Livédo nécrotique après injections de buprénorphine (Subutex®) : rôle de l’amidon de maïs...

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148 Ann Dermatol Venereol 2007;134:148-50 Articles scientifiques Cas clinique Livédo nécrotique après injections de buprénorphine (Subutex ® ): rôle de l’amidon de maïs contenu dans l’excipient A. POTIER (1), C. LECLECH (1), A. CROUE (2), D. CHAPPARD (3), J.-L. VERRET (1) Résumé Introduction. L’utilisation de buprénorphine (Subutex ® ) dans la substitution des toxicomanies aux opioïdes est très répandue mais ses effets secondaires peu connus. Nous rapportons un cas de livédo nécrotique localisé secondaire à l’injection de Subutex ® . Observation. Un homme de 34 ans, toxicomane, substitué par Subutex ® , avait un livédo nécrotique et ulcéré, à limite nette au pli du coude. L’examen histologique mettait en évidence, au sein d’un infiltrat inflammatoire dermohypodermique lymphohistiocytaire, des particules PAS positif, biréfringentes en croix de Malte en lumière polarisée et identifiées comme de l’amidon de maïs. Discussion. Ce cas clinique décrit des lésions cutanées à type de livédo nécrotique en rapport avec l’injection de Subutex ® . Les mécanismes lésionnels impliquent l’amidon de maïs, excipient du Subutex ® . La buprénorphine (Subutex ® ) est fréquemment utilisée de manière détournée en injection sous-cutanée ou intravasculaire par les toxicomanes mais ses complications sont peu décrites. Chez notre malade, la présence sur les biopsies cutanées d’amidon de maïs, excipient de la buprénorphine, témoigne de son utilisation par voie injectable. Summary Introduction. Use of buprenorphine (Subutex ® ) is widely used as substitution treatment in opiate addiction although its side-effects are little known. We report a case of localised necrotic livedo subsequent to injection of Subutex ® . Observation. A 34 year-old male drug addict on Subutex ® substitution treatment presented a necrotic livedo and an ulcer with clearly demarcated edges on the skin of the inner elbow. Histological analysis revealed PAS-positive particles in a hypodermic inflammatory lymphohistiocytic infiltrate that were reflective and formed a Maltese cross under polarised light and were identified as maize starch. Discussion. This clinical case describes necrotic livedo lesions induced by injection of Subutex ® . The underlying mechanisms are associated with maize starch, an excipient used in Subutex ® . Unauthorised subcutaneous injection of buprenorphine (Subutex ® ) is common among drug addicts but there is little description of the associated complications. In our patient, the presence in cutaneous biopsy samples of maize starch, an excipient of buprenorphine, provides evidence of intravenous administration of this drug. es complications cutanées des injections intraveineu- ses de drogue sont nombreuses et bien connues. La buprénorphine (Subutex ® ) est largement prescrite comme traitement substitutif des toxicomanies aux opioïdes, mais les complications de son utilisation détournée par voie injectable sont peu rapportées. Nous décrivons un cas de livé- do localisé nécrotique, secondaire à l’injection de buprénor- phine (Subutex ® ). Observation Un homme de 34 ans, toxicomane, était hospitalisé pour un livédo de l’avant-bras et de la main gauche, associé à des ulcé- rations superficielles. Il était substitué d’une toxicomanie intraveineuse à l’héroïne par buprénorphine (Subutex ® ) depuis 2000 à la dose de 2 mg/j. Il était atteint d’une hépatite C chronique. Il avait eu un pontage artériel en 2000 pour un anévrysme traumatique de l’artère humérale gauche avec thrombus pariétal, secondaire à des injections intra-artérielles de drogues. En 2001, étaient apparues des ulcérations du poi- gnet gauche d’aggravation progressive malgré les soins locaux et devenant hyperalgiques. Le malade était hospitalisé un an plus tard. Il niait initialement toute injection de toxique. L’examen trouvait un livédo réticulé discrètement pigmen- té de toute la main et de l’avant-bras gauche à limite nette au Necrotic livedo after injection of buprenorphine (Subutex ® ). A. POTIER, C. LECLECH, A. CROUE, D. CHAPPARD, J.-L. VERRET Ann Dermatol Venereol 2007;134:148-50 (1) Service de Dermatologie, (2) Service d’Anatomopathologie, (3) Service d’Histologie Embryologie Cytologie, CHU, Angers. Tirés à part : C. LECLECH, Service de Dermatologie, CHU, 4, rue Larrey, 49100 Angers. E-mail : [email protected] L

