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    MTAPHYSIQUE DES LUTTES

    Frdric LORDON*

    Il semblera certainement beaucoup que parler de mtaphysique dans le cadre dun

    discours de science sociale relve dun invraisemblable solcisme intellectuel doubl dune

    profonde rgression. Il est en effet une tradition pistmologique maintenant tablie de longue

    date qui tient pour un acquis irrversible davoir spar philosophie et science. Comme on

    sait, le geste sparateur remonte Kant qui formule la question Que puis-je connatre ?

    avec la ferme intention dexclure du champ de la rponse les entits thres ltre, Dieu,

    lme, lessence, lternit, bref toutes les choses prcisment rpertories pour tre du

    domaine de la mtaphysique. Le savoir en vrit, nous dit Kant, ne saurait avoir dautre

    domaine que les objets dexprience sensible. Il y aura donc dun ct la science qui connat

    vraiment, de lautre la mtaphysique laisse ses ratiocinations spculatives, et au milieu la

    philosophie critique, gardienne des frontires. Dune certaine manire lempirisme logique et

    la philosophie analytique sont les continuateurs de ce grand partage la philosophie pour

    Wittgenstein nest-elle pas la surveillante des jeux de langage, et sa tche spcifique le tri des

    problmes senss et des problmes absurdes ?

    Si donc il semble acquis dans la norme intellectuelle daujourdhui que la philosophie

    nait plus rien dire sur le monde lui-mme, comment seulement envisager, si ce nest

    rgressivement, de chercher une inspiration dans la philosophie classique, comme on va le

    proposer tout lheure ? En revenir une philosophie antrieure lapprofondissement de la

    division du travail qui, pour le plus grand profit de la connaissance dit la norme , spareraet autonomisera le domaine de la science, nest-ce pas ignorer nouveau, et

    anachroniquement, la grande interdiction kantienne ? Il est pourtant deux faons de soutenir

    que ce retour na rien dune rgression, la premire consistant dune certaine manire jouer

    Kant contre lui-mme. Nest-il pas en effet galement celui qui donne naissance toute une

    pistmologie post-empiriste et mme anti-empiriste pour laquelle le procs de connaissance

    ne part jamais de rien, ne saurait se contenter des faits mmes, et sappuie toujours sur des

    *CNRS, Bureau dconomie thorique et applique, Strasbourg, [email protected]

    mailto:[email protected]
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    a priori. Les conjectures de Popper ou les noyaux durs de Lakatos, quoique nayant aucun des

    caractres du transcendantal kantien, sont tout de mme les lointains hritiers de cette ide

    quon ne commence pas connatre partir du simple spectacle des faits , mais que

    quelque chose est dcisoirement pos, par un dcret inaugural du chercheur, par quoi lesdits

    faits vont sinon prendre sens du moins se prter spcialement la thorie .

    Mais alors quels sont les a priori de la connaissance en science sociale ? On pourrait

    dire que derrire toute thorie en science sociale se tient une vision fondamentale du monde

    social, une ide trs gnrale des rapports de lhomme et de la socit, ou bien de la nature

    des rapports principaux des hommes entre eux, en tout cas une donne de dpart qui va se

    rvler informer et orienter tous les noncs ultrieurs. Cette vision, la fois par son

    antriorit toute investigation empirique, son extrme gnralit puisque pour ainsi dire,

    elle embrasse dun coup tout le social , dont elle donne comme une essence , par son

    caractre dinspiration et de donation globale de sens, on peut lappeler une mtaphysique. Or

    force est de constater que la plupart du temps cette mtaphysique demeure ltat dimplicite,

    si ce nest dimpens. On imagine sans peine toutes les bonnes raisons de cette

    scotomisation : si la mtaphysique, par dfinition, concentre lide la plus gnrale que se fait

    un chercheur, ou un groupe de chercheurs, du monde social, ses rsonances politiques sont

    immdiatement perceptibles, et cest la sacro-sainte neutralit axiologique qui se trouve

    atteinte au cur. En fait, bien sr, cest cette relique encombrante et inapproprie quil

    faudrait abandonner sans regret. Mais il est visiblement difficile de faire reconnatre que si

    une science sociale part comme toute science de ses a priori, ceux-ci, dans ce cas prcis,

    incorporent invitablement des lments de nature politique, et que la neutralit axiologique

    est par consquent une chimre. Et il lest plus encore de faire ensuite admettre que ce constat

    ne voue pourtant aucunement le discours thorique qui snonce partir da priori de cette

    nature (d)choir du registre scientifique au registre politique sauf considrer que le

    champ scientifique nest dot daucune autonomie, mme relative.A la marge de son champ et ayant dj avalis aval toutes les renonciations

    propres sa position de minoritaire, la thorie de la Rgulation est sans doute mieux place

    que les autres pour formuler ce constat quand tous les participants bien dans le jeu ont

    encore trop esprer et ne peuvent rompre la communion de la dngation. Du simple fait de

    sa position particulire, elle peut donc se payer le luxe dun surplus de lucidit, et nayant plus

    grand-chose perdre, puisquelle a ds le dpart tout perdu, il ne lui en cote plus que

    marginalement de dire ce que les autres refusent de voir : il y a de la mtaphysiquesociale , et par l de la politique, derrire les thories conomiques. Redcouvrir quune

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    pistmologie ne devrait pas se sparer dune sociologie du champ disciplinaire considr, et

    constater que la vertu, comme les intrts de connaissance, doivent souvent beaucoup des

    dterminations sociales, nenlve cependant rien lide quon gagne de toute faon rduire

    les impenss et porter les implicites lexplicite. Cette opration est mme dautant plus

    ncessaire que la mtaphysique dune thorie ne saurait tre considre comme un simple

    supplment dme : tout au contraire, elle concentre ce que le chercheur qui sy reconnat tient

    pour ses vrits les plus fondamentales ! La position de la dngation et le refus de

    lexplicitation sont dautant moins tenables quils dbouchent alors sur un singulierparadoxe :

    de ce quon tient pour ses vrits les plus fondamentales, on ne discutera pas ! Et le

    paradoxe est plus cruel encore si lon considre que ces vrits-l sont pour une bonne

    part lorigine du sens densemble que prend une construction thorique en science sociale.

    Ne pourrait-on en effet soutenir, comme une thse Duhem-Quine tendue, lide dun holisme

    du sens, cest--dire quune construction intellectuelle fait sens dans son ensemble, comme

    runion de la construction thorique/scientifique proprement dite et de ses arrire-plans

    mtaphysiques ? Et le noyau du sens cest--dire la mtaphysique devrait rester affaire

    prive ? On en parle entre amis, mais la discussion publique naura pas lieu ? Il semble, au

    contraire, assez logique, que, de ce quoi nous tenons le plus nous souhaitions parler, et

    comme, par ailleurs, la thorie de la Rgulation jouit en cette matire dun plus grand confort

    socio-pistmologique, il nest sans doute pas trop tard pour elle de dire ce quil en est de ses

    implicites, et de mettre au jour ce qui se tient derrire ses noncs les plus visibles. Do la

    proposition dexplicitation de la prsente contribution : derrire la Rgulation, il y a une

    mtaphysique des luttes.

    Brefs aperus du politique dans la thorie de la Rgulation

    Mais quy a-t-il au juste de reconnaissable et de caractristique dans la thorie de la

    Rgulation qui la rende ainsi justiciable dune mtaphysique des luttes ? Si, pour paraphraser

    Deleuze sinterrogeant lui-mme sur le structuralisme1, on se posait la question quoi

    reconnat-on la Rgulation ? , le tout premier lment de rponse insisterait sans doute sur sa

    vocation particulire rintgrerce quon a longtemps pu tenir pourles trois grands impenss

    de la thorie standard, savoir lhistoire, le politique et le symbolique. Parlant de

    mtaphysique des luttes, on voit bien que cest du politique quil va tre plus particulirement

    1Gilles Deleuze, A quoi reconnat-on le structuralisme ? , dans Franois Chtelet (dir.), La Philosophie. Au

    XXe

    sicle, Paris, Marabout Histoire, 1965.

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    question, et ce nest peut-tre pas laisser exagrment distordre le propos par les intrts du

    moment que de demander si le politique, en effet, ne jouit pas d une minence relative par

    rapport aux deux autres ds lors quon argue, dune part que les luttes sont motrices, et que

    cest parce quil y a des luttes quil y a de lhistoire en mouvement ; et, dautre part, que les

    luttes se dplacent ncessairement dans limaginaire et, de politiques, deviennent

    symboliques.

    Ce qui nest pas contestable en tout cas, cest que la TR sintresse au politique ! Mais

    de quelles manires exactement ? Rponse : dans des registres varis, quil importe de

    diffrencier, en reprant trois modes de prsence du thme politique au sein de la TR on les

    qualifiera respectivement de phnomnologique, topologique et ontologique.

