L'expres de l'Est

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Istanbul - Kars

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REPORTAGE

La Turquie au rythme

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du trainQuarante heures pour relierIstanbul à Kars, ville proche de l’Arménie. Ligne ferroviairemythique qui traverse toute la Turquie, le Dogu Ekspresi(l’Express de l’Est) sillonne les hauts plateaux anatoliens et offre au voyageur patient de sublimes paysages et des rencontres inoubliables.

Un reportage (texte et photos)

de Clément Girardot

La gare d’Haydapasha à Istanbul.

Ci-contre: Cevdet Ismaïloglu, le chef cuisinier duwagon restaurant, a rencontré beaucoup de passagersnostalgiques.

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REPORTAGE

8h du matin: comme chaquejour, le Dogu Ekspresi (l’Ex-

press de l’Est) s’élance pour unvoyage de 1900 km. Le train re-lie les deux extrémités du pays:Istanbul et Kars. Deux antipodestout autant géographiques quesociaux et culturels. Le départ

est ponctuel, mais nous sommesprévenus d’avance, les horairesinscrits sur les panneaux sontpurement indicatifs. L’arrivée estprévue pour le lendemain soir.Monter à bord de ce train, c’estpartir à la rencontre de la Tur-quie et de ses contrastes.

RUDE CONCURRENCEPour le chef cuisinier du wagonrestaurant, Cevdet Ismaïloglu,«les voyageurs viennent surtout

pour la nostalgie». Pourtant, mal-gré le train de sénateur, les wa-gons sont plutôt modernes et lescouchettes confortables. Cette li-gne historique de la compagnieturque des chemins de fer (TCDD)symbolise surtout l’unité du ter-ritoire.

Les passagers ne sont pas légion.«Avant, ce train était bondé, ra-conte un employé de TCDD, maisactuellement la concurrence dubus et de l’avion est très forte.Les horaires sont absurdes aus-si, avec des départs en plein mi-lieu de la nuit pour certaines gran-des villes.» Il place ses espoirsdans le développement du TGVqui mettra bientôt Ankara à troisheures d’Istanbul à 250km/havant une extension prévue du

réseau vers le Sud et l’Est. Lespassagers du Dogu Ekspresi ontout le loisir d’apprécier les pay-sages. Après les banlieues sansfin d’Istanbul, le lac de Sapancaannonce un terrain plus escar-pé. La voie bifurque ensuite versle Sud pour longer le tumultueuxfleuve Sakarya dans des gorgesescarpées où se logent de petitsvillages. A ces défilés alpestressuccède un relief plus apaisé dehauts plateaux cultivés après lagrande ville d’Eskisehir, qui serêve en Venise de la Turquie de-puis que la rivière Porsuk ac-cueille des gondoles.

ATATÜRK OMNIPRÉSENTLes couleurs sont chatoyantes,un camaïeu d’ocre et de vert ri-valise avec le bleu du ciel. Dif-ficile de décoller son nez de lafenêtre quand l’harmonie natu-relle vient à être rompue par lastatue de Mustafa Kemal Ata-türk: elle domine le tracé du TGV

L’Anatolie: des collinespelées sur devastes étendues. A droite: ven-deur ambulant,Aykut proposedes briquets, des bagues et des colliers.

MONTER À BORD DE CE TRAIN, C’EST PARTIR À LA RENCONTRE DE LA TURQUIE ET DE SES CONTRASTES.

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à quelques encablures d’Ankara.Le fondateur de la Républiqueturque en 1923 est omniprésentplus de quatre-vingts ans aprèssa mort. «Je ne suis encore ja-mais allé dans un pays où le cul-te de la personnalité est aussi dé-veloppé, spécialement pour unhomme décédé», commente le

routard australien Ed Brockhoff.Comme dans la plupart des lieuxpublics et des magasins, un por-trait du premier président turcest accroché en bonne et due pla-ce dans le wagon restaurant.Aux alentours de 18h, arrivée àla gare d’Ankara où un quai ac-cueille le wagon personnel d’Ata-

türk telle une relique sacrée. Lacapitale turque est une ville plu-tôt récente marquée par son rôleessentiellement bureaucratique.C’est la deuxième métropole dupays avec quatre millions d’ha-bitants et une croissance expo-nentielle depuis quatre décen-nies. Les admirateurs d’Atatürk

Le DoguEkspresi sil-lonne les hautsplateaux anato-liens: dépayse-ment garanti. Letrajet Istanbul-Kars coûte 50francs environ plein tarif pourune couchette.

