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38 SECOND LIFE ET ÉDUCATION Mondes virtuels, espaces imaginaires F L ’animation est présente de longue date dans l’éducation aux médias, bien qu’elle le soit également dans l’enseignement artistique. Mais ces deux domaines privilégient des aspects différents : l’un s’intéresse à l’animation en tant que culture populaire et médium de production filmique ; l’autre l’étudie en tant que forme artis- tique et met l’accent sur ses éléments constitutifs – le dessin, la peinture et la réalisation de maquettes – et ses propriétés esthétiques. Cette distinction traditionnelle s’est toutefois estom- pée ces dernières années : l’enseignement artis- tique s’est orienté vers un programme de « culture visuelle », s’écartant par conséquent des institu- tions des beaux-arts pour traiter plus largement des pratiques de la représentation visuelle (p. ex. Duncum, 2001). Cette évolution marque le passage d’une conception de l’enseignement artis- tique comme élitiste, coupé du monde et ferme- ment inscrit dans le projet de la modernité à une diversité postmoderne de pratiques (Addison et Burgess, 2003). Ce nouvel ordre remet en cause les oppositions traditionnelles entre le texte et l’image, le médium artistique et la technologie, le Extrait d’un ouvrage à paraître chez Peter Lang, Making New Media: Creative Production and Digital Literacy, ce texte, dont nous présentons la traduction avec l’aimable autorisation de l’auteur et de l’éditeur, présente un double intérêt : – il « témoigne » de ce qui se passe dans une classe virtuelle sur Second Life du point de vue de l’artiste-professeur, de ses élèves et, nécessairement, de leurs avatars ; – il analyse le fonctionnement des « machinimas », ces films générés en temps réel dans un environnement 3D et dont la fabrication est enseignée dans l’expérience racontée. sens de la vue et les autres sens auxquels font appel les textes multimodaux. Et cette nouvelle diversité implique également de briser les fron- tières entre les disciplines et d’envisager une col- laboration nouvelle avec les autres pratiques édu- catives concernées par la culture visuelle. […] La forme culturelle la plus récente dans le monde de l’animation – qui tout à la fois déter- mine les nouvelles technologies et est déterminé par elles, dans le cas présent celles des jeux vidéo en 3D et des mondes virtuels – est l’art de la machinima. « Machinima » est un mot-valise formé de « machine » et de « cinéma », le « é » étant remplacé par un « i » pour rappeler « ani- mation ». La machinima est définie par Kelland et ses collaborateurs comme « l’art de réaliser des films animés dans un environnement tridimen- sionnel généré en temps réel » (2005, 10). Autre- ment dit, il s’agit d’animation générée à partir des environnements 3D et des personnages ani- més des jeux vidéo ou des mondes virtuels immer- sifs. Les premières machinimas ont été créées au milieu des années 1990 par des participants au jeu Quake. La réalisation de machinimas à l’école implique de repenser l’animation en tant que pratique artis- tique et en tant que forme de production média- tique. En quoi est-elle différente – ou similaire – des formes précédentes d’animation, du point de vue du contexte culturel, des ressources tech- niques, des compétences qu’elle réclame, des pédagogies qu’elle utilise et des possibilités qu’elle offre en matière de création ? Nous nous intéresserons ici au travail de Britta Pollmuller, artiste, animatrice, machinéaste et professeur, qui a enseigné l’animation aux adoles- cents sous de multiples formes, allant des tech- niques de l’image par image et de la pâte à mode- ler aux machinimas conçues dans le monde virtuel immersif de Second Life. Nous étudierons l’in- terface entre l’éducation aux médias (EAM) et l’enseignement artistique ainsi qu’entre les nou- velles technologies et les détournements qu’en font professeurs et élèves 1 . […] LES DOSSIERS DE L’INGÉNIERIE ÉDUCATIVE Les machinimas, Second Life et la péda Andrew Burn READER IN EDUCATION AND NEW MEDIA INSTITUTE OF EDUCATION, UNIVERSITY OF LONDON traduit de l’anglais par Béatrice Bocard TRIBUNE LIBRE

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L ’animation est présente de longue date dansl’éducation aux médias, bien qu’elle le soitégalement dans l’enseignement artistique.

Mais ces deux domaines privilégient des aspectsdifférents : l’un s’intéresse à l’animation en tantque culture populaire et médium de productionfilmique ; l’autre l’étudie en tant que forme artis-tique et met l’accent sur ses éléments constitutifs– le dessin, la peinture et la réalisation demaquettes – et ses propriétés esthétiques. Cettedistinction traditionnelle s’est toutefois estom-pée ces dernières années : l’enseignement artis-tique s’est orienté vers un programme de « culturevisuelle », s’écartant par conséquent des institu-tions des beaux-arts pour traiter plus largementdes pratiques de la représentation visuelle (p.ex. Duncum, 2001). Cette évolution marque lepassage d’une conception de l’enseignement artis-tique comme élitiste, coupé du monde et ferme-ment inscrit dans le projet de la modernité à unediversité postmoderne de pratiques (Addison etBurgess, 2003). Ce nouvel ordre remet en causeles oppositions traditionnelles entre le texte etl’image, le médium artistique et la technologie, le

Extrait d’un ouvrage à paraître chez Peter Lang,Making New Media : Creative Production and DigitalLiteracy, ce texte, dont nous présentons la traduction avec l’aimable autorisation de l’auteur et de l’éditeur, présente un double intérêt :– il « témoigne » de ce qui se passe dans une classe virtuelle sur Second Life du point de vue de l’artiste-professeur, de ses élèves et, nécessairement, de leurs avatars ;– il analyse le fonctionnement des « machinimas », ces films générés en temps réel dans un environnement 3D et dont la fabrication est enseignée dans l’expérience racontée.

sens de la vue et les autres sens auxquels fontappel les textes multimodaux. Et cette nouvellediversité implique également de briser les fron-tières entre les disciplines et d’envisager une col-laboration nouvelle avec les autres pratiques édu-catives concernées par la culture visuelle.

[…]La forme culturelle la plus récente dans le

monde de l’animation – qui tout à la fois déter-mine les nouvelles technologies et est déterminépar elles, dans le cas présent celles des jeux vidéoen 3D et des mondes virtuels – est l’art de lamachinima. « Machinima » est un mot-valiseformé de « machine » et de « cinéma », le « é »étant remplacé par un « i » pour rappeler « ani-mation ». La machinima est définie par Kelland etses collaborateurs comme « l’art de réaliser desfilms animés dans un environnement tridimen-sionnel généré en temps réel » (2005, 10). Autre-ment dit, il s’agit d’animation générée à partirdes environnements 3D et des personnages ani-més des jeux vidéo ou des mondes virtuels immer-sifs. Les premières machinimas ont été créées aumilieu des années 1990 par des participants au jeuQuake.

La réalisation de machinimas à l’école impliquede repenser l’animation en tant que pratique artis-tique et en tant que forme de production média-tique. En quoi est-elle différente – ou similaire –des formes précédentes d’animation, du point devue du contexte culturel, des ressources tech-niques, des compétences qu’elle réclame, despédagogies qu’elle utilise et des possibilitésqu’elle offre en matière de création ?

