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FRANCE ST-HILAIRE LES PROBLÈMES DE COMMUNICATION EN ENTREPRISE : INFORMATION OU RELATION? Mémoire présenté à la Faculté des études supérieures de l’Université Laval dans le cadre du programme de maîtrise en communication publique pour l’obtention du grade maître ès arts (M.A.) FACULTÉ DES LETTRES UNIVERSITÉ LAVAL QUÉBEC 2005 © France St-Hilaire, 2005

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FRANCE ST-HILAIRE

LES PROBLÈMES DE COMMUNICATION EN ENTREPRISE : INFORMATION OU RELATION?

Mémoire présenté à la Faculté des études supérieures de l’Université Laval

dans le cadre du programme de maîtrise en communication publiquepour l’obtention du grade maître ès arts (M.A.)

FACULTÉ DES LETTRESUNIVERSITÉ LAVAL

QUÉBEC

2005

© France St-Hilaire, 2005

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Résumé

La communication en entreprise renvoie aux relations interpersonnelles entre employés,

aux canaux de communication (journal interne, téléphone, courriel), à la transmission

d'instructions de travail, etc. Ce problème de définition se concrétise davantage lorsqu’on

demande aux travailleurs et aux cadres d’une usine ce qu’ils entendent par manque de

communication, par mauvaise communication ou par problème de communication. La

signification que chacun donne au concept de communication diverge selon le groupe

d’appartenance.

L’objectif général de cette recherche est de définir en quoi consistent des problèmes de

communication du point de vue des deux groupes de travailleurs que constituent les

ouvriers et les cadres d’une entreprise manufacturière. Ainsi, au terme de notre recherche,

nous constatons que les problèmes de communication équivalent, pour les cadres, à un

dysfonctionnement lors du processus de transmission d'informations alors qu’ils évoquent,

pour les ouvriers, des difficultés dans les relations interpersonnelles.

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Avant-propos

La maîtrise est une aventure qui nous réserve joies, déceptions, réussites, échecs et bien des

surprises. C’est une expérience singulière où chacun vivra, à sa manière, les différentes

étapes du mémoire, mais aussi de la vie qui continue durant ces deux ans. Si, pour certains,

cette étape s’avère marquante, la plupart d’entre nous bénéficie d’un soutien inestimable.

Mes proches savent qu’à certains moments, ces deux dernières années furent difficiles.

Mais savent-ils à quel point ils ont contribué à ce que je termine ce mémoire heureuse et

fière.

Tout d’abord, j’aimerais exprimer toute ma gratitude et mon admiration à Isabelle Clerc,

ma directrice. Sans toi, Isabelle, ce mémoire n’existerait pas et je ne m’engagerais

certainement pas dans des études doctorales. Ton investissement, ta générosité, ta passion

et ta sensibilité me sont une source d’inspiration. Quelle chance d’avoir bénéficié de ton

enseignement! Merci de m’avoir recueillie, moi la « petite oralisante », de m’avoir fait

confiance et, surtout, de m’avoir redonné confiance en moi.

Je tiens également à remercier Olivier, mon conjoint, avec qui je partage cette passion de la

recherche. Merci pour tes réflexions, ton soutien, ta patience et ta quiétude qui t’es si

particulière. Merci, avec tout mon amour.

Merci à Isabelle, Karine et Geneviève, mes trois salvatrices qui m’ont insufflé le courage

de poursuivre et avec qui j’ai partagé les plus grands fous rires, les 5 à 7 sélects et les

dîners « gestion du stress ». Un merci tout particulier à toi, Geneviève, pour ta grande

générosité et ta précieuse aide dans la révision de ce mémoire. La maîtrise n’aura valu la

peine que pour te rencontrer, toi, une amie irremplaçable. Après cette maîtrise, embellie

par ton amitié, je crois que je ne suis plus tout à fait la même! Merci, avec toute mon

affection.

Sans oublier mes parents, qui ont cru en moi depuis le tout début. Surtout toi, maman, qui

m’as écoutée, réconfortée, encouragée et qui m’as inspiré ce mémoire, que je te dédie.

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J’aimerais également remercier Jean-Pierre Brun pour ses conseils avisés.

Merci aux participants de cette recherche qui ont pris le temps de me recevoir dans leur

maison avec tant d’enthousiasme pour partager leurs pensées et réflexions, et ce, malgré

leur horaire chargé.

Enfin, je tiens à remercier le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada, le

Fonds québécois de la recherche sur la société et la culture et la Fondation J. Armand

Bombardier pour leur soutien financier. Merci d’avoir cru en mon projet.

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À une ouvrière qui m’est chère, ma mère.

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Tables des matières

Résumé................................................................................................................................... i

Avant-propos........................................................................................................................ ii

Tables des matières...............................................................................................................v

Liste des tableaux............................................................................................................... vii

Liste des figures.................................................................................................................viii

Introduction.......................................................................................................................... 1

Chapitre І : Problématique et cadre conceptuel................................................................51.1 Le double aspect de la communication........................................................................ 5

1.2 Les relations interpersonnelles..................................................................................... 81.2.1 La construction de l’identité et les besoins identitaires.........................................81.2.2 Le statut et le pouvoir dans les relations interpersonnelles................................. 11

1.3 Les cadres et l’information.........................................................................................13

1.4 Les ouvriers et la relation........................................................................................... 14

1.5 La communication interne dans les organisations .....................................................171.5.1 L’évolution de la gestion.....................................................................................181.5.2 Les procédés de communication en entreprise....................................................191.5.3 La communication informelle ............................................................................ 22

1.6 Les groupes d’employés : le clivage.......................................................................... 251.6.1 Le travail prescrit et le travail réel ......................................................................261.6.2 La communication entre travailleurs................................................................... 26

Chapitre ІІ : Méthodologie................................................................................................322.1 Contexte organisationnel de l’entreprise ABC...........................................................32

2.2 Sélection de l’échantillon........................................................................................... 33

2.3 Entrevues.................................................................................................................... 34

2.4 Schéma d’entrevue..................................................................................................... 35

2.5 Analyse des données...................................................................................................39

Chapitre ІІІ : Présentation et analyse des résultats........................................................ 413.1 Présentation de la grille d’analyse..............................................................................41

3.2 Présentation et définition des sous-dimensions relationnelles................................... 46

3.3 Présentation et définition des sous-dimensions informationnelles.............................52

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3.4 Les ouvriers : les résultats.......................................................................................... 573.4.1 Ouvrier 1 .............................................................................................................583.4.2 Ouvrier 2 .............................................................................................................613.4.3 Ouvrier 3 .............................................................................................................643.4.4 Ouvrier 4 .............................................................................................................69

3.5 Les ouvriers : la synthèse........................................................................................... 71

3.6 Les cadres : les résultats ............................................................................................ 733.6.1 Cadre 1 ................................................................................................................743.6.2 Cadre 2 ................................................................................................................773.6.3 Cadre 3 ................................................................................................................793.6.4 Cadre 4 ................................................................................................................82

3.7 Les cadres : la synthèse.............................................................................................. 84

3.8 Les ouvriers et les cadres : les distinctions.................................................................883.8.1 La relation............................................................................................................903.8.2 L’information...................................................................................................... 903.8.3 Les changements organisationnels...................................................................... 91

Chapitre ІV : Discussion....................................................................................................92

Conclusion...........................................................................................................................98

Bibliographie ....................................................................................................................100

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Liste des tableaux

Tableau 1 – Grille d’analyse.................................................................................................42

Tableau 2 – Légende des codes de transcription..................................................................43

Tableau 3 – Répartition des sous-dimensions pour O1........................................................58

Tableau 4 – Répartition des sous-dimensions pour O2........................................................61

Tableau 5 – Répartition des sous-dimensions pour O3........................................................64

Tableau 6 – Répartition des sous-dimensions pour O4........................................................69

Tableau 7 – Synthèse pour le groupe des ouvriers...............................................................72

Tableau 8 – Répartition des sous-dimensions pour C1........................................................74

Tableau 9 – Répartition des sous-dimensions pour C2........................................................78

Tableau 10 – Répartition des sous-dimensions pour C3......................................................80

Tableau 11 – Répartition des sous-dimensions pour C4......................................................82

Tableau 12 – Synthèse pour le groupe des cadres................................................................85

Tableau 13 – Synthèse des résultats pour le groupe des ouvriers et le groupe des cadres...89

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Liste des figures

Figure 1 – Adaptation du modèle de la théorie de l’information......................................... 20

Figure 2 – Représentation des relations hiérarchiques et fonctionnelles entre les informateurs............................................................................................................. 86

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Introduction

La communication est au cœur de toutes les controverses, de tous les débats. Dans les

organisations, « […] la communication est très souvent vue à la fois comme la cause de

tous les maux, et le remède susceptible d’apporter une solution à tout problème : il est

devenu courant (et commode) de ramener tout dysfonctionnement organisationnel à un

"problème de communication" » (Cabin, 1998 : 240). On parle de « manque de

communication », de « mauvaise communication », de « problème de communication ». La

communication touche tous les domaines de la vie, qu’il s’agisse des relations

personnelles, des échanges commerciaux ou, encore, du travail. Les ouvrages grand public

qui traitent de la communication abondent : Devenez champion dans vos communications

(2003), Communication efficace : pour les relations sans perdant (2005), La

communication dans le couple (1980). Or « nulle part ni pour personne n'existe LA

communication. Ce terme recouvre trop de pratiques, nécessairement disparates,

indéfiniment ouvertes et non dénombrables » (Bougnoux, 2001 : 7).

Dans le monde du travail, la communication est devenue un enjeu important. En effet, elle

intéresse de plus en plus les dirigeants et les gestionnaires des organisations qui voient en

elle un moyen de consolider l’esprit d’entreprise nécessaire à la productivité. Comme le

mentionne Lacoste, « […] rien ne semble plus nécessaire et plus répandu que de

communiquer pour travailler, et pourtant la communication reste un processus difficile, qui

ne connaît que des réussites partielles » (2001 : 50). Ainsi, aux communications internes

traditionnelles (notes de service, Intranet) s’ajoutent des babillards pour les employés, des

boîtes à suggestions et d’autres outils pour permettre une meilleure circulation de

l’information. Comme le souligne Girin, il existe un « usage croissant du "management

participatif" (cercles de qualité, groupes de progrès, projets d’entreprise, etc.) [qui] engage

progressivement tous les niveaux hiérarchiques dans [l’]activité de parole » (1990 : 37). En

somme, la communication est en vogue dans l'ensemble des organisations, et les dirigeants

y investissent efforts et argent.

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L’intérêt pour la gestion participative dans l’entreprise résulte en partie des problèmes

hérités du taylorisme et du mode de fonctionnement en silo. Une distance entre employés

et employeurs s’est en effet installée dans les organisations qui ont privilégié un mode de

communication unidirectionnel, du haut vers le bas. Il est dans ce cas difficile de parler de

« communication », du latin communicatio, « mise en commun, échange de propos, action

de faire part ». Le Robert historique dit bien que le mot « a été introduit en français avec le

sens général de "manière d’être ensemble" et envisagé dès l’ancien français comme un

mode de relations sociales » (1993 : 1370).

La communication en entreprise renvoie aux relations interpersonnelles entre employés,

aux canaux de communication (journal interne, téléphone, courriel), à la transmission

d'instructions de travail, etc. Ce problème de définition se concrétise davantage lorsqu’on

demande aux travailleurs et aux cadres d’une usine ce qu’ils entendent par manque de

communication, mauvaise communication ou problèmes de communication. La

représentation que chacun des deux groupes se fait du concept de communication laisse

voir une polysémie de part et d’autre : selon le groupe d’appartenance, les réponses tendent

à diverger. « De manière plus générale, il semble impossible que deux sujets puissent

percevoir un événement de la même manière, ne serait-ce que dans la mesure où, occupant

chacun une position spatiale propre, ils ne le voient pas sous le même angle. » (Vion,

1992 : 48-49) La confusion engendrée par la polysémie de la définition nous a conduite à

vérifier l’idée de Vion. Croyant en l’importance d’un tel projet du point de vue tant

scientifique que social de la question, nous nous sommes donnée pour objectif principal de

déterminer ce qu’entendent deux groupes d’employés par problèmes de communication.

Nous pensons que pour les ouvriers les problèmes de communication sont des problèmes

de relation, alors que pour les cadres, ce sont plutôt des problèmes d’information.

D’entrée de jeu, nous avons cerné la problématique et le cadre conceptuel de la recherche,

qui font l’objet du premier chapitre de ce mémoire. Il faut avant tout préciser, à l’instar de

Cabin, que la communication organisationnelle est un domaine de recherche éclectique,

abordé sous différents angles : « communication interpersonnelle, dynamique des groupes,

sociologie des organisations, management, sémiologie, sociolinguistique. » (Cabin, 1998 :

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239) Ainsi, notre cadre conceptuel emprunte à plusieurs champs interdépendants les uns

des autres.

Dans le chapitre І, nous montrons que la communication se définit par un double aspect,

qu’elle est à la fois information et relation. Ensuite, nous nous attardons à la dimension

relationnelle de la communication. Cette dimension répond à des besoins bien précis chez

les individus; elle participe, entre autres, à la construction de l’identité. De plus, nous

abordons les notions de statut et de pouvoir qui caractérisent les relations interpersonnelles

au travail. Ainsi, étant donné le statut des individus et le pouvoir qui en découle, il apparaît

que la communication pose « problème » différemment pour les employés.

Toujours dans le premier chapitre, nous dressons un portrait de la communication interne

dans les organisations. Pour ce faire, nous présentons brièvement l’évolution des modes de

gestion dans les organisations, les procédés de communication utilisés en entreprise et le

système de communication informelle. Enfin, nous révélons le clivage existant entre les

groupes d’employés, en l’illustrant par la notion de travail prescrit et de travail réel ainsi

que par les distinctions existantes dans les relations intra et interprofessionnelles.

Au chapitre ІІ, nous détaillons la méthodologie de la recherche. Nous débutons par la

présentation de l’entreprise d’où proviennent les informateurs. Viennent ensuite les

modalités de sélection de notre échantillon. Nous explicitons également les caractéristiques

des entrevues. Nous terminons ce chapitre par le schéma d’entrevue et la méthode

d’analyse des données.

Suivent la présentation et l’analyse des résultats au chapitre ІІІ. Nous présentons, dans un

premier temps, la grille d’analyse construite à partir de l’analyse préliminaire des données.

Cette grille comprend les sous-dimensions des concepts à l’étude, soit l’information et la

relation. Dans un deuxième temps, nous présentons les résultats obtenus pour chacun des

informateurs du groupe des ouvriers, puis une synthèse pour l’ensemble des ouvriers. Dans

un troisième temps sont donnés les résultats obtenus pour chacun des informateurs du

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groupe des cadres ainsi qu’une synthèse de ces mêmes résultats. Finalement, nous avons

souligné les distinctions pour les deux groupes.

Au quatrième et dernier chapitre, nous présentons la discussion des résultats.

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Chapitre І : Problématique et cadre conceptuel

La divergence entre le sens donné par un individu et le sens donné par un autre individu à

la notion de problèmes de communication s’explique en partie par la polysémie du concept

de communication. Si personne ne s’entend sur une définition unique de la communication,

plusieurs auteurs s’accordent pour dire que la communication possède un double aspect.

1.1 Le double aspect de la communication

Selon les disciplines, il est tantôt question de « niveaux », tantôt de « fonctions » de la

communication. Néanmoins, d’un commun accord, la communication est à la fois contenu

et relation1 : « la communication comporte le plus souvent deux visées distinctes : faire

passer un contenu et définir la relation entre les interlocuteurs. » (Marc, 1998b : 119) Dans

le même sens, les chercheurs de Palo Alto2 affirment que « [t]oute communication présente

deux aspects : le contenu et la relation, tels que le second englobe le premier et par suite est

une métacommunication » (Watzlawick, Beavin Helmick et Jackson, 1972 : 52).