    Par mode phnomnologique, il faut entendre la prise en compte du phnomne, du

    fait politique et de ses effets sur les institutions du mode de rgulation conomique. Cest l

    un registre typique de la premire TR2 qui i) fait de la macroconomie des rgimes

    daccumulation, ii) considre que les dynamiques de croissance sont conformes par des

    institutions, et iii) voit quil est des moments particulirement importants, savoir quand les

    institutions sont faonnes, les rgles dictes. Or ces moments critiques ont la proprit de

    faire apparatre plus clairement qu lordinaire trois des caractres du procs

    dinstitutionnalisation en sa dimension spcifiquement politique : dabord lingale

    distribution entre agents de la capacit peser sur ces processus de constitution ; ensuite le

    poids spcifique de ltat dont les interventions sont souvent dcisives et qui reste, quoi quon

    en dise, le Grand Instituteur ; enfin, plus gnralement, limportance des coups de force

    inauguraux et leur recouvrement ultrieur par ce que Bourdieu a nomm lamnsie des

    commencements . On comprend sans difficult pourquoi la TR est ncessairement une

    conomie politique : prenant les institutions au srieux, elle tait voue rencontrer la

    dimension politique de leurs procs constitutifs quelle a dabord saisi dans le registretypique des concepts intermdiaires3, lexemple canonique en la matire tant bien sr

    celui des compromis institutionnaliss4. Ce mode de prsence phnomnologique du

    thme politique est donc caractristique dune problmatique lorigine conomique les

    rgimes daccumulation et les sentiers de croissance , mais qui rcuse demble lautonomie

    2 Ici une notation purement chronologique et qui na pas grand-chose voir avec le dcoupage thmatiqueTR1/TR2 par exemple de Bernard Billaudot, Lordre conomique de la socit moderne, Paris, LHarmattan,

    1996.3Robert Boyer, Thorie de la Rgulation. Une analyse critique, Paris, La Dcouverte, coll. Agalma , 1986.

    4Robert Delorme et Christine Andr,LEtat et lconomie, Paris, Seuil, 1983.

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    de lconomique, saisit son objet sous une perspective institutionnaliste, peroit le poids

    structurant des moments dinstitutionnalisation, et tente de cerner ce qui sy joue de

    spcifique. Sans surprise, la politique advient ncessairement cette conomie-l.

    Ce mode phnomnologique aura t lune des premires faons pour la TR de

    travailler le thme politique, anciennet qui ne le voue aucun dclin, bien au contraire. Les

    synthses et autres tats de lart rgulationnistes rgulirement produits par Robert Boyer5

    attestent que cette phnomnologie du politique ne cesse de gagner en importance et de se

    voir accorder une considration croissante ; et il y a l, vrai dire, tout sauf un paradoxe : si

    ce mode de prsence du politique a voir avec les moments dinstitutionnalisation et de

    redfinition des rgles, nul doute que la priode actuelle lui fait la part belle

    Qualifier de topologique le deuxime mode de prsence du politique au sein de la

    thorie de la Rgulation suffit dj en nommer le concepteur : si le travail de Bruno Thret

    fait innovation dans la TR, cest parce quil lui propose dintgrer une vue du politique

    sensiblement diffrente de la prcdente. la vrit, Thret propose simplement la TR

    dtre consquente : quelle assume jusquau bout son identit dconomie politique et quelle

    prenne enfin le politique au srieux ! , cest--dire quelle cesse davoir des usages

    simplement instrumentaux de son concept et de nenvisager le politique quau travers de ses

    effets sur lconomique, bref quenfin elle regarde le politique pour lui-mme. Certes dans ce

    nouveau registre, le politique demeure, comme dans le prcdent, extrieur lconomique,

    mais dsormais laccent est mis sur linterpntration rciproque des deux ordres puisquil y

    a une conomie du politique et une politique de lconomie 6. Regarder le politique

    pour lui-mme, cest donc lanalyser comme un ordre propre, selon sa logique interne, et

    selon ses relations avec les autres ordres de pratique. Cette dernire attention, est spcialement

    lourde de consquences puisquelle a pour effet de redployer la problmatique de la

    rgulation comme temporaire mise en cohrence dun certain nombre de parties une nouvelle chelle : non plus le seul domaine macroconomique mais la formation sociale

    tout entire. Il ne sagit plus en effet de regarder seulement la faon dont la complmentarit

    des institutions conomiques sexprime en une certaine trajectoire de croissance mais

    dinterroger la co-volution plus ou moins cohrente des ordres conomique et politique. De

    5 Robert Boyer, Le politique lre de a globalisation et de la finance : le point sur quelques recherchesrgulationnistes,LAnne de la Rgulation, 3, 1999 ; La thorie de la Rgulation lpreuve des annes

    quatre vingt dix , Postface, dans Robert Boyer et Yves Saillard (dir.), Thorie de la Rgulation. Ltat dessavoirs, Paris, La Dcouverte, 2002 ; Une thorie du capitalisme est-elle possible ?, Paris, Odile Jacob, 2004.6

    Bruno Thret,Rgimes conomiques de lordre politique, Paris, PUF, 1992.

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    simplement macroconomique7, la rgulation devient socio-politique densemble8 ; ce qui

    tient ou bien se dcompose, ce qui fait rgime ou bien entre en crise nest plus un

    rgime daccumulation du capital mais un ordre social global. Ainsi lconomique nest plus

    que lun des ordres figurs par cette topologie du social, certes toujours examin dans son

    autonomie relative mais aussi dans son articulation avec les autres ordres notamment lordre

    politique auquel il est connect par des media spcifiques (la monnaie et le droit

    notamment)9.

    Ce nouveau point de vue dune rgulation tendue est trs reprsentatif dune

    certaine inflexion du programme de recherche de la TR et du poids croissant quy prennent les

    problmatiques du politique. En effet la perspective propose par la topologie du social de

    Thret a pour effet de conduire sintresser lordre politique pour lui-mme, effort qui

    demeure pertinent au regard mme de la premire TR puisque comprendre les logiques

    internes de lordre politique aide ipso facto mieux comprendre ses interactions avec lordre

    conomique. Dans ce registre, lextension du concept de rgulation et sa gnralisation un

    niveau supra-conomique livrent notamment un rsultat important : il est des configurations

    institutionnelles qui font rgime au niveau conomique mais pas au niveau politique. En

    dautres termes, des trajectoires conomiques structurellement stables peuvent se rvler

    critiques en termes de soutenabilit politique. L o le chercheur rgulationniste premire

    manire aurait lgitimement conclu lexistence dun rgime, lapproche tendue permet

    dapercevoir les facteurs de rupture et de crise mais un niveau suprieur, comme le montre

    par exemple linteraction des dynamiques conomiques et politiques dans le cas italien10. Le

    rsultat est directement parlant dans le registre appliqu des politiques structurelles puisquil a

    au moins la vertu de signaler aux amateurs de dcalcomanie institutionnelle la dangerosit de

    leur entreprise : la rplication lidentique supposer quelle soit seulement possible dun

    complexe dinstitutions qui se serait rvl conomiquement performant ailleurs, nest pas

    pour autant assur dune soutenabilit globale ds lors quil viendrait interagir avec un ordrepolitique diffremment structur et vis--vis duquel il pourrait se rvler mal compatible.

    Politique, luttes, subjectivits

    7 Robert Boyer, Thorie de la Rgulation. Une analyse critique, op. cit.8 Bruno Thret, Leffectivit de la politique conomique : de lautopose des systmes sociaux la topologiedu social ,LAnne de la Rgulation, 3, 1999 ;Rgimes conomiques de lordre politique, op. cit.9

    Bruno Thret, art. cit.10 Stefano Palombarini,La rupture du compromis social italien. Un essai de macroconomie politique, Paris,Editions du CNRS, 2001.

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    Si, quel quen soit le registre, le thme politique acquiert cette importance croissante

    dans la thorie de la Rgulation, nest-il pas alors temps quil y prenne le statut

    constitutionnel qui lui convient vraiment, celui quattestent dune certaine manire la

    multiplicit de ses usages, lesquels ne sont pas le fait du hasard, ni mme un supplment ou

    une cheville, mais bien lexpression de lune des caractristiques les plus profondes des

    travaux en termes de rgulation ? Les approches par les concepts intermdiaires comme la

    topologie des ordres de pratiques disent en effet lune et lautre la prsence fondamentale du

    politique dans la vision rgulationniste du monde social. Cest cette prsence-l,

    indpendamment des laborations spcifiques auxquelles elle donnera lieu ensuite, que

    dsigne le registre ontologique. Le fait du monde social que la TR litcomme le plus saillant,

    non pas bien sr quil exclue les autres, mais parce qu ses yeux il simpose avant eux et

    devant eux, celui auquel elle accorde le plus grand pouvoir structurant, ce fait primordial

    cest quil y a des rapports de pouvoir. Envisager quelque chose comme une ontologie

    politique de ltre social, cest dire que sa matire mme est le conflit, cest dire le primat des

    luttes et la ncessit de la guerre en premire instance. Considrer la violence et la divergence

    comme faits sociaux premiers est donc bien donner un caractre politique cette ontologie

    sociale, si du moins lon accepte une redfinition extensive du concept de politique comme

    accommodation des conflits. On peut bien souligner le caractre trs particulier, et mmead

    hoc, de cette redfinition, mais on ny trouvera pas matire une objection srieuse puisquon

    est ici dans lordre des a priori et des dcrets : chacun dfinit son point de vue comme il

    lentend, seuls comptent les effets. Or il est assez vident que saisir le politique par la

    violence originelle et laccommodation des conflits a pour effet spcifique dengagerdans une

    tout autre direction thorique que, par exemple, les approches par la souverainet ou

    lautonomie du corps politique. Et lide la plus juste quon pourrait se faire de cette autre

    direction pourrait sans doute tre trouve dans la proposition de Foucault dinverser laformule de Clausewitz et de considrer que la politique est la guerre continue par dautres

    moyens 11. Laguerre accommode : voil lide directrice dune ontologie politique de ltre

    social, le principe caractristique dune mtaphysique des luttes.

