Alain Boureau - État Moderne Et Attribution Symbolique

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Alain Boureau État moderne et attribution symbolique : emblèmes et devises dans l'Europe des XVIe et XVIIe siècles In: Culture et idéologie dans la genèse de l'État moderne. Actes de la table ronde de Rome (15-17 octobre 1984) Rome : École Française de Rome, 1985. pp. 155-178. (Publications de l'École française de Rome, 82) Résumé Les devises et emblèmes constituent, aux XVIe et XVIIe siècles, une couche importante de la culture politique occidentale, en concordance chronologique exacte avec les étapes de la genèse de l'État. On peut délimiter dans le genre des espèces et des usages proprement politiques (recueils politiques de 1610-1640 ; usage du genre par les monarchies absolues). Ce système symbolique met en scène le passage de l'exaltation de l'individu (objet des premières devises) à celle de l'homme d'État qui proclame sa participation sans condition ni réciprocité au Bien Commun. Par ailleurs, l'emblème politique des recueils transpose dans la culture commune le raisonnement juridique fondé sur l'analogie et l'expérience ; il vulgarise ainsi la pensée juridique de l'État développée depuis le XIIIe siècle. L'emblème absolutiste et dévot soumet cette représentation et la réduit à un art ingénieux et courtisan. Une enquête systématique devrait mettre à l'épreuve ces hypothèses. Citer ce document / Cite this document : Boureau Alain. État moderne et attribution symbolique : emblèmes et devises dans l'Europe des XVIe et XVIIe siècles. In: Culture et idéologie dans la genèse de l'État moderne. Actes de la table ronde de Rome (15-17 octobre 1984) Rome : École Française de Rome, 1985. pp. 155-178. (Publications de l'École française de Rome, 82) http://www.persee.fr/web/ouvrages/home/prescript/article/efr_0000-0000_1984_act_82_1_2813

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  • Alain Boureau

    tat moderne et attribution symbolique : emblmes et devisesdans l'Europe des XVIe et XVIIe siclesIn: Culture et idologie dans la gense de l'tat moderne. Actes de la table ronde de Rome (15-17 octobre 1984)Rome : cole Franaise de Rome, 1985. pp. 155-178. (Publications de l'cole franaise de Rome, 82)

    RsumLes devises et emblmes constituent, aux XVIe et XVIIe sicles, une couche importante de la culture politique occidentale, enconcordance chronologique exacte avec les tapes de la gense de l'tat. On peut dlimiter dans le genre des espces et desusages proprement politiques (recueils politiques de 1610-1640 ; usage du genre par les monarchies absolues). Ce systmesymbolique met en scne le passage de l'exaltation de l'individu (objet des premires devises) celle de l'homme d'tat quiproclame sa participation sans condition ni rciprocit au Bien Commun. Par ailleurs, l'emblme politique des recueils transposedans la culture commune le raisonnement juridique fond sur l'analogie et l'exprience ; il vulgarise ainsi la pense juridique del'tat dveloppe depuis le XIIIe sicle. L'emblme absolutiste et dvot soumet cette reprsentation et la rduit un art ingnieuxet courtisan. Une enqute systmatique devrait mettre l'preuve ces hypothses.

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    Boureau Alain. tat moderne et attribution symbolique : emblmes et devises dans l'Europe des XVIe et XVIIe sicles. In:Culture et idologie dans la gense de l'tat moderne. Actes de la table ronde de Rome (15-17 octobre 1984) Rome : coleFranaise de Rome, 1985. pp. 155-178. (Publications de l'cole franaise de Rome, 82)

    http://www.persee.fr/web/ouvrages/home/prescript/article/efr_0000-0000_1984_act_82_1_2813

  • ALAIN BOUREAU

    TAT MODERNE ET ATTRIBUTION SYMBOLIQUE : EMBLMES ET DEVISES

    DANS L'EUROPE DES XVIe ET XVIIe SICLES

    Le cardinal de La Valette avoit quelquefois de plaisantes visions : un jour il disoit qu'il voudroit estre montagne. Et moy, je voudrois estre soleil, dit Mme de Rambouillet. - Soleil, soleil! reprit-il, ne l'est pas qui veut. Comme s'il estoit plus ais d'estre montagne que soleil.

    Tallemant des Raux

    Le 12 juin 1804, le Conseil d'tat se runit autour de Napolon Bonaparte, six mois avant le sacre imprial, pour dcider de la cration d'un sceau nouveau; les propositions sont nombreuses et diverses : certains conseillers suggrent d'utiliser les animaux classiques de l'hraldique (le lion, l'aigle, le coq); un des membres souhaite le retour aux fleurs de lys; d'autres proposent de recourir des figures rares en hraldique (l'gide de Minerve, l'pi de bl) qui relvent plutt de l'emblmatique de la Renaissance; or, prcisment, deux ou trois conseillers composent des devises, dans le strict sense du terme : Laumond propose l'lphant avec l'pigraphe 'Mole et mente'... Cambacrs propose les abeilles comme l'emblme de la situation actuelle de la France: une rpublique qui a un chef. Laoue : 'D'autant mieux qu'elles ont la fois l'aiguillon et le miel'1. La devise est en effet cette mtaphore visuelle explicite, compose d'une image et d'une lgende, qui doit, en bonne orthodoxie, s'appliquer aussi bien l'tre signifiant (lphant, abeille) qu' l'tre signifi (ici l'Empereur ou l'Empire). Ainsi, au seuil de l'poque contemporaine, un homme politique, charg de

    1 Ces notes, prises par un conseiller anonyme, furent dites par A. Marquiset, Napolon stnographi au Conseil d'tat, Paris, 1913. Les deux devises proviennent effectivement de l'emblmatique : on trouve un lphant funambule avec la lgende Molem superai ingenium, dans Covarrubias Orozco, Emblemas morales, Madrid, 1610, n61 et des abeilles gloses d'un 'Latent sub melle venena', dans Mathias Holzwart, Emblematum Tyrocinia, Strasbourg, 1581, n51.

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    dnoter l'tat, use tout naturellement d'un type de signe qui a pris naissance au XVIe sicle et s'est dvelopp pleinement au XVIIe sicle. On trouve confirmation de cette intgration de l'emblme (au sens troit) la culture civique europenne de l'ge moderne finissant dans les projets de cration du sceau des tats-Unis, entre 1776 et 17822 : avant le choix hraldique de l'aigle, la premire commission du Congrs lit d'abord des emblmes (l'emblme, moins strictement dfini que la devise, a une porte plus gnrale); ainsi, Thomas Jefferson propose les enfants d'Isral, guids par une nue, Benjamin Franklin la Mer Rouge engloutissant Pharaon avec la lgende 'La rvolte contre les tyrans est un devoir divin', John Adams Hercule la croise des chemins entre Vertu et Vice3.

    Certes, cette application politique (et ici tatique) de la technique emblmatique n'est pas premire dans la constitution du genre, mais elle apparat trs tt, ds les premires annes de fonctionnement du systme; l'exemple le plus connu en est la cration de l'emblme de Paris, la nef, avec la lgende 'Fluctut nec mergitur' appose un ancien blason corporatif, la fin du XVIe sicle. Au cours de l'ge moderne, la continuit d'emploi de cette technique symbolique applique la saisie d'un ensemble conceptuel ou institutionnel qui englobe et dpasse les ralits politiques empiriques nous donne l'impression nette d'un lien puissant entre la perception de l'tat et le systme emblmatique. Curieusement, ce lien n'a jamais t tudi globalement. Les devises et emblmes sont le plus souvent rests dans le domaine de l'histoire de l'art et de la rhtorique4.

