L'insertion du droit comptable dans le droit des societes · devenus des donnees incontournables du...

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L'insertion du droit comptable dans le droit des societes Anne Benoit-Moury, Professeur ordinaire a la Faculte de Droit de Liege 1. Le titre qui m'a ete propose s'inscrit dans le cadre de la codification du droit des societes. Il a I' avantage d' etre a la croisee des chemins entre deux disciplines cheres a Renri OLIVIER qui a excelle dans rune et l' autre. S'il y a peu de temps que l'on parle du droit comptable en Belgique (1) , cette discipline y a desormais acquis ses lettres de noblesse. Le droit des societes est certes beaucoup plus ancien. Sur le plan strictement Iegislatif, il remonte aux ordonnances de Colbert de 1673, en passant par le Code Civil de 1804 et le Code de Commerce de 1807 qui a ete lui-meme completement refondu par la loi de 1873. Pourquoi une nouvelle codification? Des ajouts successifs dus a l' evolution du contexte economique et financier, a la creation de nouvelles formes societaires, a la transposition des directives europeennes, avaient accru la complexite des lois coordonnees sur les societes commerciales et en avaient rendu la lecture tres difficile sinon incomprehensible. En un premier temps, une mise en ordre s'imposait avant de proceder a des modifications de fond plus substantiel- les (2). Dans un souci de simplification, les objectifs etaient de supprimer les renvois de textes en textes, de reformuler les regles adequates pour chaque type de societe, de re grouper dans un ensemble legislatif coherent toutes les dispositions applicables aux societes etjusqu'alors dispersees dans des reglementations diffe- rentes ou specifiques. La demarche aurait pu se limiter aux seules normes relatives au droit des societes sensu stricto, elle n'aurait cependant pas ete satisfaisante ni sur le plan theorique, ni sur le plan pratique. (1) Comp. M. DE WOLF, "Le droit comptable des societes" in Le nouveau Code des societes, Bruxelles, Bruylant, 1999,311. (2) Comp. G. HORSMANS et Y. DE CORDT, "La portee et l'influence de la codification", o.c., 93 et s. 39

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L'insertion du droit comptable dans le droit des societes Anne Benoit-Moury, Professeur ordinaire a la Faculte de Droit de Liege

1. Le titre qui m'a ete propose s'inscrit dans le cadre de la codification du droit des societes. Il a I' avantage d' etre a la croisee des chemins entre deux disciplines cheres a Renri OLIVIER qui a excelle dans rune et l' autre.

S'il y a peu de temps que l'on parle du droit comptable en Belgique (1) , cette discipline y a desormais acquis ses lettres de noblesse. Le droit des societes est certes beaucoup plus ancien. Sur le plan strictement Iegislatif, il remonte aux ordonnances de Colbert de 1673, en passant par le Code Civil de 1804 et le Code de Commerce de 1807 qui a ete lui-meme completement refondu par la loi de 1873.

Pourquoi une nouvelle codification? Des ajouts successifs dus a l' evolution du contexte economique et financier, a la creation de nouvelles formes societaires, a la transposition des directives europeennes, avaient accru la complexite des lois coordonnees sur les societes commerciales et en avaient rendu la lecture tres difficile sinon incomprehensible. En un premier temps, une mise en ordre s'imposait avant de proceder a des modifications de fond plus substantiel­les (2).

Dans un souci de simplification, les objectifs etaient de supprimer les renvois de textes en textes, de reformuler les regles adequates pour chaque type de societe, de re grouper dans un ensemble legislatif coherent toutes les dispositions applicables aux societes etjusqu'alors dispersees dans des reglementations diffe­rentes ou specifiques.

La demarche aurait pu se limiter aux seules normes relatives au droit des societes sensu stricto, elle n'aurait cependant pas ete satisfaisante ni sur le plan theorique, ni sur le plan pratique.

(1) Comp. M. DE WOLF, "Le droit comptable des societes" in Le nouveau Code des societes, Bruxelles, Bruylant, 1999,311.

(2) Comp. G. HORSMANS et Y. DE CORDT, "La portee et l'influence de la codification", o.c., 93 et s.

