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Logo du Barabli, 1947 © Richard Schall

Couverture : Germain Muller, 1972

© Coll.Association Mémoire-Barabli / Archives Ville de Strasbourg

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Introduction

Ce projet de collecte de témoignages a été initié par le Musée Alsacien suite à l’exposition « Germain Muller : Eenfin redde m’r devun ! Enfin… parlons-en ! » (2015), et dans la continuité de diverses manifestations organisées par la Ville de Strasbourg en 2014 et 2015 pour « L’année Germain Muller ». Ce recueil est construit sur la base d’entretiens réalisés par Mégane Mahieu et Olivier Strebler, volontaires du Service Civique entre octobre 2015 et février 2016. Il collecte la parole d’Alsaciens, enracinés ou de passages, autour de Germain Muller, comme un point de départ pour ouvrir un échange sur la culture régionale, hier et aujourd’hui.

Figure majeure du panthéon alsacien, Germain Muller et son cabaret satirique Le Barabli restent dans la mémoire collective comme une personnalité unique dont l’œuvre a participé à la compréhension de la psychologie alsacienne, notamment après la guerre.

Beaucoup a déjà été écrit sur Germain Muller. Ainsi, ce livret n’est pas une biographie mais donne la parole à certains de ceux qui ont été ses publics, pour aborder l’Alsace d’après-guerre, des questions autour de la langue alsacienne, l’héritage et la transmission du patrimoine local. Ainsi, nous avons rencontré des témoins divers : Alsaciens de naissance ou de cœur, anonymes ou spécialistes de la région ont répondu à nos questions avec le même plaisir, celui de faire partager l’histoire de l’Alsace, leurs souvenirs et leurs anecdotes.

Ce livret, conçu en français, s’accompagne de propos traduits en langue alsacienne pour mettre en valeur la richesse du bilinguisme et rester ainsi fidèle à l’esprit de Germain Muller. Il pourra servir d’outil pour les enseignants, les animateurs de structures seniors ou de jeunes, dans une optique intergénérationnelle. Il s’adresse à tous ceux qui ont inspiré et fait vivre le Barabli hier et font vivre l’Alsace aujourd’hui.

Inleitùng

2014-2015 sìnn zàhlrichi Verànstàltùnge vùn de Stàdt Stroßbùri ìwer de Germain Mìller orgànisìert wùrre. Dìs Projakt ìsch ìn dam Ràhme ìns Lawe geruefe wùrre. D’Mégane Mahieu ùn de Olivier Strebler, zwei Fréiwìllichi vùm Fréiwillichedìenscht, hàn sich àls Zìel gstetzt, zwìschem Oktower 2015 ùn em Hornùng 2016, d’Worte vùn Elsasser, vùn do ùn vùn ànderschwo, ìwer dìe groß Parsenlichkeit ze sàmmle. Vùn do üss het e Üsstüsch ìwer d’elsassische Kültür, vùn hitt ùn gescht, kénne entstehn.

Àls Gàlionsfigür vùm Elsàss, gìlt de Germain mìt sim Kabarett Le Barabli ìm kollektive Gedachtniss àls ëënzichàrtichi Parsenlichkeit, wie dùrich sin Warik debi gholfe het, àss mìr d’elsassische Seel bsùndersch noochem Krìej verstehn kànn.

Vìel ìsch schùn ìwer de Germain gschrìwwe wùrre. Drùm ìsch dìs Bìechel ke Biogràfie àwer losst äu ’s Wort màniche sine Züschäuer, fer ìwer verschìedeni Theme ze redde: ’s Elsàss noochem letschte Krìej, d’elsassische Sproch ùn ’s Witterschgann vùm lokàle Kültürguet. Defìr hàn mìr verschìedeni Zìje getroffe: gebìrtichi ùn hargeloffeni Elsasser, ùnbekànnti ùn Speziàlischte, àlli hàn ùnseri Fröje beàntwortet. Àlli hàn’s äu d’salb Freid dràn ghett: d’Gschìcht vùm Elsàss, ìhri Erìnnerùnge ùn Ànekdote, làwandi ze hàlte.

Dìs Bìechel ìsch häuptsachli ùff Frànzeesch verfàsst wùrre. Tréi ìm Germain sinere Zweisprochichkeit hàn mìr àwer ’s Elsassische zer Galtùng gebrocht ùn hàn defìr Üsszìgg ìwersetzt. Dìs pädàgogische Warikzìj kànn de Lehrer ùn de Ànimàteure vùn Strüktüre, wie sich ùm Jùngi odder Seniore bekìmmere, vùn Nùtze sìnn. Schlìeßlich gìbt sich dìs Projakt àls Brùck üss, vùn de eltre Generàtione zü de jìngere, genäu wie ’s Warik vùm Germain. Es wandt sich àn àlli, wie de Barabli inspirìert hàn ùn wie ’s Elsàss hitt belawe: d’Elsasser, vùn àlle Àlter ùn Harkìnft.

Introduction - 3

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beaucoup d’autres. Si la troupe s’est souvent renouvelée, l’âme du Barabli est toujours restée la même, guidée par le talent et la fertilité de l’œuvre de son créateur

Germain Muller s’est aussi illustré sur la scène politique strasbourgeoise. Très impliqué dans la vie culturelle et créateur de nombreux équipements, il a siégé durant trente ans à la Ville, en tant qu’adjoint au maire en charge de la Culture de son grand ami le Maire Pierre Pflimlin.

Ces différentes casquettes révèlent un esprit impertinent et un artiste engagé. Nombre de sketchs, chansons et initiatives culturelles de Germain Muller restent dans la mémoire des Alsaciens.

Biogràfie

De Germain Mìller het de Barabli 1946 gegrìndt, glich noochem Trauma vùm zweite Waltkrìej. Sin sàtirisches Kabarett schìldert d’elsassische Brich ùn Benamme mìt Schärfe àwer ohne Gräusàmkeit. Sin einziches Theàterstìck Enfin… redde m’r nimm devun!, zuem erschte Mol 1949 ìnszenìert, bschribt gànz offe, wie sich e elsassischi Fàmìli wahredem Krìej verhàlte het. As gìlt àls rìchtiches Meischterwarik. Dër, wie àls Ìwernàmme „de elsassische Molière“ bekùmme het, màcht 40 Johr làng d’Elsasser glìckli mìt sinere Fàmìlietrùpp vùm Barabli.

De Germain ìsch äu ùff politischer Ewene ìn Stroßbùri bekànnt wùrre. Er het sich 30 Johr làng ìn d’Zükùnft vùn de Stàdt ingsetzt, àls Adschüä fer d’Kültür vùn sim große Frìnd, em Maire Pierre Pflimlin.

Dìe vìelfaltiche Parsenlichkeit zeijt e Kìnschtler, wie provozìert ùn sich ààgàschìert. Vìel vùn sine Sketche, Lìeder ùn kültürelle Initiàtive bhàlte d’Elsasser ìn ìhrem Gedachtniss.

Biographie

Figure majeure du XXe siècle en Alsace, Germain Muller (1923-1994) a fondé le Barabli en 1946. Dans la situation particulière de l’Alsace au lendemain de la guerre, son théâtre dialectal va faire partie du paysage culturel des Alsaciens quarante années durant. Ils y trouvent une forme de catharsis, leur travers et paradoxes mis en scène, avec causticité mais sans cruauté et avec une plume trilingue et virtuose. Son unique pièce de théâtre Enfin… redde m’r nimm devun! (Enfin… n’en parlons plus !), écrite en 1949, évoque sans tabou l’attitude d’une famille alsacienne durant la guerre. Elle connait un succès retentissant et est encore jouée aujourd’hui.

Un « test d’authenticité alsacienne » était semble-t-il en vigueur dans les camps de prisonniers allemands en Alsace après la Première Guerre Mondiale. Pour ne libérer que les Alsaciens, on montrait aux prisonniers un parapluie en leur demandant « Was ist das? » : les Allemands du Pays de Bade répondaient « e Schìrm », les Alsaciens… « e Bàràbli ». Voilà d’où tire son nom le célèbre cabaret satirique mené par Germain Muller.

Passionné de littérature, Germain Muller est fort d’une formation de théâtre classique et a souvent été proclamé le « Molière Alsacien » grâce à l’essence satirique de son cabaret dialectal. Le Barabli était, plus qu’une troupe, une véritable famille qui accueille dans ses tous premiers temps Raymond Vogel, Dinah Faust, compagne de Germain, Mario Hirlé, compositeur de toute la musique des revues, Inès Wagner, conceptrice des costumes ou encore Richard Schall, Jean Remlinger puis André Wenger, créateurs des décors. Les comédiens Robert Breysach, René Wieber, Félice Haeuser, sont rejoints ensuite par Dédé Flick, Michel Pierrat, Yvette Veit, Charles Lobstein, Elisabeth Best, Christian Hahn, Anne Wenger, Cathy Bernecker, Daniel Weber et

4 - Biographie

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D’ayedolle », sérigraphie, 1981 Coll.Association Mémoire Barabli, Archives de Strasbourg © Famille Wenger

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Chronologie Alsace / Germain Muller

11 juillet 1923 : naissance à Strasbourg de Germain Jean-Pierre Muller, fils de Louis Muller et Augustine Wilhelm

1935 : Les Juifs d’Europe de l’Est commencent à quitter les pays envahis par le Reich. Une grosse communauté vient alors s’installer à Strasbourg, surtout vers le quartier du Contades où a toujours vécu Germain Muller.

Octobre 1937 : Germain entre dans la classe d’art dramatique du Conservatoire de Strasbourg.

Juin 1939 : première émission radiophonique de Germain Muller pour Radio Strasbourg, « L’Auberge de la chanson ».

2 septembre 1939 : Strasbourg est évacuée ainsi que d’autres communes frontalières. Plus de 300 000 Alsaciens sont conduits par train vers le Sud-Ouest. Toute la famille Muller part pour Périgueux (Dordogne). Germain poursuit alors ses études au lycée de Bordeaux et s’inscrit au Conservatoire. Il sera premier de sa promotion l’année suivante.

19 juin 1940 : Entrée des troupes allemandes à Strasbourg. L’Alsace est annexée au régime du Reich. Moins d’un mois après, les nazis expulsent de la région les Juifs, les « Français de l’intérieur » et autres « indésirables ».

Juillet-octobre 1940 : Une partie des Alsaciens évacués reviennent dans la région annexée. Les Muller reviennent sur Strasbourg. Ils sont contraints de germaniser leur prénom, Germain prend alors celui de Hans Gert.

1942 : Germain sort diplômé de la Theater Akademie de Karlsruhe (Allemagne), où il s’était engagé un an plus tôt.

1er septembre 1943 : Germain est enrôlé de force dans la Wehrmacht, l’armée allemande. Un mois plus tard, Germain déserte et parvient à gagner la Suisse. Il y restera un an. Il passe par un camp de réfugiés où il rencontre Alfred Rasser, grand cabarettiste créateur du Kaktus, qui aura une influence majeure sur sa carrière.

Septembre 1944 : le Tribunal Militaire allemand de Strasbourg condamne Germain à la peine de mort, par contumace, pour désertion. Germain s’engage dans le Groupe Mobile d’Alsace. Avec la 1ère armée Française de Lattre de Tassigny, il participe à la campagne d’Alsace.

23 novembre 1944 : Strasbourg est libérée par l’armée du Général Leclerc. Mais la ville reste menacée.

22 janvier 1945 : la menace allemande est définitivement éliminée. Dans le même mois, Germain fonde avec Raymond Vogel la « Société artistique La Fontaine ».

8 mai 1945 : signature du Traité d’Armistice.

9 Mai 1945 : Germain Muller présente avec sa compagnie théâtrale « V’là le printemps » au Théâtre de l’Union. C’est un échec. En parallèle, il anime avec Raymond Vogel tous les soirs le Cercle Américain, et assure la programmation du Night-Club « Le Monseigneur ». Passera par là Charles Aznavour qui fait ses débuts sur scène

14 juillet 1945 : à l’occasion de la fête Nationale, à Truchtersheim, Germain interprète accompagné de son ami musicien Mario Hirlé « De Steckelburjer swing » retransmis par la radio. C’est son premier gros succès.

Mars 1946 : « La Société Artistique La Fontaine » organise une tournée d’Edith Piaf avec en première partie Les Compagnons de la Chanson, en Alsace-Lorraine et en Allemagne Ils organisent aussi la tournée du cabaret satirique suisse « Le Kaktus » dirigé par Alfred

6 - Chronologie Alsace / Germain Muller

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Rasser. Succès retentissant, qui incite Germain Muller et Raymond Vogel à reprendre la formule.

14 décembre 1946 : Germain Muller et Raymond Vogel créent De Barabli, cabaret satirique et dialectal alsacien. Leur première revue « Steckelburi schwingt » se joue à L’Aubette.

Mai 1947 : début des amours entre Germain Muller et Dinah Faust, rencontrée à Radio Strasbourg. Elle l’accompagnera durant toute sa carrière. Ils auront trois enfants.

19 mars 1949 : Le Barabli présente à l’Aubette : « Enfin… redde m’r nimm devun », l’unique pièce de Germain Muller. Succès retentissant pour cette œuvre incontournable du répertoire alsacien, dont la portée sociale est considérable.

8 mars 1959 : Germain Muller est élu aux élections municipales de Strasbourg. Il sera adjoint en charge des Affaires Culturelles de la Ville. Il prendra aussi la fonction de président du Centre Dramatique de l’Est.

La même année, Charles de Gaulle est élu président de la république, et la République Fédérale d’Allemagne se créée.

Mars 1965 : Germain est réélu aux élections municipales, sur la liste de Pierre Pflimlin. Ils resteront proches toute leur vie.

31 décembre 1966 : création de la Communauté Urbaine de Strasbourg dont Pierre Pflimlin prend la présidence.

1975 : inauguration du Palais de la Musique et des Congrès présidé par Germain Muller. En 1982, il en prendra la direction.

31 décembre 1988 : revue « O Strossburi un ke End » du Barabli au Palais des Congrès, qui devait être la dernière. Une revue sera finalement remontée en 1992.

10 octobre 1994 : Victime de plusieurs attaques cérébrales durant les années passées, Germain Muller décède. Un grand hommage lui est adressé à la Cathédrale, où assistent ses proches et de nombreux spectateurs.

Les spectateurs du Barabli © Christophe Weyer

Chronologie Alsace / Germain Muller - 7

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Germain par Richard Schall, 1948 © Richard Schall, Association-Mémoire Barabli

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Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .p. 3

REPÈRES

Biographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .p. 4Chronologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .p. 6

TÉMOIGNAGES

I) L’Alsace d’après-guerre : de la disgrâce au rire

Ronald Hirlé et Michel Villeval . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .p. 12 Résidentes de St Elisabeth . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .p. 16 René P. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .p. 22 Rédidentes d’Im Lauesch . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .p. 24

II) L’amour du théâtre en étendard

Souvenirs, souvenirs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .p. 30 Marcel Spegt et Bernard Kolb . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .p. 32 Pierre Kretz . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .p. 38Gérard Ober . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .p. 44

III) « C’est chic d’être Alsacien ! »

Le comité de Loisir des Seniors du Fossé des Treize . . . . . . . . . . . .p. 50Yolande . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .p. 54Danielle Crévenat-Werner . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .p. 56Annette Striebig-Weissenburger et Caroline Suss, OLCA . . . . . . .p. 60

Autour du livret . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .p. 63

Sommaire - 9

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Témoignages

L’Alsace d’après-guerre : de la disgrâce au rire

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Ronald Hirlé et Michel Villeval

„Ìn de sachzicher Johr hàw ich meh zü de Beatles geneigt wie zuem Bàràbli!“

Ce sont deux vieux copains, rencontrés sur les bancs de Fustel de Coulanges à Strasbourg où ils faisaient les quatre cent coups. L’un a vécu de l’intérieur les années Barabli : Ronald Hirlé est le fils du grand compositeur Mario Hirlé, fidèle allié de Germain Muller. Michel, non dialectophone, avoue avoir peu assisté aux revues du Barabli. Néanmoins, il reste marqué par Germain qui officia le jour de son mariage dans les années 1970 ! Aujourd’hui à la retraite, Michel anime en musique des structures seniors. Ronald, auteur et éditeur, contribue à la préservation du patrimoine du Barabli avec l’association Mémoire Barabli, dont les précieux documents sont consultables aux Archives de la Ville de Strasbourg.

