L'étonnante survie de l'aristocratie britannique

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LA NRH NOUVELLE REVUE D'HISTOIRE 88 AVENUE DES TERNES 75017 PARIS - 01 40 54 01 70 NOV/DEC 10 Bimestriel Surface approx. (cm²) : 2096 Page 1/4 SORBONNE2 2663666200504/GFD/OTO/2 Eléments de recherche : - PUPS ou PRESSES DE L'UNIVERSITE DE PARIS SORBONNE - A LA MER COMME AU CIEL : Livre d'Olivier Chapuis DECOUVERTES L'étonnante survie de l'aristocratie britannique L'Europe avait toujours été structurée par une aristocratie forte. Cet édifice a bascule entre 1914 et 1945. Sauf peut-être en Grande-Bretagne. Analyse d'une étonnante permanence. PAR JEAN-PIERRE POUSSOU J usqu'à la fin du xi x c siècle au moins, les aristocraties foncières ont tenu une place prépondérante dans les différents royaumes européens, même si ce fut sous des formes dif- férentes. La terre et le prestige social associé à la possession de grands domaines y tenaient une place essentielle. En ce sens, du xvii e au début du xx l siècle, les îles Britan- niques ont peu d'originalité, à l'exception bien entendu de la France. L'étude compa- rative montre que les «seigneurs de la terre», les landlords, pour utiliser le terme anglais, ont tenu chez eux une place consi- dérable avant même le xvn e siècle. Position qu'ils ont gardée jusqu'aux premières années du xx c siècle, ce que l'on serait bien en peine d'observer en France. On ne peut cependant prendre une mesure exacte et précise de la réalité des biens fonciers que tardivement. Les pre- mières statistiques fiables ne datent que de 1873. Elles n'en sont pas moins impression- nantes. À cette date, la seule Angleterre (une Mr. et Mrs Andrews sur leurs terres. Célèbre tableau de Thomas Gainsborough (1750). National Gallery, Londres. partie donc du Royaume-Uni), est forte d'un peu plus de 23 millions d'habitants. Par rapport à quoi, un nombre extrême- ment réduit de 3 363 grands propriétaires possèdent un peu plus de la moitié du sol: 53,5 %. On définit les « grands proprié- taires» comme ceux qui ont plus de 1000 acres (405 hectares) de terres. À quèlques pourcentages près, la situation était la même en Écosse et en Irlande. Les chiffres disponibles prouvent une grande stabilité à travers le temps. La plu- part des grands domaines de la fin du xix c siècle existaient déjà en 1700. Il serait d'ailleurs possible de remonter beaucoup plus loin. L'existence des très grands domaines fonciers cst attestée dès la fin du Moyen Âge (xv siècle). Mais en Angleterre, à la suite de la Réforme et de la vente des biens d'Église, le XVF siècle a entraîné une importante restructuration de la grande majorité de ces domaines. On peut souligner combien la politique d'Henri VIII a doublement servi les membres de la landed society. Le roi leur a donné la possibilité d'augmenter considérablement leurs possessions foncières au détriment de l'Église. En étendant par ailleurs le champ d'intervention des landlords au Parlement et au plus haut niveau du pouvoir (politique étrangère, politique religieuse et disposi- tions successorales de la monarchie) Henri VIII a très fortement accru leur rôle politique et social. L'aristocratie foncière était composée des membres laïcs de la chambre des Pairs (nobihty) et de ceux qui appartenaient aux couches supérieures dc la gentry - The Upper Gentry. Les uns et les autres dominaient la chambre des Com- munes, où siégeaient les différentes strates de la gentry et quèlques roturiers. Pour gouverner, le roi devait nécessaire- ment s'appuyer sur les aristocrates. Les grandes crises du xvn e siècle viennent de ce que Charles I", Charles II et Jacques II, vou- lant imiter Ic modèle français, n'y parvin- rent pas ou le refusèrent. En 1640, comme en 1688, les révolutions anglaises furent avant tout des rébellions d'une part impor- tante des grands du royaume contre un

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Surface approx. (cm²) : 2096

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DECOUVERTES

L'étonnante survie del'aristocratie britannique

L'Europe avait toujours été structurée parune aristocratie forte. Cet édifice a bascule entre1914 et 1945. Sauf peut-être en Grande-Bretagne.

