Mich¨le Chauvel int©ress© ©nerv© ext©nu© = ©puis© Il est ©puis© par sa journ©e de travail
LORDON_Fréderic__Metaphysique_des_luttes
Transcript of LORDON_Fréderic__Metaphysique_des_luttes
-
8/3/2019 LORDON_Frderic__Metaphysique_des_luttes
1/29
1
MTAPHYSIQUE DES LUTTES
Frdric LORDON*
Il semblera certainement beaucoup que parler de mtaphysique dans le cadre dun
discours de science sociale relve dun invraisemblable solcisme intellectuel doubl dune
profonde rgression. Il est en effet une tradition pistmologique maintenant tablie de longue
date qui tient pour un acquis irrversible davoir spar philosophie et science. Comme on
sait, le geste sparateur remonte Kant qui formule la question Que puis-je connatre ?
avec la ferme intention dexclure du champ de la rponse les entits thres ltre, Dieu,
lme, lessence, lternit, bref toutes les choses prcisment rpertories pour tre du
domaine de la mtaphysique. Le savoir en vrit, nous dit Kant, ne saurait avoir dautre
domaine que les objets dexprience sensible. Il y aura donc dun ct la science qui connat
vraiment, de lautre la mtaphysique laisse ses ratiocinations spculatives, et au milieu la
philosophie critique, gardienne des frontires. Dune certaine manire lempirisme logique et
la philosophie analytique sont les continuateurs de ce grand partage la philosophie pour
Wittgenstein nest-elle pas la surveillante des jeux de langage, et sa tche spcifique le tri des
problmes senss et des problmes absurdes ?
Si donc il semble acquis dans la norme intellectuelle daujourdhui que la philosophie
nait plus rien dire sur le monde lui-mme, comment seulement envisager, si ce nest
rgressivement, de chercher une inspiration dans la philosophie classique, comme on va le
proposer tout lheure ? En revenir une philosophie antrieure lapprofondissement de la
division du travail qui, pour le plus grand profit de la connaissance dit la norme , spareraet autonomisera le domaine de la science, nest-ce pas ignorer nouveau, et
anachroniquement, la grande interdiction kantienne ? Il est pourtant deux faons de soutenir
que ce retour na rien dune rgression, la premire consistant dune certaine manire jouer
Kant contre lui-mme. Nest-il pas en effet galement celui qui donne naissance toute une
pistmologie post-empiriste et mme anti-empiriste pour laquelle le procs de connaissance
ne part jamais de rien, ne saurait se contenter des faits mmes, et sappuie toujours sur des
*CNRS, Bureau dconomie thorique et applique, Strasbourg, [email protected]
mailto:[email protected] -
8/3/2019 LORDON_Frderic__Metaphysique_des_luttes
2/29
2
a priori. Les conjectures de Popper ou les noyaux durs de Lakatos, quoique nayant aucun des
caractres du transcendantal kantien, sont tout de mme les lointains hritiers de cette ide
quon ne commence pas connatre partir du simple spectacle des faits , mais que
quelque chose est dcisoirement pos, par un dcret inaugural du chercheur, par quoi lesdits
faits vont sinon prendre sens du moins se prter spcialement la thorie .
Mais alors quels sont les a priori de la connaissance en science sociale ? On pourrait
dire que derrire toute thorie en science sociale se tient une vision fondamentale du monde
social, une ide trs gnrale des rapports de lhomme et de la socit, ou bien de la nature
des rapports principaux des hommes entre eux, en tout cas une donne de dpart qui va se
rvler informer et orienter tous les noncs ultrieurs. Cette vision, la fois par son
antriorit toute investigation empirique, son extrme gnralit puisque pour ainsi dire,
elle embrasse dun coup tout le social , dont elle donne comme une essence , par son
caractre dinspiration et de donation globale de sens, on peut lappeler une mtaphysique. Or
force est de constater que la plupart du temps cette mtaphysique demeure ltat dimplicite,
si ce nest dimpens. On imagine sans peine toutes les bonnes raisons de cette
scotomisation : si la mtaphysique, par dfinition, concentre lide la plus gnrale que se fait
un chercheur, ou un groupe de chercheurs, du monde social, ses rsonances politiques sont
immdiatement perceptibles, et cest la sacro-sainte neutralit axiologique qui se trouve
atteinte au cur. En fait, bien sr, cest cette relique encombrante et inapproprie quil
faudrait abandonner sans regret. Mais il est visiblement difficile de faire reconnatre que si
une science sociale part comme toute science de ses a priori, ceux-ci, dans ce cas prcis,
incorporent invitablement des lments de nature politique, et que la neutralit axiologique
est par consquent une chimre. Et il lest plus encore de faire ensuite admettre que ce constat
ne voue pourtant aucunement le discours thorique qui snonce partir da priori de cette
nature (d)choir du registre scientifique au registre politique sauf considrer que le
champ scientifique nest dot daucune autonomie, mme relative.A la marge de son champ et ayant dj avalis aval toutes les renonciations
propres sa position de minoritaire, la thorie de la Rgulation est sans doute mieux place
que les autres pour formuler ce constat quand tous les participants bien dans le jeu ont
encore trop esprer et ne peuvent rompre la communion de la dngation. Du simple fait de
sa position particulire, elle peut donc se payer le luxe dun surplus de lucidit, et nayant plus
grand-chose perdre, puisquelle a ds le dpart tout perdu, il ne lui en cote plus que
marginalement de dire ce que les autres refusent de voir : il y a de la mtaphysiquesociale , et par l de la politique, derrire les thories conomiques. Redcouvrir quune
-
8/3/2019 LORDON_Frderic__Metaphysique_des_luttes
3/29
3
pistmologie ne devrait pas se sparer dune sociologie du champ disciplinaire considr, et
constater que la vertu, comme les intrts de connaissance, doivent souvent beaucoup des
dterminations sociales, nenlve cependant rien lide quon gagne de toute faon rduire
les impenss et porter les implicites lexplicite. Cette opration est mme dautant plus
ncessaire que la mtaphysique dune thorie ne saurait tre considre comme un simple
supplment dme : tout au contraire, elle concentre ce que le chercheur qui sy reconnat tient
pour ses vrits les plus fondamentales ! La position de la dngation et le refus de
lexplicitation sont dautant moins tenables quils dbouchent alors sur un singulierparadoxe :
de ce quon tient pour ses vrits les plus fondamentales, on ne discutera pas ! Et le
paradoxe est plus cruel encore si lon considre que ces vrits-l sont pour une bonne
part lorigine du sens densemble que prend une construction thorique en science sociale.
Ne pourrait-on en effet soutenir, comme une thse Duhem-Quine tendue, lide dun holisme
du sens, cest--dire quune construction intellectuelle fait sens dans son ensemble, comme
runion de la construction thorique/scientifique proprement dite et de ses arrire-plans
mtaphysiques ? Et le noyau du sens cest--dire la mtaphysique devrait rester affaire
prive ? On en parle entre amis, mais la discussion publique naura pas lieu ? Il semble, au
contraire, assez logique, que, de ce quoi nous tenons le plus nous souhaitions parler, et
comme, par ailleurs, la thorie de la Rgulation jouit en cette matire dun plus grand confort
socio-pistmologique, il nest sans doute pas trop tard pour elle de dire ce quil en est de ses
implicites, et de mettre au jour ce qui se tient derrire ses noncs les plus visibles. Do la
proposition dexplicitation de la prsente contribution : derrire la Rgulation, il y a une
mtaphysique des luttes.
Brefs aperus du politique dans la thorie de la Rgulation
Mais quy a-t-il au juste de reconnaissable et de caractristique dans la thorie de la
Rgulation qui la rende ainsi justiciable dune mtaphysique des luttes ? Si, pour paraphraser
Deleuze sinterrogeant lui-mme sur le structuralisme1, on se posait la question quoi
reconnat-on la Rgulation ? , le tout premier lment de rponse insisterait sans doute sur sa
vocation particulire rintgrerce quon a longtemps pu tenir pourles trois grands impenss
de la thorie standard, savoir lhistoire, le politique et le symbolique. Parlant de
mtaphysique des luttes, on voit bien que cest du politique quil va tre plus particulirement
1Gilles Deleuze, A quoi reconnat-on le structuralisme ? , dans Franois Chtelet (dir.), La Philosophie. Au
XXe
sicle, Paris, Marabout Histoire, 1965.
-
8/3/2019 LORDON_Frderic__Metaphysique_des_luttes
4/29
4
question, et ce nest peut-tre pas laisser exagrment distordre le propos par les intrts du
moment que de demander si le politique, en effet, ne jouit pas d une minence relative par
rapport aux deux autres ds lors quon argue, dune part que les luttes sont motrices, et que
cest parce quil y a des luttes quil y a de lhistoire en mouvement ; et, dautre part, que les
luttes se dplacent ncessairement dans limaginaire et, de politiques, deviennent
symboliques.
Ce qui nest pas contestable en tout cas, cest que la TR sintresse au politique ! Mais
de quelles manires exactement ? Rponse : dans des registres varis, quil importe de
diffrencier, en reprant trois modes de prsence du thme politique au sein de la TR on les
qualifiera respectivement de phnomnologique, topologique et ontologique.