    Or il y a bien l une orientation inscrite ds le dbut dans le paysage mental des

    rgulationnistes. Ayant lu Marx, ils en ont retenu que si lhistoire est en mouvement, cest

    quelle a un moteur: la lutte des classes. Pourrait-on mieux dire que le conflit a trouv

    11Michel Foucault, Il faut dfendre la socit , Cours au Collge de France, 1975-1976, Paris, Gallimard

    Seuil, coll. Hautes Etudes , 1997, p. 16.

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    demble sa place dans la vision rgulationniste du monde socio-historique ? Mais plus

    fondamentalement encore, si la TR a partie lie une mtaphysique des luttes, cest parce

    quelle sest originellement construite sur lide du primat de la divergence. En effet la

    Rgulation est une interrogation sur la possibilit de la cohrence, du tenir ensemble ou du

    faire systme, mais sachant que cette cohrence dlments pars ou htrognes nest

    jamais originellement donne, quelle est toujours a priori problmatique puisqu produire

    sur fond de forces centrifuges. lencontre des innombrables contresens qui font passer la TR

    pour une thorie de la reproduction, il faut donc dire que la rgulation, cest de la divergence

    temporairement contenue. Comme le dit Alain Lipietz, on est rgulationniste partir du

    moment o on se demande pourquoi il y a des structures relativement stables alors que

    logiquement elles devraient clater ds le dbut puisquelles sont contradictoires ( ) on

    smerveille sur le fait quil y a des choses qui se stabilisent 12. Tel est bien lcart dcisif

    qui spare la TR dune cyberntique conomique dans laquelle la rgulation napparat plus

    que comme adaptation de la reproduction : la reproduction est de droit ( ) La conception

    que je dfends au contraire pose le primat, le caractre absolu de la lutte, et la rgulation

    comme unit temporaire de lunit et de la lutte 13. Cest bien l que commence

    lmancipation des fils rebelles dAlthusser14, car coup sr la TR choisit de rompre avec

    la grande glaciation des structures althussriennes o les contradictions, figes pour lternit,

    ont perdu tout pouvoir dimpulsion dynamique quand elles nont pas t purement et

    simplement nies. Or, nous dit Lipietz ds 1979, si lon veut retrouver le mouvement de

    lhistoire il faut retourner aux contradictions fondamentales des rapports sociaux capitalistes

    et leur restituer toute leur motricit. Mais do leur vient exactement ce dynamisme ? La

    question nest pas superflue, et cest peut-tre pour lavoir vite trop longtemps que, de

    recours thorique, la contradiction a parfois fini dans le ftichisme conceptuel, devenue chose

    en soi dote dun pouvoir propre, au demeurant mystrieux. On comprend aisment que la

    mauvaise solution de la rification se soit impose, les alternatives ntant pas lgion, car enfait, ce pouvoir dynamique requiert, pour tre clair daller chercher derrire la contradiction

    le travail des subjectivits. Cette ide laquelle un certain structuralisme marxiste na jamais

    pu se rsoudre, Lipietz en fait le principe de la scession rgulationniste davec

    lalthussrisme : ce qui manque chez Althusser, cest la subjectivit () et cest parce quil

    12 Alain Lipietz, De lapproche de la Rgulation lcologie politique : une mise en perspective historique ,entretien avec G. Cocco, F. Seba et C. Vercellone, Ecole de la Rgulation et critique de la raison conomique,

    Futur Antrieur, Paris, LHarmattan, 1994, p. 77.13

    Alain Lipietz, art. cit., p. 38.14 Alain Lipietz, De lalthussrisme la thorie de la Rgulation, Couverture Orange CEPREMAP, n8920,1989.

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    manque la subjectivit quil manque la contradiction () La faiblesse du structuralisme, cest

    quil ne voit pas que les agents porteurs de structures sont des sujets toujours en conflit 15.

    Nous voici donc au nexus thorique :

    i) La TR conoit la rgulation sur fond de divergence.ii) Elle a toujours en tte la possibilit de la crise et le changement.iii) Si elle pense la dynamique et le changement, cest parce quelle ne perd jamais de

    vue la contradiction.

    iv) Or la contradiction opre concrtementpar le conflit des agentsv) cest--dire sous le travail des subjectivits

    En dautres termes, et en reparcourant de laval vers lamont la chane des rquisits

    thoriques : la crise est un effet de la dynamique qui elle-mme procde des contradictions,

    lesquelles appellent les subjectivits. sa manire Billaudot ne dit pas autre chose : pour

    passer de TR1 TR216 et se colleter enfin et pour de bon les institutions et le changement

    institutionnel, il faut ne pas tout accorder aux structures mais aller voir les pratiques. Pour tre

    complte, la construction rgulationniste demanderait donc une thorie des subjectivits ;

    problme : elle ne la pas. En 1994, Lipietz le reconnat sans barguigner: la rupture que la

    TR a opre par rapport au marxisme structuraliste sest limite une historicisation des

    catgories. En revanche elle ne sest pas tendue une thorie des subjectivits 17. On

    pourrait trouver curieux que celui l mme qui navait pas t le dernier critiquer ses petits

    camarades pour individualisme mthodologique en appelle aussi ouvertement aux

    subjectivits, concept bien peu structural et qui donne la fugue des fils rebelles des

    airs de franche dlinquance. Il nempche : il y a quelque chose de juste dans lanalyse mme

    si au total elle dbouche moins sur une solution que sur un nouveau problme : puisquil

    savre quelles sont ncessaires, comment penser les subjectivits sans retomber, comme

    aurait pu dire un auteur que les rgulationnistes aiment bien, dans la mme vieille gadoue

    subjectiviste ? Lalthussrisme avait tranch radicalement en se dbarrassant et dusubjectivisme et des subjectivits. Les sciences sociales subjectivistes ont conserv

    pieusement ces dernires mais ont perdu les structures. Quant Lipietz, il nous laisse le

    problme au moment o il tire sa rvrence et sen va vers dautres cieux

    15

    Alain Lipietz, 1994, art. cit., p. 81.16 Bernard Billaudot,Lordre conomique de la socit moderne, op. cit.17

    Ibid. p. 80.

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    Or il se pourrait que lever cette difficult et donner un sens plus prcis lide dune

    mtaphysique des luttes seffectuent du mme mouvement et avec le secours du mme

    auteur : Spinoza.

    3. Le point de vue du conatus : une thorie non subjectiviste de

    laction individue

    Si la reformulation adquate dun problme est dj la moiti de sa rsolution, peut-

    tre est-il opportun denvisager que ce dont la TR a besoin nest pas tant une thorie des

    subjectivits quune thorie de laction, et mme plus prcisment une thorie des ples

    individus daction. Or une thorie non subjectiviste de laction individue est sans doute lundes apports les plus prcieux de lEthique lue du point de vue des sciences sociales. Par

    mtonymie on peut en effet tenir le conatus pour la dsignation dun tel ple individu

    daction. Effort que chaque chose dploie pour persvrer dans son tre (Eth., III, 6), le

    conatus est lexpression immdiate dune ontologie de lactivit et de la puissance, cest--

    dire dune ontologie qui considre pour chaque chose quexister cest sactiver pour effectuer

    ses puissances. Si lexistence est ainsi effort et activit, elle est par suite lan, pousse,

    momentum, et ce sont l autant de prdicats qui font du conatus un principe fondamentalementdynamique cest--dire un point de dpart a priori intressant pour une thorie de laction

    oriente vers les faits de transformation institutionnelle et historique. Moteur fondamental de

    laction individue, et peut-tre mme principe dindividuation par laction, le conatus ne

    dtermine pourtant aucune thorie individualiste de laction. Pour lapercevoir il faut en effet

    se poser la question de savoir comment le conatus, lan intransitif et force gnrique, trouve

    des orientations dtermines, vient se mouvoir en direction de tel ou tel objet spcifique, et

    sactualise comme effort pour persvrerin concreto dans telle ou telle forme de ltre social,

    cest--dire en tant que ceci ou cela. Cest par ce procs dactualisation que le conatus se fait

    principe dactions concrtes et dtermines, et cest par lui du mme coup quil rvle sa

    profonde htronomie. Car les dterminations qui lui manquent pour passer de ltat de force

    dexister absolument gnrique celui dlan orient lui viennent pour lessentiel du dehors.

