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19 juin 2000 PE 294.123 PARLEMENT EUROPEEN Direction générale des Etudes Direction A Division des Affaires économiques, monétaires et budgétaires STUDY ECON 506 FR L'Impact de la Libéralisation et de la Dérégulation

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PARLEMENT EUROPEEN

Direction générale des Etudes Direction A

Division des Affaires économiques, monétaires et budgétaires

STUDY

ECON 506 FR

L'Impact de la Libéralisation

et de la Dérégulation

19 juin 2000 PE 294.123

Les opinions énoncées dans le présent document engagent la responsabilité exclusive des

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Sommaire

Cette étude constitue une note de présentation des logiques économiques des acteurs dans le cadre de la libéralisation et de la dérégulation, ainsi qu'un aperçu de l'évolution des prix des services d'intérêt économique général. ________________________________________________________________________________ Editeur: Parlement européen L - 2929 Luxembourg Auteur: Bernard Pierre LEBEAU Division des Affaires économiques, monétaires et budgétaires Tél. 43 00 22 328 Fax: 43 40 71 e-mail: [email protected] ________________________________________________________________________________

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Table des matières

Page Avant la libéralisation: le libéralisme 4 L'inspiration libérale de la déréglementation 5 1. Une nouvelle donne pour les entreprises du secteur concurrentiel ............................... 6 1.1. Innovations et métamorphoses 6 1.2. Une dynamique de sélection des acteurs 9 1.3. Réduction des coûts ou multiplication des innovations 10 1.4. L'Etat change de rôle, les hommes doivent redéfinir le leur? .............................. 11 2. Dans le cadre européen, une nouvelle vision de l'économie publique ........................ 12 2.1. L'Europe dans l'économie globale 12 2.2. L'inspiration néo-libérale des traités 13 2.3. Biens publics et biens marchands 14 2.4. Entreprises et entreprises 15 2.5. Service public et secteur public 16 2.6. Services d'intérêt général et services d'intérêt économique générale ................... 17 3. Quelques conséquences pour les services d'intérêt économique général .................... 18 3.1. L'évolution des coûts des services d'intérêt économique 19

3.2. Facteurs d'explication de l'évolution des coûts des services d'intérêt économique général 20

4. Quelques conséquences pour les économies émergentes 20 5. L'hébergement fiscal, est-il une activité économique? 21 6. Critiques et conséquences sociales 23 7. Conclusions 24

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Avant la libéralisation: le libéralisme

Les promoteurs de la libéralisation s'appuient toujours sur les bases théoriques du libéralisme issues des travaux développés par l'économiste britannique David Ricardo au début du XIX' siècle. Selon Ricardo, n'importe quel pays a la possibilité de participer au jeu du commerce mondial et d'en recueillir des bénéfices. C'est la célèbre théorie des "avantages comparatifs" qui pose pour principe que toute nation, toute entreprise, peut s'insérer dans le commerce mondial. Il suffit pour cela qu'elle se spécialise dans les activités pour lesquelles elle est la mieux placée et la plus performante par rapport à ses concurrents. Corollaire logique, puisque ce sont les opérateurs les plus performants qui réalisent la production des différents biens proposés sur le marché, les prix auxquels ces biens sont offerts doivent, sous la pression de la concurrence, s'établir au plus bas niveau possible. Incidents conjoncturels et périodes de crises exceptés (troubles politiques graves, guerres, accidents climatiques en agriculture, etc ...), l'évolution des prix sur le long terme doit se faire suivant une tendance baissière. La concurrence est l'une des caractéristiques essentielles des économies de marché; elle repose sur une compétition loyale et libre entre entreprises. Les avantages de la concurrence sont nombreux: elle pousse au progrès technique et aux gains de productivité, elle élimine les entreprises les moins performants (qui gaspillent les facteurs de production) et elle pousse à des baisses de prix.

En fait deux grands facteurs peuvent être identifiés comme étant à l'origine du processus de mondialisation de l'économie par la libéralisation et la dérégulation:

• l'avantage comparatif traditionnel, qui est le déterminant classique de la compétition

internationale: si un ou plusieurs pays disposent d'avantages importants en termes de coûts des facteurs ou de qualité des facteurs, ils sont logiquement tout naturellement désignés pour être le lieu de production de référence, les exportations devant couvrir la demande des autres marchés du monde;

• le principe des économies d'échelle ou des courbes d'apprentissage (parfois appelées

également courbes d'expérience) qui se prolongent au-delà de l'échelle ou du volume de production cumulé que permettent les marchés nationaux pris isolément. Pratiquement ceci se traduit en réduction de coûts qui permettent à l'entreprise d'être plus compétitive. Ces économies d'échelle se retrouvent également au niveau des achats (le pouvoir de négociation s'accroît avec les volumes mis en jeu), au niveau des moyens logistiques mis en œuvre (diminution des coûts de stockage et de transport), ou encore au niveau des actions commerciales.

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La concurrence est une rivalité dynamique et pacifique entre des entreprises, encadrée par des règles, elle suppose pour être parfaitement équitable que les acteurs opèrent dans un champ de contraintes identiques. Toutefois, intégrant des éléments de plus en plus complexes, la compétition internationale va bien au-delà du simple jeu arithmétique des quantités produites, de nombreuses différences la distinguent de la simple compétition locale ou nationale, différences sur lesquelles toute entreprise met généralement l'accent lorsqu'elle développe une stratégie de développement dans le cadre de cette concurrence internationale:

• différences dans les coûts des facteurs selon les pays;

• conditions variables d'accès aux différents marchés extérieurs, tant au niveau économique

que culturel ou réglementaire; • rôles différents joués par les gouvernements étrangers, interventionnisme ou

laisser-faire;

• différences dans les objectifs, les ressources, les capacités ou les moyens mis en œuvre

pour suivre l'évolution des concurrents étrangers.

En fait il ne s'agit plus aujourd'hui d'exporter, mais de produire pour plusieurs marchés en intégrant les contraintes propres de la demande exprimée sur chacun de ces marchés. Simplement résumé, le libéralisme laisse en fait à chacun - consommateur ou agent économique - la faculté d'aller acheter là où les produits ou facteurs de production sont à meilleur marché et vendre là où ils peuvent se vendre plus chers. Mais pour les agents économiques soumis à la concurrence se pose la question de l'organisation optimale de la production, optimum accessible à des coûts différents selon que certaines entreprises doivent ou non intégrer des contraintes supplémentaires imposées par la puissance publique.

L'inspiration libérale de la dérégulation

La dérégulation n'est pas la suppression pure et simple de toutes les réglementations en vigueur: la dérégulation est avant tout une déréglementation à caractère économique qui laisse intacts, si ce n'est renforcés, les cadres juridique et réglementaire en vigueur. La dérégulation associée à la libéralisation des marchés marque un retour aux principes du "laissez-faire, laissez-passer". Il s'agit de reconnaître aux acteurs économiques la capacité à inventer des solutions nouvelles, tant dans le domaine technique que dans le domaine de l'organisation économique.

La déréglementation économique doit son succès aux théoriciens de l'économie de l'offre, qui ont notamment expliqué les taux de chômage élevés observés en Europe par la série d'entraves qui gênent les entreprises. Elle résulte d'un pari sur les vertus du libre marché et de la concurrence pour obtenir de meilleurs résultats qu'à travers le contrôle de l'organisation économique des activités par les pouvoirs et les administrations. Tommaso Padoa-Schioppa,

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membre du directoire de la Banque centrale européenne soulignait à l'automne 1999 que "Le système de marché qui laisse jouer, au mobile du profit individuel, le rôle de moteur fondamental de la production et de la consommation, requiert une solide structure de lois et de pouvoirs relevant normalement des prérogatives de l'Etat".

Lancé aux Etats Unis dans les années 70, tout d'abord dans le cadre de la dérégulation des transports aériens, le mouvement de déréglementation économique a été et s'est intensifié dès lors dans un grand nombre de pays. Le consommateur peut en être le grand gagnant: l'évolution du tarif des transports aériens sur l'Atlantique Nord en est une illustration bien claire. La réglementation bancaire, la législation du travail ont été particulièrement mises en cause, parce qu'elles bloquent les nécessaires adaptations. Mais il était aussi possible de voir dans la réglementation une façon de fausser ou de neutraliser la concurrence. Des secteurs entiers de l'activité pouvaient ainsi échapper à toute sanction du marché. Ajoutons enfin que la réglementation peut être aussi un moyen de protectionnisme: des textes précis peuvent fermer un marché national à l'entrée des produits étrangers, les normes sont la forme la plus subtile et la plus efficace du protectionnisme (loi de pureté de la bière en Allemagne, vins américains). La déréglementation, levier de desserrement des contraintes publiques est donc aussi une arme de libre-échange, pensons à la portée économique de l'arrêt "Cassis de Dijon". Dans un contexte mondial de libéralisation des échanges, dans un processus d'intégration européenne conduit autour de l'idée de marché commun, une certaine dose de dérégulation était inévitable au sein de l'Union européenne. Pour les Etats européens, elle revêt deux aspects complémentaires, la privatisation des activités de production gérées directement ou indirectement par les puissances publiques et une redéfinition des domaines relevant de la notion de service public. Comme le rappelle Yves-Thibault de Silguy dans un ouvrage récent (L'économie, fil d'Ariane de l'Europe), comment en effet "faire fonctionner un marché unique européen sur lesquels les Etats, à la fois producteurs et souverains, seraient des compétiteurs entre eux et face aux entreprises (...). La dérégulation européenne a résolu un conflit d'intérêt ancestral entre l'Etat producteur et l'Etat souverain au bénéfice de ce dernier."

Pour un observateur européen, l'impact du mouvement de libéralisation et de dérégulation venu des Etats-Unis s'est ainsi traduit corrélativement au sein de nos Etats par:

1. une nouvelle donne pour les entreprises du secteur concurrentiel; 2. une nouvelle vision de l'économie publique.

