EUROPE DE L ' E S T LA TRANSITION ÉCONOMIQUE

D O M I N O S

Collection dirigée par Michel Serres et Nayla Farouki

J É R Ô M E S G A R D

EUROPE DE L'EST LA TRANSITION ÉCONOMIQUE

Un exposé pour comprendre Un essai pour réfléchir

D O M I N O S Flammarion

J é r ô m e Sgard. Docteur en économie, Jérôme Sgard a travaillé à la Société générale puis au Commissariat général au Plan. Aujourd'hui, il est chercheur au Centre d'études prospectives et d'informations internationales (CEPII) et dirige la revue Économie internationale. Ses travaux portent principalement sur les réformes en Europe de l'Est et en Russie, notamment sur les plans moné- taire et financier; il a aussi travaillé sur l'Amérique latine.

Ç Flammarion 1997 ISBN : 2-08-035488-4

Imprimé en France

Sommaire

7 Avant-propos

Un exposé pour comprendre

15 C o m m e n t ç a s ' e s t p a s s é

17 Les grands moments de la transition

37 Quelle croissance à moyen terme?

Un essai pour réfléchir

59 L a t r a n s i t i o n : u n é v é n e m e n t

t h é o r i q u e

61 La raison de l'indiscipline

87 Deux modèles de transition

111 Annexes

La première fois qu'apparaît un mot relevant d'un vocabulaire spécialisé, explicité

dans le glossaire, il est suivi d'un *

Avant-propos

D es centaines de livres ont déjà raconté, expliqué et parfois théorisé comment, en 1989, les socié-

tés d'Europe de l'Est ont détruit en quelques mois des régimes inertes et répressifs, établis depuis des décen- nies. On peut faire le pari qu'un plus grand nombre encore d'analystes et de mémorialistes reviendront à l'avenir sur cette brève épopée, sans que jamais, pro- bablement, ils ne se mettent d'accord sur le fin mot de l'histoire, pas plus d'ailleurs que sur ses termes les plus généraux : l'économie, la politique, la géopolitique, le hasard, l'héroïsme de certains, la résistance des autres.

Ce livre n'entre pas dans cette série, mais dans la suivante, qui est probablement un peu moins longue : que s'est-il passé après? Comment les vainqueurs de l'automne 1989 ont-ils conduit un changement social dont ils envisageaient mal le cheminement, si la fin était en revanche bien identifiée : la démocratie, la prospérité, le marché, l'Europe, pour résumer; soit encore cette utopie singulière que, dans les files d'at- tente devant les boulangeries, on désignait comme

« un pays normal »? Comment des sociétés récem- ment mobilisées, mais qui étaient aussi déstructurées, appauvries, souvent vieillissantes, ont-elles réinventé une politique démocratique, une économie de mar- ché, une société civile autonome ? Comment ces champs, qui en principe fonctionnent d'eux-mêmes et non pas sur décision, ont-ils pu se réinstituer? Par tâtonnements, par délibération préalable, par une réforme volontariste, par une opération de synthèse ?

On ne doute pas qu'ici l'économie soit décisive. Plus, en tout cas, que lors des transitions démocra- tiques en Europe du Sud, au cours des années 70, ou bien en Amérique latine dix ans plus tard, qui avaient déjà pour cadre un régime d'économie de marché. Dans ces expériences antérieures, la dimension sociale et économique était certes évidente, mais elle n'était pas placée aussi directement dans le prolongement de la victoire politique, comme si elle devait en être l'achèvement, voire, pour certains, la justification. Un des traits originaux de l'expérience est-européenne est que pour les acteurs de la transition, au-delà des réformes politiques, il fallait surtout « changer l'éco- nomie », conçue ainsi de manière très fonctionnelle, presque technique : elle était l'instrument pour qu'émerge un jour une société plus vivable. En revanche, le projet plus général d'un « changement de société » - pour ne pas parler d'une insurrection romantique qu'on aurait pu voir émerger des grandes phases de mobilisation de 1989, était remarquable- ment discret : comme si désormais la société était plus l'objet, voire le spectateur, des réformes que son

acteur. Lech Walesa a résumé avec humour cet éco-

nomisme de la transition en disant, à l'époque, qu'elle revenait à changer le moteur d'une vieille Trabant pour celui d'une Mercedes, tout en continuant de fon- cer plein Ouest sur l'autoroute.

Toutefois, et l'on se rapproche plus directement du sujet, il n'en va pas seulement ici des mots d'esprit, des représentations collectives et des idéologies, quels que soient leurs effets réels. Dans une très large mesure, les changements sociaux énormes intervenus en Europe de l'Est au cours des dernières années ont été mis en œuvre, puis soutenus et orientés par des réformes économiques précises, souvent techniques, et que l'on pourrait presque résumer dans un précis de la transition - dont le lecteur ne trouvera pas ici une première version. C'est ainsi que, très vite, dès les pre- mières semaines de 1990, les militants des anciennes oppositions démocratiques, parfois juste sortis de pri- son, ont confié l'initiative et une bonne part de leur légitimité à un- groupe étroit d'ingénieurs de l'écono- mie, aux engagements politiques souvent assez dis- crets. Ceux-ci se sont enfermés pour de longs mois d'activité frénétique dans les lourdes bâtisses qui abri- tent, de Varsovie à Sofia, les ministères des Finances, les banques centrales et les ordinateurs du Plan. Certes, les Parlements, les pouvoirs régionaux ou municipaux, les acteurs sociaux, les initiatives indivi- duelles ont ensuite « fait le travail », sans lequel à l'évi- dence rien ne se serait passé. On peut toutefois se résumer en avançant que les acteurs locaux ont inventé des pratiques à partir des règles du jeu établies

au centre, et souvent en résistance contre elles, plutôt que selon une dynamique inverse : celle où le change- ment émerge progressivement, de manière décentrali- sée, et se généralise ou se formalise ensuite.