Par mode phnomnologique, il faut entendre la prise en compte du phnomne, du
fait politique et de ses effets sur les institutions du mode de rgulation conomique. Cest l
un registre typique de la premire TR2 qui i) fait de la macroconomie des rgimes
daccumulation, ii) considre que les dynamiques de croissance sont conformes par des
institutions, et iii) voit quil est des moments particulirement importants, savoir quand les
institutions sont faonnes, les rgles dictes. Or ces moments critiques ont la proprit de
faire apparatre plus clairement qu lordinaire trois des caractres du procs
dinstitutionnalisation en sa dimension spcifiquement politique : dabord lingale
distribution entre agents de la capacit peser sur ces processus de constitution ; ensuite le
poids spcifique de ltat dont les interventions sont souvent dcisives et qui reste, quoi quon
en dise, le Grand Instituteur ; enfin, plus gnralement, limportance des coups de force
inauguraux et leur recouvrement ultrieur par ce que Bourdieu a nomm lamnsie des
commencements . On comprend sans difficult pourquoi la TR est ncessairement une
conomie politique : prenant les institutions au srieux, elle tait voue rencontrer la
dimension politique de leurs procs constitutifs quelle a dabord saisi dans le registretypique des concepts intermdiaires3, lexemple canonique en la matire tant bien sr
celui des compromis institutionnaliss4. Ce mode de prsence phnomnologique du
thme politique est donc caractristique dune problmatique lorigine conomique les
rgimes daccumulation et les sentiers de croissance , mais qui rcuse demble lautonomie
2 Ici une notation purement chronologique et qui na pas grand-chose voir avec le dcoupage thmatiqueTR1/TR2 par exemple de Bernard Billaudot, Lordre conomique de la socit moderne, Paris, LHarmattan,
1996.3Robert Boyer, Thorie de la Rgulation. Une analyse critique, Paris, La Dcouverte, coll. Agalma , 1986.
4Robert Delorme et Christine Andr,LEtat et lconomie, Paris, Seuil, 1983.
-
8/3/2019 LORDON_Frderic__Metaphysique_des_luttes
5/29
5
de lconomique, saisit son objet sous une perspective institutionnaliste, peroit le poids
structurant des moments dinstitutionnalisation, et tente de cerner ce qui sy joue de
spcifique. Sans surprise, la politique advient ncessairement cette conomie-l.
Ce mode phnomnologique aura t lune des premires faons pour la TR de
travailler le thme politique, anciennet qui ne le voue aucun dclin, bien au contraire. Les
synthses et autres tats de lart rgulationnistes rgulirement produits par Robert Boyer5
attestent que cette phnomnologie du politique ne cesse de gagner en importance et de se
voir accorder une considration croissante ; et il y a l, vrai dire, tout sauf un paradoxe : si
ce mode de prsence du politique a voir avec les moments dinstitutionnalisation et de
redfinition des rgles, nul doute que la priode actuelle lui fait la part belle
Qualifier de topologique le deuxime mode de prsence du politique au sein de la
thorie de la Rgulation suffit dj en nommer le concepteur : si le travail de Bruno Thret
fait innovation dans la TR, cest parce quil lui propose dintgrer une vue du politique
sensiblement diffrente de la prcdente. la vrit, Thret propose simplement la TR
dtre consquente : quelle assume jusquau bout son identit dconomie politique et quelle
prenne enfin le politique au srieux ! , cest--dire quelle cesse davoir des usages
simplement instrumentaux de son concept et de nenvisager le politique quau travers de ses
effets sur lconomique, bref quenfin elle regarde le politique pour lui-mme. Certes dans ce
nouveau registre, le politique demeure, comme dans le prcdent, extrieur lconomique,
mais dsormais laccent est mis sur linterpntration rciproque des deux ordres puisquil y
a une conomie du politique et une politique de lconomie 6. Regarder le politique
pour lui-mme, cest donc lanalyser comme un ordre propre, selon sa logique interne, et
selon ses relations avec les autres ordres de pratique. Cette dernire attention, est spcialement
lourde de consquences puisquelle a pour effet de redployer la problmatique de la
rgulation comme temporaire mise en cohrence dun certain nombre de parties une nouvelle chelle : non plus le seul domaine macroconomique mais la formation sociale
tout entire. Il ne sagit plus en effet de regarder seulement la faon dont la complmentarit
des institutions conomiques sexprime en une certaine trajectoire de croissance mais
dinterroger la co-volution plus ou moins cohrente des ordres conomique et politique. De
5 Robert Boyer, Le politique lre de a globalisation et de la finance : le point sur quelques recherchesrgulationnistes,LAnne de la Rgulation, 3, 1999 ; La thorie de la Rgulation lpreuve des annes
quatre vingt dix , Postface, dans Robert Boyer et Yves Saillard (dir.), Thorie de la Rgulation. Ltat dessavoirs, Paris, La Dcouverte, 2002 ; Une thorie du capitalisme est-elle possible ?, Paris, Odile Jacob, 2004.6
Bruno Thret,Rgimes conomiques de lordre politique, Paris, PUF, 1992.
-
8/3/2019 LORDON_Frderic__Metaphysique_des_luttes
6/29
6
simplement macroconomique7, la rgulation devient socio-politique densemble8 ; ce qui
tient ou bien se dcompose, ce qui fait rgime ou bien entre en crise nest plus un
rgime daccumulation du capital mais un ordre social global. Ainsi lconomique nest plus
que lun des ordres figurs par cette topologie du social, certes toujours examin dans son
autonomie relative mais aussi dans son articulation avec les autres ordres notamment lordre
politique auquel il est connect par des media spcifiques (la monnaie et le droit
notamment)9.
Ce nouveau point de vue dune rgulation tendue est trs reprsentatif dune
certaine inflexion du programme de recherche de la TR et du poids croissant quy prennent les
problmatiques du politique. En effet la perspective propose par la topologie du social de
Thret a pour effet de conduire sintresser lordre politique pour lui-mme, effort qui
demeure pertinent au regard mme de la premire TR puisque comprendre les logiques
internes de lordre politique aide ipso facto mieux comprendre ses interactions avec lordre
conomique. Dans ce registre, lextension du concept de rgulation et sa gnralisation un
niveau supra-conomique livrent notamment un rsultat important : il est des configurations
institutionnelles qui font rgime au niveau conomique mais pas au niveau politique. En
dautres termes, des trajectoires conomiques structurellement stables peuvent se rvler
critiques en termes de soutenabilit politique. L o le chercheur rgulationniste premire
manire aurait lgitimement conclu lexistence dun rgime, lapproche tendue permet
dapercevoir les facteurs de rupture et de crise mais un niveau suprieur, comme le montre
par exemple linteraction des dynamiques conomiques et politiques dans le cas italien10. Le
rsultat est directement parlant dans le registre appliqu des politiques structurelles puisquil a
au moins la vertu de signaler aux amateurs de dcalcomanie institutionnelle la dangerosit de
leur entreprise : la rplication lidentique supposer quelle soit seulement possible dun
complexe dinstitutions qui se serait rvl conomiquement performant ailleurs, nest pas
pour autant assur dune soutenabilit globale ds lors quil viendrait interagir avec un ordrepolitique diffremment structur et vis--vis duquel il pourrait se rvler mal compatible.
Politique, luttes, subjectivits
7 Robert Boyer, Thorie de la Rgulation. Une analyse critique, op. cit.8 Bruno Thret, Leffectivit de la politique conomique : de lautopose des systmes sociaux la topologiedu social ,LAnne de la Rgulation, 3, 1999 ;Rgimes conomiques de lordre politique, op. cit.9
Bruno Thret, art. cit.10 Stefano Palombarini,La rupture du compromis social italien. Un essai de macroconomie politique, Paris,Editions du CNRS, 2001.
-
8/3/2019 LORDON_Frderic__Metaphysique_des_luttes
7/29
7
Si, quel quen soit le registre, le thme politique acquiert cette importance croissante
dans la thorie de la Rgulation, nest-il pas alors temps quil y prenne le statut
constitutionnel qui lui convient vraiment, celui quattestent dune certaine manire la
multiplicit de ses usages, lesquels ne sont pas le fait du hasard, ni mme un supplment ou
une cheville, mais bien lexpression de lune des caractristiques les plus profondes des
travaux en termes de rgulation ? Les approches par les concepts intermdiaires comme la
topologie des ordres de pratiques disent en effet lune et lautre la prsence fondamentale du
politique dans la vision rgulationniste du monde social. Cest cette prsence-l,
indpendamment des laborations spcifiques auxquelles elle donnera lieu ensuite, que
dsigne le registre ontologique. Le fait du monde social que la TR litcomme le plus saillant,
non pas bien sr quil exclue les autres, mais parce qu ses yeux il simpose avant eux et
devant eux, celui auquel elle accorde le plus grand pouvoir structurant, ce fait primordial
cest quil y a des rapports de pouvoir. Envisager quelque chose comme une ontologie
politique de ltre social, cest dire que sa matire mme est le conflit, cest dire le primat des
luttes et la ncessit de la guerre en premire instance. Considrer la violence et la divergence
comme faits sociaux premiers est donc bien donner un caractre politique cette ontologie
sociale, si du moins lon accepte une redfinition extensive du concept de politique comme
accommodation des conflits. On peut bien souligner le caractre trs particulier, et mmead
hoc, de cette redfinition, mais on ny trouvera pas matire une objection srieuse puisquon
est ici dans lordre des a priori et des dcrets : chacun dfinit son point de vue comme il
lentend, seuls comptent les effets. Or il est assez vident que saisir le politique par la
violence originelle et laccommodation des conflits a pour effet spcifique dengagerdans une
tout autre direction thorique que, par exemple, les approches par la souverainet ou
lautonomie du corps politique. Et lide la plus juste quon pourrait se faire de cette autre
direction pourrait sans doute tre trouve dans la proposition de Foucault dinverser laformule de Clausewitz et de considrer que la politique est la guerre continue par dautres
moyens 11. Laguerre accommode : voil lide directrice dune ontologie politique de ltre
social, le principe caractristique dune mtaphysique des luttes.
Or il y a bien l une orientation inscrite ds le dbut dans le paysage mental des
rgulationnistes. Ayant lu Marx, ils en ont retenu que si lhistoire est en mouvement, cest
quelle a un moteur: la lutte des classes. Pourrait-on mieux dire que le conflit a trouv
11Michel Foucault, Il faut dfendre la socit , Cours au Collge de France, 1975-1976, Paris, Gallimard
Seuil, coll. Hautes Etudes , 1997, p. 16.