En parlant plus spécifiquement de la communication au travail, les ergonomes du travail

sont venus préciser ces deux dimensions3 que sont le contenu et la relation. À la différence

de l’École de Palo Alto, ils ne distinguent pas deux niveaux (où l’un englobe l’autre). Ils

conçoivent plutôt des activités langagières4 qui répondent principalement à deux besoins :

1) un besoin dit « fonctionnel », auquel répond le langage au travail en permettant le

déroulement d'une activité, l’accomplissement d’une tâche et 2) un besoin social. Le rôle

du langage au travail ne se limite donc pas aux paroles nécessaires à la réalisation d’une

1 Bien que tous les auteurs n’abordent pas ce double « aspect » de la communication de la même façon, ce ne sont pas les termes utilisés qui nous importent, mais bien l’idée à laquelle ils font référence.2 L’École de Palo Alto rassemble des chercheurs de diverses disciplines qui se sont intéressés à la communication et « à ses applications à la pathologie mentale » dans les années 1950 (Marc, 1998a : 131).3 Pour éviter toute confusion ou toute allégeance théorique qui ne réponde qu’en partie aux besoins de cette recherche, nous avons choisi d’employer le terme « dimension » de la communication. Selon nous, ce terme rend compte d’une approche plus globale des deux aspects de la communication.4 Charaudeau et Maingueneau définissent les fonctions du langage au travail de la façon suivante : « [l]es discours en situation professionnelle sont caractérisés par une relation étroite avec l’action, ce qui n’est pas le cas de toutes les situations de communication. La dimension praxéologique y est centrale : on parle en agissant, pour agir ou pour faire agir d’autres. La dimension représentationnelle y est souvent moins importante, ce qui distingue nettement les discours au travail des conversations, par exemple. » (2002 : 267)

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tâche ou aux échanges strictement liés au travail. Il faut en effet distinguer la parole dite

« fonctionnelle », qui sert à l’exécution de la tâche, et la parole « non fonctionnelle », qui

sert à tisser des liens sur le plan social. Teiger insiste sur l’importance des activités

langagières dites « non fonctionnelles », celles qui répondent au besoin social. Pour

l'auteure, ces activités langagières jouent un rôle primordial dans l’activité professionnelle :

[…] Elles sont impliquées dans la relation sociale au sein du collectif. Elles ont donc une position intermédiaire5, articulées à chacune des deux sphères – opératoire et relationnelle, cognitive et affective6 –, et jouant un rôle de facilitation à la fois du process [sic] de travail et de l’existence du groupe – ou, au moins, de l’interaction sociale – et de la construction et du maintien de l’activité psychique du sujet et de la cohérence interne de sa vie. (1995 : 68)

Girin relève aussi ce double aspect de la communication, qui présente des actes de

communication « principalement orientés vers l’activité » et des actes « principalement

orientés vers l’ordre social » (2001 : 45). Selon lui, il existe « une interdépendance

évidente entre les deux orientations » (2001 : 45). Les interactions de travail répondent

ainsi aux deux besoins distincts que sont transmettre des consignes pour assurer le

fonctionnement des opérations et inscrire les employés dans un cadre social. « La

communication de travail ne se borne pas au domaine du "fonctionnel" au sens étroit –

celui de la pure effectuation des tâches immédiates – puisqu'elle engage aussi le

développement des avoirs, le maintien des fonctionnements collectifs, l'interprétation de

contextes et la décision sur les valeurs et les priorités. » (Lacoste, 2001 : 28)7

De son côté, Vion parle des fonctions de « l’interaction verbale dans la vie sociale »

(1992 : 93). Parmi les quatre fonctions qu’il présente, les deux premières, « production du

sens et établissement de relation8, correspondent partiellement à la distinction entre

contenu et relation9 de Palo Alto […] » (1992 : 95).

5 C’est l’auteur qui souligne.6 Nous soulignons.7 Charaudeau et Maingueneau (2002) parlent des fonctions du langage au travail, soit les fonctions instrumentale, cognitive et sociale. 8 Nous soulignons.9 C’est l’auteur qui souligne.

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Qu’ils parlent des niveaux de la communication ou des fonctions des activités langagières,

les auteurs montrent bien que la communication comme le langage sont doubles : ils sont à

la fois information et relation. C’est dans cette perspective que, tout au long de ce

mémoire, nous considérons ces deux aspects comme des dimensions fondamentales. Car,

d’un point de vue fonctionnel, l’enjeu des interactions professionnelles est de réussir la

diffusion efficace des instructions et des informations relatives aux tâches et à

l’organisation du travail afin d’en arriver au but ultime de l’entreprise, dans ce cas-ci, la

fabrication d’un produit10. D’ailleurs, la transmission des messages ne s’inscrit-elle pas au

sein d’interactions entre des individus?

En somme, on ne peut pas réduire la communication à un simple acte de diffusion

d’informations. La dimension relationnelle est un passage obligé pour toute

communication. Encore plus, la communication joue un rôle beaucoup plus grand en

permettant la socialisation des individus et la construction de l’identité.

Car un acte de communication se présente comme un système complexe, dynamique, producteur de sens et porteur d’enjeux pour les interlocuteurs, aux finalités multiples dans lequel le transfert d’information n’est qu’un aspect parmi d’autres. Car "communiquer", c’est aussi : définir une relation, affirmer son identité, négocier sa place, influencer l’interlocuteur, partager des sentiments ou des valeurs et, plus largement, des significations. (Marc et Picard, 2000 : 63)

Au bout du compte, ce que les travailleurs d’une même organisation entendent par les

problèmes de communication peut à la fois relever de la dimension informationnelle et de

la dimension relationnelle. Nous verrons dans la partie suivante que les relations

interpersonnelles en milieu de travail sont non seulement présentes et essentielles, mais,

surtout, fondamentales dans la vie des individus.

10 Si notre objet principal est la communication interne en entreprise, nous nous intéressons particulièrement à la question dans le secteur manufacturier.

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1.2 Les relations interpersonnelles

Les relations interpersonnelles permettent la construction de l’identité des individus. Au

travail, elles comportent toutefois des particularités. Comme nous le verrons plus loin, le

statut et le pouvoir (lié au statut) influencent la communication. En effet, la position

hiérarchique qu’occupe chacun des employés intervient dans son rapport à la

communication. À titre d’exemple, les cadres sont soumis à une forte demande

informationnelle de la part des subordonnés. À l’inverse, les ouvriers se trouvent plutôt

dans un contexte de « gestion » de la relation de pouvoir qui les lie à leur supérieur.

1.2.1 La construction de l’identité et les besoins identitaires

Les individus qui souffrent de solitude et qui entretiennent des relations interpersonnelles

pauvres ou restreintes sont sujets à « des tendances dépressives, des idées noires, des

sentiments d’échec et de dévalorisation » (Marc et Picard, 2000 : 7). Il est donc essentiel

pour l’équilibre psychique d’établir des relations avec les autres.

Au travail, les interactions entre individus sont indispensables au fonctionnement de

l’organisation. Techniquement, il serait envisageable d’entrer en interaction avec un

individu pour n’obtenir ou ne fournir que des informations utiles à l’exécution d’une tâche

sans jamais connaître le nom de cet individu ni lui demander comment il va. Dans la

pratique, la nature humaine est faite autrement. « Nous communiquons pour transmettre ou

recevoir des informations mais aussi pour défendre une image, un territoire, établir une

relation. L’identité est l’un des enjeux centraux dans le jeu complexe des relations

interpersonnelles. » (Lipiansky, 1998a : 95) La communication tient donc un rôle

important dans la vie des individus : c’est par elle que se construit l’identité. « L’identité

est à la fois la condition, l’enjeu et la résultante de nombreuses communications. La

condition parce que toute parole est émise d’une certaine "place", liée aux statuts, aux

rôles, aux appartenances, place qui définit donc l’identité situationnelle du locuteur qui va

l’actualiser dans la relation. » (Lipiansky, 1998a : 97)

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Ainsi, c’est par les relations avec les autres que l’individu se construit. Le travail, et par

conséquent l’organisation, fait partie de la vie de l’individu et contribue à cette

construction des identités. Les organisations sont donc un lieu de socialisation où les

identités sont sujettes à des changements et à des réajustements, alimentés par son propre

regard et le regard d’autrui (Dubar, 1998). Par ailleurs, la communication entre les

individus permet de répondre à des besoins bien précis, que Lipiansky (1992) dénombre à

cinq et ordonne comme suit : 1) le besoin d’existence, 2) le besoin d’intégration, 3) le

besoin de valorisation, 4) le besoin de contrôle et 5) le besoin d’individuation. Cet ordre

des besoins n’est pas fortuit : ce n’est que lorsqu’un besoin est satisfait que le second

besoin se fait sentir. La hiérarchie doit en être respectée (Lipiansky, 1992). « Cela signifie

qu’à côté de son aspect instrumental la communication a une fonction existentielle

fondamentale : elle permet de trouver chez l’autre un reflet de soi-même, un renfort dans

ses points de vue et ses convictions, une compréhension de ses sentiments et de son vécu,

une confirmation de la manière dont on s’éprouve ou de l’image que l’on souhaite

donner. » (Lipiansky, 1992 : 157) Les individus entrent donc en relation pour répondre à

ces besoins.

Il faut ici se demander quelle place occupent les relations interpersonnelles au sein des

organisations. De plus en plus, on encourage les gestionnaires et les cadres à connaître

leurs employés, à parler et à entrer en relation avec eux. Malgré les efforts des

organisations, les relations interpersonnelles semblent encore difficiles. En effet, selon une

étude de Statistique Canada, 15 % des travailleurs considèrent les mauvaises relations

interpersonnelles comme la principale source de stress au travail (Williams, 2003).

Nous verrons plus loin que, dans les organisations, les systèmes de communication interne

comportent peu de dispositifs destinés à l’usage des travailleurs et ne prennent pas en

compte l’aspect relationnel de la communication. Pire, « [l]e modèle taylorien11 de

l’homme procède d’abord à l’exclusion de la parole, du désir, de l’identité12 et d’un 11 Taylor est l’auteur de l’ouvrage The Principles of Scientific Management (1911). Pour Taylor, la satisfaction et la productivité des ouvriers au travail passent essentiellement par la division du travail en tâches simples et répétitives, ainsi que par un salaire déterminé en fonction du volume de production. Plus les ouvriers produisent, plus leur salaire est important et plus l’usine est rentable.12 Nous soulignons.

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certain nombre d’autres dimensions » (Van-Hoorebeke, 2003 : 4). Bien qu’à l’heure

actuelle, il n’influence plus autant les entreprises, le modèle taylorien a laissé des traces.

Dans les entreprises manufacturières, la nature de la tâche ouvrière influence le rapport des

ouvriers à leur identité.

Le travail simplifié, typique de la fonderie, de l’usinage et des chaînes de montage, a une conséquence culturelle centrale : l’écrasement des différences individuelles sous le poids d’un destin collectif. Le phénomène quotidien, énorme, massif, consiste à redécouvrir sans cesse que l’on est contraint, comme les collègues, à rester dans une situation sans issue professionnelle. Une telle expérience conduit à éliminer comme secondaires et superficielles les différences individuelles. La fusion dans la ressemblance des destins, avec ce qu’elle emporte de rapprochement affectif et de camaraderie, est la seule façon de supporter la situation. (Sainsaulieu, 1972 : 56)

On peut donc penser que, pour les ouvriers, la dimension relationnelle de la

communication occupe une place toute particulière, puisque la nature même de la tâche

ouvrière influence le rapport des ouvriers à leur identité :

Les opérateurs non qualifiés ne peuvent pas avoir beaucoup de satisfaction dans leur travail puisque celui-ci est simple et répétitif et rigoureusement contrôlé par les administrateurs. […] Au mieux, ils ne peuvent espérer qu’alléger quelques problèmes de bien-être physique et de sécurité, et peut-être aussi satisfaire quelques demandes d’ordre social. (Mintzberg, 2003 : 197)

Par ailleurs, les relations interpersonnelles en milieu de travail sont fortement influencées

par la place qu’occupent les travailleurs dans l’organisation. Les cadres et les ouvriers

occupent des places distinctes, les premiers étant en position de pouvoir par rapport aux

seconds. Comme « le rapport hiérarchique implique l’existence d’une "position haute" et

d’une "position basse" » (Marc et Picard, 2000 : 38), les relations interpersonnelles s’en

voient incontestablement marquées.

10

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1.2.2 Le statut et le pouvoir dans les relations interpersonnelles

Dans les organisations, le pouvoir est notamment tributaire de la position hiérarchique.

C’est également la hiérarchie qui établit les liens entre les travailleurs et, surtout, qui

détermine ceux qui subissent les décisions (subordonnés) de ceux qui possèdent – à un

degré plus ou moins élevé – le pouvoir de décision (supérieurs). « De ce fait, pour

comprendre les attitudes, le comportement de l’organisation, il est nécessaire de

comprendre quels sont les détenteurs d’influence à présent, quels besoins chacun d’eux

essaie de satisfaire dans l’organisation, et comment chacun est capable d’exercer son

pouvoir pour aboutir. » (Mintzberg, 2003 : 59) Bernoux ajoute que « [l]e pouvoir peut alors

se définir comme la capacité d’un acteur, dans sa relation à l’autre, de faire en sorte que les

termes de l’échange lui soient favorables. Il s’agit de mobiliser les ressources dans une

relation13 qui, dans une organisation, est toujours une contrainte majeure » (1999 : 146).

Pour Clegg (1990), le pouvoir résulte également de la possession de ressources14. La nature

de ces ressources varie selon le moyen appelé à combler un type de besoin. Autrement dit,

nous parlons de ressources informationnelles quand il s’agit de combler un besoin

d’information et de ressources relationnelles quand il s’agit de combler un besoin de

relation. Mais nous devons aussi distinguer, le cas échéant, les ressources que nous

appelons « d’influence » : ces dernières interviennent comme moyen, surtout associé au

pouvoir, de combler un besoin souvent particulier à l’individu. Ces ressources d’influence

tendent à devenir ressources relationnelles du moment que leur portée dépend d’une

relation statuaire favorable. Aussi les bénéfices de telles ressources peuvent-ils être source

de tension relationnelle. En somme, plus on occupe un poste élevé dans la ligne

hiérarchique, plus on a de pouvoir ; plus on a de pouvoir, plus on a de ressources, de

quelque nature qu’elles soient.

13 Nous soulignons.14 La notion de pouvoir dans les organisations est abordée par plusieurs auteurs dans la littérature scientifique. Parmi ces auteurs, Crozier (1963, 1970, 1997) a fourni un apport important dans ce domaine. Pour résumer son idée du pouvoir, « plus la zone d’incertitude contrôlée par un individu ou un groupe sera importante pour la réussite de l’organisation, plus celui-ci disposera de pouvoir. L’observation montre ainsi que la capacité d’influer ne dépend pas uniquement de la position hiérarchique » (Anonyme, 1998 : 24). Ce qui nous intéresse ici n’est pas tant les jeux de pouvoir entre les acteurs, ou le pouvoir réel que possèdent ces acteurs, que l’influence du statut hérité de la ligne hiérarchique, lequel donne plus ou moins de pouvoir aux individus dans le rapport à la communication.

11

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Au travail, le statut15 des individus est une variable très importante dans leur rapport à la

communication. Les statuts, désignés par l’organisation, influencent les relations entre

employés (Stevenson, 1990). Ils déterminent les relations, que l’on peut essentiellement

résumer à trois types : relations supérieur-subordonné, relations subordonné-supérieur et

relations entre collègues. La hiérarchie et la division du travail inscrivent les employés

dans des groupes reliés par des canaux formels et informels de communication (Johanson,

2000). Officiellement, dans le cadre de son travail, un employé n’a pas besoin d’entrer en

contact avec tous les membres de son organisation. Bien que des relations non prescrites

par l’organisation existent, elles ne figurent pas au schéma des relations préétablies par

l’organisation. De ce fait, dans les organisations, les individus communiquent davantage

entre eux à l’intérieur d’un même secteur qu’entre secteurs distincts (Johanson, 2000). En

contrepartie, les chances sont plus grandes de voir un directeur entrer en interaction

régulièrement avec les directeurs des autres départements que de le voir entrer en contact

avec un ouvrier de son propre département. C’est dire qu’au sein des organisations, la

division du travail et la distribution (ou la hiérarchie) du pouvoir sont deux facteurs

importants de distance sociale (Blau, 1977; Johanson, 2000).

La distance sociale réfère à la différence des statuts entre les niveaux hiérarchiques. À ce

sujet, la fréquence des interactions est inversement proportionnelle à la distance sociale

entre les catégories (Blau, 1974; 1977). Dans une agence publique, Stevenson (1990) a

analysé l’effet de la différence de statut sur les interactions entre individus. Ces résultats

montrent, notamment, qu’entre les hautes directions des différents départements, la

communication est favorisée dans le but de maintenir une cohésion. Pour leur part, les

cadres intermédiaires jouent plutôt un rôle de tampon entre les dirigeants et les travailleurs.

