Leys, Mort d’Un Bookmaker Chinois - Libération
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Leys, mort dun bookmaker chinoisPHILIPPE LANON 11 AOT 2014 18:36
Pierre Ryckmans, chez lui Canberra en 1998. (Photo AFP)
SINOLOGIE Lcrivain belge a t lun des premiers dnoncer la rvolutionculturelle maoste.
Cest en hommage Ren Leys, le roman de Victor Segalen, lui-mme inspir par un Franais ayant
prtendu avoir pntr en 1910 Pkin dans le Palais imprial pour y divertir limpratrice, que le
sinologue, universitaire et crivain belge Pierre Ryckmans avait pris pour nom de plume, il y a presque
un demi-sicle, Simon Leys. Il est mort lundi, 78 ans, Canberra, en Australie, pays o il habitait
depuis 1970, avec son pouse chinoise et leurs enfants. Loin dun monde intellectuel europen,
particulirement franais, qui commena par lignorer pour finalement le clbrer.
Ses derniers mots publis, dans le Studio de linutilit (Flammarion, 2012), sont tenus lors dune
confrence : Luniversit nest pas une usine fabriquer des diplmes, la faon des usines
LIVRES
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saucisses qui fabriquent des saucisses. Cest le lieu o une chance est donne des hommes de
devenir qui ils sont vraiment. Il a fait en sorte de le vivre, comme tudiant, professeur et auteur :
Pour moi, ltude et la vie ne formaient plus quune seule entreprise, joyeuse et inpuisable. Et cest
bien ce quon prouve le lire, quil voque lpope dun quipage marin en perdition (les Naufrags
du Batavia, Arla), lexil de Victor Hugo (Prote et autres essais, Gallimard) ou lextraordinaire
personnalit de Zhou Enlai (lHumeur, lHonneur, lHorreur, Robert Laffont).
Son uvre pourrait tre rsume par lexclamation de lenfant dans les Habits neufs de lempereur, le
conte dAndersen : Mais papa, lempereur est tout nu ! Il a pass sa vie mettre nu ceux quil
dtestait, mais aussi ceux quil aimait, puisquon doit aux uns comme aux autres cet hommage que la
vertu cherche rendre au vice : la lucidit. Lexclamation enfantine figure dailleurs en exergue du
livre qui le rendit clbre en 1971, les Habits neufs du prsident Mao ; clbre, mais retardement,
tant ce rcit prcis, implacable et en lger diffr de la rvolution culturelle chinoise, ce dcodage anim
par la colre toujours aussi plaisant lire, battait froid la mode occidentale maoste, alors au znith. Cet
essai dallure si romanesque valut longtemps son auteur, pour les plus honteuses raisons, la haine
assourdie de la gauche. Le Monde maccusa dtre agent de la CIA ! rappelait-il volontiers.
Sans piti. En 1989, dans la postface ses Essais sur la Chine (Bouquins), il compare lhorreur que
provoque le massacre de Tiananmen lenthousiasme que suscita vingt ans avant la boucherie maoste
: En fait, ce nest pas la nature du rgime communiste chinois qui a soudain empir en juin ; cest
seulement lOccident qui a commenc enfin y voir un peu plus clair. La suite capitaliste allait hlas
montrer que Simon continuait prcher dans le dsert. Il a t en tout cas lun des rares, et des tout
premiers, ter sur la Chine leurs excuses aux aveugles, aux affairistes et aux ignorants. Son travail
tait joyeux, mais sans piti, comme une opration de la corne effectue sous les rires : ainsi quand,
dans un Apostrophes clbre consacr la Chine (27 mai 1983), il ridiculisa en quelques rpliques,
avec un air de vieux chien sympathique, la femme politique et journaliste italienne Maria Antonietta
Macciochi, venue clbrer les glorieux trophes de sa propre vie, de Tito en Mao. En quelques minutes
apparemment anecdotiques, cest tout un monde qui scroula, celui qui avait clbr avec un
narcissisme sans gal les tyrans rouges de ce monde et ce quil nomme linternationale des chefs.
Les ventes du livres de Macciochi cessent net.
Vaches sacres. Peu dhommes unissaient comme Leys une rudition spcifique de type
universitaire, une connaissance vcue du terrain relat, une passion dhonnte homme pour la
littrature (Cervants, Chesterton, Conrad, Lu Xun et avant tout Orwell, dont lide de common
decency, ou sens commun, la intellectuellement guid), un style clair, bonhomme et sarcastique, un
got prononc et insolent pour la polmique et le dcanillage de vaches sacres quils trouvaient
propres dvoyer le jugement et lesprit dmocratique : Roland Barthes, Han Suyin ou Alain
Peyrefitte sur la Chine, Andr Gide sur les juifs et ce quil reste de son uvre, ont fait les frais de sa
verve minutieuse. Sa belgitude (terme quil employa dans un texte agressif sur les corrections
tardives du pote Henri Michaux, quil trouve inutiles et dulcorantes) ntait pas pour rien dans son
mauvais got froid et son indlicatesse envers les statues. Manire dtre conforme une phrase de
Pascal quil citait : Si Platon et Aristote ont parl de politique, ctait comme pour rgler un hpital
de fous ; et sils ont fait semblant den parler comme dune grande chose, cest quils savaient que les
fous qui ils parlaient pensaient tre rois et empereurs.
