L'étranger et la mosquée
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L’étranger et la mosquée
par Driss Louiz
Un beau jour, la djemaa, c´est-à-dire l´assemblée du village en question décide
la construction d´une mosquée. Il faut remplacer la mosquée en pisé qu´on a
déjà par une mosquée en béton armé. Le principe d´une quête est adopté: comme
la commune compte à peu près cinq cents habitants, on fixe à 100 dirhams par
personne la participation de chacun, compte tenu que les grosses têtes, dont
certaines ne sont pas présentes, vont donner plus. Tout le monde est content de
l´idée.
Les travaux commencent. Ils sont loin d´être terminés et l´on se rend compte
qu´il faut procéder à un deuxième tour de collecte de fonds. La djemaâ se réunit
et, cette fois, les choses ne se passent pas aussi simplement que la fois
précédente: il y a ceux qui sont pour et ceux qui sont contre, ceux qui estiment
qu´ils ont assez donné. Quelqu´un propose d´aller au village demander l´aide des
villageois et d´aller les solliciter avec un plateau en cuivre recouvert d´un
foulard vert. A votre bon cœur, mesdames, mesdemoiselles, messieurs, pour
terminer la construction de la mosquée en dur. Les grosses têtes s´insurgent
contre cette proposition qui les touche dans leur orgueil. Nous, les grandes
personnalités du douar Oulad Aidi, demander une aide, jamais! Quelle honte!
Des voix s´élèvent. Des cris. On est en démocratie. Les enfants, qui jouaient pas
loin de là, ont arrêté leurs jeux pour rejoindre l´assemblée où il va y avoir du
sport. Tout cela se passe en plein air, parmi
les tentes et les bestiaux, à la faveur de la belle saison.
Vous attendez un soudain, comme dans tout récit digne de ce nom, eh bien,
voici notre soudain.
Soudain, une voiture arrive, une Mercedes noire. Tout se fige ,y compris
les enfants. Tous les regards convergent vers l´homme qui descend de la
Mercedes noire. C´est un quadragénaire bien en forme, bien habillé d´un
costume noir également, avec des lunettes noires elles aussi. L´homme descend
de la voiture sans se presser, et il se dirige vers l´assemblée, une mallette noire à
la main droite. Mais les enfants ne s´intéressent plus à lui : toute leur attention
est focalisée sur la voiture, qui est tout simplement superbe.
L´inconnu-on se croirait dans un film de far west- s´informe d´abord auprès de
quelques enfants qui l´entourent et qui ne sont pas encore allé béer d´admiration
devant la bagnole: qu´est-ce qui se passe ici que sont ces gens et quelle dispute
les anime ? Le fait qui s´est porté au -devant de lui, lui fournit avec force détails
et gestes les compléments d´information . L´inconnu a maintenant en mains
toutes les données du problème et il se porte volontaire pour apporter les
sommes qui manqueront une fois la collecte réalisée, et même sans plus attendre
,là, tout de suite. A qui faut-il faire le don. Au fqih, bien sûr. En chèque ou en
espèces? En espèces, en espèces, nous n´avons pas de confiance en la banque. Il
retourne à sa voiture, immatriculée en Italie, pour y poser, sur le capot, la
mallette, comme sur un comptoir, il ouvre la mallette, chtak, il en sort dix mille
dirhams cash et les remet au fqih qui lève les bras au ciel en montrant à
l´assemblée son sauveur qui ne peut être qu´un envoyé par Dieu.
Les grosses têtes n´ont plus eu qu´à s´incliner: il n’y a aucune humiliation à
accepter un secours quand il est le fait de la divine providence.
Le généreux donateur inconnu est reparti comme il est venu, couvert de gloire et
de bénédictions, sans que nul ne sache ni son nom ni son adresse. C´est que, son
beau geste accompli, il était pressé par quelque affaire…
Le jour J arrive. La mosquée en dur est fin prête. On va l´inaugurer . Le jour J
est un vendredi, bien sûr. Quelle fierté sera-ce pour les villageois d´Oulad Aïdi
que de lancer au ciel la première prière partie de ce sanctuaire! Pour la
circonstance, les gens des douars avoisinants sont venus en renforts.
Et le hasard, qui fait bien les choses, a voulu que l´inconnu passe par-là, le jour
en question! Ah, que tout le monde est donc content! La joie atteint son stade
maximum du fait de la présence de l´homme providentiel parmi ces gens simple
et droits. Il est là pour partager leur bonheur; nul doute que ce soit Dieu qui le
leur ait envoyé encore une fois.
La prière finie, l´assemblée est bien décidée, cette fois, à ne pas le laisser
repartir sans en avoir appris davantage sur lui."Cette fois, tu vas partager avec
nous le repas." Il finit par accepter, mais il a fallu insister, car il ne faisait que
passer, dit-il. Qui est-il, d´ou vient-il? Que fait-il? Presse de toute part,
il donne son nom et dit qu´il travaille en Italie et qu´il gagne, par jour, un
minimum de l´équivalent de 500 dirhams. Il vient au Maroc au moins trois fois
l´an. Les gens sont estomaqués de ce qu´ils entendent: 500 dirhams par jour, le
rêve, d´autant plus que ce beau discours coïncide avec une des pires années de
sécheresse qui soit. Non mais, quel Eden, cette Italie!
Le bon sauveur poursuit": Si l´un de vous a envie de partir en Italie, il n´a
qu´à trouver un contrat." Un contrat? Un contrat de travail."C´est un peu cher,
dit-il, 5000 dirhams."Les gens sont vraiment motivés pour partir, même à cet
prix-là. Certains remettent sur le champ à l´ex-inconnu qui n´est plus du tout un
inconnu mais un bienfaiteur patenté, la somme bien ronde amortissable en dix
petits jours de travail seulement. D´autres vont chez eux chercher l´argent et
s´arrachent qui la totalité; qui la moitié, qui le quart de la somme. L´homme a
ouvert sa mallette noire pour y entreposer bien soigneusement les billets verts ou
d´autres couleurs et il en a sorti son carnet sur lequel il note bien comme il faut
les noms prénoms et sommes données des heureux candidats au départ pour ce
paradis sur terre qu´est l´Italie. Ceux qui ont remis les 5000 dirhams exigibles
sont en règle; les autres verseront le complément lorsqu´ils auront vendu un
veau, une vache, un âne…
Les inscrits sont légion et notre Italien repart avec, au bas mot, cent fois sa
mise initiale, en enjoignant aux inscrits d´avoir à se tenir prêts au départ pour
dans une semaine environ. Une semaine passe et l´on ne voit rien venir. Passent
les jours et passent les semaines. Nos paysans n´ont pas besoin que passent les
mois et les années pour s´assurer qu´ils ont été victimes d´un imposteur.