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Le droit des societes en Belgique ne se limite plus depuis longtemps au seul cadre de la loi fondamentale de 1873. Bien avant, mais surtout en 1935, etape marquante, il n' a cesse de subir les influences des disciplines voisines - I' action de la Commission bancaire n' est pas etrangere au phenomene -, celles du droit comptable, du droit social, du droit financier, voire du droit fiscal ... (3).

Sur le plan pratique, I' essai aurait ete incomplet si le chef d' entreprise, le juriste, le gestionnaire n' avait pas a sa disposition la plupart des donnees necessaires au choix d'une forme juridique et a la comprehension de ses grandes lignes de fonctionnement.

2. L'impact du droit comptable est particulierement significatif a cet egard.

Pour les societes plus institutionnalisees comme les SA, les SPRL et les SCRL, l'art. 77 LCS prevoyait l'etablissement d'un inventaire et de comptes annuels. Toutefois, ce texte renvoie a la loi du 17 juillet 1975 et a ses arretes d' execution, dont notamment l' A.R. du 8 octobre 1976. De cette fac;on, toute violation du droit comptable devenait une infraction au droit des societes au sens de l' art. 62 al. 2 des LCS.

Par contre, pour les SNC, les SCS et les SCRI cette meme obligation decoulait indirectement pour certaines d'entre elles de la loi comptable de 1975 (art. 10 § 2) et de I'A.R. du 12 septembre 1983 qui renvoyait lui-meme a l'art. 77 des LCS (art. 10).

La designation d'un reviseurd'entreprises, comme commissaire d'une SA, SPRL ou SCRL (art. 64 § 2, 134 et 1470cties LCS), depend de la taille de la societe determinee selon des criteres du droit comptable. Il en va de meme en ce qui concerne la publicite a donner au rapport de gestion (art. 80 LCS).

Ce chasse-croise ne facilitait pas une meilleure comprehension de I' application des normes legales ou reglementaires.

Lorsqu' en 1991 le legislateur beIge a voulu, a la suite des tourmentes financieres que le pays avait connues, combler plusieurs lacunes en droit des societes et introduire de nouvelles reformes inspirees en grande partie des exemples etrangers, il s' est trouve confronte au probleme de la fraude a la loi, a l'interposition de personnes, au phenomene des groupes de societes ... , il devenait essentiel de de­finir les notions de societe mere et de societe filiale pour preciser la portee des nouvelles regles. A nouveau, c'est vers le droit comptable que l'on s'est tourne (4). Ce demier avait une bonne avance, grace aux definitions contenues dans

(3) Voy. notre etude, "La naissance d'un code des societes en droit beIge", O.C., 9 et K. GEENS, "La codification du droit des societes 1999: dispositions generales du Code des societes", ibid., 53.

(4) Voy. A.R. du 14 octobre 1991 relatif a la definition des notions de societe mere et de societe filiale pour I' application des lois coordonnees sur les societes commerciales.

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l'A.R du 8 octobre 1976 et par la suite dans 1'A.R du 6 mars 1990 relatif aux comptes consolides des entreprises.

3. Le droit a 1'information est devenu, bien avant le droit de vote, l'une des prerogatives essentielles de l' actionnaire d'une SA et des associes en general. Les objectifs de transparence du marche, le souci de protection des minoritaires, une meilleure gestion des entreprises en faveur de tous les interets particuliers en presence, travailleurs, creanciers ... , de 1'interet social et de l'interet general sont devenus des donnees incontournables du droit des societes. Ces donnees reposent en grande partie sur les comptes annuels, les comptes consolides et le rapport de gestion. 11 s'agit de la reddition des comptes, une concretisation de l'affectio societatis qui reste un des fondements du contrat de societe. C' etait le premier argument a prendre en consideration pour inc1ure le droit des comptes annuels dans le Code des societes.

