte de conquête militaire de l’Algérie, il

existe une ligne de fracture sensible : les arabes. Dans le chapitre intitulé « l’arabe » de l’ouvrage

de Louis Desnoyers, la description n’est pas hostile ni méprisante mais l’ouvrage indique que « la

foule se presse autour d’eux avec une muette curiosité et se demande si ce ne sont pas là des

hommes d’un autre type et d’une autre nature qu’elle » (Noiriel, 2007, p. 42).

Dans les années 1840, la classe ouvrière est assimilée par les notables à la classe

dangereuse. Les ouvriers se sont instruits, savent lire et écrire : émerge une élite du monde

ouvrier artisanal qui prend la parole publique en éditant ses propres journaux (la Ruche ouvrière,

l’Atelier). Pour Gérard Noiriel, la Révolution de 1848 est l’aboutissement de ce processus : les

classes populaires de Paris représentent le « peuple », en opposition à la bourgeoisie. La

révolution de 1848 est une étape essentielle dans le processus qui relie la question nationale au

thème migratoire. Lors des revendications populaires, les individus s’en prennent aux étrangers :

des belges, des anglais, des prussiens. Des rivalités se renforcent dans l’industrie houillère (en

mars 1848, 2 000 mineurs se mobilisent pour faire fuir 300 à 400 italiens).

Sous le Second empire, l’immigration en provenance des pays voisins se développe

fortement (381 000 étrangers en 1851, 655 000 en 1866). La construction du réseau ferré, le

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développement de la production métallurgique et minière, la mécanisation de l’industrie textile

poussent les entreprises à chercher davantage de main d’œuvre. Ce brutal développement de

l’immigration crée des tensions avec la population locale, conflits internes au monde ouvrier. Mais

l’immigration étrangère et ses problèmes ne sont pas relayés dans le discours public. Ce qui

inquiète à l’époque c’est la paupérisation des classes ouvrières qui créent désordre et révolution.

Le développement des moyens de communication rend les frontières archaïques, les hommes sont

libres de circuler (traités de libre-échange avec la Grande Bretagne et la Belgique en 1860), le

libéralisme se renforce. La France est célébrée pour son hospitalité, Paris est vendue comme « un

immense creuset » (Noiriel, 2007, p. 76). Pour preuve, le recensement de 1856 ne mentionne pas

la nationalité des individus. Celle-ci n’apparaît dans les recensements qu’à partir de 1861. Règne

alors un climat libéral, Napoléon III indique que « le droit doit se garder d’entraver, en aucune

mesure, les établissements créés par des étrangers en France [car] la crainte de perdre leur

nationalité pourrait en détourner beaucoup de venir importer chez nous leurs capitaux et leur

industrie16 ». Ainsi, le législateur supprime en 1867 les discriminations qui touchent les

naturalisés. Pour pouvoir demander sa naturalisation, un étranger doit avoir vécu en France trois

ans au lieu de dix. Il n’y a plus aucune distinction entre ces nouveaux français et les français de

naissance. En 1856, après le conflit entre la France et la Russie, Napoléon décide de ne pas

mettre en place de mesures de rétorsion à l’égard de la colonie russe présente sur le territoire

national car « il fait la guerre aux princes, pas aux peuples ». En 1870, pour les mêmes raisons, il

refuse l’internement de dizaines de milliers d’émigrés allemands travaillant en France. En 1865,

les indigènes algériens ne sont plus considérés comme des étrangers : « l’indigène musulman est

français » (Noiriel, 2007, p. 78).

En 1856, la réflexion sur les « races » connaît une nouvelle impulsion avec les travaux

publiés par les naturalistes et les anthropologues. L’ouvrage de Darwin sur la sélection des

espèces représente une date fondamentale car un nombre important d’émules tente de reprendre

ses analyses pour comprendre le fonctionnement de la société. En 1853, Arthur de Gobineau

publie son « Essai sur l’inégalité des races humaines ». Cet auteur est souvent présenté comme le

fondateur du racisme. A ses yeux « la question ethnique domine tous les autres problèmes de

l’histoire [...] L’inégalité des races dont le concours forme une nation suffit à expliquer tout

l’enchaînement des destinés des peuples17 ». Les alliages successifs entre les groupes ethniques

16 CAUWES P.-L., De la condition faite par la loi du recrutement aux enfants nés en France de parents étrangers et des modifications à y apporter en ce qui concerne les enfants, nés en France, d’étrangers qui eux-mêmes y sont nés, Nancy, Imprimerie de Collin, 1869, p. 25, cité par NOIRIEL G., Immigration, antisémitisme et racisme en France (XIXè-XXè siècles). Discours publics, humiliations privées, Paris : Fayard, 2007, p. 77 17 DE GOBINEAU A., « Essai sur l’inégalité des races humaines », Paris, Firmin-Didot, 1884, p. 6 cité par NOIRIEL G., Immigration, antisémitisme et racisme en France (XIXè-XXè siècles). Discours publics, humiliations privées, Paris : Fayard, 2007, p. 79

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qui se sont fixés sur le territoire auraient provoqué la dégénérescence du peuple français qui n’a

pas conservé le même sang dans les veines. Pour démontrer que l’assimilation n’est pas possible,

il prend l’exemple des algériens. Les musulmans formeraient une « race » très mélangée, ce qui

expliquerait leur instabilité : « l’islamiste est arrogant, peu inventeur et déjà d’avance conquis

aux deux tiers à la civilisation greco-asiatique » (Noiriel, 2007, p. 80). Même type de

raisonnement pour l’Afrique Noire : « l’européen ne peut pas espérer civiliser le nègre » (De

Gobineau, 1884, pp. 182-185). Ces analyses sont similaires pour le contexte national, caractérisé

par de nombreuses divisions locales : « tout le monde sait combien le Normand, le Provençal, le

Gascon se ressemblent peu » (De Gobineau, 1884, p. 80). La division notables / paysans est

claire : il n’existe pas à l’époque de « territoire national » unifié.

La guerre de 1870 est une rupture essentielle dans l’histoire de la France républicaine. La

défaite de Napoléon III devant la Prusse achève de discréditer les notables. Les dirigeants de la

IIIème République mettent en chantier les réformes de démocratisation de la vie politique

française. L’espace public est restructuré autour de la politique, du journalisme et de la science.

Le principal objectif de la IIIème République est d’intégrer les classes populaires à l’Etat-nation. La

démocratisation de la vie politique impose un nouveau système de représentations collectives.

Grâce au suffrage universel masculin, les classes populaires participent indirectement à la vie

politique en votant et en achetant le journal. Pour que cette nouvelle forme de démocratie

fonctionne, il faut rompre avec l’hétérogénéité de la société, passer du particulier au général à

l’aide de trois type d’acteurs. Les hommes politiques s’adressent aux classes qu’ils représentent

et contribuent à les faire exister dans l’espace public. La popularité du discours sur la lutte des

classes encourage les hommes politiques à parler au nom de la nation. Les syndicats et

associations constituent des collectifs grâce auxquels les citoyens peuvent faire entendre leur voix

dans l’espace public. Les journalistes écrivent leurs articles sur le registre agresseurs / victimes

et se présentent comme les porte-parole des ces dernières : c’est la fonction du journaliste dans

l’espace public. Enfin, les juristes fabriquent la notion de « personne morale » et jouent un grand

rôle dans la définition des catégories d’ayants droits produites par les nouvelles lois sociales.

Durant les dernières décennies du 19ème siècle, la France élabore les nouvelles

nomenclatures des recensements. La nationalité et la catégorie socioprofessionnelle sont les

principaux critères retenus pour appréhender la société française. L’appareil statistique fixe les

grandes lignes du « modèle républicain ». Les tentatives pour enregistrer les « races », les

religions ou les groupes ethniques sont abandonnées au nom des Droits de l’Homme. Jusqu’au

milieu du 19ème siècle, les recensements servent à évaluer les ressources du royaume. Sous la

IIIème République, les statistiques « descriptives » cèdent la place aux statistiques

« prescriptives » : les catégories administratives affectent désormais les intérêts et l’identité

individuelle ou collective des citoyens, les catégories statistiques ont des effets puissants dans la

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construction des groupements sociaux. Le mouvement d’intégration nationale passe par la

diffusion des normes élaborées par la société de cour dans toutes les couches qui ont accès à la

communication écrite. Cette culture, parisienne dans la première moitié du 19ème siècle, devient

nationale sous la IIIème République. La population étrangère double entre 1872 et 1886, soit 1,2

million de personnes. L’immigration de voisinage explose en raison de la signature des traités de

libre circulation des hommes et des marchandises. Entre 1886 et 1914, la population étrangère se

renouvelle : les nouveaux migrants sont allemands, espagnols, anglais et suisses. Des réfugiés

russes arrivent en petit nombre pour échapper au régime du Tsar. La seconde révolution

industrielle donne lieu à l’arrivée massive des italiens : ils forment la première communauté

étrangère de France dès le début du 20ème siècle. Le faible exode rural entraînant un manque de

main d’œuvre, les entreprises embauchent des étrangers dans les grandes villes et les paient

moins. L’intensification du recours à la main d’œuvre étrangère exacerbe les tensions au sein du

monde ouvrier : se consolide le clivage entre les ouvriers locaux et ceux qui viennent d’ailleurs.

Les conflits atteignent leur paroxysme pendant la crise entre 1880 et 1890.

L’affaire dite « des Vêpres marseillaises » représente un tournant car, pour la première

fois, un conflit entre ouvriers au niveau local est décrit comme un problème politique national.

L’écho donné par la presse parisienne à cet événement incite le gouvernement républicain à se

pencher sur ces rixes. Juillet 1881 : le ministère de l’Intérieur commande une étude dans toutes

les préfectures pour avoir une vue d’ensemble sur les relations de travail entre « ouvriers français

et étrangers ». A partir de cette date, les incidents locaux sont décrits comme des conflits

nationaux. La centralisation de ces informations accroît leur visibilité, ce qui permet aux

journalistes de les utiliser dans leurs articles. L’affaire « des Vêpres marseillaises » joue un rôle

essentiel dans l’invention du problème de l’immigration. A partir de 1881, de nombreux articles

de presse sont consacrés aux étrangers en France. Deux nouveaux thèmes font leur apparition :

l’espionnage et les conflits entre les travailleurs de différentes nationalités. Alors que les

journaux insistaient jusqu’alors sur les conflits patrons / ouvriers, l’accent est désormais mis sur

le clivage national. La « fait-diversification » de la politique dans la presse de masse joue un rôle

essentiel dans le triomphe d’un nouveau discours public sur l’étranger, présenté à la fois comme

un espion, un anarchiste, un criminel, suspecté de déloyauté et usurpant le travail des nationaux.

Les français deviennent les victimes de cette menace incarnée par l’étranger. A la fin du 19ème

siècle, c’est le stéréotype du barbare qui s’impose dans le discours sur l’immigration et qui

justifie une politique sécuritaire à l’égard des étrangers. Avec l’arrivée de migrants en

provenance de l’empire colonial, le stéréotype du sauvage différencie les « primitifs » des

« civilisés ». Les journalistes de l’époque usent et abusent de plaisanteries sur les indigènes,

caricaturent leur accent par écrit. C’est au cours de ces décennies qu’est inventé le « petit

nègre ». Lorsqu’ils sont mis en scène dans la rubrique « faits divers », les « sauvages » des

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colonies sont présentés sur un mode humoristique. On retrouve le même registre dans les

journaux pour enfants, à tel point que pour Marc Angenot qui a étudié l’ensemble des écrits

publiés en 1889 « il n’est pas exagéré de dire que l’apprentissage du mépris racial est la visée

dominante de la presse pour la jeunesse18 ». Ces stéréotypes véhiculés par la presse seront repris

par les hommes politiques français pour alimenter leurs luttes de concurrence. La IIIème

République assiste à la politisation des problèmes d’immigration qui s’effectue par une mise en

équivalence de tous les éléments qui définissent l’étranger comme un ennemi de l’intérieur :

« espion et criminel, il prend le travail des Français et grève les budgets d’assistance » (Noiriel,

2007, p. 165). L’étranger qui n’était qu’un acteur des récits des faits divers devient un

personnage central du discours politique. Cette politisation de l’immigration donne lieu à une

réflexion relative à la nationalité française. Le 26 juin 1889 est adoptée une loi qui constitue le

fondement de l’actuel Code de la Nationalité : elle fait une place plus grande au droit du sol en

permettant aux enfants d’étrangers nés en France de devenir français à leur majorité, sauf s’ils

refusent la nationalité française. Cette loi abaisse également les droits de sceau pour l’accès à la

naturalisation : on estime qu’un million de personnes est devenu français dans les décennies qui

ont précédé la Première Guerre Mondiale, en application de la loi de 1889. Cette loi donne lieu à

un important débat qui aboutit à une réforme en 1893 qui fixe sur le plan juridique deux groupes

d’individus jugés inassimilables. Les premiers sont les étrangers qui menacent la nation française :

ce sont les « barbares » évoqués plus haut. Les seconds sont les indigènes des colonies, les

« sauvages » qui ne peuvent avoir les mêmes droits que les autres car ils ne sont pas civilisés. Les

lois de 1889 et 1893 institutionnalisent la puissante ligne de démarcation qui sépare désormais

nationaux et étrangers.

Autre événement, l’affaire Dreyfus joue un rôle fondateur dans l’histoire de la

stigmatisation des origines. C’est à cette période qu’apparaît le lexique utilisé aujourd’hui pour

nommer la haine de l’Autre : « antisémitisme », « racisme », « xénophobie ». Avec la publication

de « La France Juive » d’Edouard Drumont en 188619, la croyance dans la malfaisance des juifs se

répand dans l’opinion publique. Cette publication est considérée comme le point de départ de

l’antisémitisme en France. Cet ouvrage rassemble tous les préjugés traditionnels à l’encontre des

juifs et l’auteur doit son succès à la rhétorique spécifique qu’il utilise pour convaincre ses

lecteurs. Cette rhétorique consiste à reprendre l’actualité que la grande presse met à l’ordre du

jour, présenter un diagnostic sur les malheurs du peuple et proposer des remèdes politiques.

18 ANGENOT M., 1889, Un état du discours social, Montréal, Editions du Préambule, 1989, cité par NOIRIEL G., Immigration, antisémitisme et racisme en France (XIXè-XXè siècles). Discours publics, humiliations privées, Paris : Fayard, 2007, p. 162 19 DRUMONT E., La France juive. Essai d’histoire contemporaine, Paris : Gautier, 1886, cité par NOIRIEL G., Immigration, antisémitisme et racisme en France (XIXè-XXè siècles). Discours publics, humiliations privées, Paris : Fayard, 2007, p. 208

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Edouard Drumont parvient à nouer une complicité tacite avec son public ; son ouvrage devient un

best-seller. L’ouvrage provoque une vive polémique et fait naître en France un « problème juif ».

L’antisémitisme se constitue alors en courant politique reposant sur l’idée que les juifs « posent

problème ». Cette politisation du « problème juif » s’accompagne de sa laïcisation : une nouvelle

mise en équivalence juif / étranger domine le discours public. Drumont parvient, avec son

ouvrage puis son journal « La Libre Parole », à construire un personnage mis en scène dans des

situations constamment négatives. C’est dans ce contexte qu’éclate l’Affaire Dreyfus. Elle débute

le 15 octobre 1894, jour de son arrestation, et s’achève le 13 janvier 1898, par la publication de

l’article d’Emile Zola « J’accuse ! ». À la fin de l'année 1894, le capitaine de l'armée française

Alfred Dreyfus, polytechnicien, juif d'origine alsacienne, accusé d'avoir livré aux Allemands des

documents secrets, est condamné au bagne à perpétuité pour trahison et déporté sur l'île du

Diable. À cette date, l'opinion, comme la classe politique française, sont unanimement

défavorables à Dreyfus. Certaine de l'incohérence de cette condamnation, la famille du capitaine,

derrière son frère Mathieu, tente de prouver son innocence, engageant à cette fin le journaliste

Bernard Lazare. Parallèlement, le colonel Georges Picquart, chef du contre-espionnage, constate

en mars 1896 que le vrai traître est le commandant Ferdinand Walsin Esterházy. L'État-major

refuse pourtant de revenir sur son jugement et affecte Picquart en Afrique du Nord. Afin d'attirer

l'attention sur la fragilité des preuves contre Dreyfus, sa famille contacte en juillet 1897 le

respecté président du Sénat Auguste Scheurer-Kestner qui fait savoir, trois mois plus tard, qu'il a

acquis la conviction de l'innocence de Dreyfus, et qui en persuade également Georges

Clemenceau, ancien député et alors simple journaliste. Le même mois, Mathieu Dreyfus porte

plainte auprès du ministère de la Guerre contre Walsin-Esterházy. Alors que le cercle des

dreyfusards s'élargit, deux événements quasi simultanés donnent en janvier 1898 une dimension

nationale à l'affaire : Esterházy est acquitté, sous les acclamations des conservateurs et des

nationalistes ; Émile Zola publie « J'Accuse…! », plaidoyer dreyfusard qui entraîne le ralliement de

nombreux intellectuels. Un processus de scission en deux de la France est entamé, qui se prolonge

jusqu’à la fin du siècle. Des émeutes antisémites éclatent dans plus de vingt villes françaises. On

dénombre plusieurs morts à Alger. La République est ébranlée, certains la voient même en péril,

ce qui incite à en finir avec l’affaire Dreyfus pour ramener le calme. Malgré les menées de l'armée

pour étouffer cette affaire, le premier jugement condamnant Dreyfus est cassé par la Cour de

cassation au terme d'une enquête minutieuse, et un nouveau conseil de guerre a lieu à Rennes en

1899. Contre toute attente, Dreyfus est condamné une nouvelle fois, à dix ans de travaux forcés,

avec, toutefois, des circonstances atténuantes. Épuisé par sa déportation de quatre longues

années, Dreyfus accepte la grâce présidentielle, accordée par le président Émile Loubet. Ce n'est

qu'en 1906 que son innocence est officiellement reconnue au travers d'un arrêt sans renvoi de la

Cour de cassation, décision inédite et unique dans l'histoire du droit français. A l’époque, la plus

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grande partie des juifs cherche à échapper à la stigmatisation en affirmant qu’il n’y a pas de

« problème juif » en France. Refuser d’admettre le « problème » mis sur la place publique par le

camp adverse est un réflexe constant chez les personnes victimes du racisme. Selon la psychologie

sociale, les individus stigmatisés s’efforcent généralement de soustraire au regard dominant les

éléments de leur identité personnelle qui sont publiquement montrés du doigt. Ce type de réflexe

explique qu’un grand nombre de juifs ne se soit pas mis en avant au moment de l’affaire Dreyfus,

estimant que toute manifestation publique de solidarité avec le capitaine serait interprétée par

les antisémites comme une preuve de la justesse de leur analyse sur la « solidarité des races ».

II - De la Première Guerre Mondiale à 1945 : une

politique d’immigration en chantier

Après la Première Guerre Mondiale, les frontières américaines se ferment et le phénomène

migratoire s’accroît. Plusieurs vagues de réfugiés de différentes origines (russes, arméniens,

géorgiens, juifs, antifascistes italiens, hongrois, roumains, tchécoslovaques...) ainsi que des

immigrés venant d’Italie, de Pologne, de Tchécoslovaquie et des réfugiés affluent en France. Au

début des années 1920, l’immigration nord-africaine, non désirée, se développe. En 1924, elle est

d’ailleurs interdite à l’occasion d’une poussée du chômage en métropole. Puis des régularisations

massives ont lieu à la fin des années 1920 (21 620 en 1928, 43 928 en 1929, 60 000 en 1930) (Weil,

2005, p. 27). De la fin du 19ème siècle à la fin des années 1930, le déficit démographique de la

France a de lourdes conséquences sur le marché de la main d’œuvre et sur les besoins de

recrutement de l’armée, qui fait venir de la main d’œuvre étrangère. Cette main d’œuvre,

recrutée dans les industries de transformation est une « immigration de voisinage » (Weil, 2005,

p. 23) en provenance d’Allemagne, de Belgique, du Luxembourg, des Pays Bas, de Grande

Bretagne. Ainsi, en 1930, la France est le pays qui compte le plus fort taux d’étrangers (515 pour

100 000 habitants contre 492 aux États-Unis). Dans les années 1920, les immigrés ne sont pas des

privilégiés : ils subissent un contrôle social contraignant, reçoivent un salaire modeste et sont

exposés, dès les années 1930, à la crainte du retour forcé en cas de chômage ou de non

renouvellement de titre. Philippe Serre, sous-secrétaire d’Etat chargé des services de

l’immigration et des étrangers auprès de la présidence du Conseil puis Secrétaire d’Etat au

travail, favorise une immigration économique, utilitariste : il développe une politique de

sélectivité professionnelle en fonction des besoins en main d’œuvre. Les populations immigrées

sont choisies en fonction de leur capacité (supposée) à s’assimiler : l’immigration « néfaste » est

opposée à l’immigration « utile ». Patrick Weil parle de « politique de sélectivité ethnique ».

C’est le début de l’ « immigration choisie ».

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Lors de la crise des années 1930, l’immigration continue de croître alors que le Parlement

prend des mesures restrictives, poussé par l’opinion publique. La crise économique aboutit à la loi

du 10 août 1932 accordant la priorité du travail à l’ouvrier français dans l’industrie en instaurant

des quotas d’ouvriers étrangers dans les entreprises. La loi du 10 août 1930 autorise le

gouvernement à prendre des décrets, à la demande des organisations syndicales ou patronales,

pour fixer la proportion maximale de travailleurs étrangers (des quotas) dans les entreprises. Le

21 avril 1933, la loi Armbruster limite l’exercice de la médecine aux seuls français. En juin 1934,

les avocats français font voter une loi interdisant aux français naturalisés l’exercice de professions

publiques instituées par l’Etat ou l’inscription au barreau. Dans un climat de xénophobie

généralisée, l’Administration fait du zèle répressif en dépit du gouvernement du Front populaire.

En 1935, un nombre important d’étrangers fait l’objet de départs contrôlés (surtout des

ressortissants polonais). En dépit de la xénophobie ambiante et de l’arrêt des flux, l’accès à la

nationalité française est facilité par une loi sur la naturalisation entérinée le 10 août 1927.

Pour Patrick Weil, avant 1945, les actions des pouvoirs publics en matière d’immigration

sont incohérentes, inefficaces et illégitimes. Les nombreuses contradictions administratives et

politiques vont donner lieu à une volonté de construction d’une politique d’immigration

rationnelle et coordonnée. Trois questions se posent alors : que faire par rapport aux flux des

entrées ? Quels droits accorde-t-on aux immigrés ? Quelle politique de retour doit-on appliquer ?

Trois logiques prédominent la réflexion : une logique de valeurs et de principes politiques, une

logique de démographie politique (la France a besoin de population pour devenir une grande

puissance) et une logique économique. Alors que jusqu’en 1945, les logiques se confrontent, la fin

de la guerre marque le choix de la logique fondée sur les valeurs républicaines. Ce n’est qu’au

milieu des années 1970 que ce choix sera ébranlé par la crise. A la fin de la Seconde Guerre

Mondiale, la France doit se redresser : domine alors un impératif démographique. Le Général De

Gaulle confie au Haut Comité de la Population et de la Famille la préparation du cadre juridique

de la nouvelle politique d’immigration. Emerge un débat entre économistes et démographes. Les

premiers visent l’augmentation de la production alors que les seconds veulent atteindre un « idéal

démographique » (l’optimum de population). Economistes et démographes s’accordent sur

l’évaluation du chiffre de l’immigration : 1 500 000 individus sur cinq ans et sur une durée

d’installation longue, l’objectif étant qu’ils participent au repeuplement de la France. Un autre

projet prévoit de subordonner l’immigration aux intérêts généraux de la nation sur les plans

ethnique, sanitaire, démographique et géographique. Un ordre de désirabilité nationale ou

ethnique, un contrôle sanitaire des arrivants et une sélection par professions sont mis en place.

Le texte proposé par le Haut Comité de la Population et de la Famille est remanié par René

Cassin, vice-président du Conseil d’Etat, qui supprime la référence aux pouvoirs ministériels de

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contrôler l’origine ethnique ou l’affectation géographique des étrangers. Les valeurs républicaines

prennent le dessus.

En février 1945, le ministère de l’Intérieur propose d’attribuer au réfugié un statut

« bienveillant », un « droit de cité » en France qui faciliterait son assimilation. Les 19 octobre et

2 novembre 1945 sont signées des ordonnances qui déterminent les conditions d’accès à la

nationalité et les conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France. Ces ordonnances

constituent le cadre de la politique française d’immigration, les premiers textes de coordination

de l’action de l’État dans le domaine de l’immigration. Un immigré, selon l’article 6 de

l’ordonnance du 2 novembre, est « la personne née étrangère à l’étranger qui s’installe sur le

territoire national au-delà d’un durée de trois mois, de façon continue et pour une période

indéterminée ». Avec l’ordonnance du 2 novembre 1945, un immigré est régularisé s’il présente

une promesse d’embauche ou un contrat de travail et a la possibilité de faire venir sa famille :

c’est le début du regroupement familial. Cette ordonnance marque un changement dans la nature

de l’immigration : la France devient un pays d’immigration durable, de travailleurs et de familles.

L’ordonnance du 2 novembre présente la France comme un pays désireux d’accueillir les immigrés

(protection spéciale pour le demandeur d’asile, absence de hiérarchie ethnique ou culturelle).

Toutefois, Eric Fassin et Jean-Louis Halerpin indiquent que les ordonnances de 1945 se soucient

également que les étrangers ne constituent pas une menace à l’ordre public (Fassin et Halperin,

2009). La question de l’immigration à la fin des années 1940 comprend notamment la question

algérienne. Colonisés par la France depuis 1830, les algériens disposent pourtant de droits

distincts de ceux des français. Les musulmans d’Algérie ne deviennent citoyens français que le 20

septembre 1947. C’est également à cette date qu’ils obtiennent la liberté de circulation en

métropole : l’affaire coloniale domine la politique d’immigration qui se réorganise autour du

« problème algérien ». La politique française d’immigration se réoriente en fonction des

migrations venues d’Algérie. A partir de 1956, la France favorise l’entrée d’autres nationalités

(portugaise, tunisienne et marocaine) en leur donnant les mêmes droits qu’aux Algériens.

L’indépendance de l’Algérie en 1962 donne lieu à la signature des accords d’Evian qui prévoient la

libre circulation entre la France et l’Algérie pour les ressortissants des deux pays. Cette mesure

devait permettre aux français d’Algérie de pouvoir rentrer facilement en France en cas

d’urgence. Elle profitera surtout aux algériens, dans une situation économique difficile. Pour

contrebalancer l’immigration algérienne, la France signe des accords de main d’oeuvre avec la

Yougoslavie, la Turquie, le Maroc, la Tunisie. Ces stratégies mises en place par la France pour

sélectionner indirectement les migrants qu’elle accueille laissent la place à une posture plus

offensive dans les années 1970.

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HUGUENOT Elise Mémoire de Sociologie, spécialité Développement Social Urbain 28 / 138

III - L’ « après 68 » : entre récession économique et

retours forcés

A la fin des années 1960, la situation du logement des populations immigrées est

catastrophique, l’urgence se situe dans la résorption des bidonvilles. L’accompagnement social

des immigrés (via le Fonds d’action sociale pour les travailleurs migrants ou FAS) devient

absolument nécessaire. Pour éviter de prendre le problème de l’amélioration des conditions de

vie des immigrés à bras le corps, la France met en avant le caractère provisoire du séjour des

étrangers. Au début des années 1970, des mouvements revendicatifs où les immigrés jouent un

rôle important se développent. Le degré de mobilisation des immigrés est néanmoins variable en

raison de leur crainte de l’expulsion ou parce que certains d’entre eux, ayant atteint des positions

plus élevées, se désolidarisent. La diversité des problèmes à l’origine de ces conflits ainsi que la

diversité des formes d’action expliquent que les résultats des luttes soient variables. Néanmoins,

la loi Pleven du 1er juillet 1972 fait du racisme un délit et celle du 6 juillet 1973 accentue la

répression des trafics de main d’œuvre. Jusqu’en 1972, Jacques Delors, secrétaire général auprès

du Premier Ministre, travaille à la mise en place d’un plan d’action complet mais le problème du

logement n’est pas traité. Dès 1968, la « question immigrée » devient une question publique et

politique, les immigrés : demeurent « maltraités socialement » (Weil, 2005, p. 100). Avec la

récession économique de 1973 et la hausse des revenus du pétrole en Algérie, la politique

d’immigration est entièrement réexaminée. Le 19 septembre 1973, l’Algérie stoppe toute

immigration vers la France en raison du racisme ambiant (le nombre d’agressions et d’attentats

contre les travailleurs immigrés se multiplient). Le pays veut, par ailleurs, signifier à

l’international que l’Algérie n’a plus besoin de la France, ancienne puissance coloniale. Cette

décision provoque la crainte des entreprises françaises qui redoutent de manquer de main

d’œuvre si les autres pays d’émigration prennent exemple sur l’Algérie.

En 1974, l’immigration est stoppée. La France compte 3,5 millions d’étrangers. Dès lors,

l’Administration française tente de planifier les entrées en privilégiant les immigrés des pays

voisins, en installant des offices nationaux d’immigration à Milan plutôt qu’à Istanbul. Cet essai de

planification est un échec. L’attraction de l’offre française diminue auprès des immigrés : la

France ne parvient pas à attirer les immigrés qu’elle désire (alors que les Italiens s’installent en

Suisse, plus attractive, les Espagnols privilégient l’Allemagne). En juillet 1974, la France

comprend 6.2 % d’étrangers. Dix ans plus tard, tous les immigrés légalement entrés et installés en

France obtiennent le droit de rester sur le territoire français. Notons que cette disposition est

mise en place dès 1962 en Grande Bretagne et en 1972 en Allemagne. Valéry Giscard d’Estaing,

élu à la présidence en 1974, nomme André Postel-Vinay secrétaire d’Etat et coordinateur des

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politiques publiques de l’immigration. Alors que le chômage augmente fortement et que les

autres pays européens ferment leurs frontières, la France continue d’accueillir un nombre

important de migrants. Pour André Postel-Vinay, trois phénomènes imposent l’arrêt préventif des

flux migratoires : les perspectives démographiques mondiales, une crise économique longue et

profonde qui va provoquer la hausse du chômage et la situation du logement des étrangers. Le

secrétaire d’Etat propose un traitement différencié des situations : l’immigré installé se voit

accorder le droit à l’installation durable, l’arrivant se voit refuser l’entrée pour préserver le

maintien de la cohésion et de l’ordre social. Les mesures prises par le gouvernement lors du

Conseil des ministres du 3 juillet 1974 consistent notamment à limiter les entrées des travailleurs

étrangers et de leurs familles en fonction des possibilités d’emploi et d’accueil du pays, empêcher

les passages clandestins et les faux touristes, renforcer la lutte contre le marché noir du travail,

augmenter l’action sociale en faveur des étrangers résidents (le logement notamment), alléger et

simplifier la réglementation du séjour et du travail. Le 3 juillet 1974, l’immigration est stoppée

mais le reste du programme proposé par André Postel-Vinay est laissé de côté, ce qui motivera sa

démission. Paul Dijoud remplace André Postel-Vinay en juillet 1974. Il privilégie moins de fermeté

dans la suspension des flux et moins d’action sociale. Paul Dijoud réussit à faire augmenter les

ressources de la Direction de la population et des migrations grâce au soutien du Président, la

politique d’immigration étant une politique « présidentielle », coordonnée non pas par le Premier

Ministre mais par le Président lui-même. Il obtient la mise en place d’une mission de lutte contre

les trafics de main d’œuvre. Les politiques sociales favorisent à l’époque la conservation des liens

des immigrés avec l’État d’origine. Pour Patrick Weil, cette tendance permettait d’éviter que les

immigrés prennent part aux revendications politiques « à la française ». Le développement de

l’Islam est favorisé, l’Office national pour la promotion culturelle des immigrés est créé.

Parallèlement, deux réformes juridiques (régime des titres de travail, régime du Code de la

nationalité) sont votées, attestant du droit, pour les immigrés, de s’installer et de « s’assimiler ».

L’organisation de l’immigration familiale est un des éléments fondamentaux de la politique de

Paul Dijoud. Il fait voter un décret le 29 avril 1976 qui confirme le droit à l’immigration familiale.

Il réussira également à agir sur le plan du logement puisqu’il fait affecter une partie du 1 %

patronal à la construction de logements réservés aux immigrés. Du côté de la présidence, Valéry

Giscard d’Estaing limite son intervention à des gestes symboliques. Il reçoit des éboueurs

sénégalais et maliens pour un petit déjeuner à l’Élysée en décembre 1974 et se rend à Marseille,

ville symbole en matière d’immigration, pour offrir à la Ville un contrat d’agglomération le 27

janvier 1975. Parallèlement, les expulsions se multiplient, en raison de la conception répressive

de l’ordre public du Ministre de l’Intérieur. L’immigration nouvellement arrivée est surveillée car

suspectée de soutenir l’extrême gauche française et les partis d’opposition au régime en place.

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En mars 1977, Paul Dijoud est remplacé par Lionel Stoléru, secrétaire d’Etat chargé des

travailleurs manuels et immigrés. Cette succession symbolise un changement d’orientation

stratégique car le contexte économique a changé et la crise durable rend la politique

d’immigration inadaptée. La nouvelle politique économique repose sur le rétablissement des

grands équilibres : celui du marché de l’emploi et celui des échanges extérieurs. Le gouvernement

veut diminuer la présence étrangère, l’opinion publique étant de plus en plus hostile à celle-ci en

raison de l’augmentation du chômage. La fermeture des flux d’entrée est renforcée, la priorité

est donnée aux retours d’une partie des étrangers résidents, retours volontaires puis forcés (à

partir de 1978). En effet, de 1974 à 1977, les pouvoirs publics tentent de favoriser le retour des

immigrés dans leur pays d’origine en leur proposant des formations professionnelles. Ce dispositif

donne des résultats peu probants. Les crédits du FAS sont réorientés : ceux qui favorisent les

retours augmentent, ceux qui facilitent l’installation se réduisent. De 1978 à 1980, la politique

initiée par Valérie Giscard d’Estaing de « retour volontaire », fondée sur un préjugé

d’inassimilabilité à la nation française, vise le départ de 100 000 étrangers par an, soit 500 000 en

cinq ans, en majorité des maghrébins20. L’histoire de la colonisation, l’engagement syndical des

algériens et les revendications de l’Algérie face à l’ancienne puissance coloniale amènent le

gouvernement à penser que le départ d’une partie de cette communauté peut apaiser les tensions

politiques, sociales et culturelles. Deux textes sont préparés : un élargit les pouvoirs d’expulsion

du ministère de l’Intérieur, l’autre rend possible le non-renouvellement des titres des étrangers

résidents. La collaboration avec l’Algérie pour organiser le retour des algériens installés en France

est nécessaire mais l’Algérie refuse les retours forcés. Le Conseil du 13 juin 1979 fixe un objectif

de 100 000 retours annuels dont la moitié serait obtenue par le non-renouvellement du titre de

séjour. Ces retours forcés concernent en priorité les algériens. En réaction à cette décision, les

syndicats se mobilisent au nom des valeurs essentielles de la République. Le deuxième texte est

retiré en décembre 1979 : Raymond Barre, Premier Ministre, annonce à Mohammed Benyahia,

Ministre algérien des Affaires Etrangères, l’abandon de la France de son objectif des retours

forcés. Deux ans plus tard, Valérie Giscard d’Estaing cède la présidence de la République à

François Mitterrand dont la politique d’immigration tranchera radicalement d’avec celle de son

prédécesseur.

20 WEIL P., La République et sa diversité. Immigration, Intégration, discrimination, Paris : Le Seuil, Collection La République des Idées, 2006, 109 pages

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IV - La victoire de François Mitterrand en 1981 : le

début d’une nouvelle ère

Toutes les recherches consacrées aux transformations récentes du discours sur

l’immigration convergent pour souligner le brutal changement de ton qui se produit entre 1981 et

1983. Après les Trente Glorieuses, le retournement de la conjoncture provoque un très fort

développement du chômage qui affecte en premier lieu la grande industrie, secteur ayant recruté

la plus grande partie des immigrés depuis le 19ème siècle. Pour la politique économique du pays,

François Mitterrand, président de la République nouvellement élu, opte pour une politique

keynésienne de relance par la consommation : la politique de retours devient donc désuète. En

matière de politique internationale, les pouvoirs publics initient un changement d’attitude à

l’égard des immigrés qui représentent symboliquement leur pays d’origine en France. Le

président de la République affiche une volonté de rupture et s’engage dans une « charte de

l’action gouvernementale » (Weil, 2005, p. 196), composées de 110 propositions. L’orientation de

l’action est marquée par les valeurs qui dominent alors la gauche : la solidarité internationaliste

avec le Tiers-monde et la lutte contre l’exploitation. Le droit des étrangers est un axe central de

préoccupation. La nouvelle appellation du secrétaire d’État « chargé des immigrés » auprès du

Ministre de « la Solidarité nationale » est symbolique : l’immigré n’est plus seulement un

travailleur. L’aide au retour est supprimée, les expulsions sont interrompues, les familles en

situation irrégulière sont régularisées, l’immigration familiale est ouverte de nouveau. Le

gouvernement Mitterrand procède à des régularisations massives21 en raison de l’ampleur du

phénomène (300 000 clandestins en 1980) (Weil, 2005, p. 206). Cette décision comprend une

dimension symbolique visant à instaurer des relations de confiance entre les immigrés et les

pouvoirs publics, à rompre avec la période précédente et à marquer la renaissance de l’État de

droit. Par ailleurs, la régularisation vise à libérer les immigrés, dorénavant en situation régulière,

de leur solidarité potentielle avec les migrants en situation irrégulière. Pour éviter que les

régularisations ne provoquent un surcroît de chômage, le gouvernement prend rapidement des

mesures et contraint les employeurs à offrir aux salariés un contrat de travail.

En dépit de l’alternance politique, les priorités demeurent la lutte contre l’immigration

irrégulière et l’arrêt de l’immigration non-qualifiée. Les années 1980 voient se développer une

« contrôlite » aigue (Weil, 2006), les contrôles exercés ne faisant plus de distinguo entre les

personnes voulant entrer en France pour tourisme, affaires, mariage ou étude. Un titre de séjour

unique de dix ans est tout de même créé en 1984.

21 Seuls les individus arrivés en France avant le 1er janvier 1981 peuvent être régularisés.

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Les années 1980 connaissent une crise économique majeure, affectant lourdement le

marché du travail en France. Cette crise modifie brutalement la perception qu’ont les français

des immigrés. Le fait que les personnes le plus massivement touchées par la crise soient très

souvent issues des pays qui ont été autrefois des colonies françaises alimente un intense débat sur

le rôle du racisme dans les discriminations sur le marché du travail, qui donnera lieu à des

mouvements de revendications. Gérard Noiriel rappelle cependant que le critère de l’origine des

personnes ne peut pas à lui seul expliquer tous les problèmes. Le groupe qui subit le plus

massivement les effets de cette crise se définit par deux critères inséparables que sont

l’appartenance sociale et l’origine nationale.

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La fin des Trente Glorieuses : de la crise

économique aux premières revendications

identitaires

Pendant les Trente Glorieuses, la constitution d’une classe moyenne contribue à

restreindre la hiérarchie économique. La société est alors organisée autour de la constellation

populaire (ouvriers et employés) et de la constellation centrale (cadres, enseignants, ingénieurs),

qui représentent les trois quarts de la population française22. Autour de ces deux constellations

gravite la galaxie des indépendants (15 % de la population française) et à l’extrémité on trouve les

pauvres (7 %) et les élites (3 %).

