Lubumbashi 2000 : La situation des ménages dans une économie de

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Université de Lubumbashi – Université de Liège – Université libre de Bruxelles Coopération universitaire au développement (CUD) Observatoire du changement urbain Lubumbashi 2000 : La situation des ménages dans une économie de précarité Rapport des recherches effectuées durant la première session des travaux de l’Observatoire, juin-octobre 2000 Edité par Pierre PETIT, chercheur qualifié au FNRS Janvier 2001

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Université de Lubumbashi – Université de Liège – Université libre de Bruxelles

Coopération universitaire au développement (CUD)

Observatoire du changement urbain

Lubumbashi 2000 :

La situation des ménages

dans une économie de précarité

Rapport des recherches effectuées durant la première session des travaux de l’Observatoire, juin-octobre 2000

Edité par Pierre PETIT, chercheur qualifié au FNRS

Janvier 2001

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L’Observatoire du changement urbain

L'Observatoire est une structure de recherche qui s'inscrit dans le cadre de la

coopération entre l'Université de Lubumbashi, l'Université de Liège et l'Université libre de

Bruxelles. C'est un projet initié dans le cadre de la CUD (Coopération universitaire au

développement), un organe du CIUF (Coordination inter universitaire francophone), qui l'a

retenu parmi les projets PIP (projets d'initiative propre) pour les années 2000-2003: il jouit à

ce titre d'un financement de l'Agence Générale de la Coopération au Développement (AGCD)

de Belgique. Il est placé sous la promotion, en ce qui concerne la partie congolaise, de

Kakoma Sakatolo Zambèze, recteur de l'UNILU, et, en ce qui concerne la partie belge, de

Pierre Petit, chercheur qualifié au FNRS, Marc Poncelet, chargé de cours à l'Université de

Liège, et Pierre de Maret, recteur de l'Université libre de Bruxelles. Le projet a concrètement

démarré en mars 2000, et Pierre Petit a dirigé les travaux de la première session.

A travers ses études empiriques, l’Observatoire se propose de contribuer à une

meilleure connaissance des transformations qui touchent les villes congolaises, et tout

particulièrement Lubumbashi où le projet est installé. Seconde grande ville du pays avec son

million d’habitants, véritable nœud de communication entre le Congo et l'Afrique australe – où

se situe le pôle de développement le plus important du continent africain au sud du Sahara –,

capitale non plus du cuivre mais bien du cobalt dont elle est le plus grand exportateur

mondial, centre politique depuis qu’elle est devenue la capitale parlementaire du Congo,

Lubumbashi compte déjà parmi les grandes métropoles africaines, et pourrait un jour, en

jouant sur ses nombreux atouts, se situer au même rang que les deux mégalopoles voisines:

Kinshasa et Johannesburg.

Pour Lubumbashi, l’an 2000 pourrait bien marquer un tournant. C’est en effet en cette

année que la ville est devenue capitale parlementaire et que l’usine du terril a été ouverte.

Ainsi disparaîtra le fameux terril, le plus grand « lieu de mémoire » de la ville – l'empreinte

visible de décennies d’activités minières intenses de l’Union minière et de la Gécamines. Ainsi

devraient aussi redémarrer les grandes activités industrielles grâce auxquelles la ville a

prospéré. C’est d’ailleurs avec cet espoir d’un développement radical de la ville que le maire,

Monsieur Kaseba, a lancé le fameux slogan « Lubumbashi - Bulaya 2000 », « Lubumbashi –

Europe 2000 », signifiant par cette formule que Lubumbashi est appelée à se moderniser et à

s'occidentaliser rapidement. Quoi que le futur réserve, les recherches entreprises durant cette

première session témoignent que dans l'état actuel de choses, l'économie urbaine se

singularise par une grande précarité, dans la mesure où les sources institutionnelles de

revenus sont rares et les activités professionnelles très instables: c'est au jour le jour que

beaucoup de Lushois construisent leur propre vie au sein de ce qu'ils appellent la "crise", d'où

le titre que nous avons adopté pour ce premier rapport des travaux de l'Observatoire.

Pierre PETIT et Jean-Baptiste KAKOMA SAKATOLO ZAMBEZE

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Equipe de recherche de la première session des travaux

Directeur de la recherche :

Pierre PETIT, chercheur qualifié au FNRS

Chercheurs seniors :

Donatien BUKOME ETONGWE, professeur à l’UNILU Donatien DIBWE dia MWEMBU, professeur à l’UNILU Gabriel KALABA MUTABUSHA, professeur à l’UNILU

Chercheurs juniors :

Grevisse DITEND YAV, assistant à l’UNILU Pascal ELENGESA NDUNGUNA, professeur à l’UNILU Jean-Marie KALAU MUTEJ, assistant à l’UNILU

Jacques KASONGO KISOMPOLOKE, attaché de recherches à l’INS Adolphe LUFUMA KAPENDA, assistant à l’UNILU Thierry MULEKA KASONGO, assistant à l’UNILU

Georges MULUMBWA MUTAMBWA, assistant à l’UNILU

Enquêteurs de base :

Jacqueline KABEDI wa NSUMPI, diplômée ISES Olivier KAHOLA TABU, diplômé UNILU

Aimé KAKUDJI KYUNGU, assistant à l’UNILU Jean-Pierre KALEMBWE LONGWA, diplômé UNILU Jerry KALONJI wa MPOYO, diplômé UNILU

Marie-Goretti KITWANGA MA-GOGO, diplômée UNILU Richard LUBEMBO MULAMWA, assistant à l’UNILU Aloïs MUSAMBA KISHIBA, diplômé UNILU

Dominique MUSONDA MILUNDU, diplômé UNILU MUTETE SAPATO, diplômée UNILU

Jean-Pierre MWEZ MUTOMB, diplômé UNILU Pascal TSHIBAMB TSHIKWEJ, diplômé UNILU

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Table des matières

L’Observatoire du changement urbain 1 Equipe de recherche de la première session des travaux 2 Table des matières 3 Remerciements 7 Prologue : Les destins croisés de Baka et de Kayombo 8 1. Baka (G.Mulumbwa) 8 2. Kayombo (P.Tshibamb) 11 Introduction : Marques de départ et horizons de la recherche (P.Petit) 15 Chapitre 1 : Méthodologie de l'enquête 20 1.1. Le recrutement de l'équipe et le calendrier des enquêtes (P.Petit) 20 1.2. Construction de l'échantillon (P.Petit) 22 1.3. L'évolution des rapports enquêteurs/enquêtés (D.Musonda) 24 1.4. La typification socio-économique de notre échantillon (P.Petit) 26 Chapitre 2: Biographies citadines (D.Dibwe, en collaboration avec A.Kakudji,

J.Kabedi et A.Musamba) 29 2.1. Introduction 29 2.2. Trajectoires migratoires 30 2.2.1. Les raisons de la présence de la population à Lubumbashi. 30 2.2.2. La mobilité spatiale dans la ville. 31 2.3. Trajectoires socio-professionnelles 35 2.3.1. Lubumbashi coloniale (1946-1960) 35

2.3.2. Lubumbashi post coloniale (1960-2000) 36 2.3.2.1. Lubumbashi pendant la première République (1960-1965) 37 2.3.2.2. Lubumbashi sous la seconde République (1965-1997) 37 2.3.2.2.1. Le mirage économique (1965-1973) 38 2.3.2.2.2. La crise multidimensionnelle (1973-1997) 39 2.3.2.3. Lubumbashi sous le régime Kabila (1997-2000) 45 2.3.2.3.1. L'AFDL et la renaissance de Lubumbashi (1997-1998) 46 2.3.2.3.2. La guerre d'agression (2 août 1998 à nos jours) 47 2.4. Conclusion 49 Chapitre 3: La démographie urbaine 51 3.1. Evaluation de la population (P.Petit) 51

3.1.1. En 1970, 1973 et 1984 51 3.1.2. Chiffres émanant de l’administration 52 3.1.3 La population de Lubumbashi en 2000: tentative d'estimation 53

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3.1.4. La répartition de la population par communes et quartiers 54 3.2. Volume de la population échantillonnée et nombre de personnes par ménage

(P.Petit et J.Kasongo) 57 3.3. La composition des ménages (P.Petit) 59 3.4. Structure par âge et par sexe (J.Kasongo) 62 3.5. Etats civils (J.Kasongo) 64 3.6. Le chef de ménage: sexe, âge et état civil (P.Petit) 65 3.7. Le niveau d'instruction 66

3.7.1. Niveau d'instruction de l'ensemble de l'échantillon (J.Kasongo) 66 3.7.2. Le diplôme des chefs de ménage (P.Petit) 68

3.8. Les affiliations religieuses (P.Petit et J.Kasongo) 69 Chapitre 4: L'habitat 72 4.1. Distribution des ménages suivant le type de quartier (P.Petit) 72 4.2. Le nombre de ménages par parcelle (P.Petit) 74 4.3. Le statut d'occupation du logement (P.Petit) 75 4.4. Morphologie de la maison (P.Petit) 76

4.4.1. Les murs 76 4.4.2. Le sol 77 4.4.3. Le toit 78 4.4.4. La clôture 79 4.4.5. Le coût d'une maison à Lubumbashi 79

4.5. Les énergies (P.Tshibamb) 81 4.5.1. Le raccordement à l'électricité 81 4.5.2. Le mode d’éclairage 83 4.5.3. Le mode de cuisson alimentaire 84 4.6. L'approvisionnement en eau (P.Tshibamb et T.Muleka) 85

4.6.1. L'abonnement à la REGIDESO 85 4.6.2. Localisation de la source d'approvisionnement 87 4.6.3. La source d’approvisionnement d’eau 88

4.7. Les latrines (P.Petit et T.Muleka) 90 4.8. Les biens mobiliers (D.Dibwe) 91 4.8.1 La chambre à coucher. 92 4.8.2. Les espaces du salon et de la salle à manger 92 4.8.3. La cuisine, espace public féminin 95 4.8.4. Le garage 95 Chapitre 5: La mobilité urbaine 98 5.1. Introduction (I.Bukome) 98 5.2. Le protocole d'enquête (A.Kakudji) 99 5.3. Les ménages et leurs espaces fonctionnels 99

5.3.1. Les espaces professionnels (P.Tshibamb et P.Petit) 100 5.3.2. Les espaces commerciaux (J-M.Kalau et P.Petit) 103 5.3.3. Les espaces de la santé 106

5.3.3.1. Les espaces sanitaires (J-M.Kalau) 106 5.3.3.2. les espaces pharmaceutiques (P.Petit et T.Muleka) 108

5.3.4. Les espaces d'enseignement ( J.-M. Kalau et P.Tshibamb) 109 5.3.5. Les espaces religieux (P.Tshibamb et J.-M. Kalau) 110 5.3.6. Les espaces ludiques (P.Elengesa) 111

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5.3.7. Les espaces d’évasion (P.Elengesa) 113 5.3.8. Les espaces familiaux (I.Bukome) 113

5.4. Les motifs de fréquentation des espaces fonctionnels (I.Bukome) 113 5.5. Les modes de transport et les rythmes de fréquentation (A.Lufuma) 115 5.5.1. Les modes de transport 115 5.5.2. Les rythmes de fréquentation 118 5.6. Conclusion (I.Bukome, en collaboration avec P.Elengesa, A.Lufuma,

O.Kahola et Mutete Sapato) 119 Chapitre 6: Les budgets ménagers (G.Kalaba, J-M.Kalau, G.Ditend,

R.Lubembo, M-G.Kitwanga, J-P.Mwez) 122 6.1. Introduction 122 6.2. Questions méthodologiques 127 6.3. Les dépenses ordinaires 129

6.3.1. L'alimentation 130 6.3.2. Le logement 131 6.3.3. L’instruction 132 6.3.4. La santé 132 6.3.5. Les loisirs 133 6.3.6. L'activité religieuse 133 6.3.7. Les communications 134 6.3.8. Etude des dépenses ordinaires selon l’indice de richesse 135

6.4. Les dépenses extraordinaires. 136 6.4.1. Investissement/ équipement 136 6.4.2. L'habillement 137

6.4.3. Obligations sociales 137 6.5. Conclusions relatives aux dépenses 139 6.6. Les revenus ordinaires 140

6.6.1. Les revenus salariaux et apparentés 141 6.6.2. Les revenus extra-salariaux 140

6.7. Les revenus extraordinaires 143 6.8. Conclusion 144 Chapitre 7: Les activités professionnelles 146 7.1. Les professions des chefs de ménage de l'échantillon (P.Petit) 146 7.2. Le revenu salarial à Lubumbashi (G.Ditend) 149

7.2.1. Introduction 149 7.2.2. L’emploi salarié et son évolution à Lubumbashi 150

7.2.3. Le niveau du revenu salarial des travailleurs à Lubumbashi 151 7.2.3.1. Les données salariales utilisées dans l’enquête 151 7.2.3.2. Les revenus salariaux mensuels bruts 152 7.2.3.3. Quelques constatations 153

7.2.4. Structure de la politique salariale 153 7.2.4.1. De la fixation des salaires 153

7.2.4.2. Du contenu de la politique salariale 154 7.2.5. Revenu salarial et pouvoir d’achat à Lubumbashi 155

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7.3. Répertoire des professions de l’informel (G.Mulumbwa, J.-M.Kalau, T.Muleka,

J.P.Kalembwe et J.Kalonji) 156 7.3.1. Introduction 156 7.3.2. Les petits métiers d’artisans et réparateurs 156 7.3.3. Le commerce 160 7.3.3.1. Commerce ambulant 160 7.3.3.2. Commerce sédentaire 161 7.3.4. Les opérateurs religieux et sanitaires 162 7.3.5. La prostitution 163 7.3.6. Les transporteurs et leurs auxiliaires 163 7.3.7. Les activités de bail 164 Chapitre 8: L'économie morale: approche lexicale (G.Mulumbwa et

J.Kalonji) 166 8.1. Introduction 166 8.2. Indices pécuniaires 167 8.3. Faillite et prospérité 169 8.4. La débrouille 172 8.5. La fraude 174 Conclusion (D.Dibwe) 177 Carte administrative de Lubumbashi en 1990 (Bruneau et Pain 1990) 179 Annexes 180 Annexe 1 : Fiche descriptive des ménages 180 Annexe 2 : Fiche démographique 181 Annexe 3 : Protocole « budgets ménagers » 182 Annexe 4 : Fiche « mobilité spatiale » 186 Annexe 5 : Liste des ménages de l’échantillon 187 Annexe 6 : Note linguistique 189 Bibliographie 191

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REMERCIEMENTS

Pour cette première campagne de recherche , l’Observatoire du changement urbain a bénéficié d’une multitude d’aides venant d’horizons très différents, et sans lesquels nous ne serions certainement pas parvenus à bon port.

Nous tenons tout d’abord à remercier Monsieur le Maire Floribert Kaseba Makunko, qui a eu l’amabilité de nous recevoir à plusieurs reprises pour discuter de nos projets et qui a facilité toutes les démarches administratives liées au bon travail de nos enquêteurs. Il nous a notamment rendu possible l’accès à certaines données démographiques rassemblées par ses services. Nous remercions ici aussi les nombreux chefs de quartiers qui ont reçu les enquêteurs dans l’exercice de leur travail.

Nos remerciements s’adressent aussi à toute une série d’institutions universitaires. Du côté belge, il s’agit de la CUD, de l’ULg et de l’ULB qui ont chacune contribué à la bonne administration et à la bonne logistique du projet. Du côté congolais, de très nombreux services et départements de l’UNILU ont apporté leur pierre, grande ou petite, à notre édifice. Nous pensons ici au secrétariat du recteur, au service du protocole, ainsi qu’aux départements de géographie, d’histoire, de sciences sociales, de linguistique et de philosophie. Sans reprendre les collègues qui sont déjà cités parmi l’équipe de la présente recherche, nous tenons à remercier les professeurs Kilumba, Kizobo, Lwamba, Ngandu Mutombo, Rémy Ngandu, Ipanga, Solotshi qui sont intervenus dans un séminaire de formation organisé par les deux premiers cités. Le professeur Kazadi Kashikula nous a apporté son aide pour certaines questions de traitement informatique des données. Les membres de la Cellule-contacts furent d’un secours permanent dans nos recherches ; qu’à travers le chef de travaux Kyungu Shimbi – qui s’est révélé une aide précieuse pour la gestion – et Steve Chitekulu – dont les conseils informatiques furent à proprement parler quotidiens –, toute l’équipe de la cellule trouve l’expression de nos remerciements.

D’autres institutions nous ont offert leur aide, parmi lesquelles la SNEL, la REGIDESO et une dizaine d’entreprises (dont nous garderons l’anonymat) qui nous ont fourni de nombreuses données, notamment statistiques. Nous remercions aussi le Père Léon Verbeek pour son aide à différents niveaux et Violaine Sizaire qui a régulièrement épaulé l'Observatoire en assurant à de très nombreuses reprises le bon suivi des activités et la saisie des textes.

Outre son équipe scientifique, l’Observatoire a largement bénéficié de l’aide constante des deux membres de son équipe technique – Pascal Monga, secrétaire, et Yves Kipepo, tout à la fois logisticien et chauffeur – dont les rôles dans toute l’histoire de ce projet ne pourraient être sous-estimés.

Enfin, le projet n’aurait pu aboutir sans le concours des 628 personnes qui, par la force du hasard, ont constitué notre échantillon de référence, ainsi que de la centaine d’autres qui firent l’objet de nos préenquêtes. Alors que la situation du pays nous faisait redouter un accueil mitigé, ils ont fait très généralement preuve d’une grande compréhension et d’une non moins grande patience vis-à-vis de nos enquêteurs, qui investiguaient pourtant parfois sur des aspects intimes de leur existence. C’est à chacun et à chacune d’entre eux que nous dédions cet ouvrage, dont nous espérons qu’il contribuera à améliorer le sort de toute la population lushoise.

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PROLOGUE : LES DESTINS CROISES DE BAKA ET DE KAYOMBO1

1. Baka Baka, alias "OMS", est vendeur ambulant de produits pharmaceutiques à l’aéroport international de Lubumbashi. Il est détenteur d’une licence en sciences politiques et administratives de l’Université de cette même ville, obtenue il y a plus de 15 ans déjà. Sa famille étendue, restée au village, a longtemps fondé sur lui des espoirs que l’épreuve de la réalité s’acharne à faire voler en éclats : du politologue au petit commerçant ambulant, il n’y a pas de commune mesure. Comment s’est opérée cette mutation aussi inattendue que profonde ?

Marié, père de deux enfants et tuteur d’un neveu, Baka est originaire de Kananga. Il s’installa à Lubumbashi dans la première moitié des années 1970 pour entreprendre des études supérieures qu’il ne put achever que dix ans plus tard, les ayant interrompues après son graduat : en fait, pour terminer son cycle de licence, il se trouvait dans un besoin pressant de fonds, ce qui le conduisit à se faire enseignant dans un institut de la place. Au terme de ses études, il se vit confier le poste de préfet dans l’établissement où il avait presté deux ans auparavant. Il en démissionna vite, attiré par les promesses d’un salaire autrement plus alléchant dans un établissement secondaire protestant de Kabalo, où il devait exercer les fonctions de préfet. Il partit donc. L’avenir lui apparaissait serein. Hélas, au terme d’un mois, c’était la fin du rêve : il était déjà au chômage. Le coordinateur d’alors, nous confie-t-il, avait fait pression sur l’évêque auprès de qui il avait recommandé un candidat nettement sous-qualifié, un simple diplômé du niveau secondaire, pour le poste de préfet en question. Soucieux de préserver ses bonnes relations avec cette instance, le prélat finit par faire nommer ce candidat au mépris des dispositions légales. Et Baka, réduit au rang de simple enseignant sous la houlette d’un préfet peu instruit, n’avait pas longtemps supporté une pareille humiliation. Il démissionna et préféra regagner Lubumbashi pour y refaire sa vie.

Sa réinsertion à Lubumbashi ne fut pas aisée : le marché de l’emploi s’était dans l’entre-temps sérieusement dégradé. Plusieurs entreprises avaient dû fermer et les critères d’embauche avaient été renforcés. Il décida d’améliorer son profil et prit son inscription dans un institut supérieur d’informatique. Acculé par les impératifs financiers, il se vit contraint d’abandonner cette piste dont il conservait dorénavant quelques rudiments. Le destin joua en sa faveur : il réussit, contre toute attente, à se faire embaucher comme informaticien dans une savonnerie. Pendant ce temps, il fit la rencontre d’un de ses amis, directeur d’une formation sanitaire à Manono, qui l’y nomma administrateur. Le faste dans lequel il vivait alors lui fit oublier les affres du passé. Baka commença à se familiariser, peu à peu, avec les produits pharmaceutiques que commandait l’institution. Il envisageait l’avenir avec beaucoup d’optimisme, mais c’était compter sans les impondérables de la vie : au moment où il s’y attendait le moins, les tiraillements entre Katangais et Kasaïens éclatèrent et, rapidement, prirent une tournure qui l’inquiéta. C’est dans ce climat qu’il se résigna à quitter Manono pour rentrer à Lubumbashi, où le sort parut ne lui épargner aucune peine : comme il n’arrivait plus à nourrir sa famille, il chercha de l’emploi avec la dernière énergie, mais en vain. Il avait beau étaler sa bonne foi, sa compétence, son profil, personne n’y mordait. Une réponse lui était inlassablement répétée: " il n’y pas d’emploi !". Il renonça finalement à son amour propre, se mit à déclarer à quiconque semblait lui prêter un peu d’attention combien il était résolu à faire n’importe quoi en dépit de son diplôme d’université; rien n’y faisait. Enfin arriva le jour inoubliable où il apprit l’offre d’une banque de la place pour un poste d’huissier. Il s’y 1 Pseudonymes.

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précipita, cacha son diplôme qui risquait de lui porter préjudice et se présenta comme un analphabète. Le test fut fort simple: une interview sommaire, vérifier s’il pouvait s’exprimer tant soit peu en kiswahili, ciluba, lingala et français. Ce qu’il fit avec bonheur, ainsi fut-il retenu en qualité d’huissier. La joie d’avoir pu trouver du travail mêlée au sentiment d’avoir été réduit à si peu de choses lui donnait constamment l’impression d’être dépassé par les évènements.

Le gérant de la banque fut, par la suite, frappé par son excellente maîtrise en français et lui demanda d’avouer son véritable niveau d’études. Quand ce dernier reconnut être licencié, il fut affecté au service du personnel en qualité d’informaticien. La carrière ainsi commencée sous un jour radieux se présenta riche de promesses. Hélas, le bonheur ne fut que de courte durée: Baka se retrouva à nouveau au chômage. Le système bancaire ayant fait faillite au zaïre, ladite banque se vit contrainte de réduire ses effectifs et le nom de Baka figura sur la liste des limogés. Les déceptions répétées ainsi connues dans le secteur formel lui inspirèrent une nouvelle idée: pourquoi ne pas s’investir dans l’informel en mettant à profit ses petites connaissances en pharmacologie ? C’est ainsi qu’en 1994, il se résolut de faire carrière de pharmacien ambulant dans les installations de l’aéroport de Lubumbashi. Le petit commerce ambulant

Durant les trois premières années, la carrière s’avéra fort rentable. Les réalisations furent palpables. Le repas à la maison cessa d’être une préoccupation: fini le "gong unique" de triste mémoire; il mangeait dorénavant trois fois par jour et bannit de sa table les "bitoyo" (poissons salés), les "misumari" (sorte de fretins), les "vumilia" (littéralement: "supporte !"; petits poissons frais qui semblent avoir plus d’arêtes que de chair), les "matembele" (feuilles de patate douce) sans huile. Ses repas étaient constitués pour l’essentiel d’œufs, de poissons "thomson" fort prisés à Lubumbashi, de thé au lait accompagné de petits pains, etc. Baka entreprit de grands projets: il acheta une bicyclette, trois parcelles et fit bien d’autres acquisitions dont le coût total s’évaluerait aujourd’hui à plus ou moins 1650 USD. Il se proposa de lancer son épouse dans le petit commerce de détail avec "un capital " initial de 150 USD. Cette dernière déclina la proposition, exprimant plutôt sa préférence pour la vente des légumes avec un capital maximum de 10 USD : elle s’estimait trop peu instruite pour gérer de "gros montants". Le mari n’apprécia pas cette idée, qu’il jugea peu rentable. Il demanda à sa femme de s’occuper d’un champ d’arachides sur un terrain d’à peu près 30/40 mètres. Le mari n’intervint que pour le sarclage. A la récolte, la réussite fut presque totale: il estima à 80% le gain qu’il en tirait. L’abondance ne nuit pas: il investit son argent dans la marchandise et se retrouva en avril 1997 avec trois malles pleines de médicaments. Son chiffre d’affaires, à en juger par ses réalisations, fut supérieur à celui de ses collègues pharmaciens ambulants de la cité. Comment s’y prenait-il pour rentabiliser sa marchandise? Baka eut tôt l’intelligence de comprendre qu’il avait intérêt à s’installer dans un endroit éloigné de la ville où il aurait toutes les chances de détenir le monopole en produits pharmaceutiques. Il finit par repérer un coin isolé: l’aéroport, situé à bonne distance du centre-ville et entouré par quelques villages (dont celui de Luano) qu’habitent les agents de quelques compagnies aériennes. Baka eut aussi la perspicacité de vite cerner le véritable problème des résidents de ce milieu: ils ont fréquemment besoin de remèdes auxquels ils ne peuvent accéder que moyennant un déplacement vers le centre-ville. Or, le transport est un problème épineux pour cette zone périphérique. Aussi se décida-t-il de leur amener des médicaments qu’il leur revendait deux à trois fois plus cher qu’en ville. Toutefois, il ne fut pas seul à avoir découvert ce marché: deux collègues lui emboîtèrent le pas. Ils sont aujourd’hui trois à faire la ronde de l’aéroport à l’affût des clients. Il estime qu’ils ont de bons rapports entre eux. Toutefois, ils sont autonomes et chacun fait face seul à ses difficultés. Après quelques instants, comme pour nuancer ses affirmations, il déclare que la sorcellerie est très répandue dans son milieu, qu’il

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faut être grand chrétien pour y résister, que dans ses rencontres avec ses deux collègues, le mensonge prime sur la vérité: après avoir arrêté de commun accord les prix, ils vendent parfois leurs produits au rabais pour s’attirer la clientèle.

Son niveau d’études lui donna un avantage certain sur les deux autres pharmaciens et sa maîtrise en français lui permit d’entrer en contact avec les hauts cadres d’une entreprise qui avait implanté ses services à la Luano : ils découvrirent en lui un partenaire à ne pas négliger. De son côté, il vit en eux un marché d’autant plus intéressant qu’il était sûr et permanent : il finit par conclure verbalement des accords avec ladite société qui était devenue désormais son abonnée. La vente se faisait à crédit, mais pour réduire les effets de la dévaluation galopante, il fixait une marge bénéficiaire élevée de façon à pouvoir rester dans ses frais même après plusieurs dévaluations successives. De leur coté, ses abonnés misaient constamment sur la dévaluation probable pour régler à peu de frais la dette. Baka pour sa part, comme dans un jeu de loterie, comptait sur une éventuelle stagnation et même sur une réévaluation pour maximiser son profit. Dans tous les cas, il n’était pas perdant, et ce d’autant plus que certains mois, la monnaie avait gardé un cours stable. En outre, lorsqu’un agent se présentait avec une prescription médicale pour sa famille ou ses concubines, Baka exagérait un peu les prix, revendant à 50 USD un produit qui en valait 20 en ville.

Ses affaires progressèrent à la grande satisfaction de son ménage. Mais le revers de la médaille ne se fit pas attendre. A l’instar des autres secteurs de l’économie, la société qui lui était abonnée commença à connaître des retards dans le paiement des salaires, et les agents n’étaient, par conséquent, plus en mesure d’honorer leurs factures. Baka craignit une faillite prochaine s’il n’y prenait garde: il resta attentif à tout ce qui se passait autour de lui, prêt à saisir toute opportunité qui s’offrirait ; il fut tenté par la fabrication de briques. Au moment où il s’engagea dans ce projet, ses finances étaient déjà suffisamment entamées. Par deux fois, il fit brûler son four à briques ; par deux fois, la cuisson échoua. La première année, sur 5000 briques, il ne réussit à en récupérer que 1000. L’année suivante, sur 8000 briques, seules 3500 furent vendables. L’échec tenait à l’insuffisance de bois de chauffage qu’il n’était pas en mesure de se procurer, faute d’argent. Pour la troisième fois, il repensa sa stratégie: il parla de son projet à un briquetier chevronné dont il réussit à s’attirer les bonnes grâces, et qui lui céda deux charges de bois à un prix symbolique (le vingtième du prix du marché). C’est ainsi qu’il réussit à cuire 4700 briques sur les 5000 du four. Il les commercialisa et le gain fut de l’ordre de 30 %.

Dans l’entre-temps, un de ses créanciers ne lui ménageait aucun répit : il lui avait prêté l’équivalent du tiers d’une charge de bois et réclama qu’on lui remît en contre-partie 800 briques. Pour apaiser ses colères, Baka lui proposa 600 briques dont il ne put finalement donner que 500, le reste constituant un cas de litige à régulariser.

De l’aéroport, il n’y a plus aujourd’hui grand chose à espérer: sa clientèle est devenue insolvable, elle-même soumise à l’épreuve du non-paiement des salaires. Dans l’entreprise qui lui est redevable, les gens sont rémunérés par petits groupes de 10 à 15 personnes selon les disponibilités du moment, de sorte que la paie peut s’étaler sur tout un mois. En outre, les travailleurs dont le salaire devient dérisoire face aux besoins de l’heure préfèrent se réfugier derrière la formule désormais consacrée : "on n’est pas encore payé".

Le chiffre d’affaires de Baka a baissé, de ses aveux, "de plus de 1000%". De ses trois malles de médicaments, il ne demeure qu’une poignée de remèdes que suffit à engloutir son petit sac à main. Il fonctionne presque à vide. Sa femme a l’air jeune mais un visage morne que n’illumine quasiment aucun sourire, elle doit être en proie à quelque dépression. Le mari s’en explique : ils vivent grâce aux services de la brave dame. Tout le poids du budget familial pèse sur son petit commerce de légumes. Son bénéfice n’est pas énorme, chaque fois qu’elle revient du marché, elle prend soin d’y acheter la ration quotidienne qui gravite autour de 50 FC: un "kambeketi" (mesurette de farine), deux bottes de feuilles de manioc, un "kankopo" d’huile (mesurette d’huile), un autre de sel, un tas de charbon de bois ; le surplus d’argent étant

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consacré au renouvellement du "capital" et éventuellement au paiement du minerval des enfants. Leur fils aîné est en 6e année secondaire et la participation aux examens d’Etat est conditionnée par l’acquittement des différents frais exigés. Parfois, n’arrive plus à Baka de comprendre comment son fils est quand même arrivé jusque-là. Il se souvient avoir passé plus d’une fois nuit à jeun pour subvenir aux besoins de scolarité de cet enfant qui présente un espoir pour ce couple

Pendant qu’il parle à l’enquêteur Mulumbwa, un client frappe à la porte, entre et achète

un comprimé pour 1 FC. Baka dit alors à cet enquêteur : "Pour toute la journée, figurez-vous, je n’ai totalisé pour toute recette que 4,5 FC

2.

Comment puis-je vivre avec ça ? Depuis un certain temps, je ne me rends plus que

sporadiquement à l’aéroport puisque je n’ai plus assez de produits. Au fait, mon frère,

puis-je obtenir auprès de vous quelques 200 FC remboursables ? J’ai échafaudé un

autre petit projet ponctuel qu’il me faut à tout prix réaliser". Ses perspectives d’avenir

Bien qu’il n’aime plus l’enseignement, il n’exclut pas de le réintégrer dès la rentrée scolaire prochaine si, dans l’entre-temps, la situation ne s’améliore pas; toutefois, pense-t-il, s’il parvient à réunir 4000 à 5000 FC, il les consacrera à renflouer son stock de médicaments et à les emmener, cette fois-ci, non plus à l’aéroport mais de village en village, où il a déjà acquis la réputation de secouriste de la Croix Rouge. Parallèlement à cela, il envisage de faire cultiver un champ à 18 kilomètres de Lubumbashi, où jadis il avait acheté une concession qu’il n’a jamais mise en valeur. Ces travaux d’agriculture seront initiés grâce à un capital qu’il constituerait en s’associant au chef du village. Comme il n’a plus d’argent, il compte ouvrir une école primaire de fortune, où les villageois enverraient leurs enfants. Grâce aux frais qu’ils avanceraient, il organiserait la paie de son personnel, le surplus constituant son fond de démarrage.

En ce qui concerne l’érection des bâtiments, il tient à en minimiser le coût et projette d’échafauder un baraquement en paille où seraient réunis les élèves. En attendant, il tient à se rendre sur place et, pour ne pas effectuer un déplacement improductif, il sollicite 200 FC afin de se procurer des médicaments contre les chiques et les punaises, médicaments fort recherchés dans cette contré. Lorsqu’il faisait son récit, il avait l’air abattu. Le lendemain, lorsqu’on le revoit, il affiche une euphorie inhabituelle. A-t-il pu réunir le montant tant convoité ? Son épouse a-t-elle réalisé un bon chiffre d’affaires ? Lorsqu’on l’approche, il dégage une odeur de "lutuku", le whisky local. Il en a pris un verre de trop, histoire de dissiper ses soucis.

2. Kayombo

La vocation de commerçant chez Kayombo remonte à sa prime jeunesse. En effet, dès la fin de ses études primaires, il s’initia au petit commerce: il vendait de petits articles scolaires (stylos à bille, feuilles A4...) dans l'enceinte de son école. Le capital initial de ce commerce provenait de l'argent de poche que lui remettait son tuteur.

Issu d'une famille de paysans modestes, Kayombo est né à Kasaji en 1955 mais c’est à Lubumbashi qu’il a passé toute son enfance, chez son oncle paternel, alors une grande figure

2 En juillet 2000, lors de la rencontre de Baka, 1 USD vallait 60 FC sur le marché parallèle. Lors des dernières recherches de cette session de travaux, en septembre 2000, il en vallait 80.

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dans le monde des hommes d’affaires lushois. Très tôt, vers quatorze-quinze ans, il apprit le métier de tailleur pour autofinancer ses études, bien qu'apparemment celles-ci aient été à charge de son tuteur. Il exerça ce métier de tailleur jusqu’à ses études supérieures. Tandis qu’il était encore en humanités, il rendit une fille enceinte, ce qui lui vaut de garder de ces frasques de jeunesse un premier enfant, aujourd’hui âgé de vingt et un ans. Kayombo n’a pas épousé cette fille qu’il avait rendue mère: dès la fin de ses humanités, il se fiança plutôt à Kapinga, son actuelle première femme.

Au sortir du secondaire, Kayombo entreprit un graduat en sciences sociales à l’ISES, diplôme qu’il obtint en 1981. Outre la poursuite des petites activités commerciales qu'il exerçait déjà durant ses études secondaires, il se mit, durant cette période, à faire le trafic des ballots d'habits usagés, du Zaïre vers la Zambie, d'où il ramenait certains produits alimentaires fort recherchés à l'époque. Toutefois, il connut une période de rupture pendant laquelle il dut travailler comme gérant d'une ferme appartenant à un politicien du régime déchu, dans une ville du Sud-Katanga.

Au terme de ses études, il commença à exporter des ballots d'habits de seconde main vers Mungulunga, un poste de la chefferie Mutanda, dans le territoire de Dilolo. Là, il pratiquait le troc, échangeant ces habits contre de l'or qu'il revendait à Lubumbashi. Il commença à s’adonner au trafic de l’or vers 1985. S'étant rendu compte que le troc n’était pas aussi rentable que l'exploitation directe, il devint lui-même "creuseur" d’or, d'abord dans un village dans le Lualaba, puis dans une localité de la chefferie Kazembe à Kasaji. Après avoir réuni un capital important en numéraire et en grammes d'or, il recruta, dans une localité proche, un groupe de "creuseurs" qu'il fournissait en nourriture et en habits et dont il achetait tous les produits aurifères. Il revendait cet or à Lubumbashi, aux Libanais et autres expatriés, puis il achetait du poisson salé et des habits qu'il ramenait aux "creuseurs". Quand la production d'or était élevée, il achetait des radiocassettes et des vélos pour les creuseurs qui travaillaient dans les puits que lui avaient concédés les chefs coutumiers. C'est à cette activité qu'il exerça durant plusieurs années que Kayombo attribue la prospérité de son commerce en général. Toutefois, après cette vague d'enthousiasme pour le trafic d'or, il s'investit quelque temps dans les travaux des champs: il faisait cultiver du maïs, de la canne à sucre, des ananas. Il avait à cet effet acheté une ferme qui est à ce jour désaffectée: notre homme fit en effet piètre figure dans le fermage. Il ouvrit ensuite un premier magasin, plus ou moins bien achalandé, dans le village qui lui servait de point de chute dans le sud de la province. En marge de cette activité, apparemment principale, il poursuivait le trafic d'or. Par la suite, il ouvrit deux autres commerces : l’un à Mutshatsha, l’autre à Kasaji. Il s'investit aussi en même temps dans la campagne d’achat du maïs, grâce à une camionnette Land Cruiser qu'il avait achetée à cet effet. A cette époque, il possédait déjà par ailleurs une voiture Golf dont il se servait pour ses transports personnels.

La réforme monétaire opérée en 1993 par le gouvernement Birindwa sous le régime de Mobutu engendra une telle instabilité économique que ses activités commerciales, fort concentrées à Kasaji, chutèrent sensiblement. Il résolut alors d’investir dans un camion et se lança dans le transport de personnes et de biens entre Lubumbashi et Kasamayi, une localité située à la frontière angolaise. Il entreprit cette activité au moment où l’or était devenu rare dans cette contrée. L’exploitation de ce camion généra de gros bénéfices qui lui permirent de relancer le commerce, cette fois entre Mbuji-Mayi et Kasamayi. Il achetait à Mbuji-Mayi des biens de consommation (savons, poissons thomsons…) et les revendait à Kasamayi, où le trafic de l’or reprenait de l’essor. Kayombo vivait déjà avec Mwadi, sa deuxième épouse, depuis ses débuts dans le trafic de l’or. Cette dernière avait déjà, avant de faire la rencontre de Kayombo, trois enfants issus de trois unions différentes. Kayombo nous a affirmé qu’il avait néanmoins tenu à épouser cette femme, au titre de “deuxième bureau ”, en raison de sa force exceptionnelle, de son courage, de sa capacité à endurer toutes les souffrances inhérentes au trafic dans le formel comme dans l’informel. C’est avec elle qu’il voyageait vers Mbuji-Mayi et même lors de ses expéditions périlleuses en Angola. Kayombo a en effet connu des

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aventures on ne peut plus troublantes en Angola, où, en pleine guerre, il se rendait chercher des diamants qu’il venait ensuite écouler à Lubumbashi. Bien que la guerre d’Angola l’eût destiné à l’opulence, il n’en demeure pas moins vrai qu’il doit à Mwadi, cette authentique aventurière, la réussite et la vie sauve, puisqu’elle a risqué sa vie pour lui lors d’innombrables fouilles. Il s’en explique:

“ Je dois la prospérité de mes activités au courage de cette femme. Ce serait une

ingratitude et même une malédiction de ma part si je ne l’avais pas installée comme deuxième

épouse. Elle me soutenait moralement, et même matériellement quand elle dissimulait le

diamant dans ses sous-vêtements pour sortir d’Angola. J’étais avec elle au milieu des blessés

de guerre gémissant et des cadavres abandonnés sans sépulture, jonchant le sol. Nous nous

retrouvions parmi des morts inconnus et méconnaissables. C’était horrible. Elle risquait sa vie

pour mon bonheur et celui de ma maisonnée restée à Lubumbashi. Nous, les hommes, étions

astreints à un contrôle tellement systématique que seules les femmes ayant plusieurs cachettes

pouvaient traverser la frontière, sans heurt, avec le diamant. Pourtant, vu le danger qui la

guettait ce faisant, il s’en fallait de peu pour qu’elle ne puisse en jouir. ”

Kayombo et sa deuxième femme, alors concubine, se rendaient en effet dans l’Angola ravagé par la guerre, à leurs risques et périls, pour y vendre des produits de première nécessité. Ils faisaient ce trafic sous la protection de militaires de l’UNITA acquis à leur cause. Ceux-ci pouvaient, à tout instant, les abandonner, eu égard à la situation de guerre. Des cigarettes, des boîtes de conserve et tant d’autres vivres constituaient l’essentiel des biens qu’ils vendaient à leurs clients, militaires et victimes de la guerre, à un prix frisant la rançon. A leur sortie, ils ramenaient soit de l’argent en dollars US, soit des diamants. Monsieur Kayombo s’était lancé dans cette activité après que son camion soit devenu non rentable suite aux pannes, à l’état désastreux des routes, et à la baisse des activités à Kasamayi.

Au bout de plusieurs voyages en Angola, Kayombo, redoutant l’insécurité de ce pays, dit avoir pris la résolution de réintégrer le commerce normal. Mais il est bien possible que ce soit plutôt la cessation des hostilités en Angola en 1997, lors de la déstabilisation de Savimbi, qui l’ait amené à mettre un terme à ses activités commerciales qui ne prospéraient que grâce à la guerre: comme on le sait, le malheur des uns fait le bonheur des autres. Ainsi, en dernière analyse, Monsieur Kayombo trouva en la guerre d’Angola une aubaine pour s’enrichir par la vente de produits de première nécessité à un prix hors du commun et par le trafic illicite des diamants.

Résolu à réintégrer le commerce normal, il vendit son camion dont la contre-valeur, augmentée des fabuleuses sommes d’argent rapportées d’Angola, lui permit d’ouvrir alors un nouveau magasin à Dilolo. Cependant, il n’a jamais renoncé au trafic de l’or: lorsque ses fournisseurs lui en amenaient, il l’achetait et venait le revendre à Lubumbashi.

Son capital était devenu important : il jugea bon d’ouvrir un autre magasin à Lubumbashi, d’autant plus qu’il avait déjà un numéro au registre commercial (NRC) et une identification nationale (ID.NAT.). Ce point de vente étant devenu le centre de ses activités, il fit venir sa deuxième épouse qui, jusque-là, gérait le magasin de Dilolo. Elle est actuellement installée à Lubumbashi, dans la commune de ce nom. Outre les magasins de Lubumbashi, de Dilolo et de Mutshatsha, Kayombo a une bijouterie dans une ville du Sud-Katanga, qui n’est en réalité qu’un point d’achat de l’or que ses fournisseurs lui amènent d’un village situé à quelques dizaines de kilomètres de là. Cet or transite par Lubumbashi et est vendu à Dar es Salam et à Dubaï (Emirats Arabes Unis) d’où il ramène des articles de luxe (habillement et divers) pour ses magasins de Lubumbashi, de Dilolo et de Mutshatsha. Les magasins de Dilolo et de Mutshatsha ne lui expédient pas l’argent en numéraire mais bien l’or qu’ils achètent après la vente des articles du magasin. Il a tout un réseau des gens qui vont dans différents coins de la province acheter de l’or pour son compte. C’est ainsi qu’il ne consent aucun effort pour trouver

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les devises nécessaires à ses importations car, outre l’or, il voyage soit avec des diamants, soit avec n’importe quelle autre substance à haute valeur. Parfois, il voyage avec deux ou trois kilos d’or. Kayombo ne se contente pas d’une seule activité: il se livre de manière opportuniste à tout ce qui génère des revenus : trafics illicites, change illégal de devises, vente de véhicules, etc. Les établissements de Kayombo ne sont pas une petite entité commerciale : ses activités ont des ramifications dans presque toute la partie sud-ouest du Katanga, où s’étend le réseau de ses activités formelles et informelles. Lors des ruptures de carburant, grâce à ses relations avec une haute autorité, il achète des fûts de carburant qui sont revendus au détail derrière son magasin par de proches parents qu’il loge chez lui. Kayombo bénéficie aussi des revenus locatifs que lui procurent ses propriétés immobilières parsemées dans toutes les communes de la ville.

Il emploie neuf personnes dans ses magasins, dont trois à Dilolo, une à Likasi, une à Mutshatsha et quatre à Lubumbashi. En dehors de celles-ci, il a deux domestiques. De tous ses travailleurs, un seul serait affilié à l’Institut national de sécurité sociale (INSS). Sa journée type, il la commence d’abord au magasin derrière lequel il a un bureau: là, il traite les problèmes administratifs et autres avant d’entreprendre d’autres courses. Il est abonné à Télécel, possède une voiture et une camionnette. Curieusement, tout homme d’affaire qu’il soit, il n’a pas de compte en banque: il voyage une à deux fois tous les deux mois avec ses matières précieuses, parce que, dit-il, il n’a aucune confiance dans les services bancaires du pays. Il s’acquitte normalement de toutes les redevances dues à l’Etat, notamment l’impôt, les taxes de la commune et du service de l’hygiène. Parmi les difficultés qu’il rencontre dans sa profession, il relève la pléthore de taxes et les nombreuses visites des agents de l’Etat qui cherchent à rançonner les opérateurs économiques. Le dédouanement de ses marchandises se fait très facilement, vu qu’il connaît beaucoup de mécanismes permettant de minimiser les frais douaniers. Quand il connaît des difficultés de liquidités pour faire dédouaner ses marchandises, il recourt à ses confrères de même profession. Il dit d’ailleurs qu’un réseau regroupant tous les commerçants faisant la ligne Lubumbashi-Dubaï est actuellement en gestation : tous ces hommes d’affaires logent dans les mêmes hôtels – voire dans les mêmes chambres – à Dubaï.

Depuis son mariage avec Kapinga en 1981, Kayombo a son principal établissement à Lubumbashi, où cette dernière et ses enfants ont toujours vécu. Mais il a aussi des enfants parsemés sur toutes les routes qu’il a parcourues dans le Sud-Katanga à l’affût de la fortune. Il dit avoir plus ou moins 12 enfants de mères différentes, dont il ignore le plus souvent le sort. Agé de 45 ans, Kayombo est polygame et père de 24 enfants : les 12 enfants illégitimes dont il vient d’être question, et un nombre égal né de ses deux épouses et vivant sous ses deux toits. Dans son premier foyer installé dans la commune Kampemba, on trouve dix autres résidents apparentés soit à son épouse, soit à lui-même. On retrouve la même situation dans son deuxième ménage où, hormis ses enfants, il héberge un certain nombre de gens. Les deux foyers réunis, épouses comprises, totalisent 35 membres. Ses enfants étudient dans des écoles privées, à l’exception d’un seul qui étudie dans une école conventionnée catholique. Le plus âgé, qui du reste, est né hors mariage, présente pour la deuxième fois ses examens d’Etat.

Chrétien catholique, Kayombo n’est membre d’aucune mutualité. Quant aux

perspectives d’avenir, il compte acheter beaucoup d’immeubles dans la commune Lubumbashi afin de jouir de rentes pendant ses vieux jours.

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INTRODUCTION :

MARQUES DE DEPART ET HORIZONS DE LA RECHERCHE

Les deux destins de vie donnés en prologue illustrent les heurs et malheurs de la

population congolaise en prise avec une situation où l'initiative individuelle est devenue condition de la survie économique. Kayombo et Baka sont, pour le meilleur et pour le pire, les témoins de ces adaptations auxquelles les Congolais recourent pour faire face à ce qu'on appelle ici la "crise", crise qui n'a plus rien de ponctuel ni même de passager, mais qui constitue l'arrière-fond sur lequel la société évolue depuis trois décennies bientôt. L'un – Baka – compte parmi les grands perdants de la nouvelle donne socio-économique. Licencié en sciences politiques, visiblement doué pour les langues, doté de connaissances de base en informatique et en pharmacie, il bénéficie d'une série d'atouts qui auraient certainement contribué à faire de lui, il y a une quinzaine d'années par exemple, un homme respectable voire même nanti : un cadre ou un haut fonctionnaire, sans doute. Mais ces qualités ne suffisent plus dans le Congo contemporain: comme le dit le dicton, "Falanse ki mfalanga to", "le français, ce n'est pas de l'argent". Outre la chance, qui décidément semble le bouder, il manque à cet homme un bon réseau de connaissances et des appuis sûrs (cf. sa mise à l'écart des emplois qu'il occupait), le sens de l'opportunisme et la capacité à changer rapidement son fusil d'épaule quand les choses tournent mal. Toutes qualités que Kayombo possède parfaitement: cet homme est un véritable paradigme de la débrouillardise libérée de toute entrave morale, de la capacité à faire face à un revers en inventant de nouvelles stratégies, de la diplomatie pour se forger des accointances avec les autorités publiques (les douanes en l'occurrence), de la diversification des sources de revenu, etc. Kayombo sait en outre se montrer citoyen respectable, payant ses taxes et dirigeant des magasins patentés, tant et si bien que l'individu ne fait pas mauvaise figure parmi les commerçants de la place. Comme ces deux hommes, les Lushois doivent faire face à un contexte économique extrêmement défavorable, même si des audacieux tels que Kayombo parviennent à tirer opportunément leur épingle du jeu. La vie du citadin congolais, où la débrouille joue effectivement un rôle majeur, est souvent qualifiée de "miracle congolais". Cette expression que les médias ont reprise au point d'en faire un lieu commun, est, il est vrai, l'idée même que les Congolais se font de leur survie quand ils disent: "Tunaishi tu kwa neema ya Mungu"; "Nous ne vivons que par la grâce de Dieu". Mais si l'idée du "miracle" nous éclaire sur les représentations populaires de la vie actuelle, elle ne doit pas nous inspirer outre mesure, car elle recèle une série de "pièges à pensée" qui risquent de confondre l'observateur de la société congolaise: le miracle n'a guère de pouvoir explicatif en sciences sociales, ni en économie... et moins encore pour se procurer, dans la réalité quotidienne, son repas du soir – le seul que connaissent encore la majorité des Lushois. L'expression donne en outre à penser qu'il y a presque de quoi se rassurer puisque tout le monde aurait finalement développé ses tactiques pour assurer son bien-être: or, les Baka semblent plus nombreux que les Kayombo. Par ailleurs, le terme de "miracle" peut aussi dénoter une approche misérabiliste, puisque la survie du Congolais tiendrait du contingent, de l'indicible et du mystique. Enfin, l'expression fait aussi perdre de vue que tout ne s'est pas "informalisé", et que les Congolais sont précisément passés

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maîtres dans l’art d’allier activités formelles et informelles – comme le fait habilement Kayombo. Si le miracle a gagné droit de cité dans le langage populaire, c'est parce qu'il traduit bien le sentiment face à l'avenir immédiat: les activités formelles ne permettent plus au Lushois moyen d'assurer sa survie quotidienne; son salaire – honteusement faible – se fait attendre; les clients boudent son échoppe ; la rentrée scolaire des enfants a englouti tout son capital; le dollar vient de connaître une nouvelle hausse vertigineuse; il vient lui-même de se fracturer la jambe et ne peut plus travailler pendant trois semaines... Dans un régime économique où la protection sociale est inexistante, le Congolais confronté à une contrariété de ce genre voit son avenir hypothéqué, et la survie dans les jours qui viennent semble dès lors compromise s'il n'y a pas "miracle". Ce raisonnement n'est juste que si l'on fait abstraction de l'économie informelle, qui permet justement de parer à de tels impondérables. Des dizaines de mécanismes existent pour assurer la survie du lendemain : "contrats", "coops", demande d'aide à la famille, aux "frères en Christ" ou à la mutuelle ethnique, vente du patrimoine familial, micro-commerce, activités champêtres, etc. Le "miracle" cache donc en réalité des processus très concrets qu'il conviendra d'analyser comme des faits sociaux parmi d'autres faits sociaux: plus souterrains, plus difficiles à observer que d'autres, il n'en demeure pas moins des "choses" comme l'aurait dit Durkheim, des mécanismes objectivables dans le champ des sciences humaines. L'Observatoire du changement urbain se propose en définitive d'étudier concrètement les réalités qui sous-tendent la vie des Lushois et des autres citadins de la RDC. Aussi nous a-t-il semblé opportun de commencer nos recherches par une sorte de "radioscopie" générale des ménages de Lubumbashi, qui ont dû, bon gré mal gré, s'adapter à l'air du temps, en prenant appui sur des activités informelles sans pour autant délaisser leurs assises institutionnelles ni leurs emplois de salariés. Nous avons donc cherché dans la présente étude à ne mettre systématiquement l'accent ni sur le formel ni sur l'informel; nous avons évité de nous focaliser sur les aspects les plus sombres de l'économie criminelle; nous ne nous sommes pas non plus limités aux ménages les plus pauvres de la ville. Comme on le verra, l'ensemble des couches de la population a fait l'objet d'une attention égale. Il nous semble d'ailleurs qu'après une attention soutenue du monde de la recherche pour les populations les plus pauvres – telle est en général la seule légitimité que les bailleurs de fonds reconnaissent aux recherches en sciences humaines en Afrique noire –, une étude des élites congolaises serait très intéressante si l'on veut dresser un tableau complet de la situation du pays. La sociologie ou l’anthropologie urbaine ne doit pas se confondre avec une paupérologie tiers-mondiste, comme c’est hélas souvent le cas de nos jours.

Les recherches que l’Observatoire se propose de mener sont nettement empiriques : il s'agit de produire et d'analyser des données à caractère stratégique, c'est-à-dire pouvant servir à l'opérationnalisation de politiques de développement. Il est en effet regrettable que le Congo, un pays potentiellement très riche comme on se plaît à le souligner, dispose en fait d'une connaissance scientifique très lacunaire de ses villes et de ses citadins. Or l'expansion démographique soutenue de ces villes et le rôle absolument central qu'elles jouent dans l'économie, l'enseignement et les communications valent aux grandes agglomérations d'être le principal lieu d'implantation des projets de développement initiés par les institutions locales, nationales et internationales. Mais l'absence de renseignements de qualité (sur la démographie, l'alimentation, l'économie, l'hygiène, la santé, etc.) est très préjudiciable à des tels projets, qui souvent en outre s'ignorent mutuellement. L'Observatoire se propose d'être une banque de données accessible à tous, un lieu central où des institutions intéressées à divers titres par le développement du pays trouveront à se rencontrer. Le présent rapport en est la première réalisation concrète. La philosophie qui a guidé l'élaboration du projet est qu'une bonne connaissance des villes de l'Afrique contemporaine doit intégrer démarches qualitatives et quantitatives. Les

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chiffres sans les significations qu'ils recouvrent sont des abstractions hors contexte: on a parfois vu dans ce pays de véritables cas de "quantophrénie" (folie des chiffres) lorsque, emballés par la logique des statistiques, des chercheurs en sont venus à démontrer par un appareillage mathématique savant des réalités qui tombaient sous le sens – quand elles n’en étaient pas complètement dénuées. Depuis une vingtaine d'années au contraire, le mouvement s'est inversé et les recherches qualitatives – faisant usage de biographies, d'interviews, d'analyses de discours, d’exégèse symbolique, etc. – ont pratiquement détrôné les approches statistiques. Ici aussi, les excès ne sont pas rares, et l'« informateur privilégié » est souvent devenu une source d'information que le chercheur utilise de façon trop exclusive : un cas unique, parfois très marginal, peut ainsi parfois être présenté abusivement comme le modèle de son milieu ou de son temps. Pour notre part, il nous semble que le croisement des deux approches est hautement profitable. Elles se succèdent régulièrement dans les pages qui suivent: les tableaux statistiques font l'objet de commentaires approfondis, les 84 biographies donnent lieu à des quantifications, les chiffres des revenus salariaux sont épaulés par une analyse du lexique de la débrouille, etc. Pour parvenir à conjuguer les deux approches, nous avons opté pour un travail avec un échantillon réduit (84 ménages, 628 individus), construit selon la méthode des quotas, et un nombre d'enquêteurs relativement important (17)3, tant et si bien que ces derniers n'ont eu à travailler qu'avec 3 ou 6 ménages selon les cas. Un luxe inutile, pourraient dire certains, habitués à des enquêtes dont l'effectif de répondants se calcule par centaines, voire par milliers quand la recherche a lieu dans une ville comme Lubumbashi. Nous sommes persuadés du contraire: en travaillant de façon intensive – et non extensive – nous sommes parvenus à cerner, pour chaque ménage, un nombre très important de données sur des domaines variés; nous avons pu vérifier des informations qui devaient se recouper lors de sessions d'enquête différentes; nous avons pu établir un climat de confiance propice à l'obtention de données sur des sujets sensibles; nous avons enfin pu, alors que la rédaction du rapport final était déjà bien avancée, récolter de nouvelles précisions là où les enquêtes comportaient des lacunes. D'autre part, dans une ville où la population est relativement homogène – tout au moins par comparaison aux villes occidentales –, les exigences de l'échantillonnage sont moindres en ce qui a trait aux effectifs. Même si nous nous gardons de tirer abusivement des conclusions précises quant au pourcentage de Lushois qui ont ceci, qui font cela, qui pensent ainsi, etc., il nous semble que les chiffres que nous livrons ici sont des ordres de grandeur plausibles pour l'ensemble de la ville. En outre, en l'absence de toute recherche de ce type depuis quinze ans (depuis l'enquête de l'INS en 1985 et celles réalisées pour l'Atlas de la ville de Lubumbashi (Bruneau et Pain 1990), datant des mêmes années), il nous a semblé opportun de livrer un large panorama de données obtenues à partir d'un échantillon réduit plutôt que de rassembler un petit nombre de tableaux statistiques à partir d'un grand échantillon: il y a urgence à offrir une image récente et synthétique de la ville présente. Nous espérons que le lecteur nous donnera raison et évaluera nos ambitions à l’aune de cette urgence. Le premier chapitre présente concrètement la méthode et les techniques que nous avons suivies durant cette recherche, ainsi que l'évolution des rapports entre les enquêteurs et leurs informateurs. Nous y expliquons aussi comment nous avons déterminé un indice de niveau de vie qui sera utilisé pour l'analyse de la plupart des statistiques. Un des objectifs de

3 En l'occurrence, tous les chercheurs juniors et tous les enquêteurs de base, à l'exception de J.Kasongo et P.Tshibamb. La rédaction des protocoles d’enquête et des textes scientifiques était bien entendu placée sous la direction des chercheurs seniors et juniors, mais comme on le voit dans la table des matières, les enquêteurs de base ont aussi apporté leur contribution directe dans la rédaction. L’édition des textes a été réalisée par P. Petit, qui fut secondé dans cette tâche par D. Dibwe.

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l'Observatoire est d'ailleurs de mettre au point une méthodologie adaptée aux recherches en milieu urbain africain, d'où la présentation assez détaillée de notre démarche.

Afin de bien replacer notre étude dans son contexte historique, le chapitre second présente la destinée des ménages lushois au cours du temps. Nous avons en effet récolté les biographies des 84 ménages de notre échantillon, en axant cette récolte sur leur parcours socio-économique. Dès lors, nous avons la possibilité de situer les grands points de repère historiques nécessaires à la compréhension du présent, mais en envisageant ces points de repère selon l’importance qu’y attachent les 84 ménages et en montrant, au-delà des dates et des changements politiques, les répercussions que tous ces grands processus ont eu sur la vie des ménages. Le troisième chapitre est consacré à la démographie. Nous y rassemblons toutes les données dont nous disposons pour tenter une nouvelle évaluation de la population lushoise, qui doit selon nos calculs avoisiner le million d’habitants en 2000. Ensuite, nous nous intéressons à notre propre échantillon dont nous analysons la pyramide des âges, la taille et la composition des ménages, les états civils, ainsi que les caractéristiques relatives au niveau scolaire et à la religion. Après le temps et les hommes, l’espace : le quatrième chapitre traite de l'habitat. Nous y passons notamment en revue la typologie des quartiers de Lubumbashi, les caractéristiques morphologiques des demeures, les statuts d’occupation de leurs habitants, les diverses formes d’accès à l’eau et à l’énergie, ainsi que le patrimoine mobilier qu’on y trouve. Le cinquième chapitre, qui prolonge la thématique spatiale envisagée dans le précédent, envisage la ville sous l’angle de la mobilité de ses habitants. Nous essayons d’y repérer les grands flux qui y prennent place selon des rythmes quotidiens, hebdomadaires, mensuels ou annuels. On voit ainsi se dégager des zones de concentration des activités de divers types : lieux de commerce, de loisirs, espaces professionnels, etc., que l’on a décrits et dont on a cherché à quantifier la fréquentation par leurs usagers. Il apparaît ainsi que le centre-ville – qui n’occupe pourtant qu’une superficie de l’ordre du kilomètre carré – reste sans conteste le pôle d’attraction majeure de toutes les activités, ce que le réseau des transports en public contribue à renforcer par ailleurs. Le sixième chapitre est consacré à l’économie des ménages. Nous passons tout d'abord en revue les études qui ont été consacrées à ce sujet dans les décennies 1970 et 1980, afin de saisir toutes les transformations qui ont eu lieu depuis cette époque. Nous entamons alors l'étude des budgets tels que nous avons pu les recueillir en septembre 2000, en étudiant tout d'abord les différents postes du budget mensuel des dépenses. L’analyse des revenus vient ensuite, où l’on envisage les multiples sources dont disposent les ménages pour assurer leur subsistance.

Les occupations professionnelles font l’objet du septième chapitre. Nous commençons par présenter la situation professionnelle des chefs de ménage de notre échantillon, qui sont très peu nombreux à se déclarer salariés, comparativement à la situation d'autrefois. Nous explorons ensuite la situation de ces salariés à travers une recherche ciblée sur les grandes entreprises de la place. Si le salariat est devenu bien faible par rapport au volume qui était le sien autrefois, l'économie informelle a par contre fortement progressé, à tel point qu'elle accapare à présent l'essentiel du temps de travail des Lushois : aussi terminons-nous ce chapitre en explorant tout l’éventail des activités lucratives – petits métiers, petits commerces, etc. – auxquelles s’adonnent les Lushois. Enfin, il nous a semblé qu’une approche sémantique du vocabulaire utilisé par les citadins pour parler de leurs propres réalités économiques complète utilement ce volume : nous clôturons donc notre recherche par un lexique de ce que l'on peut appeler – selon un concept de l'anthropologie anglo-saxonne – "l'économie morale" de la ville. Par la présentation d'expressions familières ou argotiques, nous faisons non seulement apparaître toute une série de processus économiques courants dans la ville, mais encore l'éthique qui entoure la survie

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économique du Lushois, pour qui la débrouille, l’opportunisme et la ruse sont les grandes qualités de l’homme qui, selon l’expression locale, "kuona clair", « voit clair ». Nous espérons qu’au terme de ce parcours, le lecteur aura acquis de Lubumbashi une vision d’ensemble; que les sociologues, anthropologues, géographes, historiens, économistes et autres collègues versés dans les études urbaines y trouveront une source d’inspiration pour leurs recherches en cours ; enfin, que les personnes et institutions intéressées par le développement de Lubumbashi – hommes politiques, ONG, acteurs économiques, organismes internationaux, etc. – y découvriront les données nécessaires à une meilleure opérationnalisation de leurs projets. Ce rapport ne devrait être que le premier d’une longue série puisqu’un nouveau trimestre de recherche, consacré à l’alimentation dans la ville, est déjà en cours depuis novembre 2000, et qu’un troisième, portant sur les itinéraires thérapeutiques, est prévu pour les premiers mois de l’année 2001. Puisse cette étude – malgré les aléas d’une guerre qui hypothèque gravement l’avenir de toute l’Afrique centrale – contribuer, même modestement, à la construction d’un avenir meilleur pour les Lushois et pour l’ensemble des Congolais.

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CHAPITRE 1 : METHODOLOGIE DE L’ENQUETE

Afin que le lecteur ait une meilleure intelligence des opérations concrètes que nous avons réalisées au cours de ces enquêtes, il nous semble nécessaire de pratiquer une certaine "transparence" et de présenter en détail la façon dont les enquêteurs ont été recrutés et formés, le calendrier que nous avons suivi, la construction de notre échantillon, les limites des inférences statistiques que nous pratiquons, la manière dont les enquêtes de terrain ont été menées, et, enfin, la typologie des niveaux de vie que nous avons mise au point.

1.1. Le recrutement de l'équipe et le calendrier des enquêtes Les enquêteurs de base ont été sélectionnés à travers une succession d'épreuves portant sur l'analyse de leurs CV, leur maîtrise du français écrit, leur sens de la synthèse, enfin sur base de deux semaines d'enquête intensive de terrain suivies de la rédaction d'un rapport: sur une centaine de candidats – tous diplômés universitaires ou de l'enseignement supérieur –, nous en avons retenu une douzaine, dont plusieurs se trouvaient avoir déjà été impliqués dans d'autres recherches de terrain, et ce parfois depuis une dizaine d'années (avec Léon Verbeek, Bogumil Jewsiewicki, Donatien Dibwe, etc.). Tous les chercheurs seniors et juniors – les membres du corps académique et du corps scientifique de l'UNILU qui devaient encadrer la recherche – ont été recrutés sur base de leurs compétences dans les domaines que nous nous proposions d'étudier. Afin de remettre à jour les connaissances de tous en matière de méthodologie dans ce genre d'enquête, l'observatoire a organisé, grâce à la collaboration des professeurs Kizobo et Kilumba, un séminaire portant sur les méthodes de recherche ainsi que sur la géographie et l'histoire de la ville. Les enquêtes proprement dites furent précédées par des pré-enquêtes (juillet 2000). Pendant qu'une petite équipe récoltait les sources démographiques nécessaires à la construction de l'échantillon, les autres enquêteurs sondaient le terrain citadin lushois sur les thèmes de l'économie des ménages. Un groupe s'est attelé à la réalisation de biographies professionnelles auprès de personnes pratiquant divers métiers: "khadafis" (trafiquants de carburant), personnel de l'administration, enseignants, fabricants d'alcool lutuku, vendeurs de produits pharmaceutiques, commerçants, etc. De la sorte sont apparus une multitude d'itinéraires de vie révélant la complexité de la situation présente, où il n'existe plus de voie balisée vers la réalisation professionnelle et où chacun doit inventer son mode de subsistance: c'est de deux de ces préenquêtes que les textes servant de prologue à ce travail sont issus. Un troisième groupe procéda à l'inventaire et à la description des petits métiers au sein de la ville.

Dans une seconde phase des préenquêtes, on a demandé aux chercheurs de base de procéder à l'évaluation d'un budget ménager. Comme dans la phase précédente, les enquêteurs eurent la liberté de choisir leurs informateurs, mais il leur fut recommandé de ne pas les choisir au plus proche. Ces différentes actions furent utiles à plus d'un égard. Elles permirent tout d'abord aux enquêteurs de s'échauffer sur le "terrain" de l'économie de la débrouille. Elles aboutirent à un large inventaire des petits métiers ainsi qu'à la création d'une sorte de corpus qui allait nourrir les recherches suivantes relatives au vocabulaire associé à ces activités et aux biographies de Lushois.

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Les enquêtes proprement dites ont été organisées en modules de deux/trois semaines. Une réunion plénière réunissait l'ensemble de l'équipe tous les quinze jours pour discuter des résultats de la quinzaine passée et du protocole d'enquête pour l'action en cours ou pour l'action suivante. En dehors de cela, il y avait chaque semaine une réunion "sectorielle", où les chercheurs, tous statuts confondus, se divisaient en trois groupes pour discuter de leurs difficultés logistiques et méthodologiques, et pour chercher des solutions appropriées. Chaque semaine aussi, les chercheurs juniors et seniors se réunissaient pour faire le point, définir les protocoles et décider de l'orientation des recherches futures. Bref, ces réunions de trois types différents permirent un suivi assez constant des actions en cours, nécessaire pour aplanir au plus tôt les difficultés qui se présentaient.

Après que la prise de contact avec les ménages de l'échantillon (cf. 1.3.) ait été réalisée, il a été demandé aux enquêteurs de remplir pour chacun de ceux-ci une "fiche descriptive" standard (cf. annexe 1) synthétisant la composition du ménage, les âges, l'habitat, les activités rémunératrices de ses membres, leurs niveaux d'éducation, leurs religions, les sources d'énergie, certaines habitudes de consommation, enfin, les biens mobiliers et immobiliers. Ces fiches ont quasiment toutes été remplies au cours des deux premières semaines de l'enquête (première quinzaine d'août 2000), mais elles ont été amendées pendant les mois qui ont suivi, car la fréquentation assidue des foyers amena les enquêteurs à préciser certains points restés obscurs. La seconde quinzaine de recherche (fin août 2000) fut consacrée à la rédaction des biographies à orientation économique et professionnelle. Il n'y avait pas ici de fiche à remplir, contrairement à ce qui a été pratiqué pour les autres modules de recherche, mais des indications précises ont été fournies par Dibwe dia Mwembu sur le type de données à récolter, indications qui sont d'ailleurs données dans le chapitre à ce sujet. Les biographies terminées, on a demandé aux enquêteurs de remplir une "fiche démographique" des ménages (annexe 2), où étaient demandées des indications précises à propos de chacun des membres (sexe, âge, lien avec le chef de ménage, scolarité, activité professionnelle, religion). Vu le peu de temps que réclame ce travail, la fiche démographique ne fit pas à proprement parler l'objet d'une session: les enquêteurs devaient la remplir concurremment à leurs autres enquêtes. La session suivante (milieu de septembre) fut consacrée aux budgets ménagers: un protocole fut à nouveau mis au point (annexe 3), qui devait faire apparaître les postes de dépenses régulières et irrégulières du ménage, ainsi que Ses sources de revenus formelles ou non. La quantification en francs congolais des postes de consommation devait être réalisée par l'enquêteur sur base du lieu habituel d'approvisionnement du ménage. Enfin, la quatrième et dernière session (fin septembre-début octobre) fut consacrée aux déplacements dans la ville. La fiche d'enquête (annexe 4) associée à cette activité reprenait les itinéraires habituels des différents membres du ménage en rapport avec leur vie professionnelle, leurs achats, leur culte, leur école, leurs loisirs, etc. Notons bien que les fiches n'ont pas toutes été rentrées à l'Observatoire dans les délais impartis: des retards dus à une multitude de facteurs ont bien sûr émaillé notre trimestre de recherche. Dans quelques cas, on a détecté au moment de l'analyse des erreurs ou des lacunes dans la rédaction des fiches, qui ont dû être complétées tardivement. On eut ici l'avantage de travailler avec un petit échantillon fidélisé, où il est toujours possible d'obtenir des renseignements complémentaires en cas de besoin.

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1.2. Construction de l'échantillon L’Observatoire du changement urbain se propose de procéder à une « radioscopie » de Lubumbashi ainsi qu’à une présentation qualitative des conditions d’existence de ses habitants. La première grande enquête s’inscrivant dans cette perspective fut réalisée en 1973 par le BEAU (Bureau d’études et d’aménagements urbains) (Houyoux et Lecoanet 1975). A cette époque, en plein âge d’or de l’économie zaïroise, le secteur formel assurait l’essentiel des ressources ménagères. L’Etat disposait d’une administration bien payée, à même de produire des données fiables relatives à la population et au cadastre : c’est d’ailleurs sur base du cadastre que les auteurs de cette étude évaluèrent la population de la ville. Il y eut ensuite une grande enquête menée par l'INS en 1985 (INS 1989). La situation actuelle est hélas beaucoup moins favorable à de telles recherches: ainsi, le dernier recensement démographique scientifique remonte à 1984, et aucune donnée chiffrée n’existe, par exemple, quant aux effets de la politique anti-kasaïenne de Kyungu, ni à ceux de la guerre de libération de l'AFDL, ni à ceux de la guerre présente. De la même manière, les données du cadastre nous ont été décrites comme lacunaires. Il est donc très difficile de connaître ce qu'on appelle l’ "univers statistique" de Lubumbashi en l'an 2000, ce qui est pourtant un prérequis pour la mise au point d'un bon échantillon.

En raison de l’optique très qualitative de nos recherches, il a été prévu de limiter l’échantillon à 84 ménages pour toute la ville: onze enquêteurs de base devaient chacun travailler avec six ménages, et six chercheurs juniors, avec trois. Dans l'absence de données plus complètes, nous avons bâti cet échantillon selon une méthode de quotas, en tentant de respecter la distribution de la population dans les différents quartiers de la ville. Cette façon de procéder nous a semblé intéressante car les quartiers sont différenciés quant au type de population qu’ils abritent : respecter leurs poids démographiques dans notre échantillon paraissait donc un gage de représentation réaliste de la ville. Aucun autre paramètre n'était pratiquement envisageable pour les quotas : il aurait été tentant de procéder sur base des statuts socio-économiques, mais aucun chiffre n’existe à ce sujet. Même une préenquête sur cette question aurait été très difficile à mener vu la difficulté de définir de tels statuts dans une économie où l’essentiel des revenus des ménages provient d’activités informelles.

Les données relatives à la population des différents quartiers administratifs ne sont hélas pas mieux connues que celles relatives à l'ensemble de la ville. Faute de mieux, nous nous sommes basés sur les chiffres fournis par l'administration. Comme nous le verrons dans le point 3.1.4., une évaluation de la population lushoise est réalisée chaque année sur base des chiffres de l'état civil tel qu'ils sont enregistrés au niveau des quartiers et des communes. Ces chiffres, qui font l'objet d'un rapport apparemment très précis, doivent être considérés avec beaucoup de prudence, car la collecte des données relatives aux décès, aux naissances et aux mouvements dans la commune n'est en général pas réalisée avec précision, comme nous l'expliquerons. Quelles que soient les imperfections de ces chiffres, ils donnent des indications intéressantes quant au volume démographique de ces quartiers: sans doute sont-ils tous sous-évalués dans l'absolu, mais ils ont le mérite de faire au moins ressortir la proportion relative de chaque quartier dans l'ensemble de la ville, ce qui permet de définir un échantillon qui respecte cette distribution à la fois spatiale et socio-économique.

Les chiffres de la population des quartiers figurent dans le point 3.1.4. La population de l'agglomération serait, à les suivre, de 835235 nationaux en 1999. Pour connaître le nombre de ménages à retenir par quartier, nous avons appliqué la formule suivante:

population du quartier en 1999 x 84 (nombre de ménages dans l’échantillon) 835235 (pop.de la ville en 1999)

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Le chiffre fut ensuite arrondi à l’unité inférieure (si < .44) ou supérieur (si > ou = .44) pour déterminer le nombre de ménages à sélectionner pour l’enquête dans le quartier (cf. 3.1.4.).

L'on savait donc à ce niveau le nombre de ménages qu'il fallait contacter dans chaque

quartier. On répartit les dix-sept enquêteurs dans des zones homogènes afin qu'ils n'aient pas à trop se déplacer; des vélos furent d'ailleurs mis à la disposition des deux tiers d'entre eux, les autres bénéficiant d'un forfait de déplacement. Chacun se vit confier ainsi un espace assez contigu, mais néanmoins la plupart du temps à cheval sur deux ou trois quartiers.