Par ailleurs, I 'un des facteurs decisifs de l' evolution en Belgique du droit comptable a ete sans nul doute l'impulsion des directives europeennes, la quatrieme sur les comptes annuels, la septieme sur les comptes consolides, la huitieme en matiere de contr6le. Or toutes ces directives ont ete prises sur base de l' art. 54, 3 g qui voulait, en vue de les rendre equivalentes, coordonner les mesures qui sont exigees dans les differents Etats membres pour assurer la garantie des associes ou des tiers. Ce texte est a l'origine au niveau europeen de toute l'harmonisation du droit des societes.

Cette insertion du droit comptable dans le droit des societes au niveau europeen n' est certes pas surprenante. La meme demarche se retrouve dans des pays voisins comme les Pays-Bas, la France, l' Allemagne et l'Italie ...

L' approche est egalement significative en ce qui concerne l' apprehension des groupes de societes. A part l' Allemagne, les autres Etats europeens se defendent de connaitre un droit particulier mais beaucoup ont imagine des regles specifiques pour traquer les abus, dejouer les fraudes et reguler un fonctionnement societaire normal. Le droit comptable constitue l'adjuvant et la derniere barriere de protection.

Enfin, comme le soulignait le professeur K. GEENS, le champ d'application du droit comptable depasse le domaine du droit commercial (5). 11 s'applique egalement aux societes civiles a forme commerciale. C' etait une raison supplementaire pour inserer le droit des comptes annuels dans un Code des societes homogene.

4. Dire que le droit comptable est insere dans le Code n' est pas tout a fait exact. En effet, en tant que composante du droit commercial, toute une partie des

(5) K. GEENS, l.c., p. 84.

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obligations comptables applicables aux entreprises subsiste dans la loi de 1975 et dans ses arretes d' execution. Ce point a sans doute ete le centre principal des debats des parlementaires lors de l' adoption de la loi du 7 mai 1999 (6).

Le champ d' application des normes reste par ailleurs different (7). Alors que le Code ne vise que les seuls groupements a forme societaire, la legislation comptable s' etend aux commen;ants personnes physiques, aux groupements europeens d'interet economique (8), aux organismes publics qui exercent une mission statutaire a caractere commercial, financier ou industriel ou ad' autres organismes auxquels la loi comptable serait rendue applicable par arrete royal ainsi qu'aux succursales beIges d'entreprises etrangeres (art. 1er de la loi du l7 juillet 1975).

De surcroit, les grands principes fondamentaux de la comptabilite des entreprises qu' elles soient a forme societaire ou non se maintiennent dans la legislation de base: - tenue d'une comptabilite appropriee (art. 2); - caractere complet de la comptabilite (art. 3); - distinction en fonction des activites econorniques exercees (art. 3 al. 2); - comptabilite en partie double (art. 4); - tenue des livres comptables (art. 4 et 5) (anciens art. 8 et 9 devenus les art. 7

et 8); - respect d'un plan comptable (art. 4) (9); - exigence des pieces justificatives (art. 6) et leur conservation (art. 9 § 2 devenu

I'art.8 § 2); - inventaire annuel (art. 7, devenu l'art. 9).

11 Y a lieu d'y ajouter les anciens articles 20 a 24 du Code de Commerce relatifs aux livres de commerce et a l'administration de la preuve.

5. Comme on I' a deja souligne, le droit comptable, surtout en 1978, en 1984 et 1985, avait deja profondement influence le droit des societes. Les reformes de 1991 et de 1995 ont fait le reste. Les criteres imposes par cette legislation conditionnaient le champ d' application d' un certain nombre d' obligations imposees a plusieurs entreprises a forme societaire. La navette d'un texte reglementaire a un autre n' etait pas toujours chose evidente. Or, on l' a deja rappele,

(6) Doe. pari. Ch. 1998-1999, 1998110,9 a 11 et 17 a 19. (7) M. DE WOLF, o.e., 316 et s. (8) On notera que si depuis la loi du 13 avril 1995 modifiant I'art. 1832 du C. Civ., le

groupement d'interet economique belge do it etre considere comme une societe (voy. art. 2 § 2 du Code), la nature du groupement europeen d'interet economique est encore mal qualifiee (comp. art. 15 de la loi du 7 mai 1999 modifiant I'art. 2 de la loi du 12 juillet 1989 portant diverses mesures d'application du reglement (CEE) n° 2137/85 du Conseil du 25 juillet 1985 relatif a I' institution d' un GEIE).