    Et pourtant, aux XVIe et XVIIe sicles, il n'est gure d'institutions publiques ou d'hommes d'tat qui ne se reprsentent en devise ou emblme. L'ampleur mme du phnomne, au-del de son apparente futilit, impose l'ide que l'emblme a jou un rle dcisif dans l'expression ou la formation des mentalits modernes : les bibliographies de Mario Praz, John Landwehr ou Rosemary Freeman5 indiquent envi-

    2 Voir la monographie de G. Hunt, The History of the Seal of the United States, Whas- hington, 1909.

    3 La scne de Jefferson se trouve dans J. W. Zincgreff, Emblematum ethico-politico- rum, Heidelberg, 1619, n 11; celle de Franklin drive de l'emblmatique anti-monarchiste anglaise du XVIIe sicle; celle d'Adams se trouve en une douzaine de recueils.

    4 Ce qui explique la brivet de notre bilan critique. 5 Voir la bibliographie gnrale en fin de rapport.

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    ron 3000 livres emblmes. Et cette prolifration atteint son comble dans le domaine de l'expression politique : que l'on songe aux 500 devises royales que propose le pre Mnestrier en 16796, ou, bien avant l'closion absolutiste, aux 930 devises de souverains europens runies par Jacob Typotius Prague en 1 601-1 604 7. Il serait abusif d'assimiler cette production d'apparat une reprsentation de l'tat, mais une glorification publique aussi rpandue ne saurait demeurer sans incidence sur l'mergence tatique; par ailleurs, l'emblme, on le verra, ne se rduit pas ce rle circonstanciel et dcoratif. Enfin, il faut noter une concidence, sans doute non fortuite, des dveloppements emblmatique et tatique, selon les rythmes suggrs par cette table ronde : prmices aux XIVe-XVe sicles, dfinition thorique au dbut du XVIe sicle, maturit au milieu du XVIIe sicle, intgration universelle au XVIIIe sicle. Cette abondance et ces convergences appellent une recherche sur les dimensions tatiques de la production emblmatique, prise comme systme symbolique autonome, dot d'une histoire propre. Ces indices ne suffisent pas prouver la pertinence de la question des emblmes dans la gense de l'tat moderne, mais ils montrent que cette production emblmatique a, au moins, accompagn le processus. L'hypothse prsente dans ce rapport pose que la production emblmatique n'a pas simplement tendu les toiles d'un dcor, mais a form une image nouvelle de l'homme public et a vulgaris les thories politiques fondatrices de l'tat. Avant de dvelopper ces hypothses et leurs implications pour une recherche suivie, il convient de baliser sommairement le champ explorer.

    I - Problmes de dlimitation du champ emblmatique

    A) Dfinitions d'un genre. Pris comme genre littraire et iconographique, l'emblme se dlimite assez aisment. On peut lui assigner une date de naissance, 1531, anne de parution, Augsbourg, du fameux recueil d'Alciat, Viri clarissimi D. Andreae Alciati. . . emblematum liber; bien que l'illustration ne corresponde ni dans son principe, ni dans sa ralisation aux vux de l'auteur, comme l'ont prouv les travaux de

    6 La Devise du Roy justifie. . . avec un Recueil de cinq cens Devises faites pour S. M. et toute la maison Royale, Paris, 1679.

    7 Symbola Divina et Humana Pontificum Imperatorum Regum, Prague, 1601-1604.

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    Claudie Balavoine8, cet ouvrage est incontestablement le premier associer une srie d'images complexes et mystrieuses, de brves lgendes qui en pointent le sens et des gloses potiques qui prcisent le contexte de signification. Certes, ce type particulier d'exercice symbolique, de mtaphore visuelle semi-nigmatique, appliqu des individus ou des entits individualises procde certainement d'une crise de la reprsentation hraldique, comme l'a montr Michel Pastoureau9, d'un got pour l'hiroglyphe qui se manifeste autour de l'dition de YHora- pollon, en 1505 10 et d'une pratique de la dcoration symbolique dans le vtement; il n'en reste pas moins que le livre d'Alciat, constamment rdit, copi, adapt, traduit, fonde un genre nouveau qui se dveloppe rapidement et trouve ses thoriciens et ses rgles.

    Il convient ici de distinguer l'emblme de la devise. Empruntons Andr Stegmann sa dfinition large de l'emblme, tel qu'il apparat chez Alciat et dans la majorit des recueils de l'ge moderne : Reprsentation figure, qui suggre, sur une figure au premier abord nig- matique et stylise, partiellement claire d'une premire glose imprvue, brve et lapidaire (devise), dveloppe dans une seconde glose qui en largit le propos initial sans le clore, dans une formule elliptique et pigrammatique. Art combinatoire par mutuel enrichissement des trois lments, proche de ses origines symboliques11. l'intrieur de ce genre assez lche, se dveloppe une espce particulire, la devise, traduction de l'impresa (= entreprise, dessein) italienne, dont le premier thoricien est Paolo Giovio (Dialogo dell'imprese militare e amorose, Rome, 1555) et le premier praticien Claude Paradin (Devises hroques, Lyon, 1551). La devise dcrit mtaphoriquement le projet moral d'un individu et obit des rgles contraignantes : rapport juste de l'image et de la lgende, exclusion de la figure humaine, agrment, clart et originalit de la figure, brivet de la lgende, sens exclusivement donn par le rapport de la figure et de la lgende, gale application de la

    8 Notamment dans Les emblmes d'Alciat : sens et contresens, dans Y. Giraud, d., L'emblme la Renaissance, Paris, 1982, p. 49-59.

    9 Dans Aux origines de l'emblme : la crise de l'hraldique europenne aux XIV'-XV sicles, dans M. T. Jones d., Emblmes et devises au temps de la Renaissance, Paris, 1981, p. 129-136.

    10 Voir C. F. Brunon, Sens, figure, langage : les Hieroglyphica d'Horapollon, dans L'emblme. . . op. cit., note 8.

    11 Dans Les thories de l'emblme et de la devise en France et en Italie, ibid.

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    lgende au propre (la figure) et au figur12. Ces rgles firent l'objet d'une longue controverse jusqu'au dbut du XVIIe sicle, avant de fixer une technique virtuose qui se ralise pleinement chez le Pre Mnes- trier, vers 1660-1680. Sans entrer dans des dtails qui importent peu notre propos, il faut retenir que la devise s'oppose l'emblme (du moins en thorie) comme le particulier au gnral, le strict au lche; pour certains auteurs, cette opposition est une complmentarit : la devise se prlve dans la rserve de l'emblme; la distinction importe autant l'historien qu'au spcialiste de rhtorique ou d'histoire de l'art : le raffinement et la spcificit de la devise en font un art de cercle (les acadmies italiennes du XVIe sicle, par exemple) ou de cour, sous la monarchie absolue, alors que l'emblme, porte plus gnrale, perception plus immdiate, fait l'objet d'une vulgarisation intense, grce l'essor du livre imprim et des techniques de la gravure; cette opposition recouvre une diffrence de propos et de situation : la devise se soumet aux circonstances, alors que l'emblme des recueils parat plus libre. Mais il est vident que toutes les contaminations et mutations possibles se produisent, que toutes les formes intermdiaires existent. Il convient donc de traiter ensemble toutes les formes emblmatiques, conues, rptons-le, comme des mtaphores visuelles, verbalement explicites, semi-nigmatiques, qui se distinguent radicalement des signes de reconnaissance que produit l'hraldique. Dans le temps, ce corpus gnrique sera clos la fin du XVIIe sicle, si l'on considre que l'emblmatique du XVIIIe sicle, codifie dans des traits iconolo- giques, n'est plus gure cratrice13.