Nous nous intéresserons ici au travail de BrittaPollmuller, artiste, animatrice, machinéaste etprofesseur, qui a enseigné l’animation aux adoles-cents sous de multiples formes, allant des tech-niques de l’image par image et de la pâte à mode-ler aux machinimas conçues dans le monde virtuelimmersif de Second Life. Nous étudierons l’in-terface entre l’éducation aux médias (EAM) etl’enseignement artistique ainsi qu’entre les nou-velles technologies et les détournements qu’enfont professeurs et élèves1.

[…]

LES DOSSIERS DE L’INGÉNIERIE ÉDUCATIVE

Les machinimas, Second Life et la péda gogie de l’animation

Andrew BurnREADER IN EDUCATION AND NEW MEDIAINSTITUTE OF EDUCATION, UNIVERSITY OF LONDON

traduit de l’anglais par

Béatrice Bocard

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L’artiste dans Second Life

Britta Pollmuller a quitté son travail de professeuret dirige désormais des projets d’animation indé-pendants dans des écoles du Norfolk. Au cours deces projets, elle a continué de mettre au pointtoute une série de techniques d’animation et despratiques hybrides empruntées à l’enseignementdes arts plastiques et à celui des médias. Elleencourageait les élèves à apprendre des conven-tions filmiques précises et à réfléchir à la qualitéartistique de leur travail, tout en incorporant desressources tirées de leur connaissance de l’anima-tion populaire. Britta les a aidés à se servir dutravail pour exprimer leurs propres intérêts etpréoccupations et pour s’interroger sur leurspropres identités et rôles dans la société.

C’est à peu près à cette époque qu’elle a décou-vert Second Life, le monde virtuel immersif conçupar la société américaine Linden Lab. Second Lifeprésente des caractéristiques communes à cellesdes Massively Multiplayer Online Role-PlayingGame ou MMORPG (jeux de rôle en ligne massi-vement multijoueur) ; il permet une interactionentre l’avatar et un monde en ligne permanent ;il fournit des ressources pour le jeu de rôle, lesfantasmes et la création de communautés ; sonesthétique s’inspire sous de nombreux aspectsdes cultures du jeu. Mais, sous d’autres aspects,ce n’est pas un jeu au sens où l’est un MMORPG :il ne fournit aucune ressource, buts ou autresstructures d’ordre ludique.

Exposer sur Second Life

Britta Pollmuller ne connaissait pas la culture dujeu, mais elle était intriguée par les possibilitésque Second Life offre à un artiste. Elle y a exposéses propres peintures dans des galeries et vendusa première œuvre pour quelques centaines deLinden dollars (la monnaie de Second Life). Dansun entretien avec Diane Carr, chef de projet denos propres recherches dans Second Life2, Brittaa décrit ce qu’elle a ressenti en exposantsesœuvres dans Second Life : « Je devais présen-ter mes peintures dans ce monde de technolo-

gie moderne, en m’interrogeant sur l’impor-tance de la peinture à l’ère du numérique.Cela provient d’une certaine anxiété que jeressens vis-à-vis de l’influence de la technolo-gie sur l’art et notre culture dans sonensemble. Comment l’art peut-il se resituerpar rapport à la production d’images à l’èredu tout technologique ? »

Il ne fait pas de doute que Second Life trans-forme les manières de créer, d’exposer et d’esti-mer l’art, ainsi que les modes de production deformes artistiques, d’outils de représentation etde modes de communication nouveaux. Il existedes expositions privées pendant lesquelles lesavatars peuvent boire du champagne virtuel etparler à l’artiste, des lectures de poésie dans unpub irlandais, des visites guidées et des confé-rences dans des musées, des expositions photos,de l’art vidéo d’avant-garde, des expositions desculpture cinétique scénarisées, des concerts etmême de la danse. L’apprentissage des arts sur SLest illimité, ingénieux et stimulant.

Walter Benjamin et l’esthétique numérique

Les observations de Britta, bien qu’elles soientinspirées ici par un nouveau médium, rappellentdes débats plus anciens sur ce qui se passe lors-qu’on crée des œuvres d’art par des moyens méca-niques. La réflexion la plus connue sur ce sujet estpeut-être l’essai important de Walter Benjamin,L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilitétechnique (1936), qui est encore pertinent parrapport aux réflexions de Britta en trois points.

Premièrement, la question initiale de Benja-min sur les conséquences de la reproductionmécanique d’une œuvre d’art à partir d’un origi-nal unique s’applique ici. Ce qui est encore enjeu est le statut ontologique et esthétique de dif-férentes technologies d’inscription (Kress et VanLeeuwen, 1996). Les pratiques sociales qui utili-sent ces ressources sont également en jeu. Il estdéjà manifeste que l’art de la machine dansSecond Life ne signifie pas l’inévitabilité desformes d’exploitation sociale que les penseurs

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1. Ce texte s’inspire de deuxprojets de recherche qui ontbénéficié de financements :« Learning from OnlineWorlds -Teaching in SecondLife », financé par laFondation Eduserv ; et« Digital Video Pilot », finan-cé par la Becta. Il reprendaussi le travail du projetSchome à l’Open University.

2. Learning from OnlineWorlds ; Teaching in SecondLife, Foundation Eduserv,2007–8. 3.

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marxistes de l’École de Francfort escomptaient.Les motifs sociaux continuent de coexister avecdes motifs artistiques indépendants, les stylesd’art populaire avec les beaux-arts. De plus, Brittane perçoit pas les reproductions de ses proprespeintures telles qu’elles sont exposées dansSecond Life comme des copies réductrices etmécaniques dont la qualité esthétique serait apla-tie et épuisée. Au contraire, elle est surprise parla « force » qu’elles dégagent : « La premièrefois que je suis allée dans SL, c’était pour voirune exposition de photographies et on m’aproposé d’en faire une, alors j’ai appris à ins-taller ma première exposition virtuelle. J’aiété surprise de voir à quel point mes pein-tures étaient fortes, une fois numérisées. »

Il est probable que, si la réalisation techniqued’images à haute résolution joue un rôle ici – ceque Sinker appelle « l’esthétique numérique »(Sinker, 2000) –, le point de vue du participantsur l’authenticité des images, le contexte de l’ac-crochage et de leur interprétation est au moinsaussi important. La sémiotique sociale considére-rait cela comme un jugement de modalité (Kresset van Leeuwen, 1996). La crédibilité, la fidélitéau genre, l’authenticité – qualités liées à l’« aura »de Benjamin – peuvent être perçues comme larencontre entre les exigences de la représentationet les jugements portés par le participant.

Ce que Benjamin ne pouvait pas prévoir, enrevanche, c’est le monde virtuel immersif et per-manent qui fournit dans ce cas le contexte socialdans lequel les avatars d’artistes, de spectateurs,de critiques et de poètes peuvent reproduire lesgenres sociaux qui entourent l’exposition, laconsommation et l’interprétation de l’art dans lemonde « réel ». La communauté artistique de cemonde, telle que Britta la décrit, rétablit les pra-

tiques sociales du milieu artistique, depuis lesrencontres et expositions d’art indépendant jus-qu’aux pratiques commerciales des studios pro-fessionnels qui réalisent des vidéos institution-nelles à l’aide des ressources du monde virtuel.

Le corps virtuel de l’avatar

Les artistes et les spectateurs ne font pas quecréer l’œuvre d’art, ils se créent aussi eux-mêmes,en mettant l’accent sur la représentation fluide,dont les ressources sémiotiques comprennent lapersonnalisation de l’avatar, la saisie des mes-sages du chat, la mise en place de répertoiresd’emotes et l’utilisation de ressources d’animationexpressives et fonctionnelles dans Second Lifepour s’asseoir, voler, jouer d’un instrument demusique ou conduire une voiture.