Si les modes de vie se sont homogénéisés, demeurent de profondes disparités entre les

cadres et les cadres supérieurs, les ouvriers et les employés, en matière d’équipements, de

destinations de vacances, d’alimentation… La fracture sociale d’aggrave, l’écart se creuse entre

« la France d’en bas et la France d’en haut » (Jovelin et Prieur, 2005, p. 70). Le chômage et la

précarité sont en hausse. Le nombre de salariés précaires (CDD, apprentis, temps partiel)

quadruple entre 1984 et 2004 (638 000 / 2 360 000) et près de six millions de français vivent des

minima sociaux, soit deux fois plus qu’en 1970. Parallèlement, en France, le nombre de personnes

payant l’impôt sur la fortune double en dix ans (163 125 en 1993, 299 656 en 2003).

La France entre dans une crise économique durable et profonde qui affecte de plein fouet

les populations immigrées travaillant dans l’industrie de transformation. Comme à chaque crise

économique, les manifestations xénophobes enflent et le regard porté sur les immigrés est

méfiant et hostile. Des conflits éclatent dans les années 1980 et amènent l’Etat à réfléchir à une

nouvelle « gestion » de la « question immigrée » qui consistera en une politique inédite en

France de lutte contre les discriminations raciales.

I - Crise économique et représentation des

populations immigrées en France

Depuis la fin du 19ème siècle, nous l’avons vu, la France est une terre d’immigration. Le

pays connaît plusieurs vagues d’immigration successives, en fonction de ses besoins en main

22 JOVELIN E. et PRIEUR E., « État-Providence, inégalités sociales et travail social en France. Un combat des titans », Pensée plurielle – Parole, pratique et réflexions du social, n° 10, 2005, p. 69

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d’œuvre, qui contribuent à diversifier la physionomie de l’immigration. Dans un contexte

économique et social difficile, nourri par une incertitude sur l'avenir, l'étranger ou « celui qui en a

l'air » devient, pour certains citoyens, le bouc émissaire idéal, responsable de tous les maux de la

société française23. Les français ont tendance à associer les immigrés aux anciens colonisés ou au

Tiers-monde en général, aux « musulmans » ou aux « clandestins ». On les situe au bas de

l’échelle sociale et on les reconnaît à ce qu’ils ont une « race ». Ces vingt dernières années,

l’immigré est l’objet du « mépris social24 » qui stigmatise autant la « race » que la classe sociale.

Alors que les immigrés sont assimilés aux vieux travailleurs, les individus « issus de l’immigration »

sont assimilés aux enfants des immigrés, jeunes au chômage, « turbulents et inutiles »,

« délinquants » ou encore « intégristes25 ».

La force de « la pensée d’État » (Bourdieu) contribue à instaurer une coupure forte entre

étrangers et nationaux qui se traduit sur le marché du travail par des discriminations légales. La

distinction entre « étranger » et « national » est constitutive de l’État nation et cette distinction

est structurante dans le cas de la France (Fassin et Halperin, 2009, p. 60). Cette distinction

s’incarne dans des mesures, des « papiers » distincts et des droits et devoirs différents. Eric Fassin

et Jean-louis Halperin expliquent que l’existence de discriminations « de droit » contribue à

légitimer l’existence de discriminations « de fait » : « en imposant certaines représentations de

l’étranger, le droit contraint la réalité à se plier à ses catégories et impose imperceptiblement

sa problématique aux représentations collectives » (Fassin et Halperin, 2009, p. 61). De plus, les

étrangers sont assignés au silence par l’Etat. Ils font l’objet d’une injonction étatique de

loyalisme politique : l’étranger n’a pas le droit à l’écart, il se doit d’être irréprochable pour se

fondre dans la masse, il doit montrer qu’il est « assimilable », « intégrable », un « bon étranger »

(Fassin et Halperin, 2009, p.61). Un « bon étranger » pour l’Etat est une personne qui ne

revendique pas, qui ne s’exprime pas politiquement (les étrangers extracommunautaires n’ont de

toute façon pas le droit de vote). Les étrangers sont tenus de faire allégeance à la société qui les

accueille, une menace d’expulsion pèse sur eux en cas d’action revendicatrice. A chaque crise

économique (à la fin du 19ème siècle, dans les années 1930 et 1970) surgit une inquiétude liée à la

protection du marché du travail contre la concurrence de ceux qui sont contraints d’accepter des

conditions d’emploi et de salaire moins favorables. C’est pourquoi seront mises en place sous la

IIIème République des lois sociales comprenant des discriminations à l’encontre des étrangers (à la

fin des années 1990, sept millions d’emplois sont de droit « interdits » aux étrangers).

23 GELD, « Discriminations raciales », 45 pages, [référence du 28 décembre 2009], URL : http://www.animafac.net/le-geld-et-l-adri-vous-propose-un-dossier-discriminations-raciales/# 24 Étude et guide « Discriminations « raciales » et politiques antidiscriminatoires - Fiches pour l’action », Cahier Millénaire3, Grand Lyon, mai 2003, p. 24. URL : <www.millenaire3.com>

25 Ibid., p. 24

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HUGUENOT Elise Mémoire de Sociologie, spécialité Développement Social Urbain 35 / 138

En 1973, le choc pétrolier entraîne une dégradation de la prospérité économique en

France, influant négativement sur les rapports entre la population française et les immigrés

installés en France. Dans son article « Modèle d’intégration et lutte contre les discriminations »,

Patrick Simon tente d’expliquer en quoi l’intégration des étrangers des années 1930

(l’immigration européenne) diffère ou non de celle des immigrés arrivés en France dans les

années 1960 (l’immigration postcoloniale). Ainsi, il s’interroge sur la question de la « distance

culturelle » entre la culture française, ou plus largement occidentale, et la culture immigrée, en

d’autres mots musulmane. Les auteurs de « L’inégalité raciste. L’universalité républicaine à

l’épreuve » reviennent sur cette notion de « proximité culturelle » qui postule qu’ « il y aurait

moins de « distance » entre un paysan portugais non francophone et un patron d’entreprise

qu’entre ce même patron et un ouvrier algérien francophone26 ». La proximité et la distance

culturelles seraient, selon les auteurs, des « appréciations subjectives et […] idéologiques

socialement construites » (De Rudder, 2000, p. 139) qui nourrissent les tensions dans la France

des années 1970. Walter Benn Michaels propose la même image en développant l’idée selon

laquelle l’identité raciale l’emporterait sur la classe sociale « si bien qu’on pense qu’un médecin

blanc et un métayer blanc ont bien plus de choses en commun qu’un médecin blanc et un

médecin noir » (Benn Michaels, 2009). Le recours à ces notions de « proximité » ou de « distance »

culturelles permettrait d’objectiver des représentations et des catégorisations relatives (De

Rudder, 2000, p. 140). Le débat sur l’intégration des populations immigrées se pose pourtant en

termes de compatibilité entre la « culture française » et la « culture immigrée » caractérisée

notamment par la religion musulmane. Les auteurs de « L’inégalité raciste. L’universalité

républicaine à l’épreuve » citent Jocelyne Streiff-Fenart qui postule que « le refus de désigner les

différences en termes ethniques et raciaux […] tend à les convertir en différences religieuses, au

point que, symboliquement, la figure de l’étranger ou de l’immigré tend à se confondre avec

celle du musulman ». La religion permettrait ainsi d’euphémiser l’ethnique. La question sociale,

devenue question raciale, se mue en question musulmane. Dans son article, Patrick Simon évoque

également l’incidence du « legs colonial » sur les représentations et les relations qui se nouent

entre les immigrés, leurs descendants et les structures de la société française. En incluant

l’expérience algérienne dans la compréhension des rapports sociaux de l’époque, l’auteur

consolide le lien entre question sociale, question raciale et question musulmane.

Même si les auteurs de « L’inégalité raciste. L’universalité républicaine à l’épreuve »

avancent qu’ « il faut rompre avec les sempiternelles justifications des inégalités par la fatalité

des effets de "la crise" » (De Rudder, 2000, p. 198), l’impact du contexte socioéconomique semble

26 DE RUDDER V., POIRET C., VOURC’H F., L’inégalité raciste. L’universalité républicaine à l’épreuve, Paris : PUF, Pratique théorique, 2000, p. 139

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HUGUENOT Elise Mémoire de Sociologie, spécialité Développement Social Urbain 36 / 138

fondamental lors d’une période où l’intégration dans, et par l’emploi devient difficile et où l’on

assiste à un recul de l’Etat-providence, garant de l’égalité entre les citoyens français.

II - De l’Etat-providence à l’Etat social

L’ « Etat-providence » fait référence à l’ensemble des interventions de l’Etat dans le

domaine social, visant à garantir un niveau minimum de bien-être à l’ensemble de la population,

en particulier à travers un système étendu de protection sociale. L’État-providence, né d’un

compromis « social-démocrate », répond à la logique de développement du capitalisme. Par son

action, il vient contrebalancer le développement du capitalisme par une politique de

redistribution visant à préserver les équilibres sociaux et économiques. En France, la première

conception de l’État-providence est née des théories de Léon Bourgeois27, du concept de

solidarité notamment. Dans son ouvrage, Léon Bourgeois cherche un compromis entre le marxisme

(dont les principes étaient le collectivisme et une certaine sensibilité aux intérêts sociaux) et le

libéralisme (prônant la liberté individuelle et indifférent aux intérêts sociaux). Il trouve alors une

troisième voie dans le concept de solidarité et la logique de l’assurance. Ainsi, l’ensemble d’une

société doit contribuer pour s’assurer contre les risques de la vie. Dans ce cadre, l’Etat intègre

ses fonctions d’Etat-providence avec les premières lois d’assurance sociales de 1930 protégeant

les salariés contre les risques vieillesse, maladie, accidents de travail, maternité et décès. Une

seconde conception de l’Etat-providence est initiée en Angleterre par le rapport de Lord William

Beveridge intitulé « Social Insurance and Allied Services ». Ce document, paru en 1942, fait

référence au Welfare State et entend instaurer une protection sociale reposant sur les trois

« U » : Universalité, Uniformité, Unité. Il rejette le système d’assurances sociales réservées aux

seuls travailleurs ainsi que le principe d’une assistance limitée aux plus démunis. Il introduit donc

l’idée d’une protection universelle de tous les citoyens, financée par l’impôt.

L’Etat-providence est sous-tendu par le souci de faire prévaloir, au-delà du principe

d’égalité juridique formelle, une égalité sociale réelle28, caractéristique des sociétés

démocratiques, fondées sur l’égalité des droits et des chances. Rappelons que l’ « égalité

formelle » ou « abstraite » s’applique de façon uniforme à tous et en toute situation et

permettrait en elle-même de réaliser le principe d’égalité, alors que l’ « égalité réelle » ou

« concrète » tient compte de la multiplicité des situations concrètes et adapte, au besoin,

27 BOURGEOIS L., Solidarité, Presses Universitaires du Septentrion, 1998, 112 pages 28 BORILLO D., Lutter contre les discriminations, Paris : La Découverte, 2003, p. 42

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HUGUENOT Elise Mémoire de Sociologie, spécialité Développement Social Urbain 37 / 138

l’application de la loi aux réalités29. Le but de l’État-providence est l’égalisation des conditions

d’existence. Pour ce faire, il peut s’appuyer sur plusieurs principes. S’il est universaliste, il

garantit à chacun une protection contre les risques de l’existence (idée de « risque social ») par le

versement d’une cotisation. L’Etat fournit alors à tous un ensemble de prestations en assurant des

conditions égales d’accès (les services publics). Dans un État reposant sur un principe de

redistribution, chacun doit participer au financement de la protection collective en fonction de

ses facultés contributives (impôt progressif). Un État concevant son action sur un fondement

particulariste répond à un impératif de solidarité et intervient en faveur des plus démunis. Les

politiques sociales visent alors les groupes sociaux défavorisés et les publics cibles vulnérables.

Ces dispositifs de protection sociale sont sous-tendus par une volonté d’atténuation, de résorption

des inégalités sociales (Borillo, 2003, p. 43).

En France, l’Etat-providence repose sur une logique assurantielle, sur la mutualisation des

risques sociaux. S’il permet d’établir « un socle de protection sociale qui assure une égalité

minimale des individus au sein de la société » (Borillo, 2003, p. 43), l’objectif de résorption des

inégalités demeure non-atteint. La logique de mutualisation est mise à mal par l’explosion du

chômage et les phénomènes d’exclusion systématiques de la fin des Trente Glorieuses. Les

nouvelles inégalités sociales ne tiennent pas seulement à la dynamique du système de production,

leurs racines sont plus profondes et résistent donc aux mesures redistributives et correctrices de

l’Etat-providence. La « fragmentation croissante du social » (Borillo, 2003, p. 44) entraîne la mise

en place d’interventions plus ciblées, sur le principe de l’équité. La promotion du thème de

l’équité montre une inflexion de la logique de l’Etat-providence30. L’équité (conceptualisé par

John Rawls31) rompt avec l’égalitarisme de l’État-providence et la tradition universaliste

(consistant en des mesures d’application générale). L’idéal égalitaire ne consisterait pas à

appliquer le même traitement juridique à tous mais à privilégier un traitement égal pour des

personnes en situation identique (Borillo, 2003). L’équité vise à améliorer la situation des plus

défavorisés, à combattre les situations d’exclusion par le développement d’interventions ciblées,

à aller au-delà de l’égalité des droits pour atteindre l’égalité des résultas, effective par la mise

en place de mesures spécifiques. L’équité cerne des groupes vulnérables et prend en compte les

particularismes individuels. La crise des années 1970, révélatrice des limites de l’État-providence,

engendre une transformation du système de protection sociale, non plus égalitaire mais

équitable, qui voit ses dispositifs d’intervention se diversifier pour épouser la complexité du social

et signifie le reflux de l’Etat-providence.

29 Étude et guide « Discriminations « raciales » et politiques antidiscriminatoires - Fiches pour l’action », Cahier Millénaire3, Grand Lyon, mai 2003. URL : <www.millenaire3.com> 30 AFFICHARD J., DE FOUCAULD J.-B., Pluralisme et équité. La justice sociale dans les démocraties, Paris : Esprit, 1995, 262 pages 31 RAWLS J., Théorie de la Justice, Paris : Le Seuil, 1997, 666 pages.

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HUGUENOT Elise Mémoire de Sociologie, spécialité Développement Social Urbain 38 / 138

Selon les auteurs de « État-Providence, inégalités sociales et travail social en France. Un

combat des titans », l’Etat-providence aurait laissé la place à un Etat social, reposant sur ce

principe d’équité. Il assurerait les fonctions de l’État moderne, à savoir, s’occuper du bien-être

social des citoyens, réduire les risques et ne plus limiter son action aux fonctions régaliennes.

Selon Emmanuel Jovelin et Elisabeth Prieur, l’Etat social fait de l’intégration de l’individu au

collectif une préoccupation centrale (Jovelin et Prieur, 2005, p. 63). Les auteurs définissent trois

modèles d’État social : l’Etat social résiduel, le modèle beveridgien, et le modèle conservateur,

corporatiste ou bismarckien qui correspond au modèle français et que les auteurs résument par la

phrase suivante : « la sécurité plutôt que l’égalité ». Le système français reposerait sur une

solidarité horizontale : il accorde par exemple des régimes de remplacement du revenu en cas de

chômage, de maladie ou encore de retraite. A l’origine, l’Etat social est l’instrument qui vise à

réparer la dette fondatrice de la distribution inégale des positions. Désormais, l’Etat social repose

sur une logique du « donnant-donnant ». Les auteurs évoquent le passage d’un Etat bailleur à un

Etat souteneur, fondé sur une logique de redistribution des responsabilités entre individus et

collectivités où l’on demande à chacun d’assumer un maximum des risques. Cette transformation

de l’Etat-providence intervient, nous l’avons vu, dans un contexte de crise, caractérisé par la

hausse des inégalités socioéconomiques. Les premiers touchés par les répercussions de la crise

sont les immigrés arrivés dans les années 1960 et leurs enfants, nés en France pour la plupart.

C’est cette génération qui monte au créneau dans les années 1980 pour dénoncer les

discriminations dont elle est victime et le racisme qu’elle côtoie.

III - Question sociale, question raciale : le « modèle

français d’intégration » en crise

Pour Eric et Didier Fassin, la notion moderne de « race » est inventée pour justifier des rapports

de domination coloniale (Fassin, 2006, p. 49). Les auteurs rappellent que la réflexion sur les

couleurs de peau s’accompagne souvent d’une réflexion sur les rapports de domination et les

modes de production. Pendant l’esclavage, la multitude des couleurs de peau faisait l’objet d’une

taxinomie précise sur laquelle s’appuyait l’organisation de la société esclavagiste. Les formes

contemporaines de la question sociale seraient raciales car elles trouveraient leurs origines dans

les pratiques et les schèmes de pensée de la période coloniale. La racialisation des rapports

sociaux serait à mettre en lien avec le racisme dans les colonies qui aurait trois caractéristiques

majeures : le racisme colonial aurait investi avant tout la différence physique, aurait été

purement « négatif », au service d’un projet d’exclusion, et aurait nourri un discours explicite et

des pratiques manifestes. Ce racisme colonial aurait été ensuite importé en métropole avec les

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HUGUENOT Elise Mémoire de Sociologie, spécialité Développement Social Urbain 39 / 138

trois traits précités. Les auteurs s’interrogent sur la possibilité que le « racisme colonial » et les

formes contemporaines de discrimination soient les déclinaisons du même phénomène à des

époques différentes. Selon eux, cette mise en lien repose sur une vision statique et monolithique

du « racisme colonial ». Or, si la discrimination est générale de l’esclavage (esclave / maître) à la

colonisation (indigène / citoyen), ses fondements et ses manifestations sont variés (Fassin, 2006,

p. 67). L’esclavage demeure néanmoins au fondement de la construction des imaginaires

racialisés. Rappelons enfin que la racialisation est une construction : ce sont les représentations

et les conduites qui font exister des groupes racialisés (Fassin et Halperin, 2009).

En 1984, devant les difficultés de l’immigration récente à « s’intégrer », Alain Griotteray,

dans un ouvrage intitulé « Les immigrés : le choc », s’interroge sur la possibilité d’assimiler les

immigrés venus d’une culture trop différente (celle de l’Islam) et sur leur désir même

d’assimilation. Ces difficultés sont souvent comparées à la « facilité » avec laquelle les migrants

portugais ou italiens se sont intégrés. Les propos de l’auteur laissent alors penser que la

« distance culturelle » entre français et maghrébins ou africains serait plus grande que celle

existant entre les premiers et les portugais ou les italiens (Weil, 2006, p. 50). La question

musulmane est une fois encore au cœur de la question raciale. C’est au début des années 1980

que se développe la question de l’inclusion de toutes les croyances dans la laïcité. A cette

question de l’Islam dans la République s’ajoutent des phénomènes bien plus structurels qui

viennent complexifier l’intégration, notamment socioéconomique, des immigrés arrivés à la fin

des années 1970. Le chômage persiste en France depuis la fin des Trente Glorieuses, accentuant

alors la tension sociale, la xénophobie et le repli sur le réseau primaire de socialisation. La

question du logement est un facteur aggravant de la situation des familles immigrées en France,

la qualité du logement, souvent précaire et insalubre, ayant de lourdes conséquences sur la

réussite scolaire des enfants et sur leur promotion sociale.

Les pouvoirs publics répondent à ces difficultés par une politique d’intégration

assimilationniste, faisant de l’obtention de la nationalité l’aboutissement du processus

d’intégration des immigrés. Les ambiguïtés des politiques d’intégration à la française se reflètent

dans le droit à la nationalité. Les années 1980 connaissent une période de restriction du droit de

la nationalité : les fonds pour le retour des immigrés augmentent alors que les fonds pour leur

installation diminuent. Les pouvoirs publics souhaitent alors que la nationalité ne soit plus

« subie » mais « choisie32 ». Pour Patrick Weil, l’intégration à la française est « à double sens »

(Weil, 2006, p. 50), faite d’avancées et de réticences, d’ouvertures et de replis. Cette intégration

« à double sens » serait à l’origine, selon l’auteur, d’un sentiment d’amertume chez les

« bénéficiaires » de celle-ci. La République française est accusée de ne pas tenir ses engagements

32 GRIOTTERAY A., Les immigrés : le choc, Paris : Plon, 1984, 179 pages

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d’intégration et d’assimilation. S’en suivent une crise de l’intégration et une crise identitaire33.

La France est un vieux pays d’immigration où la notion d’ « intégration » est récente. Pendant

longtemps, le système privilégiait l’assimilation, « processus par lequel des étrangers adoptent

progressivement la culture d’un pays d’accueil34 ». L’assimilation exige de l’étranger (ou de

l’immigré) qu’il adopte la culture, le mode de penser et les codes comportementaux de la

population autochtone. Elle exige une transformation des immigrés impliquant la négation de leur

culture d’origine (Simon, 2006). La politique assimilationniste est remise en question en France

dans les années 1980 en raison de la connotation ethnocentrique35 qui l’accompagne. Dans les

années 1980, les immigrés en mal d’intégration sont sans cesse renvoyés au « modèle républicain

d’intégration », défini comme un ensemble de traditions historiques et de pratiques politiques et

administratives caractéristiques de la politique d’accueil et d’intégration des immigrés en France.

Le « modèle d’intégration à la française » repose sur le principe d’égalité formulé dans la

Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 (« les Hommes naissent et demeurent

libres et égaux en droits »), et rappelé par les Constitutions de 1946 et 1958. Le principe

d’égalité est « le principe le plus fondamental de l’idée moderne de démocratie et de justice36 ».

Le « modèle républicain d’intégration » repose sur une « égalité formelle » ou « abstraite », qui

s’applique de manière uniforme à tous et en toute situation. Théoriquement, elle permet en elle-

même de réaliser le principe d’égalité. En France, un individu français est un individu abstrait,

considéré en soi, semblable à tous les autres en sa qualité universelle d’ « être humain »

(Constitution de 1946) ou de « citoyen » (Constitution de 1958). Il ne peut être considéré comme

appartenant à un groupe car aucun groupe spécifique en France ne se voit reconnaître de droits

entre l’individu et l’Etat. La République française est « Une et Indivisible ». Le « modèle

républicain » se présente comme « idéal typique » ; pourtant, pour les auteurs de « L’inégalité

raciste. L’universalité républicaine à l’épreuve » il relèverait davantage d’un discours

performatif, d’une « injonction adressée aux pouvoirs publics comme aux immigrés et à leurs

33 SIMON P., « Modèle d’intégration et lutte contre les discriminations », Politique de la Ville et Intégration, conférences 2006, Les Cahiers du Pôle, Centre de ressources de la DPVI, Mairie de Paris, 20 juin 2006, pp. 179-207 34 DRIDI M., L’immigration de A à Z, Paris : FTCR, 2007, p. 55 35 L’ethnocentrisme est défini comme les « différentes formes que prend le refus de la diversité des cultures ; un phénomène naturel, résultant des rapports directs ou indirects entre les sociétés qui varie en fonction du nombre des sociétés, de leur importance numérique, de leur éloignement géographique et des moyens de communications (matériels et intellectuels) dont elles se servent. La négation des cultures « autres » en laquelle consiste l'ethnocentrisme se manifeste, notamment, de trois façons différentes : répudiation pure et simple des autres cultures ; négation par assimilation à soi ; réduction de tout autre donné culturel par une explication qui soumet celui-ci aux formes d'intellection produites dans la culture du locuteur » SUAUDEAU Y., Encyclopedia universalis, [référence du 1er mars 2010]. URL : <http://www.universalis.fr/encyclopedie/ethnocentrisme/> 36 Étude et guide « Discriminations « raciales » et politiques antidiscriminatoires - Fiches pour l’action », Cahier Millénaire3, Grand Lyon, mai 2003. URL : <www.millenaire3.com>

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descendants pour qu’ils se conforment à un schéma assimilationniste » (De Rudder, 2000, p. 188).

La référence à ce modèle délégitimerait les expressions collectives des minoritaires, soupçonnés

de « repli communautaire » ou encore de « communautarisme ». Cette contradiction entre

l’affirmation de l’égalité des droits et la tendance à l’ethnicisation des rapports sociaux suscite,

parmi les populations d’origine étrangère, des réactions qui vont du scepticisme à l’opposition,

parfois violente, à l’égard des discours et dispositifs qui célèbrent l’ « intégration ». Les lacunes

du « modèle d’intégration à la française » seront de nouveau rappelées près de trente ans plus

tard dans le rapport remis au gouvernement en 2008 par le Comité présidé par Simone Veil qui

indique que « le modèle d’intégration […] peine à faire émerger parmi elles [les personnes issues

des minorités visibles ou de la diversité] une élite suffisamment nombreuse dans laquelle elles

puissent s’identifier […] et cette défaillance agit comme un puissant facteur de découragement

dans les aspirations des jeunes concernés, nourrissant frustration et repli sur soi37 »

Olivier Noël, dans un article intitulé « Penser l’égalité, comprendre les discriminations »,

dénonce également les paradoxes du « modèle d’intégration à la française », fondé sur le sacro-

saint principe d’égalité. Alors que le principe égalitaire a une prétention universelle, les femmes,

les hommes sans emploi ou encore les sans domicile fixe en sont exclus pendant longtemps.

1848 est l’année du suffrage universel masculin mais le système esclavagiste persiste jusqu’à

cette date. Le principe égalitaire est présenté comme universel, pourtant un Code de l’Indigénat

est créé pendant la colonisation algérienne. Selon Olivier Noël38, les racines du paradoxe sont

idéologiques. Dans son article, il explique que le courant des Lumières, caractérisé par le

rationalisme, l’exaltation des sciences, le respect de l’humanité, la critique de l’ordre social et

de la hiérarchie religieuse, s’est développé en côtoyant les théories racistes. L’entreprise

coloniale s’est développée à partir d’un projet apparemment généreux (la mission civilisatrice de

l’Occident) mais qui postule, en réalité, la supériorité des occidentaux sur les peuples

autochtones. Longtemps assimilationniste, le « modèle d’intégration à la française » répond à une

logique normative où les individus sont perçus comme responsables de ne pas ressembler aux

autres et de ne pas « rentrer dans le moule » (Simon, 2006). Les années 1980 assistent à la

montée en visibilité de la « seconde génération » qui donne (déjà) lieu à un débat sur l’identité

nationale et sur la place de l’immigration dans la société française. Gérard Noiriel indique que le

brutal développement du marché de l’information joue un rôle décisif dans l’émergence du

« problème » de la deuxième génération, construit sur un clivage d’ordre ethnico-racial (du type

« black-blanc-beur ») (Noiriel, 2007, p. 605). A partir des années 1974-1976, les politiques

37 VEIL S., Redécouvrir le préambule de la Constitution , Chapitre « Diversité, action positive, égalité des chances », Rapport du Comité présidé par Simone Veil au Président de la République, Paris, 2008, p. 53 38 NOËL O., « Penser l’égalité, comprendre les discriminations », Politique de la Ville et Intégration, conférences 2008, Les Cahiers du Pôle, Centre de ressources de la DPVI, Mairie de Paris, 15 mai 2008, pp. 117-145

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d’intégration et d’insertion, se référant davantage aux notions de cultures sont opposés, du moins

utilisés comme substitutif, aux politiques d’assimilation.

IV - Les revendications identitaires : un mouvement

racialisé

A la fin des Trente Glorieuses, le manque de qualification explique l’absence ou le faible

nombre de jeunes « issus de l’immigration » parmi les cadres des grandes entreprises mais

beaucoup de diplômés voient leur situation stagner, contraints d’accepter des emplois moins

rémunérés. Une enquête réalisée en 1992 (Borillo, 2003) révèle que 59 % de jeunes étrangers ou

d’origine étrangère indiquaient qu’au cours des dix années précédentes ils avaient noté peu ou

pas de progrès vers l’égalité avec les jeunes d’origine européenne (français ou étrangers) ; 86 %

soulignaient leur satisfaction de vivre en France. Une autre enquête concernant les jeunes

d’origine maghrébine, nés en France et âgés de 18 à 30 ans indiquait que 78 % des interviewés

parlaient français chez eux, 71 % se sentaient plus proches des français que de leurs parents

(culture et mode de vie), 70 % envisageaient comme possible le mariage avec une française non

maghrébine. Il ressort de ces enquêtes que ces jeunes ont pleinement conscience que leur origine

prime sur leur nationalité et du contraste entre la réalité et leurs aspirations. La situation s’est

dégradée puisque le taux de chômage des jeunes d’origine africaine ou maghrébine nés en France

est trois fois supérieur à celui de leurs pairs d’origine européenne (français ou étrangers) de la

même génération, du même niveau de formation, du même quartier.

Par ailleurs, les années 1980 assistent, nous l’avons vu, à une crise du modèle

assimilationniste français, les jeunes « issus de l’immigration » revendiquant une intégration sans

assimilation, respectant leurs traditions culturelles (Fassin, 2006). Pour Malek Boutih39, la

génération post-coloniale, marquée par l’expérience de la colonisation et de la « mission

civilisatrice et uniformisatrice » de la France, survalorise le droit à la différence et revendique le

droit à la préservation de sa culture et de ses traditions. Les politiques d’intégration apparaissent

alors comme un compromis entre la tradition assimilationniste préférée jusqu’alors par la France

et le droit à la différence revendiqué par les populations immigrées. C’est à la détermination des

jeunes « issus de l’immigration » confrontés aux discriminations, refusant d’être discriminés en

raison de leur couleur de peau ou de leur nom, que l’on doit l’émergence, dix ans plus tard, d’une

politique de lutte contre les discriminations (Borillo, 2003). Ces revendications témoignent d’un

39 BOUTIH M., La France aux français. Chiche !, Paris : Mille et Une nuits, 2001, 128 pages

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renouvellement des enjeux sociaux de notre temps : la fin de la logique d’« intégration » au

bénéfice de la valorisation de la « citoyenneté ». Néanmoins, la « Marche des beurs », que nous

évoquerons plus bas, est vite critiquée par de jeunes militants pour son côté œcuménique. La

cinéaste Farida Belghoul critique l’occultation de la dimension sociale et l’enfermement des

jeunes dans les différences culturelles (Noiriel, 2007, p. 662).

Les auteurs de « L’inégalité raciste. L’universalité républicaine à l’épreuve » rappellent

que les discriminations xénophobes, ethnistes et racistes sont pendant longtemps sous-estimées et

mésestimées en France. Le racisme en France est considéré comme une idéologie (idées,

représentations, stéréotypes, opinions) (De Rudder, 2000, p. 130) alors qu’il s’incarne dans une

relation sociale concrète (discrimination, ségrégation, marque de mépris, rejet, agression). Les

causes du « handicap » des populations étrangères sont d’abord recherchées dans les

« caractéristiques » de ces dernières (De Rudder, 2000, p. 139). Pourtant, la tendance à

l’ethnicisation, voire à la racisation, des rapports sociaux qui travaille la société française est,

selon les auteurs, de mieux en mieux reconnue. En France, les catégories ethniques sont dans une

position paradoxale d’exhibition-inhibition. L’acceptabilité de ces catégories passe donc par un

système de conversion et de glissement entre différents registres qui permettent aux locuteurs

d’euphémiser leurs propos. Ainsi, ce régime de traduction fait entendre « noir » quand on dit

« Africain » ou encore « jeunes issus de l’immigration » à l’évocation des Zones d’Éducation

Prioritaire (De Rudder, 2000, p. 162). Les rapports sociaux se pensent, dès lors, sur le registre de

l’ethnicité, basé sur des catégories renvoyant à des traits culturels, plus ou moins reproduits par

des mécanismes sociaux de transmission (De Rudder, 2000, p. 156). Renvoyés à leur sort

individuel, les jeunes « issus de l’immigration » victimes de discriminations, ressentent leur

oppression comme une contradiction intolérable ou ils l’intériorisent comme un destin (De

Rudder, 2000, p. 199). Ces sentiments les conduisent au renoncement et au repli condamnés

comme étant « communautaire », ou à des comportements de révolte ou de rupture (violences

« urbaines », délinquance, voire terrorisme).

Trop souvent réduit à une idéologie extérieure à l’interaction sociale, le racisme est défini

par les auteurs de « L’inégalité raciste. L’universalité républicaine à l’épreuve » comme « un

processus de racisation, de formation de la perception de l’Autre, de production et de

reproduction de rapports de domination économiques, sociaux, politiques et symboliques » (De

Rudder, 2000, p. 154) Il convient donc d’aborder le racisme en tant que composante interne des

relations entre groupes.

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HUGUENOT Elise Mémoire de Sociologie, spécialité Développement Social Urbain 44 / 138

V - La Marche des Beurs : un mouvement

emblématique

Jusque dans les années 1960, les pouvoirs publics estiment que la France n’a nullement besoin de

légiférer sur les difficultés rencontrées par une partie de sa population qui dénonce pourtant le

racisme dont elle est victime. Malgré plusieurs tentatives de partis politiques sur ce thème, la

réponse du gouvernement est claire : « La France n’a pas besoin de lois contre le racisme parce

qu’il n’y a pas assez de racisme en France pour qu’elles soient nécessaires40 ». La loi du 1er juillet

1972 marque les premiers changements sous la pression des mouvements antiracistes. La « Marche

pour l’Egalité et contre le racisme » de 1983 est le mouvement emblématique de cette période.

Porté par des personnes immigrées ou d’origine immigrée, ce mouvement est racialisé : ses

initiateurs mettent en avant l’identité immigrée dans laquelle la France les enferme et

présentent leurs origines immigrées comme le fondement de leurs difficultés d’intégration et

d’insertion socioéconomique. C’est avec ce mouvement que les étrangers apparaissent comme

sujets politiques.

Gérard Noiriel considère la « Marche pour l’Egalité et contre le racisme », rebaptisé

« Marche des beurs », comme l’illustration du passage de témoin des immigrés à leurs enfants.

Cette manifestation s’inscrit dans le prolongement direct du combat des Minguettes commencé en

1981. Lors des incidents qui se déroulent au printemps 1983, un habitant de la cité, Toumi Djaïda,

est blessé par la police alors qu’il cherche à s’interposer pour éviter un nouvel affrontement avec

les jeunes du quartier. Quelques mois plus tard, avec l’aide du père Delorme et de la Cimade, il

crée l’association « SOS-Minguettes » qui décide d’organiser à partir d’octobre 1983 une marche

pour protester contre les violences policières et améliorer l’image des jeunes « issus de

l’immigration » dans l’opinion publique. Partis de Marseille dans l’indifférence quasi générale, les

marcheurs arrivent le 3 décembre à Paris où ils sont triomphalement accueillis par plus de 100 000

personnes. Le rôle actif joué par les militants chrétiens dans l’organisation de cette marche

l’inscrit dans la tradition des luttes pacifistes directement inspirées du mouvement des droits

civiques aux Etats-unis. Il existe néanmoins plusieurs réseaux militants au sein des « marcheurs ».

L’un est lié aux associations humanitaires, catholiques et protestantes qui ont été très actives au

cours des années précédentes contre l’expulsion des enfants d’immigrés. Une autre composante

repose sur les associations prolongeant le militantisme d’extrême gauche. Plusieurs animateurs du

journal « Sans frontière », très actifs auparavant au sein du MTA (Mouvement des Travailleurs

40 Justification avancée par le Conseil d’État en 1961, par le Ministre de la Justice en 1963 et par le Premier Ministre en 1971, cité par JOVELIN E., , « Vivre la discrimination, vivre la différence. », in

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HUGUENOT Elise Mémoire de Sociologie, spécialité Développement Social Urbain 45 / 138

Arabes), participent au mouvement. Comme le montre Saïd Bouamama, cette marche fait naître

un immense espoir dans la jeunesse « issue de l’immigration »41.

On peut penser que l’intérêt que les journalistes accordent à cet événement venu de la

base tient au fait qu’il est bien adapté aux nouvelles exigences du marché de l’information. Le

sujet est beaucoup plus intéressant que les grèves dans l’automobile, car la thématique

antiraciste, nourrie de références américaines (Martin Luther King) est déjà « routinisée » comme

un type d’événement dont il faut rendre compte. L’initiative est d’autant plus séduisante qu’elle

confirme, finalement, ce qui est dit depuis l’été 1981 sur les « tensions raciales » dans les

banlieues. La logique même de la marche, partie de Marseille pour rejoindre la capitale, permet

de lier le local et le national, donc de mobiliser les journalistes aux différents échelons de la

hiérarchie. Cet événement donne aussi à ceux qui multiplient les reportages sur la violence des

jeunes de banlieue le moyen de se « rattraper » avec un sujet positif. Parmi tous les journaux qui

évoquent cette manifestation, Gérard Noiriel souligne le rôle de Libération. Ce quotidien joue,

dans la légitimation de la marche, un rôle comparable (mais symétrique) à celui du Figaro avec

les reportages sur la délinquance des jeunes « maghrébins ». Cette marche se déroule au moment

même où Libération opère un virage stratégique comparable à celui du Parti socialiste. Le Journal

abandonne la « ligne » marxiste de ses débuts, prend ses distances avec le monde ouvrier, au

profit d’un militantisme culturel tourné vers la valorisation des identités ethniques. Pour parler en

termes de marché, on peut dire que Libération décide alors de s’appuyer sur l’industrie du

spectacle contre l’industrie de l’information. Les thèmes valorisés par Libération, le

« multiculturalisme », le « métissage », « black is beautiful » etc. ont déjà été popularisés dans la

jeunesse, au cours des décennies antérieures, par l’industrie du disque et par le cinéma

américains. Ils sont très prisés par les lecteurs qui ont « fait 68 », majoritairement issus des

classes moyennes intellectuelles (enseignants, étudiants, artistes…). Beaucoup sont des militants

de gauche et certains sont issus de l’immigration.

Libération contribue à la popularité de cette manifestation car le journal donne un nom

aux marcheurs. Alors que ces initiateurs l’ont intitulée « Marche pour l’Egalité et contre le

racisme », elle devient, dans les colonnes du journal, « la Marche des beurs ». L’affaiblissement

du mouvement ouvrier provoque une marginalisation des identités socioprofessionnelles dans

l’espace public, au profit d’une ethnicisation, illustrée par l’invention des « beurs ». Pour la

première fois dans l’histoire de l’immigration, les enfants d’un groupe d’immigrants sont désignés

publiquement par leur origine (Noiriel, 2007, p. 676). La conséquence principale de la marche est

BOUCHER M., Discriminations et ethnicisations. Combattre le racisme en Europe, Editions de l’Aube, 2005, p. 179 41 BOUAMAMA S., Dix ans de Marche des beurs. Chronique d’un mouvement avorté, Paris : Desclée de Brouwer, 1994, cité par NOIRIEL G., Immigration, antisémitisme et racisme en France (XIXè-XXè sicèles). Discours publics, humiliations privées, Paris : Fayard, 2007, p. 618

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HUGUENOT Elise Mémoire de Sociologie, spécialité Développement Social Urbain 46 / 138

donc qu’elle consacre l’existence de ce mot nouveau dans le discours public français.

