livre et lire - n°261 - avril 2011

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Et, et, et... Je suis venue dans le Nord, vers ses plaines et son suaire de brume, l’humi- dité de sa terre qui est plus qu’une odeur entêtée dans la nuit. Venue avec le paquet de feuilles épais dans ma valise, toutes ces pages à passer infiniment dans le tamis de la patience pour pouvoir en finir. Depuis cinq ans, le livre fraie sans retenue dans les sillons les plus intimes de ma vie, cinq ans à le porter comme une dette, celle que l’écriture essaye toujours de payer à la vie pour avoir le droit d’être. Enfermée à la Villa Marguerite Yourcenar, résidence d’écrivains européens, je mesure une fois encore la nécessité de s’exiler du monde pour qu’un fragment de celui-ci puisse être saisi dans la langue. Dans le livre d’or de la Villa, une résidente rapporte les propos de François Cheng qui était alors contemporain du même espace. - Vous avez de la chance, lui dit-elle, vos théories sont claires. - La première chose à laquelle je crois, répond-t-il, c’est le don pour la vie. Pour le reste, je doute aussi, croyez-le. Et plus tard d’ajouter : - Il faut aimer et se brûler ou bien créer et vivre. Je me souviens de mes vingt ans et de mon refus à choisir. Je voulais tout : Et aimer et brûler et créer parce qu’alors c’était vivre. Je le crois toujours. Mais je sais exactement ce que Cheng dit là. D’où il parle et ce qu’il en coûte d’introduire la conjonction de coordination. Aimer et se brûler et créer et vivre. C’est tout mon rapport à l’écri- ture qui s’inscrit dans ces deux lettres minuscules. Supporter l’abstraction du verbe et l’incarnation du corps au même instant. De temps en temps, l’un prend le pas sur l’autre. Bien sûr. Une écrivain rou- maine me dit qu’elle a choisi de vivre seule et de ne pas faire d’enfant pour se consa- crer à l’écriture. J’ai toujours voulu tout et plus encore. C’est l’hiver dans la campagne française. Les nuits sont mates et fraîches. Le verbe me tient éveillée tard dans la nuit. Mon corps attend le printemps. Les enfants me manquent. Lorette Nobécourt n°261 - avril 2011 le mensuel du livre en Rhône-Alpes en +++++++++ Les Rencontres nationales de la Librairie se déroulent à Lyon les 15 et 16 mai. Un événement ouvert à tous les profession- nels du livre qui sera l’occasion de réunir le monde de la librairie et ses partenaires autour des grands enjeux du métier de libraire, dans un contexte culturel et commercial en pleine mutation. Tables rondes, débats, espace d’exposition…, on peut se faire une idée du programme et d’ores et déjà s’inscrire sur le site : www.lesrencontresnationalesdelalibrairie.fr > www.arald.org les écrivains à leur place Principaux et accessoires Ça se précise donc du côté des revenus artistiques principaux et des revenus des activités accessoires des auteurs… La nouvelle circulaire du 16 février 2011 sur ces revenus a été publiée en mars par la direction de la Sécurité sociale (à retrouver sur www.arald.org). Après trois ans de négociations, ce texte permet enfin de préciser les conditions de ratta- chement des activités accessoires – rencontres scolaires, ateliers d’écriture… – à l’activité principale de l’auteur. On reviendra sur ce dos- sier très important dans les prochains numéros de Livre & Lire. En attendant, on plongera peu à peu dans le prin- temps des manifestations littéraires qui s’annonce, et on se demandera avec la Fête du livre jeunesse de Villeurbanne (www.fetedulivre.villeur- banne.fr), les 16 et 17 avril, pourquoi « Filles & Garçons naissent égaux, certains plus que d’autres »… L. B. premier plan/ p.3 Numérique et politique culturelle Après plusieurs mois de concertation, la Région Rhône-Alpes précise ses nouvelles priorités pour une politique culturelle adaptée aux mutations en cours. Du nouveau aussi pour le livre et la lecture. de A à Z/p.6 Prix des lycéens. Saison 3 Suite de notre série sur le Prix littéraire des lycéens et apprentis rhônalpins à la Cité scolaire Élie Vignal, à Caluire. Une rencontre au sommet avec Jean-Pierre Spilmont. poésie/p.11 Jacques Ancet, poète et traducteur Prix Apollinaire 2009 pour L’Identité obscure, Jacques Ancet poursuit son œuvre de poète et de traducteur avec les parutions d’un nouveau recueil et d’une traduction des sonnets de l’écrivain espagnol Francisco de Quevedo. !!!!!!!!!!!! Passeurs de Mémoire C’est le titre de l’exposition du musée Chintreuil, qui pro- pose à une dizaine de grands calligraphes français de rendre hommage à Jacques Le Roux, maître de l’écriture à la plume, scribe et calligraphe de renom. L’occasion de découvrir une œuvre, mais aussi des calli- graphies arabe, chinoise, tibétaine ou latine. Musée Chintreuil. Pont de Vaux (01). Exposition du 1 er avril au 28 août Quelles bonnes nouvelles ! Les participants au concours Quelles nouvelles ?, concours de nouvelles organisé par l’Espace Pandora en collabo- ration avec la Drac Rhône-Alpes, ont jusqu’au 30 avril pour adres- ser leur texte au comité de sélec- tion. Quelles nouvelles ?, c’est une possibilité offerte aux jeunes auteurs de 15 à 40 ans de publier leur travail aux Éditions La Passe du vent, mais aussi d’être suivis et conseillés par un écrivain confirmé. Parmi les auteurs passé par Quelles nouvelles ?, on retrouve Brigitte Giraud, François Beaune, Alain Turgeon, Pierre Ducrozet… http://espacepandora.free.fr concours légende © Laurent Bonzon / Arald © Laurent Bonzon / Arald

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L'Arald publie chaque début de mois "livre&lire", journal d'information sur la vie du livre en Rhône Alpes. Ce mensuel de douze pages est un supplément aux revues professionnelles Livres-hebdo et Livres de France publiées par le Cercle de la Librairie

Transcript of livre et lire - n°261 - avril 2011

Et, et, et...Je suis venue dans le Nord, vers sesplaines et son suaire de brume, l’humi-dité de sa terre qui est plus qu’une odeurentêtée dans la nuit. Venue avec lepaquet de feuilles épais dans ma valise,toutes ces pages à passer infiniment dansle tamis de la patience pour pouvoir enfinir. Depuis cinq ans, le livre fraie sansretenue dans les sillons les plus intimesde ma vie, cinq ans à le porter comme unedette, celle que l’écriture essaye toujours

de payer à la vie pour avoir le droit d’être.Enfermée à la Villa Marguerite Yourcenar,résidence d’écrivains européens, je mesureune fois encore la nécessité de s’exiler dumonde pour qu’un fragment de celui-cipuisse être saisi dans la langue.Dans le livre d’or de la Villa, une résidenterapporte les propos de François Cheng quiétait alors contemporain du même espace.- Vous avez de la chance, lui dit-elle, vosthéories sont claires.- La première chose à laquelle je crois,répond-t-il, c’est le don pour la vie.Pour le reste, je doute aussi, croyez-le. Et plustard d’ajouter :- Il faut aimer et se brûler ou bien créer etvivre.Je me souviens de mes vingt ans et de monrefus à choisir. Je voulais tout : Et aimer etbrûler et créer parce qu’alors c’était vivre.Je le crois toujours. Mais je sais exactementce que Cheng dit là. D’où il parle et ce qu’ilen coûte d’introduire la conjonction decoordination. Aimer et se brûler et créeret vivre. C’est tout mon rapport à l’écri-ture qui s’inscrit dans ces deux lettresminuscules. Supporter l’abstraction duverbe et l’incarnation du corps au mêmeinstant. De temps en temps, l’un prend lepas sur l’autre. Bien sûr. Une écrivain rou-maine me dit qu’elle a choisi de vivre seuleet de ne pas faire d’enfant pour se consa-crer à l’écriture. J’ai toujours voulu tout etplus encore. C’est l’hiver dans la campagnefrançaise. Les nuits sont mates et fraîches.Le verbe me tient éveillée tard dans la nuit.Mon corps attend le printemps. Les enfantsme manquent. Lorette Nobécourt

n°261 - avril 2011le mensuel du livre en Rhône-Alpes

en + + + + + + + + +Les Rencontres nationales de la Librairiese déroulent à Lyon les 15 et 16 mai.Un événement ouvert à tous les profession-nels du livre qui sera l’occasion de réunirle monde de la librairie et ses partenairesautour des grands enjeux du métier delibraire, dans un contexte culturel etcommercial en pleine mutation. Tablesrondes, débats, espace d’exposition…,on peut se faire une idée du programmeet d’ores et déjà s’inscrire sur le site :www.lesrencontresnationalesdelalibrairie.fr

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accessoiresÇa se précise donc du côté desrevenus artistiques principaux et desrevenus des activités accessoires desauteurs… La nouvelle circulaire du16 février 2011 sur ces revenus a étépubliée en mars par la direction dela Sécurité sociale (à retrouver surwww.arald.org). Après trois ans denégociations, ce texte permet enfinde préciser les conditions de ratta-chement des activités accessoires– rencontres scolaires, ateliersd’écriture… – à l’activité principalede l’auteur. On reviendra sur ce dos-sier très important dans les prochainsnuméros de Livre & Lire. En attendant,on plongera peu à peu dans le prin-temps des manifestations littérairesqui s’annonce, et on se demanderaavec la Fête du livre jeunesse deVilleurbanne (www.fetedulivre.villeur-banne.fr), les 16 et 17 avril, pourquoi« Filles & Garçons naissent égaux,certains plus que d’autres »… L. B.

premier plan/p.3Numérique et politiqueculturelleAprès plusieurs mois de concertation,la Région Rhône-Alpes précise ses nouvelles priorités pour une politique culturelle adaptée aux mutations en cours. Du nouveauaussi pour le livre et la lecture.

de A à Z/p.6Prix des lycéens. Saison 3Suite de notre série sur le Prixlittéraire des lycéens et apprentisrhônalpins à la Cité scolaire ÉlieVignal, à Caluire. Une rencontre ausommet avec Jean-Pierre Spilmont.

poésie/p.11Jacques Ancet, poète ettraducteurPrix Apollinaire 2009 pourL’Identité obscure, Jacques Ancetpoursuit son œuvre de poète et de traducteur avec les parutions d’un nouveaurecueil et d’une traduction des sonnets de l’écrivain espagnolFrancisco de Quevedo.

! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! !Passeurs de MémoireC’est le titre de l’expositiondu musée Chintreuil, qui pro-

pose à une dizaine de grands calligraphesfrançais de rendre hommage à Jacques LeRoux, maître de l’écriture à la plume, scribeet calligraphe de renom. L’occasion dedécouvrir une œuvre, mais aussi des calli-graphies arabe, chinoise, tibétaine ou latine.Musée Chintreuil. Pont de Vaux (01). Exposition du 1er avril au 28 août

Quelles bonnes nouvelles !Les participants au concoursQuelles nouvelles ?, concoursde nouvelles organisé parl’Espace Pandora en collabo-

ration avec la Drac Rhône-Alpes,ont jusqu’au 30 avril pour adres-ser leur texte au comité de sélec-tion. Quelles nouvelles ?, c’est unepossibilité offerte aux jeunes

auteurs de 15 à 40 ans de publierleur travail aux Éditions La Passedu vent, mais aussi d’être suiviset conseillés par un écrivainconfirmé. Parmi les auteurspassé par Quelles nouvelles ?, onretrouve Brigitte Giraud, FrançoisBeaune, Alain Turgeon, PierreDucrozet…

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Et, et, et...Je suis venue dans le Nord, vers sesplaines et son suaire de brume, l’humi-dité de sa terre qui est plus qu’une odeurentêtée dans la nuit. Venue avec lepaquet de feuilles épais dans ma valise,toutes ces pages à passer infiniment dansle tamis de la patience pour pouvoir enfinir. Depuis cinq ans, le livre fraie sansretenue dans les sillons les plus intimesde ma vie, cinq ans à le porter comme unedette, celle que l’écriture essaye toujours

de payer à la vie pour avoir le droit d’être.Enfermée à la Villa Marguerite Yourcenar,résidence d’écrivains européens, je mesureune fois encore la nécessité de s’exiler dumonde pour qu’un fragment de celui-cipuisse être saisi dans la langue.Dans le livre d’or de la Villa, une résidenterapporte les propos de François Cheng quiétait alors contemporain du même espace.- Vous avez de la chance, lui dit-elle, vosthéories sont claires.- La première chose à laquelle je crois,répond-t-il, c’est le don pour la vie.Pour le reste, je doute aussi, croyez-le. Et plustard d’ajouter :- Il faut aimer et se brûler ou bien créer etvivre.Je me souviens de mes vingt ans et de monrefus à choisir. Je voulais tout : Et aimer etbrûler et créer parce qu’alors c’était vivre.Je le crois toujours. Mais je sais exactementce que Cheng dit là. D’où il parle et ce qu’ilen coûte d’introduire la conjonction decoordination. Aimer et se brûler et créeret vivre. C’est tout mon rapport à l’écri-ture qui s’inscrit dans ces deux lettresminuscules. Supporter l’abstraction duverbe et l’incarnation du corps au mêmeinstant. De temps en temps, l’un prend lepas sur l’autre. Bien sûr. Une écrivain rou-maine me dit qu’elle a choisi de vivre seuleet de ne pas faire d’enfant pour se consa-crer à l’écriture. J’ai toujours voulu tout etplus encore. C’est l’hiver dans la campagnefrançaise. Les nuits sont mates et fraîches.Le verbe me tient éveillée tard dans la nuit.Mon corps attend le printemps. Les enfantsme manquent. Lorette Nobécourt

n°261 - avril 2011le mensuel du livre en Rhône-Alpes

en + + + + + + + + +Les Rencontres nationales de la Librairiese déroulent à Lyon les 15 et 16 mai.Un événement ouvert à tous les profession-nels du livre qui sera l’occasion de réunirle monde de la librairie et ses partenairesautour des grands enjeux du métier delibraire, dans un contexte culturel etcommercial en pleine mutation. Tablesrondes, débats, espace d’exposition…,on peut se faire une idée du programmeet d’ores et déjà s’inscrire sur le site :www.lesrencontresnationalesdelalibrairie.fr

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accessoiresÇa se précise donc du côté desrevenus artistiques principaux et desrevenus des activités accessoires desauteurs… La nouvelle circulaire du16 février 2011 sur ces revenus a étépubliée en mars par la direction dela Sécurité sociale (à retrouver surwww.arald.org). Après trois ans denégociations, ce texte permet enfinde préciser les conditions de ratta-chement des activités accessoires– rencontres scolaires, ateliersd’écriture… – à l’activité principalede l’auteur. On reviendra sur ce dos-sier très important dans les prochainsnuméros de Livre & Lire. En attendant,on plongera peu à peu dans le prin-temps des manifestations littérairesqui s’annonce, et on se demanderaavec la Fête du livre jeunesse deVilleurbanne (www.fetedulivre.villeur-banne.fr), les 16 et 17 avril, pourquoi« Filles & Garçons naissent égaux,certains plus que d’autres »… L. B.

premier plan/p.3Numérique et politiqueculturelleAprès plusieurs mois de concertation,la Région Rhône-Alpes précise ses nouvelles priorités pour une politique culturelle adaptée aux mutations en cours. Du nouveauaussi pour le livre et la lecture.

de A à Z/p.6Prix des lycéens. Saison 3Suite de notre série sur le Prixlittéraire des lycéens et apprentisrhônalpins à la Cité scolaire ÉlieVignal, à Caluire. Une rencontre ausommet avec Jean-Pierre Spilmont.

poésie/p.11Jacques Ancet, poète ettraducteurPrix Apollinaire 2009 pourL’Identité obscure, Jacques Ancetpoursuit son œuvre de poète et de traducteur avec les parutions d’un nouveaurecueil et d’une traduction des sonnets de l’écrivain espagnolFrancisco de Quevedo.

! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! !Passeurs de MémoireC’est le titre de l’expositiondu musée Chintreuil, qui pro-

pose à une dizaine de grands calligraphesfrançais de rendre hommage à Jacques LeRoux, maître de l’écriture à la plume, scribeet calligraphe de renom. L’occasion dedécouvrir une œuvre, mais aussi des calli-graphies arabe, chinoise, tibétaine ou latine.Musée Chintreuil. Pont de Vaux (01). Exposition du 1er avril au 28 août

Quelles bonnes nouvelles !Les participants au concoursQuelles nouvelles ?, concoursde nouvelles organisé parl’Espace Pandora en collabo-

ration avec la Drac Rhône-Alpes,ont jusqu’au 30 avril pour adres-ser leur texte au comité de sélec-tion. Quelles nouvelles ?, c’est unepossibilité offerte aux jeunes

auteurs de 15 à 40 ans de publierleur travail aux Éditions La Passedu vent, mais aussi d’être suiviset conseillés par un écrivainconfirmé. Parmi les auteurspassé par Quelles nouvelles ?, onretrouve Brigitte Giraud, FrançoisBeaune, Alain Turgeon, PierreDucrozet…

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à ces mutations ; lesquestions de média-tion et de forma-tion, de nouvellescompétences et denouveaux métiers ;les bouleversementséconomiques qui ensont attendus et les modèles à inventer ; la consti-tution de nouveaux réseaux et le rapport entreculture numérique et lien social... En bref, il s’estagi de saisir les enjeux culturels et de politiquepublique liés au numérique, afin de prendre encompte cette nouvelle dimension au sein de lapolitique de la culture.En effet, la dimension numérique entraîne aussibien l’apparition de nouveaux acteurs que desruptures dans les frontières entre les disciplines,dans les oppositions traditionnelles comme celledu public et du privé, des amateurs et des pro-fessionnels, de la culture et des loisirs... Pouraccompagner ce mouvement de fond, le Conseilrégional propose donc dix mesures (voir enca-dré) qui se sont dégagées de ces quelques moisde concertation et tracent trois voies importantes :

l’aide à l’accès au numérique et au déve-loppement de nouvelles formes de média-tion et d’éducation artistiques ; le soutienaux créateurs, aux arts numériques età l’innovation ; l’accompagnement desprofessionnels et des entreprises dansles mutations en cours.

Et le livre dans tout ça ?

Mais la logique de ce nouveau plan d’ac-tion ne vient pas pour autant mettre à malle soutien de la Région aux différents sec-teurs de la culture tel qu’il s’est construitau fil des années. Plus particulièrementdepuis 2008, en faveur du livre et de la lec-ture. Dans ce secteur, Farida Boudaoud,Vice-Présidente de la Culture, l’a rappelé,« la Région doit accompagner les acteursprofessionnels vers ces évolutions techno-logiques sans renoncer évidemment à lesaider dans leur économie actuelle, comptetenu de leur fragilité ». Il s’agit donc deproposer des évolutions qui prennent encompte les récentes mutations. Le fondsd’aide aux auteurs pourra ainsi intégrer la