1. Une nouvelle donne pour les entreprises du secteur concurrentiel 1.1. Innovations et métamorphoses

Une erreur de pensée jadis trop souvent répandue consistait à regarder l'entreprise comme une "institution" qui, en quelque sorte, aurait reçu mission de produire des biens et des services. Telle n'est pas la nature de l'entreprise moderne plongée dans le jeu de la compétition internationale et obligée de s'adapter sans cesse à de nouveaux marchés, à de nouvelles

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techniques, à de nouvelles méthodes de travail, condamnée à réviser sans cesse ses manières de penser et d'agir. Sans doute doit-elle opérer à l'intérieur d'un cadre réglementaire rigoureux, voire parfois contraignant (juridique et administratif, normatif et technique), mais à l'intérieur de cet espace "balisé", elle a besoin de toute la liberté nécessaire pour concevoir et réaliser les combinaisons optimales de facteurs qui lui permettront de s'adresser avec succès aux marchés ou aux segments de marché sur lesquels elle travaille. Conséquence de ces incitations à développer les flux d'échange, les entreprises ont étendu leur zones d'action géographiques et se sont internationalisées en diversifiant tout à la fois leurs fournisseurs et leurs clients, puis bientôt leurs implantations et leurs personnels. La nécessaire confrontation avec un environnement plus vaste et plus stimulant les a conduites logiquement à inventer et à innover tant au niveau de l'offre de produits qu'au niveau des méthodes de production ou de commercialisation. En fait l'innovation naît tout autant d'un progrès technique que d'une amélioration du fonctionnement du marché. Quand des informations plus fiables et plus nombreuses circulent entre producteurs et consommateurs, il se trouve des entrepreneurs à la recherche d'efficacité qui lancent des innovations. Le marché suggère et pousse à l'innovation, l'élargissement des marchés renforce ce phénomène. L'ouverture des marchés et la concurrence qui en résulte génèrent en permanence informations, innovations et résultats dont les agents économiques ne pourraient pas disposer autrement. Rien d'immuable dans la structure même de l'entreprise moderne, tout n'est que découverte, adaptation permanente, exercice combinatoire sans cesse renouvelé, l'entreprise de demain pourrait à la limite se résumer à un nœud de contrats, définissant pour une période donnée une règle du jeu contractuelle avec chaque partie prenante (fournisseur, client, actionnaire, salarié). Force est de constater que les entreprises les plus performantes sont souvent celles qui sont le plus tournées vers l'innovation, la recherche de nouveaux marchés et/ou de nouvelles logiques d'organisation, le plus à même de s'adapter en permanence dans un processus d'évolution continu. Sur le plan économique, une innovation c'est une "invention qui a été acceptée par le marché". L'innovation peut ainsi désigner non seulement une nouvelle découverte, un nouveau produit qui a réussi, mais aussi, par exemple, un nouveau processus de commercialisation (les premières ventes par correspondance ont constitué une innovation), ou encore un nouveau processus d'organisation de l'entreprise, la rendant plus performante. Certains économistes accordent une importance considérable à la notion d'innovation comme moteur de la croissance économique. Les innovations arrivent de façon irrégulière, une ou plusieurs innovations majeures (comme la machine à vapeur ou l'électricité, l'informatique ou internet) étant suivies d'une "grappe" d'innovations dérivées, de moindre importance. Dans ces phases d'innovation active, la croissance est rapide, et les entreprises ont besoin du maximum de degrés de liberté possibles pour soutenir la concurrence. La libéralisation des marchés et le contexte d'innovation dans lequel doivent fonctionner les agents économiques devaient naturellement soutenir un mouvement de dérégulation.

Au niveau des entreprises du secteur concurrentiel, l'ouverture généralisée des marchés, tant dans le cadre européen que dans le cadre des négociations du GATT, puis de FOMC, s'est traduite dans les faits par un desserrement des contraintes pesant sur les échanges internationaux (droits de douane, quotas d'importation, normes techniques particulières pour les marchandises ou barrières non-tarifaires, contrôle des changes, des mouvements de capitaux, etc ...). Il en est

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résulté tout naturellement une accélération des processus d'échange entre les zones économiques les plus actives.

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Les statistiques du commerce international sont éloquentes à cet égard. De 1992 à 1999 tant les mouvements d'exportations que d'importations à l'intérieur de l'Union européenne ont cru de plus 50% en valeur; sur la même période les mouvements d'échange entre l'Union européenne et les Etats-Unis ont cru de près de 72% pour les importations et de près de 130% pour les exportations. Un coup d'œil rapide aux annexes 1 et Il confirme la croissance continue des échanges entre l'Union européenne et les différentes zones économiques du monde. Ces mouvements d'échange incorporent de plus en plus de services, de composants et de produits semi-finis; ils traduisent en fait une interdépendance croissante de l'économie mondiale: la mondialisation de l'économie semble aujourd'hui un phénomène incontournable.

D'ores et déjà, il est possible de risquer quatre constatations ressortant de cette nouvelle donne:

- Première constatation et première conséquence de la libéralisation et de la

dérégulation, encore renforcée par l'arrivée massive des nouvelles technologies, une accélération du processus d'évolution des entreprises. Cela se traduit par un bouleversement des situations acquises qui offre tout à la fois de nombreuses opportunités pour de nouveaux acteurs apportant des réponses plus pertinentes aux attentes des marchés et de probables sorties de scène pour les acteurs économiques incapables de redéfinir leurs modes d'existence interne ou leurs relations avec l'extérieur.

- Deuxième élément de cette nouvelle donne, une modification des positions

concurrentielles en fonction de la plus ou moins grande aptitude à réagir aux nouvelles sollicitations de la demande. Résultat des évolutions techniques et/ou de l'arrivée de produits d'importation concurrents ou substituables, dans certains secteurs plus exposés les positions concurrentielles sont remises en cause en permanence.

- Troisième élément, une modification des méthodes de travail, de production,

d'organisation allant jusqu'à la redéfinition de la mission même de l'entreprise. L'évolution des tâches conduit à la disparition de certaines fonctions, de certains métiers alors qu'apparaissent simultanément des activités dont le contenu est lui-même en redéfinition permanente.

- Quatrième élément et autre conséquence de la libéralisation et de la dérégulation, la

nécessaire prise de conscience de la part des pouvoirs publics de l'importance de l'environnement réglementaire. Accompagnant le processus de dérégulation, se développe une concurrence des territoires en matière administrative, réglementaire, juridique et fiscale, qui pousse à la délocalisation, voire à la transhumance des activités tout autant que les coûts des facteurs de production.

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1.2. Une dynamique de sélection des acteurs

Tout système qui veut survivre et se développer dans un champ de contraintes en déformation constante, doit nécessairement s'ajuster en permanence. Pour répondre au jeu mobile de cette nouvelle donne, les entreprises doivent développer des stratégies de plus en plus articulées, souples, dynamiques. En conséquence, l'impact de la libéralisation et de la dérégulation sur tel ou tel secteur de l'économie est d'autant plus repérable que les entreprises du secteur sont entraînées a saisir de nouvelles opportunités et capables de s'engager dans de nouvelles dynamiques. Concrètement cela veut dire tout à la fois: nouveaux produits, nouvelles diversifications, nouvelles méthodes de travail, nouveaux marchés (amont et aval), nouvelles pratiques commerciales, etc...

Le protectionnisme pouvait inciter à des comportements conservateurs, l'ouverture des marchés exige une réactivité permanente, face à ses fournisseurs tout autant que face à ses clients. La pression sur les prix exercée par les entreprises sur leurs fournisseurs est un élément non négligeable de la réduction des coûts de production. L'entreprise de demain, quand ce n'est pas déjà celle d'aujourd'hui, procédera plus de la logique du vivant, c'est à dire d'une sorte de jeu itératif d'ajustements incessants des acteurs, que d'une logique institutionnelle établie. L'entreprise performante et dynamique, prête à tirer parti des nouvelles ouvertures acceptera de relever le défi: dans cette disposition psychologique, elle ne retiendra que les avantages offerts par ces nouvelles possibilités d'évolution: libéralisation et dérégulation seront pour elle synonymes de développement et d'expansion. Tel ne sera pas le cas des structures moins souples ou des acteurs opérant sur des secteurs traditionnels offrant moins de degrés de liberté. Certes, il existe sans doute des micro-secteurs d'activité, des entreprises isolées vivant et prospérant sur une niche économique peu soumise à la concurrence: territoire géographique isolé, marché d' "aficionados", savoir-faire jalousement gardé comme la lutherie ou la dentelle, etc... Opérant dans un tel contexte marché/produit, certaines entreprises traditionnelles peuvent très bien ne tirer ni avantage ni désagrément de cette nouvelle donne, et finalement n'être en rien affecté par la libération des échanges. Mais, inversement, plus une entreprise est exposée à la concurrence européenne et internationale, plus elle est ouverte à l'extérieur, plus "libéralisation et dérégulation" sont d'abord et avant tout ressenties comme un implacable défi, comme une incontournable invitation à la compétition. Entre ces deux extrêmes coexistent bien sur toute une gamme de situation intermédiaires qui s'expriment comme autant de défis d'adaptation aux enjeux et aux contraintes différentes, selon la taille de l'entreprise, la localisation, le secteur d'activité, les implications technologiques, le marché, etc ...

Libéralisation et dérégulation ne font que poursuivre une évolution déjà engagée au cours des trente glorieuses. La richesse ne résulte plus du contrôle des matières premières par la force militaire ou la maîtrise d'une flotte de commerce. Elle ne résulte pas non plus du contrôle d'un monopole ou d'un marché national protégé par des tarifs douaniers ou des normes non-tarifaires spécifiques, mais bien plutôt de la capacité sans cesse remise en cause à répondre mieux, plus vite et moins cher aux diverses demandes du marché.

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1.3. Réduction des coûts ou multiplication des innovations

En fait tout s'imbrique, la mondialisation de l'économie et l'internationalisation de la concurrence obligent à réduire les coûts. C'est le résultat de l'amélioration des performances commandé par les nouvelles contraintes de la concurrence Les entreprises sont ainsi entraînées dans un cycle de restructuration permanente, dans une course à la compétitivité qui implique nécessairement la recherche d'un effet de taille pour réduire les coûts de production unitaires et donc corrélativement pousse à la conquête de nouveaux marchés pour écouler les nouvelles quantités produites. L'entreprise est "nolens volens" engagée dans une succession de processus de croissance et de restructurations. Locale, elle vise un marché régional; régionale, elle vise un marché national; nationale, elle vise un marché européen. Tout l'y incite: marche unique, normes harmonisées ou extensibles à toute l'Union européenne (arrêt cassis de Dijon) et bientôt monnaie unique dans la zone Euro. Quand aux entreprises ayant la taille européenne, elles sont déjà à la recherche de la dimension mondiale! Dans le secteur privé ou secteur concurrentiel, cela doit nécessairement entraîner la marginalisation ou la disparition des entreprises qui ne peuvent «plus suivre », soit parce qu'elles sont dans l'incapacité de vraiment réagir (faiblesse structurelle de l'entreprise), soit parce quelles sont enserrées dans un système de contraintes qui, quoiqu'elles fassent, ne les mettra jamais en condition d'être compétitives face à des concurrents opérant dans un cadre économique plus ouvert. A cet égard, les entreprises sont amenées à développer à l'égard des contraintes publiques (cadre juridique et réglementaire, fiscalité) une analyse coût/bénéfice comparable à celle développée à l'égard de leurs fournisseurs. Lorsque l'ensemble des contraintes auxquelles la firme est soumise ne lui permet pas d'être concurrentielle dans le jeu mondial, elle sait, qu'à défaut de se retirer elle-même du jeu, elle en sera tôt ou tard exclue. Cependant cette quête continue de gains de productivité a une limite en quelque sorte asymptotique, lorsqu'elle s'applique à des activités dont la croissance des marchés est limitée. En Europe, citons à titre d'exemple la consommation alimentaire ou les biens d'équipement des ménages limités nécessairement par l'évolution démographique. La libéralisation des marchés a certainement eu pour conséquence une baisse importante des coûts de production de nombreux biens ou services. Cependant après la phase de recherche systématique des facteurs de production les moins chers au niveau mondial, la poursuite d'une nouvelle phase de pression sur les prix reposera beaucoup plus, au plan économique, sur l'aspect élargissement des marchés et recherche d'économies d'échelle. En matière réglementaire, il est attendu des politiques de dérégulation qu'elles contribuent à la meilleure position concurrentielle des entreprises européennes.

