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LES TIC COMME LEVIERS DU CHANGEMENT ORGANISATIONNEL : UNE ANALYSE DU CAS DES ARMÉES AMÉRICAINES EN AFGHANISTAN Cécile Godé-Sanchez ESKA | Systèmes d'information & management 2008/1 - Volume 13 pages 7 à 30 ISSN 1260-4984 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-systemes-d-information-et-management-2008-1-page-7.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Godé-Sanchez Cécile, « Les TIC comme leviers du changement organisationnel : une analyse du cas des Armées américaines en Afghanistan », Systèmes d'information & management, 2008/1 Volume 13, p. 7-30. DOI : 10.3917/sim.081.0007 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour ESKA. © ESKA. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - CERIST - - 193.194.76.5 - 11/10/2014 08h18. © ESKA Document téléchargé depuis www.cairn.info - CERIST - - 193.194.76.5 - 11/10/2014 08h18. © ESKA

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LES TIC COMME LEVIERS DU CHANGEMENT ORGANISATIONNEL :UNE ANALYSE DU CAS DES ARMÉES AMÉRICAINES ENAFGHANISTAN Cécile Godé-Sanchez ESKA | Systèmes d'information & management 2008/1 - Volume 13pages 7 à 30

ISSN 1260-4984

Article disponible en ligne à l'adresse:

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-systemes-d-information-et-management-2008-1-page-7.htm

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Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Godé-Sanchez Cécile, « Les TIC comme leviers du changement organisationnel : une analyse du cas des Armées

américaines en Afghanistan »,

Systèmes d'information & management, 2008/1 Volume 13, p. 7-30. DOI : 10.3917/sim.081.0007

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N° 1 – Vol. 13 – 2008 7

ARTICLES DE RECHERCHE

Les TIC comme leviersdu changement organisationnel :une analyse du cas des Armées

américaines en Afghanistan1

Cécile GODÉ-SANCHEZProfesseur aux Ecoles d’Officiers de l’Armée de l’air

Chercheur au Centre de Recherche de l’Armée de l’air

RÉSUMÉ

Nous nous interrogeons sur les processus par lesquels les TIC font évoluer les mécanismesde coordination et sur les effets organisationnels de ces évolutions. Nous appuyant sur lathéorie structurationniste, nous élaborons une grille d’analyse que nous appliquons au casdes Armées américaines durant les opérations en Afghanistan. Nous observons que l’énac-tion des TIC affecte différemment l’efficacité relative des mécanismes de coordination selonl’environnement d’action et les enjeux poursuivis par l’organisation.

Mots-clés : Coordination, Enaction, Structure, TIC, Usage.

ABSTRACT

We question the processes from which ICTs cause changes in coordination forms on theone hand and, the organizational implications of such changes on the other hand. Wedevelop a framework from the structurational perspective and use it to analyze the case ofAmerican forces during current operations in Afghanistan. We state that the enactment ofICTs influences coordination forms in a different way, with regard to the context of actionand the organizational stakes.

Key-words: Coordination, Enactment, ICT, Structure, Use.

1. Les propos tenus dans cette communication n’engagent que son auteur et ne représentent en rien les idées duministère de la Défense et de l’Armée de l’air. L’auteur tient à remercier Pierre Barbaroux ainsi que les deux éva-luateurs anonymes pour leurs commentaires avisés.

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Dans la littérature en sciences del’organisation, il est d’usage de consi-dérer que l’implémentation et la diffu-sion des TIC permettent de réduire lecoût de la coordination et d’en facili-ter considérablement la réalisation(Argyris, 1999 ; Kraut et al., 1999 ;Caby et al., 1999). Les théories clas-siques de la coordination (March etSimon, 1958 ; Lawrence et Lorsch,1967 ; Thompson, 1967 ; Galbraith,1973 ; Van de Ven et al., 1976 ; Mintz-berg, 1978 ; Keller, 1994 ; Gupta et al.,1994) la définissent comme un proces-sus d’arrangement des activités disper-sées visant à générer une cohérencecollective du travail. Il s’agit de mettreen œuvre des modes différenciés detraitement, de transfert et de partagedes informations entre des acteursmultiples intervenant sur des tâchesparfois fort dissemblables.

Les caractéristiques techniques asso-ciées aux différentes TIC agissent di-rectement sur les conditions dans les-quelles les informations et lesconnaissances nécessaires à la coordi-nation sont collectées, échangées etmémorisées (Zack, 1999). Parexemple, les outils de communicationdu type text chat, qui étendent les po-tentialités d’interactions et encouragentla collaboration, soutiennent efficace-ment la coordination informelle parl’ajustement mutuel. De leur côté, lestechnologies du type base de donnéeset systèmes d’expert, qui favorisentl’automatisation des tâches et l’intégra-tion des informations, paraissentmieux adaptées à un mode vertical decoordination. Dans cette perspective,les TIC sont considérées comme des« technologies de la coordination » (Ci-borra, 1993, p. 63). Elles représententdes moyens techniques au service de

mécanismes de coordination pré-exis-tants dans l’organisation (Caby et al.,1999).

Cette vision des technologies commesimples supports de la coordination re-pose sur un schéma essentiellement sta-tique, qui ne permet pas d’analyser lesprocessus susceptibles de modifier lesrelations entre les TIC et les méca-nismes de coordination. En transfor-mant les conditions d’exploitation desinformations et des connaissances dansl’organisation, la diffusion des TIC peutdirectement affecter l’efficacité relativedes mécanismes de coordination enplace, voire générer l’émergence denouvelles formes de coordination (Ben-ghozi, 2002). Dans ce cadre, les TIC nereprésentent plus seulement desmoyens de coordonner les activitésmais deviennent des leviers importantsdu changement organisationnel.

L’objet de cet article est double. Il s’at-tache d’une part à analyser les proces-sus par lesquels les technologies fontévoluer les mécanismes de coordina-tion en support desquels elles ont étéintroduites au départ. Il s’interroged’autre part sur les effets organisation-nels de ces évolutions. Pour ce faire, ilmobilise l’approche structurationnistede la technologie (Barley, 1986, 1990 ;Orlikowski, 1992, 1996 ; De Sanctis etPoole, 1994 ; Groleau, 2000, 2002 ; DeVaujany, 2000, 2003). En privilégiant leconcept de « récursivité », cette littératu-re met en exergue la réciprocité des re-lations entre la technologie et l’organi-sation, permettant ainsi d’aborder laquestion du changement technologiquedans toute sa complexité. L’examen desusages différenciés des TIC et des pro-cessus d’appropriation qui les sous-ten-dent est approfondi par Orlikowski

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(2000) lorsqu’elle distingue l’appropria-tion de l’énaction. Il s’agit de recon-naître les multiples éléments qui modè-lent les usages et influencent lechangement en milieu organisationnel.L’ensemble permet de construire unegrille d’analyse opérationnelle pourexaminer l’évolution des mécanismesde coordination à partir de l’usage desTIC, ainsi que ses effets sur les struc-tures du système organisationnel.

Dans cet article, nous exploitonsconjointement deux cadres théoriquesrarement associés dans la littérature.Les modèles structurationnistes sont eneffet orientés pratique et processuelspar nature alors que les théories tradi-tionnelles de la coordination dévelop-pent des raisonnements plus statiqueset formels. Afin de mettre en résonan-ce ces deux approches, nous inscri-vons nos analyses dans les recherchesrécentes publiées par Orlikowski(2007). L’auteur parle d’assemblagesocio-matériel pour caractériser les re-lations entre les dimensions socialesd’un phénomène et sa matérialité. Lelien entre les usages et la technologieévoque un « enchevêtrement constitu-tif » (Orlikowski, 2007, p. 1437) : lescaractéristiques techniques, la pro-grammation de l’outil technologique etle contexte au sein duquel il est intro-duit sont inextricablement liés aux ef-fets sociaux de ses usages. Ce cadred’analyse nous permet de penser lesusages des TIC comme socio-matériel-lement enchevêtrés aux systèmes so-ciaux et aux structures formelles desorganisations (Wenger, 1998 ; Wengeret al., 2002).