    B) Un corpus politique? Les difficults surgissent si l'on veut traiter de l'expression politique dans le systme emblmatique. La littrature emblmatique n'est pas originellement politique : les emblmes d'Alciat, les devises thorises et pratiques par les Acadmies italiennes du XVIe sicle s'appliquent des individus pris dans leur essence morale, intellectuelle, militaire ou amoureuse (voir le titre de l'ouvrage de Giovio cit plus haut); en outre, dans son considrable essor, le genre rencontre videmment le christianisme des Rformes catholique et

    12 Voir l'article fondateur de Robert Klein, La thorie de l'expression figure dans les traits italiens sur les Imprese (1555-1612), dans Bibliothque d'Humanisme et de Renaissance, 19, 1957, p. 320-342, repris dans La Forme et l'intelligible, Paris, 1970.

    13 Cette clture pourra se discuter; elle procde d'un choix.

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    protestante; d'aprs nos calculs (assez grossiers), prs de la moiti des titres de la littrature emblmatique ont une vise spcifiquement religieuse.

    Cependant, il peut sembler ais d'isoler un corpus politique (au sens large), form de deux espces extrieurement reconnaissables :

    1 - Les recueils de glorification publique.

    Des livrets ou des recueils rassemblent les devises ou emblmes composs pour des institutions ou des gouvernants, qui ont rapidement utilis cette nouvelle forme de glorification : ds 1547, Caspar Othmayr publie Nuremberg, un recueil des Symbola illustrissimorum princi- pum. Ces recueils se font autour de regroupements dont la diversit est fort intressante pour saisir la perception des formes de souverainet l'ge moderne :

    - certains recueils prennent la suite des rles d'armes hraldi- -ques. En Allemagne surtout, les Stammbcher prsentent souvent des formes mixtes, o se mlent la gnalogie hraldique et l'emblmatique individuelle 14. Le trs beau et immense folio de Francesco Terzo, . . . Austriacae Gentis Imaginum Pars Prima (Innsbruck, 1558) offre des figurations statufies des membres de la famille Habsbourg, que surmontent, au sommet, une devise et des lments scniques de vie, puis, plus bas, des armoiries, et enfin des allgories (notons que les femmes ont droit au blason, non l'emblme);

    - on trouve des recueils gnraux de devises de souverains, o le sujet n'est plus la gens, ou la domus, mais la souverainet; le meilleur exemple en est fourni par le livre de Typotius, cit plus haut, compos de devises de souverains, classes par nation;

    - dans des sries consacres des cits, s'affirme peut-tre la saisie d'ensembles institutionnels indpendants des personnes; l'exemple le plus ample et le plus illustre en est le Thesaurus philo-politicus de Daniel Meisner (Francfort, 1623-1626), qu'avait annonc le livre de Guillaume Guroult, Epitome de la corographie d'Europe, illustre des pourtraitz des villes les plus renommes d'icelle, Lyon, 1553;

    - d'autres recueils, trs nombreux, traitent d'un souverain particulier. Cette forme sera videmment dominante (mais non exclusive)

    14 Mais il faut noter que le mot 'Stammbuch' dsigne parfois un authentique livre d'emblmes, sans interfrence hraldique.

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    sous la monarchie absolue; on retrouve ici le pre Mnestrier avec ses nombreuses monographies emblmatiques sur Louis XIV; on trouve aussi de nombreux opuscules sur des ministres (Sguier, Colbert, Maza- rin, etc.).

    Les entres royales ou princires, les clbrations matrimoniales, les obsques de personnages publics donnent lieu des crations d'emblmes reproduits ou dcrits dans des opuscules, dont le premier semble tre un ouvrage de Cornelius Grapheus sur le passage du futur Philippe II Anvers, le Spectaculorum in susceptione Philippi Hisp. Princ. . ., Anvers, 1549, immdiatement traduit en nerlandais et en franais (Anvers, 1550); ce petit ouvrage de 60 pages contient des figures et des descriptions des traditionnels arcs de triomphe, que suivent des noncs de devises non illustrs. Cette espce emblmatique est fconde et nombreuse jusqu'au XVIIIe sicle, notamment en Italie; elle prsente l'intrt particulier de s'insrer dans un cadre plus ancien et bien connu, notamment par les travaux de B. Guene et F. Lehoux15; de plus, on trouve l une des sources possibles du genre : les entres de la fin du Moyen ge comportaient souvent des tableaux vivants qui proposaient un programme politique ou moral; l'adjonction d'une lgende en fait un emblme16.

    2 - Les recueils politiques gnraux.

    Une autre catgorie de recueils peut facilement se joindre ce premier corpus, celle des textes gnraux explicitement politiques. Reprenons le schma arborescent du genre : partir du moment o la devise se distingue de l'emblme (vers 1550), on trouve d'un ct les devises hroques (particulires) de l'autre les devises morales (gnrales), clairement rparties dans le texte de Gabriel Symeoni, Devises et emblmes hroques et morales, Lyon, 1559 (un sicle plus tard le pre Le Moyne publie un recueil qui garde la mme distinction et le mme titre); la fin du XVIe sicle, les sries d'emblmes se spcialisent et dans le champ politique, les devises hroques donnent, d'un ct les emblmes glorifiants; de l'autre, on observe des textes politiques, qui spcifient les sries morales. Au dbut du XVIIe sicle, il s'agit d'une vritable

    15 Les entres royales franaises de 1328 1515, Paris, 1968. 16 Voir David Bergeron, English civic Pageantry, Londres, 1971.

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    efflorescence, avec G. Florio, Florilegio etico-politico, Francfort, 1611, Chokier, Thesaurus aphorismorum politicorum, Mayence, 1613, Schoon- hovius, Emblemata. . . Partirti moralia, Partim Civilia, Gouda, 1618, Is- selburg, Emblemata politica, Nuremberg, 1618, Zincgreff, op. cit., 1619, Jacobus Bruk, Emblemata politica, Strasbourg, 1618, Reifenberg, Emblemata politica, Amsterdam, 1631, Marliani, Theatrum politicum, Rome, 1631, Casoni, Emblemi politici, Venise, 1632, Boxhorn, Emblemata politica, Amsterdam, 1635, Saavedra, Idea de un principe politico- christiano, Munich, 1640, Mendo, Principe perfecto y Ministros ajusta- dos, Madrid, 1642 etc. Nous avons l un corpus cohrent, clairement signal, compos d'au moins 1500 emblmes, rparti sur les trente ans de la priode, 1610-1640, o se discute dans toute l'Europe la question de la Raison d'tat et o se met en place un systme absolutiste encore incertain de lui-mme. Sans prjuger de l'intrt de chacun de ces recueils, il parat ncessaire de traiter systmatiquement et exhaustivement ce corpus sans quivalent. Et il faut ajouter que cette littrature emblmatique politique de 1610-1640 a connu un succs immense : ainsi, le recueil de Saavedra (27 ditions en espagnol) a t rapidement traduit en allemand (2 ditions), en nerlandais (2 ditions), en franais (2 ditions), en italien (5 ditions), en latin (14 ditions) et en anglais (1 dition). La dispersion des lieux d'dition, la concentration chronologique, la multiplicit des entres (par images et par concept), l'clectisme des recueils font de ce corpus une source de premier ordre pour connatre la perception de l'ordre politique dans l'Europe moderne.

    C) Flou des frontires du champ politique. La dlimitation du champ ainsi dtermin serait simple, si l'application politique de l'emblme ne dbordait largement ce primtre.