Analyse d'une étonnante permanence.PAR JEAN-PIERRE POUSSOU

Jusqu'à la fin du xi xc siècle au moins,les aristocraties foncières ont tenuune place prépondérante dans lesdifférents royaumes européens,même si ce fut sous des formes dif-

férentes. La terre et le prestige social associéà la possession de grands domaines ytenaient une place essentielle. En ce sens, duxviie au début du xxl siècle, les îles Britan-niques ont peu d'originalité, à l'exceptionbien entendu de la France. L'étude compa-rative montre que les «seigneurs de la

terre», les landlords, pour utiliser le termeanglais, ont tenu chez eux une place consi-dérable avant même le xvne siècle. Positionqu'ils ont gardée jusqu'aux premièresannées du xxc siècle, ce que l'on serait bienen peine d'observer en France.

On ne peut cependant prendre unemesure exacte et précise de la réalité desbiens fonciers que tardivement. Les pre-mières statistiques fiables ne datent que de1873. Elles n'en sont pas moins impression-nantes. À cette date, la seule Angleterre (une

Mr. et Mrs Andrews sur leurs terres. Célèbre tableau de Thomas Gainsborough (1750). National Gallery,Londres.

partie donc du Royaume-Uni), est forted'un peu plus de 23 millions d'habitants.Par rapport à quoi, un nombre extrême-ment réduit de 3 363 grands propriétairespossèdent un peu plus de la moitié du sol:53,5 %. On définit les « grands proprié-taires» comme ceux qui ont plus de 1000acres (405 hectares) de terres. À quèlquespourcentages près, la situation était lamême en Écosse et en Irlande.

Les chiffres disponibles prouvent unegrande stabilité à travers le temps. La plu-part des grands domaines de la fin duxixc siècle existaient déjà en 1700. Il seraitd'ailleurs possible de remonter beaucoupplus loin. L'existence des très grandsdomaines fonciers cst attestée dès la fin duMoyen Âge (xv siècle). Mais en Angleterre,à la suite de la Réforme et de la vente desbiens d'Église, le XVF siècle a entraîné uneimportante restructuration de la grandemajorité de ces domaines.

On peut souligner combien la politiqued'Henri VIII a doublement servi les membresde la landed society. Le roi leur a donné lapossibilité d'augmenter considérablementleurs possessions foncières au détriment del'Église. En étendant par ailleurs le champd'intervention des landlords au Parlementet au plus haut niveau du pouvoir (politiqueétrangère, politique religieuse et disposi-tions successorales de la monarchie)Henri VIII a très fortement accru leur rôlepolitique et social. L'aristocratie foncièreétait composée des membres laïcs de lachambre des Pairs (nobihty) et de ceux quiappartenaient aux couches supérieures dc lagentry - The Upper Gentry. Les uns et lesautres dominaient la chambre des Com-munes, où siégeaient les différentes stratesde la gentry et quèlques roturiers.

Pour gouverner, le roi devait nécessaire-ment s'appuyer sur les aristocrates. Lesgrandes crises du xvne siècle viennent de ceque Charles I", Charles II et Jacques II, vou-lant imiter Ic modèle français, n'y parvin-rent pas ou le refusèrent. En 1640, commeen 1688, les révolutions anglaises furentavant tout des rébellions d'une part impor-tante des grands du royaume contre un

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souverain qui avait rompu le pacte Ces aris-tocrates étaient conservateurs en matieresociale, maîs leur opposition a I evolutionabsolutiste du pouvoir monarchique prônepar les Stuart, en fit des révolutionnairesLa Glonous Revolution de 1688 fut cepen-dant davantage un coup d Etat qu'une revo-lution Elle eut pour conséquence qu'entrela fin du XVIIe et le milieu du XIXe siecle,« / Angleterre fut plus une aristocratie qu unemonarchie, plus une aristocratie qu'une repu-blique», selon une excellente appréciationde John Ross Wordie

Jusqu'à l'époque de Victoria, l'anstocratique Parlement disposait de moyens finan-ciers considérables l'aristocratie foncierebritannique était seule capable de de\elop-per un large mecenat culturel et artistiqueElle occupait le sommet des structuressociales du royaume, comme elle dominaitsa vie politique, a l'exception de quèlquesmarginaux, comme Lord Durham (1792-1840) Les landlords étaient a la tete dc vastesclienteles, bénéficiant d'importants pouvoirs de patronage - en particulier pourles elections aux Communes ou aux corpo-rations (corps municipaux)