La première partie de cet article pré-sente les éléments de la théorie structu-rationniste qui nous permettent d’abor-

der les TIC comme des facteurs dechangement des modes de coordina-tion. La deuxième partie offre un conte-nu empirique aux propositions théo-riques en développant le cas del’engagement des Armées américainesen Afghanistan. Il s’agit de comprendreen quoi l’usage des TIC développé parles combattants sur le terrain a induitdes évolutions dans l’efficacité relativedes mécanismes de coordination etd’en analyser les effets en termes detransformation des propriétés structu-relles des Armées.

1. USAGES DES TIC ET CHANGEMENT DES MÉCANISMES DE COORDINATION : L’APPORT DES STRUCTURATIONNISTES

La théorie structurationniste est fré-quemment mobilisée par les travaux ensciences de gestion pour appréhenderles effets de l’informatisation dans l’or-ganisation. Elle permet d’insister surl’importance de l’usage des TIC et desprocessus d’appropriation sur le chan-gement organisationnel.

1.1. L’intégration de la technologie dans la théorie de la structuration de Giddens

La perspective structurationnisteconstruit son raisonnement à partir desconcepts génériques d’action et destructure, qui se trouvent au cœur dela théorie de Giddens (1984). Transpo-sés au niveau organisationnel, ilsconfèrent un statut particulier à latechnologie.

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1.1.1. Les concepts clés de la théorie de la structurationchez Giddens

Le premier concept central chez Gid-dens est celui d’action. L’acteur estconsidéré comme un être compétent,capable de contrôler et d’orienter sesactions. Les actions contrôlées lui four-nissent alors de nouvelles connais-sances qu’il prend en compte pour agir.Kéfi et Kalika (2004) caractérisent celien entre l’action et l’acteur comme unerelation récursive, à savoir une relationcirculaire impliquant un processus ré-pétitif.

Le second concept clé de la penséede Giddens est celui de structure. Lastructure évoque un ordre virtuelconstitué d’un ensemble de règles et deressources dont les acteurs font usagedans leurs actions. Ce faisant, ils partici-pent de manière récursive au dévelop-pement d’un système social (parexemple, d’une société ou d’une orga-nisation). La récursivité caractérise iciles rétroactions entre la structure(constituée de règles et de ressources)et les actions : la structure oriente(contrôle) l’action tout autant que l’ac-tion agit sur la structure. La structure re-présente à la fois le moyen et le résul-tat de l’action qu’elle organiserécursivement (Rojot, 2000).

Giddens parle de « dualité de la struc-ture » pour décrire ce phénomène detransformation réciproque de la structu-re et de l’action. Il produit et reproduitles propriétés structurelles du systèmesocial (Autissier et Le Goff, 2000 ; Kéfiet Kalika, 2004) :

• Certaines propriétés structurelles re-posent sur des règles en mesure de

construire du sens. Ces règles consti-tuent des schémas interprétatifs par-tagés qui permettent aux acteurs decommuniquer. Giddens parle destructures de signification ;

• D’autres propriétés structurelles régis-sent les relations de pouvoir entre lesacteurs. Giddens les qualifient destructures de domination ;

• Enfin, certaines propriétés structu-relles sont constituées de normes, decodes moraux, de conventions quireprésentent l’ordre établi, à un mo-ment donné de l’évolution du systè-me social. Giddens parle de struc-tures de légitimation.

Au fil des actions et des interactions,les structures de signification, de domi-nation et de légitimation s’institutionna-lisent dans la mesure où elles entrentdans un processus de structuration etdeviennent durables. De ce fait, elles af-fectent à leur tour les actions et les in-teractions des acteurs, soit en lescontraignant, soit en les « habilitant ».

L’approche structurationniste s’ap-plique à transposer à l’organisation cecadre d’analyse récursif des liens entreactions et structures afin d’appréhenderles effets organisationnels de la techno-logie.

1.1.2. La technologie : une construction sociale

Dans la littérature structurationniste,la technologie est décrite à la foiscomme un objet social et un artefactmatériel. Orlikowski considère les arte-facts matériels comme « le résultat de lacoordination des actions humaines, paressence social » (Orlikowski, 1992, p.

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403). De Sanctis et Poole adoptent uneapproche très similaire lorsqu’ils recon-naissent la dimension sociale de la tech-nologie tout en insistant sur ses carac-téristiques techniques et sur « l’esprit del’artefact » (1994, p. 126). Ces travauxabordent la technologie comme étantconstituée de règles et de ressourcesdont les acteurs font usage dans leursactions et interactions et qui produisentet reproduisent certaines des propriétésstructurelles du système organisation-nel. Les auteurs transposent ainsi leconcept de dualité de la structure deGiddens à l’analyse de l’informatisationdans l’organisation et discutent de ladualité de la technologie. La technolo-gie « est créée et modifiée par l’actionhumaine, mais elle est également utili-sée par les hommes pour agir » (Orli-kowski, 1992, p. 406).

Les modèles d’Orlikowski (1992) etde De Sanctis et Poole (1994) confèrentainsi un statut particulier à la technolo-gie en la considérant comme uneconstruction sociale : d’un côté, elle estmodelée par les usages et, de l’autre,les propriétés structurelles qu’elle in-tègre affectent directement ces usages,contribuant à produire et reproduirecertaines des propriétés structurelles dusystème (Groleau, 2000). Orlikowskimobilise le concept de « flexibilité inter-prétative » pour appréhender la dimen-sion socialement et physiquementconstruite de la technologie tout aulong de son cycle de vie (du design dela technologie à ses usages finaux). Lelien entre l’usage, la technologie et lespropriétés structurelles de l’organisationsuit un mouvement dialectique où lesdifférents éléments interagissent de ma-nière récursive. Les interactions entre latechnologie et les structures sociales de

l’organisation sont fonction des proprié-tés matérielles de l’artefact, des acteurs(leur motivation, leurs expériences,leurs connaissances, etc.) et descontextes socio-historiques impliquésdans son développement et ses usages.Ainsi, par flexibilité interprétative, Orli-kowski fait référence au degré d’enga-gement des acteurs dans la constitutionde la technologie, de son développe-ment à son usage final (Orlikowski,1992, p. 409). Cette approche temporel-le de la flexibilité rappelle les travauxdéveloppés par le courant de laconstruction sociale de la technologie(SCOT), où la flexibilité fait référenceaux différentes façons dont les indivi-dus pensent, interprètent mais égale-ment conçoivent (au sens de « design »)l’artefact (Pinch et Bijker, 1984). Plusgénéralement, l’idée d’une technologieà la fois structurée et structurante se re-trouve dans des contributions qui cher-chent à distinguer les outils de gestionde leurs usages (Benghozi, 2001, 2002 ;De Vaujany, 2005 ; Grimand, 2006).

A ce niveau de la réflexion, l’apportdes structurationnistes pour notre pro-blématique réside dans leur capacité àoffrir une grille de lecture approfondiedes usages différenciés des TIC et destrajectoires d’appropriation qui les sous-tendent. En effet, l’approche structura-tionniste se révèle utile pour analyserles processus par lesquels les TIC fontévoluer les mécanismes de coordina-tion en milieu organisationnel. Ellecentre la réflexion sur les usages diffé-renciés des technologies. Les usagestraduisent des formes particulières d’ap-propriation dont l’examen permet, infine, d’appréhender les multiples adap-tations des propriétés structurelles exis-tantes. L’analyse de l’évolution des mé-

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canismes de coordination repose ainsisur l’étude et la description des proces-sus d’appropriation des TIC.

Les modèles d’Orlikowski (1992) etde De Sanctis et Poole (1994) appa-raissent moins convaincants lorsqu’ils’agit d’appréhender les usages desTIC en termes d’évolution des struc-tures sociales des organisations. Ils es-suient à ce propos un certain nombrede critiques (Orlikowski, 2000, 2007 ;Groleau, 2000, 2002 ; De Vaujany,2003 ; Kéfi et Kalika, 2004) qui souli-gnent leurs difficultés à prendre enconsidération et caractériser la com-plexité du changement organisation-nel. Ces modèles reposent en effet surun postulat de départ conduisant àconsidérer les propriétés structurellescomme déjà intégrées dans la techno-logie. Certes, une telle posture donneà comprendre comment les acteurss’approprient les propriétés structu-relles des technologies. Mais elle nepermet pas d’appréhender les proces-sus d’émergence de ces propriétésstructurelles. Cette perspective réduitde facto la contribution des autres élé-ments du système au processus dechangement (Groleau, 2000). L’analy-se de la phase de développement desstructures qui constitueront finalementles technologies complète les modèlesstructurationnistes des années 1990 endonnant à voir les influences réci-proques de l’environnement et des in-teractions acteurs/technologies (Orli-kowski, 2000). Cette constatationincite Orlikowski à intégrer les ap-proches centrées sur le contexte à sapropre grille d’analyse afin de mieuxsaisir la nature des usages et ses effetssur les structures du système organisa-tionnel.