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Ann Dermatol Venereol2007;134:148-50Articles scientifiques

Cas clinique

Livédo nécrotique après injections de buprénorphine (Subutex®) : rôle de l’amidon de maïs contenu dans l’excipientA. POTIER (1), C. LECLECH (1), A. CROUE (2), D. CHAPPARD (3), J.-L. VERRET (1)

Résumé

Introduction. L’utilisation de buprénorphine (Subutex®) dans

la substitution des toxicomanies aux opioïdes est très répandue mais

ses effets secondaires peu connus. Nous rapportons un cas de livédo

nécrotique localisé secondaire à l’injection de Subutex®.

Observation. Un homme de 34 ans, toxicomane, substitué par Subutex®,

avait un livédo nécrotique et ulcéré, à limite nette au pli du coude.

L’examen histologique mettait en évidence, au sein d’un infiltrat

inflammatoire dermohypodermique lymphohistiocytaire, des particules

PAS positif, biréfringentes en croix de Malte en lumière polarisée

et identifiées comme de l’amidon de maïs.

Discussion. Ce cas clinique décrit des lésions cutanées à type de livédo

nécrotique en rapport avec l’injection de Subutex®. Les mécanismes

lésionnels impliquent l’amidon de maïs, excipient du Subutex®.

La buprénorphine (Subutex®) est fréquemment utilisée de manière

détournée en injection sous-cutanée ou intravasculaire

par les toxicomanes mais ses complications sont peu décrites.

Chez notre malade, la présence sur les biopsies cutanées d’amidon

de maïs, excipient de la buprénorphine, témoigne de son utilisation

par voie injectable.

Summary

Introduction. Use of buprenorphine (Subutex®) is widely used

as substitution treatment in opiate addiction although its side-effects

are little known. We report a case of localised necrotic livedo subsequent

to injection of Subutex®.

Observation. A 34 year-old male drug addict on Subutex® substitution

treatment presented a necrotic livedo and an ulcer with clearly

demarcated edges on the skin of the inner elbow. Histological analysis

revealed PAS-positive particles in a hypodermic inflammatory

lymphohistiocytic infiltrate that were reflective and formed a Maltese

cross under polarised light and were identified as maize starch.

Discussion. This clinical case describes necrotic livedo lesions induced

by injection of Subutex®. The underlying mechanisms are associated with

maize starch, an excipient used in Subutex®. Unauthorised subcutaneous

injection of buprenorphine (Subutex®) is common among drug addicts

but there is little description of the associated complications.

In our patient, the presence in cutaneous biopsy samples of maize starch,

an excipient of buprenorphine, provides evidence of intravenous

administration of this drug.

es complications cutanées des injections intraveineu-

ses de drogue sont nombreuses et bien connues.

La buprénorphine (Subutex®) est largement prescrite

comme traitement substitutif des toxicomanies aux opioïdes,

mais les complications de son utilisation détournée par voie

injectable sont peu rapportées. Nous décrivons un cas de livé-

do localisé nécrotique, secondaire à l’injection de buprénor-

phine (Subutex®).

Observation

Un homme de 34 ans, toxicomane, était hospitalisé pour un

livédo de l’avant-bras et de la main gauche, associé à des ulcé-

rations superficielles. Il était substitué d’une toxicomanie

intraveineuse à l’héroïne par buprénorphine (Subutex®)

depuis 2000 à la dose de 2 mg/j. Il était atteint d’une hépatite

C chronique. Il avait eu un pontage artériel en 2000 pour un

anévrysme traumatique de l’artère humérale gauche avec

thrombus pariétal, secondaire à des injections intra-artérielles

de drogues. En 2001, étaient apparues des ulcérations du poi-

gnet gauche d’aggravation progressive malgré les soins locaux

et devenant hyperalgiques. Le malade était hospitalisé un an

plus tard. Il niait initialement toute injection de toxique.

