L'ormée N° 100

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Publication du secteur culturel de la Fédération de la Gironde du PCF JUIN 1987 NOVEM BRE 2013 numéro 100 PLUS DE VINGT-CINQ ANS que l’aventure a commencé, à son rythme. Il a fallu plus de vingt- cinq ans pour arriver à ce cen- tième numéro de L’Ormée, revue culturelle du PCF girondin ! Mais une fois le chantier lancé, en aucun cas l’équipe n’a failli, tri- mestre après trimestre, au service d’une visée essentielle pour les communistes et pour la société. L’engagement communiste à travers le vingtième siècle n’a jamais fait de l’Art et de la Culture des « accessoires » de l’Histoire. Bien au contraire, ils représentaient, et représentent encore, des outils d’émancipa- tion des masses et de l’individu face au système capitaliste domi- nant. Des domaines, des secteurs diraient certains, où le compa- gnonnage avec des artistes s’est toujours poursuivi même si – et surtout si – ce fut dans le cadre de rapports parfois compliqués et d’adhésions critiques. C’est donc ce souci de main- tenir des liens féconds avec le monde de la culture qui a présidé à la mise en œuvre de L’Ormée, en 1987, et il a fallu de la suite dans les idées pour tenir une telle publication, toute en engagement militant, en bénévolat et en pleine conscience de classe ! Outre les idées, il faut cette volonté poli- tique qu’avaient alors impulsé nos camarades Jean-Claude Gomez, secrétaire fédéral du PC, et Jean-Claude Laulan. Premier rédacteur en chef, ce dernier se devait de constituer progressive- ment une équipe de réd-acteurs/ actrices qui n’avaient de motiva- tion que la passion de la culture au cœur politique. Tous bénévoles, aucun journaliste professionnel ! « HISTORIQUES » NOS CAMARADES nous rappelle Madau Lenoble dans un des billets que quelques un-e-s ont rédigé pour cette Centième, expri- mant leur « humeur » voire leurs raisons quant à leur participation. « Historique » et logique, la place des femmes dans la revue, rédactrice ou créatrice, comme Marie-Jo Henrioux l’a fait et puis toutes celles qui ont bien voulu y consacrer quelque énergie et pas mal d'inspiration ! « Historique » l’élégant graphisme réalisé par José Lopez pour le titre, L’Ormée, que nous avons conservé. « Historique » l’engage- ment sur le temps long pour certains pionniers comme Gérard, Jean-Jacques, Jean- Pierre… et les autres ! Ils ont tenu la plume et, parfois, la logistique, pour une diffusion qui a dépassé les cercles com- munistes ou progressistes, en dépit de moyens modestes et grâce au soutien de celles et de ceux qu’on dit « plieurs » mais que l’on sait militant-e-s au sein de la fédération ou avec elle ! ET « QUE FAIRE » avec cette revue si ce n’est la mettre à la disposition des cama- rades et des acteurs culturels qui ont vu en elle un moyen d’expri- mer une critique de la « société du spectacle » et de proposer d’autres voix/voies artistiques, pour le plus grand bonheur et intérêt d’un public citoyen ? Parce que, à l’initiative de ses rédacteurs en chef successifs, Lionel Chollon après Jean-Claude (en 2000) et, depuis, Natalie Victor-Retali (en 2007), cette publication n’a cessé d’articuler le politique avec l’artistique. L’Ormée a mis ainsi en plus qu’il ne le fait aujourd’hui ! En ce sens, penser la gratuité dans l’accès aux œuvres est un combat plus que jamais d’actualité en ces temps de – fausse – disette budgé- taire et de décentralisation qui en oublie même ce domaine sociétal essentiel ! Des milliers d’artistes, d’acteurs et d’institutions cultu- relles sont en péril, L’Ormée n’a cessé de l’écrire au cours des quatre-vingt-dix-neuf derniers numéros (et quelques débats « manifestifs »), et c'est aussi c’est un combat « historique » de notre ligne éditoriale ! ENFIN « QUE POURSUIVRE » ? Eh bien, poursuivre cette volonté de parler à tous, amis lecteurs, acteurs, de façon originale, à notre rythme, pour que le dia- logue continue de s’élargir à N° 100 - NOVEMBRE 2013 - 5 € Bagarres entre mineurs et policiers. Mine d’or de Serra Pelada, État de Para, Brésil, 1986. Série La Main de l'Homme. Sebastião Salgado/Amazonas images. « C’est l’histoire d’une époque où hommes et femmes, par leur travail, tenaient entre leurs mains l’axe central du monde. » lumière critique toutes les contra- dictions que la création entretient avec les pouvoirs, prenant le parti de s’opposer à la marchandisation de la culture, au recul des finance- ments et des politiques publiques pour que vive une culture popu- laire… Sans cela, l’art dans ses (re) présentations, la culture en géné- ral, resteraient affaire de classe où l’argent sélectionnerait encore d’autres cultures, qu’elles soient jeunes, musicales, plastiques ou d’ailleurs ! Cet ailleurs que le photo- graphe brésilien Salgado nous ouvre dans son entretien, mais aussi cet ailleurs où on peut être « embastillé » parce qu’une chan- son ou un film dérangent l’ordre établi. Pensons effectivement à cet ailleurs qui a surgi avec le prin- temps arabe où culture numé- rique et expression artistique continuent de s’unir pour dénon- cer le manque de ces libertés que nous chérissons en démocratie. À l’heure où l’étranger nous est désigné comme de plus en plus étrange, il faut continuer à le défendre et à l’accueillir dans nos pages ! Mais « l’ailleurs » est sou- vent proche, du cœur de la métro- pole bordelaise aux « champs » girondins. On va le trouver jusque dans les bois landais où Uzeste reste une formidable boîte de résonnance et d’écoute cultu- relle à partager… à côté de bien d’autres encore ! « Le poète a toujours raison » et, même chanté, L’Ormée en sera l’écho tant que l’engagement politique sera son horizon ! Emmanuel FARGEAUT

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L'Ormée N° 100 nov 2013

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Publication du secteur culturel de la Fédération de la Gironde du PCF

JUIN 1987

NOVEMBRE 2013

numéro 1

00PlUs dE VINgt-cINq aNs

que l’aventure a commencé, à son rythme. Il a fallu plus de vingt-cinq ans pour arriver à ce cen-tième numéro de L’Ormée, revue culturelle du PCF girondin  ! Mais une fois le chantier lancé, en aucun cas l’équipe n’a failli, tri-mestre après trimestre, au service d’une visée essentielle pour les communistes et pour la société.

L’engagement communiste à travers le vingtième siècle n’a jamais fait de l’Art et de la Culture des «  accessoires  » de l’Histoire. Bien au contraire, ils représentaient, et représentent encore, des outils d’émancipa-tion des masses et de l’individu face au système capitaliste domi-nant. Des domaines, des secteurs diraient certains, où le compa-gnonnage avec des artistes s’est toujours poursuivi même si –  et surtout si – ce fut dans le cadre de rapports parfois compliqués et d’adhésions critiques.

C’est donc ce souci de main-tenir des liens féconds avec le monde de la culture qui a présidé à la mise en œuvre de L’Ormée, en 1987, et il a fallu de la suite dans les idées pour tenir une telle publication, toute en engagement militant, en bénévolat et en pleine conscience de classe  ! Outre les idées, il faut cette volonté poli-tique qu’avaient alors impulsé nos camarades Jean-Claude Gomez, secrétaire fédéral du PC, et Jean-Claude Laulan. Premier rédacteur en chef, ce dernier se devait de constituer progressive-ment une équipe de réd-acteurs/actrices qui n’avaient de motiva-tion que la passion de la culture au cœur politique. Tous bénévoles, aucun journaliste professionnel !

« HIstORIqUEs » NOs caMaRadEs

nous rappelle Madau Lenoble dans un des billets que quelques un-e-s ont rédigé pour cette Centième, expri-mant leur « humeur » voire leurs raisons quant à leur participation.

« Historique » et logique, la place des femmes dans la revue, rédactrice ou créatrice, comme Marie-Jo Henrioux l’a fait et puis toutes celles qui ont bien voulu y consacrer quelque énergie et pas mal d'inspiration !

«  Historique  » l’élégant graphisme réalisé par José Lopez pour le titre, L’Ormée, que nous avons conservé. «  Historique  » l’engage-ment sur le temps long pour certains pionniers comme Gérard, Jean-Jacques, Jean-Pierre… et les autres ! Ils ont tenu la plume et, parfois, la logistique, pour une diffusion qui a dépassé les cercles com-munistes ou progressistes, en dépit de moyens modestes et grâce au soutien de celles et de ceux qu’on dit « plieurs » mais que l’on sait militant-e-s au sein de la fédération ou avec elle !

Et « qUE faIRE » avec cette revue si ce n’est la mettre à la disposition des cama-rades et des acteurs culturels qui ont vu en elle un moyen d’expri-mer une critique de la « société du spectacle » et de proposer d’autres voix/voies artistiques, pour le plus grand bonheur et intérêt d’un public citoyen  ? Parce que, à l’initiative de ses rédacteurs en chef successifs, Lionel Chollon après Jean-Claude (en 2000) et, depuis, Natalie Victor-Retali (en 2007), cette publication n’a cessé d’articuler le politique avec l’artistique. L’Ormée a mis ainsi en

plus qu’il ne le fait aujourd’hui ! En ce sens, penser la gratuité dans l’accès aux œuvres est un combat plus que jamais d’actualité en ces temps de – fausse – disette budgé-taire et de décentralisation qui en oublie même ce domaine sociétal essentiel ! Des milliers d’artistes, d’acteurs et d’institutions cultu-relles sont en péril, L’Ormée n’a cessé de l’écrire au cours des quatre-vingt-dix-neuf derniers numéros (et quelques débats « manifestifs »), et c'est aussi c’est un combat « historique » de notre ligne éditoriale !