Un plan d’action sur trois ans avec dix grandesorientations, c’est ce qu’a proposé le Présidentde la Région Jean-Jack Queyranne lors de laséance de conclusion de la concertation régio-nale sur le numérique, le 14 mars dernier. « Prendreen compte les dimensions du numérique dans lespolitiques de la culture » et dessiner de nouvellesperspectives pour les acteurs culturels du terri-toire, tel est le sens de ces propositions qui ne seveulent pas figées mais bien plutôt ouvertes auxévolutions qui viendront encore.Au cours des différentes étapes de cette concer-tation au long cours – « Face au numérique, quiimpose son rythme, souvent celui de l’instanta-néité, il y a besoin de susciter des contre-feux, decréer des espaces de réflexion distanciés », diraJean-Pierre Saez, le directeur de l’Observatoiredes politiques culturelles, qui a apporté sonconcours à ce véritable état des lieux –, on auraabordé tout un ensemble de questions : les chan-gements impliqués par le numérique dans lespratiques artistiques et culturelles ; l’apparitionde nouvelles logiques de création ; la recompo-sition du rapport à la culture et des publics dela culture ; la situation des professionnels face

premier plan

dimension numérique (projets multidiscipli-naires), tout autant que l’aide aux résidences,qui permettra désormais aux écrivains d’êtreaccueillis sur un site Internet ou une plate-formeleur permettant de susciter de nouveaux pro-cessus collaboratifs. Côté éditeurs, les aides dela Région prendront désormais en compte lapublication des livres et des revues numériques,c’est-à-dire des ouvrages et des revues enrichiset pas seulement numérisés. Enfin, pour ce qui est de la librairie indépendante,« la Région adaptera son dispositif d’aide, afin depermettre aux libraires d’adhérer aux portails indé-pendants, de former leurs équipes et d’animerleur site Internet. »Réagissant à ces propositions, FrançoiseBenhamou insistait non seulement sur la pro-fondeur et la violence des changements en cours,mais aussi sur l’absolue nécessité de la forma-tion – et de la formation des formateurs... –, dansun contexte difficile où « les usages précoces neseront probablement pas les usages futurs ». Parailleurs, évoquant plus précisément le mondedu livre, dernier arrivé au numérique en quelquesorte, l’universitaire mettait en garde une foisde plus sur la situation de la librairie, qui « auraà dialoguer avec le numérique », mais resteraexposée à « un changement violent et difficilequi l’obligera peut-être à diversifier ses activités ».Une façon de dire que les professionnels du livren’accompagneront pas les changements qui sontd’ores et déjà en cours sans changer eux-mêmes...Une logique qu’on voit déjà à l’œuvre dans lesbibliothèques, qui ont largement entamé la muta-tion de leurs services auprès des publics, ou encoreà travers les travaux de numérisation et de valori-sation des ressources artistiques et culturellesmenés par ces institutions.En tout cas, les conclusions de cette concerta-tion montrent que, d’une façon ou d’une autre,il y a urgence à tisser les liens entre le numé-rique, l’immatériel et le territoire. Le travail acommencé. L. B.

Dix mesures pour le numérique1 • Créer un nouvel avantage pour les lycéensdétenteurs de la carte M’RA, qui pourront téléchargerdix titres de musique sur une plateforme régionale.

2 • Innover en matière d’action culturelle et de médiation à travers l’intégration de nouvelles propositions dansl’appel à projets Soprano et dans celui du Fiacre.

3 • Mettre en place un fonds spécifique d’aide à la créationartistique numérique.

4 • Créer des aides pour les œuvres audiovisuelles multi-supports.

5 • Identifier et soutenir des lieux et des espaces de diffusionpour les arts numériques.

6 • Soutenir l’équipement numérique des salles de cinéma.

7 • Proposer un plan de formation pour les acteursculturels ainsi qu’un réseau d’expertise et de conseil.

8 • Encourager l’innovation et la mutation des entreprises.

9 • Valoriser par le numérique des ressources culturelles et patrimoniales régionales.

10 • Accompagner la création et la structuration des plateformes culturelles collectives sur Internet.

Budget700 K€ par an sur trois ans.3 M€ pour le passage au numérique des salles de cinéma.

rep

ères

Une concertation pour tisser les liens entre le numérique, l’immatériel et le territoire

Nourrir la diversitéAprès trois séminaires de réflexion et d’échanges sur les pratiques et les enjeuxdu numérique, entre octobre 2010 et février 2011, la Région Rhône-Alpes a conclucette étape de concertation en proposant de nouveaux axes pour une politiqueculturelle qui souhaite s’adapter aux mutations en cours. Aperçu.

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ont elle-même développé leurréseau de diffusion, et leurslivres sont actuellement distri-bués dans 150 librairies enFrance, en Belgique et en Suisse. Le catalogue, aujourd’hui riched’une trentaine de titres,s’étoffe « en abordant de nom-breux domaines de la créationgraphique et littéraire » etmême si la bande dessinéereste leur domaine de prédilec-tion, on trouve aussi chezJarjille quelques titres de litté-rature jeunesse. Dernièrement,la maison d’édition a déve-loppé une collection de petitsformats carrés « BN² », com-posés de 12 pages en noir etblanc, sur le thème de l’en-fance. En tout, dix-huit titresont déjà paru au rythme dequatre par trimestre, signés par desauteurs débutants et confirmés.Les gourmands l’auront compris,ces « BN² » sont là pour permettre

C’est en 2004 que les éditions Jarjilleélisent domicile à Saint-Étienne, etpour mieux ancrer la maison dansla cité stéphanoise, dont deux desfondateurs et auteurs sont origi-naires, ils lui donnent le nom de« jarjille » qui signifie « taquin » enpatois. Facétieuse, disait-on, la mai-son d’édition associative n’a pas étécréée tout à fait intentionnellement…À l’origine, il y a trois auteurs et illus-trateurs : Alain Brechbuhl, SergePrud’homme alias Deloupy etMichel Jacquet alias Alep, qui déci-dent de publier eux-mêmes deuxouvrages qui leur tiennent à cœur ;c’est seulement ensuite, avec lesuccès, qu’ils embrasseront aussi lemétier d’éditeur. Pour les trois par-tenaires, être éditeur veut dire« rester libre pour pouvoir défendreet promouvoir des auteurs ayant unevéritable démarche graphique etartistique ». Ici, on ne plaisante pasavec la création. Spécialisée dans labande dessinée, les Éditions Jarjille

au lecteur de « goûter » un auteur !Marie-Hélène Boulanger

www.jarjille.net

étrangère, policiers,livres d’histoire,bandes dessinées,dictionnaires... « Nous cherchons à constituer unebibliothèque de qualité avec un choixvarié pour des lecteurs différents.Il y a trois jours, par exemple, unancien ambassadeur s’est réjouid’emprunter un essai politique »,précise Francine Blondin. La biblio-thèque solidaire est désormaisconnue des bénéficiaires de l’aidealimentaire, souvent privés d’accèsà la culture par manque de papiersou de logement. Ici, aucun justifi-catif n’est demandé et l’empruntest gratuit. Pas de durée limitée,

« C’est un premier don de 200 livresil y a un peu plus d’un an, qui a toutdéclenché », se souvient FrancineBlondin, vice présidente de la délé-gation lyonnaise de la Croix Rouge.Une bibliothèque ! C’est bien ce quimanque à l’association. Habiller,nourrir, soigner restent les priorités,mais pourquoi pas également lire,apprendre, découvrir ? La bibliothèque possède aujour-d’hui très exactement 5054 livres.Réseaux de connaissances et donsde la bibliothèque de Lyon ontpermis de constituer ce fonds.Minutieusement classés, les ouvragess’alignent sur des armoires de récu-pération. Littérature française ou

l’essentiel est que le livre soit lu.Pour la centaine de demandeursd’asile qui apprennent le français,la bibliothèque est devenue un outilde travail. Pas suffisant. La respon-sable a maintenant d’autres projets.Elle imagine un coin lecture, plusd’espace et plus de livres ! Alors,à vos dons ? Julie Banos

Croix-Rouge françaiseDélégation locale de Lyon61, rue de Créqui�69006 LyonTél. 04 72 43 59 09www.croix-rouge.fr

actualités /édition

Février enBelgique, avril en SuisseDu nouveau au Salon de Genève,qui fête cette année ses 25 ans

et se tient du 29 avril au 3 mai àPalexpo, avec comme hôtes d’honneurl’Arménie et l’Office fédéral de laculture. Patrick Ferla, journaliste à laRadio suisse romande, a pris la prési-dence de la manifestation, succédantà son fondateur, l’éditeur Pierre-MarcelFavre. Fidèle à la tradition, cette édi-tion marque toutefois un tournant enmettant résolument l’écriture et l’édi-tion de création au premier plan.Du nouveau aussi pour le stand Rhône-Alpes, qui change de format et réduitsa surface à un îlot de 70  m² pouraccueillir onze maisons d’édition dansdes domaines aussi variés que la jeu-nesse, la musique, la science-fictionou encore les sciences humaines etsociales. Cette année, les éditeurs assu-reront eux-mêmes la vente de leursouvrages, en collaboration avec l’Arald.Mais pourquoi tous ces changementset un stand plus petit ? L’Arald a choisi,en 2011, de participer aux deuxgrandes manifestations francophonesdu livre, à Bruxelles en février et àGenève en avril, et ce avec le budgetde la Région Rhône-Alpes jusqu’alorsexclusivement dédié à la représenta-tion des éditeurs rhônalpins en Suisse.Les dix maisons d’édition ayant parti-cipé à la Foire du livre de Bruxelles enfévrier en ont dressé un bilan très posi-tif. Gageons que le Salon internatio-nal du livre et de la presse de Genèveleur sera aussi profitable ! M.-H. B.

www.salondulivre.ch/fr

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Nouvel outil detravail contrel’illettrisme

L’agence nationale de luttecontre l’illettrisme (ANLCI) a

imaginé un nouveau « Kit du prati-cien ». Proposé par l’atelier régionaldu Nord-Pas-de-Calais, il vient enri-chir une collection de 25 titres publiéspar l’organisme. L’Album Jeunesse :une littérature pour tous les publicsest un guide mode d’emploi à des-tination des professionnels. Il se pro-pose d’accompagner les actions deprévention qui s’appuient sur la lec-ture à voix haute d’albums jeunesse.Un concentré de réponses pratiquesqui répond aux objectifs de l’asso-ciation : la prévention, l’insertion desjeunes et l’évolution professionnelle.Le guide est téléchargeable sur le sitewww.anlci.gouv.fr. J. B.

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Jarjille Éditions, une maison où ça fourmille !À Saint-Étienne, une maison d’édition spécialisée dans la bandedessinée et la littérature jeunesse.

Lectures solidairesDepuis juin dernier, la Croix rouge accumule les car-tons de livres. Pourquoi ? Pour qui ? Naissance à Lyond’une bibliothèque solidaire.