1.2. Usages de la technologie et structures sociales de l’organisation

Le concept d’énaction enrichit la pers-pective structurationniste des usages etdu changement organisationnel. L’en-semble permet d’élaborer une grilled’analyse des processus d’évolution desmécanismes de coordination et de leurseffets sur les structures de signification,de domination et de légitimation.

1.2.1. La technologie en pratique :de l’appropriation à l’ « énaction »

Dans son article de 2000, Orlikowskine focalise plus son attention sur laphase d’appropriation de la technolo-gie par l’usager. Elle appréhende lechangement organisationnel à partird’une analyse des propriétés structu-relles qui émergent progressivementdes interactions entre les acteurs et latechnologie. L’auteur se concentre surl’usage quotidien de ce qu’elle nomme« la technologie en pratique » et qualified’énaction cette phase particulière dela construction de la technologie.L’énaction fait référence à la mise enaction d’un élément et à sa transfor-mation dans l’action. A travers leursusages, les acteurs énactent un en-semble de règles et de ressources quistructurent leurs interactions avec latechnologie. De ce fait, les structuresconstitutives de la technologie émer-gent des interactions répétées et « si-tuées » de l’acteur avec la technologie.Ces interactions sont récursives par na-ture dans la mesure où les usages mo-dèlent les propriétés structurelles de latechnologie qui habilitent et/oucontraignent à leur tour les usages.

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La dimension « située » des interac-tions souligne l’importance donnée auxdifférents éléments du contexte d’origi-ne susceptibles d’affecter les usages(dans la limite des caractéristiques in-trinsèques de la technologie) : les com-pétences des acteurs, leurs connais-sances et expériences, leurs attentesconcernant l’utilité de la technologiemais également les normes culturellesdu milieu organisationnel au sein du-quel ils interagissent, les activités del’organisation, les contraintes situation-nelles, les conventions sociales sont au-tant d’éléments spécifiques du contextequi affectent directement les interac-tions avec la technologie.

Orlikowski (2000, p. 421-423) identi-fie trois formes d’énaction :

• L’ « inertie » correspond à une situa-tion où les acteurs choisissent d’utili-ser la technologie tout en conservantleurs façons de faire antérieures.Dans ce cadre, les usages de la tech-nologie ne bouleversent pas les pra-tiques de travail courantes. Ces der-nières reproduisent et renforcent lesstructures sociales existantes, sans lesaméliorer ;

• L’ « application » fait référence à unesituation où les acteurs utilisent latechnologie pour améliorer leurs fa-çons de faire. Leurs usages ont ten-dance à raffiner et bonifier les pra-tiques de travail courantes. Lesstructures sociales existantes sont re-produites, mais sous une forme amé-liorée ;

• Enfin, le « changement » représenteune situation où les acteurs choisis-sent d’utiliser la technologie pourchanger sensiblement leurs façons de

faire antérieures. En ce sens, lesusages de la technologie induisentune transformation des pratiquescourantes de travail et des structuressociales qui les sous-tendent.

A partir de l’examen des interactionsentre l’usager et la technologie, les troisformes d’énaction permettent d’aborderle rapport entre les acteurs et le systè-me organisationnel à l’intérieur duquelils évoluent. La typologie se décline eneffet facilement en termes d’évolutiondes structures sociales de l’organisation.Elle permet d’appréhender de façon ap-profondie les changements (ou l’absen-ce de changement) concernant les pra-tiques de travail des acteurs. Elle faciliteégalement l’analyse de l’émergence denouvelles relations de pouvoir, de nou-velles normes de comportement et dela transformation du sens partagé desphénomènes (Orlikowski, 2000).

1.2.2. TIC, coordination et évolution des structures socialesde l’organisation : propositionspour une grille d’analyse

Groleau (2000) qualifie l’évolutiondes pratiques de travail et des interac-tions sociales de « mouvance des pat-terns d’interactions » ; elle propose del’analyser à partir de l’usage des « tech-nologie en pratique », c’est-à-dire en te-nant compte des différents éléments ducontexte qui modèlent l’usage de latechnologie. L’auteur considère que lesTIC sont implémentées dans un contex-te organisationnel déjà existant doncstructuré. L’actualisation de leur poten-tiel par les usagers contribue alors à re-définir les interactions sociales, influen-çant le changement organisationnel.

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Aussi intéressante soit-elle, la notion depattern d’interaction développée parGroleau apparaît insuffisamment instru-mentée pour constituer une véritableméthode d’analyse de l’évolution desstructures sociales. L’auteur donne peud’indications sur les éléments permet-tant de déterminer le moment où l’onpasse d’un pattern d’interaction à unautre (les « mouvances » dont elleparle).

Afin d’instrumenter notre cadre théo-rique, nous faisons appel à un modèleantérieur, empiriquement éprouvé : lemodèle séquentiel des processus destructuration développé par Barley(1986, 1990). En particulier, nous nousintéressons à la notion de scripts d’in-teractions introduite par l’auteur afind’étudier les différentes formes destructuration induites par l’usage desscanners au sein de deux services hos-pitaliers de radiologie du Massachu-setts. Les scripts d’interactions repré-sentent « les modèles récurrentsd’interactions qui définissent, en destermes observables et comportemen-taux, l’essence des rôles des acteurs »(Barley, 1986, p. 83). Les scripts sontempiriquement identifiés à partir del’observation des formes globales d’in-teractions émergeant de la conduitequotidienne et routinière des acteurs.Des événements exogènes et/ou deschangements de nature stratégiquedans l’organisation peuvent transfor-mer ces formes globales d’interactions,

déclenchant le passage séquentiel d’unscript à un autre (Barley, 1986, p. 86).En tant qu’élément exogène suscep-tible d’affecter les pratiques de travail,la technologie peut représenter cepoint de rupture temporel (Barley1986, 1990).

Au-delà des pratiques de travail, nousconsidérons que l’usage des TIC affecteégalement la coordination dans l’orga-nisation dans la mesure où l’accomplis-sement du travail se réalise à travers lacoordination des différentes tâches quile constitue. La coordination fait appel àun ensemble mécanismes2 représentant« la colle qui maintient ensemble les par-ties de l’organisation » (Mintzberg, 1978,p. 19). En modifiant les modes de re-cueil, d’exploitation et de partage desinformations et des connaissances dansl’organisation, les TIC transforment à lafois le travail (les pratiques, la naturedes tâches à accomplir, les qualifica-tions nécessaires, etc.) et le poids relatifdes mécanismes de coordination qui lesous-tendent.

L’examen des scripts d’interactionsavant et après l’introduction des TICdans l’organisation permet d’appréhen-der la nature de ces évolutions relatives.Par exemple, l’énaction d’une technolo-gie de communication de type text chatencourage fréquemment les acteurs àéchanger un volume croissant d’infor-mations sur le mode informel de laconversation. Ils peuvent être progressi-

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2. Mintzberg (1978) dénombre cinq mécanismes de coordination principaux : (1) la standardisation des procédésfait référence à une coordination marquée par la spécification des procédures à respecter, (2) la standardisation desrésultats détermine uniquement les résultats à obtenir par les individus, (3) la standardisation des qualifications réa-lise la coordination par le biais de la formation spécifique des individus qui font le travail. Ces derniers partagentune base de formation qui les fait se référer aux mêmes méthodes de travail, voire à une même philosophie du« métier », (4) l’ajustement mutuel se fonde sur la communication informelle pour accomplir la coordination. Elle metindirectement l’accent sur l’importance du relationnel et des réseaux informels, enfin (5) la supervision directe per-met de réaliser la coordination par le biais d’une ligne hiérarchique donnant les ordres et les instructions.