Complètement inconnu au début de l’année 1982, le terme « beur » entre dans le dictionnaire

Robert dès 1984. Quelques journalistes forgent ce néologisme pour « conférer à cette

dénomination une manière d’authenticité locale et signer cette expression de la marque de

production « verlan » : elle serait le produit de la langue populaire, de l’argot des banlieues,

territoire d’assignation offert à cette « génération42 » ». En septembre 1982, le journal ouvre une

rubrique « beur » pour compléter la rubrique « black ». La mise en équivalence black-beur illustre

parfaitement l’importance des références américaines dans ce milieu culturel. Ces deux rubriques

sont censées fournir des informations sur les concerts, les spectacles et autres événements

proposés par ces « communautés ». Episodique au départ, la rubrique « beur » devient quasiment

quotidienne à partir d’octobre 1983, lorsque les marcheurs entament leur périple. A un moment

où la presse écrite doit se repositionner autour du commentaire de l’actualité en raison de la

concurrence de l’information audiovisuelle, la « Marche des beurs » permet aux journalistes de

Libération de remplacer le « social » par le « culturel » comme lieu central du politique. Ce

changement de registre apparaît clairement dans les articles que le directeur du journal, Serge

July, consacre à cet événement. Dans son premier éditorial sur la marche, il affirme que « le

problème de l’immigration est aujourd’hui essentiellement culturel ». En conséquence, il plaide

pour un abandon du mot « immigré » au profit du mot « beur » qui correspond plus aux jeune

« franco-arabes » (9 novembre 1983). Puis Serge July donne son interprétation des événements.

« Les Beurs disent aux Français : « vous ne ferez pas la France sans nous » ». Il invite en

conséquence les élites à « faire le pari des Beurs » (5 décembre 1983). L’invention du mot

« beur » marque donc le début d’une contre-offensive ciblée sur ceux que le Figaro appelle « les

jeunes issus de l’immigration maghrébine » et Serge July les « franco-arabes ». La stratégie qu’il

esquisse dans ses éditoriaux a sa cohérence. Conscient de ce que les représentations qui

s’imposent dans l’espace public sont toujours le résultat du rapport de force entre ceux qui ont le

pouvoir d’atteindre le « grand public », le directeur de Libération s’appuie délibérément sur le

segment de l’industrie de la communication qui véhicule depuis les années 1960 les valeurs

antiracistes (« la culture »). Cibler sur les « beurs », c’est s’appuyer sur le groupe qui possède

l’élite la plus fournie. En jouant sur l’identité « arabe », il est aussi possible d’agréger à ce

groupe les intellectuels issus des classes moyennes ou supérieures venus récemment des pays

d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient, dont le seul point commun avec les marcheurs tient à

l’origine.

42 SAYAD A., « Les maux-à-mots de l’immigration. Entretien avec Jean Leca », Politix, n° 2, 1990, cité par NOIRIEL G., Immigration, antisémitisme et racisme en France (XIXè-XXè sicèles). Discours publics, humiliations privées, Paris : Fayard, 2007, 697 pages.

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HUGUENOT Elise Mémoire de Sociologie, spécialité Développement Social Urbain 47 / 138

Selon Gérard Noiriel, la stratégie défendue par Libération à l’occasion de la « Marche des

beurs » est intéressante car elle témoigne d’une rapide adaptation aux nouvelles contraintes de

l’espace public. Pour faire passer un message, il faut désormais adopter les techniques de la

publicité. Les jeux de mots sont, dans cette perspective, une ressource très importante.

L’invention du mot « beur » est de ce point de vue une grande réussite puisqu’elle ouvre un grand

nombre de possibilités. Ainsi, Libération évoque la grande manifestation du 3 décembre en

parlant du « beur day » et en souhaitant un « happy beur day » aux marcheurs (3-4 décembre

1983). Bien que ce ne soit pas la seule raison qui explique l’engouement pour cet événement,

cette stratégie culturelle contribue à son succès. Les dirigeants des partis de gauche, restés dans

une position d’attente les yeux fixés sur les premiers sondages, rallient le mouvement lorsqu’ils

constatent sa popularité dans l’opinion. La manifestation qui accueille les marcheurs est soutenue

par une cinquantaine d’organisations. Tous les ténors de gauche y sont présents. Le président

reçoit les représentants de la marche à l’Elysée et Toumi Djaïda est invité le soir au journal

télévisé de 20 heures. Gérard Noiriel indique que la réaction des organisations politiques face à

cet événement illustre la nouvelle stratégie qu’elles développent dans un monde dominé par les

industriels de la communication. Cette stratégie consiste à s’appuyer sur l’actualité tout en

essayant de la modeler dans un sens favorable à son propre camp. La « Marche des beurs », pour

l’auteur, est un moyen de conforter le discours antiraciste grâce auquel le Parti socialiste a

construit son hégémonie dans les années 1970.

Eric Fassin et Jean-Louis Halperin ajoutent que la « Marche pour l’Egalité et contre le

racisme » procédait d’une double logique : la revendication des droits des étrangers et la

dénonciation du racisme à l’encontre des immigrés. On est donc loin de ce que nous entendons

aujourd’hui par « discrimination raciale » car il était question d’étrangers et d’immigrés alors que

les exigences présentes sont portées par des enfants français nés en France : il était question

d’immigration et de racisme plutôt que d’inégalités de traitement liées à l’origine. En 1984, sous

la présidence de François Mitterrand, la marche donne lieu à l’instauration d’un titre unique de

séjour de dix ans, symbole de la garantie d’un séjour stable pour les immigrés légaux,

indépendamment de leur nationalité. Près de quinze ans plus tard, les pouvoirs publics répondront

aux mouvements de revendications, tels que celui de la « Marche pour l’Egalité et contre le

racisme », par l’annonce de la mise en place d’une politique de lutte contre les discriminations

raciales.

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HUGUENOT Elise Mémoire de Sociologie, spécialité Développement Social Urbain 48 / 138

VI - La réponse de l’Etat : une politique de lutte

contre les discriminations raciales

A la fin des années 1990, le sujet des discriminations « raciales » devient un problème

public en France pour plusieurs raisons43. Le caractère pluriculturel de la population française et

l’ampleur du phénomène qui se confirme depuis dix ans sont reconnus. La frustration ressentie

par une partie de la population donne lieu, nous l’avons vu, à des revendications plus ou moins

violentes, d’où la nécessité d’agir (Weil, 2006). De plus, l’Union Européenne se saisit du problème

en 1998 et passe commande aux Etats membres. La question des discriminations est prise en

compte tardivement par la France, celle-ci se refusant à politiser les différences (Fassin et

Halperin, 2009). Trois facteurs expliquent cette reconnaissance publique tardive (Noël, 2008) .

D’une part, l’absence de « preuves juridiques » et un nombre infime de plaintes malgré l’arsenal

juridique exemplaire (mais inapplicable) de la France ont pendant longtemps masqué la réalité

discriminatoire. D’autre part, l’absence de « preuves statistiques » en raison de l’impossibilité

légale de mesurer quantitativement l’ampleur de la discrimination a compliqué l’évaluation du

phénomène. En effet, même si la population « issue de l’immigration » connaît une forte visibilité

médiatique (négative), elle correspond à une catégorie invisible de la statistique publique. Enfin,

une croyance sans limite dans le caractère performant d’un « modèle d’intégration » et d’une

politique antiraciste aveugle aux réalités sociologiques a longtemps justifié l’inaction des pouvoirs

publics.

En 1992, un rapport du Haut Conseil à l’Intégration s’attache à un double exercice de

requalification et de justification des inégalités afin d’éluder les discriminations44. Le rapport

conclut que lorsque les inégalités sont mesurées, elles sont la conséquence de disparités

socioéconomiques ou d’un problème de capital culturel. Six ans plus tard, le Haut Conseil à

l’Intégration remet à Lionel Jospin, Premier Ministre de l’époque, un rapport intitulé « Lutte

contre les discriminations : faire respecter le principe d’égalité45 » qui constate que le nombre de

condamnations prononcées reste très faible par rapport à l’importance réelle des comportements

discriminatoires. Pour que les victimes soient réellement et efficacement protégées, il préconise

que les pouvoirs publics engagent une politique volontariste et créent une autorité chargée de

l’accompagnement des victimes. Ce rapport constitue un tournant symbolique dans l’histoire du

traitement de la « question immigrée ». En mars 1999 est publié un rapport du conseiller d’État

43 Étude et guide « Discriminations « raciales » et politiques antidiscriminatoires - Fiches pour l’action », Cahier Millénaire3, Grand Lyon, mai 2003. URL : <www.millenaire3.com> 44 FASSIN D., « L’invention française de la discrimination », Revue française de sciences politiques, vol. 52, n°4, août 2002

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Jean-Michel Belorgey intitulé « Lutter contre les discriminations, Rapport à Madame la Ministre de

l’Emploi et de la Solidarité46 ». Ce rapport, remis à Martine Aubry, aborde spécifiquement la

question des stratégies institutionnelles et normatives permettant de lutter contre les

discriminations raciales et préconise, de nouveau, la création d’une autorité indépendante

chargée du traitement individualisé des dossiers et de la formulation de propositions d’actions.

S’en suit une double rupture dans le discours des institutions officielles, caractérisée par

l’inversion de l’imputation causale : « ce ne sont plus les attributs des étrangers que l’on

considère comme responsables des difficultés auxquelles ils sont confrontés (leur « capital

humain ») mais le fonctionnement de la société française elle-même47 ». Par ailleurs, la

nationalité n’est plus un critère pertinent pour analyser la discrimination, celle-ci pouvant

concerner les français de couleur, notamment des DOM-TOM. La reconnaissance du fondement

racial de l’inégalité est entérinée. Les discriminations sont pensées, non plus en fonction du

critère de la nationalité, mais sur le registre de la distinction phénotypique. Le rapport du HCI en

1998 est qualifié par Didier Fassin comme « un symptôme de l’évolution intervenue en quelques

années dans la prise de conscience du problème de la discrimination raciale ». Ces deux rapports

mettent en évidence le développement des pratiques de discriminations raciales et la nécessité

de mieux les identifier pour les combattre efficacement. Cela conduit Martine Aubry, Ministre de

l’Emploi et de la Solidarité, à annoncer au Conseil des ministres du 21 octobre 1998 une série de

mesures relatives à la lutte contre les discriminations raciales. La lutte contre les discriminations

devient « l’axe doctrinal » de la politique d’intégration48. Les jeunes « issus de l’immigration »

sont placés au cœur des préoccupations. La priorité politique de lutte contre les discriminations

est par ailleurs réaffirmée lors de la table ronde sur les discriminations raciales dans le monde du

travail, réunissant l’Etat et les partenaires sociaux en mai 1999 et la déclaration de Grenelle.

L'existence d'une forme de « racisme institutionnel » y est reconnue49 et les difficultés

d'intégration ne sont plus imputées aux seuls immigrés. La société dans son ensemble porte une

responsabilité partagée dans le développement des pratiques discriminatoires qui affectent les

parcours d'intégration. Pour mettre en oeuvre cette politique de lutte contre les discriminations

raciales, la France se dote d’un appareil législatif et d’un dispositif institutionnel spécifiques.

45 Haut Conseil à l’Intégration, Rapport au Premier Ministre, Lutte contre les discriminations : faire respecter le principe d’égalité, Paris, 1998 46 BELORGEY J-M., « Lutter contre les discriminations », Paris : Ministère de l'emploi et de la solidarité, 1999, 59 pages 47 Extrait du rapport du HCI de 1998, cité par FASSIN D., « L’invention française de la discrimination », Revue française de sciences politiques, vol. 52, n°4, août 2002, p. 407 48 LORECERIE F., « La lutte contre les discriminations ou l’intégration requalifiée », VEI Enjeux n° 121, Juin 2000, p. 75 49 Étude et guide « Discriminations « raciales » et politiques antidiscriminatoires - Fiches pour l’action », Cahier Millénaire3, Grand Lyon, mai 2003. URL : <www.millenaire3.com>

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La loi Pleven du 1er juillet 1972 contre le racisme introduit pour la première fois dans le

Code pénal des dispositions réprimant la discrimination fondée sur l’origine ou l’appartenance à

une ethnie, nation, « race » ou religion (Borillo, 2003). Elle fixe le cadre de la lutte contre le

racisme mais n’est pas opérationnelle car le droit pénal impose de mettre à jour une intention

pour sanctionner (Noël, 2008). Selon ses principes, ne peuvent commettre des actes

discriminatoires que des personnes dont on peut prouver qu’elles sont idéologiquement racistes.

Trente-cinq ans plus tard, le ministère de la Solidarité « recible » le dispositif de « parrainage »

instauré en 1993 pour favoriser l’insertion professionnelle des « jeunes en difficulté » vers l’aide

aux jeunes qui « sont rejetés à raison de leur origine nationale réelle ou supposée, de la couleur

de leur peau, de leur sexe, de leur âge, ou même de leur lieu de résidence50 ». Quant à Jean-

Pierre Chevènement Ministre de l’Intérieur, grand défenseur du « modèle républicain », il

demande aux préfets de « diversifier les recrutements [pour les emplois-jeunes d’adjoints de

sécurité] et permettre l’accueil, au sein des services de police, des jeunes issus de

l’immigration », ce qui implique des embauches au faciès51. Ces mêmes ministères instituent,

d’une part, un Groupe d’étude des discriminations (GED) et d’autre part, des Commissions

préfectorales d’accès à la citoyenneté, chargées de traiter les cas de discriminations. Présenté

comme participant globalement de la « lutte contre les inégalités et les exclusions », ce dispositif

politico-administratif officialise le recours à des catégorisations (origine, couleur de peau…)

jusque là évitées (De Rudder, 2000, p. 17) et entérine l’institutionnalisation d’une politique de

lutte contre les discriminations raciales. La discrimination relève, dès lors, du registre de l’action

publique. De ce point de vue, la signification de la discrimination est double : elle reconnaît des

faits jusqu’alors niés, ce qui n’implique pas nécessairement une réception favorable dans

l’opinion, et fournit les instruments de leur modification, ce qui ne préjuge pas de leur efficacité

(Fassin 2002). Parler de discrimination raciale revient à lever le voile sur une réalité jusqu’alors

indicible dans l’espace public. Indicible car elle contredit le principe républicain d’égalité et

renvoie à une triste mémoire ou l’inégalité puise sa justification dans des différences

naturalisées, biologisées. De plus, la reconnaissance de la discrimination raciale va de pair avec la

reconnaissance de l’échec du « modèle républicain d’intégration ». Cette reconnaissance

s’incarne dans le discours et dans le développement des instruments de lutte contre les

discriminations avec l’allégement des exigences dans la charge de la preuve en 200152 et la prise

en compte des discriminations indirectes.

50 Charte nationale du parrainage adoptée lors de la table ronde entre l’État et les partenaires sociaux du 11 mai 1999, cité par DE RUDDER V., POIRET C., VOURC’H F., L’inégalité raciste. L’universalité républicaine à l’épreuve, Paris : PUF, Pratique théorique, p. 16 51 Discours aux préfets du 15 février 1999 52 Loi du 16 novembre 2001

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Si la fin des années 1990 assiste à une rupture dans « l’affichage politique » de la question

de la lutte contre les discriminations, les outils de lutte contre les discriminations créés n’ont pas

de portée sociale, sans que cela ne suscite de réactions des pouvoirs publics. Didier Fassin

explique que les pouvoirs publics justifient cet immobilisme par l’existence de ces outils et par

l’entrave que constitue l’interdiction de prendre en compte l’origine dans les statistiques (Fassin,

2002, p. 407). On peut s’interroger sur les motivations du gouvernement de l’époque à faire de la

lutte contre les discriminations un axe fort de sa politique d’intégration. Peut-on avancer qu’il

s’agit d’annonces à visée électorale, les jeunes « issus de l’immigration » étant démobilisés

politiquement ? S’agit-il d’annonces à objectif pacificateur pour diminuer la montée des violences

en centre-ville (Fassin, 2002)? Didier Fassin précise que si ces enjeux font clairement partie de la

naissance des politiques de lutte contre les discriminations en France, énoncer dans des instances

officielles l’existence de discriminations et les rapporter à « l’origine » n’est pas sans

conséquences et produit des transformations dans la reconnaissance du phénomène et la

légitimité à le combattre.

La politique de lutte contre les discriminations ne se résume pas à l’existence de tensions

entre nationaux et étrangers. L’enjeu actuel se situe dans l’existence de frontières au sein même

de la société française.

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Les années 1990-2000 : de la

« question immigrée » à la

« question minoritaire »

Si la France doit gérer une « question immigrée », nous l’avons vu, depuis le début du

19ème siècle, cette question se transforme dans les années 1990. La « question immigrée » va de

pair avec la politique d’intégration de la France et son célèbre « modèle français d’intégration »,

de tradition assimilationniste. Ce « modèle d’intégration » ne suscite pas le débat jusque dans les

années 1980-1990, période à laquelle un « droit à la différence » est revendiqué par des

mouvements de protestation. Dix ans plus tard, ce « droit à la différence » se manifeste dans le

langage, avec la popularisation de la notion de « minorités visibles » et l’émergence d’un débat

sur la « question minoritaire ».

Parallèlement, la lutte contre les discriminations, consensuelle dans les années 1990,

connaît un nouveau tournant dans les années 2000. Alors que l’Union Européenne fonde son plan

d’action sur le principe d’égalité de traitement et encourage les Etats membres à développer des

politiques publiques similaires, la France, après s’être pliée aux injonctions européennes dans les

années 1990, fait marche arrière au début des années 2000. Les actions nationales mettent

désormais en avant l’égalité des chances et la promotion de la diversité et sont vivement

critiquées par les observateurs contemporains.

I - De l’intégration à la lutte contre les

discriminations : un nouveau paradigme ?

1. « Intégration », « insertion », « discriminations » : kesako ?

Depuis la fin des années 1970, la France privilégie, dans le discours, le terme

« intégration » plutôt que celui d’assimilation, l’assimilation étant défini par Patrick Weil comme

un « processus d’adaptation dont le résultat recherché [est] la disparition dans la sphère

publique des différences culturelles, stade ultime de l’acculturation » (Weil, 2005, p. 46). Dans

son ouvrage « La République et sa diversité », Patrick Weil définit l’intégration comme un

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« processus multiforme, un ensemble d’interactions sociales provoquant chez des individus un

sentiment d’identification à une société et à ses valeurs, grâce auquel la cohésion sociale est

préservée » (Weil, 2005, pp. 47-48). Ainsi, quand le processus d’intégration concerne des

immigrés, il se fait en lien avec l’Etat qui attribue des droits (séjour, nationalité, droits civils),

implique un « échange mutuel entre le migrant et la société d’accueil et comporte généralement

plusieurs étapes (accommodement, adaptation et même conflits) » (Weil, 2005, p. 48).

L’intégration, processus individuel qui passe par la réduction des différences ou, tout au moins,

par une convergence avec le groupe majoritaire qui constitue la norme (Simon, 2006), préconise

également une démarche de la société d’accueil visant à donner une place à ces individus. Selon

Antonio Perotti, du Centre d’Information et d’Etudes sur les Migrations Internationales (CEMI),

« l’intégration s’oppose à la notion d’assimilation et indique la capacité de confronter et

d’échanger – dans une position d’égalité et de participation – valeurs, normes, modèles de

comportements autant de la part de l’immigré que de la société d’accueil53 ».

La lutte contre les discriminations est, pour Emmanuel Jovelin, « un combat du monde

moderne54 » : c’est à la fin des années 1990 qu’ont lieu les premiers débats autour de la

discrimination dans le cercle intellectuel et politique. Didier Fassin parle d’ailleurs de

l’« invention française de la discrimination » pour « souligner le réveil tardif de la conscience

critique » (Fassin 2002, p. 404). La « lutte contre les discriminations » devient dès lors un

« slogan ». La question de l’intégration diffère de la question des discriminations dont sont

victimes les enfants des immigrés maghrébins car ces derniers sont français (Weil, 2005). En effet,

depuis les années 1980, la France assiste à l’émergence de discriminations à base ethnico-raciale

touchant des personnes de nationalité française.

La France développe également des politiques d’« insertion » dès le début des années 1970

dans le cadre des politiques en faveur des handicapés psychiques ou physiques, les premiers

touchés par la crise. Olivier Noël explique que ce terme a influencé la manière de conduire les

politiques publiques en se fondant sur l’idée que les individus sont incapables, sans

accompagnement, de trouver une place dans le monde du travail (Noël, 2008). Les publics jeunes

visés par ces dispositifs d’insertion sont considérés comme des « handicapés sociaux » (Noël,

2008, p. 129) Dès lors, les politiques publiques « essentialisent », « naturalisent » les problèmes

que les individus sont supposés supporter. Ces dispositifs sont temporaires puisque mis en place

en contexte de crise. Néanmoins, l’image qu’ils véhiculent des publics bénéficiaires marque

durablement nos représentations. La France ne traverse pas une crise mais une mutation

économique et la jeunesse est « la » catégorie à insérer. Nous ne voyons plus les jeunes

53 PEROTTI A., « Petit lexique », Bulletin du CIEM, n° 142, cité dans DRIDI M., L’immigration de A à Z, Paris : FTCR, 2007, p. 223

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objectivement mais par le prisme de l’insertion : ce sont des populations censées être en

difficulté.

L’accent nouveau mis sur la lutte contre les discriminations reflète un changement profond

de la perception de la « question immigrée » sur trois plans (Borillo, 2003). Il marque une rupture

avec la vision enchantée, héritée de la Révolution française, selon laquelle il suffit de poser le

principe d’égalité de tous devant la loi pour supprimer toute possibilité de discrimination.

L’affirmation du principe d’égalité devant la loi ne permet pas une égalité effective. La lutte

contre les discriminations n’est pas une affaire de morale mais d’accès au droit et de réparation

du préjudice subi (Borillo, 2003). En second lieu, il faut réexaminer l’ensemble des traitements

différentiels existant en droit pour voir s’ils sont justifiés par des différences objectives de

situations ou par des motifs d’intérêt général. Enfin, l’attention doit se porter sur la réalité

socioéconomique : expurger le droit de toute dimension discriminante ne suffit pas « encore faut-

il s’attaquer aux discriminations de fait qui renaissent sans cesse du jeu des mécanismes

sociaux » (Borillo, 2003, p. 40). Les discriminations sont inhérentes à la dynamique de

fonctionnement des sociétés qui recrée distinction, ségrégation et hiérarchie et c’est à l’Etat

redistributeur de garantir la sécurité des « catégories vulnérables » face à cet état de fait (Jovelin

et Prieur, 2005). La promotion de la lutte contre les discriminations manifeste le passage à une

conception active : il ne s’agit plus de poser un principe mais de lutter pour sa réalisation, en

utilisant le vecteur juridique : le droit n’est pas seulement un moyen d’application mais un moyen

de réalisation de l’exigence de non-discrimination. La lutte contre les discriminations implique

par ailleurs que les catégories concernées aient conscience des discriminations qui les frappent,

qu’elles s’organisent pour une action collective... La lutte contre les discriminations passe par

une prise de parole par laquelle le groupe se construit dans et par la lutte. C’est tout le paradoxe

de la lutte contre les discriminations : le groupe affirme son particularisme alors même qu’il se

bat pour réclamer l’universalisme. Mais pour lutter contre les discriminations, il faut d’abord

marquer sa singularité en tant que groupe discriminé.

2. La lutte contre les discriminations : réactualisation de la politique d’intégration ?

Les années 1970 et 1980 assistent à la diminution de l’immigration de travail puis de

peuplement : la population d’origine étrangère se modifie. Les étrangers sont moins nombreux en

raison de la diminution des flux de nouveaux venus. Les familles installées sur le sol français ont

54 JOVELIN E., « Vivre la discrimination, vivre la différence. » in BOUCHER M., Discriminations et ethnicisations. Combattre le racisme en Europe, Editions de l’Aube, 205, pp. 174-191

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HUGUENOT Elise Mémoire de Sociologie, spécialité Développement Social Urbain 55 / 138

des enfants nés en France dont la majorité a la nationalité française mais l’ancienne et la

nouvelle génération rencontrent les mêmes difficultés : ségrégation spatiale, difficultés d’accès à

l’emploi exacerbées. Les discriminations dans le logement et dans l’emploi étaient acceptées par

les anciennes générations car elles se considéraient comme peu légitimes en tant qu’étrangers

mais celles-ci deviennent intolérables pour les nouvelles générations. En effet, le fait d’avoir la

nationalité ou pas ne change plus rien. Les jeunes générations sont renvoyées au « modèle

républicain » assimilationniste et les pouvoirs publics indiquent que « les étrangers sont bien

victimes de racisme et d’inégalités mais ce n’est qu’une étape malheureuse sur le chemin de

l’intégration » (Fassin et Halperin, 2009).

A la fin des années 1990, le lexique des « discriminations » s’impose sous la pression des

revendications des « minorités visibles ». La notion de lutte contre les discriminations comme

objet politique dérive de celle de l’intégration et de l’histoire de l’immigration55. Pour preuve, la

première structure officielle engagée dans la lutte contre les discriminations est le FASTIF (Fonds

d’Action Sociale pour les Travailleurs Immigrés et leur Famille), ancêtre du FASILD (Fonds d’Aide

et de Soutien pour l’Intégration et la Lutte contre les Discriminations) et de l’Acsé (Agence

nationale pour la Cohésion Sociale et l’Egalité des chances). Les origines de la lutte contre les

discriminations se situent également dans le développement de la Politique de la Ville, fondée sur

un principe de discrimination positive. 1962 connaît une vague d’immigration importante et

marque le défi lancé aux acteurs publics et du bâtiment de loger dans l’urgence des millions de

personnes. Vingt ans plus tard, ces territoires sont l’objet de violentes revendications. Apparaît

alors une réflexion sur la lutte contre les discriminations.

La lutte contre les discriminations, bien qu’elle découle de l’échec du « modèle

d’intégration », se démarque de l’intégration sur plusieurs points. Pour Daniel Borillo, la

différenciation entre l’intégration et la lutte contre les discriminations se situe dans la fin d’une

culpabilisation univoque de l’individu au profit d’une action collective sur les processus de

ségrégation dans la société (Borillo, 2003). Alors que l’« intégration » en sociologie durkheimienne

vaut pour tous, les politiques françaises d’intégration s’intéressent aux individus dont on suppose

qu’ils sont en difficulté mais ne prennent pas en compte la volonté et les efforts de la société

française pour intégrer les populations immigrées (Noël, 2008).

Par ailleurs, Didier Fassin rappelle que la focalisation de l’attention sur la discrimination

raciale (héritage de la politique d’intégration ?) occulte les processus sociaux de production de

l’inégalité (Fassin, 2002). Au niveau macro-social, l’auteur indique qu’il est important de mettre

en lien le caractère cyclique des manifestations racistes et homophobes avec les variations de

l’activité économique et avec la transformation du capitalisme mondial. Au niveau micro-social,

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HUGUENOT Elise Mémoire de Sociologie, spécialité Développement Social Urbain 56 / 138

les difficultés rencontrées par les étrangers du Tiers-monde et leurs enfants pour obtenir un

emploi ou progresser dans leur carrière ne procèdent pas seulement d’une racialisation des

pratiques des employeurs mais s’inscrivent aussi dans des formes de domination et d’exploitation

qui sont déjà à l’œuvre dans le monde du travail et trouvent dans les différences racialisées une

expression efficace.

Les années 1990 connaissent donc un changement de paradigme, le passage d’une

politique d’intégration à une politique de lutte contre les discriminations, sous l’impulsion de

l’Union européenne.

II - L’avènement d’un nouveau cadre normatif imposé

par l’Europe

1. L’impulsion européenne

Avant toute chose, rappelons que l’action européenne est limitée politiquement par le

principe de subsidiarité : « l’Union européenne n’intervient que si et dans la mesure où les

objectifs de l’action envisagée ne peuvent pas être réalisés de manière suffisante par les Etats

membres et peuvent donc, en raison des dimensions ou des effets de l’action envisagée, être

mieux réalisés au niveau communautaire » (Borillo, 2003). L’Europe justifie son intervention en

matière de lutte contre les discriminations en mettant en avant l’« objectif communautaire d’un

marché du travail égalitaire permettant l’insertion professionnelle des personnes et

l’exploitation de leur potentiel en termes économiques et sociaux » (Borillo, 2003). Les lieux

privilégiés d’intervention sont le travail et l’emploi et les catégories protégées par le droit

communautaire sont les ressortissants des pays européens dans d’autres pays membres et les

femmes. Les directives européennes sont des instruments d’harmonisation de l’ensemble des

pratiques nationales. Les programmes d’actions accompagnant les mesures répressives

encouragent l’élaboration de politiques préventives, fondées sur l’éducation et la sensibilisation

des opinions publiques.

Le cadre européen en matière de politique d’immigration est inspiré du droit international

développé par les démocraties libérales après 1945 (Weil, 2006). Jusqu’en 1940, chaque Etat-

nation est libre de choisir qui il accueille sur son territoire. Après la Seconde Guerre Mondiale, les

démocraties libérales se soumettent à plusieurs normes de droit. Ainsi, les pays membres n’ont

55 KRETZSCHMAR C., « Lutter contre les discriminations ethnico-raciales, quel process ? », Formation DPVI, Pôle ressources, 12 décembre 2006.

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HUGUENOT Elise Mémoire de Sociologie, spécialité Développement Social Urbain 57 / 138

plus la possibilité de sélectionner l’immigration qu’ils accueillent par des quotas ethniques ou

nationaux, le projet de l’Union européenne impliquant le refus d’une hiérarchie entre les

étrangers « désirables » ou non. La convention de Genève56 de 1951 définit les modalités selon

lesquelles un État doit accorder le statut de réfugié aux personnes qui en font la demande, ainsi

que les droits et les devoirs de ces personnes. « Considérant que la Convention relative au statut

des réfugiés signée à Genève le 28 juillet 1951 ne s’applique qu’aux personnes qui sont devenues

réfugiées par suite d’événements survenus avant le 1er janvier 195157 », le protocole de New

York58 de 1967 étend la protection prévue par la Convention de Genève. Les démocraties

reconnaissent au résident étranger le droit à une vie familiale normale et admettent donc la

permanence du flux d’immigration de familles. De plus, lorsqu’un étranger a acquis, par le

renouvellement de son titre de séjour, une résidence stable dans un Etat démocratique, l’Etat ne

peut le contraindre à repartir contre sa volonté (même si la conjoncture économique est en

berne) car il a acquis un droit d’intégration. Le cadre européen prévoit également la

reconnaissance de droits pour les étrangers en situation irrégulière (soins, scolarité des enfants…).

Le droit communautaire est le premier à mettre en place un système de protection des minorités

et donne une dynamique nouvelle à la lutte contre les discriminations en obligeant les Etats-

membres à intégrer dans leur législation des mécanismes juridiques spécifiques (sans compter

l’introduction de la notion de « discrimination indirecte » et l’allègement du système de la

preuve) (Borillo, 2003).

La première référence concrète à la lutte contre les discriminations du droit com-

munautaire apparaît dans l’article 12 du traité instituant la Communauté européenne qui prévoit

l’interdiction de toute discrimination en raison de la nationalité parmi les citoyens européens. Le

deuxième domaine se rapporte à la discrimination fondée sur le genre en matière d’emploi

(article 141, ancien article 119). Outre l’emploi, les discriminations basées sur le sexe sont

également prohibées dans les domaines de la sécurité sociale et du congé parental. Après la lutte

56 La Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, dite Convention de Genève, définit les modalités selon lesquelles un État doit accorder le statut de réfugié aux personnes qui en font la demande, ainsi que les droits et les devoirs de ces personnes. Elle a été adoptée le 28 juillet 1951 par une conférence de plénipotentiaires sur le statut des réfugiés et des apatrides convoquée par l'Organisation des Nations unies, en application de la résolution 429 (V) de l'Assemblée générale en date du 14 décembre 1950. Elle met en œuvre, suite aux persécutions de l'entre-deux-guerres et à la Shoah, les préoccupations proclamées par la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 : toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l'intérieur d'un État. Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays (article 13). Devant la persécution, toute personne a le droit de chercher asile et de bénéficier de l'asile en d'autres pays. Ce droit ne peut être invoqué dans le cas de poursuites réellement fondées sur un crime de droit commun ou sur des agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies (article 14). 57 Protocole de New York du 31 janvier 1967 relatif au statut des réfugiés entré en vigueur le 4 octobre 1967, p. 1 58 Protocole de New York du 31 janvier 1967 relatif au statut des réfugiés entré en vigueur le 4 octobre 1967

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contre les discriminations fondées sur la nationalité entre les citoyens européens et le genre, le

troisième domaine d’intervention des institutions européennes est celui des discriminations

raciales. En 1990, le Conseil élabore une résolution relative à la lutte contre le racisme et la

xénophobie qui sera suivi par de nombreuses résolutions émanant du Parlement européen.

La nature même du projet de « communauté européenne » explique la place centrale

qu’occupe le refus de la discrimination, au moins sur le critère de la nationalité59, dans le droit

communautaire européen. A l’échelle macro-économique, l’élimination des discriminations vise à

favoriser une participation sociale plus étendue et le développement de la capacité d’insertion

professionnelle des personnes (Fassin et Halperin, 2009). Le doit communautaire part du principe

selon lequel la discrimination introduit un élément irrationnel dans le processus économique et,

par conséquent, empêche le développement de toutes les potentialités du marché. La

discrimination doit donc être vue, non seulement comme une atteinte aux libertés fondamentales

(notamment la liberté de circulation), mais aussi comme une entrave à l’activité économique et à

la cohésion sociale de l’Union européenne (Fassin et Halperin, 2009). En effet, si un État membre

de la Communauté impose des normes plus contraignantes pour les entreprises venant des autres

États membres que pour les entreprises créées sur le territoire national, il entrave la liberté de

circulation des produits et des capitaux au sein du « marché commun ». Et si cet Etat applique des

règles différentes, selon leur nationalité, aux personnes physiques, considérées notamment en

tant que travailleurs, alors il enfreint le principe de libre-circulation de la main d’œuvre. Dès

1957, date de la création de la Communauté Européenne par le Traité de Rome, la nationalité des

personnes physiques ou morales est par définition un critère interdit de discrimination. Et cela

pour des raisons essentiellement économiques.

Au début des années 1990, un réseau informel d’ONG européennes oeuvrant pour la

défense des migrants (Starting Line Group) avance l’idée d’une directive contre les

discriminations fondées sur l’ « origine raciale ou ethnique » auprès de la Commission et du

Parlement européen. Premier obstacle, l’Union européenne n’a pas la compétence pour agir sur

ce sujet. Les ONG font donc campagne pour l’inclusion d’une nouvelle clause antidiscriminatoire à

la prochaine révision du Traité. En effet, la construction européenne, en favorisant la libre-

circulation et la libre activité au sein du marché commun des européens de couleur, d’ascendance

immigrée, des religions minoritaires et de tous les résidents légaux quelque soit leur nationalité, a

vocation à l’antidiscrimination. A l’époque, le racisme, l’antisémitisme, la xénophobie sont en

augmentation en Europe (profanation de cimetières en France, incendies de foyers en Allemagne).

Par conséquent, en 1995, la Commission européenne adopte sa première communication contre le

59 Étude et guide « Discriminations « raciales » et politiques antidiscriminatoires - Fiches pour l’action », Cahier Millénaire3, Grand Lyon, mai 2003. URL : <www.millenaire3.com>

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HUGUENOT Elise Mémoire de Sociologie, spécialité Développement Social Urbain 59 / 138

racisme et propose d’établir une législation européenne en la matière. 1997 est l’année

européenne de lutte contre le racisme et de la création de l’Observatoire européen des

phénomènes racistes et xénophobes. Cette année est également marquée par la signature du

Traité d’Amsterdam, qui indique, dans son article 13, que :

« sans préjudice des autres dispositions du présent traité et dans les limites des compétences que celui-ci confère à la Communauté, le Conseil, statuant à l’unanimité sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen, peut prendre les mesures nécessaires en vue de combattre toute discrimination fondée sur le sexe, la race ou l’origine ethnique, la religion ou les convictions, un handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle. »

L’article 13, qui vise à réduire les discriminations, permettrait de faciliter une libre

concurrence, c'est-à-dire non faussée par des comportements irrationnels des acteurs

économiques, et d’assurer le développement des potentialités de l’ensemble des agents du

marché (Borillo, 2003). Cet article est critiqué car il ne protège pas les individus de la même

manière dans toutes les situations. En effet, si la discrimination se produit dans le travail, toutes

les catégories sont protégées mais si elle se produit hors du travail, seules la « race » et l’origine

ethnique constituent une source discriminatoire susceptible de sanctions. Daniel Borillo parle de

hiérarchie dans les domaines d’intervention (Borillo, 2003). L’auteur attire l’attention des

lecteurs en indiquant qu’il faut être vigilant et éviter que les catégories plus classiques (sexe et

« race ») n’éclipsent les autres (âge, handicap et orientation sexuelle) et que le domaine de

l’emploi n’empêche pas une lecture attentive des discriminations se produisant ailleurs.

La lutte contre les discriminations devient une compétence législative et politique de

l’Union européenne, au-dessus des Etats. L’Europe « fixe le cadre intellectuel et normatif qui

détermine les grandes orientations des politiques publiques » (Borillo, 2003). En 2000, l’Union

européenne édite deux directives et un programme d’actions communautaires de lutte contre les

discriminations.

La directive « RACE » (directive 2000-1943/CE du Conseil du 26/6/2000 relative à la mise

en œuvre du principe d’égalité de traitement entre les personnes sans distinction de « race » ou

d’origine ethnique) rappelle que le principe d’égalité équivaut au principe de non-discrimination.

La directive « RACE » s’applique au sein des organismes publics, du secteur privé, de l’emploi et

du travail, salarié ou non (sélection, recrutement, promotion, orientation professionnelle…), des

domaines publics et privés de la protection sociale et des avantages sociaux, de l’éducation, de

l’accès aux biens et aux services et du logement.

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HUGUENOT Elise Mémoire de Sociologie, spécialité Développement Social Urbain 60 / 138

La directive autorise l’ « action positive » :

« Pour assumer la pleine égalité dans la pratique, le principe de l’égalité de traitement n’empêche pas un État membre de maintenir ou d’adopter des mesures spécifiques destinées à prévenir ou à compenser des désavantages liés à la race ou à l’origine ethnique. »

La directive « RACE » assouplit la législation en matière de lutte contre les

discriminations en instituant le partage de la preuve. Dès lors, la personne qui se plaint d’une

discrimination à la justice doit seulement apporter des indices qui permettent de supposer qu’il

s’est passé une discrimination. La personne accusée doit prouver qu’il n’y a pas eu de

discrimination dans la situation en question. Notons que le partage de la preuve peut être

appliqué dans les procès civils (règlement de litiges) mais pas au pénal (condamnation de délits).

La directive « RACE » commande la mise en place, par chaque État de l’Union européenne, d’un

organisme indépendant chargé de combattre la discrimination fondée sur « la race et l’origine

ethnique ». Cet organisme indépendant sera chargé d’apporter une aide indépendante aux

victimes, de conduire des études indépendantes concernant les discriminations, de publier des

rapports indépendants et d’émettre des recommandations.

Second volet de la politique européenne impulsée en 2000, la directive « EMPLOI »

(directive 2000-1978/CE du Conseil du 27/11/2000 portant création d’un cadre général en faveur

de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail) vise à combattre les discriminations

dans les domaines de l’emploi et du travail, liées à la religion, aux convictions, au handicap, à

l’âge ou à l’orientation sexuelle.

L’Union européenne met également en place un programme d’actions contre les

discriminations visant à promouvoir et à financer, dans toute l’Europe, des actions « contre toute

discrimination directe ou indirecte fondée sur la race ou l’origine ethnique, la religion ou les

convictions, un handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle ». Ce programme communautaire

soutient trois types de démarches : l’analyse et l’évolution des tendances (production de

statistiques…), le renforcement des capacités (transfert d’informations, de bonnes pratiques

entre au moins trois Etats membres…) et la sensibilisation (conférences, manifestations

internationales…) Les programmes EQUAL, programmes d’application et de financement de la

stratégie européenne pour l’emploi, tendent à développer des pratiques nouvelles de lutte contre

les discriminations et les inégalités de toute nature, en relation avec le marché du travail, dans

un contexte de coopération transnationale. Les actions doivent « bénéficier essentiellement aux

personnes victimes des principales formes de discriminations ».