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dans la program-mation, mêmesi la maîtrisereste aux mainsde la directionassumée parCarine D’Inca,en binôme avec Annie Brigant depuis2008, mais aussi plusieurs rencontres« décentralisées » dans les biblio-thèques de l’agglomération. Pour mobiliser ce réseau et lancerla réflexion autour du thème – « Enquête d’origines » cette année – unesérie de rencontres est organisée entrejanvier et avril. Pour Carine D’Inca,« l’idée est de tenir le fil », en construi-

C’est la neuvième édition duPrintemps du livre, et on sent une cer-taine sérénité. Du côté des respon-sables, de la programmation, et aucœur de la dynamique du projet, dontla responsabilité est partagée avec leréseau des bibliothèques de Grenobledepuis 2008. Un profil singulier pourune manifestation qui a su trouver sonéquilibre, à la fois dans la conceptionet la mise en œuvre de l’événement.Le Printemps du livre est doncdevenu un axe important de la pro-grammation des bibliothèques, donton sait à Grenoble qu’elle est excep-tionnellement riche. Un projet partagé,c’est-à-dire une démarche collective

sant un socle pourl’événement, maisaussi de « mainte-nir le plaisir desrencontres » aprèsla manifestation.Deux rendez-vous avec MonaOzouf et FrançoisBégaudeau aurontlieu au mois de mai.

Quarante auteurs sont invités pource neuvième Printemps : parmi eux,Jeanne Benameur, Jean-Noël Blanc,Robert Bober, Vincent Borel, LionelDuroy, Annie Ernaux, DominiqueFabre, Alain Fleischer, Philippe Forest...Plusieurs écrivains étrangers commeJohn Burnside, David Toscana,Eduardo Antonio Parra... Mais aussides auteurs et illustrateurs jeunesse

tels Lionel Le Neouanic,Rémi Courgeon, GhislaineHerbera... Rencontres ensolo ou croisées, projec-tions de films, exposi-tions, ce sont près de centcinquante rendez-vous

proposés aux différents publics, ycompris scolaires.Et l’avenir ? Carine D’Inca ne le voitpas forcément en plus grand. Il est vraique, ici comme ailleurs, les perspec-tives budgétaires ne sont pas grisantes.« Il s’agit de continuer à faire aussi bienavec nos propres forces, de miser surl’esprit du Printemps et sa convivialité.Nous souhaitons aussi faire vivre de plusen plus la manifestation tout au longde l’année, permettre au public dedécouvrir les autres talents des écri-vains », bref continuer à creuser unbeau sillon littéraire en plein cœurde la ville de Grenoble. L. B.

Printemps du livre de Grenobledu 13 au 17 avrilGrenoble Ville-lecture�AppartementStendhal�14, rue Jean-JacquesRousseau�38000 Grenoblehttp://printempsdulivre2011.- bm-grenoble.fr

de libraires,qui m’ontouvert leursco m p t e s .J’ai décou-vert leurquotidien etleur savoir-faire ». Uneformationet des conseils qui luiont permis de découvrirl’aspect technique etcommercial du métier : « J’ai com-pris que j’aimais le travail de ges-tion des stocks, de comptabilité».Emmanuelle Barbier-Maître tenait àouvrir une librairie, « un lieu de ren-contre accessible à tous », dans lequartier où elle vit depuis vingt anset connaît bien le réseau associatif.Plusieurs animations sont d’ores etdéjà au programme dans les 60 m2

de son magasin, où elle travaille avecune libraire de métier et disposed’environ 6 000 références. LaLibrairie Cours a sollicité l’accom-pagnement à la création de laDrac Rhône-Alpes et de la Région.Une belle histoire qui suit soncours…J. B.

Ouvertureen CoursLa librairie du Cours s’est ouvertedans le quartier de Montchat, à Lyon,le 8 décembre dernier. Littérature,jeunesse, sciences humaines, bandesdessinées, livres d’art…Un vaste choixet des portes grandes ouvertes.Emmanuelle Barbier-Maître est unelibraire enthousiaste. Sa librairien’a ouvert que depuis quatre mois,mais l’idée et surtout l’envie sontlà depuis longtemps. Pour cetteancienne chargée de mission endéveloppement social à la Ville deLyon, les livres, la lecture et donc lalibrairie étaient un rêve un peu flou.Un tournant dans sa vie personnelleet un grand désir de changementont finalement fait d’elle une toutenouvelle libraire, consciente des diffi-cultés mais heureuse de ses premiersrésultats : « Je me suis beaucoup ren-seignée avant de lancer ce projet. J’aifait un stage à l’Institut de formationde la librairie, j’ai rencontré beaucoup

les bouquinistes.Après plusieurssemaines de tra-vaux, JérômeBéziat a ouvertsa librairie débutdécembre, en sol-licitant l’accom-pagnement à lacréation de la

Drac Rhône-Alpes et de la Région.Nouveaux rayonnages, nouveléclairage, un grand coup de neufdans ce bel espace de 96 m2, où l’ontrouve un peu plus de 9 000 titres.D’autres projets de rénovation sonten réflexion pour la salle de 60 m2

qui se trouve à l’arrière du maga-sin, futur espace réservé aux anima-tions. Un fonds généraliste, un pointfort en polar et l’envie de dévelop-per les rayons consacrés à la pho-tographie et au cinéma, mais aussila poésie ainsi que tout ce quitouche à l’écologie. « Offrir quelquechose en plus », c’est ce que souhaiteJérôme Béziat, qui prévoit déjà desrencontres avec des écrivains quipourraient attirer du monde. Unelibrairie pour faire le bonheur desogres, même le dimanche. L. B.

actualités /manifestations

Librairie du Cours83, cours du Docteur Long69003 Lyon04 72 12 16 08

Au bonheur des ogres4, quai de la pêcherie69001 Lyon09 51 72 10 71www.aubonheurdesogres.com

/ librairie

9e édition du Printemps du livre à Grenoble

Un air de saisonDans l’agglomération grenobloise, le Printempsdu livre ressemble à une course de fond. On s’élanceen janvier, on sprinte en avril, pour fêter l’événe-ment, et on déroule en mai, histoire de garder un peuplus longtemps la sensation du plaisir de la rencontrelittéraire. Tour de chauffe.

Public : 17 000 spectateurs(en 2010)Budget : 250 000 €Ville de Grenoble, Drac

Rhône-Alpes, Région Rhône-Alpes, Conseil général de l’Isère.

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Au bonheurdes ogres IIJérôme Béziat est un libraire à plusd’un titre… Après le quartier deVaise, où il a ouvert Au bonheur desogres en 2006, il prend la suite d’unelibrairie bien connue sur les bordsde Saône et crée un deuxièmemagasin lyonnais sous la mêmeenseigne. Il y a eu à cette adresse L’Imaginaire,À plus d’un titre et c’est maintenantAu bonheur des ogres… Un quai deSaône, côté presqu’île, hanté depuislongtemps par le livre, les librairies,

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de A à Z /prix des lycéensTroisième épisode : écrivain à la Cité scolaireÉlie Vignal

Sébastien, quandtu nous tiens…Après Maximilien Le Roy, c’est Jean-PierreSpilmont qui est accueilli dans la classe deseconde de la Cité scolaire Élie Vignal, àCaluire*. Un peu moins de timidité du côtédes élèves, et l’écrivain en maître de céré-monie épatant. Une rencontre forcémentcomme on les aime.

L’auteur est arrivé à la Cité scolaire un peu plustôt pour se mettre dans l’ambiance. Une bonnechose. Accueil simple et chaleureux des profes-seurs (Blandine Ray, Laurence Bossy, pour le fran-çais, Ronald Abribacht pour l’histoire) et du docu-mentaliste Jean-Pierre Ducher. On s’assied, oncause. Contrairement à ce qu’on s’était laissédire, une salle des profs peut être un lieuaccueillant. Il est presque dix heures, on ne s’at-tarde pas car les élèves sont impatients. Ça tombebien, Jean-Pierre Spilmont aussi.On prend les mêmes, ou presque, mais on nerecommence pas. C’est tout l’intérêt de ces ren-contres avec des écrivains en milieu scolaire. Onne sait jamais si on sera profondément déçu outotalement transporté, s’il se passera quelquechose plutôt que rien. En fait, c’est une sorte de« performance », et tous les acteurs sont impor-tants. Chacun son rôle. Les élèves sont moteurs,mais il aura fallu tous les efforts des professeurspour qu’ils soient chauds le jour J. À Élie Vignal,on comprend vite que tout le monde se sentconcerné. Et c’est irremplaçable. Il y a aussi lesintervenants extérieurs, qui doivent rester à leurplace. Aujourd’hui, Maya Flandin, libraire par-tenaire et experte en discrétion. Et puis l’écri-vain, bien sûr. Là non plus, aucune évidence.Car on peut aimer un livre et détester la per-sonnalité de son auteur. En l’occurrence, dif-ficile de faire plus ouvert et plus attentif queJean-Pierre Spilmont. Et l’attention des unset des autres, des uns à l’égard des autres, c’estaussi essentiel.

Beaucoup de Jean-Pierre dans Sébastien ?

On entre donc en frottement par le biais des rap-ports entre la réalité et la fiction. Y a-t-il beau-coup de Jean-Pierre dans Sébastien ? La ques-tion s’impose lorsqu’on a lu le roman. Et tout lemonde a lu le roman… L’auteur ne se cache pas,explique les liens entre sa propre enfance, sapropre souffrance, l’écriture et la force de l’ima-gination. Une belle alchimie quand elle prend.On appelle ça la littérature. Les mots de l’écri-vain sont simples, les gestes pleins de chaleur.

À peine quelques minutes et l’on sait déjà quece sera un « vrai » moment. D’autant que lesélèves enchaînent sur la Guerre d’Algérie.Plusieurs ont travaillé sur le sujet avec leursprofesseurs d’histoire et de français.