Un cabaret d’actualité

(Ronald) « Le Barabli était très lié à l’après-guerre, à la spécificité alsacienne et à son Histoire tourmentée, entre deux pays et sa propre identité régionale. Des problèmes que Germain mettait en scène et voulait défendre. On ne peut pas comprendre le Barabli si on ne regarde pas l’époque dans laquelle la revue s’est inscrite. L’histoire du Barabli est très liée aux évènements environnants. Ainsi, lorsque Germain crée la revue à la fin des années 1940, sa volonté était de provoquer, de secouer les consciences et de réveiller les Alsaciens endormis par la guerre. Il faut rappeler que son unique pièce Enfin redde m’r nimm devun / Enfin n’en parlons plus sort tôt, en 1949, et a un impact immense sur les Alsaciens. C’était la pièce majeure sur l’Histoire de l’Alsace. Il n’avait que 29 ans lorsqu’il a écrit cette pièce ! »

« On ne peut tirer aucune philosophie du Barabli, d’ailleurs Germain n’aurait pas aimé cela. Mais, bien évidemment, il a su créer des sketches de référence, qui sont encore dans l’air du temps. Je ne dirais pas qu’il y a des héritiers du Barabli. Influences certainement, héritage non. Germain était un personnage, il ne s’arrêtait jamais et était capable de faire des choses extraordinaires : je l’ai vu écrire des chansons par téléphone, créer des répliques de sketch qui lui venaient à table entre le fromage et le dessert.Aujourd’hui, des cabarets comme celui de la Choucrouterie font subsister la dimension satirique et dialectale, mais le Barabli était spécifique, lié à une époque. Il faut aussi se souvenir que Germain, comme Mario, avait une vraie formation classique, celle du Conservatoire. Germain avait une vraie culture théâtrale, des bases solides. L’équipe qui s’est petit à petit greffée à lui et au théâtre alsacien – surtout à la fin des années 1960 et 1970 – venait plus du « spectacle », du divertissement en tant que tel et beaucoup avait un autre métier

Ronald Hirlé et Michel Villeval © Musée Alsacien

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à côté – décorateur, photographe... Ils n’avaient pas de réelle formation théâtrale, se sont formés sur le tas. Cela ne les décrédibilise pas, il y en avait de très bons comme Jacques Martin ! C’est pour cela que les parallèles, les prolongements, les héritages… avec mon œil de spectateur, je ne vois pas. »

Le dialecte

(Ronald) « J’ai parlé l’alsacien avant de parler le français ! Elevé en partie par mes grands-parents, personne à la maison ne parlait français ! C’est en partie à ces gens-là que Germain s’adressait par son cabaret.

La guerre avait fait se disperser les gens. Après, quand ceux qui en sont revenus se sont retrouvés, mon père m’a toujours dit « C’était tout d’un coup comme sortir d’un long tunnel et se retrouver sur une place ensoleillée ». La vie reprenait. Il fallait revivre. Alors chacun avait son idéal, sa façon d’appréhender l’avenir : pour Germain c’était le théâtre, la chanson. C’était un

bouillonnement. Ça ne reviendra plus ce genre de choses. Imaginez, Edith Piaf avait tourné en Alsace et en Allemagne, notamment sous l’initiative de Germain avec les Compagnons de la Chanson. Tout était dévasté. Aujourd’hui, on n’y penserait même pas.

„Miner Vàtter, de Mario Hirle, het mìr noochem Krìej gsäät: ’s ìsch so gewann, wie wànn mìr üsseme lànge Tùnnel rüsskùmmt ùn ùffeme sùnniche Plàtz làndt.“

L’Alsace d’après-guerre : de la disgrâce au rire - 13

Mario Hirlé et Germain Muller, les vieux complices, en 1984 © Coll.Association Mémoire Barabli, Archives de Strasbourg

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Au lendemain de la guerre, en 1945, 90% de la population parlait alsacien. Mais, tout le monde voulait retourner vers une culture française ici. C’est chic de parler français ! Ceux qui parlaient seulement le dialecte étaient alors condamnés aux menus travaux. Dans un cadre urbain, c’était un peu mal vu de parler alsacien. Aujourd’hui, le dialecte est condamné.Germain faisait souvent remarquer à l’époque, notamment aux clients de son restaurant Le Champi, que les conversations futiles et drôles se faisaient en alsacien, mais pour ce qui était plus sérieux, la langue française – même avec un accent épouvantable – revenait dans la conversation.

L’alsacien relève maintenant de la sphère privée. Par exemple j’ai des amis, de ma génération, dont les parents – qui étaient alsaciens, et habitaient à Geispolsheim – n’ont jamais parlé le dialecte à la maison avec les enfants. Dès l’instant où ils sont partis, que le couple s’est retrouvé seul à la maison, ils ont recommencé à parler alsacien entre eux. »

Evolutions

(Ronald) « L’entrée en politique de Germain, en 1959, a conduit la revue à s’adoucir quelque peu par la suite, même si son identité satirique n’était pas sacrifiée. Mais Germain était très lié à Pierre Pflimlin, ce n’était pas sans conséquences surtout dans les dernières années.Les années 1960 furent celles de la prise de conscience – si on ne bougeait pas l’Alsace, son identité serait réellement perdue. Toutes les valeurs pour lesquelles s’était battue la génération d’avant foutaient le camp. La jeune génération, la nôtre – celle de Mai 68 – rejetait en majeure partie les particularités régionales, le dialecte etc. Pour nous, et même pour moi qui ait grandi avec la troupe, c’était les Beatles plutôt que le Barabli ! Germain le sentait bien, il fallait

donc renouveler les formes tout en restant fidèle à la formule de base.Dans les années 1970-80, le Barabli repris un regain de popularité et notamment auprès des intellectuels. Il faisait bon d’être vu aux spectacles de Germain, il y avait un certain aspect mondain. Et puis, peu à peu, le cabaret s’est dissout. L’équipe initiale avait déjà changé, il restait peu de personnes du Barabli d’après-guerre.

(Ronald et Michel) « Il n’y a pas que la troupe qui ait évolué. La clientèle aussi a un peu changé au fil du temps. Au départ c’était surtout des artisans, des commerçants. Dans les années 1970-80, on a vu arriver les cadres, la bourgeoisie strasbourgeoise, qui voulaient avoir leur « label Alsace ». On croisait même nos professeurs là-bas ! Il fallait se montrer au Barabli. Et aujourd’hui, pour certaines revues comme La Revue Scoute, le brassage est de mise mais avec toujours un attrait de la part de ces « cadres sup ». »

(Ronald) « Mon ouvrage, Qui étiez-vous monsieur Germain Muller ? était une entreprise compliquée. J’ai essayé de faire une synthèse. Je voulais vraiment montrer que le Barabli était, plus qu’une revue annuelle, une vraie troupe, une vie commune avec ses hauts et ses bas, une équipe qui mangeait, respirait, dormait Barabli. Germain, Mario et les autres étaient de gros travailleurs, qui n’avaient aucun répit. Le travail se faisait partout, à la maison ou au bistrot, ensemble ou par téléphone. Les idées fusaient, l’inspiration était partout. Et les gens allaient au Barabli comme à l’église le dimanche. C’était compassionnel. »

(Michel) « Germain en imposait, vraiment. C’est son timbre de voix qui m’impressionnait beaucoup, sa carrure aussi… Il y avait quelque chose d’ogresque chez lui ! Je me souviens de lui, nous assistions tous les deux à la même

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„De Bàràbli ìsch nìtt nùmme e Theàtertrùpp gewann, àwer e rìchtichi Fàmìli, e Teamàrweit, ohne Ruehj.

Mìr het dùrich de Bàràbli gasse, gschlofe, gschnüft.“

La troupe du Barabli pour la revue d’Idole, 1966-67 © Europ-Flash

L’Alsace d’après-guerre : de la disgrâce au rire - 15

communion. En arrivant dans une pièce où ma femme allaitait notre fille, Germain a mugi avec ses gros yeux grands ouverts « ça sent le bébé ici ! ’s schmeckt Bùbbel ! » Il était toujours à l’affût. Il captait l’attention. »

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Rencontre avec les résidentes de Sainte-Elisabeth

Yvonne, Thérèse, Alphonsine et Marie-Thérèse résident toutes quatre à l’ABRAPA Sainte-Elisabeth. Elles ont accepté de revenir avec nous sur la guerre et ses répercussions. Elles nous parlent aussi évidemment de Germain Muller qui, avec son cabaret, raviva l’Alsace et pour qui « culturellement, 1945, était l’année zéro ».

L’évacuation et le retour

« L’évacuation était vraiment grave. » disent-elles d’entrée de jeu. Yvonne, née en 1930, était encore petite fille, mais elle se souvient très bien de cette année passée hors de l’Alsace : « Avec ma famille nous avons été envoyés à Javerdat,

près de Limoges. On a été mal accueillis, les gens de la région nous assimilaient à des Allemands, Schwowe. C’était surtout à cause de la langue, nous parlions essentiellement alsacien et n’arrivions pas à nous faire comprendre. Nous étions mal logés, mal nourris… »Marie-Thérèse a aussi été évacuée aux alentours de Limoges. Sa famille, comme celle d’Yvonne, est revenue un an après son départ. « Vous comprenez, continue Yvonne, il était très difficile de devoir tout quitter du jour au lendemain. Nos maisons, nos affaires, notre travail… tout était resté en Alsace. Nous ne savions pas qu’à notre arrivée, à la gare, nous serions accueillis par des fusils et tous ces soldats nazis. Nous avions déjà passé le voyage dans un wagon à bétail… »

Thérèse, née à Thionville en 1921, n’a pas été évacuée. « J’allais au collège français à Barr pour terminer mon brevet supérieur mais nous habitions à Rothau, chemin du Struthof.

Evacuation de l’Alsace. Population sur les routes, 1939 © Etablissement Cinématographique des Armées, Archives Ville de Strasbourg

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Je me souviens que nous allions manger des pâtisseries par là. Struthof n’était pas encore ce que ça allait devenir.1Mon frère a déserté pour ne pas être embrigadé par l’armée nazie, c’est mon père cheminot qui l’a aidé à passer de gare en gare. Il est allé dans le Midi où il a croisé l’Abbé Pierre, puis est allé en Espagne. Mais là aussi sévissait un régime totalitaire, le franquisme. Alors il est passé par le Maroc et s’est finalement rendu en Algérie. Il est revenu en France comme soldat français, pour libérer l’Alsace. Mes parents ont eux été déportés au camp de Schirmeck.2 Ils ont ensuite été déportés en

1 Seul camp de concentration allemand sur le territoire annexé par le Troisième Reich, en pleine vallée de la Bruche, le camp de Natzweiler-Struthof a servi de terrain d’expérimentation « scientifique » pour les Nazis sur ses prisonniers.2 Camp de redressement destiné principalement aux Alsaciens et Mosellans réfractaires au régime nazi. Il a évidemment servi de lieu de transit à d’autres populations envoyées en camp d’extermination.

Tchécoslovaquie et en Pologne, à Breslau, où ils ont été libérés par les Russes. »

Les frontières linguistiques

Pour aborder la question de la langue, nous leur montrons une interview de Germain Muller datant du 6 mai 1967. Germain évoque son grand-père instituteur et l’émotion que cela lui procurait de l’écouter enseigner le français à des petits alsaciens non francophones. Alphonsine se souvient : « les parents, les grands-parents sont allés à l’école allemande… Moi aussi quand je suis rentrée à l’école, mais pour peu de temps. Parmi les natifs d’Alsace, très peu parlaient français sauf ceux qui étaient assez riches pour aller étudier en ville. »

L’expérience de Thérèse, ancienne institutrice, fait écho à celle du grand-père de Germain Muller,

Retour des réfugiés alsaciens. Familles écoutant les discours sur un quai de la gare de Strasbourg, 1940. © Hellmuth Struckmeyer – Wolff, Archives Ville de Strasbourg

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avec quelques années de différence : « Après ma formation à l’Ecole Normale d’Instituteurs au Mans, je suis revenue en Alsace, à Koenigshoffen, pour enseigner. Tous les enfants parlaient alsacien. Mais moi non, à la maison nous parlions français ou alors avec un patois bien particulier de la Vallée de la Bruche. D’ailleurs, quand les allemands sont arrivés, ils n’arrêtaient pas de dire « Die sìnn Pollàcke », « ce sont des Pollacks »Alors, quand il a fallu que j’enseigne aux maternelles et aux primaires, j’utilisais beaucoup d’objets, de chansons et de danses. L’apprentissage était rapide, et mon adaptation aussi. Les parents étaient contents que leurs enfants assimilent correctement le français. Je me souviens aussi d’une petite Tunisienne, c’était elle la plus douée en grammaire ! »

Toujours sur la question de la langue, Yvonne dénonce quant à elle « ceux qui retournaient leur veste, au moment où il devenait « chic de parler français ». Souvent, ceux qui étaient les

meilleurs Alsaciens-Allemands pendant la guerre devenaient les meilleurs Alsaciens-Français à la Libération! »A la manière de Germain qui dit dans cette interview « Les Alsaciens, nous sommes les médiateurs entre deux cultures qui ne se comprennent pas toujours », Yvonne loue cette particularité alsacienne d’être entre deux pôles : « Cette amitié franco-allemande, ça tient toujours. Avant et après la guerre, nous avons toujours été bons voisins avec les Allemands géographiquement proches, ceux des alentours de Kehl par exemple. On a toujours traversé la frontière à part pendant la guerre. Nous n’avions aucune difficulté. Ceux qui avaient annexé

Strasbourg, c’était ceux envoyés de loin par le régime nazi. Ils étaient épouvantables. »

Alphonsine considère aussi, aujourd’hui, que d’avoir « plongé dans deux cultures est un avantage. Il ne faut pas s’en cacher ! Effectivement, c’était à l’école que c’était plus compliqué. Quand nous, dialectophones, ne comprenions pas un mot, la maîtresse disait « ’s ìsch e Fremdwort » (« c’est un mot étranger ») D’un point de vue de la langue, en y repensant, c’est passionnant. »

Finalement, toutes célèbrent cette identité plurielle façonnée par l’Histoire. Elles rient et tombent d’accord avec Désiré, « l’Alsacien moyen » du Barabli (Robert Breysach) qui, dans un sketch parodique de Midi Première en 1983, prononce cette fameuse phrase aux accents tautologiques3 :

(Dinah Faust / Danièle Gilbert) : « - Si on vous demandait, parmi toutes ces nationalités,

laquelle correspond le mieux à votre nature profonde, que diriez-vous ?(Robert Breysach / Désiré) - Et bien, je dirais que les Alsaciens sont d’abord Français, mais avant tout Alsaciens ! »

Yvonne ajoute : « même les Alsaciens non francophones ont toujours été Français de cœur. »

3 Parodie Midi Première : Interview d’un Alsacien, 5 février 1983. http://sites.ina.fr/germain-muller/focus/!/chapitre/4/media/Muller00404

„ Eb ’s Elsassische verlore geht? Mìr kànn d’Krokodiletrane spàre,

mìr muess hàlt mìt sinere Zitt gehn!“

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„Ich sìeh noch de Germain, wie ar ìn de 50er Johr ìn sim amerikànische Kabrio ùm de Contades gepràtzt het.