Par ailleurs, lorsque les individus n’appartiennent pas au même département, la différence

de statut fait diminuer la fréquence des interactions entre le haut et le bas de la hiérarchie

de façon beaucoup plus marquée (Stevenson, 1990). Ainsi, l’écart est encore plus grand

15 Par statut, nous entendons « la position » au sens défini par Petit : « La structure hiérarchique distribue des positions relatives les unes par rapport aux autres, et investies d’une dose de pouvoir légitime variable (de nulle à forte). En psychosociologie, les positions sont souvent désignées par le terme statut, dénomination particulièrement heureuse dans le cas des organisations, car elle met l’accent sur le caractère formalisé des positions : les droits et devoirs associés à une position organisationnelle sont, la plupart du temps, définis dans des règlements, des définitions de postes ou des cahiers de charge, et même des textes de loi […]. » (1998 : 128)

12

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entre un ouvrier du département X et le directeur du département Y. Tjosvold nous éclaire

à ce sujet : « […] managers cannot be assumed to want to use their power to aid

subordinates. Only when they had valued resources and believed their goals were

positively linked with subordinates did the superiors in this study actually assist

subordinates. » (1985 : 292)

En résumé, étant donné la « distance sociale » qui sépare les cadres et les ouvriers, ces

derniers n’établissent que peu de relations entre eux. De plus, cette distance s’accentue

entre les niveaux hiérarchiques des différents départements. Il est donc établi que la

position hiérarchique influence le rapport que chacun des groupes entretient avec la

communication, plus précisément le rapport à l’une des dimensions de la communication,

soit l’information ou la relation.

1.3 Les cadres et l’information

Au sein des organisations, les relations hiérarchiques ont pour caractéristique d’être

asymétriques. C’est-à-dire que dans une distribution pyramidale16, le ratio subordonnés-

supérieur est plus élevé chez les individus les plus haut placés dans la hiérarchie (Blau,

1977). Ils reçoivent donc une demande accrue en information. En effet, plusieurs employés

se trouvent sous la responsabilité d’un même cadre, qui fournit à chacun d’eux

l’information dont le travail est tributaire. En somme, les cadres doivent multiplier la

diffusion d’une même information, de sorte que la capacité des gestionnaires à répondre

aux demandes d’information s’en trouve limitée. Ceci est encore plus vrai dans les grandes

organisations comme les multinationales, qui ont une structure organisationnelle

complexe17 (Johanson, 2000). Des contacts insuffisants entre les niveaux hiérarchiques

peuvent compromettre la diffusion de l’information à travers les niveaux hiérarchiques et

restreindre l’habileté des gestionnaires à coordonner le travail de leurs subordonnés

16 La plupart des entreprises manufacturières, qui sont de grandes entreprises (250 employés et plus), sont organisées selon une distribution pyramidale des travailleurs.17 En effet, ces multinationales sont de grandes ou de très grandes entreprises qui doivent composer avec une implantation transnationale et une importante division départementale ou sectorielle.

13

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(Johanson, 2000). La gestion de cette information constitue donc le principal obstacle des

cadres.

1.4 Les ouvriers et la relation

Nous venons de le voir, d’un côté, un statut hiérarchique élevé implique une forte demande

en information. En découlent des problèmes comme l’abondance de messages,

l’inefficacité des canaux de communication ou, encore, l’altération des messages. De

l’autre côté, un statut hiérarchique plus bas (tel celui des ouvriers) semble appeler une

« gestion » des relations d’autorité (subordonné-supérieur) dont résultent, par exemple, des

conflits avec le supérieur, un manque d’écoute, une insuffisance de feedback.

[C]e dont les employés se plaignent le plus aujourd’hui dans les différents milieux de travail, ce n’est pas de leurs conditions matérielles, mais de la manière dont les traitent ceux qui exercent l’autorité. Lorsqu’ils ont des reproches à leur faire, c’est précisément de se conduire en "petits chefs". Ils dénoncent en particulier l’abus d’autorité, l’autoritarisme et la dureté qui marquent encore beaucoup de leurs rapports, le mépris et l’absence de considération, les réprimandes répétées, les vexations gratuites et les réflexions désobligeantes dont ils sont trop souvent l’objet, le dénigrement de leur travail par leurs supérieurs et le non-respect de leurs compétences18. (Chanlat et Bédard, 1990 : 94)

En fait, les statuts les plus bas de la hiérarchie sont limités en ressources. Le pouvoir vient

avec l’autorité et, comme le mentionne Chappuis, « [l]e problème de l’autorité dans

l’institution nous ramène au problème de la relation qui lie ceux qui détiennent une

parcelle de pouvoir à ceux qui en sont démunis » (2000 : 71). Mais ce qui pose problème,

ce n’est pas tant le pouvoir en soi, mais la relation avec ceux qui possèdent ce pouvoir.

Les subordonnés se plaignent constamment de l’existence d’un fossé entre le directeur et eux; ils ont l’impression qu’aucune communication n’est possible; les directeurs ne peuvent pas comprendre ce qui se passe en réalité19. Évidemment de tels commentaires ne sont ni surprenants ni précis. Leur ton cependant indique qu’il s’agit d’un sentiment qui n’est pas seulement conventionnel. Il est particulièrement significatif à cet égard de constater

18 Nous soulignons.19 C’est l’auteur qui souligne.

14

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que la politesse et tous les problèmes connexes de formalisme dans les relations humaines constituent et de loin le thème le plus fréquent dans notre analyse de contenu des commentaires spontanés que nous avons recueillis sur la personnalité du directeur. Les ouvriers semblent extraordinairement sensibles au soin et aux attentions qu’il leur manifeste20. (Crozier, 1963 : 109)

À côté de la relation, un autre point fragile découle de la relation subordonné-supérieur : la

confiance. « Le problème que posent les relations des ouvriers avec l’encadrement subal­

terne n’est pas un problème d’autorité et de contacts difficiles, mais un problème de

confiance. Les relations sont cordiales mais elles n’ont pas grande importance et leur seul

point sensible c’est le degré de confiance que les subordonnés croient pouvoir accorder à

leurs chefs. » (Crozier, 1963 : 122)

Dans l'étude de cas d'une entreprise de produits électroniques anglaise située en Corée,

Glover évoque ce manque de confiance des ouvriers envers leurs supérieurs : « This

indicated a suspicion that managers would manipulate the content of the presentations in

order to manipulate behaviour. This provides an illustration of the lack of trust in the

information that management provides. » (2001 : 306)

Dans une recherche ayant pour objectif général de découvrir la contribution de

l'engagement des employés à la qualité de la performance, Cruise O’Brien relève

également la notion de confiance. Encore une fois, la confiance des employés envers

l’organisation tient un rôle important à plusieurs égards. Au terme de sa recherche, Cruise

O’Brien démontre que : « Relationship to the organization generally, and senior

management in particular, is significantly affected by persistent "us and them21"

perceptions across the whole sample. » (1995 : 118) Ces résultats mettent bien en lumière

l’écart existant entre les ouvriers et leurs supérieurs. Par ailleurs, la même étude révèle que

seulement 13 % des employés sentent avoir de la valeur pour la compagnie et 9 % croient

que la haute direction leur porte un intérêt sincère. Si la non-confiance modifie fortement

les relations de travail, le manque de considération constitue également un facteur

20 Nous soulignons.21 Nous soulignons.

15

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important : « Pour les ouvriers finalement le bon directeur serait avant tout quelqu’un de

"gentil" qui respecte les privilèges et prétentions des membres de son personnel et qui leur

donne l’impression de s’intéresser à eux, en tant que personnes. La preuve la plus concrète

qu’il puisse leur donner de son intérêt c’est de venir souvent dans l’usine et d’être

accessible aux ouvriers. » (Crozier, 1963 : 111)

En somme, ce qu’on entend par les problèmes de communication peut relever à la fois de

la dimension informationnelle et de la dimension relationnelle. Nous avons vu que la

dimension relationnelle répond à des besoins identitaires. Elle se concrétise au sein de

l’organisation à travers les relations interpersonnelles qu’entretiennent entre eux des

employés de statut différent. En fonction de ce statut, les employés bénéficient d’un

pouvoir plus ou moins grand selon les ressources mises à leur disposition pour répondre à

leurs besoins (information vs relation). Or il appert que les ressources sont plus limitées

chez les ouvriers que chez les cadres. Au regard des ouvriers, le problème majeur concerne

les relations subordonné-supérieur. Le manque de confiance apparent illustre des relations

limitées, qui ne sont favorisées que par peu de dispositifs informationnels22, comme nous le

précisons au paragraphe suivant. À l’opposé, les cadres profitent de ressources plus

abondantes (ex. : réunions, comités, accès au courriel et au téléphone, flexibilité de

l’horaire, mobilité à l’intérieur du lieu de travail), de sorte qu’ils comblent plus facilement

leurs besoins, de quelque nature qu’ils soient. Du point de vue informationnel, la quantité

d’information qu’ils sont appelés à gérer n’en demeure pas moins volumineuse.

À propos des ressources informationnelles, la communication dans les organisations est

définie, encadrée et organisée par un système qui régit un ensemble de dispositifs dont le

journal interne, le courriel, l’Intranet, les babillards. Ainsi, pour comprendre ce qui est

susceptible d’entraîner des « dysfonctions » communicationnelles et déterminer ensuite la

place qu’occupent les deux dimensions de la communication dans le système, il faut tout

d’abord définir le fonctionnement de la communication interne dans les organisations.

22 Nous parlons ici de dispositif informationnel au sens où les ouvriers ne bénéficient pas de ressources informationnelles pour communiquer leurs problèmes relationnels.

16

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1.5 La communication interne dans les organisations

Les modes de gestion organisationnels ont certes évolué depuis le taylorisme, entraînant du

même coup la communication interne à se transformer. Cet état de fait tient à plusieurs

facteurs. Comme nous le verrons plus loin, le modèle de la communication qui prend

essentiellement en compte le code (l’information) est un modèle désuet mais encore bien

présent dans les systèmes de communication organisationnelle. De plus, la communication

qui s’inscrit au sein d’un management participatif n’est pas aussi bidirectionnelle que nous

pourrions le penser et elle ne tient pas compte, non plus, de la dimension relationnelle de la

communication. Enfin, il faut noter que la communication informelle dans les

organisations peut aussi générer des problèmes de communication.

Chaque organisation possède des structures pour « communiquer ». La communication

interne et le management y sont étroitement liés dans les organisations. Selon d’Almeida et

Libaert, pour que la communication interne soit efficace, elle doit être « […] accompagnée

par une politique de relations humaines concordante et par un appui du management de

l’entreprise » (2000 : 7). Or dans plusieurs entreprises, les communications sont sous la

responsabilité du département des ressources humaines23, faute de moyens financiers et

techniques. La communication dans les organisations est un outil important, à la fois pour

le management et pour la gestion des ressources humaines.

L’importance accordée à la communication a entraîné le développement des canaux

(courriel, Intranet, ordinateurs sur les chaînes de montage, vidéoconférence) utilisés au sein

de l’organisation, et de plus en plus de gestionnaires incluent la communication dans leur

plan de gestion.

23 En effet, seules les très grandes entreprises, les multinationales et les organisations gouvernementales possèdent un département de communication. Autrement, la communication est rattachée, la plupart du temps, au département des ressources humaines.

17

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1.5.1 L’évolution de la gestion

Les changements survenus dans la gestion des entreprises, des usines en particulier,

permettent de comprendre l'évolution de la communication organisationnelle. Les

organisations ont en effet vu leur mode de gestion se modifier radicalement au cours du

siècle dernier. Si la période du taylorisme a marqué de manière importante l'administration

des usines de 1920 à 1970, l'histoire n’en retiendra que deux aspects : d’une part, « la

rationalisation de l'organisation du travail, sans le dialogue ouvriers-direction prôné par

Taylor, et, d'autre part, une considérable augmentation de la productivité » (Bernoux,

1990 : 67-68). L’augmentation de la productivité passe, entre autres, par l’interdiction de

parler, la parole étant considérée comme une perte de temps.

En réaction au taylorisme est apparu le courant des relations humaines. Pour l’essentiel, les

chercheurs de ce courant ont fait ressortir l’aspect social de l’individu en mettant l’accent

sur l’importance, notamment, de la communication, des groupes et des styles de

commandement dans les organisations24 (Petit, 1988). Les grandes lignes de ce courant

nous ramènent au développement d’une « […] théorie psychologique et motivationnelle de

la conduite humaine, qui chercherait dans une sorte de logique économique des besoins et

des satisfactions individuelles la possibilité de reconquérir au second degré l’efficacité de

l’organisation du travail » (Sainsaulieu, 1975 : 199). Bien que ce courant ait peu

questionné la structure pyramidale des organisations, il a contribué, du moins, à donner la

parole aux travailleurs.

Aujourd'hui, on parle plutôt de management participatif. Cette approche se distingue du

courant des relations humaines en ce qu’elle demande aux employés d’adhérer à la

philosophie de l’entreprise. Puis, elle s’oppose radicalement à celle du taylorisme, car ici

l’expression des salariés est non seulement permise mais sollicitée par l’institution.

[La gestion participative] désigne une volonté de transformation des modes de direction, de gestion, de fonctionnement et d'organisation du travail dans les entreprises qui se modernisent pour s'adapter aux nouvelles exigences de l'économie mondialisée. Elle est en tout cas le passage obligé en matière de

24 Elton Mayo est l’un des principaux chercheurs de ce courant avec son ouvrage The Human Problems of an Industrial Civilization (1960).

18

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communication des entreprises. C'est en effet avec les exigences de circulation de l'information et d'implication des salariés25 que se symbolise le thème du participatif. (Floris, 1996 : 94)

Les entreprises sont donc passées d'un système contraignant où seuls les dirigeants

transmettaient de l'information et des directives à un système où la consultation et la mise à

profit du savoir de tous les travailleurs sont privilégiées. Encore plus, on s’affaire

maintenant à mesurer la satisfaction, l’engagement et la motivation au travail des employés

(pour plus de détails voir entre autres Meyer, Becker et Vandenberghe, 2004; Meyer et

Allan, 1997; Finegan, 2000).

1.5.2 Les procédés de communication en entreprise

Parallèlement à l’engouement pour le management participatif, la communication interne,

un support au management, s’est également développée. Dorénavant, la communication

interne est à la fois descendante (messages envoyés par la direction aux employés),

ascendante (messages envoyés par les employés vers la direction) et horizontale ou latérale

(messages échangés entre collègues d’un même département ou pas).

Malgré le virage « humain » entrepris par les organisations, certaines entreprises sont

demeurées très hiérarchisées26. Or une structure organisationnelle plus lourde affecte la

communication interne. En effet, « [...] les hiérarchies plus plates et la répartition des

pouvoirs de décision permettent de diffuser les renseignements rapidement au sein des

entreprises et améliorent les capacités innovatrices et créatrices des employés, ainsi que la

capacité de répondre aux besoins de ses clients » (Gu et Gera, 2004 : 19). À l'inverse, une

hiérarchie de type vertical diminue la vitesse de transmission de l'information. La

hiérarchie verticale est souvent accompagnée d’une communication unidirectionnelle qui

se distingue par son fonctionnement de haut en bas, de la direction vers les employés. Ce

type de communication n’a pas de système de retour de l’information, pas de processus de

feedback efficace. Selon Chanlat et Bédard, « [d]epuis plus de 40 ans, la façon de

représenter le phénomène de la communication a été dominée par le schéma classique de la 25 Nous soulignons.26 En général, plus l’organisation est complexe plus il y a de niveaux hiérarchiques.

19

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communication, que tous connaissent […] » (1990 : 91). Ce schéma est généralement

représenté par le graphique suivant :

Message

Émetteur Récepteur

Canal

Bruit

Codage Décodage

Redondance

Figure 1 – Adaptation du modèle de la théorie de l’information

Ce modèle de la communication est issu d’un modèle mathématique de Shannon et

Weaver27. Sperber et Wilson ont bien décrit le modèle précédent. La communication se

produit lorsque qu’un émetteur encode un message, lequel est par la suite transporté par un

signal et finalement décodé par un récepteur. « Ce signal risque d’être détruit ou déformé

si le canal est bruyant […]. Mais, si les dispositifs fonctionnent correctement et si l’on

utilise le même code de part et d’autre, la réussite de la communication est

assurée. » (Sperber et Wilson, 1986 : 16)

Ce modèle de la communication est en fait très réducteur. Il a pour principal défaut de ne

tenir compte que du « décodage d’un signal linguistique » (Sperber et Wilson, 1986 : 18).