L’examen trouvait un livédo réticulé discrètement pigmen-

té de toute la main et de l’avant-bras gauche à limite nette au

Necrotic livedo after injection of buprenorphine (Subutex®).A. POTIER, C. LECLECH, A. CROUE, D. CHAPPARD, J.-L. VERRETAnn Dermatol Venereol 2007;134:148-50

(1) Service de Dermatologie, (2) Service d’Anatomopathologie, (3) Service d’Histologie Embryologie Cytologie, CHU, Angers.

Tirés à part : C. LECLECH, Service de Dermatologie, CHU, 4, rue Larrey,

49100 Angers.E-mail : [email protected]

L

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Ann Dermatol Venereol2007;134:148-50

Livédo nécrotique après injections de buprénorphine (Subutex®)

pli du coude (fig. 1), associé à des ulcérations superficielles

(fig. 2) douloureuses à bords nécrotiques et contours géogra-

phiques des faces palmaire et dorsale du poignet gauche.

Il était apyrétique. Les pouls périphériques étaient tous per-

çus. Le reste de l’examen clinique était sans particularité.

Les examens biologiques (numération, formule, plaquettes,

ionogramme sanguin, fonction rénale, bilan hépatique, en-

zymes musculaires, taux de prothrombine, temps de cépha-

line activé) étaient normaux. Il existait un discret syndrome

inflammatoire (C réactive protéine : 19 mg/l) avec une hyper-

gammaglobulinémie polyclonale. Les anticorps antinucléai-

res circulants étaient positifs au 1/100 de type moucheté et le

facteur rhumatoïde négatif. Les sérologies VIH et hépatite B

étaient négatives et la sérologie de l’hépatite C positive.

L’écouvillonnage des ulcérations trouvait un Staphylococcusaureus. Les prélèvements biopsiques mycologiques, mycobac-

tériologiques et parasitologiques étaient négatifs. Le doppler

artériel confirmait la perméabilité du pontage et des axes de

l’avant-bras et de la main gauche. Deux biopsies cutanées

étaient réalisées, l’une sur le livédo, l’autre sur les ulcérations.

Dans les deux cas, l’examen histopathologique trouvait un

important infiltrat inflammatoire dermohypodermique lym-

phohistiocytaire et au sein de certains histiocytes de nom-

breuses particules PAS positif, biréfringentes en croix de

Malte en lumière polarisée, correspondant à de l’amidon

de maïs (fig. 3, 4 et 5). La biopsie de l’ulcération trouvait éga-

lement des thromboses d’âge variable de certains vaisseaux

dermohypodermiques, sans lésion nécrotique. L’évolution

des ulcérations avec les soins locaux était favorable puis le

malade était perdu de vue. Il reconnaissait secondairement,

au médecin chargé de sa substitution, réaliser régulièrement

des injections de Subutex®.

Discussion

Ce cas clinique original décrit des lésions cutanées rarement

observées de livédo nécrotique, secondaires à l’utilisation

détournée de buprénorphine (Subutex®). Les mécanismes

lésionnels impliquent l’amidon de maïs, excipient du Subutex®.

Le diagnostic de ces lésions est rendu difficile par l’interroga-

toire complexe de ces malades dissimulant souvent l’utilisa-

tion de multiples toxiques.

Le Subutex® est un analogue morphinique partiel utilisé en

France depuis 1996 dans le traitement substitutif des toxico-

manies aux opioïdes. Il se présente sous forme de comprimés

s’administrant par voie sublinguale. Son principe actif est la

buprénorphine chlorhydrate, mais de nombreux excipients

entrent dans sa composition : amidon de maïs, stéarate de

magnésium, polyvidone K 30. Son utilisation détournée par

voie injectable est une pratique très répandue parmi les toxi-

comanes. Il est en effet aisé après broyage de dissoudre les

comprimés dans l’eau tiède et d’injecter le produit en intravei-

neux dans le but d’obtenir un effet « flash ». Une étude por-

tant sur 404 malades substitués par Subutex® entre 1998

et 1999 révélait que près de la moitié des malades (188 sur

404 soit 46,5 p. 100) l’avait injecté au moins une fois en in-

traveineux pendant cette période [1].

