Les sous-types moléculaires des cancers du sein · Les canaux et lobules sont bordés par deux...

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La Lettre du Sénologue - n ° 38 - octobre-novembre-décembre 2007 M ise au point 33 Les sous-types moléculaires des cancers du sein Molecular subtypes of breast cancer IP M.C. Mathieu * L e cancer du sein est une maladie hétérogène, dont les classifications histologiques et cliniques actuelles ne permettent pas de prédire totalement l’évolution. Bien que de nombreux gènes et protéines aient été étudiés dans le cancer du sein, actuellement seuls RE, RP et HER2 sont pris en compte pour le choix thérapeutique. Récemment, le dévelop- pement des analyses génomiques permet d’analyser simulta- nément l’expression de nombreux gènes (jusqu’à 25 000 gènes) grâce aux puces à ADN ou microarrays et faire un “portrait” de chaque tumeur (1, 2). L’analyse des résultats par les métho- des de clustering permet de regrouper les tumeurs en fonction de leur profil d’expression génique. Ces regroupements sont le reflet de mécanismes de corégulation des gènes. L’étude de l’expression génique permet ainsi de proposer une nouvelle classification dite “moléculaire” en classes ou sous- types dans le cancer du sein. Perou et al. ont été les premiers en 2000 (3) à subdiviser les cancers du sein en sous-groupes selon leur profil d’expression génique. Ils ont individualisé tout d’abord deux groupes prin- cipaux en fonction de l’expression des récepteurs aux estro- gènes (RE). Ils ont identifié quatre types de carcinomes en les comparant au tissu normal : RE+/luminal, basal-like, Erb-B2 et normal-like. D’autres travaux sur différentes plates-formes de micro-array (Affymetrix ® , Agilent ® ), sur des séries indé- pendantes de cancers du sein, avec des techniques de qPCR ou de microarray sur tissu fixé et inclus en paraffine ont validé * Département de pathologie et de biologie médicale, Institut Gustave-Roussy, 94805 Villejuif. ces sous-types moléculaires, ce qui permet de les prendre en compte en clinique (3-6). Actuellement, quatre sous-types sont bien individualisés : lu- minal, basal, HER2+, normal. Toutefois, certains sous-types apparaissent eux-mêmes hétérogènes et doivent être encore mieux décrits. Pour chaque sous-classe, les marqueurs biolo- giques exprimés ainsi que les types histologiques des tumeurs ont été étudiés. Ces catégories moléculaires ont des pronostics différents ce qui apporte un intérêt majeur dans le traitement de cancers du sein. HISTOLOGIE DU SEIN Pour comprendre cette classification qui se rapporte aux constituants normaux du sein, il est nécessaire de faire un rap- pel concernant l’histologie du tissu mammaire normal. Les canaux et lobules sont bordés par deux types de cellules : Les cellules luminales qui bordent la lumière des lobules et des canaux expriment les cytokératines CK8/18, CK19. Les cellules myoépithéliales (ou basales) entourent les cellules luminales et sont au contact de la membrane basale. Elles expri- ment les cytokératines CK 5/6, CK14, CK17 et des marqueurs musculaires lisses comme l’actine musculaire lisse et p63. Il existe aussi des cellules souches progénitrices qui peuvent se différencier en cellule basale ou luminale. Elles sont situées dans les canaux en faible nombre. CARACTÉRISATION DES TYPES MOLÉCULAIRES Basal Les tumeurs de type basal ou basal-like sont caractérisées par l’expression de gènes identiques à ceux exprimés par des li- gnées de cellules myoépithéliales. En immunohistochimie, ces tumeurs expriment des marqueurs des cellules myoépithélia- les (ou basales) du sein normal : l’actine musculaire lisse, les cytokératines CK5/6, CK14, CK17. Ce groupe est le mieux identifié par les différentes études gé- nomiques. Les tumeurs ont un phénotype particulier et repro- ductible : récepteurs aux estrogènes (RE) -, HER2-, expression d’au moins un marqueur de cellules basales (CK5/6, EGFR, vimentine, actine musculaire lisse, c-kit) [7, 8]. Ces tumeurs sont en majorité récepteurs à la progestérone (RP) -, présen- tent un taux plus élevé de mutation de p53 ; leur grade histo- pronostique est de III avec une activité mitotique élevée. Les carcinomes de type basal regroupent les carcinomes de type Figure. Schéma d’un canal mammaire.