(9) Voy. egalement A.R. du 12 septembre 1983 determinant la teneur et la presentation d'un plan comptable minimum normalise.

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il s' agissait de regles It~gales fondamentales comme celles relatives au contr61e des comptes annuels ou a la publicite a donner au rapport de gestion.

D'entree de jeu, le Code des societes a consacre les premiers chapitres aux definitions essentielles en reprenant celles qui figuraient deja dans le droit comptable. On y retrouve les notions de contr61e (art. 5 et 7), de societe-mere et de filiale (art. 6), de contr6le exc1usif ou de contr61e conjoint (art. 8 et 9), de consortium (art. 10), de societes liees et associees (art. 11 et 12), de participation et de societes liees (art. 13 et 14).

Sans doute a-t-on pu objecter que cette approche denaturait le caractere des dispositions applicables et de reprocher que, de reglementaires, elles devenaient legales au grand prejudice de la souplesse recherchee par les milieux interesses. Ce reproche n'est absolument pas fonde. Certes toutes ces definitions et tous ces criteres font partie integrante du Code des societes mais chaque fois les procedures mises prealablement en place ont ete respectees.

La flexibilite des normes est garantie dans la mesure ou des arretes royaux peuvent toujours y apporter les modulations qu'il convient. Le pouvoir reglementaire ne s' en est pas prive en modifiant deja des criteres de taille des entreprises avant me me que le Code n'entre en vigueur (10).

Par ailleurs toutes les competences consultatives ont ete maintenues: deliberation en Conseil des Ministres, avis du Conseil Central de l'Economie, avis de la Commission des Normes Comptables ...

6. De prime abord, comme elements essentiels d'information, les comptes annuels des entreprises a forme societaire devaient figurer en bonne place dans la codification. Etablissement des comptes annuels et du rapport de gestion, mesures de publicite et contr6le ont une place de choix dans les dispositions du Code communes en principe a toutes les societes dotees de la personnalite juridique (Livre IV, Titre VI et Titre VII).

C'est ainsi que l'on detinit desormais dans le corps meme du droit des societes, ce qu'il faut entendre par les «petites societes» (art. 15) qui, en raison de leur taille, vont echapper a certaines prescriptions du droit comptable. Ici apparait deja la complexite de la reglementation.

11 nous semble deceler dans les entreprises vi sees par la loi de 1975 - et nous en resterons aux personnes physiques et aux formes societaires, quatre types -: - les commen;ants personnes physiques ainsi que les societes en nom collectif

et en commandite simple (art. 5 actuel de la loi de 1975) dont le chiffre d' affaires ne depasse pas 20 millions (11) (Categorie I);

(10) A.R. du 17 fevrier 2000 (M.B. 23 mars 2000, 9096 et s.). (11) Art. ler de l' A.R. du 12 septembre 1983.

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- les commer~ants personnes physiques, quel que soit leur chiffre d'affaires et les societes en nom collectif ou les commandites simples dont tous les associes sont des personnes physiques (art. 10 de la loi de 1975) (Categorie II);

- les entreprises (petites) qui ne depassent pas plus d'une des limites relatives au nombre de travailleurs occupes, le chiffre d' affaires de six millions deux cent cinquante mille euros et un total du bilan de trois millions cent vingt-cinq mille euros (art. 12 § 2 de la loi de 1975) (Categorie Ill);

- les entreprises (grandes) qui depassent ces criteres (art. 12 § 2 de la loi de 1975) (Categorie IV).

Il conviendrait de reserver encore le sort des entreprises qui ont ete obligees, en application de la loi du 20 septembre 1948 portant organisation de l' economie, d'instituer un conseil d'entreprise (art. 12 § 3).

Nous verrons comment le Code des societes a tente de concilier les exigences des deux disciplines.

7. Ce qui s'imposait pour les comptes annuels, le devenait egalement pour les comptes consolides.

Un premier argument reside dans la logique du systeme. Comme la quatrieme directive europeenne, la septieme directive a ete adoptee sur base de l' art. 54, 3 g du Traite (12), donc dans le cadre du droit des societes.