Incontestablement, l’adoption des directives communautaires permet à la France de

mettre en place un dispositif juridique plus efficace de lutte contre les discriminations. Il a fallu,

pour ce faire, dépasser le cadre traditionnel propre à la vision républicaine ou à celle de l’État-

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providence, enracinées dans la tradition française. La création de la HALDE constitue également

un pas significatif dans l’action publique d’affirmation de la lutte contre les discriminations.

Cependant, il reste encore beaucoup à faire, sinon pour éliminer, tout au moins pour affaiblir le

phénomène discriminatoire. Outre la voie répressive, il est nécessaire de développer de véritables

stratégies préventives. La recherche et l’éducation me semblent les chemins privilégiés pour y

parvenir. En effet, il est nécessaire de bien connaître l’origine et les manifestations de la

discrimination pour la combattre intelligemment. Les études scientifiques doivent, en ce sens, se

concevoir non seulement comme des traités permettant la connaissance des discriminations mais

aussi comme des outils susceptibles d’aider à la construction de la preuve des discriminations

indirectes. La France, désormais sommée par l’Union européenne de réagir à la réalité

discriminatoire, construit son système législatif sur la base des principes républicains constitutifs

de la nation française.

2. En France : des principes républicains à l’injonction européenne

L’article 1er de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789 affirme

que « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits ». Le principe de non-

discrimination est directement issu du principe d’égalité solennellement affirmé dès la Révolution

française comme la base fondamentale de tout régime démocratique. Suite à la Seconde Guerre

Mondiale et à la barbarie du régime nazi, la communauté internationale met en place les premiers

instruments normatifs et institutionnels du droit international des Droits de l’Homme,

condamnant toute distinction fondée sur l’origine réelle ou supposée des individus : la Déclaration

universelle des Droits de l’Homme de 1948, la Convention européenne de sauvegarde des Droits

de l’Homme et des Libertés Fondamentales de 1950 ou encore la Convention éditée par

l’Organisation Internationale du Travail en 1958 relative à la discrimination en matière

professionnelle. En France, le préambule de la Constitution de la IVème République du 27 octobre

1946 stipule que « le peuple français proclame à nouveau que tout être humain, sans distinction

de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés ». La Constitution de

la Vème République du 4 octobre 1958 « proclame solennellement son attachement aux Droits de

l’Homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu’ils ont été définis par la

Déclaration de 1789, confirmée et complétée par le préambule de la Constitution de 1946 ». Ces

deux textes fondateurs ont, aujourd’hui encore, valeur constitutionnelle. Le 21 décembre 1965,

les Nations Unies adoptent la Convention Internationale pour l’élimination de toutes les formes de

discrimination raciale. Premier texte international à traiter spécifiquement de cette question,

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HUGUENOT Elise Mémoire de Sociologie, spécialité Développement Social Urbain 62 / 138

elle oblige les États signataires « à poursuivre par tous les moyens appropriés et sans retard une

politique tendant à éliminer toute forme de discrimination raciale et à favoriser l’entente entre

toutes les races ». En France, l’immigration est régie par une ordonnance de 1945 qui impose une

approche égalitaire en matière d’accueil des immigrés en France. Néanmoins, depuis trente ans,

la France affiche une préférence pour une immigration européenne au détriment d’une

immigration coloniale, notamment algérienne (Weil, 2006) et les politiques françaises sont

animées par des objectifs tout autres, tels que le renvoi vers le pays d’origine60, la suppression du

droit du sol61 ou l’ « immigration zéro62 ».

Le système républicain hérité de la Révolution française (postulant qu’il suffit de poser le

principe d’égalité de tous devant la loi pour mettre fin aux discriminations) et la conception

classique de l’Etat-providence (reposant sur la croyance que la fin de l’exclusion sociale et de la

précarité économique signifie la fin des problèmes de discriminations et d’intégration) se révèlent

être des échecs (Fassin et Halperin, 2009). Entre 1965 et 1995, la France vote ses principaux

textes prohibant la discrimination raciale. Le 1er juillet 1972 est adopté la loi Pleven relative à la

lutte contre le racisme. Au critère de la « race » vont s’ajouter les critères du sexe et de la

situation de famille (1975), des mœurs dix ans plus tard, du handicap (1989), de l’état de santé

en 1990 devant le développement du VIH. Afin de mieux protéger les personnes victimes de

discriminations dans le cadre de la vie professionnelle, la loi dite « Auroux » du 4 août 198263

intègre dans le Code du travail un nouvel article qui prohibe la sanction ou le licenciement d’un

salarié fondé sur « son origine, son appartenance à une ethnie, une nation ou une race ». La loi

dite « Le Pors64 » rappelle l’interdiction de faire des distinctions entre les fonctionnaires « en

raison de leurs opinions […] ou de leur appartenance ethnique ». En 1990 la loi dite « Gayssot65 »

prohibe les propos révisionnistes et/ou négationnistes et crée des peines complémentaires

applicables au délit de « discrimination raciale ». Elle officialise la Commission Nationale

Consultative des Droits de l’Homme (CNCDH), chargée de remettre un rapport annuel au

gouvernement sur « la lutte contre le racisme et la xénophobie », bilan de la situation française

60 La politique de Valéry Giscard d’Estaing en matière d’immigration illustre bien cette tendance puisqu’elle se caractérise par l’arrêt de toute nouvelle immigration, un contrôle rigoureux des entrées et des séjours (tout un arsenal de circulaires et décrets sont signés pendant cette période ou modifiés), l’encouragement à des retours volontaires des immigrés dans leur pays d’origine et un programme d’insertion de ceux qui sont établis en France. 61 « Le droit du sol ou jus solis est l’un des deux fondements du code de la nationalité en France, le second étant le filiation ou droit du sang. […] Le débat sur la nationalité a été lancé dès 1978 par Valérie Giscard d’Estaing » DRIDI M., L’immigration de A à Z, Paris : FTCR, Paris, 2007, p. 167 62 « La France a été un pays d’immigration ; elle ne veut plus l’être […] l’objectif que nous nous assignons, compte tenu de la gravité de la situation économique c’est de tendre vers une immigration zéro », Charles Pasqua dans un article du Monde, cité par DRIDI M., L’immigration de A à Z, Paris : FTCR, Paris, 2007, p. 220 63 Loi n°82-689 du 4 août 1982 relative aux libertés des travailleurs dans l'entreprise 64 Loi n°83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires 65 Loi n° 90-615 du 13 juillet 1990, « tendant à réprimer tout propos raciste, antisémite ou xénophobe

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et de ses évolutions. A la fin des années 1990, la France transforme ses efforts selon trois axes66 :

l’accentuation de la visibilité de la lutte contre les discriminations, la délégation de la mission par

l’Etat à plusieurs agences et organismes et le vote de plusieurs lois antidiscriminatoires par le

Parlement. Avec le nouveau Code pénal en 1994, les opinions politiques et les activités syndicales

viennent compléter la liste des critères. La loi du 16 novembre 2001 et celle du 4 mars 2002 font

de l’apparence physique, du patronyme, de l’âge, du nom, de l’orientation sexuelle et de la

« race supposée » de nouveaux critères interdits. La loi du 16 novembre 2001 couvre toute la vie

au travail, y compris les stages, introduit le partage de la charge de la preuve et la notion de

discrimination indirecte67. Elle accroît le pouvoir des acteurs de la discrimination et met en place

un système de protection pour les victimes et les témoins.

A l’époque de la constitution de l’appareil législatif français, la nouveauté est que la lutte

contre les discriminations est consensuelle dans le monde politique (alors qu’avant, elle était

l’apanage des partis de gauche et des organisations antiracistes) (Fassin, 2006). Pourquoi cette

unanimité soudaine ? Emmanuel Jovelin explique que ce consensus est le résultat des luttes

menées depuis plusieurs décennies par les mouvements antiracistes. Le sociologue indique

également que les médias jouent un rôle décisif dans le processus (Jovelin, 2005), les partis

politiques étant de plus en plus dépendants du pouvoir médiatique. Les organisations politiques

qui aspirent à la conquête du pouvoir intègrent la question raciale dans leur programme car les

messages des grandes entreprises véhiculés par les médias reposent sur des représentations

raciales qui permettent de fabriquer des messages publicitaires standardisés et mobilisant des

symboles plus universels que les références nationales (Fassin, 2006). Dans un contexte de

mondialisation du capitalisme, la « race » devient un facteur d’universalisation. Par ailleurs, avec

la perte de crédibilité du discours sur l’intégration, la redéfinition du problème apparaît

nécessaire pour le personnel politique et pour tous ceux qui en vivent aujourd’hui (travailleurs

sociaux, salariés des associations, journalistes, experts…). Sur le plan politique, la conversion des

partis de droite au combat contre les discriminations s’explique par plusieurs facteurs. D’une

part, il existe des liens privilégiés entre les dirigeants des partis et les représentants du grand

patronat international. D’autre part, nous l’avons déjà évoqué, cette valorisation permettrait

d’alimenter une vision du monde qui s’efforce d’occulter les formes de domination économique.

66 BLEICH E., « Histoire des politiques françaises antidiscriminations : du déni à la lutte », Hommes et Migrations, 2003, cité par JOVELIN E., « Vivre la discrimination, vivre la différence. » in BOUCHER M., Discriminations et ethnicisations. Combattre le racisme en Europe, Paris : Editions de l’Aube, 2005, p. 177 67 « Une discrimination indirecte se produit lorsqu’une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre est susceptible d’entraîner un désavantage particulier pour des personnes d’une race, d’un sexe, d’un handicap… donné, par rapport à d’autres personnes. » Étude et guide « Discriminations « raciales » et politiques antidiscriminatoires - Fiches pour l’action », Cahier Millénaire3, Grand Lyon, mai 2003. URL : www.millenaire3.com p. 18

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Les premières mesures prises par le gouvernement à la fin des années 1990 en matière de

lutte contre les discriminations reposent sur un principe d’égalité de traitement défini comme

« le traitement indifférencié des individus, sans regard sur les particularités68 ». Au cours de

l’année 1999, le gouvernement met en place les Commissions Départementales d’Accès à la

Citoyenneté (CODAC) dans chaque préfecture. Co-présidées par le Préfet et le Procureur de la

République et réunissant des élus locaux, des représentants des principaux acteurs administratifs,

judiciaires, associatifs et syndicaux, elles ont une double mission. Elles assurent un rôle

d’information et de soutien des personnes victimes de discrimination raciale et sont chargées de

la conception, de la mise en place et du suivi du programme d’actions départemental de lutte

contre les discriminations. Le programme d’actions est élaboré à partir d’un diagnostic des

difficultés locales et offre un cadre pour promouvoir et valoriser toutes les initiatives en faveur de

l’accès au droit, du plein exercice de la citoyenneté, de l’intégration et de la lutte contre les

discriminations. L’année 1999 assiste également à la naissance du groupe d’étude et de lutte

contre les discriminations (GELD). Ce groupement d’intérêt public, associant l’État, les

organisations syndicales et les associations, est l’observatoire national des phénomènes

discriminatoires liés à l’origine réelle ou supposée et gère le numéro vert 11469. En 2001, la loi

relative à la lutte contre les discriminations70 procède à une réforme en profondeur du dispositif

français : elle étend le domaine de la discrimination prohibée (l’apparence, le nom, l’origine

supposée sont de nouveaux critères illégaux de discriminations), instaure une nouvelle répartition

de la charge de la preuve devant les Prud’hommes (le partage de la preuve), confère aux

syndicats et aux associations le droit d’agir en justice, augmente les pouvoirs d’enquête de

l’inspection du travail, et crée le concept de « discrimination indirecte ».

Les années 2000 assistent à un nouveau tournant dans la manière d’appréhender les

discriminations raciales. Sous l’impulsion de l’Institut Montaigne, un nouveau lexique popularise le

thème de la lutte contre les discriminations auprès des hommes politiques et des entreprises

français.

68 KRETZSCHMAR C., « Lutter contre les discriminations ethnico-raciales, quel process ? », Formation DPVI, Pôle ressources, 12 décembre 2006. 69 Créé à l’issue des « Assises de la Citoyenneté et de la lutte contre les discriminations » en 2000, le 114 est un service téléphonique gratuit et accessible en France qui répond aux demandes d’informations et de conseil de toute personne victime ou témoin de discriminations. 70 La loi n° 2001-1066 du 16 novembre 2001 relative à la lutte contre les discriminations est la traduction française de la directive européenne 2000/CE/43 (ou « directive RACE ») du Traité d’Amsterdam.

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HUGUENOT Elise Mémoire de Sociologie, spécialité Développement Social Urbain 65 / 138

III - La montée en puissance de l’égalité des chances

et de la promotion de la diversité ou le traitement

néolibéral des questions de discriminations

Depuis 2004, les politiques de lutte contre les discriminations connaissent un nouveau

tournant. Le début des années 2000 assiste au glissement de l’égalité de traitement vers l’égalité

des chances. Ces politiques s’adressent principalement à un public de jeunes issus des quartiers

et/ou de l’immigration et sont promues par le gouvernement auprès des entreprises et des

grandes écoles notamment. En 2004, Claude Bébéar, ancien patron d’Axa et président de l’Institut

Montaigne, remet un rapport au Premier Ministre intitulé « Des entreprises aux couleurs de la

France ». Ce rapport, actualisé en 200971 , comporte « une série de mesures opératoires pour

combattre les discriminations à l’égard des minorités visibles dans l’entreprise et dans le

système éducatif ». Le rapport de 2004 avait encouragé les entreprises françaises à signer la

Charte de la Diversité72. Dans le rapport publié en 2009, la « diversité » est entendue comme un

facteur de compétitivité, un moyen d’objectiver et de rationaliser le recrutement des entreprises

« favorables aux respect des différences » (Bébéar, 2004, p. 8). Cependant, est-il possible que le

« respect des différences » fasse débat ? Existe-il des détracteurs du « respect des différences »

parmi les entreprises ? Cyril Kretzschmar évoque l’ « instrumentalisation de la Charte de la

Diversité par les entreprises qui l’utilisent comme un argument marketing qui permet d’élargir

leur clientèle73 ». Avec la loi n°2006-396 du 31 mars 2006 pour l’égalité des chances, le

gouvernement consolide sa politique fondée sur la notion d’ « égalité des chances » et valorise un

système méritocratique. Ainsi, à l’issue d’une réunion avec la Conférence des grandes écoles

(CGE) et la Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs (CDEFI), la Ministre de

l’Enseignement supérieur, Valérie Pécresse, affirmait que l’objectif du gouvernement était

d’atteindre « une ouverture sociale de 30 % de boursiers » dans toutes les grandes écoles d’ici à

2012. Considérant d’une part, que les étudiants boursiers ne bénéficient pas des mêmes chances

71 BEBEAR C., Des entreprises à l’image de la France – Actualisation des propositions remises au Premier Ministre dans le rapport « Des entreprises aux couleurs de la France », Paris, 23 novembre 2004 72 « La Charte de la diversité est un texte d'engagement proposé à la signature de toute entreprise, quelle que soit sa taille, qui condamne les discriminations dans le domaine de l'emploi et décide d'œuvrer en faveur de la diversité. La Charte exprime la volonté d'agir des entreprises pour mieux refléter, dans leurs effectifs, la diversité de la population française. Articulée autour de six articles, elle guide l'entreprise dans la mise en place de nouvelles pratiques, en y associant l'ensemble de ses collaborateurs et partenaires. Elle les incite à mettre en oeuvre une politique de gestion des ressources humaines centrée sur la reconnaissance et la valorisation des compétences individuelles. L'entreprise favorise ainsi la cohésion et l'équité sociale, tout en augmentant sa performance ». URL : http://www.charte-diversite.com/charte-diversite-la-charte.php, [référence du 23 janvier 2010] 73 KRETZSCHMAR C., « Lutter contre les discriminations ethnico-raciales, quel process ? », Formation DPVI, Pôle ressources, 12 décembre 2006.

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que les non boursiers, en raison d’un capital social74 et culturel75 moins étendu, et d’autre part,

que les caractéristiques des étudiants intégrant les grandes écoles, homogènes en matière

d’origine socioculturelle, vont à l’encontre du modèle méritocratique défendu par la République,

le gouvernement entend afficher une démocratisation de l’accès à ces établissements, accusés de

reproduction sociale76. Néanmoins, le modèle méritocratique est, nous l’évoquerons plus bas,

vivement critiqué, notamment par le sociologue François Dubet77. La loi du 31 mars 2006 pour

l’égalité des chances institutionnalise donc une notion certes connotée positivement mais « qui

n’a aucune substance normative ou juridique78 ». Ce « pseudo-concept » (Noël, 2008, p. 135) ne

fait pas l’unanimité parmi les chercheurs. Néanmoins, depuis 2004, il constitue, avec la

« promotion de la diversité », un des pivots de la politique nationale de lutte contre les

discriminations, dans un contexte néolibéral.

1. L’ « égalité des chances » : un symptôme de la montée en puissance du néolibéralisme

Utilisé depuis quelques années en Europe, le « néolibéralisme » est un terme vague, ayant

une connotation péjorative, qui désigne à la fois une idéologie, une vision du monde, des modes

de gouvernement, des théories marquant un renouveau et une radicalisation du libéralisme,

forme actuelle du capitalisme. Cette conception postule que la propriété privée, la liberté des

marchés et le libre-échange ne sont plus seulement les piliers de l’institution économique mais

également les sources du « bien-être humain » (Benn Michaels, 2009) Le néolibéralisme se

74 Pierre Bourdieu définit le capital social comme l’« agrégat des ressources réelles ou potentielles qui sont liées à la possession d'un réseau durable de plus ou moins de rapports institutionnalisés de la connaissance et de l'identification mutuelles. » BOURDIEU P., Les formes de capital, New York : Richardson, 1986 75 Pierre Bourdieu définit le capital culturel comme un instrument de pouvoir détenu par l'individu sous forme d'un ensemble de qualifications intellectuelles produites par l'environnement familial et le système scolaire. Le capital culturel peut être appréhendé sous trois formes : le capital incorporé (langage, capacités intellectuelles, savoir et savoir-faire), le capital objectivité (possession d’objets culturels), le capital certifié (légitimation par les diplômes et autre titre scolaires). BOURDIEU P., Les formes de capital, New York : Richardson, 1986 76 La reproduction sociale désigne le phénomène sociologique d'immobilisme social intergénerationel. Ce terme décrit une pratique sociale relative à la famille, consistant à maintenir une position sociale d'une génération à l'autre par la transmission d'un patrimoine qu'il soit matériel ou immatériel. Ce phénomène se traduit statistiquement aujourd'hui par le fait que par exemple un fils d'ouvrier a plus de chance de devenir ouvrier que de quitter sa classe sociale et de même qu'un fils de cadre aura plutôt tendance à devenir cadre à son tour que de changer de classe sociale. BOURDIEU P., PASSERON J.-C., La reproduction – Eléments pour une théorie du système d’enseignement, Paris : Éditions de Minuit, 1970, 284 pages 77 DUBET F., « Les pièges de l’égalité des chances », Le Monde, 30 novembre 2009 78 NOEL O., « Politique de diversité ou politique de diversion ? Du paradigme public de lutte contre les discriminations à sa déqualification juridique », Asylon(s) n°4, mai 2008, [référence du 28 janvier 2010]. URL : http://www.reseau-terra.eu/article764.html

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caractérise par une limitation du rôle de l’État en matière économique, sociale et juridique,

l’ouverture de nouveaux domaines d’activités à la loi du marché, une vision de l’individu en tant

qu’ « entrepreneur de lui-même » ou « capital humain » que celui-ci parviendra à développer et à

faire fructifier s’il sait s’adapter, innover… En France, l’arrivée de François Mitterrand au pouvoir

en 1983, marquerait le début de ce tournant libéral, la lutte contre les discriminations ayant

remplacé la lutte contre les inégalités économiques sur l’agenda politique. Pour Walter Benn

Michaels, la conception de la justice sociale, selon la théorie néolibérale, entérine

l’élargissement du fossé économique entre riches et pauvres « tant que les pauvres comptent

autant de noirs, de basanés et de jeunes que de blancs, autant de femmes que d’hommes, autant

d’homosexuels que d’hétérosexuels» (Benn Michaels, 2009).

Dans son article intitulé « Politique de diversité ou politique de diversion ? Du paradigme

public de lutte contre les discriminations à sa déqualification juridique », Olivier Noël explique

que l’on assiste à une résolution néolibérale du problème des discriminations, signifiée par une

diminution de l’intervention de l’État. Selon le sociologue, l’apparition de l’ « égalité des

chances » serait un des symptômes de cette évolution. Pour Elisabeth Prieur et Emmanuel Jovelin,

la tendance actuelle consiste à déplacer la question de l’égalité « du terrain de la légitimité de

l’existence de la hiérarchie sociale sur celui des chances individuelles » (Jovelin et Prieur, 2005,

p. 82). Les auteurs indiquent que parler « d’égalité des chances permet finalement de diluer et

de dénaturer l’idée d’égalité, l’égalité à la fois comme réalité et comme horizon. Car là où il y a

égalité par définition il n’y a pas besoin de chance, il n’y a pas besoin d’égalité, mais hasard,

gros lot ou lot de consolation… le mot chance ne renvoie-t-il pas au monde de la loterie, un

monde où l’on parle, un monde où quelques-uns gagnent… et où la plupart perdent79 ? ». Pour

donner une tonalité positive aux politiques, on nomme de moins en moins le problème que l’on

entend combattre.

L’égalité des chances, souvent comparée à l’affirmative action80 américaine, est accusée

de rompre avec le modèle égalitaire et de racialiser les problèmes de la société française (Weil,

2005) en entérinant « l’existence dans la société française de groupes caractérisés par un certain

nombre de traits innés et indélébiles » (Borillo, 2003). Les nouveaux problèmes sociaux

fondamentaux proviendraient de la discrimination, de l’intolérance plutôt que de l’exploitation

(Benn Michaels, 2009). De plus, Olivier Noël met en lumière le risque que la promotion de la

diversité fasse passer au second plan le traitement juridique des discriminations (Noël, 2008).

79 BIHR A., « Inégalités des chances ou inégalités des situations », Cahiers français n°314, 203, p. 24, citée par JOVELIN E. et PRIEUR E., « État-Providence, inégalités sociales et travail social en France. Un combat des titans », Pensée plurielle – Parole, pratique et réflexions du social n° 10, 2005, p. 82 80 Aux États-unis, l'affirmative action consiste à instaurer un traitement préférentiel au bénéfice de cinq groupes (les Noirs, les Hispaniques, les Amérindiens, les Asiatiques et les femmes) qui ont été victimes de

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L’auteur de l’article « Penser l’égalité, comprendre les discriminations » qualifie la « diversité »

et l’ « égalité des chances » de nouveaux concepts « écrans » (Noël, 2008). Connotés

positivement, ces termes séduisent les entreprises et les élus. La notion d’égalité des chances est

pour l’auteur un « pseudo-concept, véritable obstacle épistémologique et politique à tout ce qui

s’avance comme réformes, voire comme refondation du système sociétal [...] C’est un jeu à

somme nulle, où ce que l’un gagne, l’autre le perd » (Noël, 2008). Olivier Noël rappelle que les

politiques de diversité et d’égalité des chances sont fondées sur l’économie de marché alors que

les politiques de lutte contre les discriminations reposent théoriquement sur les principes de

l’État de droit. L’auteur critique vivement ces deux « pseudo-concepts » puisqu’il explique que la

préférence accordée à la diversité et à l’égalité des chances relativise le caractère délictueux des

pratiques discriminatoires et participe à l’occultation de la souffrance quotidienne des victimes

de discriminations. La loi du 3 mars 2006 pour l’égalité des chances, créée en réponse aux

émeutes de novembre 2005, est symptomatique de cette tendance. Le sociologue explique que si

le recours à l’ « égalité des chances » a l’avantage d’être connoté positivement, il n’a aucune

substance normative ou juridique et ne permet donc pas de lutter de manière effective contre les

discriminations. Le passage du FASILD à l’Acsé relève également de cette volonté des pouvoirs

publics de privilégier une approche libérale puisque ce passage s’est accompagné d’une

minimisation de la mission de l’Acsé en termes de lutte contre les discriminations.

Pour Walter Benn Michaels, la conception de la justice sociale qui sous-tend le combat

pour la diversité repose elle aussi sur une conception néolibérale. En effet, le passage du combat

pour l’égalité à l’engagement en faveur de la diversité constitue, selon lui, un tournant libéral, à

une période où les inégalités économiques explosent. Apparu de manière forte fin 2004 dans le

rapport de Claude Bébéar « Des entreprises aux couleurs de la France », la diversité est souvent

présentée comme le versant positif de la lutte contre les discriminations81. Considérée comme

une source de richesse pour l’ensemble de la collectivité, la diversité est fondée sur la

valorisation des différences. Ainsi, pour une entreprise, embaucher un jeune d’origine immigrée

est positif car il est considéré comme porteur d’une culture différente. Pourtant, la plupart de

ces jeunes sont nés en France, ont grandi en France, sont allés à l’école en France. On peut donc

se demander ce que les acteurs recherchent à travers cette « richesse des différences », d’autant

que cette diversité valorisée est une diversité visible, liée à des attributs observables tels que le

sexe ou l’origine ethnique. Selon Walter Benn Michaels, l’engouement pour la diversité repose sur

une conception nouvelle de la lutte contre les discriminations, où on ne cherche plus à faire

disparaître les différences mais à les apprécier. Si le racisme demeure connoté négativement, la

discriminations dans le passé et qui souffrent des conséquences de celles-ci, et dans trois domaines (admission dans les universités, accès à l'emploi, attribution de contrats publics).

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« race », quant à elle, devient un aspect positif car fondatrice d’une identité. Le problème se

situe dans l’existence de l’inégalité ; la solution est à chercher du côté de l’identité (Benn

Michaels, 2009). Mais la France se refuse à utiliser la terme « race » et l’adjectif « racial » par

crainte de l’effet performatif de ce terme : parler de discriminations raciales serait admettre que

les « races » existent bel et bien. La France préfère le terme « culture » : les associations

revendiquent la spécificité de leur « culture » d’origine, les pouvoirs publics avouent le caractère

« multiculturel » du pays… Walter Benn Michaels cite deux des fondements de cette préférence.

D’une part, la culture s’apprend plutôt qu’elle ne s’hérite : dans le couple nature / éducation,

elle est du côté de l’éducation. D’autre part, pour l’auteur, la culture est un concept plus mou

que la « race ». Les acteurs utiliseraient le terme « culture » malgré sa faiblesse conceptuelle car

apprécier les avantages liés aux différences éthnico-culturelles prélude souvent au mouvement

qui minimise les inconvénients liés aux différences de classes.

Loin de promouvoir l’égalité, les politiques d’égalité des chances et de diversité

constitueraient une méthode de gestion de l’inégalité. En effet, pour Walter Benn Michaels, la

diversité ne résout pas le problème de l’inégalité économique et permet, au contraire, de

masquer l’existence de ce problème. La valorisation de la diversité entraîne un débat qui ne

concerne nullement les inégalités, mais les préjugés et le respect. Or, le débat est en réalité

inexistant. En effet, existe-t-il des défenseurs des préjugés et des détracteurs du respect ? La

préférence affichée pour la diversité va de pair avec un discours qui postule que le vrai problème

ne serait pas les inégalités de richesse mais la condescendance des riches à l’égard des pauvres

(Benn Michaels, 2009). La solution résiderait ainsi en le « respect mutuel par delà les frontières

de l’inégalité » (la fin de la condescendance). Le fait que coexistent une minorité de riches et

une majorité de pauvres ne pose aucun problème tant qu’on ne met personne en positon d’avoir

honte de sa pauvreté. La politique de l’idéologie néolibérale n’implique que le respect des

pauvres, pas l’élimination de la pauvreté. Pour l’auteur, la diversité ne sert pas l’égalité car elle

ne permet pas une redistribution des richesses. Pour illustrer sa thèse, Walter Benn Michaels cite

un rapport intitulé « Représentation de la diversité dans les programmes de télévision » qui

mentionne que les groupes sous représentés sont les personnes non-blanches, les femmes et les

personnes issues des classes populaires. Le rapport encourage donc d’augmenter la proportion de

personnes de couleur, de femmes, d’ouvriers et d’employés à la télévision. Walter Benn Michaels

s’interroge alors sur l’intérêt de cette mesure : la justice sociale consiste-t-elle à diminuer le

nombre de pauvres dans le monde ou à augmenter leur représentation à la télé ?

81 KRETZSCHMAR C., « Lutter contre les discriminations ethnico-raciales, quel process ? », Formation DPVI, Pôle ressources, 12 décembre 2006.

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2. Égalité des chances et méritocratie : la « loi de la

jungle »

Thèse identique pour François Dubet qui qualifie l’égalité des chances de « piège » (Dubet,

2009). Pour l’auteur, la politique d’égalité des chances s’intéresse aux élites : « nous faisons

comme si l’accès de minorités sociales et culturelles méritantes à l’élite allait changer l’ordre

des choses ». En effet, il est plus facile de dégager une élite que d’améliorer le sort des perdants.

François Dubet doute de l’impact de cette politique sur la question sociale. Selon lui, une

politique d’égalité des chances ne vise pas à réduire les inégalités entre les positions sociales mais

assure l’égalité des conditions dans l’accès à ces inégalités. Il définit la méritocratie sur laquelle

est adossée l’égalité des chances comme « une morale de vainqueur où les vaincus méritent leur

sort quand la compétition a été juste et équitable ». Le mérite, quant à lui, serait « une fiction

grâce à laquelle les inégalités des talents et de la naissance sont "blanchis" par l’école pour

renaître comme les produits incontestables de la volonté et du courage ». Il s’agit donc

clairement d’une conception libérale, l’égalité des chances visant à produire des inégalités justes.

Le modèle de l’égalité des chances présente l’avantage de ne créer aucune dette à l’égard des

vaincus puisque ceux-ci n’ont pas de mérite, tout simplement. Par conséquent, les vaincus seront

d’autant plus amers et révoltés qu’ils seront blâmés de ne pas avoir saisi leur chance. Si la

vocation de l’école est de distinguer le mérite des élèves, la vie scolaire devient une compétition.

Si le mérite distribue équitablement les individus dans l’échelle des inégalités, alors on

s’accommode de celles-ci.

Rappelons que le marché repose sur l’égalité formelle car les règles sont impersonnelles,

abstraites, objectives et identiques pour tous. La loi du marché implique un principe de libre-

concurrence mais Daniel Borillo s’interroge : les concurrents s’affrontent-ils à armes égales ? Le

marché est synonyme de liberté mais il laisse subsister les inégalités sociales. Le marché induit

donc des phénomènes de discriminations car il est fondé sur des « comportements conscients

d’agents économiques déterminés qui réservent des traitements différenciés à des individus

catégorisés sur la base de critères dictés par une logique de profit » (Borillo, 2003, p. 12). Ainsi,

les principes du libéralisme économique qui régissent le fonctionnement de la sphère marchande

autorisent les discriminations et la recherche du profit sous contrainte de la concurrence. Le

libéralisme réclame la liberté la plus grande mais « si la liberté est proclamée au bénéfice de

tous, tous ne sont pas en mesure d’en profiter au même degré » (Borillo, 2003, p. 12). La liberté

contractuelle est dissymétrique : chacune des parties n’a pas la même liberté de contracter, d’où

la mise en place du droit du travail, de la consommation, des assurances... Dans une société

mondialisée régie par la loi du marché, comment introduire la lutte contre les discriminations

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dans l’économie de marché ? L’auteur préconise que l’État prohibe les discriminations les plus

choquantes, réglemente les modalités de passation des contrats où la dissymétrie entre les

contractants est la plus flagrante, en d’autres mots s’affranchisse de la logique de marché à

chaque fois qu’elle entrave l’égal accès à des droits fondamentaux pour faire prévaloir une

logique de solidarité. Mais la logique de marché, incapable de produire l’égalité, engendre de

nouvelles formes de discriminations que l’encadrement de la liberté contractuelle ne suffit pas à

juguler. Le passage d’une logique de solidarité (protection sociale) à une logique de marché

signifie la victoire du marché comme mode hégémonique de régulation sociale et une victoire

intellectuelle et morale « la loi du marché [ayant] inscrit profondément sa marque en chaque

individu et des décennies d’État Providence n’[ayant] pas réussi à déraciner la propension à

raisonner, au-delà de la sphère marchande, en termes coûts bénéfices » (Borillo, 2003, p. 37).

On voit ici en quoi « néolibéralisme », « méritocratie » et « diversité » sont intimement

liés et définissent la tendance en matière d’organisation de la société et de politique de lutte

contre les discriminations. Fait paradoxal dans une République Une et Indivisible, les politiques

d’égalité des chances visent des groupes préconstruits, identifiés en raison de caractéristiques

visibles telles que la couleur de leur peau.

IV - Politique minoritaire ou politique identitaire ?

1. La peur des « communautés » en France

Le modèle de citoyenneté « à la française » renvoie les appartenances à la sphère privée.

La société française est confrontée à l’impossibilité de définir des groupes, de construire des

identités en statistiques et dans les représentations sociales du fait du respect de l’égalité et de

l’indivisibilité. Olivier Noël postule que ce principe masque une partie des réalités de traitement

discriminatoire et complique la mise en œuvre d’une politique de lutte contre les discriminations

plus active que celle menée aujourd’hui. Pour Daniel Borillo, l’évocation de la « discrimination »

permet de faire l’économie du « multiculturalisme », de l’opposition entre universalisme « à la

française » et communautarisme « à l’américaine » (Borillo, 2003, p. 60). L’opposition au

multiculturalisme américain est en effet un obstacle à la mise en place d’une politique

minoritaire. Par ailleurs, la focalisation sur les discriminations permet d’éviter une révision

importante de la société française (Simon, 2006). L’utilisation du terme « minorité » permet de

faire l’économie de la notion de « communauté » qui effraie tant l’opinion publique et les

pouvoirs publics. Une politique minoritaire se différencie d’une politique identitaire en ce qu’elle

ne se réfère pas à une « communauté ». La « minorité », à la différence de la « communauté »,

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n’implique pas nécessairement l’appartenance à un groupe et l’identité d’une culture ; elle

requiert en revanche l’expérience partagée de la discrimination. Les « Noirs » ou les « Arabes » en

France, aujourd’hui, ont en commun, non pas la « race », mais le racisme (Fassin, 2006, p. 259).

Alors que la politique identitaire s’applique à constituer des coalitions entre communautés

hétérogènes dont chacune combat d’abord pour la reconnaissance de sa propre culture, la

politique minoritaire s’exprime plus aisément dans le registre universaliste de la lutte contre

toutes les discriminations. Pour illustrer cette distinction théorique, les auteurs de « De la

question sociale à la question raciale » évoquent le mouvement noir qui s’élabore en France

autour du Conseil Représentatif des Associations Noires (CRAN) et qui relèverait, non d’une

politique identitaire, mais d’une politique minoritaire. Certains s’inquiètent d’une revendication

formulée en termes de couleur de peau. Pourtant, c’est l’expérience commune de la

discrimination, et non une culture partagée, qui fonde la catégorie de « Noir » : les Africains

autant que les Antillais peuvent s’y retrouver au-delà de leurs différences culturelles. Cette

logique minoritaire permet de compter des Blancs parmi les membres du CRAN et de choisir un

porte-parole simultanément engagé dans la lutte contre l’homophobie82 : les logiques minoritaires

ne sont pas exclusives. Eric et Didier Fassin reviennent également sur le manifeste publié en

janvier 2005 sous le titre « Nous sommes les indigènes de la République ». Les auteurs rappellent

que ce manifeste est apparu à beaucoup comme l’expression radicale d’une politique identitaire.

Le ton virulent y est, selon les auteurs, pour beaucoup, ainsi que la rhétorique utilisée avec le

« nous inaugural » et la figure centrale de l’ « indigène » (Fassin, 2006, p. 260). Par leur nom, les

indigènes rappellent qu’ils viennent d’ailleurs mais également qu’ils sont d’ici : ne sont-ils pas les

indigènes « de la République » ? A ceux qui dénoncent leur communautarisme, ils peuvent opposer

que la moitié des noms des premiers signataires du manifeste ne sont pas issus de l’histoire

coloniale. Pour les auteurs, le « nous » de ces indigènes est ici aussi plus minoritaire

qu’identitaire.

2. Des « immigrés » aux « minorités visibles »

La catégorie « immigrés » apparaît en 1991 dans un rapport du Haut Conseil à

l’Intégration : « l’immigré en France est une personne née étrangère dans un pays étranger et qui

82 Louis-Georges Tin (né en 1974 en Martinique) est un militant français impliqué dans la lutte contre l'homophobie et le racisme. Ancien élève de l'École normale supérieure, il est agrégé et docteur ès lettres. Il est actuellement maître de conférences à l’IUFM d’Orléans et enseigne également à l'École des hautes études en sciences sociales.

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bien sûr vit en France qu’elle ait ou non acquis la nationalité française83 ». Nous l’avons vu, la

représentation républicaine s’attache au droit en posant des individus abstraits définis comme

citoyens. La représentation minoritaire, quant à elle, prend pour point de départ des acteurs

sociaux et les appréhende à partir des normes qui organisent la société (Fassin et Halperin, 2009).

Selon la grille de lecture républicaine, la représentation de la société est définie par le partage

entre français et étrangers alors que si on s’attache à la grille de lecture minoritaire, on

s’aperçoit que les clivages qui discriminent entre les citoyens divergent selon qu’ils appartiennent

aux minorités visibles ou à la majorité invisible et on prend conscience du phénomène de

« racialisation » à l’intérieur de la société française.

La notion de « minorités visibles », empruntée au vocabulaire canadien, apparaît en France

dans les années 1950 (Fassin, 2006). Le rapport de Claude Bébéar définit les « minorités visibles »

comme « nos concitoyens issus ou non de l’immigration qui résident en France et dont la couleur

de peau les distingue de la majorité de nos concitoyens84 ». A priori, la minorité, puisqu’elle est

visible, se réfère donc à une « culture », à une « origine » étrangère, ou plutôt non-blanche. La

définition de l’« origine » n’est pas claire. L’ « origine » ne dépendrait pas, à strictement parler,

d’un critère lié à la personne que l’on va ainsi qualifier mais d’un critère lié à ses parents ou

ascendants et qui est, en général, le lieu de naissance de ces derniers. On relève l’origine quand

celle-ci est visible85, quand elle comporte un élément racial. Les auteurs de « L’inégalité raciste.

L’universalité républicaine à l’épreuve » expliquent que « les groupes minoritaires (ethnicisés ou

racisés) et les appartenances (imputées ou revendiquées) sont le fruits de processus

permanents » (De Rudder, 2000, p. 160). Ces groupes minoritaires voient leurs formes, leurs

contenus et leurs usages se modifier selon les circonstances, les stratégies et les enjeux dans

lesquels ils sont engagés. « C’est ainsi qu’un même terme (Africain, Beur…) peut être investi d’un

contenu plus ou moins ethnicisant ou racisant, selon les interlocuteurs et les circonstances dans

lesquels ils s’expriment » (De Rudder, 2000, p. 160). La qualification de ces groupes dépasse la

question des représentations et s’inscrit dans des processus d’interaction plus larges, caractérisés

par des rapports de force et de domination. En effet, la minorité n’est pas définie par un nombre

mais par la domination qui la minore. C’est une « catégorie naturalisée par la discrimination :

elle est constituée par un rapport de pouvoir » (Borillo, 2003, p. 59). La minorité ne relève donc

pas d’une « culture », elle est la résultante d’une naturalisation.