Ce type de mise en scène reproduit bien évi-demment des aspects de la mise en scène dans lavie « réelle » (in real life, IRL). Dans le sensgoffmanien de la présentation de soi à traversdes structures dramaturgiques (1959), lesartistes, les étudiants, les critiques et les specta-teurs ont toujours mis en scène leurs rôlessociaux dans les ateliers, les galeries, les musées,la rue et les cafés. La question, simple mais diffi-cile, que pose Second Life est : comment caracté-riser les différences ?

On peut les considérer sous l’angle des res-sources sémiotiques. Par exemple, Britta estcapable, en tant qu’avatar, de changer d’appa-rence avec beaucoup plus de fluidité et de libertéqu’elle le ferait IRL. Son avatar, Pigment Pye, estun personnage haut en couleur arborant desnattes virevoltantes, des vêtements à motifstranslucides, des tatouages et des ornementscyberpunk.

Mais il y a aussi des contraintes. Ainsi, lesrépertoires communicants de gestes, d’expres-sions faciales et d’intonation sont beaucoup pluslimités que IRL. Cependant, en considérant l’af-fordance3 sous l’angle de la sémiotique, l’on nerend pas entièrement compte de la représentationdu soi dans le cas présent. Les témoignages deBritta, comme ceux d’autres résidents desmondes virtuels, font ressortir une forte impres-sion de présence dans ce monde, un sentimentd’incarnation qui invite à une analyse phénomé-nologique. L’identité du participant est projetéesur l’avatar tandis qu’il devient l’acteur de sonpropre film – à la différence qu’il se déroule entemps réel. Le corps virtuel de l’avatar suscitesimultanément une préoccupation, une concen-tration cognitive et un attachement affectif ; labarrière qui sépare la vision objective de l’imageà l’écran de l’expérience subjective de l’indivi-dualité incarnée se dissout.

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Sur son île dans Second Life, Pigment Pye,l’avatar de Britta Pollmuller, en conversation avec l’auteur.

3. Affordance : capacité d’unobjet à suggérer son utilisa-tion.

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Par rapport à Benjamin, nous nous souvenonsnaturellement que son intérêt ne se limitait pasà l’objet artistique et à ses reproductions méca-niques, mais qu’il s’est étendu par la suite auxcontextes de la consommation et de la figuresociale qui les occupait – jusqu’aux galeries mar-chandes de son dernier ouvrage inachevé, LeLivre des passages, et au flâneur qui y déambu-lait (1999). Ces métaphores font toujours senset peuvent s’appliquer aux avatars et aux îles deSecond Life. Walter Benjamin n’aurait peut-êtrepas pu imaginer la technologie de Second Life,mais il aurait sûrement reconnu les personnagesfantastiques qui flânent dans ses galeries d’art etses centres commerciaux. La différence résidedans l’application du terme « mécanique » dansl’essai antérieur de Benjamin. Dans Second Life,le monde lui-même et ses agents sociaux sontreproduits de façon mécanique, se débattantentre la tentative de capturer l’aura de l’originalet la conscience croissante que ce monde estcapable de créer sa propre aura, une esthétique,une sensibilité et un habitus mécaniques.

Machinima et vie parallèle

Pour en revenir à la (seconde) vie d’artiste deBritta Pollmuller, après avoir exposé sur SecondLife, elle a découvert l’art de la machinima. Pourles animateurs professionnels comme pour lesenseignants, la machinima présente de multiplesattraits. Comme elle est réalisée en temps réel,elle évacue le laborieux processus de fabricationde l’animation image par image. Elle permet derendre des attitudes qui sont difficiles à obteniren animation amateur : un « cycle de marche »,par exemple, est difficile à obtenir en image parimage, alors qu’une machinima dans SL a simple-ment besoin de filmer l’avatar en train de marcher.À bien des égards, la machinima – avec ses ava-tars qui interprètent des rôles, ses événements fil-més en temps réel et ses prises de vues virtuellesqui, en animation classique, seraient simulées parla technique de l’animation – est plus proche dufilm avec personnages réels.

Par rapport à l’argumentation de Benjamin, lamachinima est un exemple récent de sa catégo-rie concernant la production technologique d’unart qui n’a pas d’œuvre originale, et par consé-quent pas d’aura à dissiper. Benjamin prenaitnaturellement pour exemples la photographie etle cinéma. Dans le cas des machinimas de SecondLife, c’est le partage des ressources qui se dérouledans Second Life même, au moyen d’outils scéna-ristiques et d’autres instruments de création.Aucun « original » discernable ne semble êtreproduit par l’artiste dans le cas présent, de sortequ’il ne reste aucune possibilité d’aura. Au

contraire, des représentations existantes – per-sonnages, paysages, sons, objets – sont adaptéeset incorporées dans de nouvelles réalisations.Toutefois, en réalité, un grand nombre d’entitésprésentes dans Second Life ont un auteur mani-feste, portent la signature de leurs créateurs : onpeut parfois en disposer gratuitement ou les ache-ter en Linden dollars. À cet égard, il subsiste unecertaine notion de texte original, dans les reven-dications, dans le domaine esthétique, de créationoriginale ou, dans le domaine économico-juri-dique, à des droits de propriété intellectuelle ouà une rétribution.

Britta Pollmuller a appris par elle-même l’art dela machinima puis a fait connaissance avec lacommunauté machinima de Second Life : sesmembres lui ont transmis leur savoir, et elle les arencontrés lors de manifestations spécialisées.Elle a participé à des séminaires, des festivals etdes expositions sur Second Life, tel l’événementorganisé par Spector Hawks (de son vrai nomPaul Jannicola), membre du groupe Ill Clan qui aconçu les premières machinimas. Britta a réaliséde son côté un certain nombre de films, qu’elle adiffusés notamment sur YouTube. L’un de sesfilms a participé au festival de cinéma Ed Woodsur Second Life. Les films devaient correspondreà un titre imposé et être réalisés en 48 heures.L’œuvre de Britta Pollmuller a remporté le pre-mier prix du festival, qui était parrainé par ShortFuze, un producteur britannique de machinimasbasé à Cambridge. Ce film est intéressant à deuxtitres.

Premièrement, il illustre la vie parallèle deBritta Pollmuller en tant qu’artiste participantaux pratiques de production professionnelles quiinfluencent son travail d’enseignante. Dans unentretien, elle raconte comment elle a trouvé unlieu de tournage en ligne qui lui convenait, choisiun avatar tiré d’un film d’horreur et travaillé avecd’autres machinéastes pour produire le film : « Jesuis allée sur le site Sleepy Hollow, un excel-lent décor où se trouve un orphelinat […] maisc’est pour cela que les machinimas sont siincroyables dans SL car on a tous ces décorsfantastiques […] donc le titre “L’origine dumal” […] J’ai travaillé avec deux ou trois per-sonnes pour que nous ayons tous des infor-mations sur ce que cela pouvait être. Le Malabsolu […] donc il nous fallait Pinhead. Dali-nian, un artiste incroyable, nous a aidés… ilcrée tout le temps d’étranges avatars… mais ilne s’est pas connecté depuis très longtemps. »

Deuxièmement, l’esthétique du film donne uneidée de l’étendue du contexte culturel dans lequeltravaille Britta. Le film évoque à bien des égardsles contes animés surréalistes d’Europe de l’Est,tels ceux de l’animateur tchèque Jan Svankmajer.