    Force dabord sans point dapplication, le conatus trouve ses azimuts et ses objets

    poursuivre sous leffet de causes extrieures qui lui dsignent le dsirable et le dterminent

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    sefforcerspcifiquement18. Ainsi, par exemple, le conatus sactualise comme effort de

    persvrer dans ltre en tant que sportif professionnel, plutt que comme capitaine

    dindustrie, sous leffet de dterminations positionnelles et structurales dont le principe lui

    chappe. Cest donc notamment la place occupe par lindividu dans la structure sociale qui le

    dtermine effectuer ses puissances dans telle ou telle direction, par la poursuite de tel ou tel

    objet. Aussi ny aurait-il pire contresens que de voir dans le point de vue spinoziste du

    conatus une sorte de monadologie de la puissance. Pour tre une force individue jointe un

    principe fondamental dintressement soi19, le conatus ne jouit cependant daucune sorte de

    souverainet ni daucune capacit dautodtermination20. Bien au contraire, lan intransitif et

    en quelque sorte toujours dabord en suspens, en attente dune transitivation , il nepasse

    laction que sous leffet dimpulsions extrieures, par consquent dans la plus grande

    htronomie. On ne saurait donc en aucun cas voir dans le conatus un sujet au sens classique

    du terme, quon aurait simplement prdiqu de puissance . Loin dtre une monade

    indpendante, le conatus est structur et actualis dans et par des rapports. Cest pourquoi son

    concept ralise la performance en apparence paradoxale de fournir la base dune thorie de

    laction individue et cependant de demeurer dans un cadre gnral quon pourra qualifier

    sans hsiter danti-humaniste thorique. dfaut de conduire la dmonstration jusquau

    bout21

    , il est au moins possible de donner en quelques aperus une ide de la vision spinoziste

    de lhomme conatif, noyau de puissance mais dpourvu de presque tout pouvoir

    dautodtermination, et ceci alors mme quil ne cesse de nourrir lillusion de sa propre

    libert : Les hommes se trompent quand ils se croient libres ; car cette opinion consiste en

    cela seul quils sont conscients de leurs actes et ignorants des causes qui les dterminent

    (Eth., II, 35, scolie) ; ceux-l donc qui croient parler ou se taire, ou bien accomplir quelque

    action que ce soit par un libre dcret de lesprit rvent les yeux ouverts (Eth., III, 2,

    scolie)

    Echappant radicalement aux approches subjectivistes de laction, le conatus eststructur dans les structures, mais rciproquement il sactive dans les structures, il y est une

    nergie, il y dploie sa force motrice. On avait pu, bon droit, reprocher au structuralisme,

    18 Pour davantage de dtails sur les mcanismes affectifs htronomes de constitution des relations dobjetsprsents dans la partie III de lEthique, voir par exemple Frdric Lordon, Conatus et institutions ,LAnnede la Rgulation, 7, 2003-a.19 Frdric Lordon,Lintrt souverain. Essai danthropologie conomique spinoziste, Paris, La Dcouverte,2006.20 Frdric Lordon, Revenir Spinoza dans la conjoncture intellectuelle prsente,LAnne de la Rgulation,

    7, 2003-b.21Pour plus dlments sur une caractrisation structuraliste et anti-humaniste thorique du point de vue du

    conatus, voir Frdric Lordon, 2003-a, -b, art. cit,.

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    notamment althussrien, de ne montrer que des structures inhabites et pour ainsi dire

    minrales. Le conatus y injecte de la quantit de mouvement, capable mais videmment

    sous des conditions particulires de les faire bouger nouveau. Aussi le point de vue

    spinoziste propose-t-il la Rgulation ce qui lui manque depuis quelle en appelle penser

    pour lui-mme le changement institutionnel, savoir une thorie non subjectiviste,

    structuraliste et dynamique de laction individue, et ceci sous la forme particulire dune

    thorie des forces vives.

    Mais il est un autre moyen, peut-tre dailleurs plus convaincant, de donner une ide

    de la TR-compatibilit de lapport spinoziste, et qui consiste montrer combien ceux des

    rgulationnistes qui sont alls le plus loin pour penser les mobiles de laction se sont

    approchs quoique sans le savoir de quelques unes des intuitions centrales du point de vue

    du conatus. Cest tout particulirement le cas chez Michel Aglietta et Andr Orlan22,

    conduits, par la logique mme de leur projet dune thorie montaire, formuler une

    anthropologie comportementale de lchange marchand. Le primat du dsir qui en est

    certainement le trait le plus remarquable, est loprateur dune double rupture, non seulement

    avec la thorie noclassique qui, se donnant les prfrences, veut laisser ces choses-l caches

    dans la fonction dutilit et nen surtout pas dbattre, mais aussi avec le marxisme dont il est

    une tache aveugle : on lui [le marxisme, NdA] reconnat volontiers la plus profonde analyse

    du travail jamais faite mais on signale son incapacit accueillir une analyse du dsir 23. Or

    quest ce que le conatus, sinon, pour reprendre lexpression de Pierre Macherey, une force

    de dsir qui propulse indfiniment les individus dans lexistence 24 ? Cest bien ce que

    confirme sans la moindre ambigut le texte de lEthique. Car leffort par lequel chaque

    chose sefforce de persvrer dans son tre nest rien en dehors de lessence actuelle de cette

    chose (Eth., III, 7), or quand cette chose est un homme, son essence laquelle est

    identifie son conatus nest rien dautre, sous une certaine dtermination, que du dsir: le

    dsir est lessence mme de lhomme en tant quelle est conue comme dtermine, par unequelconque affection delle-mme, accomplir une action (Eth., III, Def. 1 des affects).

    Bien sr il ne suffit pas de former le projet dune thorie du dsir pour se trouver de

    droit ou de fait dans le registre propre du spinozisme et, de ce point de vue, il demeure entre

    lanthropologie montaire dAglietta et Orlan et lonto-anthropologie du conatus un cart de

    22 Michel Aglietta et Andr Orlan,La violence de la monnaie, Paris, PUF, 1982 ;La monnaie entre violence etconfiance, Paris, Odile Jacob, 200223

    Michel Aglietta et Andr Orlan,La monnaie entre violence et confiance, op. cit., p. 13.24 Pierre Macherey,Introduction lEthique de Spinoza. La troisime partie. La vie affective, Paris, PUF, 1998,p. 144.

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    taille : la thorie girardienne laquelle Aglietta et Orlan empruntent procde dune ontologie

    du manque qui fait du dsir le moyen (illusoire) de comblement dun dficit. lexact

    oppos, le spinozisme est une ontologie de la pleine et intgrale positivit de ltre, do se

    trouve radicalement exclue toute ide de manque, de dfaut ou dimperfection. Llan du

    conatus ne rpond aucune bance prexistante, aucun mobile de remplissage dun vide qui

    serait sans cesse recr par quelque lacune ontologique, il est dsir pleinement positif

    deffectuation de puissance. la vrit, signaler cette diffrence doit surtout un souci

    dexactitude, et il nest pas certain que ces considrations, pour le coup trs mtaphysiques,

    fassent un obstacle rdhibitoire un ventuel rapprochement de la thorie montaire

    rgulationniste et du point de vue spinoziste25. Ce devrait tre dautant moins le cas que par

    ailleurs, ce dernier sexprime dans des propositions qui rsonnent trangement avec quelques

    unes des intuitions principales dAglietta et Orlan :

    1. Du primat du dsir conatif rsulte en effet une perte complte de substance de lavaleur : Nous ne nous efforons pas vers quelque objet, nous ne le voulons, ne le

    poursuivons, ni ne le dsirons pas parce que nous jugeons quil est un bien, mais au

    contraire nous ne jugeons quun objet est un bien que parce que nous nous efforons

    vers lui, parce que nous le voulons, le poursuivons et le dsirons (Eth., III, 9, scolie).

    Il sagit l dun renversement complet du lien ordinairement tabli entre dsir et

    valeur. Loin que des valeurs donnes ex ante dterminent le dsir, cest au contraire la

    valeur qui est constitue par le dsir et par ses investissements. Or tel est bien le sens

    de lentreprise dAglietta et Orlan qui entendent faire de la monnaie un effet

    purement relationnel, sans aucune valeur-substance qui lui prexisterait et quelle

    aurait pour tche dexprimer. lexact oppos de toute fonction expressive, la

    monnaie est loprateurde la valeur, et cette dernire nest trouver ni dans lutilit,

    ni dans le temps de travail, ni dans quelque autre donne objective. Dune certaine

    manire cest l exactement la signification du scolie de (Eth., III, 9) qui pense lavaleur comme un effet de projection subjective, et plus exactement intersubjective.

    2. Car en effet, si le dsir nest pas rgl sur des valeurs objectives prexistantes, alorscomment est-il dtermin sorienter vers ceci plutt que cela ? Lune des principales

    25Cette possibilit tant dmontre en acte dans un travail qui fait le constat dun isomorphisme assez frappant

    entre le modle spinoziste de gense de ltat du Trait politique et le modle de gense de la monnaie dAndrOrlan et par consquent livre la premire esquisse dune thorie spinoziste etrgulationniste de la monnaie :voir Frdric Lordon, Andr Orlan, Gense de ltat et gense de la monnaie : le modle de la potentia

    multutidinis, Document de travail de la Rgulation, http://web.upmf-grenoble.fr/lepii/regulation/wp/seriec.html,, paratre dans Yves Citton et Frdric Lordon (dir.), Spinoza et lessciences sociales, Paris, Editions Amsterdam, 2008.

    http://web.upmf-/
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    rponses de Spinoza est peut-tre la plus susceptible de faire spectaculairement cho

    la thorie montaire dAglietta et Orlan : les dsirs sont dtermins par des

    mcanismes affectifs associatifs, et au premier rang dentre eux limitation. Ainsi le

    dsir est mimtique ! Girard ne sait visiblement pas que Spinoza la pens avant lui. Et

    pourtant, cest l un point central dans lanalyse spinoziste de la vie affective

    collective. Avec au surplus cette diffrence que limitation des affects de dsir est chez

    Spinoza le rsultat dune dmonstration (Eth., III, 27)26 et non une postulation.