    Mais un titre gnral peut parfois cacher un recueil politique : ainsi, la Sapientia piet dite anonymement Francfort en 1624 (frauduleusement?)17, reproduit le recueil de Zincgreff cit plus haut, sous un titre non politique. Les Emblemata de Jean Mercier (Bourges, 1592), paraissent sous ce titre gnral, une date bien antrieure celle de notre groupe de recueils politiques; et pourtant, il s'agit l d'une des sries les plus nettement politiques du corpus gnral : ainsi, quelques

    17 Attribue par erreur l'diteur Peter Mareschall dans la bibliographie de Mario Praz, omise dans celle de John Landwehr.

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    mois avant la victoire d'Henri IV, le jurisconsulte Berruyer figure, en son sixime emblme, l'attelage d'un buf et d'un ne, avec la lgende 'Nusquam convenient', glose ainsi: Vel nulla vel una in populo religio est semper. Le reste du recueil traite de la tyrannie, de l'opinion des peuples gouverns, de la monarchie, etc.

    Le problme serait soluble, s'il ne s'agissait que de vrifier systmatiquement le contenu des recueils, comme dans les deux cas qui viennent d'tre voqus. Mais en fait, il parat souvent difficile de discerner, surtout dans les sries gnrales du XVIe sicle, ce qui distingue l'thique commune de la politique. Toutes les inclusions et les exclusions risquent d'tre arbitraires. Bien plus, elles projettent anachroni- quement la dlimitation mme que les emblmes, avec d'autres systmes symboliques et cognitifs, construisent au cours du dbut du XVIIe sicle : on peut penser que, si les titres Emblmes politiques apparaissent si nettement partir de 1610, ce n'est pas seulement parce que le champ politique s'ouvre davantage l'emblme mais aussi parce que l'affirmation d'une spcificit du politique apparat alors. Les emblmes d'Alciat eux-mmes, traitant de force, de puissance, d'autorit, dans un cadre hroque, sont dj pour une part politiques; la phase 1610-1640 rend ce propos explicite en incluant dans le commentaire un personnel politique (rois, princes, ministres, sujets) et en articulant sur les notions de puissance et d'autorit celle de pouvoir. Mais l'emblme hroque du XVIe sicle suggre dj une nouvelle perception du politique, sans l'exprimer de faon spcifique. Mme le premier recueil tendance religieuse, d'inspiration protestante, celui de Georgette de Montenay, Emblmes ou devises chrtiennes, Lyon, 1571 ressortit la morale publique et politique, oriente et thmatise par la religion : la ddicace Jeanne d'Albret et la premire figure qui lui est consacre ('Sapiens mulier aedificat domum') appellent une Rpublique chrtienne. On peut considrer que la drivation catchistique ou galante, o le sujet emblematise se soumet une dvotion prive, n'apparat que tardivement, avec les Amoris Divini Emblemata de Vaenius (Anvers, 1615), du ct religieux et le Quaeris quod sit amor (Hollande, 1601?) du ct profane. Auparavant la devise amoureuse ou religieuse ne se spare pas de la devise hroque oriente vers la morale publique. Les recueils d'apparence naturaliste, qui classent les emblmes selon les rgnes animaux et vgtaux, selon les lments physiques, comme ceux de Came- rarius (Symbolorum et Emblematum ex re Herbaria desumtorum centuria. . ., Nuremberg, 1590,. . . ex Animalibus Quadrupedibus ., 1595,. . . ex

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    Volatilibus et Insectis, 1597,... ex Aquatilibus et Reptilibus. . ., 1604), comportent souvent une application politique explicitement formule dans la glose. On ne peut donc exclure du corpus politique (et encore sous bnfice d'inventaire) que les recueils de dvotion prive, religieuse ou profane, qui apparaissent au dbut du XVIIe sicle.

    Le champ d'tude sera donc compos non d'une srie finie d'objets culturels, mais d'un systme symbolique, o s'exprime, parfois, mais non toujours explicitement, une perception originale de la relation politique. Cela n'te rien aux distinctions prcdentes : chacune des espces isoles constituera une entre particulire dans ce vaste corpus. La formulation mme des dmarcations, les diffrences de modes de prsentation doivent tre analyses comme lments de la perception politique18. Nous avons tabli, jusqu' prsent, l'existence probable d'un rapport entre le systme emblmatique et la question de l'tat. Il resterait formuler des hypothses de dpart sur la nature de ces rapports.

    II - Hypothses : la logique politique du systme emblmatique

    II est prilleux de soumettre un corpus aussi vaste et vari des hypothses gnrales; mais il ne s'agit pas de brosser un tableau des relations qui joue entre l'tat et l'emblme, mais de suggrer l'existence possible de nuds significatifs dans ce systme, pris comme exaltation de l'individu, puis comme encyclopdie des comportements publics et enfin, par un rtrcissement du champ, comme instrument de la monarchie absolue.

    A) Du Hros l'homme d'tat. La devise voque l'individu; ce trait fondamental se lit dans la ddicace d'Alciat19, dans les diverses productions thoriques de la fin du XVIe sicle et au dbut du XVIIe sicle (L'impresa est un instrument de notre intellect, compos de figures et

    18 Ce corpus ne devrait pas se limiter l'emblmatique imprime; on devra se proccuper de l'emblmatique des objets et btiments publics et privs; voir, par exemple, W. Harms et H. Freytag ds., Auserliterarische Wirkungen barocker Emblembcher. Em- blematik in Ludwigsburg, Gaarz und Pommer sfelden, Munich, 1975.

    19 Voir ce texte et son commentaire dans C. Balavoine, Archologie de l'emblme littraire: la ddicace Andr Peutinger des Emblemata d'Andr Alciat, dans Emblmes et devises, op. cit., p. 9-21.

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    de paroles qui reprsentent mtaphoriquement le concept intrieur de l'acadmicien, disait Chiocco20) et dans les commentaires tardifs de Bouhours ou de Mnestrier: Les Souverains et les puissances ecclsiastiques ont des devises pour se distinguer, dans le monde, et pour exprimer leurs penses, leurs desseins et leurs sentiments21. Cette vise individuelle affecte l'ensemble de l'emblmatique : au del des distinctions thoriques mentionnes plus haut, la pratique relle efface l'opposition entre emblme gnral et emblme particulier, souvent applique la diffrence entre devise morale et devise hroque. En fait, la devise morale est une devise hroque qui n'est pas encore attribue ou revendique; le pre Le Moyne a beau ritrer la distinction classique (Les Devises hroques sont des loges d'un mot ou d'une figure et ont est faites pour des personnes de conditions ou de vertus eminentes. . . Les Devises morales sont des leons abrges), les deux sections de son ouvrage (Devises hroques et morales, Paris, 1649) sont strictement homologues.

    Par ce dsir d'individuation symbolique, se manifeste une rupture avec le systme hraldique, centr sur l'appartenance, la filiation, la communaut de sang ou de fief. Ce dsir se peroit clairement dans ce que Michel Pastoureau a appel la crise de l'hraldique22 : ds les annes 1320-1330, apparaissent des armoiries personnelles distinctes du blason familial; puis les cimiers et les supports permettent une expression individuelle. La nouveaut de la devise se lit dans son ty- mologie (impresa=devise=entreprise); cette individuation vise moins distinguer qu' affirmer un projet propre et public. Pour le lecteur actuel, ce dsir d'individuation parat paradoxal, car il s'exprime par l'appropriation d'un lieu commun (alors que l'hraldique manifeste la communaut d'un lieu propre) : les emblmes semblent interchangeables, comme le montrent les frquentes querelles et revendications autour d'un emblme ingnieux, ou bien la polysmie suggre par les crateurs d'emblmes (cet emblme peut s'appliquer tel personnage ou tel autre). Certes, dans certains cas, la devise ou l'emblme joue sur des connotations rellement individuelles, peu perceptibles pour le lecteur contemporain; ainsi, une devise de Philippe II reprsente Hercule soutenant le globe avec la lgende Ut quiescat Atlas; la signifi-

    20 Discorso delle imprese, Venise, 1601, traduit par R. Klein, art. cit. 21 C. F. Mnestrier, La Devise du Roy, op. cit., p. 1. 22 Art. cit.