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Il conserve en même temps une certaine esthé-tique du jeu, une trace de sa source d’inscrip-tion. Par déférence pour le thème et le titre dufestival, il fait aussi référence au cinéma d’horreurpopulaire en employant le méchant embléma-tique du film Hellraiser, dont l’avatar est dispo-nible sur SL. Cette diversité de contextes, commenous l’avons vu, peut aussi se trouver dans laclasse d’un enseignant dont les méthodes péda-gogiques et les motivations culturelles s’inspi-rent à la fois de l’enseignement artistique et del’éducation aux médias.

Plus généralement, nous remarquons ici lanature des contextes sociaux des beaux-arts, del’art d’avant-garde et de la réalisation de filmsindépendants. Ils sont reproduits dans SecondLife, non seulement à travers des formes de repré-sentation mécanique, mais aussi à travers dessystèmes de croyance, d’engagement et d’appar-tenance à des réseaux sociaux. S’il est possibleque les « communautés de pratique » soientdavantage à la merci de pratiques asociales quece qu’admettent parfois leurs partisans (Oliver,2008), elles affichent bien dans le cas présent lesformes de solidarité et d’organisation qu’on leurprête souvent. Le terme d’« intelligence collec-tive » emprunté par Henry Jenkins à Pierre Lévyest peut-être plus approprié. Les processusd’auto-apprentissage, de partage de savoir, devisionnage et de critique en commun misen œuvre par les groupes de machinima dansSecond Life ressemblent fort aux nouvelles com-munautés de savoir évoquées par Lévy et Jen-kins, qui sont des « affiliations volontaires, tem-poraires et tactiques, définies par des activitésintellectuelles et des investissements affectifscommuns » (Jenkins, 2002).

L’enseignement de la machinimadans Second Life

Ayant appris par elle-même les rudiments de lamachinima, Britta s’est investie dans le projetSchome (mot-valise formé à partir de school etde home) de l’Open University [enseignementuniversitaire à distance]. Schome a construit uneîle, Schome Park, dans Teen Second Life (TSL),version de Second Life dans laquelle les jeunessont séparés de la version adulte, dans un envi-ronnement protégé auquel seuls les adultes auto-risés ont accès4.

Britta a élaboré, au sein de la mission généralede Schome, un projet particulier issu de l’inté-rêt qu’elle porte de longue date à l’animation.Dans le cadre d’un cours extrascolaire de machi-nima, elle initie des élèves de 13 à 17 ans à lacréation de films animés à partir du monde vir-tuel, des avatars et des outils de création four-

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Britta s'est investie dans le projet Schome de l'Open University.Schome a construit une île, Schome Park, dans Teen Second Life.

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nis par Second Life pour réaliser des courtsmétrages.

Britta Pollmuller décrit le début de ce travaildans une interview5 : « J’ai commencé il y atrois semaines [juillet 2007]. J’ai commencépar créer un forum pour cinéastes où les Scho-mers (les moins de 18 ans) et les Sparkers(leurs amis) peuvent tout apprendre sur lesmachinimas. Nous nous retrouvons du lundiau vendredi, de 17 h à 19 h, sur un dirigeableque j’ai importé de la grille principale de SL[qui est pour toutes les tranches d’âge, tandis queTeen Second Life, la « grille ado », est réservéeaux mineurs]. Schome Park dispose d’un centremultimédia entièrement conçu, organisé etinstallé par les Schomers. Entre les réunions,nous “parlons cinéma” et nous nous organi-sons via le forum de discussion, où tout lemonde va régulièrement. »

Ce projet montre maintes continuités avec letravail antérieur de Britta : un fort attachement àl’animation en tant que médium culturel pour sonpropre travail et les besoins d’expression desélèves ; une fusion entre les objectifs et les péda-gogies de l’éducation artistique et de l’éducationaux médias ; une interaction fructueuse entre sapropre identité d’artiste professionnelle et lespratiques pédagogiques de la classe.

« Une expérience tout à fait nouvelle »

Il existe également des différences, mais ellessont étonnamment difficiles à définir précisé-ment. Dans un entretien, Britta Pollmuller décriten quoi ce projet lui semble différent : « Il y aquelques années, j’ai enseigné les médias pen-dant un an dans un établissement secondairede l’est de Londres. Actuellement, dans le cadrede mon travail et de mes recherches, j’enseigneles nouvelles technologies des médias pourtoutes les tranches d’âge. [Voir www.school-toons.com ou www.mediaprojectseast.co.uk].

« Enseigner dans un environnement vir-tuel est une expérience tout à fait nouvelle. Jen’ai pas à entrer dans une classe. Pas de son-nerie, pas de stress, pas de salle des profs(hourra !). Les élèves ne restent pas assis àattendre le cours.

« Dans Schome Park, les élèves sont desapprenants indépendants ; ils sont dans cemonde parce qu’ils le veulent. Quand j’arrivepour la session de machinima, le noyau cen-tral est déjà en train de m’envoyer des mes-sages instantanés pour qu’on commence. Nousnous téléportons les uns les autres jusqu’audirigeable et voyons quelle scène il est pos-sible de faire et qui est là pour jouer. Il nous

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4. Il faut distinguer Schome,Schome Initiative et SchomePark Programme:

– Schome est le systèmeéducatif à l’ère de l’informa-tion.

– Schome Initiative met enplace Schome.

– Schome Park Programme(pour lequel Britta atravaillé) est un sous-ensemble de SchomeInitiative qui a été mis enplace pour nous aider àoffrir aux jeunes et auxenseignants des« expériences vécues » demodèles d’enseignementradicalement différents. Ontrouvera desrenseignements pluscomplets sur le site Internetdu projet :www.schome.ac.uk.

5. With Diane Carr, PrincipalInvestigator of Teaching andLearning in Virtual Worlds.Les entretiens cités dans cechapitre ont tous été réaliséssur le chat virtuel de SecondLife.

faut parfois attendre qu’un membre précis del’équipe se connecte. Mais nous sommes tout letemps en train de parler, de taper sur nos cla-viers – ce qui est incroyable. Il n’y a jamais desilence. Les élèves ont toujours très envie demontrer les accessoires qu’ils ont créés pour lefilm. L’un d’eux a même construit un piano àqueue en moins de quinze minutes ! »

Certaines de ces différences peuvent évidem-ment s’expliquer par le passage d’un contexteéducatif de type scolaire à un contexte extrasco-laire. Ce dernier peut déplacer le centre des pré-occupations de la préparation des élèves aumonde du travail à leurs intérêts expressifs etculturels immédiats, et à leur participation dansle monde des loisirs. Plus concrètement, lecontexte extrascolaire peut échapper auxcontraintes de la présence, du programme et dessystèmes d’évaluation obligatoires, ainsi qu’auxrégimes disciplinaires.

Il y a toutefois des différences. Le contextematériel de l’instruction traditionnelle, qui sedéroule souvent dans des bâtiments scolaires,possède ses propres connotations culturelles ; et,surtout, les élèves sont présents tels qu’ils sont,en chair et en os. Toutes leurs représentations dumoi à travers la parole, les vêtements ou la ges-tuelle ne pourront jamais effacer certains élé-ments figés de leur identité, que cela soit dans lephysique ou dans quelque chose d’aussi conven-tionnel que le nom. Les élèves de Britta, par com-paraison, ne sont présents dans sa classe quesous forme d’avatars ; leurs noms sont d’adoptionrécente, et ils peuvent en changer ; leur appa-rence physique est transformable à loisir ; ils peu-vent aussi décider de changer de sexe.