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vement conduits à prendre seuls desdécisions qui auraient antérieurementau minimum nécessité l’avis de la hié-rarchie directe. La coordination doitalors moins à la supervision directe etdavantage à l’ajustement mutuel. Cesnouvelles pratiques marquent une évo-lution des modèles récurrents d’interac-tions et le passage d’un script à unautre. L’énaction du text-chat a induitune nouvelle distribution du pouvoirentre les acteurs, modifiant directementles structures de domination, et plus in-directement les structures de significa-tion et de légitimation. Toute la ques-tion est alors d’appréhender l’impact deces modifications structurelles entermes de changement organisationnel.L’ampleur du changement diffère eneffet selon l’environnement d’action del’organisation, ses missions, ses proces-sus organisationnels, ses valeurs cultu-relles, etc.

Dans ce cadre, la typologie desformes d’énaction proposée par Orli-kowski (2000) peut être lue et instru-mentée comme suit :

• L’inertie caractérise une situation oùl’énaction des TIC n’induit pas dechangement dans les pratiques detravail et les mécanismes de coordi-nation. Les scripts d’interactions res-tent les mêmes, reproduisant, voirerenforçant, les structures socialesexistantes ;

• Concernant l’application, elle caracté-rise un changement de nature incré-mentale : l’énaction des TIC induitune amélioration des pratiques detravail, accompagnée d’une évolutionmarginale des mécanismes de coordi-nation. Les scripts d’interactions évo-luent peu mais favorisent la repro-

duction des structures sociales sousune forme améliorée ;

• Enfin, le changement correspond àune situation de transformation radi-cale des scripts d’interactions suite àune modification importante des pra-tiques de travail et des mécanismesde coordination. De ce fait, les struc-tures sociales de l’organisation peu-vent être profondément remises enquestion.

2. USAGES DES TIC ET ÉVOLUTION DES MÉCANISMES DE COORDINATION : LE CAS DES ARMÉES AMÉRICAINES EN SITUATIONOPÉRATIONNELLE

La seconde partie offre un contenuempirique à nos propositions théo-riques. Le cas d’application concerneles Armées américaines en Afghanistan.Compte tenu de la nature asymétriquede ce conflit, le recueil et le traitementde la bonne information a acquis unevaleur tactique importante. Les TIC,massivement implémentées dans lessystèmes d’armes américains, ont jouéun rôle crucial dans la mesure où ellesont permis de partager et de traiter unvolume d’information sans précédent.Pour autant, leur usage a induit uneévolution, parfois radicale, des struc-tures sociales dans les Armées.

2.1. Contexte de la recherche et méthodologie

Les forces américaines prennent ac-tuellement part à deux opérations dis-

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tinctes en Afghanistan : (1) l’OperationEnduring Freedom, lancée en réponseaux attentats du 11 septembre en appli-cation du principe d’auto-défense ayantpour vocation la lutte anti-terroriste et(2) la Force Internationale d’Assistanceà la Sécurité (FIAS), mandatée par leConseil de Sécurité avec une mission destabilisation. Ces deux opérations,conduites sous l’égide de l’OTAN, en-gagent des forces multinationales.Parmi les nations représentées, cer-taines sont qualifiées de « cadres » dansla mesure où elles détiennent les com-pétences nécessaires à un commande-ment pleinement opérationnel desforces de l’OTAN aux niveaux tactiqueet opératif. Les Etats-Unis, comme laFrance, possèdent ces compétences.Leurs Armées se retrouvent ainsi aucœur du commandement et de laconduite des opérations afghanes. Lessous parties suivantes précisent lecontexte opérationnel et technologiqueen Afghanistan puis exposent la métho-dologie employée pour conduire cetterecherche.

2.1.1. Le Network Centric Warfareou l’efficacité des technologiescentrées réseaux en temps de guerre

En Afghanistan, les forces de la coali-tion opèrent dans un contexte com-plexe, caractérisé par une grande varia-bilité et diversité des missions à réaliser.La réussite des opérations repose prin-cipalement sur la bonne coordination

des unités engagées sur le terrain, elles-mêmes souvent issues d’Armées diffé-rentes. Il s’agit donc de coordonner unensemble de connaissances, de compé-tences et de cultures singulières. Pource faire, les mécanismes de coordina-tion sont mobilisés selon une pondéra-tion qui varie en fonction de la naturedes missions à conduire. Par exemple,les missions aériennes d’appui feu rap-proché3 sont planifiées avec précisionpar le centre de commandement et decontrôle tactique (Combined Air Opera-tions Center – CAOC). Une fois dansl’avion, le pilote connaît parfaitement lanature et les conditions de réalisationde sa mission. Il suit à la lettre sonordre de vol (sauf réassignation de lamission par le centre de commande-ment ou événement imprévu à traiter)et respecte un ensemble de procéduresafin de remplir ses objectifs. La supervi-sion directe et la standardisation par lesprocédés prévalent sur les autresformes de coordination. Ce n’est pas lecas pour certaines missions en profon-deur confiées aux forces spéciales.Celles-ci se déplacent souvent en petitsgroupes, pendant une période detemps relativement longue (plusieursjours). Les communications avec lecentre de commandement et de contrô-le sont réduites. Dans ce cas, la stan-dardisation par les objectifs et les résul-tats se révèle plus adaptée.

Depuis le début du conflit en Afgha-nistan, le potentiel d’interactivité desTIC est massivement exploité par lesforces pour faciliter la coordination

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3. L’appui-feu rapproché, ou encore Close Air Support (CAS), concerne des situations tactiques où les troupes au sol(les forces spéciales en Afghanistan) font une demande de soutien aérien, soit parce qu’elles se trouvent face à undanger immédiat, soit parce qu’elles ont localisé une cible devant être détruite.

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entre les unités. Dans ce domaine, lesArmées américaines bénéficient d’uneffet d’échelle important au regard desArmées françaises, directement lié àl’ampleur de leurs moyens budgétaires.Elles profitent ainsi d’une avance certai-ne concernant à la fois le taux d’équi-pement en technologies centrées ré-seaux et les modèles d’action qui lesexploitent. Ainsi, la doctrine NetworkCentric Warfare (NCW ou guerre cen-trée réseaux) définit les changements etles principes d’action associés à l’intro-duction des TIC pour conduire desopérations militaires. Le partage des in-formations et des connaissances en ré-seaux permet aux forces de disposerd’une connaissance commune de la si-tuation tactique, les conduisant à rédui-re le temps alloué à la prise de décisionet à gagner en efficacité. Les Arméesfrançaises utilisent des moyens techno-logiques équivalents, mais à une échel-le plus modeste. Leurs dispositifs seveulent inter-opérables afin de s’inté-grer pleinement aux réseaux américainset de faciliter la diffusion et le partagedes informations entre les acteurs.

L’amélioration du management del’information et des connaissances dansle cadre du NCW facilite la gestion de lacomplexité et de l’incertitude en mis-sion (Wilson, 2005). Le Département dela Défense américain a longtemps pré-senté ces résultats comme une consé-quence quasi-mécanique de l’introduc-tion des TIC dans les forces. Lestechnologies étaient censées créer leurspropres usages et les effets de leur dif-fusion devaient correspondre, peu ouprou, a ce qui avait été anticipé par les

gestionnaires. Or, si les TIC affectentsans conteste les organisations militairesaméricaines, la nature et l’ampleurréelles des changements restent diffi-ciles à déterminer.

2.1.2. Méthodologie

Notre recherche repose sur une étudeexploratoire réalisée dans le cadred’une commande de la Délégation auxAffaires Stratégiques du Ministère fran-çais de la Défense. Notre tâche consis-tait à nous interroger sur les effets duNetwork Centric Warfare dans les Ar-mées américaines en contexte opéra-tionnel. Le ministère cherchait ainsi àparfaire ses connaissances du phéno-mène pour penser ses propres évolu-tions en la matière. Nos contraintes detemps étaient réelles puisque la com-mande a été officialisée en avril 20054 etque nous devions rendre le travail à lami-octobre de la même année. Nousavons choisi de concentrer nos effortssur les effets structurels (l’émergence denouvelles formes d’organisation et lesévolutions des logiques de délégation)et culturels de l’implémentation destechnologies centrées réseaux dans lesArmées américaines. L’approche struc-turationniste s’est révélée particulière-ment adaptée à nos besoins dans lamesure où elle nous permettait d’ap-préhender pleinement la forme desusages développés par les acteurs en si-tuation, leurs conditions d’émergence etleurs effets organisationnels et sociaux.L’étude de cas présentée dans cet articleest directement tirée de ces travaux ap-pliqués.