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    cation glorifiante et impersonnelle de la puissance herculenne, s'ajoute l'allusion l'abdication de Charles-Quint. Mais cette pratique n'est pas constante et vaut surtout pour l'emblmatique d'apparat.

    Fondamentalement, le paradoxe demeure : la devise est individuelle non par adquation singulire, mais par affirmation thtique d'une valeur qui fonde une excellence premire sans se conformer un ordre pralable (religieux, familial, ou autre). L'individuation se trouve dans l'acte, non dans le contenu de l'acte : tre source de soi. L'emblme s'intgre une culture hroque profondment nouvelle dans ce qu'elle refuse : les rangs, les conditions, les doctrines. Il serait facile, partir de devises provocantes ou cyniques, de montrer que cette excellence hroque s'affranchit des doctrines reues. Ici, comme en d'autres lieux, s'affirme la qute d'autonomie qui se dveloppera dans le thtre emblmatique de Corneille. Mises bout--bout, les lgendes pourraient reconstituer une doctrine morale et politique assez traditionnelle (si l'on met part les devises provocantes) mais justement la nouveaut rside dans cette mise en pices, cette attribution individuelle; l'thique commune s'individualise lorsque l'individu s'affirme publiquement par une proclamation, par l'appropriation d'une parcelle du trsor commun. Contre les hirarchies et les cloisonnements, le hros se pose en individu public, non plus en segment communautaire. Le corpus emblmatique, tout au moins jusqu' la priode absolutiste, on le verra, se lit comme un texte polyphonique, o les sujets se multiplient, srie de monades sans fentres orientes toutes vers une excellence que l'Histoire remplira de l'image d'une Raison ou d'un Monarque, d'un tat; l'tat ne s'affirme-t-il pas quand chacun devient sujet-objet de l'action publique?

    L'emblme, en glosant une action figure, refuse de prendre en compte les rangs et les conditions (sauf se replier sur un traitement no-hraldique de l'emblmatique, comme la cour de Louis XIV partir de 1660), mais il tend dpeindre une fonction (au sens large); ce processus fonctionne admirablement dans l'emblme absolutiste, mais cette spcification apparat aussi dans l'emblmatique politique de 1610-1640 (entre mille exemples : Hoc igitur emblemati officium pii et fidelis Judicis vel edam Magistratus notare volui, glose Jacob Bruck, dans son recueil, op. cit., p. 132). En ce domaine, l'emblme joue un rle de transition, en substituant indirectement et discrtement la fonction au rang dans l'apparence publique; il quivaut alors ce qu'on peut appeler le nom semi-propre, qui se dveloppe la fin du XVIe sicle : appeler Monsieur le frre du Roi, M. le Grand le Grand

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    cuyer, c'est galement passer de l'appellation nobiliaire la dsignation fonctionnelle ou diagrammatique, en s'arrtant un stade intermdiaire, o le nom n'est plus propre, sans tre commun. L'emblme, son niveau, contribue donc la promotion des talents dans l'tat moderne. Voil un systme symbolique qui chappe l'aristocratie en la dpassant et l'englobant. Service ou gloire, la valeur signifiante s'attache l'individu qui se donne un projet public. On retrouve ici la dualit entre les devises d'apparat et les devises d'affirmation : les unes orientent la multiplicit des projets vers la gloire d'un souverain; les autres vers la Gloire autonome; d'un ct, on voque l'homme d'tat, pice d'un ordre dsign, de l'autre l'homme dans l'tat pris comme ensemble de volonts agissantes, de mrites. D'un ct un Sully qui conjoint dans sa devise (Quo jussa Jovis, glosant un aigle qui tient la foudre) l'excellence de l'aigle, la position par rapport un ordre suprme (Jupiter) et une fonction (grand-matre de l'artillerie, dnot par la foudre)23; de l'autre, les devises des recueils gnraux, qui, le plus souvent, n'incluent ni intgration ni fonction mais affirment le mrite : le Bien Commun s'y lit comme la juxtaposition de mrites et soutient une pense de l'tat rpublicain, chose publique, mais aussi dmocratie de sujets identiques dans leur excellence, qui s'nonce continment depuis la rflexion florentine du XVIe sicle jusqu'aux Pays-Bas du XVIIe sicle (centre le plus important, partir de 1610, de la production emblmatique) en passant par l'hrosme anti-absolutiste qui s'affirme, contre la Raison d'tat monarchique de Richelieu et Mazarin, chez un Guez de Balzac, par exemple; cet auteur, propos de la Gloire du hros, sujet fondamental de l'emblme, dfinit admirablement une nouvelle pense du Bien Commun; La Gloire n'est pas tant une dette dont s'acquitte le public qu'un aveu de ce qu'il doit et tout ensemble une protestation qu'il est insolvable24. Il va de soi qu'on cerne ici une tendance extrme ouverte par le jeu emblmatique; nous avons peut-tre

    23 On peut lire un prcieux tmoignage sur l'impression que pouvait donner une telle devise sur des cercles anti-absolutistes dans les Remarques de Marbault sur les Mmoires de Sully (d. Michaud et Poujoulat, Paris, 1837, p. 55) : Nous savons bien que depuis que nostre autheur (Sully) eust l'administration des finances, il donnait un prix de cent escus chacun an celuy qui proposerait la plus belle; qu'un nomm Robert Estienne, advocat, gagnoit le plus souvent tant parce qu'il y estoit assez heureux, s'y estudiant fort, que parce qu'il flattoit nostre autheur. Critique de la devise marchande et technicienne!

    24 uvres, Paris, 1665, tome II, p. 460.

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    soulign trop nettement l'aspect hroco-tatique de l'emblme; pour avoir une vue juste de la question, il faudrait envisager une vritable histoire sociale de l'emblme et une prosopographie des sujets qui s'y expriment : producteurs (auteurs, graveurs, diteurs), destinataires, usagers. Il faut noter que le fondateur du genre et la plupart des crateurs du XVIe sicle furent des juristes, alors que l'emblmatique absolutiste fut l'uvre essentiellement des jsuites : mais il ne s'agit l que d'une approximation, mettre l'preuve des faits.

    On peut admettre, cependant, que l'emblme, expression de l'individualisation du public et de la publicit de l'individu a bien jou un rle essentiel dans la question de l'tat moderne. L'emblme, moyen d'affirmation hroque ou hroco-courtisan, proclamation d'une participation sans condition ni rciprocit attendue au Bien Commun est essentiellement politique. Il ne devient religieux, amoureux ou courtisan que par drivation. Il est videmment important que ces drivations, nombreuses, prennent naissance, on l'a vu, au mme moment, au dbut du XVIIe sicle25, en faisant converger trois sujtions : la doctrine chrtienne, l'ordre monarchique, ou au code de l'erotique prcieuse ou baroque.

    Il resterait examiner les contenus de cette morale publique; tche ici impossible et vaine avant une recherche approfondie; on se contentera de quelques hypothses sur les modes de prsentation de ces contenus, en notant que la logique mme du fonctionnement emblmatique (choix de figures varies, glose de l'image nigmatique) universalise une interrogation sur le Bien Commun, sur les techniques et l'essence du pouvoir; la rflexion politique des gloses peut paratre assez courte par rapport aux doctrines du XVIe sicle, mais le phnomne majeur rside dans l'acculturation et la lacisation d'une pense du pouvoir. Glissement essentiel : le pouvoir et l'tat se pensent et s'ima- gent sans rfrence exclusive aux gouvernants.