83 Étude et guide « Discriminations « raciales » et politiques antidiscriminatoires - Fiches pour l’action », Cahier Millénaire3, Grand Lyon, mai 2003. URL : www.millenaire3.com, p. 24 84 SALEMKOUR M. ? « Diversité, discriminations : comment les mesurer, les évaluer ? », Hommes et libertés, n° 146, 2009, p. 15 85 Étude et guide « Discriminations « raciales » et politiques antidiscriminatoires - Fiches pour l’action », Cahier Millénaire3, Grand Lyon, mai 2003. URL : <www.millenaire3.com>

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HUGUENOT Elise Mémoire de Sociologie, spécialité Développement Social Urbain 74 / 138

Eric Fassin et Jean-Louis Halperin indiquent que la France passe du traitement de la

« question immigrée » à celui de la « question minoritaire » à la fin des années 1980 (Fassin et

Halperin, 2009). Le débat se tient alors entre les défenseurs de la rhétorique républicaine et les

partisans du multiculturalisme, défini par les auteurs comme la coexistence de cultures

particulières fondant l’identité de communautés en particulier religieuses ou ethniques (Fassin et

Halperin, 2009). Ainsi, à la fin des années 1990, la rhétorique minoritaire propose une autre

vision de la société française. S’en suit une prise de conscience qu’être hétérosexuel ou blanc est

moins « normal » que « normé ». Les auteurs s’interrogent : faire entrer la « question

minoritaire » dans le débat public, est-ce menacer la nation de fragmentation ? C’est l’argument

des opposants à la lutte contre les discriminations, qui avancent que la politique de lutte contre

les discriminations menace la cohésion sociale. Ces thèses n’empêcheront pas la France et la

collectivité parisienne de s’engager dans des politiques de lutte contre les discriminations à la fin

des années 1990.

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HUGUENOT Elise Mémoire de Sociologie, spécialité Développement Social Urbain 75 / 138

L’exemple parisien d’une politique publique de lutte contre les discriminations

raciales

En apprentissage au sein de la Délégation à la Politique de la Ville et à l’Intégration (DPVI)

de novembre 2009 à novembre 2010, je travaille pour la Mission « Intégration, Lutte contre les

discriminations, Droits de l’Homme » auprès de Jocelyne Adriant-Mebtoul, chef de la Mission. Ce

travail s’appuie sur cette expérience professionnelle. Par cette recherche bibliographique et

empirique, je tente de cerner les représentations qui sous-tendent la politique parisienne de lutte

contre les discriminations et de comprendre le sens que la Ville de Paris donne à son action en

répondant au questionnement suivant :

Qu'est-ce qui explique que la Ville de Paris construise son plan d'action autour des trois

volets « égalité de traitement », « égalité des chances » et « changement des représentations »

alors que la tendance actuelle en matière de lutte contre les discriminations s'incarne davantage

dans la promotion de l'égalité des chances et de la diversité au détriment du principe d'égalité de

traitement? Qu'est-ce qui fait la spécificité du modèle politique d'égalité mis en avant par la

Ville de Paris et quel sens les acteurs parisiens donnent-ils à ce modèle d'action?

I - La Ville de Paris et sa politique de lutte contre les

discriminations

Paris est le deuxième département d’Île-de-France (après la Seine Saint Denis) touché par

les questions d’intégration : 300 000 à 400 000 personnes sont concernées par l’intégration. Paris

connaît une présence assez forte de populations non-francophones et concentre un quart des

demandeurs d’asile en France.

Au regard des divers rapports édités ces dernières années (Rapport Fauroux de 2004, Rapport

du Bureau international du travail de 2007, Rapports annuels de la HALDE) qui confirment une

prévalence des discriminations liées à l’origine ethnique et raciale, la Ville de Paris entend, tout

d’abord, lutter contre les discriminations ethniques et raciales à l’embauche, dans le logement,

dans l’éducation et dans toutes les situations de la citoyenneté ordinaire. La Ville entend

s’attaquer à l’illégalité des pratiques en s’intéressant à l’ensemble des discriminants plutôt

qu’aux « catégories » de discriminés. La Ville de Paris s’attache à changer les représentations,

souvent à l’origine des discriminations par la promotion de la diversité culturelle. Le plan d’action

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HUGUENOT Elise Mémoire de Sociologie, spécialité Développement Social Urbain 76 / 138

de la municipalité se décline en trois volets : l’égalité de traitement, l’égalité des chances et le

changement des représentations. L’ « égalité de traitement » renvoie à des actions de prévention

et de réparation des discriminations par la modification des pratiques et tend à supprimer tout

élément qui peut engendrer un traitement inégal (Adriant-Mebtoul, juillet 2008, p. 2). Il s’agit

des dispositifs visant à faire respecter la législation en vigueur (permanences). L’ « égalité des

chances » vise à corriger les inégalités réelles par la mise en œuvre d’ « actions positives » en vue

de donner les mêmes chances à chacun, quelle que soit sa situation ou son origine (Adriant-

Mebtoul, juillet 2008, p. 2). La Ville projette de « s’appuyer sur une politique d’action positive à

destination de publics spécifiques : populations des quartiers Politique de la Ville, femmes,

jeunes, handicapés…» (Adriant-Mebtoul, mars 2008, p. 4). Le « changement des représentations »

correspond à des actions destinées à déconstruire les stéréotypes sur l’Autre, à faire évoluer les

représentations négatives qui sont à l’origine des discriminations.

En 2001, la Mairie de Paris crée une Délégation à l’Intégration et aux étrangers non-

communautaires, chargée d’une part de la Politique de la Ville dans les quartiers populaires

parisiens marqués par des inégalités urbaines et sociales importantes ; d’autre part de favoriser

l’intégration des parisiens d’origine étrangère, qu’ils soient de nationalité française ou non, sur

l’ensemble du territoire parisien. Elle entend ainsi promouvoir la citoyenneté de résidence,

l’accès des migrants aux droits, la lutte contre les discriminations et la mise en valeur de la

richesse constituée par la pluralité culturelle des migrations à Paris. Pour la mandature 2008-

2014, une nouvelle Adjointe, Yamina Benguigui, est chargée des Droits de l’Homme et de la Lutte

contre les discriminations, cette thématique ayant été présentée comme une des priorités du

programme de campagne du Maire de Paris. C’est la Mission « Intégration, Lutte Contre les

Discriminations, Droits de l’Homme » (MILDDH), composante de la « Délégation à la Politique de la

Ville et à l’Intégration » (DPVI) de la Ville de Paris qui donne corps au projet politique parisien.

Didier Fassin explique qu’il existe deux alternatives dans le traitement des discriminations

(Fassin, 2002). Il est possible de fédérer toutes les discriminations en considérant que les critères

sur lesquels se fonde le traitement inégal sont indifférents dès lors qu’ils sont illégitimes. Une

telle politique implique une convergence entre féministes, homosexuels, syndicalistes,

antiracistes... Cette méthodologie se révèle efficace sur le terrain. Une seconde méthode

consiste en la reconnaissance de la spécificité des conditions historiques et des réalités sociales

de chacune des discriminations. En considérant que si le fait discriminatoire est identique pour

tous les critères, la production des représentations et des pratiques discriminatoires à l’encontre

des femmes, des homosexuels... procèdent de logiques différentes et appellent donc des luttes

particulières et des politiques distinctes. L’appréhension de l’inégalité par la sociologie et

l’anthropologie privilégie cette lecture. A priori, Paris semblerait s’inscrire dans la première

tendance, la délégation de Yamina Benguigui étant intitulé « Lutte contre les discriminations,

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HUGUENOT Elise Mémoire de Sociologie, spécialité Développement Social Urbain 77 / 138

Droits de l’Homme ». Mais la Mairie de Paris dispose, parallèlement à cette délégation, d’un

Observatoire Femmes-Hommes et d’une Mission Handicap, qui traitent d’une thématique

spécifique. En réalité, la délégation de Yamina Benguigui s’intéresse particulièrement aux

discriminations raciales car c’est dans ce registre qu’elles s’avèrent les plus nombreuses et les

plus criantes86, qu’elles sont l’objet d’un déni et, me semble-t-il, qu’elles sont les plus

menaçantes pour la paix sociale. Pour Cyril Kretzschmar, ce type de discrimination ne doit pas

être noyé dans un ensemble plus vaste. C’est pourquoi la municipalité estime qu’il est nécessaire

de mener une politique spécifique.

En 2007, une étude commandée à Vigeo Group révèle trois obstacles à la mise en place

d’une politique parisienne de lutte contre les discriminations efficace et cohérente : l’absence de

transversalité imputable à une difficile coopération entre les différents services de la Ville, le

manque d’une véritable définition commune des concepts attenants à la lutte contre les

discriminations et la nécessité d’améliorer les méthodes d’évaluation des actions mises en place.

Afin d’inscrire son plan d’action dans une démarche cohérente, la Ville met en place un plan

municipal de lutte contre les discriminations (charte pour l’égalité dans l’emploi, permanences

juridiques, formations des acteurs, etc.) Ce plan de lutte répond à une logique ascendante

puisqu’il se décline en plusieurs plans de lutte contre les discriminations (PLCD) locaux, par

arrondissements. Les acteurs locaux (élus, équipes de développement local, associations)

travaillent en partenariat dans l’objectif de « qualifier » le PLCD. Ainsi, en 2008, le premier PLCD

dédié à l’emploi est lancé dans le 19ème arrondissement. La Ville opte pour la délégation du

pilotage opérationnel du plan à une association locale : l’Association de Prévention du Site de la

Villette (APSV). Ce premier plan expérimental « invite tous les acteurs de l’économie et de

l’emploi à s’engager dans cette dynamique pour promouvoir l’égalité de traitement face à

l’emploi87 ». Les objectifs prioritaires de ce plan sont l’identification des discriminations sur le

territoire, la sensibilisation des acteurs de l’emploi et de l’insertion, le renforcement de la

qualification et de l’accompagnement juridique et la mobilisation de l’ensemble du territoire

économique et politique. Mis en oeuvre en priorité sur les territoires prioritaires de la Politique de

la Ville, les PLCD peuvent toutefois concernés des territoires non prioritaires en fonction des

problématiques locales. Si les PLCD sont déclinés par arrondissement, la Ville de Paris reste

porteuse du projet global et souhaite que ce pilotage municipal soit visible. En 2010, quatre

arrondissements sont concernés par le lancement d’un PLCD : les 12ème, 13ème, 18ème et 20ème

arrondissements. L’emploi et le logement sont les thématiques présenties. Dans une logique

préventive, les actions mises en œuvre dans le cadre des PLCD s’adressent aux potentiels

86 KRETZSCHMAR C., « Lutter contre les discriminations ethnico-raciales, quel process ? », Formation DPVI, Pôle ressources, 12 décembre 2006.

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HUGUENOT Elise Mémoire de Sociologie, spécialité Développement Social Urbain 78 / 138

discriminants (entreprises, bailleurs, intermédiaires de l’emploi) et reposent sur de la formation-

sensibilisation. C’est en m’appuyant sur les discours des acteurs réfléchissant et mettant en place

ces outils que je tente d’identifier la spécificité du modèle parisien d’égalité.

II - Méthodologie d’enquête

Ce travail tente de comprendre la spécificité du modèle politique d’égalité mis en avant

par la Ville de Paris et le sens que les acteurs parisiens donnent à ce modèle. Mon hypothèse de

départ est la suivante : l’approche de la Ville de Paris, par la définition des trois volets du plan

d’action et les fondements de ses plans locaux de lutte contre les discriminations, repose sur un

modèle fondé sur l’égalité de traitement, la non-discrimination et l’égalité des droits. Cette

approche se distingue de l’évolution actuelle des politiques de lutte contre les discriminations à

l’échelle nationale, fondées sur des concepts tels que l’égalité des chances et la promotion de la

diversité.

Pour tenter de confirmer ou d’infirmer mon hypothèse, j’opte pour une méthodologie

d’enquête par entretiens. Je mène sept entretiens semi-directifs auprès des acteurs suivants :

- Claude Lanvers, Délégué à la Politique de la Ville et à l’Intégration, DPVI

- Jocelyne Adriant-Mebtoul, chef de la Mission « Intégration, Lutte contre les

Discriminations, Droits de l’Homme », DPVI

- Virginie Lasserre, conseillère technique, Cabinet du Maire de Paris

Occupant des postes décisionnels en matière de lutte contre les discriminations aux niveaux

administratif et politique, ils sont les acteurs-clés de la lutte contre les discriminations à Paris.

- Yamina Benguigui, Adjointe au Maire de Paris, chargée des Droits de l’Homme et de la

Lutte contre les discriminations (je ne suis pas parvenue à l’interviewer)

- Colombe Brossel, conseillère déléguée auprès du Maire du 19ème arrondissement, chargée

du développement économique, de l'emploi et de la formation professionnelle

Elue en charge de la lutte contre les discriminations à Paris et élue-référente du premier PLCD

parisien, elles incarnent la politique parisienne de lutte contre les discriminations et participent à

sa mise en œuvre sur le terrain.

87 BAUX S., « Plan d’action territorial lutte contre les discriminations à l’emploi, Paris 19ème, Comité de pilotage », APSV, 4 juillet 2008, p. 1

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HUGUENOT Elise Mémoire de Sociologie, spécialité Développement Social Urbain 79 / 138

Stéphanie Baux, chargée de mission à l’Association de Prévention du Site de la Villette (APSV), est

une personne ressource puisqu’elle met en œuvre concrètement le PLCD du 19ème arrondissement,

confié par la Ville de Paris à l’APSV.

Sébastien Arvis est agent de développement local et a suivi la formation sur la lutte contre les

discriminations dispensée en interne à la DPVI par le sociologue Olivier Noël. Acteur de terrain, il

est intéressant de l’interroger sur sa représentation de la lutte contre les discriminations à Paris.

Jean-Luc Rageul, Délégué Régional de la HALDE en Île-de-France, occupe un poste au sein d’une

instance créée par l’État et en pleine mutation. Le rencontrer me permet d’avoir son ressenti sur

la tendance nationale en matière de lutte contre les discriminations.

Suite au vol de quatre des entretiens menés, et en accord avec Emmanuel Jovelin, mon

directeur de mémoire, ce chapitre repose sur l’exploitation de seulement trois entretiens : ceux

de Jocelyne Adriant-Mebtoul, Stéphanie Baux et Jean-Luc Rageul.

J’élabore trois guides d’entretiens. Le premier est destiné aux acteurs institutionnels et

politiques de la Ville de Paris et porte sur le contexte d’émergence de la politique parisienne de

lutte contre les discriminations, les concepts d’ « égalité de traitement » et d’ « égalité des

chances ». Les questions posées visent à qualifier le modèle d’action parisien pour en dégager sa

spécificité. Le deuxième guide est destiné à Stéphanie Baux et porte spécifiquement sur l’outil

principal de lutte contre les discriminations à Paris : le PLCD, dont la méthodologie est propre à la

Ville de Paris. Je l’interroge également sur les concepts d’ « égalité de traitement » et

d’ « égalité des chances » et lui demande de réagir directement à ma problématique. J’ai

interviewé Stéphanie Baux en mai 2010, ma problématique n’était alors pas arrêtée et était

formulée de la manière suivante : « la lutte contre les discriminations supplante les politiques

sociales traditionnelles fondées sur la lutte contre les inégalités et devient un slogan politique.

Face aux revendications identitaires croissantes des immigrés dans les années 1980 et dans un

contexte de crise économique, les pouvoirs publics ont pris le parti de traiter les questions

sociales comme des questions raciales, de faire de la lutte contre les discriminations un moyen de

rétablir l’égalité pour tous. Je cherche à appréhender la position de la Ville de Paris dans ce

contexte national. Qu’en pensez-vous ? ». Le dernier guide d’entretien est réservé à Jean-Luc

Rageul, Délégué de la HALDE. Ce guide a une portée plus générale et me permet de replacer la

politique parisienne dans le contexte national. J’y aborde, toujours, la question des concepts, et

également le débat sur le néolibéralisme ambiant qui dominerait la résolution contemporaine des

discriminations. Expert des questions relatives à la lutte contre les discriminations, j’interroge

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Jean-Luc Rageul sur sa conception d’une politique de lutte contre les discriminations idéale. Ce

choix d’élaborer des guides d’entretiens distincts complexifie la comparaison des contenus.

Néanmoins, la question des concepts d’« égalité de traitement » et d’« égalité des chances »,

illustration de la tendance parisienne et de la position nationale, est présente dans les trois

guides d’entretiens. Ces données sont les plus importantes puisqu’elles participent directement à

la confrontation de mon hypothèse au système de représentations des interviewés.

Je recherche dans les discours ce qui, pour les interviewés, fait la spécificité du modèle

d’égalité mis en avant par la Ville, ce en quoi il se distingue du modèle préféré par les pouvoirs

publics. Trois thématiques se dégagent alors de l’analyse des contenus et constituent l’ossature

du plan de la partie suivante. La première a trait au contexte dans lequel émerge l’engagement

parisien en faveur de la lutte contre les discriminations : c’est l’impact des « émeutes urbaines »

de 2005. L’importance de ces événements est mise en avant par la chef de la Mission

« Intégration, Lutte contre les discriminations, Droits de l’Homme », en poste depuis 2001. Le

deuxième thème se dégageant des discours des acteurs relève du lien entre la personnalité de

l’élue Yamina Benguigui et la définition du contenu de la politique parisienne de lutte contre les

discriminations. Les trois volets sur lesquels est fondé le plan d’action parisien seraient le reflet

d’un certain pragmatisme de l’élue. Enfin, l’analyse des discours de Stéphanie Baux et de Jean-

Luc Rageul met au jour les enjeux idéologiques et partisans de la question de la lutte contre les

discriminations actuellement, loin du pragmatisme évoqué plus haut.

III – Les résultats de l’enquête

1. Une prise de conscience : les émeutes urbaines de 2005

Jocelyne Adriant-Mebtoul, chef de la Mission « Intégration, Lutte contre les

discriminations, Droits de l’Homme », qualifie les émeutes de novembre 2005 d’ « électrochoc ».

Si la Ville de Paris prend conscience progressivement de la réalité discriminatoire pour une partie

de sa population, les choses s’accélèrent à partir de 2005. Jocelyne Adriant-Mebtoul cite la

« Marche des beurs » de 1983 et s’interroge : « qu’est-ce qu’on a fait depuis ? ». Selon elle, les

émeutes de 2005 sont la conséquence de l’injonction lancée par les pouvoirs publics aux jeunes

« issus de l’immigration » de s’intégrer :

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« Dès qu’il y a un voyou qui est issu de l’immigration maghrébine ou qui est noir ou ultramarin, donc même pas issu de l’immigration, c’est "ah ils ont un problème d’intégration vous voyez bien qu’ils s’intègrent pas" »

Cet exemple illustre parfaitement le phénomène de racialisation des rapports sociaux.

Pour des « intellectuels » comme Alain Finkielkraut ou Yann Moulier-Boutang, les violences

sociales doivent être vues comme des émeutes raciales88. Ces discours entérinent un peu plus

l’amalgame préjudiciable existant entre racisme et discrimination. Plusieurs facteurs expliquent

cet amalgame. L’antériorité du racisme sur les discriminations joue un rôle déterminant. La

naissance du racisme doit être pensée relativement au contexte économique et politique dans

lequel elle s’inscrit. Dans les années 1940, toute l’Europe est dominée par l’idéologie xénophobe,

théorie selon laquelle les « races » sont hiérarchisées. En 1952, Lévi-Strauss tente d’invalider

cette thèse. Au milieu des années 1970, les travaux de recherche d’Alberto Piazza, généticien,

invalident finalement cette théorie. Le fait que la « race » soit un concept sans fondement

biologique est donc récent. Plus de trente ans de production intellectuelle et de préjugés ont

forgé nos représentations. La « race » comme représentation sociale a forgé notre vision du

monde, organisée selon des catégories raciales. L’amalgame qui prévaut encore en France entre

discrimination et racisme (Noël, 2008) s’explique également par la concomitance du passage de

« l’intégration » à la « lutte contre les discriminations » à la fin des années 1990 et l’apparition

de la catégorie « immigrés » dans la statistique française à la même période (Lorcerie, 2000). La

confusion entre « racisme » et « discrimination » est également lié, me semble-t-il, à la

spécificité de la lutte contre les discriminations raciales. La lutte contre les discriminations est

théoriquement un instrument transversal. En effet, comme le rappelle Didier Fassin (Fassin,

2002), d’un point de vue juridique, le fondement de la discrimination importe moins que le fait

qu’il y ait une différenciation socialement inacceptable qui conduise à un traitement défavorable.

Si le droit en matière de lutte contre les discriminations offre un référentiel universel, la

jurisprudence étant polyvalente, les premiers mouvements de revendications et les premières

politiques de lutte contre les discriminations portent spécifiquement sur la discrimination raciale.

Le mouvement en faveur de la lutte contre les discriminations est initié par des militants issus

d’associations anti-racistes. La « Marche pour l’Egalité et contre le racisme » est appréhendé

comme le mouvement emblématique de la lutte contre les discriminations, une fois encore

raciales. Les premières politiques de lutte contre les discriminations à la fin des années 1990

porteront sur la discrimination raciale. En dépit des réticences des chercheurs d’utiliser le lexique

de la « race » et de la différenciation objective entre « racisme » et « discrimination », la lutte

contre les discriminations réactive le débat sur lutte contre le racisme en France.

88 MOULIER-BOUTANG Y., La Révolte des banlieues ou les Habits nus de la République, Paris : Editions Amsterdam, 2006, cité par NOIRIEL G., Immigration, antisémitisme et racisme en France (XIXè-XXè siècles). Discours publics, humiliations privées, Paris : Fayard, 2007, p. 682

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Pour Patrick Simon, la discrimination se différencie du racisme en ce qu’elle est plus

subtile, plus sinueuse (Simon, 2006). La discrimination est, pour Didier Fassin, un racisme à

l’œuvre (Fassin, 2002). Le racisme est, nous l’avons vu, souvent abordé en tant qu’idéologie89. Il

est traité sous l’angle des effets de langage pour en distinguer les logiques sociales sous-jacentes

et appréhendé comme relevant de préjugés. La lutte contre le racisme relève d’un combat

politique sans les moyens juridiques de sa mise en œuvre car il s’agit moins d’en évaluer les

effets que d’en saisir les ressorts. Jusqu’en 2001, la discrimination, quant à elle, prend acte de

conséquences observables et s’intéresse aux faits réels. Le débat a d’ailleurs trait à la possibilité

offerte par la justice d’argumenter la manière de les avérer (charge de la preuve). La lutte contre

les discriminations est un combat de droit. Par ailleurs, la discrimination est une forme

particulière de disparité sociale qui procède de l’imputation de qualités particulières et qui les

applique de manière illégitime, c’est une inégalité fondée sur un critère socialement

inacceptable. Alors que le racisme néglige les effets en termes d’inégalité dans la distribution des

ressources et des avantages, une réflexion en termes d’inégalités occulte les mécanismes

particuliers du racisme dans la production des disparités entre les individus. D’où l’intérêt,

comme le préconise Véronique De Rudder, de replacer le racisme dans le champ des relations

interpersonnelles et des rapports de domination (De Rudder, 2000).

Pour Gérard Noiriel, les émeutes de novembre 2005 sont l’aboutissement du processus de

fait-diversification de l’actualité. Jocelyne Adriant-Mebtoul semble rejoindre le sociologue sur ce

point :

« Le problème c’est comment à partir d’un fait divers on fait une généralisation sur toute une tranche de la population, tout un groupe, on décide d’être un groupe homogène alors que c’est pas forcément le cas et en plus on stigmatise facilement donc c’est forcément plus grave de vendre du shit dans une cité, de se balader en Porsche que de prendre 12 000 euros de cigares sur les finances publiques. »

Contrairement aux ouvriers du début du 19ème siècle qui détérioraient les machines, leurs

descendants, sans emploi, s’attaquent aux bâtiments qui les entourent. Il ne s’agit pourtant

nullement d’un retour au passé car les jeunes se livrant à ces violences ne sont pas isolés : ils sont

filmés par la télévision. Ils ont donc la possibilité d’acquérir une visibilité. Plusieurs études

montrent le rôle que jouent les journalistes de l’audiovisuel, qui cartographient soir après soir la

propagation des émeutes, dans l’amplification de celles-ci. Ces études confirment que les jeunes

qui sont aujourd’hui au centre de ce type d’événements ne sont plus les « beurs » des années

1980 mais les enfants des immigrations plus récentes. Encore faut-il ajouter qu’une partie des

« émeutiers » ne sont pas « issus de l’immigration ». Même si la grande majorité des

89 Une illusion masquant la réalité des rapports de domination (MARX) ou un système légitimant l’ordre

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HUGUENOT Elise Mémoire de Sociologie, spécialité Développement Social Urbain 83 / 138

commentateurs interprètent ces violences à l’aide de la grille ethnico-raciale, une fois encore ce

sont les facteurs sociaux qui sont déterminants. Dans son ouvrage, Gérard Noiriel porte un regard

extrêmement intéressant sur les émeutes de 2005, illustré par le passage suivant :

« Les protestations collectives qu’a provoqué l’usage du mot « racaille » pour désigner les jeunes des cités s’inscrivent dans la longue tradition des révoltes populaires contre le langage humiliant qu’utilisent les professionnels du discours public, le plus souvent sans en être conscients, pour parler du peuple. Les jeunes « émeutiers » étaient proches, du moins sur ce point, des ouvriers de la monarchie de Juillet qui s’insurgeaient contre l’usage du terme « populace » par les notables conservateurs. Le fait que les humiliations privées véhiculées par les discours publics puissent, aujourd’hui encore, être collectivement dénoncées par ceux qui en souffrent est, à mes yeux, une excellente nouvelle pour la démocratie. » (Noiriel, 2007, p. 667)

Ces violentes émeutes qui éclatent sur le territoire francilien le 27 octobre 2005, sont une

composante essentielle de la naissance de la politique de lutte contre les discriminations à Paris

trois ans plus tard. Ces affrontements mettant en cause des individus ou groupes victimes du

racisme ambiant, identifiés par leur couleur de peau ou la consonance étrangère de leur nom,

donnent lieu à des avancés juridiques non négligeables mais également à des phénomènes de

rejet et de délégitimation des victimes. Le premier de ces phénomènes est la victimisation, en

d’autres mots le statut de victime dans lequel s’enferment ou sont enfermés les individus qui font

l’objet de discriminations.

L’institutionnalisation de la lutte contre les discriminations, en créant un appareil

juridique et législatif dédié, fait exister les victimes comme des sujets de droit. Ce processus de

subjectivation constitue une innovation politique majeure (Fassin, 2002) puisque jusqu’alors

dépourvues de droits, les victimes de discriminations deviennent des « ayant-droits ». Le dépôt

d’une plainte comprend une double dimension pour les victimes. La première est juridique et

relève de l’exigence d’un droit (« porter plainte »). La seconde est affective et marque

l’expression d’une souffrance (« émettre une plainte »). Didier Fassin rappelle à juste titre que la

discrimination est un sentiment pénible. Reconnaître une discrimination revient à reconnaître que

le sujet est victime d’une injustice. Il peut réclamer ses droits. Sa souffrance est ainsi légitimée.

Ce process implique une double subjectivation : la victime devient sujet de droit et sujet de

souffrance. Néanmoins, la gestion des plaintes relève plus de la reconnaissance d’un sujet de

souffrance que de la reconnaissance d’un sujet de droit. La légitimation sociale de la victime de

discrimination ne va pas de pair avec la législation juridique par une condamnation ou une

social (WEBER)

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réparation. L’absence de congruence entre le préjudice et sa correction implique que la

souffrance soit toujours en excès sur le droit.

Il arrive que les victimes de discriminations réclamant la reconnaissance de leur situation

soient accusées de manifester une forme de victimisation. Ainsi, les victimes sont soupçonnées

d’utiliser l’accusation de racisme pour masquer leurs propres insuffisances (De Rudder, 2000, p.

198). Didier Fassin qualifie ce phénomène de « délégitimation des acteurs » (Fassin, 2006). Dans

ce cas, les victimes de discriminations sont accusées d’être à l’origine de leur exclusion. Elles

sont même les véritables coupables : ce sont elles les vrais racistes (mars 2005 : pétition contre

les « ratonnades anti-blancs » ; attaques en justice de groupes de rap pour racisme anti-blancs…).

Les mouvements sociaux et les intellectuels sont eux aussi accusés de plaider pour une forme de

différentialisme, voire de promouvoir le communautarisme. A ce sujet, Emmanuel Jovelin indique

que si certaines personnes qui font l’expérience de la discrimination se positionnent

effectivement en « victimes », ou développent des stratégies pour essayer de tirer profit de cette

position de « victime », cet état de fait ne doit pas empêcher les pouvoirs publics de prendre en

compte la souffrance de ces personnes et de prendre des mesures afin de lutter au mieux contre

les inégalités (Jovelin, 2005, p. 189). Patrick Simon rappelle que le phénomène de victimisation

tel qu’il existe de manière effective ou supposée s’est accru depuis l’introduction de la lutte

contre les discriminations dans le débat public (Simon, 2006). On rencontre les mêmes réactions

aux Etats-Unis où la politique d’affirmative action est vivement critiquée pour favoriser une

« culture de victimisation » (Borillo, 2003). Néanmoins, Patrick Simon ne prétend pas que ce

phénomène justifie un quelconque recul dans la reconnaissance de la discrimination car « il n’y a

pas de situation de victimisation pire que celle de l’inexistence de la reconnaissance de ces

discriminations » (Simon, 2006, p. 193). Le sociologue évoque par ailleurs l’existence d’un autre

phénomène répandu chez les victimes de discriminations et à l’origine d’une grande souffrance et

de difficultés personnelles accrues : l’autocensure, qu’il définit comme « l’intériorisation du

caractère indicible des discours » (Simon, 2006, p. 194). Daniel Borillo revient sur cette attitude

dans son ouvrage « Lutter contre les discriminations » (Borillo, 2003). En réponse à la ségrégation

dont est victime une partie de la population, l’auteur explique que deux attitudes sont possibles.

Les victimes peuvent développer une défiance à l’égard de l’Etat et de ses institutions censées

œuvrer à la promotion de tous. Cette défiance s’accompagne d’une désespérance et d’un

processus de dévalorisation face à cette violence faite à l’identité et peut s’accompagner d’un

« repli sur soi » ou « entre soi », de comportements d’agressivité envers la société, les « autres ».

Tout rapport conflictuel est alors appréhendé sous le seul prisme du racisme, négligeant toute

autre cause possible. Les personnes victimes de discriminations peuvent intérioriser une « honte

de soi » et tenter d’échapper à leur origine. Didier Fassin explique que ce sont les phénomènes de

domination qui, au-delà de leurs effets symboliques, aliènent ceux qui les subissent jusqu’à les

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faire douter d’eux-mêmes et les contraindre à se conformer au stéréotype qui leur est attribué.

La domination, incarnée dans le confinement d’une partie de la population dans certains statuts

ou certaines tâches ou dans la ségrégation résidentielle, facilite les discriminations qui

reproduisent la position subordonnée.

Les émeutes de 2005 sont clairement empruntes de l’amalgame existant entre racisme et

discrimination évoqué plus haut et des sentiments de repli et d’aliénation. Ces événements, d’une

rare violence, jouent un rôle fondamental dans la naissance de la délégation « Droits de l’Homme

et Lutte contre les discriminations » de Yamina Benguigui pour la mandature 2008-2014.

3. La définition des trois volets de la politique parisienne de lutte contre les discriminations : le pragmatisme de l’élue

Contrairement à d’autres collectivités locales qui font le choix de prendre le contre-pied

de l’Etat pour signifier leur désaccord, Paris a été, selon la chef de la Mission, beaucoup plus

pragmatique. Ce pragmatisme serait lié au statut de l’élue Yamina Benguigui.

« Nous, on a été à Paris, par rapport à d’autres collectivités territoriales qui ont pris le contre pied de l’Etat et qui ont dit « on ne fait que de la lutte contre les discriminations, strictement égalité de traitement », on a été beaucoup plus pragmatique parce qu’on a la chance d’avoir une élue qui ne vient pas du milieu politique, qui travaille depuis des années sur les questions de discriminations, changement de regard… et du coup qui n’a pas de dogmatisme sur, ça c’est de droite, ça c’est de gauche, et qui dit « l’essentiel c’est que ça fonctionne », qu’on fasse changer les mentalités et que les gamins soient moins sur le bord du chemin parce qu’on les discrimine parce qu’ils sont noirs ou arabes, qu’ils aient le droit à un avenir comme tous les autres, que ça ravage pas des vies entières ces discriminations liées à ce qu’on est alors que ce qu’on est on n’y peut rien. »

Rappelons que Yamina Benguigui est une réalisatrice française d’origine algérienne qui

produit notamment des documentaires relatifs à la mémoire de l’immigration (« Mémoire

d’immigrés », 1998) et aux difficultés rencontrées par les victimes de discriminations en France

(« Le plafond de verre », 2005). Yamina Benguigui n’étant pas impliquée dans des querelles de

partis, elle s’autorise à agir sur trois volets, a priori antinomiques, à la fois sur l’égalité de

traitement et sur l’égalité des chances notamment. Bien que ce dernier terme soit vivement

critiqué par les sociologues - nous avons développé plus haut les thèses d’Olivier Noël et de

Patrick Simon - l’élue parisienne fait le choix d’agir également dans ce domaine sur la base d’un

précepte : « l’essentiel c’est que ça fonctionne ». Selon Jocelyne Adriant-Mebtoul, l’élue n’est ni

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carriériste, ni opportuniste et tente de construire une réelle politique pérenne, loin de l’affichage

politique.

Interrogée sur le risque politique que représente le choix de Yamina Benguigui de

construire un plan d’action fondé sur les trois volets, Jocelyne Adriant-Mebtoul répond par une

métaphore intéressante :

« C'est-à-dire que ça ne se voit pas tout de suite. Effectivement quand vous construisez un jardin vous pouvez plantez des plantes annuelles qui vont faner au bout de deux mois et puis il faut recommencer donc ça se verra tout de suite mais vous n’aurez rien changé à votre jardin mais si vous voulez vraiment aménager votre jardin, il faut creuser profond, il faut que la terre soit remuée, il faut planter des bulbes ou des oignons etc. C’est seulement après, au bout de 2 ans, 3 ans que le jardin commence à prendre forme mais là il est dans du durable et là ce qu’on veut faire comme politique c’est vraiment du durable. Effectivement c’est assez frustrant au début parce que comme c’est complexe à expliquer toutes ces questions de lutte contre les discriminations et les plans, ils se disent mais qu’est-ce qu’ils nous racontent, mais qu’est-ce que c’est que ce machin, les gens ont l’impression qu’on fait des usines à gaz et ça c’est extrêmement frustrant parce que on peut pas faire de la réponse choc et du prêt-à-porter mais en même temps ça fait deux ans, on démarre des choses, ça va commencer à se voir dans l’année qui vient mais ce sera de l’ancrage. C’est vraiment ça l’objectif. »

Pour Jocelyne Adriant-Mebtoul, les trois volets sur lesquels repose la politique parisienne

de lutte contre les discriminations constituent un « trépied », trois aspects complémentaires

d’une politique qui tente d’agir sur tous les fronts pour un maximum de retombées. Une politique

de lutte contre les discriminations fondée uniquement sur l’égalité de traitement passe à côté,

selon l’interviewée, des difficultés d’une frange de la population :

« L’idée c’est d’essayer de ne laisser de côté aucun pan de l’action publique. L’égalité de traitement c’est le socle, l’idéal, ce qu’on doit poursuivre comme objectif, c’est l’égalité de tous et ça c’est dire attention ça repose aussi non seulement sur les valeurs de la République mais ça repose aussi sur la loi, il est illégal de discriminer, y’a des moyens de coercition, si on discrimine on est pénalisable et si on est victime de discrimination on est défendable donc ça c’est important, c’est l’aspect juridique et c’est le fait de rappeler qu’il y a pas de morale là-dedans, c’est le rappel à la loi. Cela dit, une fois qu’on a posé ça et qu’on met en place des actions là-dedans, il y a toute une partie des gens qui sont laissés pour compte parce qu’il y a une inégalité de fait donc les jeunes qui, d’après les études, ont 5 fois moins de chances d’avoir un entretien d’embauche s’ils s’appellent Mohammed ou s’ils sont de nationalité algérienne ou d’origine algérienne, que un qui s’appelle François Dupond et qui est auvergnat, pour faire plaisir à Hortefeux, donc voilà eux ils sont laissés pour compte donc il faut rattraper, il faut faire une politique de rattrapage, l’égalité des chances pour moi, pour nous, c’est une politique palliative, une politique

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de rattrapage. C'est-à-dire d’abord on co-construit sur l’égalité de traitement, mais il faut pas qu’on laisse de côté tous ceux qu’on met dans des voies de garage, ceux qui n’ont pas de boulot, faire en sorte, s’ils ont moins d’emplois à compétences égales, il faut multiplier les points de rencontre entre les employeurs et eux, s’ils ont de moins bonnes formations, il faut renforcer l’accès aux bonnes formations, en les informant, en les accompagnant… C’est dire l’égalité des chances elle vient compléter une politique d’égalité de traitement. Et le troisième volet c’est ce que je vous disais tout à l’heure c'est-à-dire qu’il faut s’attaquer aux causes et les causes c’est les stéréotypes, il faut déconstruire les préjugés, il faut changer le regard sur l’Autre, changer les représentations parce qu’il faut à la fois s’attaquer aux symptômes mais il faut aussi s’attaquer aux causes. »

Le principal outil de lutte contre les discriminations, le PLCD, repose, quant à lui, et selon

Stéphanie Baux, en charge du PLCD du 19ème arrondissement, sur le seul principe d’égalité de

traitement :

« Il faut traiter les gens de la même manière face à une procédure de recrutement et donc on va pas être sur des actions positives c'est-à-dire, sauf effectivement pour les personnes en situation de handicap, parce que ça la loi est particulière là-dessus mais sinon plutôt inciter les gens à oublier les critères sur lesquels ils jugeaient avant, c’est-à-dire les critères de sexe, les critères d’âge, les critères d’origine, d’adresse etc. pour se focaliser uniquement sur la question des compétences et réfléchir en termes de compétences et non pas en termes de critère qui pourrait être illégal et donc on va pas être sur des actions qui vont favoriser tel type de personne pour tel type de travail. »

La dernière partie de l’explication de Stéphanie Baux vise à faire la différence entre

l’égalité de traitement, privilégiée pour la démarche, et l’égalité des chances, perçu plutôt

négativement nous y reviendrons.