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4. Même si nous avons commencé à réfléchir le design de la recherche et à travailler la littérature disponible dès fé-vrier 2005.

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Nous nous inscrivons dans le cadrede l’exploration hybride (Charreire Petitet Durieux, 2007) consistant, tout aulong de la recherche, à procéder par al-lers-retours entre le matériau empiriquerecueilli et la théorie. Du fait même dela complexité du contexte à étudier (en-vironnements opérationnels volatiles etle plus souvent constitués d’un nombreimportants et variés d’acteurs) et desnombreuses données de nature diffé-rente (sources documentaires, entre-tiens, réunions), nous adoptons une dé-marche abductive (Koenig, 1993). Ils’agit pour nous d’identifier des pro-priétés de situations complexes et nonde mettre un objet théorique à l’épreu-ve de tests empiriques. Nous cherchonsà proposer des résultats théoriques no-vateurs en créant de nouvelles articula-tions entre les concepts d’énaction, destructures sociales de l’organisation etde coordination.

Le corpus des données de terrain aété construit classiquement par triangu-lation de plusieurs méthodes de recueildes données (Eisenhardt, 1989). Toutd’abord, trois entretiens collectifs (entredeux et sept personnes) semi-structurésde durée variable (entre deux et sixheures) ont été conduits entre juin etseptembre 2005. Trois entretiens indivi-duels ont été effectués afin de confortercertaines analyses intermédiaires. Il nenous a pas été possible d’interviewerdes personnels militaires issus des Ar-mées américaines pour deux raisons. Lapremière est de nature pratique. Comp-te tenu de notre calendrier pour l’étude,il nous était matériellement difficiled’organiser un voyage vers les Etats-Unis pour rencontrer des acteurs clésdes différentes Armées. La seconde rai-son est de nature plus politique.

Comme chacun sait, les Armées améri-caines sont également engagées enIrak, conflit auquel la France a refuséde participer. Le fait que notre équipeappartienne à un centre de recherchemilitaire français compliquait leschoses. Le devoir de réserve des mili-taires américains est en effet trèscontraignant vis-à-vis des nations nonimpliquées dans les opérations en Irak.Dans cette situation, l’intérêt de condui-re des entretiens directement près desArmées américaines était modéré, laqualité des données récoltées n’étantpas assurée. Nous nous sommes alorsorientés vers des officiers français issusdes trois Armées actuellement engagéessur le théâtre afghan. Nous avons ainsirencontrés des officiers appartenant àl’Etat Major Opérationnel Air (EMO Air,responsable de la planification des opé-rations aériennes) situé à Paris, au Com-mandement des Forces d’Action Ter-restres (CFAT) situé à Lille et auCommandement de la Force Navale deMéditerranée ALFAN, situé à Toulon. Al’époque, ces officiers se trouvaient aucœur de la mise en œuvre des proces-sus de certification OTAN, nécessairespour devenir nation cadre. Ils ont ex-périmenté une proximité opérationnel-le avec les Armées américaines, certainsen Afghanistan et d’autres au Kosovo(1999). La nature collective des entre-tiens a ainsi permis de mettre à jour lesdifférences en termes technologiques etopérationnels d’un conflit à un autre. Leguide d’entretien comportait six ques-tions principales développées autoursde la spécificité des TIC réseaux cen-trées, de leurs usages en opération etde leurs effets sur les relations de travail(horizontales et verticales). Les officiersnous ont décrits leurs expériences decollaboration franco-américaine vécues

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soit au sein des centres de commande-ment, soit directement sur le terrain (lespilotes et les forces terrestres). Leursconnaissances des pratiques de travailaméricaines, des technologies utiliséespar les forces et de leurs modes d’ex-ploitation se sont révélées précieusespour notre compréhension du terrain.Nous avons retranscris les entretiens etréalisé une analyse thématique par infé-rence afin de faire ressortir les thèmesreprésentatifs et réguliers. Nous avonsélaboré une monographie pour chacundes trois entretiens collectifs, transmiseaux personnels interviewés. Ces mono-graphies ont été également l’occasionpour l’équipe de recherche de confron-ter ses observations, ses interprétationset ses analyses afin de faire émerger dessuggestions alternatives et, éventuel-lement, des questionnements quin’avaient pas été mis à jour jusque là(Vaast et Levina, 2006). Cette étape estapparue essentielle dans la mesure oùla nationalité française des personnesinterviewées devait nous inciter à adop-ter une posture analytique critique vis-à-vis de leurs discours.

La deuxième méthode de recueil dedonnées mise en œuvre dans cette re-cherche concerne la collecte de docu-ments de travail internes (retours d’ex-périence, journaux professionnels,discours d’Etat Major, comptes rendusde séminaires) et de documents institu-tionnels publiés par des structures derecherches financées par le Départe-ment de la Défense américain (Office ofForce Transformation, Rand Corpora-tion, Command and Control ResearchProgram, Defense Technical Informa-tion Center, etc.). Ces derniers étaientdisponibles en ligne (ce qui n’est plusforcément le cas aujourd’hui) sur les

grands sites institutionnels et gouverne-mentaux américains. Concernant lesdocuments de travail internes commeles articles issus de journaux profes-sionnels, les comptes rendus de sémi-naires ou encore les discours d’EtatMajor, leur diffusion est déjà plus confi-dentielle. Le « bouche-à-oreille » etl’abonnement en ligne à certains sitesprofessionnels se sont révélés efficacespour le recueil de ce type de données.Les monographies financées par le Dé-partement de la Défense nous ont inté-ressés dans la mesure où elles dévelop-pent la vision officielle des enjeuxassociés aux technologies réseaux cen-trées et au NCW. Nous avons ensuitefocalisé notre attention sur les témoi-gnages écrits relatifs à des retoursd’expériences d’officiers américainsprésents en Afghanistan. Ces témoi-gnages prennent la forme soit d’inter-views, soit de petites monographies ré-digées par l’intéressé. Ils se sont révélésparticulièrement précieux dans la me-sure où ils rendent compte « à chaud »du comportement des combattants surle terrain et des relations qu’ils entre-tiennent vis-à-vis de la technologie em-barquée ; ils se complètent parfaitementavec la vision plus consensuelle propo-sée par les structures gouvernemen-tales.

Enfin, le terrain appelant le terrain,nous avons été invités à observer unbriefing réunissant une vingtaine d’offi-ciers de l’Armée de terre et concernantl’évolution et l’usage des systèmes d’in-formation réseaux centrés dans le cadrede l’OTAN. Ce rapport d’opportunités’est renouvelé et nous avons étéconviés à assister à une réunion desforces spéciales de l’Armée de l’airconsacrée aux retours d’expériences

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d’opérations s’étant déroulées en Af-ghanistan. L’ensemble des données re-cueillies nous a permis d’affiner notrecompréhension du terrain, en infirmantou confirmant certaines de nos idéespremières (Piore, 2006).

2.2. Les Armées américaines en Afghanistan : quelles formesd’énaction des TIC ?

Durant les opérations en Afghanistanles bases de données évolutives et lessystèmes de communication synchro-ne ont été particulièrement utilisés surle terrain afin de favoriser le partagede l’information et le travail d’équipeautour d’une vision commune desopérations. Il s’agit à présent d’analy-ser dans quelle mesure l’énaction destechnologies centrées réseaux a induitune transformation des rapports d’effi-cacité entre les mécanismes de coordi-nation et de chercher à en examinerles effets en termes d’évolution desstructures sociales des Armées améri-caines.

2.2.1. Une situation d’inertie :l’usage de la vidéoconférencedans les phases de planificationà chaud des opérations

L’introduction et/ou la diffusion desTIC impliquent l’application de procé-dures et de règles visant à régir les fluxet les stocks d’information et deconnaissance. L’inertie caractérise unesituation où l’apprentissage de ces pro-cédures ne s’opposent, ni ne boulever-se les pratiques de travail antérieures.Les combattants mobilisent les mêmesmécanismes de coordination avant etaprès l’énaction des TIC.