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La Lettre du Sénologue - n ° 38 - octobre-novembre-décembre 2007

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Les sous-types moléculaires des cancers du sein Molecular subtypes of breast cancerIP M.C. Mathieu *

L e cancer du sein est une maladie hétérogène, dont les classifications histologiques et cliniques actuelles ne permettent pas de prédire totalement l’évolution. Bien

que de nombreux gènes et protéines aient été étudiés dans le cancer du sein, actuellement seuls RE, RP et HER2 sont pris en compte pour le choix thérapeutique. Récemment, le dévelop-pement des analyses génomiques permet d’analyser simulta-nément l’expression de nombreux gènes (jusqu’à 25 000 gènes) grâce aux puces à ADN ou microarrays et faire un “portrait” de chaque tumeur (1, 2). L’analyse des résultats par les métho-des de clustering permet de regrouper les tumeurs en fonction de leur profil d’expression génique. Ces regroupements sont le reflet de mécanismes de corégulation des gènes. L’étude de l’expression génique permet ainsi de proposer une nouvelle classification dite “moléculaire” en classes ou sous-types dans le cancer du sein.Perou et al. ont été les premiers en 2000 (3) à subdiviser les cancers du sein en sous-groupes selon leur profil d’expression génique. Ils ont individualisé tout d’abord deux groupes prin-cipaux en fonction de l’expression des récepteurs aux estro-gènes (RE). Ils ont identifié quatre types de carcinomes en les comparant au tissu normal : RE+/luminal, basal-like, Erb-B2 et normal-like. D’autres travaux sur différentes plates-formes de micro-array (Affymetrix®, Agilent®), sur des séries indé-pendantes de cancers du sein, avec des techniques de qPCR ou de microarray sur tissu fixé et inclus en paraffine ont validé

* Département de pathologie et de biologie médicale, Institut Gustave-Roussy, 94805 Villejuif.

ces sous-types moléculaires, ce qui permet de les prendre en compte en clinique (3-6).Actuellement, quatre sous-types sont bien individualisés : lu-minal, basal, HER2+, normal. Toutefois, certains sous-types apparaissent eux-mêmes hétérogènes et doivent être encore mieux décrits. Pour chaque sous-classe, les marqueurs biolo-giques exprimés ainsi que les types histologiques des tumeurs ont été étudiés. Ces catégories moléculaires ont des pronostics différents ce qui apporte un intérêt majeur dans le traitement de cancers du sein.

hISToLogIE Du SEIN

Pour comprendre cette classification qui se rapporte aux constituants normaux du sein, il est nécessaire de faire un rap-pel concernant l’histologie du tissu mammaire normal. Les canaux et lobules sont bordés par deux types de cellules : Les cellules luminales qui bordent la lumière des lobules et des canaux expriment les cytokératines CK8/18, CK19. Les cellules myoépithéliales (ou basales) entourent les cellules luminales et sont au contact de la membrane basale. Elles expri-ment les cytokératines CK 5/6, CK14, CK17 et des marqueurs musculaires lisses comme l’actine musculaire lisse et p63. Il existe aussi des cellules souches progénitrices qui peuvent se différencier en cellule basale ou luminale. Elles sont situées dans les canaux en faible nombre.

CaRaCTÉRISaTIoN DES TypES moLÉCuLaIRES

Basal Les tumeurs de type basal ou basal-like sont caractérisées par l’expression de gènes identiques à ceux exprimés par des li-gnées de cellules myoépithéliales. En immunohistochimie, ces tumeurs expriment des marqueurs des cellules myoépithélia-les (ou basales) du sein normal : l’actine musculaire lisse, les cytokératines CK5/6, CK14, CK17. Ce groupe est le mieux identifié par les différentes études gé-nomiques. Les tumeurs ont un phénotype particulier et repro-ductible : récepteurs aux estrogènes (RE) -, HER2-, expression d’au moins un marqueur de cellules basales (CK5/6, EGFR, vimentine, actine musculaire lisse, c-kit) [7, 8]. Ces tumeurs sont en majorité récepteurs à la progestérone (RP) -, présen-tent un taux plus élevé de mutation de p53 ; leur grade histo-pronostique est de III avec une activité mitotique élevée.Les carcinomes de type basal regroupent les carcinomes de type

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Figure. Schéma d’un canal mammaire.

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médullaire atypique, les carcinomes métaplasiques, la plupart des carcinomes liés à une mutation de BRCA1 et des carcino-mes canalaires infiltrants de grade III. Ce sous-type a le pronos-tic le plus défavorable pour la survie globale et sans rechutes. En revanche, il est associé à un taux plus élevé de réponse complète à une CT néoadjuvante à base d’anthracyclines (9).Par extension, on parle de tumeurs “triple négatif” qui sont (RE- RP- HER2-) qui comprennent un grand nombre de tu-meurs de type basal. Il n’y a toutefois pas de superposition complète entre ces deux groupes. Ces tumeurs “triple négati-ves” ont un pronostic particulièrement mauvais et des essais thérapeutiques se mettent en place pour cette catégorie de tu-meurs représentant moins de 15 % des tumeurs du sein.