« Moi aussi, je suis parti en Algérie, confiel’écrivain. J’ai été instituteur dans unvillage de Kabylie. J’y ai vu des chosestrès belles et des choses horribles. J’en suisrevenu empli d’un grand silence, sachantau fond de moi que je n’étais pas unsaint. » Jean-Pierre Spilmont évoqueavec pudeur les marques que l’on porteen soi, les charges trop lourdes dont ilfaut un jour ou l’autre se débarrasser.Il est un peu plus de onze heures quandon entend le grand et beau silence desmots qui accomplissent leur chemin sin-gulier jusqu’à ces élèves, qui s’y connais-sent en épreuves. « Pour moi, Sébastien,c’est un livre qui parle de l’injustice queles enfants subissent, et ce n’est paspermis  ! » Jean-Pierre Spilmont estému. Tout le monde est ému.Lorsqu’on passe aux extraits choisis etcommentés par les élèves – quellebonne idée, franchement, quelle bonneidée ! –,Victor dira pourquoi il a sélec-tionné, dans la vie de Sébastien, ce petitmoment heureux lié à l’odeur des peauxd’oranges sur le poêle. « On a tous connudes moments difficiles, dit-il, impeccable,et on voit dans le livre qu’il y a aussi desmoments réconfortants. Et d’autres quisont durs. » C’est aussi ce que dit Nour,à sa manière, quand elle évoque, dansun vertigineux mouvement de bascule,l’histoire de son arrière grand-père duFLN « tué par les soldats français ». Onsouffle. Et Jean-Brice de conclure, pourrépondre à Jean-Pierre Spilmont quidemande aux élèves s’ils ont échangéentre eux à propos de Sébastien : « On

a plutôt gardé nos avis pour nous. C’est troppersonnel. » Laurent Bonzon

* La Cité scolaire Élie Vignal, à Caluire, accueille des élèveshandicapés et en rupture scolaire, de la Sixième à la Terminale.

Le point de vue des élèves

Un cri contre le silenceLe 24 janvier 2011, la classe de Seconde du lycée ÉlieVignal a reçu Jean-Pierre Spilmont, auteur de théâtre,de poésies et de romans. L’auteur de Sébastien nous aprésenté son œuvre. Nous avions préparé des questionsque nous lui avons posées. Il nous a gentiment réponduet nous a fait partager son expérience professionnelleet personnelle pour pouvoir mieux comprendre son récit. Sébastien, c’est l’histoire d’un jeune garçon différent,ballotté entre son école pour « déficients mentaux » etla maison de ses grands-parents, où la présence de songrand-père est rassurante. C’est la seule personne qu’ilaime, qu’il respecte et qui l’aide à tenir dans ce mondefait d’injustices. Et Sébastien ne supporte pas l’injus-tice. Mais cette relation privilégiée va hélas basculer quandle grand-père l’emmène à Paris retrouver ses copains,anciens combattants de la Guerre d’Algérie.

Au fil de la discussion, nous avons pu faire la distinctionentre la fiction et le réel, entre l’autobiographie et l’ima-ginaire. Jean-Pierre Spilmont nous a par exemple parléde son expérience d’appelé du contingent au momentde la Guerre d’Algérie et de son ressenti. Nous le remer-cions de nous avoir fait partager sa sensibilité avecsincérité. Cette rencontre a changé notre regard sur lamanière d’écrire. Jean-Pierre Spilmont s’inspire de sonvécu : comme Sébastien, il a été interne de nombreusesannées et, comme le grand-père, il a été appelé ducontingent en Algérie. La thématique de l’Algérie reste en filigrane, et c’est cequi fait la force de ce roman. Sébastien aborde un sujetsensible tout aussi sensible que ce jeune garçon. L’histoirede Sébastien lui tenait tellement à cœur que l’auteur n’amis que trois semaines pour l’écrire. Cette histoire, il laportait depuis longtemps comme un cri contre le silence !

Maëlle et Nour, élève de 2nde E.V.

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les pleurs,ni les ani-maux, ni lamusique,ni l’argent.Ni senti-ments, niémotionsnon plus.Leur violence est comme leur vie,d’une précision chirurgicale. Dans ce monde parallèle à la « poésie froide », les pensées vont en« ligne droite » et les êtres naissenten laboratoire, nimbés de propretéet de silence. Ils ignorent la souf-france. Un monde un peu trop idéal,sans doute. Les terriens les dégoû-tent, avec leur sueur et leurs quichespuantes, et pourtant les terriennesles attirent, au point que de hautsdignitaires en font enlever certaines

Un nouveau roman de Jean-Claude Mourlevat, l’auteur àsuccès du Combat d’hiver et deL’Enfant Océan, est un événementqu’on ne saurait manquer. VoiciTerrienne, ou le fantastique ancrédans le terroir forézien.

La route bien connue de la plaineentre Saint-Étienne et Montbrison.On s’en doute, le « bien connu » neva pas tarder à dérailler. Et ça nemanque pas. Nous voici projetésavec Anne, une jeune fille à larecherche de sa sœur disparue, dansla ville de Campagne (!), à laquelleelle accède par cette fameuse route.Les habitants ressemblent auxhumains sauf qu’ils ne respirent pas.Ils ne connaissent ni le vent, ni

pour leur plaisir personnel. La sœurd’Anne fait partie des malheureusesélues.La référence à Barbe Bleueest affichée – Anne, masœur Anne… Un vieil écri-vain, Monsieur Virgil, acceptede rejoindre Anne pourl’aider. Virgile, le voyaged’Énée en enfer. Mais c’estbien sûr ! Et l’enfer, pourMonsieur Virgil, est assuré-ment au bout du voyage.

Une mise en abyme du romanciercurieux et bienveillant, un peu trophumain, avec ses cheveux longs etsa vieille bagnole. Jean-ClaudeMourlevat, à travers lui, s’amusedes attentes de ses fans et se jouedu fil ténu entre réel et imaginaire.Terrienne se dévore d’une traite,presque sans respirer. Il est ce queles anglo-saxons nomment « pageturner », un gros roman d’évasionbien ficelé mêlant amour et action,humour et suspense, capable sansdoute d’hypnotiser un adolescent

des heures durant. Son sens ultimeemprunte au Meilleur des mondes

de Huxley : l’im-perfection est ceque les humainsont de plus beau.Myriam Gallot

Jean-ClaudeMourlevatTerrienneGallimard jeunesse386 p., 16 €ISBN 978-2-07-063723-2

des personnagespleins d’humour.Ses illustrations

sont jalonnées declins d’œil, de détails.Surprise, c’est une

mamie qui s’épanouit, unpetit-fils qui grandit et unesœur qui se moque… Unebelle histoire de famille ! J. B.

Éditions Thierry Magnier, album non paginé,15 €, ISBN 978-2-84420-875-0

La Princesseparfaitede Frédéric Kessleret Valérie Dumas

Le monde de La Princesseparfaite est un vrai conte defées. Palais luxuriants, robesincroyables, chevelures démesurées,carrosses et tapis rouges. Dans cedécor créé par l’illustratrice ValérieDumas, le regard se perd dans lesillustrations plus baroques les unesque les autres. Chatoiement desrobes, finitions des chapeaux,mélanges de pois, de rayures et de

Surprisede Nadia Roman etJean-Pierre Blanpain

Avec la beauté des couleurs(noir, rouge, jaune et bleu) deJean-Pierre Blanpain, NadiaRoman nous offre unehistoire drôle et émouvante.Dans Surprise, les grandessœurs devinent les histoires d’amourplus vite que les petits frères, pendantque les grands-mères se teignent lescheveux et reçoivent des SMS. Lamétamorphose d’une mamie enfemme amoureuse est racontée parla voix d’un enfant. Plus secrète,plus rêveuse et plus coquette, cettegrand-mère surprend son petit-fils.Pourquoi apprendre à se servir d’unordinateur, pourquoi est-elle désor-mais toujours pressée  ? Dans cetalbum réjouissant, pas de clichés surle troisième âge, pas de personnesâgées malades ou oubliées, ni demamies d’antan accrochées à leursfourneaux. Pas de tabous non plus.L’univers original du peintre Jean-Pierre Blanpain ajoute à cette vita-lité. Avec de larges traits noirs et desdessins naïfs ou ironiques, il croque

couleurs n’empêchent ni l’humourni l’ironie. Les images sont souventanachroniques et moqueuses danscette histoire de princesse sans cli-chés. Il est vrai que l’héroïne parfaitea besoin d’une bonne dose de per-sonnalité pour s’affirmer. L’histoire

imaginée par Frédéric Kessler revi-site les contes classiques pour

créer un personnage plein decaractère. Douée par une féede perfection, la princesseapprend de sa mère, le jour

de sa mort, que ce don est unemalédiction. Elle doit, le jour de ses

16 ans, apprendre à savoir ce qu’elledésire pour elle même et non pourles autres. C’est sans compter sur laperfide Margareth qui séduit son pèreet veut imposer sa loi. Qui va gagner ?Va-t-elle se libérer ? J. B.

Éditions Thierry Magnier, album non paginé,15,50 €, ISBN 978-2-84420-872-9

livres & lectures / jeunesseLe nouveau roman de Jean-Claude Mourlevat

Sur la route deCampagne

Papa, on lesdouble !de Martin Viot

Le dernier livre de Martin Viot pour-rait égayer vos prochains départs envacances familiaux. L’histoire de lafamille Martin sur la route de la plagenous plonge au cœur des embou-teillages. Le dessin réaliste permet des’identifier aux personnages qui tourà tour s’ennuient, écoutent de lamusique, chantent, se chamaillent.En suivant les péripéties de la famille,on s’amuse à retrouver la voiture bleue,alignée parmi les autres. Martin Viot,dessinateur et bédéiste lyonnais, saitsaisir les situations sur le vif, à traversles conversations parfois lasses desparents avec leurs enfants. Alors, Papaon les double !, un bon remède contrele « c’est quand qu’on arrive ? »... J. B.