-
8/3/2019 LORDON_Frderic__Metaphysique_des_luttes
8/29
8
demble sa place dans la vision rgulationniste du monde socio-historique ? Mais plus
fondamentalement encore, si la TR a partie lie une mtaphysique des luttes, cest parce
quelle sest originellement construite sur lide du primat de la divergence. En effet la
Rgulation est une interrogation sur la possibilit de la cohrence, du tenir ensemble ou du
faire systme, mais sachant que cette cohrence dlments pars ou htrognes nest
jamais originellement donne, quelle est toujours a priori problmatique puisqu produire
sur fond de forces centrifuges. lencontre des innombrables contresens qui font passer la TR
pour une thorie de la reproduction, il faut donc dire que la rgulation, cest de la divergence
temporairement contenue. Comme le dit Alain Lipietz, on est rgulationniste partir du
moment o on se demande pourquoi il y a des structures relativement stables alors que
logiquement elles devraient clater ds le dbut puisquelles sont contradictoires ( ) on
smerveille sur le fait quil y a des choses qui se stabilisent 12. Tel est bien lcart dcisif
qui spare la TR dune cyberntique conomique dans laquelle la rgulation napparat plus
que comme adaptation de la reproduction : la reproduction est de droit ( ) La conception
que je dfends au contraire pose le primat, le caractre absolu de la lutte, et la rgulation
comme unit temporaire de lunit et de la lutte 13. Cest bien l que commence
lmancipation des fils rebelles dAlthusser14, car coup sr la TR choisit de rompre avec
la grande glaciation des structures althussriennes o les contradictions, figes pour lternit,
ont perdu tout pouvoir dimpulsion dynamique quand elles nont pas t purement et
simplement nies. Or, nous dit Lipietz ds 1979, si lon veut retrouver le mouvement de
lhistoire il faut retourner aux contradictions fondamentales des rapports sociaux capitalistes
et leur restituer toute leur motricit. Mais do leur vient exactement ce dynamisme ? La
question nest pas superflue, et cest peut-tre pour lavoir vite trop longtemps que, de
recours thorique, la contradiction a parfois fini dans le ftichisme conceptuel, devenue chose
en soi dote dun pouvoir propre, au demeurant mystrieux. On comprend aisment que la
mauvaise solution de la rification se soit impose, les alternatives ntant pas lgion, car enfait, ce pouvoir dynamique requiert, pour tre clair daller chercher derrire la contradiction
le travail des subjectivits. Cette ide laquelle un certain structuralisme marxiste na jamais
pu se rsoudre, Lipietz en fait le principe de la scession rgulationniste davec
lalthussrisme : ce qui manque chez Althusser, cest la subjectivit () et cest parce quil
12 Alain Lipietz, De lapproche de la Rgulation lcologie politique : une mise en perspective historique ,entretien avec G. Cocco, F. Seba et C. Vercellone, Ecole de la Rgulation et critique de la raison conomique,
Futur Antrieur, Paris, LHarmattan, 1994, p. 77.13
Alain Lipietz, art. cit., p. 38.14 Alain Lipietz, De lalthussrisme la thorie de la Rgulation, Couverture Orange CEPREMAP, n8920,1989.
-
8/3/2019 LORDON_Frderic__Metaphysique_des_luttes
9/29
9
manque la subjectivit quil manque la contradiction () La faiblesse du structuralisme, cest
quil ne voit pas que les agents porteurs de structures sont des sujets toujours en conflit 15.
Nous voici donc au nexus thorique :
i) La TR conoit la rgulation sur fond de divergence.ii) Elle a toujours en tte la possibilit de la crise et le changement.iii) Si elle pense la dynamique et le changement, cest parce quelle ne perd jamais de
vue la contradiction.
iv) Or la contradiction opre concrtementpar le conflit des agentsv) cest--dire sous le travail des subjectivits
En dautres termes, et en reparcourant de laval vers lamont la chane des rquisits
thoriques : la crise est un effet de la dynamique qui elle-mme procde des contradictions,
lesquelles appellent les subjectivits. sa manire Billaudot ne dit pas autre chose : pour
passer de TR1 TR216 et se colleter enfin et pour de bon les institutions et le changement
institutionnel, il faut ne pas tout accorder aux structures mais aller voir les pratiques. Pour tre
complte, la construction rgulationniste demanderait donc une thorie des subjectivits ;
problme : elle ne la pas. En 1994, Lipietz le reconnat sans barguigner: la rupture que la
TR a opre par rapport au marxisme structuraliste sest limite une historicisation des
catgories. En revanche elle ne sest pas tendue une thorie des subjectivits 17. On
pourrait trouver curieux que celui l mme qui navait pas t le dernier critiquer ses petits
camarades pour individualisme mthodologique en appelle aussi ouvertement aux
subjectivits, concept bien peu structural et qui donne la fugue des fils rebelles des
airs de franche dlinquance. Il nempche : il y a quelque chose de juste dans lanalyse mme
si au total elle dbouche moins sur une solution que sur un nouveau problme : puisquil
savre quelles sont ncessaires, comment penser les subjectivits sans retomber, comme
aurait pu dire un auteur que les rgulationnistes aiment bien, dans la mme vieille gadoue
subjectiviste ? Lalthussrisme avait tranch radicalement en se dbarrassant et dusubjectivisme et des subjectivits. Les sciences sociales subjectivistes ont conserv
pieusement ces dernires mais ont perdu les structures. Quant Lipietz, il nous laisse le
problme au moment o il tire sa rvrence et sen va vers dautres cieux
15
Alain Lipietz, 1994, art. cit., p. 81.16 Bernard Billaudot,Lordre conomique de la socit moderne, op. cit.17
Ibid. p. 80.
-
8/3/2019 LORDON_Frderic__Metaphysique_des_luttes
10/29
10
Or il se pourrait que lever cette difficult et donner un sens plus prcis lide dune
mtaphysique des luttes seffectuent du mme mouvement et avec le secours du mme
auteur : Spinoza.
3. Le point de vue du conatus : une thorie non subjectiviste de
laction individue
Si la reformulation adquate dun problme est dj la moiti de sa rsolution, peut-
tre est-il opportun denvisager que ce dont la TR a besoin nest pas tant une thorie des
subjectivits quune thorie de laction, et mme plus prcisment une thorie des ples
individus daction. Or une thorie non subjectiviste de laction individue est sans doute lundes apports les plus prcieux de lEthique lue du point de vue des sciences sociales. Par
mtonymie on peut en effet tenir le conatus pour la dsignation dun tel ple individu
daction. Effort que chaque chose dploie pour persvrer dans son tre (Eth., III, 6), le
conatus est lexpression immdiate dune ontologie de lactivit et de la puissance, cest--
dire dune ontologie qui considre pour chaque chose quexister cest sactiver pour effectuer
ses puissances. Si lexistence est ainsi effort et activit, elle est par suite lan, pousse,
momentum, et ce sont l autant de prdicats qui font du conatus un principe fondamentalementdynamique cest--dire un point de dpart a priori intressant pour une thorie de laction
oriente vers les faits de transformation institutionnelle et historique. Moteur fondamental de
laction individue, et peut-tre mme principe dindividuation par laction, le conatus ne
dtermine pourtant aucune thorie individualiste de laction. Pour lapercevoir il faut en effet
se poser la question de savoir comment le conatus, lan intransitif et force gnrique, trouve
des orientations dtermines, vient se mouvoir en direction de tel ou tel objet spcifique, et
sactualise comme effort pour persvrerin concreto dans telle ou telle forme de ltre social,
cest--dire en tant que ceci ou cela. Cest par ce procs dactualisation que le conatus se fait
principe dactions concrtes et dtermines, et cest par lui du mme coup quil rvle sa
profonde htronomie. Car les dterminations qui lui manquent pour passer de ltat de force
dexister absolument gnrique celui dlan orient lui viennent pour lessentiel du dehors.
Force dabord sans point dapplication, le conatus trouve ses azimuts et ses objets
poursuivre sous leffet de causes extrieures qui lui dsignent le dsirable et le dterminent
-
8/3/2019 LORDON_Frderic__Metaphysique_des_luttes
11/29
11
sefforcerspcifiquement18. Ainsi, par exemple, le conatus sactualise comme effort de
persvrer dans ltre en tant que sportif professionnel, plutt que comme capitaine
dindustrie, sous leffet de dterminations positionnelles et structurales dont le principe lui
chappe. Cest donc notamment la place occupe par lindividu dans la structure sociale qui le
dtermine effectuer ses puissances dans telle ou telle direction, par la poursuite de tel ou tel
objet. Aussi ny aurait-il pire contresens que de voir dans le point de vue spinoziste du
conatus une sorte de monadologie de la puissance. Pour tre une force individue jointe un
principe fondamental dintressement soi19, le conatus ne jouit cependant daucune sorte de
souverainet ni daucune capacit dautodtermination20. Bien au contraire, lan intransitif et
en quelque sorte toujours dabord en suspens, en attente dune transitivation , il nepasse
laction que sous leffet dimpulsions extrieures, par consquent dans la plus grande
htronomie. On ne saurait donc en aucun cas voir dans le conatus un sujet au sens classique
du terme, quon aurait simplement prdiqu de puissance . Loin dtre une monade
indpendante, le conatus est structur et actualis dans et par des rapports. Cest pourquoi son
concept ralise la performance en apparence paradoxale de fournir la base dune thorie de
laction individue et cependant de demeurer dans un cadre gnral quon pourra qualifier
sans hsiter danti-humaniste thorique. dfaut de conduire la dmonstration jusquau
bout21
, il est au moins possible de donner en quelques aperus une ide de la vision spinoziste
de lhomme conatif, noyau de puissance mais dpourvu de presque tout pouvoir
dautodtermination, et ceci alors mme quil ne cesse de nourrir lillusion de sa propre
libert : Les hommes se trompent quand ils se croient libres ; car cette opinion consiste en
cela seul quils sont conscients de leurs actes et ignorants des causes qui les dterminent
(Eth., II, 35, scolie) ; ceux-l donc qui croient parler ou se taire, ou bien accomplir quelque
action que ce soit par un libre dcret de lesprit rvent les yeux ouverts (Eth., III, 2,
scolie)
Echappant radicalement aux approches subjectivistes de laction, le conatus eststructur dans les structures, mais rciproquement il sactive dans les structures, il y est une
nergie, il y dploie sa force motrice. On avait pu, bon droit, reprocher au structuralisme,
18 Pour davantage de dtails sur les mcanismes affectifs htronomes de constitution des relations dobjetsprsents dans la partie III de lEthique, voir par exemple Frdric Lordon, Conatus et institutions ,LAnnede la Rgulation, 7, 2003-a.19 Frdric Lordon,Lintrt souverain. Essai danthropologie conomique spinoziste, Paris, La Dcouverte,2006.20 Frdric Lordon, Revenir Spinoza dans la conjoncture intellectuelle prsente,LAnne de la Rgulation,
7, 2003-b.21Pour plus dlments sur une caractrisation structuraliste et anti-humaniste thorique du point de vue du
conatus, voir Frdric Lordon, 2003-a, -b, art. cit,.