ENfIN « qUE POURsUIVRE » ? Eh bien, poursuivre cette volonté de parler à tous, amis lecteurs, acteurs, de façon originale, à notre rythme, pour que le dia-logue continue de s’élargir à

N° 100 - NOVEMBRE 2013 - 5 €

Bagarres entre mineurs et policiers. Mine d’or de Serra Pelada, État de Para, Brésil, 1986. Série La Main de l'Homme. Sebastião Salgado/Amazonas images.

« C’est l ’histoire d’une époque où hommes et femmes, par leur travail, tenaient entre leurs mains l’axe central du monde. »

lumière critique toutes les contra-dictions que la création entretient avec les pouvoirs, prenant le parti de s’opposer à la marchandisation de la culture, au recul des finance-ments et des politiques publiques pour que vive une culture popu-laire… Sans cela, l’art dans ses (re)présentations, la culture en géné-ral, resteraient affaire de classe où l’argent sélectionnerait encore

d’autres cultures, qu’elles soient jeunes, musicales, plastiques ou d’ailleurs !

Cet ailleurs que le photo-graphe brésilien Salgado nous ouvre dans son entretien, mais aussi cet ailleurs où on peut être « embastillé » parce qu’une chan-son ou un film dérangent l’ordre établi. Pensons effectivement à cet ailleurs qui a surgi avec le prin-

temps arabe où culture numé-rique et expression artistique continuent de s’unir pour dénon-cer le manque de ces libertés que nous chérissons en démocratie.

À l’heure où l’étranger nous est désigné comme de plus en plus étrange, il faut continuer à le défendre et à l’accueillir dans nos pages ! Mais « l’ailleurs » est sou-vent proche, du cœur de la métro-pole bordelaise aux «  champs  » girondins. On va le trouver jusque dans les bois landais où Uzeste reste une formidable boîte de résonnance et d’écoute cultu-relle à partager… à côté de bien d’autres encore !

« Le poète a toujours raison » et, même chanté, L’Ormée en sera l’écho tant que l’engagement politique sera son horizon !

Emmanuel FARGEAUT

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« CES POPULATIONS éTRANGèRES à notre département, chez lesquels la malpropreté la plus repoussante est une

seconde nature, et dont la dégradation morale est descendue à un niveau effrayant, viennent périodiquement encombrer nos quartiers  », écrit Auguste Chérot. Il ajoute : « Chacun de leurs séjours est une véritable infection. […] C’est un véritable fléau. […] Parmi les nom-breux faits qui ont affecté profondément la commission, quelques-uns suffiraient pour justifier une pareille appréciation. Ainsi, un hangar sans fenêtre, dont le sol et les murs étaient pour ainsi dire putréfiés, était occupé par deux jeunes filles, deux sœurs, toutes deux mères, ne comprenant pas un mot de français et n’ayant d’autres moyens d’existence. pour elles deux et trois enfants, que la plus abjecte et la plus misérable prostitution. »

« Dans d’autres taudis non moins hideux, nous trouvons père, mère, enfants […] sans autre ressource que la mendicité. Quand ils ont obtenu quelques monnaies de la charité privée, le père, et souvent la mère, se hâtent de se plonger dans une affreuse ivresse et scanda-lisent ensuite le voisinage par des luttes féroces et des actes d’immoralité révoltante. […] Ces hordes nomades, à raison des condi-tions hygiéniques où elles vivent, sont une charge pesante pour les hôpitaux. Elles entretiennent dans nos murs le fléau de la mendicité. Elles démoralisent la population par l’incessant spectacle de la dégradation la plus infâme. […] Enfin, elles ont, outre la tentation, toute facitité, dans une grande ville, de s’abandon-ner à tous les vices auxquels les laisse en pâture l’absence de sens moral, à peu près étouffé chez eux, si jamais il y a été développé. »

Après un tel constat, « que faire ? » s’in-terroge le polytechnicien qui précise : « Il est urgent de porter le fer dans une plaie dont nous étions loin de soupçonner Ia gravité et l’éten-due. » Après avoir constaté que ces popula-tions « ont, comme tous les citoyens, droit à la liberté de choisir leur résidence sur le sol du pays », il précise : « Mais si cette liberté souffre des restrictions nécessaires, dans l’intérêt de la société, ce principe de restriction peut être d’autant mieux invoqué quand il se trouve d’accord avec l’intérêt sainement compris de ceux contre qui l’application en est demandée. Nous pensons qu’à tous égards il importe que cette facilité de quitter [leur région d’origine, ndlr] pour venir croupir dans la misère d’une grande cité comme la nôtre soit refusée à ces populations. » En clair, M. Chérot propose leur maintien forcé sur leurs terres d’origine.

Un dernier détail sur ce rapport signé Auguste Chérot. Il a été adressé au maire de Nantes, évariste Colombel, lointain pré-décesseur de Jean-Marc Ayrault. Il date du 25 avril 1851 et il est intitulé « Rapport sur les immigrations bretonnes dans la ville de Nantes »1. Les « hordes nomades » qui sont ainsi décrites et qui ont pour vocation à repar-

tir chez elles sont donc… bretonnes. Eh oui, des Bretons, qui quittent massivement les campagnes où règne la misère en ce milieu du XIXe siècle.

Que serait-il advenu des Bretons dont Chérot ne manque pas de souligner « qu’ils entrent pour trois quarts dans la population qui alimente les bancs des tribunaux » et dont l’intégration est impossible compte tenu de leur comportement social, auquel s’ajoute le fait « qu’ils ne comprennent que le bas breton et qu’il est impossible aux agents de l’autorité de s’en faire comprendre », quel aurait été leur sort si la recommandation de ce haut fonc-tionnaire avait été suivie d’effet ?

Les républicains, les vrais, ont fait fi de ces conseils maudits. Ils ont réglé, par l’édu-cation et le travail pour tous, le sort de ces « hordes » en butte à la misère dans laquclle les capitalistes de l’époque avaient plongé leur campagne et notre pays. Le ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, ferait bien de réflé-chir à cette leçon de l’histoire quand il déclare que les quelque vingt mille Roms qui, à ses yeux, polluent notre pays « ont pour vocation à rentrer chez eux ». C’est-à-dire dans deux pays, la Roumanie et la Bulgarie, tous deux membres de l’Union européenne, où ils sont traités en parias, en sous-citoyens, réduits à l’état de handicapés sociaux comme seule la misère sait en produire. Et donc livrés aux maffias locales.

André CiCCodiColA,rédacteur en chef, L’Humanité Dimanche.

––––––––1. « Un manifeste de 1851 contre les immigrés bre-tons », analysé par Didier Guyvarc’h, dans Genèses, Histoire et sciences sociales, 24, 1996, Documents, pp. 137-144.[persee.fr/web/revues/home/prescript/article/genes_1155-3219_1996_num_24_1_1406]

Eux aussi ont «vocation à rentrer chez eux» !Parmi les nombreux rapports et recommandations qui atterrissent sur les bureaux des dirigeants, en voici un, portant sur le comportement et l’état des « populations étrangères », qui a attiré particulièrement notre attention. ll est signé Auguste Chérot, polytechnicien. Que dit ce rapport sur ce sujet d’actualité ? En voici quelques extraits, analysés dans le numéro 21267 du 3 octobre 2013 de L’Humanité Dimanche.

Au squat Thiers-Benauge (ci-dessus) et au squat Queyries (ci-contre), Bordeaux, printemps 2010. Photos N_VR, série DOSTA !

« la question qui se pose n’est pas celle des squats de Roms, mais de citoyens européens qui vivent dans des bidonvilles chez nous », relève Médecins du monde après les différentes expulsions qui ont eu

lieu à Bordeaux, depuis celles de l’avenue Thiers en sep-tembre 2012, puis en juillet 2013, en passant par celles du quai Hubert-Prom et de la rue Lucien-Faure en février 2013. Certaines familles sont retournées dans leur pays « à l’insu de leur plein gré », d’autres se sont redirigées vers d’autres squats. « Une grande majorité des expul-sions se fait sans diagnostic préalable et sans solution de relogement. Le Centre d’orientation sociale a reçu des subventions pour les réaliser, mais nous n’avons jamais eu connaissance des résultats. »

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PENdaNt PlUs dE tRENtE-cINq aNs, l’atelier d’expression libre L’Arbre rose a ouvert une fenêtre dans la psychiatrie institu-tionnelle 1. Il fut un lieu où le patient psychia-trique avait la parole libre, la liberté d’action et de création. Un lieu d’ouverture, aux multiples expositions hors institution, facilitant ren-contres et prises de paroles. Un lieu de respect de l’autre, de solidarité, de convivialité, d’apai-sement de la souffrance.

Peu de temps avant sa fermeture, début janvier 2013 à mon départ à la retraite, je fis réaliser un film par Philippe Borrel et Suzanne Allant 2, afin de recueillir les témoignages de quelques patients habitués du lieu. Le Dernier voyage de l’Arbre rose est visible sur le web 3. Il a été présenté dans différentes circonstances à travers la France, à Toulouse, Paris, Mar-ciac…, lors de projections accompagnées de débats. Et de nouvelles dates sont prévues.

Dès lors, trois questions se posent et font l’objet de mes préoccupations : Que sont deve-nus les patients concernés par l’Atelier ? Que sont devenues les œuvres produites, indivi-duelles et collectives ? Quel est l’avenir des ate-liers d’expression dans la psychiatrie actuelle ?

Ainsi, j’ai gardé quelques contacts avec les désormais « Amis de l’Arbre rose », qui se réu-nissent une fois par mois. Il nous est apparu nécessaire de créer un nouvel outil, ouvert à tous les artistes « libres ». Il s’agit du Groupe Liberté(s), qui a déjà participé à plusieurs expos à Bordeaux-Bastide, Bruges, Cadillac. Ce groupe permet désormais à chacun d’ex-poser à titre personnel, sans être rattaché de près ou de loin à la psy.

Des œuvres ont été remises à leurs auteurs, d’autres sont restées à l’hôpital dans une cave où l’amiante dégouline, après avoir déménagé trop de fois, comme dans un local vandalisé et à la morgue. Ce patrimoine mériterait un peu plus d’égard et le respect de leurs auteurs.