Le volet « changement des représentations » de la politique parisienne de lutte contre les

discriminations, qui pourrait sembler trop « communicationnel » car fondé sur des manifestations

soit ludiques (festival, projections...), soit réservées à un public initié (colloques...), tente en

réalité de s’attaquer aux discriminations profondément inscrites dans la société française. Didier

Fassin et Jean-Louis Halperin indiquent que la société française réduit les discriminations à des

préjugés individuels répréhensibles alors que les discriminations les plus graves sont structurelles,

plus complexes et plus profondes : « elles tiennent à la manière dont sont pensés la nation et le

rapport aux autres (la place qui est faite aux étrangers et aux immigrés) et à la façon dont sont

traduites en actes la démocratie et la justice sociale (l’accès qu’on permet aux conditions d’une

vie bonne pour le plus grand nombre) » (Fassin et Halperin, 2009, p. 56). Jean-Luc Rageul,

Délégué régional de la HALDE, insiste lui aussi sur la nécessité de « préparer les gens ». Selon lui,

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la « sensibilisation » de la société est le maître mot de la lutte contre les discriminations. Il

revient sur l’importance de la transversalité et préconise d’intégrer dans les cursus de formation

des cadres des modules sur le droit anti-discriminatoire et sur la déconstruction des préjugés. Le

volet « changement des représentations » joue donc un rôle essentiel dans la politique de lutte

contre les discriminations. L’importance, sinon la création de ce volet, sont liées, une fois

encore, à la personnalité de l’élue comme le rappelle Jocelyne Adriant-Mebtoul :

« Parce que l’élue est cette élue-là, c’est parce que Yamina Benguigui a fait "Mémoire d’immigrés", c’est parce qu’elle a fait "Le plafond de verre", c’est parce qu’elle travaille sur l’image, sur la représentation et qu’elle a rencontré des centaines et des centaines de personnes qui témoignaient de ce qu’ils avaient vécu et des ravages que ça avait fait dans leur vie, c’est pour ça aussi qu’on a ce volet là qui est important. »

Cette position « pragmatique » de l’élue est loin d’être partagée par les acteurs parisiens

oeuvrant dans le domaine de la lutte contre les discriminations.

4. La position des acteurs parisiens face aux choix nationaux : entre pragmatisme et idéologie

Jean-Luc Rageul est vivement opposé aux politiques d’égalité des chances et de diversité.

Pour lui, la diversité a pollué le débat sur la lutte contre les discriminations et a freiné la mise en

place de mesures antidiscriminatoires. L’égalité n’aurait pas besoin de qualificatif et « mettre en

œuvre le principe d’égalité, c’est appliquer des mesures non discriminatoires ». Monsieur Rageul

insiste sur l’importance de la sensibilisation et des compétences qui permettent de mettre en

œuvre le principe d’égalité et qui mènent à une diversité « qui se fera d’elle-même. » Son

discours s’inscrit dans la lignée de sociologues tels qu’Olivier Noël ou Walter Benn Michaels

puisqu’il considère que la diversité est une politique de communication des entreprises, un travail

sur l’image. Pour lui, la diversité devrait être une diversité des compétences. Jean-Luc Rageul

critique le système proposé par Claude Bébéar, auteur du rapport « Des entreprises aux couleurs

de la France », empreint de libéralisme. Délégué régional de la HALDE et ancien syndicaliste,

Jean-Luc Rageul milite en faveur de l’égalité de traitement.

On retrouve ce militantisme chez Stéphanie Baux, chargée de mission au sein de

l’Association de Prévention du Site de la Villette et en charge de la mise en place du PLCD du

19ème arrondissement, pour qui l’égalité des chances est, pour reprendre la formulation d’Olivier

Noël, un « concept-écran ». Stéphanie Baux revient également sur la complexité de l’articulation

entre égalité de traitement et égalité des chances.

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« Aujourd’hui on travaille plus sur l’égalité des chances, au niveau politique, dans les collectivités locales comme au niveau étatique, parce qu’il peut y avoir des effets d’affichage et on peut le quantifier, c’est pas possible dans le cadre de l’égalité de traitement parce que c’est quelque chose qui s’évalue sur le long terme. [...] On est face à des injonctions paradoxales qui gênent beaucoup les structures avec lesquelles on travaille c’est-à-dire les structures avec lesquelles on travaille on leur dit « il faut travailler l’égalité de traitement » et pourtant dès qu’elles répondent à des appels à projets, dès qu’elles travaillent, on va leur dire « il faut travailler avec tel public » donc il y aurait vraiment une réflexion aussi au niveau de la collectivité locale pour dire « bon qu’est-ce qu’on peut faire, comment on peut ne pas être en contradiction avec ces deux pans de la lutte contre les discriminations » qui sont pas inutiles tous les deux mais qui demandent à avoir une réflexion commune sur où commence l’égalité des chances, où elle s’arrête, voilà. Pour moi le principe ça reste quand même l’égalité de traitement, c’est le principe de base, l’égalité des chances c’est pour rétablir un équilibre et parvenir à l’égalité de traitement. »

L’égalité des chances est, pour Stéphanie Baux, un moyen d’action, non une fin en soi, la

finalité de la lutte contre les discriminations demeurant l’égalité de traitement. L’interviewée

rejoint ici la conception de Jocelyne Adriant-Mebtoul qui qualifie le volet « égalité des chances »

de « politique de rattrapage ». L’égalité des chances n’aurait donc pas vocation à s’incarner dans

une politique pérenne mais viserait l’idéal-typique d’égalité de traitement.

L’interviewée dénonce la position de l’Etat, engagé dans une démarche d’égalité des

chances et de promotion de la diversité « parce que c’est plus porteur en termes de

communication. » Sarcastique, Stéphanie Baux attaque clairement les ambitions électoralistes des

hommes politiques français, qui misent sur la communication et la visibilité de leur action :

« C’est plus facile de nommer un préfet musulman plutôt que de se dire il faut refonder dans son ensemble la pensée qu’on a pu avoir des recrutements dans la fonction publique jusqu’à présent, en allant travailler de l’accès à la formation jusqu’à la fin de la carrière. C’est un gros travail qui paie pas dans les deux ans et donc du coup… »

Ces discours permettent de comprendre en quoi le statut et l’expérience des acteurs

influent sur le contenu d’une politique. Jean-Luc Rageul et Stéphanie Baux, militants syndical et

associatif, fondent leur action sur la base de convictions idéologiques et se positionnent contre les

orientations prises par le gouvernement actuel, à raison, me semble-t-il. Yamina Benguigui, issue

de l’immigration algérienne, réalisatrice reconnue et également très engagée, fait le choix de

construire sa politique de lutte contre les discriminations sur la base de l’effectivité des actions,

au détriment d’un positionnement idéologique clair et précis. Mais finalement, les parisiens

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victimes de discriminations attendent certainement de la politique parisienne de lutte contre les

discriminations qu’elle soit plus « efficace » qu’ « engagée ».

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Conclusion

Le « problème » de l’immigration naît en France sous la IIIème République. L’intensification

des mouvements migratoires de travail entraîne la multiplication des conflits entre les nouveaux

venus et les sédentaires : l’étranger est accusé de venir « manger le pain » des français. Ces

conflits donnent lieu à de violents affrontements, qui s’accentuent lors des crises économiques.

Les thèses racistes, popularisées par Arthur de Gobineau et Edouard Drumont, génèrent un climat

xénophobe parmi l’opinion : les étrangers sont jugés inassimilables et font l’objet de caricatures

et de préjugés dans la presse écrite et le discours public.

Après la Première Guerre Mondiale, les mouvements migratoires se développent et

entraînent la mise en place d’une politique de gestion de l’immigration, fondée sur la sélectivité

professionnelle et ethnique qui différencie « l’immigration utile » de « l’immigration néfaste » :

c’est le début de l’immigration choisie. L’opinion publique, hostile aux nouveaux flux de

migrants, pousse les pouvoirs publics à prendre des mesures restrictives.

Le rétablissement des valeurs républicaines dans la politique d’immigration n’est entériné

qu’en 1945 avec la signature de deux ordonnances les 19 octobre et 2 novembre, qui constituent

depuis le cadre de la politique française d’immigration. A l’heure où les anciens colonisés

algériens accèdent à la libre-circulation, la France, en dépit de la fin de l’ordre de désirabilité

nationale, favorise l’entrée d’autres nationalités (portugaise, tunisienne et marocaine) et signe

des accords de main d’oeuvre avec la Yougoslavie, la Turquie, le Maroc et la Tunisie.

La crise économique de 1973 est un tournant dans la politique d’immigration, caractérisée,

sous la présidence de Valérie Giscard d’Estaing, par les retours forcés et les expulsions massives.

En dépit de l’avancée que constitue la loi Pleven du 1er juillet 1972 qui fait du racisme un délit,

les années 1970 symbolisent une période sombre pour les immigrés, qui connaissent une situation

sociale dramatique, notamment en termes de logement. C’est à cette période qu’éclatent les

premières revendications. Par ailleurs, l’immigration est stoppée, la « gestion » des immigrés

installés en France débute par la mise en place du regroupement familial en 1974. La crise

économique s’aggrave et amène le gouvernement à procéder à des retours d’abord volontaires

puis forcés, fondés sur un préjugé d’inassimilabilité des étrangers à la nation française. La

mobilisation des syndicats permet l’arrêt de cette politique à la fin de l’année 1979.

L’arrivée de François Mitterrand à la présidence en 1981 amène des changements radicaux

dans le « traitement » de la « question immigrée ». Les régularisations sont massives,

l’immigration familiale reprend mais la crise des années 1980 affectant l’industrie déclenche de

nouvelles manifestations xénophobes. L’Etat-providence, mis à mal par l’explosion du chômage et

les phénomènes d’exclusion systématiques de la fin des Trente Glorieuses, laisse la place à un

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Etat social. Une nouvelle logique du « donnant-donnant » se substitue à la logique de

redistribution. Dans un contexte de crise économique majeure, les inégalités se creusent et des

conflits réactivent la fracture entre étrangers et nationaux.

Cette fracture constitue un leitmotiv de la IIIème à la Vème République, dans la France rurale

comme dans la France urbanisée, des Trente Glorieuses aux « Trente Piteuses », et concerne

l’immigration européenne comme algérienne, le trait commun étant cette volonté humaine de se

distinguer de l’Autre, différent de nous. Cette volonté de se distinguer et d’affirmer la singularité

de son origine est partagée par les nationaux et les immigrés. Dès le début des années 1980, ces

derniers, accusés, comme sous le Second Empire, d’être responsables de tous les maux de la

société française, et refusant la politique d’intégration assimilationniste imposée par les pouvoirs

publics, revendiquent un droit à la différence. Ils sont d’ailleurs renvoyés à leur origine différente

puisque plusieurs auteurs attestent à cette époque de l’existence d’une « distance culturelle »

infranchissable entre les français et les immigrés venus d’une culture trop différente, à savoir

celle de l’Islam. En 1983, la « Marche pour l’Egalité et contre le Racisme » symbolise la crise du

« modèle d’intégration à la française ». Rebaptisée « Marche des beurs », ce mouvement de

revendication dénonce le racisme dont sont victimes les étrangers et les immigrés et réclame un

accès aux mêmes droits que les français. Ce mouvement, racialisé car porté par des associations

anti-racistes puis présenté par les medias et les partis politiques comme la « Marche des beurs »,

participe de l’amalgame existant encore aujourd’hui entre « racisme » et « discrimination ». Dès

lors, les rapports sociaux se pensent sur le registre de l’ethnicité. Réduits à leur origine, les

victimes de discriminations réclament la reconnaissance et la réparation du préjudice qu’elles

subissent. Accusées alors de profiter de leur position de victimes, soupçonnées d’utiliser

l’accusation de racisme pour masquer leurs propres insuffisances, les victimes appréhendent tout

rapport conflictuel sous le seul prisme du racisme ou tentent d’échapper à leur origine. La

situation des immigrés dans les années 1980 est alarmante, les revendications se multiplient et

jouent un rôle important dans la prise de conscience des pouvoirs publics de la réalité

discriminatoire.

La France répond à ces revendications quinze ans plus tard en mettant en place une

politique de lutte contre les discriminations raciales, rompant ainsi avec la tradition

assimilationniste. Depuis la fin des années 1990 donc, et sous l’impulsion de l’Union Européenne,

la politique française de lutte contre les discriminations repose sur l’égalité de traitement,

principe fondateur de la République. La loi de 2001 crée la notion de « discrimination indirecte »

et inverse la charge de la preuve, la HALDE est créée en 2004... Pourtant, depuis le rapport de

Claude Bébéar en 2004, et la loi pour l’égalité des chances en 2006, la politique française de lutte

contre les discriminations prend de nouvelles orientations. Sous l’impulsion de l’Institut

Montaigne, la politique de lutte contre les discriminations se mue en politique d’égalité des

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chances ou de diversité. De nouveaux vocables pour de nouvelles politiques, connotées

positivement, et présentées aux entreprises comme le versant politique de la lutte contre les

discriminations. Adaptées à une logique de marché et dans un contexte néolibéral, les nouvelles

politiques censées lutter contre les discriminations entérinent la racialisation des rapports

sociaux. La fracture nationaux / étrangers du Second Empire se transforme en une fracture

interne à la société française. Les « minorités visibles » sont les publics cibles de ces politiques

d’égalité des chances et de diversité et la fracture que cette stigmatisation entraîne se joue dans

les rapports sociaux, dans les relations de travail mais plus que tout dans la manière dont la

société française se représente.

Nous l’avons vu, la France est un vieux pays d’immigration. Sa capitale attire depuis des

siècles des étrangers venus d’Europe, d’Afrique et plus récemment d’Asie. En tant que ville-

capitale, Paris a un devoir d’exemplarité. En matière de lutte contre les discriminations, ce

devoir d’exemplarité est renforcé par une présence importante d’étrangers sur le sol parisien.

Depuis 2008, la Ville de Paris s’engage dans une politique de lutte contre les discriminations,

construite autour de trois volets et incarnée par Yamina Benguigui, élue en charge des Droits de

l’Homme et de la Lutte contre les discriminations. Rappelons que le questionnement auquel ce

travail tente de répondre est relatif à la singularité de la position parisienne dans le domaine de

la lutte contre les discriminations au regard de la tendance nationale. L’hypothèse de départ est

formulée ainsi : l’approche de la Ville de Paris, par la définition des trois volets du plan d’action

et les fondements de ses plans locaux de lutte contre les discriminations, repose sur un modèle

fondé sur l’égalité de traitement, la non-discrimination et l’égalité des droits90. Cette approche

se distingue de l’évolution actuelle des politiques de lutte contre les discriminations à l’échelle

nationale, fondées sur des concepts tels que l’égalité des chances et la promotion de la diversité

(Benn Michaels, 2009). L’étude de la politique parisienne de lutte contre les discriminations et

des discours des acteurs vient nuancer, sinon infirmer cette hypothèse, dans la mesure où la

différenciation entre la politique nationale et la politique parisienne n’est pas si tranchée. Le

modèle d’action proposé par la Ville de Paris diffère de celui préféré par les pouvoirs publics en

ce que le premier se caractérise par trois volets a priori antinomiques mais complémentaires

selon les acteurs de la DPVI. Le principal outil de lutte contre les discriminations, le PLCD, est

fondé sur un principe d’égalité de traitement, comme le rappelle Stéphanie Baux et Jocelyne

Adriant-Mebtoul. Mais parallèlement à cet outil, la Ville de Paris développe une « politique de

rattrapage » similaire à celle que proposent les pouvoirs publics, reposant sur l’égalité des

chances et complétant la politique d’égalité de traitement. Interrogée sur les enjeux de l’égalité

90 NOEL O., « Entre le modèle républicain et le modèle libéral de promotion de la diversité : la lutte contre les discriminations ethniques et raciales n’aura été qu’une parenthèse dans la politique publique en France ? », Intervention au colloque CASADIS, CGT, Montreuil, novembre 2006

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des chances actuellement, Jocelyne Adriant-Mebtoul explique que l’élue se soucie davantage de

l’effectivité des mesures mises en place que des positionnements idéologiques ou partisans que

ces choix impliquent. Pourtant, le débat sur la lutte contre les discriminations est emprunt

d’idéologie, de représentations du monde et de ce qu’est une société juste. Les politiques

d’égalité des chances et de diversité sont accusées d’être des politiques de communication.

Malgré tout, il me semble que la démarche de Yamina Benguigui, reposant sur l’égalité des

chances et le changement des représentations, comprend une dimension communicationnelle qui

n’est pas contradictoire avec le combat de droit mené par ailleurs via le volet « égalité de

traitement ». C’est la concomitance des trois volets qui légitime, me semble-t-il, le plan d’action

de Yamina Benguigui et l’absence d’un positionnement idéologique précis. Rappelons enfin que

l’égalité des chances n’est pas envisagée par la Ville de Paris comme une fin en soi mais bien

comme une politique de rattrapage visant à rétablir l’égalité de traitement de tous les citoyens

parisiens.

Nous avons évoqué le débat plus global dans lequel s’inscrit actuellement la lutte contre

les discriminations, à savoir lutte contre les discriminations versus lutte contre les inégalités. Ce

débat est, me semble-t-il, central, c’est pourquoi j’y reviens dans la conclusion de ce travail. Si

les principaux opposants à la lutte contre les discriminations arguent qu’une telle politique

menace la cohésion sociale du pays, d’autres dénonce l’opportunisme des pouvoirs publics, ayant

mis en avant une politique de lutte contre les discriminations au détriment d’une politique de

lutte contre les inégalités, à une période où la société connaît une crise économique profonde.

Les discriminations diffèrent des inégalités en ce que les premières supposent un

agissement volontaire et l’existence d’un auteur auquel elles puissent être rapportées alors que

les secondes sont naturelles ou résultent du jeu des mécanismes économiques et sociaux (Borillo,

2003). L’existence d’un auteur ou d’un acte volontaire est entériné par les « normes

discriminatoires » (en droit) et les « pratiques discriminatoires » (même si l’auteur n’est pas

toujours facile à prouver) mais la preuve devient plus difficile à trouver pour les discriminations

systémiques qui se rapprochent de simples inégalités. Par ailleurs, contrairement aux inégalités,

les discriminations supposent un processus de qualification au regard du droit en vigueur (toute

inégalité de traitement n’est pas une discrimination). La discrimination n’existe pas en soi mais

seulement si l’inégalité de traitement est considérée comme illégitime et arbitraire d’où

l’importance de la jurisprudence qui fonde la ligne entre les discriminations légales et les

discriminations prohibées. Enfin, les discriminations supposent l’identification de groupes sociaux

dont les membres sont susceptibles de faire l’objet d’un traitement inégal du fait de cette

appartenance. C’est tout le paradoxe de la lutte contre les discriminations : elle passe par la

construction préalable de groupes discriminés (identité objectivée par son inscription dans le

droit), risquant d’entraîner la substantialisation de la différence et la stigmatisation des groupes.

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HUGUENOT Elise Mémoire de Sociologie, spécialité Développement Social Urbain 95 / 138

Alors que la lutte contre les discriminations repose sur un principe de sélectivité qui

contredit l’universalisme de l’État-providence, la lutte contre les inégalités répond à un objectif

de construction d’une société plus juste sous l’égide de l’État. En effet, l’État-providence, pour

lutter contre les inégalités, met en place une politique de redistribution, des mesures spécifiques

d’intervention en faveur des catégories les plus défavorisées, au nom de l’impératif de solidarité

nationale. Ce type de mesures est inadapté aux discriminations. Contrairement à la lutte contre

les inégalités, la lutte contre les discriminations examine des cas singuliers dont elle tire des

principes généraux. La lutte contre les discriminations contribue au changement social quand elle

parvient à des victoires concrètes qui font évoluer la jurisprudence. Une politique de lutte contre

les discriminations est avant tout une politique de justice, un combat de droit. La lutte contre les

discriminations s’appuie également sur des méthodes fondées sur la prévention, la médiation, la

régulation (sensibilisation du grand public, création de nouvelles institutions (CODAC, GELD,

HALDE)). La promotion de ces méthodes repose sur les limites d’une action par le droit : Daniel

Borillo parle d’« illusion juridique » pour qualifier la prétendue force agissante du principe de non

discrimination. La discrimination est un fait social indissociable de la logique de fonctionnement

social qu’on ne peut éradiquer par la seule force du droit (Borillo, 2003). Pour l’auteur, si la

discrimination relève d’une naturalisation des catégories sociales, l’inégalité est liée aux

mécanismes de l’exploitation. Dans le guide « Discriminations "raciales" et politiques

antidiscriminatoires - Fiches pour l’action91 », les auteurs différencient les discours sur les

discriminations de ceux relatifs aux inégalités. Pour désigner l’objectif des politiques

d’affirmative action, les américains utilisent l’expression « to level the playing field » qui signifie

« aplanir le terrain de jeu ». Le « terrain » et le « jeu » sont ceux des marchés libres, du travail,

du logement… Le discours attenant à la lutte contre les discriminations est, en théorie,

entièrement compatible avec la pensée libérale au sens politique et au sens du fonctionnement

économique. A contrario, les pensées politiques classiques sur « les inégalités » développent leurs

positions différemment vis-à-vis de la figure du « marché ». Elles déplorent que ce dernier ne

sache pas prendre en compte les inégalités structurelles et initiales qui relèvent des mécanismes

de la reproduction sociale et qu’il ne sache pas se soucier des inégalités qu’il produit, reproduit

ou renforce à travers son propre fonctionnement. Dans ce contexte, les politiques sociales,

assurées par l’Etat-providence, complètent le marché par des mécanismes de couverture

minimale, de protection et de redistribution face aux inégalités.

Certains auteurs reprochent aux pouvoirs publics de privilégier une politique de lutte

contre les discriminations au détriment d’une politique de lutte contre les inégalités. La France,

91 Étude et guide « Discriminations « raciales » et politiques antidiscriminatoires - Fiches pour l’action », Cahier Millénaire3, Grand Lyon, mai 2003. URL : <www.millenaire3.com>

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HUGUENOT Elise Mémoire de Sociologie, spécialité Développement Social Urbain 96 / 138

comme les Etats-Unis, fonderait sa politique sur une idéologie néolibérale dont l’objectif serait

moins de rétablir l’égalité que de gérer les inégalités. Cette tendance permettrait d’expliquer la

manière dont les politiques de lutte contre les discriminations évoluent actuellement en France.

Pour ceux qui restent attachés à l’égalité républicaine, la lutte contre les discriminations menace

la cohésion sociale car un risque de fragmentation sociale pourrait mettre en danger l’égalité

devant la loi. Pour ceux qui sont surtout sensibles aux inégalités de classes, la question des

discriminations sexuelles et raciales serait un effet de mode, les seules inégalités sociales étant

les inégalités socioéconomiques (Fassin et Halperin, 2009). Enfin, Didier et Eric Fassin rappellent

que le thème de la « discriminations raciale » représente une ressource politique majeure : « s’en

emparer pour prétendre qu’on veut les combattre est un enjeu décisif dans les concurrences

électorales » (Fassin, 2006, p. 164). Walter Benn Michaels prend pour exemple les Etats-Unis, qui

illustre bien, me semble-t-il, le titre de son essai « La diversité contre l’égalité ». Face à

l’inégalité économique croissante aux USA, la gauche intellectuelle souligne l’importance de

l’identité culturelle en donnant la priorité à la discrimination positive et à l’exaltation de la

différence. Traiter les classes sociales comme les « races » et les cultures constitue une stratégie

grâce à laquelle les pouvoirs publics gèrent l’inégalité plutôt que de chercher à la réduire ou à

l’éliminer. Pour Walter Benn Michaels, le respect de la différence ne doit pas se substituer à la

justice économique (Benn Michaels, 2009). L’auteur explique que si on peut apprécier les

différences de « race », si on peut apprécier notre « diversité », il est difficile d’apprécier les

différences entre riches et pauvres. En effet, on ne peut pas apprécier d’être pauvre même si on

contribue à la diversité économique en tant que telle :

« Un monde composé de gens qui sont différents de nous est bien plus séduisant qu’un monde composé de gens qui sont plus pauvres que nous ou qui pensent que nos convictions fondamentales sont profondément fausses. » (Benn Michaels, 2009, p. 43)

La lutte contre les discriminations et la lutte contre les inégalités relèvent de

préoccupations différentes. Pour Daniel Borillo, la question à se poser est la suivante : la lutte

contre les discriminations doit-elle se substituer à lutte contre les inégalités ou se développe-t-

elle parallèlement à la lutte contre les inégalités ? (Borillo, 2003) La discrimination constitue un

certain type d’inégalité. Pour l’auteur, la lutte contre les discriminations représente une

dimension nouvelle de la lutte contre les inégalités, objectif de l’État-providence. Pour

Dominique Schnapper, la lutte contre les discriminations serait le « nouvel âge de la démocratie

providentielle92 ». Les discriminations systémiques résultent du contexte social, c’est le seul type

92 D. SCHNAPPER, La démocratie providentielle. Essai sur l’égalité contemporaine, Paris : Gallimard, 2002, citée par BORILLO D., Lutter contre les discriminations, Paris : La Découverte, 2003, p. 42

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HUGUENOT Elise Mémoire de Sociologie, spécialité Développement Social Urbain 97 / 138

d’inégalités auxquelles l’État-providence s’attaquait jusqu’alors. La notion de « discrimination »

permettrait alors d’élargir les perspectives. La prise en compte de plusieurs champs

d’intervention (travail, logement...) enrichit, selon Daniel Borillo, l’approche des inégalités : les

inégalités les plus subtiles sont dévoilées. La lutte contre les discriminations approfondirait

l’approche des inégalités en lien avec l’appartenance à certaines catégories ou groupes et

coïncide avec la dynamique récente d’évolution de l’État-providence. Les discriminations

produisent des inégalités et les inégalités suscitent des discriminations93. Les deux concepts ne se

situent pas dans les mêmes espaces de signification, ni en droit, ni en économie, ni en philosophie

politique. Il me semble qu’une politique de lutte contre les discriminations ne peut pas remplacer

une politique de lutte contre les inégalités. La judiciarisation de la discrimination94 ne doit pas

faire oublier les logiques économiques et sociales plus générales dans lesquelles elle s’inscrit car

elle en corrige les effets, non les causes (Fassin, 2002). Pour l’auteur, il faut sortir le débat du

champ de l’immigration et de l’intégration et l’étudier dans le cadre analytique de l’inégalité et

de réponses en termes de justice sociale. Didier Fassin rappelle que la discrimination raciale ne

concerne pas « l’étranger » ou « l’immigré » mais « l’Autre », différent par ses origines.

Didier et Eric Fassin expliquent que la contradiction apparente entre les paradigmes de la

reconnaissance et de la redistribution, soit entre la discrimination raciale et l’inégalité

économique, se résout souvent en pratique. Le racisme de classe ne se distingue pas toujours du

racisme tout court, en particulier dans le regard porté sur les jeunes des banlieues. De la même

façon, les espoirs ou les désespoirs exprimés par les minorités portent à la fois sur l’exclusion

sociale dont elles sont victimes et sur la discrimination raciale dont elles font l’objet. Les auteurs

se remémorent les « émeutes urbaines » de 2005 au cours desquelles question sociale et question

raciale sont intimement mêlées. Les territoires concernés par les violences sont à la fois marqués

par des inégalités socioéconomiques profondes (taux de chômage, proportion de familles vivant

des minima sociaux, pourcentage d’adolescents en échec scolaire...) et par une ségrégation socio-

raciale intense (proportion de personnes étrangères ou immigrées d’origine

extracommunautaires). Dès lors, on conçoit ce qu’il y a de pervers à s’étonner ou à s’indigner du

fait que les jeunes émeutiers soient arabes et noirs, à mettre sur le compte de leur haine de la

société française ou de leurs pratiques déviantes ou illégales ce qui est le résultat, selon les

auteurs, de décennies de politiques de colonisation puis d’immigration, de pratiques

discriminatoires dans les secteurs de l’habitat ou de l’emploi, attestées par les rapports de la

HALDE notamment.

93 Étude et guide « Discriminations « raciales » et politiques antidiscriminatoires - Fiches pour l’action », Cahier Millénaire3, Grand Lyon, mai 2003. URL : <www.millenaire3.com> 94 Traitement quasi-exclusif par l’autorité judiciaire

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HUGUENOT Elise Mémoire de Sociologie, spécialité Développement Social Urbain 98 / 138

Au regard de l’histoire de l’accueil des immigrés en France et du sort qui leur est réservé

depuis deux siècles, je ne peux qu’exprimer un questionnement, qui va à l’encontre de ce que

j’ai développé dans ce travail et d’une réflexion sociologique en bonne et due forme, mais qui

occupe mon esprit et fur et à mesure que je prends du recul. Tout comme l’inégalité, qui semble

exister depuis toujours, la discrimination, le racisme sont-ils seulement attaquables ? Peut-on

imaginer en venir à bout à force de politiques préventives et punitives, de lois ou encore de

films ? J’ai le triste sentiment, après avoir mené ce travail, que le maintien des discriminations et

des inégalités est le propre de l’être humain. Loin d’être un homme emprunt des valeurs de

liberté, d’égalité et de fraternité, il me semble que l’histoire de l’immigration depuis le Second

Empire autant que la tendance actuelle en matière de lutte contre les discriminations illustrent la

tendance qu’a l’Homme à mettre en avant ce qui le différencie de ses pairs plutôt que ce qui l’en

rapproche, à davantage estimer l’argent que les relations humaines, à gérer plutôt qu’à

combattre.

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HUGUENOT Elise Mémoire de Sociologie, spécialité Développement Social Urbain 99 / 138

Bibliographie

Ouvrages :

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FASSIN D. et E., De la question sociale à la question raciale. Représenter la société française,

Paris : La Découverte, 2006, 269 pages

FASSIN E., HALPERIN J.-L., Discriminations : pratiques, savoirs, politiques, Paris : La

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ROSANVALLON P., La crise de l’Etat-providence, Paris : Le Seuil, 1992, 130 pages

SABEG Y., MEHAIGNERIE L., Les oubliés de l’égalité des chances, Paris : Hachette, 2006, 313 pages

SAVIDAN P., Repenser l’égalité des chances, Paris : Grasset, 2007, 326 pages

SFEZ L., L’égalité, Paris : PUF, Collection Que sais-je ?, 1989, 126 pages

SLAMA S., Les discriminations selon l’origine, Paris : La documentation française, Collection

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WEIL P., La République et sa diversité. Immigration, Intégration, discrimination, Paris : Le seuil,

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WEIL P., Qu’est-ce qu’un français ? Histoire de la nationalité française depuis la Révolution,

Paris : Grasset, 2002, 401 pages

WEIL P., La France et ses étrangers. L’aventure d’une politique de l’immigration de 1938 à nos

jours, Paris : Gallimard, 2005, 579 pages

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Rapports :

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novembre 2004

BELORGEY J-M., Lutter contre les discriminations, Paris : Ministère de l'emploi et de la solidarité,

1999

Dossier documentaire. La discrimination, Belfort : Maison de la Méditerranée, 1998

HAUT CONSEIL A L’INTEGRATION, Rapport au Premier Ministre, Lutte contre les discriminations :

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VEIL S., Redécouvrir le préambule de la Constitution , Chapitre « Diversité, action positive,

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VIGEO, Prévention des discriminations et promotion de l’égalité des chances dans la cité, Rapport

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Articles :

BOURDELON A., MENDOZA M., BAYADE F., LABROUE D., DE BODMAN J., « L'intégration : les

moments-clés », Echanges santé-social n°84, 1996, 81 pages

DUBET F., « Les pièges de l’égalité des chances », Le Monde, 30 novembre 2009

FASSIN E., JELEN C., RAYNAUD P., « L'avenir du multiculturalisme. Du multiculturalisme à la

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FASSIN D., « L’invention française de la discrimination », Revue française de sciences politiques,

vol. 52, n°4, août 2002, pp. 403-423

JOVELIN E. et PRIEUR E., « Etat-Providence, inégalités sociales et travail social en France. Un

combat des titans », Pensée plurielle – Parole, pratique et réflexions du social n° 10, 2005, pp.

LORECERIE F., « La lutte contre les discriminations ou l’intégration requalifiée », VEI Enjeux n°

121, Juin 2000, pp. 69-81

MOREAU G., BROUDIC P., VALADE H., BODMANN DE J., MEKACHERA H., « L'intégration. Enjeux :

orientations et moments-clés de l'intégration », Echanges santé-social n°84, décembre 1996, 81

pages

NOEL O., « Penser l’égalité, comprendre les discriminations », Politique de la Ville et intégration,

conférences 2008, Les Cahiers du Pôle, Centre de ressources de la DPVI, Mairie de Paris, 15 mai

2008, pp. 117-145

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HUGUENOT Elise Mémoire de Sociologie, spécialité Développement Social Urbain 101 / 138

NOEL O., « Politique de diversité ou politique de diversion ? Du paradigme public de lutte contre

les discriminations à sa déqualification juridique », Asylon(s) n°4, mai 2008, [référence du 28

janvier 2010]. URL : http://www.reseau-terra.eu/article764.html

SIMON P., « Modèle d’intégration et lutte contre les discriminations », Politique de la Ville et

intégration, conférences 2006, Les Cahiers du Pôle, Centre de ressources de la DPVI, Mairie de

Paris, 20 juin 2006, pp. 179-207

WIEWORKA M., « Faut-il en finir avec l’intégration ? », Cahiers de la sécurité intérieure n° 45,

2001, pp. 9-20.

Formations, guides, colloques :

Étude et guide « Discriminations « raciales » et politiques antidiscriminatoires - Fiches pour

l’action », Cahier Millénaire3, Grand Lyon, mai 2003. URL : <www.millenaire3.com>

GELD, « Discriminations raciales », 45 pages, [référence du 28 décembre 2009], URL :

http://www.animafac.net/le-geld-et-l-adri-vous-propose-un-dossier-discriminations-raciales/#

KRETZSCHMAR C., « Lutter contre les discriminations ethnico-raciales, quel process ? », Formation

DPVI, Pôle ressources, 12 décembre 2006.

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HUGUENOT Elise Mémoire de Sociologie, spécialité Développement Social Urbain 102 / 138

Annexes

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Annexe 1 :

Guide d’entretien acteurs politiques et institutionnels,

Mairie de Paris

Parcours

Formation :

Postes occupés :

Au regard du contexte d’émergence des politiques de lutte contre les discriminations en France, en quoi la politique parisienne de lutte contre les discriminations est-elle spécifique et quels sont ses fondements idéologiques ?

Au niveau national, la discrimination raciale est prise en compte à partir de la fin des années 90. Concernant la Ville de Paris, quel a été le déclencheur ? Qu’est-ce qui explique que la Mairie de Paris ait choisi, au sein de sa nouvelle délégation « lutte contre les discriminations », de concentrer ses efforts sur les discriminations raciales ?

En quoi la politique de lutte contre les discriminations se distingue-t-elle de la politique d’intégration ?

Pourquoi avoir défini trois volets (égalité de traitement, égalité des chances, changement des représentations) ? Quels objectifs ces trois volets visent-ils ?

Quelle distinction faites-vous entre d’une part l’égalité de traitement et d’autre part l’égalité des chances ou encore la diversité ?

Selon vous, en matière de lutte contre les discriminations, quel doit être le rôle :

- de l’Etat ?

- des collectivités locales ?

- des associations ?

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Annexe 2 :

Guide d’entretien HALDE

Parcours

Formation :

Postes occupés :

Quelle distinction faites-vous entre d’une part l’égalité de traitement et d’autre part l’égalité des chances ou encore la diversité ? Ces concepts sont-ils antinomiques ? Complémentaires ?

Que pensez-vous de la discrimination positive ?

Plusieurs intellectuels dénoncent la logique néolibérale qui sous-tendrait la politique actuelle de lutte contre les discriminations, fondée sur la promotion de l’égalité des chances. Qu’en pensez-vous ?

Comment interprétez-vous la nomination du nouveau collège de la HALDE, composé uniquement de personnalités issues du monde de l’entreprise ?

Quels sont les rapports entre la HALDE et l’Acsé ?

Selon vous, en matière de lutte contre les discriminations, quel doit être le rôle :

- de l’Etat et de l’Acsé notamment ?

- de la HALDE ?

- des collectivités locales ?

- des associations ?

Quelle serait, selon vous, la politique de lutte contre les discriminations idéale ?

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Annexe 3 :

Guide d’entretien Stéphanie Baux, APSV

Parcours

Formation :

Postes occupés :

Le PLCD est fondé sur l’égalité de traitement face à l’emploi. Quel distinguo faites-vous entre l’égalité de traitement et l’égalité des chances ?

Pourquoi avoir choisi de cerner un champ d’intervention (l’emploi) plutôt qu’un des 18 critères ?

Est-il possible d’évaluer l’impact du PLCD en matière de changement des représentations ? Si oui, comment procédez-vous ?

Selon vous, en matière de lutte contre les discriminations, quel doit être le rôle :

- de l’Etat ?

- des collectivités locales ?

- des associations ?

Mon questionnement est le suivant : la lutte contre les discriminations supplante les politiques sociales traditionnelles fondées sur la lutte contre les inégalités et devient un slogan politique. Face aux revendications identitaires croissantes des immigrés dans les années 80 et dans un contexte de crise économique, les pouvoirs publics ont pris le parti de traiter les questions sociales comme des questions raciales, de faire de la lutte contre les discriminations un moyen de rétablir l’égalité pour tous. Je cherche à appréhender la position de la Ville de Paris dans ce contexte national. Qu’en pensez-vous ?

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Annexe 4 :

Retranscription d’entretien

Jocelyne Adriant-Mebtoul

Chef de la Mission « Intégration, Lutte contre les

discriminations, Droits de l’Homme »

Alors, d’abord je vais vous demander de m’en dire plus sur votre formation et les postes que

vous avez occupés.

Ah Bon ? Quel rapport avec la lutte contre les discriminations ?

Ca me permet de recontextualiser, qui est la personne qui parle et comment elle voit la lutte

contre les discriminations.

D’accord. Alors ça remonte à loin mais j’ai une formation, j’ai un troisième cycle en sémiologie

donc c’est pas forcément ce qui pouvait m’amener à la lutte contre les discriminations. J’ai fait

de l’enseignement, j’étais professeur de littérature pendant une dizaine d’années. J’ai été

journaliste pigiste parallèlement pendant une quinzaine d’années dans diverses publications et

notamment une des publications qui a plus un lien avec ce que je fais aujourd’hui qui s’appelait

« Grand Maghreb » et dans laquelle je faisais des portraits de personnalités issues de

l’immigration maghrébine, qui était une image positive des l’immigration maghrébine parce que

déjà à l’époque y’avait besoin de revaloriser. Donc revue universitaire qui par ailleurs faisait des

recherches. Ensuite, j’ai travaillé en cabinet politique auprès du Président de l’Assemblée

Nationale, qui était à l’époque Louis Mermaz, socialiste donc. Puis quand la législature a pris fin,

j’ai bifurqué donc j’ai continué à travailler auprès d’hommes politiques mais dans les collectivités

territoriales c’est comme ça que je me suis retrouvée en collectivités territoriales, j’ai travaillé

avec l’ancienne Ministre des personnes âgées… dans sa ville Alfortville dont il était député-maire

également. Donc là j’ai travaillé d’abord à son Cabinet évidemment et puis j’ai pris la direction

du Centre d’action sociale voilà. Donc peut-être est-ce que ma fibre sociale, enfin elle remonte à

loin quoi, pendant plusieurs années 3-4 ans. A son décès, je suis partie d’Alfortville et je suis allée

travailler avec un autre député-maire pas loin à Créteil qui est Laurent Catala et qui lui aussi était

Ministre de la Famille notamment et auprès de lui j’ai travaillé aussi dans son cabinet et j’ai

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bifurqué alors là j’ai complètement quitté le volet social pour mettre en place la direction de la

communication de la Ville qui n’existait pas c’était les années 90 et donc le tout début de la

communication publique, communication des institutions, on avait la communication du privé

mais la communication publique ça en était aux balbutiements, c’était en train de se structurer.

Là j’ai fait plusieurs choses, j’ai du rester là-bas une dizaine d’années et donc j’ai occupé

plusieurs postes, j’ai été directrice de la communication et des relations publiques et ensuite

directrice des relations avec la population, je m’occupais également du service du conseil

municipal et des relations avec les élus, et puis j’ai créé le service de coopération décentralisé

puisqu’on avait fait à l’époque un comité de jumelage et donc l’idée c’était de transformer les

choses, de passer du jumelage qui était lié à une historie, l’historie de l’Allemagne et la France

mais qui avait un côté très bon enfant mais qui n’avait forcément, qui n’était pas une politique

publique réellement donc l’idée de mettre en place une coopération décentralisée c’était autre

chose, c’était effectivement de travailler non plus à faire des échanges de classes mais à co-

construire ensemble avec les villes partenaires des pays jumelés. Donc j’ai travaillé pas mal avec

le Bénin dans ce cadre là, où j’ai monté avec Cotonou donc la capitale économique du Bénin j’ai

monté le premier plan de formation des agents de la ville de Cotonou. J’ai une longue carrière.