De façon à ce que l'échantillon soit bien pris au hasard, le choix des ménages leur a été imposé de façon aléatoire: sur base de cartes de la ville, nous avons donné des consignes du genre "troisième rue à gauche à partir de la route X, deuxième rue à droite, cinquième maison à gauche", etc. Dans beaucoup de quartiers, il n'existait pas même de plan des rues, ce qui rendait ces indications encore plus aléatoires (la cinquantième maison à gauche après le pont...). Lorsqu'il y avait plusieurs ménages dans le logement ciblé ou dans la même parcelle, les enquêteurs devaient en sélectionner un seul pour l'enquête, au hasard (par le choix de cartes mélangées dans un sac). Lorsqu'il n'y avait pas de maison là où nos consignes avaient amené l'enquêteur, il lui était défendu de procéder lui-même au remplacement: il devait demander de nouvelles instructions à l'Observatoire, qui consistaient généralement à lui désigner le premier voisin possible, ou un itinéraire quelque peu différent. Bien que l'on ait demandé aux enquêteurs de se montrer persévérants là où les informateurs opposaient quelque résistance – la consigne était de ne laisser tomber que si le refus persistait lors d'une troisième visite – il s'avéra parfois impossible d'obtenir la collaboration de certains ménages (cf. 1.3.), et l'on dut renouveler le choix. Signalons enfin que nous n'avons ici envisagé que les ménages africains de la ville, qui constituent environ 99% de la population: dans un cas, un enquêteur est arrivé par hasard dans la maison d'un Européen, qui n'a pas été retenu dans notre échantillon. La liste des ménages qui constituent notre échantillon, présentée avec quelques-unes de leurs caractéristiques principales, est reprise en annexe 5. L'unité de base de notre échantillon est donc le ménage, non la parcelle ni l'individu. Cette remarque est importante quand il s'agit de tirer des inférences statistiques de notre échantillon. En effet, selon le type de quartier et selon le niveau de richesse, on observe des variations du nombre de personnes par ménage et du nombre de ménages par parcelle. En général, les ménages comptent d'autant plus de membres qu'ils sont aisés et les quartiers planifiés sont ceux où l'on compte le plus de ménages par parcelle. On gardera cette précision en tête durant toutes les analyses subséquentes, de façon à cerner les limites de certaines statistiques que nous produisons. Par exemple, nous avons pour certains domaines de la recherche procédé à des statistiques à partir des 628 individus que comptent nos 84 ménages. Or, comme nous venons de le dire, les ménages ont été choisis au prorata de la population des quartiers administratifs, ce qui signifie que tout ménage devrait représenter 1/84 (1,19%) de la population de Lubumbashi. Or, il se fait que les ménages riches du centre-ville comptent en moyenne plus de membres que ceux des milieux plus modestes, à savoir presque 9 membres. Dès lors, dans tout comptage fait à partir des individus, un tel ménage ne représente plus 1/84 (1,19%) de la ville mais 9/628 = 1,43% (soit environ 1/70). Il y aura donc, dans les tableaux où nous nous basons sur les individus et non sur les ménages, une certaine surreprésentation des ménages plus riches au détriment des plus pauvres. Il nous a semblé que ce n'était pas préjudiciable outre mesure aux données que nous livrons ici.

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1.3. L'évolution des rapports enquêteurs/enquêtés

Au regard du contexte social, politique et militaire en RDC pendant la période des enquêtes – l’appel à la vigilance contre les espions était un véritable refrain – et dans le souci de permettre aux enquêteurs un travail aisé dans les différentes communes, des démarches ont été entreprises auprès des autorités administratives de la ville pour clarifier nos intentions de recherche. A cet effet, des rencontres ont lieu principalement avec le maire de la ville qui, conjointement avec le recteur de l’Université de Lubumbashi, a validé les ordres de mission des enquêteurs. Munis de ces ordres de mission, certains de ceux-ci ont pris contact avec les chefs de quartiers ou chefs de rue pour faire état de leur présence, afin qu’il n’y ait pas de méprise quant aux mobiles de leurs enquêtes. Les contacts avec les chefs de quartiers restèrent limités à cette simple démarche sans qu’ils ne soient jamais impliqués dans les enquêtes proprement dites, ni même dans la rencontre avec le ménage: une collaboration trop visible avec l'administration risquait de faire passer les enquêteurs pour des agents de celle-ci.

Les 18 enquêteurs se sont présentés sous différentes étiquettes auprès de leurs ménages. D’une manière générale, ils se sont fait passer pour des étudiants ou des chercheurs de l’Université, afin de bénéficier rapidement de leur compréhension : Lubumbashi est une ville universitaire où la population est habituée à collaborer aux enquêtes menées par des étudiants dans le cadre de leurs travaux de fin d’étude. Deux enquêteurs se sont aussi présentés comme des enseignants – ce qu’ils étaient en effet – afin d’exploiter l’estime dont bénéficie généralement cette profession auprès des ménages pauvres. Dans un cas de figure semblable, un enquêteur a été bien accueilli dans deux ménages dont les membres avaient passé quelques années à l’université et qui l’ont reconnu comme étant leur ancien professeur. L’enquêteur auprès d’un chef de ménage étudiant a réussi, un mois après le début des enquêtes, à sortir des suspicions dans lesquelles le tenait son interlocuteur, qui croyait avoir affaire à un agent de renseignement : dès que ce dernier sut que l’enquêteur était enseignant à l’Université, il a balayé tous ses soupçons. Bref, le chapeautage de notre recherche par l'UNILU fut certainement un atout pour la prise de contact avec les informateurs. A la présentation de l’objectif des enquêtes, les interlocuteurs ont réagi de manières diverses. La ville de Lubumbashi, nous venons de le dire, est un terrain de recherche qui, à certaines périodes, reçoit des chercheurs de l’université ou de certains organismes internationaux (Caritas, Vision mondiale, UNICEF, etc. ). Globalement, les ménages qui ont déjà fait l’objet de ce genre d’enquêtes ont accueilli très favorablement notre message, comme plusieurs enquêteurs l’ont rapporté. Deux chefs de ménage avaient d'ailleurs, par le passé, participé à des enquêtes de terrain: ils ont évidemment répondu favorablement à notre demande de collaboration. En revanche, certains ménages ont manifesté de la méfiance dès le premier contact. Dans un ménage de Kamalondo, par exemple, une personne a accueilli l’enquêtrice depuis sa fenêtre par méfiance de l’inconnue. La même enquêtrice rapporte également les réserves affichées par un autre chef de ménage à cause, selon elle, du caractère intime des sujets à évoquer. Dans un autre ménage, après avoir pris connaissance du thème de la recherche, un chef de ménage a répondu à l’enquêteur : "Vous entrez trop dans mon ménage". Dans les quartiers périphériques, les enquêteurs ont parfois été confrontés à des ménages pauvres, chez qui le besoin d’être assisté était permanent. Certains organismes internationaux ont réalisé des enquêtes dans ces milieux précarisés, ce qui a finalement débouché sur différentes formes de prise en charge, notamment en ce qui a trait à la scolarité des enfants. C’est par référence à ces précédents que l’objectif des enquêteurs a été compris par certains ménages dans cette partie de la ville.

Quelques fois, la méfiance s’est transformée en une résistance farouche. Dans un ménage de niveau de vie moyen de la Katuba, la conjointe a répondu à un enquêteur que son mari ne voulait pas de sa présence dans le foyer, et ce après que l’enquêteur ait essayé à

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plusieurs reprises de s’y introduire. Ici, la différence sexuelle entre l’enquêteur et l’interlocutrice a conduit le partenaire de cette dernière à manifester une jalousie qui a conduit au blocage. Cette jalousie a été ressentie dans d’autres foyers, où le mari s’est systématiquement opposé à ce que l’enquêteur puisse travailler seul avec son épouse. La mauvaise perception de l'objectif des enquêtes a obligé certains enquêteurs à changer de ménage lorsque la permanence du climat de méfiance a été jugée trop nuisible pour le travail. En dehors de ces cas restés sans solution, toute une série de moyens ont été déployés par les enquêteurs confrontés à des ménages peu enclins à la collaboration afin de stimuler celle-ci, en faisant notamment appel à des intermédiaires. Un enquêteur a ainsi utilisé l’un des membres du ménage qui se trouvait être étudiant pour faire comprendre les objectifs de l’enquête au chef de ménage. Un autre a bénéficié de l’intermédiaire de son collègue de service qui avait déjà des affinités avec le ménage enquêté. Un autre encore a utilisé son frère pour se faire accepter. Deux enquêteurs rapportent qu’ils ont été acceptés à partir du moment où les interlocuteurs ont découvert qu’ils partageaient les mêmes affinités ethniques. Certains ont fini par s’introduire dans les ménages après avoir purement et simplement insisté. Une fois, et de manière très inattendue, un enquêteur a fort heureusement cité le nom d’une tierce personne que l’interlocuteur estimait : automatiquement, le climat de méfiance s’est dissipé. Un enquêteur a eu un premier contact avec l’une des deux épouses d’un ménage polygame, en l’absence du mari. L’autre femme, dans sa méfiance, fit convoquer un conseil de famille auquel l’enquêteur était très attendu. Grâce à un membre de cette famille qui partageait sa confession religieuse, l’enquêteur a été reconnu et introduit dans le ménage.

Deux enquêteurs ont été acceptés après avoir présenté l’ordre de mission. L’ordre de mission a en fait provoqué des réactions diverses. Quelques enquêteurs n’ont pas jugé opportun de le brandir pour obtenir l’audience auprès des ménages. Deux enquêteurs rapportent d’ailleurs que le document était sans intérêt aux yeux des interlocuteurs de la périphérie, vu leur disponibilité, leur accueil et leur compréhension. Dans deux ménages, l’enquêteur s’est fait rejeter dès qu’il a osé présenter son ordre de mission : derrière les enquêtes, le chef de ménage a semblé voir la main noire des pouvoirs publics.

Nous avons noté lors de la récolte des données sur le terrain un clivage riches/pauvres quant aux réactions à l’enquête. On a, par exemple, constaté une plus grande disponibilité des ménages pauvres à accueillir les enquêteurs et à leur fournir des données sur leur vécu quotidien. Un enquêteur, au quartier Kisanga, a ainsi été invité lors du premier contact à partager le repas avec l’ensemble des membres du ménage. Les différentes rencontres avec ces ménages précarisés n’ont pas été très formelles. De façon générale, les enquêteurs qui ont travaillé dans la périphérie de la ville, parmi les ménages pauvres, rapportent que ceux-ci se sont montrés très accueillants pendant toute la période des enquêtes. A l’opposé, les ménages aisés ont posé quelques difficultés : les rencontres ont, dans la plupart des cas, été réalisées d’une manière assez formelle, sur rendez-vous (notons que bien souvent – et ceci fut valable dans tous les milieux– les rendez-vous n’ont pas été respectés, ce qui a occasionné de grandes pertes de temps durant le travail). Deux enquêteurs rapportent par ailleurs avoir connu des contacts difficiles dans le cadre d'un ménage de niveau de vie supérieur: un climat de suspicion s’était installé en rapport avec la sécurité des biens mobiliers, ce qui a fini par exiger, à la longue, l’intervention d’intermédiaires (un enfant du ménage, un domestique, etc.)

Dans ces ménages où régnait la méfiance, les enquêteurs ont parfois même enregistré des réponses fausses, fournies à volonté par le chef du ménage ou par son conjoint. Deux enquêteurs se sont vus présenter à un faux époux et à une fausse épouse, dans le but de les dérouter. Le savoir-faire de l’enquêteur, dans cette phase de la recherche, a été d’une importance majeure.

Les principales difficultés se sont présentées lors des questions se rapportant aux biens mobiliers, aux salaires et aux revenus, à l’emploi du temps du chef de ménage et de son conjoint, à la définition de la parenté, à la fréquence des repas et à leur qualité, enfin au niveau

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d’instruction. A titre d’exemple, un enquêteur a failli être rejeté à l’occasion d’une question sur le nombre de lits dont disposait le ménage. Quelques chefs de ménage ont également éprouvé de la peine à parler de leur polygamie et de leurs enfants nés hors mariage. C’est à l’occasion de l’administration du protocole sur le budget ménager qu’un chef de ménage a répondu à un enquêteur qu’il entrait trop dans son ménage. En effet, il est des domaines qui relèvent plutôt de l’intimité, et certains chefs de ménage ont catégoriquement refusé de lever le voile sur leurs revenus ou avoirs.

Un autre problème récurrent dans bien des ménages fut l’indisponibilité des chefs de ménage (hommes) au moment des visites effectuées dans leurs foyers. Un enquêteur rapporte que dans deux de six ménages qu’il a visités, il n’a pas réussi à rencontrer le père de famille, et ce jusqu’à la clôture des enquêtes. Les chefs de ménage semblent extrêmement accaparés par leurs occupations rémunératrices, à telle enseigne qu’ils sont presque absents de leurs foyers. Les enquêteurs disposaient mensuellement d’un petit montant forfaire (140 FC, soit environ 2 USD par mois et par ménage) destiné à des interventions ponctuelles auprès des ménages avec lesquels il s’agissait de nouer et d’entretenir de bons liens. Cela a permis aux enquêteurs d’offrir de petits cadeaux afin de créer une certaine réciprocité dans l’échange ou de motiver les informateurs : il pouvait s’agir de cadeaux en nature (cahiers pour écoliers, boîte de savon en poudre, une boîte de spaghetti pour un chef de ménage friand de ceux-ci, etc.) ou en espèces. Quelques enquêteurs rapportent que par moment, ils sont intervenus lorsqu’ils ont perçu des difficultés dans certains ménages pour se procurer de la nourriture ou lorsqu’un cas de maladie survenait.

Dans les situations où toutes ces difficultés ont été franchies, les enquêtes de terrain n’ont pas connu de problème majeur. Trois mois de récolte des données ont permis finalement d’établir des rapports de confiance très solides, ce qui a permis aux enquêteurs de mener un grand nombre d’enquêtes sur des sujets assez différents. Au terme de cette période, on peut même dire qu’une certaine fidélisation des 84 ménages a été atteinte, ce qui permettra d’entamer d’autres sessions de recherche sur des bases saines.

1.4. La typification socio-économique de notre échantillon Les caractéristiques socio-économiques de la population lushoise ne peuvent être appréhendées à travers la simple présentation de chiffres moyens ou modaux, toutes catégories de citadins confondues. Les villes africaines sont marquées par une stratification sociale importante, comme le révélera, en ce qui regarde Lubumbashi, la suite de cette analyse. La distinction entre les strates sociales sont marquées: entre le riche entrepreneur installé dans le quartier chic du Golf et le petit maraîcher vivant, en contrebas du premier, dans le "village urbain" de Kabulameshi, il n'y a pas seulement quelques centaines de mètres de distance, mais bien tout un monde de différences dans les modes de vie. Les enquêtes précédentes (Houyoux et Lecoanet 1975, INS 1989) ont tenu compte de cette stratification dans leurs analyses, en distinguant les couches sociales soit selon les salaires, soit selon la localisation des ménages dans l'un des trois types de quartiers que connaît la ville (résidentiel, planifié, extension). Actuellement, il serait impossible de se baser sur les salaires déclarés pour obtenir une telle classification: ils sont devenus complètement irréguliers et dérisoires et ne concernent plus qu’une minorité des ménages (cf. 7.2.). C'est l'économie informelle qui fait vivre la majeure partie de la ville, même si les emplois de salariés ne font pas l'objet d'une désertion en masse: ils présentent toujours la garantie d'une certaine sécurité et la perspective d'un espoir, au cas où les choses iraient mieux. Ces emplois permettent aussi à ceux qui les occupent de se tisser un petit réseau social qui peut leur servir dans bien d'autres domaines, et qui leur assure une certaine respectabilité. De plus, ces emplois peuvent donner

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lieu à des bénéfices liés à des abus: beaucoup d'employés ne rendront de service au public que contre une petite rémunération ("le transport", les "frais administratifs"); d'autres s'adonnent sans complexe à la corruption ou à des trafics illégaux. Le salaire légal a donc perdu une bonne partie de sa pertinence pour élaborer une stratification de l'échantillon. Le second paramètre qui a souvent été utilisé pour distinguer les différentes couches de la population est basé sur la division de la ville en trois types de quartiers: les quartiers résidentiels, qui sont en gros l'ancienne "ville blanche" (la majeure partie de l'actuelle commune de Lubumbashi, une partie du quartier Bel-Air); les quartiers planifiés, c'est-à-dire les anciennes "cités indigènes" organisées selon des plans urbanistiques bien précis (camp GCM, Kamalondo, Kenya, les quartiers anciens de la Katuba et de la Ruashi); enfin, les quartiers non planifiés, qui reprennent les zones d'autoconstruction ou de construction anarchique. Comme nous le verrons dans le point 4.1, ces trois types de quartiers sont le lieu d'élection de ménages différents, plus riches dans les quartiers résidentiels, plus modestes dans les quartiers planifiés et non planifiés. Néanmoins, nous n'avons pas repris cette seule distinction comme base de notre analyse, car l'on trouve des ménages relativement riches dans certaines zones planifiées voire non planifiées. Nous avons plutôt classifié nos ménages en tenant compte à la fois de leur patrimoine (mobilier et immobilier) et du volume de leur consommation courante, comme nous allons le montrer ici.

La société lushoise, comme toute la société congolaise d'ailleurs, est un univers où la richesse se donne à voir à travers une série de signes ostentatoires. Pour ceux qui peuvent se le permettre, tenir son télécel en main, rouler dans une grosse 4X4 ou en Mercedes, porter des habits de marque, multiplier le nombre de télévisions dans le salon sont autant de manière de se faire reconnaître comme un "grand", un "patron", ou, comme l'on dit ironiquement, comme un "bwana" (terme qui se référait autrefois aux blancs, tous riches par définition). Même l'obésité est une qualité que d'aucun cultivent pour se positionner au sein de ce groupe des puissants: signe d'aisance dans une société où tout le monde ne mange pas tous les jours, elle témoigne d'une réussite sociale. Aussi nous sommes-nous servis de ces signes tangibles de richesse pour établir un indice de patrimoine, en pondérant différemment les biens selon leur rareté et l'appréciation qu'en donnent les Lushois.

Nous avons établi la grille d'évaluation suivante:

- 2 points: la possession d'une auto, d'un télécel ou d'une maison construite "en dur" au niveau des murs et du sol; - 1 point: le fait de posséder une moto, un salon (assortiment de fauteuils), un buffet/vitrine (meuble d'exposition dans le salon), une salle à manger (table et chaises destinées au repas), un frigo, une TV, une autre maison que celle où l'on vit; - ½ point: le vélo, la radio, la propriété d'une maison en matériaux bon marché (adobe, briques sans ciment, sol en terre battue...) ; - ¼ point: chaque lit que possède le ménage. Cet indice de patrimoine a été calculé pour nos 84 ménages, faisant apparaître des valeurs comprises entre 0,3 (un seul lit) et 13,5 (un foyer possédant tous les biens, dont 6 lits, à l'exception de la moto et de la seconde propriété). La moyenne pour tout l'échantillon est de 4,054. Un second indice a été calculé sur base des budgets ménagers, qui feront l'objet d'analyses dans le chapitre 6. Les enquêteurs ont eu à évaluer les dépenses mensuelles habituelles des ménages. Il est apparu que toute une série de rubriques se prêtaient difficilement à une bonne évaluation, soit que les dépenses étaient irrégulières (les vêtements), soit qu'elles étaient difficiles à chiffrer en fonction de leur durée d'amortissement (construction de maisons, etc.). Nous nous sommes donc basés sur le seul poste des dépenses courantes, soit l'alimentation, les frais liés au logement, les soins de santé, les communications, l'instruction,

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les activités religieuses et les loisirs. En moyenne, les foyers de notre échantillon dépensaient, en septembre 2000, 10163 FC par mois pour couvrir ces dépenses, l'alimentation comptant pour un peu plus de la moitié de cette somme. Les différences ici sont très marquées, puisque les chiffres varient entre 520 et 51405 FC dans notre échantillon. Il s'agissait ensuite de réunir ces deux indices en un seul. Pour ce faire, nous avons divisé le chiffre des dépenses habituelles de chaque ménage par 2507 (soit 10163 divisé par 4,054), de façon à ce que ce nouvel indice soit nanti, pour l'ensemble de notre échantillon, de la même moyenne que l'indice-patrimoine, c'est-à-dire 4,054. Nous disposions ainsi de deux séries du même ordre de grandeur, et nous en avons extrait la moyenne arithmétique pour chaque ménage, moyenne qui constitue son indice de richesse. Vu son mode de calcul, cet indice de richesse est lui aussi nanti d'une moyenne de 4,054, et varie entre les valeurs extrêmes de 0,5 et de 15,6. Prenons l'exemple du premier ménage de notre échantillon. Propriétaire d'une maison de briques sans ciment (0,5 point), d'une radio (0,5) et de deux lits (2 x 0,25 = 0,5), ce ménage est doté d'un indice-patrimoine de 1,5. Avec 5946 FC/mois, il obtient un indice de dépenses ordinaires de 2,732 points. La moyenne arithmétique de ces deux indices est 1,936, ce qui constitue son indice de richesse. Après que l'on a calculé cet indice pour les 84 ménages, il est apparu que les valeurs suivaient une distribution assez régulière, mais moins fournie en effectifs sur ses extrémités, surtout supérieures: on trouve en effet plusieurs ménages nantis qui se dégagent fortement du lot. Puisqu'il n'y avait pas de discontinuité marquée autour de certains seuils, nous avons jugé opportun de diviser notre échantillon en trois tranches: les 20% supérieurs, les 60 % du milieu, et les 20% inférieurs, soit les 17 ménages les plus riches, les 50 de niveau moyen, les 17 les plus pauvres (cf. annexe 5). De la sorte, on s'offrait la possibilité de faire apparaître avec une certaine netteté les différences entre les plus riches et les plus pauvres, davantage que si l'on divisait notre échantillon en trois groupes de même effectif. Il va de soi que la division adoptée est une abstraction basée sur des indices et que notre découpage résulte de seuils artificiels: en réalité, les trois groupes que nous avons séparés sont en continuité sur leurs frontières, et la prise en compte d'autres indices aurait immanquablement amené des transferts entre catégories voisines. Néanmoins, quelques essais basés sur des indices différents (calculés sur base des dépenses globales du ménage, par exemple) ont montré que les regroupements qui en résultaient étaient sensiblement semblables à ceux issus de l'indice de richesse tel que nous l'avons présenté plus haut. Malgré toutes ses imperfections, notre démarche fera apparaître les tendances générales des comportements et des caractéristiques des ménages selon qu'ils soient plus ou moins nantis.

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CHAPITRE 2 : BIOGRAPHIES CITADINES

2.1. Introduction

Comme il vient d’être dit, une des premières tâches assignées aux enquêteurs de terrain fut de procéder à la collecte des biographies à orientation économique des 84 ménages sélectionnés dans notre échantillon. Il s'agissait tout d'abord d’obtenir les informations relatives à l'itinéraire familial et à la trajectoire socio-professionnelle des personnes concernées, ensuite de recueillir les jugements, opinions et sentiments des chefs des ménages ciblés sur leur vie rythmée par les différentes périodes qui caractérisent l'histoire économique et sociale du pays, de la province du Katanga et de la ville de Lubumbashi.

Pour mieux cerner les comportements et parvenir à les comparer sur des bases communes, les entretiens avec les chefs des 84 ménages ont suivi le même canevas : itinéraire familial, trajectoire migratoire et trajectoire socio-professionnelle. Les enquêteurs devaient aussi tenir compte dans la récolte des récits biographiques du facteur chronologique, susceptible de nous aider à situer dans le temps et dans l'espace les faits et les différentes réalisations des ménages, mais aussi et surtout de les intégrer, pour une meilleure intelligence, dans le contexte historique global.

L'histoire des objets fait partie de l'histoire sociale du ménage. Elle est aussi importante dans la mesure où elle nous révèle les conditions de vie du ménage et nous aide à cerner les ruptures, c'est-à-dire les périodes de crise. Dans la philosophie des habitants de la ville de Lubumbashi et d'autres centres urbains congolais, l'achat d'un objet de valeur représente un investissement à long terme. En période de rupture, la vente de cet objet produira le capital de départ destiné à entreprendre d'autres activités commerciales de survie. La connaissance des dates d'achat et de vente nous permet d'identifier les moments de continuité et de rupture et les comportements conséquents de la population. C'est dans ce contexte que l'on comprend et que l'on évalue à leur juste valeur les activités économiques des femmes et leur contribution dans le budget ménager. L'importance de la position économique et sociale des femmes dans leurs familles respectives peut déboucher sur la redéfinition des rapports dans le ménage. Répartition des chefs de ménages par lieu de provenance et par sexe. Hommes Femmes Total

Katanga 60 6 66

Autres provinces de la RDC 13 4 17

Zambie 1 - 1

Total 74 10 84

L'analyse dont il est question dans les lignes qui suivent a été élaborée sur base des

biographies issues des 84 chefs de ménage : 74 hommes et 10 femmes. Les femmes sont chefs de ménage pour des raisons plutôt sociales qu'économiques : veuvage, divorce, abandon par le mari. L'âge des chefs de ménages varie entre 25 et 78 ans. Des 84 personnes interviewées, 66 (60 hommes et 6 femmes) sont nées dans la province du Katanga, 17 personnes (13 hommes et 4 femmes) sont originaires d'autres provinces de la République Démocratique du Congo et une personne est originaire de Zambie.

L’analyse est articulée autour de deux points principaux : la trajectoire migratoire et la

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trajectoire socio-professionnelle.

2.2. Trajectoires migratoires

Les migrations sont un fait social. Les déplacements des personnes ont un impact majeur dans tous les domaines de leur vie. Dans ce sens, les migrations intéressent aussi bien les chercheurs (sociologues, historiens, économistes, politologues, anthropologues, démographes, etc.) que les politiciens. La création et le développement de secteurs économiques développés dans les villes, les districts miniers et dans des régions agricoles offrent d'importants avantages d'emploi, de haut niveau de vie et de sécurité, de logement amélioré.

Dans le cas qui nous concerne – les déplacements de personnes vers la ville de Lubumbashi –, la naissance et l'essor de l'industrie et des mines furent un facteur déterminant de l’exode rural. On assista et on assiste encore au glissement des populations rurales ou même de petits centres urbains vers les grands foyers industriels et miniers. Nous analyserons tour à tour les raisons qui justifient la présence de la population dans le centre industriel de Lubumbashi et la mobilité résidentielle observée au sein de cette entité politique et administrative. 2.2.1. Les raisons de la présence de la population à Lubumbashi

Lubumbashi, fille de l'industrie minière, est une création coloniale. Implantée dans une

région pauvrement peuplée, paradoxalement riche en ressources minières, Lubumbashi avait besoin, à ses débuts, d'attirer en grand nombre des travailleurs africains, congolais et étrangers. Des politiques sociales furent mises sur pied par les grandes entreprises à la fin des années 1920, en vue de stabiliser la main-d’œuvre africaine et de faire de la ville noire un réservoir de main-d’œuvre saine, disciplinée, bien formée et bon marché. On encouragea les mariages des travailleurs, on favorisa une politique nataliste par l'implantation d’œuvres pour la protection maternelle et infantile, pour la lutte contre la mortinatalité et la mortalité infantile (Perrings 1979, Fetter 1968 et 1976). Les résultats furent à la longue satisfaisants dans la mesure où l'accroissement naturel devenait de plus en plus important.

Distribution de la population enquêtée par lieu de naissance. Effectifs/pourcents

Lubumbashi 33 (39%)

Likasi 5 (6%)

Kolwezi 1 (1%)

Autres régions du Katanga 27 (32%)

Kasaï Occidental 3 (4%)

Kasaï Oriental 9 (11%)

Kinshasa 2 (2%)

Bandundu 1 (1%)

Maniema 1 (1%)

Sud-Kivu 1 (1%)

Zambie 1 (1%)

Total 84 (100%)

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Au fil du temps, les fonctions de Lubumbashi se multiplient et se diversifient. Lubumbashi n'est plus seulement la capitale du cuivre dont les activités sont représentées essentiellement par la Gécamines, mais aussi le siège social de nombreuses entreprises, notamment la Société Nationale des Chemins de fer du Congo. En tant que porte obligée du commerce avec l'Afrique australe, Lubumbashi se révèle le centre aussi bien de la distribution des produits importés que de la production, la commercialisation et la consommation des produits locaux. A ces activités économiques s'ajoutent les fonctions administratives, politiques et culturelles : chef-lieu de la province, le siège des divisions provinciales et urbaines, des activités politiques, religieuses, éducationnelles, et la capitale parlementaire du pays depuis juillet 2000. Toutes ces fonctions ont fait de Lubumbashi le centre de polarisation de l'espace et donc le pôle d'attraction et de concentration de populations d'origines diverses.

Cette situation est corroborée par l'échantillon. En effet, parmi les 84 ménages sélectionnés (tableau 2), 33 chefs de ménage (39%) sont nés à Lubumbashi et 51 (61%) sont venus d’ailleurs. Ces nouveaux Lushois sont soit venus des autres villes minières et industrielles du sud de la province du Katanga (5 (6%) provenant de Likasi et 1 (1%) de Kolwezi), du milieu rural de la province du Katanga (27, soit 32%), des autres provinces de la République Démocratique du Congo (17 (20%), dont 9 (11%) de la province du Kasaï Oriental, 3 (4%) du Kasaï Occidental, 2 (2%) de la ville de Kinshasa, 1 (1%) des provinces respectives du Maniema, de Bandundu et du Sud-Kivu) et 1 (1%) de la Zambie.

Eu égard à ce qui précède, les sources d'approvisionnement de la ville en ressources humaines sont de deux ordres si l’on se base sur l’état présent de notre échantillon : l'accroissement naturel (39%) et l'immigration nette (61%). Les raisons de la présence des 61% de la population immigrée sont d'abord économiques – recherche d'emploi (13%), mutation professionnelle (15%), commerce (8%), etc. – et ensuite culturelles et sociales – création ou implantation de missions religieuses (2%); poursuite des études (secondaires, supérieures et universitaires) (15%); désir de vivre auprès d'un parent ou d'une connaissance (3%); insécurité sociale dans le village ou dans les centres urbains, jalousie ou sorcellerie au sein de la famille villageoise élargie, etc. (1%) – et, enfin, politiques (les déplacés de guerre ; fuite devant la rébellion de Mulele et les troupes de l'AFDL) (4%).

Depuis la période coloniale, les voies d'accès à la ville de Lubumbashi sont routières, ferroviaires et aériennes. 2.2.2. La mobilité spatiale dans la ville

Comme nous l'avons souligné, notre échantillon comprend des chefs de ménages nés sur place (33) et ceux immigrés (51). Parmi les 33 chefs de ménage nés à Lubumbashi, 8 habitent dans la même commune que leurs parents, 7 occupent la maison de leurs parents décédés ou en vie et 18 sont locataires ou propriétaires dans une commune autre que celle de leurs parents. Plusieurs facteurs expliquent le rapprochement des familles restreintes de leurs familles élargies. Le niveau d'instruction et, partant, le niveau de vie ne permettent pas à beaucoup de chefs de ménages d'habiter loin de leurs parents dont ils peuvent attendre une assistance en cas de besoin. Le coût du loyer de plus en plus élevé oblige même certains ménages démunis à vivre dans la même parcelle que leurs parents ou à occuper la maison des parents après leur décès ou le décès d'un d'entre eux. Le sentiment d'attachement, de familiarité avec le milieu ambiant qui a vu naître le chef de ménage ne doit être négligé. Après le mariage, le ménage n°49 a séjourné pendant neuf mois dans la maison des parents du mari : les membres de la belle-famille voulaient s'assurer des vertus de la jeune femme (fidélité, endurance, force de travail, etc.).

Le cas des 18 ménages habitant loin de leurs parents peut être justifié par le changement de statut social qui amène le jeune ménage à habiter la commune ou le quartier de son choix, la

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volonté d'éviter les problèmes familiaux, la manifestation de l’émancipation du jeune couple ou de l'esprit individualiste qui caractérise le monde urbain moderne, etc.

Les immigrants sont accueillis et logés généralement par des parents, amis ou

connaissances qui leur facilitent l'intégration dans le nouveau milieu d'accueil. Des 51 chefs de ménages immigrants, 36 (71%) ont été accueillis par leurs parents [(les parents du mari ou de l'épouse, l'oncle/tante maternel(le) ou paternel(le), la sœur ou le frère, le cousin ou la cousine, le beau-frère ou la belle sœur)]; 7 (14%) ont été logés par leurs entreprises respectives (la Gécamines, la SNCC, l'AFRIMA, les FAZ, la TCK, etc.); 3 (6%) ont été logés par des connaissances (ressortissants de leur ethnie) ou par des frères en Christ et 5 (10%) se sont logés eux-mêmes.

Le plus souvent, le besoin de continuer à bénéficier de l'encadrement social des hôtes pousse les nouveaux venus à demeurer le plus longtemps possible à côté d'un parent ou d'un ami. Ces immigrants cherchent alors un logement dans le même quartier que leur hôte.

Depuis l'époque coloniale, le changement de logement est soit volontaire soit involontaire, car décidé par l'employeur qui logeait les gens par affinité ethnique ou régionale. Cette politique d'habitat liée à l’origine des travailleurs visait à étouffer la nostalgie qui rongeait l'esprit des nouvelles recrues et qui risquait, si l'on n'y prenait garde, de déboucher sur des désertions massives. Les anciens travailleurs devaient encadrer leurs «frères» de tribu aussi bien au camp que sur les lieux de service. Ensuite, comme le contrôle médical était rudimentaire sur les lieux de recrutement de la main-d’œuvre noire, la présence dans le camp de recrues porteuses des germes des maladies inconnues dans le milieu d'accueil était possible. En regroupant les travailleurs selon leurs origines, l'employeur cherchait à limiter l'éclosion d’épidémies meurtrières dans le camp de travailleurs.

Plus tard, avec l'assainissement de l'environnement et l'intégration de plus en plus poussée des travailleurs suite à la politique sociale de stabilisation de la main-d’œuvre africaine mise sur pied à la fin des années 1920, l'habitat par affinité ethnique ou tribale ne fut plus au goût du jour. Il était considéré maintenant comme un facteur favorisant l'esprit de tribalisme susceptible de provoquer des rivalités et des querelles au sein des groupes de travailleurs. On bannit donc cette politique d'habitat. Les populations furent logées selon d'autres critères, conformément à leur statut social. Les mariés furent séparés des célibataires pour diminuer la fréquence de l'adultère dans le camp de travailleurs; le logement fut dorénavant attribué aux travailleurs selon la taille de leur famille et selon leur catégorie socio-professionnelle. Le ménage veut généralement habiter un milieu correspondant à son statut social. Les employés des grandes entreprises (Gécamines, SNCC, etc.), promus au grade de maîtrise, par exemple, quittent les camps de travailleurs pour des nouveaux logements dans le quartier résidentiel de la commune de Lubumbashi ou dans d'autres communes.

Le déplacement vers un autre quartier ou une autre commune peut être dicté par plusieurs facteurs.

La promiscuité, c'est-à-dire l'incompatibilité entre le nombre de pièces de la maison et la taille du ménage, amène beaucoup de familles à chercher un logement plus spacieux ailleurs. Ainsi, la plupart des travailleurs salariés justifient leur départ des camps de travailleurs (cf. ménage n°51) ou le changement de logement au sein même des camps par l'exiguïté des maisons incompatibles avec le nombre des membres. Le ménage n°38, par exemple, résidait au camp (militaire) Vangu où il vivait dans une promiscuité insupportable, une chambre était confiée à deux familles. Ne pouvant vivre dans de telles conditions inhumaines, le mari, après qu'il soit détaché du groupe fantassin pour la police, changea directement de résidence et se retrouva au camp préfabriqué des policiers.

Le taux de loyer constitue un facteur sélectif. Il refoule les plus démunis vers la périphérie et attire les nantis vers le centre. Le premier exemple est celui du ménage n°27, qui

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passa de la commune Kenya à la commune Kampemba pour des raisons de loyer exorbitant, et qui aboutit finalement dans le fond du quartier Kafubu. Le ménage n°54 eut sa première habitation dans la cellule Mwayuma, dans le quartier Kampemba. Le loyer élevé le contraignit à déménager et à habiter dans la parcelle des parents du mari. Suite à des problèmes familiaux, ce ménage quitta la maison paternelle pour habiter à part. Le problème de loyer fut à l'origine du troisième déménagement, qui les amena dans leur actuel logement où ils paient 100 francs congolais par mois, une somme que les membres du ménage estiment passable par rapport à leur pouvoir d'achat. Les loyers des maisons situées le long des grandes artères sont souvent plus élevés que ceux des quartiers qui en sont éloignés. De même, les loyers des maisons électrifiées sont plus élevés que ceux des maisons non électrifiées, etc.

La décision de changer de quartier ou même de commune peut aussi intervenir à la suite d'un événement malheureux qui s'abat sur la famille (maladies répétées, cas de décès). L'Africain part généralement du principe qu'il n'y a pas de fumée sans feu et accepte difficilement la thèse, par exemple, d'une mort naturelle. Un cas de décès dont la cause dépasse tout entendement humain est attribué aux forces du mal et pousse la famille éprouvée à adopter un comportement conséquent. Dans ce contexte, la sorcellerie figure aussi parmi les causes de déménagement. Le ménage n°17 qui venait de quitter son premier logement (le bailleur avait vendu la maison) trouva une autre habitation de deux pièces. Mais il ne put y rester longtemps car, 16 mois après son installation, il perdit trois enfants en moins d'une semaine. Cet événement douloureux, et à ses yeux inexplicable, le poussa à abandonner ce logement qui lui rappelait de mauvais souvenirs, et à vendre même son mobilier. Un autre exemple est celui du chef de ménage n°2 qui, suite à la maladie de son épouse, décida de vendre la maison qu'il croyait être la source du malheur : des voisins jaloux auraient jeté un mauvais sort sur le ménage. Vendre la maison et changer de milieu amèneraient l'épouse à recouvrer sa santé. De son côté, le chef du ménage n°19 a rompu unilatéralement son contrat dans une entreprise zambienne et a décidé de regagner son pays, la RDC, parce qu'il se croyait envoûté par ses collègues zambiens jaloux de ses succès.

"J'étais sélectionné parmi les chauffeurs retenus pour travailler en Zambie(...) Ma compétence au sein de cette société ne tarda pas à m'attirer des ennuis venus des natifs qui jalousaient mon élévation par tire-au-flanc. Le chef de service de roulage, monsieur Mayuni, originaire de la tribu lozi, tenait à barrer mon zèle. Collègue de travail, il me piégeait par des fétiches afin de m'éliminer car je n'étais pas originaire de la Zambie et donc indigne, non-habileté à accéder aux postes supérieurs dévolus aux seuls ressortissants, intégrisme ou nationalisme oblige! J'ai vu plusieurs flèches sur mon parcours professionnel. Tantôt l'herbe sous le siège de ma cabine, tantôt une souris, tantôt un insecte étrange défilaient sur le tableau de bord si bien qu'un jour, envoûté par les sortilèges, je cognai un enfant qui fut grièvement blessé. Effrayé par le drame, j'étais découragé. Pareille manœuvre cabalistique m'était devenue familière. Plus tard, elle a constitué le mobile de ma désertion et de mon retour entêté au pays natal, en 1975."

Le conflit avec le bailleur constitue une autre cause de déménagement pour beaucoup de

ménages enquêtés (34, 52, 61, 68, 69, 71, 72 et 76). Généralement, les locataires évitent de partager la même parcelle avec le bailleur, car celui-ci s'érige souvent en sentinelle dans la parcelle (cf. ménage n°68), scrute tout mouvement des locataires et de leurs visiteurs. Certains bailleurs comptent le nombre de fois que les locataires vont puiser de l'eau au robinet, surveillent l'état de propreté de la parcelle et des toilettes, n'acceptent pas la présence de beaucoup de visiteurs; d'autres se montrent jaloux vis-à-vis des locataires nantis ou exerçant une activité économique florissante, etc. Le chef du ménage n°52 et son bailleur vendaient du

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parcelle, le bailleur trouva mieux de se débarrasser de son locataire. Le chef du ménage n°71 indique que lorsque le bailleur constate chez le locataire un bon train de vie, il procède à l'augmentation du coût de loyer, sans doute dans le but de le voir déguerpir.

Les conflits avec les membres de la famille élargie sont fréquents et ont affecté les ménages n°2, 7, 46, 47 et 55. Ces conflits interviennent souvent à l'occasion du partage du patrimoine familial. La vente de la maison paternelle peut être la pomme de discorde entre les différents membres de la famille. Avec la crise, l'individualisme s’impose progressivement. Chaque famille restreinte veut assurer la survie de ses propres membres : les enfants et les parents. La tendance en ce moment est de diminuer le nombre des membres de la famille élargie, donc d'exclure l'autre considéré comme «une bouche de trop». C'est dans ce contexte qu'il faut comprendre et situer le départ de la femme Balimwatsha de la maison de son frère, l'intolérance religieuse et la sorcellerie évoquées par sa belle sœur n'étant que des prétextes. L'enquêteur Mulumbwa nous relate les faits relatifs au départ de Balimwatsha en ces termes :

Une de ses filles (de Balimwatsha) contracte une maladie qui la tient longtemps au bord de la tombe. Le médecin ausculte et parle d'hypotension. Mais les symptômes effarent la Balimwatsha qui pense plutôt à une possession démoniaque.

"Figurez-vous que l'enfant n'arrivait plus à respirer correctement. Souvent, on la voyait battre désespérément l'air. Et, pendant des mois, elle se débattait ainsi entre la vie et la mort, la pauvre! Après, le corps tout ruisselant de sueur, elle disait, fatiguée : ‘maman, je n'en peux plus!’. Seule une prière réussissait à l'endormir." Balimwatsha, alors catholique pratiquante, horrifiée par ces moments que connaît sa fille moribonde, cède peu à peu à l'attrait qu'exercent sur elle les groupes de prière charismatiques du courant pentecôtistes qui lui promettent de sauver, par la prière, son enfant qui est à toute extrémité. Sa belle-sœur, épouse de son frère qui l'héberge, en catholique dévote, voit d'un mauvais oeil ces prières tonitruantes et d'autorité à l'adresse des démons. Elle fait un effort pour comprendre la portée de ces réunions de prière, elle n'y parvient pas, sinon qu'elle croit comprendre qu'il ne s'agit bien là que d'une cabale de sorcières que Balimwatsha veut drainer dans sa maison. Par ailleurs, les bouches nouvelles à nourrir que Balimwatsha vient d'introduire dans ce ménage hôte risquent de faire éclater le budget et la situation préoccupe déjà la femme de son frère. On l'imagine s'irritant d'y voir s'ajouter ces vacarmes propres aux prières pentecôtistes de délivrance. Ses colères ne se font plus attendre : elle dénonce ouvertement cette secte que, du reste, son mari suspecte, et somme Balimwatsha d'opérer le choix :

"Si tu veux rester ici, dans notre foyer, renonce sans délai à ton Eglise!", lui répète sa belle-sœur. Balimwatsha que seule préoccupe la guérison de sa fille, tient à sauver l'enfant et préfère tout bonnement lever le camp et s'en aller.

L'insécurité est une raison non moins importante de déménagement. Après le départ des

originaires du Kasaï consécutif aux conflits Katangais-Kasaïens, nombreux furent les locataires ou propriétaires qui, pour des raisons d'insécurité, quittèrent les zones périphériques quasi désertées et devenues le champ d'action des bandes armées. On observa un mouvement de la population de la périphérie vers le centre des communes. Le chef du ménage n°30 dut détruire sa première habitation de trois pièces qu'il avait construite à la périphérie du quartier Congo II et la reconstruisit au quartier Congo I, milieu plus sécurisant à son avis. Ces causes alliées à d'autres comme la proximité du lieu de travail (ménages n°3, 6, 8, 11, 12, 16, 25, 37, 38, 40, 41, 65, 84), la vente de la maison par le bailleur (ménages n°17, 63, 73, 81), etc., justifient le nomadisme résidentiel observé auprès des locataires de notre

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échantillon. En fin de compte, il y a lieu d'épingler l'inégale répartition spatiale de la population totale

enquêtée. Les quartiers résidentiels et planifiés abritent 56% de la population (47 ménages) contre 44% (37 ménages) pour les quartiers d'extension. Cette distribution spatiale garde presque les mêmes proportions en ce qui concerne aussi bien les ménages dont les chefs sont nés à Lubumbashi [18 ménages (38%) dans les quartiers résidentiels et planifiés contre 15 ménages (41%) dans les quartiers d'extension] que les ménages des immigrants [29 ménages (62%) dans les quartiers résidentiels et planifiés contre 22 ménages (59%) dans les quartiers d'extension]. Ces quelques statistiques montrent que les populations immigrées n'occupent pas, contrairement à ce que l’on aurait pu croire, les zones d'extension, où ils sont d’ailleurs moins représentés que les ménages dont les chefs sont nés à Lubumbashi. Les éléments explicatifs de l'occupation des zones d'extension sont à chercher dans le coût élevé du loyer, le désir de disposer d'un habitat à soi, la proximité de la zone arable urbano-rurale, etc.

2.3. Trajectoires socio-professionnelles Répartition des 84 chefs de ménage par année d’engagement.

Année d’engagement Effectifs et pourcents

1945-1960 7 (8,3%)

1960-1965 2 (2,4%)

1965-1997 54 (64,3%)

1997-2000 3 (3,6%)

Sans date et profession libérale 18 (21,4%)

TOTAL 84 (100%)

L'histoire économique de la RDC est jalonnée de moments de violence qui constituent

des périodes de rupture et des tournants marquants dans la trajectoire professionnelle. La période couverte par les différentes biographies à orientation économique va de 1946 à 2000 (tableau 3). Sept chefs de ménages de notre échantillon (8,3%) ont été engagés entre 1945 et 1960, cinquante-neuf (70,2%) entre 1960 et 2000 [dont deux (2,4%) entre 1960 et 1965; cinquante-quatre (64,3%) entre 1965 et 1997, trois (3,6%) entre 1997 et 2000] et dix-huit chefs de ménages (21,4%), de profession libérale, car sans date d'engagement.

Cette catégorisation professionnelle nous amène à subdiviser notre second volet en deux points essentiels : Lubumbashi coloniale et Lubumbashi postcoloniale. 2.3.1. Lubumbashi coloniale (1946-1960)

La période qui va de la fin de la seconde guerre mondiale à la fin de la période coloniale est caractéristique sur le plan tant professionnel que politique et social. En effet, le Congo belge est sorti très riche de la seconde guerre mondiale et a connu une période de prospérité économique avant de connaître une récession en 1958. La décennie 1949-1959 fut une période d'épanouissement économique, d'intensification des infrastructures socio-médicales et d'amélioration des conditions de vie. La naissance et le développement de nombreuses entreprises ont nécessité l'embauche massive de travailleurs africains et expatriés.

Constituées à partir de 1946, les commissions du travail et du progrès social des indigènes et les associations professionnelles eurent un impact certain sur l'augmentation des salaires à partir des années 1950 et sur le pouvoir d'achat des travailleurs au Katanga industriel

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et à Léopoldville. Cette période fut aussi marquée par une stabilité relative des prix. Il est important de noter qu'à cette période, bien des familles des travailleurs des grandes entreprises, comme l'Union Minière du Haut-Katanga et la Compagnie du chemin de fer du Bas-Congo au Katanga, bénéficiaient de la distribution de la ration alimentaire. La population ouvrière avait un régime alimentaire équilibré de trois repas par jour. A l'Union Minière du Haut-Katanga, par exemple, la composition de la ration alimentaire dut subir de profondes modifications en 1933, 1937, 1939 et en 1948 en vue d'améliorer sa qualité. Le salaire de l'homme était considéré comme la seule source de revenu pour la famille. L'apport de la femme au budget familial grâce à ses activités économiques marginales (vente des beignets, de la boisson autochtone, des légumes, etc.) était accessoire. Dans cette société d'abondance, les travailleurs se procuraient aisément des biens comme la machine à coudre, le vélo, le gramophone, le mobilier, les maisons, etc. Le père du chef de ménage n°9 a construit sa maison de Kabulameshi en 1956. Le chef de ménage n°72, nostalgique, classe la période de prospérité pendant la colonisation. Au temps belge, avec un ami bureaucrate, ils achetaient un quartier de (viande) bœuf. Les enfants étudiaient dans de bonnes écoles laïques (Athénée de la Katuba), Saint-Boniface, Spes Nostra. Il n'y avait aucune difficulté pour la scolarisation des enfants.

Le ménage n°57 partage le même point de vue. En effet, comme le note l'enquêteur Mulumbwa,

L'épouse de Bobo qui a dû rejoindre son conjoint 3 ans plus tard (1948) se souvient, nostalgique, qu'à l'époque (coloniale), la vie était bonne sinon franchement meilleure. Mais après l’indépendance, elle commençait à ressentir, quoique encore confusément, la nécessité de générer une bourse à elle, ne serait-ce que pour se dispenser de devoir à tout instant recourir au salaire de son mari pour les besoins domestiques de moindre importance. C'est ainsi qu'elle entreprit de préparer les beignets avant de s'essayer par la suite aux galettes. C'est sa fille aînée qui les emmenait dans un sachet pour les vendre à l'école méthodiste de la ville où elle était élève. Le bénéfice qui en découlait servait à l'achat du savon, de quelques ustensiles de cuisine et même de pagnes. Le revenu mensuel du chef de ménage était plutôt destiné à de grandes réalisations telles que l'achat d'un salon, d'un poste de radio, d'une machine à coudre, d'une bicyclette ainsi que de lits.

Cette citation riche en renseignements nous situe à une période à cheval entre les périodes coloniale et postcoloniale. Vers la fin de la période coloniale, la ration alimentaire fut progressivement remplacée par la contre-valeur en espèces. Ainsi, à la veille de l'indépendance, les travailleurs salariés touchaient leur salaire global en espèces. Mais comme ce salaire ne satisfaisait pas tous les nouveaux besoins des travailleurs, les femmes palliaient cette situation par certaines activités économiques. Dans le cas de madame Bobo, la vente de beignets et de galettes lui permettait de payer quelques ustensiles de cuisine et même des pagnes. Petit à petit, mais de façon imperceptible, la contribution des femmes au budget ménager s'affirmait. 2.3.2. Lubumbashi postcoloniale (1960-2000)

Lubumbashi postcoloniale (1960-2000) a connu quarante ans de violences économiques, politique, sociale et culturelle : sécession katangaise de juillet 1960 à janvier 1963, zaïrianisation en novembre 1973, longue période de transition politique conflictuelle d'avril 1990 à avril 1997 avec son cortège de sous-violences à savoir les incidents du campus de l'Université de Lubumbashi en mai 1990, les pillages de la ville de Lubumbashi en octobre 1991, les conflits Kasaïens-Katangais en 1991-1994, la guerre de libération et l'avènement de

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l'AFDL en 1996-1997, la guerre d'agression des troupes rwandaises, ougandaises et burundaises à partir du 2 août 1998. 2.3.2.1. Lubumbashi pendant la première République (1960-1965)

Onze jours après l'accession du Congo à sa souveraineté nationale et internationale, la province du Katanga proclama son indépendance vis-à-vis du reste du Congo. Du 11 juillet 1960 au 1er janvier 1963, Lubumbashi, devenue la capitale de l'Etat sécessionniste du Katanga, connut une période de déstabilisation des emplois et des familles. Les troubles politiques qui opposèrent le Nord et le Sud de la province provoquèrent le ralentissement et voire l'arrêt des activités de certaines entreprises, provoquant ainsi la réduction de l'emploi et le départ de nombreux travailleurs. A Elisabethville, le volume de l'emploi passa de 28483 travailleurs africains en 1958 à 24080 en 1963. La réduction fut de quelque 4403 personnes dans les industries extractives (Kapalo Mukumbi 1984:46). Le nombre de chômeurs a sans doute augmenté. Cette période, caractérisée par l'incertitude politique et économique, prit fin en 1963 avec la fin de la sécession. Les pertes subies par les entreprises furent considérables. A l'Union Minière, par exemple, la proportion des refus de rengager est passée de 3% en 1960 à 5% en 1965 après avoir atteint un sommet en 1964 avec 8%. D'autre part, la proportion des désertions passa de 1% en 1960 à 3% en 1961 et à 8% en 1963 (Rapports annuels de l'UMHK 1960-1965). Ces pertes affectèrent principalement les populations non originaires du Katanga, plus particulièrement les originaires du Kasaï.

"Nous avons été, raconte le chef du ménage n°61, à la ‘Foire’4, puis renvoyés dans nos milieux d'origine. J'ai même abandonné mon travail à la Gécamines pour retourner au Kasaï avec ma famille. Je venais de revendre également ma maison de la Katuba."

En 1963, le ménage n°48 dut rompre unilatéralement son contrat avec l'Union Minière

pour fuir les conflits qui opposaient dans la ville de Likasi les membres de la Conakat à ceux du Cartel Balubakat. Le chef de famille était ajusteur et sa femme, monitrice à l'Union Minière. Ils se rendirent à Lubumbashi et changèrent d'entreprise. Engagés à la Compagnie du chemin de fer, l'homme devint serrurier et la femme, éducatrice dans une école de formation familiale.

Après la sécession, la situation redevint calme et relativement favorable sur le plan social. Certains ménages rapatriés ne parvinrent pas à s'adapter à leur nouvelle vie dans leurs milieux ruraux d'origine et regagnèrent Lubumbashi (ménage n°61). Nombreux sont les ménages qui s'accommodent bien à la vie quotidienne d’alors. Les enfants étudiaient convenablement. Le chef de ménage n°72 achetait mensuellement un sac de farine de maïs, un sac de manioc et beaucoup de boîtes de lait. Les activités commerciales de son épouse étaient florissantes et généraient beaucoup de recettes. Tous les neuf enfants du ménage n°48 purent être instruits grâce à la prise en charge par l'entreprise ou par la famille elle-même. 2.3.2.2. Lubumbashi sous la seconde République (1965-1997)

Après la sécession katangaise, le pays connut un événement politique marquant : le coup d'état militaire et l'avènement de la deuxième République en 1965 sous la houlette du président Mobutu. Deux grands moments caractérisent cette période longue de trente-deux ans : une

4 Il s’agit d’un camp de concentration créé à côté de celui des soldats de l’ONU. Il abritait les membres du Cartel de Jason Sendwe menacés par le gouvernement de la Conakat dirigé par Tshombe. Ce camp, qui hébergeait entre 50000 et 100000 personnes, comprenait principalement les Baluba du Kasaï (40%) et ceux du Katanga (25%). Il était appelé aussi Camp de Baluba.

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courte période (1965-1973) de prospérité suivie d'une longue période de crise multidimensionnelle (1973-1997) inaugurée par la politique de zaïrianisation (novembre 1973) et aggravée par la transition politique conflictuelle des années 1990. 2.3.2.2.1. Le mirage économique (1965-1973)

La période qui va de la naissance de la deuxième République à l'inauguration de la politique de zaïrianisation fut une période de prospérité. Sur le plan économique, le cours du cuivre avait considérablement augmenté, passant de 43,9 cents la livre en 1964 à 66,5 cents en 1969 et à 68,80 cents la livre sur le marché de Londres en 1973 (Nyembo Shabani 1975:54, Rapports annuels de la Gécamines 1970-1992). En outre, la dévaluation que connut le pays en 1967 fut un mal nécessaire dans la mesure où elle permit à la fois d'augmenter les profits des entreprises d'exportation et de renflouer les caisses de l'Etat grâce à une taxation accrue (Comité du Zaïre 1978:102).

Il est difficile de dissocier le régime alimentaire de la période 1965-1973 de celui du reste de la période 1973-1989. Le ménage n°46, dont le chef travaillait à la Gécamines, recevait toute sa ration alimentaire de l'entreprise : boîtes de tomates, poisson communément appelé mikebuka, 10 kg de viande de boeuf, savon, riz, sucre, lait, etc. Les populations de la Gécamines constituaient en quelque sorte un îlot de niveau de vie plus élevé. "Nous avons réalisé, raconte le chef du ménage 46, des économies qui nous ont permis d'acheter une maison à Likasi, à la cité Kikula, sur l'avenue Kundelungu et une autre parcelle dernière la Brasserie/Likasi.". Le ménage n°48 partage le même avis quant à la consistance des salaires et au pouvoir d'achat des travailleurs salariés.

"C'est, dit le chef de ménage, pendant cette période (1968-1973) que nous avons acheté notre parcelle au quartier Zaïre. Il y a aussi la période allant de 1980 à 1984. Nous étions aussi bien payés et, malgré le budget important alloué aux études des enfants, nous avons pu quand même équiper notre maison en achetant un poste téléviseur, un salon sport, un poste de radio (...) Mais le grand investissement que nous avons réalisé, ce sont les études de nos enfants".

Le ménage n°40 dont le chef travaillait à la Société Nationale des Chemins de fer du

Congo (SNCC) mangeait selon son désir, l'épouse achetait des pagnes wax sans beaucoup de difficultés tandis que le mari ne pouvait manquer d'argent de poche pour meubler ses loisirs.

Le chef du ménage n°81 garde toujours gravées dans sa mémoire les vieilles bonnes habitudes caractéristiques des périodes d'abondance.

D'ailleurs à cette époque (1969-1976), chaque fois qu'on rendait visite à quelqu'un dans une autre famille, on lui apportait toujours quelque chose. Au retour, on bénéficiait aussi d'un même geste, voire plus. Cela pour vous dire que nous, nous avons vécu. Il ne suffisait pas d'être universitaire, cadre (...) pour manger de la viande chaque jour, pour boire un peu de bière, etc.

L'analyse des biographies des 84 ménages montre que la plupart des ménages achetaient des biens, meubles et immeubles chaque fois qu'ils en avaient les moyens. Ces achats ne sont pas pour autant l'apanage de cette seule période, mais ils se sont atténués généralement au cours des années 1990, période au cours de laquelle la ville de Lubumbashi, à l'instar de l'ensemble du pays, a atteint le sommet de la crise.

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2.3.2.2.2. La crise multidimensionnelle (1973-1997)

C'est à partir de l'année 1974 que le Congo entre pratiquement en crise avec la mise sur pied par le gouvernement du président Mobutu de la politique improductive de zaïrianisation. Celle-ci a consisté en la récupération et la redistribution par les Congolais des filiales congolaises des sociétés belges et des entreprises commerciales étrangères. Cette politique n'atteignit pas ses objectifs et découragea les investisseurs étrangers. Le départ des commerçants étrangers (Grecs, Portugais, Hindous, etc.) pillés par le gouvernement de Mobutu a entraîné le chômage des centaines de travailleurs. Après le départ de son employeur, un commerçant grec, le chef du ménage n°52 s'investit dans l'informel - en fabriquant et vendant des chaises en bambou et en travaillant comme journalier ici et là.

Plusieurs facteurs concoururent à l'amplification de la crise économique du pays inaugurée par la zaïrianisation. La Gécamines, grande pourvoyeuse du pays en devises fortes, connut des difficultés d'approvisionnement suite à la détérioration de la structure économique du Congo et à la fermeture de la voie de Lobito. La province du Katanga dut aussi faire face aux deux guerres du Shaba (1977 et 1978), dont les effets ont conduit la Gécamines à une chute vertigineuse de sa production cuprifère. En septembre 1989, la principale mine souterraine de Kamoto s'effondra et priva ainsi la Gécamines du tiers de sa production. Le syndicat des travailleurs, politisé, ne put plus jouer le rôle de défenseur des intérêts des travailleurs.

Au cours de la période 1974-1989, on assista à la dégradation du pouvoir d'achat et à la dépréciation monétaire. Le taux de change qui était de 2 dollars américains pour 1 zaïre au premier janvier 1968 est passé à 1 zaïre pour 0,34 dollar américain au début de l'année 1980. Du 30 janvier 1984 au 31 décembre 1989, le taux de change pour 1 US est passé de 30 à 300 zaïres.

La période de transition politique qui inaugura les années 1990 fut accompagnée de tout un cortège de violences. Les incidents sanglants survenus en mai 1990 à l'Université de Lubumbashi ont été à l'origine de la mise en quarantaine de la République du Zaïre par les institutions financières et monétaires internationales. Les pillages orchestrés par le gouvernement Mobutu les 21 et 22 octobre 1991 ont systématiquement détruit le tissu économique de la ville de Lubumbashi. Les petites et moyennes entreprises durent fermer leurs portes et procéder à un licenciement massif de leurs travailleurs. Cette situation entraîna une augmentation du taux de chômage et la détérioration des conditions de vie. La situation malheureuse des petites et moyennes entreprises porta à son tour un coup fatal au fonctionnement des grandes entreprises, comme ce fut le cas de la SNCC : ses clients, pillés et appauvris, ne pouvaient plus exporter ni importer des marchandises par la voie ferrée. Cette situation a eu à son tour un impact néfaste sur les conditions de vie des travailleurs : salaires irrégulièrement payés, avantages sociaux supprimés, etc.

C'est après les pillages de la ville de Lubumbashi que les conditions de vie devinrent de plus en plus dégradantes. A ce moment apparut sur les marchés de la ville la fameuse farine avariée destinée à l’alimentation animale communément appelée "vimba". «C'était, note le chef du ménage 43, une farine destinée à l'alimentation du bétail, mais qui sauvait des vies humaines à l'époque!»

Lors d’enquêtes menées dans les écoles secondaires de Lubumbashi à la fin des années 1990 sur ce qui avait le plus marqué dans un passé relativement lointain, une élève donna les raisons pour lesquelles les gens achetaient la farine "vimba", appelée aussi "choco" (diminutif de chocolat) à cause de sa couleur brune.

«Les gens préféraient le vimba en raison du bon prix. Nombreux sont ceux qui désiraient le consommer pour bien se rassasier parce que les gens disaient que la farine vimba augmentait constamment de volume. Sur la route, on ne croisait que des freluquets. Les gros avaient perdu de leurs carrures.

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(...) Les fesses n'étaient plus proéminentes. Oui, au cours de cette période, nous avions affaire à des gringalets, des éclopés» (Dibwe dia Mwembu 1998:231-232).

Le chef du ménage n°82 abonde dans le même sens lorsqu'il qualifie ce moment de période de la bête noire. "C'était, raconte-t-il, la misère noire. On enterrait même des gens dans des cartons par manque de moyens (financiers). On a assisté à 2 ou 3 décès dans une même famille."

Beaucoup de travailleurs de la SNCC gardent encore gravée dans leur mémoire la violence sociale vécue au cours de cette même période sous la haute direction du PDG Tshisola. "Nous avons passé 8 mois sans être payés. C'est une période inoubliable pour nous, car à cette période, nous étions obligés d'entrer dans des banques Lambert pour assurer les études des enfants" (ménage 48).

Les conflits Katangais-Kasaïens qui éclatèrent en 1991-1994 ont accentué la dégradation des conditions de vie déjà précaires. En outre, ces conflits ont été non seulement à la base de la destruction des familles inter ethniques déjà fragiles, mais aussi de la perte d'emploi de bon nombre des travailleurs. Aussi, le chef du ménage n°46 dut-il démissionner de la Gécamines en 1993. Les Kasaïens étaient chassés de la cité Kikula et étaient mis mal à l'aise à leurs lieux de travail. Ils ne pouvaient plus continuer de travailler dans ces conditions. Ces conflits sont aussi à la base de la faillite de certaines activités informelles qui se déroulaient dans l'hinterland de la ville. Dans la lutte contre la hausse des prix des denrées alimentaires, notamment le maïs, le manioc, etc., le gouverneur de province Kyungu wa Ku Mwanza interdit aux Kasaïens, qualifiés d'"affameurs des Katangais originaires" et de "saboteurs de l'économie katangaise", de détenir des dépôts et d'accéder aux villages à l'intérieur de sa juridiction. Il restreignit ainsi leur champ d'activité aux seules grandes agglomérations. Le chef du ménage n°44, trafiquant, fut sérieusement déséquilibré par les conflits Kasaïens-Katangais, non seulement parce qu'en tant que Kasaïen il venait de perdre tous ses biens, mais aussi et surtout parce qu'il n'avait plus accès à Kolwezi ni aux démissionner de la Gécamines en 1993. Les Kasaïens étaient chassés de la cité Kikula et étaient mis mal à l'aise à leurs lieux de travail. Ils ne pouvaient plus continuer de travailler dans ces conditions. Autres centres urbains du Katanga où il pouvait vendre sa marchandise5.

La crise multidimensionnelle du Congo a ébranlé négativement les ménages et affecté leurs besoins élémentaires. L'insuffisance et l'irrégularité des salaires, la détérioration des conditions de vie constituent un élément important de démobilisation des travailleurs et poussent ces derniers à s'investir dans des activités informelles pour amortir les effets de la crise. Ils furent contraints à actualiser ou à développer leurs stratégies de survie. Il en résulte une grande diversification des activités économiques et une importante mobilité professionnelle observée à partir des années 1990. Les activités champêtres constituent la première activité économique au secours des ménages. Elles présentent un double avantage. D'abord, si la moisson est bonne, le ménage s'autosuffira au niveau de la ration alimentaire dans la mesure où il ne paiera pas durant plusieurs mois la farine de maïs, l'aliment de base dans cette partie du pays, ni certains légumes produits dans son champ ou dans son potager. Le vélo joue ici un rôle non moins important dans le secteur informel. Il permet à son propriétaire d'acheminer vers la ville de Lubumbashi des produits vivriers (maïs, manioc, haricots, légumes, etc.) ou non (charbon, bois de chauffage, etc.) achetés dans le milieu rural.

Ensuite, le surplus de la récolte qu'il vend lui rapporte le numéraire, capital initial

5 Le témoignage du chef du ménage n°46 est corroboré par celui de l'enseignant Kamala Ngoie recueilli,

il y a trois ans: "Les ressortissants du Kasaï furent déclarés personnes indésirables dans la province du Katanga, surtout à l'intérieur de la province. Ceux qui avaient osé s'entêter avaient payé de leur vie. C'est ainsi que mon épouse ne pouvait plus faire des déplacements dans les villages environnants. Ceci nous avait causé beaucoup de problèmes. Il fallait trouver une autre activité afin de survivre" (Dibwe dia Mwembu 1997).

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potentiel pour un autre investissement. Cette perception des choses justifie, par exemple, le comportement du chef du ménage n°39 qui, après avoir décroché son brevet, ne s'était pas senti attiré par le travail salarié, mais éprouva plutôt un penchant pour les travaux champêtres. De son côté, le chef du ménage n°30 démissionna de l'entreprise SAVA pour s'adonner à l'agriculture.

Au même moment, il entreprit de cultiver des jardins potagers dont les produits étaient vendus. L'argent que lui rapportait la culture des jardins potagers devint petit à petit un capital pour relancer de petites affaires. Comme derrière leur parcelle vivait une mère trafiquante qui avait l'habitude de se rendre à Bukama, il commença par lui remettre, lui confier des chemises qu'il payait ici pour qu'elle aille les lui vendre. Cette dame l'aida jusqu'à réunir une somme considérable d'argent.

Plutôt que de pratiquer des travaux champêtres, beaucoup de ménages enquêtés vendirent pour faire face à la crise certains de leurs biens meubles et immeubles : habits, appareils électroménagers, poste de radio, pagnes wax hollandais, congélateurs, réfrigérateurs, salon ou salle à manger, poste téléviseur, vélo, maison, etc.(ménages n°16, 26, etc.). Ce faisant, ils cherchaient à se constituer le capital initial en vue d'entreprendre des activités commerciales marginales (kobeta libanga = casser la pierre). Le chef du ménage n°62 a revendu sa télévision, sa radio, son ventilateur ainsi que son réchaud pour lancer son épouse dans le commerce des vivres. Sur conseil de son épouse, le chef du ménage n°69 vendit une partie du patrimoine familial (poste téléviseur, chaîne musicale, radio-cassette). Avec cinq milliards de zaïres, il acheta des fripes, deux cartons de savons antiseptiques et s'installa au marché de la Katuba. A sa femme, il acheta un fût d'huile de palme pour le commerce.

Le salaire que l'on nous payait, se rappelle le chef du ménage n°83, avec retard de 3 ou 4 mois, ne représentait sur le marché qu'un seul sac de farine de maïs (50 kg). Pour tenir (le coup), ma femme a vendu ses pagnes, les assiettes et d'autres ustensiles de cuisine. On a aussi vendu le poste téléviseur qu'on avait payé en 1987. On vivait grâce à Dieu. On avait (finalement) tout vendu sauf le salon et quelques biens de chambre.

Vingt-deux chefs de ménages sont ainsi devenus des commerçants de matières précieuses

(cobalt, diamant, or) ou de ce qu'on appelle ici «articles de luxe» (robes, jupes, pantalons, couettes pour bébés, montres, souliers, chemises, etc., importés et vendus à des prix exorbitants) dans les différents marchés de Lubumbashi; deux se sont convertis en réparateurs de vélos; deux autres, en commissionnaires; un, en pharmacien ambulant; trois, en menuisiers; etc.

D'autres chefs de ménages préfèrent démissionner au profit de la pratique de l'informel jugé plus rentable que le travail salarié. Au bout de deux ans de travail, le chef du ménage n°74 dut abandonner son métier d'enseignant peu rémunérateur au profit du trafic. Suite à l'insuffisance du salaire, le chef du ménage n°51 rompit unilatéralement son contrat avec la SNCC, se mit à acheter des sacs de charbon que son épouse revendait devant la parcelle. Les conditions de vie actuelles dans l'exercice de l'informel lui semblent plus favorables que celles qui étaient siennes en tant que travailleur salarié à la SNCC.

Certains ménages cherchent d'autres emplois du secteur formel plus rémunérateurs. D'autres, enfin, pour arrondir les fins de mois, combinent deux métiers formels (ménages n°8, 12, 13). Lors de la préenquête liée à la biographie, il est apparu que notre enquêté travaillait à temps plein à la fois au sein des forces armées congolaises et dans une entreprise privée de la place. Un autre cas est celui du chef du ménage n°13 qui exerce à la fois les métiers d'enseignant dans une école privée et d'agent à la Direction Générale de Migration (DGM).

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Parfois aussi, certaines gens agissent à contre-courant en allant de l'informel au formel (ménages n°6, 17, 26, 33). Un cas illustratif est celui d'un trafiquant de diamant, chef du ménage n°38, jadis millionnaire, mais devenu, à cause de la faillite, simple soldat au sein des Forces Armées Congolaises.

Le budget mensuel n'est plus programmé à l’avance dans la plupart des ménages qui vivent au jour le jour. La petite chanson "Papa aye, nzala esili" (Papa revient, finie la faim) qu'entonnent les petits enfants lorsqu'ils aperçoivent leur père avec un sachet plein de victuailles est significative. La grande difficulté des ménages est leur incapacité de faire des provisions pour le lendemain.

C'est au cours de cette période de crise que la contribution des femmes au budget ménager, longtemps minimisée et considérée comme aléatoire, est revalorisée. Les femmes deviennent alors des partenaires économiques de plus en plus puissants dans le budget ménager. Parfois, elles sont la plus importante – sinon la seule – pourvoyeuse de revenu pour le ménage.

Soulignons maintenant, note l'enquêteur du ménage n°73, le rôle que joua son épouse, son unique épouse dans la continuation de la vie du mariage. En effet, c'est exactement en 1991 que la femme de notre informateur va prendre la décision de servir aussi le ménage en travaillant quelque part. Auparavant, avec ses trois fils seulement, elle ne s'imaginait pas qu'elle s'exposerait un jour au soleil, en train de vendre des articles comme le sel, le sucre ou de la farine au marché. Elle le fit malheureusement. Elle alla même très loin jusqu'à devenir brasseuse de lutuku, activité qui est devenue la principale et l'unique génératrice de toutes les ressources de la maison jusqu'aujourd'hui. C'est l'épouse de notre informateur qui est considérée aujourd'hui comme le moteur, le chef de ménage du point de vue économique.

Les enquêtes menées dans les 84 ménages de la ville de Lubumbashi ont montré que 61 femmes embrassent de nombreuses et diverses activités pour la survie de leurs ménages. On a pu ainsi dénombrer 30 commerçantes, 12 cultivatrices, 8 employées d’entreprises para étatiques et de l'administration publique, 4 brasseuses de boissons autochtones alcoolisées (lutuku et munkoyo), 3 coutumières, 1 coiffeuse et 3 femmes d'autres métiers.

Devant la détérioration des conditions de vie, nous racontait madame Koko, j'ai demandé à mon mari d'abandonner notre maison dans le quartier Lac Kipopo, de la faire louer et d'habiter à la cité. Je voulais fabriquer et vendre du lutuku. Je ne voulais pas voir mes enfants mourir de faim et ne pas fréquenter l'école faute d'argent. Mon mari a accepté ma proposition. Nous avons quitté la commune de Lubumbashi et nous sommes venus nous établir ici (commune de Kampemba, quartier Kafubu). Je préparais deux fois par semaine deux fûts de lutuku et j'avais ainsi 26 bouteilles de lutuku de 73 cl. Imaginez-vous qu'à cette période (années 1980), une bouteille de lutuku revenait à 5 zaïres, puis à 7 zaïres. Avec les 26 bouteilles que j'écoulais par semaine, je gagnais entre 130 et 182 zaïres par semaine .

Un sac de farine de maïs coûtait entre 25 et 30 zaïres. Je pouvais donc nourrir mes enfants, payer leurs études et les vêtir. Je vous avoue que j'avais une clientèle nombreuse. On dirait que j'avais une brasserie. Les voisines croyaient que j'avais des fétiches qui me servaient à attirer des clients chez moi. Il n'y avait pas que la vente et la fabrication du lutuku. J'écoulais aussi des fûts vides volés à l'usine de la Gécamines. Un de mes clients qui travaillait dans cette usine faisait sortir des fûts la nuit vers 23 heures. Le matin, à cinq heures, je louais un chariot et je transportais et écoulais ma marchandise au quartier commercial Njanja. Le soir, mon fournisseur venait. Je lui

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donnais sa part et gardais la mienne. Mes activités prospéraient. Mais j'eus des problèmes avec la police à cause des voisins jaloux et j'abandonnai. J'entrepris peu après la vente de câbles électriques volés aux usines Latreca de la Gécamines. Une fois de plus, j'eus des problèmes avec la police et j'abandonnai définitivement ces activités. Mais devant l'ampleur de la crise, et comme la vente de lutuku n'était plus aussi fructueuse qu'auparavant, je décidai d'entreprendre les travaux des champs. C'est en 1994 que j'ai commencé à cultiver. Au début, ces activités champêtres étaient rentables, mais maintenant, il n'y a plus grand chose. Les récoltes ne sont plus abondantes. Pis encore, nous partageons ces maigres récoltes avec les voleurs dont le nombre ne cesse d'augmenter tant les entreprises licencient en masse leurs travailleurs ou ferment leurs portes. Actuellement une bouteille de lutuku revient à 20 francs congolais tandis qu'un sac de farine de maïs de 50 kg coûte 600 francs congolais. Comment voulez-vous que j'achète ce sac puisque ma clientèle a considérablement diminué! Il me faut vendre 30 bouteilles de lutuku pour payer un sac de farine de maïs. Cela n'est pas possible. Je cherche un bon endroit où cultiver près de Lumata, à plus ou moins 70 km de Lubumbashi. Une voisine qui y cultive me dit avoir récolté beaucoup de maïs sans avoir utilisé d'engrais chimiques. Mais c'est loin. Si vous partez d’ici à 5 heures du matin, vous y arrivez à 14 heures. C'est mieux d'y construire une petite maison et d'y rester pendant quelques jours par semaine.