Il semblerait que, pour les societes qui sont tenues de les etablir, la presentation des comptes consolides a I' assemblee generale revete une importance considerable et constitue I' element d' information essentiel. Sans doute ces comptes ne sont pas soumis a I' approbation des actionnaires et leur etablissement n' engendre aucun effet juridique; ils constituent toutefois le reflet meme de l' entreprise (13).

Comme pour les comptes annuels, les principes de base de la consolidation ont ete rappeles dans le Code (Livre IV, Titre VI). Les aspects plus techniques seront regles par les dispositions reglementaires.

Cette insertion des comptes consolides en droit des societes a neanmoins des consequences plus inattendues. En effet, desormais, cette obligation legale fait partie integrante du Code. Or, toute infraction etant sanctionnee par une responsabilite aggravee des administrateurs ou gerants, le non-respect des regles en matiere de consolidation risque d' entrainer des consequences regrettables pour les diligeants sociaux.

(12) A.R. du 6 mars 1990 relatif aux comptes consolides des entreprises. (13) Comp. K. GEENS, o.e., 86; J.-P. SERVALS, "Consolidation des comptes des entreprises

- Theories, objectifs et methode", P'-A. FORIERS, "La notion de contr6le et le perimetre de consolidation" et K. GEENS, "Effets juridiques des comptes consolides" in Nouvelles orientations en droit eomptable, Actes du 45e seminaire CDVA, Liege, Ed. ColI. scientifique Fac. dr., 1994, 237 et s.

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8. Un reamenagement des textes aurait ete inefficace si, parallelement aux dis­positions de base, il n' y avait eu une revision d' ensemble des mesures d' execution. Le droit comptable n'est pas le seul en cause mais les arretes royaux en cette matiere occupent une place importante. C' est la raison pour laquelle, a l' in star du droit fran<;ais, il a ete envisage de coordonner egalement toutes les dispositions reglementaires qui sous-tendent la bonne application de ce qu'il est desormais convenu d'appeler le droit des societes. Cette uniformisation apparait comme une condition prealable a l' application de ce nouveau droit des societes.

* * *

9. S' il est vrai, comme l' affirment les auteurs du projet dans l' expose des motifs, que des innovations n'ont pas ete apportees par le Code dans le domaine du droit comptable, des hesitations ont cependant eM formulees et des doutes emis quant ad' eventuelles modifications sur le fond.

La taille des entreprises n' est pas etrangere aux interrogations et quelques precisions meritent a cet egard d'etre soulignees, d'autant que, pour une mise en concordance, certaines dispositions de la loi du 17 juillet 1975 ont dfi etre modifiees afin de tenir compte des nouvelles regles contenues dans le Code des societes.

10. Comme on 1'a deja rappele, la loi de 1975 continue a regir les principes fondamentaux de la comptabilite des entreprises. L' art. 5 de la loi demeure d'application. Ce texte prevoit la faculte pour les commer<;ants personnes physiques, les societes en nom collectif ou les societes en commandite simple dont le chiffre d'affaires hors TVA n'excede pas 20 millions de EE. (14) de tenir une comptabilite simplijiee moyennant la tenue de trois journaux: un journal financier, un journal des achats et un journal des ventes.

11. L' ancien art. 7 de la loi de 1975, devenu le nouvel art. 9 (15), impose l' etablissement d'un inventaire annuel. Ce document, etabli selon les principes de bonne foi et de prudence, doit donner un «inventaire complet de ses avoirs et droits de toute nature, de ses dettes, obligations et engagements de toute nature relatif a son activite et de moyens propres qui y sont affectes».

En principe, il est ordonne de la me me maniere que le plan comptable de l' entreprise (16) saufpour les entreprises visees a l' art. 5 (Categorie I). Les criteres d' evaluation peu vent etre prescrits par le Roi sauf, egalement, pour les entreprises de la Categorie I.

(14) Voir supra, n° 6, Categorie I. (15) Art. 8 de la loi du 7 mai 1999. (16) Art. 7 ancien, al. 1 er, 2e phrase, devenu I' art. 9 § 2.