Ce modèle ne prend aucunement en compte la dimension relationnelle de la

communication. Pourtant, le modèle de la théorie de l’information prédomine dans

l’application de la communication interne des entreprises (Chanlat et Bédard, 1990). De

plus, Michel (1991) remarque que la communication propre aux organisations n’est l’objet

que de peu d’écoles et que ce sont surtout les modèles théoriques de la communication qui

ont été adaptés à l’entreprise.

27 The Mathematical Theory of Communication (1949).

20

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Contrairement au modèle du code, la communication qui s’inscrit dans un management

participatif emprunte à un système bidirectionnel. En effet, on retrouve dans ce système de

communication des dispositifs donnant la parole aux travailleurs, que ce soit par des

réunions d’employés, des audits de communication, un accès au courriel ou des sondages

d'opinion. Ces dispositifs favorisent ainsi la circulation de l’information entre tous les

membres d’une organisation. « Quatre thèmes sont au centre de l'idéologie participative :

l'adhésion, la motivation, l'information et le dialogue. On les retrouve dans tous les projets

d'entreprise. La fonction communication est l'outil de leur mise en représentation. »

(Floris, 1996 : 168)

La « communication participative » met donc à la disposition des employés divers canaux

de communication. Toutefois, ces canaux sont mis en place par et pour les gestionnaires.

Les diverses formes participatives telles que les cercles de qualité, les groupes d'expression ou les équipes autonomes institutionnalisent bien des activités communicationnelles. On y discute de la production et de son organisation. Mais la limitation extrêmement contrôlée des procédures et des thèmes de réflexion collective par les directions et l'encadrement subordonne la communication aux objectifs prédéterminés, au système technique et à la prescription du travail. (Floris, 1996 : 225-226)

La communication participative propose bel et bien un système de communication

bidirectionnelle où les employés ont accès à plusieurs canaux pour communiquer, mais ces

canaux ne favorisent pas pour autant une communication au sens de « mise en commun,

d’échange de propos, d’action de faire part ».

En somme, malgré une volonté tangible d’améliorer la communication en entreprise, la

communication connaît encore bien des ratés. Même en fournissant des dispositifs

communicationnels pour que les employés puissent communiquer avec la direction, il

semble que la circulation de l’information ne soit pas si fluide. « Le premier constat fait

très fréquemment dans les organisations est que les dispositifs d’informations descendants,

sont, en général, beaucoup plus organisés, formalisés, travaillés que les dispositifs de

remontée d’information (les dispositifs d’expression des personnes à destination de la

direction). » (Augendre, 1998 : 76) Par ailleurs, si la dimension informationnelle de la

21

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communication est largement encadrée par la communication interne, la dimension

relationnelle de la communication en est quasi absente.

Finalement, deux constats s’imposent. D’abord, bien que la gestion participative se soit

largement implantée, le système de communication ne semble pas permettre une réelle

communication bidirectionnelle et, surtout, efficace dans les deux sens. Et même si le

feedback (provenant des employés du bas de la hiérarchie) est possible, il faut se demander

si cette voix a un écho. Quant au deuxième constat, il apparaît surtout que le système

communicationnel tend à diviser l’organisation entre les gens de la direction (qui façonnent

le système et qui envoient les messages) et les travailleurs (qui ont plus ou moins accès au

système et qui reçoivent les messages).

Par ailleurs, le système de communication « officiel » des organisations se double d’un

système « parallèle ». Si le système informel des organisations est nécessaire au bon

fonctionnement de ces dernières, il compte aussi des déficiences et risque d’occasionner,

lui aussi, des problèmes de communication.

1.5.3 La communication informelle

Si le système formel de communication comporte des lacunes (manque ou mauvais choix

de canaux pour la diffusion d’information, accès difficile aux canaux de communication,

inefficacité des canaux de la communication ascendante), l’organisation tente constamment

d’améliorer son système et de remédier aux problèmes de communication générés par le

système formel. En revanche, elle ne peut contrer les effets pervers du système informel

qu’elle ne contrôle pas.

En marge du système de communication « officiel » de l’entreprise, « les individus et les

groupes développent une organisation informelle c’est-à-dire un ensemble de

comportements non prévus par l’organisation formelle » (Petit, 1988 : 31). Les canaux

informels de la communication « transmettent […] toutes les informations non officielles

liées à la vie de groupe dans l’entreprise. Il s’agit des indications de travail, des

22

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informations sur la vie de groupe, des relations affectives entre les salariés mais aussi des

rumeurs, des croyances et des mythes » (Michel, 1997 : 240).

C’est par les interactions de tous les jours que se construit cette communication informelle;

c’est par les contacts quotidiens entre les employés, que ce soit entre collègues ou entre

supérieur-subordonné, que non seulement se transmet l’information mais se créent des

relations de travail indispensables au bon fonctionnement de l’entreprise. Ces

communications peuvent prendre diverses formes. À titre d’exemple, dans une étude de

cas, Glover présente le « téléphone arabe » : « The grapevine had a cameleon-like nature

in that rumour and gossip change subtly as the message passed from person to person.

However, there was little evidence of the grapevine existing as a clandestine, whispering

network. What was very apparent was the surprising degree of openness speed and power

of the grapevine. » (2001 : 313)

Dans une étude comparant trois compagnies, Morton, Brookes, Smart, Backhouse et

Burns (2003) ont montré l’importance des interactions informelles, c’est-à-dire non

hiérarchisées. Les auteurs mentionnent que la communication dans une organisation qui

respecte la hiérarchie comporte des lacunes importantes, contrairement aux réseaux de

contact informels. En effet, le réseau informel outrepasse les fonctions hiérarchiques et les

divisions de l’organisation, ce qui a pour conséquence d’accélérer la réception de

l’information. Pour Morton et al. (2003), la communication informelle permet de

comprendre la structure réelle d’une organisation. « Research also suggests, however, that

organisations should not only recognise the informal network but also know how to

identify and direct it. » (Morton et al., 2003 : 228)

À travers cette communication informelle, les employés développent plusieurs réseaux de

contacts, et ces réseaux de contacts semblent importants pour ces employés. « The most

preferred forms of communication (at 83 per cent) were one-to-one meetings with

managers. » (Glover, 2001 : 305)

23

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Malgré les avantages qu’entraîne le « téléphone arabe » au sein d’une organisation et la

nécessité des communications informelles entre employés, la communication informelle

peut entraîner de la désinformation et, par le fait même, engendrer des problèmes de

communication. Pour le reste, parce que la communication informelle est omniprésente

dans les organisations, parce qu’elle n’est encadrée par aucun système et qu’elle risque, par

conséquent, d’entraîner de la désinformation et, enfin, parce que le formel ne tient pas

compte de l’informel, nous pouvons croire que ce système de communication est

responsable d’un certain nombre de problèmes de communication.

Au bout du compte, lorsque l’on parle de communication interne en entreprise, il ne faut

pas omettre de prendre en considération l’existence de la communication informelle et ce

qui la caractérise. Ainsi, lorsque l’on parle de problèmes de communication, ces derniers

peuvent être attribuables autant au système formel qu’informel de la communication.

La gestion des organisations et les systèmes de communication interne ont beaucoup

évolué au fil du temps. Par le management participatif, les organisations veulent améliorer

la circulation de l’information et impliquer les salariés dans ce processus. Or ces systèmes

ne prennent en compte que la circulation de l’information, c’est-à-dire que la dimension

informationnelle de la communication. De plus, malgré l’implantation du management

participatif, les processus de communication interne ne sont pas aussi bidirectionnels et

efficaces qu’ils le devraient. Ainsi, la communication interne comporte des lacunes

susceptibles d’entraîner des problèmes de communication. Par ailleurs, tout le système

informel des organisations constitue un riche réseau de production de messages. Si ce

système n’est pas circonscrit comme l’est le système formel, il est d’autant plus probable

que naissent dans le système informel des déficiences susceptibles de créer des problèmes

de communication.

Enfin, rappelons que la communication est à la fois information et relation. Nous avons vu

que la dimension relationnelle répond à des besoins identitaires chez les individus. Les

relations interpersonnelles entre les travailleurs se produisent dans un contexte bien précis,

celui du travail, où le statut de chacun est associé à un pouvoir, à la possession de

24

Page 35: LES PROBLÈMES DE COMMUNICATION EN …...Résumé La communication en entreprise renvoie aux relations interpersonnelles entre employés, aux canaux de communication (journal interne,

ressources. Par leur statut, les cadres doivent gérer une importante quantité d’information,

information dont dépendent les employés. À l’inverse, les travailleurs s’emploient à gérer

la relation d’autorité qui les lie à leur supérieur. Nous avons aussi établi que la

communication au travail est encadrée par un système, celui de la communication interne.

Comme nous l’avons mentionné, les modes de gestion et de communication se sont

modifiés. Toutes les organisations n’ont cependant pas pris ce virage et, même dans les

organisations où le mode de communication est « participatif », c’est essentiellement la

dimension informationnelle qui est prise en compte par la communication interne. Le

système informel des organisations est non seulement présent et important au bon

fonctionnement des organisations, mais il contribue fortement à la communication. Cette

réflexion montre que la communication au travail comporte plusieurs facettes et que, par

conséquent, ce que les employés d’une même organisation entendent par des problèmes de

communication peut représenter deux idées distinctes.

S’il existe plusieurs « types » de problèmes de communication, à l’opposé, on peut penser

que l’appartenance à un même groupe de travailleurs comporte des ressemblances dans la

signification que les individus donnent à la communication.

1.6 Les groupes d’employés : le clivage

Les travailleurs d’une même entreprise ont des tâches bien différentes. Chez les cadres et

les ouvriers, dans le cas qui nous intéresse ici, cette différence est particulièrement

marquée par l’expérience globale de travail. « Le fait d’être soumis au même type de

préoccupations, d’effectuer le même type de tâches et d’avoir des relations quotidiennes

avec les membres de l’unité (service, département, etc.) à laquelle on appartient finit par

créer un ensemble de différences d’attitudes et de comportements avec les autres unités de

l’organisation. » (Laroche, 1997 : 465) Ainsi, il y aurait un clivage entre les groupes

d’employés à l’intérieur d’une même organisation. Ce clivage est très bien illustré par la

notion de travail prescrit et de travail réel présentée ci-dessous, mais également dans les

interactions entre les travailleurs.

25

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1.6.1 Le travail prescrit et le travail réel

Les ergonomes du travail ont fait ressortir la notion de « travail prescrit » et de « travail

réel ». Le « travail prescrit » correspond à la commande qui est adressée, ce que le salarié

doit faire comme tâche et comment il doit la faire. Les cahiers de montage, les instructions

écrites et orales et les autres supports explicitent la démarche pour accomplir une tâche. Le

« travail réel » correspond plutôt à ce que font concrètement les ouvriers dans leur travail

(Boutet, 2000 : 47). En effet, le travail industriel est régi par bon nombre de professionnels

qui doivent décortiquer la tâche à accomplir. Par ailleurs, au moment où les ouvriers

accomplissent une tâche, ils doivent composer avec plusieurs contraintes (le temps, une

pièce manquante, un outil défectueux, etc.) qui les obligent à déroger des consignes

précises. Les ouvriers font alors en quelque sorte des « tricheries » – comme les appelle

Boutet (1995) – pour exécuter la tâche. On constate que le « travail réel » comporte des

pratiques de travail marginales, créées par les travailleurs eux-mêmes et souvent inconnues

de l'organisation. Les fiches de travail destinées à décrire les procédures de travail, par

exemple, sont souvent modifiées lors de l'accomplissement de la tâche, l'employé

s'ajustant, répétant une tâche, modifiant l'ordre des opérations. « Ce que décrivent ces

fiches est moins la réalité du travail, que ce qu'il devrait28 être aux yeux de ceux qui le

contrôlent. » (Mispelblom Beyer, 1999 : 247)

La notion de « travail prescrit » et de « travail réel » expose cette double réalité. Il y a la

réalité de ceux qui prescrivent et coordonnent le travail et la réalité de ceux qui exécutent

le travail. Il existe donc un écart important entre ce qui est demandé et ce qui est fait. Le

travail même des cadres et des ouvriers fait vivre à ces derniers des réalités complètement

opposées.

1.6.2 La communication entre travailleurs

Une étude de cas menée par Gill (1996) a fait ressortir le clivage entre les supérieurs et les

travailleurs. Dans cette étude, l’entreprise concernée avait implanté un nouveau système de

rétribution (une forme de bonus à la performance). Pour expliquer ce nouveau système aux 28 C’est l’auteur qui souligne.

26

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travailleurs et les y faire adhérer, elle devait passer par les supérieurs. Une des conclusions

de l’étude a montré à quel point les supérieurs et les travailleurs s’étaient construit une

vision différente du nouveau système de rétribution. « The results showed there to be a

variance between the senior managers’ and the employees views of the objectives of

gainshares. Senior management believed that they had been explicit in their

communication of the new plan and what was required, and the primary objective was

behavioural. However, the employees saw this more company/achievement oriented. »

(Gill, 1996 : 34)

Si la perception des événements tend à différer entre les cadres et employés, l’écart se

traduit également dans la communication. En effet, « [i]l apparaît clairement à

l’observation de la réalité de toute entreprise, que la communication entre individus ne se

passe pas de la même façon au bureau du dessin ou derrière une chaîne de montage. Le

code de communication, le langage commun est très directement façonné par les modalités

concrètes du travail » (Sainsaulieu, 1972 : 71). Tel qu’il a été mentionné plus tôt, il y a des

ressemblances dans la communication entre collègues d’un même département ou entre

travailleurs d’un même quart de métier et, à l’inverse, des différences notoires dans la

communication entre les différents départements et groupes d’employés. « The study

conducted by McKay et al. examined both inter- and intra-professional communications

and concludes that there are fewer difficulties experienced in communicating with

members of the same group, presumably because of similar training, similar language and

a sense of belonging to the same club. » (Smith et Preston, 1996 : 33)

Du reste, lors d’un audit de communication réalisé dans un hôpital, des chercheurs ont

observé les interactions entre différents groupes de professionnels (résidents29, médecins,

infirmières). « The study has highlighted principally an acknowledged lack of

understanding of capabilities, skills and roles among the respondent groups. » (Smith et

Preston, 1996 : 38) Ces résultats montrent bien que les interactions entre groupes

professionnels distincts peuvent être difficiles. Les aléas de la vie professionnelle divergent 29 « Étudiant diplômé en médecine qui poursuit en milieu hospitalier un programme de deux ans en médecine familiale ou un programme de spécialisation de quatre ou cinq ans dans une discipline approuvée. » (OQLF, 2002, Grand dictionnaire terminologique, « résident – médecine/appellation de personne/éducation/médecine »).

27

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d’un groupe à l’autre, créant des problèmes techniques différents pour chacun. La

communication entre ces groupes devient alors ardue, voire problématique. Cet écart entre

les groupes professionnels nous indique que l’on peut retrouver ce même écart entre les

cadres et les employés, et ce, en raison de leur position éloignée l’une de l’autre dans

l’organisation.

En résumé, les dispositifs de la communication interne permettent essentiellement la

diffusion de l’information. Bien que la communication interne des entreprises se soit

transformée, qu’elle implique de plus en plus les salariés dans le processus

communicationnel et même décisionnel en permettant, entre autres, une meilleure

circulation de l’information par des dispositifs de feedback, elle n’est pas aussi

bidirectionnelle qu’on le prétend. En effet, « [p]our [l’encadrement d’entreprise],

communiquer, c’est (trop) souvent : transmettre des messages, et s’assurer que leurs

destinataires, c’est-à-dire les subordonnés, les auront assimilés » (Zarifian, 1996 : 115).

En outre, rien dans le système de communication interne des organisations ne prend en

compte la dimension relationnelle de la communication. « En effet, le fait d’avoir adopté

ce diagramme30 pour expliquer et pour comprendre le processus de la communication entre

des personnes et de l’avoir étendu à la compréhension des relations interpersonnelles a eu

pour effet d’escamoter ces enjeux. » (Chanlat et Bédard, 1990 : 91) Le schéma classique de

la théorie de l’information et de la communication à partir duquel s’effectue la

transmission de l’information ne peut s’appliquer aux interactions entre les individus, nous

en avons déjà discuté. Autrement dit, les organisations n’ont mis en place aucun système

qui permette ni favorise les relations entre travailleurs (Brun, Biron, Martel et Ivers, 2003).

Mais en marge du système formel de communication existe le système informel. Ce

système « clandestin » fonctionne en parallèle et il est également responsable de certains

problèmes de communication.