Nous avons recueilli ce témoignage auprès de madame Koko, épouse de militaire, dans le

cadre des préenquêtes sur les biographies professionnelles. Nous le plaçons ici pour corroborer l'importance de la contribution des femmes au budget ménager, mais aussi et surtout pour montrer que certaines femmes sont capables, à l'instar des hommes, d'embrasser plusieurs activités économiques informelles à la fois dans la mesure où le besoin se fait sentir au sein du ménage.

Pour se faire une idée de l'apport de l'informel dans la survie des ménages, prenons l'exemple d'un ménage dont le chef, huissier dans l'administration publique, touchait 20.000 nouveaux zaïres par mois au début de l'année 1997. A cette période, un seau de farine de maïs coûtait 150.000 nouveaux zaïres. Le salaire mensuel de l'huissier représentait donc moins du septième du prix d'un seau de farine de maïs, pourtant aliment de base! Si nous faisons abstraction des autres dépenses qui interviennent dans la vie mensuelle du ménage de l'huissier et des autres éléments qui entrent dans la composition et la préparation de l'unique repas journalier, l'huissier devait dépenser mensuellement une somme de 4.500.000 nouveaux zaïres pour l'achat de la farine de maïs! La différence entre son salaire mensuel (20.000 NZ) et la dépense occasionnée pour l'achat de la farine de maïs (4.500.000 NZ) – soit 4.480.000 NZ (c'est-à-dire plus ou moins 224 mois de salaire) – provenait des activités informelles du ménage et, éventuellement des dons! Les enquêtes menées dans les 84 ménages de Lubumbashi sur les sources de revenu et les dépenses corroborent l'importance de l'informel dans le vécu quotidien des ménages de Lubumbashi.

Au fur et à mesure que la crise empire, l'alimentation dans les ménages devient de plus en

plus déséquilibrée. La plupart des ménages prennent un repas par jour, le soir. Le régime alimentaire est très tourné vers les légumes. Les feuilles de manioc, lengalenga, mutete,

ngaingai, choux de Chine, etc. constituent les condiments les plus consommés. Ils sont le plus souvent accompagnés de fretins, souvent aussi de poisson salé, fumé ou frais. Mais, pour des raisons économiques et aussi pour permettre à tous les membres de la famille de manger assez de condiments, on achète plus les légumes que le poisson. Selon la femme du ménage n°39, "l'on dépense moins (lorsqu'on achète des légumes) et l'on a assez de condiments. Mais, s'il faut payer les Thomson ou les poissons salés, il faut envisager au moins 100 FC pour que ça puisse suffire à toute la famille". La viande est absente ou figure très rarement au menu.

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Comme il fut dit dans un des ménages (n°82), "la viande est une visiteuse de marque" (Nyama

ni mugeni!). Période de malheur pour les uns, les années 1990 ont été aussi une période de bonheur

pour les autres, surtout les ménages qui vivaient de l'informel.

"Entre 1992 et 1994, c'était la période de prospérité pour moi. Vous savez que pendant cette période, la crise frappait de plein fouet la ville de Lubumbashi. Mais, moi, pendant cette période, je vivais bien. Ma boutique se portait bien et j'ai pu acquérir deux parcelles non construites et une parcelle construite. J'ai pu acheter beaucoup de biens mobiliers, j'ai pu acheter aussi un véhicule (minibus de marque VW) qui opérait dans le domaine du transport." ( ménage n°01).

Des commerçants véreux exploitent la période de crise, profitant de la loi de l'offre et de la demande pour augmenter les prix de leurs produits. Ils gagnent ainsi leur vie sur le dos de pauvres citadins dans un pays où le contrôle de l'Etat n'est que symbolique.

La scolarisation des enfants constitue un autre thermomètre des conditions sociales de la population. Avant les années 1990, la scolarisation des enfants ne posait pas de problème majeur. Les frais de scolarisation des enfants des travailleurs étaient généralement pris en charge par l'employeur. En fait, à l'époque coloniale, l'encadrement des enfants des travailleurs devait répondre aux objectifs de l'entreprise : produire le futur travailleur docile, discipliné, bon marché et répondant donc au goût de l'employeur. L'employeur créait des écoles professionnelles et orientait les enfants de ses travailleurs selon leur capacité.

Au fil du temps, et surtout avec la crise, la scolarisation devint un luxe, une charge importante et onéreuse pour l'entreprise. Les parents furent obligés de prendre la relève. La tâche est devenue difficile dans la mesure où les salaires insuffisants et irréguliers ne permettent pas à tous les parents de payer les études des enfants. Aussi, constate-t-on une augmentation du taux de déperdition scolaire. Il faut retenir ici que les 84 ménages n'ont pas tous des enfants scolarisables. Certains ménages sont composés entre autres des jeunes couples sans enfants ou avec de jeunes enfants non scolarisables, et des vieux couples qui n'ont plus d'enfants à charge. Sur 34 ménages qui ont fourni des données précises sur la scolarisation des enfants, 21 assurent l'instruction de tous leurs enfants (8 ménages de niveau de vie supérieur, 11 de niveau de vie moyen et 2 de niveau de vie inférieur); 11 supportent les études de certains de leurs enfants (9 ménages de niveau de vie moyen et 2 de niveau de vie inférieur) et 2 (tous de niveau de vie inférieur) ne disposent pas de moyens financiers pour assurer l'instruction de leur progéniture. Pour des raisons financières, le ménage n°17 est contraint d'opérer un choix parmi les enfants à scolariser. Mais c’est en fonction du sexe, non des facultés intellectuelles des enfants, que le choix est opéré : les garçons sont envoyés à l'école et les filles s'occupent des travaux ménagers. Ce ménage considère les études des filles comme un passe-temps en attendant le mariage. Cependant, le souhait de tout parent est de voir sa progéniture étudier, réussir dans la vie et partant, assurer ses vieux jours. Les exemples d’aide apportée par les enfants sont légion : citons ceux des chefs des ménages n°9, 61 et 77, respectivement chômeur, ancien plombier et retraité de l'UMHK qui dépendent tous de l'aide de leurs enfants et de leurs gendres.

Devant une situation de crise, la solidarité africaine est de mise comme l'avait d'ailleurs noté Mongo Beti avant les indépendances africaines : "Sans ressources, on réussit toujours à survivre, car la solidarité ethnique et familiale joue à plein. Celui qui a aujourd'hui la chance de gagner un peu d'argent aide son «frère» à manger. Demain, ce sera le tour d'un autre".

Lorsqu'on se situe au niveau de l'aide matérielle et financière, 29 ménages sur les 84 enquêtés (35%) ont déjà bénéficié du secours extérieur en temps de crise : 20 de ces 29 ménages (69%) ont été assistés par leurs parents, 6 (21%) par leurs Eglises respectives, 2 (7%)

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par des amis et 1 ménage (3%) par les associations socio-culturelles. Certains ménages sont aidés à la fois par les parents et par l'Eglise (ménages n°42 et 76), par l'Eglise et les amis (ménage n°80) ou par les parents, l'Eglise et l'association socio-culturelle (ménage n°76).

Vivre en dehors de la famille élargie ou d'une mutuelle tribale (association socio-culturelle) est considéré par certains ménages comme un suicide en cette période de crise. Grâce à ces mutuelles, certains problèmes trouvent des solutions conformément à la tradition; des différends entre les membres sont tranchés par les vieux au lieu de recourir aux tribunaux modernes ou au chef de camp. Bon nombre des gens ont pu se faire embaucher grâce à l'intervention d'une tierce personne - un parent, un ami, un beau-frère, un membre influent de l'association socio-culturelle (ménage n°20) - ou survivent grâce à une aide appréciable des membres de la mutuelle, des frères et sœurs en Christ de leurs Eglises ( ménages n°31, 42 et 63). Certains pasteurs sont d’ailleurs complètement pris en charge par leurs fidèles, tant pour leur logement, leur nourriture, leur habillement que pour la scolarisation de leurs enfants (ménage n°44). De toutes les façons, l'association tribale, l'association socio-culturelle ou l'Eglise constituent un espace de sécurité et de protection pour leurs membres respectifs face aux vicissitudes de la vie. Nous plaçons ici un témoignage relatif à l'assistance de l'Eglise recueilli auprès de monsieur Koko, un militaire, lors de nos préenquêtes sur les biographies professionnelles.

"Mais il faut vous dire que nos vrais frères sont les frères en Christ. Ces derniers nous assistent beaucoup en cas de malheur et de bonheur. Lorsque quelqu'un du quartier est éprouvé, les frères et sœurs en Christ se cotisent, ils passent de maison à maison, récoltent ce qu'on peut leur donner : farine de maïs ou de manioc, charbon de bois, argent, légumes, etc. Ils viennent préparer et offrent la nourriture aux personnes venues vous consoler. Par contre, les membres de la famille élargie apportent plus de problèmes que de soulagement. Dans nos quartiers CEV, nous nous cotisons et nous avons créé une caisse de secours. Nous venons en aide aux familles chrétiennes éprouvées ou en difficulté. Voilà comment nous nous organisons au niveau des frères et sœurs en Christ."

En fait, les Eglises, les groupes de prière et les sectes religieuses sont devenus non seulement des lieux de moralisation, de négociations et de médiation, mais encore et surtout des lieux d'entraide en cette période de crise. Une Eglise dont les membres ne s'entraident pas est vite abandonnée par les fidèles en quête d'une institution qui leur assure la sécurité sociale : on la critiquera en des termes comme "habangalianake" (littéralement, ils ne regardent pas les autres), ou "habasaidianake" (littéralement, ils n'aident pas les autres). Ainsi s’explique la mobilité des fidèles entre les différentes Eglises, chrétiennes ou non. La famille Koko se trouve en sécurité sociale dans sa Communauté ecclésiale vivante (CEV), c'est-à-dire l'Eglise catholique organisée au niveau du quartier. Outre ses deux salaires, beaucoup d'entrées qui contribuent à la survie de la famille proviennent des frères et sœurs en Christ. C'est ce à quoi Koko faisait allusion en parlant de la caisse sociale. On peut emprunter et rembourser lorsqu'on est confronté à un problème social comme la maladie. 2.3.2.3. Lubumbashi sous le régime Kabila (1997-2000)

L'avènement de l'Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération du Congo

(AFDL) symbolisait le retour de l'Etat de droit et du travail salarié. Il a de ce fait suscité des espoirs. La création de beaucoup d'emplois vraiment rémunérateurs allait non seulement diminuer considérablement le taux de chômage, mais aussi mettre un terme, lentement mais sûrement, aux activités informelles. La lettre pastorale des Evêques catholiques du Congo

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intitulée «Lève-toi et marche» était un véritable appel à la résurgence d'un pays longtemps courbé sous le joug d'une poignée de personnes. 2.3.2.3.1. L'AFDL et la renaissance de Lubumbashi (1997-1998)

La ville de Lubumbashi a connu, durant les premiers mois de sa libération par les troupes de l'AFDL, une véritable période de renaissance sur les plans financier (la dédollarisation de l'économie, le retour du système bancaire et la fin du cambisme, l'arrêt de la planche à billet et de la fraude fiscale) et économique (la fin de la somalisation6 de la ville et un retour de l'abondance, la stabilité des prix et la libre circulation des personnes et de leurs biens) (Nawej Kataj 1999). Tout ceci eut un impact positif sur le vécu quotidien de la plupart des ménages de Lubumbashi. Pour le chef du ménage n°41, l'avènement de l'AFDL inaugura une période rose dans la mesure où, sur le plan alimentaire, le ménage était capable de consommer tout ce dont il avait besoin, notamment de la viande et du poisson frais communément appelé Thomson, jadis l'aliment des ménages nantis (ménages n°41, 39). Le poisson Thomson, en provenance de l'Afrique du Sud, devint courant sur le marché de Lubumbashi et fut vendu à des prix à la portée de toutes les bourses. C'est pourquoi la population de Lubumbashi l'a surnommé Uhuru (liberté), pour dire que son abondance sur le marché symbolisait la liberté. L'opinion généralement admise au début de cette période était que qu'au lieu de mourir de faim, la population allait mourir de l'abondance.

L'avènement de l'AFDL a aussi causé la chute de certains ménages, surtout ceux qui vivaient de la fraude, du trafic des matières précieuses (comme le cobalt) ou d'autres activités économiques interdits par le gouvernement Kabila (ménages n°46 et 56). Le chef de ménage n°21 raconte comment il s'y prenait pour avoir les déchets de cobalt dans les installations de la Gécamines à Likasi :

«J'ai décidé de quitter Kapolowe pour revenir à Likasi. Peu après commençait le phénomène "koko" (affaire cobalt). La mafia du cobalt m'enrichit un peu. J'étais fournisseur. Nous descendions en lèche-vitrines, dans les installations, pour ramasser les déchets de cobalt. Personnellement, je n'y allais pas souvent, mais je m'informais du jour de la coulée du cobalt. Quand la Gécamines ne produisait plus, il y avait, à Likasi, un Grec et un Japonais qui achetaient les mitrailles de cobalt. Mes clients provenaient sans doute de la poche du commerçant grec. L'opération était périlleuse, car si l'on ne prenait pas garde de graisser la patte du militaire, il arrivait des fois qu’il tire sur les fraudeurs infiltrés dans les installations. Il fallait attendre la fin de la coulée. Lorsque le four va se refroidir, il y aura des débris restés dans la marmite sous forme des scories. Une filière puissante s'occupe de ces déchets. Il fallait soudoyer le travailleur du four jusqu'à la sortie pour avoir quelque chose aussi. J'étais parmi les courageux qui allaient à l’encontre de la mort en allant à la rencontre assarmentée des militaires armés jusqu'aux dents. Quand nous sortions avec quelques petites mitrailles, nous (les) vendions par kilo aux négociants qui, à leur tour, revendaient aux blancs sur place. Ces derniers exportaient les mitrailles vers l'Afrique du Sud en passant par la Zambie et ailleurs. Cette activité m'a permis d'acheter une petite maison dans le quartier Kanona à Likasi. Je l'ai revendu lorsque s'aiguisa la crise due à l'arrêt de l'opération cobalt."

6 Le terme "somalisation" vient de "Somalie", pays dont les habitants, victimes de la disette et de la

famine, étaient devenus très maigres. Après la longue période de vaches maigres qui commença au début des années 1990, les Congolais avaient acquis une carrure semblale à celle des Somaliens, d'où le néologisme de "somalisation".

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De son côté, le chef du ménage n°55 regrette l'époque de Mobutu au cours de laquelle

l'exploitation des grumes de sapins, bien qu'interdites, lui rapportait beaucoup d'argent. L'avènement de l'AFDL a rendu cette activité beaucoup plus compliquée. Et c'est dans la fraude qu'il continue à exercer ce métier plus rentable, mais plein de risques.

La renaissance de la ville de Lubumbashi finit par apparaître, un an après la libération du pays, comme un leurre, une lueur d'espoir chimérique à cause du maintien de l'embargo sur le pays et de l'agression des pays voisins.

Depuis son avènement au pouvoir, le gouvernement de salut public n'a pas bénéficié d'une aide quelconque des institutions financières internationales comme la Banque mondiale ou le Fonds monétaire international. La communauté internationale reprocha tour à tour au président de la République le génocide par les troupes de l'AFDL des Hutu rwandais réfugiés dans ce pays, l'absence de la démocratisation des institutions du pays, la politique d'exclusion et la culture du clanisme dans la nomination des fonctionnaires à la tête aussi bien des institutions publiques que paraétatiques. La République Démocratique du Congo, à l'instar de la République du Zaïre de Mobutu, continuait donc à vivre en quarantaine, sous l’embargo imposé depuis les "massacres" des étudiants de l'Université de Lubumbashi. Les grosses entreprises minières congolaises comme la Gécamines, qui avaient besoin des capitaux frais pour le renouvellement de leur équipement et, partant, le redressement de leur économie, ne pouvaient donc rien espérer des bailleurs des fonds internationaux. Et la nouvelle guerre de "libération" déclarée à la fois par le Rassemblement des Congolais pour la Démocratie (RCD) et le Mouvement de Libération du Congo (MLC) contre le gouvernement de salut public surprit la RDC empêtrée dans ses problèmes financiers. 2.3.2.3.2. La guerre d'agression (2 août 1998 à nos jours)

Les conditions de vie déjà précaires des ménages vont empirer avec le début de la "rébellion". En effet, c'est le 2 août 1998 que la "rébellion" éclate dans l'Est de la RDC. Son début coïncida avec la décision du président Kabila de voir les militaires rwandais et ougandais rentrer dans leurs pays respectifs. Les Banyamulenge qui ne se sentaient pas en sécurité avec le départ des militaires rwandais et ougandais se rebellèrent contre le gouvernement de salut public. Le Rwanda d'abord, l'Ouganda ensuite et le Burundi enfin envahirent l'est du Congo, aux côtés des rebelles. Officiellement, ces trois pays prétendent sécuriser leurs frontières avec la RDC, pays à partir duquel les rebelles ougandais, rwandais et burundais menaient des attaques pour déstabiliser les régimes en place. Le but inavoué était de porter à la tête de la RDC des gens de leur obédience qui les aideraient à se débarrasser une fois pour toutes des Interhamwe, des Forces Armées Rwandaises (FAR), des rebelles ougandais et burundais. Il semble aussi que des gains territoriaux étaient escomptés. Un parti politique nommé Rassemblement des Congolais pour la Démocratie (RCD) fut créé dans la hâte pour couvrir l'agression. A son tour, le président Kabila est diabolisé et présenté comme l'auteur, à titre d'exemple, du verrouillage de la vie politique, de la résurgence de la corruption, du clientélisme et du tribalisme, de la persécution des dirigeants de l'opposition et des militants des droits de l'homme (Kebe Yacouba 1998:20, Mutamba Lukusa 1999: 125sq.). Les commanditaires de la rébellion voudraient non pas prendre le pouvoir, mais bien chasser le "nouveau dictateur" (Kabila), donc "libérer" à leur tour le Congo. Nous n'allons pas nous étendre davantage sur ce sujet : notre ambition est de montrer l'impact négatif de cette guerre sur le vécu quotidien des ménages de la ville de Lubumbashi.

Il est vrai que la guerre a torpillé tous les plans de redressement de l'économie du pays en ce sens que la fraction la plus importante du budget est consacrée à la satisfaction des besoins militaires. De plus, les circonstances actuelles n'encouragent pas les bailleurs des fonds internationaux à investir dans un pays impliqué dans une guerre dont ils ignorent l'issue.

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La guerre d'agression constitue donc une période de rechute pour les ménages meurtris et humiliés pendant plus d'un quart de siècle, et pour lesquels l'avènement de l'AFDL représentait un grand espoir. A cause de la détérioration de la situation économique, les grandes entreprises de Lubumbashi commencent à mettre en congé technique des milliers de travailleurs. Les conditions de vie qui semblaient s'améliorer se détériorent dangereusement. Les résultats des enquêtes que nous avons menées sont révélateurs.

L'exemple le plus frappant de la débrouille quotidienne est celui que nous offre le chef du ménage n°21. Après avoir vendu sa petite maison de Likasi, le chef du ménage n°21 quitte Likasi pour habiter à Lubumbashi où il espère évoluer dans de meilleures conditions. Mais il s'y surprend en train de vivre au jour le jour :

"Le capital réuni me permit de m'installer à Lubumbashi où j'espérais poursuivre ma débrouillardise. Likasi est contraignante dans le domaine des affaires tandis que Lubumbashi offre d'énormes avantages. Actuellement, je n'ai pas de boulot fixe. Je suis un touche-à-tout. Des fois, je fais des commissions pour des véhicules en ville; des fois, je chaule les murs des magasins, parfois je fournis aux blancs des fleurs ou des plantes ornementales; parfois je m'occupe de commissions pour des maisons ici même à la cité. Je n'ai pas de revenu fixe et je cherche un boulot pour me stabiliser. Il m'arrive de faire le commissionnaire à Njanja. Je cherche des clients pour les pécheurs, ainsi de suite." Le chef du ménage n°2, sentinelle dans une congrégation catholique, est contraint, avec

son salaire dont le pouvoir d'achat s’amenuise jour après jour, de s'adonner aux travaux champêtres en dehors des heures de service. Son épouse contribue au budget ménager en vendant du charbon de bois ou du bois de chauffage devant la parcelle.

Il faut reconnaître que des facteurs indépendants du contexte économique général du pays ou de la ville de Lubumbashi ont aussi été responsables de moments de rupture propres à certains ménages. Des circonstances malencontreuses ont causé soit la perte de l'emploi, soit la faillite des activités économiques et, partant, la descente vers l'enfer pour certains ménages. Epinglons ici le cas d’un travailleur révoqué pour vol présumé.

Les travailleurs de la Gécamines n’ont commencé à sentir le poids de la crise que tardivement à la fin des années 1970. Par rapport aux autres travailleurs de la ville, ils constituaient un îlot préservé dans un environnement économique malsain. C'est à cette époque justement (1977) que le chef du ménage n°73 fut révoqué de la Gécamines.

Il faut dire, note l'enquêteur, qu'il était parmi les quelques rares personnes compétentes dans le domaine de l'aviation. Or, il y avait beaucoup de tâches à accomplir, ce qui l'obligea à former beaucoup d'autres travailleurs parmi lesquels il y eut des malhonnêtes qui lui firent perdre son travail.

En effet, pendant qu'il mangeait au restaurant en compagnie de ses amis, un travailleur qui volait du kérosène dans l'avion fut surpris la main dans le sac. Le malheureux avoua mensongèrement qu'il accomplissait les ordres de son chef qui n'était autre que notre informateur. Celui-ci fut donc jugé et renvoyé du travail. Pour lui-même, cela était bien un complot monté par ses collègues qui l'enviaient. Il dut alors vendre, pour survivre, tous les biens de valeur qu’il avait pu acheter lorsqu’il était pilote à la Gécamines. Il devint conducteur de taxi. Grâce à l’intervention d’un ami, il fut engagé comme chauffeur d’entreprise.

Une longue maladie qui se termina par le décès d’un enfant a provoqué la faillite du ménage n°54. En effet, comme le mari et la femme vendaient au marché, ce ménage a connu une certaine prospérité au cours des années 1992-1996, alors que la crise atteignait son paroxysme dans la ville. Mais un des enfants tomba malade depuis 1997, mourut une année

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plus tard. Les dépenses occasionnées pour les soins médicaux et l'organisation des funérailles causèrent la faillite du ménage juste au moment où tout le monde parlait de la renaissance de Lubumbashi.

Le vol a causé aussi la faillite de nombreux commerçants (ménages 21, 74, 77, etc.). Le chef du ménage n°74, diplômé d'Etat, fut d'abord enseignant dans une école primaire. L'insuffisance du salaire le poussa à s'adonner d'abord à l'agriculture. Le capital qu'il amassa grâce aux activités champêtres lui permit de se lancer dans le trafic. En 1993, il commença à troquer des fripes contre du poisson à Bukama. En 1996, il tomba en faillite, victime du vol de toutes ses marchandises. Il ne put trouver son salut que dans la vente de sable lavé. Au même moment, son épouse s'activait dans la vente de manioc grillé.

Le chef du ménage n°1 attribue sa faillite à une série de faits pour lui inintelligibles. Nous avons vu que ce chef de ménage avait connu une période d'abondance au moment où le pays et la ville étaient au cœur de la crise économique (1992-1994). Mais voilà que tout à coup, tout bascule autour de lui. Les activités économiques jadis florissantes chancellent dangereusement. Au moment de l'enquête, le chef du ménage n°1 se trouve dans le creux de la vague : sa boutique n'existe plus, beaucoup de ses biens ont été vendus, y compris son mini-bus. Pis encore, il a été victime de beaucoup d'événements malheureux : escroquerie, cambriolage, destruction méchante de sa boutique. D'après lui, cette série de faits malheureux ne peut s'expliquer que par la sorcellerie.

La mauvaise gestion du kiosque (ménages n°51, 78), la saisie des biens à la frontière, l'emprisonnement du chef de ménage (ménage n°20), la retraite ou la mort du chef de ménage (ménages n°80, 86), etc. sont autant de facteurs de chute de certains ménages, indépendamment de la conjoncture économique ambiante. 2.4. Conclusion

L'analyse de biographies à orientation économique n'est intelligible qu'intégrée dans l'histoire économique et sociale générale du pays, de la province du Katanga et de la ville de Lubumbashi. Elle nous a permis de récolter les opinions des personnes marquées par la crise et pour lesquelles l'informel, une stratégie de survie, est désormais considéré comme une situation normale.

Si, pour traduire l'évolution de ces biographies, on se servait d'une représentation graphique, la courbe serait fluctuante, mais de tendance régressive depuis la fin de la période coloniale jusqu'à nos jours. Ceci traduit la dégradation continue des conditions de vie des citadins. La série de crises économiques que le pays et la ville traversent depuis le début des années 1970 explique à la fois la baisse, l'insuffisance et l'irrégularité des salaires. Dans ces conditions, personne ne peut encore prétendre survivre avec le salaire mensuel comme seule source de revenu. La multiplication des sources de revenu (cf. le point 6.6.2), c'est-à-dire l'actualisation ou le développement des activités économiques informelles, peut être interprétée comme une réponse de crise à une situation de crise ; elle est à la base de l'intensification de la mobilité socio-professionnelle depuis 1990.

Dans un tel climat, les activités économiques féminines, longtemps négligées, ont été revalorisées. L'importance économique des femmes dans les ménages a été confirmée avec, comme corollaire, la redéfinition des rapports entre conjoints.

Les liens de sociabilité avec les membres de la famille élargie, de la tribu, de l'ethnie, de l'association socio-culturelle ou de l'Eglise sont déterminants dans le cadre de la recherche de l'emploi et de la (ré)intégration dans le nouveau milieu d'accueil. La défectuosité de ces liens amène parfois un déséquilibre prononcé, aux conséquences fâcheuses dans les relations humaines. La solidarité africaine est sollicitée par ceux qui sont affectés par une crise quelconque, et qui se rapprochent de leur communauté – un espace de négociations – pour

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obtenir une certaine sécurité sociale. C'est auprès des parents, amis et connaissances que l'on trouvera, par exemple, un logement temporaire, un peu de nourriture ou une aide quelconque en cas de difficultés. De telles relations humaines expliquent dans certains cas la mobilité spatiale observée dans le choix du lieu du logement.

La récolte des biographies à orientation économique contribue à une meilleure compréhension de la complexité de ce qui se trame derrière le "miracle" congolais. Les Congolais qui se retrouvent au niveau zéro de leur économie, donc virtuellement morts, survivent. «Tunaishi tu kwa neema ya Mungu» (Nous vivons uniquement par la grâce de Dieu) est le slogan quotidien de Monsieur tout le monde. La survie recommande aux hommes des comportements parfois difficiles à comprendre de l'extérieur, mais dont, nous l’espérons, le présent chapitre a permis de saisir, au-delà du miracle, certains mécanismes pratiques.

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CHAPITRE 3 : DEMOGRAPHIE URBAINE

Pour pouvoir établir avec quelque certitude les grandes caractéristiques démographiques d'une ville, il convient, selon les spécialistes, d'avoir un échantillon d'au moins un millier d'individus. Avec 628 personnes, notre échantillon est en deçà de ce seuil. Nous n'aurons donc pas la prétention d'extrapoler de nos données la pyramide des âges de la ville, ni son taux de masculinité par tranche d'âge, etc. Tout au plus notre échantillon fera-t-il apparaître des ordres de grandeur. Dans certains cas, la force des chiffres présentés sera telle que les conclusions sembleront acquises pour l'ensemble de la ville; dans d'autres, on se contentera de noter de simples tendances qui mériteraient plus amples confirmations.

Nous commencerons par rassembler les données que nous avons à propos de la population de la ville dans son ensemble. Sur cette base, nous proposerons une projection tenant compte de ces différentes sources pour estimer le volume de la population urbaine en 2000. Dans un second temps, nous nous baserons sur les données issues de nos propres enquêtes pour faire apparaître quelques grandes caractéristiques démographiques de la population lushoise.

3.1. Evaluation de la population urbaine Les données globales dont nous disposons pour proposer une évaluation démographique de la ville en l’an 2000 sont très lacunaires. Quatre séries de chiffres sont pertinentes. 3.1.1. En 1970, 1973 et 1984 En 1970, vers avril-juin, un grand recensement fut organisé à l’échelle de toute la république, où tout chef de famille (toute personne de plus de 18 ans) devait se rendre dans un bureau local de recensement pour livrer des renseignements sur lui-même et sur les personnes dépendant de lui. Pour Lubumbashi, la population recensée s’élevait à 318000 personnes, dont 287921 nationaux et 30079 étrangers (Boute 1970). Ce chiffre n’a pas été contesté dans les publications subséquentes7.

Suite à une grande enquête menée en juillet 1973 sur la population et les budgets ménagers, Houyoux et Lecoanet évaluèrent la population lushoise à 432901 habitants. Ce chiffre a été obtenu selon la méthode suivante. Sur base d’une enquête auprès de 713 parcelles sélectionnées sur une base strictement aléatoire à partir des données du cadastre de la ville, le nombre moyen des habitants par parcelle a été évalué à 9,177 pour l’ensemble des sept communes. Comme, toujours selon le cadastre, il existait à ce moment 44203 parcelles habitées, la population devait avoisiner ce nombre multiplié par 9,177 , à savoir 405638 habitants. En ajoutant à ceci 27263 personnes se trouvant dans des espaces fermés (casernes, campus, prison), on arrive au chiffre total de 432901 (Houyoux et Lecoanet 1975). Une petite remarque technique : en fait, l’échantillon des parcelles à partir duquel le nombre moyen de personnes par parcelle a été obtenu connaît un certain biais, puisque 24

7 Les archives de Kamalondo renseigneraient néanmoins, pour cette même année 1970, une population de 330172 dans le Bulletin des statistiques générales de 1973.

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parcelles n’ont pas été retenues, parce que trop éloignées, parce qu’il n’y avait personne au moment des enquêtes, ou parce que ses occupants ont refusé tout contact. Il se pourrait que ces exclus de l’échantillon soient de plus petits ménages que la moyenne. Une dizaine d’années plus tard, une enquête à grande échelle révéla que le nombre moyen de personnes par parcelle avoisinait 8,69 seulement (Lootens 1985:483). Le chiffre de 432 901 est très supérieur au résultat du recensement précédent de 1970. Il semble en effet que l’immigration vers Lubumbashi ait été très forte entre 1970 et 1973, période de grande prospérité qui fut accompagnée d'un exode rural important (Houyoux et Lecoanet 1975 :29). Signalons cependant que certains auteurs s’inscrivent en faux contre les chiffres publiés par le BEAU, qu’ils jugent largement surévalués (Lootens 1985:483, Bruneau et Pain 1990:53). En juillet 1984 eut lieu un nouveau recensement scientifique général obtenu par une campagne d’enquêtes menées de porte à porte dans toute l’étendue de la république (INS 1991, 1992). Pour la ville de Lubumbashi, la population s’élevait à 564830 personnes. Ce chiffre correspond de très près à celui avancé , tout à fait indépendamment, par Bruneau et Lootens sur base d’enquêtes réalisées avec le soutien du BEAU et de l’UNILU, de septembre 1983 à mars 1984 : 553510 personnes au 1/1/84 selon Lootens (1985:482), 560000 selon l'Atlas de Lubumbashi (Bruneau et Pain 1990:57). 3.1.2. Chiffres émanant de l’administration

Depuis 1984, il n’y a malheureusement plus eu de recensement scientifique. L’INS a publié une série de chiffres, qui circulent actuellement dans l’administration lushoise et qui sont des projections du recensement de 1984 avec un taux d’accroissement annuel de 3,7%. C’est donc du côté de l’administration municipale que nous devons nous tourner. En effet, la ville, dirigée par un maire (actuellement M.Kaseba) regroupe sept communes (dirigées quant à elles par des bourgmestres) qui sont chargées de recueillir des données sur la population résidente. Voici les chiffres que nous possédons pour les années 1990 : 1990 : 678591 1991 : 706000 1992 : 733997 1993 : 925264 1994 : 827527 1998 : 811961 1999 : 835235 nationaux + 9444 étrangers = 844499

Ces chiffres ne sont malheureusement guère fiables. D’aucuns se souviennent, par exemple, que dans les années 1980, des agents effectuaient un recensement où les administrés devaient payer une petite somme pour le certificat de recensement ! Des incongruités sont notables, comme cette hausse subite de presque 200000 personnes en 1993! Depuis l’imposition du nouveau régime, les données de la population sont recueillies selon la procédure suivante. Des « chefs de rue » sont chargés d’enregistrer tout mouvement de population dans leur section, forte d’une dizaine de parcelles en général. Ces chiffres sont envoyés à la « cellule », qui les transmet au « quartier » qui les transmet à son tour à la commune. Il ne s’agit donc pas à proprement parler d’un recensement, mais bien d’une analyse des flux reportée sur le chiffre de l’année précédente. De son côté, la commune collationne tous ces résultats, et les met en regard de ses propres chiffres puisque les déclarations de décès, de naissance et de changement de domicile sont normalement enregistrées à la commune.

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En réalité, ce contrôle est très approximatif. Certains chefs de rue réalisent consciencieusement leur tâche, d’autres non. Les administrés, de leur côté, ont tendance à se soustraire à tout enregistrement. L’on évitera ainsi de déclarer les naissances afin de ne pas encourir les dépenses administratives que cela suppose (seuls les employés des grandes sociétés (GCM, SNCC) déclarent promptement leur progéniture, en raison des allocations familiales que cela génère); les hôpitaux sont bien censés transmettre leurs informations à ce sujet aux communes, mais de plus en plus de personnes accouchent en dehors des hôpitaux. Les personnes qui emménagent dans ou qui déménagent de la commune ont certainement tendance elles aussi à ne pas se présenter auprès de l’autorité communale. Il n’y a finalement que les décès qui semblent bien enregistrés, car pour obtenir sa place dans une concession de cimetière, il est très difficile (mais pas impossible) de contourner l’administration. Les chiffres de l’administration semblent donc structurellement sous-évalués. Néanmoins, il semble que de nombreux efforts ont été fournis depuis la mise en place de l’équipe du nouveau maire en 1997. Les chiffres de l’année 1998 et 1999 pourraient donc être de meilleure qualité que ceux du début de la décennie. 3.1.3. La population de Lubumbashi en 2000: tentative d'estimation

Le chiffre de la population en 1984 (564830 hab.) nous servira donc de point de départ. L’évaluation du taux d’accroissement annuel moyen est chose beaucoup plus délicate. Si l’on se base sur l’accroissement de 1970 (318000 hab.) jusqu’en 1984, l’on obtient un taux annuel de 4,19%. Mais si l’on se base sur l’accroissement depuis 1973 (432901 hab.), ce taux se réduit à 2,45%. Si l’on était absolument sûr du chiffre de 1973, ce dernier taux serait à retenir, mais plusieurs auteurs pensent qu’il fut surévalué (cf. supra). Nous proposerons aussi un compromis entre ces deux chiffres : 3,32%. En admettant ce taux, on obtiendrait une population de 952507 personnes en l’an 2000. Mais il faut ici ajouter que la croissance n’a pas été régulière depuis 1984. Epinglons quelques-uns des événements qui ont dû modifier ce taux. Des licenciements massifs eurent lieu dans le complexe industriel de Tenke-Fungurume au milieu des années 1970. Cet important complexe lié à l’exploitation du cuivre et du cobalt, situé à une centaine de km à l’ouest de la ville, attira une importante masse de travailleurs, notamment venus du Kasaï et du Nord Katanga, qui quittèrent très vite l’entreprise devenue non rentable et s’établirent à Lubumbashi.

En 1992, tout le Katanga fut secoué par une grande campagne régionaliste anti-kasaïenne menée par le gouverneur Kyungu. Les Kasaïens furent chassés par dizaines, voire par centaines de milliers, de la province minière. Beaucoup d’entre eux furent contraints à rejoindre le Kasaï par train : tel fut le destin des Kasaïens de Kolwezi, où l’épuration ethnique fut presque totale. En ce qui concerne le sud-est du Katanga, les Kasaïens furent chassés de nombreuses petites villes (Likasi, Kasumbalesa, Kipushi, etc.). Beaucoup d’entre eux convergèrent non vers le Kasaï mais vers Lubumbashi, qui fut baptisée, avec un humour grinçant, le « salon » : on avait balayé toute la maison, il restait à finir le « salon » pour terminer le travail. Cependant, la politique d’expulsion s’essouffla avec le temps, et nombre de Kasaïens émigrés du reste de la province se retrouvèrent ainsi à Lubumbashi. Beaucoup de ceux qui avaient gagné le Kasaï revinrent même dans la métropole. En définitive, l’effet « Kyungu » s’est paradoxalement traduit par un solde positif sur la population de la ville. D’autres processus ont dû au contraire avoir eu un effet négatif sur ce solde. L’extrême précarité économique qui touche le pays depuis les pillages de 1991 a conduit – et conduit sans doute encore – beaucoup de citadins à retourner à la campagne, quelque peu épargnée des affres de la crise. Mbuyi Bin Diondo a montré l’impact de cet effet dans sa thèse (1998).

La libération de la ville par l’AFDL de Laurent-Désiré Kabila ne semble pas avoir eu d’effet important en ce qui a trait à la démographie. Par contre, la présente guerre contre le

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Rwanda et ses alliés a entraîné de nombreux mouvements de population. Tout d’abord, les soldats des multiples camps de la ville ont été pour beaucoup envoyés au front, et de nombreux jeunes gens se sont enrôlés pour gagner cette même destination. Dans le sens inverse, de très nombreux déplacés de guerre ont gagné Lubumbashi pour échapper à l’envahisseur, en provenance du Nord-Katanga et du Kivu/Maniema principalement. Beaucoup d’entre eux possédaient de la famille ou des connaissances à Lubumbashi et se sont fondus dans la masse de la population de la ville ; d’autres sont à présent regroupés dans des camps en attendant un jour meilleur. Un document émanant du Commissariat général à la réinsertion estime le nombre de déplacés de guerre, à la date du 16/11/1999, à 30085 pour la seule ville de Lubumbashi, dont 22873 intégrés dans la masse de la population et 7212 concentrés dans 6 camps répartis sur toute la ville (Katuba, Quartier Industriel, Kenya, Kamalondo, Kafubu). En définitive, le chiffre d’environ 950 000 proposé sur base d’un hypothétique taux de croissance doit être certainement amendé vers le haut, en raison de l’effet « Kyungu » et des conséquences de la présente guerre. Une population d’un million d’habitants paraît donc un ordre de grandeur plus raisonnable. 3.1.4. La répartition de la population par communes et quartiers Si l’on se base sur les chiffres de 1973 et de 1984, la population de Lubumbashi (hors casernes, hôpitaux, campus et prison pour 1973) se répartissait de la façon suivante entre les différentes communes (Houyoux et Lecoanet 1975:23, INS 1991, 1992) : 1973 1984 Lubumbashi 9,52% 11,37% Kampemba 11,15% 22,32% Ruashi 16,23% 13,29% Kamalondo 6,54% 4,71% Kenya 21,17% 15,71% Katuba 26,33% 26,27% Annexe 9,06% 6,33%

Si l’on prend à présent les chiffres fournis par l’administration de la ville pour l’année 1998 et 1999, nous obtenons les chiffres suivants : Commune Pop. en 1998 %age / pop.tot. Pop. en 1999 %age / pop.tot. Annexe 95911 11,81% 95416 11,42% Kamalondo 32609 4,02% 32582 3,90% Kampemba 161149 19,85% 161579 19,35% Katuba 218288 26,88% 220442 26,39% Kenya 81274 10,01% 82005 9,82% Lubumbashi 100092 12,33% 115524 13,84% Ruashi 122638 15,10% 127687 15,29% TOTAL 811961 100% 835235 100% Pour le calcul de la part relative qu’occupent les différentes communes et les différents quartiers dans les effectifs de la population de cette ville, nous nous permettrons d’utiliser, faute de mieux, les chiffres de l’administration. En effet, si ces chiffres sont sujets à caution quant aux effectifs de la population (ils sont systématiquement biaisés à la baisse), ils doivent l’être moins en ce qui a trait à la part relative des différentes communes dans l’ensemble de la population urbaine : les chiffres sont certes sous-évalués, mais les augmentations/diminutions

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démographiques des différentes communes par rapport au total de la population urbaine doit se refléter malgré ce biais qui s’applique – peut-on conjecturer – de la même façon dans les différents quartiers. Les chiffres de 1998/1999 ne sont par ailleurs pas trop éloignés de ceux, fiables, de 1984. Ils reflètent correctement la baisse prévisible des communes enclavées (Kamalondo et Kenya) et la hausse tout aussi prévisible de la Commune Annexe et de la Commune de Lubumbashi, où l’on trouve une série de quartiers propices à recevoir le surplus de population que génère la hausse démographique. Katuba resterait très stable, Ruashi connaîtrait une petite hausse et Kampemba une légère diminution (ce dernier processus étant étonnant). La comparaison des chiffres de 1998 et de 1999 révèle de nouvelles incongruités. Ainsi, on remarquera que la population reste quasiment semblable dans la plupart de communes, sauf celle de Lubumbashi qui connaîtrait une hausse remarquable, que pourrait en partie expliquer l’expansion du quartier Kalubwe. Cette constance semble tout simplement le reflet de carences dans l’enregistrement des mouvements de population : ainsi, il apparaît que pour certains quartiers, les chiffres de 1999 sont simplement la reproduction de ceux de 1998 ; c’est le cas de cinq des neuf quartiers de la Commune annexe, qui déclarent un chiffre semblable à celui de 1998 ! A première vue, seules les communes de Lubumbashi et de Ruashi donnent des chiffres qui évoluent d’année en année. La plupart des quartiers des autres communes reproduisent presque les chiffres des années précédentes en y ajoutant ou en y retranchant quelques effectifs, qui se comptent souvent en dizaines ou en unités, voire en les laissant tels quels dans la commune Annexe. Comme on le voit, les chiffres de l’administration ne sont guère fiables : nous avons expliqué plus haut pourquoi nous y avons ici recours, faute de mieux. Il est très clair qu’un nouveau recensement s’impose si l’on veut avoir une idée correcte de la situation. Le tableau qui suit présente, dans chaque commune, les chiffres de population par quartier en 1998 et en 1999. Nous y avons intégré, dans les deux dernières colonnes, les chiffres qui nous ont servi pour déterminer les 84 ménages de notre échantillon, que l'on a choisis sur base de quotas par quartiers. Le premier taux est:

population du quartier en 1999 x 84 (nombre de ménages dans l’échantillon) 835235 (pop.de la ville en 1999).

Le chiffre est ensuite arrondi à l’unité inférieure (si < .44) ou supérieure (si > ou = .44), et détermine le nombre de ménages qui font l’objet de l’enquête dans le quartier. 1. Commune Annexe :

An 1998 An 1999 Q.Kalebuka 9561 8862 0,89 1 Q.Kasapa 4143 4143 0,42 0 Q.Kasungami 10287 10486 1,05 1 Q.Kimbeimbe 12927 12927 1,30 1 Q.Kisanga 21196 21201 2,13 2 Q.Luwowoshi 13092 13092 1,32 1 Q.Munua 12822 12822 1,29 1 Q.Naviundu 11883 11883 1,20 1 TOT 95911 95416 9,60 8 2. Commune Kamalondo : Q. Kitumaini 13662 13652 1,37 1 Q. Njanja 18947 18930 1,90 2 TOT 32609 32582 3,27 3

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3. Commune Kampemba : Q. Bel Air I 21330 21362 2,15 2 Q. Bel Air II 33867 34179 3,44 4 Q.Bongonga 27777 27786 2,79 3 Q.Industriel 5323 5351 0,54 1 Q.Kafubu 42684 42692 4,30 4 Q.Kampemba 15999 16016 1,61 2 Q.Kigoma 14169 14193 1,43 1 TOT 161149 161579 16,25 17 4. Commune Katuba Q.Bukama 31825 31761 3,19 3 Q.Kaponda N. 12539 14246 1,43 1 Q.Kaponda S. 19664 20315 2,04 2 Q.Kisale 19889 19860 2,00 2 Q.Lufira 14558 14540 1,46 2 Q.Musumba 34136 34112 3,43 3 Q.Mwana Shaba 14764 14732 1,48 2 Q.Nsele 40058 39991 4,02 4 Q.Upemba 30836 30885 3,11 3 TOT 218288 220442 22,16 22 5. Commune Kenya : Q.Lualaba 24603 24639 2,48 3 Q.Luapula 17647 17651 1,78 2 Q.Luvua 39025 39715 4,00 4 TOT 81274 82005 8,26 9 6. Commune Lubumbashi : Quartier Gambela 12698 12671 1,27 1 Q.Kalubwe 10095 16603 1,67 2 Q.Kiwele 12365 13611 1,37 1 Q.Lido-Golf 8355 9429 0,95 1 Q.Lumumba 13315 14677 1,48 2 Q.Makutano 9912 12450 1,25 1 Q.Mampala 33352 36083 3,63 4 TOT 100092 115524 11,62 12 7. Commune Ruashi : Q.Bendera 29649 32455 3,26 3 Q.Congo 28906 29995 3,02 3 Q.Kalukuluku 26649 25915 2,61 3 Q.Luano 593 624 0,06 0 Q.Mateleo 27608 29109 2,93 3 Q.Shindaika 9233 9589 0,96 1 TOT 122638 127687 12,84 13

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3.2. Volume de la population de notre échantillon et nombre de personnes par ménage

Par ménage, nous entendons tout au long de cette enquête l'unité socio-économique de personnes qui partagent les mêmes repas et qui vivent régulièrement ensemble, le plus souvent sous le même toit, en partageant leurs ressources. Il ne s'agit donc pas du foyer au sens biologique, puisque le ménage s'étend bien souvent à d'autres personnes que celles de la famille nucléaire, qui en constitue généralement le noyau central: nous y reviendrons au point 3.3. Les personnes de passage au moment des enquêtes n'ont pas été considérées comme partie intégrante du ménage, à moins qu'elles soient là depuis six mois au moins. De même, les enfants qui vivent régulièrement en dehors du foyer parental, les maris ayant abandonné leur épouse, etc., ne figurent pas au nombre des personnes comptées.

Les 84 ménages de notre échantillon rassemblent en tout 628 personnes, ce qui signifie que l'on trouve en moyenne 7,48 personnes par ménage. Commençons tout d'abord par montrer combien la situation varie d'un ménage à l'autre, puisque l'on trouve des ménages de une à seize personnes. Nombre de personnes

par ménage Ménages Population

Nombre % Nombre % 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13

14 et plus

2 2 5 5 7 15 5 14 9 7 2 4 6 1

2,4 2,4 6,0 6,0 8,3 17,9 6,0 16,6 10,7 8,3 2,4 4,8 7,1 1,2

2 4 15 20 35 90 35 112 81 70 22 48 78 16

0,3 0,6 2,4 3,2 5,6 14,3 5,6 17,8 12,9 11,1 3,5 7,6 12,4 2,6

Total 84 100,0 628 100,0

Résumons ce tableau plus synthétiquement: Nombre de ménages Nombre de membres Ménages de 1-4 membres 14 (16,7%) 41 (6,5%) Ménages de 5-10 membres 57 (67,8%) 423 (67,4%) Ménages de 11-16 membres 13 (15,5%) 164 (26,1%) Total 84 (100%) 628 (100%)

Il ressort du tableau récapitulatif que le sixième seulement des ménages ont 4 membres ou moins (ce qui constituerait, en Europe occidentale, la catégorie la plus représentée) et qu'ils n’abritent que 6,5% de la population. Le modèle de ménage le plus fréquent à Lubumbashi abrite entre 5 et 10 membres (68% des ménages et 67% de la population). Enfin, 15% des ménages comptent onze personnes ou plus et regroupent 26 % de la population.

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Le nombre de personnes par ménage est directement en rapport avec le niveau de vie de celui-ci, comme le montre le tableau suivant: Echantillon

global (n=84) Niveau de vie sup. (n=17)

Niveau de vie moyen (n=50)

Niveau de vie inférieur (n=17)

Nombre moyen de pers/ménage

7,48

8,94

7,68

5,41

Le nombre de personnes par ménage diminue donc avec le niveau de vie. On trouve parmi les 17 ménages de niveau de vie supérieur l'un qui compte 16 membres – soit le plus grand ménage de tout notre échantillon –, deux qui en comptent 13, etc. Plusieurs explications peuvent être proposées. Tout d'abord, l'indice de richesse a été en partie calculé sur base de paramètres qui dépendent directement de la taille du ménage, puisque la consommation et les rentrées financières dépendent naturellement du nombre de personnes sous le toit. Mais l'explication principale semble être la logique redistributive à l'œuvre dans la société citadine congolaise. Quand une personne possède quelque moyen, elle se trouve dans l'obligation morale de subvenir aux besoins de ses parents, jeunes ou vieux, dont elle doit éventuellement assurer l'hébergement sous son toit: nous étudierons ce phénomène au point 3.3. Le chiffre moyen de 7,48 personnes/ménage peut être comparé avec les données des enquêtes antérieures. • En 1957/58, une étude portant sur les ménages de salariés africains à Elisabethville signalait une moyenne de 4,0 personnes par ménages (Houyoux et Lecoanet (1975:40), sur base des études de Van Assche). • En 1973, ce même chiffre, calculé sur un large échantillon, atteignait 6,04 (Houyoux et Lecoanet 1975:24-6, 32, 43). Les promoteurs de cette enquête remarquent par ailleurs que ce chiffre varie selon le niveau économique: en répartissant leurs ménages en 6 catégories selon le niveau de revenus, ils constatent que l'on ne trouve que 4,3 personnes/ménage pour le niveau le plus bas contre 8 pour la catégorie la plus haute, conclusion qui rejoint entièrement celle qui a été faite dans le paragraphe précédent. • En 1985, les études de l'INS sur plus de 400 ménages livrent le chiffre de 6,78 personnes par ménage: cinq niveaux sociaux sont distingués, où la taille du ménage progresse (avec quelques irrégularités) de 5,7 à 8,6 (INS 1989:11, 27). En l'espace d'une génération, la hausse du nombre de personnes par ménage a donc été très importante. On y verra l'effet de stratégies qui permettent aux familles de se prémunir contre la pauvreté, qui a fortement cru depuis le début des années 1970. Le regroupement familial permet en effet de réaliser des économies d'échelle dans la consommation, et de ne pas laisser dans le besoin les membres les plus démunis de la famille. De plus, en raison du cycle scolaire qui s'allonge et des difficultés croissantes liées à la vie en ville, les enfants, les jeunes hommes surtout, tendent à différer le moment où ils s'installeront à leur propre compte. L'augmentation du nombre de personnes par ménage permet de rendre compte d'un certain paradoxe. Malgré la hausse importante de la population depuis les années 1970, les quartiers d'extension ne semblent plus se développer qu'à une vitesse relativement modérée, alors qu'ils dévoraient littéralement l'espace autrefois. L'expansion démographique actuelle se traduirait donc plus par une densification de l'espace domestique que par de nouvelles constructions dans la brousse environnante. Ce processus a déjà été remarqué à propos du camp des travailleurs GCM, qui ne se développe pas sur le plan spatial mais bien par une augmentation du nombre de personnes par ménage (Dibwe 1993:490).

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3.3. La composition des ménages Les précédentes enquêtes n'ont jamais cherché à connaître la composition des ménages qu'elles étudiaient: elles se contentaient d'en donner les effectifs sans chercher à appréhender les liens qui unissaient entre eux les membres. Pour mieux cerner cette réalité anthropologique et démographique, nous avons regroupé les 628 individus dénombrés dans notre échantillon en 14 catégories qui sont reprises dans le tableau ci-dessous. Notons que la lettre G suivie d'un chiffre (G 0, G +1 ou +2, G-1 ou -2) fait référence à un niveau générationnel: les "parents du mari (G0)" sont donc les parents de sa génération: ses frères, sœurs, ses cousins/cousines; G+1 fait référence à la génération des pères et mères, oncles et tantes; G+2, à celle des grands-parents, etc. Les résultats sont les suivants: Echantillon

global (n=628) Niv. de vie supérieur (n=152)

Niv. de vie moyen (n=384)

Niv. de vie inférieur (n=92)

Chefs de ménage 84 17 50 17 Conjointes 71 16 43 12 Enfants nés des deux conjoints 327 73 203 51 Enfants nés d'un des deux conjoints

14 - 14 -

Enfant adoptif 1 1 - - Gendres et brus 2 - 2 - Parent du mari (G+1 ou G+2) 7 5 2 - Parents de l'épouse (G+1 ou +2) 1 1 - - Petits-enfants du ménage 41 1 33 7 Parents du mari (G0) 8 3 4 1 Parents de l'épouse (G0) 13 5 8 0 Parents du mari (G-1) 30 18 12 - Parents de l'épouse (G-1) 24 11 10 3 Non-parents 5 1 3 1

Sur les 628 personnes composant nos 84 ménages, on remarque que seule une infime minorité (5 individus en tout) sont sans lien de parenté aucun avec le chef de ménage: 3 sont ses "frères en Christ", un est l'enfant d'un ami, une est l'amie des enfants du ménage. Comme on le voit, la famille reste donc sans conteste le point d'ancrage de la vie domestique et n'est qu'exceptionnellement ouverte à des "outsiders". Il n'y a d'ailleurs qu'un seul ménage qui ne repose pas sur le socle d'un mariage présent ou passé: c'est celui de deux jeunes "frères en Christ" de 22 et 25 ans qui vivent ensemble; une situation transitoire, donc, qui est appelée à bientôt se transformer. Le nombre des chefs de ménages (hommes ou femmes) et de leurs conjointes éventuelles est tout à fait prévisible: 84 et 71. Parmi les 71, soulignons qu'on trouve, par deux fois dans notre échantillon, deux coépouses d'un mari polygame qui vivent sur une même parcelle et qui constituent un seul foyer.

Les enfants nés des deux conjoints (ou du conjoint veuf, divorcé ou séparé) constituent plus de la moitié de notre population; on trouve quelques rares enfants nés d'un autre lit – généralement d'un précédent mariage –, et un seul enfant adoptif. Tous ensemble, les enfants du père et/ou de la mère comptent donc pour 54% de la population de référence.

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Le ménage n'inclut presque jamais gendres ni brus: l'on n'en trouve que dans deux foyers particuliers (un ménage très âgé qui a accueilli une bru; une chef de ménage divorcée qui héberge sa fille, son gendre et tous leurs enfants)8. De la même façon, on remarque qu'il est assez peu commun que le ménage héberge les parents des générations supérieures (G +1 ou G +2) de l'époux (7 cas) et moins encore de l'épouse (1 cas). Tout ceci se comprend dans le cadre des structures de la parenté qui ont cours dans le Katanga industriel, et même dans le Katanga rural9: on ne vit pas avec ses beaux-parents, avec lesquels on entretient d'ailleurs souvent une relation de respect ou d'évitement; vivre avec eux est source de gène pour les gendres et brus, surtout pour les gendres, qui se sentent "dominés" lorsque leurs beaux-parents sont présents. Le foyer qui se constitue lors du mariage s'établit hors du toit paternel, selon un principe dit de "néolocalité". Une étude plus approfondie des huit exceptions que nous avons signalées est intéressante: on se rend compte qu'il s'agit dans cinq cas de la mère de l'époux; dans un cas, cette dernière est accompagnée de sa propre grande sœur, la tante du chef de ménage, donc; dans un autre cas, il s'agit du père de l'épouse; dans un autre enfin, d'un grand-père très âgé qui est hébergé par son petit-fils. Dans tous les cas sauf un, ce parent est veuf; l'exception est un père de l'épouse qui est divorcé. Il est donc exceptionnel que le père d'un des deux conjoints se trouve dans le foyer, sans doute parce que cela crée une ambiguïté malvenue dans la définition de l'autorité au sein du ménage. Le seul cas répertorié dans notre échantillon s'inscrit dans une configuration familiale exceptionnelle: le plus grand ménage (16 membres) de notre population de référence. On remarque aussi que l'accueil d'un parent de la génération +1 ou +2 est généralement le fait de ménages aisés: six des cas répertoriés apparaissent dans des ménages de niveau de vie supérieur, et deux, dans des ménages de niveau moyen. En résumé, l'on peut donc dire que la présence d'un parent G +1 ou G +2 dans le ménage résulte le plus souvent de l'accueil d'une mère veuve par son fils qui a "réussi" dans la vie.

Les petits-enfants sont assez nombreux dans le foyer de leurs grands-parents: on en compte 41 dans notre échantillon. Remarquons bien que ces enfants ne sont généralement pas accompagnés de leurs deux parents, puisque, comme nous venons de le dire, il est rare que l'on trouve le gendre ou la bru d'un chef de ménage dans son foyer. S'il est rare que le ménage abrite la mère ou le père d'un des deux conjoints, il est courant qu'il héberge des parents de même génération de l'un des conjoints, qui sont presque toujours un frère ou une sœur de celui-ci. Présentons ces parents plus en détail:

Frères Sœurs Cousine Parenté du côté du mari (n=8) 5 2 1 Parenté du côté de l'épouse (n=13) 4 9 - De façon très significative, tous ces parents sont des célibataires, à l'exception d'une sœur de l'épouse qui est veuve. Jamais donc on ne trouve le couple beau-frère/belle-sœur dans un ménage déjà établi. Le plus souvent, le frère ou la sœur présent est relativement jeune, mais il y a plusieurs exceptions de "vieux (vieilles) célibataires" qui partagent le foyer de leur frère ou de leur sœur. Enfin, il est bien possible – mais l'échantillon est trop petit pour le dire avec quelque assurance – que les épouses et les maris aient davantage tendance à faire intégrer leurs parents de même sexe dans leur ménage, et ce surtout du côté des épouses. Enfin, s'agissant des parents de niveau G -1 ou -2, on constate qu'ils représentent un effectif important avec 30 individus du côté de la parenté du mari et 24 du côté de l'épouse. Il

8 Remarquons qu'une personne renseignée parmi la catégorie des "petits-enfants" est en fait l'épouse d'un petit-fils du chef de ménage, et pourrait donc aussi être considérée comme une bru classificatoire. 9 Notons cependant que chez les Bemba, le gendre devait (doit parfois encore?) rejoindre pour quelques années le village des parents de son épouse pour effectuer à leur bénéfice des travaux qui tenant lieu de compensations matrimoniales.

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s'agit presque toujours de neveux et de nièces et non d'enfants de ceux-ci. Ces neveux et nièces ne sont pas accompagnés dans le ménage par leurs propres parents (dont l'un est le frère ou la sœur du chef de ménage ou de sa conjointe): comme il vient d'être dit, les seuls frères ou sœurs présents dans le ménage sont des célibataires sans enfants. Au terme de ce point, il convient de souligner que malgré la diversité des parents qui peuvent se retrouver dans un ménage lushois, celui-ci reste pratiquement toujours articulé autour d'un seul mariage, fut-il polygamique. On ne trouve pas ici de véritable "familles étendues" regroupant un père marié et les couples formés par ses enfants; on ne trouve pas non plus de frères et/ou sœurs mariés s'associant en un ménage unique; enfin, les enfants n'imposent pas la présence de leur conjoint dans le ménage de leurs parents si ces deux-ci sont tous deux en vie et ensemble. En d'autres termes, le ménage s'articule autour d'un et un seul mariage sur lequel peuvent venir se greffer une multitude de parents non mariés quant à eux. Le mariage à Lubumbashi étant néolocal comme nous l'avons dit, si l'un de ces parents "rapporté" vient à se marier, il quitte ipso facto la cellule familiale dans laquelle il a vécu jusqu'alors. Il n'y a pas à proprement parler d'exception à cette règle: tout au plus trouve-t-on dans notre échantillon deux ménages de célibataires de sexe masculin, l'un composé de trois frères biologiques, l'autre de deux frères en Christ; il s'agit là de solutions transitoires par lesquelles passent les jeunes gens avant de trouver l'âme sœur, voire de rester célibataires et d'éventuellement s'intégrer dans le ménage d'un de leurs parents déjà marié. Une autre conclusion importante de ce point concerne le rapport entre la composition du ménage et le niveau de richesse de celui-ci. Nous avons déjà signalé que les ménages de niveau de vie supérieur comptent en moyenne 8,94 membres, contre 7,68 pour ceux de niveau moyen et 5,41 pour ceux de niveau inférieur. La différence en question n'est pas tant liée au nombre d'enfants que comptent ces ménages – sauf peut-être en ce qui concerne les ménages pauvres, qui sont souvent ceux de personnes âgées dont les enfants se sont déjà établis ailleurs – qu'à ses capacités d'accueil. En effet, si l'on déduit de notre échantillon les chefs de ménages, leurs conjointes et leurs enfants, restent 133 personnes extérieures à la famille nucléaire fondée par le chef de ménage: 45 d'entre elles se trouvent dans les 17 foyers "riches"; 76, dans les 50 foyers "moyens"; 12 seulement, dans les 17 foyers "pauvres". Bref, en moyenne, un foyer riche abrite 2,6 de ces personnes extérieures à la famille nucléaire; un foyer moyen, 1,5; et un foyer pauvre, 0,7. Remarquons enfin que certaines catégories de parents semblent plus sujettes que d'autres à ce type de transfert vers les familles riches: c'est le cas des 54 neveux et nièces (G-1 ou -2), qui pour 29 sont chez les ménages de niveau supérieur, pour 22 chez les ménages de niveau moyen, et pour 3 chez les ménages de niveau inférieur. Bref, une personne en difficulté aura tendance à placer ses enfants chez son frère ou sa sœur qui "a réussi". Le fait que l'on trouve par contre beaucoup de petits-enfants dans les ménages moyens ou pauvres semble témoigner qu'à défaut d'un frère ou d'une sœur aisé, c'est d'abord vers ses propres parents, fussent-ils modestes, qu'on se tourne.

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0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 1001234567891

0

3.4. Structure par âge et par sexe de la population étudiée

Notre échantillon présente la structure d’une population très jeune où l’on compte plus d’hommes (53,2%) que de femmes (46,8%).

Groupe d’âge

Hommes Femmes Total Rapport de masculinité

Nombre % Nombre % Nombre % 0 - 4 5 - 9 10-14 15-19 20-24 25-29 30-34 35-39 40-44 45-49 50-54 55-59 60-64 65 et plus

58 44 61 44 27 18 19 12 15 10 11 6 2 6

9,2% 7,2% 9,7% 7,0% 4,3% 2,9% 3,0% 1,9% 2,4% 1,6% 1,8% 1% 0,3% 1%

34 50 47 47 22 19 19 12 13 12 7 4 3 6

5,4% 7,8% 7,5% 7,6% 3,5% 3,0% 3,0% 1,9% 2,0% 1,9% 1,1% 0,6% 0,5% 1%

92 94 108 91 49 37 38 24 28 22 18 10 5 12

14,6% 15,0% 17,2% 14,5% 7,8% 5,9% 6,0% 3,8% 4,4% 3,5% 2,9% 1,6% 0,8% 1,9%

170 88 130 94 123 95 100 100 115 85 157 150 67 100

Total 333 53,0% 295 47,0% 628 100,0% 113

Comme l’indique ce tableau – et ainsi que l’ont démontré les enquêtes précédentes –, Lubumbashi possède une structure par âge jeune. L’âge moyen de la population de notre échantillon est de 20 ans et 8 mois, avec une moyenne d’âge des femmes légèrement supérieure à celle des hommes, à savoir 21 ans et 5 mois pour les femmes et 20 ans et 2 mois pour les hommes. Près de 47% de la population de notre échantillon a moins de 15 ans, et 61,3% a moins de 20 ans. Les groupes d’âge de 55 ans et plus ne contiennent que 27 personnes, soit 4,3% de la population étudiée. Le potentiel producteur humain, qui comprend les personnes de 15 à 54 ans, atteint 48,9%. Du point de vue économique, le taux de dépendance dégagé est de 104,5%, ce qui signifie qu'en moyenne, une personne active (le potentiel producteur) supporte la charge d’un peu plus d’une autre personne considérée comme non directement productive.

Ces mêmes données peuvent être représentées sous la forme d'une pyramide des âges, qui permet de visualiser la structure des âges et des sexes de la population de référence.

%

80-84 75-79 70-74 65-69 60-64 55-59 50-54 45-49 40-44 35-39 30-34 25-29 20-24 15-19 10-14 5-9 0-4

Hommes Femmes

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Le profil de la pyramide présente une population plutôt jeune. La forme presque

triangulaire et progressive de la pyramide à base élargie indique que Lubumbashi, à l’instar d’autres villes africaines, connaît une forte natalité et une mortalité élevée. La seule véritable surprise concerne la tranche des 0-4 ans chez les femmes, qui est nantie d'un effectif faible, inférieur à la tranche des 5-9 ans directement supérieure, et inférieur aussi à la tranche correspondante chez les garçons: le rapport de masculinité prend pour les 0-4 ans un surprenant départ avec 170 garçons pour 100 filles au lieu du classique 105 garçons pour 100 filles à la naissance. Nous pensons qu'il s'agit d'une simple conséquence du nombre limité de notre échantillon ou d'erreurs dans la déclaration de l'âge des petites filles, dont beaucoup auraient été transférées dans la classe d'âge directement supérieure. Quant à l’hypothèse d’un infanticide des filles à leur naissance, nous pensons que malgré l’existence de celui-ci en période de crise dans la population urbaine, ce dernier n’a pas de caractère massif comme celui de deux Chines.

La répartition des hommes offre l’allure d’une courbe débutant avec de grands pourcentages au bas-âge, culminant aux âges de 10 à 15 ans, puis s’étalant vers la droite avec des pourcentages de plus en plus faibles jusqu’à la limite de 80 ans. La répartition des femmes présente un profil analogue mais avec un déficit dans la tranche d’âge de 0 à 4 ans. Il culmine à l’âge de 5 à 9 ans avec une forte concentration des femmes dans les classes de 10 à 14 ans et de 15 à 19 ans, puis s’étale à droite avec des faibles pourcentages jusqu’à la dernière tranche d'âge.

La structure par sexe montre que le rapport de masculinité est en faveur des hommes, soit 113 hommes pour 100 femmes. Par groupes quinquennaux, ce rapport reste en faveur des hommes, exception faite des groupes d’âge de 5 à 9 ans, de 15 à 19 ans, de 25 à 29 ans, de 45 à 49 ans et celui de 60 à 64 ans où ce rapport bascule en faveur des femmes. Comme les groupes quinquennaux sont réduits au niveau de leurs effectifs et présentent dès lors une allure en dents de scie, nous avons préféré illustrer la courbe du rapport de masculinité en regroupant notre population par groupes décennaux, dont le dernier rassemble les personnes de 50 ans et plus.

0

20

40

60

80

100

120

140

1 2 3 4 5 6

Groupe d’âge

Hommes Femmes Rapport de masculinité

0-9 102 84 121 10-19 105 94 112 20-29 45 41 110 30-39 31 31 100 40-49 25 25 100 50 et + 25 20 125

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3.5. Etats civils

Dans notre échantillon, nous avons dénombré 71,2% des célibataires, parmi lesquels les enfants (< 15 ans) qui constituent 46,8% du total de la population. Ceci tient une fois de plus à la jeunesse de notre population de référence puisqu'on trouve extrêmement peu de célibataires au-delà des 35 ans. Nous supposons du reste, eu égard à cette jeunesse, que la majorité des célibataires se trouve être encore aux études. Distribution de la population par état matrimonial suivant l’âge et le sexe Gr. d’âge Célibataires Marié(es) Divorcé(es) Veuf(ve) Total H F H F H F H F H F 0 – 4 5 – 9 10 – 14 15 – 19 20 – 24 25 – 29 30 – 34 35 – 39 40 – 44 45 – 49 50 – 54 55 – 59 60 – 64 65 et plus

58 44 61 44 25 12 5 2 - - - - 1 -

34 50 47 45 12 6 1 0 - - - 1 - -

- - - - 2 5 13 10 14 10 10 5 1 4

- - - 2 9 12 18 10 10 10 4 1 - 2

- - - - - 1 1 - 1 - 1 1 - -

- - - - 1 1 - 2 2 1 1 1 - -

-- - - - - - - - - - - - - 2

- - - - - - - - 1 1 2 1 3 4

58 44 61 44 27 18 19 12 15 10 11 6 2 6

34 50 47 47 22 19 19 12 13 12 7 4 3 6

Total 252 196 74 78 5 9 2 12 333 295

On peut mieux visualiser ces données en calculant les pourcentages que représentent les

différents statuts au sein de chaque classe d'âge, comme le fait le tableau suivant: Groupe d’âge Célibataires Marié(es) Divorcé(es) Veuf(ve) Total H F H F H F H F 0 – 4 5 – 9 10 – 14 15 – 19 20 – 24 25 – 29 30 – 34 35 – 39 40 – 44 45 – 49 50 – 54 55 – 59 60 – 64 65 et plus

63,0% 46,8% 56,5% 48,4% 51,0% 32,4% 13,2% 8,3% - - - -

20,0% -

37,0% 53,2% 43,5% 49,5% 24,5% 16,2% 2,6% - - - -

10,0% - -

- - - -

4,1% 13,5% 34,2% 41,7% 50,0% 45,5% 55,6% 50,0% 20,0% 33,3%

- - -

2,2% 18,4% 32,4% 47,4% 41,7% 35,7% 45,5% 22,2% 10,0% -

16,7%

- - - - -

2,7% 2,6% -

3,6% -

5,6% 10,0% - -

- - - -

2,0% 2,7% -

8,3% 7,1% 4,5% 5,6% 10,0% - -

- - - - - - - - - - - - - 16,7

- - - - - - - -

3,6% 4,5% 11,1% 10,0% 60,0 33,3

100,0% 100,0% 100,0% 100,0% 100,0% 100,0% 100,0% 100,0% 100,0% 100,0% 100,0% 100,0% 100,0% 100,0%

Total 40,1% 31,2% 11,8% 12,4% 0,8% 1,4% 0,3 1,9% 100,0%

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Récapitulons ces données dans un tableau de synthèse qui se contente de donner cette distribution en fonction des sexes, tous âges confondus. Etat Civil Hommes Femmes Total Sex Ratio Célibataires Marié(es) Divorcé(es) Veuf(ves)

252 (40,1%) 74 (11,0%) 5 (0,8%) 2 (0,3%)

196 (31,2%) 78 (12,4%) 9 (1,4%) 12 (1,9%)

448 (71,3%) 152 (24,3%) 14 (2,2%) 14 (2,2%)

128 95 56 17

Total 333 (53,0%) 295 (47,0%) 628 (100,0%) 113

Plus l’on avance en âge, moins l’on demeure dans le célibat. La culture locale est d'ailleurs moralement opposée au célibat, le mariage constituant une étape obligée de la vie d'un individu "normal". Les femmes célibataires, dites "femmes libres", sont considérées comme des prostituées en puissance. Les hommes célibataires sont très rares. En ce qui concerne le célibat définitif dont l’âge conventionnel ou "canonique" est fixé à 50 ans, on rencontre dans notre échantillon une femme dont l’âge est de 55 ans et un homme de 60 ans, aveugle de naissance.

Les mariés et autres unis de fait représentent 24,3% de la population enquêtée et ici, les effectifs démarrent respectivement pour les hommes à 20 ans et à 15 ans pour les femmes, ce qui dénote une précocité au mariage chez les femmes: très souvent, la différence d'âge entre deux conjoints lushois est de l'ordre de 5 à 10 ans, le mari étant le plus âgé. On remarque que parmi les mariés, le rapport des sexes est en faveur des femmes, une situation notamment due aux mariages polygamiques (2 cas dans notre échantillon). On remarque aussi que la proportion des personnes mariées reste presque constante chez les hommes aux différents âges alors qu’elle diminue chez les femmes pour faire place à une part grandissante de veuves et de divorcées. Le groupe des divorcés, qui comprend également les séparés de corps, renferme 2,2% du total de la population analysée et l’on y compte également plus de femmes que d’hommes. La plus jeune divorcée n’a que 21 ans et la plus âgée, 56 ans. Qu'il y ait moins d'hommes que de femmes divorcés dans notre échantillon tient à ce que les premiers se remarient plus fréquemment que les secondes, le remariage des hommes étant plus encouragé que celui des femmes.

2,2% de l’ensemble de la population enquêtée sont constitués des veufs, groupe où les femmes sont de loin les plus nombreuses: le rapport des sexes est ici de l'ordre de 17 hommes pour 100 femmes. Les veuves se rencontrent le plus souvent dans la classe d’âge de 60 ans et plus, où le veuvage constitue l'état civil le plus fréquent pour leur sexe: cela tient à la mortalité plus précoce des hommes et à la différence d'âge au mariage.

3.6. Le chef de ménage: sexe, âge et état civil 74 des 84 chefs de ménage de notre échantillon, soit 88%, sont des hommes. En fait, la définition du chef de ménage adoptée ici est sociologique: dans un couple congolais, le chef de ménage est toujours le mari, qui détient l'autorité légitime dans sa famille, et qui sera son représentant autorisé dans la sphère publique. Ceci n'a rien à voir avec la question de savoir qui "porte le pantalon" ni qui a le statut professionnel le plus élevé, ni qui est à l'origine des ressources du ménage: dans bien des cas, c'est la femme qui répond à ces critères, mais elle reconnaîtra son mari comme le "chef de ménage" néanmoins. Les 10 chefs de ménage féminins de notre échantillon sont 4 veuves, 4 divorcées et 2 femmes abandonnées depuis de nombreuses années par leur mari. Il s'agit donc de ménages

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précarisés, ce que confirme notre classification, puisque dans nos trois sous-groupes, en partant du niveau de richesse supérieur pour passer au moyen et enfin à l’inférieur, on enregistre respectivement 1 (6%), 6 (12%) et 3 (18%) ménages sous l'autorité d'une femme. L'âge du chef de ménage varie dans notre échantillon entre 25 et 78 ans. La moyenne obtenue sur base de leur âge révolu est de 44,9 ans, ce qui signifie que leur âge moyen réel est de 45,4 ans, soit 45 ans et 5 mois. En regroupant les ménages selon leur niveau de vie, on constate que les chefs de ménages sont plus jeunes dans les foyers de niveau de vie supérieur ou moyen (43 ans et 11 mois, 44 ans et 3 mois) et plus âgés dans les foyers plus pauvres (50 ans et 5 mois). On trouve en effet dans cette dernière catégorie plusieurs ménages de personnes âgées qui sont veufs ou veuves, seules, et qui ne disposent que de peu de ressources.