En fait la dynamique de la nouvelle économie mondiale procède simultanément de deux logiques:

• Une première logique vise à l'élargissement continu des marchés, elle s'applique aux produits de consommation de nécessité usuelle qui relèvent de la production de masse: produits alimentaires et boissons, secteur de l'habillement et du textile, produits d'entretien, objets domestiques divers, etc ... Pour ces produits, libéralisation et dérégulation des marchés conduisent à un accroissement des quantités produites, induisant une réduction générale des prix de l'offre. C'est l'un

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des moteurs du développement de la grande distribution que de relayer jusqu'au consommateur final les gains de productivité résultant de la production de masse.

• Une seconde logique stimule une dynamique de création permanente de nouveaux produits permettant aux entreprises de s'affranchir de la problématique concurrence au niveau des coûts pour mieux s'affronter au niveau de la capacité à créer de nouveaux produits ou des produits totalement renouvelés. La comparaison des prix devient dès lors très complexe quand ce n'est pas impossible. Comment se prononcer lorsqu'il s'agit de risquer une comparaison entre tel ou tel ordinateur ou appareil photo, entre un téléphone fixe standard 1980 et un téléphone portable 2éme génération aux fonctions complexes, déja condamné par le "3éme génération promis pour demain? Il est évidemment plus immédiat de statuer sur le prix du pain ou de la bière, d'un kilo de pommes ou d'un litre de vin !

1.4. L'Etat change de rôle, les hommes doivent redéfinir le leur?

Un certain nombre d'entreprises qui restaient toutefois en dehors de ce vaste marché planétaire sont appelés à le rejoindre. Le plus souvent pour des raisons historiques ou politiques, parfois sans justification économique, certaines activités se sont développées à l'initiative ou sous le contrôle de la puissance publique. Dans chaque Etat certaines sociétés ont opéré ainsi longtemps en situation de monopole ou de quasi monopole: compagnies aériennes ou de chemin de fer, industries de l'armement, industries liées à la production d'énergie (électricité, pétrole, gaz), activités de réseaux (télécommunications, transmissions radio-télévisées, poste). Gérées par la puissance publique pour répondre à des objectifs définis dans un cadre politique, ces entreprises bénéficiaient de subventions ou de dotations particulières et devaient en contre-partie assurer certaines missions de services publics ou satisfaire aux exigences particulières des autorités de tutelle.

Parmi ces activités, certaines peuvent sans doute ressortir effectivement de missions dites de "service public" alors que d'autres, de par leurs compétences, métiers ou missions, sont tout naturellement destinées à rejoindre la règle générale. C'est ainsi qu'à l'intérieur de l'Union européenne, la nécessité de décloisonner les économies, le souci d'établir des règles communes de concurrence claire et loyale et d'éviter les distorsions de concurrence liées aux politiques publiques a conduit à une réflexion approfondie sur la notion de service public. La production d'énergie ou de services de transport, a fortiori de cigarettes ou d'alcool, a ainsi été renvoyée aux règles du jeu de l'économie générale.

Ce qu'il conviendrait d'appeler la désétatisation est une mesure défendue à l'origine par le courant des "économistes de l'Offre" qui considèrent que l'Etat, par son intervention dans la sphère économique, vient augmenter les rigidités de l'offre. Le mouvement général de libéralisation et de dérégulation qui vise à un désengagement de l'Etat de l'activité économique a donc comme première conséquence de sortir les Etats du rôle d'acteur économique. Les Etats sont d'une certaine manière les premiers concurrents évincés du jeu. Leurs missions d'intervention comme nous le verront dans le chapitre suivant doivent être réduites au minimum, conformément à une logique de subsidiarité, qui leur enjoint de n'intervenir que si leur intervention est indispensable. L'Europe est un bel exemple à cet égard. Tout en favorisant l'établissement d'un vaste marché intérieur ouvert de façon égale à tous ses acteurs

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économiques, elle n'a pas manqué d'établir une nouvelle réglementation (de l'ordre de trois cents directives) et mettre en place des autorités de régulation indispensables au bon fonctionnement de son marché intérieur. Les processus de privatisation ou de dénationalisation ont conduit au retrait de l'Etat en tant qu'acteur économique, la dérégulation prolonge cette démarche de retrait: c'est d'abord et avant tout la suppression de l'intervention de l'Etat dans le fonctionnement des acteurs économiques par l'intermédiaire de subventions ou de réglementations propres à tel ou tel secteur. Le nouveau rôle dévolu à la puissance publique est au plan économique celui de veiller au respect des règles de concurrence et sur le plan technique celui de veiller aux règles de santé et de sécurité publique. Les entreprises ne fonctionnant pas sans les hommes, la capacité de plus grande adaptation, de plus grande réactivité requise pour affronter la concurrence se traduit implicitement par la recherche de nouvelles règles sociales. C'est en fait la plasticité des hommes qui fait la plasticité des structures. L'ensemble de cette nouvelle donne impose une nécessaire évolution et adaptation des liens entre l'homme et le travail. Ainsi la compétitivité de l'entreprise passe-t-elle par la compétitivité des hommes au travail, la mise en concurrence des entreprises conduit-elle à la mise en concurrence des salariés contraints à leur tour de gérer leur "employabilité". Celui qui offre son travail doit à son tour analyser son marché d'emploi et adapter l'offre de services qu'il fait aux entreprises. Cela passe par une plus grande mobilité du travail entre les secteurs économiques et entre les régions donc par une amélioration du transfert des droits sociaux et des droits à pension. Cela passe aussi sans doute par une modernisation de l'organisation du travail offrant plus de souplesse tout à la fois aux entreprises et aux travailleurs: réexamen des législations instituant une protection de l'emploi rigide, évolution des cadres contractuels: horaires de travail souples et annualisés, travail à temps partiel, travail indépendant, etc ... Cela suppose encore au niveau des hommes une ouverture continue tout au long de la vie à l'éducation, l'apprentissage et la formation professionnelle, le progrès technique reposant sur une éducation de qualité et permanente. 2. Dans le cadre européen, une nouvelle vision de 1'économie publique

2.1. L'Europe dans l'économie globale

Il semble aujourd'hui admis que la meilleure garantie de la réalité concurrentielle réside dans l'établissement de la liberté totale du commerce et de l'industrie au niveau international; le choix de la libéralisation et de l'ouverture des marchés conduit ainsi logiquement à l'avènement d'un grand marché mondial. Ce phénomène de la globalisation de l'économie a été identifié, par le Conseil européen de Turin, comme un des défis majeurs auquel l'Union européenne doit aujourd'hui faire. Lors de ce Conseil, il a été reconnu comme un processus d'intégration croissant de l'activité économique mondiale dont les moteurs principaux sont les suivants:

• la libération des échanges internationaux et des mouvements de capitaux;

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• l'accélération du progrès technologique et l'avènement de la société de l'information;

• la dérégulation.

En outre, il a été observé que ces trois éléments se renforçaient réciproquement puisque le progrès technologique stimulait les échanges internationaux et que le commerce mondial permettait une meilleure diffusion des progrès technologiques. Parallèlement, la dérégulation stimule le développement des nouvelles technologies et contribue à supprimer les obstacles aux échanges. Au-delà même, il est à craindre que ce progrès technologique ne permette 'aux entreprises ou aux particuliers de contourner plus aisément les régulations nationales, s'autorisant ainsi de nouvelles franchises de dérégulation.

2.2. L'inspiration néo-libérale des traités

Les structures de l'économie publique ont connus au sein de l'Union européenne des changements considérables depuis une vingtaine d'années. On ne peut ignorer que la cause première résulte du contenu même des traités. En principe, les traités successifs de Rome, de Maastricht ou d'Amsterdam ne réservent aucun traitement spécial aux entreprises publiques. Ils sont donc neutres à l'égard de la nature, publique ou privée, des entreprises, à l'égard des nationalisations comme des privatisations: c'est la conséquence de l'article 295 qui laisse aux Etats membres toute liberté quant au régime de propriété. De même, ils ne prévoient aucun régime spécial pour les entreprises publiques en tant que telles: elles sont soumises aux mêmes règles que les autres, en particulier celles de non-discrimination nationale à la dérégulation de certains secteurs d'activité et à et de concurrence, et les États ont l'obligation expresse de s'abstenir de toute mesure qui tendrait à les en affranchir (article 86 § 1). Ainsi le respect des principes de liberté économique inclus dans ces traités conduit logiquement leur transfert au domaine de l'économie concurrentielle.

La construction du grand marché intérieur s'inscrit avant tout dans une logique d'économie de marché stimulée par l'exercice du jeu concurrentiel. La recherche d'une concurrence parfaite entre les opérateurs de l'Union européenne suppose donc la suppression de toutes les formes d'exemptions, de situations de monopoles et la condamnation de toutes les formes de subventions directes ou déguisées conduisant à des distorsions de concurrence. Un tel changement du paysage économique ne pouvait pas ne pas affecter l'économie publique dans sa plus large acception. Cela a concerné tout d'abord le classique secteur des entreprises publiques opérant avant tout dans un cadre national plus ou moins protégé et désormais contrainte à entrer dans la logique des marchés. Obligation leur a été faite de réduire leurs coûts de production et de redéfinir leurs portefeuilles d'activités en terme de sources de profits ou de pertes. La pratique de subventions pouvait permettre la production à perte; la détention de situations de monopole pouvait inversement permettre de pratiquer par ailleurs des prix anormalement élevés; la combinaison des deux pouvait autoriser une gestion par arbitrage entre des activités en permanence génératrices de pertes et des activités protégées rémunératrices assurant ainsi un équilibre comptable à l'ensemble de l'entreprise.