HER2Ce groupe est le plus souvent défini comme incluant toutes les tumeurs HER2 + quelle que soit leur expression des récepteurs hormonaux. Un progéniteur luminal serait à l’origine de ces tumeurs. Leur phénotype est HER2+, CK8/18/19+. Ce groupe comprend les tumeurs de type apocrine et des canalaires infil-trants de grades II et III. Leur pronostic est défavorable.

LuminalCe groupe comprend des tumeurs RE+ dont l’expression géni-que est proche de celle des cellules épithéliales luminales dont le profil immunohistochimique est caractérisé par l’expression de CK8/18 et CK19 qui comprend des tumeurs de faible grade avec les formes histologiques particulières : cribriforme, mu-cineux, lobulaire et carcinomes canalaires infiltrants de grade histopronostique I et II.Certaines études distinguent deux groupes : luminal A avec le pronostic le plus favorable et luminal B avec un pronostic moins bon que celui du groupe luminal A (6).

AutresCertaines études isolent d’autres sous-types inconstamment identifiés. Baso-luminal : les tumeurs de ce groupe proviendraient d’un progéniteur commun qui exprime des marqueurs de cellules basales (CK5/6) et de cellules luminales (CK8/18/19). Normal-like : l’expression génique est proche de celle du tis-su mammaire normal. Le phénotype des tumeurs de ce sous type n’est pas décrit. Leur pronostic est intermédiaire.Il reste environ 10 à 15 % de tumeurs inclassées n’appartenant pas aux groupes précédemment décrits.Certains sous-types sont eux-mêmes hétérogènes tels que les sous-types luminal A (hétérogénéité des tumeurs ER+), basal (p53 +/- ; BRCA1) et HER2 (ER +/-) et des analyses plus ap-profondies permettront d’améliorer cette classification.

CoNCLuSIoN

Ces sous-types moléculaires représentent des entités biologi-ques distinctes, pour lesquelles on peut envisager dès main-tenant la mise en route d’essais thérapeutiques, particulière-ment pour les groupes de tumeurs les mieux définis tels que le groupe de type basal. n

R é f é R e n c e s b i b l i o g R a p h i q u e s

1. Boutet G, Mathieu MC. De la signature génomique aux applications pratiques. La Lettre du Sénologue 2005;28:5-23.2. Puztai L, Mazouni C, Anderson K et al. Molecular classification of breast cancer: limitations and potential. Oncologist 2006;11:868-77.3. Perou CM, Sorlie T, Eisen MB et al. Molecular portraits of human breast tumours. Nature 2000;406:747-52.�. Van’t Veer LJ, Dal H, van de Vijver MJ et al. Gene expression profiling predicts clinical outcome of breast cancer. Nature 2002;415:530-6.5. de Vijver MJ, He Y, Van’t Veer LJ et al. A gene-expression signature as a predictor of survival in breast cancer. N Engl J Med 2002;347:1999-2009.6. Sorlie T, Tibshirani R, Parker J et al. Repeated observation of breast tumor subtypes in independant gene expression data sets. Proc Natl Acad Sci 2003;100:8418-23.7. Nielsen TO, Hsu FD, Jensen K et al. Immunohistochemical and cli-nical characterization of the basal-like subtype of invasive breast carci-noma. Clin Cancer Res 2004;10:5367-74.8. Livasy CA, Karaca G, Nanda R et al. Phenotypic evaluation of the ba-sal-like subtype of invasive breast carcinoma. Mod Pathol 2006;19:264-71.9. Rouzier R, Perou CM, Symmans WF et al. Breast cancer molecular subtypes respond differently to preoperative chemotherapy. Clin Cancer Res 2005;11:5678-85.

Tableau. Caractéristiques des principaux sous-types moléculaires.

Sous-type

Origine Phénotype Type histologique du carcinome

Pronostic

Basal Cellule myoépithéliale

RE- HER- CK5/6+ EGFR+

- Canalaire de grade III- Médullaire

- Métaplasique

Défavo-rable

HER2 Non connu HER2+ CK8/18+

CK19+

- Apocrine - Canalaire de

grades II-III

Défavo-rable

Luminal Cellule luminale

RE+ CK8/18+ CK19+

- Canalaire de grade I

Favorable

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Un 8 pages “Infos Actualités Mammaprint®” sera routé avec ce numéro.