Ces identités accomplissent des objectifs etdes désirs sociaux sans doute distincts de ceuxque les élèves peuvent adopter à l’école, bien que

« Nous nous retrouvons du lundi au vendredi sur un dirigeable que j'ai importé de la grille principale de SL. »

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l’on ne puisse pas les comparer directement.Britta fait valoir qu’un de leurs objectifs est peut-être de s’évader des identités exigées par la sco-larité traditionnelle : « C’est un domaine telle-ment nouveau à explorer, la façon dont cesjeunes adoptent déjà une identité virtuelle àdouze ans, mais ils se sentent en sécurité danscette nouvelle “peau” et, par exemple, la voixa été d’une certaine façon laissée de côté parceque trop proche de la RL.

« Ils aiment être ce qu’ils ne peuvent êtreIRL. […] à cause de la pression exercée parl’entourage, la scolarité, etc. Comme l’écolelimite la plupart d’entre eux, ils aiment s’ex-primer différemment, et pas selon la norme.Un jeune est un renard bleu ou un ratonlaveur, un autre un marshmallow géant quichange de couleur ; un autre porte toujoursun haut-de-forme […] »

Si ces représentations de l’identité peuventfaire l’objet de fréquentes révisions, les marquesde différence par rapport aux représentationstraditionnelles des identités des élèves peuventgénéralement être décrites comme enjouées. Ilest en revanche difficile de déterminer de quel jeuil s’agit. À certains égards, dans la mesure où celacorrespond bien à un projet éducatif structuré,cela ressemble au type de jeu que Sutton-Smith(2001) décrit comme « progressiste », au sens

éducatif du terme : prosocial, collaboratif et favo-risant le développement. Mais les avatars choisispar les élèves et les noms qu’ils adoptent mon-trent aussi certains éléments de la théorie du jeucomme fantasmagorie développée par Sutton-Smith : l’imaginaire anarchique intervenant com-plètement en dehors des structures réglemen-taires imposées par les conventions de l’éducationscolaire et parentale. L’« ambiguïté du jeu » sug-gérée par Sutton-Smith remet en question desoppositions plus anciennes entre le travail et lejeu qui ont embrouillé la théorie du jeu. Dans lecas de ces jeunes machinéastes, une confusionproductive entre ces catégories est utile, telleque la propose T. L. Taylor dans son étude sur letravail ludique, ou le jeu qui ressemble au tra-vail, des joueurs de jeux de pouvoir (2006).

Pour Carroll et Cameron (2005), spécialistes duthéâtre éducatif qui analysent la pédagogie et lapratique de l’improvisation par rapport au jeu derôle dans les jeux vidéo et les mondes virtuels, lethéâtre éducatif comme le jeu de rôle dans lesjeux et les machinimas offrent la « protection durôle » – le « moratoire psychosocial » qui protègele joueur d’un jeu de rôle des conséquences de lavie réelle. Ici, la représentation des rôles du pro-fesseur et des élèves est régie de diversesmanières par la protection du rôle décrite parCarroll et Cameron. Les vêtements et les coif-fures que les élèves – et les professeurs – peuventporter sur Second Life pourraient susciter descommentaires ou même être interdits dans lemilieu scolaire ; sur Second Life, ils sont régis parune modalité de jeux et de fantasmes d’identité.Les élèves peuvent endosser des rôles sociauxtout à fait différents de ceux qu’ils se sentiraientobligés de jouer en classe IRL. Mais la « grilleado » dispose de ressources plus limitées ; Brittadoit donc créer un avatar différent pour son tra-vail dans le cadre du projet Schome. Elle dit : « Ilm’a fallu deux semaines pour trouver le tempsde changer mon avatar parce que j’avais tou-jours quelque chose à faire quand j’étais enligne. Dans Schome Park, c’est relativementlimité parce qu’on n’a pas accès à d’autresboutiques. C’est vrai que mes costumes de lagrille principale me manquent ! D’ailleurs,beaucoup d’éléments de la grille principaleme manquent. Il est frustrant de passer de lagrille principale à la grille ado parce qu’on esttoujours conscients de ce à quoi on doit renon-cer, comme mon avatar de dragon ! »

Libertés et contraintes

Par conséquent, si le professeur et les élèves dis-posent de libertés considérables sur le plan del’expression dramatique et de la représentation de

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« Un séminaire que nous avons organisé dans SL. »

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soi, les ressources ne sont en aucun cas illimi-tées ; et les limitations sont conditionnées pardiverses motivations sociales. Les avatars de lagrille principale ont accès à des tatouages extra-vagants, des peaux d’aspect extrêmement réa-liste, et même à des représentations crues de lanudité intégrale ; alors que la grille ado, pour desraisons évidentes, n’a pas accès à certaines deces ressources.

De la même façon, SL a une topographie spec-taculaire – l’individualité peut être marquée nonseulement par ce que l’on porte, mais aussi par leslieux où l’on se rend. Là encore, il y a de nom-breuses libertés. Lorsque Britta Pollmuller s’estrendue à un séminaire que nous avons organisédans SL en tant que conférencière-avatar invi-tée6, elle nous a emmenés dans un studio demachinima dans SL, où nos étudiants de maîtrisepouvaient poser des questions à des animateursprofessionnels sur leur manière de réaliser desfilms. Par comparaison avec la RL, c’était d’uneremarquable facilité : pas de négociations intermi-nables, pas de déplacements compliqués qui pren-nent beaucoup de temps, ni de difficulté d’ac-cès : nous nous sommes téléportés dans le studioen quelques secondes et la « visite » pédagogiqueétait partie !

Britta Pollmuller fait toutefois des remarquessur les contraintes qui s’appliquent à ses étu-diants : « Pour des raisons évidentes, on nepeut pas sortir les adolescents de Teen SecondLife… mais j’imagine que l’on pourrait fairedes “excursions” avec les élèves pour aller visi-ter des installations et des environnementsmachinimas sur la grille principale de SL. Ily a aussi énormément de sites éducatifsincroyables dans la grille principale, mais onne peut pas y emmener les ados. Par exemple,j’ai rencontré récemment une géologue dansla grille principale de SL. Elle a monté une îleentière sur l’histoire de la géologie.Incroyable ! J’aimerais vraiment les y emme-ner. Quand je pense que, pendant ce temps-là,personne ne visite l’île de la Géologie ! »

À certains égards, par conséquent, les barrièresqui séparent IRL les mondes des adultes et desadolescents, perméables parce qu’elles sont leplus souvent d’ordre juridique, social et conven-tionnel plutôt que physique, sont rendues imper-méables par la frontière technologique entre lagrille ado et la grille principale. De même, dans lagrille principale, des « zones interdites » sontdéfendues par des barrières technologiques quiempêchent les avatars de les franchir. Si ces bar-rières matérielles – pour protéger des biens, etc.– existent dans le monde réel, elles semblent, ici,renforcées.