Enfin, la notion de travail prescrit/travail réel ainsi que les différences notables dans les

réalités et les communications d’un groupe d’employés à l’autre nous font croire que 30 Schéma classique de la communication selon Shannon et Weaver, tel qu’il est présenté à la page 20 de ce mémoire.

28

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lorsque les individus d’une même organisation parlent des problèmes de communication,

ils n’entendent pas la même chose.

Ainsi,

parce que la communication est à la fois information et relation;

parce que la communication interne et les modes de gestion ne permettent pas toujours une réelle circulation de l’information;

parce que la communication interne et les modes de gestion ne prennent pas en compte la dimension relationnelle de la communication;

et parce qu’il existe un clivage entre les individus d’une même entreprise dans l’organisation du travail (travail prescrit/travail réel), dans la perception des événements et dans la communication qu’ils ont entre eux,

nous croyons que les individus d’une même organisation n’entendent pas la même chose

par problèmes de communication.

De même, nous croyons que ce clivage est plus important entre le groupe des cadres et

celui des ouvriers parce que leur rapport à la communication diffère. Les cadres participent

à la réalisation du système de communication interne qui se destine aux employés alors

que ceux-là subissent les dysfonctionnements du système.

Nous posons donc une première proposition de recherche.

P1 Les différents groupes d’employés, en l’occurrence le groupe des ouvriers et le groupe des cadres, n’entendent pas la même chose par problèmes de communication.

Par conséquent, si les deux groupes n’entendent pas la même chose par problèmes de

communication et que la communication est à la fois information et relation, il est

nécessaire de se demander quelle signification donne chacun des deux groupes au concept

de problèmes de communication. La communication interne des organisations se limite

essentiellement à un moyen de véhiculer l’information et ne permet pas toujours une

véritable circulation de l’information. En contrepartie, toute organisation possède un

29

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système parallèle à travers lequel circule de l’information, mais, surtout, à travers lequel se

nouent des relations. Pour le reste, il existe un clivage entre les individus d’une même

organisation à propos du travail (travail prescrit/travail réel), de la perception des

événements et de la communication entretenue entre eux.

Dans les circonstances,

parce que la communication est à la fois information et relation;

parce que la dimension relationnelle répond à des besoins identitaires;

parce que les ouvriers, de par leur statut, ont peu de ressources pour répondre à leurs besoins;

et parce que la relation subordonné-supérieur est problématique chez les ouvriers,

nous croyons que ce que les ouvriers entendent par des problèmes de communication

relève de la dimension relationnelle de la communication. Par dimension relationnelle,

nous entendons tout ce qui intervient dans les rapports que vivent les individus entre eux :

les processus psychologiques, les sentiments, les comportements, les attitudes, les rôles et

les responsabilités, les rapports hiérarchiques, les mécanismes d’interaction, etc.

Enfin,

parce que la communication est à la fois information et relation;

parce que les cadres possèdent plus de ressources et qu’ils sont davantage en mesure de combler leurs besoins, notamment en utilisant les systèmes formels sur lesquels ils ont une prise31;

et parce qu’ils doivent gérer et fournir une importante quantité d’information,

nous croyons que ce que les cadres entendent par des problèmes de communication relève

de la dimension informationnelle de la communication. Par dimension informationnelle,

31 En effet, les individus qui occupent une haute position dans la ligne hiérarchique possèdent les plus larges réseaux, sont davantage impliqués dans la circulation de l’information et ont des contacts plus nombreux avec les autres statuts élevés (Stohl, 1995). À cet effet, nous avons parlé de ressources « d’influence » que nous aurions tout aussi bien pu appeler ressources « de position ».

30

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nous entendons tout ce qui constitue les messages eux-mêmes et tout ce qui intervient dans

le processus de circulation de ces messages (contenu), de la production à la réception en

passant par les canaux utilisés.

P2 Pour les ouvriers, les problèmes de communication sont des problèmes de relation.

P3 Pour les cadres, les problèmes de communication sont des problèmes d’information.

Pour vérifier ces propositions de recherche, nous nous donnons deux objectifs :

déterminer, pour les cadres et les ouvriers, à quelle dimension de la communication – l’information ou la relation – correspond les problèmes de communication;

identifier les sous-dimensions qui constituent les dimensions informationnelle et relationnelle.

31

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Chapitre ІІ : Méthodologie

Au regard de nos objectifs de recherche, nous avons cherché à comprendre la manière dont

deux groupes d’employés (les cadres et les ouvriers) définissent les problèmes de

communication dans leur milieu de travail respectif. Ainsi, le projet de recherche visait

moins la description d’une réalité que la compréhension de la signification que donnent les

deux groupes aux problèmes de communication. Pour ce faire, nous avons choisi

l’approche méthodologique de l’étude de cas, qui permet d’analyser un phénomène en

profondeur. En effet, nous ne voulions pas ici évaluer l’ampleur du phénomène, mais

plutôt en analyser la complexité. La méthode de recherche que nous avons retenue est

l’entrevue semi-dirigée, puisque, comme le mentionne Gauthier, « […] les méthodes

qualitatives et l’étude de cas présentent des qualités indéniables : en effectuant des

entrevues semi-dirigées sur des cas particuliers, on peut "découvrir" et mieux approfondir

des phénomènes insoupçonnés ou difficiles à mesurer » (2003 : 168).

2.1 Contexte organisationnel de l’entreprise ABC32

Les participants proviennent d’une entreprise manufacturière de la province de Québec33.

C’est une grande entreprise qui compte plus de 360 employés à son actif. L’entreprise

possède la certification ISO 900134. Le travail des ouvriers est non spécifique, c’est-à-dire

que les employés peuvent occuper plusieurs postes et, ainsi, exécuter plusieurs tâches

différentes.

En entrevue, les informateurs ont révélé que l’entreprise a procédé à des changements

organisationnels il y a neuf ans, ce qui a amené, entre autres, un changement de direction.

32 ABC est le nom fictif de l’entreprise.33 Nous serons laconiques sur les caractéristiques de l’entreprise afin d’en préserver l’anonymat.34 Le International Standard Organisation (ISO) fait référence à deux familles, soit la famille ISO 9000 et ISO 14000. La première famille traite surtout du « management de la qualité ». Plus précisément, les entreprises qui possèdent cette accréditation répondent « aux exigences qualité du client et aux exigences réglementaires applicables, tout en visant à améliorer la satisfaction du client, et à réaliser une amélioration continue de ses performances dans la recherche de ces objectifs ». La famille ISO 14000 réfère plutôt au « management environnemental » (Organisation internationale de normalisation, [s.d.]).

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Ces changements semblent bien accueillis par les cadres qui ont vu plusieurs facettes de

leur travail facilitées tandis que pour les ouvriers, ces changements ont demandé bon

nombre d’ajustements de leur part. L’ensemble du milieu manufacturier s’est modifié au

cours des dernières années. Les industries manufacturières ont vécu d'importantes

transformations : modification des chaînes de production par la mise en place de

l'informatique, robotisation de certaines tâches effectuées auparavant par des ouvriers,

implantation de nouveaux modes de gestion, etc. Ces nouvelles chaînes de production

permettent essentiellement l’augmentation du volume de production. Auparavant, les

méthodes de travail associées à un métier (soudeur, polisseur, électricien) constituaient

essentiellement le savoir-faire de l’ouvrier. Étant donné les changements techniques

apportés aux chaînes de production, le savoir-faire des ouvriers ne réside plus dans les

méthodes de travail, mais plutôt dans le mode de fonctionnement, c’est-à-dire dans la façon

d’organiser la production. Les travailleurs n’ont plus à concevoir des manières de faire

propres à leur métier, mais ils doivent maintenant faire preuve d’un tout autre savoir-faire

qui consiste à développer des manières d’exécuter la tâche. Ils doivent donc développer la

précision, la minutie, la qualité dans les étapes de fabrication du produit plutôt que dans les

techniques de fabrication. Au bout du compte, si les entreprises manufacturières ont vécu

d’importantes modifications, le travail des ouvriers s’est également beaucoup transformé.

L’entreprise ABC, d’où proviennent les participants, s’inscrit dans ce courant.

2.2 Sélection de l’échantillon

La technique d’échantillonnage est non probabiliste, c’est-à-dire que nous avons procédé à

une combinaison mixte de l’échantillonnage par choix raisonné et de l’échantillonnage par

quotas. C’est par l’intermédiaire d’une personne-ressource travaillant pour l’entreprise que

nous avons recruté les participants. La collaboration de cette personne-ressource a été

précieuse pour établir les critères de sélection des participants afin de rencontrer plusieurs

types de travailleurs. Ces critères sont les suivants :

1. âge des employés;

2. ancienneté des employés;

33

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3. variété des postes occupés;

4. sexe des employés35.

Il est important de mentionner que ces critères ne sont que des indicateurs généraux qui ont

permis à la personne-ressource de cibler les employés à approcher. Aux employés

répondant à nos quatre critères, la personne-ressource a distribué des feuillets

d’information pour inviter les intéressés à entrer en contact avec la chercheuse. Quant au

nombre de participants, nous avons fait appel au principe de saturation théorique qui

consiste à cesser d’ajouter des entrevues dès lors qu’elles n’apportent plus de nouveaux

éléments de compréhension au problème de recherche. Cette technique a permis de limiter

le corpus à huit personnes : quatre ouvriers et quatre cadres. Dans le contexte de notre

projet de recherche et de l’entreprise-terrain d’où proviennent les participants, les ouvriers

sont des employés syndiqués alors que les cadres sont non syndiqués.

2.3 Entrevues

Cette recherche porte sur des données originales extraites d’entrevues individuelles

réalisées d’avril à juin 2005 au domicile des participants, que nous appellerons

« informateurs » à juste titre. Le choix méthodologique de mener les entrevues hors du lieu

de travail s’explique par les raisons suivantes :

éviter les biais qui auraient pu découler d’une association officielle entre la chercheuse et l’entreprise;

permettre aux informateurs de s’exprimer en toute liberté.

C’est dans ce même esprit que nous avons choisi de recruter les participants par

l’entremise d’une personne-ressource de l’entreprise plutôt que par l’entreprise elle-même.

35 Bien que la variable sexe fût prise en compte pour la sélection des participants, nous ne visions pas un nombre égal de participants pour les deux sexes.

34

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Cela nous a permis :

d’éviter les demandes d’autorisation aussi bien patronales que syndicales36;

d’éviter d’obtenir des périodes de libération pour les employés;

d’éviter les biais qui auraient pu découler d’une association officielle entre la chercheuse et l’entreprise.

Et puisque nous ne sommes jamais entrée en contact avec elle, l’entreprise pour laquelle

travaillent les informateurs n’a été en aucun cas impliquée dans la recherche. Nous avons

donc rencontré quatre ouvriers et quatre cadres en fonction de leur disponibilité. La durée

moyenne des entrevues est de 77 minutes, la plus courte étant de 52 minutes et la plus

longue, de 105 minutes. Toutes les entrevues ont été enregistrées.

2.4 Schéma d’entrevue

Pour répondre à nos objectifs, nous avons construit un schéma d’entrevue pour le groupe

des ouvriers et un autre pour le groupe des cadres. Les questions contenues dans les deux

schémas étaient semblables, à l’exception de la formulation et de certaines questions qui

ont dû être ajoutées ou supprimées pour adapter le schéma au groupe, comme le montrent

les exemples 1 et 2.

Exemple 1

a) Par quels canaux transmettez-vous vos instructions de travail? (nous pouvions donner des exemples : par écrit, par ordinateur, de vive voix) [Question pour les cadres]

b) Par quels canaux recevez-vous vos instructions de travail? (nous pouvions donner des exemples : par écrit, par ordinateur, par le contremaître) [Question pour les ouvriers]

36 À ce moment, les deux parties étaient en pré-négociation syndicale.

35

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Exemple 2

a) Racontez-moi la dernière fois que vous avez parlé avec le contremaître. Quel était le propos? [Question pour les ouvriers]

b) Racontez-moi la dernière fois que vous avez parlé avec un ouvrier. Quel était le propos? [Question pour les cadres]

c) Racontez-moi la dernière fois que vous avez parlé avec un supérieur. Quel était le propos? [Question pour les cadres]

Les exemples ci-dessus montrent que nous avons voulu faire parler chacun des groupes sur

leurs relations professionnelles hiérarchiques. Comme les ouvriers n’ont pas de

subordonnés, nous ne leur avons posé qu’une seule question sur ce thème (exemple 2a).

Pour chacun des deux groupes, les schémas d’entrevue comportaient respectivement trois

blocs de questions. Le premier bloc de l’entrevue portait sur les informations générales; le

deuxième, sur des questions concernant le processus de diffusion de l’information; le

troisième, enfin, sur des questions relatives aux relations professionnelles.

Rappelons les arguments qui sous-tendent la proposition générale de recherche37 et voyons

en quoi le schéma d’entrevue permet de vérifier leur bien-fondé :

a) la communication est à la fois information et relation;

b) la communication interne et les modes de gestion ne permettent pas toujours une réelle circulation de l’information;

c) la communication interne et les modes de gestion ne prennent pas en compte la dimension relationnelle de la communication;

d) il existe un clivage entre les individus d’une même entreprise dans l’organisation du travail (travail prescrit/travail réel), dans la perception des événements et dans la communication qu’ils ont entre eux.

Comme nous pouvons le constater, le deuxième et le troisième blocs de questions – celui

sur le processus de diffusion de l’information et celui sur les relations professionnelles –

37 P1 Les différents groupes d’employés, en l’occurrence le groupe des ouvriers et le groupe des cadres, n’entendent pas la même chose par problèmes de communication.

36

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répondent prioritairement aux énoncés a), b), c). L’énoncé a) correspond à l’assertion

principale et les énoncés b) et c) détaillent les deux parties de cette assertion en évoquant

les obstacles aux deux dimensions (information et relation) de la communication. Quant à

l’énoncé d), il est à la fois une anticipation théorique et un résultat empirique présumé de la

signification que donnent les deux groupes d’informateurs aux problèmes de

communication.

Les questions d’ordre général avaient pour but, d’une part, de mettre l’informateur à l’aise

et, d’autre part, de recueillir des informations personnelles (telles que l’âge et les emplois

occupés auparavant). Dans les deux schémas d’entrevue, chaque bloc comprenait six

questions.

Exemple 3

Est-ce que vous avez travaillé dans d’autres entreprises avant de travailler pour celle-ci? (Si oui, est-ce que vous faisiez le même travail que vous faites maintenant?) [Question pour les cadres et les ouvriers]

Quant au deuxième bloc, portant sur le processus de diffusion de l’information, les

questions faisaient parler les informateurs sur différents aspects de la communication

informationnelle dans leur entreprise : l’utilité des instructions de travail écrites, les canaux

de diffusion, etc. Ce bloc comportait neuf questions pour le groupe des cadres et huit pour

le groupe des ouvriers.

Exemple 4

Est-ce que les instructions, les consignes de travail, sont claires?(Demander des précisions) [Question pour les cadres et les ouvriers]

Enfin, le bloc sur les relations professionnelles amenait l’informateur à s’exprimer sur

l’aspect interpersonnel de la communication dans son entreprise, par exemple, sur sa

relation avec son supérieur, avec ses collègues, etc. Dans ce bloc, six questions étaient

posées aux cadres contre sept aux ouvriers.

37

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Exemple 5

Quand vous avez un problème, votre premier réflexe est-il d’aller voir la personne en autorité légitime (autorité pour résoudre le problème) pour vous aider à résoudre le problème ou plutôt d’aller parler à quelqu’un avec qui c’est plus facile de vous exprimer? [Question pour les cadres et les ouvriers]

Il est important de souligner que le questionnaire comportait peu de questions pour la

simple raison que nous avons voulu laisser place aux sous-questions suscitées par

l’entrevue elle-même. Les sous-questions permettaient de relancer l’informateur pour lui

faire clarifier une réponse ou l’amener à préciser sa pensée, ou encore à étayer ses propos.

Regardons l’exemple suivant :

Exemple 6

1. INT : mais là ça a changé beaucoup?2. C1 : oui ça changé c’est simplifié.3. INT : est-ce que ça a eu un impact?4. C1 : les gens comprennent ce qu’ils lisent <pis ça fait moins d’erreurs>. Ça

fait moins d’erreurs <ouais> il y a moins d’erreurs.5. INT : est-ce que c’est déjà arrivé qu’un ouvrier ne puisse pas accomplir son

travail parce qu’il lui manquait de l’information? Est-ce que ça peut arriver?6. C1 : oui <oui>. […] Mais il est arrivé un moment donné où les gars ne

pouvaient pas faire la job. Ils di[saient] on ne pouvait pas se vérifier là. Les instructions ne sont pas bonnes.