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L'ouverture généralisée à la concurrence a rendu caduques ces situations artificielles qui ne pouvaient subsister que grâce à la complicité de la puissance publique. Ainsi replacées dans le jeu de l'économie de marché, ces entreprises se sont trouvées dans l'impérieuse nécessité de maîtriser et de réduire leurs coûts de production et de s'organiser pour équilibrer leurs comptes d'exploitation et dégager des profits, conditions indispensables pour investir et soutenir des stratégies de développement. Dès lors la question de la remise en cause des missions de service publique était inévitable, tant il apparaissait logique que le nouvel impératif de compétitivité condamnait les entreprises à abandonner progressivement les activités peu ou pas rentables. La plupart des entreprises publiques étaient en général sous capitalisées, leur privatisation les a conduites à rechercher des capitaux privés et donc a nécessairement renforcés leur évolution vers des structures rentables capables de rémunérer les capitaux utilisés à un niveau équivalent à celui couramment obtenus par les acteurs privés opérant sur les mêmes marchés. Cette impérieuse nécessité de travailler avec des capitaux levés sur le marché financier n'a fait que renforcer le désintérêt pour la production de services peu rémunérateurs. La cotation de ses entreprises sur le marché boursier pousse tout naturellement le management à surveiller le cours de l'action, ce qui l'incite à réduire la part des activités de l'entreprise susceptible de l'affecter négativement. Dans une logique de compétition économique les objectifs prioritaires des entreprises se classent par ordre de profit décroissant, les missions de services publics peu rémunératrices se retrouvent en bas de classement, prêtes à être évacuées du cadre des activités de l'entreprise. En fait la déréglementation des services publics, nécessaire dans un premier temps comme le seul moyen d'établir l'égalité des acteurs au sein du marché européen ne peut faire l'économie d'une réflexion sur l'art et la manière d'imaginer une nouvelle organisation des prestations de service public. Peut-être cela ouvre-t-il une perspective de "re-régulation compétitive", c'est à dire de l'ouverture de marchés publics de missions de services publics, marchés publics objets d'un code adapté aux spécificités des différentes missions identifiées.

2.3. Biens publics et biens marchands

Les économistes établissent une différence entre les biens dits "publics" et les biens marchands. Les biens publics sont des biens qui échappent à la logique du marché, parce qu'il est impossible de leur appliquer un calcul coûts-avantages. Ces biens ne peuvent donc être produits et consommes que suivant des procédures non marchandes, ce qui implique que leur financement se fasse nécessairement par un prélèvement obligatoire (impôt ou cotisation sociale). Les deux caractéristiques des biens publics sont:

- Leur indivisibilité (ou non-excluabilité): on ne peut en fractionner ni la production ni la consommation, par exemple la défense nationale est produite "globalement" pour tous les citoyens, on ne peut la réserver à quelques-uns d'entre eux seulement; ainsi nul ne peut être exclu de la consommation d'un bien public, et nul ne peut prétendre se l'approprier.

- Leur extensibilité (ou non-rivalité): la consommation des uns ne diminue pas la

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consommation des autres, par exemple le spectacle d'un panorama, la jouissance d'un climat peuvent être appréciés par un nombre très élevé (sinon infini) de personnes sans qu'aucune d'entre elles n'en souffre.

L'ensemble de ces caractéristiques rendent en effet le bien public non marchand. Les informations indispensables à un marché n'existent pas, ou seraient trop onéreuses. En particulier, on ne peut pas identifier les consommateurs de biens publics, donc on ne peut pas les faire payer. A l'inverse, on ne voit pas pourquoi un consommateur paierait pour un bien public qui est proposé ou accessible à tous (comportement de "free rider": laissons les autres payer). Dans ces conditions, aucun entrepreneur marchand ne peut être tenté de produire un bien public qui ne serait susceptible d'être payé par personne, et qu'il devrait fournir à tous. Là où l'entreprise et le marché défaillent, l'Etat doit donc intervenir, et prendre en charge cette production, en faisant payer de force tout le monde (prélèvement obligatoire). Cette analyse lie bien public et information. Par conséquent, tout changement dans les techniques d'information peut transformer un bien naguère public en bien marchand. C'est le cas pour la télévision: en passant de la diffusion par ondes hertziennes à la diffusion par câble ou par télécommunication (satellite), on peut repérer le téléspectateur, identifier la qualité et la quantité des émissions qu'il consomme. On peut alors lui facturer une prestation, et lui couper l'émission s'il refuse de payer: le bien public (TV classique) est devenu bien marchand, et la redevance forfaitaire peut laisser place à un abonnement ou à une facturation à l'unité. Compte tenu de ces remarques, on peut se demander s'il existe tellement de biens publics aujourd'hui. La défense collective sûrement, la police et la justice peut-être. Mais, au-delà, s'agit-il de biens publics? Les autres produits ou prestations sont susceptibles d'identification et d'appropriation, de sorte qu'ils peuvent être gérés par une procédure marchande. Si on continue à les soustraire au marché, c'est davantage par choix politique que par nécessité économique. La santé, l'éducation, la culture sont d'excellents exemples de cette extension artificielle du concept de bien public.

2.4. Entreprises et entreprises

De façon générale, toutes les entreprises présentes sur un marché répondent ou s'efforcent de répondre à une demande. Elles s'acquittent de leur mission en offrant des biens et/ou des services correspondant aux besoins ou aux attentes de leurs clients (consommateurs finaux ou autres entreprises, ce que l'on appelle le "business to business"). Cependant quelles que soient les capacités des entreprises du secteur prive a assurer l'offre de biens et de services la plus étendue possible, il n'en reste pas moins que, soumises au jeu concurrentiel de plus en plus sévère de la mondialisation et obligées de rémunérer les capitaux qu'elles utilisent, elles ont une tendance naturelle à sélectionner les activités les plus rémunératrices.

Ce faisant, elles laissent de côté, outre la demande non solvable, la fraction de la demande solvable qui ne permet pas une rémunération suffisante du coût des facteurs de production engagés. C'était et c'est encore l'une des justifications du secteur des services publics que d'assumer certaines missions économiques que la seule loi de l'intérêt économique ne suffirait pas à faire perdurer. Dès l'origine de la Communauté européenne, il était apparu que certains acteurs économiques pourraient présenter des difficultés pour l'application stricte de certaines règles du traité de

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Rome, notamment celles de libre circulation et de concurrence. En fait cela concerne avant tout les entreprises publiques et les entreprises auxquelles les autorités publiques ont accordé des droits particuliers, notamment pour les aider à s'acquitter des missions d'intérêt général qu'elles leur ont confiées (services publics). C'est pourquoi le traité (article 86), tout en assujettissant ces entreprises à l'ensemble de ces règles, a prévu, si cela s'avère nécessaire, la possibilité de les en exempter partiellement pour leur permettre de remplir leurs missions particulières. En fait rien n'interdit à une entreprise privée d'exécuter des missions de service public, la mise en compétition d'entreprises privées sollicitées par appel d'offres pour fournir une gamme de prestations définies peut avoir des effets bénéfiques: diversités de solutions proposées, incorporation de composants disponibles sur le marché, donc au meilleur coût, révision régulière des termes techniques et économiques a chaque passation de marché. Le problème est en fait de définir la manière dont la puissance publique fait exécuter les missions de service public quelle juge indispensable d'assurer au public, il lui revient d'en définir l'étendue et le contenu, de définir les procédures de sélection des opérateurs retenus pour des périodes déterminées et d'imaginer un système de compensation économique qui ne fausse pas les jeux de la concurrence et soit suffisamment attractif pour mobiliser des opérateurs.

2.5. Service public et secteur public

Notons, tout d'abord, que l'on confond souvent à tort "service public" avec "secteur public" (y compris fonction publique), c'est-à-dire mission et statut, destinataire et propriétaire. Le "secteur public" peut s'entendre comme un ensemble réunissant les entreprises dont le capital appartient en proportion majoritaire ou intégralement à l'État. Ces entreprises peuvent avoir pour objet la production de biens considérés comme "publics", mais elles peuvent aussi opérer dans le secteur concurrentiel, c'est-à-dire dans un champ d'activité économique où fonctionnent déjà des entreprises privées (banques, assurances, transports aériens ou ferroviaires, télécommunications, poste, diffusion radio ou télévisée etc.). Les "monopoles" publics n'ont longtemps conservé cette caractéristique que parce que la loi interdisait artificiellement toute libre entrée sur les marchés correspondants. La notion de "service public" est imprécise et prête à débat selon que l'on retient une acception sensu stricto ou une acception plus large. Dans son acception étroite, la notion de service public renvoie à des services non marchands, payés par l'impôt. Dans une acception plus large, elle peut englober des organismes publics ou assimilés. Cette lecture à périmètre variable a souvent été le prétexte d'une extension de l'intervention étatique et, selon les Etats, tel ou tel type d'activité ou de service s'est trouvé normalement inclus ou exclu du classement. Les administrations qui rendent des services publics ne sauraient en aucun cas se confondre ni avec le secteur des services publics marchands, ni a fortiori avec "le secteur public".

S'agissant de l'accomplissement de missions d'intérêt général, les puissances publiques, nationales ou européennes, ont toujours considéré comme étant de leur devoir d'en préciser l'étendue, le contenu et les bénéficiaires. A son tour, la notion de service public a un double sens: tantôt elle désigne l'organisme de production du service, tantôt elle vise la mission d'intérêt général confiée à celui-ci. C'est dans le but de favoriser ou de permettre l'accomplissement d'une mission d'intérêt général particulière que des obligations de service public spécifiques peuvent

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être imposées par l'autorité publique à l'organisme de production du service. C'est le cas, par exemple, en matière de service postal, de transport terrestre, aérien ou ferroviaire ou encore en matière d'énergie. Ces obligations peuvent s'exercer à l'échelon national ou régional. Pour éviter que soit laissée dans l'ombre la fraction de la demande qui est non solvable ou la fraction de la demande qui ne permet pas à l'entreprise de rémunérer correctement le coût des facteurs de production engagés, les institutions de l'Union européenne ont développé le concept de service universel. Il définit un ensemble d'exigences d'intérêt général auxquelles devraient se soumettre dans toute la Communauté certaines activités comme les télécommunications ou la poste, par exemple. Les obligations qui découlent de ces exigences visent à assurer partout l'accès de tous à certaines prestations essentielles, offertes à un niveau de qualité suffisant et à un prix abordable.

2.6. Services d'intérêt général et services d'intérêt économique général

Les services d'intérêt général désignent les activités de service, commercial ou non, considérées d'intérêt général par les autorités publiques, et soumises pour cette raison à des obligations spécifiques de service public. Ils regroupent les activités de service non économique (système de scolarité obligatoire, protection sociale, etc.), les fonctions dites "régaliennes" (sécurité, justice, etc.) et les services d'intérêt économique général (énergie, transport, communications, etc.). Rappelons que les conditions de l'article 86 (ex-article 90) du traité ne s'appliquent pas aux deux premières catégories (activités de service non économique et fonctions dites "régaliennes"), elles s'appliquent qu'aux activités qualifiées de "services d'intérêt économique général". Les services d'intérêt économique général désignent des activités de service à caractère commercial, remplissant des missions d'intérêt général, et soumises de ce fait par les Etats membres à des obligations spécifiques de service public (article 86 -ex article 90- du traité CE). C'est le cas en particulier des services en réseaux, de transport, de fourniture d'énergie ou de communication. Un nouvel article 16 a été inséré dans le traité instituant la Communauté européenne par le traité d'Amsterdam. Cet article reconnaît la place occupée par "les services d'intérêt économique général" au sein des valeurs communes de l'Union européenne ainsi que leur rôle dans la promotion de la cohésion sociale et territoriale de l'union; il établit que ces services doivent fonctionner sur la base de principes et dans des conditions qui leur permettent d'accomplir leurs missions.