Pourtant, il se pourrait bien que le contextede Second Life s’éloigne des contraintes de l’édu-cation de type scolaire, alors que l’enseignementet l’apprentissage extrascolaires traditionnels n’yparviennent pas tout à fait. Si les objectifs, lesprogrammes scolaires et les systèmes d’évaluationde l’instruction extrascolaire peuvent échapperaux contraintes de la scolarité traditionnelle, lespratiques pédagogiques peuvent rester très ana-logues. Il arrive d’ailleurs souvent que les classes« extrascolaires » soient étrangement classiqueset instructives, tandis que les pratiques « sco-laires » peuvent être fluides, innovantes, cen-trées sur l’élève et collaboratives. Dans le cas dela classe de Britta au sein du projet Schome, l’en-tremise de l’élève-comme-avatar donne peut-êtreun caractère non directif au processus d’enseigne-ment et d’apprentissage, que complète le décorfantastique – le gigantesque dirigeable où seretrouvent Britta et les Schomers.

« Pas d’échanges de regards, pas de voix à élever »

Les observations de Britta Pollmuller concernantla manière dont elle a adapté son enseignementà Second Life méritent d’être analysées.

« Lorsqu’on enseigne dans une classe, onnous enseigne – et on nous rappelle – toujoursla gestion d’une classe. Après dix ans d’ensei-gnement dans la vie réelle, je pense savoirassez bien ce qui fonctionne ou non. J’ai tra-vaillé dans une diversité d’établissements,avec une diversité d’apprenants de toutescapacités.

« Mais l’enseignement dans un monde vir-tuel est entièrement différent. Tout d’abord,bien évidemment, le professeur et les élèvesne sont pas présents physiquement, donc iln’y a pas d’échanges de regards, pas de voixà élever pour leur demander de se tenir tran-quilles ; c’est un espace personnel tout à faitnouveau. »

Cela paraît une juxtaposition surprenante d’af-fordances et de contraintes. Si le sentiment deprésence et d’instrument social est fort, l’expé-rience sensorielle est très différente. Le bruit,qui est stressant pour tous les professeurs, perçucomme quelque chose de nécessaire mais qu’ilfaut constamment gérer, disparaît ; et si Brittaperçoit cet espace comme « jamais silencieux »car les étudiants sont toujours en train d’écriresur le chat ou d’envoyer des messages instanta-nés, il s’agit nettement de « silence » sensoriel.L’absence d’échanges de regards peut être inter-prétée comme une contrainte sur le plan de lacommunication ; bien que regarder trente élèvesdans les yeux dans une classe « réelle » puisse

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6. Le projet The Learningfrom Online Worlds ;Teaching In Second Life aorganisé une série deséminaires de maîtrise dansSecond Life, dont deuxétaient animés par desconférenciers invités. Le rap-port de cette étude, Learningto Teach in Second Life, estdisponible sur : http://learningfromsocialworlds.wordpress.com/learning-to-teach-in-second-life.

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être une lourde responsabilité dont le professeurest déchargé dans l’environnement virtuel.

Si nous analysons le chat entre le professeur etles étudiants, l’impression que les contraintesdeviennent des affordances est encore plus forte.La nature même du chat, avec sa diversité de dis-positifs affectifs, d’abréviations qui servent éga-lement d’argot de néo-tribu, et son adaptation àdes objectifs spécialisés (dans le cas présent, l’en-seignement et l’apprentissage de l’animation),fait intervenir une série de caractéristiques diffé-rentes à tous points de vue de la communicationtraditionnelle de la classe. Cela a pour effet demettre l’humour au premier plan, de pouvoirintervertir les rôles plus rapidement et d’aplanirla hiérarchie sociale.

Mais Britta Pollmuller reconnaît certaines simi-larités avec le contexte de l’enseignement clas-sique : « Il faut toujours gérer un groupe, etcela exige une grande rapidité ! Les deux pre-miers cours ont été frénétiques car je devaism’occuper de tous les élèves et leur donner untravail à faire. Je me suis alors retrouvée dansune situation assez proche de celle de la classeordinaire, où l’enseignant parle et demandeaux élèves ce qu’ils aimeraient faire et com-ment ils pensent y arriver, ce qu’ils pensentêtre leurs points forts, etc. »

Une différence précise entre l’enseignementdans Second Life et IRL tient à une ressourcetechnique : la fonction de messagerie instanta-née en privé qui est disponible sur SL : « J’aidécouvert que je pouvais passer davantage demoments privilégiés avec les élèves parce queje pouvais aussi chater avec eux en privé. […]À l’école, je n’avais jamais le temps de leurparler. »

La capacité de passer instantanément en modede communication privée avec un élève est impos-sible dans le cadre d’une classe traditionnelle, oùune « conversation privée » implique inévitable-ment un déplacement très visible de l’élève versun autre lieu, voire une autre salle. L’on peut tou-tefois se demander si ces « moments privilégiés »évoqués par Britta ne se retrouvent pas ailleursdans le cadre scolaire traditionnel, par exempledans des activités extrascolaires, des sorties édu-catives ou des « discussions de couloir », occa-sions que les professeurs mettent à pro-fit pour construire avec les élèves desrelations qui dépassent le cadrerestreint de l’enseignement de lamatière dans la classe. La diffé-rence tient peut-être au fait quece type de communication estici intégré dans le cours plutôtque difficilement casé dans lesinterstices de la journée scolaire.

Les machinimas des élèves

À ce jour, la principale réalisation des élèves estun film de 12 minutes sur la catastrophe du diri-geable Hindenburg en 1937. L’idée est venue dudirigeable que Britta a transporté de la grille prin-cipale de Second Life vers la grille ado : « […]comme j’avais la possibilité d’emporterquelques éléments de la grille principale versSchome Park, j’ai choisi le dirigeable : c’étaitma première « maison pirate » dans SL. J’enai fait cadeau aux jeunes. C’est très délicat dedéplacer des objets de la grille principale versla grille ado […] cela leur a donné l’idée defaire un film sur le Hindenburg ».

La conception du film est un aspect importantde la pédagogie. Les cours portant sur les médias,les arts plastiques, le théâtre et la création litté-raire ont toujours le choix entre imposer le thème(peut-être sous la contrainte des programmesd’examen) et laisser le choix aux élèves. Dans lecas présent, Britta est convaincue que les élèvesdoivent choisir ce qu’ils veulent filmer :

« Je ne suis qu’une technicienne et je leslaisse libres d’imaginer ce qu’ils veulent. Maisil m’arrive d’intervenir […] comme lorsqu’ilsvoulaient faire un remake du Titanic. Je leurdemande pourquoi ? Encore ? Je les encourageà y repenser, à expliquer pourquoi ils veulenttourner ce film dans ce style-là – cela a déjà étéfait, donc que veulent-ils faire différemment ?