Er het ùff de Stroß gebrìelt, fer àss sini Fräu rùnterkùmmt, ùn sie het vùm Balkù gschìmpft.“

Dire ce que l’on pense

Entendre Germain Muller s’exprimer dans cette interview et revoir la parodie de Midi Première leur ravivent de nombreux souvenirs. « On allait

toutes au cabaret ! » clament-elles. Yvonne a même bien connu Germain : « mon mari, Roger, travaillait avec lui à la mairie. Ils étaient copains, nous allions toujours à ses spectacles. Nous l’aimions beaucoup car il disait ce qu’il pensait. En plus, nous habitions dans le même quartier, au Contades. Je me souviendrai toujours de Germain, dans les années 1950, fanfaronnant dans sa belle voiture américaine décapotable.

Germain et sa belle américaine, © Coll.Association Mémoire Barabli

Il criait « Dinah ! » pour qu’elle descende et elle rouspétait sur le balcon ! »Toutes ont aussi en tête le fameux Mir sin schients d’Letschte qu’elles fredonnent allègrement : « On la chantait tout le temps. Cela nous évoque le bon vieux temps… » Que pensent-elles justement de cette langue en extinction, elles les gardiennes d’un temps révolu, de l’âme d’une région? Alphonsine tranche « Il n’y a pas de tristesse à avoir, il faut suivre le pas ! »

Merci à Pascal Ditsch, animateur à l’ABRAPA St Elisabeth.

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La classe de Germain au Lycée Kléber en 1930-1931. Germain est tout en haut, dernier rang à droite. ©Archives privées

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René P., ancien spectateur

René P. et son épouse habitent dans le quartier du Neudorf. Ils ont 88 ans. Tous deux Alsaciens nés à Strasbourg, la grille qui séparait autrefois les garçons et les filles à l’école n’aura pas eu raison de leur amour. Ils vivent ensemble depuis 65 ans.

« J’ai effectué mon secondaire allemand, comme c’était la coutume, si bien que j’ai longtemps mieux parlé l’allemand que le français. A la maison, enfants, nous parlions l’alsacien. C’est mon épouse, ancienne institutrice, qui m’a « rééduqué » au français après la guerre. Nous n’avons pas transmis à l’alsacien à nos enfants, et entre nous nous parlons un mélange franco-alsacien. »

« Nous ne pouvions nous permettre d’aller trop souvent au spectacle, nous devions nous occuper de nos trois filles. Mais nous assistions souvent au récital des jeunes de la paroisse du Neudorf, qui chantaient en alsacien, en français et en allemand. Depuis que nous sommes à la retraite, nous chantons dans une chorale.

Quant à Germain Muller, nous avons assisté au moins à deux de ses spectacles. Nous avons notamment pu voir sa fameuse et unique pièce Enfin… redde m’r nimm devun ! Cela nous a évidemment marqué, pour ce que ça racontait des comportements des Alsaciens pendant et après la guerre.

Les gens riaient beaucoup lors de ses revues, alors même que les Alsaciens ne sont d’ordinaire pas très expansifs ! Germain Muller se permettait

de rire des Alsaciens puisqu’il en était lui-même un. Il analysait très bien les comportements des gens de notre région, mais ce n’était jamais méchant ou grossier, moins vulgaire que ce qu’on peut voir à La Choucrouterie, selon nous. Avec Germain, c’était toujours spirituel même si, évidemment, il y avait de l’exagération de certains traits. »

« Une chose qui nous a beaucoup fait rire à l’époque, c’est la présentation de Germain Muller aux élections municipales.¹ Tout le monde prenait ça à la rigolade, mais en fin de compte il a

„Mini Fräu, domols Schuellehrere, het mich noochem Krìej zuem

Frànzeesche ùmgschuelt.“

Tract électoral de la liste de Germain © Coll.Association Mémoire Barabli

¹ En 1959 Germain Muller dépose à la mairie une liste dont il a pris la tête, une liste « ni meilleure, ni pire que les autres ». L’idée d’un canular s’estompe vite et Germain Muller entrera bien au conseil municipal en tant qu’adjoint du nouveau maire de Strasbourg Pierre Pfimlin. Trente ans durant, Germain Muller restera impliqué dans les affaires culturelles de la Ville et de la Région

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bien été élu ! Les Strasbourgeois l’appréciaient vraiment.Il a beaucoup fait pour la compréhension des Alsaciens, la « psychologie alsacienne » : l’Alsacien est pris au milieu d’une contradiction entre la France et l’Allemagne. Personnellement, je n’ai vraiment souffert de cette contradiction que du point de vue linguistique. Pendant longtemps, pour moi, le français c’était la langue étrangère ! Germain à travers ses sketchs a su mettre en valeur cette particularité. Pour moi, Germain a bien insisté sur la résistance alsacienne à la notion germanique, celle du « Prussien », celle du Roi Guillaume ! Ce à quoi l’Alsacien est complètement opposé et pourtant parfois associé à tort.

Il y avait sans aucun doute quelque chose de très libérateur quand on assistait aux revues de Germain. Le sketch de La Chambre Civique où il est question de l’épuration est important car il met en évidence une grosse erreur alsacienne. L’épuration envenimait les petits griefs entre citoyens et donnait raison aux plus vils. C’est ce que Germain a voulu montrer. Quand Germain Muller a disparu, c’est quelqu’un de très important pour la région qui nous a quittés.»

„Zallemols, wie sich de Germain ùm d’Mairerie beworwe het, hàn’s àlli fer e Wìtz ghàlte. Àwer àm And ìsch er doch

gewählt wùrre! Dìs bewist, ass ne d’Stroßbùrjer rìchti garn hàn ghett“

Germain à la mairie. © Coll.Association Mémoire Barabli

„Wànn mìr d’Spektàkel vùm Germain gsahn het,

het mìr sich wie befréit gfìehlt.“

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Rencontre avec les résidentes de Im Laeusch

Elles sont nombreuses à avoir répondu à notre appel. Une dizaine de résidentes de cet EPHAD situé sur la Cité de l’Ill évoquent leur vie pendant la guerre et se souviennent avec tendresse de Germain Muller.

Partir ou rester

La majeure partie étant originaire de Strasbourg et ses alentours, en 1939-1940 ces femmes ont été évacuées en Dordogne. Certaines y sont restées, comme Elisabeth qui avait alors 17 ans : « J’ai failli me marier là-bas. Mais je ne trouvais pas chaussure à mon pied. Moi, je voulais un Alsacien ! »

Toutes les évacuées gardent un bon souvenir de leur période en dehors de l’Alsace. Elisabeth continue son récit : « Certains Alsaciens ont été mal accueillis. Mais ce n’était pas mon cas. C’était vraiment merveilleux. Nous étions chez des petits paysans et le fils de la famille voulait se marier avec moi. Après, nous avons continué à les fréquenter. D’ailleurs, ma fille s’est mariée avec le fils de ce monsieur qui voulait m’épouser ! »Yolande nous dit qu’il ne faut pas oublier le sort des Lorrains, commun à celui des Alsaciens : « Je suis Lorraine mais mes parents travaillaient à Paris. Pendant la guerre, nous sommes donc allés à la capitale. J’avais alors quatre ans. Mes parents voulaient que j’apprenne le français dans une école privée. »

A l’heure où la guerre est presque virtuelle, retransmise pour nous par les médias et vécue ici par secousses, il est plus difficile de s’imaginer la réalité d’une occupation. Comment vivait-on, en Alsace ou non, lorsque son pays est en guerre ? Elisabeth, qui est donc restée

en Dordogne, nous dit : « J’étais une jeune fille à l’époque, alors la guerre j’essayais de ne pas trop y penser. Je travaillais, j’étais couturière et je confectionnais des parachutes qui étaient en pure soie. En Dordogne, c’était une autre ambiance. Je m’amusais, on allait danser ! Par contre, mes cousins qui sont restés en Alsace ont été enrôlés de force. Ils sont tous morts, avec ce statut de Malgré-Nous. » La jeunesse était donc une force pour ces femmes, qui ont pu vivoter en attendant que les combats cessent. Marie-Louise, restée en Alsace, confirme « nous faisions avec, sans faire de vague. »

Si certaines familles ont fait le choix de revenir après l’évacuation, c’est aussi parce qu’il est difficile de renoncer à tout du jour au lendemain. « Aussi, nous dit Marie-Thérèse, beaucoup de personnes n’avaient pas d’autre choix que de revenir. Par exemple, mon père était parti en Haute-Savoie, mais il a dû revenir car ma

Les Alsaciens revenus de l’évacuation se rendent au Bureau de Renseignement pour les sinistrés et sans logements, 1940© Archives Ville de Strasbourg

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mère était malade. Il y avait une entraide, de la débrouille entre Alsaciens. On marchait beaucoup par troc. Ma mère faisait de la couture pour un paysan qui lui donnait des pommes de terre, du lard ou des œufs. »

La vie en Alsace occupée est alors rythmée par l’école en allemand, les chansons obligatoires à la gloire du Führer et le silence imposé à la population. Marie-Thérèse, toute petite à ce moment, se souvient : « Je suis restée en Alsace pendant toute la guerre. Je vivais dans un village au pied du Hartmannswillerkopf. Les Allemands avaient du mal à traverser les Vosges. Parfois, nous nous réfugiions chez un voisin, un paysan qui avait une cave voutée. Je me souviens de la maternelle où il y avait une Fräulein allemande. Il y a eu un moment de latence entre le départ des instituteurs allemands et le retour des instituteurs alsaciens qui avaient pour obligation d’être formés en Allemagne nazie. Cela a duré un an pour moi.Il était interdit de parler français. Nous parlions allemand dehors et alsacien à la maison. Après la guerre, c’était évidemment le contraire : plus le droit à l’allemand à l’école – et du français partout ! Même à la maternelle, il y avait une photographie d’Hitler au mur. Nous étions obligés de faire le salut nazi. Une fois, avec un petit camarade, nous ne l’avons pas fait. La Fräulein nous a mis tous les deux à la rue. Par peur des représailles de nos parents, qui allaient passer par là, nous sommes vite rentrés pour ne pas être encore plus punis ! »

Les enfants étaient bien ciblés par les soldats allemands, car facilement manipulables :

« Souvent, ils nous demandaient si nous avions entendu à la maison le bruit « boum boum boum ». En fait, il s’agissait du générique de la radio anglaise BBC. Si nous disions oui, cela voulait dire que nos parents étaient du côté des Alliés, écoutaient la radio en cachette et ils se faisaient immédiatement déporter… » se souvient encore Marie-Thérèse.

Toutes ont été marquées par l’interdiction du français, mais Elisabeth et Marthe en rient aujourd’hui : « En alsacien, il y a beaucoup de mots français qui se glissent dans les phrases. Mais pendant l’annexion nous n’avions pas le droit de les prononcer ! C’était bien compliqué de trouver des équivalents à « béret » ou « trottoir » ! »

Elles se souviennent aussi de la germanisation des noms, vécue d’ailleurs par Germain Muller qui pendant la guerre a dû se renommer Hans Gert : « Nous devions trouver l’équivalent allemand de nos noms, ou alors en changer complètement. Ce fut problématique après la guerre, car nous devions prouver que nos parents étaient Alsaciens et non Allemands. »A propos de cette modification des noms, Elisabeth se souvient : « Avec mes parents et ma sœur, nous étions à la maison pendant l’Occupation. Au rez-de-chaussée, nous avons entendu des pas. Des bruits de bottes. Je peux encore les entendre … C’était un soldat nazi. Nous étions effrayés. Il a ordonné à mon père de sortir de la maison. Le soldat a pointé le nom sur la boite à lettre. Le simple oubli du tréma – qui aurait germanisé notre nom – a failli nous coûter cher… Il y avait aussi les noms à consonance israélite, alors que les personnes concernées

„D’ditsche Sàldàte hàn d’Kìnder gfröjt, eb se de „Bùmm, Bùmm, Bùmm“ vùm Jingle vùm anglische Sander BBC dhëëm gheert hàn. Wànn mìr ja gàntwort het, het mìr

sìcher kénne sìnn, àss d’Eltere deportìert ware.“

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n’étaient pas juives. Cela a créé beaucoup de quiproquos. »Et après ?

Tout d’un coup, avec l’arrivée des Américains, elles s’ouvrent au monde, elles qui avaient vu peu de choses dans leur quotidien restreint. Marie-Thérèse nous dit: « La première personne de couleur que j’ai vue, c’était au moment de la Libération. Nous connaissions si peu de choses ! J’ai eu une indigestion à cause des chewing-gums que les Américains distribuaient. Nous n’en n’avions jamais mangé avant. Je ne savais pas qu’il ne fallait pas les avaler… » Une autre petite anecdote vient égayer le souvenir de Marie-Thérèse au sujet des célébrations de la Libération : « Ma mère, pour me confectionner un costume typiquement

alsacien lors des célébrations de la Libération, a dû prendre du tissu rouge... sur un drapeau nazi. J’ai toujours ce costume. » Un joli pied-de-nez à l’Histoire, et une anecdote qui n’est sans rappeler celle de Maurice Lebrun.¹1

Cependant, la Libération ne fut pas la grande fête joyeuse escomptée. Beaucoup de problèmes persistaient, si bien que l’après-guerre fut une période aussi délicate. Marie-Thérèse se remémore : « Ce qui était pénible, c’était l’esprit de suspicion qui régnait sur les Alsaciens qui auraient collaboré. Cela touchait particulièrement les fonctionnaires alsaciens restés pendant l’Occupation et donc soumis à

¹ Le 23 novembre 1944, jour de la Libération de Strasbourg, le chef de car Maurice Lebrun accomplit la volonté dictée par le général Leclerc, à savoir planter le drapeau français sur la cathédrale. Pour confectionner ce drapeau avec les moyens du bord, il aurait pris le tissu rouge du drapeau nazi.

l’administration du Reich. L’épuration, c’était

terrible. Je revois toutes ces femmes tondues qui étaient lynchées… »

Comment alors concilier avec les différentes transformations opérées sur l’Alsace et son héritage multiple : Français, Allemand, Alsacien ? Marthe nous dit : « Nous baignions dans deux cultures certes, mais nous vivions tout de même « à l’Alsacienne ». Nous prêtions attention à nos coutumes, nos traditions. » Sur la relation franco-allemande, dont Germain dit que les Alsaciens sont les médiateurs privilégiés, Marie-Thérèse ajoute : « L’amitié franco-allemande s’est vraiment mise en marche, plus grâce au peuple que grâce aux politiques. »

Rire des choses sérieuses

Et il y eu aussi Germain, qui grâce à sa puissance satirique a redonné de l’éclat à cette région meurtrie. Germaine, qui a été deux fois au Barabli, en témoigne : « Il nous aidait à refaire surface, surtout dans les années 1950. On revivait en tant qu’Alsacien. » Marie-Louise ajoute « On pouvait enfin rire de nous » et Marthe confirme « C’était l’Alsace qui revenait avec lui. Tout ce qu’il disait, c’était vraiment ce qui s’était passé. Il était comme un porte-parole des Alsaciens. On passait vraiment un moment agréable dans son cabaret, et on y réfléchissait. »

Toutes ont vu les sketchs de Germain, si ce n’était pas sur scène en direct, c’était à la télévision ou à la radio. « Germain était un peu comme un Dieu pour nous, confesse Elisabeth,

„Ìwer arnschti Sàche làche ìsch laweswìchtich. D’Sàtir gheert ùnserem elsassische Kültürguet.“

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nous l’admirions beaucoup pour son humour et sa franchise. Il m’arrivait de le croiser dans la rue, je lui disais simplement bonjour. Tout le monde le connaissait ! »

Certaines ont côtoyé Germain de plus près, à l’instar de Jacqueline : « Je travaillais en tant que costumière avec Gaston Goetz, Marcel Grandidier, Marcel Spegt et aussi Germain Muller : de grandes figures de l’humour et du théâtre alsacien. J’ai adoré travailler avec eux. J’ai aidé Germain notamment pour ses émissions sur FR3 Alsace. C’était une grande époque. Mais Germain est toujours là, dans nos esprits. Il m’est arrivé d’aller au cimetière du Cronenbourg pour lui rendre hommage, sous ce gros parapluie rouge où il repose désormais. »

Yolande se souvient de l’émotion suscitée par D’Letschte « toute la salle chantait, tapait du

Soldat allié embrassant une Alsacienne à la Libération, 1944. © Archives Ville de Strasbourg

pied quand il commençait à la faire avec sa troupe. » Et elle ne se fait pas prier pour entraîner les autres à rechanter le « tube » de Germain.