En avril dernier, je participais à Toulouse à un congrès dont l’objet était la protection des œuvres d’art-thérapie réalisées depuis les

Les institutions ne jurent aujourd’hui que de sécurité, de qualité, de management, d’esprit d’entreprise... Dans ces conditions, quel est l’avenir des ateliers d’expression libre ? Heu-reusement, il existe encore de nombreux ate-liers, fussent-ils plus ou moins libres. Mais ils sont souvent ponctuels et noyés au sein d’équipes qui ne leur accordent souvent que la portion congrue.

Quoiqu’il en soit, il semble utile que cha-cun, dans sa problématique propre, ne perde pas de vue qu’il est absolument nécessaire de préserver la parole de la personne en souf-france dans de tels espaces. Elle a souvent considéré l’atelier L’Arbre rose comme son seul poumon d’oxygène et comme son lieu d’existence, de considération..., précieux pour son mieux-être. En tant que professionnels, nous nous devons de poursuivre la lutte pour que chacun puisse ainsi conserver son droit d’expression et d’être, et puisse tendre tou-jours plus vers son autonomie.

Une expérience de la prise de parole des patients psychiatriquesannées soixante-dix à nos jours, dans la pers-pective de la création d’un musée. En effet, aujourd’hui les ateliers ferment les uns après les autres, au départ de leur créateur. On est à la fin programmée d’une période qui leur était favorable, au bénéfice d’actions ponctuelles visant plus à soigner l’image de l’Hôpital, avec la culture-vitrine institutionnelle, qu’à consi-dérer le Patient Sujet. Il est donc temps de pré-voir une conservation honorable des œuvres.

L’Arbre rose a été une expérience souvent en butte avec l’administration, mais qui a rem-pli professionnellement sa mission auprès des patients. Son caractère libertaire confirme que l’art ne doit souffrir d’aucune contrainte et doit échapper à tous pouvoirs institutionnels qui tiennent à garder leur capacité d’influence sur leurs captifs. Plus que jamais, l’art a un rôle majeur à jouer, dans une société libérale comme la nôtre.

L’ARBRE ROSE

Pour ma part, je continue de rencontrer les Amis de l’Arbre rose, à leur demande. Je viens de leur proposer de prendre la parole dans un atelier d’écriture animé par Joël Zanoui, qui a participé aux activités de l’atelier. En quitant mes fonctions, je n’avais rien décidé, j’ai laissé venir. Je constate, aux nombreuses demandes qui me sont faites, que les ateliers d’expression sauront, comme par le passé, s’imposer en sur-montant les difficultés institutionnelles, car la relève a le courage nécessaire.

Jean-Bernard CoUZiNET,docteur d’université et plasticien,

créateur-animateur de l’atelier L’Arbre rose.––––––––1. Dans un local de l’hôpital Charles-Perrens, à Bordeaux.2. Philippe Borrel a réalisé, entre autres, les films Un monde sans fous ? et Un monde sans humains ?3. [www.collectifpsychiatrie.fr/?p=4916]

À l'issue d'une aventure humaine et artistique de trente-cinq ans, l'Arbre rose a fermé ses portes fin décembre 2012. Jean-Bernard Couzinet, créateur de cet atelier d'art-thérapie, garde la certitude que, « plus que jamais, l’art a un rôle majeur à jouer dans une société libérale comme la nôtre ».

Dessin de Didier.

L’affiche de Che a toujours accompagné l ’Arbre rose…L’œuvre ultime de l ’atelier, laissée à sa fermeture et défaite par l ’ institution.

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Le 18 juin 1987 paraissait le premier numéro de L’Ormée. La veille, 17 juin, au Théâtre de Paris se déroulaient les États généraux pour la Culture, où les acteurs culturels ont témoigné « de leur amère expérience et de leur désir de résister au pouvoir de l’argent et de l’asservissement au modèle américain ». Ces lignes du numéro Un de L’Ormée témoignent, s’il en était besoin, de l’utilité politique de cette publication unique en France.

L’Ormée est née à Bordeaux en même temps que le Théâtre du Port de la lune dont le premier directeur, Jean-Louis Thamin, fut le premier invité.

Comment ne pas saluer l’énergie militante, qui, depuis cent numéros, poursuit ce combat communiste pour l’épanouissement culturel ? Longue vie à L’Ormée, publication de la fédération du PCF de Gironde et bonne route aux « Amis de L’Or-mée » et à sa chorale.

L’orme est, dit-on, un arbre robuste ! Les « Ormistes » de 1652 ont ouvert un chemin que L’Ormée de 2014 entend continuer. Jean-Claude GoMEZ

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IL EST UN DéBAT qu’il faudrait avoir et qui me reste en travers de la gorge. C’était il y a un an, Hollande feignait encore de vou-

loir vraiment imposer les riches. Le député socialiste Christian Eckert, rapporteur géné-ral du budget, proposait dans un amendement d’inclure (modérément) les œuvres d’art dans l’assiette de l’ISF, une proposition déjà avan-cée en 1993 par Jean-Pierre Brard, député apparenté communiste. Que croyez-vous qu’il arriva  ? On vit Claude Cabanes, dans L’Humanité, monter au créneau aux côtés des galeristes, courtiers et spéculateurs de tous poils, contre un dispositif qui, dixit Cabanes, « pourrait avoir des effets destructeurs sur le mouvement de l’art lui-même et son marché dans notre pays »1. Comme si le marché de l’art était plus respectable que les autres.

Mais surtout, quelle naïveté ! Comme si l’on était encore à l’époque des Kahnweiler2, marchands et collectionneurs pas forcément désintéressés mais toujours passionnés... Comme si l’ultralibéralisme n’était pas passé par là ! Les Échos, qui s’y connaissent, décrivent « un marché de l’art devenu hautement spé-culatif, particulièrement cette décennie [où] chacun cherche la meilleure stratégie pos-sible pour maximiser ses profits »3. Invoquer ici, comme le fait Cabanes, «  l’alliance des forces du travail et des forces de la création » est pathétique.

On peut également rappeler que la plus-value sur la revente d’œuvres d’art est exoné-rée au bout de douze ans et Les Échos, toujours, conseillaient un peu plus tôt : « Ne créez pas d’emplois trop vite et spéculez sur les œuvres d’art car aucune valeur ajoutée n’est nécessaire pour acheter et revendre »4.

Ajoutons qu’il est illusoire de distinguer, comme le souhaite Cabanes, collectionneurs et spéculateurs. Et puis, doit-on perpétuer cet archaïsme qui soumet les artistes au caprice de riches acquéreurs, à cette insupportable usurpation qui permet à ceux-ci de se consti-tuer un capital symbolique d’« homme de culture » afin de mieux légitimer l’accumu-lation de leur capital économique ? Monsieur Bernard Magrez achète un Stradivarius, il lui donne un nom et le prête, grand seigneur, à l’ONBA. Et il le fait savoir ! Qui va croire à son désintéressement ?

Gérard loUSTAlET-SENS––––––––1. L’Humanité du 17 octobre 2012.2.  Daniel-Henry Kahnweiler, marchand d’art et promoteur des quatre mousquetaires du cubisme, Picasso, Georges Braque, Juan Gris et Derain.3. Les Échos du 21/22 décembre 1012.4. Les Échos du 23 octobre 1012

POUR CE CENTIèME NUMéRO, j’aurais pu évoquer comment, en 1987, dans ces petits soirs de remue-méninges,

«  L’Ormée  » est devenue le titre de notre revue, après avoir supplanté le « Bouillon de culture », repris plus tard par Bernard Pivot.

J’aurais pu analyser comment, en 1986, la commission culturelle du PCF girondin a voulu dépasser « l’entre-nous » de sa réflexion pour la partager publiquement, ouvrir sa revue à tous les acteurs culturels, à leur tra-vail, à leurs combats et faire de L’Ormée un outil de rencontres, de découvertes, d’émo-tions partagées avec ces jeunes artistes, ces créateurs modestes ou reconnus, ces publics passionnés ou empêchés.

J’aurais pu déplorer comment, en ce temps de 2013, la culture est, encore, cette « variable d’ajustement budgétaire » qui passe la première à la guillotine quand l’austérité se fait reine et que « les véritables causes des séditions et du changement des états sont les richesses excessives de peu de sujets  », comme le dénonçait déjà, en 1651, le menu peuple de l’Ormée. J’aurais pu… Mais je pré-fère donner à re-lire l’extrait d’un article du premier numéro, de son premier rédacteur en chef. Il garde – heureusement ?, malheureu-sement ? – beaucoup de son actualité.

« Déraisonnable, une publication centrée sur la réalité culturelle de notre région, la rencontre entre les femmes et les hommes de culture, le public et les communistes ?

«  Déraisonnable, la volonté d’affirmer l’identité de notre parti dans le champ cultu-rel et, dans le même temps, d’aider à la prise en compte de ce qui bouge, se construit, et de favoriser les actions convergentes ?

« Nous ne le pensons pas. Au moment où les artistes de toutes disciplines vivent douloureusement la subordination de leurs capacités créatrices au pouvoir de l’argent, où la culture est dévoyée dans un rôle déri-soire de supplément d’âme, où la ségrégation culturelle limite l’épanouissement de la per-sonnalité, cœur et raison mêlés, il est urgent d’envisager des réponses neuves. Chacun, de sa place, en donnant à voir et à comprendre, sans soumission idéologique ni ingérence esthétique, peut y concourir…

« Le principe de toute culture véritable est de déshabiller ce qui ne consisterait qu’à transmettre et faire partager les mots et les choses qui supportent l’ordre existant. En ce sens la création dérange. C’est tant mieux.

« Contre la pédagogie du renoncement, le fatalisme de la résignation, L’Ormée entend participer au combat pour créer de réelles conditions de développement de la culture. "Comment veux-tu que l’espoir capitule  ?" dit Jacques Higelin ».

C’était notre appel du 18 juin 1987 !L’Ormée, maintenant forte de cent expé-

riences, va continuer sa route «  d’utilité publique » dans le paysage culturel girondin.