3.7. Le niveau d'instruction

Pour mieux cerner les données relatives au niveau d'instruction, nous aborderons successivement la situation de l'ensemble des ménages et celle des seuls chefs de ménage. 3.7.1. Niveau d'instruction de l'ensemble de l'échantillon

De la période coloniale aux temps présents, l’enseignement au Congo a été marqué par

une succession de systèmes et de réformes. A l'époque coloniale, on a ainsi connu une instruction élémentaire par le catéchisme, dispensée au sein des missions catholiques, l'alphabétisation par la bible des missions protestantes, d’origine anglo-saxonne pour la plupart; l'enseignement métropolitain institué par Buisseret, ministre des colonies dans le gouvernement belge. Cet enseignement dit métropolitain, qui resta appliqué du milieu des années 1950 jusqu'en 1970, prenait en charge le jeune Congolais doué et remarqué par un instituteur ou un missionnaire – numerus clausus colonial oblige – de la quatrième primaire aux humanités anciennes ou modernes ; et de là jusqu’à l’université. Il disparut lors d’une réforme scolaire organisée sous l'égide de l’UNESCO, qui institua examens d’Etat et cycles d’orientation. Cette réforme est, selon beaucoup, à l’origine d’une certaine dépréciation de l’enseignement.

Au travers des deux questions posées à propos des 628 individus de l'échantillon ("diplôme obtenu" et "dernière classe suivie"), notre enquête a été amenée à classer des personnes qui, relevant de générations différentes, ont connu des régimes scolaires très différents, ce qui rend les généralisations malaisées. Il est ainsi difficile, par exemple, de comparer les diplômes de l’enseignement post-primaire (école normale, "cycle court", etc.) chez des personnes qui ont actuellement 20 ou 60 ans.

Le tableau qui suit situe les individus par rapport au cycle scolaire le plus élevé qu’ils aient entrepris – que ce cycle ait été achevé ou non.

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Niveau d’instruction Echantillon global Niv. de vie sup. Niv. de vie moyen Niv. de vie inf. 1. Supérieur En scolarité En activité

43 (7%) 24 19

30 (20%) 16 14

13 (3%) 8 5

- - -

2. Secondaire En scolarité En activité

201 (32%) 78 123

48 (31%) 28 20

128 (33%) 42 86

25 (27%) 8 17

3. Primaire En scolarité En activité

175 (28%) 116 59

33 (22%) 27 6

106 (28%) 75 31

36 (39%) 14 22

4. Maternelle En scolarité En activité

15 (2%) 15 -

7 (5%) 7 -

7 (2%) 7 -

1 (1%) 1 -

5. Sans instruction Age préscolaire Scolarisable En activité

145 (23%) 97 25 23

19 (12%) 15 1 3

96 (25%) 62 19 15

30 (33%) 20 5 5

6. Non spécifié 49 (8%) 15 (10%) 34 (9%) - 7.Total 628 152 384 92

Légende: "En scolarité": personnes en cours d’études. "En activité": personnes de 15 ans ou plus qui ont mis un terme à leurs études. "Age préscolaire": jusque 6 ans. "Personnes scolarisables": personnes entre 6 et 15 ans non encore scolarisées.

Comme on le voit, 201 individus (32% de l'échantillon) déclarent avoir atteint fin

septembre 2000 le niveau secondaire de l’enseignement. Toutefois, il est significatif que 39% des personnes précitées se trouvent être en scolarité et que 61% des mêmes personnes déclarent être en activité – la proportion de personnes en activité augmente lorsque le niveau de vie diminue (42% pour les niveaux de vie supérieurs, 67% pour les niveaux moyens et 68% pour les niveaux inférieurs).

Suivent – en ce qui concerne les effectifs – les personnes qui ont gravi les différents degrés du cycle primaire (28% de l'échantillon). Une fois de plus, 66% d’entre ces dernières fréquentent encore les bancs de l’école primaire, tandis que celles qui déclarent être en activité forment 34% des personnes sous examen. Pour cette catégorie aussi, il y a davantage de personnes en activité dans les ménages pauvres que dans les couches moyennes et aisées.

Les personnes n’ayant reçu aucune instruction viennent en troisième position avec 23% de l’ensemble ; 67% d’entre ces dernières se trouvent être en âge préscolaire tandis que 33% sont à proprement parler analphabètes – dont la moitié environ (17%) sont encore récupérables puisque dans la catégorie des "scolarisables" (entre 6 et 15 ans). Au sein de ce groupe des "sans instruction", les personnes en âge préscolaire sont plus nombreuses dans les ménages de niveau de richesse élevé (79%) que dans les couches moyennes (65%) et dans les ménages pauvres (67%). La catégorie des scolarisables – qui ont un effectif statistiquement peu significatif parce que très réduit – constitue un indice éloquent montrant que la scolarisation des personnes dans les ménages est fortement liée au niveau de richesse: les "scolarisables" sont en effet très rares dans les niveaux de vie supérieurs.

Enfin, les personnes ayant atteint le cycle supérieur de l’enseignement ne comptabilisent que 6,9% de l’ensemble et sont singulièrement absentes de la catégorie "niveau de richesse inférieur". Celles qui déclarent poursuivre encore les études totalisent 56% du groupe (53% dans les ménages riches, 62% dans les ménages de condition moyenne).

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Il ressort aussi du tableau que l’école gardienne est non seulement une nouveauté dans l’enseignement actuel, mais qu'elle constitue également un luxe, ceci eu égard aux tarifs prohibitifs appliqués par les promoteurs de cet enseignement. En effet, l'enseignement préscolaire recrute plus dans les ménages riches et de couche moyenne que dans les ménages pauvres. Par surcroît, les ménages dont il est question semblent préférer y envoyer les garçons que les filles, car nous avons enregistré 7 garçons en maternelle dans les ménages dits aisés, 5 garçons et deux filles dans les ménages de classe moyenne et seulement une fille dans les ménages de niveau de richesse inférieur. Mais les chiffres sont ici trop réduits pour permettre de confirmer cette hypothèse, et nous avons déjà signalé que les garçons sont surreprésentés par rapport aux filles dans la tranche d’âge des 0 à 4 ans.

Pour terminer, il y a lieu d’épingler que les ménages riches et ceux de couche moyenne rechignent plus à se prononcer sur les questions de scolarité que ceux du milieu considéré comme pauvre dans notre enquête. 3.7.2. Le diplôme des chefs de ménage Le tableau ci-dessous, contrairement à celui du point précédent, renseigne le plus haut diplôme obtenu par le chef de ménage, non le cycle scolaire le plus élevé qu'il ait entrepris: une personne qui aurait été jusqu'en 5e primaire, par exemple, serait renseignée comme "sans diplôme". Le brevet CO (cycle d'orientation) est le diplôme conféré à la sortie des deux premières années du cycle secondaire; le brevet EFP (école de formation professionnelle) est obtenu au sortir d'un cycle de formation professionnel long de deux années après les primaires. Le brevet CC (cycle court) sanctionne la fin d'un cycle d'enseignement technique long de 4 ou 5 ans après les primaires. Diplôme Echantillon

global (n = 84 ) Niveau de vie sup. (n = 17)

Niveau de vie moyen (n = 50)

Niveau de vie inf. (n= 17)

Sans 15 (18%) - 10 (20%) 5 (29%) Primaire 5 (6%) - 2 (4%) 3 (18%) Brevet CO/EFP 9 (11%) 1 (6%) 5 (10%) 3 (18%) Brevet CC 27 (32%) 1 (6%) 21 (42%) 5 (29%) Secondaire 15 (18%) 6 (35%) 8 (16%) 1 (6%) Ens. supérieur 13 (15%) 9 (53%) 4 (8%) - Ce tableau illustre la corrélation entre le niveau d'instruction et le niveau socio-économique. Les chefs des ménages les plus pauvres – dont 29% n'ont pas même leur diplôme primaire – ne dépassent presque jamais le niveau du brevet CC, tandis que les chefs des ménages les plus riches sont majoritairement titulaires d'un diplôme de l'enseignement supérieur. Le diplôme n'a plus aujourd'hui le prestige qu'il recelait autrefois, quand il assurait presque instantanément l'accès à des fonctions dans l'administration ou dans les grandes sociétés d'Etat. Nous avons déjà signalé le dicton qui énonçait, lors de la seconde République, que "Falanse ki mfalanga to" ("le français, ce n'est pas de l'argent"), qui signifie que les études ne garantissent pas la fortune. De même, le parti-Etat MPR assurait la promotion professionnelle plus en fonction du militantisme des citoyens que de leurs diplômes, allant parfois jusqu'à nommer à des postes politiques élevés des quasi-analphabètes. Dès lors, on pourrait s'attendre à ce que les jeunes se détournent de l'université et des instituts supérieurs pour se consacrer au commerce ou à des activités informelles. Il ne semble pas que ce soit pourtant le cas: l'UNILU continue à voir ses effectifs grimper d'année en année, et notre échantillon montre que l'enseignement supérieur reste lié à un statut économique élevé. Il n'y a

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parmi nos dix-sept ménages riches qu'un seul foyer dont le chef de famille a un simple diplôme EFP, obtenu suite à deux années de spécialisation professionnelle en mécanique.

Bien entendu, il est intéressant de croiser le diplôme du chef de ménage et sa profession. Nous y reviendrons au point 7.1.

3.8. Les affiliations religieuses Nous présentons successivement les tableaux de données relatives aux chefs de ménage et aux membres de leurs foyers. Nous les analyserons ensemble. Religion du chef de ménage

Echantillon global (n= 84 )

Niveau de vie sup. (n = 17)

Niveau de vie moyen (n = 50)

Niveau de vie inférieur (n = 17)

Sans religion déclarée 5 (6%) - 4 (8%) 1 (6%) Catholique 32 (38%) 9 (53%) 14 (28%) 9 (53%) Méthodiste 6 (7%) 2 (12%) 4 (8%) - Pentecôtiste 29 (34%) 5 (29%) 19 (38%) 5 (29%) Autre protestant 3 (4%) - 2 (4%) 1 (6%) Témoin de Jéhovah 5 (6%) 1 (6%) 4 (8%) - Autre religion 4 (5%) - 3 (6%) 1 (6%) Religion des membres du ménage

Echantillon global (n = 628)

Niveau de vie sup. (n =152)

Niveau de vie moyen (n =384)

Niveau de vie inférieur (n = 92)

Sans religion déclarée 101 (16%) 2 (1%) 69 (18%) 30 (33%) Catholique 202 (32%) 71 (47%) 95 (25%) 36 (39%) Méthodiste 45 (7%) 10 (7%) 35 (9%) - Pentecôtiste 172 (28%) 42 (28%) 119 (31%) 11 (12%) Autre protestant 64 (10%) 19 (12%) 39 (10%) 6 (6%) Témoin de Jéhovah 31 (5%) 8 (5%) 23 (6%) - Autre religion 13 (2%) - 4 (1%) 9 (10%)

Comme on le voit, peu de chefs de ménages déclarent être sans religion; le nombre important de membres de ménages qui figurent dans cette catégorie (cf. le second tableau) ne doit pas surprendre outre mesure puisqu'il s'agit pour les trois quarts d'enfants de moins de 15 ans pour lesquels aucune indication précise n'a été donnée par les informateurs; en définitive, seuls 26 des 101 personnes de cette rubrique ont 15 ans ou plus. Tous les adultes qui figurent dans cette catégorie ne sont certainement pas des athées – l'athéisme proprement dit étant une philosophie de vie peu courante à Lubumbashi. Il s'agit sans doute dans beaucoup de cas de personnes indifférentes aux questions religieuses, ou qui ont préféré taire leurs opinions, ou encore qui pratiquent les anciens cultes aux ancêtres ou aux esprits.

Le catholicisme est la religion comptant le plus d'adeptes dans notre échantillon. On ne s'en étonnera pas: cette situation est largement liée à l'histoire de la colonisation par une métropole très majoritairement catholique, où le Ministère des colonies fut presque toujours une prérogative du Parti chrétien. De même, l'enseignement au Congo belge constitua longtemps un monopole de l'Eglise catholique – les écoles méthodistes et laïques n'apparaissant que tardivement -, et l'on constate actuellement encore qu'une grande partie des infrastructures scolaires, depuis les écoles maternelles jusqu'à certains instituts supérieurs,

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restent officiellement catholiques. Si l'on compare les pourcentages de catholiques dans les trois catégories de notre échantillon, on constate qu'ils enregistrent leurs meilleurs effectifs chez les plus riches et les plus pauvres, alors qu'un certain creux se dessine dans la catégorie des niveaux de vie moyen, au profit du pentecôtisme. Cette distribution étonnante, si elle devait se confirmer dans des analyses plus poussées, pourrait s'expliquer de la manière suivante. Le catholicisme était presque érigé au rang de religion d'Etat à l'époque coloniale et les Belges voyaient d'un mauvais œil les cultes protestants qui leur semblaient représenter une sorte d'ingérence du monde anglo-saxon dans leur colonie. Les premiers "évolués", comme on disait autrefois, n'avaient donc presque d'autre choix que d'embrasser la religion catholique, qui est ainsi devenue la religion de l'élite congolaise d'alors et qui l'est restée depuis, les élites d'autrefois ayant transmis leur religion à leur progéniture. La prédominance actuelle de l'Eglise catholique parmi les élites serait donc en grande partie le fruit de la pesanteur de l'histoire. Mais cette Eglise ne se contente pas de vivre sur ses lauriers. Que l'on retrouve une majorité de catholiques parmi les ménages pauvres tient sans doute à l'organisation de l'Eglise à la base: afin de garder une mobilisation à ce niveau, et pour ne pas laisser ce terrain aux seuls pentecôtistes, les catholiques ont mis au point un système de "Communautés ecclésiales vivantes" agissant au niveau des quartiers, et permettant de vivifier les contacts entre catholiques dans le cadre de rapports de proximité. De plus, l'Eglise catholique garde d'importantes oeuvres sociales qui comptent sans doute dans son succès auprès des plus défavorisés.

Second courant religieux par le poids démographique de ses adeptes, le pentecôtisme regroupe une multitude d'Eglises centrées autour de l'idée d'une intervention directe de l'Esprit saint dans la vie individuelle. Elles furent introduites depuis le monde anglo-saxon dès la seconde décennie de ce siècle. Beaucoup ont été développées à l'origine dans le nord du Katanga (Congo Evangelic Mission) puis ont recolonisé les villes du sud au fil du temps et avec l'immigration des travailleurs. S’il y a deux ou trois décennies encore, les pentecôtistes restaient un groupe assez minoritaire et implanté surtout dans les cités modestes de la ville, ils sont devenus actuellement un groupe très puissant et très actif, qui compte beaucoup de membres parmi les ménages de niveau de vie moyen, et, dans une moindre mesure, parmi ceux de niveau de vie supérieur. Cette importance date plus ou moins des années 1980, lorsque l'Eglise catholique et les autres cultes protestants "classiques" commencèrent à tenir en suspicion certains groupes de prière charismatiques ou oecuméniques, allant jusqu'à bannir les abbés Mukulu Mwamba et Kasongo qui comptaient parmi les acteurs de ces mouvements. On assista alors à une prolifération d'Eglises pentecôtistes qui recueillirent les déçus du catholicisme et leur offrirent l'indépendance qu'ils désiraient pour explorer de nouvelles voies religieuses marquées par les charismes, les concrétisations directes à travers l'action de l'Esprit saint (guérison, réussite...), le côté extraverti du culte (transe, parler en langues...) et un esprit néo-communautariste. Les Eglises pentecôtistes sont très peu centralisées: elles se comptent certainement par centaines dans la ville, certaines ne rassemblant que quelques membres à peine autour d'un pasteur unique. Signalons enfin qu'il ne faudrait certainement pas associer le pentecôtisme avec les couches défavorisées de la société lushoise comme on l'a parfois fait à tort. Cela ressort d'un autre découpage de notre échantillon: si l'on considère les 29 chefs de ménage qui ont obtenu un diplôme de l'enseignement secondaire ou supérieur, 15 sont pentecôtistes, contre seulement 8 catholiques!

En dehors des pentecôtistes, les Eglises protestantes sont regroupées au sein du Synode du Christ au Congo, qui rassemble les différentes formes du protestantisme "classique". Les méthodistes y semblent majoritaires, si l'on se base sur les résultats de notre enquête. Il faut savoir que le méthodisme est le plus ancien culte protestant de Lubumbashi et qu'il fut le premier à pouvoir y organiser ses écoles, ce qui explique son succès. Toujours au sein du synode cité plus haut, on trouve une série d'autres Eglises que nous avons classées dans la catégorie "autres protestants": les trois ménages qui composent ce groupe sont respectivement

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baptiste, luthérien et néo-apostolique. Il se trouve aussi des membres de ces Eglises dans d'autres ménages.

Les témoins de Jéhovah sont relativement bien représentés dans notre échantillon. A l'époque coloniale, les cultes du Watch Tower ou Kitawala Mwana Leza au Congo naquirent en fait de la lointaine influence missionnaire des témoins de Jéhovah dans les colonies anglaises. Ils firent l'objet d'une persécution systématique à cause de leur rejet de la colonisation. Cette persécution se poursuivit de plus belle sous le régime de Mobutu. Actuellement, les témoins de Jéhovah forment une communauté très dynamique et ont renoué leurs rapports avec leurs coreligionnaires de par le monde.

Dans la catégorie des "autres religions", nous avons regroupé un ménage orthodoxe – le patriarcat d'Alexandrie a en effet commencé à faire œuvre de mission auprès des populations africaines de la ville –, un autre de l'Eglise Branham – une Eglise pentecôtiste dissidente –, enfin les membres de deux Eglises "néo-traditionnelles" africaines: Apostolo (ou Baba, fondée par le prophète John Marange) et Malemba (très proche du culte des ancêtres).

Tous les cultes actifs à Lubumbashi ne sont pas représentés dans notre échantillon. Par exemple, on ne compte pas de représentants de l'Islam et du Kimbanguisme, deux communautés religieuses officielles et par ailleurs des plus dynamiques dans cette ville où l'on compte cinq mosquées et six temples kimbanguistes.

La correspondance marquée entre les deux tableaux que nous avons présentés – l'un

relatif au chef de ménage, l'autre à l'ensemble des membres de ces mêmes ménages – tient à ce que les familles nucléaires participent très souvent à un seul culte religieux. En comptabilisant toutes les unions matrimoniales effectives entre conjoints vivants au sein de notre échantillon, on totalise 80 mariages dont 71 (89%) sont homogames au niveau religieux (les conjoints adhèrent à une même catégorie religieuse telle que celles mises en avant dans nos deux tableaux), tandis que 9 (11%) sont hétérogames. Encore faut-il remarquer que la majorité des cas d'hétérogamie sont dus à des unions entre un homme sans religion déclarée et une épouse appartenant à l'un ou l'autre culte chrétien: il est donc très rare que mari et femme appartiennent à des Eglises différentes. On pourra expliquer ce phénomène soit sur base du fait que l'on choisit, consciemment ou non, son conjoint parmi des personnes de même confession religieuse, soit sur base du fait que lorsque le mariage se profile ou se réalise, un des deux conjoints se sent obligé de suivre les pratiques de l'autre et se convertit à son culte.

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CHAPITRE 4 : DONNEES RELATIVES A L'HABITAT Erigée ex nihilo en 1910, Lubumbashi est aujourd'hui presque centenaire. Son plan d'origine, qui fut respecté jusqu'à la fin de la période coloniale, sanctionnait une distinction spatiale nette entre la "ville blanche", au centre, et la "ville noire", à sa périphérie. Cette distinction apparaît encore très nettement dans le tissu urbain actuel, ainsi que dans les appellations employées par les Lushois qui distinguent la "ville" de la "cité", cautionnant ainsi l'ancienne distinction. Ce chapitre, qui tente de faire le point sur l'urbanisme, l'immobilier et l'immobilier tel qu'il caractérise notre échantillon, se basera sur une double lecture des données: celles-ci peuvent être à la fois croisées avec la typologie des quartiers et avec le niveau de vie des ménages. En effet, ces deux dimensions sont les principales qui affectent les conditions matérielles de l'habitat, à la fois dépendantes des caractéristiques objectives du quartier et des possibilités financières du ménage. Bien entendu, ces deux dimensions sont étroitement liées.

4.1. Distribution des ménages suivant le type de quartier10

Lubumbashi présente trois types de quartiers bien distincts. L'ancienne "ville blanche"

est la partie qui jouit du meilleur urbanisme, et qui accueille les ménages les plus nantis comme le révèle notre enquête; elle est désignée dans toute cette étude sous l'appellation de "quartiers résidentiels", expression qui s'applique en outre aux quartiers de construction récente qui, dans le nord, constituent l'extension cossue de la "ville". Tout autour de ces quartiers résidentiels ont été érigés, à l'époque coloniale, des "cités indigènes" (Kamalondo, Kenya, Katuba, Ruashi, Karavia...) et des camps de travailleurs (GCM, SNCC...). Bien qu'actuellement saturés, ces quartiers planifiés conservent les avantages d'un urbanisme intégré qui explique leur succès auprès de la population. Enfin, toute une série de nouveaux quartiers sont apparus à partir des années 1960 pour absorber les effets conjugués de l'expansion démographique interne et de l'exode rural: certains furent construits en continuité spatiale avec les quartiers planifiés, d'autres, à partir de petits noyaux quasi ruraux qui se trouvaient dans la proche périphérie urbaine. Tous ces nouveaux quartiers sont ici qualifiés de "non planifiés", dans la mesure où il n'y a eu de plan d'aménagement que sommaire, et où les commodités urbaines n'ont été aménagées que très partiellement.

Voyons comment notre échantillon se présente en regard de cette triple distinction. Type de quartier Nombre de ménages Population des

ménages Taille moyenne des

ménages Résidentiels 10 (12%) 89 (14,2%) 8,9 Planifiés 37 (44%) 264 (42,0%) 7,1 Non planifiés 37 (44%) 275 (43,8%) 7,4 Total 84 (100%) 628 (100%) 7,5

Les ménages de notre échantillon se trouvent pour 12% dans les quartiers résidentiels, pour 44% dans les quartiers planifiés et également pour 44% dans les quartiers non planifiés

10 Nous remercions Dominique Musonda Milundu pour l'aide qu'il a apportée pour les quatre premiers points de ce chapitre.

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d’extension: telle semble être la répartition de la population dans la Lubumbashi de 200011. On peut comparer ces chiffres à ceux de Houyoux et Lecoanet (1975:87), les quartiers résidentiels abritaient 12% de la population totale; les quartiers planifiés, 59%; les quartiers non planifiés, 29 %. On voit donc que la population des quartiers résidentiels a pu progresser au rythme de la ville, tandis que les quartiers planifiés, saturés dès les années 1970, n'ont pu absorber les effets de l'accroissement démographique et de l'immigration: c'est donc vers les quartiers non planifiés que cette population s'est progressivement tournée. Il existe une corrélation marquée entre le type de quartier et le niveau économique des ménages. Type de quartier Echantillon

global (n = 84 ) Niveau de vie sup. (n=17)

Niveau de vie moyen (n = 50)

Niveau de vie inf. (n = 17)

Résidentiel 10 (12%) 8 (47%) 2 (4%) - Planifié 37 (44%) 8 (47%) 23 (46%) 6 (35%) Non planifié 37 (44%) 1 (6%) 25 (50%) 11 (65%) On constate que les 8 ménages habitant dans les quartiers résidentiels du centre-ville et de ses prolongements directs (Golf, Makomeno, Quartier industriel, Kalubwe-Mpolo) font tous partie, sans exception, de la catégorie "niveau de richesse supérieur" de notre échantillon; les 2 ménages de quartiers résidentiels qui sont classés parmi les "niveaux de vie moyen" habitent le Bel-Air, dans la Commune Kampemba. Le Bel-Air est en fait un quartier qui a largement perdu la côte qu'il avait autrefois, comme en témoigne le fait qu'il a été littéralement déserté par les Européens aisés qui y vivaient jadis et qui sont allés s'établir, pour beaucoup, dans le quartier Golf. Signalons que la concentration des riches dans les quartiers résidentiels du centre-ville n'a rien d'étonnant pour un Lushois, qui, comme nous l'avons dit dans l'introduction de ce chapitre, n'emploie le terme "ville" que pour désigner cette partie centrale de l'agglomération urbaine, employant le nom de "cité" pour qualifier tous les quartiers, planifiés ou non, qui l'entourent. "Bel-Air" ne fait pas partie de la "ville" dans ce sens populaire, à l'inverse du Quartier industriel et du Golf. D'autres ménages aisés se rencontrent dans les quartiers planifiés, qui accueillent une population variée, recoupant les trois types de niveau de richesse que nous avons dégagés. On ne peut pas en dire autant des quartiers non planifiés, qui n'accueillent quasiment pas de ménages riches, mais bien la moitié des ménages de niveau moyen et les deux tiers des ménages pauvres de notre échantillon. Bref, les constatations dressées autrefois restent valables de nos jours. En 1973, lorsque l'unité monétaire "zaïre" valait 2USD, les ménages africains des quartiers résidentiels de la commune Lubumbashi dépensaient pour leur consommation mensuelle 124 Z; ceux des quartiers résidentiels du Bel-Air, 78 Z; ceux des communes planifiées, 37 Z; enfin, ceux des communes non planifiées ne dépensaient que 29 Z par mois (Houyoux et Lecoanet 1975:53-5).

11 Rappelons que notre échantillon, dont l'unité est le ménage, a été construit proportionnellement au poids démographique de la population des quartiers, qui se compte en individus. Dès lors, on veillera à ne pas commettre l'erreur de croire que le population des ménages de l'échantillon (les 628 individus) devrait servir de base pour savoir quelle est la part démographique que représentent les différents quartiers: ce serait ne pas tenir compte de ce que les ménages sont précisément de taille différente, et que les zones à gros ménages (les quartiers résidentiels) seraient donc surreprésentées.

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4.2. Le nombre de ménages par parcelles

Echantillon global (n= 84 )

Niveau de vie sup. (n = 17)

Niveau de vie moyen (n = 50)

Niveau de vie inf. (n = 17)

Nombre de ménages/parcelle

1,9 1,8 1,9 1,7

Echantillon

global (n=84) Quartiers résidentiels (n=10)

Quartiers planifiés (n=37)

Quartiers non planifiés (n=37)

Nombre de ménages/parcelle

1,9 1,5 2,3 1,5

Comme on le voit, on trouve environ deux ménages par parcelle quel que soit le niveau

de richesse. Quand on envisage les choses sous l'angle du type de quartier, par contre, une différence assez nette se dessine entre les quartiers planifiés, où l'on atteint en moyenne 2,3 ménages par parcelle, et les autres quartiers (résidentiels ou non planifiés), où ce chiffre est de l'ordre de1,5.

Dans les quartiers résidentiels, le second ménage habite la plupart du temps dans un petit bâtiment annexe, la "boyerie", qui existe depuis la période coloniale. Ce logis était à l'époque destiné à abriter le domestique ("boy"). Après l'indépendance, les Congolais ont progressivement pris la place des Européens dans les quartiers résidentiels, mais faute de moyens pour rémunérer un domestique, ils ont transformé la boyerie en une petite maison pour locataire, afin d'en tirer un certain bénéfice.

Dans les autres quartiers, la présence d'un second ménage sur la parcelle tient à ce même phénomène "locataires". Que ce soit dans les quartiers d'extension récente ou dans les anciens quartiers planifiés, les propriétaires ont cherché à rentabiliser leur logement en construisant des annexes ou en cloisonnant les pièces du logement. La seconde formule a été surtout exploitée dans les quartiers planifiés, où l'espace disponible était déjà quasiment saturé, ce qui a renforcé davantage encore la saturation existante. La comparaison avec les données des décennies précédentes est intéressant à faire (Houyoux et Lecoanet 1975:108, INS 1989:60). 1973 1985 2000 Ensemble de la ville 1,5 1,36 1,9 Quartiers résidentiels 1,3 1,06 1,5 Quartiers planifiés 1,8 1,39 2,3 Quartiers non planifiés 1,3 1,34 1,5

On remarque que de façon générale, les quartiers planifiés ont toujours été ceux qui

abritent le plus de ménages par parcelle, alors pourtant qu'ils sont souvent ceux où les parcelles sont les plus petites. La série de chiffres pour l'année 1985 présente une étrange baisse, qui ne correspond pas du tout au mouvement général qui est celui d'une hausse du nombre de ménages/parcelle.

Nous avions déjà signalé que le nombre de personnes par ménage a considérablement augmenté depuis le début des années 1970. Nous voyons ici que, de façon tout à fait indépendante, le nombre de ménages par parcelle a lui aussi singulièrement augmenté. La densification de la ville se réalise donc par deux voies

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4.3. Le statut d'occupation Echantillon

global (n = 84 ) Niveau de vie sup. (n = 17)

Niveau de vie moyen (n = 50)

Niveau de vie inf. (n = 17)

Propriétaires 36 (43%) 5 (29%) 23 (46%) 8 (47%) Locataires 34 (40%) 6 (35%) 20 (40%) 8 (47%) Logés par employeur 5 (6%) 2 (12%) 3 (6%) - Logement gratuit 9 (11%) 4 (24%) 4 (8%) 1 (6%) Autres propriétés 8 (10%) 2 (12%) 6 (12%) - Echantillon

global (n = 84 ) Qu. résid. (n=10)

Qu. planifiés (n=37)

Qu. non planifiés (n=37)

Propriétaires 36 (43%) 3 (30%) 13 (35%) 21 (57%) Locataires 34 (40%) 3 (30%) 18 (49%) 13 (35%) Logés par employeur 5 (6%) 2 (20%) 3 (8%) - Logement gratuit 9 (11%) 2 (20%) 4 (11%) 3 (8%) Autres propriétés 8 (10%) 1 (10%) 3 (8%) 4 (11%) Les maisons des quartiers résidentiels du centre-ville, autrefois propriétés des expatriés, ne peuvent être acquises qu'à des prix très élevés (environ 50000 USD pour une bonne villa). A l'inverse, dans la périphérie lointaine de la ville, on peut construire une simple demeure en briques d'adobe pour environ 200 USD ou moins, comme nous le verrons en 4.4.5. Ceci explique pourquoi, de façon très paradoxale, la proportion de propriétaires augmente en passant des ménages riches aux ménages pauvres, et des quartiers résidentiels aux autres quartiers12: le prix très réduit des maisons dans les quartiers non planifiés fait que leurs occupants sont en majorité leurs propriétaires, contrairement à ce qui se passe dans les quartiers résidentiels et même planifiés. On comprendra dès lors pourquoi nous n'avons pas fait figurer le statut de propriétaire sans autre précision dans les items du coefficient de niveau de vie (cf. 1.4): il faut connaître la qualité de la maison pour en tirer quelque enseignement.

Remarquons enfin que la possession d'une seconde propriété ne semble guère plus fréquente chez les ménages riches que chez les ménages de niveau moyen: cela reste une situation rare dans l'ensemble de notre échantillon. Il n'y a pas de véritables grands propriétaires immobiliers à Lubumbashi, où l'on se contente le plus souvent d'une seule maison. Si 43 % des ménages de notre échantillon sont propriétaires, 40% sont locataires, 6% sont logés aux frais de leur employeur et enfin 11% bénéficient d'un logement gratuit. S'agissant du logement aux frais de l'employeur, on aurait pu s'attendre à ce que dans une ville où siègent de grandes entreprises dont la dimension sociale était autrefois très accusée (GCM, SNCC...), ce chiffre ait été supérieur à l'actuel 6%: il atteignait 11 à 12% dans les années 1970-1980 (Houyoux et Lecoanet 1975:134, INS 1989:22). En fait, beaucoup de ces entreprises ont revendu la majeure partie de leur patrimoine immobilier. Le camp de la GCM, par exemple, a été revendu aux ouvriers qui l’occupaient. Le pourcentage de personnes logées par leur employeur est en relation directe avec le niveau de richesse: seuls les hauts placés de la hiérarchie semblent encore avoir le bénéfice de cette aide de l'entreprise. D'autre part, plutôt que de bénéficier d'un logement effectivement mis à leur disposition par l'entreprise, certains salariés préfèrent toucher la prime-logement, qui correspond à la valeur locative de cette

12 Ceci était déjà vrai en 1973: des quartiers résidentiels aux quartiers planifiés et enfin aux non planifiés, on passait de 15,4 à 35,9 et à 68,8% de ménages propriétaires (Houyoux et Lecoanet 1973:134)

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maison: de la sorte, ils peuvent louer une maison à moindre prix et obtenir le bénéfice de la différence entre ces deux prix. On remarque aussi qu'un nombre appréciable de ménages bénéficient d'un logement gratuit, ce qui signifie que leur demeure est mise à leur disposition par des amis, la famille, l'Eglise ou d'autres connaissances. Cette pratique profite surtout aux couches les plus aisées de la population, car les chefs de ces ménages sont intégrés dans des réseaux sociaux denses, composés de personnes elles aussi nanties. D'autre part, l'aisance matérielle ne touche en général pas un seul individu mais l'ensemble de sa famille, tant et si bien que les familles riches disposent parfois de quelques maisons dont les différents membres peuvent bénéficier à un moment ou l'autre de leur vie. Et enfin, comme le dit le proverbe, on ne prête qu'aux riches... Comparons ces données à celles des décennies précédentes (Houyoux et Lecoanet 1985:134 et INS 1989:22).

1973 1985 2000 Propriétaires 44% 34% 43% Locataires 40% 50% 40% Employeur 11% 12% 6% Gratuit/autre 5% 5% 11% On voit que les propriétaires et locataires constituent toujours les effectifs les plus nombreux: les propriétaires l'emportent en nombre, sauf dans les années 1980, où, à en croire les enquêtes de l'INS, ils deviendraient moins nombreux que les locataires. Les autres catégories (employeur/gratuit et autre) ne représentent toujours qu'un sixième de la population, mais le nombre de ménages logés par l'employeur a très fortement diminué ces dernières années.

4.4. Morphologie de la maison 4.4.1. Les murs Echantillon

global (n=84 ) Niveau de vie sup. (n=17)

Niveau de vie moyen (n=50)

Niveau de vie inf. (n=17)

Nombre moyen de pièces 3,5 5,7 3,2 2,1 Murs en briques + ciment 51 (61%) 17 (100%) 31 (62%) 3 (17%) Murs en adobes + ciment 1 (1%) - - 1 (6%) Murs en briques sans ciment 4 (5%) - 2 (4%) 2 (12%) Murs en adobes 28 (33%) - 17 (34%) 11 (65%) Echantillon

global (n=84 ) Quartiers résid. (n=10)

Quartiers plan. (n=37)

Quartiers non plan. (n=37)

Nombre de pièces 3,5 6,1 3,4 3 Murs en briques + ciment 51 (61%) 10 (100%) 32 (86%) 9 (24%) Murs en adobes + ciment 1 (1%) - - 1 (3%) Murs en briques sans ciment 4 (5%) - - 4 (11%) Murs en adobes 28 (33%) - 5 (14%) 23 (62%) Comme on le voit très clairement, le nombre de pièces dans une maison dépend directement du niveau économique du ménage, ceci pour la simple et bonne raison que le prix d'achat, de construction ou de location d'une maison (ou d'un appartement) est quasiment

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proportionnel au nombre de pièces13. Les maisons avec murs "en dur" (briques cuites et ciment) sont le modèle le plus répandu dans tout la ville: on ne trouve d'ailleurs pas d'autres types de maison dans les quartiers résidentiels, et très peu dans les quartiers planifiés. La "ville blanche", construite pour héberger les colonisateurs, respectait bien entendu les modes de construction en vigueur en Europe. Que les murs en briques et ciment soient si répandus dans les quartiers planifiés tient à la politique d'urbanisme des "centres extra-coutumiers" ou des "cités" depuis la fin des années '40 jusqu'au début des années '60: divers systèmes d'aide à la construction ("Plan Grévisse", "Fonds d'avance"...) offraient des crédits aux ménages qui se lançaient dans la construction de leur maison, pour autant qu'ils adoptent des normes bien précises de construction, qui supposaient notamment l'usage des briques cuites et du ciment.

C'est dans les quartiers non planifiés que la brique d'adobe devient la norme, ainsi qu'auprès des ménages les plus modestes des quartiers planifiés14. On remarque aussi, dans ces mêmes quartiers et dans les couches de population les plus précarisées, des constructions de type intermédiaire entre les deux types d'appareil principaux: un ménage de notre échantillon a une maison d'adobes crépie de ciment; et quatre autres ont des murs en briques cuites mais non cimentées. Il s'agit de solutions qui sont adoptées dans un but d'économie par rapport aux coûts élevés des murs en briques et ciment. Notons qu'en absence de ciment, on utilise soit de l'argile seule, soit de la chaux, soit de l'argile mélangée aux déchets organiques de la distillation d'alcool lutuku, déchets appelés bishakata; la seconde de ces solutions est d'ailleurs fréquemment employée pour assurer un crépissage des adobes qui protège ces briques de l'érosion pluviale. 4.4.2. Le sol Echantillon

global (n=84 ) Niveau de vie sup. (n=17)

Niveau de vie moyen (n=50)

Niveau de vie inf. (n=17)

Carrelage 10 (12%) 7 (41%) 3 (6%) - Ciment 42 (50%) 10 (59%) 29 (58%) 3 (18%) Terre battue, etc. 32 (38%) - 18 (36%) 14 (82%) Echantillon

global (n=84 ) Quartiers résid. (n=10)

Quartiers plan. (n=37)

Quartiers non plan. (n=37)

Carrelage 10 (12%) 7 (70%) 3 (8%) - Ciment 42 (50%) 3 (30%) 27 (73%) 12 (32%) Terre battue, etc. 32 (38%) - 7 (19%) 25 (68%) Le pavement de la maison en carrelage constitue la norme dans les maisons des quartiers résidentiels et ne se trouve que rarement en dehors de cet espace urbanistiquement privilégié. 50% de nos ménages ont le sol de leur maison en ciment, qui est aussi la norme dans les quartiers planifiés, pour les raisons de politique d'urbanisme que nous avons déjà notées plus haut. Ce succès tient au prix plus accessible de ce type de matériau, qui ne requiert en

13 La comparaison avec les données de Houyoux et Lecoanet permet de voir qu'en moyenne, le nombre de pièces/ménage a légèrement augmenté, et ce dans les trois types de quartiers, depuis 1973, lorsqu'on comptait seulement 3,24 pièces en moyenne (1975:110). Sur base des données de l'INS, ce chiffre serait tombé à environ 2,54 en 1985, ce qui nous semble peu vraisemblable (1989:21). 14 Les données révèlent qu'il y avait 55% de murs en dur en 1973, contre 67% en 1985 et 61% maintenant (Houyoux et Lecoanet 1975:132, INS 1989:23). Les quartiers non planifiés semblent avoir connu une amélioration marquée puisqu'en 1973, on n'y comptait que 8% de maisons avec les murs en dur, contre 24% dans notre échantillon présent (Houyoux et Lecoanet 1975:111).

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outre pas de connaissances poussées pour l'installation. Le sol en terre battue (38% de notre échantillon) est la norme parmi les ménages économiquement faibles, et, de façon générale, dans les quartiers non planifiés. Notons que le sol en terre battue est parfois une solution provisoire, dans l'attente de l'achat du ciment nécessaire à un pavement plus digne de ce nom15. 4.4.3. Le toit Echantillon

global (n=84 ) Niveau de vie sup. (n=17)

Niveau de vie moyen (n=50)

Niveau de vie inf. (n=17)

Tuiles 4 (5%) 3 (18%) 1 (2%) - Eternit 3 (4%) - 2 (4%) 1 (6%) Tôles 53 (63%) 14 (82%) 33 (66%) 6 (35%) Tôles récupérées 23 (27%) - 14 (28%) 9 (53%) Végétal 1 (1%) - - 1 (6%)

Echantillon global (n=84 )

Quartiers résid. (n=10)

Quartiers plan. (n=37)

Quartiers non plan. (n=37)

Tuiles 4 (5%) 3 (30%) 1 (3%) - Eternit 3 (4%) - 3 (8%) - Tôles 53 (63%) 7 (70%) 29 (78%) 17 (46%)

Tôles récupérées 23 (27%) - 4 (11%) 19 (51%) Végétal 1 (1%) - - 1 (3%)

Les rares toits en tuile de la ville sont presque entièrement localisés dans les quartiers résidentiels, où ils constituent souvent un héritage de la période coloniale: les tuiles ne sont actuellement plus produites localement, et ne sont que très rarement importées par de riches expatriés. L'éternit, sorte de tôles faites en fibro-ciment, fut utilisé à grande échelle autrefois, surtout dans les camps des grandes entreprises et dans les autres quartiers planifiés. Ses qualités d'isolation thermique sont meilleures que celles des tôles métalliques. Actuellement, on ne trouve plus guère de toits en cette matière: la production locale a cessé au début des années 1970 avec la zaïrianisation, et l'on n'en importe guère en raison de leur poids et de leur fragilité durant le transport. Par contre, les tôles métalliques ne connaissent pas ce problème: on en importe en grand nombre depuis les pays d'Afrique australe. Elles recouvrent 90% des toits de notre échantillon: 63% des ménages ont des tôles d'origine sur leur toit, tandis que 27% ont des tôles de récupération, que l'on trouve sur certains marchés et qui coûtent entre 20 et 50% du prix des tôles neuves. Bien entendu, les tôles de récupération sont surtout fréquentes dans les ménages pauvres et dans les quartiers non planifiés. Enfin, signalons qu'un seul ménage de notre échantillon a un toit en paille, comme on en trouve seulement encore dans les quartiers les plus périphériques (Kabulameshi, Kasungami, Kalebuka, etc.)16.

15 Une fois encore, ces chiffres dénotent une stabilité, voire une légère amélioration par rapport à la situation de 1973: on comptait alors 59% de sols en ciment ou en carrelage, le reste étant en terre battue. La différence n'a pas affecté les quartiers résidentiels ou planifiés, mais bien les quartiers non planifiés, où il n'y avait alors que 20% de sols en "dur", contre 32% dans notre échantillon (Houyoux et Lecoanet 1975:132). 16 La comparaison est impossible avec les données de Houyoux et Lecoanet, qui ne précisent pas assez les rubriques qu'ils utilisent. Par contre, l'INS livre la série suivante, pour 1985: tuiles (7%), éternit (5%), tôles (77%), tôles de récupération (10%), végétal (1%). Bref, le type de toit n'a guère changé depuis les années 1970, si ce n'est que la part des tôles de récupération a augmenté au détriment des tôles de première main (INS 1989:23).

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4.4.4. La clôture Echantillon global

(n=84 ) Niveau de vie sup.

(n=17) Niveau de vie moyen (n=50)

Niveau de vie inf. (n=17)

Murs 9 (11%) 7 (41%) 2 (4%) - Haie 67 (80%) 8 (47%) 45 (90%) 14 (82%) Rien 8 (9%) 2 (12%) 3 (6%) 3 (18%) Echantillon global

(n=84 ) Quartiers résid.

(n=10) Quartiers plan.

(n=37) Quartiers non plan. (n=37)

Murs 9 (11%) 4 (40%) 4 (11%) 1 (3%) Haie 67 (80%) 6 (60%) 30 (81%) 31 (86%) Rien 8 (9%) - 4 (11%) 4 (11%) La grande prédominance des clôtures végétales, qui entourent 80% des maisons de notre échantillon, tient d'une part à l'héritage colonial, dont les normes urbanistiques favorisaient ce type de clôture. Les espèces utilisées pour la haie sont essentiellement le bougainvillier, l'hibiscus (karibu na midi), le lantana (mavi a nkuku), l'euphorbe (lusonga), les trois premières espèces étant davantage caractéristiques des maisons cossues des quartiers résidentiels. La persistance de clôtures végétales depuis la décolonisation tient à ce que les haies ne représentent pas un investissement conséquent, et qu'elles sont assez propices aux liens de solidarité primaire entre voisins, puisqu'il est toujours possible de ménager un passage pour les visites. L'érection de murs est une institution relativement récente: en raison de l'insécurité qui règne à présent en ville, les ménages les plus riches tendent à transformer leur clôture végétale en murs, rehaussés souvent de barbelés et/ou de tessons de bouteilles pris dans le ciment. Comme on le voit, il n'y a quasiment que les ménages de niveau de vie supérieur qui ont construit de tels murs de protection (qui représentent un investissement considérable), encore que beaucoup aient gardé la haie. On remarque enfin qu'environ un dixième de notre échantillon ne possède de clôture d'aucune forme, ce qui ne semble associé à aucun niveau de vie en particulier, mais n'est pas représenté dans les quartiers résidentiels. 4.4.5. Le coût d'une maison à Lubumbashi

Comme il est apparu tout au long de cette analyse, les différences qui apparaissent dans le bâti sont dues autant à l'héritage urbanistique ancien qu'aux possibilités financières actuelles des ménages. Pour avoir une meilleure idée des données économiques liées à la construction, nous avons cherché à dégager quelques prix de base dans le domaine de l'immobilier.

La première dépense à laquelle est confronté un ménage qui se lance dans la construction d'une maison est celle de l'achat d'un terrain. Les nouvelles concessions sont vendues par le service du cadastre, dont les pratiques frauduleuses sont souvent dénoncées. Des espaces verts (parcs, terrains de sports...) se trouvant dans la ville ont disparu en l'espace de quelques mois avec la complicité de ce service, comme c'est le cas de tout le quartier Kimbwambwa situé entre les avenues Lumumba et Kilela Balanda, au cœur même de la ville. Les nouvelles parcelles sont vendues à un prix très variable selon leur localisation et selon les possibilités de raccordement à la SNEL et à la REGIDESO. Dans les quartiers de la périphérie lointaine, le lotissement coûte à peine 50 USD; dans un quartier comme celui de Kalubwe, de

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construction récente et quelque peu anarchique mais proche du centre-ville, on atteint 1000 à 2000 USD; à Gambela, on avoisine les 6000 USD, et au Golf, les 8000-10000 USD.

Le type de matériaux utilisés détermine le reste du prix. Prenons deux cas typiques: une maison "en dur" de 4 pièces, cimentées au sol et garnie de nouvelles tôles; d'autre part, une maison de quatre pièces en briques d'adobe, au sol en terre battue, recouverte de tôles de récupération. Situons-les respectivement dans les quartiers de Kalubwe et de Katuba-Mbuji-Mayi.

La brique d'adobe revient à environ 0,80 FC la pièce (0,01 USD au moment des enquêtes). Les briques cuites coûtent dix fois plus cher (0,1 USD). Le nombre de briques nécessaires à une construction est de l'ordre de 500 briques par pièce de 3 x 4m, soit environ 2000 pour une demeure de quatre pièces comme il en existe beaucoup dans la ville. La main d'œuvre du maçon s'élève normalement à entre un tiers et un cinquième des matériaux de construction (briques, ciment, sable et eau), mais cela fait souvent l'objet de transactions. Notons à ce sujet que les prix peuvent très fortement varier d'un quartier à l'autre: les sommes indiquées dans notre tableau sont données par l'expérience. Le sac de ciment revient à entre 8 et 10 USD, et il faut un sac pour 120 briques: pour une maison de 2000 briques, cela revient à 17 sacs; en outre, on compte 2 à 3 sacs de ciment pour le sol de chaque pièce, et un m3 de sable (4,5 USD) par sac de ciment. Les portes métalliques et structures de fenêtre reviennent respectivement à 35 et 22,5 USD pièce pour une maison en dur, tandis qu'on se contente de portes en bois (10 USD) pour une maison en adobes, où aucune structure n'est prévue pour les fenêtres qui sont de simples trous dans le mur. La toiture est un poste important: une tôle neuve revient à 10 USD, une d'occasion à 5 USD (mais il est possible d'en trouver à partir de 2 USD). Il faut une trentaine de tôles pour une maison de 4 pièces. En dehors de cela, il faut compter les planches pour la charpente, les clous pour les tôles, enfin la main d’œuvre du charpentier. Maison n°1 Maison n°2 Prix de la parcelle 1500 $ 50 $ Briques 2000 briques x 0,1 $ = 200 $ 2000 x 0,01 $ = 20 $ Sacs de ciment 27 sacs x 9 $ = 243 $ - Sable 27 m3 x 4,5 $ = 122 $ - Portes 2 portes x 35 $= 70 $ 2 x 10 $ = 20 $ Fenêtres 4 fenêtres x 22,5 $ = 90 $ - Maçon 100 $ 25 $ Tôles 30 tôles x 10 $ = 300 $ 30 x 5 $ = 150 $ Bois de charpente 30 $ 10 $ Clous 7 $ 7 $ Charpentier 30 $ 10 $ TOTAL: 2692 $ 292 $ Comme on le voit, il n'y a aucune commune mesure entre les deux prix qui varient quasiment du simple au décuple. Le prix de la maison en adobes est, comparativement, très bas, et encore faudrait-il réduire cette somme si l'on tenait compte du fait que l'on peut ériger plusieurs maisons sur une seule parcelle, et réduire les frais de construction de moitié en réduisant l'habitat à deux pièces comme c’est souvent le cas dans les ménages modestes.

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4.5. Les énergies L'enquête s’est appesantie sur un ensemble de commodités liées au logement: le mode d'éclairage, le mode de cuisson ainsi que les voies et moyens par lesquels l'on accède à l’eau et à l'énergie électrique. Comme l’accès à l’électricité conditionne de nombreuses commodités domestiques, il constitue dès lors un bon point de départ pour notre sujet. 4.5.1. Le raccordement à l'électricité Rappelons qu’au Congo, la distribution de l’électricité, domestique ou non, reste le monopole de la SNEL (société nationale d’électricité). Les données recueillies durant l’enquête à propos du raccordement et de l’abonnement électriques sont ici encore présentées sous forme de tableaux qui croisent les résultats, respectivement, avec le niveau de richesse et le type de quartier. La première catégorie apparaissant dans le tableau, celle des "abonnés", reprend les ménages qui sont officiellement fournis en électricité par la SNEL; la seconde, ceux qui obtiennent frauduleusement leur électricité par un raccordement pirate auprès d’un abonné; la troisième catégorie, les ménages qui ne sont pas raccordés. Echantillon

global (n = 84 ) Niveau de vie sup. (n = 17)

Niveau de vie moyen (n = 50)

Niveau de vie inf. (n = 17)

Abonnés 32 (38%) 16 (94%) 16 (32%) - "Sous-abonnés" 12 (14%) 1 (6%) 9 (18%) 2 (12%) Non raccordés 40 (48%) - 25 (50%) 15 (88%) Echantillon

global (n= 84) Quartiers résid.

(n=10) Quartiers

planifiés (n=37) Quartiers non planifiés (n=37)

Abonnés 32 (38%) 9 (90%) 19 (51%) 4 (11%) "Sous-abonnés " 12 (14%) 1 (10%) 6 (16%) 5 (13%) Non raccordés 40 (48%) - 12 (33%) 28 (76%) Selon les dernières statistiques du service de gestion des abonnés de la SNEL, qui remontent au mois de février 2000, l’abonnement domestique à travers toute la ville de Lubumbashi concernent 18980 parcelles. Sur base de nos projections, Lubumbashi compterait un million d’habitants, soit 130000 ménages (puisqu’on recense en moyenne 7,5 personnes par ménage), soit encore environ 70000 parcelles (puisqu’on décompte en moyenne 1,9 ménages par parcelle). Les 18980 abonnements domestiques couvriraient donc 27% des parcelles de la ville ou 27% de la population totale. Or, si l’on en croit notre échantillon, 38% des ménages contactés se disent pourtant abonnés. L’on pourrait peut-être attribuer l’écart entre les deux indices de pourcentage à l'effectif réduit de notre échantillon, mais il n'est pas impossible que certains ménages qui se croient abonnés voient leur facture détournée par des agents subalternes qui ne la déclarent pas aux services généraux de la société; il est possible aussi que certains "sous-abonnés" fraudeurs se soient présentés comme des abonnés en bonne et due forme. Si la facture mensuelle d’électricité ne coûte généralement pas très cher (environ 140 FC comme facture moyenne pour les abonnés de notre population échantillonnée, au moment des enquêtes), les conditions d’abonnement à la SNEL sont quant à elles difficiles, vu le contexte socio-économique de l’heure. Il faut en effet assurer le dépôt de documents cadastraux, du croquis, de l’original du certificat de conformité pour raccordement à l’eau et à l’électricité, et le paiement d’une caution… De plus, le client doit être à même de supporter le devis (achat du matériel de raccordement et la main-d’œuvre) dressé à cet effet par les services

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spéciaux de la SNEL après leur descente sur le terrain. Toutes ces conditions réunies mettent en difficulté de nombreux ménages. Quand on connaît la manière quasi-anarchique dont ont été parfois acquises certaines parcelles à Lubumbashi, on ne s'étonnera pas de la difficulté qu'ont certains ménages à réunir l'ensemble de ces documents administratifs. A cela s’ajoutent la lenteur administrative de la SNEL et le fait qu'elle n'assure plus de nos jours la fourniture du matériel de raccordement (ce qu'elle assurait autrefois). Tout ceci pousse nombre de ménages – surtout de niveau économique moyen ou modeste – à s’engager sur la voie du “ sous-abonnement ” en se rabattant sur le courant du voisin abonné. Aussi constate-t-on que le taux d’abonnement à la SNEL va décroissant des ménages de niveau de vie supérieur aux ménages de niveau de vie inférieur, et vice-versa s’agissant du taux de non-abonnement: 94% des ménages de niveau de vie supérieur sont régulièrement abonnés à la SNEL; 94% des ménages pauvres n’ont, à l’inverse, aucun accès à l’électricité de la ville. L’abonnement à la SNEL comme du reste le raccordement représentent clairement un coût que seule une catégorie de la population arrive à supporter. Le classement des ménages par type de quartier renseigne une décroissance du taux d’abonnement partant des quartiers résidentiels vers les quartiers planifiés et non planifiés. Le taux du non-abonnement croît de façon inverse. L’urbanisme est donc une autre variable explicative de nos résultats, mais elle semble moins déterminante que le niveau économique: en effet, on constate qu’un quart des habitants des quartiers non planifiés ont accès à l’électricité, alors qu’il n’y a que 6% des économiquement pauvres (un seul ménage sur les 17 de cette catégorie) qui y ont accès. Le sous-abonnement apparaît dans notre enquête comme une fourniture frauduleuse du courant. En effet, le quart des ménages qui utilisent l’électricité dans notre échantillon (12 cas sur 43) déclarent explicitement qu'ils s’approvisionnent auprès des ménages abonnés. La piraterie du courant, comme le démontre le tableau ci-dessus, se rencontre à tous les niveaux de vie et dans tous les quartiers. Elle semble tout juste un peu plus typique des ménages de niveau de vie moyen, qui n’ont pas les crédits nécessaires pour s’abonner régulièrement. Les ménages les plus défavorisés, quant à eux, n’ont même pas les moyens de se sous-abonner. Beaucoup de ménages secoués par la nouvelle donne économique se sont vus privés d’électricité par défaut de paiement. Ainsi, nombre d’entre eux ont-ils trouvé mieux de se raccorder en électricité auprès des voisins régulièrement abonnés à la SNEL. La forme la plus récurrente de fraude du courant est en effet celle où un ménage se trouve servi en électricité par un ménage voisin qui, lui, est abonné à la SNEL. Il doit alors s’acquitter d’un paiement forfaitaire ou d’une contribution à la facture que la SNEL présente chaque fin du mois à l’abonné (dans nos enquêtes, la contribution mensuelle des sous-abonnés se chiffre en moyenne à 36 FC). De la sorte, les abonnés ont l’avantage de payer l’électricité à vil prix en répercutant le poids de leurs factures mensuelles sur leurs sous-abonnés. Ceci se fait sans qu’au préalable ce ménage ait dûment souscrit à une police d’abonnement. Le courant piraté, généralement raccordé sur une seule phase et par du matériel fort précaire, n’est utilisé que pour l’éclairage à des heures tardives. Cette restriction quant à l’usage du courant détourné existe certes, cependant, dans les faits, on constate que 3 des 12 "sous–abonnés" de notre échantillon utilisent l’électricité pour faire fonctionner un four ou des plaques électriques destinés à la préparation des repas. Le rapport entre le nombre de sous abonnés et d’abonnés est intéressant à étudier dans les différents quartiers: on constate que dans les quartiers résidentiels, il y a, dans notre échantillon, un sous-abonné pour neuf abonnés; dans les quartiers planifiés, ce rapport passe à un pour trois; enfin dans les quartiers non planifiés, il y a parité entre les deux catégories. Cela s’explique aisément : l’électrification d’un nouveau quartier, en raison du coût qu’elle implique, est souvent le fait d’une initiative privée. Les quelques personnes qui s’abonnent dans la foulée fournissent l’occasion d’un sous abonnement à leurs voisins plus pauvres.

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La fraude du sous-abonné est parfois repérée par les agents de la SNEL lors de leurs enquêtes. Les contrevenants se voient alors couper le courant et sont astreints au paiement d’amendes, à moins qu’ils ne parviennent à corrompre les agents pour éviter ces désagréments, comme l’on dit que cela arrive parfois. 4.5.2. Le mode d’éclairage Présentons, comme nous l’avons fait plus haut pour le raccordement à l’électricité, les données sur l’éclairage en les croisant successivement au niveau de richesse et au type de quartier. La première catégorie dans nos tableaux inclut les ménages se servant normalement de l’électricité comme mode d’éclairage mais qui recourent parfois aussi aux lampes, bougies, etc., des catégories suivantes. La seconde catégorie est celle des ménages qui utilisent la lampe tempête ou la bougie comme mode d’éclairage habituel, qui peuvent dans certaines circonstances utiliser parfois aussi les petites lampes à huile artisanales (katoritori). Enfin la troisième catégorie regroupe les ménages où le seul mode d’éclairage disponible est le katoritori, suppléé parfois par quelques morceaux de bois enflammés. Mode d'éclairage

Echantillon global (n = 84 )

Niveau de vie sup. (n = 17)

Niveau de vie moyen (n = 50)

Niveau de vie inf. (n = 17)

Electricité, etc. 42 (50%) 17 (100%) 24 (48%) 1 (6%) Lampe tempête, bougies, etc.

37 (44%) - 24 (48%) 13 (76%)

Katoritori, feu 5 (6%) - 2 (4%) 3 (18%) Mode d'éclairage

Echantillon global (n = 84 )

Quartiers résid. (n=10)

Quartiers planifiés (n=37)

Quartiers non planifiés (n=37)

Electricité, etc. 42 (50%) 10 (100%) 25 (68%) 7 (19%) Lampe tempête, bougies, etc.

37 (44%) - 12 (32%) 25 (68%)

Katoritori, feu 5 (6%) - - 5 (13%) Le mode d'éclairage le plus usité est l'électricité. A Lubumbashi, notre enquête révèle que 42 des 44 ménages qui disposent régulièrement (32 cas) ou frauduleusement (12 cas) d’un accès au réseau électrique de la ville, soit 50% de notre échantillon, utilisent bien entendu cette énergie comme source principale d'éclairage. La différence entre 42 et 44 tient à ce qu’au moment de nos enquêtes, un ménage abonné n’était pas fourni suite à une panne desservant tout le quartier; un autre ménage, sous-abonné, n’utilise pas l’électricité comme mode d’éclairage. Nous avons déjà analysé plus haut les éléments déterminant le raccordement à l’électricité, qui est directement corrélé au niveau de richesse et au type de quartier : nous n’y reviendrons plus. Suite à des pannes et coupures intempestives, survenant surtout dans certains quartiers planifiés et non planifiés où le matériel de raccordement utilisé par la SNEL est vétuste et en grande partie hérité de la colonisation, beaucoup de ménages dans ces sites, bien que raccordés en électricité, recourent à la lampe tempête ou à la bougie comme mode d'éclairage d’appoint. Les ménages lushois électrifiés n’utilisent donc pas exclusivement l’électricité comme mode d’éclairage. Les ménages qui n’ont pas accès à l’électricité ont recours à des modes d’éclairage que nous avons regroupé en deux sous-groupes. Certains ont recours à la lampe tempête (qui fonctionne avec du pétrole ou parfois avec du mazout) ou aux bougies. C’est la solution que privilégient les moins démunis d’entre ce groupe, alors que les plus pauvres se rabattent sur de

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véritables moyens de fortune comme le katoritori, etc. Le plus souvent, le katoritori est constitué d’un pot de verre de récupération dans lequel une petite armature en fil métallique soutient une mèche faite d’un petit lambeau de tissu roulé sur lui-même. On en trouve aussi faites à partir de boîtes de conserve, mais la flamme est alors au-dessus des parois de la boîte, et risque donc de s’éteindre au premier coup de vent. Le feu de bois, source d’éclairage bon marché, ne se rencontre dans notre échantillon que dans 5 ménages, tous localisés dans les quartiers non planifiés, et dans la catégorie de niveau de richesse inférieur pour trois d’entre eux. Ce mode d’éclairage est l’expression de la ruralité vécue dans la périphérie de la ville. Signalons enfin que les dépenses moyennes, par ménage et par mois, relatives à l'éclairage non électrique (lampe tempête, bougie, katoritori, feu...) tiennent 1,32% du budget ménager soit 135FC pour l’ensemble de notre échantillon. Cependant une analyse par niveau de vie démontre que les ménages de niveau de vie supérieur consacrent 58 FC/mois à ce poste, contre 172 FC dans les ménages de niveau de vie moyen, et 121 FC dans les ménages de niveau de vie inférieur. Houyoux et Lecoanet n’abordent malheureusement pas la question du mode d’éclairage comme nous le faisons ici. Par contre, les études portant sur les budgets ménagers faites par l’INS (1989:25) renseignent qu'en 1985, 28% des ménages de leur échantillon seulement utilisaient l'électricité, contre 60% pour la lampe tempête, les bougies ou la lampe aladin (la lampe-tempête représentant à elle seule 56,5% des ménages!). Il y aurait donc eu depuis 15 ans une très forte progression de l'utilisation de l'électricité comme mode d'éclairage. 4.5.3. Mode de cuisson alimentaire La première catégorie du tableau suivant reprend les ménages qui utilisent l’électricité comme énergie de cuisson et qui, selon les circonstances, recourent éventuellement au charbon de bois comme combustible. La seconde catégorie est celle des utilisateurs exclusifs du charbon de bois. La troisième catégorie est celle des ménages qui utilisent concomitamment le charbon de bois et le bois pour la préparation des repas. Mode de cuisson alimentaire.

Echantillon global (n = 84 )

Niveau de vie sup. (n = 17)

Niveau de vie moyen (n = 50)

Niveau de vie inf. (n = 17)

Electricité, etc. 21 (25%) 13 (76%) 8 (16%) - Charbon 52 (62%) 4 (24%) 37 (74%) 11 (65%) Charbon et bois 11 (13%) - 5 (10%) 6 (35%)

La grosse majorité des ménages tiennent leur cuisine avec le charbon de bois: 62% utilisent ce combustible à titre exclusif; 13% l'utilisent concomitamment au bois. Les 25% qui utilisent l'électricité comme mode de cuisson principal recourent souvent aussi au charbon de bois pour la cuisson de certains mets. Chaque ménage possède, à cet effet, un brasero.

La très forte consommation du charbon de bois, dans notre échantillon, tient en partie à ce que 40 ménages sont non électrifiés. L'électricité est plus utilisée comme mode d'éclairage (50%) que comme mode de cuisson (25%). Ceci tient d'une part, à la faible intensité du courant dont disposent les sous-abonnés – et les ménages abonnés à la SNEL ne permettent pas à leurs "sous-abonnés" d'utiliser le courant, du reste fourni sur une seule phase, à d'autres fins que l'éclairage, de peur d'un éventuel incendie –, d'autre part aux coupures intempestives du courant qui découragent ses utilisateurs potentiels pour la cuisine – ces coupures occasionnent en outre beaucoup de dommages aux appareils électroménagers, sans que la SNEL dédommage les ménages concernés. Le prix des appareils électroménagers est fort élevé eu égard au niveau de vie économique moyen de la population, ce qui constitue un autre facteur dissuasif.

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Les 25% des ménages de notre échantillon qui utilisent l’électricité pour la cuisine ne l’utilisent pas de manière exclusive, en raison des coupures du courant ou parce que la cuisson de certains mets réclame l’utilisation du charbon de bois. Certaines ménagères lushoises pensent qu'une cuisine faite au charbon de bois est meilleure que celle faite à l'électricité. Cet élément de l'habitus de la ménagère lushoise est une partie de l'explication de la forte utilisation du charbon comme combustible.

L'utilisation de l'électricité est caractéristique des couches les plus riches de notre échantillon. A l'inverse, l'usage concomitant du bois et du charbon de bois est typique des franges les plus pauvres de ce groupe. La forte utilisation du charbon de bois comme combustible pour la cuisine explique en partie le déboisement inconsidéré remarqué à la périphérie de la ville. Le journaliste Kasamwa, faisant allusion à un récent rapport, note que la ville de Lubumbashi consomme quelque 150.000 tonnes de charbon de bois par an17 (soit 94kg par mois et par ménage), d'où un déboisement important dans un rayon de 40km autour de la ville. Nos enquêtes sur les budgets ménagers de septembre laissent voir que la dépense mensuelle moyenne par ménage affectée au charbon de bois est de 278 FC (soit 2,72% du budget ménager), alors que la dépense moyenne affectée à l'usage de l'électricité comme mode tant d'éclairage que de cuisson est de 70 FC (soit 0,69% du budget ménager) pour l’ensemble de notre échantillon.

Un aperçu sur les études antérieures révèle que le succès du charbon de bois ne date pas d'aujourd'hui. En 1985, 85% des ménages utilisaient à titre principal ce combustible, alors que l'électricité ne représentait alors que 10% et le bois 4% des énergies utilisées pour la cuisson (INS 1989:26). L'électricité semble donc avoir connu une progression sur ces quinze dernière années, tant pour la cuisson alimentaire que pour l'éclairage, comme nous le notions plus haut.

4.6. L'approvisionnement en eau

A Lubumbashi comme dans toute la RDC, la gestion de l'eau est confiée à une institution publique, la REGIDESO. Cette institution s'implante dans le contexte d'un pays anciennement colonisé où l'infrastructure d'adduction d'eau potable arrosait les quartiers résidentiels et planifiés, qui bénéficient actuellement encore de cette infrastructure ancienne. Par contre, les quartiers non planifiés connaissent une situation beaucoup plus critique. Dans cette perspective, il est intéressant de connaître la frange de la population échantillonnée qui a accès à l'adduction d'eau. Nous étudierons à nouveau les données selon la classification du niveau de richesse et selon le type de quartier, puisque, comme il vient d'être noté, les infrastructures disponibles sont fortement dépendantes de l'héritage urbanistique colonial. 4.6.1. L'abonnement à la REGIDESO Echantillon

global (n=84) Niveau de vie sup. (n = 17)

Niveau de vie moyen (n=50)

Niveau de vie inf.(n = 17)

Abonnés à la REGIDESO 35 (42%) 14 (82%) 19 (38%) 2 (12%) Non abonnés 12 (14%) - 6 (12%) 6 (35%) "Sous-abonnés" 37 (44%) 3 (18%) 25 (50%) 9 (53%) Echantillon

global (n = 84 ) Quartiers résid.

(n=10) Quartiers plan. (n=37)

Quartiers non planifiés (n=37)

Abonnés à la REGIDESO 35 (42%) 9 (90%) 24 (65%) 2 (6%) Non abonnés 12 (14%) - 2 (5%) 10 (27%) "Sous-abonnés" 37 (44%) 1 (10%) 11 (30%) 25 (67%)

17 Cf. un fascicule écrit par Bethuel Kasamwa-Tuseko sous le titre : « La peur des esprits protège la forêt ».

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Commençons par nous pencher sur la question de l'abonnement à la REGIDESO. Notre tableau fait apparaître trois situations: l'abonnement (40% de notre échantillon), le non-abonnement (16%) et le sous-abonnement (44%). Le sous-abonnement désigne les cas où une personne n'est pas directement abonnée à la régie mais obtient son eau auprès d'un abonné régulier, à qui elle paie une redevance informelle pouvant être établie à titre mensuel ou parfois sur une base beaucoup plus ponctuelle (par bidon d'eau rempli, etc.); le sous-abonnement couvre aussi les cas (5%) de personnes qui s'approvisionnent auprès d'une borne-fontaine placée sous la gestion financière d'un responsable désigné. Les non abonnés sont la catégorie résiduelle des personnes qui n'emploient pas, à titre direct ou indirect, les installations de la régie, mais qui utilisent plutôt l'eau du puits ou de la rivière.

Les enquêtes de terrain indiquent la forte propension de la population à user de l'eau fournie par la régie, mais les personnes semblent recourir autant à la voie de l'abonnement que du "sous-abonnement". Le nombre important de sous-abonnés (44%) pourrait s'expliquer par la volonté d'assurer la santé de la famille par la consommation d'eau potable, cependant que les moyens de s'abonner se trouvent être limités. Alors, on se "sous-abonne" auprès d'un véritable abonné, parce que l'ouverture d'un dossier en raccordement à la régie suppose l'accomplissement de formalités administratives et nécessite, entre autres choses, la souscription à une police d'abonnement, les documents cadastraux, le dépôt d'un croquis émanant de la Division de l'urbanisme et habitat, un certificat de conformité pour raccordement en eau et en électricité, une caution de 1000 FC, etc. Outre les frais d'ouverture de dossier, le client doit payer le matériel (tuyaux, etc., qu'il se procure le plus souvent auprès de la régie elle-même) et la main d'œuvre nécessaire au raccordement. Si la parcelle est déjà raccordée physiquement au réseau d'adduction, la personne qui désire s'abonner devra simplement produire les documents établissant la propriété de la résidence et devra payer une caution de 1000 FC pour l'ouverture du dossier d'abonnement. Remarquons que la somme de 1000 FC ne suffit généralement pas: pour que le dossier avance, il faut "motiver" les agents préposés à ce service en leur offrant quelque gratification.

Cette procédure longue et coûteuse justifie la progression du taux de sous-abonnement au fur et à mesure qu'on descend dans le niveau de vie: ils sont 24% chez les personnes de niveau de vie supérieur, 48% chez les personnes de niveau de vie moyen, 53% chez les personnes de niveau de vie inférieur. Inversement, le nombre d'abonnés décroît en suivant cette même liste (76, 38 et 12%). Notons que cette inégalité dans l'accès à l'eau n'est pas sans réjouir tant soit peu les abonnés, car ils font supporter – parfois lourdement – la facture mensuelle de consommation d'eau à leurs "sous-abonnés". On notera aussi qu'environ un quart des ménages "riches" de notre échantillon est sous-abonné, ce qui témoigne de la généralisation de cette pratique. 16% des ménages échantillonnés sont incapables d'accéder à l'eau de la régie comme abonnés ou sous-abonnés, et se rabattent sur l'eau des puits ou tout simplement de la rivière. Dans le couches de niveau de vie décroissant de notre échantillon, ils sont respectivement 0, 14 et 35%.

Si l'on procède à présent à la lecture de ces chiffres en fonction du type de quartier, on

se rend compte que les différences sont plus contrastées encore: 90% d'abonnés dans les quartiers résidentiels, 65% de sous-abonnés dans les quartiers non planifiés! Les personnes vivant dans les quartiers résidentiels sont presque "contraintes" à l'abonnement en raison de la présence de l'infrastructure d'adduction dans leur parcelle ou dans leur maison, tandis que dans les quartiers non planifiés, la rareté des installations – alliée à la relative pauvreté des habitants de ces lieux – incline les deux tiers de la population à se "sous-abonner". On trouve dans notre échantillon 24 sous-abonnés pour 2 abonnés dans les quartiers non planifiés, ce qui donne à

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penser que les personnes disposant de l'eau courante dans ces quartiers approvisionnent un large gamme de "clients"

Revenons à présent à la question des ménages abonnés. Des enquêtes menées auprès de

responsables de la REGIDESO ont permis d'obtenir une série de renseignements précieux. Selon eux, au moment des enquêtes, la consommation domestique mensuelle tournait autour de 155 000 mètres cubes d'eau pour toute la ville de Lubumbashi. Il existait 28 105 "points de vente" (comprendre: points de raccordement payants) pour toute la ville, dont 10 874 seraient actuellement coupés faute de paiement.

Ces chiffres doivent être pris avec beaucoup de précautions. En réalité, on peut penser que nombre des lieux d'approvisionnement théoriquement coupés fonctionnent frauduleusement: il est bien connu que certains agents délégués pour procéder à la fermeture des installations des mauvais payeurs s'arrangent avec ceux-ci pour qu'ils continuent à bénéficier des service de la régie, contre une petite contrepartie financière; d'autre part, certains ménages dont les installations ont été coupées trafiquent celles-ci pour rétablir l'adduction la nuit. Dès lors, la consommation de ces ménages n'est plus enregistrée à la REGIDESO: le chiffre de 155 000 mètres cubes doit dès lors être revu à la hausse. De même, les ménages régulièrement abonnés s'arrangent eux aussi avec les agents pour que ceux-ci réduisent le volume d'eau à facturer par la régie, ce qui entraîne la même conséquence.