J’ai touché à tout mais y’a des choses qui sont plus prégnantes que d’autres, y’a des choses qui

jalonnaient déjà le fait que, ce qui m’a amené à l’immigration, à la lutte contre les

discriminations. Y’a une fibre sociale clairement et lié aux migrations ou aux rapports humains

dans, tels qu’ils sont construits à l’intérieur d’un rapport politique entre pays, c’est ça qui est

intéressant aussi. Et donc alors en 2001, quand l’équipe de BD a pris la Mairie de Paris, on m’a

proposé, on est venu me proposer de, l’élu de l’époque, l’élu chargé de l’intégration qui venait

d’être nommé, m’a proposé de venir monter le service, la Mission Intégration de la Ville de Paris

voilà. Alors pour des raisons diverses et variées, d’abord parce que j’avais une bonne

connaissance des structures, de l’administration des collectivités territoriales, que je connaissais

les rouages administratifs et financiers des collectivités territoriales et puis parce que à titre

personnel, il ne vous a pas échappé que je m’appelais Mebtoul, que donc j’avais un cheminement

qui faisait que c’est là que le privé et le professionnel se rejoignent quand même quoi qu’on en

dise, il se trouve que mon conjoint est producteur et réalisateur de télévision et qu’il a a fait

pendant les 10 ans que ça existait l’émission Mosaïque qui était une émission sur les immigrations.

Donc voilà c’est tous ça, tout ça a fait qu’on m’a proposé de venir dans cette Mission ce que j’ai

fait avec grand plaisir. J’ai un peu construit, j’avais une demi secrétaire, dis ans après c’est

modeste mais vu comme c’est difficile de recruter ici c’est une équipe de 10 personnes dont 5

cadres A plus mes stagiaires et mes apprentis parce que ça compte aussi dans le travail ! Une

équipe de 10 à 15 personnes et je trouve que c’est pas mal parce que ça veut dire que cette

politique publique qui était, il se passait des choses mais y’avait pas de politique publique

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municipale ne tant que telle, ça veut dire qu’elle a pris de l’ampleur, qu’elle s’est inscrite dans

le paysage politique municipal, donc c’est important. Donc j’ai travaillé à construire au fur et à

mesure avec l’élue, j’avais pas de budget non plus et je suis arrivée à un budget de 900 000 euros

à la fin de la précédente mandature donc c’était quand même pas mal. Bon aujourd’hui on est en

restriction budgétaire donc on réduit mais enfin voilà et ça s’est obtenu vraiment à l’arraché,

saccadé quoi. J’ai fait l’intégration jusque là et puis en 2008 une nouvelle délégation à côté de la

délégation intégration, la délégation lutte contre les discriminations, naturellement c’était notre

direction qui devait être pilote, qui devait porter ça parce que effectivement ce sont des sujets

que sur le projet de mandature du Maire on nous a sollicité, toute l’administration parce qu’on

nous considère comme force de proposition et c’est tant mieux et beaucoup de choses qu’on a

proposé ont été reprises et validées. Et donc du coup ça m’a permis, c’est pour ça que je suis

restée si longtemps dans ce poste, c’est que ce poste y’avait tout à construire que maintenant y’a

deux élues et qu’on a mis en place depuis deux ans, depuis mars 2008, on est juillet 2010, on a

mis en place tout ce qui n’existait absolument pas en lutte contre les discriminations, on a mis en

place les plans, les conventions HALDE, les conventions Grandes écoles, ça bouge, les colloques…

La seconde question, on rentre dans le vif su sujet, c’est, je m’interroge sur la spécificité de

la politique parisienne de lutte contre les discriminations au regard de la tendance nationale,

des orientations prises par le gouvernement, quelle serait la spécificité de la politique

parisienne de lutte contre les discriminations ?

Nous avons beaucoup réfléchi et clarifié les concepts parce que là aussi c’est une politique

publique nouvelle, je veux dire avant 2004 concrètement dans les actions publiques, on n’en

parlait pas. Ca n’a commencé à émerger et à être désignée comme une politique publique en

2004. Et les choses se sont renforcées après les émeutes de novembre 2005 c’est clair. On a

d’abord beaucoup clarifié les concepts, je m’interroge et je n’ai pas la réponse de savoir si l’Etat

a fait la même chose, de vraiment clarifier les concepts, alors j’exagère un peu en disant ça

parce que au niveau de l’Etat très clairement y’a une approche qui est principalement égalité des

chances, diversité et non pas sur l’égalité de traitement donc y’a eu le choix d’être sur une

politique plus libérale qui valorise l’individu. Ce qui est bien mais qui ne suffit pas à faire une

politique publique. Ca valorise l’individu sans assainir une situation dans la société globale et

surtout ça ne permet pas de modifier les structures ? Nous on a été à Paris par rapport à d’autres

collectivités territoriales qui ont pris le contre pied de l’Etat et qui ont dit on ne fait que de la

lutte contre les discriminations, strictement égalité de traitement, on a été beaucoup plus

pragmatique parce que on a la chance d’avoir une élue qui ne vient pas du milieu politique, qui

travaille depuis des années sur les questions de discriminations, changement de regard… et du

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HUGUENOT Elise Mémoire de Sociologie, spécialité Développement Social Urbain 109 / 138

coup qui n’a pas de dogmatisme sur ça c’est de droite ça c’est de gauche et qui dit l’essentiel

c’est que ça fonctionne, qu’on fasse changer les mentalités et que les gamins soient moins sur le

bord du chemin parce qu’on les discrimine parce qu’ils sont noirs ou arabes, qu’ils aient le droit à

un avenir comme tous les autres, que ça ravage pas des vies entières ces discriminations liées à ce

qu’on est alors que ce qu’on est on n’y peut rien. Donc c’est pour ça que par rapport à d’autres

collectivités territoriales on est une des rares, d’après le réseau IR-DSU, à avoir choisi de faire

trois volets, l’égalité de traitement avec les plans locaux, le partenariat avec la HALDE, l’égalité

des chances sur tout l’aspect en mettant un focus sur les jeunes parce que c’est eux qui ont les

vrais problèmes aujourd’hui dans l’accès à l’emploi et dans l’accès à l’éducation, aux grandes

écoles, aux formations et notamment aux école d’art. Et puis le troisième volet qui est le

changement des représentations, qui est de dire on met des dispositifs en place pour prévenir,

réparer mais ce qu’on veut c’est s’attaquer aux causes même si on n’est pas au bout du chemin,

mais s’attaquer aussi aux causes c'est-à-dire pourquoi y’a des discriminations, il faut arrêter de

dire on peut ne pas être raciste et discriminer c’est vrai mais ce qui provoque en général la

discrimination, y compris non-intentionelle c’est le préjugé sur l’Autre donc c’est là que YB a

obtenu le colloque annuel, les Etats généraux de lutte contre les discriminations c’est dans le

programme du maire d’ailleurs et puis des opérations comme la sensibilisation des collégiens à

grande échelle, qui sont faites pour faire bouger les curseurs, pour faire sauter des verrous en

termes de mentalité dans les représentations qu’on a sur l’Autre.

Alors si je peux résumer, les mots clés de cette politique publique parisienne, ce serait le

pragmatisme, pas forcément de stratégie politique parce que pas de carcans parce que une

personnalité qui n’est pas une politicienne…

... Si y’a une stratégie politique…

… Stratégie dans le sens péjoratif du terme

Pas de dogmatisme mais une stratégie politique si qui est di dire on a trois volets et on travaille

tout en même temps parce que si on ne travaille qu’un volet ça ne suffit pas. Si on fait que de

l’égalité des chances on rate l’égalité de traitement. Mais si on fait que de l’égalité de traitement

en s’appuyant sur le juridique on rate tout le changement des représentations. Donc c’est sur un

trépied qu’on est en équilibre.

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HUGUENOT Elise Mémoire de Sociologie, spécialité Développement Social Urbain 110 / 138

Et ça permet d’aller en profondeur… de ne pas faire de l’affichage politique parce que est-ce

c’est pas un peu ce qui se fait au niveau de l’Etat. L’égalité des chances c’est très visible, ça

donne des résultats rapidement.

Immédiats, voilà c’est tout le problème.

C’est un peu risqué de la part de YB, parce que ça peut être coûteux politiquement.

C'est-à-dire que ça ne se voit pas tout de suite. Effectivement quand vous construisez un jardin

vous pouvez plantez des plantes annuelles qui vont faner au bout de deux mois et puis il faut

recommencer donc ça se verra tout de suite mais vous n’aurez rien changé à votre jardin mais si

vous voulez vraiment aménager votre jardin, il faut creuser profond, il faut que la terre soit

remuée, il faut planter des bulbes ou des oignons etc. C’est seulement après, au bout de 2 ans, 3

ans que le jardin commence à prendre forme mais là il est dans du durable et là ce qu’on veut

faire comme politique c’est vraiment du durable. Effectivement c’est assez frustrant au début

parce que comme c’est complexe à expliquer toutes ces questions de lutte contre les

discriminations et les plans , ils se disent mais qu’est-ce qu’ils nous racontent, mais qu’est-ce que

c’est que ce machin, les gens ont l’impression qu’on fait des usines à gaz et ça c’est extrêmement

frustrant parce que on peut pas faire de la réponse choc et du prêt-à-porter mais en même temps

ça fait deux ans, on démarre des choses, ça va commencer à se voir dans l’année qui vient mais

ce sera de l’ancrage. C’est vraiment ça l’objectif.

Ok. Alors au niveau national, la discrimination, notamment raciale a été prise en compte avec

Martine Aubry en 1998. A Paris quel a été le déclencheur pour qu’on se mette à s’intéresser

aux discriminations, notamment aux discriminations ethno-raciales puisque c’est ça aussi le

credo de Paris ?

Alors je pense que il me semble qu’il y a plusieurs raisons je veux dire c’est une prise de

conscience progressive et puis après y’a des accélérateurs c’est sûr que comme pour tout le

monde les émeutes de novembre 2005 sont un électrochoc, que en ce qui nous concerne à la DPVI

et sur les question d’intégration aussi on était déjà en 2004, la loi sur le foulard, enfin on sait

depuis très longtemps que il y a toujours un problème en France pays des Droits de l’Homme, pays

des paradoxes, on est à la fois le pays des Droits de l’Homme et à la fois on a une espèce de

xénophobie qui ressort à la moindre crisette, alors là on est dans une période de crise mais c’est

vrai qu’au moindre fait divers on sent que c’est latent. Moi qui m’intéresse à ces questions depuis

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fort longtemps, je dirais depuis les années 75 et puis la Marche de l’Egalité de 83 qu’est-ce qu’on

a fait depuis ?

Voilà c’est la question que je me pose, quel impact a eu cette Marche pour l’Egalité ?

Y’en a eu et c’est très compliqué, je le dirais pas sous la torture, et sans témoin. Un des impacts

très clairs que ça a eu ? C’est que ça a laissé ces jeunes sur le bord du chemin mais que ça a créé

SOS racisme mais SOS Racisme, c’est très compliqué.

La manière dont SOS racisme s’est réapproprié le mouvement…

Oui ben après question quoi : qui est-ce qui a été à l’origine de SOS racisme ? Qui a structuré le

mouvement ? Et dès lors que c’est structuré par des partis politiques voilà après y’a forcément

une évolution on va dire. Mais c’est vrai que y’a pas eu, ces jeunes ont continué à ne pas être pris

parce que ils étaient basanés, dans un emploi, dans un stage, qu’on a continué à les diriger plutôt

vers des BEP menuiserie alors qu’ils voulaient faire… enfin je sais pas, je pense que, enfin je

caricature mais pas tant que ça je crois que ça n’a.. le vrai problème en France c’est que on a

dune histoire particulière à notre immigration, à une immigration particulière c’est l’immigration

des ex colonies c’est ça la question et tant qu’on n’aura pas, on ne valorise pas l’immigration

contrairement aux Etats-Unis par exemple. C’est pas du tout la même historie mais on est un pays

colonial, on a une histoire coloniale et on l’a toujours pas digéré et puis la guerre d’Algérie tant

de décennies après c’est toujours pas digéré ni d’un côté ni de l’autre. C’est terrible, c’est-à-dire

que c’est des plaies qui n’arrivent pas…

Ca conditionne encore les rapports sociaux…

Complètement.

Sans que les gens en aient forcément conscience mais dans l’éducation… on porte un regard

sur l’Autre qui est complètement conditionné…

Exactement. C’est ça qui fait que nous à la DPVI on est peut être plus particulièrement conscients

parce que évidemment c’est notre métier de travailler sur ces questions mais c’est vrai que il y a

toujours eu un sujet sensible sur les immigrations magrébines et africaines subsaharienne,

clairement, puisque c’est nos colonie, nos ex-colonies.

Et est-ce qu’il y a pas en plus une question de visibilité.

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HUGUENOT Elise Mémoire de Sociologie, spécialité Développement Social Urbain 112 / 138

Après y’a effectivement que les noirs, les blancs, les marrons, les cafés au lait effectivement

c’est aussi voilà on est deux blondes à peau blanche c’est pas limite aryen mais ça a un côté voilà

c’est que on est un pays, un peuple de dominants enfin dans l’histoire et les dominés étaient noirs

ou basanés voilà. Donc c’est tout ça, d’ailleurs ça c’est dans l’imaginaire universel aussi.

Est-ce que vous pourriez me donner des éléments d’information sur la différence entre une

politique d’intégration et une politique de lutte contre les discriminations ? Parce que on a

tendance à mélanger les deux, on voudrait faire de l’intégration auprès des jeunes « issus de

l’immigration » alors qu’ils sont nés en France… quelle subtilité ?

Comme je vous disais à l’instant, c’est des histoires qui viennent des mêmes origines c’est-à-dire

que le racisme, les discriminations liées au racisme sont liées à l’histoire de l’immigration, enfin à

l’histoire coloniale de la France puis donc à l’histoire de l’immigration en France et des

migrations. Mais il est clair que la politique d’intégration d’un pays est liée à son immigration,

donc c’est les gens sui sont étrangers nés à l’étranger et on n’a pas à en sortir c’est-à-dire qu’ils

sont nés par acquisition de la nationalité française ou pas et ils restent immigrés donc

l’intégration c’est l’homogénéisation, l’harmonisation de corps étrangers, d’individus ou de

groupes étrangers dans le corps national, le corps majoritaire c’est ça en fait l’intégration c’est

comment en ne reniant pas, enfin idéalement en ne reniant pas ses racines,, sa culture et en

l’apportant avec soi quelque part on fait une société d’accueil plus ouverte, plus riche, plus

intelligente. La lutte contre les discriminations alors après on fait une politique d’intégration pour

ou contre c’est-à-dire nous on est plutôt dans l’ouverture. Donc fermée c’est assimilation. La

lutte contre les discriminations c’est tout à fait autre chose c’est que on discrimine les gens,

c’est-à-dire qu’on leur donne pas leurs droits parce que on considère que, parce que pour des

préjugés on décide ils sont moins que d’autres alors que comme le dites justement les « enfants

issus de l’immigration » c’est les enfants de la République, c’est Jacques Chirac qui a dit ça et là-

dessus je lui en suis reconnaissante, ce sont les enfants de la République française point barre.

Heureusement qu’ils veulent qu’on arrête de leur parler d’intégration c’est insupportable…

C’est révoltant…

.. c’est révoltant c'est-à-dire qu’on continue, je veux dire dès qu’il y a un voyou, parce que on

peut être voyou blanc, noir, vert, violet, dès qu’il y a un voyou qui est issu de l’immigration

maghrébine ou qui est noir ou ultramarin donc même pas issu de l’immigration, c’est « ah ils ont

un problème d’intégration vous voyez bien qu’ils s’intègrent pas ».

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Oui c’est pas un problème de société…

Donc le problème c’est comment à partir d’un fait divers on faire une généralisation sur toute une

tranche de la population, tout un groupe, on décide d’être un groupe homogène alors que c’est

pas forcément le cas et en plus on stigmatise facilement donc c’est forcément plus grave de

vendre du shit dans une cité, se balader en Porsche que de prendre 12000 euros de cigares sur les

finances publiques quoi. Moi je suis pas sûre de la réponse. Je suis pas sûre que ce soit plus grave.

Et c’est surtout que ça fait écho à plein d’autres choses dont on a parlé tout à l’heure…

Alors que il me semble que quelqu’un qui a été formé par les plus hautes écoles de la République,

qui a un poste dans les plus hautes sphères et qui est un politique qui décide, il doit être

exemplaire donc faut arrêter de dire que les gamins des cités font des conneries, ils en font des

conneries c’est évident, et c’est vrai qu’il y a des voyous mais bon allez donnons leur un peu

exemple, c’est où les repères, c’est où les valeurs voilà c’est ça le truc.

Bon alors la question d’après on l’a évoquée tout à l’heure elle traite des trois volets,

pourquoi on a défini ces trois volets ? Je pense qu’on y a déjà répondu, un souci de

pragmatisme et une volonté de faire les choses en profondeur. Est-ce que vous pourriez me

dire de manière succincte les objectifs de ces trois volets ? Ou plutôt leur complémentarité.

Alors leur complémentarité, l’idée c’est d’essayer de ne laisser de côté aucun pan de l’action

publique. L’égalité de traitement ça va de soi, c’est le socle, l’idéal, ce qu’on doit poursuivre

comme objectif c’est l’égalité de tous et ça c’est dire attention ça repose aussi non seulement les

valeurs de la République mais ça repose aussi sur la loi, il est illégal de discriminer, y’a des

moyens de coercition, si on discrimine on est pénalisable et si on est victime de discrimination on

est défendable donc ça c’est important, c’est l’aspect juridique et c’est le fait de rappeler qu’il y

a pas de morale là-dedans, c’est la loi rappel à la loi. Cela dit y’a une fois qu’on a posé ça et

qu’on met en place des actions là-dedans, c’est le socle mais ça n’empêche qu’il y a toute une

partie des gens qui sont laissés pour compte parce que il y a une inégalité de fait donc les jeunes

qui d’après les études ont 5 fois moins de chances d’avoir un entretien d’embauche s’ils

s’appellent Mohammed ou s’ils sont de nationalité algérienne ou d’origine algérienne, que un qui

s’appelle François Dupond et qui est auvergnat, pour faire plaisir à Hortefeux, donc voilà eux ils

sont laissés pour compte donc il faut rattraper, il faut faire une politique de rattrapage, l’égalité

des chances pour moi pour nous c’est une politique palliative, une politique de rattrapage c'est-à-

dire d’abord on co-construit sur l’égalité de traitement, mais il faut pas qu’on laisse de côté tous

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ceux qu’on met dans des voies de garage, ceux qui n’ont pas de boulot, faire en sorte s’ils ont

moins d’emplois à compétences égales il faut multiplier les points de rencontre entre les

employeurs et eux, s’ils ont de moins bonnes formations, il faut renforcer l’accès aux bonnes

formations, en les informant, en les accompagnant… C’est dire l’égalité des chances elle vient

compléter une politique d’égalité de traitement. Et le troisième volet c’est ce que je vous disais

tout à l’heure c'est-à-dire qu’il faut s’attaquer aux causes et les causes c’est les stéréotypes, il

faut déconstruire les préjugés, il faut changer le regard sur l’Autre, changer les représentations

parce que il faut à la fois s’attaquer aux symptômes mais il faut aussi s’attaquer aux causes.

Il me semble que c’est en ça que la politique parisienne est spécifique, elle essaie de brasser

le plus de populations possibles, le plus de problématiques possibles.

Et ça c’est vrai que au niveau du réseau national chez les collègues qui sont sur la lutte contre les

discriminations y’en a un peu qui font de l’égalité des chances, y’en a beaucoup qui font de

l’égalité de traitement, que l’égalité de traitement et y’en a pas à ma connaissance qui font du

changement des représentations.

Mais chez d’autres collectivités territoriales mener une politique fondée sur l’égalité de

traitement est-ce que c’est pas une manière de défier la politique du gouvernement ?

Il peut y avoir ça mais si vous voulez dans notre réseau y’a des collectivités territoriales de

gauche et de droite donc y’a pas que ça, je pense que c’est un peu le risque, on est tous un peu

des techno quoi, c’est toujours le risque d’être sur la mise en œuvre de dispositifs et puis s’y

accrocher à la fois c’est bien mais du coup on veut pas dévier du tout, on veut pas de poser la

question, parfois on oublie un peu de se réinterroger. Attention y’a des collectivités territoriales

qui sont bien plus avancées, même plus avancées que nous en travaillant que sur l’égalité de

traitement mais il me semble que puisque Paris est Paris, est la capitale du pays, je pense que

c’était important, et parce que l’élue est cette élus là, c’est parce que YB a fait « Mémoire

d’immigrés », c’est parce qu’elle a fait « Le plafond de verre » c’est parce que elle travaille sur

l’image, sur la représentation et qu’elle a rencontré des centaines et des centaines de personnes

qui témoignaient de ce qu’ils avaient vécu et des ravages que ça avait fait dans leur vie, c’est pur

ça aussi qu’on a ce volet là qui est important. Mais je suis d’accord avec vous je pense que c’est

la spécificité de Paris.

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Ca va vous paraître redondant la question d’après parce que ça porte sur la différence que

vous faites entre d’une part l’égalité de traitement, d’autre part l’égalité des chances et la

fameuse diversité.

Egalité de traitement, égalité des chances on va peut être pas y revenir parce ça y’est on a bien

compris. la diversité c’est, la diversité c’est encore un mot cache-sexe, vous savez qu’on est

friand de ça en France, la diversité c’est ce qui permet j’ai envie de dire que c’est ce qui permet

de travailler sur les origines ethniques et raciales sans le dire. Alors à droite, pour le faire court

et caricatural, à droite on est beaucoup plus pragmatique qu’à gauche de manière générale, donc

on s’embarrasse moins du politiquement correct ou pas je veux dire on fait de la diversité donc on

nous met un peu des noirs, des arabes, des asiatiques, un peu visibles, on met des minorités

visibles, on essaie d’en mettre un peu dans les, visiblement et on le dit comme tel et c’est

comme ça qu’on nomme dans les préfectoral, dans les corps de l’Etat etc. des gens issus de

l’immigration maghrébine ou africaine. Mais on le fait de telle manière, moi je suis pas contre

honnêtement alors je sais qu’à gauche on est un peu un recul et on dit que ça sent pas bon mais

je pense qu’aussi à gauche on se cache derrière ce « ah non c’est pas possible on peut pas dire,

les origines ethniques c’est pas républicain », on se cache derrière la République pour ne pas

travailler cette question donc je pense qu’on est aussi à côté de la plaque, les fractures sur ces

questions, quand il y a eu la loi sur le voile à l’école, sur les questions d’identité nationale, sur la

burqa etc. la fracture elle est plus gauche/droite là elle est ailleurs. Ce qui est faillible, ce qui

ne va pas dans la politique de droite sur la diversité, c’est pas tant qu’ils mettent les gens de la

diversité mais qu’ils le fassent de manière un peu cosmétique, pour faire joli et qu’ils le font sans

rechercher les compétences aussi de ces gens là alors que je suis désolée il y a des femmes arabes

compétentes pour être préfette ou sous-préfette mais on va nous sortir une femme maghrébine,

parce qu’elle est maghrébine même si elle a rien à voir avec la choucroute, façon de parler, c'est-

à-dire pas du tout en fonction de ses compétences, c’est comme si on disait bon ben de toute

façon on en met

Le principal c’est qu’ils se voient, pas qu’ils fassent…

…Voilà du bon boulot et donc ça c’est là y’a un problème et puis une fois qu’on a mis je sais pas

un noir à la tête d’une entreprise, bah faut en mettre partout ça suffit pas d’en mettre en haut

puis tout à fait en bas. Je vois l’exemple du Parc de la Villette, c’est ça le président noir et puis

après les vigils. Mais je pense que le côté, je pense que c’est bien de mettre des gens d’origine

diverse et variée, c'est-à-dire grosso modo qui représente la société française aujourd’hui, dans

les entreprises, dans les institutions publiques, dans les rouages politiques c’est bien.

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C’est bien pour changer les représentations ?

C’est bien parce que ils devraient y être et que s’ils n’y sont pas c’est qu’il y a eu de la

discrimination.

Oui donc c’est rétablir…

Donc de toute façon il faut qu’il y en ait donc après il faudrait effectivement en fonction non pas

des discriminations positives mais simplement de travail de non-discrimination et y’en aurait.

De manière presque naturelle…

De manière plus naturelle, le problème c’est que quand on nous met des minorités visibles à des

postes visibles, et qu’ils se trouvent être incompétents, ils sont discrédités et du coup y compris

à gauche, moi je l’ai entendu ici aussi, y compris dans notre maison « bah oui mais ils nous

mettent une maghrébine comme sous-préfette elle est incompétente » alors vous voyez les

images bah oui mais le sous-préfet qu’il y avait avant était blanc, alcoolique et raciste et je crois

qu’il était assez peu compétent aussi. C'est-à-dire que la diversité, alors là je déroge un petit peu

au discours politique officiel de gauche mais je pense que la diversité il faut la mettre parce que

c’est la société française et que si la société française aux postes de manette elle est que blanche

et formatée et masculine c’est qu’il y a un problème, alors on a fait les quotas des femmes alors

je suis pas pour les quotas sur le principe mais il fait être pragmatique et donc heureusement

qu’il y a eu cette histoire de quotas parce que malheureusement c’était le moyen coercitif et

contraignant d’imposer des femmes. Et je pense qu’il faut imposer aussi des gens « de la

diversité » c'est-à-dire en fait des noirs et des arabes et des asiatiques dans les organes de

décision.

Vous parlez de la diversité comme un moyen, est-ce que la diversité ça devrait pas plutôt être

une fin et utiliser d’autres moyens pour atteindre une diversité qui viendrait de manière plus

naturelle ?

Comment ça ?

On disait tout à l’heure que il devrait y avoir proportionnellement à la composition de la

société française il devrait y avoir les mêmes proportions de noirs et d’arabes dans les

grandes entreprises que dans la société française. Là en mettant de manière volontaristes des

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noirs et des arabes, je caricature, dans les entreprises, de faire de la diversité c’est un moyen

d’établir une situation qui devrait être naturelle mais justement est-ce qu’on pourrait pas

utiliser, est-ce qu’on devrait pas fixer la diversité comme une finalité, qui viendrait de

manière naturelle et utiliser d’autres moyens que des positionnements de noirs et d’arabes

comme ça…

Alors jusqu’à maintenant on peut dire qu’on s’est fixé la diversité comme un aboutissement

naturel, et alors ça a donné quoi ?

Pas grand-chose…

Oui parce qu’il faut de la politique volontariste, c’est l’affirmative action quoi c’est l’action

positive, il faut être volontariste.

Parce que la diversité elle ne pourra arriver de manière naturelle que si on change les

représentations.

Justement il faut pas prendre les choses les unes après les autres, il faut tout faire en même

temps, il faut tout couvrir. On a un retard en termes de société, en termes de valeurs, on est en

plain recul sur nos valeurs universelles. On ne peut pas se permettre le luxe de se dire on ne fait

que, on fait d’abord telle étape non, il faut travailler tout en même temps. Vraiment, moi j’en

suis absolument convaincue et je pense que c’est pour ça que c’est important qu’on mette des

actions sur les trois volets. Même si encore une fois on est minoritaire dans les collectivités

territoriales à travailler sur les trois.

Dernière question, selon vous en matière de lutte contre les discriminations, quel doit être le

rôle de l’Etat, des collectivités territoriales et des associations ?

Alors, d’abord c’est une politique d’État, une politique publique d’État la lutte contre les

discriminations et ça doit la rester, et ça doit être amplifié alors effectivement le rôle de l’Etat

devrait pas être de diminuer les budgets, ou de phagocyter la HALDE ou de la noyer dans… on

peut s’inquiéter, symboliquement il était important que la HALDE soit créée, il était important

qu’elle soit maintenue, d’autant que c’était une directive européenne quand même. Je pense que

le rôle de l’état doit être plus fort sure cette politique publique qui est, parce que l’Etat doit être

le garant de l’égalité point, de l’égalité de tous, c’est aussi bête que ça. Et il serait temps que ça

s’applique.

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Le rôle des collectivités territoriales, ce sont des compétences facultatives pour les collectivités

territoriales, mais comme souvent c’est le terrain les collectivités territoriales par rapport à

l’État et comme souvent c’est le terrain qui du coup est plus innovant parce qu’il se trouve

confronté au quotidien, aux situations ou à des difficultés ou problèmes particuliers et qu’il faut

les résoudre et donc le rôle des collectivités territoriales, à mon avis il faut que ça reste une

compétence facultative, ah encore que, non ce serait pas mal, non non je dis une bêtise, il faut

que ça reste une compétence d’État mais je pense qu’ils serait bien que l’État impose, enfin

demande que ça fasse partie des compétences des collectivités territoriales, un peu comme le

développement durable s’est imposé, parce que pourquoi dès lors que c’est obligatoire ça donne

d bon et du moins bon mais dès lors qu’il y a un peu de contrainte…

Mais est-ce que c’est une question partout sur le territoire national ?

Les discriminations ? Oui oh oui, oui parce que vous savez c’est dans le fin fond de la Meuse que

vous allez avoir un petit village truc muche où on a jamais vu un noir ou un arabe c’est là qu’on

est le plus raciste. Donc non je crois que oui je pense qu’il faut que ce soit partout il faut qu’il y

ait une prise de conscience qu’on discrimine, qu’on est discriminé, qu’on peut être les deux et

que c’est pas possible, que c’est juste pas possible, que c’est juste pas légal. Ca c’est important,

cette conscientisation elle est essentielle. Je pense que le rôle des collectivités territoriales enfin

c’est de s’organiser, c’est ce qu’on fait, en réseau, on s’est organisé de manière à travailler

ensemble, à se qualifier ensemble, on a beaucoup évolué, on a beaucoup progressé tous depuis le

début de notre réseau. Mais je pense que ce serait bien qu’il y ait un système d’obligation, que ce

soit dans les obligations des collectivités territoriales de s’interroger ou de mettre en place

quelque chose sur ces questions.

Ca me fait penser à votre volonté il y a quelque temps de mettre une ligne lutte contre les

discriminations dans le CUCS.

Absolument c’est ça.

Mais est-ce qu’il faudrait le mettre dans un programme de Politique de la Ville ou est-ce que

ce serait une politique de droit commun ?

Bah le problème il est que là encore si on problématise pas la lutte contre les discriminations dans

le cadre du CUCS on en fait pas. Je le vois bien, quand je propose à la demande de Claude

Lanvers, aux équipes, aux chefs de projet de mettre en place un plan, beaucoup me disent « ah

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ça fait pas partie des priorités du programme », donc il faut que ce soit inscrit dans le

programme. C’est pas qu’il y ait un désintérêt, c’est simplement qu’il y a d’autres priorités.

Donc il faut que ce soit défini comme une priorité.

C’est pour ça oui, je pense que c’est un peu la loi sur les limitations de vitesse, à force de se faire

goaler et de se prendre des PV pour excès de vitesse qu’on finit par respecter moi la première, on

n’est pas des surhommes et des surfemmes c’est clair

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HUGUENOT Elise Mémoire de Sociologie, spécialité Développement Social Urbain 120 / 138

Annexe 5 :

Retranscription d’entretien

Jean-Luc Rageul, délégué régional de la HALDE

Ile-de-France

Parcours

A le bac.

Inspecteur de police et militant syndical pendant 30 ans.

Secrétaire général de la CFDT pendant 10 ans

A développé des actions de lutte contre les discriminations (Projet EQUAL « Action et Vigilance »)

dans le cadre de ses activités syndicales.

Depuis 2008, en poste à la HALDE. A été recruté car avait déjà développé des actions de lutte

contre les discriminations.

Quelle distinction faites-vous entre d’une part l’égalité de traitement et d’autre part l’égalité des chances ou encore la diversité ? Ces concepts sont-ils antinomiques ? Complémentaires ?

« Egalité » n’a pas besoin de qualificatif, c’est un concept en soi. On ne peut pas « saucissonner »

le concept d’égalité car c’est un principe républicain en tant que tel.

Mettre en œuvre le principe d’égalité c’est mettre les gens en posture de pouvoir accéder à tel

emploi, faire en sorte que les individus n’aient pas de barrières et accèdent à des postes pour

leurs compétences.

Mettre en œuvre le principe d’égalité, c’est appliquer des mesures non-discriminatoires.

Mettre en œuvre des mesures non-discriminatoires implique de donner davantage de lisibilité aux

employeurs sur la question de la lutte contre les discriminations, de préparer les gens, cela

nécessite une anticipation auprès de la société ou d’une équipe au sein d’une collectivité locale

d’une entreprise.

Sensibilisation et compétences sont les maîtres mots de la lutte contre les discriminations. Elles

permettent de mettre en œuvre le principe d’égalité et la diversité se fera d’elle-même.

Diversité = affichage.

L’égalité réclame du temps et des changements. La mise en œuvre du principe est donc

confrontée à la peur du changement.

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HUGUENOT Elise Mémoire de Sociologie, spécialité Développement Social Urbain 121 / 138

HALDE a deux volets : la lutte contre les discriminations (= appareil juridique) et l’égalité.

Que pensez-vous de la discrimination positive (DP) ?

La HALDE est contre la discrimination positive car la DP est une discrimination et la HALDE lutte

contre toutes les formes de discriminations.

DP entraîne étiquetage, stigmatisations, assignations/catégorisations

En France, obsession du diplôme.

Politique d’action positive est une politique de résultats qui nécessite beaucoup de moyens pour

que les gens s’en sortent définitivement.

Plusieurs intellectuels dénoncent la logique néolibérale qui sous-tendrait la politique actuelle de lutte contre les discriminations, fondée sur la promotion de l’égalité des chances. Qu’en pensez-vous ?

La lutte contre les discriminations est perçue comme une mise en accusation par les employeurs,

les entreprises ne veulent pas en entendre parler.

Accord national interprofessionnel sur la diversité = signé entre les syndicats et le patronat.

La diversité a pollué le débat sur la lutte contre les discriminations et a freiné la mise en place de

mesures antidiscriminatoires.

Pour obtenir la diversité, on met en place des mesures discriminatoires !

La diversité est une politique de communication des entreprises, un travail sur l’image.

Le plus important sont les compétences donc la diversité devrait être une diversité des

compétences.

Le système proposé par Bébéar est un système libéral, d’affichage.

Les entreprises paient pour obtenir le label « Diversité ».

Il y a un « responsable diversité » chez PSA

Lutte contre les discriminations = structurelle, requiert du temps et changement des mœurs,

n’est pas une fin en soi

Logique néolibérale = conjoncturelle

Comment interprétez-vous la nomination du nouveau collège de la HALDE, composé uniquement de personnalités issues du monde de l’entreprise ?

Pas de syndicalistes dans le nouveau collège, monde de l’entreprise et des juristes plus présent.

Volonté politique ?

Protéger entreprises en mettant des chefs d’entreprises ans l’organe délibératif ?

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HUGUENOT Elise Mémoire de Sociologie, spécialité Développement Social Urbain 122 / 138

Domaine de l’emploi = 50 % des réclamations donc peut-être est-il logique que le monde de

l’entreprise soit surreprésenté dans le collège de la HALDE.

Le collège statue en droit ou en équité (en prenant en compte le contexte économique et social)

peut moduler.

MEDEF a accusé la HALDE de ne pas faire d’enquêtes contradictoires (article 6-1 de la convention

des Droits de l’Homme) mais la HALDE n’est pas une juridiction.

2009 : 450 délibérations

Dans 80 % des cas, les juridictions suivent les préconisations de la HALDE.

Quels sont les rapports entre la HALDE et l’Acsé ?

HALDE = vécue comme un concurrent de l’Acsé au début

Acsé = recentrage sur la Politique de la Ville (PLCD)

HALDE met en place des correspondants locaux là où il y a des PLCD.

HALDE = mal vécue par l’Acsé, les directions du travail et la justice (HALDE = perçue comme

l’échec de la justice)

HALDE ne peut pas travailler seule donc partenariats car système.

HALDE = un levier d’action parmi d’autres.

Mesures spécifiques ou généralistes ? logique de balancier trouver un équilibre.

Selon vous, en matière de lutte contre les discriminations, quel doit être le rôle :

- de l’Etat ?

L’Etat est le garant du principe d’égalité, il impulse les politiques publiques.

La politique publique de lutte contre les discriminations n’est plus une priorité du gouvernement

(absorption par le Défenseur des droits)

Il restera des juridictions qui devront continuer à former au droit de la non discrimination.

- des collectivités locales ?

Les CL doivent prendre le relais face au désengagement de l’Etat mais c’est au bon vouloir des

responsables locaux.

Quelle échelle ?

- des associations ?

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HUGUENOT Elise Mémoire de Sociologie, spécialité Développement Social Urbain 123 / 138

A la recherche de décisions judiciaires qui marquent, qui peuvent être médiatisées (SOS Racisme).

Amalgame lutte contre le racisme / lutte contre les discriminations chez certaines associations.

Poids du rapport Sabeg.

Défenseur des droits = appareil juridique et moins de communication donc moins de lisibilité

Lutte contre les discriminations peut se transformer en cohésion sociale, en vivre ensemble.

Quelle serait, selon vous, la politique de lutte contre les discriminations idéale ?

Le cadre juridique français est très complet donc pas besoin d’en faire plus.

Importance de la transversalité : intégrer dans les cursus de formation des cadres des modules sur

le droit anti-discriminatoire et sur la déconstruction des préjugés (faire comprendre qu’un cadre

n’a pas le droit de discriminer)

Lutter contre l’autocensure // actions territorialisées

Communautés d’agglomération = l’échelle pertinente pour porter la lutte contre les

discriminations car = bassin d’emploi

Amalgame lutte contre les discriminations / origine / quartiers sensibles / sécurité = danger

amalgame sur lequel reposent les dispositifs d’égalité des chances.

HALDE = indépendante car non-révocable (pour les décisions qu’elle prend) et non-renouvelable

(donc ne cherche pas à plaire)

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Annexe 6 :

Retranscription d’entretien

Stéphanie Baux, chargée de mission de l’Association

de Prévention du Site de la Villette

Je vais vous interroger sur le plan de lutte, les premières questions vous concernent

personnellement, est-ce que vous pourriez m’en dire plus sur votre parcours de formation et

sur les postes que vous avez occupés depuis que vous êtes diplômée ?