Toutes louent sa franchise, son humour, la sympathie qu’il suscitait. Pour elles, aucun doute, l’humour alsacien est inscrit au patrimoine au même titre que sa gastronomie ! Encore aujourd’hui, elles apprécient La Revue Scoute, et La Choucrouterie de Roger Siffer. « Il faut que cela perdure. Il faut rire des choses trop sérieuses. La satire, cela fait partie de notre patrimoine » dit Marthe. « On y tient à notre Alsace ! Nous sommes très fières d’être Alsaciennes. » Et en hommage à cette région qu’elles aiment, toutes entonnent Ja, Elsass unser Ländel « Que notre Alsace est belle ».

Merci à Ophélie Alran, animatrice à Im Laeusch.

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Témoignages

L’amour du théâtre en étendard

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Marguerite Gauthier

« Je suis née à la Libération. Nous étions huit enfants, et les temps étaient durs... J’habitais à Koenigshoffen dans un petit appartement, que nous partagions à dix (…). Je parle alsacien depuis mon plus jeune âge et sais également parler l’allemand.

Je n’allais pas au cabaret, mes parents n’avaient pas les moyens et à partir de 14 ans je travaillais, je faisais des petits boulots dans le quartier, pour gagner de quoi aider mes parents. Je connaissais Germain Muller, pas vraiment grâce à ses spectacles mais parce que c’était mon voisin ! J’habitais au 5ème et lui au 4ème étage. C’était un homme intelligent, drôle, toujours sympathique, j’ai même fait le ménage au Barabli et je connaissais quasiment toute la troupe. Je me souviens qu’il était spécialement fusionnel avec sa mère, elle l’aidait pour beaucoup de choses. C’était un homme bien, tout comme sa mère. »

Propos recueillis par les élèves du Lycée Oberlin

Jean-Claude Rudloff

« L’alsacien est ma langue maternelle, j’allais au théâtre à Lingolsheim ou à Strasbourg avec mes parents ou avec des amis. Je connaissais bien Germain Muller et son cabaret, tout le monde en parlait à l’époque, car ses revues faisaient parfois scandale !Dans mes souvenirs, en 1946, j’avais donc 13 ans. J’ai assisté avec mes parents à une représentation de la première pièce donnée par le Barabli. C’était à l’Aubette, nous sommes venus en tram,

Souvenirs, Souvenirs…Germain… parlons-en encore !

Ces témoignages ont été recueillis dans le cadre d’une collaboration en 2014 entre le Musée Alsacien et les élèves section ASSP (Accompagnement Soins et Services à la Personne) du lycée Oberlin et du lycée Sainte-Clotilde. Qu’ils aient été spectateurs d’un soir, fan de la première heure ou même voisin, toutes ces personnes rendent compte de la sympathie suscitée par Germain Muller et du souvenir impérissable qu’il leur laisse.

Jean-Claude B.

« Ancien agent immobilier, nous avions une petite entreprise familiale qui gérait notamment l’immeuble dans lequel habitait la famille de Dinah Faust, sa femme. C’est comme ça que je l’ai connu. Bien sûr j’allais aussi voir ses revues. Je me souviens même de ses toutes premières représentations, à L’Aubette, notamment de son spectacle « D’Idole », ça veut dire « Idiot » en Alsacien !

Nous étions si mal assis ! On évitait de prendre les places du premier rang car quand Germain parlait, souvent il crachait ! Il aurait fallu prendre un… Bàràbli pour s’abriter ! Mais même mal assis, je garde un excellent souvenir de cet homme et de son cabaret. »

Propos recueillis par Elaine, Sofia et Ines du lycée Oberlin section 1ASSP3 dans une ABRAPA

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très curieux de découvrir ce nouveau genre de théâtre…La pièce en alsacien s’appelait « Steckelburi schwingt » ce qui veut dire les « Strasbourgeois swinguent ». Dans cette pièce Germain Muller et sa troupe se moquaient des politiciens et surtout de la colonisation africaine. Je connais encore aujourd’hui les paroles et la musique de la chanson que la troupe reprenait en chœur. L’ambiance était survoltée ! Les gens riaient forts, applaudissaient, en redemandaient ! C’est un des souvenirs les plus forts de mon enfance ! »

Propos recueillis par Elsa Thenard, Terminale ASSP 2 du Lycée Sainte-Clotilde

Elisabeth Gutter

Le « Barabli » est le nom du cabaret de Germain Muller en référence au « parapluie » en français, c’est à dire qu’il s’abritait sous son ironie.L’Aubette, à l’époque, c’était plutôt un théâtre ou Cabaret, il y avait énormément de monde sur la place grâce aux succès de Germain Muller et à sa troupe. Le cabaret était plein tous les soirs ! On s’amusait, on rigolait… L’ambiance était vraiment plaisante.

Le thème des spectacles de Germain Muller était l’autocritique de l’Alsace, la critique de Paris. Nos frictions et amitiés avec nos voisins les Allemands qui sont de l’autre côté du Rhin… C’était toute la politique alsacienne qui était mise sur scène.

J’allais au théâtre de temps en temps afin de voir la troupe de Germain Muller et les autres. J’y allais avec des amis et la plupart du temps,

c’était au théâtre municipal de Colmar. Je me souviens que la foule s’amusait ! L’ambiance était vraiment conviviale et amicale ! »Mon meilleur souvenir remonte à longtemps ! Mais je me souviens que dans sa troupe, il avait un homme de couleur (nb : Charles Lobstein) qui parlait un excellent alsacien. En sachant qu’à l’époque, un homme de couleur parlant l’alsacien était assez notable ! C’était un personnage très drôle et sympathique. J’en garde un merveilleux souvenir.

Propos recueillis par les élèves du Lycée Oberlin

Liliane Nietche

« Je suis alsacienne et je n’ai raté aucun des spectacles de Germain Muller, que ce soit au théâtre comme au cabaret.J’ai découvert Germain Muller dans les années 1960 grâce à ma grand-mère qui était une grande fan. Je suis devenue une fidèle spectatrice et n’ai plus jamais raté aucune de ses revues, au Cercle Mess place Broglie, un vieux théâtre installé au 1er étage. Il était épaulé par sa femme et toute sa troupe dont je me souviens encore de quelques noms Robert Breysach, Charles Falck, Christian Hahn, Mario Hirlé… Germain Muller, un phénomène sur scène ! Il avait une prestance, du charisme et énormément de talent. Dès qu’il entrait en scène en roulant ses gros yeux et saluant, les Français, les Alsaciens et les Allemands, toute la salle riait déjà. Son spectacle traitait de la vie de tous les jours, de la politique locale et nationale.Le 10 octobre 1994, un grand homme est mort, mais il restera à jamais dans nos cœurs. »

Propos recueillis par les élèves du Lycée Oberlin

Illustration Ines Wagner © Ines Wagner

L’amour du théâtre en étendard - 31

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Marcel Spegt et Bernard Kolb

Figures incontournables du Théâtre Alsacien de Strasbourg, l’un depuis 1947, l’autre depuis 1968, Marcel Spegt et Bernard Kolb ne cessent de défendre le patrimoine local. Reconnaissants envers Germain Muller et son œuvre libératrice, ils sont revenus avec nous sur leurs débuts, les liens entre Germain et le TAS mais aussi sur la place du théâtre dialectal aujourd’hui.

- Où avez-vous grandi tout deux ? Avez-vous toujours baigné dans le monde artistique ?

Bernard Kolb : J’ai grandi à Lingolsheim, un village tout près de Strasbourg. A l’époque les villages alentours n’avaient pas de liaison avec la ville alors qu’on était tout à côté. Je suis né au tout début de la guerre, en 1939. Je n’ai donc pas connu l’évacuation, contrairement à mes parents. A Lingolsheim, les habitants étaient envoyés vers d’autres villages environnants. L’idée était que ceux qui vivaient un petit peu trop près de Strasbourg ne subissent pas les conséquences. Une énorme bêtise ! Ils pensaient que la ligne Maginot allait être la frontière ultime, le garant de l’indépendance de la France.

Marcel Spegt : Oui, je me souviens, nous avions tous des petites médailles avec écrit « qui frotte s’y pique » !

B.K : C’est vrai. Mon père venait d’Epinal, il était donc Lorrain. Par conséquent, il est resté prisonnier de guerre jusqu’en 1944 et n’a pas été enrôlé. J’ai donc été élevé par ma grand-mère qui habitait en face de la paroisse catholique. Mon enfance c’était les Bengele - sorte de scouts chrétiens. Ils donnaient une grande importance à la culture. Aussi, dès 1946, les chorales se reformaient en Alsace. Les chorales avaient généralement une section théâtre. Ainsi, dès 6 ans, je montais sur les planches.

Il y avait une grosse vague de changement dans l’Education nationale après la guerre. J’ai eu la chance d’avoir pendant six ans deux instituteurs suivant la pédagogie Freinet qui promeut les activités artistiques : le chant, l’impression d’un journal local, le dessin, etc. J’ai baigné tout de suite dans une éducation plus souple et ouverte que celle normalement instituée. Un de mes professeurs était même fanatique de cinéma, on tournait des petits films en 9.5 mm

M.S : Je suis né dix ans avant Bernard, en 1929, et j’ai grandi à Schiltigheim. Ses habitants ont été évacués vers St Julien en Dordogne – des villages très pauvres, délabrés. Mon père travaillait à la société générale de Strasbourg donc nous avons eu la chance d’être évacué à Périgueux dans un wagon commode. Là-bas avait été transférée toute l’administration strasbourgeoise : la mairie, les banques, la préfecture. Nous avons pu bénéficier d’un vrai appartement, avec une cuisine et une chambre pour les parents. Je n’avais pas une famille d’artistes mais j’ai toujours connu le Théâtre Alsacien car mon oncle Frédéric Spegt était l’un de ses membres fondateurs. Notre famille avait donc une « baignoire » réservée au Théâtre.

Marcel, quel souvenir gardez-vous de l’évacuation et de votre retour en Alsace annexée?

M.S : L’évacuation était une bêtise. On nous amenait dans la région la plus pauvre de France. Même si notre famille a été très bien reçue, il y avait un fossé entre notre vie alsacienne et celle que nous étions forcés de mener. Et il faut se figurer les changements radicaux opérés à notre retour : je n’avais alors que 10 ans. Tout d’un coup, pour moi, plus de collège St Etienne, mais la Bismarck Hochschule. Plus de français mais de l’allemand partout. Même l’écriture avait changé, nous devions nous mettre au Sütterlin !

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Page 33: Logo du Barabli, 1947 © Richard Schall Couverture

Et tout nos professeurs étaient âgés, parfois des retraités qui reprenaient du service. Nous, enfants et adolescents, étions un peu abandonnés. Nous ne comprenions plus rien.

Comment êtes-vous arrivés au Théâtre Alsacien de Strasbourg ?

MS : J’ai quitté le Lycée Kleber à 16 ans, je suis allé au Conservatoire. Là-bas j’ai rencontré Dinah Faust, la future compagne de Germain. Après j’ai eu la chance d’avoir une petite émission hebdomadaire à Radio Strasbourg. Je suis arrivé au Théâtre Alsacien en 1947, Germain avait donc commencé l’aventure du Barabli depuis un an. Il a d’ailleurs recruté ses comédiens parmi les membres du Théâtre Alsacien : Félice Haeuser, Robert Breysach, René Wieber, Charles Falck…Personnellement, je n’ai jamais été attiré par le cabaret. Les formes classiques du théâtre me conviennent mieux.

B.K : Marcel est mon père spirituel. Je suis arrivé au TAS grâce à lui et à Félice Haeuser, qui a ensuite fait partie du Barabli. Un jour ils sont venus au Théâtre Alsacien de Lingolsheim où nous faisions une petite opérette avec ma troupe. C’était un honneur de les recevoir. J’ai osé lui demander s’il y avait possibilité de me joindre au TAS, et ce fut chose faite en 1968.

Justement, les évènements de Mai 68 ont-ils eu une influence pour le TAS ?

B.K : Nous avons toujours eu un public particulier, ce n’est pas un théâtre de « recherche » comme le TNS par exemple, mais c’est un théâtre populaire avec ses propres règles et ayant la culture de notre Alsace. L’influence de ce qui était pour beaucoup d’Alsaciens « la chienlit de Mai 68 », comme disait De Gaulle, a touché ici principalement le monde étudiant. Cela a aussi impacté sur le marché économique. Mais au-delà, je dirais que transgresser les règles

est difficile pour la majeure partie des Alsaciens. L’Alsacien typique est d’avant-garde mais pas transgressif. Evidemment, heureusement qu’il y a eu des Alsaciens rebelles pendant la guerre, mais pour cette période de Mai 68 c’était différent. Il n’y a pas eu de bouleversements majeurs.

Quels étaient les liens entre Germain Muller et le TAS ?

M.S : Georges Baumann, qui a dirigé le Théâtre Alsacien après la guerre jusqu’à sa mort en 1965, travaillait déjà avec le père de Germain Muller à la préfecture avant la guerre.La première fois que Germain a joué au Théâtre Alsacien, c’était pour Les Brigands de la Forêt de Brumath de Claus Reinbolt en 1947. Il est revenu plus tard chez nous, en 1971 pour la mise en scène d’une pièce de Charles-Gustave Stoskopf – fils de Gustave Stoskopf, un des pères du Théâtre Alsacien.

Marcel Spegt, Germain Muller, Dinah Faust jouent Monsieur Chasse ! de Feydeau © Archives privées de Marcel Spegt

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Moi j’ai vraiment connu Germain en 1956, nous jouions ensemble une pièce de Feydeau traduite en alsacien, Monsieur Chasse ! Dinah jouait aussi avec nous. C’est grâce à cette pièce que j’ai pu approcher le personnage « Germain Muller ». C’était très différent de le croiser comme ça et de travailler avec lui !1

Comment cela se passait ?

M.S : Il était très exigeant, il fallait respecter les virgules et les points ! Ses acteurs sont devenus des « machines Germain Muller. » Il leur mettait le texte en bouche. Les répétitions étaient sans fin, et se terminaient souvent au bar.