-
8/3/2019 LORDON_Frderic__Metaphysique_des_luttes
12/29
12
notamment althussrien, de ne montrer que des structures inhabites et pour ainsi dire
minrales. Le conatus y injecte de la quantit de mouvement, capable mais videmment
sous des conditions particulires de les faire bouger nouveau. Aussi le point de vue
spinoziste propose-t-il la Rgulation ce qui lui manque depuis quelle en appelle penser
pour lui-mme le changement institutionnel, savoir une thorie non subjectiviste,
structuraliste et dynamique de laction individue, et ceci sous la forme particulire dune
thorie des forces vives.
Mais il est un autre moyen, peut-tre dailleurs plus convaincant, de donner une ide
de la TR-compatibilit de lapport spinoziste, et qui consiste montrer combien ceux des
rgulationnistes qui sont alls le plus loin pour penser les mobiles de laction se sont
approchs quoique sans le savoir de quelques unes des intuitions centrales du point de vue
du conatus. Cest tout particulirement le cas chez Michel Aglietta et Andr Orlan22,
conduits, par la logique mme de leur projet dune thorie montaire, formuler une
anthropologie comportementale de lchange marchand. Le primat du dsir qui en est
certainement le trait le plus remarquable, est loprateur dune double rupture, non seulement
avec la thorie noclassique qui, se donnant les prfrences, veut laisser ces choses-l caches
dans la fonction dutilit et nen surtout pas dbattre, mais aussi avec le marxisme dont il est
une tache aveugle : on lui [le marxisme, NdA] reconnat volontiers la plus profonde analyse
du travail jamais faite mais on signale son incapacit accueillir une analyse du dsir 23. Or
quest ce que le conatus, sinon, pour reprendre lexpression de Pierre Macherey, une force
de dsir qui propulse indfiniment les individus dans lexistence 24 ? Cest bien ce que
confirme sans la moindre ambigut le texte de lEthique. Car leffort par lequel chaque
chose sefforce de persvrer dans son tre nest rien en dehors de lessence actuelle de cette
chose (Eth., III, 7), or quand cette chose est un homme, son essence laquelle est
identifie son conatus nest rien dautre, sous une certaine dtermination, que du dsir: le
dsir est lessence mme de lhomme en tant quelle est conue comme dtermine, par unequelconque affection delle-mme, accomplir une action (Eth., III, Def. 1 des affects).
Bien sr il ne suffit pas de former le projet dune thorie du dsir pour se trouver de
droit ou de fait dans le registre propre du spinozisme et, de ce point de vue, il demeure entre
lanthropologie montaire dAglietta et Orlan et lonto-anthropologie du conatus un cart de
22 Michel Aglietta et Andr Orlan,La violence de la monnaie, Paris, PUF, 1982 ;La monnaie entre violence etconfiance, Paris, Odile Jacob, 200223
Michel Aglietta et Andr Orlan,La monnaie entre violence et confiance, op. cit., p. 13.24 Pierre Macherey,Introduction lEthique de Spinoza. La troisime partie. La vie affective, Paris, PUF, 1998,p. 144.
-
8/3/2019 LORDON_Frderic__Metaphysique_des_luttes
13/29
13
taille : la thorie girardienne laquelle Aglietta et Orlan empruntent procde dune ontologie
du manque qui fait du dsir le moyen (illusoire) de comblement dun dficit. lexact
oppos, le spinozisme est une ontologie de la pleine et intgrale positivit de ltre, do se
trouve radicalement exclue toute ide de manque, de dfaut ou dimperfection. Llan du
conatus ne rpond aucune bance prexistante, aucun mobile de remplissage dun vide qui
serait sans cesse recr par quelque lacune ontologique, il est dsir pleinement positif
deffectuation de puissance. la vrit, signaler cette diffrence doit surtout un souci
dexactitude, et il nest pas certain que ces considrations, pour le coup trs mtaphysiques,
fassent un obstacle rdhibitoire un ventuel rapprochement de la thorie montaire
rgulationniste et du point de vue spinoziste25. Ce devrait tre dautant moins le cas que par
ailleurs, ce dernier sexprime dans des propositions qui rsonnent trangement avec quelques
unes des intuitions principales dAglietta et Orlan :
1. Du primat du dsir conatif rsulte en effet une perte complte de substance de lavaleur : Nous ne nous efforons pas vers quelque objet, nous ne le voulons, ne le
poursuivons, ni ne le dsirons pas parce que nous jugeons quil est un bien, mais au
contraire nous ne jugeons quun objet est un bien que parce que nous nous efforons
vers lui, parce que nous le voulons, le poursuivons et le dsirons (Eth., III, 9, scolie).
Il sagit l dun renversement complet du lien ordinairement tabli entre dsir et
valeur. Loin que des valeurs donnes ex ante dterminent le dsir, cest au contraire la
valeur qui est constitue par le dsir et par ses investissements. Or tel est bien le sens
de lentreprise dAglietta et Orlan qui entendent faire de la monnaie un effet
purement relationnel, sans aucune valeur-substance qui lui prexisterait et quelle
aurait pour tche dexprimer. lexact oppos de toute fonction expressive, la
monnaie est loprateurde la valeur, et cette dernire nest trouver ni dans lutilit,
ni dans le temps de travail, ni dans quelque autre donne objective. Dune certaine
manire cest l exactement la signification du scolie de (Eth., III, 9) qui pense lavaleur comme un effet de projection subjective, et plus exactement intersubjective.
2. Car en effet, si le dsir nest pas rgl sur des valeurs objectives prexistantes, alorscomment est-il dtermin sorienter vers ceci plutt que cela ? Lune des principales
25Cette possibilit tant dmontre en acte dans un travail qui fait le constat dun isomorphisme assez frappant
entre le modle spinoziste de gense de ltat du Trait politique et le modle de gense de la monnaie dAndrOrlan et par consquent livre la premire esquisse dune thorie spinoziste etrgulationniste de la monnaie :voir Frdric Lordon, Andr Orlan, Gense de ltat et gense de la monnaie : le modle de la potentia
multutidinis, Document de travail de la Rgulation, http://web.upmf-grenoble.fr/lepii/regulation/wp/seriec.html,, paratre dans Yves Citton et Frdric Lordon (dir.), Spinoza et lessciences sociales, Paris, Editions Amsterdam, 2008.
http://web.upmf-/ -
8/3/2019 LORDON_Frderic__Metaphysique_des_luttes
14/29
14
rponses de Spinoza est peut-tre la plus susceptible de faire spectaculairement cho
la thorie montaire dAglietta et Orlan : les dsirs sont dtermins par des
mcanismes affectifs associatifs, et au premier rang dentre eux limitation. Ainsi le
dsir est mimtique ! Girard ne sait visiblement pas que Spinoza la pens avant lui. Et
pourtant, cest l un point central dans lanalyse spinoziste de la vie affective
collective. Avec au surplus cette diffrence que limitation des affects de dsir est chez
Spinoza le rsultat dune dmonstration (Eth., III, 27)26 et non une postulation.
Lintersubjectivit mimtique laquelle ne demande dailleurs qu se complexifier
immdiatement au travers de mcanismes proprement sociaux est donc, l aussi,
loprateur de la valeur , savoir de la production/dsignation du dsirable. Et cest
par un isomorphisme tout fait remarquable que la production daffects communs par
la convergence imitative, se trouve au principe de lmergence de ltat dans le Trait
politique27, comme de la gense de la monnaie dans le modle dOrlan28.
3. Enfin on ne peut qutre frapp de ce que la scne originelle de la sparationmarchande considre par Orlan29 pour reconstituer la gense de la monnaie figure
des ples individus sefforant pour leur conservation. La monnaie a donc
fondamentalement voir avec le conatus puisquelle a partie lie avec lun des
rquisits les plus lmentaires de la persvrance dans ltre la reproduction
matrielle. Aussi cette scne originelle consonne-t-elle remarquablement avec
celle que Matheron30
dessine lui-mme, dont il fera le paysage dune gense thorique
spinoziste de ltat, et quil intitule : la sparation : individualit lmentaire et
luttes concurrentielles .
4. et une mtaphysique des luttes
Sil apparat non seulement que le point de vue du conatus est adquat au projet dune
thorie non subjectiviste de laction individue et quau surplus, bien des gards, il rvle
dj sa compatibilit avec lapproche rgulationniste, il reste se demander en quoi cette
26 Du fait que nous imaginons quun objet semblable nous et pour lequel nous nprouvons aucun affect, estaffect dun certain affect, nous sommes par l mme affect dun affect semblable (Eth., III, 27).27
Voir la lecture du Trait politique dans Alexandre Matheron, Individu et communaut chez Spinoza, Paris,Editions de Minuit, 1988, chapitre VIII, et Alexandre Matheron, Lindignation et le conatus de ltatspinoziste , dans Myriam Revault dAllones et Hadi Rizk (dir.), Spinoza : puissance et ontologie, Dijon,Editions Kim, 1994.28
Voir Frdric Lordon, Andr Orlan, 2008, art. cit.29 Voir le chapitre dAndr Orlan dans cet ouvrage.30
Alexandre Matheron,Individu et communaut chez Spinoza, op. cit.