Jean-Claude lAUlAN

Des Ormées… la déraison est justifiée !

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Après la guerre du Golfe de 1991, des ouvriers tentent de maîtriser les puits de pétrole. Gisement de pétrole du Grand Burhan, Koweit, 1991. Série La Main de l’homme.

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sUR LES MURS, encadrées ou non, les estampes réali-sées par les membres de l’as-

sociation fondée par Colin sont offertes au regard du visiteur. Elles séduisent d’emblée par la diversité des sujets, des formes, des cou-leurs… et des techniques. Deux pièces mises à disposition par la commune, dont leur atelier est seul bénéficiaire. Heureusement, tant cette activité, la gravure, ne se prête guère à l’improvisation ni à l’à-peu-près  ! Dans celle où ils me reçoivent, des mots curieux sur des panneaux muraux comme chalcographie, gravure en creux, taille d’épargne…, et des grilles superposées destinées au séchage des épreuves ; et des plaques sup-portant des poids qui aplanissent les feuilles gravées, toutes produc-tions originales des deux anima-teurs ou des adhérents.

Dans l’autre pièce, deux presses aux rouleaux étincelants et aux surfaces parfaites. La plus grande est impressionnante par la pression qu’elle développe : une tonne par mètre linéaire. La plus petite est transportable et sert aux animations, démonstrations et autres expositions que Colin et Lolita assurent, à la demande d’écoles, de centres sociaux, de médiathèques : elle m’avait intri-gué aux journées des « Arts s’en mêlent » du château Dillon. L’une et l’autre fonctionnent sur le même principe et sont actionnées par un volant genre batellerie. Partout des tables, des bacs, des étagères avec des encres, des outils spécifiques, des liasses empilées ; et des tabliers qui attestent qu’on doit se protéger de maladresses excusables. Celui de Lolita semble constitutif de son identité.

CréateurS aussi

INDÉMODABLE(S) !Au rez-de-jardin du château de Fongravey, en plein Blanquefort, au milieu d’un parc où des chênes vénérables protègent en cette saison des tapis de cyclamens roses, Lolita Pugibet et Colin Schonenberger m’accueillent dans les deux pièces qu’ils ont aménagées pour installer leur matériel et les productions de leur atelier de gravure. Un petit miracle d’ordre et d’organisation.

Au-delà d’une dissemblance superficielle – Colin est un jeune actif  ; Lolita, jeune aussi, mais retraitée – leur accord est profond. Ils ne sont en rien des gravures de mode parce qu’ils pratiquent la gravure en mode majeur. Des chemins différents les ont conduits à la même passion. Pour Colin, ce fut les Beaux-arts à Tou-louse où un professeur de gravure l’a « contaminé » ; Lolita, elle y est «  tombée » après être passée par la peinture. Une passion qu’ils expliquent par le côté artisanal de leur activité, qui ne relève pas seu-lement de l’inspiration mais plutôt de cet aspect «  arts et métiers  », avec parfois un aléatoire du résul-tat qui n’est pas pour leur déplaire.

En premier, on prépare la matrice, qu’on maîtrise assez vite sur les conseils des deux anima-teurs de l’atelier. Elle peut être en bois, en lino, en cuivre, en zinc…, en creux ou en relief. J’apprends

aussi qu’on peut faire de la gra-vure au sucre (!?) ou en se servant du carton de briques de lait (!?). « La matrice, c’est l’âme de la gra-vure » dit Colin. Puis il faut passer l’encre, à la poupée (!?) ou au rou-leau. Selon Lolita, «  l’encrage et l’essuyage sont les deux mamelles de la gravure ». Mais, après tout, puisqu’il est question de lait !

L’essentiel est donc dans le travail préparatoire ; l’estampe, la réalisation terminée après passage en presse, est juste un transfert sur papier. Sauf que c’est elle qui suscite l’émotion ! En général, les tirages sont limités à quelques uni-tés, quelques dizaines au mieux. Quand on considère l’investisse-ment en temps, équipements et matériels, on comprend que les ventes permettent difficilement de couvrir les frais engagés.

Tous deux déplorent cette particularité française qui exclut bizarrement la gravure de l’art

contemporain alors que, dans de nombreux pays, elle reste une forme d’expression essentielle et que des artistes majeurs l’ont pra-tiquée assidûment, tel Picasso qui en a produit des milliers. Et La Vague du Japonais Hokusaï n’est-

Lolita : de Valencia à Bordeaux.

Colin à la presse de gravure.

elle pas une estampe connue de tous ? Ils ne supportent plus qu’on marginalise la gravure, au prétexte que les pratiquants seraient davan-tage œuvriers (au sens de Bernard Lubat) que purs artistes. Y aurait-il un art officiel et des genres mineurs ? Ils récusent totalement cette conception… et nous aussi !

Une amertume bien compré-hensible, mais Lolita et Colin ne se résignent pas. Tout en assurant les permanences de l’atelier et les stages du samedi, ils explorent de nouvelles pistes dans les tech-niques et dans la présentation. Le rhodoïd ou l’astralon étant des supports relativement simples à manier, ils les ont proposés à une classe de cours préparatoire, et les créations enfantines pré-sentées en dépliant vertical sont surprenantes. Des idées, ils n’en manquent pas, comme la réalisa-tion d’une exposition «  Au bout des doigts » avec des gaufrages qui constitueraient une façon origi-nale de valoriser la gravure, à côté des cadres et des livres d’artiste.

Colin n’hésite pas à affirmer qu’ils ont là le plus bel atelier de gravure de la CUB. Son ambi-tion est de pouvoir un jour vivre du partage de son savoir et de son expérience, en élargissant le cercle de ses adhérents. C’est en bonne voie : un couple de Royan, après s’être renseigné sur Internet et déplacé « pour voir », vient prati-quer une fois par semaine. Qui dit mieux ?

Jean-Jacques CRESPo––––––––[email protected]

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L’exposition de vos photos qui a lieu en ce moment à Mérignac, en Gironde, a pour titre «  Sebastião Salgado, un regard engagé  ». Quelle est votre définition d’un « regard engagé » en photographie ?

Ce n’est pas moi qui ait choisi le titre de cette exposition, mais les gens ont toujours dit que j’étais un militant. Ces photos, c’est ma vie, mon éthique, ma manière de vivre. Comme mon langage c’est la photo, ça devient ce que c’est. Jorge Amado 1 a écrit sa vie, ses expé-riences, ce qu’il aimait, le résultat c’est sa vie… Pour moi, chaque série (Afriques, Autres Amé-riques, Exodes, La Main de l’Homme) retrace un grand morceau de ma vie où il était impor-tant de faire ces photos-là : la beauté, la révolte m’animaient. Alors, oui, c’est engagé, avec ma compréhension idéologique et éthique des choses.Vous avez changé de voie en 1973, abandonné une carrière d’économiste pour devenir photographe. Pourriez-vous revenir sur ce moment de basculement dans votre vie ?

Ça a été une découverte pour moi, je suis venu en France un peu rapidement, avec ma femme, on a quitté le Brésil qui subissait une dictature brutale. On était très jeunes (moi j’avais vingt-quatre ans et ma femme même pas vingt) mais on se croyait déjà très mûrs… En arrivant en France, j’ai continué mes études tout en participant à des groupes de réflexion sur le marxisme.

Ma femme était en archi, elle a donc eu besoin d’acheter un appareil photo et, pour la première fois, j’ai regardé dans un viseur et cela a changé mon regard. J’ai vu que je pou-vais matérialiser ce que je voyais.

Alors, la photo a commencé à prendre une grande part dans ma vie. J’ai débuté en Haute-Savoie où nous étions pour des vacances, puis en rentrant à Paris, j’ai installé un labo et j’ai développé et tiré des photos pour les autres, pour financer mon «  hobby  ». J’ai continué ma carrière [d’économiste] un certain temps, j’ai travaillé avec la FAO 2, je suis parti en Afrique, puis à Londres, et là je me suis rendu compte que mes photos prenaient le dessus sur tout le reste… Au début, j’ai tout essayé, le sport, le nu, etc., mais, sans savoir comment, je me suis très vite trouvé pris dans la photo-graphie sociale.

Venant du Brésil sous la dictature et ayant trouvé en France tant de réseaux de solidarité avec les opposants brésiliens, je me suis mis à faire des photos là où ma vie me poussait à les faire, dans le mouvement social. J’ai travaillé pour L’Huma, L’Huma Dimanche et aussi un journal catholique, des journaux syndicaux. Je passais à la salle de rédaction, je demandais quel était leur sommaire et je partais faire les photos ; après, je suis parti plus loin…

Genesis, votre grande exposition actuelle à Paris, réalisée avec votre épouse Lélia Wanick Salgado, est résolument tournée vers la défense de l’environnement. Pour vous, est-ce le grand défi lancé à l’humanité aujourd’hui ?

Oui, c’est un des grands défis, on croyait la cause purement sociale, mais ça ne doit pas être dissocié de l’environnement qui est aujourd’hui une préoccupation majeure.

En finissant Exodes, j’étais cassé, je ne croyais plus en l’homme, ma santé a com-mencé à en souffrir. Or, mes parents avaient une ferme dans ma région d’origine au Brésil, le Minas Gerais, que nous avons récupérée avec ma femme. Avant, c’était un paradis, une forêt tropicale, merveilleuse ! Mais tout était détruit, il n’y avait même plus d’eau dans ma région, notre fleuve qui faisait quatre mètres de profondeur n’avait plus que quatre-vingt centimètres quand nous sommes arrivés…

Et c’est la même chose partout, même en France où la déforestation est bien maquil-lée. On y affiche une couverture forestière de 27 %, mais en réalité, il n’y a que 3 % de vraie forêt locale avec toutes les espèces et tout l’écosystème correspondant, le reste, c’est de la forêt économique, avec une ou deux espèces, destinée à être coupée. L’écosystème ne peut pas s’y développer.