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Le meme texte de l' art. 7 traitait egalement des comptes annuels (17): «Les comp­tes sont, apres mise en concordance avec les donnees de l'inventaire, synthetises dans un etat descriptif constituant les comptes annuels». Les commen;ants, per­sonnes physiques et les SNC ou les SCS ne depassant pas un certain chiffre d'af­faires echappaient aussi a cette exigence legale, du moins telle qu' elle etait for­mulee pour les autres entreprises. En effet, I' alinea 5 ancien de I' art. 7 etait redige d'une maniere particulierement ambigue: «Les alineas 2 et 4 du present article ne s' appliquent pas a I' inventaire et aux comptes annuels a etablir (18) par les com­merc;ants personnes physiques ... » (19). Fallait-il ou non une synthetisation dans des comptes annuels ou dans une ebauche de comptes annuels?

Le nouvel art. 10 § 1er de la loi de 1975 est beaucoup plus imperatif a cet egard. En effet, s'il contient des exceptions en faveur des personnes physiques dont le chiffre d' affaires est en-dec;a des criteres du droit comptable, ces exceptions, selon une interpretation litterale, ne concernent que l'application du § 2. S'agirait-il alors d'un alourdissement des obligations des tres petites entreprises (20)? Tout depend de I' interpretation que I' on donnait au texte ancien. Mais, comme le reI eve M. DE WOLF (21), il parai't souhaitable, sinon indispensable, quelle que soit la forme juridique adoptee, de «faire un 'bilan' periodique des affaires». On rejoint ici, par ailleurs, des preoccupations fiscales.

En ce qui concerne les societes en nom collectif et les societes en commandite simple, les art. 92 et 93 du Code des societes sont explicites.

Les grandes societes sont tenues d' etablir leurs comptes annuels selon un schema complet (art. 92 § 1er du Code). Les petites societes peuvent utiliser un schema abrege. Quant aux societes en nom collectif et les societes en commandite simple dont le chiffre d' affaires est inferieur a 20 millions de F.B., elles beneficient d' une derogation legale pour etablir leurs comptes selon une forme laissee a leur ap­preciation (art. 93, al. 2) (22).

12. Laforme et le contenu des comptes annuels sont determines par le Roi (art. 92 § 1 er, al. 1 er du Code) pour toute societe a forme dotee de la personnalite juridique sous reserve: - de ce qui vient d'etre dit a propos des SNC et des SCS (art. 93, al. 2); - des societes dont l'objet est l'assurance ou la reassurance (art. 93, al. 3) (23);

(17) L'alinea 2 de I'art. 7 est devenu J'art. IO nouveau (art. 9 de la loi du 7 mai 1999). (18) C'est nous qui soulignons. (19) Comp. M. DE WOLF, a.c., 321. (20) M. DE WOLF, a.c., 319, (21) Ibidem. (22) Comp. M. DE WOLF, a.c., 321. (23) Voy. art. 16 § 2 de la loi du 17 juillet 1975 et comp. art. 93, al. 3 du C. Soc.

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- aux societes regies par la loi du 22 mars 1993 relative au statut et au contr61e des etablissements de credit, a la Banque nationale de Belgique, a l'Institut de reescompte et de garantie, a la Caisse des depots et consignations;

- aux societes a portefeuille (A.R. n° 64 du 10 novembre 1967); - a certaines entreprises d'investissement (loi du 6 avril 1995 relative aux

marches financiers); - aux societes agricoles.

Par contre, ces regles s' appliquent aux societes etrangeres en ce qui conceme leurs succursales etablies en Belgique, sauf lorsque ces succursales n' ont pas de produits propres lies a la vente de biens ou a la prestation de services prestes a la societe etrangere dont ils relevent et dont les charges de fonctionnement sont supportees entierement par cette derniere (art. 92 § 2) (24).