7. INT : ça, ils le disent au contremaître?8. C1 : oui oui ils viennent me voir.

Les passages de la transcription qui sont en caractères gras (lignes 1, 3 et 7) sont des sous-

questions, c’est-à-dire que ces questions ne faisaient pas partie du questionnaire. La

question de la ligne 5, elle, figurait au questionnaire.

Par la « technique des sous-questions », nous répondions à notre intention de permettre aux

informateurs de s’exprimer sur des aspects auxquels nous n’aurions peut-être pas pensé, ce

qui n’aurait pu être envisagé avec un questionnaire directif. Ce questionnaire nous a

permis, dans un premier temps, de diminuer les risques de biais introduits par des questions

trop orientées et, dans un deuxième temps, de donner place à l’introduction de facteurs que

38

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nous ne pouvions pas encore imaginer intervenir dans les problèmes de communication en

entreprise.

Enfin, toutes les entrevues se terminaient par les questions suivantes : parlez-moi de la

communication; qu’est-ce que c’est, pour vous, la communication?; comment définissez-

vous un problème de communication? Nous reviendrons au chapitre suivant sur la

pertinence d’avoir posé ces questions à la toute fin de l’entrevue.

2.5 Analyse des données

Chacune des entrevues a été transcrite en presque totalité. Parce que la transcription visait à

rendre compte des idées émises par le locuteur et qu’il ne s’agissait pas d’une analyse du

discours, nous n’avons pas suivi strictement les règles de la transcription orale telles

qu’elles sont définies par Vincent et Thibault (1990). Nous nous sommes également

inspirée de la façon dont les journalistes rapportent les propos de leurs interlocuteurs.

Notre premier souci était d’uniformiser la méthode de transcription afin d’accroître la

lisibilité des extraits. Seuls les passages qui n’avaient aucun intérêt pour le projet ont été

omis, comme la description du fonctionnement d’une machine. Le nombre de pages de

transcription varie de 11 à 16; cet écart est attribuable à la durée des entrevues et à leur

contenu, c’est-à-dire à la proportion de l’entrevue pertinente au regard du projet de

recherche.

Ces transcriptions ont servi à effectuer une analyse de contenu, d’abord inductive. À cette

occasion, nous avons laissé émerger les thèmes récurrents évoqués par les

informateurs. Pour les ouvriers : l’écart hiérarchique entre eux et les cadres, les jeux de

pouvoir, le manque de reconnaissance, la mauvaise ambiance, l’absence physique des

cadres sur le plancher, le manque d’intérêt des cadres envers eux. Pour les cadres :

l’inefficacité des instructions de travail, la surabondance de courriels, la nonchalance des

ouvriers, la fréquence élevée des réunions, le mauvais choix de support pour la

transmission des instructions, etc.

39

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À partir de l’analyse inductive, nous avons conçu une grille d’analyse typologique que

nous avons par la suite appliquée aux propos de chaque informateur. Nous présentons cette

grille au prochain chapitre.

40

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Chapitre ІІІ : Présentation et analyse des résultats

Ce chapitre présente les résultats et l’analyse du corpus. Nous débutons par les résultats de

l’analyse inductive qui a permis de concevoir la grille d’analyse et de définir les sous-

dimensions qui la composent. Ensuite, nous présentons et analysons les grilles remplies

pour chacun des groupes (les ouvriers puis les cadres), d’abord à titre individuel pour

chaque informateur, puis sous forme de synthèse pour chaque groupe. Nous avons choisi

de présenter les résultats en fonction des informateurs plutôt que des sous-dimensions pour

les trois raisons suivantes :

1. permettre une analyse qui présente des éléments de contexte pouvant expliquer la nature et le nombre d’occurrences des sous-dimensions pour chacun des informateurs;

2. nuancer l’aspect quantitatif des résultats; une présentation thématique aurait mis de l’avant les occurrences par sous-dimension plutôt que de nous permettre de dégager une tendance pour chacun des informateurs;

3. souligner, d’une part, les différences ou les ressemblances entre les informateurs d’un même groupe (ouvriers ou cadres) et, d’autre part, faire ressortir le clivage, dans les résultats, entre le groupe des ouvriers et le groupe des cadres.

Nous terminons ce chapitre en faisant ressortir les différences apparues entre les deux

groupes d’informateurs.

3.1 Présentation de la grille d’analyse

Les premiers résultats consistent en la grille issue de l’analyse inductive (voir à la page

suivante). Les sous-dimensions qui apparaissent dans cette grille sont des concepts qui

représentent les résultats intermédiaires préliminaires à l’analyse des données. Cette grille

ne constitue pas un outil méthodologique, mais bien un résultat. Ce n’est que dans un

deuxième temps que nous avons analysé chacune des entrevues à l’aide de cette même

grille.

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À partir de cette grille d’analyse typologique, nous avons codé38 les entrevues. Répertoriant

les sous-dimensions qui relèvent de l’information et de la relation, cette grille a été

perfectionnée d’entrevue en entrevue jusqu’à constituer la grille d’analyse définitive. Dans

sa forme finale, la grille permettait de recenser tous les « problèmes » des deux dimensions

de la communication.

Tableau 1 – Grille d’analyse

Colonne 1 Colonne 2 Colonne 3 Colonne 4 Colonne 5 ↓ ↓ ↓ ↓ ↓

Sous-dimensionPartie 1

Individu Organisation

TOTAL

Partie 1

Partie 2

Individu Organisation

Relation

Rapport d’autoritéStatutReconnaissanceÉcoute * [Exemple]ConfiancePersonnalitéAttitudeConsidérationSentiment d’appartenanceDimension humaine

1

Instruction Organisation Instruction Organisation

Information

Support de transmissionFeed-backInflationCarenceL’accèsEncodageDécodageConsultationActionCircuit d’informationCircuit d’information –décalage de temps

0

Comme nous pouvons le voir, la colonne de gauche présente les deux dimensions de la

communication (relation et information). La colonne 2 présente les sous-dimensions pour

chacune des dimensions (10 sous-dimensions pour la relation et 11 pour l’information). La

colonne 3 recense les résultats de la première partie de l’entrevue. Chaque fois que nous

avons attribué un code à un extrait d’entrevue, nous l’avons indiqué par le symbole [*]

(voir l’exemple dans le tableau 1) dans la case de la sous-dimension appropriée (en

38 Par codage, nous entendons l’action d’attribuer un code. « Un code est une abréviation ou un symbole attribué à un segment de texte, le plus souvent une phrase ou un paragraphe de la transcription, en vue d’une classification. Les codes sont des catégories. Ils découlent généralement des questions de recherche, hypothèses, concepts-clés ou thèmes importants. » (Huberman et Miles, 1991 : 96)

42

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l’occurrence, la sous-dimension Écoute). La colonne 3 se subdivise en deux : on y trouve

les sous-colonnes Individu et Organisation pour la dimension relation et Instruction et

Organisation39 pour la dimension information. Ainsi, en reprenant l’exemple du tableau 1,

nous devons lire un manque d’écoute dont la source est l’individu. La colonne 4 donne le

total des occurrences pour chacune des dimensions de la communication. Dans l’exemple,

nous pouvons lire une seule occurrence pour la dimension relationnelle contre zéro pour la

dimension informationnelle. Enfin, la colonne 5 concerne les résultats de la deuxième

partie de l’entrevue et se lit exactement comme la troisième colonne.

Voici, maintenant, la façon dont il faut lire les extraits d’entrevue du corpus. Le tableau

suivant en présente les codes de transcription.

Tableau 2 – Légende des codes de transcription

Code de transcription Signification du code de transcriptionO OuvrierC Cadre

1, 2, 3, 4 Informateur

CN Utilisé pour identifier un problème causé par un changement de situation perçu comme négatif (ex. : détérioration des conditions de travail)

INT Interviewer[incomp.] à l’intérieur même de la transcription

Mot incompréhensible (le mot ou le passage n’a pu être transcrit parce qu’inaudible)

[ ] à l’intérieur même de la transcription Commentaire du transcripteur

[…] à l’intérieur même de la transcription Ellipse dans la transcription

[ ] à l’extérieurdu texte Codage

< >Back-channel : « signaux d’écoute ou (signaux) back-channel [qui] sont les réactions de l’auditeur aux propos du locuteur pendant que ce dernier parle » (Da Silva et St-Hilaire, 2004 : 102)

« » Utilisé pour montrer qu’un informateur rapporte les propos de quelqu’un d’autre ou pour imiter une personne

L’exemple suivant illustre l’usage de certains de ces codes, mais surtout la notion de

« changement négatif » (CN).

39 La définition de ces concepts est donnée plus loin.

43

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Exemple 1

INT : pis là est-ce qu’il y a d’autres choses qui étaient plus le fun avant aussi à part…?O3 : il y avait une ambiance […]. Les gars on se taquinait tous pis on se faisait des coups tu sais c’était juste drôle […]. C’est tellement gros, ça vire tellement vite ce n’est plus ça là. Moi avec mon chum, mon chum il travaille [incomp.] pis il travaille après ça à moitié [incomp.] pis des fois je lui tire de quoi pis là je continue à souder « ah mon grand calvaire », on s’agace de même on est tous les deux. [CN – Dimension humaine – Individu]

Les tableaux dénombrent toutes les sous-dimensions des problèmes de communication

exprimées par les informateurs. Il faut toutefois préciser que, dans le cadre de notre projet

de recherche, les occurrences de sous-dimensions dans l’entrevue n’influencent en rien sa

richesse et n’attribuent aux données aucune signification. C’est pourquoi l’aspect

quantitatif n’a pas été pris en compte dans cette analyse. Ce qui est pertinent au regard de

nos objectifs de recherche, c’est, dans un premier temps, de découvrir la nature

(relationnelle ou informationnelle) des sous-dimensions répertoriées lors de l’entrevue en

comparaison avec la définition même des problèmes de communication; dans un deuxième

temps, de relever les sous-dimensions des problèmes de relation et d’information. La

proportion est intéressante dans la mesure où on arrive, à partir des résultats, à dégager une

tendance, à faire ressortir une seule définition des problèmes de communication pour

chacun des informateurs. Pour dégager cette tendance, nous avons comparé les résultats de

la première partie de l’entrevue40 à ceux de la deuxième partie41. Dans un premier temps, la

similitude des sous-dimensions relevées de part et d’autre des deux parties nous a permis

d’établir si les problèmes de communication relevaient de la relation ou de l’information.

Dans un deuxième temps, l’ensemble des résultats nous a permis de dégager une tendance

quant à la nature de ces problèmes de relation ou d’information.

Par ailleurs, l’analyse inductive a fait ressortir une distinction intéressante. Pour chacune

des sous-dimensions relationnelles répertoriées, nous avons spécifié si cette sous-

dimension (ce qui faisait problème) était relative à un individu (ou à un groupe

40 Les questions faisaient parler les informateurs sur différents aspects de la communication (information et relation) dans leur entreprise. Revoir, au besoin, la partie 2.4 sur le schéma d’entrevue à la page 35.41 Les questions étaient : parlez-moi de la communication; qu’est-ce que c’est, pour vous, la communication?; comment définissez-vous un problème de communication?

44

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d’individus) ou à l’organisation. Par exemple, un informateur a pu faire état d’une

dimension humaine absente chez son supérieur (en tant qu’individu), chez les ingénieurs en

général (en tant que groupe d’individus) ou au sein de l’entreprise (en tant

qu’organisation). Les exemples 2 et 3 illustrent, respectivement, cette distinction.

Exemple 2

O1 : juste un moment donné tu rentres tu feels pas là. Ben cristie si ton patron te dit regarde prends ça plus mollo aujourd’hui prends plus mollo ça va pas bien là. Ben ce n’est pas de même que ça marche là tu sais. [Dimension humaine – Individu]

Exemple 3

O2 : mais là une shop grossit c’est très impersonnel plus c’est gros plus c’est impersonnel moins tu as de contacts directs avec la personne pour qui tu … C’est toujours un intervenant, plus un intervenant, plus un. Plus il y a d’intervenants, plus il y a de possibilités d’erreurs, pis d’après moi moins que le monde aime ça. C’est sûr c’est un gros bateau qui est dur à virer. […] Quand le boss passait tous les vendredis dans l’usine il y en a qui aiment pas ça « ah il vient sentir » <qu’est-ce qu’il vient faire> « qu’est-ce qu’il vient faire ». Ils l’aimaient pas sans le voir imagine s’ils le voient penses-tu qu’ils l’aiment. INT : mais il y en a qui aimaient ça?O2 : ben la majorité du monde aimait ça la grosse majorité du monde. Il y en a qui piquait des petites pointes il y en a que c’était juste pour jaser ben cool, full cool il y en a c’était cool pis un moment donné toc une petite pointe que ça fait une semaine ou deux qu’ils gardent et qu’ils attendent qu’il passe. Mais ça c’était plus les vieux tu sais genre qui étaient même là avant ce boss-là. Monsieur X [nom] il y a bien du monde qui s’ennuie de lui pareil, c’était plus humain un peu pis il est parti à cause de la direction de ABC. [CN – Dimension humaine – Organisation]

Il en est de même pour les sous-dimensions informationnelles de la communication : nous

avons distingué le type de message, soit l’instruction de travail (exemple 4), des messages

organisationnels (exemple 5).

Exemple 4

INT : est-ce que c’est déjà arrivé qu’un ouvrier ne puisse pas accomplir son travail parce qu’il lui manquait de l’information? Est-ce que ça peut arriver?C1 : oui <oui> des fois il manque, comme là ils veulent simplifier, mettre un peu moins de cut un peu moins de ci un peu moins sur le dessin. On ne met plus la grandeur de la pièce, on ne met plus rien. Moi mes gars viennent me voir ils disent « X [nom de l’informateur] la pièce a sort de la machine on ne peut pas la mesurer

45

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sur le dessin. » Il n’y a pas, il n’y a plus de mesures <ah ah>. C’est sûr qu’au dessin [c’est un département] eux autres ils gagnent du temps, mais moi j’ai été les voir j’ai dit nous autres on est ISO 9001 9002 il faut qu’on vérifie nos pièces. [Carence – Instruction]

Exemple 5

O4 : un exemple. Il va y avoir un congédiement de deux employés. Bon, ils expliquent, il y en a un qui va dire on manque d’ouvrage il faut que j’en slaque deux ça va être tel tel. Tandis que l’autre vu le contexte économique actuel ABC a perdu tel client tel client il explique un petit peu c’est quoi qu’il y a eu en arrière ABC. C’est quoi qu’il a vécu dernièrement pis où ce qu’on est rendu pis c’est quoi que ça apporte deux mises à pied. Fait que ça tu as eu comme un cheminement tandis qu’un autre va dire bon ben les gars on n’a plus d’ouvrage fait que il faut en slaquer42 deux pis c’est deux soudeurs pis ça été ces deux-là. C’est sûr que les deux personnes ont été rencontrées avant à part là, mais il reste qu’ils apportent ça devant le reste comme ça. Aussitôt que le contremaître dit ok on retourne au travail celui qui n’a pas eu d’explication là ça mémère toute entre les gars « c’est quoi l’affaire tatati, on vas-tu perdre nos jobs nous autres aussi ». Au lieu de dire il y a eu un slaque mais là pour stabiliser l’affaire ils ont décidé d’en slaquer deux mais comme il a dit tout est correct c’est juste pour [incomp.] pis les gars retournent travailler à leur place pis on en entend plus parler. [Carence – Organisation]

3.2 Présentation et définition des sous-dimensions relationnelles

Concernant la relation, la première partie de l’analyse des données nous a permis de relever

dix sous-dimensions faisant « problème » pour les informateurs. La première sous-

dimension est le rapport d’autorité. Nous entendons ici le rapport de force imposé par

l’organigramme qui lie les individus les uns aux autres.

Exemple 6

INT : alors vous votre patron vous allez le voir?C1 : de temps en temps.INT : de temps en temps pis c’est pour quelles raisons?C1 : je ne le sais pas. Je n’aime pas ça aller voir mes boss <rires>. Je n’aime pas.INT : c’est rare. À quoi ils servent?C1 : ils me cassent les pieds des fois… se mêler de leurs affaires des affaires qui les regardent pas. Aujourd’hui ben il est venu me voir parce qu’on a des urgences. Mode

42 Signifie mettre à pied.

46

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urgent il est venu trois quatre fois pour que s’il y a une machine qui arrête il faut qu’on le sache. Oui vous le saurez toujours si une machine arrête. Trois quatre fois. [Rapport d’autorité – Individu]

L’exemple 6 montre bien que le problème est attribuable au lien d’autorité entre un

subordonné et un supérieur. En fait, le problème naît avant même qu’il y ait eu la moindre

interaction. C’est ce qui unit les deux individus, le pouvoir que le supérieur a sur le

subordonné, qui pose problème.