Alors, au Brésil on a commencé à replanter notre forêt, à rechercher les essences locales et à développer massivement les plans néces-saires à cette reforestation. Et on a commencé à penser à notre fondation, l’Instituto Terra. Le problème se pose partout sur la planète, il faut résoudre à la fois les problèmes sociaux et les problèmes de relation avec la planète.

Il a commencé à travailler comme économiste, puis devient photographe professionnel à partir de 1973. Alors qu'à Paris la Maison européenne de la photographie présente Genesis, hommage photographique à notre planète au terme de huit ans de voyages, une exposition rétrospective de son travail le plus social est actuellement présentée à la Vieille Église Saint-Vincent de Mérignac.

Sebastião Salgado « L’art tout seul n’apporte rien ! »

Sebastião et Lélia Salgado. Photo Ricardo Beliel.

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Sebastião Salgado « L’art tout seul n’apporte rien ! »

Indira Gandhi disait que la première des pollutions, c’est la misère. Pensez-vous que la misère humaine, les conflits, l’exploitation doivent cesser afin, également, de préserver la planète ?

On croyait que la misère était seulement matérielle et, quand on militait, c’était pour qu’une classe accède aux biens matériels dont profitait déjà une autre classe. On a abouti à une gigantesque société de consommation. Lula, qui est un ami, a fait accéder trente-cinq millions de Brésiliens miséreux à la classe moyenne, ils sont devenus d’immenses

consommateurs de TV, de voitures, de routes, d’énergie… Donc, d’un côté, il y a eu un accès aux biens matériels, mais d’un autre côté on se retrouve avec un immense problème environ-nemental. Or il faut absolument trouver des solutions pour gérer ce problème.

Un autre problème majeur que je vois avec cet accès aux biens matériels, c’est l’isolement qui se développe, provoqué par l’urbanisation massive. Dans mon immeuble à Paris, une vieille dame qui habitait là a disparu quelques jours, elle était morte, on s’en est aperçu à cause de l’odeur ; on est trois cents habitants dans ce bâtiment et cette dame ne connais-sait personne ! En Afrique, même dans la plus grande misère, quand quelqu’un meurt, les autres pleurent, on a perdu ça ! On n’a plus le sens de la communauté, de la solidarité, c’est ce qui me choque le plus dans ce processus de massification de la consommation et de la « communication ».

Quand on est arrivés en France, on n’avait pas grand chose, on faisait du stop, les gens nous prenaient avec eux, on discutait, ils nous invitaient à manger ou à dormir, il y avait une grande solidarité et un grand plaisir à échan-ger. Aujourd’hui, on dirait que le seul plaisir est de consommer. On s’isole de plus en plus avec Internet alors qu’on croit communiquer ! Je crois que la misère « spirituelle » est beau-coup plus forte encore que la misère maté-rielle. L’accès aux biens matériels n’a pas réglé ça, peut-être au contraire sommes-nous fina-lement dans une plus grande misère du fait de l’isolement que du fait du manque d’argent.Que pensez-vous que peut apporter l’Art, et plus singulièrement la photo, à ces différentes causes ?

L’art tout seul n’apporte rien  ! Mes photos, on peut les regarder tout seul puis les oublier. Mais l’art, la photo, pris dans un mouvement vont pouvoir changer des choses  ! Genesis, avec le discours des ONG, des militants, va faire partie d’un mouvement majeur qui peut permettre de changer les choses…

Je ne crois pas aux héros individuels, ni en art ni ailleurs. Ma photo n’est rien si elle n’est pas ancrée dans un mouvement plus large. Le Mahatma Gandhi, que je respecte beaucoup, est le fruit d’un mouvement énorme de libéra-tion, il apparaît par le mouvement historique, seul il ne serait rien ! C’est comme Gorbat-chev, il n’a fait que matérialiser un moment historique.

On est dans un mouvement, social ou environnemental, mais si on n’appartient pas à un mouvement, on ne change rien. Je ne crois pas aux hommes providentiels, c’est une mode, on cherche des gourous, mais ça ne marche pas comme ça !Un processus d’appropriation citoyenne de l’art et de la culture, comme l’éducation populaire, serait-il plus efficace pour changer les choses ?

Oui, c’est un peu ce que je viens de dire; c’est le mouvement de tous qui compte. Je ne fais pas des photos d’art, mais des photos de notre société. Si elles deviennent une référence de cette société parce qu’elles se situent dans un mouvement majeur de cette société, alors cela deviendra une œuvre d’art. Car cela concer-nera toute la société. Si on n’a pas ce mou-vement populaire de masse, l’art en soi ne pourra rien changer.

Je crois qu’il faut vraiment inverser le mou-vement actuel, on va arriver à des moments de décisions durs dans notre société. Je crois que ce qui a garanti notre évolution, ce n’est pas la technologie, les biens matériels, mais notre comportement de société, notre aptitude à faire société. La notion de participation démocratique doit exister en réalité et non pas comme une mascarade. Il faut un ample mouvement profondément démocratique pour inverser le cours des choses et sauvegar-der à la fois notre humanité et notre planète, car l’une ne peut pas aller sans l’autre.

Entretien réalisé par Natalie ViCToR-RETAli

> Sebastião Salgado est né le 8 février 1944 à Aimo-rés, au Brésil. Marié à Lélia Deluiz Wanick, il est père de deux fils et vit à Paris.> Genesis, Maison européenne de la photographie, Paris, jusqu'au 5 janvier 2014.> Un regard engagé, Vieille Église Saint-Vincent, Mérignac, entrée libre, du mardi au dimanche de 14 h à 19 h jusqu'au 1er décembre 2013. L’exposition propose des extraits des grandes séries de Salgado  : Sahel, l’homme en détresse, sur les ravages de la séche-resse et la famine (1984-1985), Autres Amériques, qui évoque la persistance des cultures paysannes et indiennes (1977-1984), La Main de l’Homme pour laquelle, pendant six ans, il a visité vingt-six pays à la recherche des travailleurs manuels (1986-1992), et enfin Exodes (1994-1999), sur les migrants chassés de leur pays.> [www.amazonasimages.com]

––––––––1. Jorge Amado est l’un des plus grands auteurs bré-siliens. Son œuvre montre le plus souvent les com-munautés noires et mulâtres de la province de Bahia où il a presque toujours vécu. 2. Food and Agriculture Organization, organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agricul-ture, spécialisée dans l’aide au développement et chargée d’améliorer le niveau de vie, l’état nutrition-nel et la productivité agricole.

Travailleurs des mines de charbon de Dhanbad,

État de Bihar, Inde. 1989. Série La Main de l'Homme.

Church Gate Station, Western Railroad Line, Bombay, 1995. Série Exodes. Sebastião Salgado/Amazonas images.

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Pau, Lacanau et ailleurs. Ainsi, pour parta-ger expériences et connaissances, pour tisser des liens durables et pour construire des ponts entre les deux rives de l’Océan, voire de la Méditerranée au Pacifique – Javier Mariano n’avait-il pas créé, à Acapulco, la Bien-nale Paul Gauguin du Pacifique ? –, naquit Pucéart (Pour un commerce éthique de l’art, Por un comercio ético del arte), en 2007. Com-merce au sens le plus ancien et le plus large du terme. Pas équitable car, dans un monde iné-galitaire, le marché de l’art ne l’est pas, mais en revanche il peut y avoir de l’éthique dans les échanges.

Malheureusement la vie réserve aussi des surprises tragiques et douloureuses. En 2008, juillet pour l’un, novembre pour l’autre, Miguel-Angel et Javier ont disparu. Ils avaient cinquante-trois et cinquante-six ans. Jean-Pierre et Paquita avaient perdu les deux piliers de l’édifice mexicain. Ils auraient pu baisser les bras, s’en remettre à une autre association, en créer une nouvelle, vendre tout bonnement les toiles de Javier. Bref, renon-cer… Mais, d’autres, disséminés en France, les avaient peu à peu rejoints pour faire vivre Pucéart. La proposition généreuse et utopiste de l’association intéressait.

Comment a surgi l’idée de faire une exposition annuelle sur la mémoire sociale et politique  ? Personne ne sait plus. Nous voulions seulement rester dans l’idée du partage, des ponts, de la solidarité à travers l’art. L’idée est ainsi venue de convoquer des artistes à dire, peindre ou sculpter, à s’expri-mer sur ce qu’évoquait, pour eux, femmes et hommes du vingt-et-unième siècle, un événe-ment ayant profondément marqué la société latino-américaine.

lEs EXPOsItIONs Au Mexique, la répression de la manifestation du 2 octobre 1968, convoquée sur la place de Tlatelolco – place des Trois Cultures – par le mouve-ment étudiant qui se battait, depuis plusieurs mois, pour la justice et la démocratie et auquel s’étaient joints ouvriers, employés et ensei-gnants, est toujours et à jamais gravée dans la mémoire collective. C’était à quelques jours de l’ouverture de ces Jeux olympiques res-tés aussi dans les mémoires pour l’exploit de Bob Beamon au saut en longueur et pour les poings gantés de noir de Tommie Smith et de John Carlos, premier et troisième du 200 mètres, levés pour protester contre la ségréga-tion raciale aux états-Unis.

C’est ainsi que, en 2008, Pucéart, avec les amis de l’Ormée, l’Association franco-mexicaine d’Aquitaine et France-Amérique latine 33, quatre associations réunies en un

informel Collectif Mémoire, a été lancée la première exposition, Mexico 1968 - Mémoire du massacre de la place des Trois Cultures. Saut dans le vide d’un groupe sans expérience, sans moyens, sans subventions mais avec un infini enthousiasme et la conviction profonde de l’utilité d’une telle exposition.

Les ébauches de la fresque murale réali-sée au Mexique par Javier Mariano en hom-mage aux victimes d’un autre massacre, celui d’Aguas Blancas en 1995, dans l’état de Guerrero, ont servi de fil conducteur. Nous avons alors découvert le magnifique Espace Saint-Rémi, prêté par la ville de Bordeaux aux associations pour leurs manifestations. Nous, adhérents, sympathisants, artistes, avons eu le plaisir d’accueillir une vingtaine d’artistes et plus de mille visiteurs en une dizaine de jours, intéressés tant par les œuvres que par les textes, photos et illustrations de panneaux didactiques, ce que l’on pourrait appeler une première « expo dans l’expo ».