    B) Ars regnatrix fida. Si l'on passe du sujet emblematise la matire de l'emblme, on observe un processus d'universalisation des thmes et des formes; propos de chacun, de chaque sujet rel ou virtuel, il s'agit de faire signifier tout objet de l'univers. l'individualisation du

    25 Chronologie nuancer; il est vident que les emblmes de Maurice Scve, surtout ceux de sa Dlie (1544), chappent cette chronologie. Rptons que nous ne prsentons ici que des hypothses sommaires.

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    sujet, correspond la convergence universelle du matriau signifiant. Ces milliers de vignettes reprsentent une quantit norme et indfinie d'objets, d'animaux, de vgtaux, de scnes; la morale individuelle- publique s'exprime dans et par l'univers entier. Cet encyclopdisme signifiant n'est certes pas nouveau, puisque l'emblme capte un hritage cognitif et doctrinal immmorial qui ne fait qu'amplifier celui que manipulait, des fins illustratives, la littrature des exempla mdivaux : savoir naturaliste tir d'Aristote, de Pline, d'lien, du Physiolo- gus, savoir historique emprunt aux chroniqueurs et compilateurs antiques et mdivaux, fables, mythes, rcits bibliques, etc. Mais ce savoir s'organise autrement pour prendre prise sur le monde et sa distribution (au double sens du mot) en est autre :

    - par sa diffusion; ce savoir se transmet directement, hors des contrles de l'glise ou de l'Universit, par des livres trs largement rpandus ou par la dcoration de btiments ou d'objets,

    - par sa condensation en units de sens appliques un cas ou un individu, sans la mdiation d'un systme doctrinal; il semble que l'universalisation hroque se substitue alors la convergence unani- miste chrtienne26,

    - par la technique de dchiffrement qu'elle suppose, l'emblmatique entrane une argumentation, une justification de la morale propose. Chaque figure fait l'objet d'une dmonstration nouvelle et autonome; le mcanisme causal repose sur l'exprience rapporte par le savoir commun; l'emblme, comme le thtre (et la mtaphore thtrale revient constamment dans les titres de recueils) extrait la morale publique de la coutume ou de l'assentiment pour la soumettre la preuve; l'universalit des sujets emblematises, correspond l'universalit potentielle des regards de spectateurs et de lecteurs,

    - par son fonctionnement analogique, qui met en parallle des tres de rgnes diffrents (alors que Yexemplum signifie surtout par l'illustration : cette histoire illustre cet enseignement doctrinal). On passe ici un monde de la reprsentation, entendue comme simulation, comme reconstitution d'un processus commun deux rgnes. Prenons au pied de la lettre la langue des gloses : le loup n'est pas mchant : il est

    26 Voir les remarques de S. B. Wrfel dans Emblematik und Werbung. Zum Fortleben einer Kunstform im 20. Jahrhundert, dans Sprache im technischen Zeitalter, avril-juin 1981.

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    ravissant, en train de ravir (de s'emparer de sa proie); l'image le montre dans l'action qui le fait exister au monde et qui lui donne son pouvoir signifiant. La littrature exemplaire mdivale procde par pi- thtes, la littrature emblmatique par attribution, par prdication. L'exemplum confirme, l'emblme montre, c'est--dire dmontre en faisant voir. L'emblme est un art (ars), dans le sens admirablement dgag par Ernst Kantorowicz27, une technique humaine capable de s'inspirer de la nature pour former des principes nouveaux adapts la mutation des temps; en ce sens, l'emblme fonctionne comme le droit, par dmonstration et par analogie. En songeant la formation juridique des premiers grands crateurs d'emblmes, on voit que la proccupation tatique n'est pas le fruit du hasard, mais surgit au terme de la longue tradition juridique qui a pens l'tat ds les XIIe-XIIIe sicles, partir du droit canon et du droit romain retrouv, comme l'a montr Kantorowicz28; il faudrait retrouver dans les lgendes et les gloses toutes les traces de cette culture juridique; ainsi, on sait que la lgende du 62e emblme d'Alciat (Quod non capit Christus, capit fiscus) cite un adage d'un juge anglais du XVe sicle, comment par Kantorowicz. L'emblme, comme le droit, reprsente des personnes juridiques, des personnae fictae, selon le terme invent au XIIIe sicle. On peut considrer que l'emblmatique, du moins avant sa drivation courtisane, vulgarise une ancienne pense juridique de l'tat en s'appuyant sur une nouvelle culture hroque qui lui donne accs au monde, selon une logique sociale dterminer prcisment; en transposant l'expression ars regnatrix, employe par le jsuite Athanase Kircher, dans un ouvrage tout entier consacr l'lucidation d'un emblme muet attach la personne d'un prcepteur royal d'Espagne29, on pourra parler d'un vritable ars regnatrix ficta.

    L'emblmatique politique libre (non strictement courtisane) se distingue des autres systmes symboliques de glorification en ce qu'elle

    27 Dans La souverainet de l'artiste. Note sur quelques maximes juridiques et les thories de l'art la Renaissance, article traduit dans E. Kantorowicz, Mourir pour la patrie et autres textes, Paris, 1984, p. 31-57 (article de 1961, repris dans les Selected Studies).

    28 Dans Christus-Fiscus, article de 1948, traduit dans Mourir pour la patrie. . ., op. cit., p. 59-73.

    29 Principis christiani archetypon Politicum sive sapientia regnatrix. Honorati Joanii Caroli V et Philippi II aulici Caroli Hispaniarum principi magistri. . ., Amsterdam, 1672.

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    n'est pas un instrument de lgitimation; son dcoupage mme, par image et par sujet exclut de l'encyclopdie les entres privilgies (la doctrine ou la personne lgitimes); avec les techniques de diffusion des systmes de glorification, l'emblme vulgarise une interrogation sur les modes et moyens du pouvoir, centre sur les rapports de la puissance et de l'autorit. Prenons un chantillon (assez arbitrairement, tant il est difficile, avant une recherche spcifique, de relever des tendances et des constantes) dans le recueil de Zincgreff dj cit qui a l'intrt d'tre un des premiers textes emblmatiques strictement politiques (1619), d'avoir t assez rpandu (5 ditions de 1619 1665); par ailleurs, Zincgreff, juriste de formation, administrateur au service du comte palatin, reprsente une tendance sans doute mdiane, entre la zone rpublicaine des Pays-Bas et la zone absolutiste de France et d'Espagne. Il s'agit d'un recueil gnral : aucun emblme n'est rapport un individu prcis; sans vouloir reconstituer un ordre strict de composition qui contreviendrait la nature mme de l'emblme et rendrait mal compte des contradictions et oppositions, on peut observer que les 35 premires figures dcrivent les moyens de la puissance (1-3 : vigilance; 4-6: terreur; 7-8: insaisissabilit; 14-15 : ruse; 19-21 : activit incessante; 30-35 : union des forces). Dans cette section du recueil, l'individu signifi est rarement (3 fois) un souverain et plus souvent un nous, un vous, un on. La puissance subie ou impose concerne ici tout sujet. Le groupe suivant (36-57) semble peindre les manifestations de l'autorit du ct des gouvernants (36-41 : majest de la monarchie; 42- 43 : rle de la dpense) et du ct des gouverns (48-50 : chtiments et rcompenses; 51-57: amour du chef et obissance). Puis un troisime groupe (58-97) exalte le mrite public du sage qui sait s'opposer la fortune. Il semble que cette antithse finale entre mrite et fortune, si importante dans la culture hroque, conditionne le passage de la puissance l'autorit. La force ruse donne la puissance; la puissance mise au service de l'excellence donne l'autorit; la juste comprhension de l'autorit assure la stabilit de l'tat; la leon apparat clairement dans les 4 dernires vignettes, qui exaltent le Bien Commun : une trompette est ainsi commente (emblme 99) : D'un citoyen la voix, le conseil, le regard / Est autant en Testt que moy en la bataille. La dernire figure (n 100) manifeste cette mergence du public, dj note : une belle image montre une ruche dans une cour de ferme la porte largement ouverte sur l'tendue des champs, avec la lgende Privati nil habet ilia domus, ainsi traduite en franais Communaut entire et glose par le quatrain : Qui n'a que pour soy naissance / Et ne profite rien qu'

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    soy / Au public ne fait que nuysance / Et son bien ne cause qu'es- moy.