    Lintersubjectivit mimtique laquelle ne demande dailleurs qu se complexifier

    immdiatement au travers de mcanismes proprement sociaux est donc, l aussi,

    loprateur de la valeur , savoir de la production/dsignation du dsirable. Et cest

    par un isomorphisme tout fait remarquable que la production daffects communs par

    la convergence imitative, se trouve au principe de lmergence de ltat dans le Trait

    politique27, comme de la gense de la monnaie dans le modle dOrlan28.

    3. Enfin on ne peut qutre frapp de ce que la scne originelle de la sparationmarchande considre par Orlan29 pour reconstituer la gense de la monnaie figure

    des ples individus sefforant pour leur conservation. La monnaie a donc

    fondamentalement voir avec le conatus puisquelle a partie lie avec lun des

    rquisits les plus lmentaires de la persvrance dans ltre la reproduction

    matrielle. Aussi cette scne originelle consonne-t-elle remarquablement avec

    celle que Matheron30

    dessine lui-mme, dont il fera le paysage dune gense thorique

    spinoziste de ltat, et quil intitule : la sparation : individualit lmentaire et

    luttes concurrentielles .

    4. et une mtaphysique des luttes

    Sil apparat non seulement que le point de vue du conatus est adquat au projet dune

    thorie non subjectiviste de laction individue et quau surplus, bien des gards, il rvle

    dj sa compatibilit avec lapproche rgulationniste, il reste se demander en quoi cette

    26 Du fait que nous imaginons quun objet semblable nous et pour lequel nous nprouvons aucun affect, estaffect dun certain affect, nous sommes par l mme affect dun affect semblable (Eth., III, 27).27

    Voir la lecture du Trait politique dans Alexandre Matheron, Individu et communaut chez Spinoza, Paris,Editions de Minuit, 1988, chapitre VIII, et Alexandre Matheron, Lindignation et le conatus de ltatspinoziste , dans Myriam Revault dAllones et Hadi Rizk (dir.), Spinoza : puissance et ontologie, Dijon,Editions Kim, 1994.28

    Voir Frdric Lordon, Andr Orlan, 2008, art. cit.29 Voir le chapitre dAndr Orlan dans cet ouvrage.30

    Alexandre Matheron,Individu et communaut chez Spinoza, op. cit.

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    onto-anthropologie de lactivit, de la persvrance et du dsirdtermine une mtaphysique

    des luttes. sa faon, Alexandre Matheron reformule la question ainsi : pourquoi les

    conatus individuels, au lieu de coexister harmonieusement et pour toujours, se font-ils

    concurrence les uns aux autres ? Pourquoi Dieu modifi en Allemand doit-il, comme le dit

    Bayle, tuer Dieu modifi en Turc31 ? 32. Et Matheron de suggrer immdiatement la rponse :

    Tout le mal, nous allons le voir, vient de lEtendue 33

    Evidemment, telle quelle, la formule demeure passablement mystrieuse En

    dfinitive34 elle prend pourtant sens assez simplement en posant que sous lattribut de

    lEtendue, cest--dire dans lordre de la manifestationspatiale des modes35, les conatus sont

    vous se rencontrer, et le plus souvent se contrarier savoir, faire mouvement dans des

    directions opposes. On fait souvent remarquer, et dailleurs trs juste titre, que la

    philosophie de Spinoza exclut absolument toute ngativit et par l ignore dlibrment la

    contradiction36,37

    caractristique sans doute lorigine de certains de ses rapports difficiles

    avec le marxisme. Mais si le spinozisme nest pas une philosophie de la contradiction, il est

    coup sr une philosophie de la contrarit ou bien, pour le dire moins classiquement mais

    plus prcisment, une philosophie du contrariement. Et cest bien parl que le spinozisme et

    le marxisme, qui ont par ailleurs tant daffinits, trouvent se r-accorder, et ceci davantage

    encore mesure quon sloigne du plan conceptuel de lontologie o la question de la

    ngativit est dcisive pour se rapprocher de celui des sciences sociales o elle compte

    moins pour elle-mme que pour ses effets. Quand Laurent Bove voque le corps sujet des

    contraires 38 o il peut tre question aussi bien du corps politique que du corps humain

    cest bien pour restituer, quoiquen toute conformit avec les rquisits les plus fondamentaux

    de la philosophie de Spinoza, tout le potentiel de laffrontement des parties dans la dynamique

    du tout. Et cest galement ce quAglietta et Orlan crivent pour leur part en notant quau-31

    Il nest pas inutile de donner quelques explications susceptibles de rendre cette tournure plus aisment

    comprhensible pour des lecteurs peu habitus au lexique de la philosophie spinoziste. Le Dieu de Spinoza, loinde toute parent avec le Dieu transcendant, et gnralement anthropomorphe des religions monothistes, estlautre nom de la Nature naturante, cest--dire le principe de production de toute chose. Ces choses, auxquellesSpinoza donne le nom de modes , ou modes finis , expriment(Deleuze, 1968) la puissance de la Nature-Dieu, de sorte quil est possible de dire que les tants ne sont pas autre chose que Dieu modifi littralement :fait mode en ceci ou cela.32 Alexandre Matheron,Individu et communaut chez Spinoza, op. cit., p. 24.33Id.34 Cette clause signifiant : en passant sous silence des problmes mtaphysiques dune redoutable complexit ;voir ce sujet Alexandre Matheron, Individu et communaut, op. cit., chap. II.35 Car les modes se manifestent simultanment sous lattribut de lEtendue (comme choses matrielles) et souslattribut de la Pense (comme esprits).36 Ainsi par exemple (Eth., III, 4) : Une chose ne peut tre dtruite que par une cause extrieure .37

    Voir notamment Pierre Macherey,Hegel ou Spinoza, Paris, La Dcouverte, 1990.38 Laurent Bove, Le corps sujet des contraires et la dynamique prudente des dispositiones corporis,Astrion,3, revue en ligne, http://asterion.revue.org, septembre 2005.

    http://asterion.revue.org/
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    del du cas despce de la monnaie les institutions sont issues de la violence du dsir

    humain et leur action normalisatrice sur lui provient de leur rapport dextriorit au choc des

    dsirs qui se contrarient les uns les autres 39.

    Ainsi, de llan des conatus, suivent ncessairement laffrontement et les luttes. Car,

    effectuations de puissance, pulsions dexpansion, et mouvements daffirmation de soi, le plus

    souvent ports, par le mcanisme dimitation des affects, poursuivre les mmes objets, les

    conatus se croisent et se contrarient, ils se rencontrent et ils se heurtent. Et ces heurts sont la

    matire mme dune politique. On pourrait donc redfinir la politique en disant qu elle

    commence avec le choc des conatus, quelle est essentiellement le travail daccommodation

    du heurt des conatus. Cest pourquoi lontologie du conatus est immdiatement politique et

    que, dterminant une agonistique gnrale, elle dbouche sur une mtaphysique des luttes.

    Sil ne faut pas donner aux arguments tymologiques plus de force probatoire quils nen ont

    vraiment, on peut tout de mme se plaire lire cette confirmation de la lutte comme corrlat

    du conatus-momentum au travers des variations smantiques du mot animosit, dont la

    signification contemporaine exprime la pugnacit et la bellicosit que lon sait, mais dont le

    sens littral ne dsigne pas autre chose que le caractre de ce qui est anim ainsi la bataille

    est-elle le produit ncessaire du mouvement des puissances.

    Cette gnralit de la guerre pose ipso facto une question de rgulation puisquil faut

    bien sinterroger sur les raisons pour lesquelles lordre social nest pas quun chaos violent. Et

    cest bien pourquoi la mtaphysique des luttes est adquate la thorie de la Rgulation qui

    pense le primat de la divergence etles modes de sa contention. Nous voil donc rendus ici

    cet arrire-plan mtaphysique de toute thorie, cette vision fondamentale du monde social

    dont la puissance spcifique apparat dans le simple rapport de sa compacit propre une

    mtaphysique sociale tient en une ou deux ides canoniques peine et de son empire sur

    la production thorique, quelle prdtermine pour une trs large part. Rarement dite mais

    prsente dans tous les esprits, immdiatement identifiable par le sens pratique de tous lesprotagonistes du champ acadmique, aussi bien amis qu ennemis , la mtaphysique est

    cette sorte de foyer gravitationnel qui tient en son orbite tous les noncs de sa thorie, et

    dailleurs rend ceux-ci assignables au premier coup dil. Ne suffit-il pas dune lecture

    peine pour reconnatre, classer et trouver une nouvelle confirmation : cest bien deux

    a, et cest bien toujours a quils ont dans le crne ? Ainsi, par exemple et au hasard, ce

    que la Rgulation a dans le crne nest pas le monde comme interlocution entre sujets

    39Michel Aglietta, Andr Orlan, La monnaie entre violence et confiance, op. cit., p. 15, cest moi qui souligne.