Ces principes étant posés, comment peut-on s'assurer toutefois, sans la pression de la concurrence, que tel produit ou tel service est proposé au meilleur coût. A ce stade peut-être est-il utile de distinguer deux catégories de services d'intérêt économique général. En effet certains services peuvent parfaitement relever de la production privée, soit en tant que sous-produits d'activités ordinaires, soit en tant que produits spécifiques issus du fonctionnement du secteur associatif ou coopératif, encore appelé "Troisième système": dans ce cas le jeu normal de la mise en concurrence doit conduire à une élévation du rapport prestations/prix. Deuxième catégorie, celles des services d'intérêt économique général assurés par un organisme en situation de monopole pour lesquels, en dehors de toute base de comparaison, il semble très difficile, voire impossible, d'affirmer qu'il opère effectivement au coût minimum.

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Prenons l'exemple de la production et de la vente d'électricité, la question concrète peut se formuler ainsi: à quel prix l'autorité publique doit-elle fixer le prix de vente de l'électricité? La théorie économique montrerait que la solution qui utilise le mieux les ressources de la collectivité conduit à vendre le kWh à son coût marginal (le coût du dernier kWh produit). Ce coût est inférieur au coût moyen puisque le coût du dernier kWh décroît avec les quantités produites, il condamne donc l'organisme producteur à vendre à pertes.

Il est certainement possible de calculer un prix de vente intégrant cette contrainte, mais, en l'absence d'éléments de comparaison, qui peut prouver que les choix techniques sont optimaux, que l'organisation choisie est la meilleure? Qui peut affirmer qu'à chaque niveau d'activité le coût auquel on travaille est le plus faible possible, et donc que le coût moyen obtenu est le meilleur coût réalisable. Ajoutons que la pratique d'une grille de prix artificielle modifie elle-même l'équilibre de la demande, donc les quantités qui seraient naturellement formulées par la préférence des consommateurs. En fait, dans l'absolu, en dehors de tout cadre de comparaison, il est très difficile de pouvoir affirmer que les prix proposés pour tel ou tel bien ou service sont optimaux. Sans la pression de la concurrence, il est impossible pour un acteur isolé, travaillant en situation de monopole, d'affirmer qu'il produit au coût minimum. Dans cette nouvelle situation l'obligation faite aux entreprises publiques de fournir une gamme de services universels à haut niveau de qualité et à un prix socialement acceptable les condamnait à ne pas pouvoir entrer dans la compétition du marché à armes égales tant que le principe d'une compensation pour production de prestation à pertes n'était pas établi. L'interdiction du recours aux subventions conduit nécessairement à envisager de nouvelles stratégies de financement de ces services, tant il est incontournable que qu'une entreprise fournissant des produits ou services à un prix inférieur à leur coût de production doit nécessairement trouver une forme de compensation pour exister durablement. Seule nous reste la possibilité, avec le secours des séries statistiques, lorsqu'elles sont disponibles et fiables, d'établir des comparaisons chronologiques. A défaut de possibles exercices de comparaison dans le champ concurrentiel, pouvons nous observer des évolutions, des tendances traduisant une amélioration de la productivité. La question pourrait se reformuler ainsi: sur une période donnée, les processus de libéralisation et de dérégulation de l'économie ont-ils contribué pour le consommateur à une baisse ou à une hausse du coût des prestations offertes? 3. Quelques conséquences pour les services d'intérêt économique général Le développement général de l'économie mondiale sur une base plus libérale a sans doute aidé et incité la Communauté à s'engager dans la libéralisation des services. Mais dans le contexte européen le véritable enjeu reste la construction européenne qui se développe depuis l'Acte unique autour de l'intégration en profondeur des économies de la Communauté. Les interventions des gouvernements, qu'elles soient sous forme de réglementation, d'impôts ou de subventions, modifient la structure des coûts et des profits des acteurs économiques. Ce sont des instruments de politique qui conduisent les agents privés à affecter les ressources d'une manière différente de celle qu'ils auraient spontanément choisis. Les interventions contre la

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concurrence les impôts et les réglementations économiques ont le même résultat, à savoir de créer des déséquilibres et de modifier le calcul coût-avantage des agents privés. Le but de ces différentes interventions est en général de réduire ou d'augmenter la production ou la consommation d'un bien particulier. Le retour vers la règle générale, donc vers la vérité du marché des "services d'intérêt économique général" implique un retour vers la vérité du rapport offre-demande et donc un retour vers la vérité des prix. 3.1. L'évolution des coûts des services d'intérêt économique

Sur la base de données statistiques EUROSTAT, nous nous sommes attachés à réunir quelques données chiffrées couvrant l'ensembles des pays de l'Union européenne pour différents services d'utilité majeure, traditionnellement produits dans le cadre de structures du secteur public et aujourd'hui "dénationalisé", c'est-à-dire confié, dans la plupart des cas, à des acteurs opérant dans le champ de l'économie concurrentielle. Ont ainsi été réunis les documents suivants:

• Evolution de l'indice général des prix dans l'Union européenne pour les produits suivants:

1 - Indice tous produits

2 - Produits alimentaires et boissons non alcoolisées 3 - Articles d'habillement et articles chaussants 4 - Adduction d'eau 5 - Enlèvement des ordures 6 - Energie 7 - Electricité, gaz, combustibles solides et chaleur 8 - Electricité 9 - Gaz 10 - Ameublement, équipement ménager et entretien courant de la maison

11 - Appareils de chauffage et de cuisine, réfrigérateurs, machine à laver et autres gros appareils ménagers, y compris accessoires et réparations

12 - Transports 13 - Services de transport 14 - Transport de voyageurs par chemin de fer 15 - Transport de voyageurs par route

16 - Transport de voyageurs par air 17 - Communications

18 - Services postaux 19 - Services de téléphone et de télécopie 20 - Protection sociale 21 - Eau chaude, vapeur et glace 22 - Coût du Km transport-passager par chemin de fer 23 - Coût du Km transport-passager par air 24 - Communications 25 - Services postaux 26 - Téléphone et téléfax (équipement et services) 27 - Indice général des services

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• Evolution du prix du gaz pour l'industrie de l'Union européenne.

• Evolution du prix de l'électricité pour l'industrie de l'Union européenne.

• Evolution du prix de l'électricité pour les consommateurs domestiques de l'Union européenne. La force du progrès technique se lit dans la baisse des prix industriels, notamment de ces produits industriels liés à l'électronique, et dans la baisse des coûts de transport et de communication. Ces baisses se comptent en dizaines de pour-cent, et elles se produisent dans une large partie des économies nationales, deux raisons pour qu'elles aient des effets puissants. 3.2. Facteurs d'explication de 1 évolution des coûts des services d'intérêt économique

général

• Baisse plus significative des produits pour lesquels la compétition mondiale est plus

importante, donc l'effet concurrence plus fort.

• L'incorporation de certains facteurs, disponibles à moindre coût sur le marché mondial peut suffire à expliquer la baisse du coût de certains services. La recherche systématique d'économies au niveau de ses fournisseurs est sans doute le premier moyen de faire bénéficier ses usagers des conséquences de la libération et de la dérégulation.

• Inversement moindre baisse pour les produits ou services moins directement soumis

au jeu de la concurrence mondiale. Ainsi les services incorporant beaucoup de main-d'œuvre locale sont moins susceptibles d'opérer une baisse importante de leurs tarifs. C'est notamment le cas de l'eau, nécessairement produite et traitée sur place.

• La question se pose de savoir dans quelle mesure les évolutions de prix observées

dans certains pays sont le seul résultat du jeu des forces économiques ou la résultante combinée des évolutions du marché et des remises en cause de la structure des aides publiques. Ainsi certaines augmentations constatées ne sont-elles que la répercussion de la suppression de certaines subventions ou franchises fiscales.

• Les entreprises ou organisations pourvoyeuses de services d'intérêt économique

général peuvent tout autre acteur économique réaliser des économies d'échelle et des gains de productivité en réorganisant leurs taches de façon plus systématiques: services commerciaux, facturations, services techniques d'utilité commune.

4. Quelques conséquences pour les économies émergentes

Des entreprises déménagent tout ou partie de leur production vers des pays où les conditions de production sont plus favorables (pour des raisons liées au coût du travail, à la fiscalité, aux normes de sécurité et environnementales, à la proximité de matières premières). Les adversaires

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de la mondialisation voient dans la délocalisation une cause du chômage dans les pays dits avancés. Pourtant elle permet d'une part de produire (et donc d'acheter) moins cher et d'autre part de transmettre la dynamique du développement économique aux pays pauvres. Dans ce jeu de compétition et de concurrence mondial, les entreprises sont en recherche permanente de combinaisons de production optimales. Elles sont donc en recherche de facteurs de production de plus en plus compétitifs, c'est à dire, à cahier des charges identiques, accessibles à moindre coût. Cette demande exprimée par les économies développées doit logiquement se traduire par un effet d'accroissement de la demande sur les marchés des économies émergentes. Cela devrait être ressenti par de nombreux pays en situation de hors-jeu économique comme une incitation à participer au jeu économique mondial. Les dragons du sud-est asiatique ou l'Irlande au sein de l'Union européenne sont des exemples récents d'économies traditionnelles ayant rejoint avec succès l'économie globale. Mais le protectionnisme n'est pas non plus une bonne chose pour les producteurs nationaux; il leur ôte des débouchés (car les pays étrangers prennent des mesures de rétorsion) et surtout il laisse les producteurs nationaux, non soumis à la rigueur de la concurrence étrangère, "s'endormir" au lieu de s'adapter. Le protectionnisme, supprimant l'aiguillon de la concurrence étrangère, n'est pas un facteur de progrès, mais de stagnation économique et de faible productivité. Même pour des pays peu développés, l'existence d'une concurrence étrangère est un bon stimulant, et l'on sait qu'ils compensent leur éventuel retard technique par des coûts salariaux plus faibles par exemple. Ce sont d'ailleurs les pays en voie de développement les plus ouverts aux échanges internationaux qui ont connu le décollage le plus rapide, comme le montre l'exemple des NPI (Nouveaux pays industrialisés), en particulier ceux du Sud-Est asiatique, tandis que ceux qui refusaient l'ouverture internationale s'enfonçaient dans la misère. A titre d'exemple, les activités de sous-traitance conduites dans le cadre de cahiers des charges rigoureux sont un élément certain de transfert de technologies, de formation des hommes aux critères de production les plus élaborés et donc de développement économique local. Même les transferts de compétence relevant des tâches les plus simples conduisent nécessairement à un apprentissage des savoir-faires industriels. Plutôt que d'opposer aide et commerce selon une formule qui a fait florès "trade, not aid", pourquoi ne pas préférer les associer: "trade and aid"? La distribution dans ces pays de revenus et de salaires doit à son tour stimuler la demande de produits locaux, avec un effet favorable pour l'agriculture, l'artisanat ou la petite entreprise. Cette observation illustre sans doute de façon simple ce qu'est le processus qualifié de mondialisation: une décision d'investissement prise en Europe peut se traduire dans les faits par une succession de contrats de sous-traitance et de fourniture mettant en jeu des acteurs économiques répartis sur toute la planète. Conduisant ainsi à une diffusion élargie des activités de production, l'ouverture des marchés peut être un facteur de généralisation du développement économique peut-être plus efficace que l'aide traditionnelle au développement, de nature beaucoup plus sociale qu' économique. Contrairement aux approches de planification trop souvent en décalage par rapport au marché, les activités induites par la demande correspondent à un marché réel, ont donc des débouchés effectifs.