-
8/3/2019 LORDON_Frderic__Metaphysique_des_luttes
15/29
15
onto-anthropologie de lactivit, de la persvrance et du dsirdtermine une mtaphysique
des luttes. sa faon, Alexandre Matheron reformule la question ainsi : pourquoi les
conatus individuels, au lieu de coexister harmonieusement et pour toujours, se font-ils
concurrence les uns aux autres ? Pourquoi Dieu modifi en Allemand doit-il, comme le dit
Bayle, tuer Dieu modifi en Turc31 ? 32. Et Matheron de suggrer immdiatement la rponse :
Tout le mal, nous allons le voir, vient de lEtendue 33
Evidemment, telle quelle, la formule demeure passablement mystrieuse En
dfinitive34 elle prend pourtant sens assez simplement en posant que sous lattribut de
lEtendue, cest--dire dans lordre de la manifestationspatiale des modes35, les conatus sont
vous se rencontrer, et le plus souvent se contrarier savoir, faire mouvement dans des
directions opposes. On fait souvent remarquer, et dailleurs trs juste titre, que la
philosophie de Spinoza exclut absolument toute ngativit et par l ignore dlibrment la
contradiction36,37
caractristique sans doute lorigine de certains de ses rapports difficiles
avec le marxisme. Mais si le spinozisme nest pas une philosophie de la contradiction, il est
coup sr une philosophie de la contrarit ou bien, pour le dire moins classiquement mais
plus prcisment, une philosophie du contrariement. Et cest bien parl que le spinozisme et
le marxisme, qui ont par ailleurs tant daffinits, trouvent se r-accorder, et ceci davantage
encore mesure quon sloigne du plan conceptuel de lontologie o la question de la
ngativit est dcisive pour se rapprocher de celui des sciences sociales o elle compte
moins pour elle-mme que pour ses effets. Quand Laurent Bove voque le corps sujet des
contraires 38 o il peut tre question aussi bien du corps politique que du corps humain
cest bien pour restituer, quoiquen toute conformit avec les rquisits les plus fondamentaux
de la philosophie de Spinoza, tout le potentiel de laffrontement des parties dans la dynamique
du tout. Et cest galement ce quAglietta et Orlan crivent pour leur part en notant quau-31
Il nest pas inutile de donner quelques explications susceptibles de rendre cette tournure plus aisment
comprhensible pour des lecteurs peu habitus au lexique de la philosophie spinoziste. Le Dieu de Spinoza, loinde toute parent avec le Dieu transcendant, et gnralement anthropomorphe des religions monothistes, estlautre nom de la Nature naturante, cest--dire le principe de production de toute chose. Ces choses, auxquellesSpinoza donne le nom de modes , ou modes finis , expriment(Deleuze, 1968) la puissance de la Nature-Dieu, de sorte quil est possible de dire que les tants ne sont pas autre chose que Dieu modifi littralement :fait mode en ceci ou cela.32 Alexandre Matheron,Individu et communaut chez Spinoza, op. cit., p. 24.33Id.34 Cette clause signifiant : en passant sous silence des problmes mtaphysiques dune redoutable complexit ;voir ce sujet Alexandre Matheron, Individu et communaut, op. cit., chap. II.35 Car les modes se manifestent simultanment sous lattribut de lEtendue (comme choses matrielles) et souslattribut de la Pense (comme esprits).36 Ainsi par exemple (Eth., III, 4) : Une chose ne peut tre dtruite que par une cause extrieure .37
Voir notamment Pierre Macherey,Hegel ou Spinoza, Paris, La Dcouverte, 1990.38 Laurent Bove, Le corps sujet des contraires et la dynamique prudente des dispositiones corporis,Astrion,3, revue en ligne, http://asterion.revue.org, septembre 2005.
http://asterion.revue.org/ -
8/3/2019 LORDON_Frderic__Metaphysique_des_luttes
16/29
16
del du cas despce de la monnaie les institutions sont issues de la violence du dsir
humain et leur action normalisatrice sur lui provient de leur rapport dextriorit au choc des
dsirs qui se contrarient les uns les autres 39.
Ainsi, de llan des conatus, suivent ncessairement laffrontement et les luttes. Car,
effectuations de puissance, pulsions dexpansion, et mouvements daffirmation de soi, le plus
souvent ports, par le mcanisme dimitation des affects, poursuivre les mmes objets, les
conatus se croisent et se contrarient, ils se rencontrent et ils se heurtent. Et ces heurts sont la
matire mme dune politique. On pourrait donc redfinir la politique en disant qu elle
commence avec le choc des conatus, quelle est essentiellement le travail daccommodation
du heurt des conatus. Cest pourquoi lontologie du conatus est immdiatement politique et
que, dterminant une agonistique gnrale, elle dbouche sur une mtaphysique des luttes.
Sil ne faut pas donner aux arguments tymologiques plus de force probatoire quils nen ont
vraiment, on peut tout de mme se plaire lire cette confirmation de la lutte comme corrlat
du conatus-momentum au travers des variations smantiques du mot animosit, dont la
signification contemporaine exprime la pugnacit et la bellicosit que lon sait, mais dont le
sens littral ne dsigne pas autre chose que le caractre de ce qui est anim ainsi la bataille
est-elle le produit ncessaire du mouvement des puissances.
Cette gnralit de la guerre pose ipso facto une question de rgulation puisquil faut
bien sinterroger sur les raisons pour lesquelles lordre social nest pas quun chaos violent. Et
cest bien pourquoi la mtaphysique des luttes est adquate la thorie de la Rgulation qui
pense le primat de la divergence etles modes de sa contention. Nous voil donc rendus ici
cet arrire-plan mtaphysique de toute thorie, cette vision fondamentale du monde social
dont la puissance spcifique apparat dans le simple rapport de sa compacit propre une
mtaphysique sociale tient en une ou deux ides canoniques peine et de son empire sur
la production thorique, quelle prdtermine pour une trs large part. Rarement dite mais
prsente dans tous les esprits, immdiatement identifiable par le sens pratique de tous lesprotagonistes du champ acadmique, aussi bien amis qu ennemis , la mtaphysique est
cette sorte de foyer gravitationnel qui tient en son orbite tous les noncs de sa thorie, et
dailleurs rend ceux-ci assignables au premier coup dil. Ne suffit-il pas dune lecture
peine pour reconnatre, classer et trouver une nouvelle confirmation : cest bien deux
a, et cest bien toujours a quils ont dans le crne ? Ainsi, par exemple et au hasard, ce
que la Rgulation a dans le crne nest pas le monde comme interlocution entre sujets
39Michel Aglietta, Andr Orlan, La monnaie entre violence et confiance, op. cit., p. 15, cest moi qui souligne.
-
8/3/2019 LORDON_Frderic__Metaphysique_des_luttes
17/29
17
raisonnables ou comme coordination des tres moraux40. La question do part la
mtaphysique des luttes, et mme par laquelle elle se constitue, est tout autre. Cest la
question de la coexistence des puissances. Voil sans doute le bout particulier par lequel la
thorie de la Rgulation attrape le monde social et qui, par del la diversit de ses noncs,
dtermine le plus profondment sa facture. Il est dailleurs des domaines et des travaux o
cette mtaphysique des luttes nest pas quun implicite ou bien une strate sous-jacente, mais
se montre tout fait dcouvert. Nest-ce pas le cas typiquement pour une thorie montaire
qui se place demble sous lgide de la violence de la monnaie 41, ou bien encore de
lanalyse des grands affrontements du capitalisme financiaris saisis comme politique du
capital , cest--dire comme accommodation plus ou moins rgle de luttes conatives pour la
survie capitalistique42
. Sur un mode plus gnral, lintention dAmable et Palombarini43,
passant par Machiavel, est bien galement de redire que le monde social nest dabord que
luttes, et que le conflit est la donne premire dune ontologie de ltre social. Cest pourquoi,
avertit Machiavel, le dni du conflit est le trfonds de linanit et malheur aux
dngateurs ! : la distance est si grande entre la faon dont on vit et celle dont on devrait
vivre, que quiconque ferme les yeux sur ce qui est et ne veut voir que ce qui devrait tre
apprend plutt se perdre qu se conserver (Le Prince, chap. XV). De cette prudence de la
lucidit, tout est fait pour avoir marqu Spinoza dont on ne stonnera pas ds lors quil
rende plusieurs fois hommage au trs pntrant Florentin (TP, X, 1) , depuis lcart fatal
entre le monde social rv et le monde social rel ils (les philosophes ) conoivent les
hommes () non tels quils sont mais tels queux-mmes voudraient quils fussent (TP, I, 1)
jusqu limpratif de la conservation et Machiavel le dit en des termes que Spinoza
pourrait entirement reprendre son compte : le Prince a pour devoir propre de permettre
ltat de durer, de se maintenir cest--dire de persvrer (chap. XIX). Pourtant, si
Machiavel a quasiment lintuition du conatus, il nen a pas le concept. Mais cest quil na pas
pour projet de dployer un appareil philosophique. Et il faut suivre ici linterprtation deGramsci pour qui Machiavel ne propose pas un systme, ni ncrit un Trait : il lance un
Manifeste, avec toutes les intentions caractristiques du genre auxquelles un autre
Manifeste fait cho44 Spinoza ontologise Machiavel ajoute Laurent Bove45 pour
40Voir Bruno Amable, Stefano Palombarini, Lconomie politique nest pas une science morale, Paris, Raisons
dAgir, coll. Cours et Travaux , 2005.41 Michel Aglietta et Andr Orlan,La violence de la monnaie, op. cit.42 Frdric Lordon,La politique du capital, Paris, Odile Jacob, 200243
Bruno Amable, Stefano Palombarini, Lconomie politique nest pas une science morale, op. cit.44 Le Prince de Machiavel pourrait tre tudi comme une illustration historique du mythe sorlien, cest--dire dune idologie politique qui se prsente non pas comme une froide utopie ou une argumentation
-
8/3/2019 LORDON_Frderic__Metaphysique_des_luttes
18/29
18
marquer la diffrence des registres. Et si toutefois, bien des gards, le Trait politique peut
sembler par moment comparable en genre auPrince, il nen est pas moins adoss et ancr au
massif thorique de lEthique, cette Physique des forces conatives et des affects je
considrerai les actions humaines et les apptits comme sil tait question de lignes, de
surfaces et de corps 46 dont le Trait dploie les principes fondamentaux dans lespace
institutionnel de la vie collective. Et cest sans doute la raison pour laquelle lensemble quils
constituent insparablement offre lune des plus puissantes machines produire des
programmes de recherche en science sociale.