Dans le cas des Armées américaines,on retrouve une situation d’inertie lorsdes phases de planification à chaud desopérations. Planifier une mission (ouplusieurs missions) militaires signifie sa-voir anticiper toutes les situations aux-quelles les combattants peuvent se re-trouver confrontés en projetant surl’adversaire ses propres anticipations.Les personnels mobilisent la simulationet appliquent la méthode des scénariiafin de prendre en compte l’ensembledes paramètres connus. Il s’agit d’envi-sager un grand nombre de mondespossibles et d’être capable de proposerune réponse opérationnelle adaptée àchacun d’entre eux. La planification àchaud implique de réaliser toutes cesactivités dans l’urgence, c’est-à-direquelques heures avant l’exécution ef-fective de la mission.

Les officiers qui s’occupent de plani-fier les missions militaires intervien-nent aux niveaux opératif et tactique.Par exemple, dans le cas de la planifi-cation des missions aériennes en Af-ghanistan, les deux centres de com-mandement directement impliquéssont le JFAC (Joint Force Air Compo-nent) au niveau opératif/tactique et leCAOC (Combined Air Operations Cen-ter) au niveau purement tactique. Ilstraduisent concrètement les intentionsdu commandement stratégique/opéra-tif, représenté par le JFC (Joint ForceCommander). Leurs personnels tra-vaillent ensemble, de la planificationproprement dite à l’édition de l’ordrede vol transmis aux équipages (AirTasking Order – ATO). Ces centressont composés d’officiers issus des Ar-mées de l’air et des forces aéronavalesde la coalition. Les discussions prépa-ratoires aux missions sont traditionnel-

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lement informelles. Elles reposent surdes échanges d’opinions et d’expé-riences qui font appel aux expertisesde chacun. L’objectif est d’encouragerl’émulation et la créativité afin deconstruire des réponses opération-nelles ingénieuses à l’ensemble desscénarii proposés. De telles discus-sions sont relativement faciles àconduire car les officiers se connais-sent pour la plupart avant d’arriver surthéâtre. Ils collaborent en effet réguliè-rement à l’occasion d’exercices inter-nationaux et se rencontrent lors de sé-minaires et réunions institutionnelles.Certains d’entre eux y voient l’oppor-tunité d’entretenir des relations extra-professionnelles, qualifiées parfoisd’activités cohésion (organisation debarbecues, de sorties diverses, de ren-contres sportives, etc.), qui renforcentla socialisation et facilitent la compré-hension mutuelle. Une fois sur théâtre,ils communiquent fréquemment dansle cadre professionnel (téléphone,email, text-chat, vidéoconférence) etpartagent des pratiques de travail com-munes (Noble, 2004). La culture del’aviateur, même si des différences sin-gularisent l’Armée de l’air et l’aérona-vale, joue également un rôle importantdans la mesure où elle favorise l’espritcommunautaire et rapproche leshommes autour du même vision deleur métier et de leur rôle opérationnel(Godé-Sanchez, 2007).

Dans le cas de la planification àchaud, la coordination repose principa-lement sur l’ajustement mutuel et la co-ordination relationnelle (Gittell, 2002).Avant l’introduction des technologiesmodernes, le moyen le plus sûr pourobtenir de bons résultats était de réunirtous les acteurs sur un même lieu géo-

graphique. La coordination passait alorsprincipalement par le face-à-face. EnAfghanistan, la vidéoconférence est de-venue le moyen privilégié de commu-nication entre les officiers lors desphases de planification. Le passage duface-à-face à la réunion virtuelle a alorsimposé de nouveaux modes opéra-toires concernant le partage desconnaissances. Ainsi, le décalage tem-porel entre la prise de parole et la trans-mission oblige les intervenants à ne pasmener plusieurs discussions en parallè-le. De la même façon, la dimension nonverbale (expressions du visage, langagedu corps, pauses dans la conversation,hésitations, etc.) a quasiment disparude l’échange, alors même qu’elle facili-te la pleine compréhension des mes-sages lorsqu’ils sont transmis en face-à-face (Wainfan et Davis, 2004). Lesparticipants ont dû apprendre à bienexpliciter leur démarche et leurs objec-tifs (Fox, 2004), allant jusqu’à s’échan-ger des messages très détaillés. Enfin,les intervenants sont attentifs à ne pasêtre trop nombreux durant les phasesde discussions pour ne pas opacifier lecontexte d’interactions.

Pour autant, on observe que les nou-velles procédures de communicationassociées à l’usage de la vidéoconféren-ce n’ont pas remis en cause les pra-tiques de travail. La technologie est ca-pable de reproduire les configurationsantérieures de face-à-face et les mo-dèles d’interactions n’ont pas changé.Les acteurs poursuivent toujours lesmêmes objectifs, en mobilisant lesmêmes mécanismes de coordination.A noter cependant que certainescontraintes d’usage de la vidéoconfé-rence ont incité le JFAC Commander(JFACC), chargé de comprendre les in-

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tentions du Joint Force Commander, àrejoindre physiquement ce dernier làoù il se trouve. Cette co-localisationpermet de minimiser les problèmes decommunication et de réduire touteforme d’ambiguïté concernant l’inten-tion du commandement. Le JFACC utili-se ensuite la vidéoconférence pourtransmettre à son équipe les instruc-tions nécessaires à la planification.Cette situation marque les limites del’outil, dont les capacités techniques ac-tuelles ne permettent pas de garantirune transmission parfaite des messages.

Les pratiques de travail et les méca-nismes de coordination n’évoluant pas,nous ne remarquons pas de change-ment dans les scripts d’interactions. Unetelle situation renforce les propriétésstructurelles du JFAC et du CAOC dansleurs activités de planification. C’est par-ticulièrement le cas pour les structuresde signification. Au fil de leurs interac-tions, les intervenants ont développé unenvironnement de connaissance partagéqui leur permet de donner un sens com-mun à leurs actions. Leur vision com-mune du métier et le partage des mêmesroutines favorisent la bonne compré-hension des instructions et des directivestransmises virtuellement. La finalité deleurs discussions est claire pour chacunet les modes de communication pour at-teindre le but fixé font consensus. Lesstructures de domination, qui reflètentles relations de pouvoir entre les acteurs,sont également renforcées suite à l’usa-ge de la vidéoconférence. La volonté ducommandement tactique de parfaite-ment comprendre l’état d’esprit et les in-tentions opérationnelles du Joint ForceCommander l’incite à s’en rapprocher,

quitte à se séparer géographiquementde ses équipes. Ce comportementmarque à la fois la prégnance de la su-bordination et la reconnaissance nonambiguë du rôle critique joué par le ni-veau stratégique/opératif dans les opé-rations militaires.

2.2.2. Une situation d’application :l’usage des systèmes numérisésde Commandement et de Contrôle

Une seconde situation désigne celleoù l’usage des TIC induit une améliora-tion des pratiques de travail et une évo-lution marginale des mécanismes de co-ordination. C’est le cas avec l’introduc-tion du système numérisé de comman-dement et de contrôle dans les forcesterrestres américaines, le FBCB25.

Le FBCB2 est un système d’informa-tion implémenté dans les véhiculesblindés et connecté à l’Internet Tac-tique. Il agit comme un fournisseurd’informations tactiques au travers d’unensemble de terminaux distribués enréseau. Ce système procure en (quasi)temps réel la représentation graphiqued’une situation donnée sur écran(s),constituée d’une carte géographiquenumérisée sur laquelle sont disposéesles positions des forces adverses etamies. Les informations fourniesconcernent principalement les mouve-ments des forces, les vitesses de dépla-cement et l’évolution des combats (étatdes munitions et du carburant notam-ment). Par ailleurs, grâce à l’InternetTactique, les soldats peuvent communi-quer par email et non plus uniquementpar radio. Ils disposent également d’uneaide à la navigation perfectionnée et la

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capacité de créer, simuler et analyser unensemble d’itinéraires possibles (Conat-ser et Grizio, 2005). La numérisation duchamp de bataille induit une nette amé-lioration des pratiques de travail et desrésultats opérationnels obtenus jusqu’àprésent. En effet, les erreurs concernantl’interprétation, le niveau de priorité etla sélection des données récoltées sontbeaucoup moins nombreuses qu’aupa-ravant. Les moyens technologiquesdont disposent les combattants évo-quent de véritables outils d’aide à la dé-cision permettant de limiter les dé-faillances humaines et de réduire letemps alloué à la gestion des données.En Afghanistan, des progrès sensiblesont été réalisés au niveau de la naviga-tion, en particulier en ce qui concernela diminution des rapports de positionet la quasi-disparition des incidents fra-tricides. Ces résultats sont, pour unelarge part, imputables à l’améliorationde la qualité, de la précision et dunombre des informations montantes.