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5. L'hébergement fiscal, est-il une activité économique?

La semaine dernière, les ministres européens des Finances se sont réunis à Lisbonne pour tenter d'aboutir à un consensus sur l'harmonisation fiscale entre les membres de l'Union européenne. Bien entendu, on n'a pas beaucoup avancé et, au terme de cette réunion, il semble que l'accord sur l'harmonisation fiscale entre les différents membres de l'Union ne soit pas prêt d'être obtenu. En effet, de nombreuses dissensions sur le "paquet fiscal" existent encore, notamment entre le Royaume-Uni et l'Allemagne, le Luxembourg, l'Autriche et le Portugal. Bien que l'objet du débat porte essentiellement sur le système d'échange d'informations fiscales entre les administrations des pays membres et la question de la retenue à la source, ces problèmes semblent marginaux par rapport à la question de fond: le niveau des impôts et des taxes. En effet, cette question est d'autant plus importante qu'il s'agit également de savoir comment le niveau européen des impôts et des taxes sera déterminé. L'harmonisation doit-elle se faire au terme d'un accord entre les différents membres ou doit-elle résulter d'un processus de concurrence fiscale entre les différents membres? Les conséquences seront vraisemblablement très différentes selon la méthode utilisée. Une analyse des conséquences que pourrait engendrer un accord entre les Etats membres de l'Union, en vue d'obtenir une harmonisation des impôts et des taxes à l'échelle européenne, pourrait aboutir à des conclusions négatives pour les "citoyens" européens, qu'ils soient consommateurs, entrepreneurs ou épargnants. En effet, il semble peu probable qu'au vu des grandes différences fiscales qui existent entre les pays européens, un accord puisse aboutir par exemple à harmoniser les impôts et les taxes sur les pays qui ont les niveaux les plus faibles. Il semblerait beaucoup plus évident que l'harmonisation fiscale se fasse sur la base d'une "moyenne". Les conséquences d'une telle harmonisation pourraient certes améliorer la situation des citoyens européens qui résident dans les pays européens où la fiscalité était très élevée, mais il n'empêche que de nombreux autres citoyens, lesquels résident dans des pays où la fiscalité est faible, comme le Royaume-Uni, le Luxembourg ou les Pays-Bas, se trouveraient dans une plus mauvaise situation. Ces pays qui étaient parvenus à réduire de façon importante le chômage, à relancer la création d'entreprise et l'investissement, se retrouveraient inévitablement à combattre leurs vieux démons. Il semble inéluctable de conclure qu'une harmonisation fondée sur la base d'un accord entre les États-membres se révélerait extrêmement pernicieuse pour les Européens. En outre, la concurrence fiscale, comme n'importe quelle concurrence, ne peut "s'organiser" par le haut. C'est d'abord un processus spontané. En réalité, la solution du processus "spontané" de concurrence fiscale, pour aboutir à l'harmonisation, semble de loin la meilleure des solutions. L'Europe est marquée par de nombreuses différences entre les États-membres au niveau de la fiscalité, qui est en particulier l'une des principales caractéristiques de l'interventionnisme. Ces différences ont d'ores et déjà porté leurs effets. Déjà depuis quelques années, on a pu voir que les pays où la fiscalité était la plus faible, attiraient de plus en plus d'hommes et de capitaux. Libertés proclamées de l'origine du marché commun, la libre circulation des hommes et celle des capitaux ont donné l'occasion aux individus, qui souhaitaient investir et créer des entreprises, d'émigrer vers ces pays où la fiscalité était la plus avantageuse et où ils avaient l'occasion de récupérer les fruits et usufruits de leur travail. En outre, ces mouvements d'hommes et de capitaux ont eu des effets positifs sur l'emploi, l'investissement, la croissance économique. En effet, il a pu être observé que ces pays, dotés d'une fiscalité inférieure à la moyenne, ont vu leur taux de chômage chuter, leur place boursière se développer et avoir des taux de croissance supérieurs à la "moyenne". A l'inverse, les pays avec une fiscalité élevée ont vu leur taux de chômage s'accroître, leur croissance se

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ralentir et un phénomène de désinvestissement se produire. Bien évidemment, la fiscalité n'est pas la seule cause de ce phénomène d'émigration, pour ne pas dire de fuite, le niveau de réglementation est aussi un facteur important [voir l'article "Miss France: Reine de la Réglementation". Semaine du 21 au 25 février 2000, Chronique Economique]. Il est donc possible au vu de ce phénomène de déduire quelles seraient les conséquences bénéfiques qui résulteraient d'un processus de concurrence fiscale spontanée entre les pays de l'Union européenne. En laissant s'installer une concurrence fiscale entre les pays, ce phénomène déjà observé prendrait encore plus d'ampleur et les pays dont la fiscalité se révèle très élevée seraient pénalisée par une fuite des capitaux, une hausse du chômage dans un premier temps suivie par une forte émigration dans un second temps, une croissance nulle voire une dépression, etc. En conséquence, la seule solution pour ces pays serait donc de s'aligner sur le niveau de fiscalité des autres pays dotés d'une fiscalité plus propice à l'emploi, la création d'entreprise, l'investissement, etc. En outre, la seconde conséquence de cette harmonisation serait bien évidemment pour ces pays la réduction obligatoire de leurs dépenses publiques et de leur niveau de réglementation qui vont toujours de pairs avec une fiscalité élevée. Il apparaît comme inéluctable que seule une harmonisation résultant de la concurrence fiscale peut conduire à des résultats positifs pour les consommateurs, les entrepreneurs et les investisseurs. L'harmonisation fiscale n'a donc pas besoin de résulter d'un accord entre les Etats-membres de l'Union européenne mais doit être la conséquence d'un processus spontanée de concurrence fiscale. Cette discussion est révélatrice de la conception très particulière que certains se font de la concurrence: elle pourrait être « imposée » par le haut. Elle impliquerait une stricte identité de situation. Tout cela est faux. Va-t-on harmoniser aussi les heures d'ensoleillement en agriculture? La concurrence est d'abord un processus spontané, fait de diversités.

6. Critiques et conséquences sociales

Mondialisation du marché du travail

On constate qu'actuellement les économies mondiales subissent une rapide et profonde transformation comparable à la Révolution Industrielle. En effet, à cette époque, l'agriculture cédait sa première place de source d'emplois et de revenus au secteur industriel grandissant, et aux transports qui ouvraient de nouveaux marchés, à la fois intérieurs et extérieurs. Aujourd'hui, les événements économiques sont liés à la technologie informatique qui révolutionne le monde du travail, améliore l'efficacité des communications et abaisse leurs coûts. Pendant la dernière décennie, le coût du calcul a été divisé par mille, et des puces de plus en plus puissantes continuent d'être développées. On utilise ces puces pour les téléphones cellulaires, les fax, les ordinateurs, les robots, et aussi pour contrôler les procédés industriels. La manière de travailler change rapidement; et, plus important, le lieu de travail perd son sens. La technologie informatique est maintenant accessible aux producteurs partout. De cette manière, le travail se délocalise vers des endroits où l'on fabrique à moindre coût. Le commerce international s'étend et va continuer à prendre de l'expansion. Tout pays qui espère prospérer dans ce nouvel environnement technologique doit être capable de lutter face à la concurrence sur les marchés mondiaux. Les pays dans lesquels les coûts de production sont élevés seront boudés par les investisseurs, verront leur taux de chômage augmenter, et rencontreront inévitablement à long terme une stagnation économique.

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Trop de règlement

Une autre raison du comportement des entrepreneurs est le poids des administrations, des réglementations. La bureaucratie triomphe dans ce pays, et pour être en règle avec les obligations fixées par les lois, codes, décrets, arrêtés et règlements de toutes sortes c'est pratiquement impossible. Les PME peuvent difficilement s'offrir un vrai service juridique, de sorte que le patron ou son adjoint devra passer des journées entières en paperasseries, démarches ou déclarations. Il aura toujours un inspecteur sur le dos. Les charges administratives croissent plus vite que l'entreprise: parfois pour un seul salarié de plus on change de régime et cela représente une masse de temps et d'argent perdus. Il faut une journée pour créer une entreprise au Canada, trois jours en moyenne aux États-Unis, trois mois en France dans les meilleures conditions. On doit refaire sans cesse les mêmes démarches, remplir les mêmes imprimés plusieurs fois, et chaque administration ignore ce qui se passe chez sa voisine. Dans ces conditions on comprend que la création d'entreprises, qui est aussi la création d'emplois, soit freinée, et pourquoi les entrepreneurs qui ont réussi à s'en sortir et gagnent à peu près leur vie ne veulent surtout rien changer à cet équilibre fragile. Ils auraient peut-être la possibilité d'embaucher une ou deux personnes de plus, mais ils s'aventureraient alors dans un parcours difficile et coûteux aux résultats incertains. Un tiens vaut mieux que deux tu l'auras. S'agissant des biens manufacturés, des biens marchands classiques, cela peut sembler bel et bon. Mais cela est-il totalement transposable au secteur des services publics, services d'intérêt général et services d'intérêt économique général. Les structures de nos sociétés requièrent d'autres activités, d'autres services que les produits sélectionnés par le seul jeu de l'offre et de la demande. Les libéraux extrêmes, qualifiés de "libertariens" prétendent pouvoir étendre le champ d'exercice du jeu économique concurrentiel à l'ensemble des activités sociales. Les nouvelles technologies et le réseau Internet permettent aujoud'hui de pouvoir transformer la planète en un vaste marché permanent, ou le processus de réconciliation entre l'offre et la demande est censé s'opérer vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Sans nier l'importance du secteur productif et marchand dans l'évolution des sociétés humaines, il est permis de pas réduire l'homme à sa caricature d'homo économicus fort apprivoisée des économistes. Nos sociétés ne se sont pas uniquement crées sur le rapport marchand, mais on évolué et se sont développées conformément à ce que nous pourrions appeler un logiciel culturel, entendu, au sens large, comme un ensemble de codes sociaux, de relations d'échange, de liens d'entraide et solidarité qui finalement composent l'architecture de nos sociétés.