Seuil Jeunesse, 32 p., 11,50 €, ISBN 987-2-02-103978-8

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d’Alexandre Bergamini estde lier ce tragique destinindividuel à une visionbeaucoup plus globale surles dimensions sociales etpolitiques de la sexualité engénéral, de l’homosexualitéen particulier, mais ausside l’« histoire » du Sida enFrance et dans le monde.On (re)découvre ainsi la bar-barie des régimes nazis à l’encontredes homosexuels, la violence de lasociété française des années 80(et ce n’est sans doute pas fini !)vis-à-vis des séropositifs, le cynismedes économies modernes et deslaboratoires pharmaceutiques – lespages consacrées au « scandale »du sang contaminé sont à ce titreédifiantes.

Auteur jusque-là de courts textespoétiques et fulgurants, commeRetourner l’infâme ou CargoMélancolie, Alexandre Bergamini seplonge avec Sang damné dans unprojet plus vaste, plus ambitieux,qui cherche à relier le destin indi-viduel et l’histoire collective. Point de fiction, semble-t-il, dans lerécit écorché d’une enfance blesséepar le suicide d’un frère aîné, d’unejeunesse marginalisée (familiale-ment et socialement) par l’affirma-tion de son homosexualité, puisd’une vie brisée par l’épidémie duSida, l’hécatombe des proches, lacohabitation avec la maladie. Sonécriture, resserré jusqu’à l’os, aus-culte la souffrance, la solitude oule désespoir amoureux avec forceet singularité. Mais la grande réussite

Composé de diversmatériaux – notes,récits, poèmes, cita-tions –, Sang damnéest un kaléidoscopede très courts para-graphes, qui oscilleentre l’autofiction etle pamphlet, le récitde vie et la chronique

sociale, avec beaucoup de justesseet de fluidité. On y retrouve lalangue dépouillée et poétiqued’Alexandre Bergamini, dans despages magnifiques sur la mort dufrère, la rupture paternelle, l’ex-clusion sociale, mais aussi sur lelong cheminement que constituel’acceptation de la maladie.Dans l’ombre de grands artistes ter-rassés par le virus (Foucault, Koltès,Guibert), on découvre un écrivainplus mûr, capable de transcendercette histoire personnelle en uneparabole universelle qui parle dedésir, de mort, de quête initiatiqueet de rédemption. Car malgré lesang damné et le destin maudit,l’histoire de ce livre entre ombre(s)et lumière est aussi (avant tout ?)

celle d’un homme quifinit par renaître à la vie,comme le prouve la troi-sième partie du livre, inti-tulée Primum tempus…Yann Nicol

Alexandre BergaminiSang damnéSeuil236 pages, 17 €ISBN 978-2-02-103495-0

de l’avoir couchée sur les lignes dansses habits de personnage, de tripler lamise. Car le lecteur se trouve en effetaux prises avec trois Marielle, toutesadolescentes plus que compliquées,un pauvre docteur Roy à qui tout celadonne la migraine, une juge Foutu (sic)qui met tout le monde à cran, et biendes péripéties qu’on passera ici soussilence. Sauf peut-être le beau rêve éro-tique dont vers la fin l’auteur gratifieson pauvre médecin parvenu au boutdu rouleau : manière de prouver que,si elle aspire à s’affranchir d’une litté-rature où elle a régné en maîtresse,Françoise Rey n’a pas perdu la main,tenant le crayon avec assurance.Chère Marielle est une pépite drôleet brillante, un éloge du pouvoir desmots, un exercice de vertige, mais

aussi une réflexion surla création, çà et là unbrin mélancolique. D. M.

Françoise ReyChère MarielleÉditions La Rumeur libre234 pages, 19 €ISBN 978-2-35577-014-2

On devrait se méfier quand on croisela route d’un écrivain. Surtout si onexerce un métier à risque, contrôleurdes impôts par exemple, et qu’enplus on prétend « contrôler » l’auteuren question. Car celui-ci s’appelantFrançoise Rey, l’affaire est bienpartie pour perdre, apparemmentdu moins, tout contrôle.À partir d’une très administrativelettre, d’un prénom et d’une initiale –Marielle F. –, voici que Françoise Reytrousse un bel objet littéraire. À saChère Marielle, elle prouve que, si laditecontrôleuse a la loi pour elle, l’auteur,lui, a tous les droits. D’abord faire d’elleune femme de papier, et, non contente

Une vague delibertéLa fleur d’août estun cadeau tardifdu ciel et de laterre, un bonheurqu’on n’attendaitplus. C’est bienune fleur de cegenre qui poussedans la vie de Tina,plus que sexagénaire, dont le corpset l’esprit sont devenus « une pièced’eau tranquille où frissonne levent ». Comment le frisson se trans-forme en tempête, c’est toute lamatière de ce livre intimiste etvivace à la fois, ode à la toute-puis-sance du désir. Tina aurait pu res-ter cette « petite Italienne parve-nue », cette femme divorcée, mariéepuis veuve. Mais voici que sa filleCécile fait entrer dans son cercled’ennui et de résignation son amou-reux, le beau Samir, semblable « à undieu des mers ». Le trouble qu’éprouve

Tina face à cet homme la révèleà sa révolte intérieure, ouvrela porte aux souvenirs. Voici

que remontent les éclats d’une viefaite de domination, de renonce-ment, et où l’on cesse vite d’être unefemme. Tina retrouve l’enfancenapolitaine, la brûlure de son amourde la mer, et la mémoire l’emportedans un grand vent libérateur. Unbeau portrait de vieille dameindigne, que l’écriture retient aubord du banal. Danielle Maurel

Laura DespreinAvec des encres de Marianne K. LerouxFleur d’aoûtL’Atelier du Grand Tétras120 p., 14 €ISBN 978-2-911648-36-6

livres & lectures / littératureAlexandre Bergamini : un kaléidoscope entre autofiction, pamphlet et récit de vie

Les liens du sangAvec Sang damné, Alexandre Bergamini donne un livre d’unematurité nouvelle. À la fois récit autobiographique, chroniquesociale et roman politique, il touche par sa lucidité intellec-tuelle, son inventivité formelle et son extrême sensibilité.

Lettre d’amour,amour des lettres

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LA PENSÉE SAUVAGE

L’École face autraumatisme et à la violenced’Hélène Romano etThierry BaubetLes auteurs donnent ici des clefs pour faire faceaux situations violentes(suicide, pédophilie,agression…) auxquellespeuvent être confrontés lesenfants et les professionnelsde l’école. Dans un langageclair, l’ouvrage pose des bases théoriquesnécessaires pour évaluer et intervenir, que ce soit sur le plan psychologique,juridique ou médical.

240 p., 23 €ISBN 978-2-85919-264-8

livres & lectures /essais

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désigner un seul et même individu :l’écrivain. Entre les premiers et lesecond, l’écart se creuse, l’oxygènese raréfie, le vide guette. En cause,selon Jean-Pierre Martin, la doxa,l’insidieuse «  opinion courante,le sens répété, comme si de rienn’était » (Barthes).La doxa littéraire nous guette tous,et quand elle nous habite, c’estpresque comme une maladie delangueur. Il faut faire avec parce quel’on ne peut faire sans. Elle nousenjoint de préférer les lieux com-muns aux chemins de traverse, lesimages éculées aux idées neuves.Ainsi du «  livre sur rien  » deFlaubert, mille fois asséné. Ainsi de« la mort de l’auteur » qui permetde ne pas parler biographie. Plutôtfétichiser le semblable que réfléchirl’autre… L’institution scolaire et uni-versitaire en prend pour son grade,avec son univers techniciste et doc-trinaire qui empêcherait toute parolevraie, un lieu de savoir d’où plaisir etdésir seraient quasiment exclus.Poids plume : plume de choix ! Onsait bien que Jean-Pierre Martinpense comme d’autres boxent. Quel’uppercut est son mode d’approche,

Ce n’est pas vraiment un essai, plu-tôt une façon de donner de la voix.Rentrer dedans. Vitupérer. Il y auraitd’un côté homo academicus, le pro-fesseur qui répète le texte qu’on luia appris, le critique qui vénèrel’œuvre ou l’auteur déjà vénéré, lethéoricien qui use d’anciens outilsusés, bref le littéraire qui n’en a quel’air… et de l’autre, homo litterarius,le romancier célibataire qui vit avecsa ligne d’écriture, l’insulaire poètequi habite les mots du monde, l’es-sayiste qui se risque à dire Je, troismanières, entre quelques autres, de

le KO sa façon de poser des jalons.Mais si ses offensives peuvent par-fois offenser, elles ne sont pourtantjamais « gratuites ». Les Écrivainsface à la doxa ne serait qu’un pam-phlet de plus dans lemarécage littéraire s’ilne brossait d’abord etavant tout un salutaireportrait (autoportrait ?)de l’écrivain en héré-tique plus que singu-lier : « engagé, dégagé,rengagé, déserteur » !

Ils s’appellent Michaux, Gracq,Duras, Péguy, Gombrowicz… Tousnoms qui sonnent comme autantd’invitations à traverser autrementle continent littérature, redécouvrir

le plaisir et l’inquiétude dessens, ne plus séparer la ligned’écriture de celle de la vie.Roger-Yves Roche

Jean-Pierre MartinLes Écrivains face à la doxa ouDu génie hérétique de la littératureÉditions José Corti241 p., 22 €ISBN 978-2-7143-1056-9

ATELIER DU HANNETON

À la rencontre du matin de Kay Borowsky, traductionMarie-Paule RichardDans ce recueil bilingue, la langue sobre, presquedépouillée, du poète deTübigen est magnifiquementrendue par la traduction

de Marie-Paule Richardrecréant « le sourdtambourinement du sens ».Comme des respirationssilencieuses, deux triptyquesde l’artiste René Schlosser se sont glissés au milieu des poèmes.

80 p., 25 €ISBN 978-2-914543-21-7

FAGE ÉDITIONS

Théophile Gautier.L’Art moderneÉdition établie parCorinne Bayle et OlivierScheferParu en 1856, L’Art modernerassemble plusieurs articlesde Théophile Gautier sur la peinture et le théâtre, où il examine les œuvres

de Chenavard, Marilhat,Ingres, ou encore lesreprésentations de Schiller,Lessing et Goethe. Cetteédition illustrée du texte del’écrivain est accompagnéed’une préface et de notescritiques de Corinne Bayleet Olivier Schefer.