5. Pour une conomie gnrale de la violence
De tous ces programmes, il en est un qui, exprimant immdiatement lide directrice
de la mtaphysique des luttes, pourrait tre intitul conomie gnrale de la violence . Si
en effet lontologie du conatus dbouche ncessairement sur une agonistique gnrale et pose
la question de la coexistence des puissances, alors elle fait aussitt surgircomme problme la
matrise sociale de la violence conative, cest--dire un problme de rgulation qui
pourrait tre ainsi formul : comment accommoder la contradiction de la conservation
ncessairement mutuelle de conatus ncessairement antagonistes ? Il entre de plein droit dans
un programme dune telle nature de faire lhistoire des dclinaisons du principe rivalitaire
fondamental et des mises en forme successives des nergies conatives agonistiques. Or cest
l videmment une entreprise qui demande tre poursuivie dans de nombreuses directions.
En indiquer quelques unes, mme trs brivement, est un moyen de donner une ide de la
varit des objets saisissables par ce programme de recherche, celui-l mme, faut-il le
rappeler, qui procde immdiatement de la mtaphysique des luttes varit des objets et
aussi des approches disciplinaires qui peuvent trouver y investir leur logique propre puisque
lanthropologie, la sociologie, et lconomie mais bien sr une conomie politique,
institutionnaliste et historiquepeuvent y tre intresses.
Lanthropologie, et sans doute en tout premier lieu, car sil est une solution de
contention de la violence conative dont on peut estimer quelle aura fait innovation
doctrinaire, mais comme la cration dune imagination concrte qui opre sur un peuple dispers et pulvrispour y susciter et y organiser une volont collective , Gramsci (1975), p. 417.45 Journe Lconomie gnrale des pratiques, Dpartement philosophie-sociologie, Universit de Picardie,
Amiens, 7 mai 2004 ; voir aussi Laurent Bove, De la prudence des corps. De la physique au politique ,Introduction au Trait politique, Paris, Classiques de Poche, 2002.46
Eth., III, Prface.
-
8/3/2019 LORDON_Frderic__Metaphysique_des_luttes
19/29
19
civilisationnelle, cest bien le don/contre-don47. Lui reconnatre cette minence toute
particulire na rien dinjustifiable ds lors quon en revient aux donnes les plus
fondamentales du problme de la violence conative et quon aperoit la solution quy apporte
le don/contre-don dans ce registre mme. Car en effet, le conatus est potentiel de violence
proportion de ce quil est spontanment captateur et pronateur. Le conatus, cet gocentrisme
fondamental, est lexpression de ce quune existence est avant tout proccupe delle-mme.
Par consquent son geste le plus immdiat est de prendre pour soi, de mettre la main sur et
ventuellement darracher des mains dautrui (Lordon, 2005-a). Aussi la violence pronatrice
est-elle le corrlat ncessaire de linteraction des conatus ltat de nature, et le dfi premier
de leur coexistence pacifie. Or sous ce rapport, le don/contre-don vient prcisment affirmer
lobligation de donner, quon peut lire a contrario comme la prohibition du prendre sauvage,
reconnu pril social par excellence. Si la pronation sans frein est ce ferment violent qui
menace sans cesse le groupe de dcomposition, alors le don/contre-don en est prcisment
lantidote puisquil dresse le rempart dun cycle dobligations rciproques48, do le prendre
est absolument exclu si ce nest sous la forme hautement domestique du recevoir. Mais
lopration du don/contre-don est en fait plus subtile encore car en ralit, sous les dehors de
linversion radicale, le donner est un prendre transfigur puisque donner les choses cest
acqurir la gloire. Cest dailleurs l sans doute tout ce qui a fait non seulement lefficacit
mais aussi la viabilit civilisationnelle du don/contre-don lequel, pour ainsi dire, ne prend pas
le parti de barrer purement et simplement llan pronateur du conatus, mais fait le choix de le
rediriger vers dautres objets, dune autre nature, des objets symboliques prestige et
honneurs dont la conqute concurrentielle ne menace plus le groupe, mais bien au contraire
travaille le consolider. Ainsi, en une extraordinaire opration de symbolisation et de
sublimation du prendre conatif, le don/contre-don substitue la prise sauvage dobjet la
conqute rgle du prestige49.
Si le don/contre-don fait paradigme comme solution dorganisation de la violence,cest parce que, le conatus ne pouvant tre extirp, ni son geste pronateur dfinitivement
dsarm, il est la fois plus conome, et aussi sans doute plus productif, den accepter la
prsence active mais de la mettre en forme convenablement, notamment en la dirigeant vers
des objets spciaux des objets symboliques pour la prise rgle desquels il est alors
47 Frdric Lordon,Lintrt souverain. Essai danthropologie conomique spinoziste, Paris, La Dcouverte ; Le don tel quil est et non tel quon voudrait quil ft, Revue Du MAUSS semestrielle, n 27, 2006.48
Marcel Mauss, Sociologie et anthropologie, Paris, PUF, 1950.49 Pour des dveloppements beaucoup plus substantiels de cette thse, prsente ici cursivement, voir FrdricLordon,Lintrt souverain. Essai danthropologie conomique spinoziste, op. cit., chap. I.
-
8/3/2019 LORDON_Frderic__Metaphysique_des_luttes
20/29
20
socialement lgitime de sefforcer. Cest bien cette solution gnrale de sublimation sociale
de la violence pronatrice des conatus, dont le don/contre-don ralise linvention historique,
qui se trouve dcline dans de trs nombreux univers sociaux, et notamment dans ceux que
Bourdieu nomme des champs. Une certaine forme dinterrogation sociologique trouve donc
son compte dans cette perspective dune conomie gnrale de la violence, pourvu par
exemple quelle accepte de voir les champs comme les thtres dune agonistique institue.
Telle est bien la caractristique en tout cas de certains dentre eux qui se structurent autour
dun principe concurrentiel spcifique et offrent aux nergies des conatus de se dverser vers
des objets licites, cest--dire choisis pour que leur dispute soit bien organise, et par
consquent socialement non destructrice. Ces champs sont donc des concrtisations de la
mtaphysique des luttes. On sy bat, mais symboliquement et dans les formes. Mais on peut
sy battre jusqu la mort la mort symbolique bien sr. Les champs artistique ou intellectuel,
par exemple, voient des conatus actualiss comme illusio respectivement dartiste et
dintellectuel(le), saffronter sans merci pour des trophes ainsi pourrait-on nommer
gnriquement cette catgorie de biens symboliques offerts en enjeux sur les thtres de
lagonistique institue. Prix, distinctions, places, clbrations, hommages, expositions, et bien
sr le trophe ultime, la postrit, sont les substituts proposs des dsirs de pronation qui
nont rien perdu de leur intensit mais sexercent dsormais dans les formes du champ et
selon une activit rendue constructive par les rgles de la sublimation.
Lanalyse des champs dans cette perspective entre de plein droit dans la problmatique
rgulationniste de lconomie gnrale de la violence. Et si la qualification de
rgulationniste est ici comprendre en un sens trs gnral, comme dsignation dun
problme de rgulation, cest--dire de divergence contenir, la transition vers la thorie
conomique de la Rgulation seffectue assez naturellement ds lors quon entreprend de
dployer, comme elle sy prte tout fait, lconomie gnrale de la violence sur desobjets spcifiquement conomiques, et par suite de la faire travailler comme conomie de la
violence conomique.
Assurment, lchange marchand demande tre inscrit dans la perspective de
lconomie gnrale de la violence ds lors quon reconnat lordre des pratiques
conomiques la caractristique principale dinstituer un rapport particulier aux objets,
prcisment susceptible de matriser la pronation violente par la mise en forme juridique et
-
8/3/2019 LORDON_Frderic__Metaphysique_des_luttes
21/29
21
montaire du prendre50. En dautres termes, linstitution de lconomique a pour effet central,
sous le rapport de la rgulation de la violence pronatrice des conatus, de contraindre le
prendre saccomplir conformment lobjectivit du prix montaire et aux rgles juridiques
de la contrainte de paiement. Ainsi lchange marchand ralise-t-il une civilisation mais
toujours problmatique et toujours hante par la violence originaire du prendre sous la
modalit particulire de lachat.
Cette mise en forme fondamentale des pulsions pronatrices nest pas la seule analyse
quon puisse faire des mouvements de conatus dans lespace conomique, et les luttes de
persvrance sont saisissables des niveaux dabstraction bien moindres. En fait le spectre
des efforts conatifs dans lordre conomique est trs largement ouvert et donne voir les
situations les plus varies, depuis la lutte salariale pour la persvrance matrielle, cest--dire
pour maintenir laccs aux moyens de la reproduction sous sa forme la plus simple, jusque,
lautre extrmit, les luttes hautement symbolises pour des enjeux existentiels et
rputationnels, dans le champ patronal par exemple. Ce dernier lieu est sans conteste le
thtre dune agonistique institue, le sort et leffort des hommes se liant mais sans se
confondre celui des entreprises quils dirigent. Sur cette scne hybride o les combats
dindividus passent par des combats dorganisations, les conatus saffrontent, par exemple
pour le contrle de la proprit. Car le conatus actualis en conatus du capital, et plus
exactement en conatus du capitaliste ou du directeur du capital, sefforce spcifiquement en
vue de scuriser la proprit du capital, et si possible den accrotre lextension. Ainsi, dans
une configuration du capitalisme o les projets conatifs dexpansion sont mdiatiss par des
transactions sur les droits de proprit, la mtaphysique des luttes sexprime sous la forme
concrte des fusions-acquisitions et des grands conflits dOPA51.