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    raisonnables ou comme coordination des tres moraux40. La question do part la

    mtaphysique des luttes, et mme par laquelle elle se constitue, est tout autre. Cest la

    question de la coexistence des puissances. Voil sans doute le bout particulier par lequel la

    thorie de la Rgulation attrape le monde social et qui, par del la diversit de ses noncs,

    dtermine le plus profondment sa facture. Il est dailleurs des domaines et des travaux o

    cette mtaphysique des luttes nest pas quun implicite ou bien une strate sous-jacente, mais

    se montre tout fait dcouvert. Nest-ce pas le cas typiquement pour une thorie montaire

    qui se place demble sous lgide de la violence de la monnaie 41, ou bien encore de

    lanalyse des grands affrontements du capitalisme financiaris saisis comme politique du

    capital , cest--dire comme accommodation plus ou moins rgle de luttes conatives pour la

    survie capitalistique42

    . Sur un mode plus gnral, lintention dAmable et Palombarini43,

    passant par Machiavel, est bien galement de redire que le monde social nest dabord que

    luttes, et que le conflit est la donne premire dune ontologie de ltre social. Cest pourquoi,

    avertit Machiavel, le dni du conflit est le trfonds de linanit et malheur aux

    dngateurs ! : la distance est si grande entre la faon dont on vit et celle dont on devrait

    vivre, que quiconque ferme les yeux sur ce qui est et ne veut voir que ce qui devrait tre

    apprend plutt se perdre qu se conserver (Le Prince, chap. XV). De cette prudence de la

    lucidit, tout est fait pour avoir marqu Spinoza dont on ne stonnera pas ds lors quil

    rende plusieurs fois hommage au trs pntrant Florentin (TP, X, 1) , depuis lcart fatal

    entre le monde social rv et le monde social rel ils (les philosophes ) conoivent les

    hommes () non tels quils sont mais tels queux-mmes voudraient quils fussent (TP, I, 1)

    jusqu limpratif de la conservation et Machiavel le dit en des termes que Spinoza

    pourrait entirement reprendre son compte : le Prince a pour devoir propre de permettre

    ltat de durer, de se maintenir cest--dire de persvrer (chap. XIX). Pourtant, si

    Machiavel a quasiment lintuition du conatus, il nen a pas le concept. Mais cest quil na pas

    pour projet de dployer un appareil philosophique. Et il faut suivre ici linterprtation deGramsci pour qui Machiavel ne propose pas un systme, ni ncrit un Trait : il lance un

    Manifeste, avec toutes les intentions caractristiques du genre auxquelles un autre

    Manifeste fait cho44 Spinoza ontologise Machiavel ajoute Laurent Bove45 pour

    40Voir Bruno Amable, Stefano Palombarini, Lconomie politique nest pas une science morale, Paris, Raisons

    dAgir, coll. Cours et Travaux , 2005.41 Michel Aglietta et Andr Orlan,La violence de la monnaie, op. cit.42 Frdric Lordon,La politique du capital, Paris, Odile Jacob, 200243

    Bruno Amable, Stefano Palombarini, Lconomie politique nest pas une science morale, op. cit.44 Le Prince de Machiavel pourrait tre tudi comme une illustration historique du mythe sorlien, cest--dire dune idologie politique qui se prsente non pas comme une froide utopie ou une argumentation

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    marquer la diffrence des registres. Et si toutefois, bien des gards, le Trait politique peut

    sembler par moment comparable en genre auPrince, il nen est pas moins adoss et ancr au

    massif thorique de lEthique, cette Physique des forces conatives et des affects je

    considrerai les actions humaines et les apptits comme sil tait question de lignes, de

    surfaces et de corps 46 dont le Trait dploie les principes fondamentaux dans lespace

    institutionnel de la vie collective. Et cest sans doute la raison pour laquelle lensemble quils

    constituent insparablement offre lune des plus puissantes machines produire des

    programmes de recherche en science sociale.

    5. Pour une conomie gnrale de la violence

    De tous ces programmes, il en est un qui, exprimant immdiatement lide directrice

    de la mtaphysique des luttes, pourrait tre intitul conomie gnrale de la violence . Si

    en effet lontologie du conatus dbouche ncessairement sur une agonistique gnrale et pose

    la question de la coexistence des puissances, alors elle fait aussitt surgircomme problme la

    matrise sociale de la violence conative, cest--dire un problme de rgulation qui

    pourrait tre ainsi formul : comment accommoder la contradiction de la conservation

    ncessairement mutuelle de conatus ncessairement antagonistes ? Il entre de plein droit dans

    un programme dune telle nature de faire lhistoire des dclinaisons du principe rivalitaire

    fondamental et des mises en forme successives des nergies conatives agonistiques. Or cest

    l videmment une entreprise qui demande tre poursuivie dans de nombreuses directions.

    En indiquer quelques unes, mme trs brivement, est un moyen de donner une ide de la

    varit des objets saisissables par ce programme de recherche, celui-l mme, faut-il le

    rappeler, qui procde immdiatement de la mtaphysique des luttes varit des objets et

    aussi des approches disciplinaires qui peuvent trouver y investir leur logique propre puisque

    lanthropologie, la sociologie, et lconomie mais bien sr une conomie politique,

    institutionnaliste et historiquepeuvent y tre intresses.

    Lanthropologie, et sans doute en tout premier lieu, car sil est une solution de

    contention de la violence conative dont on peut estimer quelle aura fait innovation

    doctrinaire, mais comme la cration dune imagination concrte qui opre sur un peuple dispers et pulvrispour y susciter et y organiser une volont collective , Gramsci (1975), p. 417.45 Journe Lconomie gnrale des pratiques, Dpartement philosophie-sociologie, Universit de Picardie,

    Amiens, 7 mai 2004 ; voir aussi Laurent Bove, De la prudence des corps. De la physique au politique ,Introduction au Trait politique, Paris, Classiques de Poche, 2002.46

    Eth., III, Prface.

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    civilisationnelle, cest bien le don/contre-don47. Lui reconnatre cette minence toute

    particulire na rien dinjustifiable ds lors quon en revient aux donnes les plus

    fondamentales du problme de la violence conative et quon aperoit la solution quy apporte

    le don/contre-don dans ce registre mme. Car en effet, le conatus est potentiel de violence

    proportion de ce quil est spontanment captateur et pronateur. Le conatus, cet gocentrisme

    fondamental, est lexpression de ce quune existence est avant tout proccupe delle-mme.

    Par consquent son geste le plus immdiat est de prendre pour soi, de mettre la main sur et

    ventuellement darracher des mains dautrui (Lordon, 2005-a). Aussi la violence pronatrice

    est-elle le corrlat ncessaire de linteraction des conatus ltat de nature, et le dfi premier

    de leur coexistence pacifie. Or sous ce rapport, le don/contre-don vient prcisment affirmer

    lobligation de donner, quon peut lire a contrario comme la prohibition du prendre sauvage,

    reconnu pril social par excellence. Si la pronation sans frein est ce ferment violent qui

    menace sans cesse le groupe de dcomposition, alors le don/contre-don en est prcisment

    lantidote puisquil dresse le rempart dun cycle dobligations rciproques48, do le prendre

    est absolument exclu si ce nest sous la forme hautement domestique du recevoir. Mais

    lopration du don/contre-don est en fait plus subtile encore car en ralit, sous les dehors de

    linversion radicale, le donner est un prendre transfigur puisque donner les choses cest

    acqurir la gloire. Cest dailleurs l sans doute tout ce qui a fait non seulement lefficacit

    mais aussi la viabilit civilisationnelle du don/contre-don lequel, pour ainsi dire, ne prend pas

    le parti de barrer purement et simplement llan pronateur du conatus, mais fait le choix de le

    rediriger vers dautres objets, dune autre nature, des objets symboliques prestige et

    honneurs dont la conqute concurrentielle ne menace plus le groupe, mais bien au contraire

    travaille le consolider. Ainsi, en une extraordinaire opration de symbolisation et de

    sublimation du prendre conatif, le don/contre-don substitue la prise sauvage dobjet la

    conqute rgle du prestige49.

    Si le don/contre-don fait paradigme comme solution dorganisation de la violence,cest parce que, le conatus ne pouvant tre extirp, ni son geste pronateur dfinitivement

    dsarm, il est la fois plus conome, et aussi sans doute plus productif, den accepter la

    prsence active mais de la mettre en forme convenablement, notamment en la dirigeant vers

    des objets spciaux des objets symboliques pour la prise rgle desquels il est alors

    47 Frdric Lordon,Lintrt souverain. Essai danthropologie conomique spinoziste, Paris, La Dcouverte ; Le don tel quil est et non tel quon voudrait quil ft, Revue Du MAUSS semestrielle, n 27, 2006.48

    Marcel Mauss, Sociologie et anthropologie, Paris, PUF, 1950.49 Pour des dveloppements beaucoup plus substantiels de cette thse, prsente ici cursivement, voir FrdricLordon,Lintrt souverain. Essai danthropologie conomique spinoziste, op. cit., chap. I.