Avec les mêmes, mais sous la Halle du marché des Chartrons, Pucéart a proposé en 2010 au Collectif Mémoire de convoquer les artistes à participer à l’exposition Les Mous-taches de Zapata - Mémoire d’une révolution, à l’occasion du centenaire de la révolution mexicaine de 1910. Une seconde « expo dans l’expo » a réuni des chromos mexicains repré-sentant Pancho Villa et Emiliano Zapata et des photos de Casasola et de Brehm, racon-tant la première révolution du vingtième siècle. Du cinéma et de la musique, et une trentaine d’œuvres venues non seulement de la région et des quatre coins de France mais également d’Amérique latine (Colombie, Cuba, Brésil, Mexique…). Un gros succès, avec plus de mille trois cents visiteurs.

Rencontre, solidarité, partage, c’est ce qui a encore animé la troisième exposition, deux ans après le séisme qui a détruit la région de Port-au-Prince en Haïti. L’exposition

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ou la diffusion de l’art autrement

Affiche de l ’exposition de 2012,

Les villes imaginaires - Mémoire d’un séisme,réalisée par Françoise Constantin.

Catalogue de l ’exposition

de 2012,Les Moustaches

de Zapata.Mémoire

d’une révolution.

Il était une fois un quatuor improbable. Miguel-Angel, un anthropologue aventurier issu des quartiers populaires de Mexico, Javier, un peintre et céramiste venu du cœur profond de la Tierra Caliente de l’État de Guerrero, Jean-Pierre, un ancien prof de math orléannais devenu sculpteur pour l’amour du métal en fusion, et une journaliste mexicano-gasconne un peu écrivaine mais incapable de tenir un pinceau.

VANT D’ARRIVER au Mexique, la journaliste, alias Paquita, avait passé du temps à Cuba, où côtoyer au quoti-

dien artistes ou écrivains est chose courante et magnifique. Elle, qui ne connaissait pas grand-chose au monde de l’art et de la créa-tion, avait découvert que, pour beaucoup d’entre eux, inconnus en France, il était diffi-cile, voire impossible, de penser y exposer un jour. Ils pouvaient, en revanche, être la proie de pseudo-marchands d’art sans scrupules, leur faisant miroiter la gloire. La même diffi-culté se retrouvait partout sur son chemin, en Colombie, au Mexique, en Haïti, au Pérou, au Chili…

En 2003, lors du centenaire de L’Huma-nité, Javier demanda à Paquita de proposer une exposition de ses œuvres en échange de la réalisation, in situ, d’une fresque murale, cadeau au journal. Ce qui fut fait, à Saint-Denis, dans l’immense hall de l’immeuble imaginé par l’architecte brésilien Oscar Nie-meyer. Puis le quatuor proposa, avec suc-cès, les œuvres de Javier Mariano, souvent accompagnées de sculptures de Jean-Pierre Gendra, à Reims, Blois, Saint Jean-de-Braye,

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SI VOUS VOULEZ PARTICIPER À L’AVENTURE DE PUCÉARTOU SIMPLEMENT NOUS AIDER VOUS POUVEZ

> adhérer à l’association (15 euros annuels),> faire un don du montant qu’il vous plaîra…Mentionner au dos du chèque sa destination et adressez-le à Pucéart,5, place Dauphine, 33200 Bordeaux.

Plus d’infos [puceart.free.fr]

Les villes imaginaires - Mémoire d’un séisme – titre en hommage au peintre haïtien Préfète Duffaut – a vu le jour en 2012 par la rencontre avec l’écrivain haïtien Lyonel Trouillot 1. Le Collectif Mémoire a alors décidé de soute-nir, à la mesure de ses possibilités, la création du Centre culturel Anne-Marie Morrisset dans le quartier de Delmas à Port-au-Prince. Malgré la date et le froid du début du mois de janvier, nouveau succès, à la Halle des Char-trons, avec l’entrée dans le Collectif Mémoire de l’association béglaise Delaba et Dissi. Migrations solidaires et la sortie de nos amis mexicains. C’est le Réseau des artistes de Jac-mel, animé par Rénold Laurent, qui, en nous envoyant vingt-cinq tableaux, a fait « l’expo dans l’expo » et a largement contribué à l’inté-rêt de la manifestation.

On nous a parfois demandé comment nous arrivaient les œuvres. Elles voyagent solidairement : avec un prof qui vient donner un cours en France, une expat’ qui revient pour Noël dans sa famille, un voyageur qui se charge d’un paquet de plus, une militante associative qui part sur le terrain et même un consul honoraire qui va voir comment fonc-tionne l’école qu’il a aidé à reconstruire. Le

cinéaste cubain Humberto Solas, disparu lui aussi en 2008 mais en septembre, avait inventé, au moment de la période spéciale (crise économique majeure à Cuba), le Fes-tival du film pauvre pour démontrer qu’avec de la solidarité et le partage de moyens, il est possible de continuer à créer. Il en a témoigné avec son dernier film, Barrio Cuba. Le Col-lectif Mémoire met en pratique cette idée et il n’y a guère que dans les encadrements et dans l’impression du catalogue de l’exposition que nous n’avons pas trouvé de solution solidaire.

Il ne pouvait échapper à Pucéart que 2013 verrait le quarantième anniversaire de la mort du poète Pablo Neruda, survenue quelques jours après le coup d’état militaire contre l’Unité populaire au Chili. Le 11 septembre 1973, le président Salvador Allende avait refusé le sauf-conduit proposé par la junte militaire pour partir à l’étranger. Pour ne pas se rendre aux putschistes, il s’était tiré une balle dans la tête, dans le palais de la Moneda. Toute une génération a été marquée par l’ex-périence chilienne et, comme d’autres villes de France, à Bordeaux et dans sa périphérie, ont été accueillis, dans l’émotion et la solida-rité, nombre de réfugiés chiliens.

En 2013, le Collectif Mémoire s’est enrichi d’une nouvelle composante avec France-Chili Aquitaine, mais a perdu France-Amérique latine 33, pour convoquer la nouvelle expo-sition Le rêve de Neruda - Mémoire de l ’Unité populaire. Pour l’occasion, nous sommes reve-nus à l’Espace Saint Rémi en septembre der-nier, toujours avec nos minuscules moyens et sans subvention. Pourtant, l’exposition 2013 a été la plus riche, la plus multiforme. Elle est parvenue, sans attiser les différences, avec sincérité, à intégrer diverses manifestations, à faire travailler ensemble plusieurs groupes et associations, à relayer des initiatives dans toute la CUB et bientôt à Marmande. Mais c’est toujours des visiteurs que vient la récom-pense. De leur intérêt, de leurs découvertes, de leurs attentes et de leurs commentaires, du regard des enfants de maternelle ou des com-mentaires des collégiens. Plus de mille cinq cents visites, une quarantaine de participants à l’élaboration et à l’organisation de l’expo-sition  : cinéma, littérature, photo, musique, danse…

Et MaINtENaNt ? Pucéart s’est donné un an et demi pour une nouvelle exposition dont le thème, qui sera proposé au Collec-tif Mémoire, sera défini lors de l’assemblée générale de l’association le 16 novembre 2013.Se donner aussi le temps de respirer, de réflé-chir, de débattre, de s’organiser a minima, de chercher quelques sources de financement...

Sombres partitions, bronze de Jean-Pierre Gendra,

inspiré par le film Le Violon, de Francisco Vargas.

Après avoir soutenu pendant deux années le Centre culturel Anne-Marie Morisset en Haïti, Pucéart soutient aujourd’hui une expé-rience culturelle à Xochistlahuaca, un vil-lage amuzgo de la Costa Chica du Mexique. Miguel-Angel Gutierrez y travaillait et, à sa mort, une partie de sa collection de masques a été donnée à une association locale qui a créé un petit musée portant le nom de l’anthro-pologue. L’association n’a aucun moyen mais porte deux projets : l’un concerne des paysans qui veulent retrouver la tradition de produc-tion de jus de canne-à-sucre, l’autre est un projet de développement du musée qui récu-pérerait la mémoire du village. Il comporte-rait trois salles  : l’une pour un photographe local qui a des images anciennes du village, la seconde pour des photos faites par des Japonais qui, depuis longtemps, viennent à Xochis étudier la médecine traditionnelle, et la troisième serait consacrée aux masques qu’il faut, en partie, restaurer. Ce sont des projets modestes (moins de 2500 euros) auxquels Pucéart s’est intéressé.

C’est, entre autres, pour les financer que Pucéart organise des Bazars d’art. Le pro-chain aura lieu le 8 décembre, toute la journée, au 20 de la rue de Freycinet à Talence. On y trouvera, depuis des livres et des cartes pos-tales à moins d’un euro, des reproductions, de l’artisanat, jusqu’à des œuvres originales que des peintres latino-américains ont offertes à Pucéart. Des cadeaux pour Noël !

PAqUiTA* ––––––––1.  Lyonel Trouillot sera à La Machine à Lire, le 12 décembre 2013, pour présenter son dernier livre, Parabole du failli.* Alias Françoise Escarpit.

Affiche de l ’exposition de 2013,Le rêve de Neruda - Mémoire de l ’Unité populaire,

réalisée par Igor Quezada.

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la cHORalE dEs aMIs dE l’ORMéE vient d’achever sa tournée d’automne. Un bien grand mot direz-vous ! Non, expression justifiée car, après un printemps où le classique a dominé avec les Nocturnes de Mozart pour un concert par-tagé avec Atout chœur, d’Arès, ce ne sont pas moins de trois prestations que les choristes ont enchaînées depuis la rentrée de septembre. Sous la direction de la jeune, dynamique… et toujours espiègle Claire Baudouin, notre groupe vocal a présenté un répertoire essen-tiellement puisé dans les chansons « belles et rebelles » qui constituent son fonds militant.