Certes, il y eut des renouvellements,notamment avec de nombreuses accessionsa la paine, aussi bien au xvir siecle qu'auXIXe Maîs la continuité globale des familleset de leurs possessions foncières est le faitdominant Deux elements majeurs la rendirent possible Contrairement a ce qui sepassait sur le continent, apres 1660, aucunerevolution politico-sociale de grandeampleur n'ébranla le Royaume Uni Desdispositions législatives et coutumierespermirent au contraire de préserver lesdomaines On pense au family settlementqui conférait l'héritage du domaine entier al'aine des fils, a charge pour lui d aider sesfreres et sœurs Un arrangement familialpouvait même écarter de la succession lesfilles au profil d'un parent male Celui cireprenait a la fois le titre et le domaine,sans lequel le titre nobiliaire était impossible a porter Par ailleurs, les domainesprocuraient d'énormes revenus Ceux-ciétaient d'autant plus assures que l'anstocra-tie fonciere britannique disposait d'autresressources importantes Elle les avait trouvees par exemple dans ses possessions(des mines) Maîs elle les avait égalementsuscitées en investissant dans les activiteseconomiques maritimes ou industriellesnouvelles Ainsi, lors de la «fièvre descanaux» et du developpement des routes(turnpike roads), comme de la croissance

des activites industrielles on voit frequemment les landlords mter\ enir directementou participer largement aux investisse-ments nécessaires De surcroît, la valeur desdomaines ne cessa de s accroitre A partirdu milieu du xvm0 siecle, beaucoupd'hommes d'affaires enrichis furent doncdissuades d'en acheter II y avait parmi euxbeaucoup de gens des villes que la gestionfonciere n attirait pas, d'autant plus que larentabilité de tels investissements étaitfaible Ils se contentaient donc d'acquérirde belles maisons, entourées de terres,situées a peu de distance des centresurbains Etudiant en 1883 un ensemble de700 domaines, «John Bateman constate queseulement 7 % ont ete construits a partir aefortunes issues du commerce ou de findustrie» (Beckett) Ainsi, le nombre toujoursplus important de riches Britanniques etl'accroissement de la richesse du pays n'ontpas entraîne une augmentation marquantedu nombre des grands domaines

Pourtant, depuis le xvne siecle et souventbien avant, beaucoup d'aristocrates étaientlourdement endettes Tous les landlordsavaient des difficultés a faire face au tram devie aristocratique, tant les depenses étaienténormes On vit ainsi, en 1702, John Churchill, le célèbre Marlborough, et, deuxsiècles plus tard, en 1919, le marechal Haighésiter a accepter leur élévation a la paine.Dans ces deux cas, il fallut accorder unedotation royale exceptionnelle

Une famille aristocratique se trouvait nor-malement confrontée a des depenses considerables Pour tenir son rang, elle était dansl'obligation de donner de grandes receplions, entretenir des batiments immenses,disposer d'un personnel domestique del'ordre de 40 a 50 personnes S'ajoutait ace train couranl desdepenses exceptionnelles a l'occasionpar exemple de lanaissance d'héritiers, du mariage des enfanlsou lors de grandes fêtes traditionnelles

Les landlords se devaient de recevoir fas-tueusement «Lorsquen 1845, le marquisde Worcester, fils et heritier du duc de Beaufort, atteignit sa majorité, deux cents tenanciers furent invites a festoyer dans la grandesalle commune de Badminton, ou un bœufavait ete mis a la broche» (Harrison) Enla circonstance, les célébrations durèrentune semaine ' G était une forme de vietout a fait extraordinaire qu'a essaye deretracer de facon quelque peu anachro-

Les domaines héréditairessont la garantie de l'indépendance

de la noblesse selon la devise"être libre et servir"

John Churchill, duc de Marlborough (1650-1722),l'un des plus grands hommes de guerre de sontemps Vainqueur de la bataille de Blenheim en± 704, il brisa la politique d hégémonie europeennede Louis XIV par ses victoires de Ramillies (1706),Oudenarde (1708) et Malplaquet (1709) ll hésitaa accepter son élévation a la paine en raison del'ampleur des depenses qu'elle impliquait Encompensation, il recevra le domaine et le chateaude Blenheim a Woodstock

nique le film de Robert Altmann GosfordPark sorti en 2001

Plus coûteuses encore étaient les depensesfastueuses liées aux bâtiments Les pluscolossales furenl, dans les annees 1870,celles du duc de Westminster qui dépensa600000 £ pour reconstruire Eaton Hall,dans le Cheshire Maîs, en valeur constante,les grands palais baroques ou neo classiques de Blenheim, Castle Howard ou Holkham, pour ne ciler que trois exemples,durent représenter au moins autant