304 p., 25 €ISBN 978-2-84975-201-1

MOSQUITO

Les Pixels et les Robotsde Marc WasterlainAprès Les Pixels, Chasseurs de monstres, Marc Wasterlainrevient avec son trait nerveuxet son imagination débridée.Dans ce deuxième épisode,les Pixels se retrouventembarqués dans une guerreoù s’affrontent deux arméesde robots. Pour sauver lemonde, Zebra, Arno et Kevinn’hésiteront pas à s’armer de gadgets électroniques des plus épatants.

collection « Lily Mosquito »56 p., 13 €ISBN 978-2-35283-050-8

Sélection des nouveautés deséditeurs de Rhône-Alpes réalisée par Marie-Hélène Boulanger

Jean-Pierre Martin : portrait de l’écrivain en hérétique

Lésions littérairesLes Écrivains face à la doxa, une réflexion pugnace de Jean-PierreMartin sur la littérature comme manière de vivre et de penser.

Le goût deslettresUn artiste invité, un

livre comme le lieu del’œuvre, tels sont les prin-cipes de cette collection delivres d’artistes signéeCapture Éditions, maisonfondée à Valence en 2008par Valérie Cudel. Après les magnifiquesouvrages de William Kentridge (Everyonetheir Own Projector, 2008) et de MattMullican (Notating the Cosmology,1973-2008, 2009), ABC Taste, de JessicaStockholder, artiste américaine est unecréation ébouriffante qui revisite leconcept d’abécédaire, dans l’explosiondes mots (H comme Hip, High, Hero,Hemmed, Hounds Tooth and Highly ; Kcomme Kiss, Kitsch, Kindling, Key, King, KickAss, Kow Tow...) et des couleurs (vives, tran-chantes, crayonnées, révélant l’espace).Ce livre au format presque carré est percéd’un cercle (une lune ? un diaphragme ?),qui s’agrandit et se rétrécit, faisant appa-raître la superposition des rythmes impo-sés par les couleurs, avant de se refermer

sur l’énorme soleil de la lettre Z (commeZest et Zone). Entre-temps, on s’est amuséà suivre l’opposition joyeuse entre leslettres et les mots, d’un côté, les couleurset les coups de feutres et de pastels, del’autre. Et puis de A à Z, traversant l’es-pace-temps du livre, un énigmatiquepoème, With The Perfect Guest, en lettresdorées, qui dit l’assemblage et larecherche, des mots ou des images quiparlent de la vie. L. B.

Jessica StockholderABC TasteCaptures ÉditionsFormat 26 X 24 cm, 56 p., 46 €ISBN 978-2-9533912-2-0www.captures-editions.com

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nouveautés des éditeurs

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ROUGE INSIDE

L’Homme qui avait étéamoureux de Bette Davisd’Angel Vasquez,traduction Selim CheriefCe recueil rassemble des nouvelles, inédites en français, de l’écrivainespagnol à la voix forte etsingulière (Selim Cherief aobtenu le prix Rhône-Alpesde la traduction en 2010).Inscrivant son projetlittéraire au cœur de la villede Tanger, l’auteur, dont on connaît l’art de sonderles âmes, donne à voir et à entendre un mondevivant et fascinant.

128 p., 14 €ISBN 978-2-918226-07-9

ÉDITIONS JÉRÔMEMILLON

Le Livre sans titre ou Les Conséquences fatalesde la masturbationÉdition présentée parAlexandre WengerObjet de littératurelicencieuse, Le Livre sans titrese dissimule pour mieuxparler de ça. De ce crimeabominable connu pour être « le mal », de ces habitudes « funestes » ou « solitaires », de ce « vice qui nous tue » :la masturbation. Au fil des

pages, les portraits d’un jeunehomme et de sa déchéanceillustrent les conséquencesfatales de cet acte prohibé.

148 p., 17 €ISBN 978-2-84137-262-1

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regard

Chaque mois, retrouvez Géraldine Kosiak, en texte eten image, pour un regard singulier, graphique, tendreet impertinent sur l'univers des livres, des lectures etdes écrivains...

Au travailSignes de fatigueJe me pose la question : quel livre m’a le plus impres-sionnée ces dernières années ?Le premier roman qui m’arrive en tête est La Route deCormac McCarthy, publié en 2006 aux États-Unis.Je l’ai lu en juillet 2009, dans les Cévennes au bord d’unepiscine, il faisait chaud. Les enfants jouaient dans l’eau,le paysage était magnifique. Je n’avais jamais ressentiune telle émotion en lisant. Je pense encore régulièrementà cette histoire apocalyptique.McCarthy a écrit La Route sur son Olivetti bleue pâle modèle lettra32, achetée en 1958, 50 dollars, dans une brocante de Knoxville(Tennessee). Il la choisit pour sa légèreté (5,2 kg).Début 2009, la machine à écrire montrant quelques signes de fatigue,McCarthy se résigne à s’en séparer. Après une longue hésitation entrela poubelle et une vente aux enchères, il préfère la deuxième solution.Dans une lettre d’authentification accompagnant l’objet chez Christie’s,il certifie : « Elle n’a jamais été réparée ou nettoyée autrement qu’ensoufflant pour enlever la poussière. J’ai rédigé sur cette machine tousles livres que j’ai écrits, y compris trois ouvrages non publiés. Ainsi quemes brouillons et toute ma correspondance. Tout cela doit faire à peuprès cinq millions de mots sur une période de cinquante ans. »

Le 4 décembre 2009, la machine à écrire trouve preneur.Estimée entre 15 000 et 20 000 dollars, elle

s’est vendue 254 500 dollars. En prime,l’acquéreur a déjeuné avec le romancier

à Santa Fe (Nouveau-Mexique).Pour ceux qui se demandent com-

ment McCarthy écrit aujourd’hui,la réponse a été trouvée par son

ami John H Miller. Quelquessemaines après la vente, il lui a

offert la même Olivetti bleue pâle,trouvée sur Ebay pour 11 dollars.

Cormac McCarthyLa Route

Éditions de l’Olivier

chronique Géraldine Kosiak 20 /

URDLA

Le Joueur de théorbede Patrice SalsaQui est donc ce mystérieuxjoueur de théorbe que croitreconnaître le narrateur ? Etcomment expliquer que sonimage ne puisse s’imprimersur une photographie ? Avec cecourt et étrange récit, l’auteurde La Signora Wilson noustransporte à la frontière où se confondent rêve et réalité.

42 p., 13 €ISBN 978-2-914839-42-6

ÉDITIONS DU LAMPION

Kanak Première et deuxièmechroniquesde Thiosse, illustrations Juliet CCes deux premiers volumesdes chroniques calédoniennesde Georges Baudoux, aliasThiosse, relatent les péripétiesde différentes tribus canaquesavant l’arrivée des colons.Parues entre 1919 et 1921dans les journaux locaux, les nouvelles illustrées nousplongent dans un universtribal parfois cruel.

112 p., 12,90 €ISBN 978-2-917976-16-6

CENTREINTERNATIONALD’ÉTUDE DU XVIIIe

SIÈCLE

Voltaire dans laculture russede Piort ZaborovVoltaire occupe une placetout à fait exceptionnelledans l’histoire de la sociétéet de la culture russes.Cette étude du grandspécialiste russe de l’œuvrede Voltaire suit laréputation et l’influence du grand philosophe des Lumières dans laRussie du XVIIIe sièclejusqu’à la fin de l’époquesoviétique.

352 p., 40 €ISBN 978-2-84559-052-6

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beauté du monde et son inexorable – maisenivrante – fragilité. Quant aux sonnets sati-riques et burlesques, ils nous touchent moins,même s’ils prouvent une extraordinaire inven-tivité formelle, une constante recherche dansle langage, un goût pour les jeux de mots etune forme d’espièglerie intellectuelle parti-culièrement stimulante…

Le monde du silence

Le nouveau recueil de Jacques Ancet,Chroniques d’un égarement, se rapproche del’univers poétique du maître espagnol danssa propension à embrasser le monde dans sacomplexité – et son ambigüité –, mais s’endémarque par le choix d’une poésie en prose,libre du carcan formel du poème, du sonnet,ou de la rime. De l’instant fugace d’un « éga-rement au monde », d’un léger décalage avec

Jacques Ancet, poète et traducteur

Je et un autrePrix Apollinaire 2009 pour L’identité obscure,Jacques Ancet poursuit son œuvre de poète etde traducteur avec les parutions d’un nouveaurecueil, Chronique d’un égarement, et d’unetraduction des sonnets de l’écrivain espagnolFrancisco de Quevedo.