Dans l’ordre  : une présence remarquée dans le cadre de l’exposition Le Rêve de Pablo Neruda, à l’Espace Saint-Rémi de Bordeaux, qui célèbrait l’espoir de l’Unité populaire chilienne, fracassé par le coup d’état de Pino-chet. Quel enthousiasme et quelle confiance dans l’avenir, public et choristes confondus, quand nous avons interprété El Pueblo unido, la chanson phare des Quilapayun 1.

La semaine d’après, nous avons assuré le moment culturel du congrès de la CGT de la Gironde au Palais des congrès de Bordeaux. Nous avons eu droit à une belle ovation de la part de ces syndicalistes attentifs… et concer-nés en premier lieu par tous ces chants de lutte et de liberté  ! Elle est allée tout droit à nos cœurs de gauche !

Et puis il y a eu la soirée d’hommage à Pierre Tachou, dans la salle qui porte son nom à Bacalan, pour Vie et Travail et ses « Trois jours », en octobre. Une soirée où nos chan-

sons ont pu exprimer tous les engagements de cette personnalité que personne n’oublie.

Comme nous y invite le peuple chilien, nous voulons rester unis et conquérants pour partager toujours mieux notre passion du chant, dans notre positionnement de tou-jours : une chorale populaire et citoyenne qui ne s’interdit rien. Jugez- en !

L’an prochain, nous tiendrons au prin-temps notre Cabaret des Amis de L’Ormée sur le thème « Les Chants du monde », en essayant de n’oublier aucun continent  ! En juin, nous renouvellerons certainement la belle expérience d’Andernos, pour un nou-veau concert commun avec Atout chœur, dirigé également par Claire Baudouin. Sous peu nous pourrons vous en dire un peu plus.

À plus long terme, nous envisageons d’aborder des chœurs moins connus d’opéras célèbres, en étant accompagnés par des musi-ciens de haut niveau et en partenariat avec d’autres groupes.

Nous venons de démarrer l’apprentissage du programme prévu pour le Cabaret. C’est dire que toute personne qui aime le chant peut nous rejoindre sans délai et sans craindre un rattrapage contraignant  : une répétition par semaine, la participation financière reste modique, et on n’exige pas de connaissances ni d’expériences musicales préalables.

Lancez-vous  : vous verrez à quel point nous savons conjuguer citoyenneté, musique et convivialité !

Jean-Jacques CRESPo––––––––1. El Pueblo unido jamas sera vencido (Le Peuple uni ne sera jamais vaincu).

Chanter ensembleQUE DU PLAISIR !

Chorale des Amis de L’OrméeRépétition chaque mercredi, de 20 h 15 à 22 h 30, à l’école de musique de Floirac, 21 rue Voltaire (terminus Dravemont de la ligne A du tramway). Contact et renseignements au 06 32 40 74 10.

La Chorale des Amis de L’Ormée à l’Espace Saint-Rémi, sous la direction de Claire Baudouin.

Le Choixde L’orméeLes JoUrs HeUreUx, film de Gilles PerretEn réalisant Les Jours heureux, Gilles Per-

ret poursuit sa quête de la compréhension de l’évolution des luttes de la classe ouvrière dans notre pays. On associe souvent les « Trente glo-rieuses » au programme du Conseil national de la Résistance et à sa réalisation dans les années qui suivent la Libération. On associe les reculs sociaux depuis 1983 à la volonté consciente et organisée du patronat de détricoter ce programme entiè-rement, avec la participation d’alliés politiques attendus ou pas. L’occasion de revenir sur cette histoire, en ouvrant sur la question de savoir si l’alternative à la dérive droitière sociale et poli-tique actuelle peut s’exprimer dans la revendica-tion d’un « retour au programme du CNR ».

Projection le 22 novembre, à 20 hDébat animés par Espaces-Marx/Utopia « La classe

ouvrière c’est pas du cinéma » et l’union locale CGT 33.Cinéma Utopia, Bordeaux.

Rencontres Actualités de Marx et nouvelles pensées critiques

6e édition

HORIZONS DE CIVILISATIONLes turbulences chaotiques qui déchirent nos

sociétés ne proviennent pas d’une crise comme une autre, mais de l’incapacité d’un système, dominé par la cupidité arrogante. Nous appro-chons d’une bifurcation de civilisation : ira-t-on vers le mieux ou le pire pour le genre humain, tout l’enjeu est là.

En débat : D’une civilisation de l’avoir à une civilisation de l’être ? Dans quel monde voulons-nous vivre ? La démocratie est-elle encore pos-sible ? Capitalisme, productivisme : dépasser le système actuel est-il à l’ordre du jour ?

Les 4, 5, 6 et 7 décembre 2013 IeP Bordeaux & UBx4Inscriptions : [email protected] 05 56 85 50 96 ou 07 85 61 25 04

SIGMA, une expositionDans cet entrepôt Lainé que le festival Sigma

a investi pendant deux décennies avant d’en être « poussé dehors » (dixit son fondateur Roger Lafosse) par... le CAPC (!), l’exposition, pensée à partir de et avec les archives (archives muni-cipales de la ville de Bordeaux, archives INA), revient sur ce moment exemplaire d’expérimen-tations fondatrices et pluridisciplinaires, qui fit de Bordeaux, entre 1965 et 1996, l’un des ren-dez-vous européens des avant-gardes.

Jusqu’au 2 mars 2014.CAPC, musée d’Art contemporain de Bordeaux.De 11 h à 18 h, sauf lundis et jours fériés. 5 €, réduit 2,5 €.

Mémoires vivesUne histoire de l’art aborigène150 œuvres. Avec des travaux contemporains

reliés aux sources aborigènes d’Australie.Jusqu’au 30 mars 2014. Musée d’Aquitaine, 20 cours Pasteur, Bordeaux.De 11 h à 18 h, sauf lundis et jours fériés. 5 €, réduit 2,5 €.

Pour que renaissentle Printemps et les poètesIl y eut ce « jour né de la poésie », que relaya

le Printemps des poètes. De coupe en coupe, l’État a réduit six fois sa subvention en deux ans.

Dons en ligne [printempsdespoetes.com] Chèque au Printemps des poètes. 6, rue du Tage, 75013, Paris.

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L’Ormée _ 11

Les nouveaux ormistes nous

appellent « les historiques », nous qui avons vécu l’enthousiasme d’un pro-jet tout neuf, la naissance houleuse et passionnée d’un journal. J’ai aimé nos premiers comités de rédaction où tout était à inventer, à construire. Il fallait définir des rubriques, puis rencon-trer et retranscrire la parole de gens très différents, les uns responsables de structures officielles, les autres créateurs, moins visibles mais très présents dans le maillage culturel de la région. Nous avons trouvé de nou-velles « plumes » en marge de notre rédaction.

Entre contrainte de limitation du nombre de «  signes  » et liberté de style, nos séances studieuses de relecture n’ont jamais été censure. Il fallait aussi, et ce fut pour moi un peu comme une obsession, donner la parole à ceux qui se sentent exclus

du monde de la culture. Nous avons écouté les voix des hommes en bleus dans les ateliers où se fabriquent les avions, celles des souffleurs de verre à Bègles, celle du prince de la boulange expert en l’art de pétrir la pâte, celle de la couturière aux doigts experts qui sait « vêtir l’impossible », et tant d’autres, « Créateurs aussi ».

J’ai aimé le désordre organisé de notre salle de rédac’ avec nos photos, nos cartes postales, nos affiches sur les murs, souvenirs de nos fêtes. J’ai aimé nos séances de pliage-encartage-éti-quetage où nous refaisons le monde. Oui, j’ai aimé la fête des vingt ans du journal, j’ai aimé nos « gueuloirs poé-tiques » à Uzeste, j’ai aimé nos nuits de la poésie où, jusqu’à l’aube, des artistes musiciens et poètes se sont succédé en scène et sont restés dans la nostalgie de nouvelles retrouvailles.

Et si les ordinateurs ont pris le relai des stylos, l’écriture a toujours besoin d’encre vive. J’aime déjà la suite de l’aventure.

Madau lENoBlE

Numéro sangSans domicile fixe, sans papiers, sans toit,

sans toi,Sans fric où est ta place aujourd’hui dans notre république ?Retraites et services publics sans dessus dessous...Lâcheté et trahisonsParoles confisquées qui nous laissent sans voixCent colères à exprimerSang qui coule malgré tout dans les veines de l’espoirSang d’encre pour résisterMerci et longue vie à L’Ormée.

lionel CHolloN

LES MOTS sont ce qu’il sont. Quand un ministre de l’Intérieur (Manuel Valls) affirme que, par nature ou par essence, des êtres humains ne sont pas en mesure, pas en état, de vivre avec d’autres êtres humains, il ouvre la voie au pire, et permet aux pires de donner de la voix…

Que les voix se taisent ou s’exacerbent, viennent alors le sang et les larmes. Pourtant, plus que l’élan expansionniste, plus que le repli sur soi, c’est la diversité qui est vitale.

«  L’hexagone  » est une géométrie, une construction idéologique plus hystérique qu’historique, n’en déplaise au médiatisé et en conséquence populaire Lòrant Deutsch… Dans Relevé de terre (mais ce n’est qu’un roman…), José Saramago remet le mythe de «  la France terre d’asile » à sa place, celle du regard des travailleurs immigrés. Voici la phrase initiale 1 du tableau terrible que ce prix Nobel de littérature (1998), et communiste – ce qui n’est guère courant –, fait de notre pays : « La France, c’est un interminable champ de

betteraves où l’on travaille à biner seize ou dix-sept heures par jour, c’est une façon de parler, car les heures sont si nombreuses que ce sont toutes les heures du jour, plus quelques-unes aussi de la nuit. »

Merci aux ouvriers agricoles, aux ouvriers maçons, aux travailleurs et opprimés de tous les pays, aux intellectuels pas sages de passage, qui nous ont fait et qui nous font.