Le résultat a été sans doute la réforme la plus radi- cale jamais entreprise par des moyens démocratiques et législatifs. L'ensemble des appareils économiques a été démonté et remonté, mais aussi l'essentiel des ins- titutions et, de fait, une très grande partie des rapports sociaux : la propriété, le salariat, la monnaie, l'autorité de l'État, la forme de la loi, l'arbitrage des conflits sociaux, la répartition des revenus, la dynamique des inégalités. A la limite, la transition à l'Est, c'est l'his- toire sociale la plus large concentrée dans une opéra- tion d'ingénierie économique. Jamais la « force révolu- tionnaire du capitalisme », évoquée par Marx dans son analyse de la première transition au capitalisme, n'a été instrumentalisée de manière aussi délibérée pour fon- der, au-delà des prix et du profit, un nouvel ordre social. Peu politisée, la transition apparaît aussi comme une expérience extrême, sans doute indépas- sable, de constructivisme social. Tout ce qu'est l'éco- nomie depuis plus de deux siècles, dans la société et dans la culture modernes, s'exprime ici dans sa forme la plus concentrée : l'individu, la rationalité, le pou- voir, le progrès.

La première partie de ce livre résume ce que les spécialistes ont cru comprendre. On décrira ce qui s'est passé après 1989, comment les techniciens de la réforme ont préparé puis mis en œuvre les réformes, comment les acteurs sociaux ont réagi, les problèmes

Le passage au capitalisme. Une révolution sans mobilisation sociale, sans utopie, sans avant-garde.

El Lissitzky, Projet de tribune Lénine, 1920. Ph. ç D .R.

Dans la même collection

Société, éducation n ° 2 - l a M é m o i r e , d u c e r v e a u à l 'école d ' A l a i n L i c u r y

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n " 11 - Éco le e t T i e r s M o n d e d e S y l v a i n L o u r i é

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n 6 0 - L ' A c t i o n h u m a n i t a i r e d e R o n y B r a u m a n

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n : 71 - L ' A u t o et la Ville d e G a b r i e l D u p u y

n ' 7 2 - C i t o y e n n e t é e t p o l i t i q u e s sociales d ' A n n i c k M a d e c e t N u m a M u r a r d

n,: 7 7 - I e P a y s a g e d e F r a n ç o i s B é g u i n

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n ° 1 4 3 - Les P o l i t i q u e s d u l o g e m e n t d e J e a n - P a u l L a c a z e

D A N S L A M Ê M E C O L L E C T I O N

Droit, économie, politique n° 3 - Politiques agricoles de Lucien Bourgeois n° 7 - Le Moyen-Orient de Georges Corm n° 18 - Les Prisons de Jean Favard n° 20 - La Chine de Lucien Bianco

n° 22 - Les Marchés financiers de Jean Saint-Geours n° 25 - Quelles régions pour /'E!<?-op<' ? de Jean Labasse n° 26 - L'Afrique noire de Thérèse Pujolle n° 27 - Allemagne d'Alfred Grosser et Hélène Miard-Delacroix n° 30 - L'État et le Politique d'Odon Vallet n° 35 - Les Balkans de Paul Garde

n° 36 - Crimes et Lois de Jean de Maillard n° 55 - Environnement et Choix politiques de Dominique Dron n° 57 - L'Aménagement du territoire de Jean-Paul I .acaze n° 61 - La Ve République de Jean Foyer n° 62 - La Paix, demain ? de Federico Mayor n° 70 - Administration et Pouvoir d'Odon Vallet

n° 81 - La Responsabilité médicale de Guy Nicolas n° 83 - La Monnaie de Jean Cartelier n° 85 - L'Asie du Sud-Est de Philippe Richer n° 86 - Le Divorce de Colette Holstein

n° 93 - L'Economie de marché de Roger Guesnerie n° 94 - Les Transports au futur de René Joatton n' 95 - Les Indiens d'Amérique de Philippe Jacquin n° 97 - La Pollution des mers de Jean-Claude Lacaze n° 106 - La Philosophie politique d'Anne Baudart n° 112 - Les Juges d'Yves Benhamou n° 115 - Les Circuits de l'Épargne de Roland Monet n° 125 - L'Antarctique de Claude Lorius et Roger Gendrin n° 126 - Les Politiques de l'emploi en Europe de Jean-Claude Barbier n° 133 - La Démocratie de Guy Hermet n° 138 - L'Europe et la mondialisation de Frédérique Sachwald

Mais n'oubliez pas, Dominos c'est aussi Les sciences, la médecine, les techniques,

les religions, les arts...