    Il serait abusif et prmatur d'accorder Zincgreff une valeur reprsentative; chaque recueil, politique ou hroque, doit tre analys et plac dans le contexte prcis de sa production et de sa destination, mais on constate ici que l'emblmatique fournit bien un corpus d'noncs prdicatifs, dont le thme est l'individu public (souverain, hros, courtisan, magistrat ou citoyen) et le prdicat tel ou tel attribut de force, de puissance, d'autorit ou de pouvoir; gouvernants et gouverns, hors de toute fin externe, participent d'une orientation commune, le Bien Commun, l'tat.

    Cette prsentation rapide du systme emblmatique a d laisser de ct les particularits historiques et nationales; on se contentera de quelques notes et questions sur l'emblmatique courtisane la cour de Louis XIV, afin de reprer les modes de fonctionnement de l'autre versant du systme.

    C) Notes et questions sur l'emblmatique absolutiste. La composition individuelle et predicative de l'emblme, tout en visant le Bien Commun, ignore les solidarits intermdiaires exprimes par l'hraldique. La monarchie absolue, telle qu'elle se dveloppe en France, entreprend de capter le systme emblmatique en reconstruisant une hirarchie qui respecte formellement la culture hroque qui fonde l'emblme. Comment concilier le mode expressif de la Rpublique hroque et le principe de la souverainet du Monarque? Comment reprsenter la Majest dans un systme qui privilgie la Gloire individuelle? Des solutions avaient dj t esquisses au temps de Henri IV et de Louis XIII, comme on l'a vu propos de l'emblme de Sully; partir de 1660, l'absolutisme louis-quatorzien affine des pratiques multiples et convergentes :

    1 - transformer un art hroque en une technique de cour, en accentuant l'ingniosit formelle au dtriment de la force des noncs prdicatifs; graduellement, la production des emblmes passe des juristes ces techniciens de la communication publique que sont les Jsuites; en France, les pres Le Moyne, Bouhours et Mnestrier tendent formaliser de plus en plus la pratique de l'emblme : les 5 rgles de Giovio deviennent 12 chez Mnestrier (dans la Devise du Roy, op. cit.) et on peroit nettement la domestication rhtorique de l'emblme dans les

  • TAT MODERNE ET ATTRIBUTION SYMBOLIQUE 173

    Entretiens d'Eugne et d'Ariste de Bouhours; ce texte constitue un vritable guide de la communication courtisane, o l'emblme fait l'objet du 6e et dernier entretien, aprs que les deux hros ont dissert de la langue franaise, du secret, du bel esprit, du je ne scay quoi. La devise tend perdre son rle expressif au profit de sa fonction distinctive (elle ne doit pas estre entendue du peuple)30; cette drivation rhtorique et distinctive implique une technicit qui ne laisse au hros emblematise que l'air, l'apparence : Quoyque les devises des Princes ne soient pas toujours de leur faon, elles doivent toujours estre faites d'une manire qui laisse penser qu'ils ont pu estre les auteurs31.

    2 - Saturer le systme emblmatique par une prsence et une permanence insistantes de la devise royale. Louis XIV se rserve une figure (le soleil avec la lgende Nec pluribus impar) forge par Douvrier vers 1663. Cette figure indfiniment reproduite et varie sur les objets et les btiments prend le statut d'une image hraldique, d'un signe de reconnaissance et non plus de connaissance, comme le dit Bouhours : Depuis que le Roy a pris un soleil pour son symbole et qu'il s'est appropri ce bel astre, pour m'exprimer de la sorte, les personnes un peu claires prennent le soleil pour lui. On conoit en mesme temps l'un et l'autre32.

    3 - Soumettre l'autonomie enunciative des devises non royales en les situant par rapport la Monarchie. Les devises courtisanes entrent alors dans le systme solaire et dsignent un rang second, plantaire ou stellaire; ainsi le Dauphin choisit l'toille du jour appele Phosphore qui luit en la prsence du soleil avec le mot Coram micat unus (II est le seul qui brille en sa prsence). . . ou bien Ut se soli explicat (Pour ne s'ouvrir qu'au soleil seul) sous un serpent repli en plusieurs tours pour un ministre fort secret [il s'agit de Colbert] qui ne se dcouvre qu' Sa Majest. . .33. L'emblmatique louis-quatorzienne dpense des trsors d'invention dans cette recherche de la devise qui associe l'apparence de la gloire hroque, la rgularit formelle et la dnotation de la soumission l'ordre monarchique. Un des chefs-d'uvre de cette pro-

    30 Entretiens. . ., Paris, 1671. Nous citons l'dition de 1691, p. 446. 31 Ibid., p. 448. Ibid., p. 436. 33 Ibid., p. 439.

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    duction se trouve dans l'opuscule que Mnestrier a consacr au chancelier Sguier : une vingtaine de devises englobent tour tour la fonction judiciaire de Sguier, son rle dans l'organisation de l'Acadmie franaise, la protection qu'il accorde l'glise, son entire soumission au roi, son nom, le signe de sa naissance, ses armoiries (le blier). Le raffinement rhtorique va jusqu' la cration d'un emblme anagrammatis de son nom (Petrus de Seguierus) : un sceptre avec la lgende Pure rgis est usui; comme le sceptre ne sert qu'aux roys, il n'employ sa vie que pour le service de son Roy. Apparence glorieuse et dvotion monarchique se mlent fort astucieusement34.

    4 - Substituer la mobilit et l'instantanit hroques la succession scnographique d'une srie de devises lies aux divers moments de la vie publique du Monarque; la plupart des 500 devises de Mnestrier dcrivent emblmatiquement un vnement majeur ou mineur. Empruntons deux exemples Bouhours : le thme d'un ballet incite le roi se couvrir de bijoux; cela se reprsente par le soleil avec la lgende Mas virtud que luz (Encore plus de vertu que d'clat); le souverain lve des impts et voici le soleil s'levant des vapeurs de la terre avec le mot In rorem et fulmina (pour faire la rose et pour former la foudre) pour exprimer qu'il employe l'argent qu'il lve dans son Royaume pour rcompenser ses bons serviteurs et pour faire la guerre ses ennemys35. Cette scnographie se dveloppe compltement dans le bel album que Mnestrier a consacr la Vie de Louis le Grand. . . 36, qui retrace toute la biographie du Monarque par les mdailles et les devises, l'intention des enfants de France.

    Cette drivation absolutiste pervertit et dessche l'emblme; mais elle intresse notre propos en ce qu'elle substitue au Bien Commun de l'emblmatique politique la souverainet monarchique et illustre la fameuse proclamation l'tat, c'est moi. Mais dans le dtail, ce systme laisse ouverte la question de la reprsentation diffrentielle des rangs, des tches et des fonctions. La prsance se joue ici comme propos des tabourets de Saint-Simon. Il serait donc imprudent de traiter l'emblmatique absolutiste comme un tout parfaitement cohrent; il

    34 Devises, emblmes et anagrammes Monseigneur le Chancelier. . ., Lyon, 1659. 35 Bouhours, op. cit., p. 434-435. 36 Paris, 1689.