On n'a jamaiscesse d'entretenir,maîs aussi de trans-former ou d'âmenager, les demeuresaristocratiques ou

seigneuriales anciennes, d'en rebâtir, et d'enconstruire de nouvelles Leur style a varieen fonction des époques et de l'évolutiondes goûts On observe trois courants deminants le palladianisme, le neo gothiqueanglais, les chateaux écossais, avec degrandes réussites architecturales Ces cons-tructions et ces amenagements étaientaccompagnes a l'intérieur par un ameublement, une decoration, des statues et destableaux souvent exceptionnels II ne fautpas oublier les parcs qui se multiplierenl auxvnie siecle, marques par un style nouveau,

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Construit au xvnf siecle dans un style neo-medieval. le château d'Inverarayen Ecosse, propriete héréditairedes ducs d'Argyll Son domaine est d'une étendue de 30 000 hectares.

celui du jardin à l'anglaise Tous ces elé-ments font aujourd'hui de ces demeures devéritables musees, apres qu elles aient etecédées au National Trust

II y eut deux principales vagues deconstructions L'une va des annees 1660 auxannees 1730, et l'autre des annees 1790 aumilieu de l'époque victorienne La countryhouse (ou «château de campagne») était lesiege du domaine Lorsqu'un landlord enpossédait plusieurs, l'une d'elles, le berceaufamilial, était normalement le lieu de resi-dence hors de la capitale Nombreuses sontles familles qui y faisaient au moins un sej ourannuel Maîs ce n'était pas toujours possible,par suite de l'eloignement pour les famillespossessionnees dans le nord de l'Angleterre,l'Ecosse ou l'Irlande, ou pour des raisonsplus personnelles Par exemple, entre 1682et 1748, le 6e duc de Somerset ne vint surses domaines de Cumbne qu'une seule fois,en 1688 Maîs l'absentéisme des landlordsfut surtout répandu en Irlande

Au fur et a mesure que l'on avançait dansle xixe siecle, il devint de plus en plus diffi-cile de faire face aux depenses Cela tenaitd'abord au recul des revenus agricoles a lafin du siecle, alors même que les depenses« sociales » allaient croissant Sous l'effetnotamment du «reveil evangelique», on sesouciait en effet beaucoup plus des devoirs

Les plus imposants châteauxsont appelés "country houses",maisons de campagne, autant

dire un euphémisme

sociaux Pour faire face, plusieurs solutionss'offraient la vente d'une partie desdomaines, un riche mariage, ou un effort degestion plus rigoureux

En réalité, de telles difficultés ont existetres tôt On en a des exemples des lesxive-xvie siècles Cela incita de nombreuxaristocrates a suivre de pres la gestion deleurs domaines A la suite notamment deLord Ernle et de son Histoire rurale del'Angleterre, on aeu tendance a faired'eux des agronomes, ce qui estexcessif Ils n'enavaient ni le goutni la capacite, ce qui n'exclut nullementleur intérêt pour les problèmes agricoles,voire agronomiques, ni leurs interventionspersonnelles pour gerer le domaine C'est ceque fit le 7e duc de Bedford a partir de 1839Ayant hérite de plus de 500000 £ de dettes,il les fit disparaitre en vingt ans grace a unetres rigoureuse gestion de ses domaines, qu'ilne cessa d'améliorer, tout en procurant auxvillageois qui en dépendaient de meilleuresconditions de vie.