40 % des ménages de notre échantillon se disent abonnés, alors que seulement 17 231 points de vente sont reconnus par la régie. Vérifions la concordance de ces chiffres. Si l'on considère que, exception faite des bornes-fontaines et des robinets couvrant les besoins de collectivités, l'abonnement couvre généralement une parcelle; si l'on considère d'autre part que l'on trouve en moyenne 1,8 ménages par parcelle et que ces ménages comptent en moyenne 7,5 personnes, comme le donne à penser l'analyse de notre échantillon; dès lors, on devrait s'attendre à ce que chaque abonnement couvre 13,5 personnes. Les 17231 abonnements seraient donc pris au nom de 235 000 personnes, soit 23,5% de la population lushoise (évaluée à un million d'habitants). La différence avec le chiffre de 40% est importante: elle tient sans doute à ce que certains ménages déclarent être abonnés alors qu'ils ne le sont que frauduleusement, leur installation étant théoriquement coupée, mais dans les faits toujours en état de marche. Si l'on reprend d'ailleurs le chiffre de 28105 points de vente (qui comprend ceux qui sont théoriquement coupés), on arriverait à 28105 x 1,8 x 7,5 = environ 380 000 personnes bénéficiant dans les faits des service de la REGIDESO (frauduleusement ou non): ce chiffre, qui représente 38% de la population présumée de la ville s'accorde parfaitement aux 40% dégagé sur base de nos enquêtes. 4.6.2. Localisation de la source d'approvisionnement Localisation de la source d'eau

Echantillon global (n=84)

Niveau de vie sup. (n = 17)

Niveau de vie moyen (n=50)

Niveau de vie inf.(n = 17)

Dans la maison 9 (11%) 7 (41%) 2 (4%) - Dans la parcelle 27 (32%) 6 (35%) 18 (36%) 3 (18%) A l'extérieur 48 (57%) 4 (24%) 30 (60%) 14 (82%) Localisation de la source d'eau

Echantillon global (n = 84 )

Quartiers résid. (n=10)

Quartiers plan. (n=37)

Quartiers non planifiés (n=37)

Dans la maison 9 (11%) 7 (70%) 2 (5%) - Dans la parcelle 27 (32%) 3 (30%) 17 (46%) 7 (19%) A l'extérieur 48 (57%) - 18 (49%) 30 (81%)

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Nous avons distingué trois catégories dans notre échantillon: les ménages possédant l'eau courante dans leur domicile (11%), ceux qui obtiennent l'eau sur leur parcelle (32%), enfin ceux qui s'approvisionnent en dehors des limites de celle-ci (57%). Il faut signaler que les ménages qui ont l'eau courante ont toujours en outre l'eau dans leur parcelle, et que certains ménages ayant l'eau dans leur parcelle recourent parfois à une source extérieure à celle-ci, comme un puits commun dont ils puisent l'eau pour certains usages non liés à la consommation alimentaire (c'est le cas de quatre ménages de notre échantillon). Bien entendu, la localisation de la source d'approvisionnement est liée à la question de l'abonnement: 1) Les abonnés reçoivent généralement l'eau dans leur maison ou sur leur parcelle, mais quatre ménages abonnés de notre échantillon font exception et vont chercher l'eau à un robinet extérieur. Parfois en effet, un robinet prévu pour l'approvisionnement de plusieurs parcelles se trouve situé à mi-chemin entre ceux-ci. Seuls 12% de l'ensemble des ménages de notre échantillon ont l'eau courante à l'intérieur du domicile: c'est de nouveau ici les catégories les plus riches et plus particulièrement celles vivant dans les quartiers résidentiels qui sont concernées, puisque les autres catégories de notre échantillon ne sont pratiquement pas concernées par ce "luxe". Le raccordement en eau jusque dans la maison nécessite une tuyauterie et un dispositif coûteux. Mais ici encore, le niveau de richesse conjugue ses effets avec le déterminisme du quartier, puisque les maisons des quartiers résidentiels sont déjà pourvues de ce type d'infrastructure. 2) Les non abonnés s'approvisionnent à l'extérieur, sauf dans les rares cas de puits sur la parcelle. Il en va de même pour les sous-abonnés, qui obtiennent leur eau le plus souvent en dehors de leur parcelle, chez l'abonné régulier qui la leur fournit; mais il arrive aussi que ce soit un ménage installé sur la même parcelle qui leur offre ce service. Une fois encore, ce sont les catégories de niveau de vie le plus faible et les habitants des quartiers non planifiés qui sont défavorisées ici, puisque plus de 80% d'entre eux se fournissent en eau à l'extérieur de leur parcelle La comparaison avec les chiffres des précédentes enquêtes indique que la situation semble s'être améliorée dans les années 1980, et dégradée ensuite; notons une fois encore que les quartiers non planifiés semblent avoir connu une amélioration notable, puisqu'on ne comptait en 1973 que 4% d'installation dans les parcelles, contre 19% aujourd'hui (Houyoux et Lecoanet 1975:110, INS 1989:24). Localisation de la source d'eau 1973 1985 2000 Dans la maison 14% 17% 11% Dans la parcelle 31% 45% 32% A l'extérieur 56% 38% 57% 4.6.3.La source d'approvisionnement d'eau A la différence du précédent, ce point fait référence à la technique d'obtention de l'eau, non à sa localisation. Notons qu'il est possible qu'un seul ménage fasse état de différents modes d'approvisionnement, ce que ne renseignaient pas les anciennes enquêtes.

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Source d'approvisionnement

Echantillon global (n=84)

Niveau de vie sup. (n = 17)

Niveau de vie moyen (n=50)

Niveau de vie inf.(n = 17)

- robinet 70 (83%) 17 (100%) 43 (86%) 10 (59%) - borne-fontaine 4 (5%) - 2 (4%) 2 (12%) - puits 22 (26%) 1 (6%) 13 (26%) 8 (47%) - rivière ou source 2 (2%) - 1 (2%) 1 (6%) Source d'approvisionnement

Echantillon global (n = 84 )

Quartiers résid. (n=10)

Quartiers plan. (n=37)

Quartiers non planifiés (n=37)

- robinet 70 (83%) 10 (100%) 37 (100%) 23 (62%) - borne-fontaine 4 (5%) - - 4 (11%) - puits 22 (26%) - 7 (19%) 15 (41%) - rivière ou source 2 (2%) - - 2 (5%)

Le robinet règne ici en maître puisque 83% des ménages y ont recours; si l'on ajoute les 5% qui ont recours aux bornes-fontaines, on déduit que 88% de notre échantillon s'approvisionne, pour ses besoins alimentaires tout au moins, auprès d'installations contrôlées par la régie. Par défaut, on remarque que 12% des ménages ne bénéficient que d'eau puisée au puits, voire à la rivière: c'est le cas de dix ménages de notre échantillon (un seul d'entre eux dépendant de l'eau de rivière); ces dix ménages vivent dans les quartiers non planifiés; cinq d'entre eux sont à ranger parmi la catégorie au niveau de vie le plus bas, cinq autres, parmi la catégorie moyenne. On voit bien ici, comme il a transparu tout au cours de cette discussion relative à l'eau, que le type de quartier est un facteur plus déterminant en matière d'adduction que le niveau économique des ménages. En témoigne le fait que 100% des ménages en quartiers résidentiels ou planifiés ont accès à un robinet, alors que ce n'est le cas que 62% des ménages en quartiers non planifiés. Le puits reste une institution importante à Lubumbashi: 26% de notre échantillon (22 ménages) disent s'y approvisionner, soit à titre d'unique source d'eau (9 ménages, cf. supra), soit à titre de source auxiliaire, en sus du robinet le plus souvent (12 ménages), ou de la borne-fontaine (1 ménage). En fait, dans les cas où l'eau du puits est utilisée en complément de celle du robinet ou de la borne-fontaine, elle est destinée aux travaux domestiques: lessive, nettoyage, arrosage du potager, construction, etc., mais l'on préférera ne consommer que l'eau de la source la plus sûre. Comparons une fois de plus ces chiffres avec eux des précédentes enquêtes, en ne comptant cette fois-ci que le mode d'approvisionnement principal et en réduisant donc notre colonne en soustrayant les utilisateurs du puits ou de la source qui sont déjà renseignés comme utilisateurs du robinet ou de la borne fontaine (Houyoux et Lecoanet: 1975:111, INS 1985:24) Source d'approvisionnement

1973 1985 2000

- robinet 45% 82%, y compris les 83% - borne-fontaine 30% bornes-fontaines 5% - puits 20% 11% 11% - rivière, source, autre 5% 7% 1% On voit ici que l'usage du robinet s'est généralisé au cours de ces décennies, remplaçant petit à petit toutes les autres sources signalées.

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4.7. Les latrines Elément du bâti, les toilettes se prêtent elles aussi à une approche tenant compte du niveau économique et de la typologie des quartiers. Signalons la classification qui a été adoptée durant les enquêtes. Pour la localisation, là où il existait des latrines à la fois dans la maison et dans la parcelle, on a juste noté les latrines dans la maison. Quant au type de WC, le WC européen fait référence au monobloc de faïence qui suppose un système d'évacuation par chasse ou seau d'eau, les autres types renvoyant aux variations des toilettes "à la turque"; il est apparu qu'il existait des modèles intermédiaires, qui ont été rangés parmi les "autres types" mais qui mériteraient davantage d'attention (imitation de WC européens en brique avec chasse, etc.). Echantillon

global (n = 84 ) Niveau de vie sup. (n = 17)

Niveau de vie moyen (n = 50)

Niveau de vie inf. (n = 17)

Localisation: - dans la maison 15 (18%) 10 (59%) 5 (10%) - - sur la parcelle 66 (78,5%) 7 (41%) 43 (86%) 16 (94%) - hors parcelle 3 (3,5%) - 2 (4%) 1 (6%) Type - WC européen

11 (13%)

10 (59%)

1 (2%)

-

- autre type 73 (87%) 7 (41%) 49 (98%) 17 (100%)

Echantillon global (n=84 )

Quartiers résid. (n=10)

Quartiers planifiés (n=37)

Quartiers non planifiés (n=37)

Localisation: - dans la maison 15 (18%) 8 (80%) 6 (16%) 1 (3%) - sur la parcelle 66 (78,5%) 2 (20%) 30 (81%) 34 (92%) - hors parcelle 3 (3,5%) - 1 (3%) 2 (5%) Type - WC européen

11 (13%)

8 (80%)

2 (5%)

1 (3%)

- autre type 73 (87%) 2 (20%) 35 (96%) 36 (97%)

Les latrines classées "autre type", c'est-à-dire essentiellement "à la turque", sont de loin le modèle le plus répandu parmi notre échantillon (87%). Les toilettes de type européen sont beaucoup plus rares (13%), et quasi inexistantes en dehors de ménages de niveau de vie supérieur ou habitant les quartiers résidentiels. La parcelle est le lieu d'élection habituel des toilettes lushoises (78,5%), bien qu'on en trouve fréquemment à l'intérieur du domicile (18%); restent quelques rares cas où les toilettes sont situées à l'extérieur de la parcelle, ce qui tient soit à la pauvreté du ménage, soit à la saturation de la parcelle par le bâti, soit à une situation provisoire. Notons que les toilettes que l'on trouve à l'intérieur du bâti sont pour l'essentiel des WC européens, rarement aussi des toilettes du second type (quatre cas répertoriés).

En croisant la localisation et le type, il apparaît donc que ce sont les latrines à la turque dans la parcelle qui sont la situation la plus courante (78,5%). Ces toilettes sont faciles à ériger et bon marché: il s'agit d'une fosse d'environ 1 mètre de diamètre et de 5 à 10 mètres de profondeur, couverte d'une tôle de récupération percée d'un orifice d'environ 30 centimètres de diamètre par où passent les matières fécales. Cette installation est entourée par quatre murs en

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briques cuites ou d'adobe, avec ou sans toit. Un sac, une tôle de récupération ou une porte en bois en ferme l'accès. Elles sont donc moins onéreuses à l'installation et réclament moins d'entretien. Comme les maisons où vivent les ménages de notre échantillon ont en moyenne 3,5 pièces, on imagine mal de perdre de l'espace en intégrant les toilettes dans la maison, sans parler de la gène qui pourrait être liée à une telle promiscuité, et des difficultés liées à l'évacuation des eaux usagées (on remarque néanmoins que certains ménages possédant des toilettes à l'intérieur de la maison ne sont pas abonnées à la REGIDESO). Par ailleurs, les toilettes à l'européenne ne sont pas du goût de tous, et leur usage reste d'ailleurs problématique pour certaines couches de la population qui leur préfèrent les latrines à la turque, qui sont par ailleurs les seules connues en milieu rural.

Enfin, l'héritage colonial exerce certainement ici aussi sa pesanteur: dans les maisons des Européens, les toilettes étaient à l'intérieur, alors que dans les maisons des domestiques ("boyerie") et dans les cités planifiées, elles étaient à l'extérieur. Les toilettes à l'intérieur de l'espace domestique ne constituaient donc pas un élément dont les colonisateurs auraient voulu généraliser l'application dans les milieux africains.

L'enquête de l'INS de 1985 montre que 17% des ménages avaient alors des toilettes dans le domicile, 45% sur leur parcelle et 38% à l'extérieur de celle-ci (INS 1989:25): il y aurait donc eu amélioration depuis cette époque puisqu'on ne trouve plus en 2000 que 3,5% de ménages qui ont leurs toilettes à l'extérieur de la parcelle. Une fois de plus, les chiffres de l'INS paraissent très surprenants.

4.8. Les biens mobiliers La possession de biens mobiliers est une donnée importante dans la mesure où elle rend compte du niveau de vie et de la position sociale du ménage dans la société. Elle constitue un indice de richesse et permet d'appréhender l'ascension sociale du ménage dans le temps et dans l'espace. Ensuite, comme nous l'avons vu dans le chapitre consacré aux biographies, elle nous révèle les conditions de vie du ménage et nous aide à cerner les périodes d'ascension sociale et les ruptures, c'est-à-dire les périodes de crise. Les biens mobiliers les plus exposés à la vente en cas de crise sont le vélo, la radio, la télévision, la machine à coudre, le salon, la salle à manger, la vitrine, le lit, etc. Si certains de ces objets sont absents du salon ou de la salle à manger d'un ménage au moment de l'enquête, il faut se demander s'ils n'y figuraient pas autrefois, en des temps meilleurs. L'histoire des objets est très intéressante car elle permet la reconstitution de la vie sociale d'une personne ou d'un ménage dans le temps et dans l'espace. Les résultats des enquêtes qui s'interrogent sur un laps de temps du parcours historique relativement long d'un ménage sont un cliché présent de l'histoire sociale individuelle ou collective, mais demeurent muets, par exemple, sur l'évolution de la vie d'un travailleur engagé à l'Union Minière du Haut-Katanga en pleine période coloniale et qu'on retrouve dépourvu des biens mobiliers dans un quartier d'extension de Lubumbashi. La situation déplorable actuelle des ménages (surtout de niveau de vie inférieur) est le résultat de trente ans de crise multiforme vécue (et que l'on continue à vivre) qui ont dangereusement érodé les conditions de vie des milliers de ménages de Lubumbashi. Les diverses raisons liées aux conjonctures politiques (processus de démocratisation avec son cortège de violences comme le conflit kasaïen-katangais, etc.), économiques (pillages, fermeture de certaines petites et moyennes entreprises et chômage, etc.), etc., ont amené de nombreux ménages à réadapter leurs comportements pour mieux assurer leur survie. Et les enquêtes menées dernièrement dans le cadre de l'économie informelle ont surpris les ménages ciblés dans le processus de réadaptation. La vente des biens mobiliers comme le salon, de la salle à manger, du vélo, du poste de radio, d'un poste de

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télévision en couleur, d'un frigo ou d'une vitrine, etc., s'avère une stratégie de survie, donc de réadaptation aux nouvelles exigences de la vie. Les biens mobiliers qui seront traités ci-dessous appartiennent à quatre espaces différents: la chambre à coucher, un espace à la fois privé (chambre à coucher des parents, lieu sacro-saint, auquel, en dehors des parents, seuls les enfants ont accès) et public (chambre à coucher des enfants, que ces derniers peuvent partager avec les visiteurs et membres de la famille élargie); l'espace salon / salle à manger, accessible au public; la cuisine, un espace public généralement féminin; le garage. L'analyse suivra ici la logique spatiale en fonction de l'importance numérique des biens que contient chaque espace privé ou public. 4.8.1 La chambre à coucher Le lit est le bien mobilier le plus commun dans la population enquêtée : la moyenne obtenue pour l'ensemble de notre échantillon se situe entre 2 et 3 lits par ménage (2,4)18. Cependant, la distribution de ce mobilier n'est pas équitable d'un niveau de vie à un autre. Les enquêtes sur terrain montrent que le nombre de lits va décroissant du niveau de vie supérieur (4,2) aux niveaux de vie moyen (2,3) et inférieur (1). L'impression que donnent ces pourcentages est que le nombre de lits par ménage est de 4, 2 et 1 pour les différents niveaux de vie. Mais, si l'on introduit le paramètre de la taille des ménages, on se rend compte que les moyennes arithmétiques cachent souvent la réalité. Les ménages enquêtés disposent de 204 lits pour une population de 628 personnes, soit en moyenne un lit pour 3 personnes. Mais le nombre de membres par ménage diminue avec le niveau économique, ce qui oblige à relativiser l'écart entre les riches et les pauvres. Échant. global Niv. sup. Niv. moy. Niv. inf. Moyenne de lits/ménage 2,4 4,2 2,3 1 Moyenne de membres/ménage 7,5 8,9 7,7 5,4 Moyen de membres du ménage/ lit 3,1 2,1 3,3 5,4 Comme on le voit, la moyenne de personnes par lit va croissante du niveau nantis (2 personnes) au niveau moyen (3 personnes) et démuni (5 personnes). Cela veut dire que certains membres des ménages de niveaux de vie moyen et surtout inférieur - le plus souvent les enfants- se couchent à même le sol, sur des cartons, des sacs vides ou des matelas en paille confectionnés localement et communément appelés "vie chère". Comme nous le montrent les chiffres, cette situation affecte plus le niveau de vie inférieur dont le nombre total de lits (17) correspond au nombre de ménages (17). En réalité, trois ménages ne disposent pas de lit, un ménage en possède deux et un autre, trois. La chambre à coucher est un espace privé qui cache beaucoup de réalités. Les déclarations des enquêtés sont alors difficilement vérifiables. 4.8.2. Les espaces du salon et de la salle à manger Le salon, contrairement à la chambre à coucher, est un espace public. C'est le living room, la salle de séjour où l'on accueille les visiteurs. Dans ces conditions, les déclarations des enquêtés sont vérifiables puisque l'enquêteur peut voir et palper l'objet. Le salon est un thermomètre de la richesse et de la catégorie sociale du ménage enquêté à travers le nombre et la qualité des biens qui y sont exposés au public. Bogumil Jewsiewicki définit l'espace du salon comme "un espace public de la famille et de la parenté, donc un espace politique de

18 Contre 1,9 en 1973 (Houyoux et Lecoanet 1975:24). La hausse est sans doute due à la croissance de la taille du ménage, qui a été signalée dans le chapitre relatif à la démographie).

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construction de l'identité. Au salon, un homme expose ses réalisations en tant que chef de famille «moderne», c'est-à-dire monogamique, riche de nombreux enfants. Le salon témoigne qu'il est un homme influent qui tire prestige de son succès matériel et politique, mais aussi un homme qui possède des racines, c'est-à-dire un appui et une considération au sein d'un groupe que l'anthropologie définit comme traditionnelle, l'ethnicité." (Bogumil Jewsiewicki, à paraître). Biens mobiliers Échantillon

global Niveau de vie supérieur

Niveau de vie moyen

Niveau de vie inférieur

Salon 56% 94% 58% 12% Buffet ou vitrine 44% 82% 44% 6% Salle à manger 55% 82% 56% 24%

Radio 63% 100% 70% 6% Téléphone - 0% 0% 0% Télécel 2% 12% 0% 0% Télévision 45% 100% 40% 6%

Un des biens qui honorent le salon est le poste de radio. Généralement, il s'agit d'un poste de radio-cassette. Il donne l'occasion de suivre les informations et d'écouter la musique. Du matin au soir, la musique arrose le salon et les alentours en véritable signe de la vie. Ne pas posséder un poste de radio-cassette est un signe de pauvreté excessive. C'est dépendre entièrement des voisins et se nourrir indéfiniment de la rumeur ou alors d'informations déformées intentionnellement ou non par des témoins auriculaires. Le poste de radio joue un rôle important dans la diffusion des nouvelles, des décisions politiques, etc. C'est pour cette raison que ce bien mobilier occupe la fréquence la plus élevée après le lit dans notre échantillon. 53 ménages sur 84, soit 63%, possèdent chacun un poste de radio. Les chiffres montrent que la répartition de ce bien n'est pas équitable parmi les différentes couches de la population enquêtée. Le nombre de postes de radio va diminuant du niveau de vie supérieur (100%), aux niveaux de vie moyen (70%) et inférieur (6%). Le nombre insignifiant de poste de radio parmi la population démunie peut se justifier par le manque de moyens financiers qui caractérise cette catégorie de personnes. Le poste de radio peut figurer aussi sur la liste des objets vendus pour faire face à la crise. Le salon – c'est-à-dire le mobilier composé généralement d'un canapé et de deux ou trois fauteuils – se trouve dans l'espace public de 47 ménages, soit 56 %. Il revient à dire que 44% de la population enquêtée en sont dépourvus. On constate de façon surprenante qu'un ménage parmi la population de niveau de vie supérieur ne dispose pas de salon. Cela porte à 16 ménages sur 17 (94%) le nombre de ménages pourvus de ce mobilier. Cette proportion baisse à 58 % (29 ménages) et à 12 % (2 ménages) chez les ménages de niveaux de vie respectivement moyen et inférieur. Le manque de moyens financiers ou alors, comme nous l'avons dit en ce qui concerne le poste de radio, la vente de ce mobilier en vue de juguler la crise – justifient l'infime pourcentage observé surtout dans la catégorie de population de niveau inférieur. L'absence du "salon" est compensée dans la plupart des ménages par la présence de la salle à manger. Par "salle à manger", il faut entendre non pas l'espace qui accueille les gens pour leur repas, mais la table et les chaises appelées à accueillir les gens et les mets. La qualité de la salle à manger diffère d'un ménage à l'autre, selon que ce dernier soit riche ou pauvre. Peu importe. Cependant, les enquêtes sur terrain indiquent que 55% des ménages de l'échantillon ont une salle à manger. La répartition se présente de la manière suivante : 14 ménages sur 17 (soit 82%) pour le niveau de vie supérieur, 28 ménages sur 50 (soit 56%) pour le niveau de vie moyen et, enfin, seulement 4 ménages sur 17 (soit 24%) pour le niveau de vie inférieur. Il s'avère, au vu de ces chiffres, que dans l'ensemble, la présence de la salle à manger n'a pas

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compensé l'absence du salon et vice-versa. En effet, s'il est vrai que la salle à manger a compensé l'absence du salon pour un de nos ménages de niveau de vie supérieur, la situation n'est pas la même pour les autres ménages du niveau de vie moyen et inférieur. Si pour le niveau de vie moyen, 7 ménages, soit 14% n'ont ni salon ni salle à manger, par contre 14 ménages, soit 28%, disposent d'une salle à manger; 15 ménages, soit 30%, ont un salon et 14 ménages, soit 28%, possèdent un salon et une salle à manger. Pour la population de niveau de vie inférieur, deux ménages possèdent chacun un salon et quatre ménages sont pourvus d'une salle à manger. Il s'avère que 11 ménages sur 17 (soit 65 %) n'ont ni salon ni salle à manger. Cette situation est due plus au manque de moyens financiers qu'à l'absence ou à l'exiguïté de l'espace pouvant accueillir la table et quatre, six ou huit chaises qui l'accompagnent. Le poste téléviseur contribue largement au confort de l'espace public qu'est le salon. A l'instar du poste de radio, la télévision forme, informe, éduque et égaye la population. Plus que le poste de radio, la télévision montre les images. Mais comme elle coûte plus cher que la radio, elle ne se rencontre que dans 38 ménages sur les 84, soit 45%. Il s'agit des 17 ménages de niveau de vie supérieur (100%), des 20 ménages de niveau de vie moyen (40%) et d'un ménage de niveau de vie inférieur, soit 6%. Plus que le poste de radio, le poste téléviseur exige une installation électrique ou, à défaut, l'achat d'une batterie. La plupart des gens des niveaux de vie moyen et inférieur ne peuvent pas remplir toutes ces exigences. Le seul ménage de niveau de vie inférieur qui dispose d'un poste téléviseur est aussi le seul qui soit sous-abonné à la SNEL. Le buffet ou la vitrine constituent un autre mobilier ornemental du salon. En fait, la vitrine est une forme modernisée du buffet. Elle a le rôle de garder les verres, les assiettes, les casseroles, les cuillères et fourchettes, les couteaux, etc., bref tout ce que le ménage utilise pour le repas. Généralement, ces ustensiles sont plus exposés qu'utilisés au quotidien. On ne les utilise que lorsque le ménage reçoit les visiteurs de marque. Dans beaucoup de ménages, certains membres – les enfants surtout – ne savent pas manipuler le couteau et la fourchette. Aussi, les placer correctement à côté des assiettes constitue-t-il tout un casse-tête si pas toute une gymnastique intellectuelle. La vitrine comporte aussi des places réservées au poste téléviseur, au poste de radio, aux livres, etc. On se rend alors compte de l'importance de ce mobilier dans l'espace du salon. Les enquêtes sur terrain montrent que seuls 37 ménages (44%) disposent de ce mobilier, soit 14 ménages (82%) pour le niveau de vie supérieur, 22 ménages (44%) pour le niveau de vie moyen et un seul ménage (6%) pour le niveau de vie inférieur. On observe par ailleurs que, plus accessoire que le salon ou la salle à manger, le buffet/vitrine n'est présent que dans les foyers qui possèdent déjà l'un et/ou l'autre de ces biens mobiliers. Un phénomène curieux est le fait qu'aucun des 84 ménages enquêtés ne dispose de téléphone. On sait bien que les installations du téléphone sont onéreuses et impliquent des frais mensuels. Quoi qu'il en soit, cela nous paraît surprenant dans la mesure où aucun ménage de niveau de vie supérieur ne possède de téléphone. La ville de Lubumbashi elle-même est confrontée au problème de vétusté du réseau. Les personnes abonnées n'utilisent pas régulièrement leurs téléphones à cause de nombreuses et fréquentes pannes enregistrées, surtout pendant la saison des pluies. La carence constatée dans ce domaine a amené la plupart des moyennes et petites entreprises locales à utiliser, en lieu et place du téléphone, les motorolas et les phonies respectivement pour les petites et les grandes distances. Ces derniers temps, le télécel est venu à la rescousse du téléphone. Mais, comme l'indiquent les chiffres, cette nouvelle technologie communicationnelle demeure l'apanage de quelques rarissimes personnes : seuls deux ménages de notre échantillon – et plus précisément les deux dont l'indice de niveau de vie est le plus élevé! – possèdent ce bien très onéreux. L'enquête menée en 1973 par Houyoux et Lecoanet parle aussi des biens mobiliers de salon (1975:42). Mais leur catégorisation de la population enquêtée et leur choix des biens mobiliers à inventorier diffèrent de ceux que nous avons retenus, empêchant une comparaison

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rigoureuse. Néanmoins, nous constatons que pour cent ménages, le nombre de biens mobiliers tels que radios (52%), TV (4%) et buffets (23%) rapportés par les deux auteurs sont inférieurs à ceux que nous avons enregistrés en l'an 2000; à l'inverse, le nombre de salle à manger (93% des ménages) y est supérieur à celui apparu lors de nos enquêtes. On verra là d'une part une évolution dans le désir de la population lushoise de davantage meubler son logement malgré la "crise". Les gens orientent petit à petit leurs achats vers des biens de grande valeur comme les TV, buffets, etc. Il existe aussi des effets de mode: certains biens considérés comme démodés (les armoires notamment) sont abandonnés et remplacés par d'autres (vitrines et buffets). 4.8.3. La cuisine, espace public féminin La cuisine constitue un autre lieu public, mais spécialement pour le public féminin. C'est le lieu par excellence du réfrigérateur, communément appelé frigo. Parfois, l'absence de cet espace public ou le manque de place dans la cuisine ou encore le désir de l'exposer comme signe de réussite amènent le ménage à placer le frigo dans le salon ou la salle à manger.19

Echantillon global Niv. de vie sup. Niv. de vie moyen Niv. de vie inf. Frigo 17% 71% 4% 0% Le frigo est un bien à la fois coûteux et capricieux car sa présence dans un ménage exige plusieurs préalables, notamment les installations électriques. C'est pourquoi les ménages non abonnés à la société nationale d'électricité (SNEL) ne peuvent prétendre disposer du frigo. Et, c'est aussi une des raisons pour lesquelles le frigo est absent dans les ménages de niveau de vie inférieur (0%), à peine présent dans les ménages de niveaux de vie moyen (4%), mais s'affirme dans les ménages de niveau supérieur (71%). Il est, comme l'indiquent les chiffres, un des biens les plus discriminants. 4.8.4. Le garage Le garage est le lieu des moyens de transport, c'est-à-dire le vélo, l'auto et la moto. Le bien le plus déterminant pour l'existence d'un garage est l'auto. La moto et le vélo peuvent se partager l'espace de la cuisine ou du salon. Échantillon global Niveau de vie

supérieur Niveau de vie moyen

Niveau de vie inférieur

Auto 10% 29% 6% 0% Vélo 27% 29% 28% 24% Moto 1% 0% 2% 0% Le vélo se révèle un bien important en ce sens qu'on le trouve dans 23 des 84 ménages enquêtés, soit 27%. La catégorie de ménages de niveau de vie supérieur se place en première position avec 5 ménages (29%). Elle est suivie de très près des catégories de niveau de vie respectivement moyen avec 14 ménages (28%) et inférieur avec 4 ménages (24%). On constate d'après cette distribution relativement équitable que le vélo ne constitue pas un bien mobilier discriminant. Le vélo joue généralement ici un rôle utilitaire, bien qu'il puisse avoir un rôle ludique ou sportif dans les couches supérieures de la société, où l'on achète souvent des vélos

19 L'enquête de Houyoux et Lecoanet (1973:42) révèle qu'il y avait 8 frigos pour 100 ménages en 1973: il fait donc lui aussi partie des biens dont l'achat s'est démocratisé avec le temps.

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pour les enfants. Dans les autres catégories sociales, il sert de moyen de transport pour les personnes et les marchandises, et ce surtout dans le cadre des activités champêtres (sacs de charbon de bois, de maïs, de cossettes de manioc, etc.). Le vélo était un moyen de transport important pendant la période coloniale, à l'époque où les véhicules étaient rares. Il jouait donc le même rôle que les véhicules actuellement et était un indice de richesse. Les anciennes photos montrent souvent des familles restreintes réunies autour des biens de grande valeur (vélo, poste de radio, machine à coudre, etc.) qu'elles avaient pu amasser depuis leur accès à la vie urbaine moderne. Les ménages les plus riches disposaient d'au moins deux vélos : un pour le mari et l'autre pour l'épouse. Le vélo rendait donc faciles les déplacements des gens. Il fut évincé par les véhicules dans le domaine du transport en commun et relégué aux archives. Il était la cause de plusieurs accidents de circulation d'autant plus que les routes urbaines n'étaient pas pourvues des espaces cyclables. Le rôle et l'importance des vélos furent alors transportés vers les villages où ils continuaient à servir au transport des personnes et des biens. La ville de Lubumbashi fut alors envahie par des motos de marque Vespas, mobylettes, etc.: on comptait 4 motos pour cent ménages en 1973 (Houyoux et Lecoanet 1975:42). Mais ces motos étaient l'apanage des fonctionnaires et des employés. Ils disparaîtront avec le temps. Les nouvelles marques japonaises (Yamaha, etc.) qui apparaîtront plus tard sur le marché lushois ne feront pas le poids à cause surtout de leur prix exorbitant. Aussi, est-ce une des raisons de la rareté de ce bien (1%) dans la ville en général et parmi la population enquêtée en particulier. C'est avec la crise des années 1970 que le vélo vit son importance resurgir dans la ville de Lubumbashi. Les personnes pauvres ont renoué avec le vélo en vue de minimiser les frais de transport en commun sans cesse croissants à cause de l'inflation de la monnaie locale: en 1973, on comptait ainsi 27 vélos pour cent ménages (Houyoux et Lecoanet 1975:42). En 1984, le PDG de la Gécamines (Mulenda Mbô) procéda à la distribution des voitures aux employés et cadres et des vélos aux ouvriers qualifiés et non qualifiés. Si les voitures furent appelées "Merci Mulenda Mbô", les vélos furent appelés "injustice Mulenda Mbô". Les ouvriers voulaient simplement manifester leur mécontentement face à la discrimination prononcée dont ils avaient été victimes. Tout compte fait, les opérateurs économiques commencèrent à importer beaucoup de vélos à Lubumbashi, encouragés dans cette entreprise par les autres sociétés qui avaient décidé de suivre l'exemple de la Gécamines : la SNCC, FONDAF, et, dernièrement, Coca Cola, l'École privée "les Élites", etc. Comme le prix des vélos n'était pas à la portée de toutes les bourses, des réparateurs et des monteurs des vélos s'improvisèrent et, avec le temps, s'affirmèrent. Il existe deux endroits où l'on vend désormais les vélos : le magasin pour les vélos neufs plus chers et les marchés installés à la Katuba pour les vélos de réemploi ou d'occasion relativement moins chers. Le vélo sert aussi de moyen de transport pour les élèves ou les étudiants. Dans certains ménages de niveau de vie supérieur – ils sont rares –, le vélo sert de moyen de sport pour les membres. Les autos viennent en deuxième position après les vélos: 8 ménages, soit 10% de l'échantillon – ce chiffre est resté quasiment semblable aux 8% de ménages possédant une voiture en 1973 (Houyoux et Lecoanet 1975:42). Véritables biens de luxe, les autos exigent des sommes colossales pour leur achat, leur maintien et leur entretien. Avoir un véhicule, c'est avoir un malade à faire soigner en permanence, dit-on. On comprend alors pourquoi on ne les rencontre nullement chez les gens de niveau de vie inférieur (0%). Par contre, 5 ménages de niveau de vie supérieur (29%) et 3 ménages de niveau de vie moyen (6%) en possèdent. Ils peuvent servir à la fois de moyens de locomotion et de source de revenu lorsqu'ils sont mis en exploitation. Certaines gens n'hésitent pas à se convertir en taximen informels, le soir venu, en vue de résoudre certains problèmes familiaux urgents comme l'achat du savon, du lait pour le bébé, de la farine de maïs ou des condiments pour toute la famille, etc.

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En conclusion, notre analyse de la répartition des biens mobiliers selon les niveaux de vie (supérieur, moyen et inférieur) corrobore ce que disaient Houyooux et Lecoanet en leur temps, à savoir que "l'acquisition des biens mobiliers est fonction du niveau économique" et que "la disparité entre les ménages de niveaux économiques différents est plus grande pour les biens moins nécessaires et coûteux" (1973:47).

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CHAPITRE 5 : LA MOBILITE URBAINE

5.1. Introduction Le comportement spatial des citadins est un indice important de l’intensité des relations

que les ménages entretiennent avec différents types d’espaces fonctionnels. Comme l’a montré Bertrand (1978), la pratique de la ville permet d’appréhender les multiples interactions entre l’homme et son environnement immédiat et lointain, ce qui aboutit à l’identification de zones attractives et répulsives. Les lieux revêtent une connotation significative dans l’esprit du citadin, qui les charge d’émotions parfois intenses pouvant justifier les déplacements dans l’espace urbain. Bailly (1974) a souligné l’impact de la perception de la ville sur la mobilité. Lorsque le citadin se déplace, il découvre de nouveaux horizons, de nouveaux repères spatiaux, l’organisation et les réalités de la vie sociale et économique. Cet acte contribue à son épanouissement personnel et à sa prise de conscience du développement de la ville. Dans cette étude où les petits métiers sont apparus comme un des piliers de l’économie domestique, une attention particulière devait être accordée aux déplacements. En effet, la plupart de ces activités peuvent être identifiées et inventoriées, mais leur grande mobilité les rend difficilement repérables et cartographiables. L’étude des déplacements nous permet aussi de connaître ce qui manque à la population de manière à mettre en place un cadre de vie idéal pour le bien-être de tous. Elle nous renseigne également sur la fréquence des activités combinées. Ces problématiques ont déjà été abordées dans la plupart des publications qui traitent de la perception de l’espace et du vécu des citadins (Fremont 1976, Capel 1975, Buttimer 1979 et Cauvin 1981).

Dans ce chapitre, nous nous intéressons d’abord aux relations qui existent entre les ménages et les différents types d’espaces fonctionnels. Pour définir ces espaces, nous avons cherché les raisons pour lesquelles les gens se déplacent habituellement. Ce sont ces dernières qui nous ont permis de distinguer les espaces professionnels, les espaces commerciaux, les espaces sanitaires, les espaces scolaires, les espaces religieux, les espaces ludiques, les espaces d’évasion et les espaces familiaux. Nous avons aussi étudié les motifs de choix de ces différents espaces. Les motivations sont-elles dictées par des raisons économiques ou autres ? Le rythme de fréquentation des divers lieux mentionnés est-il régulier ou simplement épisodique du fait de la conjoncture difficile souvent évoquée ? Et quels sont les modes de transport utilisés?

Les distances parcourues semblent affecter sensiblement les budgets ménagers. Le nombre très élevé de piétons peut par exemple signifier que le poste "frais de transport" est très compressible par rapport aux besoins de première nécessité tels que l’alimentation. Dans une économie précaire comme celle de Lubumbashi, de très longues distances à parcourir impliquent des sacrifices financiers énormes si l'on veut utiliser les modes de transport en public. L’argent pour payer son transport est souvent récolté au jour le jour, ce qui alimente le secteur informel puisqu’on fait n’importe quoi pour se procurer cet argent. Les budgets ménagers ne parviennent donc pas à couvrir comme il se doit tous les besoins financiers des citadins.

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5.2. Le protocole d'enquête L'esprit qui a présidé à la réalisation du protocole sur la mobilité spatiale par I.Bukome

était de cerner les différents espaces fréquentés par les ménages et les modalités de cette fréquentation. Pour chaque ménage, le protocole comprend 1) la localisation précise du ménage et 2) un tableau à double entrée où s'entrecroisent espaces fréquentés et modalités de la fréquentation (cf. annexe 4).

Les six premières lignes du tableau regroupent chacune les lieux liés à une certaine fonction: espaces professionnels, commerciaux, culturels (écoles, bibliothèques et églises), ludiques, sanitaires, d'évasion; une septième ligne, dénommée "autres", permet aux enquêteurs de signaler des espaces non prévus mais apparus en cours de recherche (c'est la cas des espaces familiaux, abordés dans le point 5.3.8).

La première colonne vierge sert à préciser le ou les lieu(x) fréquenté(s) par les différents membres du ménage pour chacune des catégories d'espace. Ainsi, pour le ménage 1 de notre échantillon, localisé dans le quartier d'auto-construction de Gambela, les "espaces commerciaux" sont au nombre de trois: le Marché Lusonga, le Marché Rail et les épiceries ("alimentations") du centre-ville. La seconde colonne renseigne les distances en temps et en kilomètres pour rejoindre ces lieux, ainsi que le mode de transport utilisé. Pour les deux destinations du centre-ville (Lusonga et les commerces), le ménage 1 voyage en taxi-bus, ce qui lui prend une vingtaine de minutes; pour le Marché Rail, les deux kilomètres sont parcourus à pied en une vingtaine de minutes aussi. La troisième colonne indique le rythme de fréquentation: ici, le ménage déclare ne se rendre au centre-ville qu'une à deux fois par mois, et deux à trois fois par mois au Marché Rail. Enfin, la quatrième colonne fait apparaître les motifs de fréquentation: pour les trois espaces, le ménage 1 déclare que son choix tient à la modicité des prix, à la variété des produits et à la proximité du lieu20.

Tout au cours de ce chapitre basé sur l'interprétation des réponses fournies à ce protocole, il faudra se souvenir qu'un même ménage peut signaler plusieurs types d'espaces pour une même catégorie, tant et si bien que la somme des réponses par rubrique dépasse souvent 84; de même, nous n'avons pas pu tenir compte dans nos interprétations de la fréquence ni de la durée de fréquentation des lieux, tant et si bien qu'un espace fréquenté chaque mois pendant deux heures et celui fréquenté six fois par semaine à raison de huit heures par jour peuvent figurer sur pied d'égalité dans certaines de nos statistiques.

5.3. Les ménages et leurs espaces fonctionnels Nous avons appelé "espaces fonctionnels" des localisations géographiques que les

citadins fréquentent à cause des fonctions spécifiques qu’ils offrent. Huit types ont pu être identifiés : les espaces professionnels, les espaces commerciaux, les espaces scolaires, les espaces religieux, les espaces sanitaires, les espaces ludiques, les espaces d’évasion et les espaces familiaux. Ils seront définis au cours de l’analyse.

20 Bien qu'il ait fait l'objet de discussions avant son application sur le terrain, ce protocole présente quelques lacunes auxquelles il faudrait remédier si on devait l'appliquer à nouveau: les espaces familiaux devraient apparaître à titre propre – plutôt que d'apparaître éventuellement dans la colonne "autres" –; les espaces professionnels et commerciaux devraient faire l'objet d'une définition empêchant leur confusion pour les ménages qui pratiquent eux-mêmes une forme de commerce. La question du temps passé dans les différents lieux est bien entendu cruciale, et il a été proposé de rajouter cette colonne; beaucoup d'enquêteurs cependant ont dit craindre que leurs ménages voient d'un œil soupçonneux un enquêteur qui s'enquiert de leur emploi du temps et de leurs horaires. Seuls certains enquêteurs ont donc fait apparaître des réponses à cette question .

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5.3.1. Les espaces professionnels

Les espaces professionnels sont ici entendus comme des lieux où les membres actifs des ménages de notre échantillon exercent une quelconque activité économique formelle ou informelle susceptible de générer quelque revenu pour le ménage. A l’issue de l’enquête, 11 catégories d’espaces professionnels nous ont semblé devoir être distinguées pour procéder à l’analyse de nos données. Ces types d’espaces se distribuent sur l’ensemble de la ville et en débordent parfois même, notamment vers les villages environnants. Rappelons enfin, pour la bonne compréhension du tableau, qu’un même ménage peut déclarer plusieurs espaces professionnels. Commune de Résidence Espaces Professionnels K

amalondo

(3 ménages)

Kenya

(9 ménages)

Kampemba

(14 ménages)

Katuba

(25 ménages)

Ruashi

(13 ménages)

Commune L’shi

(10 ménages)

Com. Annexe

(4 ménages)

Total (en

effectifs et en

pourcents)

Distance

moyenne

parcourue.

Centre-ville 2 6 6 8 4 8 34 (40%) 5 km Autres quartiers de la commune L’Shi

1 2 2 1 6 (7%) 4 km

Quartier industriel 1 3 3 1 8 (10%) 4 km Autres quartiers de Kampemba

2 2 6 1 2 13 (15%) 3 km

Kamalondo et Kenya 2 1 1 1 5 (6%) 2 km Ruashi 1 5 6 (7%) 10 km21 Katuba 4 1 5 (6%) 1 km Commune Annexe 1 1 (1%) - Villages environnants 1 2 12 3 3 2 23 (27%) 30 km Reste du pays, étranger 1 2 1 4 (5%) 500 km Itinérants 3 1 1 1 6 (7%) 20 km

21 Ce chiffre est la conséquence d’un travailleur de la Katuba qui exerce ses activités à la Ruashi.

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Mode de transport22 Espace professionnel

Marche

Vélo

Taxi-Bus

Train

Voiture

privée

Véhicule de la

société

Bus ou

camion privés

Centre-ville 8 5 15 2 3 Autres quartiers de la Commune Lubumbashi 4 3 1 Quartier industriel 4 2 1 1 Autres quartiers de la Kampemba 6 3 2 1 Kamalondo, Kenya 3 1 2 Ruashi 4 1 1 Katuba 3 Commune Annexe 1 Villages environnants 10 8 3 3 Reste du pays, étranger 1 2 Itinérante 1 3 TOTAL 43 21 28 3 4 4 5

Comme il apparaît dans ces tableaux, le centre-ville attire une proportion très importante (40%) des ménages enquêtés dans le cadre de leurs activités professionnelles. En effet, beaucoup d’activités sont concentrées au centre-ville qui héberge la plupart des institutions administratives, commerciales, politiques, etc. Des flux de piétons et de transports en commun s’observent chaque matin sur toutes les grandes artères y convergeant. Le centre-ville est d’ailleurs l’espace professionnel où l’usage du taxi-bus est le plus courant. Dans les communes de Lubumbashi, Kenya, Kamalondo, les deux tiers des ménages sont polarisés professionnellement par le centre-ville. La proportion diminue dans les communes plus lointaines: Kampemba, Katuba et Ruashi, bien qu'on y trouve encore environ un tiers de ménages usagers du centre-ville pour des raisons professionnelles. Les autres quartiers de la commune Lubumbashi, bien que résidentiels, sont le lieu d’exercice de la profession pour nombre de Lushois. En effet, domestiques, jardiniers, bonnes, précepteurs, etc. s'y rendent chaque jour ouvrable. A ceux-ci s’ajoutent les agents employés dans différentes entreprises et bureaux de l’administration disséminés dans cet espace. Ces quartiers abritent également quelques activités commerciales sporadiques: kiosques, boutiques, etc. On trouve également dans cet espace des personnes à l’affût de "contrats": "Na weza

kupata kazi ?" (puis-je trouver un travail à faire ?), "Kuko WC yenye kualabika ?" (y a-t-il un WC en mauvais état ?). Des marchandes des légumes et vendeurs de charbon de bois à vélo fréquentent également la commune afin d’y écouler leurs marchandises. Souvent, on y entend chanter des marchands dans la matinée: "Sombe ! Sombe !" ("Feuilles de manioc !"), "Makala !

Makala !" ("Charbon de bois!"). Ces commerçants itinérants et chercheurs de contrats se déplacent dans tous les quartiers résidentiels (Bel-Air, commune Lubumbashi, Golf) à cause de la richesse présumée des ménages qui y habitent.

Le Quartier Industriel, dans la commune Kampemba, n’est plus industriel que de nom. Seuls 10% des ménages de l’échantillon y ont une activité professionnelle. Un grand nombre 22 Il n'a pas été possible de connaître le mode de transport utilisé pour tous les déplacements cités dans le précédent tableau, d'où la différence entre leurs effectifs.

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de petites et moyennes entreprises qui y fonctionnaient à l’aube de l’indépendance ont disparu. Les bâtiments qui les abritaient servent aujourd’hui d’entrepôts ou de domiciles pour particuliers. Ici aussi, les malheureuses mesures de zaïrianisation, rétrocession, radicalisation ajoutées aux difficultés de trésorerie éprouvées par la Gécamines ont joué un rôle très néfaste. Il reste fréquenté essentiellement par les gens des communes Ruashi et Kampemba. A côté du Quartier Industriel, dit "quartier industriel nord", dont nous venons de parler, on trouve un quartier dénommé "quartier industriel sud ", localisé dans le sud de la commune Kampemba, et qui explique dans une certaine mesure le nombre relativement important (15%) de ménages qui déclarent travailler au sein des "autres quartiers de la commune Kampemba". On trouve en effet, dans ce quartier industriel sud, un nombre significatif d’industries d’ampleur (Tabacongo, Amicongo, Exaco, Vap, Sintexkin, Amato Frères…) ainsi qu’un vaste espace d’activités commerciales : le complexe "Njanja" qui sera décrit dans le point relatif aux espaces commerciaux. Comme le tableau le montre, les travailleurs qui exercent leurs activités dans les "autres quartiers de Kampemba" sont pour beaucoup originaires de Kampemba, de Kamalondo et de Kenya, les trois communes les plus proches du quartier industriel sud et de Njanja. Si l’on somme les espaces professionnels situés dans les 7 communes de la ville cités par les 84 ménages informateurs, on arrive à un total de 78 lieux de travail dont 61 se situent dans les seules communes de Lubumbashi et de Kampemba! Les 17 autres lieux de travail se trouvent disséminés dans les 5 autres communes de l’entité urbaine, qui sont donc en position d’"exportatrices" de main-d’œuvre vers les deux communes industrieuses. Ainsi, l’espace Kamalondo-Kenya n’est fréquenté pour des raisons professionnelles que par 5 ménages de notre échantillon, alors qu’il héberge 12 de ces ménages. L’une des premières cités indigènes loties par le colonisateur, Kenya est aujourd’hui une zone importante d’activités économiques informelles. Les prix de certains produits vestimentaires, médicaux, mécaniques, etc., y sont toujours plus intéressants qu’au centre-ville où les commerces échappent plus difficilement au contrôle fiscal. Cet espace de la Kenya se caractérise par une diversité d’activités – parfois illégales – qui lui valent sa réputation de "zone rouge". Kamalondo, par contre, se spécialise surtout en loisirs. Les bars, terrasses, nganda, hôtels, voire maisons de tolérance pullulent dans cette commune, qui est un peu le "Hollywood" de la ville de Lubumbashi. Néanmoins, les quelques emplois qu’offrent ces lieux de loisirs ne font pas de Kamalondo une zone d’attraction professionnelle, pas plus que les commerces ne le font de la Kenya d’ailleurs. La commune de Katuba, bien que la plus populeuse de la ville, est un véritable désert économique. Si elle abrite 25 ménages de notre échantillon, seuls 5 ménages renseignent cette commune comme espace professionnel, dont 3 du reste exercent à domicile: Katuba est en fait un réservoir de main-d’œuvre pour toute la ville — pour son centre surtout — et pour les villages environnants, où presque la moitié des habitants de la Katuba déclarent exercer une activité professionnelle. Six ménages (7%) de notre échantillon fréquentent la Ruashi pour des raisons professionnelles dont 5 sont hébergés dans la même commune. Ici, ce sont surtout les marchés des quartiers Zambia et Congo qui mobilisent les gens comme cela se remarque nettement dans notre échantillon. Il y a quelque temps, cet espace était bien davantage fréquenté en raison de l’exploitation artisanale de la Mine de l’Etoile, à ce jour découragée par les mesures interdisant aux particuliers l’exportation d’hétérogénite dont seule la Gécamines détient désormais le monopole. La Commune Annexe qui constitue la ceinture périphérique de la ville n’est quasiment jamais citée comme espace professionnel. Par contre, ses habitants sont tournés vers les villages environnants où ils exercent des travaux champêtres. Une nette indifférence vis-à-vis du centre-ville s’y observe, due en grande partie à l’état désastreux des routes qui desservent les quartiers de cette commune. Il faut ajouter qu’on trouve dans la Commune Annexe

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beaucoup de personnes du troisième âge (48 ans comme âge moyen dans notre échantillon) qui en général sont attirés par les travaux des champs. L’espace professionnel le plus attractif dans cette partie de la ville est, sans nul doute, l’Aéroport de la Luano, où travaille d’ailleurs la seule personne de notre échantillon qui ait cité la Commune Annexe comme espace professionnel. La désaffectation de la plupart des fermes qui fonctionnaient jadis dans la périphérie de la ville et qui attiraient la main-d’œuvre citadine en est un des éléments explicatifs. Les villages environnants de même que toute la savane boisée autour de la ville constituent un espace professionnel très prisé par les ménages enquêtés (27%). En effet, depuis l’asphyxie de la Gécamines et les pillages des unités de production économique au début des années 1990, la crise a atteint son paroxysme, obligeant nombre de ménages, à se tourner vers l’agriculture. Jusqu’il y a peu, les assainissements et congés techniques gonflèrent les rangs des chômeurs à Lubumbashi, que seule l’agriculture résorba. Cet intérêt pour l’agriculture, remarqué depuis peu à Lubumbashi, vient corroborer les propos de Ela (1996) quand il dit que les villes de l’Afrique sub-saharienne se caractérisent par la prépondérance du secteur agricole. De peur que les produits de leurs champs soient volés, les cultivateurs lushois préfèrent cultiver leurs champs loin de la ville, ce qui porte la distance moyenne parcourue à 30 km et qui explique la désaffectation de la Commune Annexe. Outre l’agriculture destinée à la vente ou à l’autoconsommation, des raisons commerciales motivent la fréquentation de ces lieux: achat de certains produits (maïs, poissons, tomates…) en vue de leur vente en ville, troc de produits manufacturés contre les produits agricoles, etc. Cet espace est intensément fréquenté par les ménages de la Katuba, mais on y trouve des personnes venues d’un peu toutes les communes de la ville. Comme nous le disions pour la Commune Annexe, les routes sont ici peu praticables, rendant ces lieux difficiles d’accès. Ainsi s’explique l’importance de la marche à pied et du vélo pour gagner ces espaces pourtant éloignés (30 km en moyenne!), bien que les personnes ayant des champs le long des routes menant à Kipushi, Likasi et Kasumbalesa profitent des lignes de transport en commun qui desservent ces destinations. Notons que la carrière de Luishishi de l’entreprise Malta Forrest est un espace de travail important dans la périphérie de la ville, que notre échantillon ne fait néanmoins pas apparaître. La catégorie "itinérants" reprend les ménages qui n’ont pas d’espaces professionnels fixes. Parmi eux, on trouve des chauffeurs de taxis et taxis-bus, et d'autres vendeurs ambulants. Elle représente 7% de notre échantillon. Comme il ressort du premier tableau de ce point, le reste du pays, de même que l’étranger ne sont guère fréquentés pour des raisons professionnelles (5%). Ce faible pourcentage est le fait du commerce vers la Zambie, vers Kasenga, vers Kapolowe, vers Tenke et Fungurume, vers Mbuji-Mayi et Kananga. 5.3.2. Les espaces commerciaux Sous cette appellation, nous avons regroupé les lieux où les ménages enquêtés effectuent leurs achats avec une certaine régularité. Notons bien qu’une série d’achats se réalisent dans de petits commerces de détail à proximité du domicile, qu’il s’agisse de kiosques, de petites épiceries appelées localement "alimentations", de petits présentoirs (kitamba) élevés à la hâte par des vendeurs des produits de consommation courante, ou qu’il s’agisse encore de vente à domicile de légumes ou de sacs de charbon de bois, une pratique courante dans beaucoup de quartiers. Nous n’avons pas signalé ces commerces qui concernent toute la population ou presque. Présentons les données de nos enquêtes :

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Espaces commerciaux

Commune L’shi

(10 ménages)

Kampemba

(14 ménages)

Kamalondo

(3 ménages)

Kenya

(9 ménages)

Katuba

(25 ménages)

Ruashi

(13 ménages)

Commune Annexe

(4 ménages)

Fréquentation

(en effectifs)

Fréquentation

(en pourcents)

Centre-ville 8 8 2 3 8 7 - 36 43%

Espace commercial de Njanja

3 3 1 1 3 11 - 22 26%

Marché Lusonga 5 3 1 - 3 - - 12 14%

Marché central Kenya 2 6 1 7 3 - - 19 23%

Marché Katuba - - - 1 10 - - 11 13%

Marchés de quartier - 4 - 1 7 - 2 14 17%

Marché Zambia - 1 - - - 10 1 12 14%

Marché Mimbulu 1 - - - 4 - - 5 6%

Marché Rail-Cadastre 2 1 - - - - - 3 4%

Approvisionnement hors ville

- - - - 3 1 - 4 5%

Précisons qu’en ce qui concerne les marchés, nous n’avons retenu à titre spécifique que ceux qui ont été signalés au moins trois fois dans nos enquêtes. Les autres, du fait de leur faible fréquentation, ont été repris sous la rubrique générique des "marchés de quartier".

Comme on le voit, les commerces du centre-ville constituent de loin le lieu d’approvisionnement principal des ménages de l’échantillon. Ceci s’explique par différents facteurs dont la grande accessibilité du centre-ville grâce aux transports en commun, la diversité des produits et services que l’on y trouve, etc. Certains appareils électroménagers, par exemple, ne peuvent être achetés que dans ce lieu. Le marché Lusonga (situé lui aussi au centre-ville) n’attire aujourd’hui pas plus de clients que le marché Zambia (situé à la périphérie), ce qui a de quoi étonner. Ceci s’explique par le fait que le marché Lusonga est fermé depuis le début de l’année 2000. Les activités commerciales qui y étaient pratiquées se sont déplacées vers un terrain privé voisin (le Marché Kabasele, du reste assimilé au Marché Lusonga par les clients eux-mêmes), mais la gamme d’articles vendus sur ce nouveau site souffre de l’exiguïté de cet espace qui n’a pu accueillir l’ensemble des vendeurs de l’ancien Marché Lusonga. Le quartier commercial communément appelé “Njanja”, dans la commune Kampemba arrive en ce qui concerne l’affluence en deuxième position après le centre-ville. Constitué de bâtiments aménagés convenablement, ce quartier hébergeait jadis les commerces de ressortissants grecs. Au sujet de ces commerces, Houyoux et Lecoanet écrivent :

“ ils étaient tenus pour la plupart par des non-africains (européens, asiatiques) qui

préféraient s’implanter sur les grands axes revêtus en bordure des cités d’habitations.

La plus ancienne de ces zones commerciales est rattachée au centre-ville en bordure de

la zone neutre, non loin de la zone Kamalondo. La seconde, plus récente, s’est

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développée de façon linéaire en bordure de la route de la Munama face à la zone

Kenya ” (1975: p.98).

Dans l’état actuel des choses, ces deux zones se sont jointes et constituent ensemble ce que l’on appelle la Njanja. Après les mesures de zaïrianisation, radicalisation et rétrocession, ces commerces se sont transformés en lieux d’entreposage et de vente de poissons salés ou fumés et de fretins en provenance de la région du Lac Moëro. De Kasenga, à 265 km, d’importants camions de 8 à 14 tonnes prennent la direction de Lubumbashi et plus particulièrement de Njanja pour ravitailler la ville en poissons. Pendant la période coloniale, les produits de la pêche y étaient déjà servis, mais la gamme des biens commercialisés à Njanja était alors beaucoup plus importante. Aujourd’hui, Njanja est le principal point de ravitaillement en poissons à Lubumbashi : si l’on vient de toute la ville pour s’y ravitailler, les habitants des quartiers où il est difficile de trouver du poisson (Ruashi, Congo, etc.) y viennent plus nombreux pour s’y approvisionner. La proximité favorise aussi la fréquentation de ce lieu par les ménages de Kafubu, Tabacongo, etc.

Le Marché central de la Kenya se classe en troisième position. Situé au cœur même d’un des anciens quartiers planifiés, ce marché offre des produits locaux (généralement agricoles) tout comme des produits manufacturés importés tels que savons, huiles, vêtements usagés, bijoux, etc. Aux abords de ce marché, on trouve un grand nombre d'entrepôts pour produits importés de Zambie (sucre, farine de maïs, cosmétiques, etc.) et de nombreux "bureaux de change". On y trouve aussi une multitude de buvettes, snacks michopo, magasins, etc., qui accentuent l'attrait des lieux. Tous ces attraits valent au marché central de la Kenya une affluence massive dans laquelle il baigne à longueur de journée. Les enquêtes ont révélé que ce sont surtout les ménages de Kenya et en partie ceux de Katuba qui s’y approvisionnent, bien qu’on y trouve aussi des consommateurs venus de quartiers plus éloignés. Un tel afflux s’explique notamment par les facilités de transport en commun vers la Kenya.

La commune de Katuba dispose aussi d’un marché qui est relativement bien fréquenté: Katuba II, identifié comme point d'approvisionnement par 13% des ménages interrogés. Malgré son caractère industrieux, ce marché n’est fréquenté que par les ménages de la commune où il se trouve, c’est-à-dire la Katuba, ou tout au moins de ses abords immédiats. Ceci s’explique en grande partie par son emplacement excentrique par rapport à la ville et par la distance qui sépare cette commune des autres. Divers marchés de quartier attirent un nombre important de ménages de l’échantillon (17%). Ces marchés sont constitués d’un nombre limité d’étalages, se comptant seulement par dizaines. Ils sont concentrés dans de très nombreux endroits de toute l’agglomération, aussi bien dans les quartiers résidentiels (Mpolo, Golf, etc.) que dans les quartiers d’extension (Tabacongo, Congo, etc.). Les ménages des quartiers périphériques y recourent souvent en raison du fait qu’ils fonctionnent parfois jusqu’aux heures tardives de la soirée (20h00, 21h00). A ces heures, les étalages ont été désertés par les commerçants du jour et le commerce se redéploie à proximité, sur la route généralement, où les produits sont alors exposés à même le sol, sous l'éclairage des katoritori. Tous les marchés que nous avons signalés jusqu’à présent entrent aisément dans les typologies dressées par les géographes de Lubumbashi, qui distinguent trois grandes catégories : les marchés supérieurs – représentés à Lubumbashi par le marché Lusonga et le Marché central de la Kenya –, les marchés intermédiaires et les marchés inférieurs (Mutete 1999). Les trois types sont distingués selon le nombre de vendeurs qu’on y trouve. Il nous semble qu’une quatrième catégorie devrait être établie pour les marchés de la périphérie urbaine, qui sont tout à fait typiques quant aux produits qu’on y échange : des produits agricoles de l’hinterland, apportés par les habitants de la périphérie, mais aussi des produits d’utilisation courante dans les milieux ruraux (sucre, sel, huile, savon, etc.). Le Marché Zambia est l’exemple type d’un marché périphérique de grande extension, puisqu’il dessert 14% des

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ménages de notre échantillon. Situé dans la Commune Annexe (Quartier Luwowoshi), ce marché étend sa sphère d’influence sur toute la Ruashi et sur une partie du Quartier Bel-Air (commune Kampemba). Les marchés Mimbulu (Quartier Kisanga) fréquenté par 6% des ménages de l’échantillon, et Rail-Cadastre23 (Quartier Luano), fréquenté par 4% d’entre eux, sont situés eux aussi dans la Commune Annexe, sur de grandes voies d’entrée de la ville, et sont assez semblables dans leurs caractéristiques au Marché Zambia dont nous venons de parler. Comme on peut donc s’en rendre compte, la fréquentation des espaces commerciaux par les ménages de l’échantillon est déterminé par la nature de l’article qu’on veut se procurer et par la proximité de l’espace en question. Notons enfin, pour être complet, que dans certains ménages (5%), l’on profite de déplacements hors de la ville pour réaliser certains achats. C’est le cas notamment d'un ménage dont l’épouse se rend régulièrement à Mbuji Mayi pour y vendre des vêtements de seconde main et qui en ramène toujours quelques articles. 5.3.3. Les espaces de la santé 5.3.3.1. Les espaces sanitaires

Les espaces sanitaires vers lesquels convergent les membres des ménages de l’échantillon pour se faire soigner ont été groupés en 7 classes : Hôpital Sendwe ; Hôpital et Cliniques SNCC ; Cliniques universitaires ; centres de santé des communes ; dispensaires ou polycliniques privés de quartier ; dispensaires ou polycliniques privés du centre-ville ; dispensaire ou polyclinique d’un autre type. Etant donné que certains établissements de santé connaissent une affluence remarquable, nous en avons fait des catégories à part : c’est le cas des hôpitaux Sendwe et SNCC et des centres de santé des communes qui sont des structures sanitaires de l’Etat disséminées à travers la ville dans le but de rapprocher les services de santé de la population. Le premier est un grand établissement public administrant des soins à des patients internes ; le deuxième de même, mais pour le compte d’une entreprise publique (la société nationale des chemins de fer congolais). Les autres sont des propriétés de particuliers. Nous les avons groupés selon qu’ils soient implantés au centre-ville ou non.

Nous n’avons pas pris en compte les réponses qui se rapportaient à l’automédication: 12% des ménages déclarent, en effet, ne jamais se faire soigner dans des établissements sanitaires tels que ceux que nous avons catégorisés ici. En fait, le protocole utilisé dans le cadre de notre enquête ne permettait pas de faire ressortir l’espace fréquenté par ceux qui se livrent à cette pratique. Espaces sanitaires Fréquentation

(en effectifs) Fréquentation (en pourcents)

Hôpital Sendwe 12 14% Hôpital et cliniques SNCC 11 13% Cliniques universitaires 01 1% Centre de santé des communes 08 10% Dispensaires ou polycliniques privés de quartier 40 48% Dispensaires ou polycliniques privés du centre-ville 08 10% Autres dispensaires ou polycliniques 04 5% 23 Le Marché Rail-Cadastre est, dit-on, sur le point d'être fermé suite à une décision administrative interdisant son usage: il est en effet situé à proximité directe d'une grande voie de chemin de fer et est surplombé par une ligne électrique de haute tension.

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Si les membres de beaucoup de ménages préfèrent aller dans les établissements privés, comme on le voit à travers le tableau ci-dessus, c’est parce que l’accueil dans les établissements publics laisse à désirer. Ceux qui ne fréquentent pas ces derniers établissements font souvent état du manque de courtoisie qui caractérise leur personnel soignant. On reproche aussi à certains médecins de se montrer beaucoup plus conviviaux et disposés à rendre de bons services dans leurs polycliniques privées: de la sorte, ils dirigent implicitement leurs patients plus fortunés vers ces établissement, où les honoraires perçus sont bien supérieurs à ceux qui ont cours dans les institutions publiques. Le plus souvent, ces établissements publics ne disposent même pas des produits pharmaceutiques nécessaires pour les soins des patients. Ceci explique bien pourquoi l’Hôpital Sendwe, pourtant hôpital général de référence de la ville, ne reçoit que 14% de ménages de l’échantillon. Il ne faudrait pas non plus omettre les difficultés de trésorerie qu’endure depuis quelque temps la Gécamines dans l’explication de cette faible fréquentation: c’est elle qui gère administrativement et financièrement cet hôpital. En effet, depuis que la Gécamines est en difficulté (1990 environ), Sendwe éprouve des difficultés à administrer correctement les soins aux malades. Toutefois, les ménages qui le fréquentent affirment que les prix sont abordables, quand bien même il faut chercher les produits pharmaceutiques ailleurs.

Quant à l’Hôpital SNCC, sa fréquentation par les ménages de l’échantillon avoisine celle de Sendwe (13%). Outre les employés de l’entreprise des chemins de fer il reçoit aussi des particuliers habitant pour la plupart l’est de la ville. D’autres entreprises sont en outre affiliées à cet hôpital pour les soins de leurs travailleurs. Les conditions qu’on y observe ne sont guère différentes de celles de Sendwe : manque de courtoisie du personnel soignant, manque de produits, etc. Les centres de santé des communes sont des structures officielles de l’organisation sanitaire en RDC. En fait ce sont des dispensaires gérés par des médecins chefs de zones de santé habilités à administrer les soins de santé primaires. Leur fréquentation par les ménages de l’échantillon avoisine les 10%. Lorsqu’un cas urgent se déclare, les ménages sont théoriquement invités à consulter en premier lieu ces centres. C’est pourquoi la politique sanitaire du pays veut qu’ils soient très proches des ménages. Leurs prix sont abordables. Comme il apparaît dans le tableau, les dispensaires ou polycliniques privés du quartier sont les lieux les plus fréquentés pour se faire soigner (48%). Ceci s’explique par différents facteurs parmi lesquels la proximité, l’accueil, l’accessibilité financière, etc. Depuis quelques temps, les établissements de ce type foisonnent à Lubumbashi: on en trouve au moins un dans presque tous les quartiers. On peut s’y faire soigner à crédit moyennant, dans certains cas, des gages tels que casseroles, pagnes, appareils, etc. Plusieurs d’entre eux sont implantés dans des habitations construites pour servir de domicile ou de bureau. Depuis quelque temps, des voix s’élèvent pour fustiger les comportements aventuriers de certains tenanciers de ces établissements privés, qui n’auraient pas les compétences requises pour ces postes de responsabilité et qui s’engageraient dans des pratiques médicales douteuses. Quand bien même beaucoup de gens reconnaissent que les frais exigés pour les soins dans ces établissements sont relativement bas, il ne faudrait pas perdre de vue que certains malades y perdent énormément de temps et ne se présentent dans les centres compétents que lorsque la situation s’aggrave ou lorsqu’elle est devenue désespérée..

Quant aux dispensaires et polycliniques privés du centre-ville, ils présentent généralement un bon aspect. Généralement ils sont plus chers que ceux situés dans les autres quartiers, mais comme beaucoup d'établissements sanitaires privés, ils sont logés dans des bâtiments non appropriés. 10% de ménages de l’échantillon envoient certains de leurs membres se faire soigner dans ce type d’établissement. Notons en passant que 5% de ménages de l’échantillon fréquentent des établissements sanitaires qui ne sont ni de leur quartier ni du centre-ville (au Quartier Industriel, par exemple). Ceci trouve son explication dans le fait que beaucoup d’entreprises souscrivent des abonnements au profit de leurs employés dans ce type

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d’établissement. Ce système est également observé aux cliniques universitaires (1%), où les patients ne peuvent obtenir que des prescriptions médicales. Comme on peut s’en rendre compte, la fréquentation des espaces sanitaires tient à de nombreux facteurs: l'accessibilité géographique y est certainement pour beaucoup, mais il ne faut pas perdre de vue l’accessibilité financière ainsi que le délicat rapport "patient - personnel soignant". Remarquons enfin que les conditions dans lesquelles se pratique l’art de soigner ne semblent pas émouvoir outre mesure les ménages de l’échantillon. 5.3.3.2. Les espaces pharmaceutiques Indépendamment du protocole lié à la mobilité spatiale, la fiche descriptive des ménages (annexe 1) comportait une rubrique portant sur le ou les lieu(x) d'approvisionnement habituel(s) en produits pharmaceutiques de chaque ménage. Nous pensons que la présentation de ces données complète utilement les investigations qui ont été menées sur les espaces sanitaires, et en reproduisons donc les principaux résultats ici. Echantillon

global (n = 84 )

Niveau de vie supérieur (n = 17)

Niveau de vie moyen (n = 50)

Niveau de vie inférieur (n = 17)

Grandes pharmacies 8 (10%) 5 (30%) 3 (6%) - Hôpitaux/ institutions médicales 21 (25%) 6 (35%) 12 (24%) 3 (18%) Fourni par l'employeur 17 (20%) 5 (29%) 11 (22%) 1 (6%) Petites pharmacies, kiosques 32 (38%) 4 (24%) 22 (44%) 6 (35%) Marché 20 (24%) 3 (18%) 11 (22%) 6 (35%) Vendeur ambulant 4 (5%) - 3 (6%) 1 (6%) Tradipraticien 6 (7%) - 1 (2%) 5 (30%) Les produits pharmaceutiques apparaissent comme un étalon du niveau de richesse. En effet, les ménages les plus aisés sont quasiment les seuls à s'approvisionner dans les grandes pharmacies de la ville, qui sont à la fois plus chères et, peut-on penser, plus sûres (étant d'un niveau d'instruction généralement élevé, les membres de ces ménages saisissent mieux que les autres l'importance de s'approvisionner dans des officines officielles). Les hôpitaux et institutions médicales (MSF, dispensaires...) constituent une source importante d'approvisionnement en produits pharmaceutiques pour toute la population, puisqu'un quart de notre échantillon s'y ravitaille régulièrement, encore que ce pourcentage décroisse régulièrement quand on passe aux ménages de niveau moyen et inférieur: les consultations dans ces institutions ne sont pas à la portée de tous. 20% de la population ont l'avantage de bénéficier de médicaments payés par l'employeur. Encore faut-il préciser que dans certains cas, l'employeur en question n'est pas celui du malade mais bien celui d'un parent du malade, qui fait bénéficier – légalement ou non – certains membres de sa famille de ces services. Les ménages de niveau économique supérieur et moyen, parmi lesquels on trouve beaucoup de salariés, sont les principaux bénéficiaires de ce service. Une grande surprise de l'enquête est l'importance des petites pharmacies ou kiosques dans l'approvisionnement pharmaceutique de la population: avec 38%, ces petits commerces-officines montent en tête du classement. On rejoint ici la constatation du sous-point précédent: le Lushois tend à gérer sa maladie à travers des structures de proximité, et ce tant pour les consultations/interventions (dispensaires proches) que pour l'achat des médicaments (petites pharmacies/kiosques). Bien que caractéristiques des ménages de niveau moyen, l'achat dans de petites pharmacies/kiosques n'est pas étranger aux habitudes des ménages des autres niveaux. De la même manière, les marchés (celui de la Kenya, principalement) accueillent les ménages

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des trois catégories pour la vente de produits pharmaceutiques, même si les ménages plus modestes sont ses principaux clients.

Qu'une clientèle nombreuse se presse dans les petites pharmacies/kiosques et dans les marchés tient d'une part à la préférence pour les structures de proximité, que nous avons déjà notée, d'autre part à une rumeur persistante énonçant que les produits vendus dans les officines officielles et dans les grandes institutions sont en réalité achetés sur le Marché de la Kenya: il n'y a donc pas de raison de s'approvisionner ailleurs, ou de négliger les petits commerces qui ont l'avantage de la proximité et d'un moindre coût. Une autre raison du succès du marché et des petites officines est qu'elles offrent des facilités pour diviser la cure en comprimés que l'on peut acheter au jour le jour: dans beaucoup de ménages pauvres, le suivi de la cure médicale pose problème car la bourse ne suit pas.

Enfin, on note que les ménages moyens et modestes recourent parfois aux produits de vendeurs ambulants ou de tradipraticiens, ce que les ménages de niveau économique supérieur de notre échantillon ne font pas. L'importance des tradipraticiens dans les ménages économiquement faibles – cités comme pourvoyeurs réguliers par 30% de ces ménages – tient notamment au faible coût de leurs services et au niveau d'instruction plus faible dans cette frange de la population. De plus, les tradipraticiens offrent une prise en charge complète de la maladie puisqu'ils envisagent celle-ci dans un cadre social et symbolique auquel les structures habituelles de la santé n'attachent aucun sens, et ce au prix d'une grande frustration psychologique pour le patient.

Notons enfin que nombre de ménages pauvres interviewés ont déclaré ne pas avoir de lieu d'approvisionnement habituel en médicaments.

5.3.4. Les espaces d'enseignement Nous avons regroupé dans une même catégorie les espaces liés à l'enseignement et les bibliothèques, celles-ci étant très peu fréquentées par ailleurs24.

Type d'espace Fréquentation par les 84

ménages (en effectifs) Fréquentation par les 84 ménages (en pourcents)

Ecoles du centre-ville 14 16% Ecoles du quartier 33 39% Autres écoles 9 10% UNILU 7 8% Bibliothèques du quartier 2 2% Bibliothèques du centre-ville 1 1%

Comme on le voit bien à travers ce tableau, les écoles de quartier sont les espaces scolaires les plus fréquentés par les ménages de notre échantillon (39%). En effet depuis la libéralisation de ce secteur (loi cadre de l’enseignement de 1986), beaucoup d’écoles ont été créées, surtout par des particuliers. Depuis lors, il existe donc un secteur privé qui cohabite avec le secteur officiel. Somme toute, chaque quartier dispose d’au moins une école. Ces écoles sont très différentes les unes des autres: on en trouve qui sont hébergées dans des conditions matérielles convenables, tandis que d'autres se trouvent dans des bâtiments inadaptés; le second cas est hélas plus fréquent que le premier, semble-t-il.

Au centre-ville, on trouve aussi des écoles privées et officielles. 14 ménages de l’échantillon (16%) ont affirmé que certains de leurs membres fréquentent ces écoles. Notons que les écoles du centre-ville, privées ou officielles, sont réputées les meilleures de la ville. En

24 A propos de la faible fréquentation des bibliothèques de la ville, cf Ditend (2000:30-32).

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conséquence, les frais scolaires25 qui y sont exigés sont généralement supérieurs à ceux payés dans les écoles des communes. A ceci il faut ajouter les difficultés de transport que doivent braver les élèves qui viennent des autres communes de la ville. Tout ceci explique le taux de fréquentation relativement faible de ces écoles, où sont surtout inscrits des élèves issus de foyers assez aisés: des 14 ménages qui entrent dans la catégorie fréquentant les écoles du centre-ville, 8 appartiennent à la classe "niveau de vie supérieur" et 6, à la classe "niveau de vie moyen".

Les "autres écoles" (celles situées en dehors des quartiers de résidence des ménages et du centre-ville) sont elles aussi relativement peu fréquentées (10%). Le niveau médiocre des conditions de vie de la plupart des Lushois et les difficultés de transport en commun – dues aux pénuries en carburants en cette période de guerre – ont obligé beaucoup de parents à envoyer leurs enfants dans les écoles de quartier.

L’Université de Lubumbashi est aussi un des espaces fréquentés pour des raisons d’instruction (8%). Les étudiants universitaires de notre échantillon proviennent le plus souvent de ménages situés dans la commune Lubumbashi. Ce sont généralement les parents instruits et capables de supporter le coût des études universitaires qui envoient leurs enfants à l’université : des 7 ménages d’où proviennent les étudiants universitaires de notre échantillon, 5 appartiennent à la classe "niveau de vie supérieur" et 2 à la classe "niveau de vie moyen".