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    est probable que dans ce domaine aussi des tensions jouent, autour de l'ide d'tat; il peut tre intressant de relever les devises qui manifestent encore une tentative de rsistance l'assujettissement absolutiste, hors de la cour et mme fort prs du Monarque; comment interprter la devise du prsident Lamoignon, invente par le pre Rapin37: une loupe pose devant une fentre, face au soleil, avec la mot Recrus ubi lux est obliqua (Droit lorsque la lumire est oblique)? la devise permet une insolence qui prouve l'indpendance de Lamoignon, avant mme son refus de prsider le procs de Fouquet.

    L'histoire de la devise absolutiste dcrit probablement (il faudra le vrifier) les conflits qui opposent le Roi, l'aristocratie, le personnel judiciaire et administratif en des figures complexes. Dans l'emblmatique courtisane comme dans l'emblmatique politique, le rapport entre l'individu et l'tat demeure problmatique; le systme emblmatique, par son existence latrale, permet un accs privilgi cette problmatique.

    III - Esquisses de perspectives de recherche

    II est videmment prmatur de proposer des directions prcises de recherche; indiquons rapidement et sommairement quelques questions formuler.

    A) Description du systme emblmatique politique : - Recension exhaustive du corpus des emblmes politiques : liste

    des recueils explicitement politiques, des textes destins une glorification particulire, des recueils gnraux (moraux ou hroques) implication politique. Il faudrait donc rsoudre le problme du sens politique implicite ou virtuel d'un emblme. Quels sont les lments (lgende, glose, contexte) qui permettent de dnouer (?) l'ambigut de porte d'un emblme. Comment se manifeste le sens politique? par un langage? par une topique? par les rfrences de la glose? Faut-il distinguer une emblmatique de glorification et une emblmatique problmatique?

    37 Pax Themidis cum Musis, ad illustrissimum virum Guillelmum Lamonium Senatus Principem. . . Paris, 1660 (erreur sur cette date dans Praz).

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    - Constitution d'un lexique iconographique et verbal des attributions offertes en matire de morale publique. tude des reprsentations des notions de force, de puissance, d'autorit, de pouvoir d'tat, de bien commun, etc., par recueil, par priodes historiques38, analyse des reprises, des plagiats, des mutations dans ce lexique. Analyse des connotations latrales (insertion du nom, du blason, de l'histoire de la fonction, du rang des sujets emblematises)

    - tablissement d'un corpus du savoir rassembl pour signifier une morale politique. Quel rapport ce savoir entretient-il avec les doctrines politiques contemporaines? Peut-on parler d'une pense politique emblmatique?

    - tude de la reprsentation du sujet politique. Quelles sont les catgories pertinentes d'opposition (gouvernants/gouverns, sujets/citoyens. . . etc.).

    B) Analyse des conditions de production et de rception de l'emblme.

    - tude prosopographique des auteurs, graveurs et imprimeurs d'emblmes. Cette tude, confronte aux rsultats de l'analyse thmatique, permettrait de constituer une histoire sociale et politique de la production emblmatique.

    - Recherche sur la diffusion des recueils (tude des ditions et traductions) et sur l'utilisation relle des emblmes, hors du livre imprim.

    - tude prosopographique des destinataires rels, souhaits ou implicites des emblmes.

    - Configuration gnrale de la chane production-rception-utilisation dans l'ensemble des systmes symboliques de l'poque moderne. valuation gnrale du rle de l'emblmatique dans la formation d'une ide neuve de l'tat (tude des archasmes, des synchronies ou des prcursions).

    Alain Boureau

    38 II faudrait aussi s'interroger sur la pertinence politique de l'opposition catholiques- rforms.

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    BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE

    Cette bibliographie sera trs brve : d'une part, elle renvoie des bibliographies assez rcentes; d'autre part, l'aspect politique de l'emblme a fort peu intress les chercheurs, plus orients vers l'tude monographique de type esthtique ou rhtorique.

    A - Bibliographies

    Recueils

    Praz Mario, Studies in 17th century Imagery. La bibliographie se trouve au tome II de l'dition de Londres (1947), la fin de l'dition de Rome (1964), p. 231-576. Addenda et corrigenda parus part Rome en 1974.

    Landwehr John, Dutch Emblem BooL, Utrecht, 1962. -, Emblem BooL in the Low Countries, 1554-1949, 19702, Utrecht. -, German Emblem BooL, 1531-1888, Utrecht, 1972 -, French, Italian, Spanish and Portuguese BooL of Emblems, Utrecht, 1976. Freeman Rosemary, English Emblem BooL, Londres, 1948.

    Bibliographie des tudes sur l'emblme :

    Henkel A. et Schoene ., Emblemata. Handbuch zum Sinnbildkunst des 16. und 17. Jhdt. Supplement, Stuttgart, 1976.

    LURKER Manfred, Bibl. zur Symbolkunde, Baden-Baden, 1964-1969.

    - tudes gnrales

    Praz Mario (dbut de l'ouvrage cit plus haut). Gombrich Ernst, Icnes symbolicae (1948), article traduit dans Symboles de la Renaissance, Paris, 1976.

    Klein Robert, (voir note 12) Clements R. J., Piet poesis. Literary and humanistic theory in Renaissance Emblem

    BooL, Rome, 1960. HoMANN Holger (d.), Studien zur Emblematik des 16. Jhdts, Utrecht, 1971. Penkert Sibylle, Emblem und Emblematikrezeption, Darmstadt, 1978. Jones-Da vies M. T. (d.), Emblmes et devises au temps de la Renaissance, Paris, 1981. Giraud Yves (d.), L'emblme la Renaissance, Paris, 1982.

  • 178 ALAIN BOUREAU

    C - TUDES PARALLLES

    (Sans tre principalement consacres l'emblme, elles peuvent apporter des lments essentiels). Il faudrait videmment citer les divers travaux de Michel Foucault, de Louis Marin, d'Ernst Kantorowicz.

    Bardon Franoise, Le portrait mythologique la cour de France sous Henri IV et Louis XIII. Mythologie et politique, Paris, 1974.

    Strong Roy, The cult of Elisabeth, Elizabethan portraiture and pageantry, Londres, 1977. Collectif, Les ftes de la Renaissance, I, II, III, Paris, 1955-1956-1975. Marin Louis, Le portrait du roi, Paris, 1981. Bauer Hermann, Kunst und Utopie. Studien ber dem Kunst und Staatsdenken in der

    Renaissance, Berlin, 1965. Pocock J. G. ., The machiavellian Moment, Princeton, 1975.

    InformationsAutres contributions de Alain BoureauCet article est cit par :Ferrari Monica. Educare ad essere esempio : la parola e l'immagine parenetica nella formazione dei Borboni di Francia, Mlanges de l'Ecole franaise de Rome. Italie et Mditerrane, 1995, vol. 107, n 2, pp. 551-574.Monica Ferrari. La costruzione dell'immagine del sovrano nella Francia del primo Seicento, Mlanges de l'Ecole franaise de Rome. Moyen-Age, Temps modernes, 1987, vol. 99, n 1, pp. 337-370.

    Pagination155156157158159160161162163164165166167168169170171172173174175176177178

    PlanI - Problmes de dlimitation du champ emblmatiqueA) Dfinitions d'un genreB) Un corpus politique ?C) Flou des frontires du champ politique

    II - Hypothses : la logique politique du systme emblmatiqueA) Du Hros l'homme d'tatB) Ars regnatrix fictaC) Notes et questions sur l'emblmatique absolutiste

    III - Esquisses de perspectives de rechercheA) Description du systme emblmatique politiqueB) Analyse des conditions de production et de rception de l'emblme

    Bibliographie sommaire