Juniper Mapp : – La créativité ?Pigment Pye : – Oui […] car je pense que les

adolescents font d’abord appel à ce qu’ilsconnaissent, mais que, dès qu’on les encou-rage, ils font appel à leur imagination. C’est ceque je pense. Mais une fois que leur imagina-tion est lancée, on ne peut plus les arrêter. »

Cela soulève un certain nombre de questionspar rapport au processus créatif qui ne sont spé-cifiques ni aux machinimas ni à l’enseignementdans les mondes virtuels. Le rapport entre laliberté et la contrainte (Sharples, 1999) était l’undes thèmes de l’évaluation du projet pilote BectaDV, et de nombreux professeurs ont estimé quela liberté était la clé de la créativité ; l’évaluationa pourtant souvent estimé que les projets les plusréussis étaient ceux qui contraignaient d’une cer-

taine façon les élèves. Le projet Hinden-burg de Britta Pollmuller allie liberté

et contrainte. Il est important denoter que cela comprend laliberté de choisir le contenu,même si, comme le montre lecompte rendu de Britta, cechoix peut être remis en ques-

tion et affiné. La créativité peutfaire appel aux ressources cultu-

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« À ce jour, la principale

réalisation desélèves est un film

de 12 minutes sur la catastrophe

du dirigeableHindenburg. »

« Je pouvais passer davantage

de moments privilégiésavec les élèves parceque je pouvais aussichater avec eux en

privé. »

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relles que les élèves ont tirées de leur expérienceantérieure des médias ; mais cela exige aussi detransformer ces ressources de deux manières.Comme le souligne Britta, un des aspects de latransformation est lié à l’imagination : c’est lacapacité de retravailler des ressources culturellesdont l’on se souvient ou que l’on a découvertespour en faire quelque chose de nouveau. L’autreaspect est la discussion raisonnée. Dans l’essai deVygotski sur la créativité, cet élément est l’undes critères de la créativité, comprise comme l’al-liance de l’imagination et de la compréhensionconceptuelle ou pensée rationnelle. S’il est cou-rant que les modèles d’éducation aux médias com-portent une dimension critique et une dimensioncréative (Buckingham, 2003, Burn et Durran,2007), cet exemple montre le rapport étroit unis-sant ces dimensions apparemment séparées. Lacapacité d’évaluer et de juger de façon critique lafonction, la signification ou l’effet esthétique d’untexte médiatique va de pair avec la capacité d’ima-giner en quoi cela pourrait être différent. À l’in-verse, la capacité de créer quelque chose qui n’ajamais existé auparavant implique non seulementd’imaginer à nouveau des images, des sons, desespaces et des événements, mais aussi d’effectuerune évaluation rationnelle de la signification pos-sible de ces ressources.

Le groupe au travail

Dans l’éducation aux médias, le caractère colla-boratif du travail créatif suscite un éternel débat.Les modèles successifs de cet enseignement ontrésisté aux notions essentialistes postroman-tiques traditionnelles de génie et d’inspirationindividuels, leur préférant des comptes rendus deproduction collective qui rationalisent le proces-sus créatif, démocratisent la fonction de pater-nité d’une œuvre et encouragent les idéauxsociaux de coopération et de solidarité (cf. Buc-kingham et al., 1995, pour un exposé détaillédes principes et pratiques du travail de créationcollective dans l’EAM). Il est possible, et mêmesouhaitable, de remettre dans une certainemesure ces idéaux en question. L’on peut – l’ondevrait peut-être – plaider en faveur de la créa-tivité individuelle qui reste, nous l’avons vu, lemodèle dominant du travail créatif dans l’ensei-gnement artistique. De même, l’on peut avoirtendance à exagérer – et même à sentimentali-ser – les vertus du travail collaboratif. Le travailde groupe peut aisément dissimuler des hiérar-chies naissantes, des rivalités secrètes ou décla-rées, des formes d’exclusion et de négociation depouvoir, ainsi que des intentions désunies.

Il apparaît toutefois dans le cas présent que lacréation collective est à la hauteur de ses idéaux.

Les élèves choisissent leur fonction dans la pro-duction en accord avec le professeur :

« Decimus : montage et effets spéciauxProf. : scénarioFaz : explosifs et accessoiresAchille : enregistrementMartin : distribution, story-boardsHapno : réalisation, animation? : musique, effets sonores, costumes »(Le point d’interrogation indique qu’il nous

manque encore quelqu’un dans ces domaines.)Dans le cas de la classe de Britta, les élèves

participant au projet Schome fabriquent cer-taines de leurs ressources. En évaluant les résul-tats du projet, l’enseignante y faisait référence :« Les compétences comprenaient la concep-tion des personnages et la réalisation d’ob-jets et de décors à l’aide des outils de créa-tion et d’écriture de l’interface de SecondLife. »

Le contenu du film montre nettement les typesde transformation de genre, de ressource sémio-tique et d’information déterminée auxquelles lanotion de créativité de Vygotski peut s’appliquer.C’est un mélange d’éléments documentaires – lerécit historique de la catastrophe du Hindenburg– et d’éléments imaginaires évoquant les genresdu film policier et du thriller, qui aboutit à la créa-tion d’un mystérieux saboteur qui tue un gardienet place l’explosif qui détruit le dirigeable. Leprocessus de négociation qui accepte ici lesdiverses idées, ainsi que l’exploitation joyeuse degrandes scènes de catastrophes que les cinéastesamateurs peuvent réaliser avec les machinimas(Kelland et al., 2005), et fond le tout en un récitcohérent, est un trait particulier de ce projet.

En revanche, les contraintes et les structuresapparaissent nettement dans la pédagogie queBritta décrit ici et qui rappelle, comme son tra-vail antérieur dans les établissements scolaires,la synthèse de l’enseignement de l’art et de celuides médias. L’accent est fortement mis sur le« langage » de l’image animée, ainsi que sur lemétalangage du médium numérique : « Nous dis-posons d’un forum de discussion dédié auxmédias où nous proposons des thèmes commeles ateliers de machinimas. Nous postons desidées, des scénarios et je réussis aussi à pla-cer de la terminologie appartenant au lan-gage cinématographique. Nous discutonsaussi beaucoup de technologie, du fonctionne-ment des médias en streaming ou de quelcodec utiliser, etc. »

Les avatars filmés par eux-mêmes

Le cours mêle l’ancien et le nouveau : la gram-maire des types de prises de vues mise au point

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au début du cinéma et toujours essentielle à l’artdes machinimas, et les processus sociaux de laréalisation cinématographique, ainsi que lesoutils filmiques particuliers fournis sur SL.« Nous sommes très axés sur la pratique etles élèves apprennent une diversité de tech-niques. Il ne s’agit pas que de technologie.J’aide l’équipe à former une équipe de cinémacomplète, depuis l’écriture du scénario jus-qu’au montage, en passant par la fabricationdes accessoires, la création des costumes, letournage. Cela implique que les participantsapprennent à se servir de la caméra “alt-zoom”, de la caméra dans l’interface de SL, àpréparer des prises de vues, notamment lesplans larges, moyens, rapprochés, par-dessusl’épaule d’un personnage, etc. »

La pédagogie rappelle l’attention particulièreportée par l’éducation aux médias et aux arts autravail de production créative. D’une part, celarésulte de ce que Metz (1974) a appelé le langagecinématique : le tournage et le montage. À cer-tains égards, cela semble très proche des pro-cessus de production caractéristiques de l’EAM :« Nous nous organisons sur le forum et tout lemonde fait ce qu’il faut faire dans le mondevirtuel, ou bien j’enseigne les techniques de lacaméra et de l’enregistrement. Cela peut êtretrès prenant lorsque nous commençons à tour-ner. Il a fallu trois mois pour réaliser le filmsur le Hindenburg. […] Je filmais à côtéd’Achille (16 ans), donc nous avions deuxséries de fichiers. […] Le montage a été diffi-cile car les jeunes ne disposent pas de trèsbons logiciels de montage. La plupart se ser-vent de Movie Maker et ce n’est vraiment pas

très bon. J’aimerais donc continuer à tra-vailler là-dessus avec eux. »

Il existe tout de même certaines différences.Une capture d’écran dont Britta se sert pourenseigner différents rôles montre l’apprenticaméraman en train de voler pour filmer le diri-geable de l’extérieur. Les machinimas permet-tent par conséquent de réaliser des prises devues qui dépassent les possibilités techniquesd’un travail scolaire habituel, qui ne sont réali-sables que dans le cadre d’une production profes-sionnelle, avec des grues, des avions ou, biensûr, un protocole CGI (Common Gateway Inter-face, interface de passerelle commune).