7. Conclusions

Nous avons essayé de mettre en évidence deux phénomènes contradictoires dans le domaine du commerce mondial contemporain. D'une part, il y a une globalisation de fait, résultat des progrès techniques dans les domaines du transport et des communications, sans doute amplifiée par une certaine libéralisation au niveau des échanges internationaux (tarifs douaniers réduits, abolition des contrôles de change, déréglementation financière, etc.); et d'autre part, il y a une

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prolifération de formes de protection non-traditionnelles en forte augmentation, dont la portée est sans doute difficile à chiffrer. Pour l'instant, ce néo-protectionnisme n'arrive pas à compenser la tendance globalisatrice. Mais qu'en sera-t-il pour l'avenir? Les effets de la globalisation les plus visibles se font sentir surtout sur le marché du travail. Car au premier degré, ce sont des emplois dans les secteurs relativement lourds en main-d'œuvre, de faible niveau de qualification qui sont touchés, c'est-à-dire qu'ils sont (a) relativement nombreux et (b) difficilement ré-affectables. Cette première étape dans la réflexion est faite par tout le monde, d'où le danger que des mesures de protection soient prises. Mais ce serait une grande erreur. Car au deuxième degré de réflexion, il faut tenir compte du fait que c'est précisément le changement imposé par la concurrence mondiale qui apporte la croissance. Une économie anesthésiée par le protectionnisme ne change pas, ne croît plus (pourquoi les agents économiques feraient-ils des efforts?). Or, la crise économique actuelle nous permet de mesurer à quel point une économie sans croissance est désagréable et socialement difficile à gérer. C'est donc une illusion de penser qu'avec le protectionnisme on pourra réduire les tensions sociales. Elles réapparaîtront ailleurs, sous d'autres formes (par exemple, grèves dans la fonction publique à cause du manque de ressources). Et ce d'autant plus que même avec le protectionnisme le plus parfait, on n'est pas à l'abri des effets des changements qui ont lieu ailleurs (par exemple, les progrès technologiques chez les autres provoqueront une détérioration des termes de l'échange chez nous - voir la disparition de l'industrie automobile britannique). Par contre, s'exposer aux meilleurs producteurs mondiaux est en réalité le seul moyen d'assurer la compétitivité à long terme de nos propres entreprises et, par extension, le dynamisme de notre économie tout entière. Quelle que soit la source du changement, il est beaucoup plus facile de le gérer dans un contexte de croissance économique que dans une atmosphère de stagnation. Si la durée et la sévérité de la crise économique actuelle ont surpris de nombreux commentateurs, même les économistes les plus distingués, c'est que personne n'accorde suffisamment d'importance à la montée du protectionnisme caché et au blocage des ressources qu'il entretient. Vu la longue liste des secteurs protégés, allant des textiles, à l'agriculture, aux avions et aux ordinateurs, il semblerait qu'il n'y ait aucun secteur qui soit épargné. Or, si une part importante des ressources restent "coincées" dans des secteurs de faible productivité ou de profitabilité douteuse, il n'est pas surprenant qu'un manque de dynamisme atteigne l'économie dans son ensemble. Et si l'économie du monde développé stagne, celle des pays en voie de développement sera freinée. Le contraste entre une économie globale dynamique et stagnante est surprenant. De 1980 à 1989, l'économie mondiale a connu une expansion en termes réels de 2,6 pour cent par année. Cette période comporte des années de stagnation (1980-83), pendant lesquelles la croissance fut ramenée à seulement 0,5 pour cent par année, alors que le période 1983-89 a connu un taux d'expansion annuel de 3,7 pour cent en moyenne [43]. La Banque Mondiale a estimé le produit brut mondial pour 1990 à 20.000 milliards de dollars [44]. Une économie mondiale qui croîtrait à un taux de 0,5 pour cent par an pendant 10 ans n'ajouterait que 5 pour cent à ce total, soit 1.000 milliards de dollars. Une économie mondiale dynamique, avec un taux de croissance de 3,7 pour cent par an pendant dix ans ajouterait 43 pour cent à la production mondiale, soit 8.600 milliards de dollars. La différence entre ces deux chiffres est un moyen d'estimer le coût d'une faillite des négociations de l'Uruguay Round (l'OCDE l'estime à 200 milliards de dollars par année de commerce international perdu, ce qui est une autre façon de dire la même chose). C'est pourquoi il faut espérer que l'Uruguay Round soit conclu rapidement, car l'échange sur un plan global et multilatéral est le seul moyen de profiter pleinement des possibilités de spécialisation et d'échange offerts par la technologie moderne.

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Espoir pour l'Europe

Aujourd'hui, il y a un seul prix mondial pour les biens commercialisables, une fois escomptés les coûts de transport et de distribution et les impôts divers. Il y a un seul marché pour les capitaux financiers et pour le capital physique transportable. Seuls les facteurs de production "travail" et "capital fixe" restent peu ou pas mobiles d'un pays à l'autre. Mais la théorie économique a depuis longtemps mis en évidence le fait que la mobilité des biens suffit pour mettre les marchés des facteurs immobiles en concurrence. En réalité, il n'y a qu'un seul grand marché mondial pour les services du facteur "travail". C'est pourquoi, si l'on veut résoudre le problème du chômage, il faut être concurrent sur le plan global, pour attirer vers soi les investissements du monde entier (et ipso facto ceux de nos propres entreprises). Ici, nous pouvons mieux faire - et les autres conférenciers ont largement évoqué les réformes structurelles qui iraient dans ce sens. Pour ma part, j'aimerais mettre en évidence le fait que le marché a spontanément déjà fait la moitié du chemin. Notre secteur industriel n'a jamais été aussi efficace et productif La plate-forme "Europe" attire toujours les investissements étrangers du monde entier - elle devrait en attirer davantage, sans doute, mais elle est loin d'être la loque industrielle qu'on nous présente trop souvent. J'entends déjà les objections. Les travailleurs sont exploités. Ils n'ont pas leur "part du gâteau". Mais comme le travail n'est pas le seul facteur de production, et que tous les facteurs doivent être rémunérés, les salaires ne peuvent pas prétendre à 100 % des gains de productivité. Actuellement, il est vrai, les salaires réels augmentent peu, alors que des gains de productivité importants sont enregistrés. C'est la réponse du marché au défi de la mondialisation des marchés. Les entreprises ne transforment pas nécessairement ces gains de productivité en profits extraordinaires, mais en baisses de prix, leur permettant de rester compétitives et présentes sur les marchés mondiaux. A mon humble avis, il suffirait de peu de choses pour que le flux de délocalisation se renverse et que l'Europe puisse faire bénéficier les entrepreneurs du monde entier de ses nombreux atouts: stabilité politique, système de justice en état de marche, contrats respectés, main d'œuvre formée et travailleuse, cadres qualifiés, techniciens spécialisés, système financier compétitif, très grand marché unifié - la liste est loin d'être épuisée. La croissance réelle est à notre portée.

Considérations sur libéralisme et réglementations

1. L'un des arguments de la libéralisation et de la dérégulation est sans doute de favoriser les

mutations, en les rendant plus faciles, plus immédiates. En rendant plus ajustable le système économique, en rendant les acteurs plus adaptable les opérateurs, le libéralisme rend des degrés de liberté à l'économie et lui confère, de par sa réactivité les caractéristiques d'un système vivant. Une des plus graves tares des économies planifiées a sans doute été la rigidité d'un plan incapable d'intégrer toute contrainte locale, tout ajustement particulier, incapable de prendre en compte toute nouvelle information pertinente ou utile.

2. La démarche libérale conduit nécessairement à un changement du schéma de la réflexion sur

les orientations du système productif Dans tout système plus ou moins centralisé les impulsions en terme de choix de programmes (axes de recherche, décisions d'investissement) résultaient d'une réflexion globale conduite au niveau national : quelque part le politique orientait l'économique, dans la mesure ou l'économique était au service de l'État avant d'être au service de la nation.

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3. La recherche d'une plus grande régulation par le marché conduit donc logiquement à une

réduction du «logiciel réglementaire» étatique ; cela conduit à ce que les ajustements nécessaires concourrant à la définition de qui produit quoi se fasse au niveau du marché .... tout repose au bout du compte sur la rationalité des choix "d'homo economicus".

4. Autre aspect lié a la "mondialisation", ce sont les réactions du marché européen, voir

mondial, qui sont enregistrées par les récepteurs de la demande que sont les entreprises, l'ajustement offre/demande ne se fait plus dans le cadre d'un espace national, dans le cadre d'une psychologie de comportement nationale, mais internationale. En résumé l'offre de produits proposé demain dans un pays X ne résulte pas de déterminants de la demande dans ce même pays X, mais de la synthèse des déterminants de la demande ou l'entreprise opère.

5. L'effort d'adaptation ne dépend pas d'un choix philosophique plus ou moins positiviste, d'une

inclination particulière pour les sciences et les techniques, il dépend de façon incontournable de la nécessité de fournir un effort d'innovation aussi important et efficace que celui de ses concurrents.

6. L'innovation, qu'il s'agisse d'un produit, d'un procédé, d'un service, est la réalisation concrète

qui résulte le plus généralement de la rencontre au moment opportun et dans des conditions favorables: d'une idée, d'une observation, d'une découverte, d'une invention, d'une technologie et d'un besoin, d'une utilité économique ou sociale, bref compris au sens large d'un marché. Le processus qui conduit à l'innovation peut être aléatoire, avec une part de hasard susceptible d'intervenir à des niveaux différents, soit à celui de la découverte de l'invention, soit à celui de la rencontre qui permet, ou suscite, la réalisation de l'innovation. Quelle que soit la part de hasard et son niveau, ce processus suppose un facteur volontariste de la part de l'entreprise. L'innovation est le plus souvent l'aboutissement d'une stratégie globale qui suppose un processus méthodique pour atteindre un objectif donné.

7. L'innovation ne va pas nécessairement de soi, les obstacles et les freins sont nombreux et

d'ordre objectifs ou subjectifs selon les cas. Certains obstacles sont internes à l'entreprise : résistance au changement, niveau culturel technique, adaptation des personnels, etc ... d'autres sont extérieurs à l'entreprise: de nature psychologique ou sociologique (utilisateur ou opinion publique face aux changements, aux progrès techniques), de nature technique (rôle des normes), de nature réglementaire (législations nationales ou internationales) ou administrative (pratiques administratives, rigidités dans divers domaines, fiscalité, assurances, marchés publics, etc ...), de nature institutionnelle, et bien entendu de nature économique: possibilités et réponses du ou des marchés.

8. D'un point de vue général, il est clair que l'extension d'une approche plus libérale dans le

secteur public conduit à introduire une logique de concurrence capable d'améliorer l'efficacité sociale des décisions politiques prises dans le cadre de nos systèmes démocratiques. En fin de compte, il est permis de penser que cela puisse conduire à des options plus respectueuses des véritables choix exprimés par les consommateurs, que certaines décisions prises sous l'influence de groupes de pression. Les choix étant fait la production des services ou missions arrêtées peut également être de façon plus ou moins efficace, et là encore l'introduction d'un minimum de mécanismes de concurrence ne peut que conduire à une amélioration de la productivité des opérateurs. Il revient au politique de choisir les politiques les plus efficaces, mais il leur revient ensuite de s'assurer que les

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acteurs de la mise en œuvre, administrations ou opérateurs privés adjudicataires agissent également de la façon la plus efficace.