Le public du Barabli était-il le même que celui du TAS ?

M.S : Le TAS et Le Barabli c’était très différent. Il y avait une entente entre nos deux institutions, car les spectateurs ne venaient pas nous voir pour le même contenu. Aller au théâtre et au cabaret, ce n’était pas incompatible pour nos

spectateurs.

B.K : Moi-même j’allais aux deux ! C’était deux mondes à part. Le cabaret a un format très spécial : un enchainement de sketchs courts, axés en général sur une analyse de la société, rythmés par des chutes continuelles. Il y a une approche intellectuelle différente du théâtre dont la narration est la clef. Quand on allait au Barabli, on s’attendait

1 Marcel Spegt a collaboré d’autres fois avec Germain Muller, il apparaît notamment dans la série De Vaisselier créée par Germain et diffusée dans les années 80 sur France 3 Alsace.

toujours à être surpris. La partie la plus attendue, c’était son introduction, son petit « one man

show » où il chauffait la salle. C’était le délire ! Et tous les soirs cela changeait, en fonction du public, de la ville où il se trouvait.

Selon vous, qu’apportaient Germain et Le Barabli aux Alsaciens ?

M.S : Grâce à Germain, notre parole s’est libérée. On pouvait enfin penser et dire ce qu’on voulait. On était fiers d’être Alsaciens quand nous sortions du Barabli.

B.K : Germain n’est jamais allé trop loin dans la critique politique. Ce n’était jamais cruel, toujours très fin malgré un langage cru, le langage populaire que les spectateurs adoraient. Après la guerre, il surfait sur un anti-germanisme primaire mais s’attaquait très bien aussi aux excès de la société française. Il mettait bien en évidence la différence alsacienne, sa spécificité. Les Alsaciens, on s’est toujours senti mal-aimés.

Et voici un personnage haut en couleur qui vient nous réconcilier avec nous-mêmes. Il avait cette force de trouver constamment le moyen de nous mettre un peu de baume au cœur. Germain parlait en connaissance de cause. Il transportait avec lui son vécu émotionnel, qui était aussi le nôtre.

Le Barabli était une véritable famille, surtout à ses débuts. Y avait-il un esprit de troupe aussi fort pour le TAS à la même époque ?

M.S : Les comédiens du Théâtre Alsacien, c’était un noyau qui ne changeait pas. On recrutait

„Vìel Schäuspìeler vùm Stroßbùrjer Stàdttheàter hàn sich em Bàràbli àngschlosse.

Mìr hàn namli ’s salwe Püblikùm ghett, wie ùns àwer üss verschìedene Grìnd lueje sìnn kùmme.“

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Page 35: Logo du Barabli, 1947 © Richard Schall Couverture

des figurants si nécessaire, mais nous voulions vraiment conserver cet esprit de troupe. Les gens reconnaissaient les comédiens dans la rue, surtout que peu à peu la télévision locale a vite voulu s’approprier la culture théâtrale et le cabaret, que ce soit le TAS ou le Barabli. Aujourd’hui cet esprit de troupe se perd. Après le spectacle, nous allions au bar, c’était là que commençait pour nous le théâtre ! Aujourd’hui, les comédiens ne recherchent plus cela.

B.S : Ils ne peuvent pas se le permettre tout simplement. Beaucoup de comédiens travaillent autre part qu’au théâtre, le rythme est éreintant, la pression folle.

Que pensiez-vous de la présence de Germain sur la scène politique locale ?

B.K : Il est difficile de juger d’un point de vue extérieur. Je n’ai connu le Germain politique qu’à

travers les journaux, les faits et son amitié avec Pierre Pfimlin. Pfimlin était MRP, l’Alsace aussi par extension. Les sentiments centristes de Germain devaient donc exister quelque part. Mais Pfimlin avait une position ambigüe par rapport à De Gaulle. Or en Alsace, De Gaulle était intouchable. C’était le libérateur. Germain était démocrate avant tout, affilié à aucun parti politique. Etait-il un faire-valoir ? Je ne pense pas. Quand Pierre Pfimlin l’a pris sous son aile, son image allait forcément être embellie par cet homme apprécié de tous les Strasbourgeois. Et il y avait aussi André Bord, gaulliste à 200% qui complétait le tableau. Ainsi le trio Bord – Muller – Germain offrait à

Strasbourg un drôle de trio, deux politiques et un artiste-critique.

Le TAS a-t-il eu une forme d’engagement aussi ?

M.S : A sa création le Théâtre Alsacien était plus de gauche que de droite. C’était un véritable théâtre populaire et même s’il y a pu avoir différents changements, il l’est encore.

B.K : L’engagement principal – et ce depuis toujours - c’est la promotion de la culture alsacienne. Tous les artistes qui se sont retrouvés ici avaient à l’esprit : « nous aussi, Alsaciens, nous savons faire la culture ».

D’ailleurs, diriez-vous que cette importante production culturelle en langue régionale (pièces, cabarets, etc.)… est propre à l’Alsace ?

B.K : Il n’y a nulle part ailleurs en France, d’après

ce que j’ai vu, une aussi grande capacité de création théâtrale et littéraire en dialecte. Les Bretons, les Basques etc. sont très attachés à leur langue et à leurs traditions. Mais en Alsace, il y a une potentialité de littérature dialectale incroyable : que ce soit le théâtre, le cabaret, les poèmes, les romans...

M.K : Et c’est l’histoire qui est sans doute la cause principale de cette production, cette réaffirmation de l’identité n’est pas sans lien avec les différentes annexions.

L’Alsace a encore ce statut à part pour vous ?

M.S : J’ai toujours dit « il pleut à Paris, mauvais

„De Germain ìsch ìmmer Bàlsàm fer ùnsri Seel gewann. Noochere Ùfffìehrùng vùm Bàràbli, sìnn mìr stolz gewann,

Elsasser ze sìnn, mìr ùngelìebti Trépf.“

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il vient chercher le divertissement, le rire en alsacien surtout. Grâce aux comédiens et à l’association des Théâtre alsaciens, la Mutterspräche la langue maternelle, continue de vivre. Que va-t-il arriver ? Sommes-nous d’Letschte ? En tout cas, nous en sommes très proches. J’ai perdu l’automatisme alsacien, et plus on avance dans le temps, plus le public aussi perdra les subtilités de la langue alsacienne. On l’a vu dans Scapino, très bien traduit pourtant, des mots restaient incompréhensibles pour certains comédiens. Ce qu’il nous reste à faire, c’est de maintenir le mieux possible notre engagement. Mais nous sommes conscients que peu à peu le Théâtre Alsacien deviendra quelque chose d’exceptionnel que l’on ira voir de manière exceptionnelle.

temps pour toute la France ». Il y a en France un certains mépris des régions, et particulièrement pour l’Alsace.

B.K : On parle souvent de « l’âme alsacienne ». L’âme alsacienne, ne serait-ce pas d’abord d’avoir emmagasiné deux grandes cultures européennes : française et allemande ? Et de s’être approprié ce mélange. Un mal-aimé, a toujours besoin de se retrouver quelque part. Même encore aujourd’hui, il y a des moqueries vis-à-vis de l’Alsace. L’accent est très moqué ! C’était évident après la guerre, où l’amalgame était encore vivace entre Alsaciens et Allemands. Les Alsaciens ont toujours été obligés de se défendre, garder quelque chose qui leur est propre à travers la langue, les écrits, etc.

M.S : Quand tu es né à Périgueux ou ailleurs, tu es français. Nous, nous sommes d’abord Alsaciens. On nous a tellement ballotés, qu’il a fallu se trouver et s’affirmer en tant que tel.

Quel regard portez-vous sur le devenir de la culture régionale, notamment du spectacle en dialecte ?

B.K : On peut se poser la question, si Germain revenait aujourd’hui, dans notre société, que ferait-il ? Il s’adapterait, certainement. Mais il pourrait percevoir la mutation des spectateurs. C’est une vraie question culturelle : qu’est-ce que représente aujourd’hui pour un jeune le théâtre ? Le cinéma ? L’art en général ? La société qui allait voir Germain, c’était une société cultivée. La radio, les journaux… cela faisait partie de notre quotidien. Et il y avait une vraie qualité culturelle. Aujourd’hui, le niveau général a quand même baissé.

Que recherche le public, celui d’hier ou d’aujourd’hui, en assistant aux spectacles du TAS ?

B.K : Quand un spectateur vient chez nous,

PhotoW tirée de « Holzschumännele », une série de vidéo pour les enfants © Théâtre Alsacien de Strasbourg

„Mìr sìnn ùns bewùsst, àss ’s elsassische Theàter

nooch-ed-nooch ebbs Üsserordentliches wùrd,

wo mìr nùmme selte ànnegeht.“

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Germain Muller et Charles-Gustave Stoskopf © Association Mémoire-Barabli, Archives Ville de Strasbourg

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„D’Gschìcht vùn dëre Region beherrscht mich.“

Pierre Kretz est né en 1950 à Sélestat. Après des études de droit, en Allemagne et en France, il devient avocat. Il quitte le barreau la veille de ses 50 ans pour se consacrer pleinement à sa passion : l’écriture. Son œuvre fictionnelle ou critique témoigne de son amour profond pour l’Alsace. Il est l’époux d’Astrid Ruff, chanteuse yiddish, qui participe aussi au rayonnement de la scène artistique locale.

Enfance et héritage

L’Alsacien est ma langue maternelle. Mon père était instituteur dans un petit village de la région de Colmar. Comme c’était un tout petit village, mon père était donc mon instituteur. Il m’enseignait le français en classe, mais dans la vie courante nous parlions alsacien. Nous habitions au-dessus de l’école et avions ce système que je décris dans mon roman Le gardien des âmes soit une règle des étages : dans la salle de classe, c’était en français, mais plus haut, dans les appartements, c’était en alsacien.

Pendant la guerre, ma mère est restée en Alsace. Mon père, instituteur, a été enrôlé dans le régime spécial qu’Hitler avait créé : en Alsace il a fait nommer des instituteurs allemands, et envoya en Allemagne les instituteurs alsaciens pour germaniser le tout.En 1945 quand mon père est revenu, c’était la fameuse période « C’est chic de parler français ». Très souvent les gens disent que c’est affreux, le français étant vu alors comme une sorte d’obligation… Mais moi je voyais le côté des instituteurs, ceux qui avaient soupé du nazisme à cause de leur mutation forcée. Ils se disaient « s’ils ne l’apprennent pas chez nous, à l’école, ils ne l’apprendront jamais ». Donc je me fais un peu l’avocat de ces instituteurs qui prônaient le français d’un point de vue civique. Ce qu’ils ne savaient pas à l’époque, c’est qu’une langue peut mourir. Avant, ici, tout le monde parlait alsacien. Ils ne voulaient pas tuer l’alsacien, mais voulaient réaffirmer leur identité française.

„Ìm Mai 68 bìn ich 18 gsìnn. Mìr het ùnseri Sproch verteidiche mìen ùn demìt ebbs Néis erfìnde. ’s ìsch e Teil Erbguet vùm Lìnksràdikàlismùs:

mìr het nùmme vùm „Volik“ gereddt ùn ’s Volik het domols Elsassisch gereddt.“

© Pierre Kretz

Pierre Kretz, écrivain

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Je n’ai pas appris l’alsacien à mes enfants. Ce n’est pas un choix volontaire, ça s’est juste passé comme ça… Si je leur avais appris, avec qui l’auraient-ils parlé ? Mais un de mes fils, qui a 34 ans, est en train de prendre des cours. Il a cette envie de renouer avec une partie de son héritage. Je pense que c’est une question de génération.

Etant jeune, et encore aujourd’hui, j’étais très content de parler deux langues, d’être en possession de cette richesse du bilinguisme. Je m’intéressais aussi beaucoup à la langue allemande. Là où quelque chose s’est passé, c’est en Mai 1968. J’avais alors 18 ans. Les populations pourvues d’un dialecte – Bretons, Corses, Basques, Alsaciens… – étaient alors dans une reconquête, une réaffirmation de la langue maternelle. Les années 1970, d’un point de vue culturel, ont vraiment été marquées par ce mouvement national. Il fallait faire quelque chose avec le dialecte, créer avec. C’est un héritage du gauchisme, on avait que « le peuple » à la bouche. Et en l’occurrence, le peuple parlait le dialecte.

Le théâtre… et Germain

C’est pendant cette période que je suis arrivé au théâtre en dialecte avec ma troupe Jung Elsaesser Buehn ce qui signifie « jeunes Alsaciens de scène » par mimétisme de Brecht qui était une grande influence pour nous.Je baignais donc cette culture là, et en même temps j’allais aussi voir Germain Muller. Je ne pouvais pas faire autrement, c’était une institution, même si cela appartenait plus à la génération de mes parents.

Je pense que les Alsaciens ont un rapport particulier au rire. L’humour en alsacien a, à mon avis, une fonction « thérapeutique ». Les Alsaciens ont souffert de l’Histoire, et le rire c’est une défense par rapport à cela. Roger Siffer, de La Choucrouterie, pense aussi que la présence juive en Alsace a beaucoup marqué ce rapport à l’humour. Je trouve que c’est une idée intéressante, d’autant que Germain Muller a vécu toute sa vie dans le quartier du Contades à Strasbourg, où il y a une grosse communauté ashkénaze. Dans ses revues, il y avait toujours

Germain Muller serre la main de Charles de Gaulle © Coll.Association Mémoire Barabli

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une petite pique lancée aux Juifs – un de ces plus fameux sketch portait d’ailleurs sur Moshe Dayan. Les Juifs étaient aussi dialectophones, et venaient nombreux à son cabaret.

J’ai des images très fortes de Germain, j’en ai trois qui me viennent comme ça : celle du Germain de mon enfance que j’allais voir une fois par an au théâtre municipal de Colmar. C’était l’événement de l’année ! D’ailleurs je me souviens encore, en 1959, quand De Gaulle est venu en Alsace. Il a alors rencontré Germain et lui aurait dit « Alors, c’est vous le clown ? ». Plus tard, Germain est arrivé sur scène, un énorme bandage à la main et a déclamé à la manière de Cyrano « Cette main, oui cette main, a serré celle du général De Gaulle ! »

Ensuite, j’ai en tête le Germain éternel, tout de noir vêtu, et sa présence incroyable sur scène. Il existe très peu de personnes, au théâtre ou ailleurs, qui font cet effet. Il en imposait, vraiment. Et gare à celui qui arrivait en retard au début de la revue, il l’épinglait tout de suite ! Il improvisait, et avait un vrai rapport à son public.

La troisième image qui me vient, c’est plus tard quand j’ai monté ma troupe de théâtre semi-pro, sans subvention. Cela l’intriguait beaucoup. Et vu que c’est un petit monde, j’ai souvent croisé Germain à cette époque et sans cesse il me demandait si je n’avais pas besoin d’un coup de

pouce ! Pour quoi que ce soit, même de l’argent pour changer les roues de notre camionnette ! Et il se trouve qu’un jour, pour monter un petit festival, nous avions besoin de subventions. Alors je suis allé le voir, chez lui rue Ehrmann. A l’époque il était déjà adjoint au maire. Il m’a reçu le matin, en robe de chambre, le café au lait à la main. J’avais peur qu’il salisse mon dossier…C’était très fort, d’avoir en face de moi l’homme que j’admirais enfant, et même adulte, en robe de chambre !