Avant l’introduction du FBCB2 dansl’US Army, la coordination des activitésde nature tactique reposait essentielle-ment sur la supervision directe. Lecommandement utilisait la radio, d’unepart pour obtenir les informations né-cessaires à la prise de décision et,d’autre part, pour communiquer ses dé-cisions au(x) niveau(x) inférieurs(s). Iln’avait pas accès à une vision complèteet régulièrement mise à jour du champde bataille. L’adéquation de ses déci-sions avec la réalité tactique dépendaitétroitement de la précision et du volu-me des informations montantes. Lescombattants respectaient un ensemblede procédures permettant de recueillir,de sélectionner puis de communiquerles données tactiques utiles.

Avec la numérisation d’une grandepart des informations tactiques, ces pro-cédures sont aujourd’hui intégralementautomatisées. Par conséquent, la stan-dardisation des procédés a remplacé lasupervision directe pour toutes les acti-vités liées à la récolte, à la sélection età une partie de la diffusion des donnéestactiques et logistiques de base (posi-tionnement et mouvement des unitésamis et adverses, état des munitions, ducarburant, etc.). La supervision directeconcerne encore les décisions opéra-tionnelles en tant que telles, mais plusla gestion des informations permettantde les prendre. Dans l’esprit de la typo-logie de Mintzberg, cette constatationdu déplacement d’un mécanisme versun autre doit être abordée de façon glo-bale, au niveau de l’organisation, pourdevenir signifiante. Il s’agit alors d’iden-tifier le mécanisme de coordination do-minant, qui constitue le ciment de l’or-ganisation et traduit pour partie sonsystème d’influence interne. En l’occur-rence, si l’on considère la façon dont lecommandement et les combattants secoordonnent globalement pour menerà bien leurs activités opérationnelles,c’est la question du niveau de contrôleet du degré d’autonomie laissé aux ac-teurs sur le terrain qui est posée.

En effet, la mise en réseau des infor-mations tactiques a permis au comman-dement d’acquérir une visualisation sansprécédent du champ de bataille dans lamesure où il suit l’évolution des ma-nœuvres en temps réel. Sa consciencede la situation (situational awareness)n’a jamais été aussi aiguë et sa confian-ce dans ses capacités de prises de déci-sions tactiques s’en trouve renforcée.Les échanges radio avec ses subordon-nés étant sensiblement réduits, il peut

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concentrer toute son attention sur lecombat et la synchronisation de sesforces sur le terrain (Wallace, 2003).Doté de telles capacités de visualisation,le commandement peut être tenté decontrôler les manœuvres directement deson poste, reléguant le niveau tactiqued’exécution à un simple administrateurd’informations (Vego, 2004). Ces pra-tiques de micro-management sontconsidérées comme des dérives par l’USArmy. Elles sont susceptibles de générerune compression du niveau intermé-diaire de commandement dans une dé-marche de prise de contrôle. Dans cecas, on observerait un aplatissement dela hiérarchie. Certains témoignages évo-quent même le risque d’une fusion desniveaux de décision opératif et tactique,ce qui impliquerait une coordinationfortement verticale. Le niveau inférieurse retrouverait alors privé de toute ca-pacité d’initiative, réduit à appliquer à lalettre les ordres détaillés transmis par leniveau supérieur. L’US Army connaîttrès bien les risques associés au micro-management. Ils sont omniprésents àchaque avancée technologique, tech-nique et/ou doctrinale. Ainsi, à la fin dela guerre du Vietnam, certains comman-dants embarquaient à bord d’hélico-ptères équipés d’un système radio PRC-25, très performant à l’époque. La vueaérienne du champ de bataille leur don-nait l’illusion d’une vision parfaite de lasituation, qu’ils contrôlaient directementde l’appareil en distribuant des ordresdétaillés à leurs chefs de section (Duni-van, 2003). Les résultats se sont révéléspeu concluants.

En Afghanistan, les pratiques demicro-management sont pourtant rares.L’usage du FBCB2 génère plutôt unefaible évolution des scripts d’interac-

tions et une reproduction des structuressociales sous une forme améliorée, enparticulier les structures de domination.Cela s’explique dans la mesure où lemicro-management est contraire à laphilosophie du commandement et ducontrôle transmise dans l’US Army.Celle-ci insiste sur l’efficacité d’un« commandement directif », par opposi-tion au « commandement détaillé » dumicro-management. Dans le premier, lecommandant transmet à ses subordon-nés des ordres de missions-types, cen-sés refléter l’intention du commande-ment. Le niveau tactique, au cœur del’action, a alors la responsabilité de tra-duire des ordres en mode d’exécution.Le commandant exploite les capacitésd’initiative et d’interprétation de ses su-bordonnés pour favoriser l’émergenced’un mode d’action adapté au terrain.

Aujourd’hui, les publications doctri-nales de l’US Army, en particulier leField Manual, insistent sur la nécessité,pour le commandement, de résister auchant des sirènes (Dunivan, 2003) et delaisser la part d’autonomie qui revientau niveau inférieur d’exécution. Certes,le FBCB2 a induit une automatisationdes procédures de gestion de l’informa-tion tactique qui aurait pu aller dans lesens d’un renforcement global de la co-ordination verticale. Mais ce n’est pasce qu’on observe à l’heure actuelle surle théâtre afghan. Les structures de do-mination sont reproduites sous uneforme améliorée. Les risques de micro-management ont bien été anticipés parl’US Army et la doctrine du commande-ment directif réaffirmée près des forces.A l’heure actuelle, des équipes de re-cherche appartenant aux différentes Ar-mées américaines travaillent même surl’ergonomie des interfaces des systèmes

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numérisés de commandement et decontrôle afin de faciliter le travail desunités tactiques. Il s’agit de les aider àmieux appréhender et traduire l’inten-tion du commandement (Donnelly etal., 2007). Dans le cadre de l’US Army,ces recherches illustrent bien la volontéde mettre les nouvelles technologies auservice de sa philosophie du comman-dement, réaffirmant ainsi son attache-ment aux structures de domination tra-ditionnelles et cherchant à en améliorerencore l’efficacité.

2.2.3. Une situation de changement : l’usage du « réseaudes réseaux » dans le cadre des activités interarmées

Dès l’instant où l’information n’estplus accumulée à des niveaux locaux dedécision mais mise en réseaux, les ac-teurs doivent assimiler de nouvellesformes d’exploitation des informationset des connaissances. Une telle configu-ration implique la mise en relationd’unités et d’acteurs qui n’ont pas l’ha-bitude de travailler ensemble. Avec ledéveloppement du réseau d’informationglobal, les forces Armées américainesfont aujourd’hui face à une telle problé-matique. En connectant l’ensemble dessources et ressources informationnellesdisponibles au sein du Département dela Défense, le « réseau des réseaux » pro-pose aux usagers un environnement detravail distribué censé permettre uneadaptation continue des besoins en in-formation (Wilson, 2005). En plus dessavoir-faire liés à leur métier, les com-battants apprennent à développer descompétences centrées réseaux : ils doi-vent disposer de connaissances fines enmatières de TIC mais également ap-

prendre à travailler ensemble et à colla-borer.