La plupart du temps, néanmoins, la ges-tion des domaines et leur ameliorationfurent l'œuvre des régisseurs dont le rôleémerge des le XVIe siecle Ces hommes de

confiance restaient longtemps en fonctionLeur correspondance avec les grands pro-prietaires est extrêmement precieuse Ellemontre qu'absence ne signifie nullementindifférence

Les landlords ne pouvaient venir sur leursterres qu'une partie réduite de l'année tantleurs obligations londoniennes étaient a lafois prenantes et indispensables, sous peinede se mettre a l'écart des centres de décisionet tout simplement de la vie de la highsociety britannique, ce qui était tout simple-ment impossible II leur fallait nécessaire-ment paraître a la Cour et être présents lorsdes sessions du Parlement Pour tenir leurrang, ils ne pouvaient se dispenser non plusde la « saison de Londres », des sejours dansles villes d'eau ou les stations balnéaires,puis, a partir du milieu du xixe siecle, desvoyages et sejours a l'étranger, en particu-lier en Italie et sur la Côte d'Azur

Tout cela nécessitait de tres gros revenus.Les landlords se tiraient d'autant mieuxd'affaire que leurs ressources n'étaient passeulement foncières Ainsi, les Lumlev-Saunderson, qui étaient devenus comtes deScarbrough sous Guillaume III, étaient degrands proprietaires miniers dans leDurham Ils possédaient aussi, dans leSussex, les grandes forets de chênes deStansted, dont la Navy achetait la produc-tion Comme eux, beaucoup d'aristocratesavaient des biens dans plusieurs regions desiles Britanniques A l'image des Bedford,a Londres, leurs possessions urbainespouvaient être considérables Lorsqu'ils lesaliénèrent progressivement, a partir duxvir siecle, ce furent pour eux des res

sources considérablesLes Bedford organiserent de la sorte l'âmenagement de la zoneconsidérée, comme lerappellent aujourd'hui

Bedford Square ou Russell Square, placesqui, a l'égal des grandes country houses-, sontdes ensembles architecturaux remarquables.

Toute une historiographie s'est montréetres severe avec les landlords On leur anotamment reproche leur absentéisme etleur comportement social. Il y eut certesbien des évictions de petits proprietaires,maîs ceux-ci ne disparurent pas, contraire-ment a ce que l'on a écrit L'histoire socialedes enclosures anglaises est plus complexequ'on ne le croît souvent

Beaucoup plus rudes furent, du milieu duxviir au milieu du XIXe siecle, les clearancesécossaises, autrement dit des évictions de

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tenanciers Leur depart force « nettoyait laterre» On imagine que cela fut amèrementressenti par une paysannerie restée attachéeaux valeurs orgamcistes du clan, même s ily eut plus de departs volontaires qu'on nele croît, et même si les landlords aidèrentsouvent les tenanciers a emigrer

S'agissant de l'Irlande, sous I influencedes nationalistes, on a souvent exagèrel'ampleur des relations conflictuelles et desaffrontements Ceux ci n'en furent pasmoins fréquents, comme le symbolisentles actes du capitaine Boycott et la ripostedes tenanciers Les rapports conflictuelsfurent aggraves par la Grande Famine de1846 1848 Au coursde celle ci, beaucoupde landlords-dont laplupart n'étaient pasIrlandais - n'apporterent aucune aide aleurs tenanciers, poursuivant au contraireles évictions On en arriva ainsi a la LandWar (« guerre agraire ») de 1879 a 1882, et aune serie de dispositions légales (Land Actde 1881, Purchase Acts de 1903 1904) quieurent pour resultat que les farmers irlandais purent acheter les terres des landlords

A l'inverse, en Angleterre surtout,nombre de landlords «pensaient qu'ilsavaient des devons envers ceux qui se trouvalent sous leur juridiction » (P Horn) Ilsexerçaient envers eux un patronage aussiefficace que bienveillant Ce patronages'étendait a toute la societe locale II amena,au xixe siecle, de nombreuses familles a

Jusqu'en 1914, les Landlordscontinuent à dominer la viepolitique et à constituer unmodèle social omniprésent

Vue partielle de la façade du chateau de Chatsworth gere jusqu'à uneepoque toute récente par la duchesse Deborah de Devonshire, la plusjeune des sœurs Mitford

sacrifier les plaisirs offerts par Londres oules villes balnéaires, pour un sejour actif surle domaine