On entend par statut, la seconde sous-dimension, le comportement attendu d’un individu

relativement à son poste. Dans le cadre de son poste (ouvrier, technicien, ingénieur),

l’employé a des tâches à accomplir (souder, concevoir) et on attend de lui un

comportement correspondant à ses tâches.

Exemple 7

O2 : moi je dis une affaire au foreman43 mettons que le foreman me dit une affaire admettons qu’il me dit soude ça bord en bord pis je le sais que ça se soude pas bord en bord pis je lui dis pis lui me dit c’est moi le foreman. Ben ta gueule pis soude-le bord en bord pis je vais le souder bord en bord pis c’est le foreman qui va se faire dire man tu t’es trompé je te mets dehors. Généralement ça revient pas mal tout le temps à ça. Les gens ont de la misère à… C’est ça ta place, prends-la pis si ça fait pas ton affaire va-t’en ailleurs ou tu changes de place. Si tu veux faire sa job applique. Mais tu ne peux pas les gens essayent de te diriger un peu trop, plus loin que leur poste, que ce qui est écrit sur leur chèque de paye. [Statut – Individu]

L’extrait ci-dessus révèle, du point de vue de l’informateur, que le problème réside dans le

fait que cela fait partie de la tâche du supérieur d’analyser les situations et de prendre les

décisions qui s’imposent.

Quant à la troisième sous-dimension de la reconnaissance, nous l’entendons ici à la

manière de Brun et Dugas, qui la définissent comme suit :

[…] une réaction constructive et authentique44, de préférence personnalisée, spécifique, cohérente et à court terme. Elle s’exprime dans les rapports

43 Signifie contremaître.44 Nous soulignons.

47

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humains. Elle est fondée sur la reconnaissance de la personne comme un être unique, libre, égal, qui mérite respect, qui connaît des besoins, mais qui possède également une expérience utile. Par ailleurs, la reconnaissance constitue un jugement posé sur la contribution du travailleur, tant en termes de pratique de travail que d’investissement personnel et de mobilisation. En outre, elle consiste à évaluer les résultats de ce travail et à les souligner. La reconnaissance se pratique sur une base quotidienne, régulière ou ponctuelle, et se manifeste de façon formelle ou informelle, individuelle ou collective, privée ou publique, financière ou non. Du point de vue de celui qui la mérite, enfin, la reconnaissance peut avoir une valeur symbolique, affective, concrète ou financière. (2002 : 20)

Ce que nous retenons particulièrement de cette définition, c’est le sentiment, chez le

travailleur, qu’une « réaction constructive » vis-à-vis de son travail est pratiquement

inexistante.

Exemple 8

O1 : <soupir> des petites attentions juste dire eille regarde parce que souvent ils vont arriver ils vont dire ok ça il faut que ça sorte on a une vanne qui attend. Mais quand c’est fini j’aimerais bien ça savoir le nombre de mercis qui se disent. Je pense qu’il n’y en a pas beaucoup. Dire tu sais on était dans la marde pis tu nous as sorti de là tu as travaillé plus pis merci ça nous a donné un bon coup de pouce. [Reconnaissance – Individu]

On constate ici que l’informateur fait état de cette absence réactionnelle en réponse à

l’effort de l’employé, dont il ne perçoit pas la reconnaissance.

La quatrième sous-dimension, l’écoute, fait écho à une rétroaction relationnelle au cœur

d’une interaction. Autrement dit, il est question d’écoute quand l’individu sent qu’on prend

du temps pour lui et qu’on met à sa disposition toutes les ressources (informationnelles et

relationnelles) nécessaires pour recevoir ses paroles, ses idées, son feedback.

Exemple 9

O1 : c’est que les cadres qui sont engagés présentement n’ont pas nécessairement ce but-là non plus. Moi je pense juste au directeur d’usine actuellement ce sont des gens qui sont extrêmement débordés, qui sont responsables de je ne sais pas combien de départements. Ils ont même pas le temps d’écouter leurs employés non syndiqués fait

48

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que quand c’est un employé syndiqué qui arrive, ils s’en sacrent-tu ils ont même pas le temps de vivre. [Écoute – Individu]

En cinquième lieu, la confiance, désigne le « sentiment que l’autre partie de l’échange

(individu, groupe, organisation) agira avec honnêteté et qu’elle dispose de la compétence

nécessaire pour accomplir la prestation attendue » (Office québécois de la langue française

[OQLF], 200245).

Exemple 10

O1 : s’ils avaient formé tout le monde [à l’utilisation des ordinateurs] pis qu’ils avaient continué à pousser dans ce sens-là peut-être. Mais actuellement je pense que c’est pas mal plus de la désinformation c’est-à-dire que moins l’employé en sait moins on a de problèmes <petits rires>. Si l’employé peut aller dans l’Intranet il peut trouver plein d’affaires en tout cas moi c’est ce que je pense. C’est une bizarre de gestion actuellement. En tous cas ça donne l’impression d’être comme ça. [Confiance – Organisation]

On sent bien dans cet extrait que l’informateur attribue de mauvaises intentions à

l’organisation en lui imputant de « cacher » des informations aux employés, de sorte que sa

confiance est affectée.

En ce qui a trait à la sixième sous-dimension, celle de la personnalité :

[…] c'est la notion de l'unité intégrative d'un homme, avec tout l'ensemble de ses caractéristiques différentielles permanentes (intelligence, caractère, tempérament[,] constitution) […] La définition qu'en donne Sheldon, inspirée de Warren et d'Allport, correspond assez bien à cette notion : la personnalité, d'après lui, est « l'organisation dynamique des aspects cognitifs, affectifs, conatifs, physiologiques et morphologiques de l'individu ». (OQLF, 197346)

Dans le cadre de notre analyse, la personnalité est considérée comme un problème

lorsqu’un individu cause des difficultés en regard de ses « caractéristiques différentielles

permanentes ».

45 Grand dictionnaire terminologique, « confiance – gestion – gestion des ressources humaines/relations publiques ».46 Grand dictionnaire terminologique, « personnalité – psychologie ».

49

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Exemple 11

C1 : il y en a peut-être toujours un ou deux qui accrochent de temps en temps mais regarde. Il paraît que dans les entreprises c’est au moins 10 % du personnel qui est incurable.INT : il y a rien à faire.C1 : 10 % c’est nul il n’y a rien à faire c’est nul.INT : ah ouais c’est énorme hein!C1 : oui mais c’est partout 10 %. [Personnalité – Organisation]

Pour cet informateur, toute organisation est aux prises avec une partie du personnel dont la

personnalité en fait de mauvais éléments pour l’entreprise.

Une septième sous-dimension se rapproche conceptuellement de la précédente. C’est la

sous-dimension d’attitude : « [d]isposition interne, déterminée par l'expérience, qui pousse

l'individu à constamment réagir de la même manière (positivement ou négativement) à

l'égard d'une personne, d'un objet ou d'une situation » (OQLF, 200247).

Exemple 12

INT : puis tantôt vous disiez que les employés ne consultaient peut-être pas les instructions. Mais est-ce que vous considérez que ces consignes-là se rendent bien?C4 : les instructions de travail oui elles se rendent bien en autant que l’employé quand il reçoit l’information en autant qu’il soit réceptif, qu’il soit attentif. Ce n’est pas toujours le cas ou il y en a qui prennent ça à la légère ben là quand il arrive le temps de faire la tâche oups comment est-ce qu’on le faisait pis là il pose des questions à son chum à côté. Donc le chum à côté ce n’est peut-être pas la meilleure source d’information. [Attitude – Individu]

L’attitude est la façon d’être, de se comporter en entreprise alors que la personnalité relève

plutôt du caractère de l’individu.

Le sentiment d’appartenance, huitième sous-dimension, est la « capacité de se considérer

et de se sentir comme faisant partie intégrante d’un groupe, d’une famille ou d’un

ensemble » (OQLF, 199548).

47 Grand dictionnaire terminologique, « attitude – gestion – psychologie – psychologie sociale ».48 Grand dictionnaire terminologique, « sentiment d’appartenance – psychologie ».

50

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Exemple 13

O1 : j’ai un gros désintérêt. C’est sûr que ce sont des choses personnelles qui me sont arrivées pis qui font que mon intérêt… Parce que moi avant ça ABC ben regarde moi je vivais pour ABC là. C’était… je faisais ma vie pour ABC pis là regarde je suis en train de penser peut-être à changer parce qu’il y a des petites choses qui me sont arrivées pas nécessairement qui sont injustes mais qui me font dire c’est vrai que je suis un numéro. Tu sais avant je pensais que je n’étais pas un numéro. [CN – Sentiment d’appartenance – Organisation] et [Considération – Organisation]

L’exemple illustre deux sous-dimensions, soit le sentiment d’appartenance à l’organisation

(1), probablement perdu en conséquence d’un manque de considération (2) (en caractères

gras dans la seconde partie de l’extrait). L’informateur, qui « vivait » en quelque sorte pour

l’entreprise et qui s’y sentait reconnu en tant que travailleur, pense maintenant à quitter

l’entreprise.

La seconde partie du même extrait illustre l’avant-dernière sous-dimension : la

considération. Elle correspond à « [l’]estime que l’on porte à quelqu’un » (OQLF, 197249).

Dans le cadre de ce mémoire, nous définissons la considération comme l’« estime qui est

portée à quelqu’un », envers l’humain qu’il est, l’estime portée à ses compétences, à ses

connaissances, à ses qualités, etc. Lorsque O1 dit « je suis un numéro », on sent bien le

manque de considération que perçoit l’individu, individu qui est unique et qui apporte

quelque chose à l’entreprise. Les sous-dimensions de la reconnaissance et de la

considération peuvent paraître confondantes. Nous les distinguons par le fait que la

reconnaissance est une réaction communiquée à l’employé, en tant que personne qui

occupe une fonction, alors que la considération marque un respect de l’individu, du soi en

tant qu’identité. En quelque sorte, on peut dire que la sous-dimension de reconnaissance est

« fonctionnelle » alors que la sous-dimension de considération est « identitaire ».

Enfin, la dernière sous-dimension relevée est celle de la dimension humaine. Cette sous-

dimension « prend le sens de "rendre bienveillant, plus social" » (Rey [dir.], 1993 : 981).

49 Grand dictionnaire terminologique, « considération – généralité ».

51

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Exemple 14

O2 : quand le boss passait tous les vendredis dans l’usine il y en a qui aiment pas ça. « Ah il vient sentir » <qu’est-ce qu’il vient faire>. « Qu’est-ce qu’il vient faire? ». Ils n’aimaient pas ça sans le voir imagine s’ils le voient penses-tu qu’ils l’aiment.INT : mais il y en a qui aimaient ça?O2 : ben la majorité du monde aimait ça, la grosse majorité du monde. Il y en a qui piquaient des petites pointes, il y en a que c’était juste pour jaser ben cool, full cool il y en a c’était cool pis un moment donné toc une petite pointe que ça fait une semaine ou deux qu’ils gardent et qu’ils attendent qu’il passe. Mais ça c’était les plus vieux tu sais genre qui étaient là avant ce boss-là. Monsieur X [nom] il y a bien du monde qui s’ennuie de lui pareil c’était plus humain un peu pis il est parti à cause de la direction de ABC. [CN – Dimension humaine – Individu]

3.3 Présentation et définition des sous-dimensions informationnelles

Au plan informationnel, l’analyse primaire du corpus a fait ressortir 11 sous-dimensions.

La première est le support de transmission, par laquelle nous entendons le « moyen utilisé

pour véhiculer l'information entre les moyens d'exploitation des deux extrémités d'une

relation » (OQLF, 198450).

Exemple 15

INT : pis si demain matin je vous disais vous êtes responsable de régler le problème de communication qui vous tanne le plus vous vous attaqueriez à quoi?C4 : aux instructions de travail pis comment les diffuser.INT : ok. Le canal?C4 : ouais c’est quoi le canal qu’on va employer, de quelle façon on va s’y prendre, c’est quoi la meilleure façon que l’employé d’usine puisse pas passer à côté de l’information parce que là il peut encore passer à côté de l’information. Donc comment je fais pour ne pas qu’il passe à côté de l’information. Premièrement s’il ne passe pas à côté de l’information je pense que tu en as fait un bon bout. Deuxièmement c’est de faire respecter cette information-là ça c’est un autre bout mais de la voir l’information ça ce serait une bonne chose de gagnée si on pouvait être certain qu’il l’a l’information. [Support de transmission – Instruction]

Ici, nous voyons que le support par lequel sont diffusées les instructions de travail pose

problème.

50 Grand dictionnaire terminologique, « support de transmission – armée ».

52

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La seconde sous-dimension dégagée de l’analyse est le feed-back. « En bref, il s’agit d’un

mécanisme essentiel à tous les systèmes vivants et qui permet, dans le déroulement d’une

action quelconque, de vérifier le résultat de cette action (rétroinformation) et d’en

poursuivre ou d’en corriger le cours (rétroaction). » (Duterme, 2002 : 37) Ainsi, lorsqu’un

informateur fait référence à la notion de feed-back en tant qu’elle pose problème, nous

parlons de l’impossibilité strictement technique de pouvoir retourner l’information.

Exemple 16

C2 : je ne sais pas pourquoi les employés disent que quand ils ont des bonnes idées on ne les implante pas.INT : ah oui?C2 : donc des fois ils sont plus réticents à en donner des idées.INT : ah qu’est-ce que vous en pensez vous?C2 : j’en pense qu’ils n’ont pas tort. Il faudrait leur expliquer dans les cas où les idées sont rejetées pourquoi elles sont rejetées […].INT : c’est que eux ils donnent l’idée au contremaître mais ils n’ont jamais de retour?C2 : c’est ça. C’est plus ça qui fait qu’ils se découragent. [Feed-back – Instruction]

L’inflation et la carence des messages sont les troisième et quatrième sous-dimensions.

Leur définition est très proche du sens commun : l’inflation correspond à la surabondance

de messages et la carence, au manque de messages.

Exemple 17

C1 : il y a trop de réunions.INT : [rires] il y en a trop?C1 : trop de réunions même les patrons un moment donné ils ont envoyé un message la « réunionnite » là. C’est que les réunions un moment donné on se dit oups … Des réunions il y en a trop. Des fois on cherche du monde ils sont en réunion <rires> pis des fois on veut planifier une petite réunion ou pas grand-chose pis là on convoque notre monde pis on voit s’ils sont libres ou pas dans la journée pis des fois c’est un jour, deux jours, trois jours. Ils ne sont jamais là, ils sont toujours en réunion. [Inflation – Organisation]

Exemple 18

O3 : […] tu vois ils vont au magasin chercher leurs pièces ils manquent la moitié des pièces ça l’a été mal sorti mal compté. Ils ont oublié de faire ci ils ont oublié de faire ça. On dirait que c’est la première année qu’on en fait des meubles ça fait 55 ans

53

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qu’on en fait tu sais. Ça fait que là il y a un manque à quelque part, un manque d’expérience un manque d’information. Ils ne s’informent pas assez.INT : pour les contremaîtres?O3 : hein?INT : pour les contremaîtres?O3 : pour les contremaîtres même les gars. Les gars arrivent au magasin pour aller chercher leurs pièces pour monter leur meuble il manque la moitié des pièces fait que le gars qui a sorti ça qui a développé ça a oublié des affaires fait que c’est un manque d’information. [Carence – Instruction]

En cinquième lieu, l’accès consiste en la « [p]ossibilité de consulter un document ou

d'obtenir l'information contenue dans celui-ci » (OQLF, 198451).

Exemple 19

C2 : ça serait ça pour faciliter l’accès aussi ce n’est pas dans tous les postes de travail qu’il y a un ordinateur. Puis même si tu as un poste de travail où il y a un ordinateur ils n’ont pas accès à l’Intranet. Ils ont seulement accès à d’autres fonctionnalités. Pis par expérience je voulais avoir accès à une instruction de travail dans l’usine il a fallu que je me promène. De trouver un poste de travail l’ordinateur trop lent l’autre ordinateur ne fonctionnait pas puis ce n’était pas facile. [Accès – Instruction]

L’encodage, sixième sous-dimension, se définit comme la « transcription d'un message

dans une forme communicable. Dans le schéma de la communication, l'activité de

l'émetteur est l'encodage; complémentairement, celle du récepteur est le décodage52 »

(OQLF, 197353), notre septième sous-dimension.