Puisquil nest pas possible de faire ici davantage que de suggrer par un certain
nombre de situations empiriques que la mtaphysique des luttes nest nullement voue
demeurer une spculation sans attache, il vaut dau moins mentionner une autre de sesmanifestations dans lordre conomique mais peut-tre la plus vidente, celle parlaquelle il
aurait fallu commencer : la concurrence ! Il est vrai : les conatus marchands luttent pour la
matrise des marchs ! Et dieu sait que ces affrontements peuvent tre violents. Bien avant les
dveloppements de la finance capitalistique, les classiques, et Marx tout particulirement,
nont-ils pas dabord eu sous les yeux le spectacle de lanarchie marchande et des luttes au
couteau que se font les producteurs pour la validation sociale ? Il se pourrait donc que la
50Voir Frdric Lordon, Lintrt souverain, op. cit., chap. II.
51FrdricLordon,La Politique du capital, Editions Odile Jacob, 2002.
-
8/3/2019 LORDON_Frderic__Metaphysique_des_luttes
22/29
22
mtaphysique des luttes, prcisment en tant quelle procde dune ontologie politique de
ltre social, offre le moyen dune dconstruction de la catgorie conomique de march,
et de sa reconstruction comme catgorie politique. Car envisag sous cette perspective, le
march nest pas autre chose quun de ces thtres o des conatus dun genre spcial des
conatus marchands sefforcent pour stendre, se rencontrent et saffrontentvidemment
avec des ressources ingales. Et il y a tout lieu dtre ravi quand par un regrettable lapsus, qui
sonne en fait comme un aveu involontaire, la thorie noclassique laisse chapper les mots de
pouvoir de march o, si on lit bien, il est question de pouvoir , et par une rsonance
fcheuse, donne penser que lconomie pourrait ne pas tre si pure il se pourrait mme
quelle soit, et en un sens tout fait fondamental, le sens de la mtaphysique des luttes,
politique. On ne peut alors qutre heureusement surpris de constater que le point de vue en
apparence stratosphrique dune mtaphysique des luttes trouve trs facilement reprendre
contact avec la terre, qui plus est au travers des objets les plus prosaques, pour ne pas dire les
plus dconsidrs et mme les plus indignes des grands conomistes : qui, donc, naurait
pas peur de ce r-atterrissage un peu brutal, il faudrait conseiller par exemple de savoir voir
lontologie du conatus dans les ttes de gondole, je veux dire dans les faits et gestes de la
grande distribution. Agent particulirement notoire de lintensification des luttes
concurrentielles, la grande distribution, dans ses rapport avec ses fournisseurs, runit peu
prs toutes les caractristiques ncessaires la peinture de lagonistique marchande : le
mouvement imprieux pour tendre sa propre puissance, laffirmation brutale de son
gocentrisme conatif, lcrasement chaque fois que la possibilit en est donn des rsistances,
lasymtrie des luttes puisque les ressources de pouvoir sont ingalement distribues, la
soumission des conatus domins les fournisseurs trop petits qui luttent eux-mmes pour ne
pas mourir, et toutes les interactions violentes qui naissent de ces rapports souvent sans merci.
Ceci nest pas un march pourrait-on dire la faon de Magritte, cest un thtre, et mme
plutt : cest un champ de bataille. Point de lieu de rcollection pacifie des offres et desdemandes sous la houlette anonyme et bienveillante dun commissaire-priseur. Le march
nexiste pas, il ny a que des rencontres de conatus, prts laccord si cest possible et la
lutte si cest ncessaire. Substituer ainsi au march lensemble structur des relations de
commerce est donc dj un premier pas pour saffranchir dune hypostase que rien ne justifie
en vrit, mais dont la postrit, les effets intellectuels et politiques nen apparaissent que plus
remarquables. Et la thorie de la Rgulation est spcialement bien place pour accueillir cette
problmatique, elle qui a prvu de mentionner au nombre de ses formes institutionnelles, les formes de la concurrence et quand bien mme, on peut lavouer, de cette heureuse ide
-
8/3/2019 LORDON_Frderic__Metaphysique_des_luttes
23/29
23
elle na pas fait grand-chose jusqu prsent ! On peut alors souhaiter que les quelques
travaux rgulationnistes52 qui se sont consacrs dans une relative obscurit aux injustement
dlaisses formes de la concurrence , apparaissent rtrospectivement comme pionniers et
soient bientt rejoints. Dune certaine manire, donnant la mtaphysique des luttes une de
ces plus typiques illustrations conomiques, ne sont-ils pas par l mme hautement
reprsentatifs de ce quil y a la fois de plus spcifique et de plus fondamental dans la thorie
de la Rgulation ? On ne peut alors quenvisager agrablement cette rencontre en les
thmatiques de la concurrence entre, dune part, lexpression presque idale de la
mtaphysique des luttes et, dautre part, certains des enjeux les plus brlants du dbat
macroconomique contemporain.
Concurrence marchande et concurrence capitalistique celle qui fait lutter non pour la
part de march mais pour la part de proprit tombent donc de plein droit sous ce
programme de recherche spinoziste transversal en sciences sociales que jai qualifi
dconomie gnrale de la violence. Il en va dailleurs identiquement pour lune et pour
lautre de ces concurrences : comme ces luttes sont mises en formes dans des structures car
rien ne serait plus faux que de comprendre lagonistique conomique comme simple
collection de libres interactions conflictuelles , cest la configuration des structures qui
dtermine en chaque cas lintensit des batailles, la probabilit et le degr de violence des
chocs conatifs. Le mouvement historique de la drglementation, aussi bien celle des marchs
de biens que celle des structures financires, soffre tre qualifi dune manire qui ralise
limprobable, et pourtant heureusement possible, mise en connexion de plans conceptuels
dont on penserait spontanment que tout les spare, celui de la part mtaphysique dune
thorie et celui de sa participation comme macroconomie applique au dbat de politique
publique, et ceci par exemple en posant synthtiquement que drglementer cest r-instituer
les structures de la violence conomique.
Conclusion
52 Entre autres Michel Hollard, Les formes de la concurrence , dans RobertBOYER et YvesSAILLARD (dir.)
Thorie de la Rgulation, ltat des savoirs, 2me
dition, La Dcouverte, 2002 ; Pascal Petit, Formesstructurelles et rgimes de croissance de laprs-fordisme , L Anne de la Rgulation, n 2, La Dcouverte,1998.
-
8/3/2019 LORDON_Frderic__Metaphysique_des_luttes
24/29
24
Si la guerre sous toutes ses formes physiques ou sublimes est le corrlat de la
rencontre des conatus, en est-elle vraiment la seule issue possible ? La rponse de Spinoza
cette question est formelle : cest non. Car si le conatus est llan en vue dune effectuation
maximale de puissance, alors celle-ci peut emprunter les deux voies alternatives de la lutte ou
de lassociation, de laffirmation de soi auto-centre ou de la composition de puissance avec
autrui. Le principe conatus ne dtermine donc pas univoquement laffrontement des modes
mais dbouche sur la grande dualit spinoziste des rgimes daction : la qute individue de
puissance au mpris dautrui ou bien la persvrance de conserve. Et, de fait il est un indice
intuitif et en mme temps massifde ce que la guerre nest pas la seule possibilit inscrite
dans le conatus, et cet indice cest quil y a socit ! Certes, reprenant le modle de la
civilisation des pulsions pronatrices, on pourrait envisager de se passer du mobile associatif
pour penser une socit pacifie par les seuls artifices de la sublimation des agonismes.
Mais ce serait manquer le ressort le plus puissant de lentre en socit dont Spinoza
souligne maintes fois quil est trouver dans la ncessit de joindre les forces pour mieux
pourvoir la forme la fois minimale et imprieuse de la persvrance : la survie matrielle.
Dans ltat de nature, la conjonction de leurs efforts est le moyen le plus vident pour les
individus de rsister la destruction par les innombrables choses qui lemportent sur eux par
la puissance. Cest bien pourquoi dailleurs ltat de nature est en fait mtastable et vou se
dpasser lui-mme sous leffet des ncessits de la persvrance commune : comme tous les
hommes redoutent la solitude parce que nul dentre eux dans la solitude na de force pour se
dfendre et se procurer les choses ncessaires la vie, il en rsulte que les hommes ont de
ltat civil un apptit naturel et quil ne peut se faire que cet tat soit jamais entirement
dissous (TP, VI, 1) ; sans lentraide les hommes ne peuvent gure entretenir leur vie et
cultiver leur me (TP, II, 15). Dans ltat de prcarit extrme de la premire condition
humaine, la conservation de soi passe par la mutualisation de leffort, et par consquent la
collaboration suspend la guerre.
Les urgences de la survie ne donnent pourtant pas le dernier mot de lassociation. Car
la composition des puissances livre ses bnfices aussi bien dans laffirmation que dans la
survie non pas seulement entretenir la vie mais galement cultiver lme. Aussi la
persvrance expansive fournit-elle lassociation un mobile de relais, mais non moins
puissant, quand sestompent les ncessits les plus immdiates de la conservation rsistante.
Et cette affinit essentielle des hommes entre eux sous le rapport de la composition des
puissances est dautant mieux perue que ceux-ci sont davantage conduits par la raison : Il ya donc hors de nous des choses qui nous sont utiles, et auxquelles, pour cette raison, il faut
-
8/3/2019 LORDON_Frderic__Metaphysique_des_luttes
25/29
25
aspirer () Si en effet deux individus () se joignent lun lautre, ils composent un individu
deux fois plus puissant que chacun pris sparment. A lhomme donc, rien de plus utile que
lhomme ; il nest rien, dis-je, que les hommes puissent souhaiter de mieux pour conserver
leur tre que de se convenir tous en tout, en sorte que les esprits et les corps de tous
composent pour ainsi dire un seul esprit et un seul corps () ; do il suit que les hommes
que gouvernent la raison, cest--dire les hommes qui cherchent ce qui leur est utile sous la
conduite de la raison, naspirent pour eux-mmes rien quils ne dsirent pour tous les
autres hommes (Eth., IV, 18, scolie).