Remarquons enfin la très faible fréquentation des bibliothèques, quelles qu’elles soient, et ce malgré que Lubumbashi soit une ville universitaire: il ne se trouve en effet que 3 ménages qui déclarent fréquenter ces lieux ! 5.3.5. Les espaces religieux

Type d'espace Fréquentation par les 84

ménages (en effectifs)

Fréquentation par les 84 ménages

(en pourcents) Eglises du centre-ville 7 8% Eglises du quartier 60 71% Autres églises 11 13% Sans pratique religieuse déclarée 6 7%

En ce qui concerne la fréquentation des églises ou autres lieux de prière, ceux du quartier sont les plus fréquentés en raison précisément de leur proximité. A l’inverse, les églises du centre-ville ou situées dans d’autres quartiers que celui de résidence sont rarement signalées comme lieux de culte. Ce résultat du centre-ville - un maigre 7% - contraste d’ailleurs fortement avec les pourcentages cités précédemment à propos des espaces professionnels ou commerciaux, qui démontraient la centralisation de la vie économique sur ce petit espace. Visiblement, les activités religieuses semblent plutôt s’inscrire dans une logique de la proximité et des rapports de voisinage. Lubumbashi compte un grand nombre de croyants. Seuls 6 ménages ne déclarent pas de pratique religieuse dans tout notre échantillon. Eglises et autres lieux de prière foisonnent dans la ville. En général, on reconnaît que la crise économique qui sévit le pays n’est pas étrangère à cette situation: on espère trouver la solution aux problèmes économiques, moraux, affectifs, biologiques, etc., auprès des "hommes de Dieu" dont le nombre semble aller croissant au fur et à mesure que la crise s’aggrave. Le

25 Les frais scolaires – qui, comme nous le verrons dans le chapitre relatif aux budgets ménagers, constituent 14% des dépenses ordinaires d'un ménage moyen – se divisent en deux grands postes: le minerval, payé en une fois au début de l'année scolaire, et les "FIP", "frais d'intervention ponctuelle", qui, contrairement à ce que l'appellation suggère, sont des frais réguliers et mensuels destinés à payer le personnel enseignant. La généralisation des "FIP" remonte au début des années 1990, lorsque le paiement des salaires par l'Etat est devenu de plus en plus irrégulier.

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recensement opéré par la mairie aurait dénombré plus de mille lieux de culte. Ceci tient aussi à la prolifération des sectes religieuses observée dans la ville depuis la décennie 1980, résultat des dissidences au sein des grandes Eglises catholiques et protestantes. 5.3.6. Les espaces ludiques

Nous appelons "espace ludique" tout espace consacré formellement ou informellement, directement ou indirectement aux activités de loisirs lato sensu, définies comme “un ensemble d’occupations auxquelles l’individu peut s’adonner de plein gré, soit pour se reposer, soit pour se divertir, soit pour développer son information ou sa formation désintéressée, sa participation sociale volontaire ou sa libre capacité créatrice après s’être dégagé de ses obligations professionnelles, familiales et sociales ” (Dumazedier 1962).

Type de loisir Espaces Fréquentation en effectifs/pourcents

Sport Stade Kenya 16 (19%) Stade Lupopo 1 (1%) Stade Mwanke 1 (1%) Autres complexes sportifs 11 (12%) Bars et boîtes de nuit Centre-ville 5 (6%) Kamalondo 2 (2%) Kenya 4 (5%) Ruashi 1 (1%) Katuba 1 (1%) Autres loisirs (chorale, ciné-vidéo, etc.) 9 (11%) Sans loisirs 37 (44%)

Dans les pays du Tiers-Monde en général et au Congo-Kinshasa en particulier, la notion de loisir ne semble guère intériorisée par la population citadine à cause de la crise économique et de la rigueur des conditions de vie. La misère est tellement prononcée que les gens sont de plus en plus préoccupés par des problèmes d’ordre de survie ; l’épanouissement de l’homme à travers les loisirs devenant un luxe que seuls certains peuvent s’offrir. Ainsi, parmi les 84 ménages enquêtés, 37 – soit 44% – mènent leur petite vie sans loisir, faute de moyens. Autant d’effets de la lutte pour la survie. Quand bien même loisir il y a, il se limite généralement à la fréquentation des débits de boisson (15%), à l’assistance aux activités de sport (33%) et à la pratique de quelques autres loisirs (11%)26.

Partie constante des besoins de la ville, les jeux et les loisirs sont commercialisés et professionnalisés et de ce fait vécus par la majorité des individus en tant que spectacle plutôt qu’en tant qu’action. Le football est le sport-roi, et, comme le note Mayaya Tshima (1978), "le sport le plus populaire du pays, une passion et une préoccupation nationale". Le football se joue d’habitude les après-midi, et souvent le week-end, exception faite pour le football-loisir dont les activités se déroulent généralement le dimanche avant-midi (à partir de dix heures, après les obligations religieuses pour les croyants).

Le bar, lui, ouvre ses portes tous les jours pour accueillir sa clientèle: Lushois éreintés par une journée de travail ou sans travail, attirés par les plaisirs du soir, désireux de se délasser ou de noyer leurs soucis, ou cherchant la compagnie… Au bar, l’individu est l’acteur : c’est lui

26 Rappelons qu'un même ménage peut donner différentes réponses, ce qui explique que la somme des réponses dépasse les 100%.

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qui boit, qui danse. Rythmes et danses viennent de Kinshasa, et l’impact de la capitale est tel que même les orchestres locaux chantent généralement en lingala (et non en swahili, la langue locale)

Que les Lushois préfèrent le football et le verre de Simba signifie que ce sont ces loisirs que l’information propose en premier lieu, soit qu’ils sont matériellement plus accessibles, soit qu’ils sont plus valorisés que les autres. Ces loisirs faciles occultent la pauvreté des loisirs à l'intérieur même du cadre familial.

Dans la moitié des ménages environ, les membres préfèrent consommer la boisson et écouter la musique loin de leur résidence, tant il est vrai qu’il se pose un problème de discrétion lié à l’intimité des personnes concernées. L'autre moitié banalise, par la force des choses, cette dimension de la réalité urbaine (parce que justement limitée par les moyens), en se rendant dans les bars et “nganda”27 situés près de leurs maisons d’habitation. En tout état de cause, les endroits les plus attrayants en cette matière sont principalement le centre-ville, les communes Kamalondo et Kenya.

S'agissant des sports, on constate que souvent, les Lushois sont prêts à parcourir un espace relativement important pour les pratiquer ou pour assister à une épreuve. Le stade de la commune Kenya (ex-Stade Mobutu) vient très largement en tête dans les suffrages, puisque avec 16 ménages l'ayant cité parmi leurs réponses, il représente un effectif plus grand que tous les autres complexes sportifs réunis! Comme il accueille beaucoup de compétitions de football et de catch, il n'est pas étonnant qu'il soit l’espace de loisir le plus fréquenté par les Lushois, surtout lors du fameux derby Mazembe – Lupopo, équipes de football lushoises dont les supporters remplissent quasiment toujours les 50000 places du stade lorsque ladite rencontre se produit. A l'inverse, de pourtant grands stades comme celui de Mwanke (Kamalondo) et de Lupopo (commune Lubumbashi) accueillent surtout des matchs d’entraînement et non de compétition, d'où le relatif désintérêt à leur égard. Notons que les autres infrastructures sportives de la ville n'ont pas été citées plus de deux fois par l'ensemble de nos informateurs.

Il est clair que lorsqu’on parle des espaces de loisir, on s'attend à la mention du cinéma, du théâtre, etc. Mais depuis les pillages de 1991, beaucoup de centres qui hébergeaient ce type d’activités ne fonctionnent plus (Centre culturel français, Théâtre de la ville, Centre culturel américain, etc.). Signalons qu’à travers la ville – notamment à la Kenya – pullulent des ciné-vidéo fréquentés par des jeunes dont les mouvements ne pouvaient guère être saisis par la méthodologie adoptée. Nous nous sommes entretenus avec les parents qui devaient nous renseigner sur les mouvements des différents membres du ménage. Or, la fréquentation de ces cinés étant considérée comme une espèce de délinquance juvénile, ce type d'espace a été rarement mentionné – deux fois, en l'occurrence – par les ménages de notre échantillon.

27 “ Nganda ”: mot d’origine lingala désignant un débit de boisson situé à l’intérieur d’un espace d’habitation (dans une parcelle voire dans une maison) avec la possibilité d’offrir des amuse-gueule ou des repas complets aux consommateurs.

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5.3.7. Les espaces d’évasion Espaces d'évasion Fréquentation par les 84

ménages (en effectifs) Fréquentation par les 84 ménages (en pourcents)

Périphérie de Lubumbashi 3 4% Province du Katanga 12 14% Autres provinces de la RDC 10 12% Pays africains 7 8% Europe et autres continents 2 2% Sans déplacement 56 67%

Ce qui vient d’être dit sur les loisirs des citadins de Lubumbashi vaut aussi pour les

espaces d’évasion, c’est-à-dire les espaces de voyage fréquentés soit pour raison de vacances ou de congé annuel, soit pour raison d’affaires, soit pour les deux à la fois. En effet, 67% des chefs de ménage ont déclaré qu’il ne leur arrive que rarement (ou jamais) de se déplacer faute de disponibilités financières. Toujours est-il que dans le chef de ceux qui voyagent (33%), certains côtoient la périphérie de la ville de Lubumbashi (4%) : Ruashi, Kenya, Katuba, Commune annexe et villages environnants. D’autres vont plus loin, en dehors de la ville, mais toujours à l’intérieur de la Province du Katanga (14%). 12% voyagent en dehors de la province (à Mbuji-Mayi, Kananga, Kinshasa, etc.), 8% font fructifier leur capital ou vont se relaxer au-delà des frontières nationales, en Afrique, voire dans un autre continent pour 2% d'entre eux. 5.3.8. Les espaces familiaux

Rappelons que les espaces familiaux n'ont pas fait l'objet d'une rubrique à part, et qu'ils

ne sont donc apparus que de façon circonstancielle dans les réponses des informateurs à la catégorie "autres espaces": 17 ménages (soit 21 % de l’ensemble) les ont cités spontanément. Le citadin se déplace dans son espace familial pour des visites familiales et à l'occasion d'événements heureux (mariages, naissances, anniversaires, fin d'études, retrouvailles après une longue séparation, promotion professionnelle, etc.) ou malheureux (deuil, longues maladies, accidents, tentative de réconciliation pour empêcher les divorces, etc.).

5.4. Les motifs de fréquentation des espaces fonctionnels Les recherches dans ce domaine ont montré qu’il existe une limite à la fréquentation

des espaces fonctionnels, précisément là où la désidérabilité d’un bien ou d’un service devient inférieure aux efforts à consentir pour l’obtenir. En d’autres termes, pour fréquenter un espace fonctionnel, il faut que ce dernier soit d’abord en mesure de satisfaire les besoins qui se présentent, mais l’utilisateur potentiel tient aussi compte des coûts à supporter, en termes d’argent, de distances parcourues et des effets psychologiques qui en découlent. Lorsque les efforts à fournir deviennent trop importants, le citadin manifeste une certaine indifférence à l’égard d’un espace donné, choisissant plutôt de fréquenter un autre espace offrant des services analogues, mais à moindre “ coût ”. Tel est le principe de base qui régit le comportement spatial des consommateurs en milieu urbain (Bukome 1993).

Les motivations de fréquentation sont très nombreuses. Nous en avons distingué 10 catégories sur base de nos résultats empiriques, à savoir les 491 motivations qui sont apparues lors de la collecte des données liées à notre protocole d’enquête.

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La plus importante a trait à la proximité de la résidence. Elle a été citée 106 fois (21,6 % de l’ensemble). Le critère de proximité a justifié la fréquentation de plusieurs espaces fonctionnels, mais de façon différenciée. Les 106 cas rapportés se répartissent de la sorte : 25,5 % se rapportent aux églises proches de la résidence ; 23,6 % concernent les marchés proches ; 15 % concernent les dispensaires ou polycliniques proches de la résidence tandis que 14% concernent les écoles proches de la résidence. La proximité joue donc un rôle déterminant dans la fréquentation de ces quatre équipements urbains spécifiques.

La deuxième catégorie de motifs avancés touche à la disponibilité de l’activité : 15% des motifs appartiennent à cette catégorie (72 cas sur 491). Les citadins se déplacent vers des endroits précis parce qu’ils espèrent y trouver précisément l’activité ou le service dont ils ont besoin. Ce motif est fréquemment avancé pour le quartier de résidence en tant qu’espace professionnel, pour le centre–ville et le marché du quartier.

14% des motifs sont directement en rapport avec la profession (70 cas sur 491). Certains déplacements sont déterminés par les contraintes professionnelles et par la prise en charge par l’employeur de certains avantages tels que les soins médicaux. C’est dans ce cadre par exemple que les ménages fréquentent les hôpitaux et polycliniques éloignés de la résidence. Les espaces concernés par le critère sont le centre-ville et les quartiers de résidence.

La modicité des prix intervient dans 12 % des cas (58 sur 491), pour privilégier trois types d’espaces en particulier : les espaces commerciaux (marché du quartier, marché Kenya, marché Njanja), les espaces sanitaires (dispensaires, hôpitaux et polycliniques proches de la résidence) et les espaces ludiques ou sportifs loin de la résidence, dans lesquels on pratique cette activité en raison des faibles coûts.

Certains déplacements sont essentiellement conditionnés par les relations personnelles

et la qualité des services offerts à la clientèle (36 cas sur 491, soit 7%). Ces motifs caractérisent uniquement la fréquentation des espaces sanitaires, mais dans des proportions variées selon qu’il s’agit des dispensaires proches (22% des cas) ou des hôpitaux et polycliniques situés loin de la résidence (31% des cas).

La facilité d’approvisionnement a été évoquée dans 31 cas sur 491, soit 6% de l’ensemble. Ce motif concernait exclusivement le centre-ville (32%) et le marché Njanja (26%) qui sont parmi les grands centres d’approvisionnement de l’espace urbain en divers produits alimentaires et manufacturés.

Les raisons familiales (30 cas sur 491, soit 6% du total) motivent 37% des déplacements réalisés dans les espaces d’évasion, à l’intérieur de la province du Katanga principalement. Les mêmes raisons interviennent évidemment dans les déplacements effectués au sein de l’espace familial.

Enfin, d’autres motifs de fréquentation existent : la sécurité, le confort, la variété des produits ou services offerts par les différents espaces fonctionnels, etc.

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5.5. Les modes de transport et les rythmes de fréquentation 5.5.1. Les modes de transport

Lubumbashi est une ville monocentrique où l’exercice des activités professionnelles et

lucratives est concentré au centre-ville. Les flux les plus massifs au sein de la ville sont liés au déplacement du domicile vers le lieu de travail. Ils sont généralement centripètes le matin et centrifuges le soir. Les lignes de transport en commun desservent toutes, sans exception, le centre-ville, qui est donc doté d’une très grande accessibilité.

Malgré cela, le problème du transport se pose avec acuité à Lubumbashi, comme en témoignent des renseignements recueillis récemment par des étudiants auprès de la Division provinciale des transports et communications, auprès de la Mairie de la ville de Lubumbashi, ainsi qu'auprès de la Direction provinciale des contributions (bureau véhicules). Les données de la Mairie semblent plus fiables que les autres à cause de mesures qui ont été prises pour contraindre les propriétaires à se faire enregistrer. Par exemple, en ce qui concerne les transports en commun, ne peuvent obtenir de carburant dans les stations de la ville que les véhicules ayant un bon délivré par la mairie. Les sources de la mairie renseignent au total 1079 véhicules dont 353 voitures, 714 mini-bus et 12 bus. Cependant, avec une population estimée à un million d’habitants en l’an 2000, nous dégageons un taux d’environ 964 personnes pour un véhicule. Ces chiffres sont très éloignés de la réalité, car ils ne tiennent pas compte des nombreux véhicules non déclarés, qui n’ont ni police d’assurance, ni contrôle technique, ni taxes ni vignettes, etc. Ils doivent donc être très nettement revus à la hausse: pour rappel, huit ménages dans notre échantillon déclarent posséder une voiture, pour un effectif de 628 individus seulement!

Nous avons demandé à chacun des ménages de l'échantillon le mode de transport qu’il utilise pour se rendre dans les différents types d’espaces fonctionnels. Les résultats obtenus figurent dans le tableau suivant.

Modes de transport Utilisation par les 84 ménages (en effectifs)

Utilisation par les 84 ménages (en pourcents)

Marche à pied Taxi-bus Vélo Camion Voiture particulière Train Avion Bateau

81 62 16 5 6 7 6 2

96% 74% 19% 6% 7% 8% 7% 2%

Les modes de transport les plus utilisés sont donc la marche à pied (96% de

l’échantillon), le taxi-bus (74%) et le vélo (19%). Le train, l’avion et le camion (8%, 7% et 6% respectivement) assurent les déplacements des Lushois vers les destinations lointaines, mais il faut noter que le train assure parfois aussi les déplacements des Lushois entre certaines communes (Ruashi, Kenya) et le centre-ville.

La configuration très centralisée du réseau de transport en commun par taxi-bus – combiné à l’insuffisance du charroi automobile affecté à ce secteur – fait de Lubumbashi une ville pédestre (Bruneau et Pain 1990). La modicité du budget des ménages est un autre facteur qui explique pourquoi l’énorme majorité des ménages enquêtés (96%) marchent à pied lors de

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la fréquentation des différents espaces. Les insuffisances du réseau de transport public font que la personne qui veut emprunter un taxi-bus est, dans les faits, obligée de parcourir à pied une distance relativement longue pour atteindre un arrêt de bus ou de taxi. Les personnes habitant les quartiers situés à plus d’un kilomètre des lignes de transport pratiquent d’ailleurs essentiellement la marche à pied.

Une part assez importante des ménages enquêtés (19%) utilisent le vélo pour se déplacer. Selon nos observations, le vélo est le moyen de locomotion le plus efficace, le plus sûr, le plus économique dans une ville en crise de transport. On peut penser que c’est d'une part, la crainte de connaître un accident – aucune infrastructure pour les vélos n’a été prévue dans le tissu urbain –, d'autre part un rejet culturel envers un mode de transport qui pourrait faire passer son utilisateur pour un pauvre ou un paysan qui expliquent le peu d’enthousiasme pour ce moyen de transport parfaitement adapté au plateau de Lubumbashi.

Au cours de son évolution, la ville a connu diverses formes d’organisation dans le domaine de transport public. Les recherches effectuées dans ce secteur ont montré que le transport public est d’introduction assez récente et qu’à travers le temps, il a connu un dépérissement spectaculaire (Bruneau 1983, Nzuzi Lelo 1989, Bruneau et Pain 1990, Kikufi 1984). Le transport public est le fait d’initiatives privées. Toutes les tentatives prises par l’Etat congolais pour organiser le transport public dans cette ville se sont soldées par des échecs. C’est ainsi que depuis l’Office de transport en commun du Congo (OTCC, devenu OTCZ en 1971), la Société de transport kinois28, en passant par la Société de transport zaïrois (SOTRAZ, 1980), City Train (1990), jusqu’à la Société de transport du Katanga (TRANSKAT, 2000), le pouvoir public n’a pas pu maîtriser la problématique de transport en commun. Aussi la demande, toujours croissante, est-elle restée insatisfaite pendant quatre décennies.

En ce qui concerne les véhicules affectés au transport public, en dehors des autobus de sociétés, le taxi-bus est le moyen de transport en commun le plus utilisé. Un taxi-bus est un petit bus aménagé d’une capacité maximale de 20 places assises, le double de la capacité initialement prévue. A ce nombre des passagers, il faut ajouter le receveur communément appelé “convoyeur ”. Celui-ci reste debout durant tout le parcours, perçoit les frais de transport et annonce aux passagers le prochain arrêt. Au terminus, le convoyeur appelle à grands cris les passagers en citant le nom de la direction que va prendre le taxi-bus. Sauf durant les heures creuses, un taxi-bus ne quitte le terminus qu’après avoir atteint sa capacité maximale, ce qui permet à l’exploitant de bien compter ses recettes au départ. Mais ce système est souvent à l’origine d’une longue file de véhicules attendant chacun son tour, ce qui occasionne une perte de temps et d’argent pour les transporteurs. Les itinéraires empruntées par le taxi-bus sont représentés par la figure ci-après.

28 La STK était en fait une entreprise privée que nous citons dans cette liste car elle était directement liée à l'ancien régime. Elle était établie à Kinshasa mais possédait une succursale à Lubumbashi.

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Le transport en commun est organisé sur un réseau en tentacules, composé de 14

itinéraires qui se confondent parfaitement aux artères principales et qui aboutissent tous sur le périmètre du centre des affaires de Lubumbashi. S’appuyant sur cet espace central d’une superficie de 76,5 hectares exempt de toute circulation de taxi-bus, la quasi-totalité de ces différentes lignes ont comme terminus des zones relativement bien peuplées (Katuba I et II, Kenya, Ruashi, Kigoma, Tabacongo, UNILU, GCM, etc.). La configuration de ce réseau long de 68,75 km et articulé au centre-ville constitue, comme le dit Beaujeu Garnier (1971), un facteur favorable à l’unité urbaine, au brassage et à la rencontre des individus, à l’intensité des échanges, à la qualité des services, étant donné l’accessibilité maximum ainsi offerte. Mais elle génère aussi ses problèmes, dans la mesure où cette convergence favorise la congestion du réseau et l’allongement des temps de transport. La déconnexion entre les différentes lignes au niveau du centre-ville, l’absence de rocades et de tangentielles pouvant relier ces différentes

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lignes obligent les utilisateurs à passer par le centre-ville, et ce, quelles que soient leurs destinations finales. C’est une des raisons du succès de la marche à pied et du vélo. 5.5.2. Les rythmes de fréquentation

Espaces

professionnels

Espaces

commerciaux

Espaces

scolaires

Espaces

religieux

Espaces

ludiques

Espaces

sanitaires

Espaces

d’évasion

Autres espaces

Total

Quotidien 73 (66%) 46 (33%) 65 (99%) 9 (11%) 7 (12%) - - 2 (12%) 202 (37%) Hebdomadaire 24 (22%) 51 (37%) - 71 (87%) 37 (65%) 8 (21%) 2 (6%) 8 (47%) 201 (37%) Mensuel 10 (9%) 37 (27%) 1 (1%) 2 (2%) 9 (16%) 23 (59%) 5 (15%) 6 (35%) 93 (17%) Trimestriel 3 (3%) 3 (2%) - - 4 (1%) 6 (15%) 2 (6%) 1 (6%) 19 (3%) Semestriel - - - - - - 3 (9%) - 3 (1%) Annuel 1 (1%) 1 (1%) - - - 2 (5%) 22 (65%) - 26 (5%) TOTAL 111

(100%) 138

(100%) 66

(100%) 82

(100%) 57

(100%) 39

(100%) 34

(100%) 17

(100%) 544

(100%)

Il est important de rappeler ici que comme plusieurs réponses peuvent être données par un même ménage pour une même catégorie d'espace, leur somme par rubrique dépasse souvent les 84. De manière générale, on remarque que les espaces fonctionnels inventoriés à Lubumbashi sont fréquentés essentiellement à des rythmes journaliers (37%), hebdomadaires (37%) et mensuels (17%). Ces rythmes sont liés à la nature de chaque espace fonctionnel, mais aussi aux caractéristiques socio-économiques et socio-professionnelles des ménages qui les fréquentent. Les espaces professionnels et scolaires sont essentiellement fréquentés au rythme journalier (respectivement 66 et 99%), tandis que les espaces commerciaux, religieux, ludiques et familiaux connaissent surtout des visites hebdomadaires (37, 87, 65 et 47%) . Les espaces sanitaires sont utilisés sur une base plutôt mensuelle (59%), tandis que ceux d'évasion le sont sur une base annuelle (65%). L’analyse montre que les espaces professionnels fréquentés au quotidien sont ceux qui relèvent des professions exigeant un travail soutenu (agent d’entreprise, vendeur au marché, cultivateur, etc.), alors que ceux fréquentés aux rythmes hebdomadaire, mensuel, trimestriel, voire annuel, sont liés à des activités complémentaires exercées sporadiquement, en vue de combler le déficit budgétaire laissé par la modicité des revenus principaux (enseignant qui va au champ chaque week-end, ou qui profite des vacances pour faire une autre activité, etc.). A ce groupe, il faut aussi associer les ménages exerçant une profession libérale qui exige certains jours d’interruption pour trouver de nouveaux marchés par exemple. L’approvisionnement des ménages en produits divers pour la satisfaction des innombrables besoins ménagers se fait, comme nous l’avons souligné plus haut, surtout au niveau des marchés et kiosques proches des ménages enquêtés. La proximité de ces espaces commerciaux et l’habitude de vivre au jour le jour – laquelle habitude est dictée par la détérioration des conditions de vie – semblent expliquer l’importance des fréquentations quotidiennes des espaces commerciaux . Cependant, le rythme hebdomadaire est plus important que le quotidien en raison de l'importante fréquentation des grands complexes commerciaux et des marchés – centre-ville, Njanja, Marché Kenya, Marché Lusonga, etc. – où l'on concentre ses achats certains jours de la semaine.

Le rythme de fréquentation est journalier pour les écoles et hebdomadaire pour les églises et autres lieux de prière. La fréquentation quotidienne de ces derniers, même si elle ne concerne que 11% des cas notés, est due à la proximité des lieux de culte par rapport au

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domicile des ménages et à l'intensification actuelle des séances de prière matinales et crépusculaires. A Lubumbashi, nous l’avons souligné plus haut, la notion de loisir ne semble guère intériorisée. La pratique du football, principale activité dans la rubrique des loisirs, est limitée au week-end, ce qui explique la prédominance de la fréquentation hebdomadaire. Notons que la fréquentation journalière des lieux de loisirs concerne dans la plupart des cas les bars et autres débits de boisson. Les espaces sanitaires et ceux d’évasion sont les moins fréquentés de tous. Ils sont davantage fréquentés au rythme mensuel pour les espaces sanitaires et au rythme annuel pour les espaces d’évasion. On constate par ailleurs que beaucoup de personnes interrogées se souviennent difficilement du nombre de fois que l’un ou l’autre membre du ménage s’est fait soigner dans un établissement sanitaire. Par ailleurs, on remarque que plus de la moitié des ménages enquêtés (60%) ne voyagent pas, et que ceux qui peuvent se le permettre ne le font qu’occasionnellement, au rythme d’une à deux fois l’an: les Lushois sont donc contraints à rester sur place pour se livrer de manière quasi ininterrompue aux différentes activités de survie.

5.6. Conclusion L’étude sur la mobilité spatiale dans une économie où le formel cède de plus en plus le

pas à l’informel permet de procéder à une véritable chirurgie sociale des déplacements des Lushois dans les différents espaces fonctionnels. Les citadins fréquentent tel espace plutôt que tel autre pour des motifs divers: proximité de la résidence; disponibilité des activités professionnelles; modicité des prix des produits et services offerts; relations personnelles; qualité des services; facilité d’approvisionnement; raisons familiales; etc. Les rythmes de fréquentation dominants sont journaliers pour les espaces professionnels et scolaires, hebdomadaires pour les espaces commerciaux, religieux et ludiques, mensuels pour les espaces sanitaires, enfin, annuels pour les espaces d’évasion. Nous avons tenté de synthétiser la localisation et l'intensité de fréquentation des différents espaces fonctionnels dans le tableau ci-dessous, qui résume l'ensemble des réponses données dans le protocole de la mobilité spatiale en traduisant celles-ci en pourcentages. Ce tableau est bien entendu une abstraction, car il ne tient pas compte des rythmes de fréquentation qui varient fortement, comme nous venons de le noter. Nous pensons néanmoins qu'il est important, au moment de conclure, de dresser un bilan général en chiffres, même ci cela suppose une certaine simplification des données.29

29 Notons que ce tableau synthétise une première mise en forme de l'ensemble de nos données, qui était davantage axée sur la distance séparant l'espace fonctionnel et le ménage qui le fréquente. La redéfinition ultérieure de nos matrices de données – sur laquelle l'essentiel de ce chapitre s'est finalement construit – a mis davantage l'accent sur les lieux fréquentés, envisagés de manière absolue et non relative: on a donc parlé de "Marché Zambia", d'"Hôpital Sendwe", de "Stade de la Kenya" là où auparavant – pour un ménage de la Ruashi par exemple – ces espaces étaient renseignés comme "marché de quartier", "hôpital ou clinique éloigné de la résidence" et "activité sportive dans un quartier éloigné".

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Si l’on se base donc sur les réponses fournies à notre protocole, les espaces fonctionnels

sont localisés essentiellement dans les quartiers de résidence des ménages enquêtés (40,2%), dans les quartiers voisins des premiers (19,8%) et au centre-ville (15,7%). Les grands marchés de la ville (Njanja, Kenya, Lusonga) représentent un total cumulé de 11,9%. De tout ce qui précède, on constate que dans la mobilité spatiale des ménages enquêtés, 87,4% des déplacements ont lieu à l’intérieur de la ville de Lubumbashi, dont 59,8% dans le voisinage immédiat des ménages et 27,6% vers les quartiers éloignés (centre-ville et grands marchés). L’espace vécu des ménages enquêtés est donc, en définitive, très limité, réduit pratiquement au quartier de résidence, aux quartiers voisins, au centre-ville et à quelques espaces commerciaux ou sanitaires. Ceci s'explique par divers facteurs, dont la faiblesse des moyens financiers et le manque intermittent de carburant dans les stations de la place.

Le centre-ville est sans conteste le pôle des activités professionnelles et commerciales: nos résultats confirment ici ceux des recherches antérieures (Roucloux et Kakese 1979, Bruneau et Bukome 1987, Bukome et Mérenne-Schoumaker 1988). Ce succès tient à la concentration des lieux de travail sur cet espace, à la présence de produits et services rares, ainsi qu'à la configuration très centripète des réseaux de transport en public. Tous ces facteurs créent dans la ville une zone d’influence sans rivale. Sur le plan de l’organisation de l’espace, cette réalité révèle un certain dysfonctionnement, car une telle concentration des activités ne permet pas le développement économique des autres parties du tissu urbain et crée de nombreuses difficultés de transport. Une certaine décentralisation des activités serait souhaitable.

S'agissant du commerce, le centre-ville connaît de sérieux concurrents avec l'espace économique de la Njanja et le marché central de la Kenya. De plus, il est possible que l'actuel succès des magasins du centre-ville soit dû en grande partie aux travaux de réfection des grands marchés de Lusonga – ainsi que des marchés de la Kenya et de la Kamalondo – et à la lutte déclenchée par la Mairie contre les marchés pirates. On n’a d'ailleurs pas vu émerger en 2000 le rôle des commerces de rue, pourtant florissants quelques années auparavant (Bruneau et Bukome 1987): ils semblent avoir été absorbés par les marchés de quartier, qui présentent l’avantage d’être mieux structurés et de permettre le regroupement d’achats suite à la concentration des vendeurs.

Comparativement à ce qu’on a pu observer autrefois (Bukome et Mérenne-Schoumaker 1988), les quartiers de résidence semblent avoir subi une mutation fonctionnelle et une

Professionnel

Commercial

Culturel

Ludique

Sanitaire

D’évasion

Familial

Total

Quartier résidentiel 5,0% 9,0% 12,4% 5,5% 5,5% 0,2% 2,6% 40,2% Quartier voisin 5,0% - 4,8% 6,2% 3,8% - - 19,8% Centre-ville 7,8% 7,4% 0,5% - - - - 15,7% Marché Kenya - 4,3% - - - - - 4,3% Marché Lusonga - 2,4% - - - - - 2,4% Marché Njanja - 5,2% - - - - 5,2% Villages environnants 4,3% 0,5% -- - - 0,7% - 5,5% Province du Katanga 1,4% - - - - 2,1% - 3,5% Autres provinces de la RDC 0,2% - - - - 1,2% - 1,4% Pays africains - - - - - 1,4% - 1,4% Europe et autres continents - - - - - 0,6% - 0,6%

Total 23,7% 28,8% 17,7% 11,7% 9,3% 6,2% 2,6% 100%

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expansion à plusieurs niveaux. On constate en effet que les déplacements professionnels, si l'on excepte ceux dirigés vers le centre-ville, sont préférentiellement dirigés vers la commune de résidence, voire dans le quartier même; ceci semble aussi valable pour les marchés. Ce n’est pas très étonnant si l’on considère le nombre des personnes qui pratiquent le micro-commerce, le micro-artisanat ou tout autre métier de survie dans leurs parcelles d’habitation ou à proximité de celles-ci. Au niveau scolaire et religieux, le quartier est aussi le milieu le plus fréquenté par les ménages qui l'habitent30.

On peut dire la même chose au niveau sanitaire, encore qu'il faille ici faire une distinction: pour les maladies bénignes, on a recours au dispensaire le plus proche; une maladie grave incline à affronter les coûts élevés des hôpitaux et polycliniques du centre- ville, ainsi que les difficultés de transports pour y parvenir. Les dispensaires médicaux ont bien compris ce principe, et s'implantent de plus en plus à proximité des résidences, fuyant la concurrence des centres médicaux plus spécialisés et mieux équipés. Les centres de santé officiels sont eux aussi décentralisés dans toute la ville, mais ils passent aux yeux de beaucoup pour des centres privés réservés à des abonnés et ne connaissent dès lors qu'un succès mitigé.

Cette étude a permis aussi de mesurer l'attraction professionnelle exercée par les villages environnant Lubumbashi, où beaucoup de Lushois appauvris par la crise se sont dirigés d'eux-mêmes pour renouer avec les travaux champêtres.

On constate enfin un manque de structures de délassement bien organisées, ou plutôt une très faible fréquentation de celles qui existent déjà. La pression du quotidien et le stress urbain pèsent très lourdement sur la population, condamnée à pratiquer activement l’économie informelle pour sa survie. Une grande partie de citadins se déplacent à pied, de commune à commune ou de leurs domiciles au lieu de travail, mais ils cumulent souvent deux modes de transport ou davantage. Ce faisant, ils s’approprient l’espace urbain par la création de plusieurs autres espaces qui, finalement, se donnent comme réels tant ils sont efficacement vécus, objectivement et psychologiquement.

30 On consultera aussi Makuku (1994), s'agissant des écoles.

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CHAPITRE 6: LES BUDGETS MENAGERS 6.1. Introduction

Il y a un quart de siècle, Joseph Houyoux entreprenait une série d'études sur les budgets

ménagers à Kisangani (Houyoux 1972), Kinshasa (Houyoux 1973) et Lubumbashi (Houyoux et Lecoanet 1975), couvrant ainsi ce qu'il était convenu d'appeler en ces années-là les trois pôles du développement économique du Congo.

C'est par Kisangani donc que Houyoux commença ses investigations sur ce sujet. De tendance essentiellement démographique, cette étude révéla plusieurs caractéristiques de la population de cette ville, notamment le bas niveau de vie des citadins. Ici déjà apparaissait l'économie de la débrouille : un univers informel qui vient à la rescousse de l'économie formelle pour combler le manque à gagner. Ceci allait de la prolifération des petits marchés, boutiques et kiosques jusqu'à la prostitution, en passant par les vols opérés dans les milieux de travail, la multiplication de débits de boissons, la divagation des femmes commerçantes ambulantes, etc. On aurait pu pourtant s'attendre à ce que la localisation particulière de Kisangani, une ville carrefour située en pleine forêt équatoriale, recevant par là même de son hinterland produits agricoles, de chasse et de pêche, allégeât la constitution des budgets ménagers: il n'en fut rien, car le citadin de Kisangani avait déjà intériorisé les habitudes de consommation des biens manufacturés.

L'année suivante (1973), Houyoux publia "Budgets ménagers, nutrition et mode de vie à Kinshasa". Cette étude avait notamment pour préoccupation de déterminer la répartition des revenus et les habitudes de consommation par catégories socio-professionnelles, par niveaux économiques, etc. C'est pour des objectifs essentiellement économiques que ce travail fut commandé. Il a d'ailleurs permis la pondération d'un nouvel indice des prix de la consommation familiale. Le calcul de l'élasticité des prix des divers produits de consommation alimentaire devait en outre permettre de définir, au niveau gouvernemental, des mesures adéquates pour le bon approvisionnement de la ville de Kinshasa.

Les nombreuses visites effectuées dans chacun des 1471 ménages échantillonnés par la méthode de sondage aléatoire stratifié ont fixé les dépenses moyennes mensuelles de consommation du ménage à 31,42 zaïres (1Z valant alors 2 USD). Houyoux notait également que pour un ménage moyen, l'alimentation se taillait la part du lion avec 67,4% des dépenses. Quel que soit le niveau économique, la hiérarchie des postes de dépenses était partout la même : l'alimentation, même au niveau socio-économique 6 (c'est-à-dire parmi les ménages dépensant plus de 60 Z par mois), était le poste le plus budgétivore ; venait ensuite le logement avec 12 à 13% (on montait jusqu'à 20% pour les ménages de niveau 6; puis les divers (10,4%), et enfin, l'habillement (7,3%).

D'autre part, Houyoux établissait déjà que les revenus pouvaient avoir une ou plusieurs origines. Parmi celles-ci, il citait le salaire, l'entreprise (de type moderne ou traditionnelle), la propriété, la production non commercialisée et l'autoconsommation de produits agricoles ou artisanaux. Aux yeux de Houyoux, il était pratiquement impossible de déterminer avec précision les recettes provenant de l'entreprise ou de toute autre activité indépendante, étant donné que les intéressés ne comptabilisaient pas eux-mêmes leurs revenus. Toutefois, il mentionnait que les recettes provenant des salaires des chefs de ménage ainsi que les transferts ou cadeaux faits aux ménages atteignaient respectivement 53,3% et 13,8% des revenus. Le salaire moyen des cadres oscillait entre 91 et 118 Z; celui des autres employés, entre 25 et 28 Z ; celui des ouvriers qualifiés et semi-qualifiés, entre 18 et 20 Z ; celui des ouvriers non-qualifiés, entre 13 et 17 Z.

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Dans la troisième partie du travail, Houyoux présentait une excellente analyse des dépenses de consommation suivant différents facteurs tels que la catégorie socio-professionnelle, la zone d'habitat, le niveau d'étude du chef de ménage et la taille de ménage. Il tenta aussi de saisir, dans la suite du document, l'apport nutritif des dépenses alimentaires.

Enfin, il analysa le mode de vie des ménages et décrivit les moyens employés par les chefs de ménages pour atteindre le minimum vital, grâce à ce qu'il a qualifié lui-même de "paratravail". Il s'appesantit alors sur les salaires, le commerce de l'épouse et du mari, les coups de main, la fraude, la location, la solidarité, les transports et les autres sources de revenus.

Ce qu'on peut notamment retenir de cette étude, c'est qu'on observait à Kinshasa depuis les années 1950 l'existence d'un secteur informel pesant pour une bonne part dans la constitution des budgets ménagers. D'autres études sur Kinshasa soulignent aussi l'importance de l'informel dans l'économie urbaine, comme celle d'Ekwa bis Isal (1986:393), qui écrit que "le secteur informel (est) le monde le plus important de notre pays qui fait vivre la plupart de nos familles, qui fixe le cours de la monnaie sur le territoire national" ; le même auteur dévoile aussi que "12 mille petites entreprises informelles (sont) concernées à Kinshasa" (Ekwa bis Isal 1986:391). Ceci n’est d’ailleurs pas typique de Kinshasa ou de Kisangani : le développement du phénomène informel touche finalement beaucoup d'autres villes africaines. Mubake Mumene le souligne en disant :

« Les préoccupations d'emploi et de la répartition des revenus dans les pays en

voie de développement ont amené certains chercheurs à constater l'existence

dans les statistiques officielles de plusieurs "imperfections" ou "biais" faussant

tout calcul économique et attribués à la présence d'un secteur qualifié

indistinctement de secteur souterrain, parallèle, clandestin, non contrôlé, non

structuré, informel, marginal, invisible, caché, illégal, de survie, etc. »

(1986:491).

C'est ici le lieu de préciser ce que couvre cette notion d'informel. Avec de Villers, disons simplement que dans son premier sens, le mot "informel" en langue française "s'applique à un type d'expression artistique - l'art abstrait -" qui, nous dit le Petit Robert, refuse de présenter des formes reconnaissables et classables" (1996:9). Dans le sens second et le plus courant du terme, poursuit de Villers, "l'informel est ce qui présente un caractère non officiel, ce qui ne se fait pas selon des règles, des procédures, des rituels" (de Villers:9). C'est à peu près ce qu'avait déjà retenu Mubake Mumene quand, à la suite de Hugon et Deblé, il avançait que "le secteur informel regroupait toutes les activités qui (échappaient) aux circuits officiels ou qui (n'étaient) pas saisies par les statistiques officielles et les comptes nationaux " (1986:491). Finalement, de Villers précise que "la notion d'informel désignera des formes atypiques (non conformes à des modèles culturels), composites (produites par hybridation, métissage de formes issues des matrices culturelles hétérogènes) et ambiguës, polysémiques (se référant à des codes culturels différents )" (1996:8-9).

Cela ne signifie pas du tout que l'informel n'a pas de forme, loin s'en faut ! Car, comme le note Leclerq, l'informel a comme caractéristique qu'il tient “du bricolage, de l'expédient, témoignant d'une ingénieuse débrouille et n'assumant souvent qu'une survie précaire” (1993:17). Mais, et ceci est très important, cette économie informelle forme finalement tout un système plus solide qu'il n'apparaît à première vue : "une machinerie économique et sociale, étonnamment forte, souple et très résistante à la contraction sévère de l'économie moderne comme aux agressions de l'inflation et même de l'hyper-inflation" (1993:17). Elle faisait vivre à Kinshasa près de quatre millions d'habitants en 1992, soit la toute grosse majorité des Kinois. C'est vraiment la manifestation d'une économie de pauvreté, en ce sens que "la plus grande part des activités marchandes ne procurent à leurs opérateurs qu'un très faible revenu individuel" (1993:9). Enfin, comme le relève encore Mubake, elle tire son origine de l'inefficacité de

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l'intervention de l'Etat, du chômage urbain, de la baisse du pouvoir d'achat des consommateurs, de la défaillance de l'économie capitaliste périphérique (1986:492-494).

Economie de pauvreté? Effectivement, Shanyungu le relève aussi dans un témoignage poignant sur la situation des Zaïrois en 1983, intitulé "La lutte pour la survie : le cas des Zaïrois" (1984:57-58). Il note entre autre que l'économie ne roule pas comme il faut ; que le plan de relance agricole 1981-1984 est compromis ; que l'insuffisance de la rémunération réduit le fonctionnaire à une vie infra-humaine, etc.

Cette incursion dans l'informel ne doit nullement nous détourner de l'objet primordial de cette étude, à savoir les budgets ménagers de Lubumbashi. Elle a eu tout simplement pour but d'attirer l'attention du lecteur sur la place de plus en plus importante que ce phénomène prend dans la constitution des budgets ménagers de nombreux pays africains. Qu'en est-il de Lubumbashi ?

Au moment des enquêtes de Houyoux et Lecoanet (1973), Lubumbashi était restée égale à elle-même en ce sens que, selon une expression consacrée, elle était "une fille de l'industrie, fécondée par le rail". Cela signifiait tout simplement qu'à l'époque, le Congolais moyen de Lubumbashi était un pur salarié de l'industrie ; il se contentait de son salaire, des avantages sociaux que lui procurait le paternalisme industriel et ne sortait pas de là pour organiser sa vie.

Plus spécifiquement, en 1975, un ménage moyen lushois (6,5 personnes) dépensait en moyenne 41,82 Z par mois, soit 83,64 USD, étant donné qu'1Z équivalait à 2 USD à cette époque. Houyoux et Lecoanet estimaient eux-mêmes que ce montant était une sous-estimation de la réalité parce qu'entre autre, pour ce qui était des dépenses de transfert (sortie d'argent principalement constituée de cadeaux), il arrivait qu'un conjoint aide sa propre famille à l'insu de l'autre : cette sortie d'argent était, évidemment, cachée à l'enquêteur. De même, c'est par un détour par les brasseries que les auteurs purent évaluer à 4,78 Z par mois les dépenses moyennes consacrées à la bière, qui avaient été tues par les interlocuteurs des enquêteurs ! Compte non tenu des soins médicaux et du transport (qui étaient pris en charge par l'employeur) ainsi que de la scolarisation (quasi gratuite à l'époque), on obtenait en définitive 45,36 Z de dépenses de consommation par mois et par ménage.

Dans ces dépenses de consommation, 61,5% allaient à l'alimentation et 1 Z allait aux transferts. Le reste était réparti de manière quasi égale entre l'habillement, le logement et les divers, l'habillement venant un peu plus avant les autres postes. Pour ce qui est de l'alimentation, les articles suivants occasionnaient le plus de dépenses : la farine de maïs, le bœuf sans os, le poisson salé, le poisson fumé, la bière et les feuilles de manioc. S'agissant du logement, Houyoux et Lecoanet y insèrent ce que nous pouvons qualifier de dépenses d'investissement (dépenses de logement en capital et acquisition de biens d'équipement), qui prenaient à elles seules 42,7% de cette rubrique. Le reste était destiné au loyer, à l'eau, l'électricité, le combustible et l'éclairage.

Quand on examine ces dépenses selon le niveau économique, on constate que l'alimentation reste constamment le poste le plus important des dépenses ; les niveaux les plus élevés dépensent plus en logement, divers et habillement, postes qui restent dérisoires chez les économiquement faibles. Par ailleurs, les collectivités résidentielles - qui regroupent les cadres, les employés et certains indépendants - ont le niveau économique le plus élevé de la ville, suivis des collectivités planifiées - qui rassemblent d'autres indépendants, les ouvriers qualifiés et les petits employés - et enfin, des quartiers d'autoconstruction - qui regroupent les ouvriers non qualifiés et les chômeurs.

Concernant les revenus, plus de 2/3 des chefs de ménage étaient des salariés ; leurs salaires constituaient 57% des revenus déclarés pour l’ensemble de l’échantillon. En plus, près de 10% des personnes enquêtées autres que les chefs de ménages étaient aussi des salariés et, de ce fait, ramenaient un revenu régulier dans les ménages. Ce qui rehaussait le salaire à

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environ 63% des revenus ménagers. Les transferts ou cadeaux reçus constituaient 5,7% des revenus et l'autoconsommation, 2,9%. Le reste des revenus provenait des activités indépendantes exercées par certains hommes de métier après leur journée de travail, le dimanche et les jours fériés, dans le domaine du bâtiment et de l'automobile notamment. De même, l'apport de la femme par le champ et le commerce n'est pas à négliger.

En tout état de cause, si l'on doit tenter une comparaison des budgets ménagers du Congo au milieu des années 1970, on peut dire que les dépenses mensuelles par ménages étaient de :

- 32,83 Z pour 5,9 personnes par ménage à Kinshasa; - 28,69 Z pour 6,6 personnes par ménage à Kisangani; - 41,82 Z pour 6,5 personnes par ménage à Lubumbashi.

Est-ce que cela signifie que Lubumbashi avait un niveau plus élevé que les deux autres

villes ? Pour répondre à cette question, il faut d'abord savoir que Lubumbashi dépensait moins pour la nourriture et plus pour l'habillement que les deux autres pôles de développement. Or, la loi d'Engel dit que "plus le niveau économique d'un ménage s'élève, moins il dépense pour la nourriture et plus il consacre aux divers" (Houyoux et Lecoanet 1975:40). De plus, l'analyse nutritionnelle menée dans le cadre des mêmes enquêtes à Lubumbashi montre que l'alimentation est plus riche à Lubumbashi qu'ailleurs, du fait d’une forte consommation de protéines animales." Et nos deux auteurs de préciser : "le plat de consistance à Lubumbashi est surtout à base de maïs. On y consomme relativement peu de riz et beaucoup moins de pain qu'à Kinshasa. Par contre les quantités de poisson et de viande accompagnant ce plat de résistance sont sensiblement les mêmes qu'à Kinshasa et nettement supérieurs à celles de Kisangani. Dans l'ensemble, le bol alimentaire de Lubumbashi paraît moins copieux mais supérieur en qualité" (Houyoux et Lecoanet 1975:58).

Lubumbashi connaissait donc un niveau de vie plus élevé que les deux autres villes. Par ailleurs, contrairement à Kinshasa et à Kisangani, les indépendants avaient à Lubumbashi un niveau économique supérieur à celui des employés. Le niveau économique des ouvriers non qualifiés y était, comme dans les deux autres villes, proches de celui des chômeurs.

Dix ans après, en 1985, l'Institut national de la statistique étendait le champ d'étude des budgets ménagers en y incluant, outre les trois grandes villes du pays, l'agglomération de Bandundu, dans le but, entre autres, d'élaborer des comptes nationaux et de planifier le développement. A l'époque, les différents gouvernements dirigés par Kengo Wa Dondo cherchaient à rétablir les équilibres macro-économiques fondamentaux exigés par le Fonds monétaire international et la Banque mondiale, afin d'amorcer la processus de relèvement de l'économie zaïroise.

D'après l'Institut national de la statistique, la consommation moyenne d'un ménage moyen de 7 personnes à Lubumbashi était de 5915 zaïres par mois (pour 1USD=50,13 zaïres) soit l’équivalent de 118 USD. Dans ces dépenses de consommation, 62% allaient à l'alimentation ; 16% aux divers ; 12% au logement et 10% à l'habillement. Pour ce qui est de l'alimentation, 32% étaient affectés aux céréales, 20% à l'achat de poisson, 11% à l'achat des légumes ; les autres postes, y compris la viande, ne dépassaient pas 10% chacun.

Comme Houyoux et Lecoanet, l'INS inséra dans le logement les dépenses d'investissement (logement en capital et en équipement). Mais la réalité sur le terrain nous a poussés à ranger ces rubriques dans les dépenses extraordinaires : ce n'est pas chaque mois, dans une conjoncture aussi mauvaise, que l'on construit et s'équipe. Il ne reste plus alors, pour le poste de logement, que le loyer proprement dit, l'eau et l'électricité qui prennent le tiers du poste logement tel qu'établi initialement par l'INS ; les 2/3 restant devraient être imputés au poste des dépenses extraordinaires. Dans les divers, les dépenses d'instruction viennent en tête,

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suivies de celles associées aux autres biens, aux transports et communications, aux loisirs et divertissements, et enfin, aux soins médicaux.

A présent, quand on examine la consommation moyenne mensuelle par personne selon le niveau socio-économique des ménages, on remarque que plus du tiers des 443 ménages de l’échantillon (36%) ont une consommation moyenne par individu comprise entre 500 et 1000 Z ; et que par ailleurs dans 81% des ménages de l’échantillon, les dépenses moyennes par individu sont inférieures 1500 Z. Bien entendu, on remarque que les cadres, et, dans une moindre mesure les employés et les indépendants, dépassent plus souvent que les autres catégories le seuil de 1500 Z de consommation/mois/personne . Si nous tentions une comparaison avec les autres villes du pays à la même époque (1985), force est de constater que l'alimentation occupait, dans toutes les villes, une place de choix dans une proportion variant entre 61% (Kisangani et Lubumbashi) et 74% (Bandundu). L'habillement reste très faible dans toutes les villes, avec moins de 10%, et les divers se situent entre 6,4% pour Lubumbashi et 12,9% pour Kinshasa. A ce niveau d'analyse et en référence à la même loi de Engel, on pourrait déduire que le niveau de vie à Lubumbashi a beaucoup baissé tandis qu'il s'est élevé quelque peu à Kinshasa. Cette déduction est corroborée par la comparaison de la consommation alimentaire, de logement, d'habillement et des divers entre 1973 et 1985. En effet, par rapport à 1973, la consommation de poisson qui était de 24% de l'alimentation est tombée à 20% en 1985, au profit des céréales qui sont passés ainsi de 20% à 32%. Quant à la viande, elle prend le chemin de la disparition en passant de 18 à 9%. Le logement coûte de plus en plus cher, en passant de 24% à 33% du budget selon l'INS, sous réserve de la remarque que nous avons formulée à propos de cette rubrique. Le poste de l'habillement a beaucoup baissé chez l'homme et l'enfant pendant qu'il a connu une augmentation sensible chez la femme. Enfin dans les dépenses diverses, les dépenses pour l'instruction ont gagné au détriment des transports et communications. Comment expliquer cette baisse générale du niveau de vie à Lubumbashi ? D'une manière générale, on ne peut pas dissocier la vie économique de cette ville de celle de tout le pays, lui-même victime de l'inadéquation de sa structure économique aux besoins réels de sa population. D'autres causes telles qu'une mauvaise répartition du revenu national ont entraîné le développement du secteur informel, privant par là même le pays des ressources dont il a besoin pour son développement. Entre 1973 et 1985, il y a eu les mesures de zaïrianisation et de radicalisation - sorte de nationalisation irréfléchie de l'économie nationale - consécutives au boom du cuivre et du cobalt qui ont enivré les barons de la deuxième république au point de les engager dans des programmes d'investissement improductifs (N'sele, quartier de l'OUA à Kinshasa, stade Kamanyola, Gbadolite, etc.) en négligeant l'agriculture et l'élevage, au point qu'on devait importer les produits alimentaires. Par ailleurs, l'année 1979 connut une démonétisation tellement mal organisée qu’elle aboutit à arracher au commun des mortels le peu qu’ils détenaient encore, sans compensation en retour. Et comme si cela ne suffisait pas, des ponctions désordonnées de la part des pouvoirs publics sur les recettes de la Gécamines ont mis en difficulté la principale pourvoyeuse d’emploi, et donc de ressources financières de Lubumbashi. Sans épuiser toute la liste des causes qui expliquent la baisse générale du niveau de vie à Lubumbashi, nous sommes convaincus que celles présentées ici permettent d'expliquer largement la baisse du niveau de vie signalée entre 1973 et 1985 dans les enquêtes statistiques citées. Mais depuis, le vent de la perestroïka a soufflé sur l'Afrique, forçant les régimes dictatoriaux à s'engager vers la démocratie, le pluralisme politique, syndical, etc. Cela entraîna des remous sociaux, politiques et économiques. Le 24 avril 1990 fut l'année officielle du début de la démocratisation au Congo avec comme corollaire le pluralisme politique et syndical qui débouchera sur des revendications sociales de toutes sortes. La même année, la mine de

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Kamoto, à Kolwezi, qui fournissait les trois quarts de la production GCM, s'effondra et compromit ainsi la croissance économique du pays.

De 1991 à 1993, le pays connut les pillages qui déchirèrent le tissu économique du pays. Le Quartier industriel de Lubumbashi ne présentait plus qu'une image de désolation totale. De 1990 à 1996, la longue transition politique qui n'en finissait pas amena les investisseurs de tous horizons à suspendre leur collaboration avec le pays, en attendant l'établissement d'un régime définitif et fiable. De 1996 à 1997, la guerre de libération qui conduisit Laurent Désiré Kabila au pouvoir mit en déroute les FAZ et les milices interhamwe, qui détruisirent tout sur leur passage. Et de 1998 à ce jour, une guerre d'agression met aux prises le Congo avec ses trois voisins de l'est, arrêtant ainsi tout le processus de reconstruction amorcé depuis 1997.

Tout ceci eut des conséquences fâcheuses sur le PIB et sur le revenu per capita. En effet,

« l'indicateur le plus fréquent pour évaluer le niveau de vie et donc la richesse ou la

pauvreté d'une population est le produit intérieur brut (PIB) par habitant. Celui-ci

équivaut statistiquement à la valeur de ce qui est produit par habitant dans le pays. Et si

l'on y ajoutait le solde des revenus des facteurs de production transférés par l'étranger

ou à l'étranger, on obtiendrait le produit national brut.

En 1995, le produit intérieur brut pour le Congo était de 120 $US par habitant, selon le

rapport de la Banque Mondiale, alors qu'il était de 501 $US en moyenne pour les pays

africains situés au sud du Sahara. Même des pays comme le Tchad (180), le Rwanda

(180) et le Burundi (160) avaient un PIB plus élevé malgré le génocide de 1994.

Par ailleurs, il faut savoir aussi que le revenu per capita (un des indicateurs de la

richesse et de la pauvreté pris en compte aussi par les Nations unies) est très bas au

Congo : 116$ en 1998 contre 430 en 1980 et 90 en 1960. Cependant, à prix constant, le

revenu moyen des congolais est trois fois moindre qu'en 1960» (Kakoma 1998:27-28).

Au regard de ce qui précède, on est en droit de se poser la question de savoir comment le Congolais de Lubumbashi arrive aujourd'hui à nouer les deux bouts du mois.

6.2. Questions méthodologiques

La tentation pour imiter le schéma suivi par Houyoux et Lecoanet est grande. Mais un rapide survol de la situation économique de Lubumbashi nous dissuade à penser que cette ville est restée la même après 25 ans. Par exemple, si l'achat des vêtements se faisait presque chaque mois en ce temps là, ces dépenses sont devenues aujourd'hui extraordinaires et relèvent du caractère fortuit. Nous modifierons donc le schéma des deux auteurs selon les réalités de terrain.

Nous avons cherché à échafauder un protocole d'enquête sur un modèle qualitatif qui nous a conduits tout doucement vers une approche assez semblable à celle de Nguyen Van Chien (1977 : 23-35). Celui-ci classe les besoins humains en trois catégories : les besoins primaires ou fondamentaux, nécessaires à toute existence (manger, boire, dormir, se vêtir, se loger etc.) ; les besoins secondaires, constitués par les besoins spirituels, psychologiques et sociaux (vivre en famille, l'amour, la religion, la sociabilité, les loisirs, etc.) ; les besoins tertiaires ou besoins de confort, qui ne sont pas nécessaires à l'existence ou à l'équilibre social de l'individu, mais qui sont des besoins quand même (par exemple, pour aller de la ville au campus universitaire, une voiturette Toyota Starlet suffirait mais d’autres préféreront une Mercedes).

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A partir de cette réflexion, on pourrait dire que la pauvreté est caractérisée par la non-satisfaction des besoins primaires, les besoins secondaires et tertiaires n'entreraient même pas en compétition avec eux ; et la richesse supposerait satisfaites les deux premières sortes de besoin, les troisièmes constituant le projet permanent des riches. On pourrait même pousser plus loin l'analyse en débouchant sur une catégorisation en classes sociales : la classe défavorisée serait empêtrée dans la recherche de solutions aux besoins primaires pendant que la classe aisée en serait aux problèmes des besoins tertiaires, la classe intermédiaire se situant entre les deux. Mais ce serait peut-être trop oser que d'ouvrir ici une discussion sur les classes sociales à Lubumbashi quoi que Kabamba Mbikay l'aie fait (1978:47-69). Pour l’heure, nous utiliserons la tripartition en niveaux de richesse supérieur, moyen et inférieur sur base de l'indice présenté dans le chapitre méthodologique de ce volume.

Le protocole d'enquête prend en compte d'abord les dépenses ordinaires mensuelles, celles auxquelles se livre chacun des ménages enquêtés. Les dépenses extraordinaires viennent en deuxième position : quand un ménage a résolu ses problèmes quotidiens, il peut alors planifier des dépenses qui sortent des préoccupations essentiellement existentielles. Nous avons cherché, en troisième lieu, à découvrir les revenus ordinaires qui permettent de financer les dépenses ordinaires et enfin seulement les revenus extraordinaires comme les cadeaux, les prêts qui permettent à leur tour de procéder à des dépenses extraordinaires telles que les investissements.

Notre analyse commence aussi par les dépenses des ménages. Comme le suggèrent Houyoux et Lecoanet, ce sont les dépenses qui permettent de situer exactement le niveau de vie des gens, et non les revenus. Un harpagon, par exemple, qui aurait des revenus élevés mais n'oserait les dépenser pour mener une vie décente a un niveau de vie de pauvreté. Une autre bonne raison pour commencer l'analyse par les dépenses est que les gens ne déclarent pas facilement leurs revenus, soit par décence, soit par pudeur, soit même par gêne : certains revenus peuvent provenir des sources illicites, comme lorsqu'on vole régulièrement du carburant au service pour le revendre. L'oubli est un autre facteur qui peut biaiser les réponses fournies. Tout ceci fait que bien souvent, les dépenses dépassent les revenus déclarés, sauf peut-être pour les salariés.

Comme les questions relatives aux revenus ménagers touchent à ces domaines d'intimité familiale qu'il est gênant d'exposer en public, il sera parfois difficile d'obtenir des réponses sincères. Pour contourner cette difficulté, nous avons dû prévoir, à côté de la colonne des dépenses, une autre qui précise la source de financement. De cette manière, dans un élan de spontanéité, les enquêtés répondaient plus ou moins sincèrement à la question. Mais quand il s'est agi, au troisième volet du protocole d'enquête, de livrer ouvertement les revenus ménagers, les enquêtés ont été plus circonspects, oubliant qu'ils venaient de donner ce qu'ils veulent par la suite cacher.

Au bout du compte, le protocole que nous avons soumis à nos enquêtés se présente comme en annexe. Il portait sur les dépenses du mois écoulé pour ce qui est des dépenses ordinaires, et sur une période allant de 2 à 12 mois pour ce qui est dépenses extraordinaires. Son application n'a pas toujours été facile, de par la difficile équation de l'observateur et du sujet observé. Passons en revue les 7 principales difficultés qui sont apparues:

1. N'étant pas habitués à élaborer formellement un budget ménager, il fut difficile pour certains informateurs de se souvenir du moment où ils ont effectué telle ou telle dépense.

2. Certains postes budgétaires faisant l'objet d'un don ou d'un legs étaient difficiles à chiffrer : par exemple, le fait d'habiter la maison offerte par les parents résorbe les frais de loyer, mais ce gain est difficile à estimer.

3. L'enquête menée en septembre, période de vacances à l'université, n'a pas fait apparaître facilement les dépenses liées aux études universitaires des enfants adultes.

4. De très nombreux rendez-vous furent manqués soit parce qu'un ménage était toujours au champ et donc absent de la maison, soit encore parce que les enquêtés voulaient esquiver ce

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genre de sondage pour des raisons que nous avons explicitées plus haut. Dans le même ordre d'idées, certaines ménagères ont été prises à partie par leur belle-famille pour avoir livré des informations aux étrangers que nous étions. Parfois même, certains détails du budget exigeaient la présence de la femme qui, pourtant, n'était pas toujours, paradoxalement, admise à la conversation.

5. L'environnement économique dans lequel nous avons travaillé n'était pas propice à une telle enquête du fait de l'inflation monétaire. Sur moins de deux mois, le dollar américain qui s'échangeait à 65 FC au mois d'août en est arrivé à 80 FC en mi-septembre sur le marché parallèle. Nous avons donc été amenés à dater nos passages auprès des enquêtés pour avoir les prix réels de leurs dépenses. Parfois même, nous étions obligés de nous contenter des quantités consommées pour estimer, par déduction, les valeurs monétaires y afférentes, ayant préalablement connu le lieu de ravitaillement qui pouvait entraîner une différence de prix d'un endroit à un autre.

6. Un ménage s'est séparé en cours d'enquête, alors que nous avions besoin d'informations complémentaires auprès de chacun des conjoints. Nous avons donc dû nous contenter, pour ce ménage là, de renseignements incomplets.

7. Il est apparu parfois des incohérences entre d’une part, les données se trouvant sur les fiches descriptives et démographiques, et, d’autre part, celles recueillies grâce au protocole des budgets ménagers.

S'agissant à présent de l'analyse, nous avons tout d'abord harmonisé nos chiffres en

prenant un taux moyen du dollar à 80 FC, d'application entre le 1er et le 15 septembre 2000 où se déroulait le gros de l'enquête sur le terrain. Nous avons alors dégagé les tendances les plus générales puis les écarts à ces tendances pour ensuite rechercher les corrélations entre variables. Nous nous sommes à cet effet servi de l'indice de richesse (et, par absurde, de pauvreté) qui a été présenté dans l'introduction méthodologique de ce volume. Nous avons aussi essayé de relire ces mêmes résultats à travers l'espace tant il est vrai que la localisation dans l'espace est socialement significative à Lubumbashi. Nous avons en outre confronté nos résultats à ceux de Houyoux et de l'INS pour essayer de comprendre l'évolution des budgets ménagers à travers le temps et l'espace.

Enfin, nous avons essayé d'interpréter ces résultats sur base d'un modèle explicatif de type structuraliste, tant il est vrai que l'économie informelle est devenue un élément incontournable, structural, des économies sous-développées.

6.3. Les dépenses ordinaires

Les dépenses ordinaires pour l'ensemble de l'échantillon s'élèvent à 853724 FC, ventilés entre différents postes comme indiqué dans le tableau suivant (rappelons que 1 USD =80 FC) : Dépenses totales pour

l’échantillon Dépenses moyennes par

ménage Idem, en pourcents

1. ALIMENTATION 441367 FC 5254 FC 52% 2. LOGEMENT 115600 FC 1376FC 14% 3. INSTRUCTION 113855 FC 1356 FC 13% 4. COMMUNICATION 66510 FC 791 FC 8% 5. SANTE 53929 FC 642 FC 6% 6. LOISIRS 52500 FC 625 FC 6% 7. ACTIVITE RELIGIEUSE 9957 FC 118 FC 1% TOTAL 853718 FC 10160 FC 100%

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Les dépenses ordinaires s'élèvent à 10160 FC par mois et par ménage. Elles couvrent les postes suivant : l'alimentation, le logement, la santé, les communications, l'instruction, etc. De toutes ces dépenses comme le présente le tableau ci-dessus, celles liées à l'alimentation sont les plus élevées et constituent 52% de l'ensemble de dépenses ordinaires. Viennent ensuite en ordre décroissant celles dues au logement (14%), à l'instruction (13%),à la communication (8%), à la santé (6%) et aux loisirs (6%). Quant à la rubrique activité religieuse : 1% seulement. 6.3.1. L'alimentation

Les dépenses ordinaires liées à l'alimentation absorbent donc la grande part (52%) du budget de la consommation courante. Le tableau ci-dessous nous donne les détails de ces dépenses.

Elles s'élèvent à 5254 FC par mois et par ménage. La farine de maïs compte à elle seule pour 22 % de toutes les dépenses alimentaires (1088 FC). Les autres féculents (manioc, pomme de terre) et céréales (blé, riz) ne représentent que 10 % des dépenses d'alimentation. L’ensemble qui constitue l’aliment de base représente donc 32% de l’alimentation.

Cet aliment de base est généralement accompagné soit de légumes, soit de mets d’origine animale, le tout saucé et pimenté. C’est ainsi que le poisson, sous toutes ses formes (salé, fumé, frais, fretins) vient en deuxième position dans le budget avec 21%. Ce qui semble être un progrès par rapport à 1985. Il ne s’agit pas en réalité des excellentes espèces locales (tilapia ou silure) dont la production a fort baissé, mais bien du chinchard surgelé - appelé Thomson - et importé principalement d'Afrique du Sud, et dont la consommation est aujourd’hui généralisée du fait de sa manipulation facile et de son prix très bas .

Les feuilles de manioc et autres légumes viennent en troisième position avec 15%, puis viennent le pain, le sucre et le lait, lesquels représentent environ 15%. La viande ne représente que 9% ; l’huile, 5% ; la farine de froment, 2% ; et le reste (arachides, etc.), 2%.

Catégorie d'aliments Proportion dans la part du budget alimentaire Farine de maïs Féculents et céréales

22% 10%

Poissons (salé, fumé, frais, fretin) 21% Feuilles de manioc et autres légumes 15% Viande 9% Pain 7%

Huile (de table et de palme) 5% Sucre 4% Lait 3% Farine de froment 2% Autres (arachides, etc.) 2% Total 100%

En ce qui concerne le nombre des ménages qui consomment ces différents articles au sein de notre échantillon, la lite suivante les reprend par ordre décroissant: farine de maïs (100% des ménages); feuilles de manioc (95% de ménages); tomate (90% de ménages);

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poisson salé (90% des ménages); haricot (87% de ménages); poisson frais (82% des ménages); fretins (80% des ménages); sucre (77% des ménages); le lait (42% des ménages); la farine de manioc (36% des ménages); la pomme de terre (17% des ménages); la farine de froment (14% des ménages); etc.

Comme on peut le constater, l'alimentation de la population est essentiellement le bukari, généralement accompagné de poisson et/ou de légumes. Dans les ménages de grande taille, la farine de maïs absorbe à peu près trois fois la moyenne de 1088 FC (le ménage 29, par exemple, lui consacre 3150 FC pour ses 13 membres; par contre, chez les ménages de petite taille, la dépense est de loin inférieure à la moyenne: 203 FC. Il faut relever ici que si les dépenses consacrés aux légumes ne viennent qu’en 3e position après celles destinées au poisson, les quantités effectivement consommées sont en fait 3 à 5 fois plus importantes que celles des aliments d’origine animale. En définitive, le repas quotidien du Lushois moyen est constitué du bukari, de légumes et d’un peu de poisson sous l’une ou l’autre forme. Par ailleurs, si nous avons regroupé féculents et céréales sous une même rubrique, c’est parce qu’ils constituent avec la farine de maïs le plat de consistance qui se fait accompagner soit de légumes, soit de poisson, soit des deux à la fois. 6.3.2. Le logement Dépenses moyennes par

ménage Dépenses totales pour

l’échantillon Idem, en pourcents

Loyer 652 FC 54744 FC 47% Combustible non électrique 276 FC 23235 FC 20% Entretien maison 169 FC 14219 FC 12% Eclairage non électrique 135 FC 11310 FC 10% Facture eau 74 FC 6233 FC 6% Facture électricité 70 FC 5859 FC 5% Total 1376 FC 115600 FC 100%

Rappelons que sous cette rubrique, nous ne prenons pas en ligne de compte, comme l’avaient pourtant fait Houyoux, Lecoanet et l’INS, les dépenses en capital et en équipement que nous renvoyons aux dépenses extraordinaires pour des raisons que nous avons explicitées plus haut. De plus, la présence d’un enquêté qui paie à lui seul presque la moitié (sic!) de la somme globale destinée au loyer hausse sensiblement cette rubrique qui aurait pu se trouver ailleurs en ordre d’importance. En effet, si cet individu n’était dans l’échantillon, les autres enquêtés n’auraient en moyenne à payer que la moitié de loyer actuel.

Ceci étant, avec 14% des dépenses ordinaires, le logement vient en deuxième position après l'alimentation. Le loyer absorbe 47% des dépenses dues au logement. Puis viennent le combustible non électrique (charbon de bois, pétrole, bougies) avec 20% (276 FC), et l'entretien de la maison avec 12% (169 FC). Les factures d'électricité et d 'eau ne représentent chacune qu'environ 5% des dépenses de logement. Les détails en ce qui concerne ce poste ont été analysés dans le chapitre consacré à l’habitat.

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6.3.3. L’instruction Dépenses totales

pour l’échantillon Dépenses moyennes par

ménage Idem,

en pourcents Frais scolaires 82658 FC 984 FC 73% Documents scolaires 29557 FC 352 FC 26% Répétiteurs 1640 FC 20 FC 1% Total 113855 FC 1356 FC 100%

L’instruction occupe la troisième position au sein du budget des dépenses ordinaires,

où elles représentent 13% de l’ensemble. En fait de frais d’instruction, on se tromperait en croyant qu’il s’agit de dépenses consenties par les ménages pour offrir un encadrement pédagogique de qualité à leurs enfants. Il s’agit essentiellement d’une espèce d’aide sociale octroyée par la générosité populaire au personnel qui travaille dans l’enseignement et dont les salaires sont ridiculement bas. Cette aide a même trouvé une dénomination officielle qui voile son caractère humiliant: on parle de "frais d’intervention ponctuelle" (FIP), alors que ces frais sont réguliers et institutionnalisés; ils n’ont de ponctuel que l’adjectif. Les documents scolaires qui constituent le second poste de la rubrique sont souvent de seconde main. Quant aux primes de répétiteurs, seuls quelques ménages aisés les paient à des précepteurs qui viennent assurer un enseignement individualisé à domicile, ou en petits groupes dans certaines écoles, pour des enfants qui en ont besoin. 6.3.4. La santé Dépenses totales pour

l’échantillon Dépenses moy. par

ménage Idem, en pourcents

Cosmétiques et produits de beauté féminins 20433FC 243 FC 38% Soins médicaux 18106FC 216 FC 34% Produits pharmaceutiques 15390FC 183 FC 28% Total 539329FC 642 FC 100%

Seulement 38% de ménages enquêtés déclarent consacrer une part de leur budget mensuel au secteur de la santé. Néanmoins, les dépenses moyennes de santé atteignent 6% de l'ensemble de dépenses ordinaires (642 FC), répartis assez équitablement entre les 3 postes renseignés supra.

Rappelons par ailleurs que tous les paramètres montrent que la situation sanitaire du Congo s’est dégradée ces dernières années. "Pour tout dire, la couverture sanitaire est

insuffisante, en dessous de la moyenne des pays les moins avancés où nous avons 54% de la

population ayant accès à l’eau salubre (contre 42% au Congo), 48% de la population ont

accès à un assainissement sûr (contre 18% au Congo), 48% des femmes vaccinées (contre 33%

au Congo), 64% d’enfants vaccinés (contre 46% au Congo)" (Kakoma 1998:31). Même si les citadins connaissent un bien meilleur sort que les ruraux, la situation dans son ensemble reste préoccupante.

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6.3.5. Les loisirs Dépenses totales pour

l’échantillon Dépenses moyennes par

ménage Idem, en pourcents

Bière ou lutuku 44015 FC 524 FC 84% Sport public 2345 FC 28 FC 4% Pêche récréative 400 FC 5 FC 1% Boissons gazeuses 1500 FC 18 FC 3% Cigarette 1640 FC 20 FC 3% Voyages 1380 FC 16 FC 3% Achats de documents, etc. 1220 FC 15 FC 2% TOTAL 52500 FC 625 FC 100%

La bière ou l'alcool en général absorbe 84% de l'ensemble de dépenses dues aux loisirs!

Que signifie ce chiffre de 524 FC de dépenses mensuelles ? Si nous le divisons par 7 membres de chaque ménage, nous obtenons 74,5 FC par mois et par personne, soit deux bouteilles de bière par personne et par mois. Mais, étant donné que les enfants sont censés ne pas boire d’alcool, cette consommation serait réservée aux adultes et donc à au moins 2 personnes par

ménage, soit 262 FC par personne et par mois, soit 7-8 bouteilles de bière par personne et par mois. En comparant avec les résultats de 1973 de Houyoux et Lecoanet (voir supra), on en déduirait que les Lushois consomment moins d’alcool aujourd’hui qu’auparavant. Trois facteurs pourraient expliquer ce phénomène: la cherté de la vie, le regain d’intérêt pour les boissons traditionnelles et l’émergence de multiples sectes religieuses. La cherté de la vie a déjà été évoquée dans la détérioration progressive du tissu économique qui a caractérisé la vie nationale de 1975 à aujourd’hui.

Le regain d’intérêt pour l’alcool traditionnel a été évoqué par Kalaba (1985:46) qui l’attribue à des raisons économiques (l’alcool traditionnel coûte moins cher et enivre plus vite que la bière industrielle), et à des raisons culturelles: phénomène de dénivellement à savoir le fait de revaloriser un trait culturel jadis dévalorisé, en l’occurrence ici l’alcool traditionnel. Le grand succès des Eglises protestantes, qui interdisent la consommation de toute forme d’alcool, est aussi un des éléments contribuant à la décroissance du budget lui consacré. 6.3.6. L'activité religieuse

La prolifération des sectes religieuses interdisant la consommation d’alcool est aussi évoquée dans une étude de Musasa (1994:305). Celui-ci dénombre environ 150 sectes religieuses à Lubumbashi en 1989 dont 18 proviennent de l’Eglise catholique romaine, 81 de l’Eglise protestante, 25 du Kimbanguisme et 24 d’origine indépendante. Musasa reconnaît lui-même que ce chiffre est sous-estimé étant donné la réticence de ses enquêtés qui le prenaient pour un mandataire des pouvoirs publics dans leur lutte pour la fermeture des sectes religieuses dépourvues de personnalité juridique. Les sectes religieuses, en définitive, paraissent comme de nouveaux cadres de stabilité et de protection sociale (Anyenyola 1984:8 et Bwakasa 1988:250). La religion est à la fois refuge devant la misère et prise en charge par les communautés de base.