Cette assimilation du droit comptable a pu paraltre partielle et fort fragmentaire dans un projet de codification (25), d'autant que l'on retrouve un meme decoupage au niveau des comptes consolides (26) et que s'y ajoutent les groupements d'interet economique. Independamment des problemes de fond, de competences et d'habilitation, il paraissait impossible dans un texte general applicable a tous les groupements societaires beIges de regir dans un ensemble unique le statut particulier a toutes les societes a objet special. Certaines echappent au droit commun comptable mais il y en a bien d'autres qui obeissent a des regles speci­fiques et le droit comptable n' est pas le seul en jeu en ce qui concerne les regles de fonctionnement et les recommandations des autorites de tutelle ...

13. Le probleme du champ d' application se pose a nouveau pour les groupements non societaires. Selon l' art. 10 § 2 ancien, le Roi pouvait imposer aux entreprises qui n'y etaient pas tenues, selon les LCSC, le controle et la publicite de leurs comptes annuels ainsi que l' etablissement et la publicite d'un rapport de gestion et d'un rapport de contr61e, sauf pour les commen;ants personnes physiques et les societes en nom collectif ou en commandite simple dont tous les associes sont des personnes physiques et les petites entreprises au sens de I' art. 12 § 2 de la loi de 1975 (27).

Selon le nouvel article 10, les regles restent identiques si ce n'est qu'il renvoie expressement au Code des societes. Il ne s'agit plus d'une faculte pour le Roi mais d 'une obligation leg ale sous reserve de certaines derogations. C' est ainsi que le texte ne s' applique pas aux commen;ants, personnes physiques, vises a l'art. 5 (Categorie I) (28), notamment ni a tous les commen;ants personnes physiques en ce qui concerne le depot des comptes annuels (art. 10 § 2 nouveau).

(24) Comp. art. ler A.R. du 8octobre 1976 relatif aux comptes annuels des entreprises. (25) M. DE WOLF, O.C., n° 5, 315. (26) Comp. art. 108 du Code. (27) Comp. art. 10 § ler de l'A.R. du 12 septembre 1983. (28) Voir supra, n° 6.

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De plus, les organismes publics de droit beIge qui exercent une mission statutaire a caractere commercial, financier ou industriel sont tenus de se conformer au Code des societes et a ses arretes d' execution en ce qui concerne la forme, le contenu, le controle et le depot des comptes annuels consolides et du rapport de gestion consolide (29).

D'un point de vue formel, une grosse difference est a signaler, c' est que dorenavant un renvoi systematique est fait au Code des societes alors qu' auparavant le texte de reference etait celui de la loi de 1975.

L'art. 874 du Code se substitue a l'ancien art. 17bis de la loi de 1975 en ce qui concerne les personnes morales de droit public constituees sous la forme de societe commerciale.

14. Les formalites de publicite des comptes restent inchangees (30). En sont exemptees, les petites societes qui ont adopte la forme d'une societe en nom collectif, d'une societe en commandite simple ou d'une societe cooperative a responsabilite illimitee ainsi que celles qui ont revetu la meme forme juridique dont tous les associes a responsabilite illimitee sont des personnes physiques (31).

15. Quant au rapport de gestion, I' art. 94 du Code pose la regIe generale pour I' etablissement et la publicite de ce rapport. La meme disposition prevoit toutefois qu'en sont exonerees les petites societes, comme c'etait le cas depuis 1995 (32), les societes en nom collectif, les societes en commandite simple et les societes cooperatives a responsabilite illimitee dont tous les associes a responsabilite illimitee sont des personnes physiques (33) ainsi que les groupements d'interet economique ou les societes agricoles qui n' etaient pas anterieurement vises par les prescriptions legales. La meme regIe est applicable aux commen;:ants personnes physiques en ce qui concerne le depot du rapport de gestion (34).

16. On a deja evoque les raisons qui ont conduit a l'insertion de la reglementation des comptes consolides dans le Code des societes. Cette prise en consideration se limite en fait aux principes essentiels: obligation de consolidation, perimetre de consolidation, etablissement d'un rapport de gestion sur les comptes consolides et formalites de publicite. Toutes les autres dispositions sont maintenues dans un arrete royal d'execution.