D’accord alors mon parcours de formation j’ai commencé par, j’ai fait après mon bac j’ai fait une

prépa et un DEUG de droit. A la fin de mon DEUG de droit je me rendais compte que même si le

droit m’intéressait c’était pas forcément la voie que j’avais envie de prendre donc j’ai un peu

bifurqué pour aller plus vers l’aspect social anthropologique puisque j’ai fait une licence et une

maîtrise en anthropo à Paris 8 et là je suis partie, j’ai beaucoup travaillée sur les questions

notamment en fin j’ai travaillé beaucoup en Afrique heu sur des enquêtes pendant mon cursus

universitaire et notamment sur les questions de savoir, les savoirs locaux etc. etc. Une fois que

j’ai fait ça j’ai fait un DEA d’anthropologie et je trouvais que c’étant quand même assez peu

concret donc j’ai fait un DESS, donc un parcours long et à rallonge plutôt là sur les pratiques

sociales du développement et sur tout ce qui était développement local développement social

etc. etc. don à partir de là je suis repartie au Burkina où j’avais travaillé& déjà auparavant et là

j’ai travaillé beaucoup sur des projets à la fois de développement et de recherche sur les

questions d’éducation à la fois en milieu urbain et en milieu rural au Burkina, j’ai travaillé dans

un institut burkinabé sur ces questions avec aussi y’avait tout un pan parce qu’on faisait des

enquêtes notamment sur l’éducation, sur le fonctionnement de l’école, sur le rapport des familles

à l’école etc. et le but c’était de fournir aux décideurs notamment aux prestataires ceux qui

étaient, donc les enseignants, ceux qui finançaient l’éducation, des informations et des données

concernant l’éducation pour qu’ils puissent justement adapter leurs actions aux réalités de

terrain et j’ai continué ce travail non plus dans un institut local mais après dans un institut

français, ça s’appelle l’IRD l’Institut de Recherche pour le Développement où là j’ai travaillé

beaucoup plus en milieu rural et là pareil j’ai fait une thèse en parallèle et des projets de

recherche-action etc. avec toujours le même principe travailler sur l’analyse des pratiques,

regarder comment fonctionnent les ONG qui travaillent sur l’éducation, comment fonctionnent les

écoles etc., essayer de faire des bilans aussi pour approfondir un petit peu enfin pour permettre

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aux personnes qui interviennent dans le domaine de l’éducation d’améliorer leur rapport à

l’élève, leur rapport aux parents d’élèves etc. donc toujours un double travail entre d’un côté la

recherche et de l’autre côté comment transmettre et capitaliser ces données pour permettre

justement des actions plus appropriées. Donc une fois que je suis rentrée en France j’ai soutenu

ma thèse, j’ai travaillé un petit peu sur les questions de santé dans des laboratoires de recherche

et c’est, une fois que j’étais rentrée en France et que j’avais travaillé à l’INSERM, que j’ai vu

cette offre d’emploi sur la question des discriminations alors j’avais pas travaillé directement sur

la question des discriminations avant d’attaquer ici mais j’avais des compétences assez

transversales en termes de gestion de projet, méthodologie, et puis en plus j’avais une

connaissance quand même des questions d’inégalités voilà et puis après je connaissais les

discriminations pour m’être renseignée en parallèle sur ces questions.

Et ça fait combien de temps que vous travaillez à l’APSV ?

Ca va faire 2 ans et demi que je travaille à l’APSV sur le PLCD.

Alors, vous m’arrêtez si je me trompe, le PLCD est fondé sur le principe d’égalité de

traitement.

Tout à fait.

Quel distinguo vous faites entre égalité de traitement et égalité des chances ?

Alors ben le principe est simple en fait sur la question de l’égalité de traitement nous on se fonde

sur la loi donc notre schéma de référence et notre principe de base c’est le respects de la légalité

donc à partir de là la question de l’égalité de traitement c’est se dire qu’on travaille finalement

pour favoriser l’égalité de tous face à l’emploi à travers des outils de formation sur la loi, de

sensibilisation mais aussi de création de procédures de recrutement différentes qui permettent

d’échapper aux stéréotypes et notamment à tout ce qui peut faire barrière à des personnes

d’origines diverses, de sexe différent ou en fonction de l’âge enfin l’ensemble des 18 critères de

discriminations donc on a une approche transversale sur tous ces critères-là et nous on travaille

pas du tout ou très peu sur des actions positives c'est-à-dire qu’on travaille vraiment pour

modifier les pratiques professionnelles des acteurs de l’emploi et de l’économie ou de l’insertion

avec lesquels on travaille mais pas du tout sur des actions qui vont privilégier un groupe de

personnes parce qu’il y aurait un déséquilibre à la base et qui donc qui auraient besoin d’avoir

une action concrète permettant de rétablir cet équilibre, on est une association, on n’est pas

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HUGUENOT Elise Mémoire de Sociologie, spécialité Développement Social Urbain 126 / 138

comme une collectivité territoriale, on n’a pas vocation à mettre en place des actions qui vont

être seulement à destination des jeunes ou seulement à destination des femmes etc. etc.

Vous disiez que le PLCD était fondé sur l’égalité de traitement et l’égalité de traitement

fondée sur le respect de la loi…

Sur le respect de la loi et sur les principes que finalement il faut traiter les gens de la même

manière face à une procédure de recrutement et donc on va pas être sur des actions positives

c'est-à-dire sauf effectivement pour les personnes en situation de handicap parce que ça la loi est

particulière là-dessus mais sinon plutôt inciter les gens à oublier les critères sur lesquels ils

jugeaient avant c’est-à-dire les critères de sexe, les critères d’âge, les critères d’origine,

d’adresse etc. pour se focaliser uniquement sur la question des compétences et réfléchir en

termes de compétences et non pas en termes de critère qui pourraient illégal et donc on va pas

être sur des actions qui vont favoriser tel type de personne pour tel type de travail c’est pas notre

optique puisque c’est plus ça un travail au niveau des collectivités territoriales que ça peut se

faire donc d’avoir effectivement une politique qui dit on constate que je sais pas moi que les

jeunes sur notre territoire ont un taux de chômage plus élevé donc on va faciliter, on va mettre

en place des actions à destination des jeunes pour leur faciliter l’accès à l’emploi. Nous on

travaille pas du tout sur cette question puisqu’on travaille plutôt avec les structures en leur

disant essayez au contraire d’avoir une approche basée sur les compétences en tous cas en termes

de recrutement ou une approche en termes d’égalité de traitement et donc de s’assurer que tout

le monde va être traité à un moment de la même manière dans une situation donnée donc

réfléchir à partir de cette perspective là et non pas en termes de rééquilibrage parce que par

exemple on a trop de filles sur un poste donc on va embaucher un garçon pour favoriser la mixité

ça une entreprise, normalement c’est illégal, n’a pas droit de le faire à moins de mettre en place

des accords syndicaux enfin ou avec le comité d’entreprise et les délégués du personnel pour

avoir un plan d’action sur le long terme mais sinon une entreprise n’a pas le droit de dire je vais

prendre un homme là parce que y’a trop de femmes donc on essaie plutôt de leur faire

comprendre quel est le sens de la loi, qu’est-ce qu’elle dit et de mettre en place des outils qui

sont conformes à cette loi c’est plutôt, question d’égalité de traitement qu’égalité des chances.

Vous avez un peu répondu à ma prochaine question puisque je m’interrogeais sur le choix qui

avait été fait de cibler sur l’emploi parce que finalement on peut se dire pourquoi ne pas

avoir ciblé sur un des 18 critères, on a ciblé sur un champ d’intervention plutôt que sur un

critère et donc vous disiez que la prise en compte des 18 critères était transversale mais dans

le domaine de l’emploi. Qu’est-ce que vous pensez de cette méthodologie ?

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HUGUENOT Elise Mémoire de Sociologie, spécialité Développement Social Urbain 127 / 138

Alors pour ça il faut revenir à l’origine du plan en fait. A l’origine du plan y’a un diagnostic qui a

été mis en place par le FASILD dans le 19ème arrondissement et même pas dans le 19ème arrdt parce

que c’était le quartier Flandres Politique de la Ville et le diagnostic portait sur les discriminations

que les jeunes peuvent subir en raison de leur origine dans l’emploi donc c’était extrêmement

ciblé et donc ce diagnostic a été fait, il a permis de faire levier et d’amorcer une réflexion là-

dessus bon le diagnostic était pas super révolutionnaire dans ce qu’il annonçait mais il avait au

moins l’intérêt de permettre en tous cas de mettre en place une réflexion là-dessus donc y’a eu

une formation suite à ce diagnostic y’a eu une formation qui a été proposée aux intermédiaires de

l’emploi, service public de l’emploi, missions locales mais aussi toutes les associations d’insertion,

celles qui travaillent sur l’insertion professionnelle, centres sociaux, centres d’animation enfin

tous ceux qui plus ou moins ont des liens avec l’emploi ou l’accompagnement des personnes vers

l’emploi, il faut dire que si on a travaillé sur les question de l’emploi c’est parce que à l’origine

y’a une coordination emploi sur le 19ème arrdt qui est mise en place par les EDL et présidée par

Colombe Brossel l’élue du 19ème et qui vise à réunir tous les acteurs de l’emploi une fois par

trimestre à peu près pour réfléchir à ce qui se fait sur le territoire et avoir une réflexion globale

sur l’emploi sur le territoire donc c’est un vrai vivier et y’a une vraie dynamique territoriale et

c’est sur cette dynamique qu’on s’est appuyé d’abord pour faire le diagnostic parce qu’il y avait

eu une réflexion en amont, des séminaires où la question de la discrimination était apparue avec

les acteurs de l’emploi et de l’insertion professionnelle cette fameuse coordination emploi donc

quand il a été question de faire un diagnostic territorial l’Acsé enfin le FASILD à l’époque qui avait

des financement est plutôt allé vers le 19ème parce ces questions avaient déjà été posées dans le

19ème, que le FASILD travaille plutôt sur les questions des discriminations liées à l’origine donc

c’était plutôt là-dessus que ça a été orienté et puis parce y’avait effectivement par rapport aux

indicateurs socioéconomiques du 19ème ça a été quand même assez pertinent et quand la

formation-action a été créée normalement c’était aussi lié à la question de la discrimination à

l’origine, des discriminations donc raciales mais au fur et à mesure de cette formation qui était

très riche, on s’est aperçu que souvent y’avait cumul de discriminations donc qu’on était pas

forcément discriminé parce qu’on était noir par exemple mais parce qu’on était femme et noire

ou parce qu’on était jeune et noir ou vieux et noir enfin bon voilà mais je peux le dire avec une

autre origine et que donc à partir de là ne travailler que sur la discrimination raciale c’était pas

pertinent parce que souvent avec ces cumuls de discriminations il vaut mieux une approche avec

l’ensemble des critères et donc et c’est d’autant plus pertinent quand on a une approche égalité

de traitement donc on parle pas d’un critère en particulier on essaie de voir comment on peut

traiter tout le monde de la même manière c’est ça toute la différence et c’est pour ça qu’on est

parti sur l’emploi parce que c’était quand même la base de travail depuis plusieurs années et

qu’il y avait une dynamique territoriale sur laquelle on pouvait s’appuyer pour monter le plan

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d’action et les 18 critères ben parce que c’était plus pertinent de travailler sur ces 18 critères

plutôt que sur un seul parce que finalement ça permettait pas de prendre en compte l’ensemble

des discriminations.

Ce que je trouve intéressant dans le fait de cerner un champ d’intervention, c’est qu’on vise

les discriminants et pas les discriminés, ce qui n’est pas le cas dans la politique d’égalité des

chances qui vise des publics cibles, les jeunes des quartiers populaires etc. Là on vise les

potentiels discriminants je trouve que c’est ce qui est particulièrement intéressant dans le

PLCD.

C’est vrai que nous finalement et c’est peut être une chose qu’on doit travailler aujourd’hui c’est

plus maintenant travailler du point de vue des personnes potentiellement victimes de

discriminations, non pas en ciblant un groupe particulier mais en informant sur la loi parce qu’on

s’aperçoit aussi que les gens connaissent peu la loi et confondent un peu tout et que plus on

informe sur la loi plus les gens ont les moyens de défendre leurs droits. L’idée aussi c’est d’arriver

quand même, et on le fait par le biais de la semaine contre les discriminations, par certaines

formations ou sensibilisations où on travaille avec des partenaires, par exemple la régie de

quartier qui la semaine dernière a fait un théâtre forum sur ces questions là, donc là ça fait

vraiment des vrais espaces où on peut débattre, où les habitants peuvent débattre sur ces

questions mais c’est vrai que nous on pense que pour vraiment lutter contre les discriminations il

faut accompagner les personnes qui sot victimes effectivement pour qu’elles se défendent mais il

faut surtout travailler sur les pratiques professionnelles pour que les gens arrêtent de discriminer

parce que la plupart des gens qui discriminent discriminent sans sen rendre compte ou avec des

stéréotypes, des habitudes professionnelles très anciennes, ils ne voient pas qu’il y a eu une

évolution législative, il faut qu’ils adaptent leurs pratiques à l’évolution législative et donc du

coup on se retrouve avec des gens qui veulent pas forcément discriminer mais qui le font par

habitudes ou parce qu’ils ont pas les bons outils pour voilà et parce que c’est aussi une réflexion

globale à avoir donc il faut s’interroger sur ce qu’on fait, comment on le fait et ça ils ont plus ou

moins…je pense qu’il faut vraiment amorcer une réflexion pour après modifier les pratiques et

puis c’est assez long.

Et comment est-ce que vous parvenez ou non à évaluer l’impact du PLCD dans le 19ème ? Est-

ce que vous avez des outils d’évaluation ? Comment vous procédez ?

Ca c’est le plus difficile, d’abord ce serait pas à nous d’évaluer le plan, ce serait à des gens de

l’extérieur, ce serait à un cabinet extérieur d’évaluer l’impact du PLCD. ET trouver des

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indicateurs qui permettent d’évaluer, c’est vraiment pas facile, on a essayé de faire notamment

des niveaux d’engagement des structures par exemple, essayer de voir, de faire une cartographie

territoriale sur qui s’engage ? Quelles structures s’engagent ? Dans quoi ? Et donc de faire des

niveaux d’engagement, niveau 1 sensibilisation, niveau 2 formation des salariés, niveau 3

démarche intégrée, etc. etc. mais c’est pas très simple parce qu’on peut pas à la fois être juge et

partie. Ca c’est une première chose. Deuxième chose : je pense que à l’heure actuelle il

commence à y avoir des audits extérieurs qui essaient d’évaluer l’ensemble des plans d’action

donc peut être que par là on aura aussi des pistes d’évaluation pour notre propre plan. Troisième

piste : par exemple on peut avoir comme indicateur le nombre de saisine HALDE sur le territoire

ou le nombre de personnes qui seraient victimes de discriminations, la saisine HALDE ça peut être

un bon indicateur. Problème : c’est pas forcément, la saisine HALDE ne montre pas forcément

l’ampleur des discriminations parce qu’il y a beaucoup de discriminations qui ne vont pas

jusqu’à… qui sont tues. Ca c’est un premier point. Deuxièmement, il faut que les personnes aient

accès à l’information et donc aient accès à la connaissance de la HALDE, aux permanences

possibles s’il y a sur le territoire, or pour l’instant sur le territoire du 19ème les permanences

fonctionnent pas très très bien, donc on est dans une situation où on a une dynamique anti-

discrimination assez forte mais on n’a très peu de soutien aux victimes en tant que tel et ça c’est

vraiment peut-être une des lacunes du plan. Et puis même, imaginons qu’on regarde ces saisines

et qu’on s’apreçoive qu’il y a moins de saisines dans le 19ème que dans le 18ème arrdt ou le 10ème,

est-ce ça veut dire qu’il y a moins de personnes qui sont au courant donc y’a autant de personnes

discriminées mais moins qui font appel à la HALDE ? Est-ce que ça veut dire qu’il y a moins de

discriminations parce que justement on travaille sur cette question là depuis longtemps ? Ca c’est

un ros point d’interrogation. Effectivement sur les outils d’évaluation, et notamment parce qu’on

travaille sur la question de l’égalité de traitement, il est extrêmement difficile d’évaluer les…

parce qu’on n’a pas des indicateurs fiscales, on pourra pas dire voilà tant de personnes, tant de

retours à l’emploi parce qu’on travaille pas sur des actions positives justement.

Donc ce serait plus facile d’évaluer un dispositif « « égalité des chances » qu’un dispositif

« égalité de traitement » ?

Et c’est justement pour ça qu’aujourd’hui on travaille plus sur l’égalité des chances, au niveau

politique, dans les CL comme au niveau étatique, parce qu’il peut y avoir des effets d’affichage

et on peut le quantifier, c’est pas possible dans le cadre de l’égalité de traitement u alors c’est

quelque chose qui s’évalue sur le long terme, c'est-à-dire que là au bout de trois ans

effectivement on fait un séminaire on voit bien que les choses avancent et c’est du qualitatif,

c’est pas du quantitatif donc on peut avoir… si je peux vous dire en termes d’indicateurs

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d’évaluation, on a eu tant de personnes formées depuis trois ans, tant de personnes sensibilisées,

oui, ça je pourrais vous donner des chiffres sur les sensibilisations, les formations, le nombre de

signatures du référentiel, le nombre de personnes ou de structures qui intègrent tel outils, c’est

pas une évaluation en tant que telle, c’est des indicateurs de suivi mais pas es indicateurs

d’évaluation. Donc c’est toute la difficulté.

Ok. Alors selon vous en matière de lutte contre les discriminations, quel doit être le rôle de

l’État, des CL et des associations ?

Oula, sacrée question. Silence. Alors. Je pense… c’est compliqué, c’est très compliqué comme

question. Au niveau étatique, bon il y a déjà une question législative ça c’est sur. Je pense aussi

que au-delà de la question législative, il y a aussi la question d’avoir une politique globale sur ce

sujet là donc il faudrait effectivement qu’il y ait quand même, que soit quand même lancée une

approche globale de la question de la non discrimination en France aujourd’hui et ça c’est l’Etat

qui peut proposer ce genre d’orientation politique. Bon mais l’Etat on ale gouvernement mais on a

aussi toutes les agences qui peuvent, même la Haute autorité, ah non la haute autorité c’est pas

l’Etat mais je pense plus à l’Acsé donc effectivement l’Acsé est là et son rôle est important pour

impulser les PLCD, pour justement avoir une vision globale sur l’ensemble du territoire, pour avoir

une méthodologie d’ensemble aussi et cette agence a beaucoup aidé sur ça, sur la réflexion, sur

quels outils on peut mettre en place, comment on construit un plan d’action dans le temps, donc

partir d’un diagnostic, de formations, faire le lien aussi en proposant des offres de formation

localement, donc je pense que là y’a aussi un travail de l’Etat qui par ses financements, par son

accompagnement, permet de mettre en place une orientation globales des politiques, donc à mon

avis le rôle de l’Etat il est à ce niveau là, avec peut être en plus, la question de l’exemplarité,

donc de réfléchir à comment on modifie les concours dans la fonction publique, comment on

réfléchit à l’accès à l’éducation, à l’orientation à l’école, aux métiers genrés ou ethnicisés, et la

question de la mobilisation des grandes entreprises, de réflexion aussi à la fois législative et en

partenariat avec les grandes entreprises sur comment on peut lutter contre les discriminations au

niveau national, je pense notamment par exemple à la question des CV anonymes qui fait partie

de la loi de 2008 et qui pourtant n’a jamais eu de décret d’application donc qui n’est pas

appliquée certainement parce qu’il y a eu du lobbying par les grandes entreprises qui voulaient

pas forcément de cette loi là. Mais ça c’est aussi un courage politique de l’État de fixer des règles

qui peuvent être appliquées partout. Donc voilà pour l’Etat. Pour les CL moi je pense que

l’approche territoriale est très importante dans le sens où il est important de travailler

localement pour travailler sur cette dynamique des différents acteurs, le lien entre eux et pour

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avoir une démarche participative et de concertation aussi entre les différents acteurs, ce qui est

pas forcément évident au niveau étatique c’est un peu plus compliqué.

Oui c’est une question d’échelle ?

Voilà c’est une question d’échelle et puis après quand on voit ce qui se passe aujourd’hui, il y a

une vraie question de contre–pouvoir aussi c’est à dire qu’il y a les CL qui travaillent sur la

question de la discriminations qui se réunissent en réseau, le réseau de l’IR-DSU et qui donc

mutualisent ces outils, qui essaient de réfléchir en commun à ce qu’elles peuvent, à comment

elles peuvent influencer justement les politiques nationales en étant force de proposition

puisqu’elles montrent aussi les outils qui fonctionnent bien à leur niveau. Un autre point qui peut

être très intéressant pour les CL c’est toutes ces actions réajustement donc actions positives avec

une réflexion à la fois double et la plus difficile parce qu’on la retrouve tout le temps et on est

face à des injonctions paradoxales qui gênent beaucoup les structures avec lesquelles on travaille

c’est-à-dire les structures avec lesquelles on travaille on leur dit « il faut travailler l’égalité de

traitement » et pourtant dès qu’elles répondent à des appels à projets, dès qu’elles travaillent,

on va leur dire « il faut travailler avec tel public » donc il y aurait vraiment une réflexion aussi au

niveau de la CL pour dire « bon qu’est-ce qu’on peut faire, comment on peut ne pas être en

contradiction avec ces deux pans de la lutte contre les discriminations » qui sont pas inutiles tous

le deux mais qui demandent à avoir une réflexion commune sur où commence l’égalité des

chances, où elle s’arrête, voilà et comment, pour moi le principe ça reste quand même l’égalité

de traitement, c’est le principe de base, l’égalité des chances c’est pour rétablir un équilibre et

parvenir à l’égalité de traitement.

C’est pas une fin en soi.

Voilà c’est pas une fin en soi alors que l’égalité de traitement c’est quand même une fin en soi.

Donc ça c’est pour les CL et donc avec une vraie réflexion sur qu’est-ce qu’elles financent,

comment on arrive finalement à trouver une cohérence commune entre ces deux concepts et

troisièmement là où elle peut vraiment agir et là l’Etat peut le faire aussi c’est en mettant des

clauses, comme la clause d’insertion, dans les appels à projets, on met une clause anti-

discrimination donc en gros inciter les structures avec lesquelles elle travaille à devenir

exemplaires sur ce domaine là et ça ce serait un vrai progrès donc voilà.

Pour les associations, c’est très compliqué à mon avis parce que les associations peuvent

justement modifier leurs pratiques, réfléchir, faire du lobbying aussi parce que ça se voit

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HUGUENOT Elise Mémoire de Sociologie, spécialité Développement Social Urbain 132 / 138

beaucoup, elles peuvent aussi accompagner les victimes on voit SOS Racisme ou le MRAP qui font

beaucoup avancer la lutte contre les discriminations non pas du côté de la modification des

pratiques professionnelles mais du côté du bâton en allant faire condamner les entreprises et une

fois que les entreprises sont condamnées en général elles se bougent pour mettre en place des

outils qui vont moins discriminer. Donc les associations elles peuvent avoir ce rôle la, elles

peuvent aussi avoir un rôle comme c’est le cas ici mais nous on a une place un peu particulière

par rapport à d’autres plans de lutte puisque dans d’autres plans de lutte c’est plutôt porté par la

collectivité territoriale donc nous on est un prestataire de la collectivité territoriale pour mettre

en place le plan de lutte donc il peut y avoir ce genre de dispositifs mis en place, c’est pas

forcément,t je pense que ça a une certaine efficacité parce que je pense qu’il y a une plus

grande rapidité d’action dans une association que dans une collectivités territoriale mais après ça

a ses limites parce qu’on peut pas avoir les mêmes impacts sur certains acteurs on pourra pas les

toucher de la même façon qu’une collectivités territoriales.

Comme une entreprise par exemple ? Vous pensez à quels acteurs ?

Je pense à des entreprises oui effectivement. Je sais pas si une mairie d’arrondissement a

beaucoup de poids sur les acteurs économiques. Mais je pense à des rapports avec L’Education

nationale par exemple qui vont être beaucoup plus compliqués à mettre en place que quand c’est

un élu qui y va ou voilà. Je pense aussi à certaines structures qui dépendent fortement des

financements de la Mairie et qui vont pas vouloir peut-être ou traîner du pied pour travailler avec

nous mais qui le feraient pas si c’était la collectivités territoriales mais après c’est un peu

comme partout y’a des avantages et des inconvénients à être prestataire ou à utiliser un

prestataire pour travailler ce thème. Je pense qu’il y a plus d’avantages que d’inconvénients

aujourd’hui, c’est-à-dire qu’effectivement on voit bien qu’aujourd’hui l’avantage qu’on a nous

c’est qu’on travaille, notamment avec structures les intermédiaires de l’emploi, on travaille avec

nos pairs donc on a cette légitimité là d’être comme eux et de pouvoir travailler avec eux de

cette façon là et on n’a pas un regard… c’est pas nos financeurs. On les finance pas du coup ils

sont peut être un peu moins sur la défensive.

Et pour revenir à l’Acsé et au rôle de l’Etat, est-ce que vous pensez que l’évolution actuelle

de l’Acsé est symptomatique d’un désengagement de l’État sur la question de la lutte contre

les discriminations ?

Oui et on n’est plus aujourd’hui au niveau de l’Etat sur un engagement en termes d’égalité des

chances parce que c’est plus porteur en termes de com’. C’est vrai, c’est plus facile, il vaut

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mieux dire on nomme un préfet musulman plutôt que de se dire il faut refonder dans son

ensemble la pensée qu’on a pu avoir des recrutements dans la fonction publique jusqu’à présent,

en allant travailler de l’accès à la formation jusqu’à la fin de la carrière. C’est un gros travail qui

paie pas dans les deux ans et donc du coup…

Oui dans la durée d’un mandat…

Si dans la durée du mandat, je pense que des choses peuvent être mises en place, on peut… mais

là on travaille même plus sur une durée de mandat, on est plutôt sur un… c’est presque du temps

réel, donc effectivement en temps réel il vaut mieux se dire qu’on nomme Jeannette Bougrab à la

tête de la HALDE parce que effectivement ça parle. Après je pense, parenthèse, je pense que

cette femme elle a toute sa place là, elle est juriste, elles est spécialisée sur l’égalité

hommes/femmes, elle a toute sa place là. Après le problème c’est que c’est un effet d‘annonce

et on voit bien les discriminations positives, les gens qui le crient haut et fort qui disent regardez

nous on discrimine pas puisque dans nos quartiers difficiles, je pense à une association, on place

des gens de la même origine que ceux du quartier, bah ceux qui sont de la même origine et qui

travaillent dans l’association ils se disent bah pourquoi je suis là ? Parce que je suis noir ou parce

que j’ai des compétences donc cette question de la légitimité se pose tout le temps. Alors non

pour revenir à la question de l’Etat, oui c’est un désengagement de l’Etat à l’heure actuelle,

financier, idéologique, même si y’a eu de gros effets d’annonce, d’ailleurs on entend plus parler

de euh… le commissaire de la diversité…

Yazid Sabeg ?

Voilà. Disparu de la circulation. Pourtant on en a fait un ramdam quand il a été nommé. Nan je

pense qu’il y a un vrai désengagement et c’est pas bon signe et c’est d’autant plus important du

coup que les collectivités territoriales se réapproprient ce thème pour qu’elles soient force de

proposition.

Alors ma dernière question concerne ma problématique, la problématique de mon mémoire

c’est le rapport question sociale/question raciale, c’est de définir d’abord une approche un

peu socio-historique de la lutte contre les discriminations depuis la fin des années 1990et de

s’interroger sur la manière dont l’Etat appréhende la question de la lutte contre les

discriminations et de s’interroger sur est-ce que finalement l’Etat a pas chois de faire de la

question sociale, la question des inégalités socioéconomiques, une question raciale depuis les

revendications identitaires d e83. Est-ce que, on parlait d’effet d’annonce, de communication

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politique, est-ce que l’Etat n’a pas fait le choix, et on le voit encore plus maintenant, de

traiter la question sociale sous l’angle de l’origine ? Et c’est plutôt symptomatique

l’émergence des termes comme celui de la diversité comme un atout, de l’égalité des chances

qui cible les discriminés pas les discriminants. Voilà en fait c’est plus un échange sur qu’est-

ce que vous pensez de cette approche là ?

Moi y’avait un livre qui m’avait assez interrogée, alors vous avez du le lire c’est un petit ouvrage,

La diversité contre l’égalité, Mickaels je sais plus quoi. Et moi je pense que ce qu’il posait c’est

une vraie question c'est-à-dire est-ce que aujourd’hui quand on parle de discriminations on

n’évite pas finalement la question des inégalités sociales ? Et c’est la vérité enfin je veux dire

quand on parle de discriminations on élude complètement la question des inégalités sociales,

économiques etc. puisqu’il n’en est pas question dans la loi c’est-à-dire que…

Il peut y avoir des riches et des pauvres…

Exactement. Effectivement c’est une vraie question. Après je pense que c’est un domaine parmi

d’autres qui peut permettre de faire avancer la question de l’égalité dans le sens large du terme

donc y’a l’idée économique, sociale etc. Est-ce que, la vraie question c’est est-ce qu’on peut

parvenir à une égalité économique et sociale ? On n’est pas du tout dans cette orientation là

aujourd’hui. Puis là c’est aussi une question idéologique qu’il faut se poser. Est-ce que l’égalité

c’est aussi tout le monde qui gagne la même chose, ça c’est aussi une autre question donc bon ça

pose des questions…

Celle de la méritocratie notamment…

La méritocratie moi je suis assez sceptique sur ce terme étant donné que la méritocratie il

faudrait la couper de tout l’environnement culturel, social et économique. En tous cas en France

y’a pas de méritocratie qui tienne et encore moins aujourd’hui qu’avant peut-être qu’il y a vingt

ans on pouvait se dire que l’école pouvait donner l’espoir qu’on progresse socialement quand on

passait par l’université etc. aujourd’hui c’est plus vraiment le cas, en tous cas moins, mais

travailler la non discrimination c’est pas travailler toutes les inégalités et surtout pas les

inégalités sociales. Après y’a des questions qui se posent parce qu’on pourrait se dire y’a des

critères qui sont pas dans la loi mais qui pourraient être pertinents en termes de discriminations.

On pourrait dire que la catégorie sociale peut aboutir à des discriminations dans l’emploi, dans

l’accès à la formation. Pareil que toutes les chargées d’insertion professionnelle avec qui on a pu

parler disent bien que quand on est au RSA on en encore moins de chances de trouver un travail

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que quelqu’un qui est au chômage. Donc on pourrait dire qu’il y a une discrimination des

bénéficiaires du RMI dans l’accès à l’emploi. Ca fait pas partie de la loi donc ça fait partie des

discriminations. Idem pour l’adresse, l’adresse fait pas partie des critères de discrimination. Or

tout le monde s’accorde à dire que quand on habite dans un quartier « chaud » ou quartier

considéré comme « chaud » c’est un réel critère d’exclusion de l’emploi. Et si vous décidez de

vous installer à Marseille et que vous cherchez un boulot à Marseille, quand vous mettez votre

adresse parisienne vous avez une chance sur deux qu’on vous contacte pas parce que vous habitez

trop loin. Donc tout ça ça pourrait être des questions qui rentrent en ligne de compte et qui sont

pas là. Et le risque c’est que si on se focalise que sur les discriminations et qu’on travaille pas à

côté l’exclusion qui sont pas les mêmes choses, on oublie à un moment, on travaille pas sur

l’ensemble des inégalités sociales en travaillant sur la lutte contre les discriminations. Et si on se

focalise que là-dessus c’est évidemment abandonner cette idée qu’on peut parvenir à une plus

grande égalité sociale. En ce sens je suis assez d’accord avec ce libre « La diversité contre

l’égalité » qui peut effectivement poser des vraies questions sur es fondements de la société.

Après, je pense que quand on travailles les inégalités sociales, on va pas forcément intégrer des

questions liées à des critères qui sont au-delà des inégalités sociales et qui jouent sur l’accès à

l’emploi, je pense au sexe par exemple, le fait que quand même quelque soit son milieu social

une femme a moins de chances de trouver un emploi que… alors c’est sûr que une femme qui est

issues d’un milieu très privilégié, qui est la fille de quelqu’un qui est un chef d’entreprise, qui a

fait, comme son père a fait polytechnique ou sa mère est polytechnicienne, a fait polytechnique

aussi, c’est sûr que dans l’accès à l’emploi ce sera quand même plus simple pour elle que

d’autres, mais les discriminations elle peuvent aussi être là. Donc je pense qu’il faut aussi

regarder ces critères là mais pareil pour l’origine quand on parle de discriminations raciales on

parle de discriminations et raciales et sociales. Un fils de diplomate, une fille de diplomate,

normalement, en termes d’accès à l’emploi, ce sera plus simple que quelqu’un qui est fils ou fille

d’ouvrier.

Et alors du coup, on bascule complètement cette question d’appartenance aux classes

sociales en ayant déterminé 18 critères alors que la catégorie sociale est un peu transversale

dans ces 18 critères ? Et une question aussi, la question que je me posais aussi c’est que la

Marche des Beurs donc 83 et les personnes qui ont revendiqué en tant que victimes. Ils

étaient victimes clairement mais ils ses ont pas posés en victimes vis-à-vis de l’appartenance à

une classe sociale défavorisée qui ne leur permettait pas d’accéder à l’emploi etc. Il ont

plutôt préféré se poser en victime et dire c’est notre origine, c’est notre faciès qui…

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Je sais pas parce que ça c’est la réinterprétation qu’on en fait aujourd’hui. Parce que justement

la Marche contre le Racisme et pour l’Egalité, c’était aussi… y’avait pas que l’origine qui était

prise en compte. Y’avait un constat qui était fait en France et qu’on peut faire encore

aujourd’hui, c’est que effectivement la question de l’origine a des répercussions aujourd’hui sur

l’orientation scolaire, l’accès à l’emploi et c’est beaucoup plus difficile, y’a effectivement des

discriminations très fortes, quelque soit le niveau des diplômes etc. de personnes en raison de

leur origine. Mais je crois que ça allait bien au-delà de ça, ça parlait du racisme en général oui,

mais ça parlait aussi des questions d’égalité et y’avait toutes les origines apparemment, enfin je

suis pas une spécialiste, mais il me semble que au contraire et beaucoup de chercheurs le disent

aujourd’hui que c’est très réducteur de parler de la Marche des Beurs parce que c’était pas que

des Beurs, c’était des gens effectivement plutôt de quartiers défavorisés.

Et après y’a eu toute une récupération politique avec Martine Aubry qui en 1998 fait de la

lutte contre les discriminations une priorité mais elle parle de discriminations raciales

uniquement. La première évocation politique sur cette thématique ce sont les discriminations

raciales donc je trouvais ça un peu étonnant peut être qu’après le gouvernement a stigmatisé

ce genre de revendications identitaires et a tenté de…

Mais la première récupération elle est bien avant puisque c’est Mitterrand qui en 84 récupère

complètement en permettant justement le rassemblement au Champs de Mars ou au Trocadéro,

c’est la création de SOS Racisme qui a effectivement complètement récupéré ce mouvement là,

qui n’est pas issu de ce mouvement là et qui l’a complètement récupéré, c’est Julien Dray… Après

SOS Racisme est devenu ce qu’il est devenu, donc plutôt une association qui fait pas mal de

choses mais y’a une récupération aussi de cette idée qui était plutôt une idée des citoyens

lambda vers quelque chose qui était beaucoup plus politique et je pense que la récupération elle

vient bien avant Martine Aubry. Après le problème je pense aussi c’est qu’on a en France un

rapport extrêmement compliqué avec la question de l’intégration notamment, avec la question de

la colonisation, de la décolonisation etc. et c’est vrai qu’on se retrouve encore aujourd’hui avec

une réflexion là-dessus qui emmène le fait qu’on va davantage parler des discriminations raciales

ou qu’en tous cas la question des discriminations est beaucoup plus lié à la question de l’origine

mais c’est pas le cas mais ce qui est assez marrant quand on voit les saisines de la HALDE c’est

que le premier c’est l’origine, le deuxième c’est le handicap, après c’est l’âge ou le sexe, le sexe

vient en troisième ou quatrième position mais alors c’est 7 ou 8% des saisines c’est très peu et la

plupart c’est pas forcément des femmes qui saisissent la HALDE pour discriminations lié au sexe,

c’est plus des hommes… alors c’est un peu biaisé parce qu’il faudrait regarder le nombre de

femmes qui saisissent la HHALDE globalement parce que c’est aussi une question transversale et

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y’a souvent cumul de discriminations ce qu’on disait au début mais comme si finalement les

discriminations les femmes elles se sentaient pas concernées par cette question et je pense

effectivement que ça vient aussi de ce cheminement qui fait qu’on parle avant tout des

discriminations raciales et on parle pas d’autres types de discriminations c’est flagrant que t’as

l’autre imbécile là le sénateur qui a fait un scandale quand Malek Boutih justement voulait

présidé la HALDE c’est Lenglé, Longlet ? Bon bref, il avait dit qu’il préférait que ce soit quelqu’un

du corps traditionnel français qui soit à la tête de la HALDE. Sauf qu’il oubliait que la HALDE ne

traite pas que des discriminations raciales et que donc à ce moment là tu prend pas de femmes,

tu prends pas de gens de plus de 50 ans, tu prends pas de gens de moins de 25 ans, t’évites les

handicapés, en gros plus personne ne peut se présenter à la tête de la HALDE. Ca ça montre bien

les stéréotypes qu’on peut avoir sur les discriminations et sur justement ce glissement sémantique

une discrimination c’est forcément une discrimination raciale alors que non, c’est une inégalité

de traitement, c’est un traitement défavorable d’une personne par rapport à une autre en

situation comparable dans un domaine particulier. Et c’est vrai que on atendance à oublier…

Donc là c’est du c’est ce qu’on disait un peu tout à l’heure au rapport entre la France et ses

immigrés depuis les années 1960 et à une réappropriation par les politiques au niveau

étatique du champs de la lutte contre les discriminations qui s’est orienté vers l’origine dès le

début.

Oui je pense et je pense aussi que c’est peut être celle qui aujourd’hui est malheureusement

celle qui peut créer des désordres sociaux les plus importants et donc du coup dont il faut

s’occuper en premier voilà je pense que c’est aussi une question, c’est un peu cynique ce que je

dis mais on a peur des révoltes de banlieue, on a peur…

On achète la paix sociale alors ?

Ouais peut-être. Peut être quelque part. En tous cas ça dépend de comment on le regarde, si on

le regarde du point de vue de la discrimination positive, pour moi c’est un peu un achat de la paix

sociale, après si on le regarde plus globalement en se disant bah justement la discrimination c’est

pas que ce critère là c’est d’autres critères, c’est une façon de penser, une façon d’envisager les

autres bon bah ça peut…

Etre une façon de faire société, comme vous disiez tout à l’heure.

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Voilà et qui peut ne pas être en contradiction avec après une réflexion sur les inégalités sociales

etc. Au séminaire Elise Couzy du PIMMS disait nous le problème c’est que nos publics sont en deçà

de la discrimination puisqu’ils sont vraiment au niveau de l’exclusion et du non-droit, on a

beaucoup de travailleurs sans papiers etc. donc on n’est même pas au stade de parler des

discriminations, peut être que même ils seraient contents d’être discriminés parce que ça

voudrait dire qu’ils ont déjà des droits. Je trouve très très juste ce qu’elle dit dans le sens où la

discrimination c’est un moyen comme un autre de travailler la question de l’égalité et c’est pas la

seule et c’est pas parce qu’on résout le problème des discriminations qu’on résout tous les

problèmes d’égalité en France et que voilà il faut travailler sur la question de l’exclusion, sur la

question de la discrimination, sur la question des inégalités sociales et que il faut effectivement

voir ces différents thèmes pour réfléchir plus globalement à l’égalité mais l’un n’excluant pas

forcément l’autre et voilà. Les uns et les autres étant plutôt complémentaires. Il s’avère que nous

ici on travaille sur la discrimination donc on va plutôt défendre ce thème là mais c’est pas parce

qu’on travaille que sur ce thème et ne plus c’est même pas vrai parce qu’à l’APSV on travaille sur

le retour à l’emploi, sur aussi les question d’exclusion mais se dire , moi je me dis ça s’il y a plus

de personnes discriminées, l’égalité sera, non c’est faux puisque effectivement il y a des critères

notamment le critère social qui est pas du tout pris en compte par la question des discriminations

et qui est une vraie question en termes d’égalité.