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REPORTAGE

apprécieront toutefois la visitedu monumental mausolée épo-nyme où repose sa dépouillemortelle.Le train étant le moyen de trans-port le moins cher en Turquie, ilest surtout emprunté par lesclasse populaires: ouvriers, chô-meurs, étudiants et soldats quirejoignent leur garnison pour ef-fectuer le service militaire. Desmarchands ambulants passent en-tre les rangées pour vendre dessimits (bretzels turcs) pour une

lire (60 centimes) et de l’eau. Lejeune Aykut propose des bagues,des colliers à l’effigie de Che Gue-vara ou Ahmet Kaya (chanteurkurde de gauche) et des briquetsaux insignes des loups gris (grou-pe ultra-nationaliste).La nuit tombe et le train s’orien-te vers le sud-est, direction Kay-seri, ville industrielle du centreanatolien en pleine expansion.Quelques irréductibles boiventau bar alors que les autres passa-gers somnolent dans une forte

odeur de pastirma (charcuteriede viande de bœuf séchée et épi-cée, spécialité de Kayseri).Au petit matin, le train entre engare de Sivas, gros bourg sansréel intérêt touristique qui jouaun rôle important dans l’établis-sement de la République turqueen 1919. Plus récemment, Sivasa été le théâtre du massacre de33 intellectuels alévis (1993). Laville est actuellement aux mainsd’un parti d’extrême droite, maisla région est le bastion de l’alé-visme. Cette religion est une ver-sion hétérodoxe de l’islam long-temps persécutée par la majoritésunnite et dont les pratiquantssont généralement proches de lagauche.

UN LENT DÉCLINQuelques heures plus tard, le Do-gu Ekspresi traverse la ville de Di-vrigi, à très grande majorité alé-vie. Une escale s’impose pour con-templer la mosquée et l’ancienhôpital, construits au 13e siècle– des monuments inscrits au

patrimoine mondial de l’huma-nité. Le convoi prend de l’alti-tude et serpente au milieu d’unesteppe immense bordée de ci-mes enneigées avant de longerle légendaire fleuve Euphrate quivient prendre sa source dans lesmontagnes anatoliennes. Le ta-bleau serait parfait sans le chan-tier de construction d’une nou-velle autoroute qui reliera la vil-le d’Erzincan à celle d’Erzurum.Logée au pied du mont Palandö-ken, à une altitude de 1950 mè-tres, Erzurum est la ville la plusfroide de Turquie et sa capitaledes sports d’hiver. Elle accueil-

Hameau entre Sivas et Erzurum.

A la gare d’Erzurum, moderne et claire, l’attente est somme touteagréable.

LE TRAIN EST SURTOUTEMPRUNTÉ PAR LESCLASSE POPULAIRES:OUVRIERS, CHÔMEURS,ÉTUDIANTS ET SOLDATS.

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REPORTAGE

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Entre Sivas et Erzurum, dans un paysage de collines.

L’itinéraire du Dogu Ekspresi

lera les Jeux universitaires en fé-vrier 2011.Alors que nous sommes bienloin d’Istanbul, les passagères sefont de plus en plus rares. Meh-met Akif, étudiant de 27 ans àErzurum, explique que les rela-tions sentimentales et sexuelleshors mariage sont encore com-pliquées à l’Est du pays. Les jeu-nes hommes ont l’habitude d’al-ler s’encanailler dans le bordel

de la région et les filles ne sor-tent guère le soir. Il faut dire queles divertissements sont limitésà Erzurum: pas de bars, quelquescafés, quatre cinémas et un cen-tre commercial flambant neuf.La nuit tombe à nouveau. Lesnévés présents sur le bord desrails annoncent l’arrivée à Kars,terminus du train depuis la fer-meture de la frontière avec l’Ar-ménie en 1993 suite au conflitdu Haut-Karabagh entre l’Armé-nie et l’Azerbaïdjan.

KARS, LE PARIS DE L’EST«Kars est le Paris de l’Est», affir-me Fatma Gül Arkan, une jeuneTurque de 18 ans. La municipa-

lité a investi dans de beaux trot-toirs et des lampadaires à l’an-cienne qui rappellent le lustred’antan. Ville prospère au débutdu 20e siècle – en témoignent demagnifiques bâtiments russes etarméniens –, Kars a décliné pe-tit à petit. Une hibernation sub-tilement décrite dans Neige d’Or-han Pamuk dont la cité semblesortie. Kars, surplombée d’un im-posant monument inachevé dé-dié à la paix – deux personnagesface à face –, espère la réouver-ture de la frontière arméniennepour sortir de son isolement etredevenir la porte du Caucase.///

Clément Girardot