9. Si le problème est de rapprocher les logiques de l'économie publique des logiques de

l'économie concurrentielle, pourquoi dans ces conditions ne pas envisager d'avoir plus souvent recours à la sous-traitance de services publics à des entreprises privées. La manière la plus simple d'introduire le stimulant d'efficacité qu'est la concurrence n'est-elle pas que les pouvoirs publics fassent plus fréquemment appel au système d'appel d'offres privées pour les missions d'intérêt général à caractère économique.

10. Changement du schéma de la réflexion sur les orientations du système productif:

• Dans un système plus ou moins centralisé, les impulsions en terme de choix de programmes

(axes de recherche, choix d'investissement, localisation ...) résultaient d'une réflexion globale conduite au niveau national. Quelque part les choix politiques orientaient les choix économiques.

• Le passage à un système de régulation par le marché, donc le choix de 1, effacement

progressif du "logiciel réglementaire étatique" conduit à ce que de plus en plus d'ajustements se fassent au niveau du marché. Tout vient à reposer en fait sur le principe de la rationalité des choix d' "Homo economicus".

11. Autre aspect lié à la mondialisation, ce sont les réactions du marché européen, voir mondial,

qui sont enregistrées par les entreprises. L'ajustement offre-demande ne se fait plus dans un cadre national, dans le cadre d'une psychologie de comportements nationaux, mais internationaux. Ainsi l'offre de demain dans un pays déterminé ne résulte pas des déterminants de la demande dans ce même pays, mais de la synthèse des déterminants de la demande pris en compte sur tous les marchés où l'entreprise opère.

12. Cette réflexion pose le problème d'une nouvelle articulation des relations entre le politique

et l'économique, elle conduit à une nouvelle approche des régulations économiques. A l'économique de produire des biens et des services, dans un sens avalisé par le consommateur: le marché est un espace démocratique ou chaque acte d'achat est une approbation, un vote! Au politique de produire des règles d'arbitrage et de sécurité, des normes minimales, mais qui ne soient pas des procédures invalidantes.

13. Déréguler, cela ne doit pas se comprendre de façon hative comme l'exercice consistant à

supprimer toute règle, déréguler cela veut sans doute dire réduction et simplification d'un certains nombre de textes, cela peut être l'occasion de supprimer certaines règles dont l'aspect coût-bénéfice serait difficile à prouver, mais déréguler peut aussi être le moyen de mettre en compétition différentes formes de régulation. Les scientifiques savent habituellement envisager et tester différents protocoles expérimentaux conduisant à la solution optimale. Déréguler, cela peut vouloir dire aussi imaginer une révision régulière de certaines règles, assortir certains textes d'une durée de validité imposant réexamen à terme et révision si nécessaire.

14. Sans nier l'importance du secteur productif et marchand dans l'évolution des sociétés

humaines, peut-être ne faut-il pas réduire l'homme à sa caricature d'homo économicus fort

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apprivoisée des économistes. Nos sociétés ne se sont pas uniquement créées sur le rapport marchand, mais ont évolué et se sont développées conformément a ce que nous pourrions appeler un logiciel culturel. Entendu, au sens large, cela recouvre un ensemble de codes sociaux, de relations d'échange, de liens d'entraide et solidarité qui finalement composent l'architecture des sociétés humaines.

15. La philosophie économique issue de la libéralisation et de la dérégulation est-elle totalement

transposable au secteur public? A la lettre, non; à l'esprit sans doute dans la prise en compte d'éléments d'innovation ou de recherche d'efficacité. Au risque d'être icônoclaste ne peut-on pas poser la question: quels produits pour quels marchés? Aussi cette réflexion conduit-elle corrélativement a repréciser les notions de secteur public et de service public, trop souvent confondues ou amalgamées, A son tour, mieux identifié, le domaine du service public doit conduire à distinguer services d'intérêt général et services d'intérêt économique général.

16. Pour la grande majorité des biens marchands classiques, la libre entreprise et le jeu de la

concurrence ont établis leur capacité à inventer, innover et produire. Mais cela est-il généralisable à l'ensemble des échanges sociaux? Les structures de nos sociétés ne requièrent-elles pas d'autres activités, d'autres services que les produits sélectionnés par le seul jeu de l'offre et de la demande? Les nouvelles technologies et le réseau Internet permettent aujoud'hui de pouvoir transformer la planète en un vaste marché permanent, ou le processus de réconciliation entre l'offre et la demande est censé s'opérer vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Les libéraux extrêmes, qualifiés de "libertariens" prétendent pouvoir étendre le champ d'exercice du jeu économique concurrentiel à l'ensemble des activités sociales.

Les effets de la déréglementation du marché sur les prix à la consommation

Dans un certain nombre de secteurs de l'économie de la zone euro, des efforts constants ont été accomplis pour libéraliser les marchés afin que les entreprises opèrent sur une base commerciale et dans un environnement de concurrence. On estime que ce processus apporte une contribution positive au bien-être économique global en accroissant l'efficacité globale de l'utilisation des ressources. Dans de nombreux cas, le processus de libéralisation peut entraîner des pressions à la baisse sur les prix et sur les marges bénéficiaires. La libéralisation du marché s'est poursuivie en 1999 et elle s'est accompagnée de la poursuite des baisses de prix d'un certain nombre de biens et surtout de services. Même s'il est difficile de distinguer clairement entre l'incidence de la libéralisation et celle d'autres facteurs tels que les changements technologiques. Le marché des télécommunications représente le meilleur exemple de l'importance de l'incidence d'une concurrence accrue sur l'évolution des prix à la consommation. La libéralisation des marchés des télécommunications de 1'UE qui avait commencé dès les années quatre-vingt dans certains pays s'est accélérée au cours des années quatre-vingt-dix et a coïncidé avec une vague d'innovations technologiques. En principe, la plupart des marchés de télécommunications de 1'UE sont complètement ouverts à la concurrence depuis le 1er janvier 1998 à la suite de l'entrée en vigueur de plusieurs Directives du Conseil européen.

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Les baisses de prix significatives se sont poursuivies en 1999 dans le secteur des

télécommunications Cette accentuation de la concurrence s'est traduite dans l'évolution des prix à la consommation telle qu'elle est mesurée dans la composante "équipements et services en matière de téléphones et de télécopieurs" de l'indice des prix à la consommation harmonisé (IPCH). Pendant l'intervalle de deux années compris entre décembre 1997 et décembre 1999, l'indice relatif à cette composante a fléchi d'un peu plus de 7.1 % en termes absolus. Dans la mesure où l'inclusion de nouveaux opérateurs dans la base de calcul de l'indice prend du temps, l'IPCH peut ne pas rendre pleinement compte de la réduction des tarifs. Par rapport aux prix exprimés à la fois par VIPCH global et par l'indice relatif aux services, la baisse a été encore plus prononcée (cf. graphique ci-dessus). Par ailleurs, il semblerait que la concurrence se soit intensifiée durant l'année 1999 dans la zone euro, ce qui a entraîné une baisse très sensible des prix. Des réductions significatives ont eu lieu en Allemagne, aux Pays-Bas, en Irlande et au Luxembourg. En Finlande, où le processus de libéralisation a été amorcé beaucoup plus tôt, les baisses de prix ont été moindres ces derniers temps. Dans un certain nombre d'autres pays de la zone euro, la répercussion sur les consommateurs des bénéfices de la concurrence accrue a été plus progressive et a pris la forme de réductions de prix échelonnées ou "plafonds de prix" qui ont été déterminées par les autorités nationales compétentes. Les baisses relatives de prix précitées ont probablement encouragé une augmentation de la demande d'équipements et de services de télécommunications. Il est également important de noter que, dans le secteur des télécommunications, les innovations technologiques ont aussi été un facteur déterminant de l'évolution des prix. On peut citer à cet égard l'accès accru à une technologie de téléphonie mobile à bas coûts et de grande qualité. Cependant, le rôle de l'innovation technologique ne peut être complètement distingué du processus de libéralisation du marché parce que la pression accrue de la concurrence a pu accroître l'incitation à innover et à entreprendre des travaux de recherche et de développement dans les entreprises. En outre, de nombreuses fusions se sont produites au sein du secteur en 1999, laissant entrevoir la perspective de nouvelles réductions de prix si elles se traduisent par de nouveaux gains en efficacité.

Certains indices donnent à penser que la libéralisation a commencé à gagner du terrain

dans le secteur de l'énergie

Alors que ta libéralisation dans le secteur européen de l'énergie est encore très en retrait par rapport à ce qu'elle est dans les télécommunications, certains signes (dans quelques pays de la zone euro) donnent à penser qu'elle a commencé à gagner du terrain vers la fin de l'année 1999. Cette évolution s'inscrit dans le prolongement de certaines initiatives de VUE destinées à établir un marché intérieur pour la fourniture d'énergie. La Directive sur le marché de l'énergie de 1996 et la Directive sur le marché du gaz de 199S étaient destinées à faire en sorte que les entreprises de ces secteurs puissent opérer sur une base commerciale et dans un environnement ouvert à la concurrence. Une date limite au 19 février 1999 a été fixée pour l'entrée en vigueur de la Directive sur le marché de l'électricité. même si des périodes de transition ont été accordées pour un an dans le cas de l'Irlande et de la Belgique et pour deux ans dans le cas de la Grèce. Cette Directive prévoit une libéralisation initiale de 25 % du marché environ, cette fraction devant atteindre le tiers en 2003. Toutefois, un certain nombre de pays de la zone euro sont déjà allés au-delà de ces exigences. Une date limite a été fixée au 10 août 2000 pour l'entrée en vigueur

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dans les Etats membres de l'UE de la Directive sur le marché du gaz. Selon cette Directive, au moins 28 % du marché devraient être ouverts à la concurrence dès 2003, ce pourcentage étant porté a 33 % en 2008.

Jusqu'à présent, il est difficile de déceler sur les marchés, de l'énergie de la zone euro des signes évidents de pressions à la baisse généralisées sur les prix ou sur les marges bénéficiaires. Ce phénomène est en partie dû au fait que le processus de libéralisation du marché de l'énergie n'est qu'amorcé dans la plupart des pays de la zone euro. L'évolution des prix dans ce secteur peut également subir la forte influence d'autres facteurs tels que les changements affectant les prix des combustibles primaires, les réglementations publiques ou la fiscalité de l'énergie. Néanmoins, l'existence de tels écarts entre les prix de l'électricité à travers la zone euro donne à penser qu'il reste uni potentiel significatif de baisse des prix. Et, de fait, vers la fin de 1999, les prix de l'énergie ont commencé à baisser dans certains pays, notamment en Allemagne. La diminution des prix n'a pas seulement été une conséquence de la concurrence existante : dans certains pays qui n'ont ouvert leurs marchés que partiellement, les prix fixés aux consommateurs ont été réduits en anticipation des modifications des conditions de l'offre et de la demande qu'entraînera à l'avenir la pleine ouverture de leur marché. Même s'il est indéniable que les effets de la déréglementation et de l'accroissement de la concurrence ont été les plus manifestes dans les secteurs des télécommunications et de l'électricité, il est probable que, dans les années qui viennent, ces effets seront observés dans d'autres secteurs, comme ceux du gaz et des transports.