Germain était un être complexe, avec ses failles et une personnalité détonante. Il était attiré par plusieurs choses dans le spectacle. Il a eu cette formation classique, puis a fini par faire principalement le cabaret toute sa vie alors que ce n’était pas son ambition première ! En même temps, il était fasciné par Broadway. Tous les ans il allait à New York voir les nouveaux shows avant d’écrire ses sketchs. Il y a aussi ici l’influence de son musicien, Mario Hirlé, fan de jazz et des nouveautés américaines qui a lancé le swing alsacien (Steckelburjer Swing).

Enfin n’en parlons plus est une pièce incroyable, vraiment très bien construite alors qu’elle reste dans une facture traditionnelle. Ce qui m’a toujours intrigué chez Germain, c’est qu’il n’ait fait qu’une pièce, alors que sa formation théâtrale est plutôt classique. Après il n’a fait presque que du cabaret. Je sais aussi qu’il avait

„Emol het mìch de Germain ìn Morjerock bi sìch empfànge! ’s ìsch mìr küm ze fàsse gsìnn, ìme Mànn,

wie ich vùn klein àn bewùndert hàb, ìn Pyjama gejenìwer ze stehn.“

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monté L’Avare de Molière, en dialecte. Moi-même j’ai voulu remonter cette pièce fin des années 1980-début des années 1990 et je voulais donc jeter un œil à sa traduction. Mais dans ses papiers, c’était un bazar inouï ! Impossible de remettre la main sur cette traduction. Il y avait même la cousine de Germain surnommée Poupette , son indispensable assistante, censée avoir classé les archives mais impossible de remettre la main dessus.

Etre Alsacien

Cela peut être plein de choses « la spécificité alsacienne » ou « l’âme alsacienne », ça dépend sur quel ton c’est dit. Cela m’évoque plutôt une sensibilité, quelque chose qui n’appartient qu’à la région mais difficilement définissable. En tout cas, il y a un réel mystère de la poétique de la langue. Surtout depuis que le dialecte s’éteint, et vu que pour moi cette « spécificité » ou cette « âme » passe surtout par là, une réelle définition me semble de plus en plus difficile à donner.

Si j’écris tant sur l’Alsace, ce n’est pas parce que je me sens investis d’une « mission » particulière. On transmet toujours quelque chose, certes, mais la transmission n’est pas mon but premier. J’ai toujours vécu ici, alors ce que je raconte c’est ce que je ressens, en tant que natif et habitant de l’Alsace. Je suis imprégné de l’histoire de cette région. Mon épouse, Astrid Ruff, qui fait du chant yiddish, est elle beaucoup plus dans cette optique. Elle voit que les jeunes générations ne parlent plus le yiddish et elle essaye de promouvoir cette langue auprès d’autres artistes, ou en faisant des ateliers. Pour moi, les choses sont comme elles viennent. Je reste intuitif.

Il faut bien noter comment Germain Muller mettait en scène son fameux morceau d’Letschte. Ce n’est pas tant le chant du cygne qui se laisse entendre. A la fin du morceau, ce qu’on ne peut pas savoir si on ne fait qu’écouter la chanson, Germain faisait tout de même un bras d’honneur ! En fait, ce sont plutôt les gens de ma génération, les baby boomers, qui sont vraiment… d’Letschte.

„De Germain ìsch e kùmplizìerter Mensch gsìnn, mìt sine Schwäche.

E bombischi Parsenlichkeit.“

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Germain dans les loges du théâtre du Cercle, 1948 © Coll.Association Mémoire Barabli

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Gérard Ober, ancien maire d’Hochfelden

Gérard Ober est un passionné de théâtre. Très impliqué dans la défense de la langue alsacienne, il a monté plusieurs projets dans son village autour du théâtre dialectal.De 1996 à 2008, il a été maire de la commune d’Hochfelden, à quelques kilomètres de Strasbourg. Il a accepté de nous recevoir chez lui, autour d’une tasse de café fumante, pour répondre à nos questions.

Que recherchiez-vous en allant au Barabli ?

On aimait aller le voir, non pas parce qu’on se sentait plus alsacien qu’un autre, mais parce qu’effectivement il avait le courage de dire les choses avec émotion et sourire. En sortant, on se posait des questions. Le rire pour mieux faire réfléchir a posteriori.

Aujourd’hui, les entreprises invitent les clients à voir La Revue Scout ou d’autres cabarets. Cela se faisait aussi avant d’y aller en bande. A l’époque aussi on allait voir Germain pour faire plaisir aux copains. Ce que j’appréciais particulièrement chez Germain, c’est qu’il tapait rarement sur un individu : il s’en prenait au collectif, aux coutumes, Bas-rhinois et Haut-Rhinois, aux Mitlaüfer (les suiveurs), aux Mitmonker (les conseillers municipaux) et les Bändele jäger (les hommes à l’affût des récompenses).

Avez-vous senti que sa revue s’est politisée, dès l’instant où il a été adjoint au Maire ?

Je n’ai pas souvenir qu’il ait été un grand adjoint. Il a été élu, parce qu’à un moment donné c’était la personne incontournable à Strasbourg, celle qu’il fallait avoir à ses côtés. Je ne pense pas qu’il l’ait vraiment cherché, ce n’était pas le genre Bändele jäger justement.

Etant adjoint, il ne se gênait pas pour critiquer les actions du conseil où il participait.

Trouvez-vous, aujourd’hui, que certains humoristes ou certains cabarets sont dans la lignée de Germain Muller, et surtout de son esprit satirique sans cruauté ?

Je pense tout de suite à Yves Grandidier, fils de Marcel Grandidier qui était un copain de Germain Muller. Yves Grandidier a créé une troupe de cabaret amateur « La Budig », dans la directe lignée du travail de son père. Il a démarré sa toute première revue à Hochfelden, et ils reviennent ici tous les ans. Le public se compose

à 80 % d’Alsaciens et 20 % de « Français de l’intérieur ». Comme pour Germain, La Budig ne s’en prend jamais à une personne en particulier. Ceux qu’ils font par contre, c’est se tenir au courant des nouvelles de chaque ville ou village qu’ils traversent pour intégrer une petite pique spéciale lors de la représentation. Je pense qu’Yves Grandidier est un héritier de la « méthode Muller ».

Affiche de la revue « Immer Ebs et jamais rien ! » de La Budig

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véritable plaisir pour tous les membres, qu’ils soient ouvriers, comptables ou patrons, de communiquer dans notre dialecte. Jusqu’à 22 ans, âge où j’ai quitté cette entreprise, je dialoguais en alsacien avec tout le monde. Dans les années 1950-60, tout le monde parlait alsacien. J’ai même eu des opportunités professionnelles grâce à ma maîtrise de la langue, il y avait et il y a encore je pense une sorte de solidarité alsacienne.

Et aujourd’hui ?

Il se trouve que mon épouse et moi sommes très impliqués dans la survie de la langue alsacienne, on s’occupe à notre niveau du théâtre alsacien de la commune. Le dialecte se perd de toute façon : quand je vais chercher mon journal, je dis gute morje

(bonjour en alsacien) et certaines personnes me regardent avec des yeux éberlués. Je m’attache volontairement à utiliser l’alsacien en public. Quand au supermarché je devine qu’une caissière est dialectophone, je continue en alsacien avec elle. Il ne faut pas se cacher ! Nous avons un héritage important, des traditions qui malheureusement se perdent. Nous avons deux enfants. Lorsque notre fille, qui habite maintenant en région parisienne, nous téléphone, elle nous parle en alsacien alors qu’elle est mariée à un « français de l’intérieur ». Elle ne veut pas perdre l’alsacien. Notre fils, lui, nous parle systématiquement en français. Et pourtant, il m’est arrivé de le surprendre quand il est avec des amis dialectophones de parler en alsacien !

„Mini Fräu ùn ich màche vìel, fer d’Sproch ze verteidiche.

Ich redd àbsìchtlich Elsassisch, mànichmol gückt mìr mich

vergelschtert àn.“

Nous remarquons que vous faites la nuance, à juste titre, de dire «héritier de la méthode Germain Muller » et non pas Germain Muller tout court…

Oui car l’histoire personnelle de Germain a vraiment donné une direction à ses sketchs. C’était un cabaret d’actualité, donc propre à son temps et par conséquent impossible à reproduire. Les thèmes de l’après-guerre étaient sa spécialité. Il faut se souvenir que Germain a vécu l’évacuation, l’enrôlement de force et la fuite, etc. Mais il n’y a jamais eu de méchanceté envers l’Allemand.

Justement, comment vos parents et grands-parents ont-ils vécu la guerre et ses conséquences en Alsace ?

Notre secteur n’a pas été touché par l’évacuation, ce sont surtout les habitants proches de la frontière qui ont été déplacés. Mon père a été incorporé de force, le père de mon épouse aussi. Ils n’ont jamais évoqué leur statut de Malgré Nous, c’était assez tabou.

Vous souvenez-vous s’il y a eu une quelconque conséquence dans l’utilisation de la langue alsacienne ?

Le « c’est chic de parler français » je l’ai découvert beaucoup plus tard. J’habitais et habite toujours à la campagne, nous n’allions pas spécialement voir ce qui se passait du côté de Strasbourg. Chez moi, cela ne s’appliquait pas. A l’école évidemment, c’était après la guerre car je suis né en 1942, l’enseignement se faisait en français. Je me souviens, pendant une petite période, l’enfant qui se faisait attraper parlant alsacien était puni.

Je n’ai pas fait de grandes études, mes parents avaient peu de moyens. J’ai commencé un apprentissage à 14 ans, dans une entreprise où tout le monde parlait alsacien. C’était un

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Et il y a-t-il une transmission de l’alsacien vis-à-vis de vos petits-enfants ?

Au départ nous voulions absolument que nos petits-enfants parlent alsacien. Tous le comprennent mais ne le parlent pas. Quelque part, nous nous en voulons de cette perte. De plus, l’alsacien est une bonne passerelle vers l’allemand à l’école. On ne pas va tomber dans le drame, mais c’est parce que nous sentons cette perte proche qu’avec mon épouse nous défendons l’alsacien tant que nous le pouvons.

Quand vous étiez en fonction à la mairie d’Hochfelden, avez-vous eu des initiatives dans le sens de cette défense ?

Il se trouve qu’avec mon côté « alsacien, théâtre », j’ai vraiment promulgué la tradition du théâtre dialectal. J’ai fais monter sur les planches des jeunes qui ne maîtrisaient pas l’alsacien pour jouer des grands rôles. Nous montions avec les enfants beaucoup de contes de Noël, encore une tradition alsacienne.Aussi, nous étions parmi les premiers, à Hochfelden, à traduire les noms de rue en alsacien. Nous avions fait une petite cérémonie, avec les enfants, pour leur expliquer l’origine des noms et l’importance du patrimoine régional. Beaucoup de parents étaient ravis de cette initiative.

En tant que maire, pensez-vous que Germain a eu un impact sur la politique culturelle régionale ?

Je suis allé 4-5 fois au Barabli, surtout dans les années 1980. À l’époque, j’étais encore loin de la politique, j’étais un lecteur des DNA comme tout le monde. Je ne me rappelle pas avoir vu des articles où c’était le Germain « conseiller municipal » qui était plus important que le « Germain du Barabli ». Ce n’était pas un politicien, même s’il a beaucoup œuvré pour la Ville. Je pense que c’était plus son passé de

saltimbanque qui le poussait à entreprendre d’un point de vue de la politique culturelle. Il connaissait l’envers du décor, les rouages pour monter tel ou tel projet. Et puis vous savez, ici, à la campagne, on n’idolâtrait pas Germain, nous savions juste que nous allions passer une bonne soirée au Barabli. C’était un peu le passage obligé, si vous voulez.

Vous marquez la différence entre campagne et ville. Il faut noter que Germain a œuvré pour une « réconciliation régionale », du moins à se faire comprendre par tous et pour tous, notamment en utilisant un dialecte basique et en montant le Barabli un peu partout…

Effectivement. Et oui, il y a une grande diversité en Alsace, aussi bien dans les traditions que dans le dialecte. Au sein même du Bas-Rhin, d’une ville à une autre, l’alsacien peut être différent ! D’ailleurs pour revenir au théâtre, il y a beaucoup d’adaptation de pièces anglaises en dialecte. Ce sont souvent des auteurs haut-rhinois qui s’occupent de la traduction. À la première lecture, j’ai souvent du mal à décrypter ! Germain Muller a effectivement intéressé la population alsacienne dans son ensemble. Les Mosellans, les Lorrains, les Badois allaient même vers lui.

„Ich gloeb nìtt, àss sich de Germain Mìller e politischi

Kàrrier gewùnsche hatt. Àlles, wàs er gemàcht het, wàs

d’kültürelle Politik ànbelàngt, het vor àllem mìt sinere

Vergàngeheit àls „Schirebìrzler“ ze duen. Er het àller Grùnd ghett, ze wìsse, wie’s hìnter de Kùlisse

zügànge ìsch!“

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Il a aussi œuvré à la réconciliation des Allemands et des Alsaciens. En tout cas, il avait vraiment l’amitié franco-allemande en bouche. Au niveau de la commune, est-ce que cela aussi vous importait ? Par exemple, avez-vous fait un jumelage avec une ville allemande ?

Il y a une trentaine d’années, les Allemands étaient très demandeurs de jumelage avec les villes alsaciennes. Quand j’étais encore conseiller municipal, Hochfelden avait été approché trois fois par les Allemands. C’était surtout des communes où il y avait une brasserie. Trois fois le conseil a refusé. Il y avait encore quelque chose qui restait de ces années de guerre. N’oublions pas que le maire de cette époque était un Malgré-Nous qui a été déporté. La question pour lui alors ne se posait même pas…Ce sont plus les villes du Sud, dans la région de Dax, que ces jumelages ont été effectifs. Ils n’ont pas vécu la guerre de la même manière que nous.

Il y a donc, pour certains anciens, une rancœur qui peut rester. Mais pour quelqu’un de votre génération, est-ce qu’il y a un impact ?

Dans le travail, et c’était il n’y a pas si longtemps, je me suis déjà pris des réflexions qui montrent encore l’amalgame entre Alsaciens et Allemands comme « voilà le casque à pointe qui arrive », pour ironiser sur ma rigueur. Même si ce n’était pas méchant, j’ai fait comprendre qu’il ne fallait pas tout mélanger. Enfant et adolescent, nous n’allions jamais en Allemagne. Encore aujourd’hui, et même si la frontière est toute proche, je ne m’y rends pas. Même si le temps a passé et que je n’ai rien connu de la guerre, inconsciemment il y a quelque chose qui reste. Et ce genre de réflexions que j’ai pu recevoir, même sur le ton de la blague, me laisse quelque chose d’amer alors qu’en soi la culture allemande m’intéresse. Il y a quelques mois, nous avons sympathisé avec un couple d’Allemands en voyage. Ils pensaient que nous étions Belges, car nous

maîtrisons bien l’allemand mais avec un petit accent. Il faut savoir que ma génération n’a pas appris l’allemand à l’école ! Je me souviens que Germain avait un jeu de mots qui résumerait cet impact. Il partait des mots Amer-Seidel, c’est le picon bière en alsacien. Il inversait l’expression pour nous faire entendre le sens français du mot, « amer le Seidl ». Autrement dit, le Seidel est parfois amer, difficile à avaler…

Que vous évoque « l’âme alsacienne » ?

Je ne saurais pas répondre à une telle question. Ce que je peux vous dire, c’est qu’automatiquement je me définis Alsacien avant d’être Français. Alors que l’Alsace c’est la France ! Mais dans mes tripes, je me sens d’abord Alsacien. On ne va pas faire un cours d’Histoire, mais je pense que sans qu’on s’en rende compte – par tout ce que les anciens nous ont raconté, par ce que nous avons lu, parce que nos grands-parents ont changé de nationalité - je me sens d’abord Alsacien.