(29) Nouvel article 11 de la loi de 1975. (30) Voy. art. 97 et s. du Code. (31) Comp. art. 10 ancien, loi de 1975. (32) Voy. art. 77 ancien LCS. (33) Comp. art. 10 § 2 de la loi de 1975. (34) Art. 10 § 2 nouveau de la loi de 1975.

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L . INSERTION DU DROIT COMPT ABLE DANS LE DROIT DES SOCIETES

Ne sont pas vises certains etablissements de credit, les societes a portefeuille, les entreprises d'investissement regies par la loi du 6 avril 1995 ainsi que les groupements d'inten~t economique et les societes agricoles (art. 108 du Code).

17. Sur le plan du controle, le Code regroupe des dispositions issues de quatre legislations differentes: les LCS (art. 64 et suiv.); la loi du 20 septembre 1948 portant organisation de l'economie (art. 15bis et suiv.); la loi du 22 juillet 1953 creant un Institut des reviseurs d'entreprises (art. 33) et la loi comptable du 17 juillet 1975 (art. 10 § 2, 11 et 12).

Le controle des comptes annuels n' est pas applicable: - aux societes en nom collectif, aux societes en commandite simple, ni aux

societes cooperatives a responsabilite illimitee dont tous les associes a responsabilite illimitee sont des personnes physiques;

- aux petites societes considerees individuellement sauf dans les trois hypotheses anterieurement admises (comp. art. 64 § 3 LCS);

- aux societes a portefeuille; - aux societes dont les titres sont inscrits a la cote officielle d'une bourse de

valeurs; - aux groupements d'interet economique dont aucun membre n'est lui-meme

soumis au contr6le par un commissaire (comp. art. 4 § 2bis de la loi du 17 juillet 1989);

- aux societes agricoles.

Aucune modification n' est apportee a la mission du commissaire.

Une section particuliere a ete consacree au contr6le a exercer dans les societes ou il existe un conseil d'entreprise (Livre IV, Titre XII, Ch. IV). Ce chapitre ne concerne que les entreprises a forme societaire. Pour les autres, personnes physiques, ASBLou divers, la loi de 1948 demeure d'application (art. 15 et 15bis notamment) mais ses dispositions ont ete modifiees pour renvoyer au Code des societes.

La faculte de demander la designation d'un expert verificateur (art. 191 LCS) a ete assimilee aux mesures de contr6le.

Sur le plan penal, le Code reprend la disposition de I' art. 17 de la loi du 17 juillet 1975 (art. 171) mais, indirectement, il elargit la responsabilite des administrateurs et gerants. En effet, s'inspirant de l'art. 204,6° des LCS, l'art. 170,2°, nouveau ne se borne pas a renvoyer au texte de l' art. 64sexies mais «aux verifications auxquelles ils sont tenus de se soumettre en vertu du present titre». La nouvelle version a pu etre interpretee comme sanctionnant desormais le defaut de no­mination d'un commissaire la OU elle etait obligatoire (35).

(35) En ce sens, M. DE WOLF, o.c., 324.

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L'INSERTION DU DROIT COMPTABLE DANS LE DROIT DES SOCIETES

En guise de conclusion

18. Notre propos n' est pas de refaire ici le compartimentage entre le droit comptable et le droit des societes. L'une et l' autre discipline ont leurs atouts et leurs principes que 1'on doit respecter. Le Code des societes a peut-etre ampute en partie le droit comptable: les consequences se mesureront apres la codification des arretes d' execution. Mais il ne faut pas omettre que cette demarche etait une premiere etape en vue d'une reorganisation de dispositions legales ou reglemen­taires.

Sans doute, a la lecture de cet expose succinct, pourrait-on avoir le sentiment que les textes sont bien complexes et aspirer, comme M. DE WOLF, a une codification du droit comptable (36).

Telle n' est pas notre aspiration. Une refonte profonde en droit des affaires semble s'imposer en droit beIge. Il n'est pas concevable de traiter du droit comptable sans parler du droit des societes ni du droit fiscal. Une restructuration des differentes branches du droit devient ineluctable dans le cadre d'une meilleure organisation de la vie de nos entreprises.

(36) Voy. etude precitee infine.

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