Au nom d’une pureté construite, d’une idéologie dévoyée en dogme, naissent les pires crimes collectifs. Purification ethnique, purifi-cation idéologique, mêmes atroces combats…

C’est bien à l’entrée des camps de détenus sous Staline qu’on pouvait lire une inscrip-tion qui en rappelle une autre  : « Le travail est affaire d’honneur, de gloire, de vaillance, et d’héroïsme ». Mais Varlam Chalamov lui-même écrit, dans ses terrifiants Récits de la Kolyma 2 : « L’un des principes fondamentaux des meurtres du temps de Staline était de faire anéantir des membres du Parti par d’autres membres du Parti. Et ces derniers périssaient à leur tour tués par la nouvelle vague, la troi-sième série d’assassins. »

Voici une évocation bien mal venue, mais la démocratie ne peut vivre et se développer que

par le métissage des corps et des cultures, par les échanges « libres et non faussés » des idées. Dans L’Élimination 3, Rithy Panh écrit à pro-pos du chef tortionnaire du S21 et responsable politique des Khmers rouges : « Ces prises de sang massives révèlent une autre obsession de Dutch : la pureté. Il affirme ainsi prélever tout le sang de "femmes éduquées". » De la purga-tion à la purge, de la purge à l’épuration, de l’eugénisme au génocide, les ravages du dog-matisme se rappellent à nous…

En parodiant Cendrars, on pourrait écrire  : «  Dis, Blaise, sommes-nous loin de L’Ormée ? » Notre souci d’une culture mêlée, d’expressions mélangées, dans des convic-tions confrontées, partagées, échangées, notre volonté de fureter, de découvrir et d’ouvrir, expliquent sans doute que nous vivons dura-blement, solides de notre histoire, de nos his-toires, riches de nos rencontres, de nos envies et de nos exigences.

Pour ne pas couler, il est bon de brasser et d’embrasser. Nous n’avons pas vocation, mal-gré le mot malheureux du poète, à « donner un sens plus pur aux mots de la tribu », mais bien au contraire à nourrir les vies et nos vies de toutes les impuretés créatives et lumi-neuses rencontrées en cheminant « à sauts et à gambades ». Vincent TACoNET

L’Ormée aussi l ’art « gens » !Les cris libèrent, l ’écrit libère,Les cris libèrent, peut-être, parfois, mais

pas toujours !L’écrit libère, même des déceptions de

l ’amour !Le pouvoir des mots, de l ’assemblage des

mots pour faire un ensemble, pour faire rêver, pour éclairer le réel, et au final pour transformer ce réel !

Quoi de plus subversif ?Voilà un des objectifs que « je » décide de

fixer, (sans mandat précis qui m’aurait été accordé), à l ’expression d’une revue culturelle communiste !

Ni culture « fric », ni culture « domestiquée politiquement», juste tenter de continuer de permettre l ’expression de toutes celles et de tous ceux que nous sollicitons, ceux qui cherchent à comprendre, à transmettre, à faire réagir !

Rendez vous pour le numéro 200 !Michel dUBERTRANd

qU’UN 100 IMPUR...

––––––––1. Seuil, 2012. Points poche, 2013. Page 355.2. Verdier, 2003. Page 1178, « Pendus à l’étrier ». 3. Grasset, 2012. Livre de Poche n° 33086, 2013.

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POUR NOUS CONTACTER

[email protected]

L’orméePublication du secteur culturelde la Fédération de la Gironde du PCF.15, rue Furtado - 33800 Bordeaux - 05 56 91 45 06Directeur de la publication, Michel Dubertrand.Rédactrice en chef, Natalie Victor-Rétali.Vente au numéro, 5 euros.Abonnements - 1 an : 15 euros soutien : 25 euros, 50 euros.Tirage 3 000 exemplaires.Composition et impressionLes Nouvelles de Bordeaux et du Sud-Ouest15, rue Furtado - 33800 BordeauxCPPAP n° 0718 P 11493

L’ormée15, rue Furtado 33800 Bordeaux

DÉPOSÉ LE 18.11. 2013

Dispensé de timbrageBOrdeaux meriadeCk

P R E S S EDISTRIBUÉE PAR

Numéro Cent, Emmanuel Fargeaut 1eux aussi ont « vocation à rentrer chez eux » 2André CiccodicolaL’Arbre rose, Jean-Bernard Couzinet 3L'art et le capital 4Gérard Loustalet-SensL’ormée 100, billets 4Jean-Claude Gomez, Jean-Claude Laulandeux graveurs 5Jean-Jacques Crespoentretien avec Sebastião Salgado 6 / 7Natalie Victor-RetaliCarte blanche à Pucéart 8 / 9Françoise EscarpitQue du plaisir, Jean-Jacques Crespo 10L’ormée 100, billets 11Madau Lenoble, Michel Dubertrand,Lionel Chollon, Vincent Taconet Encart : Un marron, deux planches enavant-première du prochain livre de Denis Vierge.

n° 100l’ORMéEMEXIcaINE « l’armée mexicaine » parce que chacun va, fait et avance vers un nouveau numéro avec, à la fois, une belle désorganisation et une grande exigence. C’est ce que j’aime à L’Or-mée. On m’a dit : « on a besoin d’un chef », mais ce n’était pas vrai, cette armée-là n’a pas besoin de chef, tout au plus d’un guide, histoire d’éviter les sorties de route… Encore que les sorties de route s’avèrent souvent les plus productives.

Alors oui, il a fallu organiser, impulser, planifier…, tenir les délais. Mais le travail de fond, la réflexion, les idées, l’imagina-tion au pouvoir, c’est bien à chacun de vous, chers rédacteurs, réguliers ou occasionnels, que L’Ormée les doit. À votre liberté de pen-ser, à la finesse de vos analyses, à vos coups de gueule, à vos coups de mou, à vos coups de collier ; à vos individualités jamais indi-vidualistes, à votre sens de la camaraderie et du partage ; à votre manière de relever le défi qu’un autre n’a pas pu mener à bien, parce qu’« il faut que L’Ormée sorte » coûte que coûte, quoiqu’il arrive, dût-on y passer la nuit, le jour et l’autre nuit encore ; à votre manière de faire la poussière dans les coins, quitte à rendre fou le maquettiste : « Encore une virgule, monsieur le bourreau ! »...

Ambiance de champ de bataille et de déjeuner champêtre dans la salle de rédac-tion qui fut petite et sombre et qui est deve-nue grande et claire, ambiance de petit matin blême pour le maquettiste qui nous voit arriver avec nos « corrections » sans fin, ambiance de franche camaraderie (engueu-lades incluses) au pliage avec ceux qui se nomment les « petites mains de L’Ormée », pas si petites que ça...

À vous tous je laisserai un peu de rouge à la Une (j’y tenais, merci à l’imprimeur), une certaine régularité (L’Ormée c’est tous les trois mois, pas deux ni cinq…), quelques artistes dénichés pour les « iconos » et, je l’espère, un bon souvenir.

À moi vous laisserez le souvenir d’une tâche incommensurable dont chacun prend sa part jusqu’à ce que le fardeau s’allège suffisamment pour qu’on puisse avancer ensemble. On ne va pas toujours dans la même direction, nos routes se sépareront bientôt, mais on a tous la même étoile au fond des yeux et on désire tous ardemment que l’ensemble du peuple soit enfin en mesure de s’approprier les moyens de son émancipation, c’est à dire la symbolique du monde. Je vous accompagnerai encore un peu, puis je m’éloignerai et c’est vous qui m’accompagnerez, là où j’irai.

Natalie ViCToR-RETAliRédatrice en chef, jusqu’à aujourd’hui.

On nousa souvent

appelés

Centre de la FEBEM (Fondation pour le bien-être de l’enfance). São Paulo, Brésil, 1996. Série Exodes.

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Pour Fêter la sortie du numéro 100le prochain dîner de L'Ormée aura lieu le lundi 2 décembre

à partir de 20 h, au 29 café (156 cours de La Marne) au prix de 17,50 € tout compris. Merci de réserver de manière ferme avant le mercredi 27 novembre

au 06 10 32 55 06 ou par mail adressé à [email protected]

À partir de 18 h30, au même endroit, ce dîner sera précédé d'un apéro-débat sur la culture

en présence de alain Hayot, sociologue, délégué national à la Culture du PCF, et de Vincent maurin, président du groupe communiste au conseil municipal de Bordeaux, élu à la CUB et candidat aux élections municipales 2014 à Bordeaux avec le Front de gauche.

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L’Ormée _ 13

SUPPLÉMENT AU N°100Publication du secteur culturel de la Fédération de la Gironde du PCF

Un marronDenis Vierge

DES BULLES DANS L’OCÉAN Saint-Denis, La Réunion, 2014.

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Le marroNNage, uNe résistaNce à uN crime coNtre L’humaNité.Denis Vierge, auteur de la bande dessinée Vazahabe !, nous fait l’amabilité de nous offrir, pour ce centième numéro de L’Ormée et en avant-première, deux pages de son prochain livre, Un Marron.Un « marron » est un esclave en fuite. Un mot d’ori-gine espagnole qui désigne un animal domestique

redevenu sauvage. Dans cette Île Bourbon, rebapti-sée Réunion par la Convention, le Nègre marron fuit « l’habitation », monte dans les « hauts », préférant l’inconfort, la faim et la souffrance à la privation de liberté. Dans cette fuite, peut-être aura-t-il la chance de rencontrer un « clan » qui, organisé en véritable « maquis », l’aidera à survivre dans un milieu parti-culièrement inhospitalier. Tous ensemble, peut-être feront-ils des «  descentes  » sur les propriétés des colons blancs pour trouver nourriture, outils, bétail et,

parfois, des femmes, rares dans cette colonie. Ainsi il deviendra un défricheur de ces « hauts » réunionnais : un pionnier. Mais, s’il est repris il y laissera ses oreilles, ses jarrets, et même la vie s’il est récidiviste.Par ce récit, Denis Vierge illustre un combat entre civilisation et barbarie, une quête pour retrouver sa liberté et, finalement, son humanité. Cette bande des-sinée paraîtra aux éditions Des Bulles dans l’océan, au premier trimestre 2014. Marie-Jo HENRioUX