Dans cette perspective, la coordina-tion par la standardisation du savoir de-vrait acquérir une efficacité relativegrandissante. Le partage de valeurs deréférence communes est censé favoriserl’adoption de ‘comportements types’.Sous l’impulsion du Pentagone, desprogrammes de formation continue(Joint Professional Military Education)ont été mis en place pour répondre àces exigences d’harmonisation. L’ap-prentissage d’un nouvel ensemble deconnaissances et de valeurs relation-nelles (processus de socialisation) de-vrait encourager l’émergence d’un lan-gage commun et de pratiques de travailcollaboratives, elles-mêmes fondées surle développement d’un environnementpartagé de connaissances. Par exemple,le fait qu’en 2002 la Defense Informa-tion System Agency (DISA) ait imposé àtoutes les Armées les mêmes applica-tions collaboratives, reposant sur lesmêmes standards d’utilisation, n’a ja-mais représenté en soi une garantied’interopérabilité. La preuve en est ducomportement de l’US Navy qui a os-tensiblement, et pendant longtemps, af-fiché sa réticence à utiliser un systèmedifférent du sien. La coordination desactivités interarmées reposerait avanttout sur le partage de valeurs com-munes qui donnent un sens au travailcollaboratif et à l’intégration des com-pétences. Seuls les processus de forma-tion et de socialisation semblent être enmesure de répondre aux besoins d’har-monisation des comportements des ac-teurs.

Le problème est qu’à l’heure actuelle,les Armées américaines ne jouent pasvraiment le jeu (Harrison, 2005). Elles

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ont le sentiment que le Département dela Défense cherche à imposer d’en hautdes changements structurels et sociauxd’importance. La mise en œuvre desnouvelles pratiques de travail collabora-tif induit en effet un véritable boulever-sement des scripts d’interactions au seindes Armées, ce qui peut certainementexpliquer le manque de conviction dansleur démarche, sinon l’émergence de ré-sistances importantes. Par exemple,nombreux sont les officiers à considérerpubliquement que le principe même del’interarmisation est non souhaitable carcontraire à une amélioration de l’effica-cité des forces opérationnelles. Habituésà ce que les rapports interarmées s’exer-cent dans un climat de concurrence, ilsexpriment leurs craintes de voir des pra-tiques de travail compétitives, à leursyeux sources d’efficacité, disparaître. Dece fait, l’évolution des pratiques et l’im-portance grandissante de la standardisa-tion du savoir pourraient fragiliser lesstructures de signification, à savoir lesens « historique » donné aux relationsinterarmées. De la même façon, il exis-te un décalage de plus en plus impor-tant entre les structures de légitimationet les nouveaux modèles d’interactionsque le Département de la Défensecherche à développer. Les Armées se re-trouvent à devoir reconstruire un « ordresocial », c’est-à-dire à remettre en ques-tion les codes moraux et les règles quirégissent leurs interactions. L’ensembleévoque un bouleversement radical pourles organisations de Défense améri-caines.

Pourtant, le travail commun à partir del’usage des dispositifs technologiquesen réseaux caractérise la façon dont lesopérations modernes sont et devrontêtre conduites. C’est la raison pour la-

quelle la standardisation par le savoirdevrait devenir un mécanisme de coor-dination essentiel aux activités des Ar-mées modernes. L’enjeu est de taille àl’heure où les opérations dites combi-nées, mobilisant les services de deux outrois Armées différentes sur une mêmemission, prennent une importance stra-tégique grandissante dans la conduitedes conflits. Un environnement partagéde connaissances (et de qualifications)permettrait de considérablement réduireles problèmes de mauvaise interpréta-tion d’une même situation tactique oude méconnaissance des capacités opé-rationnelles de chacune des Armées en-gagées dans la mission (Dabbish etKraut, 2004 ; Harrison, 2005). De telsproblèmes ont été rencontrés en Afgha-nistan. Il semble que la coordinationd’activités géographiquement disperséeset mobilisant des cultures et des com-pétences différentes repose fondamen-talement sur une standardisation des sa-voirs et des références communes.

Pour le Département de la Défense,ces enjeux sont cruciaux. Ils impliquentd’aller au-delà des programmes de for-mation communs réalisés jusqu’à au-jourd’hui, afin que les Armées s’appro-prient progressivement leurs nouveauxmodèles d’interactions. Vouloir imposerune démarche top-down qui contrain-drait les acteurs à s’insérer dans un mo-dèle construit en amont aurait en effettendance à alimenter les frustrations etreproduire les mêmes comportementsde résistance. Compte tenu de la natureradicale des changements actuellementà l’œuvre, il semblerait plus adaptéd’élaborer un cadre d’action global dansles limites duquel les acteurs co-construiraient progressivement leurspropres scripts d’interactions. En ce

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sens, les programmes d’entraînementscommuns sont trop peu nombreux auxEtats-Unis et les Armées ne font pas suf-fisamment d’efforts pour harmoniserleurs méthodes et leurs pratiques de tra-vail. Or, les entraînements et exercicessont l’occasion d’évaluer l’efficacité col-lective d’un groupe hétérogène poursui-vant un objectif commun. L’apprentissa-ge par l’essai et l’erreur se révèle unmoyen efficace pour mettre à jour lesfaiblesses d’un dispositif, les critiquer eten élaborer de nouveaux. Cette formed’apprentissage s’avère d’autant plus ef-ficace que les américains possèdent unvéritable savoir-faire dans ce que l’onnomme le « retour d’expériences ». Ils sa-vent tirer les leçons de leurs expériencesopérationnelles en très peu de temps etmettre à jour les causes majeures deséchecs qu’ils essuient. S’il paraît pluscomplexe de prendre ces retours d’ex-périences pleinement en compte dansle feu de l’action, les situations d’entraî-nement apparaissent, au contraire, parti-culièrement appropriées. Elles peuventconstituer des occasions de repensercollectivement les erreurs commises etde tester un ensemble de scénarii pos-sibles. De nouveaux modèles d’interac-tions pourraient alors émerger en pra-tique, à travers les expériences decollaboration des acteurs.

3. CONCLUSION

A partir de notre grille de lecture,nous nous sommes attachés à cerner lesprocessus qui traduisent la relationcomplexe entre les TIC et les méca-nismes de coordination. Nous avonsensuite analysé cette relation en termesde changement des structures socialesdans les Armées américaines. Ainsi,

nous remarquons que l’énaction desTIC influence l’efficacité relative desmécanismes selon la nature de l’envi-ronnement d’action et des enjeux pour-suivis par l’organisation. En mettantl’accent sur la dimension récursive desrelations entre les technologies, les mé-canismes de coordination et les usa-gers, l’analyse échappe à l’écueil d’unevision déterministe qui donnerait tropd’importance soit aux qualités intrin-sèques des TIC, soit aux formes de co-ordination organisationnelles existantes.Elle permet également d’interroger lanature du changement, radical ou in-crémental, traversé par l’organisation.

Cette recherche a fait l’objet d’uneétude de cas unique, qui nous permetd’exploiter un terrain rarement examinédans la littérature en sciences de ges-tion (Yin, 1989). Elle ne repose doncpas sur des critères statistiques et quan-titatifs, mais sur des critères théoriqueset qualitatifs. En ce sens, le nombre desobservations est trop restreint pour per-mettre des généralisations. Nos résultatspourraient éventuellement être étendusà des propositions théoriques, mais pasà des populations ou à un univers.Cette remarque évoque une premièrelimite de notre travail. La seconde estégalement d’ordre méthodologique.Elle concerne l’origine des données re-cueillies en entretiens et le fait quenous n’avons pas pu observer, in situ eten temps réel, les effets avant/après del’introduction des technologies centréesréseaux dans les forces américaines.Nous n’avons eu accès qu’à des témoi-gnages oraux et écrits qui relataient levécu des personnes. Dans de tels cas,les faits ont déjà été interprétés par lesacteurs et mémorisés de façon sélective.Malgré notre approche critique des dis-

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cours, nous n’avons certainement pascontourné tous les biais.

Un des prolongements possibles decette recherche exploratoire consiste àapprofondir nos résultats en nous ap-puyant sur une méthode de recherchedifférente. Par exemple, l’étude de casmultiples nous permettrait de consoli-der le cadre d’analyse tout en offrantdavantage d’occasions de généralisation(Eisenhardt et Graebner, 2007). Il s’agi-rait alors d’élargir nos perspectives em-piriques au-delà du terrain militairepour tester le potentiel explicatif denotre cadre théorique.

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