Fils dun bourgmestre, n Bruxelles, il voyage en Chine ds 1959, tudie Taiwan, sinstalle
Hongkong o il recueille avec des amis les tmoignages de ceux qui fuient Mao, analyse la presse
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chinoise et dcrypte son mentir vrai. Dans le Studio de linutilit, il raconte comment, aprs avoir
tudi Taiwan, il partagea pendant deux ans une cahute situe au cur dun bidonville de rfugis
Hongkong (ct Kowloon). Pour sy rendre de nuit, il fallait se munir dune torche lectrique, car il
ny avait l ni routes ni rverbres - seulement un ddale de sentes obscures qui louvoyaient dans un
chaos de baraques boiteuses. Un gout ciel ouvert longeait le sentier, et de gros rats dboulaient
sous les pieds des passants. Cest ici quil travaille en compagnie dun calligraphe, au milieu dun
dsordre de livres, sous une grande calligraphie intitule : le studio de linutilit.
Don Quichotte. Lun de ses personnages prfrs est justement un prince de linutilit : Don
Quichotte. En 2001, par fax, dune petite criture fine et soigne, Leys nous commentait deux de ses
passages prfres. Celui o le fier Hidalgo se fait ouvrir la cage au lion et dfie le redoutable fauve :
Le hros est aux prises avec une dangereuse ralit, il laffronte avec un impressionnant courage et
il sort indemne de lpreuve ; celui o Sancho devient gouverneur dans son le : La folie dun
homme sens est plus folle que la folie dun fou, mais, dans sa folie mme, lhomme sens manifeste
un sens suprieur. Tout en contemplant locan quil aimait, Simon Leys na cess de suivre les traces
de lun et de lautre.
Philippe LANON
Plus rcents | Plus anciens | Top commentaires
MCC 13 AOT 2014 4:51
APPAMEE 12 AOT 2014 8:6
Merci Monsieur Lanon de ce bel hommage Monsieur Pierre Ryckmans, autre Don Quichotte.
2 J'AIME
Le Maosme est un Totalitarisme de la pire espce ,il fallait tre aveugle ou complice pour ne pas le dnoncer en sontemps .
Appame
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RIUSSI 12 AOT 2014 9:41
@appamee Juste. Mais restent 2 questions non rsolues:
1-comment tant d'intellectuels ont-ils pu succomber au maosme et autres lninisme et stalinisme ?
2-est-on bien assur que ces 3 "ismes" ne sduisent pas encore, mutatis mutandis ?
Et lire cet hommage dans un journal comme Libration qui n'a jamais vraiment fait amende honorable seraitrjouissant s'il tait sign des pres fondateurs -July par exemple...
2 J'AIME
9 COMMENTAIRES
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ANTOINELESOUTIER 12 AOT 2014 4:57
PERELACHAISE 12 AOT 2014 4:12
CEXEPA-581@TMP 12 AOT 2014 3:51
2 J'AIME
PERELACHAISE 12 AOT 2014 16:3
APPAMEE 13 AOT 2014 14:51
Allons..allons...Serge July aurait t maoste? Pas possible...
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@riussi @appamee Les intellectuels ne sont pas fiables en gnral , et peu dfendent de bonnes ides non -totalitaires . Ils manquent cruellement de ralisme et de pragmatisme pour juger correctement des ides .Et ils enrestent pleins de nos jours qui dfendent ces " ismes " , exact et hlas !
Libration a fait partie de ceux qui ont soutenus ces horreurs totalitaires, en effet .
Appame
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Bravo pour cet article quilibr et humain.
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Mais qu'en pensent Bernard Henri Lvy ( alias Botul le Mao) et Andr Glucksman ( Alias Rien)...
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ZAMENHOF 12 AOT 2014 6:17
@perelachaise je crois que c'est faire injure l'intelligence, la culture, la connaissance de cette personne que dele comparer nos deux comiques
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Merveilleux hommage, merci Philippe Lanon.
Amus par la petite pierre dans le jardin du Monde. Compagnon de route de Libration depuis tellement d'annes que jene compte plus, je me permets de souligner cependant que nous pouvons aussi dposer un menhir dans le jardin deLibration ...... et dans le mien propre. En toute amiti.
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