Ceci dit, l’activité religieuse est, de toutes, la plus faiblement financée, même si elle est généralisée à l'ensemble des ménages enquêtés (60 ménages sur 84). La prise en charge de l’activité religieuse par les fidèles eux-mêmes et par les communautés ecclésiales vivantes – comme on les appelle chez les catholiques –, est une obligation assez récente chez les Lushois. Elle est consécutive à la célébration du centenaire de l’évangélisation et marque un renversement de la situation par rapport aux Eglises d’hier qui étaient soutenues par leurs métropoles. Elle constitue aujourd’hui une obligation des fidèles,

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dans un environnement de crise où les gens n’ont pas beaucoup de possibilités : c’est pourquoi l’activité religieuse est à la fois généralisée et faiblement financée.

6.3.7. Les communications Dépenses totales pour

l'échantillon Dépenses moyennes par

ménage Idem, en pourcents

Transport et carburant 59751 FC 711 FC 90% Téléphone, télécel, etc. 2625 FC 31 FC 4% Poste, DHL, etc. - - - Abonnement TV et antenne parabolique 4050 FC 48 FC 6% Abonnement aux revues et journaux 84 FC 1 FC 0% TOTAL 66510 FC 791 FC 100%

Parler de la communication revient à parler d’abord du transport et carburant. Avec une

dépense mensuelle moyenne de 711 FC, le transport et le carburant constituent 90% des dépenses de communication. Mais parler de la communication, c’est aussi évoquer des services plus sophistiqués tels que le téléphone, le télécel, la poste, les médias, les revues et journaux, l’antenne parabolique, la radio etc. Nous référant encore une fois à l’étude menée sous la direction de J.-B. Kakoma, nous pouvons relever que :

« en matière d’information et de communication en général, 98 congolais sur 1000

disposaient en 1994 d’un poste de radio contre 147 en Afrique au Sud du Sahara et 2 pour

1000 avaient un poste de T.V. contre 26 dans la même aire géographique ; ce qui est même

trop bas par rapport aux pays les moins avancés (…).

La couverture médiatique à son tour est faible, les émissions radio-phoniques de la

RTNC Lubumbashi en fréquence modulée ne dépassent pas 100 km de rayon (heureusement

que l’installation récente d’un émetteur à onde courte balaye actuellement une large

superficie couvrant en tout cas tout le territoire national). Likasi, à 120 km de Lubumbashi ne

capte pas la télévision émettant dans cette dernière ville. (…)

Concernant le monde de l’impression au Katanga, on peut noter quelques journaux

d’entreprises (GCM et SNCC) paraissant avec beaucoup de difficultés et limités au monde du

travail. Les journaux locaux privés sont d’une irrégularité telle qu’on ne sait pas s’il faut les

appeler hebdomadaires, bimensuels, mensuels, trimestriels ou à parution fortuite. Les

journaux en provenance de Kinshasa sont vendus en photocopies illisibles, seuls frappent les

grands titres comme on le fait dans le journalisme à sensation. Les revues scientifiques des

instituts d’enseignement, outre qu’elles s’adressent à un public réduit, paraissent en un

nombre encore plus réduit que celui des lecteurs potentiels. Seuls les imprimés confessionnaux,

une dizaine au total, s’adressent à un public larg,e catholique principalement, et protestant

secondairement. On aurait pu aussi parler du théâtre, du cinéma, des films vidéo, mais qui n’a

su se limiter ne sut jamais écrire » (1998:37-38).

Au terme de l’analyse des 7 rubriques liées aux dépenses ordinaires, peut-on tenter une comparaison avec les données évoquées dans les études précédentes ? Nous ne le pensons pas, car certains postes des budgets de 1973 et 1975 sont passés des dépenses ordinaires aux dépenses extraordinaires, comme c’est le cas de certaines composantes du loyer ou même des dépenses de transfert. De plus, certaines dépenses, ordinaires aujourd’hui, n’existaient pratiquement pas dans les budget ménagers de 1973, mais ont fait entre-temps leur apparition. Pour comparer deux éléments, il faut qu’ils présentent une certaine homogénéité : on ne peut comparer que ce qui est comparable. C’est pourquoi nous renvoyons cette préoccupation à la fin de nos analyses, quand nous aurons toutes les composantes des budgets ménagers de Lubumbashi en l’an 2000.

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6.3.8. Etude des dépenses ordinaires selon l’indice de richesse

Nous avons déjà évoqué plus haut cette notion d’indice de richesse basée sur la possession ou non de certains biens et sur le volume global des dépenses ordinaires. Cet indice est largement corrélé à l’appartenance aux différents quartiers résidentiels, au niveau d’instruction, à l’occupation du chef de ménage, etc. Il distingue les 17 ménages les plus riches, les 17 ménages les plus pauvres et les 50 ménages intermédiaires de notre échantillon. Réexaminons les différentes dépenses à la lueur de cet indice de richesse. Poste de dépenses ordinaires

Echantillon global (n=84)

Niv. de vie sup. (n=17)

Niv. de vie moy. (n=50)

Niv. de vie inf. (n=17)

Alimentation 52% 44% 59% 65% Logement 14% 16% 10% 13% Santé 6% 5% 7% 8% Communication 8% 12% 4% 3% Instruction 13% 15% 12% 6% Religion 1% 1% 2% 2% Loisirs 6% 7% 6% 4%

Le croisement avec l’indice de richesse montre que ce sont les ménages les plus

pauvres qui dépensent proportionnellement le plus de leurs avoirs pour l’alimentation : 65% de leurs dépenses ordinaires y passent ; les plus pauvres dépensent aussi proportionnellement plus que les autres pour leur santé (8%) et pour les activités religieuses où ils sont en égalité avec les moyens. Par contre, les plus riches dépensent proportionnellement davantage pour leur logement, pour l’instruction de leurs enfants (ils consacrent à ce poste plus du double de ce que dépensent les plus pauvres), pour les communications et pour les loisirs.

Si les pauvres dépensent tant pour leur alimentation, c’est pour arriver tout juste à consommer leur bukari de maïs avec des légumes où l’on arrive à découvrir à peine, si on a de la chance, une tête de fretin ou de poisson salé. Le pain est réservé à consoler les petits enfants. La viande, les pommes de terre, l’huile de table sont pratiquement inexistantes dans leur alimentation. En ce qui concerne la santé, la moitié des dépenses couvertes par cette rubrique va au paiement des soins médicaux (50%), et non aux produits pharmaceutiques (35%), encore moins aux cosmétiques et produits de beauté féminins (15%). C’est donc l’acte thérapeutique - si l’on peut se permettre cet euphémisme ! - qui se montre le plus budgétivore par rapport aux autres postes.

Chez les plus riches, le logement (16% des dépenses ordinaires) vient directement en deuxième position après l’alimentation. N’oublions pas qu’il y a un foyer qui représente à lui seul la moitié des dépenses consacrées au loyer pour tout l’échantillon ! Quoi qu’il en soit, si le loyer prend tant d’importance chez les plus riches, c’est parce qu’ils habitent généralement dans des quartiers à haute valorisation foncière. Toujours à propos des frais liés au logement, on remarque que les ménages de niveau de vie inférieur dépensent plus que les ménages de niveaux supérieur et moyen pour le combustible non électrique. Le sac de charbon, le pétrole, le mazout ou la bougie pour l’éclairage de nuit sont souvent chez eux plus chers que la facture mensuelle d’électricité chez les ménages moyens et riches !

L’instruction des enfants vient en troisième position dans les ménages de niveau supérieur, avec 15% des dépenses mensuelles ordinaires. Comme dit plus haut, ces dépenses sont presque exclusivement destinées aux frais scolaires qui assurent la survie du personnel enseignant. Il est surprenant de constater que, toutes choses étant égales par ailleurs, les ménages riches, moyens et pauvres accordent beaucoup d’importance à l’instruction de leurs enfants : tous paraissent sensibles à la considération sociale liée à l’instruction, et tous semblent fonder leurs espoirs de promotion sociale sur le destin scolaire de leurs enfants.

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Enfin, les ménages les plus riches consacrent 7% de leurs dépenses aux loisirs. C’est chez eux seuls qu’apparaissent voyages d’agrément, lecture, sport individuel, pêche récréative ; ils peuvent aussi consommer régulièrement de la bière.

6.4. Les dépenses extraordinaires

Contrairement aux dépenses ordinaires, les dépenses extraordinaires interviennent de façon irrégulière. En effet nous avons cherché à savoir si, en dehors des dépenses ordinaires faites le mois écoulé, nos enquêtés n’avaient pas eu à réaliser des projets plus importants que la simple survie quotidienne. Nous avons ainsi appris que malgré tout, certaines dépenses extraordinaires avaient été réalisées dans un passé plus ou moins proche et qu’elles constituaient pour nos enquêtés le soucis de se réaliser. Seulement, chose étonnante, le volume global de ces dépenses extraordinaires dépasse même celui des dépenses ordinaires. Et quand on sait que le gros de celles-là concerne l’investissement et dans celui-ci l’acquisition d’un bien immobilier, on peut alors comprendre que ce souci d’être propriétaire est pratiquement une psychose chez le lushois. C’est le cas du ménage n°40 qui a pu, au cours des six derniers mois qui ont précédé l’enquête construire une maison et déménager ainsi de la commune de la Ruashi (quartier planifié) vers le Bel-air (quartier résidentiel). Cette prouesse qui a coûté une bagatelle de 3000 USD soit 240000 FC. Signalons que ce montant constitue à lui seul un peu moins de la moitié des dépenses inscrites sous cette catégorie pour l’ensemble de l’échantillon. Cette prouesse a pu être réalisée grâce à l’activité du chef de ménage ; chef de train à la société nationale des chemins de fer de son état, qui ramène régulièrement de ses voyages de service notamment vers Mbuji Mayi des "pots de vins" ainsi que d’autres recettes résultant de ses propres actions de débrouillardise. De même, la conjointe de ce chef de ménage voyage régulièrement et gratuitement sur le même parcours que son mari pour écouler de la fripe à Mbuji Mayi. C’est le cas également du ménage n° 55, à la limite des quartiers planifiés et d’extension, qui dépense de son salaire au moins 300 FC par mois voici maintenant une année, pour construire une maison et ne plus continuer à vivre dans la familiale qui l’abritait jusqu’au moment de nos enquêtes.

Ces dépenses extraordinaires s’élèvent pour l’ensemble de l’échantillon à 949279 FC répartis de la sorte : - investissement et équipement : 744029 FC, soit 78,4% - habillement : 144994 FC, soit 15,3% - obligations sociales : 60256 FC, soit 6,3%

6.4.1. Investissement/ équipement Dépenses totales pour

l’échantillon Dépenses moyennes

par ménage Idem, en pourcents

Equipement 94135 FC 1121 FC 13% Construction de logement 506343 FC 6027 FC 68% Capital vente 143551 FC 1709 FC 19% Total 744029 FC 8857 FC 100%

Cette rubrique totalise une dépense de 744029 FC soit 78% des dépenses

extraordinaires. Le montant global des dépenses en investissement est le fait de 57 ménages de notre échantillon (soit les deux tiers environ) qui réservent une part consistante de leurs revenus à l'investissement. Ces dépenses sont dues surtout à la construction de logements qui se taille la part du lion avec 68%.

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La construction de logement constitue le plus gros des dépenses de la rubrique avec 506343 FC. L'enquête a révélé que les Lushois sont très souvent propriétaires. Il y a une espèce de culture de la propriété immobilière qui fait que le Lushois rêve d’avoir un chez-soi propre. Le fait d’être locataire à vie est considéré dans la population comme un échec. Paradoxalement, c’est cependant chez les plus pauvres qu’on trouve le plus de propriétaires, ceci pour des raisons qui ont été évoquées dans le chapitre sur l’habitat. 18% des ménages sont occupés à construire; ce poste serait l’apanage des plus riches. Les dépenses effectuées dans la construction couvrent divers postes (ciment, sable, maçon, fabrique de briques cuites ou d’adobes, achat et transport des matériaux, du bois, etc.). Les chiffres n'ont pas été déclarés pour l’achat des terrains, souvent très onéreux (cf. le chapitre relatif à l’habitat) : les prix des terrains ne sont donc pas compris dans les dépenses ci-haut mentionnées. 31% de nos enquêtés ont ensemble consacré 94135 FC à l’achat d’équipements : TV, vidéo, salon "club", salle à manger, radio, des lits pour enfants, des pièces de réparation camionnette. S'agissant du capital vente, Lubumbashi n’est plus aujourd'hui une simple ville de salariés dont les femmes mèneraient une vie de foyer. Qu’il s’agisse de la débrouille simple ou de grosses affaires impliquant un commerce au-delà des frontières nationales, les gens cherchent à capitaliser, et 46% des ménages enquêtés ont déclaré placer une partie de leurs revenus en capital, pour un chiffre global de 143551 FC. Cette somme a été investie dans l'achat de sacs de froment, de sucre (pâtisserie artisanale, beignets), de poussins à élever, de marchandises achetées en Zambie, de tissus (ou de friperie) à confectionner ou à revendre en dehors de Lubumbashi, de sacs de charbon, de produits divers destinés à la vente au marché ou en kiosques.

6.4.2. L'habillement

Dépenses totales pour l'échantillon

Dépenses moyennes par ménage

Idem, en pourcents

Habillement hommes 25869 FC 297 FC 17% Habillement femmes 72288 FC 829 FC 50% Habillement garçons 22442 FC 257 FC 16% Habillement filles 20408 FC 234 FC 14%

Habillement autres résidents 3987 FC 45 FC 3% Total 144994 FC 1662 FC 100%

L'ensemble de la rubrique habillement présente la somme globale de 144994 FC,

dépensée par 69 ménages de notre échantillon (82%). Les femmes à elles seules absorberaient la moitié de ce montant. La femme dépense-t-elle donc plus fréquemment que les autres catégories de personnes ? Hormis le cas de certains ménages, les dépenses pour la femme sont pour beaucoup dues à la préparation de la maternité : trousseau, layettes de bébé, wax (ordinaires ou super) pour l'accouchée. Beaucoup de dépenses d’habillement n'ont pas été déclarées dans l'enquête.

En général, les dépenses d'habillement se rapportent à l'achat de tissu tergal à confectionner, de chemises, de wax, d’habits pour les enfants (tout spécialement à la rentrée scolaire) et de souliers de seconde main pour enfants au marché "Eureka". Les pantalons sont également achetés au marché (les friperies offrent des prix accessibles à une large catégorie de personnes). 6.4.3. Obligations sociales

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Par obligations sociales, on entend les interventions, en nature ou en espèces, que les gens effectuent à l’égard de tiers par devoir de solidarité civique. Elles sont constituées de transferts aux membres de la famille, de frais circonstanciels versés à l’occasion de joies comme de peines, de taxes et impôts en faveur de l’Etat, de cadeaux et de dons aux tiers.

Dépenses

totales pour l'échantillon

Dépenses moyennes par ménage

Idem, en pourcents

Transferts aux membres de la famille 28917 FC 344 FC 48% Frais circonstanciels 11916 FC 142 FC 20% Remboursements 10114 FC 121 FC 17% Taxes et impôts 3883 FC 46 FC 6% Cadeaux offerts 3711 FC 44 FC 6% Dons aux tiers 1715 FC 20 FC 3% Total 60256 FC 717 FC 100% Transferts aux membres de la famille

Les dépenses consacrées aux membres de famille occupent la première place avec 28917 FC, soit presque la moitié de la rubrique. Seuls 44% de ménages seulement mettent des fonds à la disposition de leurs familles respectives. Si Houyoux et Lecoanet avaient trouvé des difficultés à obtenir des renseignements précis sur cette rubrique, nous devons avouer qu’à notre niveau nous n’en avons pas trouvées. Les enquêtés n’ont pas hésité à nous livrer ces genres d’informations, les trouvant tout à fait naturelles. Frais circonstanciels

Les fêtes de mariage, de naissance, d'anniversaire, de promotion socio-professionnelle, les visites et les deuils font l'objet de dépenses dans les ménages. L'enquête montre que 50% des ménages répondent à cette obligation sociale qui compte pour 20% de la rubrique étudiée. Le remboursement de l'emprunt

Le remboursement des emprunts contractés par les ménages enquêtés représentent 17% des dépenses et concerne 28% des ménages. Il tient au système de tontine ("ristourne") et aux emprunts pour l'achat d'un terrain. Ce sont surtout les ménages les plus pauvres qui sont concernés. Taxes et impôts

Les ménages enquêtés ont déclaré s'acquitter de leurs obligations en matière d'impôts et taxes pour un montant global de 3883 FC, soit une moyenne de 129 FC mensuels par ménage. Cette somme est versée par 30 ménages (35% de l'échantillon). Un ménage qui paie pourtant le CCA et le BIC s'est abstenu à livrer le volume de ses dépenses. L'achat de patentes, les taxes communales, les taxes de colportage, les taxes de vélo, les taxes journalières au marché, les taxes de lavage du sable et d'exploitation des matières précieuses, les taxes de location des terres cultivables sont quelques-uns des domaines couverts par ce montant.

La distribution selon l’indice de richesse présente les ménages de niveau de vie inférieur comme payant plus. Ils sont suivis par les moyens et les riches. Il semble curieux que les plus pauvres paient le plus de taxes et impôts, mais précisément, ils sont obligés de s’adonner à toutes sortes d’activités de survie qui sont imposées soit sous forme de patente, soit sous forme de taxes. Que les riches paient le moins peut signifier, soit qu’ils ne s’adonnent pas

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à des activités commerciales, ce qui est peu probable, soit qu’ils utilisent leur position sociale pour échapper au fisc, soit qu’ils s’adonnent à des activités informelles dans la clandestinité, soit qu’ils ont cherché à cacher aux enquêteurs leurs dépenses de ce côté. Les cadeaux offerts

Les événements heureux de la vie sont entourés de remises de cadeaux. L'enquête a révélé que cette pratique est peu présente dans les mœurs des ménages échantillonnés puisque ne concernant que 15% des ménages enquêtés, qui déboursent ensemble 3711 FC seulement. Cette habitude est le fait des plus riches. Les dons aux tiers

15% des ménages sous étude font des dons à des tiers, toutes les personnes avec qui ils ont noué des liens de solidarité à travers le voisinage, l’emploi, le groupement religieux, le groupement de loisirs et toutes autres formes de mutualités. La somme concernée pour l’ensemble de l’échantillon (1715 FC) est néanmoins une partie infime du budget.

Les transferts, les frais circonstanciels et les dons aux tiers relèvent du communautarisme africain moderne, que l’on observe au niveau de la famille urbaine, des relations de voisinage et dans les autres formes d’associations volontaires : "c’est au niveau des

unités de résidence que les citadins tissent les rapports sociaux les plus intenses (…), les

manifestations de joie ou de tristesse concernent tout le monde dans le quartier.(…) La vie de

tout le monde concerne donc tout le monde dans le voisinage. On y vit en symbiose, comme si

la famille elle-même, cellule sociale de base, était fondue dans l’unité de voisinage. C’est donc

tout ceci qui a donné naissance au communautarisme africain moderne". (Kalaba 1988:138)

6.5. Conclusions relatives aux dépenses

En résumé, quelle est le volume des dépenses du Lushois moyen en 2000 ? Elles comprennent les dépenses ordinaires (853718 FC) et les dépenses extraordinaires (949279 FC), soit un total de 1802997 FC pour l’ensemble des ménages enquêtés ; rapportées à ces 84 ménages, ces dépenses totalisent 21464 FC par mois.

Dans ce montant, les plus pauvres consacrent le gros à l’alimentation, une alimentation dérisoire constituée pauvrement de bukari et de légumes. Les plus riches consacrent une part proportionnellement moindre de leur budget à une alimentation plus riche, constituée de protéines animales (lait, viande, etc.), et dépensent plus en logement et en loisirs.

Quand il leur reste quelque chose après les dépenses ordinaires, les Lushois investissent dans l’immobilier pour devenir propriétaires ainsi que dans l’habillement. Enfin, les Lushois n’oublient pas leurs obligations sociales et ce, par des marques de solidarité avec les autres, à travers les transferts à la famille, les frais circonstanciels autour des deuils et fêtes et de dons aux tiers.

Il est à présent temps de se demander où les ménages trouvent l’argent pour effectuer toutes ces dépenses.

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6.6. Les revenus ordinaires

Les revenus ordinaires pour l’ensemble de l’échantillon s’élèvent à 715893 FC. Contrairement à ce que nous faisons d’habitude dans ce genre de tableau, les dépenses moyennes par ménage ont ici été calculées en fonction du nombre de ménages bénéficiaires des sources mentionnées et ayant donné des précisions quant au montant des dites sources : s’agissant des revenus salariaux, 23 ménages ont déclaré le montant qu’ils percevaient mensuellement sur cette rubrique ; les primes, quant à elles, ont été déclarées par 13 ménages et les gratifications par 14 ménages. La moyenne totale a été ramenée, quant à elle, sur les 84 ménages de l’échantillon. Montant total

Pour l'échantillon Idem, en pourcents

Montant moy. par ménage concerné

Revenus extra-salariaux 562616 FC 78% 6698 FC Salaires 76592 FC 11% 3330 FC Primes 41178 FC 6% 3168 FC Gratifications 35507 FC 5% 2536 FC TOTAL 715893 FC 100% 8523 FC 6.6.1. les revenus salariaux et apparentés

Les rubriques "salaire" et "primes" ont été déclarées par 35 ménages seulement. Le salaire moyen déclaré est de 3330 FC, soit 11% de l'ensemble des revenus déclarés. Douze chefs de ménages, pourtant salariés, ont refusé de déclarer leurs salaires, ce qui fait que la moyenne des salaires livrée ici a été calculée sur base des chiffres recueillis dans 23 ménages seulement. Le salaire le plus élevé est de l'ordre de 20000 FC (250 USD), perçu par un agent d'une organisation religieuse. Le salaire le plus bas est de l'ordre de 400 FC.

En tout et pour tout, les ménages enquêtés reçoivent de leur employeur 41178 FC à titre des primes, soit une moyenne de 3168 FC pour le mois qui a précédé l'enquête. Treize chefs de ménages ont déclaré seulement avoir reçu une prime de leurs employeurs. La prime la plus élevée est de l'ordre 5089 FC. Notre enquêteur a noté à propos du ménage qui a déclaré ce montant que son chef de ménage a obtenu son emploi grâce à une autorité traditionnelle (chef coutumier). En tant que salarié, ce chef de ménage déclare qu'il vit bien. En plus de mon salaire qui est pourtant régulier, poursuit-il, je bénéficie des soins médicaux gratuits pour la famille et d’un sac de farine.

Quatorze ménages, soit 17%, ont reçu la gratification de leurs employeurs. Le montant global de la gratification pour l'ensemble de notre échantillon est de 35507 FC. Ce qui fait qu'en moyenne, un ménage perçoit 2536 FC à titre de gratification, soit 5% seulement du revenu moyen.

De manière globale, les revenus salariaux (salaires, primes, gratifications compris) déclarés s'élèvent à 153277 FC pour l'ensemble de l'échantillon ; soit 22% de l'ensemble des revenus. 6.6.2. Les revenus extra-salariaux

Ces revenus sont des rentrées régulières ou ponctuelles, générées par toutes sortes d'activités que beaucoup de chefs de ménage salariés et leurs épouses pratiquent en dehors de leurs occupations officielles, ou à défaut de celles-ci. Ces revenus extra-salariaux s'élèvent

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globalement à 562616 FC, soit une moyenne de 6697 FC par ménage et constituent 78% de l’ensemble des revenus ordinaires.

En 1961 déjà, Robert Maistriaux avait démontré qu'au salaire du chef de ménage lushois (ou plutôt "évillois"), on pouvait ajouter diverses ressources dans le revenu ménager : location de chambres ; distillation et vente de l'alcool indigène (lutuku) ; micro-commerce souvent ambulant exercé par l'épouse ; second métier du mari, etc. Ces activités, constatait encore Maistriaux, ne représentaient alors que 12% des revenus totaux de ménages (1961:48).

Le protocole utilisé pour la collecte des informations relatives aux dépenses comprenait, pour chacune des rubriques, une question sur la provenance des fonds qui permettent aux ménages de faire face à leurs différents besoins. Lorsque nous demandions par exemple combien tel ménage enquêté dépensait pour se ravitailler en farine de maïs, nous demandions l’origine des moyens qui lui permettaient de réaliser cet achat. La contribution de tous les membres du ménage était parfois requise. Dans le contexte économique que connaît Lubumbashi actuellement, même les apports des enfants ou de tout autre résident contribuent parfois à soulager certains besoins du ménage tout entier. A titre d’exemple, l’épouse d’un chef de ménage a affirmé prélever chaque jour au moins un « méka » de farine de maïs sur la quantité qu’elle vend à domicile pour apprêter le repas pour son ménage. Dans un autre, il est ressorti que ce sont les « contrats » journaliers du chef de ménage qui permettent d’obtenir les moyens pour s’approvisionner en farine de maïs. Dans d’autres encore, l’essentiel des ressources proviennent de diverses prestations (commerce ou micro commerce licite ou illicite, exercice d’un petit métier, pratique des travaux champêtres, l’exploitation artisanale des produits miniers, les commissions, etc.).

En tenant en compte du statut de la personne qui génère ces moyens, nous avons classé ces revenus en trois sous-rubriques : l'apport du chef de ménage, l'apport de sa conjointe éventuelle et l’apport des autres membres de ménage.

Les apports extra-salariaux des chefs de ménage s'élèvent à 287629 FC, soit 4 fois le volume des salaires déclarés. La moyenne de ces apports est de 3424 FC et représente 36% de l'ensemble des revenus déclarés.

L'apport des épouses s'élève à 233468 FC, soit une moyenne de 2785 FC pour le mois qui a précédé les enquêtes. Il représente 32,6% de l'ensemble des revenus ordinaires. Les épouses pratiquent souvent le micro-commerce ambulant, le micro-commerce de proximité, l'agriculture, etc. Les épouses n'attendent plus le mposho (ration alimentaire comme autre fois). Dans beaucoup de ménages, elles sont de véritables pourvoyeuses des moyens de survie : l’épouse d’un de nos enquêté, brasseuse de lutuku de son état, générait un bénéfice mensuel de 18120 FC qui constituait le seul revenu du ménage. Pour l'ensemble des ménages enquêtés, l'apport des autres membres du ménage (enfants et autres parents cohabitant) représente 5% des revenus totaux. Il s'élève à 41019 FC, soit une moyenne de 488 FC. Au départ, la question en rapport avec les sources de revenu avait été conçue pour résoudre le problème des impasses dans les budgets ménagers. En effet, les études sur les budgets ménagers constatent souvent un écart entre les sorties et rentrées. Mais vu la façon dont nous avons recueilli nos données, il est impossible d’estimer, en termes monétaires, l’importance de chacune de ces sources. Dans certains cas donc, sinon dans beaucoup, une même source a été citée concurremment à d’autres. Une étude des occurrences des sources autres que le salaire s’avère donc intéressante à un double point de vue : elle permet non seulement de comprendre qualitativement mais aussi

d’évaluer – ainsi que le montre le tableau ci-dessous – le nombre de ces sources par ménage.

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Sources de revenus

par ménage

Echantillon global (n=84)

Niveau de vie sup. (n=17)

Niveau de vie moyen (n=50)

Niveau de vie inf. (n=17)

0 1 (1%) - 1 (2%) - 1 14 (16%) 5 (29%) 8 (16%) 1 (6%) 2 32 (38%) 8 (47%) 20 (40%) 4 (25%) 3 30 (35%) 4 (23%) 17 (34%) 9 (55%) 4 6 (7%) - 4 (8%) 2 (13%) 5 1 (1%) - - 1 (1%)

Comme on le voit, en dehors du salaire officiel – pour ceux qui en ont un – pratiquement tous les ménages affirment tirer l’essentiel de leurs revenus de 2 ou 3 autres sources. Toutefois, les ménages de niveau de vie supérieur – ménages dont les chefs occupent dans la plupart de cas les emplois les mieux rémunérés de la ville – ont recours à moins de sources de financement que les autres : ils exercent donc relativement moins d’activités professionnelles d’appoint. Un seul ménage de notre échantillon affirme assurer la satisfaction de tous ses besoins grâce au salaire gagné par son chef dans un commerce de la place. Cet homme déclare aimer bien son emploi de caissier à cause des avantages qu’il lui procure (primes de caisse, entre autre). Toutefois, cet interlocuteur envisage de s’activer dans un autre domaine pour se sécuriser, dit-il. « Mon aspiration est d’entrer un jour dans une activité d’indépendant

professionnel ; monter par exemple un atelier d’artisans ou un élevage ». Par contre, un ménage de niveau de vie inférieur a affirmé avoir recours à 5 sources. La crise des années nonante a poussé le mari, cultivateur de son état, à pratiquer le petit commerce. En plus, après ses activités agricoles, il va chercher du charbon de bois ou des légumes dans les villages situés dans la périphérie de Lubumbashi. Il est perpétuellement absent de son domicile, en quête d’argent pour assurer la survie de sa famille. Quant à son épouse, elle brasse du munkoyo qu’elle revend à domicile. Somme toute, le commerce sous ses différentes formes constitue un des moyens auxquels recourent beaucoup de ménages de notre échantillon pour pouvoir faire face à leurs besoins. Echantillon

global (n=84) Niv. de vie sup. (n=17)

Niv. de vie moy. (n=50)

Niv. de vie inf. (n=17)

Pourcentage de ménages pratiquant le commerce

53 (64%)

10 (59%)

33 (66%)

10 (59%)

Les activités commerciales – qu’elles soient occasionnelles, permanentes ou ambulantes –sont citées par beaucoup de ménages de l’échantillon (64%) comme moyen leur permettant de faire face à leurs différents besoins. Ces activités portent sur divers biens : articles manufacturés importés, produits agricoles, carburant, petites friandises, charbon de bois, boissons, produits pharmaceutiques, etc. Dans les quartiers planifiés qu’occupent généralement les ménages de niveau de vie moyen, la situation se traduit par les multiples éventaires le long des rues et avenues, que le langage populaire a baptisé « marchés pirates ». Dans les quartiers résidentiels où se concentrent les ménages de niveau de vie supérieur le phénomène présente une autre forme : on n’étale pas les articles devant la parcelle (ce qui serait perçu comme un signe de pauvreté

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dans ces quartiers), mais on commerce en un lieu du centre-ville, ou l’on revend des produits importés à crédit. A titre d’illustration, dans le ménage d’un cadre d’entreprise, nous avons appris que la ménagère tenait un étalage de friperie dans le quartier commercial du centre-ville. Par contre, comme on le voit dans le tableau ci-dessous, les ménages les plus pauvres doivent compter sur les interventions des personnes extérieures aux ménages. Echantillon

global (n=84) Niv. de vie sup. (n=17)

Niv. de vie moy. (n=50)

Niv. de vie inf. (n=17)

Proportion de ménages recevant une aide extérieure

48 (57%) 7 (41%) 29 (58%) 12 (71%)

Beaucoup de ménages de niveau de vie inférieur (71%) bénéficient donc des apports extérieurs qui proviennent soit d’enfants devenus majeurs, soit de communautés religieuses, etc. Il est assez normal que cette catégorie soit l’objet d’une telle bienveillance de la part de la société, car la moyenne d’âge de ces chefs de ménage est plus élevée que celle de l’ensemble de l’échantillon (49,8 ans contre 44,9 ans). Remarquons également que très peu de ménages déclarent s’engager dans le domaine de l’exploitation artisanale des minerais : on préfère ne pas s’afficher publiquement comme opérant dans ce domaine, par peur de la législation et des tracasseries policières. Seulement 4 ménages ont affirmé s’être installés dans ce domaine. L’importance de la proportion de ménages de niveau de vie supérieur qui s’activent dans le domaine des petits métiers (47%) pourrait aussi étonner, surtout si on compare ce chiffre à la moyenne de l’échantillon tout entier (43%). Mais il faut savoir que les petits métiers en question regroupent des occupations très diverses, non nécessairement manuelles : fabrication artisanale ou réparation de biens (mobilier, instruments agricoles, etc.), transport de biens et/ou de personnes, commissions dans différents types d’opérations commerciales ou autres, etc.

6.7. Les revenus extraordinaires Montant global

pour l'échantillon Montant moyen par ménage

Idem, en Pourcents

Emprunts 107526 FC 1280 FC 63% Concours familial 24510 FC 292 FC 15% Aide de l’Eglise 22567 FC 269 FC 13% Concours de tiers 12845 FC 153 FC 8% Apport des mutuelles 100FC 1 FC 1% TOTAL 167448 FC 1993 FC 100%

Si le Lushois moyen consent, malgré ses maigres ressources, à donner aux autres quelque chose dans un élan de solidarité , cette même solidarité rejaillit sur lui par toutes sortes des dons, d’emprunts, de cadeaux, etc. que l’on peut mettre sous le dénominateur commun de revenus extraordinaires. Pour l'ensemble de notre échantillon ce type de rentrées ont été estimées, pour le mois ayant précédé les enquêtes, à 167448 FC, soit une moyenne de 1993 FC par ménage. Sur le 84 ménages enquêtés, 24 ont bénéficié pendant la période considérée d'un prêt. Globalement, l'emprunt atteint 107526 FC, soit 64% des revenus inattendus par le ménage. Un ménage a même affirmé avoir reçu, à titre d'emprunt, une somme de 1000 USD, soit l'équivalent de 80000 FC.

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D'autre part, on ne peut minimiser le concours familial, déclaré par 27 ménages et totalisant un montant de 24510 FC, soit une moyenne de 298 FC par ménage (15% des revenus extraordinaires). Précisons tout de suite qu'en dépit de la faiblesse de l'assistance familiale, on observe des transferts des fonds importants. De son côté, le concours de l'Eglise est de l'ordre de 22567 FC pour l'ensemble de l’échantillon, soit une moyenne de 269 FC (13% des revenus extraordinaires). Contrairement à ce que laisse penser une idée préconçue qui veut que les mutuelles soient devenues un élément central de la survie économique, dans les villes africaines, on ne compte, pour l’ensemble de l’échantillon qu’un infime gain de 100 FC déclaré par un ménage pour cette rubrique.

Par contre, le concours des tiers, des amis ainsi que les dons reçus ont été évalués à 12845 FC, soit une moyenne de 153 FC par ménage (8% de revenus extraordinaires).

6.8. Conclusion

Nous pouvons à présent essayer de répondre à la question que nous nous étions posée au début de ce travail : au regard de la détérioration de l’environnement économique, comment le Congolais de Lubumbashi arrive-t-il à nouer les deux bouts du mois aujourd’hui ?

Le Congolais de Lubumbashi arrive à nouer les deux bouts pour ses dépenses mensuelles ordinaires avec 10160 FC par ménage (122 USD au moment des enquêtes) ou 1161 FC par personne (18 USD). Ce montant est réparti entre l’alimentation (52%), le logement (14%), l’instruction des enfants (13%), le transport (8%), la santé (6%), les loisirs (6%) et les activités religieuses (1%).

Mais la qualité de la vie qu’il mène est relativement basse. Tout d’abord, par rapport à la situation des décennies précédentes, trois postes qui incombaient autrefois principalement à l’employeur où à l’Etat – l’éducation, le transport et les soins médicaux – sont à présent à charge des ménages, alors même que les revenus salariaux ont vertigineusement chuté. La nourriture du Lushois de l’an 2000 est faite de bukari accompagné essentiellement de légumes avec de temps en temps un peu de poisson salé, fumé ou de fretins – sous cet angle alimentaire, la situation des ménages s’est nettement dégradée depuis les études réalisées dans les années 1970 et 1980. Dans le logement, la part du combustible non électrique est grande : charbon de bois, bougies, pétrole. Les frais consacrés à l’instruction des enfants servent en grande partie à soutenir la survie du personnel enseignant. Le poste des communications se limite principalement au transport en commun. Le Lushois se livre intensément à l’automédication et dans ses loisirs, la résurgence de l’alcool traditionnel lutuku, aux effets désastreux, est manifeste. Les activités religieuses, bien que très répandues, ne lui coûtent que très peu d’argent.

Cependant, certains ménages de niveau de vie moyen et surtout supérieur, essaient de se construire une maison pour en devenir propriétaires. Ils essaient aussi de s’équiper en achetant radio, télévision, mobilier, etc., et cela notamment à partir de l’emprunt et des transferts familiaux. La solidarité africaine vient à la rescousse du Lushois moyen, à travers les transferts mutuels de fonds et cadeaux que se font les membres de famille et à travers une vie de voisinage intense.

L’habillement n’est plus dans les priorités : on se le procure occasionnellement. C’est ici la femme (à l’occasion de la maternité, notamment) et les enfants (lors de la rentrée scolaire) qui occasionnent les dépenses dans ce poste. La plupart du temps, le Lushois moyen qui veut s’habiller va palabrer avec une vendeuse de friperies.

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Cette vie, le Lushois d’aujourd’hui ne peut plus l’assurer grâce à son salaire qui ne prend que 20% de ses revenus, mais bien grâce à toutes sortes d’activités informelles qui lui rapportent le principal. Un ménage moyen de Lubumbashi vit de 2 à 3 activités informelles – ici aussi, la différence avec la situation des années 1970 et 1980 est très grande, et témoigne d’une nécessité de lutter pour survivre. Ces activités vont du simple commerce de proximité, généralement naïf, à des opérations vraiment souterraines qui frisent la criminalité. C’est peut-être ce dernier aspect qui explique l’impasse budgétaire (1637 FC) qui existe entre dépenses ordinaires (10160 FC) et revenus ordinaires (8523 FC). On ne peut pas dévoiler facilement le crime qu’on veut cacher, tout comme on ne peut pas mettre à nu sa vie familiale : les revenus ménagers comptent parmi ces secteurs d’intimité où les gens ne s’expriment pas toujours ouvertement. Mais quelle est la part du refus de dévoiler le crime et du souci de l’intimité familiale ? La recherche présente n’a pas pu trancher cette question.

Au demeurant, toutes les recherches sur les budgets ménagers se heurtent à cette difficulté. Houyoux, Lecoanet et l’INS l’ont rencontrée et ont tenté, à leur manière, de la contourner sans grand succès.

Quels sont les espoirs qui existent aujourd’hui dans le relèvement de cette situation ?

C’est du côté des pouvoirs publics que nous nous tournons. C’est dans la volonté politique des dirigeants d’aujourd’hui à modifier les conditions d’existence que se trouve la réponse à cette question. L’avenir seul nous dira si cette volonté aura existé réellement entre-temps.

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CHAPITRE 7 : LES ACTIVITES PROFESSIONNELLES Dans la foulée du chapitre précédent, celui-ci cherchera à mieux éclairer quelles sont les activités rémunératrices auxquelles se livrent les Lushois dans le cadre de leurs professions. Il se développera en trois temps. Tout d'abord, nous étudierons les professions qu'exercent les 84 chefs de ménage de notre échantillon: nous pourrons ainsi donner une idée générale de l'importance des différents secteurs professionnels dans la ville. Notre appréciation aurait certes dû compter avec les épouses et autres membres du foyer, dont nous avons noté dans le chapitre précédent qu'ils contribuent de façon appréciable à l'équilibre du budget ménager grâce à des activités qui relèvent souvent du micro-commerce ou de l'informel en général. Par voie de conséquence, les chiffres que nous livrons ici sous-évaluent systématiquement la part réelle de l'économie informelle dans la ville. Le second point est une étude des salaires et autres rémunérations qui sont distribués par les grandes entreprises de la place. Comme on le sait, l’emploi salarié constitue une source régulière et stable de revenus pour les ménages ; il les nourrit et les sécurise, leur garantit un niveau acceptable de consommation et favorise ainsi le développement économique de la collectivité. Le salaire n’est pas seulement un revenu pour les employés de Lubumbashi : il est aussi – ou en tout cas, il a été – un facteur d’épanouissement et de progrès social pour les ménages. Il est de notoriété publique que, de par la présence à Lubumbashi de la Gécamines et la Société Nationale de Chemins de Fer du Congo (SNCC), les salaires dans cette ville étaient côtés dans le passé parmi les meilleurs du pays. Aujourd’hui, le revenu salarial n’est plus la référence centrale dans les activités professionnelles des Lushois. D’autres lui ont ravi la vedette, comme l’exploitation artisanale de produits miniers (hétérogénite), le trafic vers l'étranger (Dubaï, RSA., etc.) et, de plus en plus, l’agriculture... Un troisième point fera le point sur les petites professions du secteur informel en les présentant sous forme d'un lexique: l'étendue de la gamme de ces activités apparaîtra ainsi pleinement.

7.1. Les professions des chefs de ménage de l'échantillon

Type de profession

Total

(n=84)

Niveau sup. (n=17)

Niveau moyen (n=50)

Niveau inf. (n=17)

Type 1 (inactifs) 6 (7%) - 3 (6%) 3 (18%) Type 2 (activités champêtres, commerce de makala...) 14 (17%) 1 (6%) 8 (16%) 5 (29%) Type 3 (petits métiers, ouvriers indépendants) 14 (17%) 2 (12%) 6 (12%) 6 (35%) Type 4 (ouvriers non spécialisés salariés) 10 (12%) - 9 (18%) 1 (6%) Type 5 (commerce et activités commerciales) 14 (17%) 3 (18%) 9 (18%) 2 (12%) Type 6 (professions religieuses) 2 (2%) - 2 (4%) - Type 7 (ouvriers qualifiés salariés) 7 (8%) - 7 (14%) - Type 8 (employés, fonctionnaires) 9 (11%) 4 (23%) 5 (10%) - Type 9 (cadres, prof. libérales, entrepreneurs...) 8 (9%) 7 (41%) 1 (2%) - Le type de classification ici adopté est différent de celui qui fut employé dans les analyses plus anciennes. Houyoux et Lecoanet (1975:28-9) utilisaient la classique division en

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secteurs primaires, secondaires et tertiaires croisée par la "catégorie socio-professionnelle" (de cadre à ouvrier non spécialisé). Cette catégorisation était sûrement adéquate lorsque les salariés constituaient l'essentiel de la population active, ce qui n'est plus le cas aujourd'hui. La population active de 1973 était composée à 85% de salariés. Actuellement, parmi les 78 chefs de ménage actifs de notre échantillon, 33 seulement sont salariés, soit 42% (les types 4,6,7,8 et 5/8 des types 9 de notre classification). Si l'on comptait en outre les épouses des chefs de ménage, cette proportion diminuerait sans doute encore puisque beaucoup d'entre elles pratiquent une forme ou l'autre de commerce. Enfin, signalons que de très nombreux salariés déclarent pratiquer une forme ou l'autre d'activité champêtre ou commerciale (y compris parmi la catégorie des cadres), ce qui diminue une fois encore le rôle des activités salariales dans l'économie de la ville. Passons maintenant en revue les différentes catégories que nous avons constituées. Quelque 7% de notre échantillon ne semblent avoir aucune occupation rémunératrice et vivre des ressources apportées par autrui, voire de la charité publique pour une vieille veuve.

La catégorie (2) est celle des activités champêtres: pour la grosse majorité, il s'agit d'agriculteurs et/ou de personnes faisant le petit commerce du charbon de bois (makala), acheté en brousse et revendu en ville; il s'agit aussi d'un laveur de sable. Ce sont des activités caractéristiques des économiquement moyens (16%) mais surtout des économiquement faibles (35%), et le seul cas répertorié dans la catégorie des économiquement forts est celui d'un retraité de la GCM qui occupe sa retraite en exploitant ses champs. Ces activités champêtres se sont nettement développées par rapport à ce qui prévalait dans les années 1970: à cette époque, à peine 1,2% de la population active travaillait comme indépendant dans le secteur primaire (agriculture, industries extractives) (Houyoux et Lecoanet 1975:28). Actuellement, dans notre échantillon, 17% des chefs de ménage, actifs ou non, déclarent une profession de ce type (bien que les commerçants de makala n'aient peut-être pas été comptés dans ce groupe par la précédente étude); ce chiffre serait plus important encore si l'on y ajoutait les nombreuses épouses qui cultivent un champ. La troisième catégorie est plus large dans la gamme d'activités qu'elle couvre: ce sont des artisans ou ouvriers indépendants dont le niveau de qualification est très variable: quelques économiquement forts se trouvent dans cette catégorie; il s'agit d'un électricien réparateur d'appareils électroménagers (possédant un brevet CC) et d'un mécanicien propriétaire d'un petit garage (brevet EFP). On voit néanmoins que cette catégorie est davantage caractéristique des ménages de niveau inférieur. Le plus souvent, les petits métiers correspondent à une formation apprise sur le tas: réparateurs de pneus, forgerons, manutentionnaires, artisans de malachite, etc.

Les ouvriers salariés non spécialisés constituent la 4e catégorie professionnelle, typique elle des ménages de niveau moyen. Ils ont l'avantage d'être sous le couvert d'un contrat avec leur employeur. Pour beaucoup, il s'agit de sentinelles n'ayant reçu aucune formation particulière.

La 5e catégorie est celle des commerçants, grands ou petits. Si le commerce de charbon de bois a été classé dans la catégorie des professions champêtres, le commerce au marché de produits des champs par des personnes qui ne les ont pas produits a été classé dans le présent type. On voit que ce type de profession se retrouve dans toutes les couches de notre échantillon, bien qu'il s'agisse chaque fois d'activités commerciales de type différent.

Deux chefs de ménages déclarent vivre principalement des revenus de leur vie de pasteur (catégorie 6). Notons que trois autres chefs de ménage de notre échantillon exercent des charges religieuses semblables, mais ont une profession plus classique à côté, dans laquelle nous les avons rangés à titre principal. En fait, Lubumbashi foisonne actuellement d'Eglises, d'inspiration pentecôtiste principalement. La dimension économique de ce secteur est importante, car les collectes qui sont faites auprès des fidèles rapportent parfois des milliers de dollars, à condition que le pasteur soit charismatique. Nous avons classé ces professionnels de

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la fonction religieuse dans une catégorie à part: il est d'ailleurs assez difficile de déterminer s'ils sont des salariés ou des indépendants, car la gestion de l'Eglise est souvent réalisée de façon très personnelle.

Dans la catégorie 7, nous avons regroupé les ouvriers qualifiés salariés qui proviennent sans exception dans notre échantillon des ménages de niveau de vie moyen. Comme on le verra plus tard, ce sont pour la plupart des personnes qui possèdent leur brevet CC et qui ont eu la chance de trouver un emploi correspondant à leur qualification. Il s'agit de mécaniciens à la SNCC, de chauffeurs d'entreprise, etc.

La catégorie 8 regroupe les employés et fonctionnaires, que l'on ne rencontre que dans les catégories de niveau de vie supérieur (23%) et moyen (10%).

Les catégories 7 et 8 sont des professions sur le déclin depuis les années 1970: Houyoux et Lecoanet comptaient – parmi la population active de 1973 – 31,3% d'ouvriers qualifiés ou semi-qualifiés et 22,6% d'employés. Actuellement, ces deux catégories ensemble ne représentent plus que 19% de notre échantillon (21% des ménages actifs). C'est la catégorie des ouvriers qualifiés ou semi-qualifiés qui a été le plus durement touchée, suite à la disparition de nombre d'industries ou aux licenciements qui ont eu lieu à la GCM, à la SNCC, etc.

La 9ème catégorie, celle des cadres, professions libérales et entrepreneurs, est presque l'exclusivité des ménages de niveau de richesse supérieur. Pour les cadres, nous n'avons considéré que les salariés exerçant des responsabilités et ayant atteint au moins le niveau de chef de bureau dans la fonction publique, ou son équivalent dans le domaine privé. On y trouve deux représentants de professions libérales (avocat, comptable privé), un entrepreneur, trois hauts fonctionnaires, deux cadres d'entreprise. Toutes ces professions assurent, par leurs rentrées directes ou indirectes, un niveau de vie nettement supérieur à la moyenne.

Comme nous l'avions annoncé, il est intéressant de croiser le niveau du diplôme et le

type de profession.

Type de profession

Sans diplôme

Pri-maire

CO/ EFP

Brevet CC

Secon-daire

Ens. sup.

Type 1 (inactifs) 3 1 - 1 1 - Type 2 (activités champêtres) 3 - 3 6 2 - Type 3 (ouvriers indépendants) 4 1 3 5 1 - Type 4 (ouv. non spécialisés salariés) 1 3 1 3 2 - Type 5 (commerce) 3 - 1 5 5 - Type 6 (professions religieuses) - - - - 1 1 Type 7 (ouvriers qualifiés salariés) 1 - 1 5 - - Type 8 (employés, fonctionnaires) - - - 2 3 4 Type 9 (cadres, etc.) - - - - - 8

Comme on le voit, les huit cadres (9e catégorie de notre classement) sont tous diplômés

de l'enseignement supérieur ; la grande majorité des employés/fonctionnaires (catégorie 8) sont issus de l'enseignement secondaire ou supérieur, comme c'est aussi le cas des deux pasteurs (catégorie 6) ; les ouvriers qualifiés salariés (catégorie 7) sont essentiellement des diplômés de l'enseignement technique (brevet CC). Mais les autres types de professions nous réservent davantage de surprises, car l'on constate qu'il s'y trouve des personnes sur-qualifiées par rapport à l'emploi qu'elles occupent.

Ainsi, les professions champêtres sont le fait de 14 chefs de ménage parmi lesquels deux diplômés du secondaire, six du "cycle court" (CC), trois du "cycle d'orientation" et seulement trois personnes sans diplôme. On voit donc que des personnes relativement instruites

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se tournent, sans doute poussés par la nécessité, vers des activités qui étaient autrefois réservées aux personnes sans scolarité. De même, parmi les dix ouvriers non spécialisés salariés (catégorie 4), on trouve deux diplômés du secondaire et trois brevetés CC.

La 5ème catégorie, qui regroupe 14 commerçants et intermédiaires commerciaux, compte cinq diplômés du secondaire, cinq du cycle court, un du cycle CO/EFP et seulement trois sans diplôme. On voit donc bien que le commerce est une voie vers laquelle se tournent des personnes relativement instruites, qui se seraient sans doute autrefois tournées vers la profession d'employé ou d'ouvrier spécialisé : tel fut le cas, souvenons-nous, de Baka, comme nous l’avions mentionné dans le prologue.

En conclusion, on retiendra de ce point que les salariés, qu'ils soient employés ou

surtout ouvriers, ont nettement diminué en nombre ces dernières décennies. La crise a touché très durement les secteurs formels de la société d'autrefois. Si les indépendants n'étaient que 15% il y a une génération, ils représentent environ 60% de la population active actuellement. Il y a donc eu des réorientations professionnelles notables, qui ont suivi des voies différentes selon la qualification des individus. On remarque actuellement que certains diplômés du secondaire, qui auraient autrefois exercé une fonction d'employé, s'adonnent au commerce et, dans une moindre mesure, aux professions champêtres ou à des travaux d'ouvriers salariés ou à des petits métiers. De même, certains brevetés CC de l'enseignement technique, qui auraient autrefois travaillé comme ouvriers qualifiés dans une grande entreprise, se sont tournés vers les métiers qui viennent d'être cités. Par rapport à autrefois, toutes ces catégories d'activité connaissent une progression importante, qui est notamment bien marquée au niveau des professions champêtres: la ville se ruralise donc. Les professions religieuses semblent aussi connaître une progression, bien qu'elles soient le plus souvent exercées comme complément à une autre activité.

Enfin, on notera que les cadres, entrepreneurs et professions libérales semblent ne pas avoir connu de déclassement suite à la crise. Même si leur niveau de vie a peut-être diminué par rapport à celui des "golden seventies", ils restent, comparativement au reste de la société, la fraction incontestablement privilégiée au niveau économique. Cette catégorie cumule d'ailleurs systématiquement cette caractéristique professionnelle avec celle d'un diplôme de l'enseignement supérieur, et presque systématiquement avec l'appartenance à la tranche des niveau de vie supérieur de notre échantillon. Possédant à la fois des capitaux intellectuels, professionnels et économiques, ce petit groupe constitue l'élite de la ville.

7.2. Le revenu salarial à Lubumbashi 7.2.1. Introduction Depuis sa création en 1910, la ville de Lubumbashi a évolué sous une influence marquante et constante des activités salariées. A la différence d’autres villes de la République Démocratique du Congo qui se sont bâties sur le commerce (Kinshasa) ou sur l’agriculture (Kisangani, Mbandaka, Matadi etc.), Lubumbashi s’est érigée dès le début en pôle industriel : les hommes et les femmes y devaient leur survie au revenu salarié provenant de l’industrie minière ou de nombreuses petites manufactures qui se sont implantées complémentairement à l’activité minière. L’attachement de la population lushoise à l’emploi et au revenu salarial a été de tout temps tellement étroit que les activités informelles de la « débrouillardise » restèrent longtemps presque ignorées. C’est ainsi que des expressions très populaires à Kinshasa et à Kisangani, comme par exemple « kobeta libanga » ("taper dans la pierre", en lingala, c'est-à-dire "se

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débrouiller pour survivre"), ne se sont insérées dans le langage quotidien des Lushois que fort tardivement (vers les années '80) suite aux effets contraignants de la crise économique.

Quelques interrogations méritent d’être soulevées à ce niveau : 1. Qu’est-ce qui explique cet attachement traditionnel des populations lushoises aux activités salariées ?

2. Cette attitude est-elle restée semblable au cours du temps ? 3. Comment se présente actuellement la configuration et le poids du revenu salarial dans la vie socio-économique des populations de Lubumbashi ?

C’est à toutes ces questions que le développement qui suit tentera de répondre.

7.2.2. L’emploi salarié et son évolution à Lubumbashi Pour comprendre le sens de l’attachement de la population de Lubumbashi à l’emploi salarié du secteur formel, il est nécessaire d’expliquer le contexte socio-économique dans lequel le salariat a pris naissance au Katanga en général et à Lubumbashi en particulier. L’origine même et l’emplacement de la ville trouvent leur explication dans l’exploitation d’une mine – la mine de l’Etoile – depuis le début du vingtième siècle, mine pour laquelle il a fallu construire une usine de traitement du cuivre. Il y a aussi, surtout, le point de raccordement de la mine à la voie ferrée venant du Cap (RSA). Ces trois éléments expliquent pourquoi Lubumbashi est dès son origine une ville industrielle, ce qui génère un type d’emploi particulier. « C’est donc principalement le cuivre qui fixa l’emplacement de la ville, draina une population de plus en plus importante malgré un hinterland assez peu peuplé, et fournit aux travailleurs les moyens de subsistance », déclarent Houyoux et Lecoanet (1975:11). En vue d’implanter une industrie minière prospère, le colon belge a dû faire appel massivement à une main d’œuvre autochtone. La tâche fut très difficile pour les colonisateurs car il fallut contraindre, puis convaincre, les populations autochtones d’abandonner l’économie de subsistance à laquelle elles étaient accrochées afin de se consacrer au « salariat ». Des raisons économiques et culturelles sont souvent citées pour expliquer la résistance des populations autochtones à se salarier et la pénurie de main-d’œuvre qui s’ensuivit. « Les salaires coloniaux étaient souvent d’un niveau infra-vital et retardaient de ce fait, la conversion des populations autochtones vers le salariat complet » (Kazadi Nduba 1970:11). C’est ainsi que le colonisateur a dû recourir à des pratiques coercitives et/ou incitatives pour amener les autochtones à assumer l’emploi salarié qui leur était proposé. Parmi ces pratiques, on peut citer l’importation de la main d’œuvre d’autres régions (Nord-Katanga, Kasaï, Ruanda, Burundi, Zambie, Malawi); l’organisation d'activités de loisir dans les camps des travailleurs; la construction d'infrastructures sociales (écoles, hôpitaux, foyers sociaux, équipements sportifs, etc.); le financement par l’entreprise des frais de mariage des travailleurs; etc. C’est ainsi que l’emploi salarié a pu gagner progressivement les populations de Lubumbashi (et de grandes villes du Katanga). Avec le développement des entreprises industrielles dans la région, le revenu salarial a réussi à s’imposer comme la norme auprès de la population. Des expressions populaires telles que « Kazi ndjo baba, kazi ndjo mama» (« Le travail salarié, c’est notre papa, le travail salarié, c’est notre maman » suffisent pour rappeler l’importance revêtue par l’emploi salarié dans la vie des Lushois. Mais peut-on aujourd’hui encore, observer le même attachement de la population de Lubumbashi à l’emploi salarié ? Les résultats de la présente enquête nous dissuadent de pouvoir l’affirmer. Dans leur analyse sur la variable « emploi » à Lubumbashi, Houyoux et Lecoanet révèlent qu'en 1973, 85% des travailleurs actifs étaient salariés (1975:28). 27 ans plus tard, nos enquêtes établissent à 42% seulement cette proportion, comme nous venons de le

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montrer en 7.1. Et comme on a pu le voir dans les budgets ménagers, les 153277 FC de salaires, primes et gratifications que se partagent les 23 chefs de famille salariés qui ont déclaré le montant de leur salaire ne représentent qu'une moyenne de 6664 FC par travailleur (83 USD), ce qui ne permet même pas de couvrir les deux tiers des seules dépenses ordinaires d'un ménage moyen (10163 FC). L’emploi salarié à Lubumbashi ne pèse donc plus autant que par le passé ; son évolution est allée dans le sens d’un fort dépérissement accompagné de la dégradation du revenu salarial, conséquences de la politique de zaïrianisation de 1974 et de l'accentuation de la crise au début des années 1990, suite aux pillages qui secouèrent les villes congolaises. 7.2.3. Le niveau du revenu salarial des travailleurs à Lubumbashi Pour apprécier le niveau des salaires sur le marché de la ville, nous avons procédé à une enquête auprès de onze grandes entreprises de la place. Celles-ci ont été sélectionnées par référence sectorielle pour assurer une meilleure représentativité de l’activité économique sur la ville. Les secteurs sont représentés de la façon suivante : mines (1), agro-industrie (1), brasserie (2), transport (1), hôtellerie (1), transit/douane (1), quincaillerie/meublerie (1), distribution engins lourds (1), construction métallique (1), textile (1). Afin de respecter les exigences formulées par les entreprises, les données salariales recueillies ont été traitées et présentées de manière anonyme. 7.2.3.1. Les données salariales utilisées dans l’enquête L’enquête a porté sur l’ensemble des gains et avantages accordés dans la politique salariale de chaque entreprise et pouvant influencer le salaire direct ou indirect de l’employé. Il s’agit notamment des postes suivants : - Salaire de base - Primes diverses accordées à tous - Gratification - Allocation de congé - Pécule de congé - Indemnité de logement - Indemnité de transport - Avantages en nature

Devant la diversité des pratiques en matière de retenue fiscale (contribution

professionnelle sur le revenu) et compte tenu de la difficulté d'obtenir l'information exacte sur la formule utilisée par chaque entreprise à ce sujet, nous avons jugé plus raisonnable de travailler sur les montants bruts aisément comparables plutôt que sur les montants nets, difficiles à comparer du fait de la diversité des pratiques fiscales dans les entreprises étudiées.

Les informations recueillies auprès des onze entreprises nous ont permis en définitive de calculer le revenu mensuel brut pour six catégories de travailleurs dans chacune des entreprises. Les six catégories sont les suivantes: 1. La catégorie la moins élevée des travailleurs classifiés 2. La catégorie la plus élevée des travailleurs classifiés 3. La catégorie la moins élevée de la maîtrise 4. La catégorie la plus élevée de la maîtrise 5. La catégorie la moins élevée des cadres 6. La catégorie la plus élevée des cadres (les cadres de direction ne sont pas concernés)

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Les six catégories ont été définies sur base de la catégorisation légale des travailleurs au Congo (Convention collective... 1995:11). Celle-ci prévoit quatre grandes catégories socio-professionnelles hiérarchisées comme suit: personnel de direction; personnel de cadre; personnel de maîtrise; enfin, personnel d’exécution (classifié). Seules les 3 dernières catégories ont été considérées dans cette étude; elles ont été dédoublées en tenant compte de leurs deux revenus extrêmes. Si l'on a pas tenu compte des cadres de direction, c'est en raison de l'extrême discrétion entourant leurs salaires.

Dans le souci de prendre en compte tous les avantages directs et indirects contenus dans la politique salariale, les différents paiements accordés à tous les travailleurs ont été évalués et ramenés sur la période mensuelle. Pour les avantages en nature, leur prise en compte a été effectuée sur base des prix du marché. 7.2.3.2. Les revenus salariaux mensuels bruts Le tableau ci-dessous reprend les revenus salariaux mensuels bruts dans les 11 entreprises de l’échantillon pour la période mensuelle de septembre 2000.

Cat E1 E2 E3 E4 E5 E6 E7 E8 E9 E10 E11 Moy 1 2 3 4 5 6

7544 9228 11288 13159 16174 20648

4352 4976 7133 7764 12644 13782

12390 16810 27860 45363 58917 65105

6825 13853 16675 21299 24744 31593

7121 7719 14531 15221 16256 17291

2537 2911 3367 3627 8157 9808

4659 5815 8086 9363 10667 11775

470 10353 12825 15465 18971 22268

5560 6697 8365 8907 11030 15170

6917 7393 9761 10303 11349 15557

4246 5287 7177 13261 43996 64108

6329 8277 11570 14885 21173 26100

Pour mieux faire ressortir la réalité des chiffres contenus dans ce tableau, nous recourrons à l’illustration graphique suivante :

Données Salariales

0

10000

20000

30000

40000

50000

60000

70000

1 2 3 4 5 6

FC

E1

E2

E3

E4

E5

E6

E7

E8

E9

E10

E11

EM

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7.2.3.3. Quelques constatations

L’analyse des chiffres contenus dans le précédent tableau nous invite aux constatations suivantes : 1) Le niveau du revenu salarial octroyé par les entreprises de Lubumbashi est généralement faible. Il permet, pour un travailleur du niveau de manœuvre (6329 FC), de couvrir seulement 62% du budget mensuel moyen d'un ménage tel que nous l'avons calculé au cours de notre enquête. Ce chiffre est très proche des 6664 FC de salaire (y compris les primes et gratifications) moyen qui est apparu dans le cadre des enquêtes sur les budgets ménagers. 2) La comparaison des entreprises révèle une hétérogénéité élevée quant au niveau de revenu salarial. Le rapport inter-entreprise s’étend de 1 à 5. Ceci démontre la grande diversité qui caractérise la politique salariale sur le marché de Lubumbashi. 3) Au niveau intra-entreprise, la disparité des revenus entre les catégories professionnelles est assez faible. Cette observation soulève la question de la tension salariale qui est assez faible. Elle se situe en moyenne de 1 à 2,26 pour le personnel d’exécution alors que la loi recommande une tension de 1 à 3,17. 4) Une grande proportion d’entreprises ont leur niveau de revenu salarial situé en deçà de la moyenne, ce qui signifie que la moyenne est largement "tirée vers le haut" par quelques entreprises où les salaires sont nettement supérieurs à ceux offerts par les autres. 7.2.4. Structure de la politique salariale

Le moins que l’on puisse dire est que la politique salariale dans les entreprises de Lubumbashi repose sur des pratiques fort diversifiées, et ceci qu’il s’agisse des modalités de fixation des taux salariaux ou du contenu même de la politique salariale. 7.2.4.1. De la fixation des salaires

En principe, deux attitudes sont généralement admises au Congo dans la fixation des taux de salaires : elle peut se faire soit par référence au salaire minimum légal, soit par voie de négociations paritaires. Le salaire minimum légal est le plancher de l’échelle des salaires que toute entreprise est tenue de respecter. En général, les taux de ce salaire sont fixés à un niveau très bas, au point que certains employeurs peuvent être tentés de se faire bonne conscience dès lors qu’ils payent à leurs travailleurs le SMIG (salaire minimum interprofessionnel garanti). Quoi qu’il en soit, les employeurs du Congo et de Lubumbashi en particulier ont toujours eu pour attitude d’adopter les salaires minimums légaux comme des minima qu’ils s’efforcent d’améliorer en fixant pour leurs travailleurs manœuvres un taux de salaire un peu plus élevé que le SMIG. Pour les entrepreneurs de Lubumbashi, le SMIG a aujourd’hui perdu toute valeur référentielle dans la fixation des taux de salaires. Les taux du SMIG encore légalement en vigueur aujourd’hui (faute d’autres textes) remontent au mois de mai 1995 (Décret n°0024 du 24/05/1995. Ils se présentent comme suit :

Catégories Tension Taux de salaire

Manœuvre ordinaire Manœuvre spécialisé Travailleur semi-qualifié Travailleur qualifié Travailleur hautement qualifié Maîtrise Cadre de collaboration Cadre de direction

100 133 154 237 317 366 564

868 à 1000

NZ 576,92 NZ 757,04 NZ 888,46 NZ 1367,30 NZ 1828,84 NZ 2111,53 NZ 3253,83 NZ 5007,67

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Il nous appartient de signaler que le syndicat du patronat congolais (l’ANEZA et aujourd’hui la FEC) n’a jamais accepté d’aligner les salaires des cadres de direction dans une tension unique avec les salaires des autres catégories professionnelles, tels que prévu par le décret ci-dessus (de 100 à 1000). Pour autant qu’ils ne soient pas inférieurs au SMIG, les taux des salaires des travailleurs peuvent être fixés par voie négociée entre les parties. C’est d’ailleurs la pratique adoptée par presque toutes les entreprises de Lubumbashi. A des périodes précises et lorsque la conjoncture économique l’exige, le syndicat des travailleurs rencontre l’employeur pour discuter de la révision des taux de salaires, en rapport avec l’évolution des prix sur le marché. Faisons remarquer qu’en vue d’éviter de longues et répétitives négociations salariales, certaines entreprises ont choisi de fixer les taux de salaires barémiques en monnaie forte. C’est le cas des entreprises E1 et E5 de notre échantillon. Le calcul des rémunérations est alors obtenu automatiquement en application du taux de change convenu. 7.2.4.2. Du contenu de la politique salariale

L’existence de nombreuses rubriques différant d’une entreprise à l’autre dans la structure du revenu salarial démontre à suffisance que l’uniformité dans la politique salariale des entreprises de Lubumbashi est loin d’être une réalité. A l’analyse de la structure des salaires tels que pratiqués dans les différentes entreprises étudiées, on remarque que 18 postes différents peuvent être distingués parmi les rubriques rémunérées: - Le salaire - La prime de production - La prime conjoncturelle - La prime de vie chère - L'indemnité de colis - L’indemnité d’eau et électricité - L’indemnité de la farine - L’indemnité de transport ou de véhicule - L’indemnité de tenue - L’indemnité de frais de voyage - L’indemnité de survie - L’indemnité des soins médicaux - L’indemnité de logement - L’indemnité de transport - Les produits alimentaires en nature - Les produits fabriqués par la société - La gratification - Le pécule de congé La seconde grande constatation à l'analyse de nos données empiriques est qu'il existe une grande disproportion entre le salaire de base et les autres rubriques du revenu salarial. Normalement, le salaire de base devait représenter la rubrique principale du revenu d’un travailleur. Ainsi, le législateur a-t-il prévu que le taux de l’indemnité de logement ne peut être supérieur aux 2/3 du taux de salaire. Cette indication proportionnelle a été motivée par la nécessité de préserver l’importance de la rubrique "salaire de base" comme base d’imposition fiscale sur le revenu des travailleurs. Pour illustrer combien certaines entreprises de Lubumbashi ont tendance à minorer les taux des salaires de base par rapport aux indemnités et primes diverses, nous reprenons dans le

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tableau suivant les taux pratiqués ainsi que leurs proportions par rapport aux primes et indemnités. Entreprise Salaire de

base en FC Prime en F.C.

Logement en FC

Transport en FC

(1)

(2)

(3)

(4)

Rapport (1) / (2)

Rapport (1) / (3)

Rapport (1) / (4)

E2 E6 E7 E8 E9 E10 E11

6,81 6,44 15,88 16,67 12,80 7,89 14,00

55,91 - -

42,30 127,80 150,26 70,00

11,53 9,61 77,69 10,83 13,76 13,77 15,00

23,69 56,00 35,00 56,00 56,00 56,00 56,00

0,17 - - 0,39 0,10 0,05 0,20

0,85 0,67 0,20 1,53 0,93 0,57 0,93

0,41 0,11 0,45 0,29 0,22 0,14 0,25

A l’analyse de la structure du revenu salarial brut telle que pratiquée dans les entreprises de Lubumbashi aujourd’hui, on réalise que le salaire de base ne représente en moyenne qu’une proportion de 16,6% – soit un sixième – dans le revenu brut global du travailleur. La proportion différentielle (83,4%) est constituée des rubriques pour la plupart non taxées (indemnités et primes diverses). Cette réalité indique la tendance à l’évasion fiscale à laquelle beaucoup d’entreprises congolaises recourent aujourd’hui pour améliorer leur niveau de bénéfices et/ou garantir un peu plus de revenus nets à leurs travailleurs en réduisant l’assiette imposable et en contournant la pression fiscale. 7.2.5. Revenu salarial et pouvoir d’achat à Lubumbashi Une question est fréquemment soulevée lors de la révision des salaires dans les entreprises du Congo en général: s’agit-il d’une augmentation des salaires ou de simples réajustements des taux des salaires ? Cette question relance, en fait, le problème du rapport entre le revenu salarial et le pouvoir d’achat du travailleur. Il y a lieu de distinguer ici le salaire nominal et le salaire constant: le premier est celui qui flotte avec l'inflation du franc congolais; le second traduit le pouvoir d'achat réel du salaire. On peut noter que le salaire nominal est une fonction directe du taux d'inflation tandis que le salaire constant est fonction inverse de la même variable. Un vieil article de la revue « Congo-Afrique », datant de 1968, témoigne de ce que le problème ne date pas d'aujourd'hui: « Depuis l’indépendance (jusqu’en 1968), les dépenses du budget familial ont décuplé à Kinshasa, alors que le salaire minimum ordinaire n’a que quintuplé. En d’autres termes, le pouvoir d’achat du travailleur a été réduit de moitié dans la mesure où les prix du marché ont évolué au coefficient 10 au moment où les salaires évoluaient au coefficient 5 ("Salaires..." 1968:217).

De nos jours, les revenus des salaires payés par les entreprises n’ont plus aucun rapport avec le minimum vital. L’écart est tellement grand qu’il est difficile d’envisager un rapprochement. En nous aidant d’un exemple pris parmi les entreprises constituant notre échantillon (E10), nous observons la situation suivante dans l’évolution de ces deux salaires (nominal et constant) de janvier 99 à septembre 2000.

1/99 3/99 6/99 9/99 1/00 3/00 6/00 9/00

Salaire nominal en FC 699 726 882 1170 2304 2304 2774 4694 Salaire constant en USD 199,7 148,0 93,3 97,4 69,8 62,2 52,3 65,2

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Il y a donc lieu de constater une distanciation progressive entre le salaire nominal et le salaire constant sur le marché de Lubumbashi. Mais cette réalité ne date pas d’aujourd’hui: d’après le rapport annuel de la Banque Centrale du Congo de 1980 par exemple, le salaire minimum légal est passé de 1975 à 1980 de l’indice 100 à l’indice 222,8, au moment où sur la même période l’indice des salaires réels (entendez salaires constants) est passé de 100 en 1975 à 16,5 en 1980. En d’autres termes, le pouvoir d’achat du salaire minimum légal s’est effrité de 83,5% sur la même période. Dans les circonstances macro-économiques actuelles, les augmentations de salaire des travailleurs dans les entreprises sont comme un mirage qui s’éclipse au moment où on croit l’atteindre: elles sont vite ravalées par les effets permanents de l’inflation. On peut constater que les salaires pratiqués sont tellement faibles qu’ils sont incapables de libérer les salariés de leur dépendance vis-à-vis des autres sources de revenus – souvent informelles – leur permettant d’assurer leur subsistance.

7.3. Répertoire des professions de l’informel 7.3.1. Introduction

Un coup d'œil sur ce glossaire fait ressortir toute une constellation de petits métiers, pour la plupart ignorés des générations antérieures, aujourd'hui connus sous diverses appellations assez évocatrices: katako, salizer, tumacer, "tchadien", "kadhafi", etc. Ces activités apparaissent comme les témoins d'un virage décisif de la société lushoise que la crise économique condamne à se tourner vers l’informel. Le revenu mensuel des activités du secteur formel étant souvent nettement inférieur aux dépenses engagées, le manque à gagner doit être comblé par le recours à une série d'activités extra-muros pour les employés. Les faibles économiquement, statutairement aussi, se rabattent sur des activités diverses appelées génériquement "kontraki", dérivé du français "contrat", où ils louent leurs services au profit d'un tiers. Au bas de l'échelle est la situation dramatique de la "londonienne", fille mineure qui, pour survivre, s'adonne à la prostitution. Ne misant plus que sur son charme pour avoir part à la générosité d'un amant séduit, elle en fait une pratique principale à laquelle elle consacre le gros de son budget-temps. Le mukala se charge, quant à lui, de trouver, moyennant paiement, des prostituées ou femmes mariées d'autrui pour un amant qui sollicite ses services. La portée morale de ses actes constitue le cadet de ses soucis, un seul fait le préoccupe constamment "comment arriver à survivre?".

On trouvera dans l’annexe 6 toutes les indications linguistiques nécessaires à la bonne interprétation de ce lexique.