Le petit écolier alsacien subit l’injonction républicaine ©Tomi Ungerer, illustration extraite de « Elsassisch Reda »

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Témoignages

« C’est chic d’être Alsacien ! »

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Rencontre avec le Comité de Loisirs des Seniors du Fossé des Treize

Elles sont une dizaine à se réunir une fois par semaine au Centre Socio-Culturel du Fossé des Treize, pour passer un moment convivial ensemble. Lorsque nous les avons rencontrées, elles étaient treize, certaines natives d’Alsace, d’autres « Alsaciennes de cœur » comme elles disent. Dans un joyeux brouhaha, où les souvenirs pétillent comme des bulles, chacune évoque son Alsace et son Germain Muller avec une grande bienveillance. Déjà ravies d’avoir écouté le conte de Colette Uguen Germain Muller. Enfin… parlons-en toujours ! lors de la Semaine Bleue à Strasbourg, nous leur avons proposé de revoir quelques extraits de sketchs du Barabli et d’interviews de Germain Muller. Récit d’un après-midi passé en compagnie de femmes débordantes d’énergie ! « On avait l’impression que Germain avait

quelque chose contre les Allemands. Il entrait en salle et disait « vous êtes tous là, ùn d’Schwowe au (les Sschleus aussi) » ce qui est un vilain mot. Il faut dire, qu’après la guerre, il n’était pas tellement bien vu d’être alsacien pour les « Français de l’intérieur », malgré la grande campagne alsacienne « C’est chic de parler français ». D’ailleurs cette fameuse phrase est à comprendre de deux manières : c’était pour réaffirmer la place de l’Alsace en France, mais aussi une moquerie de la part des Alsaciens qui entendent des comparses parler un mauvais français. Beaucoup nous prenaient pour des Allemands… »

Un amalgame qui semble être encore vivace. En voyage à Londres il y a quelques années, l’une de ces femmes a dû expliquer à un douanier que non, Strasbourg ne se trouve pas en Allemagne…

Pour justement rebondir sur l’image que dégagent les Alsaciens, et sur la confrontation entre Alsaciens et « Français de l’intérieur », nous leur montrons le sketch La spécificité alsacienne.

Le comité de loisirs des seniors © Musée Alsacien

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Germain Muller y joue un député alsacien face à la présidente de la Haute-Autorité Michèle Cotta jouée par Dinah Faust. Ils y parlent de l’accent, qui serait plutôt une « intonation », évoquent la méprise entre Alsaciens et Belges… et le mot « spécificité » comme clef pour comprendre ce qui fait l’Alsacien !

Aucune ne cache son plaisir, et toutes rient de bon cœur face à la caricature brossée par Germain. Rapidement, puisqu’il est question de dialecte et d’accent « à couper au couteau », certaines en viennent à nous parler de leur scolarité ici :

« Vous savez, nous avons longtemps été brimés par rapport à notre dialecte. A l’école on nous enseignait la délation ! Haut-Rhin et Bas-Rhin, campagne ou ville, l’enfant qui parlait alsacien était dénoncé par ses camarades. Il devait porter un signe distinctif – un carton, un gros collier avec un bouton… et le refiler à un

autre camarade si lui aussi utilisait le dialecte. C’était comme ça toute la journée, et le dernier enfant qui se voyait remettre le signe par ses camarades recevait alors une punition. »

Marie-Laure a épousé un « gars du Midi » : moqueries des deux côtés. Lorsqu’elle se rend chez sa belle-famille, les Sudistes n’hésitent pas à la taquiner. Et vice-et-versa. Quand les époux se réunissent du côté alsacien, le mari se sent très vite exclu. Catégorisé comme fainéant, Midi-Fülenzer « les gens du Midi sont des fainéants ». Le mari est en plus très réfractaire au dialecte qu’il n’a jamais voulu apprendre. Une autre dame de l’assemblée, originaire de Franche-Comté, a épousé un Alsacien. Son père l’a très mal pris, conséquence de l’image négative dont ont pu souffrir les Alsaciens après la guerre.

Le 25 septembre 1939, la famille de Germain Muller part pour Périgueux suite à l’évacuation de Strasbourg. De nombreux parents des dames ici présentes ont aussi été évacués en Dordogne et en Charente :

« Ils ont été plus ou moins bien accueillis. Mais ils devaient au départ vivre dans des taudis, des fermes d’une grande pauvreté. Mais tout de suite, les Alsaciens, très travailleurs, ont transformé ces taudis en habitats très convenables. » Liliane, originaire de Mulhouse, a quant à elle été séparée de ses parents : « Moi j’ai eu la chance d’être évacuée quelque mois par la Croix-Rouge, en 1944. Beaucoup d’enfants, privés de soins ou de nourriture puisqu’il y avait des pénuries énormes, étaient alors envoyés en Suisse. J’étais loin de mes parents, qui sont restés dans la région, mais je prenais ça comme des

„Làng het mìr ùns waje ùnsere Sproch ’s Lawe schwar gemàcht. Ìn de Schuel, het mìr ùns gelehrt, d’àndere ze verrote.“

Dinah Faust et Germain Muller en 1975 © Coll.Association Mémoire-Barabli

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vacances !» Quant à Lily, elle n’était pas encore née pendant cette période trouble, mais ses grands-parents paternels, alsaciens et juifs, ont aussi été réfugiés en Dordogne.

Pour Germain Muller, dans son sketch, ce qui fait la spécificité des Alsaciens est… qu’ils n’arrivent pas à dire le mot spécificité ! Nous leur avons demandé ce qui, selon elles, faisait la particularité de la région.« Les knacks ! Le kougelhopf ! » s’écrient les plus éprises de cuisine,« Le bilinguisme - c’est une grande richesse !- le constant va-et-vient entre la France et l’Allemagne » disent d’autres. Pourtant, ce ballotement, conséquence des différentes annexions, n’a pas toujours été source de bonheur. Si toutes n’ont pas été vraiment affectées par la guerre, car trop jeunes, certaines se souviennent des bombardements : « On avait même nos lits à la cave. »

L’une d’entre elles, d’origine allemande, nous raconte son histoire : « j’avais deux ans quand j’ai été transportée dans un camp de transit dans les Pyrénées. Ma chance a été que l’on m’a sortie de là-dedans, et je suis allée dans le Périgord aussi. Mon père a été déporté, ma mère est venue me chercher après la guerre. Nous sommes arrivées en Alsace dans les années 50. Ma mère ne parlait pas le français et elle cherchait du travail. C’était d’autant plus difficile qu’elle avait 50 ans passés… Nous sommes venus en Alsace principalement pour la langue. »

Toujours sur cette question de la langue, Yolande nous parle des noms des rues en alsacien : « les noms de rues à Strasbourg sont traduites en alsacien, mais parfois il y a des fautes de sens que les connaisseurs remarquent ! Par exemple, l’arrêt de bus « Fùchs àm Bùckel » les gens prennent le nom d’une manière littérale « un renard – Fùchs - sur le dos – àm Bùckel ». Mais en fait, il s’agit d’un monsieur qui s’appelait

Fuchs et qui habitait sur la colline – Bùckel signifiant aussi bien dos que colline! »

Les dialectophones ici présentes nous disent qu’elles ont encore le réflexe alsacien, traduisant mentalement de l’alsacien au français, ce qui ne donne pas toujours des bonnes traductions comme nous le dit Marie-Laure…

« Ma petite-fille me reprend souvent et me dit « enfin Mamie comment tu parles ? » Par exemple quand je regarde la météo, il m’arrive de dire « ils veulent de la pluie » ou « ça va donner de la pluie » pour traduire Es gìbt Raje ou Sie welle Raje. Alors qu’en France on dit juste « il va pleuvoir». Je regrette de ne pas avoir transmis le dialecte à mes enfants. Mais j’ai été si traumatisée par l’école et mes parents qui, après la guerre, ne voulaient plus qu’on parle français… Malgré tout, aux repas de famille entre aînés, le dialecte revient automatiquement. C’est plus fort que nous. Cela a donné lieu à quelques disputes d’ailleurs, vis-à-vis de mon mari qui ne parle pas l’alsacien. Pour mes parents c’était à lui de s’adapter, pas à nous.Ma nièce, qui est Bretonne et a épousé un Alsacien, s’est tout de suite mise au dialecte car elle est médecin. Il fallait donc comprendre les personnes âgées qui venaient la voir. »

Enfin, toutes s’accordent pour nous dire « apprendre le dialecte, c’est avant tout une question de perception, de volonté et de respect. » Justement, les Françaises de l’intérieur, se sentent-elles alsaciennes aujourd’hui ?

« Oui, bien sûr ! Nous avons pour la plupart fait une grande partie de notre vie ici. L’Alsacienne est coriace ! Mais une fois que l’amitié est gagnée, c’est pour toujours. On s’adapte vite, et on est vite adopté ! »

Merci au groupe et à Sophie Kabèche, responsable du secteur Vie de Quartier au CSC Fossé des Treize.

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Photomaton de Germain Muller, 1964 © Association Mémoire-Barabli, Archives Ville de Strasbourg

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Yolande, « Mon enfance après la guerre, en 1950 »

Yolande est née en 1947. Elle grandit en Alsace, dans un Strasbourg en pleine reconstruction. Son univers est alors peuplé d’objets et de métiers dont les noms n’évoquent plus grand-chose aujourd’hui pour les jeunes générations. Son texte est à lire comme on décrypte une photographie d’époque, avec ces personnages et ces objets aujourd’hui disparus ou transformés. Certains endroits ici cités ont aussi vu Germain Muller grandir (le Contades), les métiers évoqués ont pu être mis en scène au Barabli (les lampistes dans le sketch La chambre civique).

Strasbourg, une île entourée par l’Ill. Bains de rivière avec deux-trois baraques en bois servant de cabines.

Concours d’avirons, de vitesse de barques, joutes nautiques « Schìffele-Stäche » d’une barque à

l’autre les rivaux se jettent à l’eau. Concours de vitesse, de natation, de pêche… Des vieilles pharmacies et drogueries qui déversaient les produits actuellement interdits dans des bouteilles, qui lâchaient des odeurs de camphre d’éther et toutes sortes de tisanes…Et les bateaux lavoirs ! Quai des Bateliers et Petite France où les maisons étaient crépies, laides. Ce n’est qu’en voulant les remettre à neuf que les poutres sont apparues pour leur plus grand succès.

Les lampadaires étaient allumés tous les soirs au gaz par un lampiste. Les coiffeurs-friseurs et barbiers se tenaient souvent sur le pas de leur porte en bavardant avec le commerçant voisin. Les trolleybus reliés à des câbles aériens qui lâchaient régulièrement en crachant des étincelles impressionnantes et cahotaient. Les tramways, plusieurs wagons électriques sur des rails, reliés aux câbles électriques. Devant, sur un marchepied, le conducteur de rechange se tenait à bout de bras pour aider éventuellement en cas de dérayage des caténaires, et il passait entre les passagers pour poinçonner les tickets.Les vélos, « attention une voiture ! », ils avaient une petite selle pour enfant entre le guidon et le papa cycliste. Derrière, sur le porte-bagage un cageot avec les légumes du jardin tenu par des tendeurs.« Attention une voiture ! » tout le monde se ruait sur le trottoir et rouspétait de peur en criant haro sur la vitesse excessive de ces engins.

La ville gardait les vestiges des bombardements et longtemps les échafaudages garnissaient les façades des maisons.

Et notre cathédrale pendant très longtemps était en travaux ! Puis elle était illuminée le 14 juillet, mais les artificiers attachaient les pétards à la tête des statues et la suite se devine… des dégâts innommables.

La Maison Rouge, hôtel 4 étoiles, fleuron de l’hôtellerie, démolie en 1974 au grand regret des Strasbourgeois pour la remplacer par la Fnac.La Tour Valentin Sorg ! Prise alors pour un gratte-ciel.

„Ìn de Stàdt sìnn noch Bombeschade ìweràll ze sahn gewann ùn làng sìnn Gerìschter àn de

Hüssfàssàde gstànde.“

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Noël, le marché place Broglie. Mais aussi les magasins de jouets, on passait un temps fou devant les vitrines de poupées animées, de berceaux, d’animaux en peluche, de vaisselle avec toute la batterie des maisons de poupées, etc. Les mécanos, les trains électriques roulant dans toute la vitrine passant sur et sous des montages en carton sur lesquelles il y avait des églises, des personnages, des animaux, des fermiers, des fontaines, des attelages de bœufs… Ces

magasins s’appelaient Wery sous les grandes arcades. Il pouvait pleuvoir ou neiger, les arcades nous protégeaient ! Et cette boutique « A la fée des jouets », 13 rue de la Mésange. Place Gutenberg, toujours un marché aux fleurs…

Mon école était l’école primaire du Contades. Les pavillons aux noms d’oiseaux avaient été reconstruits après la guerre et les bombardements.

Les magasins Wery dans les années 30, rue des Grandes Arcades. © Archives Ville de Strasbourg

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Danielle Crévenat–Werner, linguiste-dialectologue

Danielle Crévenat-Werner a écrit plusieurs ouvrages dont Orthographe alsacienne - Bien écrire l’alsacien de Wissembourg à Ferrette en collaboration avec Edgar Zeidler (ed. Jérôme Do Bentzinger, Colmar, 2008). Elle nous fait aussi partager sa passion pour la langue et la culture régionale sur France Bleu Alsace dans sa chronique « L’Alsace mot à mot ». Nous l’avons rencontrée à l’Université Populaire Européenne, où elle donne des cours à un public divers.

Comment vous est venue cette passion pour le dialecte, cette envie de le défendre – il nous semble – coûte que coûte ?

Au départ, je n’avais pas du tout l’idée de « défendre » le dialecte. C’était pour moi tout à fait naturel de le parler. Les dialectophones parlent alsacien, c’est tout. Mais j’ai été frappé, dès l’enfance, par le fait qu’à Strasbourg on mélangeait le français au dialecte plus qu’autre part. Enfant, j’étais très attentive à tous les dialectes, mais je n’étais pas dans une position de défense, aussi car il y a trente-quarante ans la question ne se posait pas en ces termes. Aujourd’hui, il y a vraiment une évolution si bien que je ne donne pas du tout les mêmes cours qu’avant. Les personnes ayant déjà une connaissance de l’allemand apprennent très vite l’alsacien, il faut dire que l’alsacien n’est rien d’autre que de l’allemand dialectal, même s’il

existe des nuances. Les frontières linguistiques sont horizontales et non verticales comme l’a si bien dit Germain Muller. Je remarque que les mentalités aussi bien que le dialecte ont évolué. Aujourd’hui les gens pratiquent beaucoup le « code-switching » c’est-à-dire qu’ils passent d’une langue à l’autre dans la même phrase ce qui donne de drôle de choses comme « ìch bìn àn de réunion de parents d’élèves gsìnn, ùn do ils ont dit que les enfants étaient un peu agités, dìs hàn se gsààt ».

Pour revenir à la question de la « défense », il faut aussi voir ceux qui luttent pour le dialecte par principe, mais qui eux-mêmes ne l’utilisent

pas. Entre « vrais » dialectophones nous parlons alsacien, mais dès qu’un non-dialectophone arrive dans la conversation nous passons en français. Ainsi mon travail est vraiment celui d’observer la langue et ses usages. Rencontrer une personne et faire attention à son vocabulaire ou sa manière de parler, je le fais automatiquement.

Pouvez-vous nous raconter votre enfance dans cette Alsace bossue où vous avez grandi ?

