L’innovation technique comme processus matériel, social et symbolique

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L’innovation technique comme processus matériel, social et symbolique Dominique Desjeux Professeur d’anthropologie sociale et culturelle à la Sorbonne (Université Paris 5) Conférence Bouygues Télécom 10 décembre 2004

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L’innovation technique comme processus matériel, social et symbolique. Dominique Desjeux Professeur d’anthropologie sociale et culturelle à la Sorbonne (Université Paris 5) Conférence Bouygues Télécom 10 décembre 2004. Invention technique et innovation sociale . - PowerPoint PPT Presentation

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L’innovation technique comme processus matériel, social et symbolique

Dominique DesjeuxProfesseur d’anthropologie sociale et culturelle à la

Sorbonne (Université Paris 5)

Conférence Bouygues Télécom 10 décembre 2004

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Invention technique et innovation sociale

• L’invention renvoie au fait de créer « quelque chose » de nouveau : une technique, un procédé, une méthode… ici les «nanotechnologies »

• L’innovation, c’est le processus social par lequel cette nouveauté se diffuse en passant par la recherche, les entreprises et/ou les organisations publiques puis l’espace domestique (les usagers et consommateur)• (Cf. N. Alter, l’innovation ordinaire, PUF)

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L’innovation en société :un processus rugueux• A l’échelle microsociale et mesosociale celle des

acteurs sociaux et de leurs organisations, l’innovation est un processus qui ne suit pas une rationalité linéaire et qui mobilise de l’émotion• (Sur les échelles d’observation cf. D. Desjeux, Les

sciences sociales, QSJ?, PUF)

• L’innovation est faite de conflits et d’alliances, d’échecs et d’effets inattendus.

• Le mystère est plutôt quand une innovation sort du lot et réussit !

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Innovation et système d’objets concrets• Le processus d’innovation va à son terme en

fonction de la capacité des acteurs sociaux à agréger ou non d’autres objets techniques• (ce qui correspond en partie à ce que JF Clerc appelle

l’intégration que l’on retrouve dans les conduites de projet)

• Une innovation va donc dépendre du bon fonctionnement du système d’objets concrets nécessaire à son usage professionnel ou non professionnel

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Usages professionnelsou non-professionnels

• La diffusion d’une innovation varie suivant qu’elle se développe • Dans un espace professionnel de production et de service• Dans un espace domestique pour un usage plus privé, non

professionnel• Même si les logiques sociales sont proches

• L’automatisation s’est développée dans l’entreprise, la domotique, sont pendant domestique, n’a toujours pas décollée• (Cf. Enquête Desjeux, Taponier, Alami)

• Pour des raisons de temps je vais me focaliser plus sur l’espace domestique, celui du logement et de la famille

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Les conditions matérielles et cognitives de diffusion des technologies• Il faut souvent de l’électricité ne serait-ce que pour recharger

des batteries• (Ce qui n’est pas toujours le cas dans le Tiers monde ou en Chine)

• L’objet final doit être appropriable « physiquement » et de façon simple• (Ce qu’à bien montré l’ergonomie pour les TIC avec les menus

déroulants, les recherches de site, l’usage des claviers, etc.)• La petite taille est un atout en soi surtout avec la faible place

de l’espace domestique par rapport aux objets• (Par contre la petite taille peut jouer en négatif avec les

personnes âgées qui sont moins agiles de leurs mains).• Le coût doit être plus bas que celui des objets à usage

équivalent• Il faut qu’elles baissent la charge mentale des acteurs

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Les conditions anthropologiques de l’innovation• Elle doit correspondre à une utilité sociale, à un usage

• (La santé, l’hygiène, la communication, la cuisine, le ménage…)• Elle doit être compatible avec les normes sociales de

l’interdit, du permis ou du prescrit• Elle doit s’intégrer aux différences d’intérêts et d’objectifs qui

traversent la famille• (le territoire de chacun, les sons, les dépenses électriques, le

contrôle de la vie sociale et du réseau amical,…)

• Bien souvent ces conditions ne sont visibles qu’a posteriori, une fois l’innovation suffisamment visible comme objet concret

• d’où l’importance de l’imaginaire ou de la croyance comme moyen de gérer le saut dans l’inconnu• (La publicité est un des bons exemples de ce qu’est un

imaginaire)

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La place de l’imaginaire• L’imaginaire est à la fois une structure qui

renvoie • à la peur ou à l’angoisse qui sont des

mécanismes de base du comportement humain.• à l’identité de genre, de génération, de métier,

de culture ou de statut• au sens de la vie

• Et une dynamique qui évolue en fonction du jeu des acteurs• (médias, entreprises, ménages, etc.)