Si le cours est centré d’une part sur le langagecinématique de Metz, il reconnaît d’autre part lanature multimodale du film et les autres sys-tèmes signifiants qu’il englobe : les costumes, letexte, le mouvement dramatique. « Jouer : celan’a pas été facile car j’ai dû prendre le poulsdes jeunes et du caméraman uniquement parécrit. Mais nous avions un scénario et lesjeunes ont suivi leur idée de départ, c’est-à-dire le meurtre du gardien et la bombe. Ils semettent d’accord par chat sur la façon de fil-mer et ce qu’il faut faire […] Je ne prenais lerelais que lorsque cela devenait trop compli-qué ou quand je voulais les recentrer sur leursidées. »

En raison de la nature même de la machinima,l’élément dramatique est une composante beau-coup plus importante que dans l’animation tradi-tionnelle, où il se limite en fait à la caractérisa-tion des personnages par la parole. Ici, le procédéest beaucoup plus proche des films tournés avecdes personnages réels dans le cadre scolaire,dans lesquels les élèves jouent, filment, montentet dirigent. L’interprétation est peut-être le carac-tère distinctif le plus manifeste des machinimaspar rapport à l’animation traditionnelle. Les ava-tars, filmés par eux-mêmes ou par d’autres,jouent des rôles en temps réel, remplaçant lafabrication atomisée de l’animation sur celluloou image par image par le spectacle continu descorps virtuels et des caméras qui tournent.

L’élément dramatique dans l’ensemble multi-modal de la fabrication d’images animées estsous-estimé dans l’EAM : au pire, les rôles decomédiens peuvent être confiés à des élèves quel’on pense moins compétents pour filmer et mon-ter. Mais, en général, on constate simplementune absence de dialogue entre les traditionspédagogiques de l’enseignement des médias etcelles du théâtre : l’un s’est doté d’un langage dereprésentation, de médiation, d’écrans et d’unmode d’exposition disséminé ; l’autre possède unlangage de présence dramatique, d’incarnationphénoménologique et un mode d’exposition local,

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Apprenti caméraman en train de voler pour filmer le dirigeable de l’extérieur.

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immédiat. En vérité, les deux ont besoin l’un del’autre.

Dans le cas du projet sur le Hindenburg, lanature du travail théâtral n’apparaît pas immédia-tement. Il s’agit nettement d’une forme de jeude rôle, comme l’indiquent Carroll et Cameron :« L’improvisation et la machinima ont toutesdeux le type d’effet que Murray veut mettre enplace dans la forme qu’elle appelle “cyber-drame”. (20) Ces deux formes conduisent à untype de travail dramatique créatif qui estintermédiaire entre le “récit linéaire” dra-matique et le “jeu” de rôle fonctionnel. La dis-tance au rôle permet à la nécessaire “entitépsychologiquement présente”, située quelquepart entre “moi” et l’“autre”, d’opérer à l’in-térieur du contexte défini. » (2005, 8)

La distance au rôle offre ici la possibilité d’unedistance critique, héritière en fait de l’aliénationbrechtienne, que l’improvisation dans le cadrescolaire apprécie. Il ne s’agit pas tant de s’im-merger affectivement dans un rôle que d’êtrecapable d’entrer dans le rôle et d’en sortir pourréfléchir à la progression de la pièce et à sa signi-fication pour les divers participants et specta-teurs. Henry Lowood propose une métaphoredifférente : « C’était un premier pas vers ceque Paul Marino, l’un des membres fonda-teurs du Ill Clan, appellerait l’art des marion-nettes virtuel de la machinima, c’est-à-direla minutieuse synchronisation entre lesactions des avatars (déplacement, parole) etla voix des acteurs ou des joueurs à l’aide dela configuration du clavier. » (2005, 20)

En tant que marionnette, l’avatar ressemblesous certains aspects à la notion de « spectac-teur » d’Augusto Boal – le spectacteur étantle membre du public qui franchit leseuil et prend part à la pièce (Boal,1992). Qui plus est, les deux pré-sentent une distance critique.Mais il y a des différencesd’orientation. Le spectacteursous-entend un projet politiquesérieux. La marionnette, enrevanche, évoque le jeu, le carna-val, le théâtre de rue, l’enfance.Naturellement, l’avenir de la machi-nima, en tant que forme artistique ouméthode éducative, peut comprendre les deux.

D’une manière générale, il s’agit ici de s’inter-roger sur la diversité pragmatique du travail créa-tif dans l’éducation. Ce type d’activité dépasse lespratiques traditionnelles du cours sur les médiasou du cours de dessin. Nous ne savons plus trèsbien si l’œuvre d’art appartient au monde de laculture populaire, de l’avant-garde ou des deuxà la fois ; si les élèves se lancent dans le cinéma,

la conception visuelle ou la comédie ; si leur tra-vail touche à la littératie, à la culture visuelle,au cinéma populaire, au théâtre numérique ou àtous ces champs. En même temps, il est mani-feste que l’intelligence pédagogique à l’œuvre icirefuse posément de jeter les bébés pédagogiquesavec l’eau du bain. L’ordre ancien est peut-êtreen train de céder la place à quelque chose deplus pluraliste, de plus fluide, de plus aisémentcaractérisé par des modes de pensée postmo-dernistes que modernistes ; mais le processus defabrication créative a encore besoin de consulterles procédures détaillées de médias plus anciens,leurs grammaires et leurs résonances culturelles.Cela est vrai pour les élèves qui participent auprojet Schome comme pour la communautémachinima adulte.

Conclusion

L’une des conclusions possibles de cette étudeest que les nouveaux médias soulèvent d’an-ciennes questions, même si celles-ci prennent denouvelles formes. Le travail de Britta avec lesélèves du projet Schome laisse penser que ceux-ci ont besoin d’un enjeu par rapport au contenude leur travail, que les approches de la produc-tion créative réussissent lorsqu’elles parvien-nent à équilibrer le jeu et le travail ; qu’une atten-tion minutieuse à la spécificité sémiotique del’image animée porte ses fruits. Ce travail posela question des différences entre les pratiquesesthétiques de l’éducation à l’art et de l’éduca-tion aux médias, mais cela signifie aussi que cetype de projet peut prendre place au sein depratiques changeantes dans les deux disciplines,

l’une s’orientant vers une approche pluspluraliste, plus critique, et l’autre s’in-

téressant davantage aux arts dansl’enseignement. Il soulève la

question des avantages de l’ins-truction extrascolaire, de saliberté par rapport auxcontraintes que sont les dispo-

sitifs obligatoires du programmeet du système d’évaluation. Ce

travail montre les avantages queprésente, tant dans l’enseignement

de l’art que des médias, une approchepédagogique ancrée dans la pratique artistiqueprofessionnelle et influencée par elle. Il met enévidence la complexité et les bienfaits d’un tra-vail de création collaboratif.

Cela ne fait que renforcer les enseignementstirés par le passé sur l’éducation des médias,bien qu’il ne soit pas inutile de les répéter et deles renouveler, surtout dans le contexte des nou-veaux médias. •

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« Un type de travail créatif

intermédiaire entre le “récit linéaire”

dramatique et le “jeu” de rôlefonctionnel. »

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Références

Une île dédiée à la création artistique sur Second Life.

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