Je suis née du côté de la Petite Pierre à Petersbach. Mais j’ai grandi en alternance dans ce village et à la ville. C’est-à-dire mes vacances et mes week-ends je les occupais aux travaux de la ferme : labourer les champs, faire la cuisine du terroir… et surtout garder les vaches ! J’ai appris tant de choses, j’adorais faire tous ces travaux manuels! Mais la semaine nous étions dans une ville en Moselle où j’allais à l’école. J’étudiais le

„Ich schàff éfters mìt mine Stüdante ìwer d’Texte vùm Germain. ’s ìsch e großer Dìchter gewann, er het fàwelhàft mìt de Wérter gspìelt.“

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latin, le grec, les lettres classiques… Mes parents sont dialectophones, et avec eux encore aujourd’hui je parle alsacien. Quand je parle de moi et de mon dialecte, c’est donc celui de mon village natal que je mets en avant. Mais j’en ai appris d’autres, notamment le strasbourgeois grâce à Raymond Matzen dont je suivais les cours ici.

Quel a été le rapport de vos parents au dialecte lors de la Libération, alors qu’il devenait « chic de parler français » ?

Il n’y a jamais eu de problèmes à ce niveau là. Il était très clair pour eux qu’à la maison c’était l’alsacien et à l’école le français – même si notre institutrice nous recommandait un usage quotidien du français.

Il y avait vraiment cette délimitation, dont je garde aujourd’hui les traces puisque je ne fais jamais de « code-switching » par exemple. Pour mes parents, il était primordial que je puisse communiquer avec grands-parents. Une idée qui se perd maintenant.Evidemment, mes parents ont souffert de la guerre. Il faisait l’école en allemand. Ce qui était terrible pour ma mère surtout, c’était les exercices de traduction quand le français est redevenu la langue d’usage à l’école en 1945. Pour traduire du latin, elle passait systématiquement par l’allemand. Toujours, mes parents ont parlé alsacien chez eux. Aussi, mes grands-parents paternels avaient une très bonne connaissance du français. Ainsi, ni « richesse », ni « traumatisme », le bilinguisme voire trilinguisme allait pour nous de soi.

La transmission a donc toujours été une valeur clef chez vous ?

Oui, il y a vraiment cet impératif de la transmission. Je préfère aussi parler de communication plutôt que d’héritage. Encore une fois, la question ne se posait pas de la même manière avant. On ne pensait pas que le dialecte allait mourir. Mes parents ne s’en rendent pas tellement compte aujourd’hui, puisqu’autour d’eux on parle alsacien. Mais moi, par mes activités, la question de la transmission trouve une vraie résonnance. Je le vois même avec ma petite-fille : je lui parle en alsacien mais elle me répond en français. Elle reste sensible et attentive, malgré tout, au dialecte. Peut-être y reviendra-t-elle plus tard. Elle est aussi très fière de comprendre l’allemand.

Et dans cette transmission de la langue et de la culture régionale, trouvez-vous que l’œuvre de Germain Muller trouve sa place ?

Effectivement, je travaille souvent avec les textes de Germain. Je suis allée au Barabli, je ne me souviens pas en détail des revues mais évidemment je reste marquée par le « personnage » Germain Muller. Ce sont vraiment ses textes qui m’intéressent, il a écrit de très belles choses et les élèves y trouvent un grand intérêt. Il y a ceux qui découvrent, et ceux qui retrouvent Germain Muller. Mais souvent j’utilise des textes qu’ils ne connaissent pas, qui ont une réelle richesse poétique. En effet, on retient surtout l’aspect « divertissement » et l’humour politique de l’œuvre de Germain. Mais même dans ses revues satiriques il savait faire preuve d’une grande poésie.

„Mini Schìeler welle sowohl Elsassisch lehre wie äu ’s Elsàss kannelehre. Sproch ùn Kültür sìnn ùntrannbàr.

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Il avait cette vraie force du langage, et jouait allègrement de son pouvoir créatif. Les Alsaciens riaient dans leur dialecte, adoraient retrouver des choses profondément liées à leur langue. L’autre force de Germain, c’est d’avoir su traiter avec humour de sujets très graves. Ses énormités, ses caricatures n’avaient d’autres buts que la réconciliation après la guerre.

- En tant que linguiste, que retenez-vous de son fameux morceau Mir sin schints d’Letschte ?

Il faut retenir le « schints » c’est-à-dire « apparemment, paraît-il ». Il me semble aussi que Germain disait que l’avenir de l’Alsace était bilingue, et dans la valorisation de l’amitié franco-allemande.

Après toutes ces années à sonder l’Alsace et ses habitants, pourriez-vous esquisser une définition de « l’âme alsacienne » ?

Ce qui me frappe le plus c’est le rapport des Alsaciens à l’humour. Je ne parle pas ici simplement des jeux de mots, mais l’humour des choses simples, de traiter les choses avec une certaine « hauteur ».

Cela est lié à l’Histoire de l’Alsace, à ses multiples fractures et à ses évènements tragiques…

Très certainement, mais regardez aujourd’hui, les jeunes générations ne se posent plus la question avec les mêmes termes. Pourtant ce rapport à l’humour reste. Alors « l’âme alsacienne », pour revenir à cette formule, change de génération en génération.

Justement, est-ce que la mise en valeur du patrimoine alsacien vous semble être aujourd’hui une mission encore plus indispensable, alors que l’intérêt de la jeune génération pour ces thèmes vacille ? Mais aussi à l’heure de la « grande région » ?

Evidemment je pense que c’est primordial. Il ne faut pas que les cultures se noient, s’uniformisent, se mondialisent. J’ai en tête l’image d’une glace aux saveurs différentes et qui, en fondant, fait se mélanger les couleurs. On ne fait plus de distinction. Aujourd’hui, il y a un vrai flou et un vrai mélange dans les traditions. Par exemple, enfant, au temps de Noël en Alsace on parlait du « Chrìschtkìndel » - l’enfant Jésus personnifié par une jeune fille en blanc - qui apportait les cadeaux. Mais de nos jours, pour tous les enfants, on parle du Père Noël. Les noms « Chrìschtkìndel » ou « Hàns Tràpp » (Le Père Fouettard) évoquent sans doute quelque chose pour les jeunes Alsaciens mais ils ne correspondent plus à rien. Ce qui est important – à mon sens - c’est n’est plus tellement de faire perdurer une tradition mais de savoir à quoi correspondent les noms. Nommer les choses, c’est encore les faire vivre. Aussi, « Chrìschtkìndel » et « Hàns Tràpp », sont plus que des noms ou des figures, ils font partis de l’histoire des Alsaciens.

„Wàs hitt wìchtich ìsch, ìsch eijentlich

küm meh àss e Tràdition ìwerlabt,

àwer einfàch wìsse, wàs d’Namme

bezeichne. D’Sàche nanne màcht se

làwandi.“

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Hàns Tràpp fait peur aux enfants lors de la fête de la St-Nicolas à Wintzenheim, 1953 © Photographe inconnu, numérisation par Guy Frank, Wintzenheim, 2002

Visite du Christkindel et de Hàns Tràpp chez une famille alsacienne. Gravure de 1873.

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Annette Striebig-Weissenburger et Caroline Suss, membres de L’OLCA

L’Office pour la Langue et la Culture Alsacienne a été créé en 1994 à l’initiative de la Région Alsace. Mission de service public, ses activités sont multiples et s’exercent au profit de divers acteurs éducatifs, culturels, sociaux et économiques qui mettent en valeur le patrimoine régional. Nous avons rencontré Annette Striebig-Weissenburger, directrice adjointe, et Caroline Suss, chargée de mission.

- Est-ce que la mise en valeur du patrimoine oral et de la culture régionale vous semble être une mission encore plus indispensable aujourd’hui alors que disparaît peu à peu cette génération pour laquelle ces questions sont vraiment problématiques (génération guerre – après guerre) ? Mais aussi à l’heure des réformes territoriales et de la « grande région » ?

(Annette et Caroline) C’est une mission fondamentale, et qui a du sens sur beaucoup de domaines. Le plus important reste pour nous la question de la jeune génération : qu’est-ce qu’on peut leur léguer de la culture alsacienne ? Quels outils mettre en œuvre ? Quels supports sont les mieux adaptés ? Nous proposons plein de solutions, allant de cours en dialecte à des ateliers artistiques, en passant par des concours et un portail numérique dédié à la richesse du patrimoine oral (SAMMLE).

Les seniors, la génération qui a vécu la guerre

et qui a été traumatisé par les conséquences de cette identité régionale trouble ont aujourd’hui l’occasion de parler, de revenir sur ces questions-là. C’est une génération stigmatisée, à laquelle on a interdit l’utilisation du dialecte pendant l’Occupation et qui à la Libération se trouvait dans une « francisation » de leur patrimoine, le fameux C’est chic de parler français ! qui a mis un couvercle sur la culture alsacienne. Aujourd’hui, cette génération est dans le regret – passif ou actif. Il est temps de dire que le couvercle peut être ouvert, que les jeunes sont là, prêts à absorber cet héritage.Quant à la problématique de la « grande région », elle est certes notable et donne une autre résonnance à notre mission, mais n’a pas d’impact majeur.

Il y a-t-il une « typologie » du public qui vient ici ? Par exemple des « Français de l’intérieur » qui sont curieux, ou majoritairement des natifs

“Elsassisch isch bombisch!” © OLCA

„D’Häuptsàch ìsch fer ùns d’jùng Generàtion: wàs kànn mìr hitt

denne Jùnge vùn de elsassische Kültür witterschgann?“

60 - « C’est chic d’être Alsacien ! »

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d’Alsace qui souhaitent renouer avec leurs racines ?

(Annette) Un peu de tout cela, en fait, c’est un joyeux vivier.Pour revenir sur la jeune génération, nous assistons à une sorte de regret de leur part. Ils auraient aimé que leurs parents leur transmettent cet héritage. Lors de la dernière édition du Festival du Livre de Colmar où nous étions présents, on a rencontré beaucoup de jeunes personnes qui se sentaient désolées de cette lacune et aimeraient transmettre à leur propre enfants la langue et la culture alsacienne. Ces personnes cherchent non seulement à se reconnecter à l’histoire de leur région, mais aussi à leur histoire personnelle en convoquant l’aide des grands-parents qui sont plus aptes à répondre à leurs questions. Notre mission ici, est alors de proposer du support audio-visuel pour compléter cette recherche.

Il faut savoir que bien souvent le réflexe d’une grand-mère alsacienne, c’est de parler un mauvais français à ses petits-enfants.

(Caroline) Un paradoxe subsiste et est très ancré : quand je m’adresse à un aîné en alsacien, il me répond tout de suite en français. Comme si le dialecte était encore interdit, alors que j’ai moi-même débuté la conversation en alsacien !

(Annette)… Et ce sont les mêmes personnes qui vont regretter la perte du dialecte par les jeunes générations. Ils sont encore englués dans cette logique de francisation qui n’a plus lieu d’être.

Comment fonctionnent vos cours de dialecte ?

(Annette) Ils se font par niveaux. Il y a toutes sortes de personnes qui viennent prendre ces cours, nous avons même eu un étudiant chinois ! On distingue parmi les apprenants ceux qui ont été des locuteurs passifs, ceux qui ont des notions d’allemand plus avancées, ceux qui apprennent l’alsacien pour raisons professionnelles, les passionnés… brefs c’est très hétéroclite.

Pouvez-vous nous expliquer les particularités du portail SAMMLE ?

(Annette et Caroline) C’est un portail dédié à la richesse du patrimoine alsacien. Le projet est né d’une initiative de Gérard Leser qui a pointé le doigt sur l’urgence dans un certain nombre de domaines : il fallait enregistrer tout ce qui est relatif au savoir-faire traditionnel et aux chansons

traditionnelles alsaciennes. Car la génération concernée va bientôt disparaitre…Gérard Leser avait déjà procédé à des captations en collaboration avec Jean-Christophe Schreiber. Ils étaient déjà sensibilisés à cette question de la collecte.Ils étaient venus nous voir avec un projet de Maison dédiée aux traditions alsaciennes. En parallèle, le directeur du Festival Summerlied était aussi venu nous voir pour un projet de centre de ressource dédié à la musique traditionnelle. Au niveau de la région, on demandait à l’OLCA de donner suite, sachant qu’une vraie structure dédiée ne verrait pas le jour…

„Ùff eini Àrt bliit e Wìddersprùch: wànn i e elteri Parson ùff Elsassisch ànreddt, gìbt se glich Àntwort ùff

Frànzeesch! Wie wànn mìr sich noch waje de Sproch schàmme sott.“

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Alors nous avons fusionné ces deux pôles savoir-faire / musique traditionnelle et cela a donné notre site internet SAMMLE. Aujourd’hui nous avons à peu près 400 chants collectés, avec les partitions, les textes, un format mélodique et pour certains des interprétations par des artistes régionaux.

Parmi les témoignages visibles sur le site, est-ce qu’il y en a un qui vous a particulièrement touché ?

(Annette) Tous sont intéressants, mais deux m’ont effectivement émue. Le premier, parce qu’il est avant tout question d’un geste. C’est M. Jacquat, ancien couvreur-zingueur de la Vallée de Munster, qui nous a parlé de son savoir-faire dans la fabrication de ces précieux outils de marcaires. C’était un homme timide, peu loquace mais qui nous a présenté son travail avec beaucoup de passion. La minutie de sa manœuvre,

l’attention qu’il porte à l’objet et l’amour de son métier transparaissent dans le moindre de ses mouvements. L’ustensile même est très rare, donc il est émouvant de voir un homme fabriquer et manipuler de ses mains un objet devenu presque obsolète pour beaucoup à l’ère de l’industrialisation.Le deuxième est celui de Marcel Heym, un ancien cordier qui était très heureux de partager avec nous son ancien métier. Il avait déjà fait des animations dans des marchés et donc était déjà dans une démarche de monstration de son savoir-faire. Par contre, son neveu qui était présent lors de la prise de contact, était plus réservé et méfiant. Nous avons bien dû lui expliquer notre démarche. Finalement conquis, lui qui était ancien caméraman pour France 3, a lui-même conduit l’interview ! L’idée de transmission était à ce moment-là encore plus palpable et émouvante.

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Finale de « Strasbourg by night », 1966 © Association Mémoire-Barabli, Archives Ville de Strasbourg

Autour du livret - 63

Autour du livret

Roland Ries, Maire de StrasbourgRobert Hermann, Président de l’EurométropoleAlain Fontanel, Premier Adjoint au Maire en charge de la culture et du patrimoine

Joëlle Pijaudier-Cabot, Directrice des musées

Musée Alsacien : Elisabeth Shimells, Alexandre Tourscher, Annette Haber.

Service Educatif des Musées de Strasbourg sous la direction de Margaret Pfenninger : Adrien Fernique, Flore Poindron et Philippe Queney.

Réalisation des entretiens, transcription et conception du livret : Mégane Mahieu et Olivier Strebler, volontaires de Service Civique

Nous tenons aussi à remercier :

Anne Felden des Archives de la Ville de Strasbourg,

Martin Fugler, Inspecteur de l’Education Nationale en Lettres-Histoire à l’Académie de Strasbourg

Les équipes des lycées Oberlin et Sainte-Clotilde de Strasbourg et leurs élèves en section Accompagnement, Soins et Services à la Personne.

Ronald Hirlé et l’Association Mémoire-Barabli pour leurs précieuses archives,

Julie Legendre du Service d’Aide à la Personne de la Ville de Strasbourg,

Et tous les témoins qui ont acceuilli chaleureusement ce projet.

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