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    socialement lgitime de sefforcer. Cest bien cette solution gnrale de sublimation sociale

    de la violence pronatrice des conatus, dont le don/contre-don ralise linvention historique,

    qui se trouve dcline dans de trs nombreux univers sociaux, et notamment dans ceux que

    Bourdieu nomme des champs. Une certaine forme dinterrogation sociologique trouve donc

    son compte dans cette perspective dune conomie gnrale de la violence, pourvu par

    exemple quelle accepte de voir les champs comme les thtres dune agonistique institue.

    Telle est bien la caractristique en tout cas de certains dentre eux qui se structurent autour

    dun principe concurrentiel spcifique et offrent aux nergies des conatus de se dverser vers

    des objets licites, cest--dire choisis pour que leur dispute soit bien organise, et par

    consquent socialement non destructrice. Ces champs sont donc des concrtisations de la

    mtaphysique des luttes. On sy bat, mais symboliquement et dans les formes. Mais on peut

    sy battre jusqu la mort la mort symbolique bien sr. Les champs artistique ou intellectuel,

    par exemple, voient des conatus actualiss comme illusio respectivement dartiste et

    dintellectuel(le), saffronter sans merci pour des trophes ainsi pourrait-on nommer

    gnriquement cette catgorie de biens symboliques offerts en enjeux sur les thtres de

    lagonistique institue. Prix, distinctions, places, clbrations, hommages, expositions, et bien

    sr le trophe ultime, la postrit, sont les substituts proposs des dsirs de pronation qui

    nont rien perdu de leur intensit mais sexercent dsormais dans les formes du champ et

    selon une activit rendue constructive par les rgles de la sublimation.

    Lanalyse des champs dans cette perspective entre de plein droit dans la problmatique

    rgulationniste de lconomie gnrale de la violence. Et si la qualification de

    rgulationniste est ici comprendre en un sens trs gnral, comme dsignation dun

    problme de rgulation, cest--dire de divergence contenir, la transition vers la thorie

    conomique de la Rgulation seffectue assez naturellement ds lors quon entreprend de

    dployer, comme elle sy prte tout fait, lconomie gnrale de la violence sur desobjets spcifiquement conomiques, et par suite de la faire travailler comme conomie de la

    violence conomique.

    Assurment, lchange marchand demande tre inscrit dans la perspective de

    lconomie gnrale de la violence ds lors quon reconnat lordre des pratiques

    conomiques la caractristique principale dinstituer un rapport particulier aux objets,

    prcisment susceptible de matriser la pronation violente par la mise en forme juridique et

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    montaire du prendre50. En dautres termes, linstitution de lconomique a pour effet central,

    sous le rapport de la rgulation de la violence pronatrice des conatus, de contraindre le

    prendre saccomplir conformment lobjectivit du prix montaire et aux rgles juridiques

    de la contrainte de paiement. Ainsi lchange marchand ralise-t-il une civilisation mais

    toujours problmatique et toujours hante par la violence originaire du prendre sous la

    modalit particulire de lachat.

    Cette mise en forme fondamentale des pulsions pronatrices nest pas la seule analyse

    quon puisse faire des mouvements de conatus dans lespace conomique, et les luttes de

    persvrance sont saisissables des niveaux dabstraction bien moindres. En fait le spectre

    des efforts conatifs dans lordre conomique est trs largement ouvert et donne voir les

    situations les plus varies, depuis la lutte salariale pour la persvrance matrielle, cest--dire

    pour maintenir laccs aux moyens de la reproduction sous sa forme la plus simple, jusque,

    lautre extrmit, les luttes hautement symbolises pour des enjeux existentiels et

    rputationnels, dans le champ patronal par exemple. Ce dernier lieu est sans conteste le

    thtre dune agonistique institue, le sort et leffort des hommes se liant mais sans se

    confondre celui des entreprises quils dirigent. Sur cette scne hybride o les combats

    dindividus passent par des combats dorganisations, les conatus saffrontent, par exemple

    pour le contrle de la proprit. Car le conatus actualis en conatus du capital, et plus

    exactement en conatus du capitaliste ou du directeur du capital, sefforce spcifiquement en

    vue de scuriser la proprit du capital, et si possible den accrotre lextension. Ainsi, dans

    une configuration du capitalisme o les projets conatifs dexpansion sont mdiatiss par des

    transactions sur les droits de proprit, la mtaphysique des luttes sexprime sous la forme

    concrte des fusions-acquisitions et des grands conflits dOPA51.

    Puisquil nest pas possible de faire ici davantage que de suggrer par un certain

    nombre de situations empiriques que la mtaphysique des luttes nest nullement voue

    demeurer une spculation sans attache, il vaut dau moins mentionner une autre de sesmanifestations dans lordre conomique mais peut-tre la plus vidente, celle parlaquelle il

    aurait fallu commencer : la concurrence ! Il est vrai : les conatus marchands luttent pour la

    matrise des marchs ! Et dieu sait que ces affrontements peuvent tre violents. Bien avant les

    dveloppements de la finance capitalistique, les classiques, et Marx tout particulirement,

    nont-ils pas dabord eu sous les yeux le spectacle de lanarchie marchande et des luttes au

    couteau que se font les producteurs pour la validation sociale ? Il se pourrait donc que la

    50Voir Frdric Lordon, Lintrt souverain, op. cit., chap. II.

    51FrdricLordon,La Politique du capital, Editions Odile Jacob, 2002.

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    mtaphysique des luttes, prcisment en tant quelle procde dune ontologie politique de

    ltre social, offre le moyen dune dconstruction de la catgorie conomique de march,

    et de sa reconstruction comme catgorie politique. Car envisag sous cette perspective, le

    march nest pas autre chose quun de ces thtres o des conatus dun genre spcial des

    conatus marchands sefforcent pour stendre, se rencontrent et saffrontentvidemment

    avec des ressources ingales. Et il y a tout lieu dtre ravi quand par un regrettable lapsus, qui

    sonne en fait comme un aveu involontaire, la thorie noclassique laisse chapper les mots de

    pouvoir de march o, si on lit bien, il est question de pouvoir , et par une rsonance

    fcheuse, donne penser que lconomie pourrait ne pas tre si pure il se pourrait mme

    quelle soit, et en un sens tout fait fondamental, le sens de la mtaphysique des luttes,

    politique. On ne peut alors qutre heureusement surpris de constater que le point de vue en

    apparence stratosphrique dune mtaphysique des luttes trouve trs facilement reprendre

    contact avec la terre, qui plus est au travers des objets les plus prosaques, pour ne pas dire les

    plus dconsidrs et mme les plus indignes des grands conomistes : qui, donc, naurait

    pas peur de ce r-atterrissage un peu brutal, il faudrait conseiller par exemple de savoir voir

    lontologie du conatus dans les ttes de gondole, je veux dire dans les faits et gestes de la

    grande distribution. Agent particulirement notoire de lintensification des luttes

    concurrentielles, la grande distribution, dans ses rapport avec ses fournisseurs, runit peu

    prs toutes les caractristiques ncessaires la peinture de lagonistique marchande : le

    mouvement imprieux pour tendre sa propre puissance, laffirmation brutale de son

    gocentrisme conatif, lcrasement chaque fois que la possibilit en est donn des rsistances,

    lasymtrie des luttes puisque les ressources de pouvoir sont ingalement distribues, la

    soumission des conatus domins les fournisseurs trop petits qui luttent eux-mmes pour ne

    pas mourir, et toutes les interactions violentes qui naissent de ces rapports souvent sans merci.

    Ceci nest pas un march pourrait-on dire la faon de Magritte, cest un thtre, et mme

    plutt : cest un champ de bataille. Point de lieu de rcollection pacifie des offres et desdemandes sous la houlette anonyme et bienveillante dun commissaire-priseur. Le march

    nexiste pas, il ny a que des rencontres de conatus, prts laccord si cest possible et la

    lutte si cest ncessaire. Substituer ainsi au march lensemble structur des relations de

    commerce est donc dj un premier pas pour saffranchir dune hypostase que rien ne justifie

    en vrit, mais dont la postrit, les effets intellectuels et politiques nen apparaissent que plus

    remarquables. Et la thorie de la Rgulation est spcialement bien place pour accueillir cette

    problmatique, elle qui a prvu de mentionner au nombre de ses formes institutionnelles, les formes de la concurrence et quand bien mme, on peut lavouer, de cette heureuse ide

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    elle na pas fait grand-chose jusqu prsent ! On peut alors souhaiter que les quelques

    travaux rgulationnistes52 qui se sont consacrs dans une relative obscurit aux injustement

    dlaisses formes de la concurrence , apparaissent rtrospectivement comme pionniers et

    soient bientt rejoints. Dune certaine manire, donnant la mtaphysique des luttes une de

    ces plus typiques illustrations conomiques, ne sont-ils pas par l mme hautement

    reprsentatifs de ce quil y a la fois de plus spcifique et de plus fondamental dans la thorie

    de la Rgulation ? On ne peut alors quenvisager agrablement cette rencontre en les

    thmatiques de la concurrence entre, dune part, lexpression presque idale de la

    mtaphysique des luttes et, dautre part, certains des enjeux les plus brlants du dbat

    macroconomique contemporain.