7.3.2. Les petits métiers d’artisans et de réparateurs Wa–bimbotela/ba– (litt. "[la personne] des fosses septiques") : vidangeur. Son travail consiste à déboucher les conduites et égouts et à vidanger les fosses septiques avec un équipement sommaire : un seau avec un long manche en bambou. Il sillonne les rues à la recherche de travail. "Cireur"/ba– : cireur de souliers. Il se sert d’une éponge, d’un citron et de cirage de différentes couleurs. Pour attirer l’attention des passants, il tape sur des boîtes de cirage vides,

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qui émettent un bruit perçant. Il préfère s’installer à côté des arrêts de bus dans la commune de Lubumbashi ou près d’autres lieux de passage fort fréquentés. "Dare-dare"/ba– (litt. [vendeur] expéditif) : vendeur à la sauvette de divers produits manufacturés. La particularité des "dare-dare" est de chercher à écouler leurs produits à des prix concurrentiels par rapport à ceux des marchés et kiosques, pourvu qu’ils réussissent à vendre "dare-dare", même si la marge bénéficiaire est minime. Toutefois, les prix étant marchandables, ils sont souvent fixés à la tête du client : selon que ce dernier présente les allures d’un ngwefu (patron) ou d’un "criseur" (misérable), ils sont exagérément majorés ou significativement rabaissés. Ces détaillants ambulants sont de jeunes garçons qui oeuvrent aux abords des marchés de toutes les communes et des grands magasins de la ville. "Dessinateur"/ba– : peintre-dessinateur qui œuvre sur support mural ou sur pancartes. "Fondeur"/ba– : parfois appelé wa-kufula byuma/ba– (litt. "qui fond les métaux"). Son travail consiste à fondre la ferraille dans un creuset à l’aide de charbon, pour ensuite déverser la fonte obtenue dans des moules de casseroles appelées kikasa. De cette manière, on obtient des casseroles, cuillers et autres ustensiles de ménage. Souvent, il exerce son métier dans les communes de Katuba et Kenya. Wa–kupika mikate/ba– (litt. "qui prépare les pains") : boulanger, pâtissier. Il prépare souvent le pain ou la pâtisserie dans un four artisanal monté à l’aide d’un fût et utilisant du bois comme combustible. On le trouve dans les quartiers planifiés et d’autoconstruction. Wa–kusapisha myotoka/ba– (litt. "la personne qui lave les véhicules") : nettoyeur de véhicules. Souvent, il travaille en équipe installée le long de la rivière Lubumbashi, au croisement des avenues transversales : route Kipushi, boulevard Katuba, avenue de la Digue, ainsi qu’au Golf. Wa–kushuka/ba– :

• wakushuka mipila : tricoteuse • wakushuka nywele (litt. "qui tresse les cheveux") : tresseuse. Elles sont localisées sous des vérandas ou dans des paillotes et ce, dans toutes les communes de la ville.

• Wakushuka bilako (litt. "qui tisse les nattes") : nattier qui se sert de roseaux. Ils sont regroupés sur la rivière Lubumbashi, vers Katuba et vers Kalebuka, où ils peuvent se procurer les matériaux nécessaires à leurs travaux.

Wa–ma"briques"/ba– (litt. "la personne des briques") : briquetier qui travaille au sein d’une équipe d’au moins trois unités avec un moule mécanique. Il s’occupe – pour le compte d’un tiers – de mouler les briques et de les assembler sur un four. Il exerce surtout son activité dans les quartiers d’autoconstruction et d’extension (Kalebuka, Mampala, Kalubwe, Luano) pendant la saison sèche. "Maçon"/ba– : salarié ou indépendant, il exerce principalement son activité dans les quartiers d’autoconstruction. Il se fait généralement aider par un boy-maçon. L’apprenti maçon est appelé kimasa. Wa–makapoloshi/ba– : charpentier souvent indépendant et amateur qui exerce son activité surtout dans les quartiers d’autoconstruction, parfois au centre-ville.

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Wa–malabishi/ba– (litt. "[la personne] des poubelles") : ramasseur d’ordures. Il travaille avec les moyens de bord (brouette, chariot ou sac de raphia) et recherche les immondices à évacuer moyennant paiement. Il exerce surtout son activité dans les quartiers planifiés. "Malachitiste"/ba– : tailleur de malachite qui fabrique des objets d’art à l’aide d’une meule électrique. Cette activité est localisée dans la commune Ruashi, d’où il est facile de se procurer la pierre en question. Wa–ma"matelas"/ba– (litt. "[la personne] du matelas") : fabriquant de matelas dont la gamme varie des moyennement confortables à la paillasse en raphia appelée "vie chère" (ou "en attendant"). Il travaille souvent à la Katuba, à la Kenya, ainsi que dans les quartiers Kafubu, Congo et Kalukuluku. Wa–mambekeci/ba– (litt. "[la personne] des seaux") : tôlier qui fabrique des ustensiles de ménage (seaux, casseroles, bassines) sur base de matériaux de récupération (vieux seaux, objets en aluminium). Il écoule sa marchandise au marché ou de manière ambulante. On les trouve surtout au quartier Congo ainsi que dans les communes Katuba et Kenya. Wa–mamitungi/ba– (litt. "[la personne] des cruches") : potier. L’argile constitue sa matière première pour la fabrication de vases, marmites, gobelets, etc. Ils exercent dans la périphérie de la ville. Wa–masabuni (litt. "[la personne] des savons") :

• fabricant de savons à partir d’huile de palme et d’autres déchets liquides récupérés souvent à l’usine textile "Amato-Frères".

• vendeur de savons. Ils sont lo]calisés à Kafubu et à Bongonga. Wa–masakoshi/ba– (litt. "[la personne] des sacoches") : maroquinier qui confectionne mallettes, sacoches, valises, etc., avec du cuir et du carton. Ils sont principalement actifs dans les communes Kenya, Katuba et Kampemba. Wa-mbao/bama– (litt. "[la personne] des planches") :

• scieur de long. • vendeur de planches. Il achète des grumes de sapins ou d’autres arbres de brousse (mulombwa, musase, saninga, lusanga, etc.), les fait scier et les revend au détail.

"Mécanicien"/ba– :

• réparateur d’autos. • celui qui s’occupe de l’entretien et de la maintenance des véhicules. • celui qui fait des bricolages en montant les pièces d’un véhicule sur un autre (moteur, pare-brise, carcasse, etc.).

"Mécanographe"/ba– : réparateur de machines à écrire et de stencileuses. Il circule souvent avec son matériel pour effectuer ses réparations dans les bureaux, à la maison et partout où l’on sollicite ses services. On en trouve fréquemment aux alentours des bureaux. Wa–mu"carrière"/ba– (litt.: "[la personne] de la carrière") : laveur de sable ou creuseur de moellons. Il travaille en équipe dans une carrière appartenant à autrui, et ce moyennant une rente. (Luano, Kasungami, Ruashi)

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"Menuisier"/ba– : salarié ou indépendant, il a un petit atelier constitué généralement d’une table et d’une scie mécanique. Il fabrique et répare les meubles (lits, chaises, vitrines, etc.). Ndandanshi/ma– : hétérogénite. Dans les mines abandonnées, on extrait à présent des quantités de terre censées contenir des résidus de minerais comme le cobalt. Ces matières sont envoyées sous forme brute dans les pays étrangers, tels que la Zambie et l’Afrique du Sud pour y être traitées. Il faut une autorisation préalable de l’Etat pour exercer ce métier. "Photographe"/ba– : photographe ambulant, souvent présent lors des manifestations populaires, surtout lors des fêtes. Il circule dans les quartiers à la recherche de clients. Il s’installe parfois dans un studio de fortune sur une artère principale. "Précepteur"/ba– : répétiteur à domicile. Parfois, c’est l’enseignant même de l’enfant qui, dans l’effort de nouer les deux bouts du mois, joue ce rôle. Lorsque les élèves sont nombreux, il organise les enseignements dans le bâtiment scolaire. Les autorités de l’école s’y opposent souvent, mais sans succès. Il arrive que les répétiteurs se regroupent et organisent un centre de préparation aux examens d’Etat où s’inscrivent les candidats autodidactes et les élèves réguliers désireux de parfaire leurs connaissances. "Réparateur"/ba– :

• "Réparateur" wa masa (litt. "réparateur des montres") : horloger. Il exerce souvent dans un kiosque ou sous les galeries des artères principales.

• "Réparateur" wa ma"appareils" (litt. "réparateur des appareils") : électronicien ou électricien spécialisé dans divers appareils électroménagers (frigo, congélateur, radio, télévision, four électrique, plaque chauffante, etc.). On le trouve dans toutes les communes.

• "Réparateur" wa mankinga (litt. "réparateur de vélos") : il dépanne et monte des bicyclettes à partir de pièces détachées neuves ou d’occasion, parfois avec des tuyaux ¾ employés pour les travaux de plomberie.

• "Réparateur" wa matukutuku (litt. "réparateur de motos"). "Salon de coiffure" : souvent érigé le long des artères principales ou des marchés, ce salon a la taille d’un kiosque. Il abrite des coiffeurs pour hommes et pour femmes, qui travaillent avec un appareillage assez sommaire : une tondeuse, un séchoir, des peignes et quelques produits cosmétiques. Cette activité est très répandue dans toute la ville. Scierie/ma– : atelier où on débite le bois en planches à l’aide de scies électriques, pour le compte de la scierie ou d’un tiers (wambao) qui paie la main-d’œuvre. Il existe une constellation de petites manufactures de fortune qui ne possèdent qu’une seule scie ; elles sont éparpillées dans la commune de Kampemba. "Soudeur"/ba– : ferronnier travaillant avec un poste à souder – le plus souvent artisanal – ou à l’arc. Il fabrique portes, fenêtres, grilles, lits métalliques, chariots, etc. Cette activité est fort répandue dans les quartiers planifiés car ceux-ci sont desservis en électricité. "Tailleur"/ba– (du français) : couturier, tailleur. Ils sont implantés le long des magasins de la ville ou des maisons d’habitation ou à côté des fripiers de marché. Syn: wakushona/ba— (litt. "qui coud")

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7.3.3. Le commerce 7.3.3.1. Commerce ambulant Bisneser/ba– (du franglais "businesseur", "homme d’affaires") : vendeur à la sauvette qui crie à longueur de journée pour faire le marketing de ses articles. Cf. "dare-dare". Il travaille autour des marchés et au centre-ville. "Commissionnaire"/ba– : entremetteur dans la vente de biens meubles et immeubles et dans la location des maisons. Il exige aussi bien de l’acheteur que du vendeur 10% sur le chiffre d’affaire et gonfle donc les prix. "Fournisseur"/ba– : Fournisseur de matériel de construction, de pièces de rechange et autres produits vivriers manufacturés. Souvent, il les importe de pays africains (Zambie, Tanzanie, Afrique du sud), mais parfois aussi d’autres provinces du Congo. Wa–ma"fleurs"/ba– (litt. "[la personne] des fleurs") : fleuriste ambulant. Certains d’entre eux ont de solides connaissances en jardinage et cultivent eux-mêmes les fleurs qu’ils vendent ; d’autres se contentent d’aller cueillir en brousse de jolies plantes qu’ils revendent le long des routes ou dans les ménages aisés. Mustronger/ba– (de Amstrong, astronaute américain) : voyageur clandestin du train qui, au moment du contrôle, se soustrait au-dessus du wagon, tel Amstrong dans l’espace. Par extension, ce terme s’applique à tout trafiquant clandestin qui écoule ses produits à bord du train et le long des gares. Il revient par le même train qu’il a emprunté au départ. Ce commerce, jadis florissant, a relativement périclité de nos jours suite au renforcement du dispositif de contrôle après l’entrée de l’AFDL à Lubumbashi. "Preneur d’œuvres en malachite" : on le retrouve aux heures du soir au marché "Matonge" de la commune Ruashi, lorsque les tailleurs de malachite vendent à vil prix les objets qu’ils ont fabriqués. Le "preneur" revend ces œuvres au pays ou à l’étranger. "Trafiquant"/ba– : son travail consiste soit à acheter en ville certains produits manufacturés ou de première nécessité (sel, huile, sucre) qu’il troque contre poissons ou produits vivriers dans les villages, soit à acheter dans les villages des produits qu’il revend en ville. Ce trafic s’exerce à l’intérieur du pays, sur des distances qui peuvent parfois dépasser 1000 km. Parmi les trafiquants, on distingue aussi les revendeurs de véhicules d’occasion venant d’Europe, de Dubaï ou d’Afrique du Sud, ainsi que ceux qui revendent des produits dits "de luxe" importés (wax hollandais, bijoux, pantalons, etc.). Ainsi donc, on appelle "occasion

d’Europe"/ma- : voiture d’occasion encore pimpante souvent importée d’Europe ; "Dubaï"/ma-

: mini-bus d’occasion souvent de marque Toyota Hiace importé de Dubaï. "Trafiquant ya malachite brute"/ba– : cette activité consiste à acheter de la malachite brute dans les carrières de Kolwezi ou d’ailleurs pour la revendre à Lubumbashi, plus particulièrement auprès des tailleurs de malachite. Ils sont nombreux à la commune Ruashi. Tumacer/ba– (de l’anglais too much : "trop cher") : intermédiaire dans la vente d’objets d’art en malachite et en ivoire qu’il retire auprès d’artistes pour les proposer le plus souvent aux expatriés en surenchérissant sur le prix, de sorte que leurs articles coûtent en définitive "trop

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chers". On les trouve à la commune Ruashi et aux alentours des grands hôtels de la ville (Park Hôtel, Hôtel Karavia, etc.). Wuwu/ba– ( de l’onomatopée "wouwou !", le cri du chien) : vendeuse ambulante de légumes et d’épices qu’apprécient les familles aisées (tomates, piments, courge, petits pois, haricots verts, fruits, etc.). Elles vendent leur marchandise de porte à porte; en frappant à la barrière, elles sont accueillies par les aboiements des chiens, d’où leur nom de "wouwou !". Leurs lieux de prédilection sont souvent situés devant les magasins, au centre-ville, ou dans le quartier Golf. Syn.: "Maman-tomates"/ba- 7.3.3.2. Commerce sédentaire "Alimentation"/ma– : boutique où se vendent des denrées alimentaires des produits manufacturés et autres, etc. Elle est plus spacieuse et mieux achalandée qu’un kiosque. On en trouve sur toute l’étendue de la ville. Bicezesha (litt. "[les choses] qu’on fait jouer") : jouets fabriqués à partir de matériaux de récupération (étoffe, ficelle, fil de fer, fer "feuillard" (bandes métalliques servant pour les emballages), etc.) et vendus aux abords des marchés de toutes les communes. "Cambiste"/ba- : opérateur de marché parallèle de change. Il brade la monnaie locale contre les devises. On les trouve souvent au centre-ville, au quartier commercial et à la commune Kenya. "Kadhafi"/ba– (de Kadhafi, le président de la Libye, pays producteur de pétrole): revendeur à la sauvette de carburant et de lubrifiant. "Kiosque"/ma– : petite boutique située en ville ou dans un coin de parcelle, de préférence le long d’une artère fréquentée. On y vend toutes sortes de denrées alimentaires et autres articles de première nécessité. Le kiosquier s’approvisionne dans les magasins du centre-ville. Wa–kuuzisha bitabu/ba– (litt. "vendeur de livres") : bouquiniste. Il rachète les vieux livres et les étale sur un éventaire en bois ; le prix est à marchander. Le marché des livres est situé sur l’avenue Likasi, le long de la clôture de l’hôpital Sendwe. "Libanais"/ba– :

• personne parcimonieuse. Syn. : mukono nguvu, étau, bukonkoto.

• vendeur dans un kiosque. • personne qui produit des biens non durables.

Wa–ma"journal"/ba– (litt. "[la personne] des journaux") : vendeur de journaux. Il est soit au service d’un journal, soit indépendant, auquel cas il tire des photocopies d’un journal qu’il expose à même le sol à des endroits de grande affluence, ou qu’il exhibe de porte à porte. Le rez-de-chaussée de la Banque commerciale du Congo et le croisement des avenues Moero et Sendwe sont les lieux de prédilection de ce commerce. Wa–makuta ya "intérêt"/ba– (litt. "[la personne] pour l’argent à intérêt") : Usurier prêtant de l’argent remboursable avec un intérêt de 50% endéans un délai convenu, qui varie de dix à trente jours. Il exerce son activité, pourtant prohibée, au sein de grandes sociétés de la place.

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La population n’y recourt qu’en cas d’extrême nécessité. On appelle ce système d’usure "Banque Lambert", par référence à la grande banque belge "Bruxelles-Lambert". Wa–mankuni/ba– (litt. "[la personne] de bois") : vendeur de bois de chauffage – parfois même de sapin - ramassé en brousse et vendu par fagot. Ses clients sont surtout des boulangers et des brasseurs de lutuku. Ce commerce est très actif dans les marchés de la périphérie. Nganda/ma– : débit de boissons (surtout alcoolisées) dont la prise s’accompagne de mets spécifiques (micopo, bibondo, etc.). Généralement, il s’agit d’une infrastructure de fortune : paillote, baraquement ou une simple pièce de maison. Les nganda sont localisables dans toutes les communes. Ba"pondeuse" : poussins élevés artificiellement à l’occidentale. Ces derniers sont revendus au terme de 2 à 3 mois. Leur élevage nécessite une couveuse, un vaccin et une nourriture adaptée à leur âge. Wa–"restaurant"/ba ma– : personne qui tient un restaurant, généralement une jeune femme. Cette activité est concentrée le long des artères principales et près des lieux de grande affluence (gares, arrêts de bus, marchés, hôpitaux, entreprises, etc.). Généralement, le restaurant est abrité dans un baraquement ou sous une paillote de fortune. Les plus anciens restaurants de ce type sont ceux situés près des entreprises SNCC, GCM, Forrest, Mecelco, ainsi qu’à proximité des marchés Lusonga et Kenya. 7.3.4. Les opérateurs religieux et sanitaires "Croix rouge"/ba– : secouriste autonome formé sur le tas qui s’adonne à l’art de guérir avec des produits pharmaceutiques et ce, principalement dans l’hinterland de Lubumbashi. Il porte souvent une bandelette tranchée d’une croix rouge. Certains d’entre eux sont réellement des cadres nationaux de la Croix Rouge Internationale qui les réquisitionne en cas d’épidémie, de guerre ou de calamité naturelle. Dawa ya kisenji/ma– (litt. "le médicament traditionnel") : potions, poudres et autres ingrédients censés guérir les maladies face auxquelles la médecine moderne est présumée impuissante: maux d’estomac, de dents, impuissance sexuelles, stérilité. A la différence du mufumu, celui qui exerce ce métier est supposé ne pas recourir au concours des esprits. Syn.: guérisseur. Il exerce surtout dans les quartiers planifiés et d’extension. Wa–kutwangana nshindano/ba– (litt. "qui pique l’aiguille") : infirmier, attitré ou non, qui s’emploie à faire des injections aux patients moyennant paiement. Souvent, il le fait à domicile. Cette activité est très répandue dans les quartiers d’auto-construction et d’extension. Syn.: infirmier, munganga. Mufumu/ba– : devin, "féticheur". Il est censé pouvoir améliorer, grâce à l’intervention du surnaturel, le sort de ses clients. L’exorcisme, le dépistage des sorciers, le désenvoûtement entrent dans ses prérogatives. Son tarif – censé être fixé par les esprits – n’est pas à marchander : il s’agit généralement d’une poule, d’un pagne ou d’argent. Il est souvent installé à la périphérie de la ville, dans les quartiers d’auto-construction et d’extension.

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Munganga/ba– (litt. "médecin") : pharmacien ambulant. Son travail consiste à acheter des produits pharmaceutiques en ville et à les revendre de porte à porte, à la périphérie de la ville. Les munganga peuvent aussi vendre des potions à base de racines. Munganga bilulu/ba– (litt. "médecin de la vermine") : son travail consiste à désinfecter les maisons à l’aide d’insecticides à pulvériser. Il s’emploie aussi à la vente de désinfectants dans des emballages de réemploi. Mutumishi/ba– (litt. "serviteur [de Dieu]") :

• exorciste, prophète d’obédience chrétienne. Il chasse par la prière les mauvais esprits. Des offrandes et des dons lui sont régulièrement versés. Ceux qui, pour des raisons de conviction religieuse, ne peuvent pas consulter le devin sous peine de pécher recourent volontiers aux services du mutumishi.

• évangéliste itinérant qui s’embarque à bord des bus et trains pour prêcher l’évangile. Il en descend à une certaine distance après avoir donné la parole de Dieu et après avoir recueilli l’offrande. Il arrive aussi qu’il prêche dans les lieux de grande affluence (marché, arrêts de bus, etc.). Une collecte suit toujours son prêche.

7.3.5. La prostitution Damwizi/ba– (litt. "sœur voleuse") : prostituée. Cette appellation doit son origine à la propension qu’a la prostituée de conquérir les maris d’autrui et de voler les amants distraits. Syn.: da vodo. Parmi les prostituées, on distingue : la kamsavatro/ba- (litt. "qui sait trop") : fille mineure qui se livre la prostitution, la londonienne/ba- (litt. "de Londres") : jeune prostituée, souvent en pantalon collant, qui a l’habitude de se poster le long des routes fréquentées en quête d’hommes à séduire. "Coup pressé"/ma- : se dit d’une "passe", par opposition à ku "veiller", qui se dit de relations sexuelles qui se prolongent toute une nuit. Kuonga (muanamuke) : payer (à une femme) l’argent pour les rapports sexuels. Syn. Karashika/ba– : du film nigerian "Karishika", dans lequel une certaine Samandora, prostituée, recourt aux fétiches pour séduire les hommes. Par extension, ce terme s’applique à Lubumbashi aux prostituées, tant elles ont la réputation d’user de toutes sortes de sortilèges pour accroître leur charme. Mukala/ba– : entremetteur en matière de prostitution. Il s’emploie à trouver des prostituées, notamment parmi les femmes mariées. Il est parfois chargé par les femmes légères d’attirer des hommes et ce, moyennant commission. 7.3.6. Les transporteurs et leurs auxiliaires "Chariot-man"/ba"chariot-men" (de l’anglais) : conducteur de chariot. Ils sont généralement regroupés au sein d’une association pour protéger leurs droits. Ils sont concentrés aux abords des marchés et des les arrêts de bus. "Chauffeur"/ba– ou "driver"/ba- : conducteur de véhicules privés ou de ceux affectés au transport public. Dans ce dernier cas, il est rémunéré en raison de 10% de ses versements. La plupart d’entre eux habitent la cité. On distingue parmi les chauffeurs une catégorie dite des salizer/ba– : taximan inconnu du propriétaire du véhicule, conduisant sur arrangement avec le conducteur attitré. Ainsi, l’expression kufanya saliiz signifie donner un coup de main à un

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taximan empêché à l’insu du propriétaire du véhicule. Le salizer est payé par le chauffeur attitré au prorata des heures prestées. Les salizer sont à l’attente des occasions de conduire dans les arrêts de taxi-bus. "Chef secteur"/ba– : autorité à laquelle se réfère toute personne qui veut exercer un petit métier dans un endroit donné (katako, "chariot-man", "pousse-pousseur", "cireur", "dare-dare", etc.). Il s’agit donc d’une profession qui ne s’applique pas seulement aux professions liées aux transports, même si elle est plus fréquente dans ce secteur où nous l’avons rangée par commodité. Le chef de secteur s’improvise et s’impose souvent par sa carrure à ses pairs, qui lui versent à chaque nouveau contrat obtenu une redevance. Il dispatche les commandes de son secteur de façon unilatérale. Il exerce son activité autour des magasins, dépôts et arrêts de bus. Katako/ba– : portefaix ou manutentionnaire de fortune pour le compte de tiers. Il sillonne les entrées de magasins et les arrêts de bus. Keve/ba– (du français "convoyeur") :

• receveur de taxi-bus. Il fait payer les usagers et signale au chauffeur de s’arrêter pour prendre ou faire descendre un client. La plupart du temps, c’est un journalier qui est souvent inconnu du patron: C’est le chauffeur qui le recrute et le rémunère.

• Boy-chauffeur travaillant sur des camions qui font le transport vers l’intérieur du pays. Il ne perçoit pas le titre de voyage, ce qui est du ressort du gérant, mais s’occupe plutôt du chargement, du déchargement et de la réparation des pannes éventuelles.

"Pousse-pousseur"/ba– (de" pousse-pousse") : il transporte sur un pousse-pousse des bagages pour ses clients. Cf. chariot-man. Il attend les clients dans les endroits de grande affluence. "Tchadien"/ba– : crieur public appelant les clients pour un conducteur de taxi-bus en cas de pénurie de clients à l’arrêt. Il est rémunéré par le chauffeur qui lui verse le prix d’une course et par le client qui lui donne un petit quelque chose s’il a transporté ses bagages. Wayambar/ba– (de kawayawaya mbali. Litt. "qui erre au loin") : jadis, convoyeur de camion en brousse ; il voyageait souvent perché au sommet du véhicule, faute de place ou par simple esprit d’aventure. Aujourd’hui, ce terme désigne le délinquant. Cf. "dare-dare", bisneser. 7.3.7. Les activités de bail –"louer" :

• ku"louer" nkanjo ya mariage (litt. "louer la robe de mariage"). Cette activité, fréquente au centre-ville, consiste à mettre en location une robe de mariage pour un week-end ; le prix varie entre 1 et 50 USD.

• ku"louer" chariot (litt. "louer un chariot") : le propriétaire d’un chariot loue celui-ci pour une journée, généralement au tarif de 1 USD, et ce auprès des chariot-men qui n’en possèdent pas.

• ku"louer" nkinga (litt. "louer une vélo") : le propriétaire d’une bicyclette la loue auprès d’un transporteur de makala dont le vélo est en panne, ou auprès d’un voyageur occasionnel qui veut se rendre en brousse. Le prix est à convenir. Ce métier est plus fréquent dans les quartiers planifiés et d’extension.

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• ku"louer" bikwembe, ma bijoux (litt. "louer les pagnes, les bijoux") : cette activité est exercée par des femmes qui louent leurs habits et bijoux auprès des prostituées. Elle est fréquente à la commune Kamalondo.

Nyumba ya kulipia/ma– (litt. "maison à louer"): activité qui consiste à louer sa maison ou quelques-unes de ses pièces à un locataire. Le loyer varie selon la nature du quartier, l’état de la maison et l’usage qu’on en fait, le loyer des maisons commerciales étant plus élevé que celui des maisons destinées à l’habitat.

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CHAPITRE 8 : L’ECONOMIE MORALE (approche lexicale)

8.1. Introduction

Le présent lexique se révèle tel le reflet des tournants majeurs du vécu quotidien du Lushois sur le plan socio-économique. Il s'attèle moins à combler d'éventuelles lacunes des dictionnaires swahili existants qu'à retracer les moments décisifs et les modalités de la mutation profonde qu'a subie la ville depuis peu.

En effet, la crise congolaise (alors zaïroise) dont la genèse se situe autour de 1973-1974 a atteint son point culminant au début des années 1990 : le pillage systématique perpétré par les Forces Armées Zaïroises (FAZ), de concert avec les masses appauvries, a achevé de saper l'infrastructure lushoise déjà entamée, il est vrai, deux décennies auparavant. Plusieurs petites et moyennes entreprises ont dû fermer leurs portes, livrant ainsi brutalement au chômage nombre de leurs employés. L'effritement du pouvoir d'achat allié à la précarité et à la dégradation du marché de l'emploi ont tôt fait de stimuler le génie créateur du Lushois, qui a fini par mettre sur pied quantité de stratégies de survie qui s'étalent sur un continuum allant d'un job légitime aux activités aussi criminelles que juteuses en passant par tout un réseau de pratiques prohibées qui consacrent ainsi l'émergence de l'informel dans une ville minière dont la population basa longtemps son existence sur le salariat.

Les faits sociaux étant totaux et globaux dans leur essence comme dans leur occurrence (Mauss 1923-4:32), ils apparaissent comme fortement corrélés avec le langage qui rend compte de tout ce qui dans la société lushoise s'est passé et s'y déroule encore de nos jours.

Baromètre des phénomènes nouveaux, le lexique rend aussi compte du caractère composite d'une ville en expansion. C'est le cas de Lubumbashi qui, de plus en plus, prend figure d'une agglomération cosmopolite: diverses nationalités y vivent côte à côte, mais cette cohabitation n'est pas toujours sans heurt. Il suffit de mentionner ici quelques noms dont la seule évocation fait surgir tout un faisceau de stéréotypes: dans le monde du travail, "libanais" désigne un chef parcimonieux qui ignore les libéralités vis-à-vis de ses employés ; le "beleji" (belge) est plutôt un patron très dur à qui seule importe la productivité et jamais la condition sociale ; le "tchadien", un agent à tout faire ; la "londonienne", une prostituée mineure, etc.

Depuis un quart de siècle, Lubumbashi s'affirme comme la plaque tournante du trafic entre les grandes villes congolaises (Kinshasa, Kananga, Mbuji-Mayi) et l'Afrique australe (Zambie, Zimbabwe, Afrique du Sud et Tanzanie), situation que confirment – sur le plan linguistique – le multilinguisme et surtout la pidginisation du swahili lushois. Certes, il est courant d'y entendre parler le français, l'anglais et bien évidemment le swahili, mais la nouveauté tient au fait qu'outre le phénomène de diglossie, on assiste à l'émergence de termes amalgamés des différentes langues en présence. Citons à titre d'exemple le terme "batumacer" : étymologiquement, il signifie « ceux qui (revendent) trop cher (les produits en malachite) » et remonte à ba - too much – eur. 1 2 3 1. Préfixe nominal de classe 2 en swahili de Lubumbashi: marqueur du pluriel 2. de l'anglais "trop" 3. morphème d'agent en français.

Par ailleurs, sur le plan interne, Lubumbashi fait état du caractère désormais hétérogène de ses habitants. Témoin d'une mutation de ville, ce glossaire est tissé des mots de langues

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congolaises diverses à savoir: le lingala (libaku, kobenda, etc.), le ciluba (mwanakende), le kibemba (lubaya), le kiluba (ambula mwana, nkyatambwuile), le kisanga (marimi), etc. En parcourant ce lexique, on revit quasiment en différé le film de la vie quotidienne à Lubumbashi. Les aspirations, les incertitudes et la multiplicité des activités informelles qui jalonnent l'expérience du Lushois prennent la forme de ce qu'on pourrait considérer comme une projection spéculaire, cathartique ou complémentaire (Anzieu 1970 : 22 -23)

8.2. Indices pécuniaires Au Congo comme dans le reste du monde, la monnaie constitue l’horizon inévitable d’une infinité de pratiques sociales. La singularité congolaise est liée au fait que la monnaie locale perd régulièrement de sa valeur par rapport aux devises étrangères dont le dollar US est devenu, dans la pratique, l'étalon. Cette situation est devenue explosive en 1994, lorsqu’avaient cours trois monnaies différentes, acceptées ou rejetées selon qu'on se trouvait à Mbuji-Mayi, Kananga, Kinshasa ou Lubumbashi : les "anciens zaïres" étaient restés la monnaie des deux Kasaï tandis que les "nouveaux zaïres" circulaient à Kinshasa ; les billets de "cinq millions" de nouveaux zaïres n’étaient acceptés qu’à Lubumbashi, alors que le reste du pays les boycottait… Le commerce entre le Katanga et Kinshasa, les deux Kasaï et l'Afrique du Sud posait problème concernant le taux de parité avec le dollar US qui était devenu à Lubumbashi une référence. C’est ainsi que le phénomène "cambisme", le marché de change parallèle prit de l'ampleur, comme en témoigne la richesse de sa terminologie: kobenda, "point combien ?", etc. Dans cette ambiance où l'argent est devenu difficile à trouver ― et plus encore à conserver ― il semble hanter le discours du Lushois qui l'évoque plus qu'il ne le possède. La prolifération des termes et expressions en rapport avec la monnaie en constitue un puissant indice. Bara/ma– : franc congolais. Bukari/ma– (litt. pâte à base de farine de maïs et/ou de manioc qui constitue le repas principal, surtout au Katanga) : gain, intérêt.

• Peko bukari (litt. "il y a le bukari") : il y a un gain. Se dit d’une activité économique qui rapporte un gain considérable.

• Kupoteza bukari (litt. "perdre le bukari") : perdre une source de revenus. • Kutosha (muntu) mukono pa bukari (litt. "faire sortir la main du bukari") : faire perdre une source de revenus.

Bukokoto : parcimonie ; se dit aussi d’une personne qui rétribue mal. Syn. : mukono nguvu, étau. "Capital"/ma– : somme d’argent, si modique soit-elle, servant au démarrage d’une activité économique (ne se dit pas du patrimoine). "Chiffre" : argent

• Kufanya "chiffre" : réaliser une bonne affaire. Syn. kupika “but”, kupika libaku. Ant.: kupotesha (litt. "perdre").

"Cinq papiers"/ma- : cinq francs.

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"Cobalt" : ce qui est rare et cher. Syn.: diamant. Ant.: compo, ova, kibole. Compo (adj. de kucompoka : surabonder) : vendu ou acheté à vil prix suite à l’abondance sur le marché. Syn.: kibole, ova. Ant.: diamant, cobalt

• Kuwa compo (litt. "être à bas prix") : se dit des marchandises dont le prix a baissé suite à leur abondance sur le marché.

Copet(i) (de l’anglais "cheap") : sans valeur.

• Bintu ya copeti (litt. "les choses moins chères") : marchandises à vil prix.

"Devise"/ma– : monnaie étrangère plus forte que le franc congolais, en usage sur le marché de change (USD, franc belge, etc.). "Diamant" : précieux suite à la rareté.

• kuwa diamant (litt. "être diamant") : devenir rare et cher. Syn.: cobalt. Ant.: compo, ova, kibole.

"Dollar"/ma– : dollar US. Cf. devise. Ant.: FC "Double" : dans le langage des cambistes, désigne un chiffre dont les unités sont identiques aux dizaines. Exemple : double 5 : 55 ; double 6 : 66. Cf. devise, point combien ?. Ev/ma– : dix francs congolais. "Faux" (adj.) : mauvais.

• Marché iko faux sana (litt. "le marché est très faux") : les marchandises se vendent difficilement.

• Ngwefu wa faux sana (litt. "un très mauvais patron") : un patron qui ne paie pas bien. Ant.: "vrai".

Matota (ncinga) : somme versée au propriétaire d’un lieu de commerce (dépôt, kiosque, etc.) pour avoir droit d’y exercer parallèlement son activité.

• Kula matota (litt. "manger le matota") : percevoir le matota. Syn.: kula miceni.

"FC"/ma– (abréviation de "franc congolais") : désigne la monnaie locale des changeurs de monnaie. Syn.: lagos, mbabi. Ant.: devise, dollar. "FMI" (de "Fonds Monétaire International") : argent. Syn.: lagos, lar, mbabi, miceni. Kastoma/ba– ou mustoma/ba– (de l’anglais "customer") : client, dans le langage des meuniers. Kibole (adj. du kiluba "kibole" : "pourri") : surabondant au point d’en pourrir, en parlant de marchandises.

• Biko kibole (litt. "c’est pourri") : c’est surabondant. Syn.: ova, compo. Ant. diamant, cobalt, or.

Ki–ingiapori/bi- (litt. "ce avec quoi on entre en brousse") : somme versée pour la garantie auprès du tradipraticien avant qu’il n’aille à la recherche des médicaments en brousse. Par extension : caution.

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Kobenda (lingala ; litt. "tirer") : chez les cambistes, action d’échanger des devises contre de la monnaie locale. Lagos/ma– : l’argent. Syn.: lar, mbabi, FC Lar/ma– : l’argent. Syn.: lagos, mbabi, FC Lubwako (du lingala lobwaku ; litt. "prison") : marché illicite des devises. Cf. cambiste, devise, dollar. "Marché"/ma– :

• Kufanya "marché" (litt. "faire le marché") : réussir à bien vendre à un bon prix. • "marché" ni je ? (litt. "comment le marché ?") : comment les choses se vendent-elles [aujourd’hui] ?

Mbabi/ma– (litt. "argent") : Syn.: lar, FC "Mélo" (du français "mélomane") : usager du marché de change parallèle. Mutengo (du bemba "umutengo") : prix. Ova (adj. ; de l’anglais "over") : abondant

• Kuwa ova : abonder. Syn.: compo, kibole

"Papier vert" : dollar US. Syn.: franklin, dol, reagan. "Point combien ?": dans le langage des cambistes, cette expression est utilisée pour demander des précisions sur la partie décimale du taux du jour du dollar US, la base étant supposée connue. Exemple, si le dollar US se change à 93 on dira, il est à point 3, la base 9 étant connue. Ya de l’expression makuta ya (litt. "l’argent pour") : pour boire

• ya simba, sucré, transport, etc. (litt. "pour la bière, la Simba, le sucré, le transport", etc.).

8.3. Faillite et prospérité La réussite et l'échec constituent les deux pôles entre lesquels oscille constamment la vie, l'équilibre étant souvent difficile à réaliser, et plus encore à maintenir. Ceci est particulièrement vrai à Lubumbashi, où la vie professionnelle se présente comme dominée par une permanente insécurité de l'emploi. Le travailleur est à la merci des aléas que personne, pas même l'employeur, ne semble maîtriser. L'on se souviendra de la nuit fatidique du 20 au 21 octobre 1991, où le Lushois réveillé par des tirs nourris à la mitrailleuse assistait au pillage des quartiers industriel et commercial par les soldats en colère. Et dès le lendemain, des milliers de citadins étaient devenus des sans-emploi, beaucoup d'entreprises ayant fait faillite en l'espace d'une nuit. Par ailleurs, plusieurs employeurs se soustraient aux obligations du fisc en évitant de signer un quelconque contrat avec leurs ouvriers: les domestiques, jardiniers, serveurs de bars – pour ne citer que ceux-là – sont très peu nombreux à pouvoir exhiber leur numéro d'affiliation

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à l'Institut National de Sécurité Sociale (INSS), ce qui tourne à l'avantage du patron qui peut les congédier n'importe quand selon l'humeur du moment. En outre, les revendications pour le réajustement des salaires face à l'érosion monétaire sont jugées inutiles pour n'avoir pas, dans la majorité des cas, porté de fruits par le passé.

La faillite entraîne toujours des conséquences à la chaîne pour toutes les couches de la population. Qu'il s'agisse d'une entreprise en banqueroute qui ferme ou tout simplement d'un agent non payé ou sous-payé, les répercussions sont graves pour tous les secteurs qui dépendent d'une manière ou d'une autre de ces instances. En pâtiront ceux qui s'adonnent à la carrière libérale - les clients devenant plus rares faute de moyen - mais aussi ceux qui se livrent à des activités illicites : la prostituée ou l'escroc verront également baisser leur chiffre d'affaire. Toutefois, la crise ne touche pas l’ensemble de la population, et la chute des uns entraîne souvent la prospérité des autres: un individu financièrement mal en point finira par revendre à vil prix ses biens pour accéder aux soins médicaux ou pour pallier à d'autres types de besoins. L'acheteur aura ainsi fait à peu de frais une "bonne affaire" au désavantage de son partenaire. La perspective d'une faillite amène certains à accumuler des biens même sans nécessité apparente (par exemple, quatre frigos pour un ménage), en prévision de leur revente dans les jours difficiles pour se remettre à flot. Banqueroute et prospérité s'offrent finalement comme le recto et le verso du vécu quotidien du lushois, comme on peut le remarquer à travers les mots et expressions qui suivent. Prospérité -"dépanner" : donner de l’argent à un nécessiteux. - fufuka (litt. "ressusciter") : trouver de l’argent après une rupture. Ant. kuwa cini (litt. "être par terre"). Ngwefu/ba– : patron, personne riche. Syn.: wayulu Kukomboka (litt. "avoir la vie sauve") : sortir d’une situation de rupture de revenus.

Nkomi/ba– (inusité, de "commis") : riche. Nvama ou nvwama/ba– (du kikongo) : riche. Syn.: wayulu. "Patron"/ba– :

• "Patron" wangu : mon employeur • Karibu "patron" ! : approchez, client ! Syn.: ngwefu, kastoma, boss.

Wa–ka"moyen"/ba-– (litt. "qui a un peu de moyens") : client du taxi par opposition à celui du taxi-bus en commun souvent moins cher. Wa–yulu/ba– (litt. "celui d’en haut") : personne nantie. Syn.: ngwefu, patron. Ant. criseur.

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Faillite "Assainissement"/ma– : licenciement massif qui intervient souvent dans une entreprise en banqueroute pour assainir ses structures. Bebabeba/byaku– (litt. "ce qui se prend en désordre") : fripe. Syn.: cakula nikupe bei. Cakula nikupe bei (litt. "choisis et je te fixe le prix") : friperie dont le prix est à marchander. Cf. bebabeba. Cini (litt. "par terre") :

• Kuwa cini (litt. "être par terre") : tomber en faillite. • Kuuwiya cini (litt. "tuer à même le sol") : rabattre considérablement le prix fixé au détriment du vendeur.

-combe (fam ; de "Tshombe," homme politique congolais instigateur de la sécession katangaise) : crise, par calembour avec kucomba : connaître une faillite

• kuwa mwa combe (litt. "être dans combe") : traverser une période de crise.

"Criseur"/ba– (fam ; de "crise") : démuni, pauvre. Ant. ngwefu, patron. Cf. Somalie. "En attendant"/ma- (fam ; de "en attendant") : matelas en paille qu’on se procure en attendant les jours meilleurs. Syn.: "vie chère". –fwa ou –fa (litt. "mourir") :

• kuwa mwenye kufwa (litt. "être déjà mort") : être démuni.

Ki-shimpo/bi– (de "kishima – mpompi", litt. "puits – pompe") : en cas de sous-pression, puits susceptible de contenir un récipient, aménagé devant un robinet démonté à même le sol ; pratique combattue par le service sanitaire de l’Etat, il est symptomatique du délabrement de l’infrastructure. "Moral" :

• "Moral" iko je ? (litt. "comment est le moral ?") : comment évolue la situation ? • "Moral" cini (litt. "le moral est bas") : être à court d’argent. • "Moral" iko yulu (litt. "le moral est au zénith") : faire une bonne affaire. • Kubamba "moral" (litt. "tenir le moral") : s’enivrer au point de ne rien craindre.

Mpepo (litt. "vent", "air") : • kumeza mpepo (litt. "avaler de l’air") : demeurer à jeun.

Neema (litt. "grâce") : • Kwa neema (litt. "par la grâce") : s’emploie pour souligner la précarité de la vie. • Kwishi kwa neema ya Mungu (litt. "vivre par la grâce de Dieu") : expression employée surtout par les démunis.

Saidia/ba– (litt. "aide[-moi]") : désigne le mendiant qui crie à longueur de journée "saidia". Ce terme a pris de l’ampleur avec la crise congolaise des années 1990. "Situation critique" : carence pécuniaire. Cf. "criseur", wayulu, "date critique".

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"Vie chère"/ma– : matelas de fortune contenant de la paille utilisée tel qu’en utilisent les plus démunis. Syn.: "en attendant".

8.4. La débrouille Le circuit formel traditionnel s'est avéré, ces dernières années, incapable de satisfaire les besoins primordiaux du Lushois. Son faible revenu circonscrit un espace budgétaire qui écarte la perspective d'une vie décente. Le salaire mensuel est loin de couvrir la totalité du mois : la rupture, pour beaucoup, intervient dans le meilleur cas deux semaines après la paie, sinon un peu plutôt. Par ailleurs, la flambée des prix corollaire à la dépréciation monétaire accentue un tableau déjà suffisamment sombre. Dès lors, s'impose une interrogation: à quoi recourt le Lushois pour nouer les deux bouts du mois? La formule bien connue de tous est qu'il faut "choquer", c'est-à-dire se démener ça et là du mieux que l'on peut pour se procurer ne fût-ce qu'un repas par jour, pari que d'aucuns gagnent plus ou moins facilement mais que beaucoup n'accomplissent qu'à la suite de plusieurs tâtonnements s'inscrivant ainsi dans le cheminement d'un conditionnement opérant (Reuchlin M.1971 :141). Notons qu'il est rarissime de rencontrer à Lubumbashi des individus qui ne vivent que d'une seule activité : le cas des fonctionnaires ou employés de société branchés sur un réseau d'occupations non déclarées sont très fréquents. Ainsi, un commis de bureau peut se trouver la matinée à son poste de travail, l'après-midi sur son vélo transportant un sac de charbon de bois à revendre, et le soir prestant en qualité de précepteur dans une famille nantie. Il n'en va pas autrement du médecin, qui partage assez régulièrement sa journée entre l'hôpital où il est engagé, l'institut médical où il dispense des enseignements et sa polyclinique privée où l'attendent des patients convaincus d'y être soignés avec un peu plus d'attention. Une situation sans doute extrême mais non moins récurrente est celle de la famille qui se disloque le matin : le père s'élance dans une direction quelconque en quête d'un job ou d'un prêt, la femme se rend aux champs d'où elle ramène les légumes qu'elle revend au marché, tandis que la jeune enfant, après l'école, s'investit dans la vente de beignets ou de petits pains. Ce n'est que le soir que se reconstitue le ménage pour la mise en commun du revenu qui permet à la ménagère de décider enfin de la ration. La débrouille portée à son plus haut niveau constitue un trait plus ou moins accusé de la vie à Lubumbashi comme on peut le noter à travers les mots suivants: "Article 15" : débrouille. Selon une croyance populaire assez répandue à Lubumbashi, l’article 15 d’un certain code stipule : "débrouillez-vous !".

• Kufanya "article 15" (litt. "faire l’article 15") : se débrouiller. Cf. kasakasa. –boce (argot, du français familier "bosser") : chercher de l’argent par n’importe quel moyen. Syn.: Kupikanisha (litt. combattre), kujipikapika (litt. "se démener"), kukombanisha (litt. "combattre"). Cf. kuvaye (litt. "travailler").

-"choquer" (fam ; du français "choquer") : se démener à la recherche de moyens de subsistance. Syn.: Kukombanisha. "Horoscope"/ma– : bonne chance.

• Mu ou ma"horoscope" : par hasard, par bonheur. Ant.: mikoshi (litt. malchance) Cf. kupika but, libaku (litt. "manquer le but, la chance").

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-jipikapika (litt. "se débattre") : se démener, se débrouiller. Syn.: kupikanisha, kukombanisha, kutafuta maïsha (litt. "chercher la vie"). (ka–)"on ne sait jamais"/tu ou ma– : sachet en plastique qu’on emporte avec soi dans l’espoir de rencontrer un éventuel secours, "on ne sait jamais, une occasion d’obtenir quelques vivres peut se présenter, il vaudrait mieux se prémunir à l’avance d’un sachet", se dit-on. Kasakasa (adj. fam ; "agité") : débrouillard, entreprenant. Cf. kupika sando (litt. "frapper au marteau"). –kombanisha (litt. "aider à combattre, combattre aux côtés de") : se démener, se débrouiller. Syn.: kujipikapika, kupikanisha, kutafuta maïsha. –lagosé (argot, de "Lagos") : se démener pour trouver de l’argent. Syn.: kubocé, kumacé. Libaku/mali– (argot, du lingala : "chance") : chance en matière d’argent.

• Kupika libaku (litt. "frapper une chance") : attraper de l’argent par chance. Syn.: horoscope.

Maisha (litt. "vie") :

• kutafuta maisha (litt. "chercher la vie") : se débrouiller pour survivre. • kukosa maisha (litt. "manquer de la vie") : vivoter. • kuwa na maisha (litt. "avoir la vie") : vivre dans l’abondance. Cf. kujipikapika,

kupikanisha, kukombanisha. –pikanisha (litt. "combattre") : se démener, se débrouiller. Syn.: kukombanisha, kujipikapika, kutafuta maisha. Sando/ma– (litt. "marteau") :

• kupika sando (litt. "frapper à l’aide du marteau") : se démener durement pour trouver de l’argent à la manière de celui qui utilise le marteau, se débrouiller. Syn.: ku"choquer".

"Un sac pour la famille"/ba– : se dit des employés qui s’approvisionnent en charbon de bois directement à la source afin de réduire les dépenses. L’expression ya molokayi désigne un sac de chabon de bois de qualité et archicomble. "Vagabond"/ba– : délinquant, mineur ayant déserté le toit paternel pour de multiples raisons : conditions de vie difficiles, carence affective, etc. C’est surtout parmi eux que se recrutent les mpusu (fripons au service d’un adulte). –vaye (fam ; du français "travailler") : accomplir un travail. Ya "fabrication"/bya– (de "fabrication locale") : biens produits localement, d’aspect rébarbatif ou de luxe souvent moins coûteux. Ant.: original.

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8.5. La fraude L'incapacité de s'adapter à un niveau de vie précaire dont les acteurs maîtrisent encore mal les arcanes a favorisé l'émergence de techniques frauduleuses pour s'assurer un revenu envers et contre tout. Dans ce contexte, certaines unités de mesure ont été truquées : c'est le cas du mirage et du kikombola, qui sont respectivement des tumbeketi frauduleusement rétrécis et agrandis. Les vendeurs préfèrent se servir du premier pour revendre leurs produits et du deuxième pour renflouer leurs stocks, astuces qui ne troublent pas outre mesure le Lushois. Par contre, il est des pratiques moralement inacceptées qui s'expriment souvent sous leur plus simple expression: mpusu, coop, traitement, géler, barrer, mabonza ; autant de termes qui illustrent bien l'ampleur du phénomène. Il reste que face à des techniques si élaborées, la population se ressaisit comme dans un soubresaut, de la supercherie dont elle est souvent victime. Ainsi sont nées des expressions comme kuvunduka, souple ni we moya, etc, qui constituent pour ainsi dire une invite à demeurer sur ses gardes dans toute transaction commerciale de peur d'être dupé par des partenaires âpres au gain.

Les mots ci-après soulignent la bipolarité qui caractérise les opérations commerciales qui présentent d'une part des agents économiques prêts à tricher et d'autre part une population jadis crédule mais aujourd'hui désabusée par une exploitation par trop frauduleuse. Beki/ma– (de l’anglais "bucket" : "seau") : partie du moulin à travers laquelle passe la farine

• kupika beki (litt. "frapper dans le beki") : retenir frauduleusement dans le moulin une quantité de farine de client. Syn.: kukata bunga (litt. "couper la farine"). Cf. kunyungulula bunga (litt. "tamiser la farine").

Biloko/ma– (du lingala) : marchandise illicite, chose, bien. Syn.: bor. Bor/ma– :

• (argot) :chose, bien. Exemple : ile mabor : ces biens-là. Syn.: biloko. • (vulgaire) : femme, et plus particulièrement prostituée. Syn. : da mwizi, da vodo,

karashika.

Bulaale (de kulaala, « dormir ») : dupe, naïf,dans les affaires, être rêveur ! Syn.: bulangeci ("[qui a] une couverture"). Cf. marimi (litt. "un paysan, un non-avisé"). Bulangeci/ma– (de l’anglais "blanket", "couverture") : fait de ne pas être avisé.

• kutosha (muntu) bulangeci (litt. "enlever" [à quelqu’un] la couverture") : éveiller quelqu’un en lui volant quelque chose. Syn.: kuvibrer (litt. "s’éloigner comme des vibrations après avoir volé"), kutosha (muntu) bushingishi. Ant.: kuvunduka (litt. "s’éveiller").

"Coop" ou kopakopa/ma– (du français "coopération") : acquisition frauduleuse d’un bien d’autrui grâce à un complice soudoyé. Syn.: "traitement".

• Bya muma "coop" (litt. "ce qui est de coop") : produits obtenus frauduleusement.

–"damer" : arracher de l’argent par ruse • kumu "damer" lar. : escroquer de l’argent à quelqu’un. Syn.: kufipa, ku"profiter".

–fipa ou –fipe (de "profiter") : tirer profit du surplus d’argent sur le prix réel lorsqu’on achète pour autrui. Gonfler les factures. Syn.: ku"damer". Cf. frais administratifs.

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"Frais administratifs"/ma– : expression en usage dans les services de l’Etat qui désigne le surplus découlant de la surtaxation sur le montant légal. Cf. kufipa, ku"damer". –"géler" (du français "geler") : retarder un vol en attendant le moment propice

tu"géler" mbele ngwefu ye ule : voilà le patron, attendons un peu. Syn.: kutante. Cf. ku"barrer".

Kakwisaidia nako (litt. "pour s’en servir") : biens subtilisés sur le lieu de travail pour un usage familial. Kiteni (du lingala "morceau") :

• kupika (muntu) kiteni (litt. "frapper [quelqu’un] d’un morceau") : retenir frauduleusement dans le moulin une partie de la farine du client. Syn.: kupika

mubeki, kukata nsemba.

Ki-su/bi– (litt. "couteau") : mensonge, escroquerie. • "Vrai" kisu (litt. "véritable couteau") : grand mensonge. • kupika kisu (litt. "frapper à l’aide d’un couteau") : mentir. • kutwanga kisu (litt. "poignarder") : nuire par le mensonge à la manière d’un couteau planté dans le corps humain.

• "Vieux" kisu (litt. "vieux couteau") : roué. Cf. damwizi. Mabonza (inusité ; du lingala "collecte") : jadis, rançon exigée par les militaires aux mustronger. Cf. mustronger. Marimi/ba– (du kisanga "champ" ; litt. "paysan") : naïf, bleu, conscrit. Syn.: mbumbu. "Mission"/ma- : projet de vol, surtout de cambriolage. Cf. traitement. Mpusu/ba– : mineur utilisé par les personnes adultes pour voler. Cf. vagabond. Mukunga (litt. "barre à mine") : barre de fer dont on se sert pour dévaliser une maison

• kufanya mukunga (litt. "faire la barre à mine") : réussir à se faire servir du carburant dans son véhicule à la pompe sans avoir suivi la file en cas de pénurie.

"Numéro"/ma– : astuce • kumupika "numéro" (litt. "frapper quelqu’un avec une astuce") : se dit de quelqu’un à qui l’on vole en s’ingéniant à mettre sur pied une technique individualisée. En sorcellerie, "envoûter".

–pika (litt. "battre", "frapper") : • kupika but (litt. "frapper un but") : faire une bonne affaire. Cf. horoscope, marché. • kupika coup (litt. "frapper d’un coup") : faire un coup. • kupika nsemba : dans le langage des meuniers, signifie subtiliser un peu de farine de client. Syn.: kukata nsemba.

• kupika kiteni (litt. "frapper de moitié") : subtiliser un peu de farine de client.

–"profiter" : ku"profiter" ngwefu : voler à son patron. Syn.: -fipa, -"damer". Cf. "frais administratifs".

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"Souple" : invite à la prudence, à la débrouille. S’emploie pour un appel à une vigilance tout azimut

• "souple" ni we moya", ou "souple" ni we "one" (litt. "Le souple, c’est toi-même"). –tante (de "attendez !") : patienter. Syn.: ku"géler". Cf. ku"barrer".

"Télescopage": recouvrement opéré par le chef pour un gain personnel en lieu et place du préposé. "Traitement"/ma– : acquisition frauduleuse à la suite d’un arrangement avec le complice. Syn.: coop, kopakopa. –"traiter" : entreprendre des démarches frauduleuses en vue de l’acquisition d’un bien

• ku"traiter" cobalt : s’arranger pour obtenir frauduleusement du cobalt • ku"traiter" mwanamuke (litt. traiter une femme) : faire la cour à une femme ou une fille.

–"vibrer" (argot) : voler et s’éloigner comme des vibrations. Syn.: kutosha bushingishi (litt. "enlever le sommeil"), kutosha bulangeci (litt. "enlever la couverture"). Cf. kacomona (litt. "[personne] qui soutire"). –vunduka (du kiluba "kuvundumuka" ; litt, en parlant d’un animal, "s’éveiller brusquement") : se rendre compte à temps d’une supercherie. Syn.: kuona "clair". –zuta (litt. "gagner, "en parlant des jeux de billes) : escroquer de l’argent. Syn.: ku"vibrer".

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Conclusion

Cet ouvrage renferme les premiers résultats des enquêtes menées par l’Observatoire en

l'an 2000. Il symbolise, pensons-nous et espérons-nous en ce début 2001, la réussite d'une expérience nouvelle au sein du monde universitaire lushois, expérience qui a pu réunir, dans un cadre adéquat empreint d’amitié et de convivialité, des hommes et des femmes de science issus de diverses disciplines. On y a vu se côtoyer, d'une part, géographes, historiens, anthropologues, sociologues, linguistes, psychologues, philosophes, économistes, etc., et d'autre part, professeurs, chercheurs, assistants, diplômés et même étudiants. La fréquence des réunions, l’esprit de savoir qui animait les membres, le partage de l'expérience – parfois difficile – du "terrain" et de tant d'autres choses, tout ceci a fini par créer une équipe ou, mieux, une famille scientifique dont le présent ouvrage est un peu le fils aîné. Cette famille – natalité élevée oblige, en Afrique – est amenée à s'agrandir. L’Observatoire vient de réaliser concrètement ce qui est longtemps resté au stade de projet, notamment dans le Centre Interdisciplinaire pour le Développement (CID), à présent relégué aux archives.

Cet ouvrage, comme on a pu le constater, constitue une banque de données fort riche étant donné la diversité des informations qu'il fournit. Il permet non seulement de compléter l’histoire lacunaire de la ville de Lubumbashi, mais encore de comparer Lubumbashi à elle-même dans le temps, dans l’espace et dans ses différentes strates socio-économiques.

Notre ville se recherche en tâtonnant. L’histoire, représentée par les intellectuels, et la mémoire populaire, représentée par la population urbaine, veulent lui rendre sa connaissance globale du passé. L’Observatoire a le mérite d’utiliser, dans ses enquêtes, les documents écrits et la mémoire populaire – une connaissance libre, individuelle ou collective. Les chercheurs se sont saisi de cette mémoire populaire, l’ont décryptée, lui ont trouvé un langage approprié et l’ont intégrée dans l’analyse globale.

Le visage qu’affiche aujourd’hui la ville est différent de celui d’hier. De nouvelles habitudes, bonnes ou mauvaises, ont bousculé et archivé d’anciennes, mauvaises ou bonnes; des habitations ont remplacé des espaces verts qui faisaient jadis la fierté de Lubumbashi – fierté que le maire Kaseba voudrait restaurer à tout prix: "Lubumbashi wa ntanshi", "Lubumbashi la première", ou: "la meilleure" –; les emplacements des marchés et des stations de bus et taxis ont été à maintes reprises changés; les noms des rues, avenues et places publiques ont leur propre histoire; la morphologie de la ville a subi elle-même des modifications relativement profondes; etc. Une multitude de transformations souvent incontrôlées ont généré autant de difficultés qui entravent le développement de la ville. L’ambition de l’Observatoire est de contribuer à la recherche des solutions les plus adéquates – parce que les mieux documentées et résultant d’analyses de qualité – à tous ces problèmes.

Le destin de cette ville résume en fait l’histoire de la province du Katanga et de la RDC.

Les 27 ans qui séparent les enquêtes entreprises par Houyoux et Lecoanet de celles réalisées à présent par l’Observatoire sont caractérisés par une série de violences et, partant, par une dégradation des conditions sociales des citadins. Cette situation est à la base d'un certain nombre de comportements que l’on observe aujourd’hui dans le chef de la population, s'agissant de trajectoires professionnelles, de trajectoires migratoires, de la consommation de l’espace urbain consécutif à l’accroissement de la population, etc. Le nombre de personnes par ménage a enregistré une forte augmentation (7,48 en l’an 2000 contre 6,78 en 1985 et 6,04 en 1973), signe d’une densification de la population dans certains quartiers de la ville. En 2000, il semble que 44% des ménages enquêtés résident dans les quartiers d’extension, contre 56%

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dans les quartiers résidentiels e t planifiés. Parmi tous les chiffres édifiants qui sont apparus aux cours de notre analyse, nous en

citerons trois encore: sur base de notre échantillon, les chefs de ménages salariés ne représenteraient plus que 42% des travailleurs actifs; parmi ce groupe, au contraire, on constate qu'il existe à présent 17% de chefs de ménages qui déclarent, dans cette métropole, s'adonner à titre principal à une profession champêtre; enfin, 12% des ménages étudiés déclarent ne jamais fréquenter les structures sanitaires de la ville, pas même les petits dispensaires de quartier...

Il ne faudrait pas dresser un bilan unilatéralement sombre. Il est certes vrai que la RDC connaît de graves problèmes, mais la situation y évolue positivement sur certains plans. Le raccordement à l'eau et à l'électricité, la possession de réfrigérateurs, de postes téléviseurs, de radios, de meubles, etc., le volume de la fréquentation de l'enseignement secondaire et supérieur – pour prendre quelques exemples éloquents – progressent par rapport aux années 1970, même si cette situation ne concerne évidemment pas tous les ménages.

La commune de Lubumbashi, l'ancienne ville «blanche», demeure le centre de gravité de la ville où se concentrent les activités économiques, politiques, administratives, sociales et culturelles. Elle connaît des mouvements de population centripètes et centrifuges selon les heures. Tous les réseaux routiers convergent vers elle, avec tout ce que cela entraîne comme difficultés dans le domaine du transport.

Concernant le monde du travail, l’Observatoire du changement urbain nous a permis de corroborer ce que Monsieur-tout-le-monde savait de façon empirique. Il est bien connu que la proportion de travailleurs salariés a connu une diminution considérable depuis le début de la crise en novembre 1973, mais nous avons le mérite de le confirmer à travers des chiffres comme ceux que nous venons de citer plus haut. L’accroissement du nombre des chômeurs dans la ville va de pair avec l’expansion de l’informel dans le vécu quotidien des citadins. Cela explique d'une part la multiplication des sources de revenus qui relèvent pour la plupart des activités économiques informelles, d'autre part la multiplication d'un lexique pour désigner ces réalités nouvelles et pour traduire, parfois très crûment, les sentiments leur associés. C’est avec raison que bon nombre de Lushois attestent que l’informel est la soupape de sécurité du formel: il le soutient et même l’entretient. Quel serait le rendement d’un travailleur salarié en retard de paiement d’un ou de plusieurs mois, si lui-même ou son épouse ou encore un autre membre de sa famille n’exerçait pas une quelconque activité commerciale informelle? Le citadin de Lubumbashi sait, dès le lever du soleil, qu’il mangera, ne serait-ce qu’une seule fois, à condition de se débrouiller un peu. Passer la nuit affamé est rare.

L’Observatoire du changement urbain peut être considéré comme une chance pour l’Université et pour la ville de Lubumbashi. Il permet et permettra de constituer et de relancer des équipes de recherches multidisciplinaires dans tous les domaines de la vie urbaine. Il est un laboratoire de recherche au service des opérateurs économiques, politiques, sociaux et culturels tant urbains que provinciaux et nationaux. Il ressemble à un satellite capable de prendre des "vues du ciel", mais aussi à un humble interlocuteur capable de se mettre à l'écoute des simples citoyens pour mieux comprendre leurs difficultés quotidiennes et mieux saisir le discours populaire en général. Ses résultats sont potentiellement d’un apport considérable dans la prise de décisions liées à l'aménagement urbain. Il est donc un outil de référence, une banque de données au service du processus du développement urbain. Et l’Université de Lubumbashi, comme il se doit, sera toujours présente au rendez-vous du donner et du savoir.

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Carte administrative de Lubumbashi en 1990 (extraite de Bruneau et Pain 1990 : carte 6)

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Annexe 1 : Fiche descriptive du ménage n° : . Enquêteur : Commune, quartier, rue : Type de quartier : � résidentiel / � planifié / � extension Remarques éventuelles sur le quartier: Nombre, sexe et âge des membres du ménage (hors visiteurs temporaires). : - TOTAL : chef de ménage : -conjoint : -enfants du ménage : -autres résidents adultes: -autres résidents enfants: Etat civil du chef de ménage : � marié monogame ou uni de fait / � polygame / � célibataire / � divorcé ou séparé / � veuf Remarques éventuelles sur les liens mutuels des résidents : Activité/ profession principale des adultes/grands enfants du ménage, ainsi qu’éventuelles professions antérieures : Diplôme du chef de ménage : � sans diplôme / � primaire / � brevet CO / � brevet CC / � secondaire / � sup. (préciser) Plus grand diplôme obtenu par les autres adultes du ménage (même modèle que supra):

Religion éventuelle du chef de ménage : Religion éventuelle d’autres adultes du ménage, si différente: Nombre de ménages sur la parcelle du ménage : Statut d’occupation : � propriétaire / � locataire / � payé par employeur / � gratuit / � possède autres propriétés Nombre de pièces de logement dans le domicile : Type de mur : � en dur / � adobe + ciment / � briques sans ciment / � adobe / � autre (préciser) Type de toit : � tuiles / � éternit / � tôles / � tôles récupérées / � végétal / � autre (préciser) Pavement : � carrelage / � ciment / � terre battue et pavements assimilés / � autre (préciser) Clôture de la parcelle :� murs / � végétal / � rien Abonnement REGIDESO : � oui / � non / � « sous-abonné » Localisation de la source d’approvisionnement d’eau : � dans maison / � dans la parcelle / � à l’extérieur Source d’approvisionnement d’eau : � robinet / � borne-fontaine / � puits / � achat d’eau en bidons / � rivière ou source Localisation des latrines : � dans la maison / � dans la parcelle / � à l’extérieur Type de latrine : � WC européen / � autre type Mode d’éclairage : � électricité / � lampe tempête / � bougie / � katoritori / � feu / � autre Abonnement SNEL : � oui / � non / � « sous-abonné » Mode de combustion pour la cuisine : � électricité, etc. / � charbon / � charbon + bois / � autre (préciser) Nbre habituel de repas/jour pour les adultes: � petit déjeuner + 2 repas / � 2 repas / � petit déj. + 1 repas/ � 1 repas Qualité/composition des repas : Approvisionnement habituel pour les produits pharmaceutiques : � grandes pharmacies / � hôpitaux et institutions

médicales (préciser) / � fourni par l’employeur d’un membre de la famille/ � petites pharmacies-kiosques / � marché / � vendeur ambulant / � tradipraticien / � autre (préciser).

Biens mobiliers : Auto : � oui / � non Vélo : � oui / � non Moto :�oui /� non Salon :�oui/ � non Buffet ou vitrine : �oui /� non Salle à manger : �oui /� non Frigo: �oui /� non Nombre de lits : Radio : � oui / � non Téléphone : �oui /� non Télécel : �oui /� non TV :� oui / � non Autres remarques :

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Annexe 2 : fiche démographique :

Fiche démographique du ménage

N° Nom (facultatif: un

pseudonyme suffit) Sexe Lien de parenté

avec chef ménage Age Etat civil Diplôme Dernière

classe suivie Religion Type

d'activité Profession Observation

01 02 03 04 05 06 07 08 09 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25

Noms et Prénoms de l'enquêteur:......................................................... Date de l'enquête:................................................................................

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Annexe 3 : Protocole « budgets ménagers »

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Annexe 4 : Fiche « mobilité spatiale »

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Annexe 5 : Liste des 84 ménages de l’échantillon Légende : 1) les quartiers renseignés sont les quartiers administratifs ; les noms entre parenthèse se réfèrent par contre aux appelations populaires de sous-quartiers ; 2) R : type de quartier résidentiel ; P : quartier planifié ; NP : quartier non planifié 3) Les 3 catégories de niveau de vie sont explicitées dans le point 1.4. 4) Les types utilisés pour distinguer les professions principales des chefs de ménage sont renseignés dans le point 7.1. N°

Commune Quartier Type de quartier

Caté-gorie de

niveau de vie

Nbre de personnes dans le ménage

Profession principale du chef de ménage

1 Lubumbashi Gambela NP Moy 3 Type 1 2 Lubumbashi Kalubwe NP Inf 8 Type 4 3 Lubumbashi Kalubwe (Mpolo) R Sup 10 Type 9 4 Kampemba Industriel R Sup 8 Type 3 5 Lubumbashi Lumumba (Kimbwambwa) R Sup 13 Type 5 6 Lubumbashi Lumumba R Sup 16 Type 9 7 Lubumbashi Mampala (Makomeno) R Sup 7 Type 9 8 Lubumbashi Mampala (Cité GCM) P Sup 12 Type 2 9 Annexe Munua NP Inf 4 Type 1

10 Lubumashi Kiwele R Sup 9 Type 9 11 Lubumbashi Lido-Golf R Sup 6 Type 5 12 Lubumbashi Makutano R Sup 8 Type 9 13 Kamalondo Njanja P Sup 8 Type 9 14 Kamalondo Njanja P Sup 8 Type 8 15 Kampemba Kafubu NP Sup 10 Type 3 16 Kenya Lualaba P Sup 13 Type 8 17 Lubumbashi Mampala NP Moy 7 Type 4 18 Kamalondo Kitumaini P Sup 6 Type 9 19 Kenya Luapula P Inf 10 Type 3 20 Kenya Lualaba P Moy 3 Type 4 21 Kenya Lualaba P Inf 6 Type 5 22 Kenya Luvua P Sup 4 Type 5 23 Kenya Luapula P Moy 8 Type 5 24 Kenya Luvua NP Moy 12 Type 2 25 Kampemba Kafubu NP Moy 9 Type 7 26 Kampemba Kafubu NP Moy 5 Type 4 27 Kampemba Kafubu NP Moy 5 Type 5 28 Ruashi Congo NP Moy 5 Type 5 29 Ruashi Congo NP Moy 13 Type 3 30 Ruashi Congo NP Moy 12 Type 4 31 Ruashi Kalukuluku NP Moy 13 Type 2 32 Ruashi Kalukuluku NP Inf 5 Type 2 33 Ruashi Kalukuluku NP moy 5 Type 7 34 Ruashi Matoleo P moy 8 Type 9 35 Ruashi Matoleo P Moy 8 Type 3 36 Ruashi Matoleo P Moy 10 Type 2 37 Ruashi Shindaika (Camp SNCC) P Moy 7 Type 8 38 Kampemba Bel-Air I P Moy 3 Type 8 39 Ruashi Luwowoshi NP Inf 9 Type 2 40 Ruashi Bendera P Sup 8 Type 8

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41 Ruashi Bendera P Moy 11 Type 3 42 Ruashi Bendera P Moy 6 Type 7 43 Kampemba Kigoma NP Moy 9 Type 3 44 Kampemba Bel-Air II R Moy 10 Type 6 45 Kampemba Bel-Air II P Sup 6 Type 8 46 Kampemba Bel-Air II P Moy 5 Type 5 47 Kampemba Bel-Air I R Moy 2 Type 7 48 Kampemba Bel-Air II (Camp SNCC) P Moy 7 Type 8 49 Kampemba Kampemba NP Moy 4 Type 7 50 Kampemba Bongonga NP Moy 6 Type 6 51 Kampemba Bongonga NP Moy 9 Type 2 52 Kampemba Kampemba NP Moy 12 Type 2 53 Kampemba Bongonga NP Moy 13 Type 5 54 Kampemba Naviundu NP Moy 6 Type 5 55 Katuba Musumba P Moy 6 Type 4 56 Annexe Kimbembe NP Moy 5 Type 2 57 Katuba Musumba P Moy 6 Type 2 58 Katuba Kisale P Moy 9 Type 8 59 Katuba Musumba P Moy 10 Type 3 60 Katuba Kisale P Moy 8 Type 7 61 Kenya Luvua NP Inf 2 Type 3 62 Katuba Upemba NP Moy 11 Type 5 63 Katuba Upemba P Inf 4 Type 1 64 Katuba Bukama P Moy 6 Type 4 65 Kenya Luvua P Moy 8 Type 8 66 Katuba Upemba NP Moy 9 Type 4 67 Katuba Mwana Shaba NP Moy 6 Type 4 68 Katuba Mwana Shaba P Moy 8 Type 1 69 Katuba Lufira P Inf 6 Type 5 70 Katuba Lufira NP Inf 3 Type 3 71 Katuba Bukama P Moy 9 Type 4 72 Katuba Bukama NP Moy 13 Type 3 73 Katuba Kaponda nord P Inf 4 Type 3 74 Katuba Kaponda sud P Inf 3 Type 2 75 Annexe Kisanga P Moy 6 Type 5 76 Lubumbashi Mampala (Gbadolite) NP Inf 9 Type 3 77 Annexe Kisanga NP Inf 1 Type 2 78 Katuba Kaponda sud P Moy 6 Type 2 79 Katuba N’sele NP Inf 10 Type 3 80 Annexe Kalebuka NP Inf 1 Type 1 81 Katuba N’sele NP Moy 8 Type 5 82 Annexe Kasungami NP Inf 7 Type 2 83 Katuba N’sele P Moy 8 Type 7 84 Katuba N’sele NP Moy 6 Type 1

Total 628

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Annexe 6 : Note linguistique pour le bon usage des lexiques

Pour pouvoir utilement se servir des lexiques qui figurent au point 7.3 et au chapitre 8, il est indispensable de s'imprégner de la manière dont les entrées y ont été organisées. Chaque entrée suit un schéma bien défini selon qu'elle est substantif ou verbe. Le substantif

Il est noté précédé de son préfixe séparé du thème par un trait d'union. Après la barre apparaît le préfixe marqueur de son pluriel; ainsi le mot kambeketi recèle normalement deux prefixes à savoir : - ka : préfixe secondaire de classe employé dans les diminutifs ; - n : nasale homorganique, prefixe primaire de classe. Il peut selon qu'il est suivi ou non d'une consonne, d'une bilabiale se réaliser comme [m] ou [n], [ñ] mais comme le pluriel ne porte que sur la -, l'on écrira donc ka-mbeketi/tu- et l'on lira : au singulier kambeketi ("petit seau") ; au pluriel tumbeketi ("petits seaux").

Les préfixes dont l'usage est facultatif sont notés entre partenthèses : par exemple (ka)"on ne sait jamais" veut dire que le mot est susceptible d'une double lecture: soit ka"on ne sait jamais", soit "on ne sait jamais".

Lorsqu'un terme est présenté sans préfixe singulier détaché ou sans celui du pluriel, c'est pour signifier qu'il est monoclasse et n'est utilisé qu’au singulier ou qu’au pluriel. Par exemple : mpepo (air) ; mabonza (collecte), etc. Les noms dont le préfixe n'apparaît pas au singulier mais bien au pluriel seront notés et lus comme suit: bulangeti / ma - ; au singulier bulangeti (couverture), au pluriel mabulangeti (couvertures). Le verbe

Le préfixe de l'infinitif est toujours ku-, et ne sera jamais noté : seul sera transcrit le thème verbal. Par exemple: kufipa (gonfler les factures) sera transcrit comme -fipa mais lu kufipa. L'alphabet utilisé

Le souci qui guide la notation des mots est celui qui sous-tend l'alphabet phonétique, à savoir un seul signe pour chaque son un seul son pour chaque signe (Dubois et alii 1973 :23). Toutefois, pour des raisons de commodité pratique, nous y avons par moment dérogé notamment pour les signes qui n'existent pas sur la plupart des claviers de machine. [ ∫ ] sera noté Sh ; [ dz ], j ; [ t∫ ], c. Par ailleurs, les mots d'emprunt non encore intégrés, fût-ce partiellement au niveau de la forme, sont notés selon l'alphabet ou usage dans leur langue d'origine afin de faciliter leur reconnaissance. Dans ce cas, ils apparaissent entre guillemets. Par exemple, "vibrer", "on ne sait jamais". Par contre, le mot tumacer [tumat∫e:R], quoique de provenance bien établie (cf supra), restera plus près de sa réalisation du fait qu'il relève de trois langues dont les systèmes ne sont pas toujours compatibles.

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L'accent dynamique

Le swahili est une langue à accent dynamique qui porte sur la pénultième. Ainsi, pour articuler le mot vumilia qui a quatre syllabes, la voix sera haussée à l'avant-dernière (-li-); ainsi, on lira : [vumili'a]. Comme indiqué plus haut, le swahili lushois est en commerce permanent avec les langues environnantes (essentiellement bantu) et leur emprunte donc des termes qui conservent prafois leurs caractéristiques tonales. Ainsi lubaya, d'origine bemba, est lu [lu'ba'ya'] et non comme l'aurait exigé le swahili [lùba'yà]. Chaque fois qu'une intonation s'écarte des normes swahili, nous le visualisons par l'élement sur lequel porte la hausse de la voix (par exemple: lagosé). Liste des abréviations

Ant. : antonyme Fam. : familier Litt. : littéralement Syn. : synonyme

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