Les crises du xixc siècle constituent cependani un changement d'époque ArthurPonsonby en prit acte en 1912, dans sonlivre The Décline ofAnstocracy Pourtant,jusqu a la fin du XIXe siecle les landlordscontinuent a dominer la vie politique bri-tannique et a etre le modele social omnipresent, dans le contexte d'une societe dedéférence qui subsiste dans l'Angleterrerurale jusqu'à la veille de la Premiere Guerremondiale Leurs moyens restent considé-rables On estime qu'un millier de country

houses furent rebâties ouconstruites entre 1790 et1880, ce qui représentaitdes depenses colossalesOn était cependant déjàlom de la domination

absolue de I aristocratie anglaise qui caractense le XVIIIe siecle

Avec Disraeli, Gladstone, et plus encoreLlyod George, apparaissent des « hommesnouveaux» qui sont nes dans une autrepartie de la societe et qui veulent faire évo-luer celle ci, voire la changer Un RandolphChurchill le comprend bien, maîs il n'arrivepas a imposer ses idees Par-delà les succesinégaux et la gloire finale de son fils Wmston, il faudra attendre Margaret Thatcherpour qu émerge un conservatisme diffé-rent, largement appuyé sur les classesmoyennes Ce torysme continue cependantde faire leur place aux membres des an

ciennes familles aristocratiques et a les garderdans des positions majeures (Lord Home, David Cameron)

II ne faut d ailleurs pas. setromper sur les etiquettesLe torysme conservateurdu xvm siecle était le faitdes squires de campagneou des nostalgiques deI ancienne dynastie Stuartet d'une monarchie forteA l'inverse, une bonnepartie de l'aristocratie, desannees 1680 au début duXIXe siecle, se rangea sousla bannière des Whigs, setrouvant largement enaccord avec la ploutocratie financiere On enrevient ainsi, par un autrebiais, au montant consi

Jean-Pierre Poussou• Ancien directeur de l'Institut de recherches sur lescivilisations de l'Occident moderne, xvr-xix* siecle(Ircem) a l'université Paris-Sorbonne du centreRoJand-Mousnier, recteur, puis president d'université,Jean-Pierre Poussou est l'auteur de nombreuxtravaux universitaires et de plusieurs ouvrages.Parmi ceux-ci, Démographie historique, une thesesur l'attraction migratoire de Bordeaux auxvm* siecle, Cromwell, la revolution d'Angleterreet la guerre croie (PUF, 1993), Histoire sociale del'Angleterre (Laffont Bouquins, 1993], La Croissancedes villes au soif siecle. France, Royaume-Uni,Bâts-Unis et pays germaniques (CDU-SEDES, 1995),La Terre et les paysans en France et en Grande-Bretagne, xvif-xvm* siecle (CDU-SEDES, 1999),Ruptures de la fin du amf siecle: les villes dansun contexte general de révoltes et révolutions(PUPS, 2005). En 2007, est paru aux PUPS, soussa direction, Les Societes urbaines au mf siecle,Angleterre, France, Espagne. Il a codinge, auxPresses universitaires de Pans-Sorbonne, lacollection d'histoire maritime et celle du centreRoland-Mousiner. Il est codirecteur des revuesHistoire maritime et Histoire, economie et societe.

derable des revenus et des biens de l'anstocrabe britannique Nul doute que les land-lords en tiraient largement leur force, maîsleur influence politique et sociale ne lesservait pas moins •

I Le capitaine Charles Cunningham Boycott(1832 1897) était l'intendant d un landlord d lrlande (comte de Mayo) Ses procedes brutaux provoquerent un blocus des tenanciers devant lequelil dut s incliner

Orientation bibliographiqueEn français on peut recourir a la version plus approfon

die de ce texte Jean Pierre Poussou Les landlords et laterre- lin element capital de l'histoire des iles Britanniques(milieu xviiMtebut tf siècles) » dans Carol ne Le Mao etCorinne Marache (dir ] Les Sites et la terre, du xvp siecleaux annees 1930 Armand Colin 2010 p 265 281

En anglais I ouvrage fondamental est John V BeckettTheAnstocracyinEiigbnd 1660-1914 Londres Basil Blackwell 1986 Trois citations figurant dans le texte proviennent de John Ross Wordie Estate Management in Eghteenth- Century England the Building of the Leveson-Gower FortuneLondres Royal historial Society 1982 de John FC Marrison Eariy Victonan Britain 1832 -Sl Londres FontanaPress 1988 et de Pamela Horn Life and Labour in ruralEngland 1760-1850 Londres Macmillan Education 1987Pour I Irlande William E Vaughan Landlords and tenants inIreland 1848-1904, Belfast Dundalgan Press 1984

On trouvera encore un reel intérêt a John BatemanThe Gréât Landowners of Gréât Brrtam and Irdand 1883

Pour une mise en perspective actuelle FrançoisOhar esMougel Elites et systeme de pouvoir en Grande-Bretagne,1945-1987 Presses un versitaires de Bordeaux 1990