Les complications des injections de buprénorphine sont

peu décrites dans la littérature. Des décès par overdose ont

été rapportés, le Subutex® étant associé à la prise d’autres

psychotropes dépresseurs du système nerveux central dans

presque tous les cas [2]. Des cas d’hépatite cytolytique parfois

fulminante ont été rapportés [3]. Sur le plan local, des compli-

cations septiques liées à l’injection ont été observées : abcès,

phlegmons, cellulites [4]. On a également rapporté des

thrombophlébites profondes et superficielles au site d’injec-

tion, leur évolution vers des œdèmes chroniques des extrémi-

tés et des nodules sous-cutanés [5]. Un cas d’injection intra-

artérielle et deux cas de nécrose cutanée ont été décrits [5].

Les lésions cutanées décrites dans notre observation

résultent vraisemblablement d’injection de buprénorphine

(Subutex®). La poudre d’amidon est connue pour induire

des réactions inflammatoires de type granulomateux et une fi-

brose [6]. L’aspect de corps étrangers PAS positif, biréfrin-

gents en croix de Malte en lumière polarisée est caractéristique

des particules d’amidon de maïs. Bien que les toxicomanes

utilisent différents types d’amidon pour « couper » l’héroïne,

Fig. 1. Livédo localisé à limite nette au pli du coude. Fig. 2. Ulcérations superficielles du poignet.

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A. POTIER, C. LECLECH, A. CROUE et al. Ann Dermatol Venereol2007;134:148-50

il nous paraît probable que, chez notre malade, l’amidon de

maïs, trouvé dans les biopsies cutanées, provienne du Subutex®

que le malade reconnaissait avoir injecté. Les lésions pour-

raient résulter de deux mécanismes intriqués : l’embolisation

de particules d’amidon secondaire à une injection intra-arté-

rielle de Subutex® expliquant la limitation nette du livédo au

pli du coude et des injections sous-cutanées accidentelles res-

ponsables d’ulcérations cutanées par inflammation chronique

dermohypodermique au contact de particules d’amidon. Un

tableau clinique semblable a récemment été rapporté : un pa-

tient toxicomane à la cocaïne avait un livédo à limite nette de

l’avant-bras avec ulcérations nécrotiques [7]. L’examen histolo-

gique trouvait des corps étrangers dermiques et hypodermi-

ques, PAS positif et biréfringents non identifiés mais

semblant identiques aux particules d’amidon de maïs recon-

nues dans notre observation.

Références

1. Vidal-Trecan G, Varescon I, Nabet N, Boissonnas A. Intravenous use ofprescribed sublingual buprenorphine tablets by drug users receivingmaintenance therapy in France. Drug Alcohol Depend 2003;69:175-81.

2. Kintz P. Deaths involving buprenorphine: a compendium of Frenchcases. Forensic Sci Int 2001;121:65-9.

3. Berson A, Gervais A, Cazals D, Boyer N, Durand F, Bernuau J et al.Hepatitis after intravenous buprenorphine misuse in heroin addicts.J Hepatol 2001;34:346-50.

4. Decocq A, Fremaux D, Smail A, Compagnon M, Andréjak M. Compli-cations locales après injection intraveineuse de comprimés dissous debuprénorphine. Presse Med 1997;26:1433.

5. Del Giudice P. Cutaneous complications of intravenous drug abuse.Br J Dermatol 2004;150:1-10.

6. Levison DA, Crocker PR, Jones S, Owen RA, Barnard NJ. The variedappearances of starch particles in smears and paraffin sections.Histopathology 1988;13:667-74.

7. Jouary T, Bens G, Lepreux S, Buzenet C, Taieb A. Livédo nécrotiquelocalisé après injection de cocaïne. Ann Dermatol Venereol 2003;130:537-40.

Fig. 3. Examen histologique d’une biopsie cutanée. Corps étrangers dermo-hypodermiques : particules d’amidon de maïs (HES).

Fig. 5. Examen histologique d’une biopsie cutanée : particules d’amidon de maïsbiréfringentes en croix de Malte en lumière polarisée.

Fig. 4. Examen histologique d’une biopsie cutanée : particules d’amidon de maïsPAS positif.