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Les chances sociales d’une innovation

• Une innovation a moins de chance de réussir si elle va trop à l’encontre du jeu social et de l’imaginaire des acteurs

• L’imaginaire positif ou négatif varie suivant que la nouvelle technologie touche ou non: • À la famille• au corps• À l’alimentation comme incorporation dans le corps• A la religion et aux valeurs fondamentales d’une

culture ou d’un groupe

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L’énigme de l’imaginaire• Quand un nouvel objet technique se diffuse il

peut• soit le faire dans « l’indifférence » sociale

• Cf. les carte de métro « radiofréquence »• soit le faire dans « l’émotion » sociale

• cf. les codes barres en 70, les OGM, les lignes à haute tension, etc.

• Une grande inconnue est de savoir à l’avance quel type d’imaginaire va provoquer un nouvel objet technique

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Les deux grands imaginaires face aux nouvelles technologies

• Le techno-messianique qui annonce un monde de bonheur quasi parfait

• Le techno-apocalyptique qui annonce un monde de malheur, la perte du lien social, la perte de communication

• Le cas du cheval (perte de la virilité), de la diligence (perte de la communication) et du chemin de fer (perte de la comunication) entre le 18ème et le 19ème siècle.• (cf. Shivelbush, The Railway Journey)

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L’imaginaire des nanotechnologies

• Ce qui est particulier avec les nanotechnologies c’est qu’elles sont plus invisibles qu’une partie des nouvelles technologies

• Elles transgressent les frontières du connu• Comme les premières dissections du corps

humain• Elles sont donc plus susceptible de produire un

imaginaire de peur, de s’ancrer sur le « besoin » d’angoisse comme moyen de gérer un nouvel inconnu.

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Elles posent la question du passage des frontières: interdit et angoisse comme au 16ème siècle

• Vésale (1514-1564) : un des premiers à pratiquer la dissection

• 17ème peinture de Rembrandt

• La dissection a été considérée comme un sacrilège jusqu’au 18ème

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Les puces électroniques dans le corps

• Les objets communicants se rapprochent du corps• Aujourd’hui

• passage d’objets nomades, première « génération » d’objets communicants,

• à des objets à porter sur soi, deuxième « génération »• vers des objets intégrés au corps troisième

« génération »• Plus l’objet est prés du corps, plus

l’acceptabilité est problématique, plus elle crée d’angoisse

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l’incorporation des objets: le corps entre zones taboues et zones tolérées• La peau constitue une frontière entre

l’intérieur considéré comme sacré et l’extérieur comme profane• La tête, le ventre, le sexe sont globalement

ressenties comme menacés par une incorporation.

• Mais cette frontière peut être franchie sous deux conditions• l’utilité de l’objet et principalement la santé

(œil ou oreille électronique)• ses caractéristiques physiques

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L’imaginaire de l’incorporation: organique ou synthétique

• Incorporer un objet implique dans l’imaginaire une incorporation de ses propriétés• (cf. Fishler)

• d’où la remise en cause de l’identité de l’individu après incorporation :

• Si l’objet communicant est en matière organique : peur d’une autre vie en soi (image de l’alien)

• Si l’objet communicant est en matière synthétique : peur de devenir un homme machine (image du robot et du surhomme)

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Les peurs de l’incorporation

• le corps est perçu comme un tout que l’incorporation d’un objet risque de menacer

• Incorporer une puce dans le corps renvoie à: • La peur de l’irréversible : peur de transformer la nature

humaine sans pouvoir revenir en arrière• La peur de ne plus être unique par la standardisation : La

normalisation des capacités humaines qui entraîne une potentielle uniformisation des individus

• La peur de devenir un objet par la « marchandisation » des capacités humaines

• La peur de perte de contrôle et d’autonomie : La manipulation, la perte du libre arbitre et de la liberté de penser

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La trajectoire de l’acceptation ou la dynamique de l’imaginaire• « Ce qui me dégoûte le plus entre les organes

d'animaux, les greffes d'humains et la puce ? Je ne sais pas trop. Peut-être les organes ; je ne me sentirais pas de mettre quelque chose d'un autre vivant ».

• « Avec le temps, je finirai par oublier que la puce est là, mais là, pour l'instant, je le vois comme un corps étranger ».

• En fait nous avons constaté une trajectoire de l’acceptabilité sous forme d’étapes du ressenti : du dégoût, on passe au viol et à la perte, jusqu’à l’oubli.

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Un imaginaire social classique entre merveille et catastrophe

• L’imaginaire des objets communicants se situe sur un continuum dont les deux pôles sont• l’amélioration de la condition humaine• la destruction de l’homme.

• (Enquête réalisée en 2000, par D. DESJEUX, Laure CIOSI-Houcke, Aude HEYDACKER, Pauline MAREC, Cécile PAVAGEAU, Nina TESTUT, Sandrine VILLE)