Rien nest plus utile lhomme que lhomme, et en proportion croissante de ce quil
est sous la conduite de la raison : si le scolie de (Eth., IV, 18) revt cette importance cest bien
parce quil pose la grande dualit des rgimes du conatus. La vise de puissance peut passer
aussi bien par llan solitaire, mais alors au risque des rencontres contrariantes, ou par llan
conjoint et la composition des forces. Lontologie du conatus ne livre donc pas univoquement
le paysage dun monde social o tout ne serait que guerre et violence plus ou moins
sublimes. Laffinit essentielle des hommes entre eux qunonce (Eth., IV, 18, scolie) y
ouvre galement les possibilits de lassociation, de la mutualisation, de la collaboration, et
encore de lamour et de lamiti, bref de toutes les formes de la composition des puissances.
Mais sil faut prendre au srieux cette dualit des rgimes daction du conatus,
comment alors justifier de r-exprimer le point de vue du conatus en une seule mtaphysique
des luttes ? Sil est absolument clair pour Spinoza que leffort en vue de la persvrance peut
a priori emprunter les deux voies de laffirmation agonistique ou de la composition
cooprative, lide que ces deux possibilits se prsentent sous une profonde asymtrie nest
pas moins fortement affirme. Le scolie de (Eth., IV, 18) et surtout (Eth., IV, 35)53 ne lient-ils
pas explicitement la probabilit de la composition au degr auquel les hommes prennent
conscience de leur essentielle affinit mutuelle, sous la conduite de la raison ? Or Spinoza
sait assez combien ne pas trop solliciter cette dernire hypothse ! Les hommes sont rarementconduits par la raison et, sous le rgime de la servitude passionnelle, les chances de la guerre
sont hlas trs suprieures celles dune prise de conscience claire de la concidence de
leurs utiles propres (Eth., IV, 24) : En tant que les hommes sont sujets aux passions, on
ne peut pas dire quils conviennent en nature (Eth., IV, 32), et quand ils sont en proie aux
affects qui sont des passions, ils peuvent tre contraire les uns aux autres (Eth., IV, 34) dit
53(Eth., IV, 35) : Cest en tant seulement quils vivent sous la conduite de la raison que les hommes
ncessairement conviennenttoujours en nature (cest moi qui souligne).
-
8/3/2019 LORDON_Frderic__Metaphysique_des_luttes
26/29
26
Spinoza avec une sorte de froideur clinique derrire laquelle il faut savoir apercevoir toute la
violence du monde.
Rien nest plus tranger Spinoza quune vision morale de lhomme, quelle choisisse
dexalter sa bont naturelle ou de maudire la prsence en lui du mal . Cest sans doute
pourquoi, ne se liant aucun de ces partis pris usuels de la lumire ou de lobscur, il
lui est plus facile de voir positivement en le conatus aussi bien la possibilit de lassertion
unilatrale que de lassociation. Quoique procdant en dernire analyse du mme lan en vue
de la puissance, cette alternative offerte laction conative et les combinaisons varies quil
est possible dimaginer partir des deux registres assertif et associatif promettent la thorie
du conatus un pouvoir gnrateur certain. Mais cette dualit ne vaut pas pour autant symtrie.
Et au moment denvisager la dynamique des passions collectives, et les rquisits subsquents
quelle fait peser sur les structures politiques, Spinoza dit sans ambigut lequel des deux
ples lemporte le plus souvent sur lautre et donne sa tonalit dominante la vie sociale :
En tant que les hommes sont en proie la colre, lenvie ou quelque sentiment de haine,
ils sont entrans loppos les uns et des autres et contraire les uns aux autres () Comme
maintenant les hommes sont trs sujets par nature ces sentiments, ils sont aussi par nature
ennemis les uns des autres 54.
54(TP, II, 14).
-
8/3/2019 LORDON_Frderic__Metaphysique_des_luttes
27/29
27
Rfrences bibliographiques
AGLIETTA (Michel), ORLEAN (Andr),La violence de la monnaie, Paris, PUF, 1982
AGLIETTA (Michel), ORLEAN (Andr),La monnaie entre violence et confiance, Paris, EditionsOdile Jacob, 2002
AMABLE (Bruno), PALOMBARINI (Stefano), Lconomie politique nest pas une sciencemorale, Paris, Raisons dAgir, coll. Cours et Travaux , 2005.
BILLAUDOT (Bernard),Lordre conomique de la socit moderne, Paris, LHarmattan, 1996.
BOVE (Laurent), De la prudence des corps. De la physique au politique , Introduction au
Trait politique, Paris, Classiques de Poche, 2002.
BOVE (Laurent), Le corps sujet des contraires et la dynamique prudente des dispositionescorporis,Astrion, 3, revue en ligne, http://asterion.revue.org, septembre 2005.
BOYER (Robert), Thorie de la rgulation. Une analyse critique, Paris, La Dcouverte, coll. Agalma , 1986.
BOYER (Robert), Le politique lre de la globalisation et de la finance : le point surquelques recherches rgulationnistes,LAnne de la Rgulation, 3, 1999.
BOYER (Robert), La thorie de la rgulation lpreuve des annes quatre vingt dix,Postface la 2me dition dans Robert BOYER et Yves SAILLARD (dir.), Thorie de largulation, ltat des savoirs, Paris, La Dcouverte, 2002.
BOYER (Robert), Une thorie du capitalisme est-elle possible ?, Paris, Editions Odile Jacob,2004.
DELEUZE (Gilles), quoi reconnat-on le structuralisme ? , dans FranoisCHATELET (dir.),La Philosophie. Au XXe sicle, Paris, Marabout Histoire, 1965.
DELEUZE (Gilles), Spinoza et le problme de lexpression, Paris, Les Editions de Minuit,1968.
DELORME (Robert) et ANDRE (Christine),Ltat et lconomie, Paris, Seuil, 1983.
FOUCAULT (Michel), Il faut dfendre la socit , Cours au Collge de France, 1975-1976,Hautes Etudes, Gallimard Seuil, 1997
GRAMSCI (Antonio), Notes sur Machiavel, sur la politique et sur le Prince moderne , inGramsci dans le texte, Les Editions Sociales, 1975
HOLLARD (Michel), Les formes de la concurrence , dans RobertBOYER et YvesSAILLARD(dir.) Thorie de la Rgulation, ltat des savoirs, 2medition, La Dcouverte, 2002.
http://asterion.revue.org/ -
8/3/2019 LORDON_Frderic__Metaphysique_des_luttes
28/29
28
LIPIETZ (Alain), Crise et inflation, pourquoi ?, Librairie Franois Maspero, 1979.
LIPIETZ (Alain), De lalthussrisme la thorie de la rgulation, Couverture OrangeCEPREMAPn 8920, 1989.
LIPIETZ (Alain), De lapproche de la rgulation lcologie politique : une mise enperspective historique , entretien avec G. COCCO, F. SEBA et C. VERCELLONE, inEcole de largulation et critique de la raison conomique,Futur Antrieur, LHarmattan, 1994.
LORDON (Frdric),La Politique du capital, Editions Odile Jacob, 2002.
LORDON (Frdric), Conatus et institutions. Pour un structuralisme nergtique,LAnnede la Rgulation, Presses de Sciences-Po, 2003-a.
LORDON (Frdric), Revenir Spinoza dans la conjoncture intellectuelle prsente,
LAnne de la Rgulation, Presses de Sciences-Po, 2003-b.
LORDON (Frdric),Lintrt souverain. Essai danthropologie conomique spinoziste, Paris,La Dcouverte, 2006.
LORDON (Frdric), Le don tel quil est et non tel quon voudrait quil ft, Revue DuMAUSS semestrielle, n 27, 2006.
LORDON (Frdric), ORLEAN (Andr), Gense de ltat et gense de la monnaie : le modlede la potentia multitudinis, dans Yves CITTON et Frdric LORDON (dirs.) Spinoza et les
sciences sociales, Paris, Editions Amsterdam, paratre.
MACHEREY (Pierre),Introduction lEthique de Spinoza. La troisime partie. La vie affective,Paris PUF, 1998.
MACHEREY (Pierre),Hegel ou Spinoza, Paris, La Dcouverte, 1990.
MACHIAVEL,Le Prince, Paris, Le Livre de Poche, 1983.
MATHERON (Alexandre), Individu et communaut chez Spinoza, Paris, Les Editions deMinuit, 1988
MATHERON (Alexandre), Lindignation et le conatus de ltat spinoziste , in MyriamREVAULT DALLONES et Hadi RIZK (dir.), Spinoza : puissance et ontologie, Dijon, EditionsKim, 1994.
MAUSS (Marcel), Sociologie et anthropologie, Paris, PUF, 1950.
ORLEAN (Andr), dans cet ouvrage, 2007.
PALOMBARINI (Stefano),La rupture du compromis social italien. Un essai de macroconomiepolitique, Editions du CNRS, 2001.
-
8/3/2019 LORDON_Frderic__Metaphysique_des_luttes
29/29
29
PETIT (Pascal), Formes structurelles et rgimes de croissance de laprs-fordisme ,LAnne de la Rgulation, n 2, La Dcouverte, 1998.
SPINOZA (Baruch), Ethique, Traduction Robert MISRAHI, Paris, coll. Philosophiedaujourdhui, PUF, 1990.
SPINOZA (Baruch), Trait politique, Traduction Charles APPUHN, Garnier-Flammarion, 1965.
THERET (Bruno),Rgimes conomiques de lordre politique, aris, PUF, 1992.
THERET (Bruno), Leffectivit de la politique conomique : de lautopose des systmessociaux la topologie du social,LAnne de la Rgulation, La Dcouverte, 1999.