    Concurrence marchande et concurrence capitalistique celle qui fait lutter non pour la

    part de march mais pour la part de proprit tombent donc de plein droit sous ce

    programme de recherche spinoziste transversal en sciences sociales que jai qualifi

    dconomie gnrale de la violence. Il en va dailleurs identiquement pour lune et pour

    lautre de ces concurrences : comme ces luttes sont mises en formes dans des structures car

    rien ne serait plus faux que de comprendre lagonistique conomique comme simple

    collection de libres interactions conflictuelles , cest la configuration des structures qui

    dtermine en chaque cas lintensit des batailles, la probabilit et le degr de violence des

    chocs conatifs. Le mouvement historique de la drglementation, aussi bien celle des marchs

    de biens que celle des structures financires, soffre tre qualifi dune manire qui ralise

    limprobable, et pourtant heureusement possible, mise en connexion de plans conceptuels

    dont on penserait spontanment que tout les spare, celui de la part mtaphysique dune

    thorie et celui de sa participation comme macroconomie applique au dbat de politique

    publique, et ceci par exemple en posant synthtiquement que drglementer cest r-instituer

    les structures de la violence conomique.

    Conclusion

    52 Entre autres Michel Hollard, Les formes de la concurrence , dans RobertBOYER et YvesSAILLARD (dir.)

    Thorie de la Rgulation, ltat des savoirs, 2me

    dition, La Dcouverte, 2002 ; Pascal Petit, Formesstructurelles et rgimes de croissance de laprs-fordisme , L Anne de la Rgulation, n 2, La Dcouverte,1998.

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    Si la guerre sous toutes ses formes physiques ou sublimes est le corrlat de la

    rencontre des conatus, en est-elle vraiment la seule issue possible ? La rponse de Spinoza

    cette question est formelle : cest non. Car si le conatus est llan en vue dune effectuation

    maximale de puissance, alors celle-ci peut emprunter les deux voies alternatives de la lutte ou

    de lassociation, de laffirmation de soi auto-centre ou de la composition de puissance avec

    autrui. Le principe conatus ne dtermine donc pas univoquement laffrontement des modes

    mais dbouche sur la grande dualit spinoziste des rgimes daction : la qute individue de

    puissance au mpris dautrui ou bien la persvrance de conserve. Et, de fait il est un indice

    intuitif et en mme temps massifde ce que la guerre nest pas la seule possibilit inscrite

    dans le conatus, et cet indice cest quil y a socit ! Certes, reprenant le modle de la

    civilisation des pulsions pronatrices, on pourrait envisager de se passer du mobile associatif

    pour penser une socit pacifie par les seuls artifices de la sublimation des agonismes.

    Mais ce serait manquer le ressort le plus puissant de lentre en socit dont Spinoza

    souligne maintes fois quil est trouver dans la ncessit de joindre les forces pour mieux

    pourvoir la forme la fois minimale et imprieuse de la persvrance : la survie matrielle.

    Dans ltat de nature, la conjonction de leurs efforts est le moyen le plus vident pour les

    individus de rsister la destruction par les innombrables choses qui lemportent sur eux par

    la puissance. Cest bien pourquoi dailleurs ltat de nature est en fait mtastable et vou se

    dpasser lui-mme sous leffet des ncessits de la persvrance commune : comme tous les

    hommes redoutent la solitude parce que nul dentre eux dans la solitude na de force pour se

    dfendre et se procurer les choses ncessaires la vie, il en rsulte que les hommes ont de

    ltat civil un apptit naturel et quil ne peut se faire que cet tat soit jamais entirement

    dissous (TP, VI, 1) ; sans lentraide les hommes ne peuvent gure entretenir leur vie et

    cultiver leur me (TP, II, 15). Dans ltat de prcarit extrme de la premire condition

    humaine, la conservation de soi passe par la mutualisation de leffort, et par consquent la

    collaboration suspend la guerre.

    Les urgences de la survie ne donnent pourtant pas le dernier mot de lassociation. Car

    la composition des puissances livre ses bnfices aussi bien dans laffirmation que dans la

    survie non pas seulement entretenir la vie mais galement cultiver lme. Aussi la

    persvrance expansive fournit-elle lassociation un mobile de relais, mais non moins

    puissant, quand sestompent les ncessits les plus immdiates de la conservation rsistante.

    Et cette affinit essentielle des hommes entre eux sous le rapport de la composition des

    puissances est dautant mieux perue que ceux-ci sont davantage conduits par la raison : Il ya donc hors de nous des choses qui nous sont utiles, et auxquelles, pour cette raison, il faut

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    aspirer () Si en effet deux individus () se joignent lun lautre, ils composent un individu

    deux fois plus puissant que chacun pris sparment. A lhomme donc, rien de plus utile que

    lhomme ; il nest rien, dis-je, que les hommes puissent souhaiter de mieux pour conserver

    leur tre que de se convenir tous en tout, en sorte que les esprits et les corps de tous

    composent pour ainsi dire un seul esprit et un seul corps () ; do il suit que les hommes

    que gouvernent la raison, cest--dire les hommes qui cherchent ce qui leur est utile sous la

    conduite de la raison, naspirent pour eux-mmes rien quils ne dsirent pour tous les

    autres hommes (Eth., IV, 18, scolie).

    Rien nest plus utile lhomme que lhomme, et en proportion croissante de ce quil

    est sous la conduite de la raison : si le scolie de (Eth., IV, 18) revt cette importance cest bien

    parce quil pose la grande dualit des rgimes du conatus. La vise de puissance peut passer

    aussi bien par llan solitaire, mais alors au risque des rencontres contrariantes, ou par llan

    conjoint et la composition des forces. Lontologie du conatus ne livre donc pas univoquement

    le paysage dun monde social o tout ne serait que guerre et violence plus ou moins

    sublimes. Laffinit essentielle des hommes entre eux qunonce (Eth., IV, 18, scolie) y

    ouvre galement les possibilits de lassociation, de la mutualisation, de la collaboration, et

    encore de lamour et de lamiti, bref de toutes les formes de la composition des puissances.

    Mais sil faut prendre au srieux cette dualit des rgimes daction du conatus,

    comment alors justifier de r-exprimer le point de vue du conatus en une seule mtaphysique

    des luttes ? Sil est absolument clair pour Spinoza que leffort en vue de la persvrance peut

    a priori emprunter les deux voies de laffirmation agonistique ou de la composition

    cooprative, lide que ces deux possibilits se prsentent sous une profonde asymtrie nest

    pas moins fortement affirme. Le scolie de (Eth., IV, 18) et surtout (Eth., IV, 35)53 ne lient-ils

    pas explicitement la probabilit de la composition au degr auquel les hommes prennent

    conscience de leur essentielle affinit mutuelle, sous la conduite de la raison ? Or Spinoza

    sait assez combien ne pas trop solliciter cette dernire hypothse ! Les hommes sont rarementconduits par la raison et, sous le rgime de la servitude passionnelle, les chances de la guerre

    sont hlas trs suprieures celles dune prise de conscience claire de la concidence de

    leurs utiles propres (Eth., IV, 24) : En tant que les hommes sont sujets aux passions, on

    ne peut pas dire quils conviennent en nature (Eth., IV, 32), et quand ils sont en proie aux

    affects qui sont des passions, ils peuvent tre contraire les uns aux autres (Eth., IV, 34) dit

    53(Eth., IV, 35) : Cest en tant seulement quils vivent sous la conduite de la raison que les hommes

    ncessairement conviennenttoujours en nature (cest moi qui souligne).

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    Spinoza avec une sorte de froideur clinique derrire laquelle il faut savoir apercevoir toute la

    violence du monde.

    Rien nest plus tranger Spinoza quune vision morale de lhomme, quelle choisisse

    dexalter sa bont naturelle ou de maudire la prsence en lui du mal . Cest sans doute

    pourquoi, ne se liant aucun de ces partis pris usuels de la lumire ou de lobscur, il

    lui est plus facile de voir positivement en le conatus aussi bien la possibilit de lassertion

    unilatrale que de lassociation. Quoique procdant en dernire analyse du mme lan en vue

    de la puissance, cette alternative offerte laction conative et les combinaisons varies quil

    est possible dimaginer partir des deux registres assertif et associatif promettent la thorie

    du conatus un pouvoir gnrateur certain. Mais cette dualit ne vaut pas pour autant symtrie.

    Et au moment denvisager la dynamique des passions collectives, et les rquisits subsquents

    quelle fait peser sur les structures politiques, Spinoza dit sans ambigut lequel des deux

    ples lemporte le plus souvent sur lautre et donne sa tonalit dominante la vie sociale :

    En tant que les hommes sont en proie la colre, lenvie ou quelque sentiment de haine,

    ils sont entrans loppos les uns et des autres et contraire les uns aux autres () Comme

    maintenant les hommes sont trs sujets par nature ces sentiments, ils sont aussi par nature

    ennemis les uns des autres 54.

    54(TP, II, 14).

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