On sait depuis de nombreuses années que JacquesAncet est capable de faire cohabiter son œuvre poé-tique personnelle avec la traduction de certainesdes plus grandes voix de la littérature hispanique,comme Saint Jean de la Croix, Juan Gelman ouAntonio Gamoneda. On est malgré tout impressionnépar la parution simultanée de Chronique d’un éga-rement, magnifique recueil de prose poétique, et deLes Furies et les peines, une anthologie bilingue desplus grands sonnets de l’écrivain espagnol Franciscode Quevedo, choisis, présentés et traduits par JacquesAncet, qui nous fait là un cadeau inestimable en(re)mettant au jour cette œuvre poétique – majeure –injustement méconnue.On découvre dans ce recueil les tendances princi-pales de l’écriture poétique de Quevedo. Les son-nets métaphysiques, philosophiques, religieux etmoraux sondent, dans une langue d’une grande sim-plicité, l’énigme centrale de nos vies, à savoir la fini-tude de nos existences et la conscience aigüe de notremort : « Et chaque instant de cette vie humaine / estune exécution qui dit combien / elle est fragile etpauvre, et combien vaine. » Une conscience que l’onretrouve en contrepoint de l’exaltation et de la pas-sion qui sont au cœur des sonnets amoureux, sansdoute les plus beaux poèmes de Quevedo, où l’onretrouve l’oscillation chère à Jacques Ancet entre la

la réalité et la linéa-rité du temps, lepoète tire une médi-tation profonde surl’énigme de vivre etla difficulté à dire laprésence au monde :«  C’est pourquoi lemonde est, pour moi,toujours prononcé –une sorte de phrasesilencieuse où j’avance,qui m’enveloppe maisque je ne peux pascomprendre ». Car si

l’on retrouve ici les grandes interrogationsintrospectives et métaphysiques liées à la soli-tude, à l’ennui, à la conscience du corps, auxfacettes du désir, au mystère de l’altérité, auxaffres de l’amour ou à l’(in)existence du bon-heur, Chronique d’un égarement est avant toutun recueil qui parle du langage, et dans lequelle graal de l’écriture poétique n’est autre quel’éblouissement du présent et la quête dusilence : « Maintenant je vais me taire, je le sais.Je vois une fois encore, invisible, ce qui vient ets’en va. C’est là, dans le minuscule : une brin-dille, une fourmi, un noyau d’olive, un bout decrayon sans mine. Dans cet intervalle, aussi,où les choses naissent et s’effacent. Dans cetteparole que je comprends mal, qui malgré moime sort de la bouche. Elle fait le bruit – cri decorneille, vitres cassées –, le silence. Je regarde.Il y a dans mon regard ce que je n’ai pas dit.Je m’arrête. Je me tais – Je vais me taire. » Onattend pourtant avec impatience que JacquesAncet reprenne la parole. Y. N.

Jacques AncetChronique d’un égarementÉditions Lettres vives144 p., 18 €ISBN 978-2-914577-47-2

Francisco de QuevedoLes Furies et lesPeinesPoèmes choisis, présentéset traduits par JacquesAncet / Édition bilinguePoésie Gallimard304 p., 8.90 €ISBN 978-2-070435-96-8

PUG

Jours de la CinquièmeRépubliquede Philippe TeilletL’auteur choisit dans ce livrede revenir sur neuf journéesqui ont fait la CinquièmeRépublique, entre le 18janvier 1959 et le 6 juin2000. À travers des épisodesrecontextualisés et mis en perspective, il présenteles caractéristiques du jeupolitique « à la française ».

176 p., 17 €

ISBN 978-2-7061-1634-6

ÉLLUG (ÉDITIONS LITTÉRAIRESET LINGUISTIQUES DEL’UNIVERSITÉ DE GRENOBLE)

« Bizarre », bizarrerie »de Constant à Proustde Régine BorderieÀ l’origine de cet essai, un mot, « bizarre », qui nesignifie pas seulementsingulier ou bigarré, mais quiprend le sens au XIXe siècled’inexpliqué. L’auteur étudieles formes et les enjeux de ce mot dans le romanpsychologique, le récitfantastique, la critiquelittéraire et d’autres genres encore.

252 p., 25 €

ISBN 978-2-84310-178-6

ISSN 1294-0658

livres & lectures /poésie

Dans les cloîtres de l’âme, la blessuremuette gît, mais consume la vie,puisque sa faim en mes veines nourrit une flamme dans ma moelle qui dure.

Hydropique ma vie boit la brûlure, et déjà cendre amoureuse et pâlie,montre, cadavre en ce bel incendie,son feu défunt, fumée et nuit obscure.

Je fuis les gens, j’ai le jour en horreur ;et vers la mer, sourde à ma peine ardente,je lance en de longs cris de sombres pleurs.

Aux soupirs j’ai donné ma voix qui chante ;la confusion a submergé mon cœur ; mon âme est un royaume d’épouvante.

(Francisco de Quevedo, Sonnets à Lisi in Les Furieset les Peines. Traduction de Jacques Ancet)

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correspondance

Livre & Lire : journal mensuel, supplément régional à LivresHebdo et Livres de France, publié par l'Agence Rhône-Alpespour le livre et la documentation.

toujours avec autant de subtilité.On ne condamne pas un payscomme la Biélorussie, ex-républiquesoviétique, sous prétexte que l’éco-nomie biélorusse s’est assez bientirée de la crise, et que ses amis sontl’Iran, le Venezuela, Cuba (dont lesstands de livres sont en face dumien). C’est dans l’air du temps, onne condamnait pas la Tunisie parcequ’elle avait réussi à repousser lesislamistes et à créer une classemoyenne dynamique, ni l’Égypte,pion nécessaire pour maintenir lapaix dans l’échiquier explosif duMoyen-Orient, ni la tyrannie deKadhafi au portefeuille bourré depétrodollars. Mieux vaut des dicta-tures que des bouleversement nonmaîtrisés, n’est ce pas ?Les copains de Svetlana me disentcela sans haine, ils n’insultent pasceux qui s’empêtrent dans une dia-lectique honteuse et mériteraientleur mépris, ils sont jeunes, déjàailleurs, les poncifs du vieux mondesont derrière eux, ils luttent pourlibérer leur pays où les mots et lavie sont muselés par la penséeunique d’une dictature fantôme. Etsi mes mots d’écrivain les aident untant soit peu dans leur combat, cesera un beau cadeau.

Franck Pavloff

(toujours ce sigle en Biélorussie).Exactement où ? on ne sait pas.Combien des sept candidats sur les neufqui ont été arrêtés sont encore détenus? on ne sait pas. Que fait en ce momentle président Alexandre Loukachenkodont le Conseil de l’Europe et l’OSCEcontestent l’élection, on ne sait pas.De sa vie privée, de ses fils, l’un à latête des forces de répression, l’autre« homme d’affaire », on ne sait pas grandchose. Qui a tué Vassili Grodnikov, jour-naliste du quotidien Narordnaïa Volia,qui critiquait le régime néo-communiste ?on ne sait pas. Qui a poignardé VeronikaCherkasova, journaliste au quotidienindépendant Solidarnost ? on ne saitpas. En Biélorussie, la dictature se parede redoutables livrées fantômes quihabillent les tristes matins rouges.

Ceux qui me parlent en cachette n’ont pas été torturés,ni blessés par balle, ils sont seulement étouffés par leterrible bâillon des « on ne sait pas », comme si lebrouillard givrant qui plombe la ville ce matin sous sesmoins 20 degrés, s’engouffrait dans leurs bouches, muse-lait leurs consciences, et suffisait à présent à maintenirl’ordre dans le pays. C’est un régime autoritaire, une auto-cratie, un État policier, qu’importe les termes. Les élec-tions sont truquées, pour la liberté de la presse, Reporterssans frontière classe la Biélorussie 154e sur 178 pays, leKGB tout puissant et la police enferment et condamnentles opposants, les éliminent parfois, le système est rôdé.Sans éclat, la dictature fantôme s’est imposée.Ce sont pour eux que j’écris, et pour Svetlana, cettejeune femme dont je change le prénom, qui par deuxfois m‘a fait rencontrer ses amis de « Zubr », et dont ladétermination me rappelle celle qui brillait dans leregard des opposants à Ben Ali et à Moubarak. Ils saventbien que nous n’avons d’yeux que pour les événementsdu sud en ce moment, que l’information internatio-nale s’emballe, mais me disent-ils, vu l’éloignement dela Biélorussie et de la Libye ce n’est pas l’effet dominoannoncé que nous attendons, mais un effet papillon,parce que les ailes de la liberté se moquent des dis-tances. Mais qui s’intéresse aujourd’hui à la Biélorussie,pourtant à la porte de l’Europe ?Par contre pour s’en désintéresser et s’en laver les mains,on trouve en première ligne un eurodéputé françaisqui avec son groupe n’a pas voté la résolution duParlement européen condamnant les agissementde Loukachenko. Le réflexe communiste fonctionne

Directeur de la publication : Geneviève Dalbin

Rédacteur en chef : Laurent Bonzon

Assistante de rédaction :Julie Banios

Ont participé à ce numéro :

Livre & Lire / Arald 25, rue Chazière - 69004 Lyon tél. 04 78 39 58 87 fax 04 78 39 57 46 mél. [email protected] www.arald.org

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ISSN 1626-1321

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Biélorussie, dictature fantômeIl y a peu, Franck Pavloff voyageait en Biélorussie, invité notamment au Salon du livre de Minsk.Après son séjour, occasionné par la traduction en russe de Matin Brun, il nous a envoyé ce texte.

La femme emmitouflée dans un manteau bleu pâleparle vite, la traductrice a du mal à suivre le flot demots dans lequel surnagent ceux de « merci », « vousavez écrit pour nous », « votre livre, je vais le faire pas-ser à Anatoly qui est toujours incarcéré », « mon fils aété arrêté aussi », « il faut dire tout ça quand vousrentrerez ». Le temps d’une dédicace, elle se fond dansles rayonnages du stand, disparaît.En Biélorussie, même les opposants sont des ombres.Invité au Salon du livre de Minsk pour la traduction enrusse de ce petit livre Matin brun, qui fait le tour dumonde, j’ai la chance d’avoir tous les jours une ren-contre publique, avec l’aide des services culturels del’ambassade de France. Jamais les propos de cette nou-velle n’ont trouvé autant d’échos immédiats. Le textesemble avoir été écrit spécialement pour dénoncer lasituation politique qui étouffe la Biélorussie où s’estinstallée, lentement, irrésistiblement, une dictaturequi bâillonne les journaux, les livres, la radio, parfoisInternet, avec le point d’orgue du 19 décembre dernieroù les candidats à l’élection présidentielle ont étéarrêtés au cours d’une manifestation sur la place del’indépendance, avec de nombreux autres opposants.Ce matin, une jeune femme de l’organisation « Zubr »,« le Bison », est venue me dire, toujours avec la discré-tion qui s’impose en ce moment à Minsk, que VassiliParfenkov, vingt-huit ans, un gars de l’équipe du candi-dat d‘opposition Vladimir Neklaïev, vient d’êtrecondamné à quatre ans de détention pour « troublemanifeste à l’ordre public ». On ne sait pas où ilsl’ont amené, certainement dans une prison du KGB

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