Exemple 20

C3 : un gros problème de communication c’est là où l’émetteur transmet mal à son récepteur. Comment je pourrais dire ça ou mettons moi quand je communique à mes employés je m’assure pas qu’ils ont bien compris ce que j’ai dit. C’est de ma faute hein! On dit tout le temps l’auteur d’un message est responsable de sa bonne réception. Ça pour moi c’est le plus gros problème au niveau des communications quand on ne s’assure pas que les gens ont bien compris. [Encodage – Organisation]

51 Grand dictionnaire terminologique, « accès – science de l’information/archivistique ».52 Nous soulignons.53 Grand dictionnaire terminologique, « encodage – linguistique ».

54

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Exemple 21

C2 : mais quand ils réussissent à avoir accès <oui>. Il faudrait qu’ils la [l’instruction] lisent, qu’ils la comprennent moi je pense qu’on touche à un faible pourcentage d’utilisateurs qui sont en mesure de la lire, de l’appliquer. [Décodage – Instruction]

Du point de vue du processus de transmission de l’information, la communication a pour

composantes plusieurs aspects (sous-dimensions) présentés ci-dessus54. Mais cette

communication a bien entendu une finalité, c’est-à-dire que celui qui communique un

message attend en retour une réponse sous quelque forme que ce soit. Ainsi, dans le

contexte de notre recherche, deux types de messages (instruction et message

organisationnel) sont diffusés. En ce sens, l’analyse du corpus a fait ressortir une huitième

et une neuvième sous-dimensions qui ne font pas partie intégrante du processus, mais qui

constituent plutôt une fin en soi. Nous avons nommé une de celles-ci la consultation, qui

cause problème en impliquant « de recourir aux sources d'information ou à la

documentation elle-même » (OQLF, 196955). L’autre, que nous avons appelée action, pose

la difficulté de réaliser la tâche associée aux messages. Dans notre recherche, ces sous-

dimensions se concrétisent dans l’acte de consulter les instructions de travail ou les

messages organisationnels dans le but d’agir. Pour mieux illustrer notre propos, citons

Petit : « lorsque nous échangeons des idées et des sentiments sur nos lieux de travail ou à

l’occasion de nos loisirs, nous poursuivons un but précis, "qui est très généralement",

comme l’indique Claude Flament, "la recherche d’une certaine modification des

comportements, des attitudes, des représentations ou des connaissances […]". » (1988 : 47)

Exemple 22

INT : est-ce que les instructions écrites aident les ouvriers à faire leur travail?C4 : c’est une bonne question les instructions écrites les gens ne les consultent pas.INT : c’est vrai?C4 : ouais.INT : ah ouais!C4 : oui.INT : c’est vous qui les faites?C4 : oui oui.INT : qu’est-ce que vous faites avec ça?

54 À l’exception de la carence et de l’inflation des messages, qui sont des conséquences du processus d’information.55 Grand dictionnaire terminologique, « consultation – science de l’information/documentation ».

55

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C4 : ben c’est accessible. C’est toujours toujours accessibles les instructions écrites par voie informatique sauf qu’on s’est rendu compte que les gens n’utilisaient pas l’informatique pour aller voir les instructions.INT : pourquoi?C4 : peut-être l’accessibilité de l’ordinateur faudrait avoir des ordinateurs qui sont vraiment accessibles faudrait que tout le monde sache quel chemin emprunter pour aller chercher exactement l’instruction. Donc ce n’est pas, ce n’est pas très populaire. Ensuite de ça les afficher tout simplement sur papier là, affichées même là encore les gens vont pas les consulter. Ils font leur travail par mémoire comme par habitude. Ouais même on a des pièces où on a des exemples de pièces fabriquées au complet, on a des échantillons agrafés sur les lignes de production pis les gens ne vont même pas voir ces échantillons-là. Il y a peut-être 50 % des gens qui vont les voir pour constater c’est quoi le travail qu’il y a à faire, comment ça doit être fait. Mais à part de ça il faut vraiment que le contremaître force pour que son employé… Qu’il pousse à aller voir l’information tout le temps, tout le temps, tout le temps. [Consultation – Instruction]

Exemple 23

C1 : il n’y a pas de suivi de ce qui s’est dit ou ce qui s’est…INT : pour voir si vous avez intégré les informations?C1 : ouais ou des fois ils vont dire on va faire ci on va faire ça pis un moment donné tu t’aperçois que le va faire ci va faire ça c’est toujours pas fait il n’y pas personne qui est sorti de la réunion pis qui a fait ci.INT : avez-vous un exemple?C1 : je n’en ai pas parce que ça fait longtemps que je ne suis pas allé aux réunions. Ça comme diminué un moment donné. Ils ont comme coupé les réunions parce que c’était justement, il y en avait des réunions, réunions, réunions pis pour ci, ça on va faire ci on va faire ça pis ça se faisait pas. J’ai l’impression que le grand boss un moment donné il a arrêté de faire des réunions. [Action – Organisation]

Enfin, les deux dernières sous-dimensions de la dimension informationnelle sont le circuit

d’information et le circuit d’information – décalage de temps. Dans les deux cas, un

circuit se définit comme « […] le chemin à parcourir pour faire le tour d’un lieu » (Rey

[dir.], 1993 : 424). Plus précisément, il s’agit de l’ensemble des individus par lesquels doit

passer un message, comme l’illustre l’exemple 24.

56

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Exemple 24

C4 : un problème de communication ça arrive souvent où, pour un même problème, il va y avoir plusieurs intervenants pour un même problème ou peu importe pour un dossier quelconque pis dans ces intervenants-là ben ils auraient tous intérêt à partager la même information. Mais un peu tout le monde part de son côté avec ses informations pour ensuite se rendre compte qu’un moment donné oups il y a convergence. Pis là un moment donné mais s’ils avaient eu toute la même information en possession à savoir qui a l’information et qui fait quoi mais ils auraient probablement sauvé beaucoup de temps. Parce que ça arrive rendu à la fin d’un projet « ah regarde lui savait ça il avait ça à faire ». Même je dirais que des fois ça peut coûter de l’argent rendu au bout de la ligne. Donc c’est très, très important. [Circuit d’information – Instruction]

Par circuit d’information – décalage de temps, nous voulons signifier qu’un élément du

circuit a reçu le mauvais signal ou qu’il n’a tout simplement pas reçu le signal lorsque le

message est passé, à la manière du « téléphone arabe ».

Exemple 25

C3 : ça part tout croche pis là une petite affaire dans l’usine là ça part pis ça devient une grosse, une grosse montagne des fois.INT : avez-vous un exemple?C3 : ça me vient pas tout suite c’est quoi la […] On n’était même pas en train de faire des mises à pied […] pis là les gens qui sont arrivés avec des coupures massives de personnels des fois nous autres on est un peu fru comme contremaître parce que des fois on apprend des choses après.INT : par les employés?C3 : par les employés pis là on se demande tout le temps où ce qu’ils prennent leurs maudites informations. Fait que là eille j’avais été voir mon boss c’est-tu vrai parce que moi je viens juste de leur lancer la veille une information […]. C’est quelqu’un qui a interprété que ça allait affecter les employés pis que ça allait faire des mises à pied. Mais tu sais c’est devenu gros le lendemain là t’arrives pis les coupures massives de postes attends une minute je suis-tu encore contremaître [rires]. Je parle tout de suite à mon équipe mais le fait que des fois on ne soit pas informé avant les employés ça s’en est un problème de communication parce qu’on n’est pas capable de rattraper. [Circuit d’information – décalage de temps – Organisation]

3.4 Les ouvriers : les résultats

Au cours des pages suivantes sont présentés et analysés les résultats obtenus pour chacun

des informateurs du groupe des ouvriers.

57

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3.4.1 Ouvrier 1

L’ouvrier 156 est à l’emploi de l’entreprise depuis bientôt dix ans. Le tableau 3 montre que

le cas O1 parle presque exclusivement de la dimension relationnelle de la communication.

L’individu et l’organisation sont répertoriés dans des proportions semblables en ce qui a

trait à la source des problèmes. Par ailleurs, l’entrevue est caractérisée par une variété de

sous-dimensions. Certaines ont été abordées à quelques reprises, telles que la

considération, la confiance et la dimension humaine.

Tableau 3 – Répartition des sous-dimensions pour O1

Sous-dimensionPartie 1

Individu Organisation

TOTALPartie 1

Partie 2

Individu Organisation

Relation

Rapport d’autorité * * *StatutReconnaissance * *Écoute *Confiance * * * * *PersonnalitéAttitudeConsidération * * * * CN * * *Sentiment d’appartenance CN CNDimension humaine * * * *

25

**

* *Instruction Organisation Instruction Organisation

Information

Support de transmission *Feed-back *InflationCarence *L’accèsEncodageDécodageConsultationActionCircuit d’informationCircuit d’information –décalage de temps

3

Légende * : occurrenceCN : occurrence d’un changement négatif

En ce qui a trait à la source des problèmes exprimés par l’informateur, on constate que

l’individu et l’organisation sont tous deux tenus pour responsables, et ce, dans des

proportions semblables. Les changements organisationnels constituent pour cet ouvrier

56 L’entrevue de l’ouvrier 1 a été la première réalisée. Ainsi, la durée de l’entrevue a été supérieure à celle des autres. L’interviewer, connaissant moins bien le contexte, a posé beaucoup plus de sous-questions et a demandé davantage de précisions à l’informateur. Comparativement aux autres entrevues, celle-ci a été particulièrement empreinte d’émotion, et l’informateur y a multiplié les illustrations. Ceci explique le plus grand nombre d’occurrences par rapport aux autres entrevues.

58

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quelque chose de très négatif; ceci peut expliquer l’importance de l’organisation comme

source des problèmes.

Exemple 1

INT : le travail en tant que tel c’est agréable?O1 : le travail en tant que tel j’aime ça euh… je te dirais que c’est ça depuis un bout de temps on a une ambiance qui est [silence]. Depuis la dernière convention je te dirais que ce n’est pas tout à fait la même ambiance c’est moins motivant <ah ouais> travailler. Moi j’ai un gros désintérêt c’est sûr que ce sont des choses personnelles qui me sont arrivées pis qui font que mon intérêt parce que moi avant ça ABC ben regarde moi je vivais pour ABC là. C’était… je faisais ma vie pour ABC pis là regarde je suis en train de penser peut-être à changer. Parce qu’il y a des petites choses qui sont arrivées pas nécessairement qui sont injustes mais qui me font dire c’est vrai que je suis un numéro tu sais moi avant ça je pensais que je n’étais pas un numéro. [CN – Considération – Organisation] et [CN – Sentiment d’appartenance – Organisation]

En fait, pour l’ouvrier 1, la nouvelle direction de ABC et les changements organisationnels

qui en ont découlé ont entraîné plusieurs modifications de la gestion, dont un plus grand

contrôle. Il y aurait, selon lui, une volonté de standardisation de la gestion et,

principalement, de la gestion des individus.

Exemple 2

O1 : ils veulent vraiment uniformiser tout le monde alors que moi je pense que la solution actuellement c’est vraiment d’y aller cas par cas ce qui prend vraiment plus de ressources mais qui fait des employés pas mal plus heureux. En tout cas moi c’est ce que je pense. [Considération – Organisation]

En plus des changements organisationnels, la surcharge de travail des cadres semble être

un obstacle. L’employé se demande même si les cadres ont une réelle volonté de

s’impliquer dans les relations avec les employés.

Exemple 3

O1 : c’est que les cadres qui sont engagés présentement n’ont pas nécessairement ce but-là non plus. Moi je pense juste au directeur d’usine actuellement ce sont des gens qui sont extrêmement débordés qui sont responsables de je ne sais pas combien de départements ils n’ont même pas le temps d’écouter leurs employés non syndiqués fait que quand c’est un employé syndiqué qui arrive ils s’en sacrent-tu. Ils n’ont

59

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même pas le temps de vivre pis il faut que ce soit quelque chose que… Leurs cadres il faut qu’ils aient cette mentalité-là aussi tu sais. [Écoute – Individu]

Ainsi, les contraintes (l’apparition du contrôle, le manque de temps et d’intérêt des cadres

pour les relations interpersonnelles, etc.) exprimées par l’employé expliquent cette

définition multidimensionnelle des problèmes de communication. Au moment de définir

les problèmes de communication (deuxième partie de l’entrevue), trois éléments sont

ressortis : l’écoute, la reconnaissance et la dimension humaine. En fait, ces sous-

dimensions sont très proches l’une de l’autre, car ce sont des éléments nécessaires à la

relation. Pour sa part, la première partie de l’entrevue a fait ressortir les sous-dimensions

de confiance et de considération. En fait, toutes ces sous-dimensions sont susceptibles de

poser problème dans le contexte décrit par l’informateur. Premièrement, la standardisation

évoquée par l’employé agit nécessairement sur la dimension humaine. L’absence de

rapport personnel (ce qu’il appelle le « cas par cas » à l’exemple 2) crée un climat plus

froid; le sentiment d’être écouté et entendu en est, par le fait même, affecté.

Deuxièmement, l’absence de temps et de ressources de la part de l’organisation et des

cadres peut entraîner un manque de reconnaissance de l’individu en tant que personne

nécessaire au bon fonctionnement de l’entreprise, mais surtout en tant qu’individu dans sa

dimension humaine.

Enfin, pour l’ouvrier 1, nous pouvons conclure que les problèmes de communication se

définissent par un manque de considération de l’individu et de ses besoins, émergeant

notamment du manque d’écoute évoqué par l’informateur. Dans le même sens ressort le

sentiment qu’on ne se préoccupe ni de lui ni de ses besoins, comme ceux d’être écouté ou

d’entretenir des relations plus humaines.

60

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3.4.2 Ouvrier 2

Tableau 4 – Répartition des sous-dimensions pour O2

Sous-dimensionPartie 1

Individu Organisation

TOTALPartie 1

Partie 2

Individu Organisation

Relation

Rapport d’autorité *Statut * * *ReconnaissanceÉcouteConfiancePersonnalité *AttitudeConsidération CN CNSentiment d’appartenanceDimension humaine * CN CN

10

*

Instruction Organisation Instruction Organisation

Information

Support de transmissionFeed-back *InflationCarence *L’accèsEncodageDécodageConsultationActionCircuit d’informationCircuit d’information –décalage de temps

2

Légende * : occurrenceCN : occurrence d’un changement négatif

L’ouvrier 2 travaille pour l’entreprise depuis 12 ans. Il occupe présentement un poste de

soudeur. Pour lui, ce sont les sous-dimensions relationnelles qui ressortent et la source des

problèmes de relation est presque exclusivement l’individu. Les résultats montrent que ce

qui pose problème ne se réduit qu’à quelques sous-dimensions, au contraire de O1. En

effet, peu de sous-dimensions57 ont été relevées, mais l’entrevue tourne essentiellement

autour des mêmes thèmes.

L’ouvrier 2 évoque du début à la fin de l’entrevue ce qu’il entend par des problèmes de

communication. Il en ressort qu’il s’agit d’un manque de respect du statut. Pour lui, et son

travail et l’entreprise se porteraient mieux si chacun des employés respectait les tâches que

son statut lui assigne.

57 Rappelons que la fréquence des occurrences n’est pas prise en compte pour notre analyse, mais qu’elle nous permet plutôt de dégager une tendance.

61

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Exemple 4

O2 : ce n’est pas vraiment l’employé qui va décider si c’est important c’est le contremaître qui va juger. Même s’il sortira dans deux jours ce n’est pas trop grave ou si je me suis fait dire par ma boss à moi qu’il fallait que ça sorte ce soir tu peux être certain que la maintenance va être là dans dix minutes.INT : si c’est quelque chose qui n’est pas urgent ça se peut qu’il n’y aille pas tout de suite?O2 : c’est ça ben c’est sûr que la personne qui a fait la remarque aimera pas ça parce que pour elle c’est urgent pour le contremaître ça ne l’est pas. Si tu veux décider tu as rien qu’à aller [être] contremaître là. C’est ça que je me dis moi dans le fond ta job à toi c’est de le dire tu l’as dit si tu te blesses ou si ça ralentit si ça brise [fait le geste de s’en laver les mains] : contremaître. [Statut – Individu]

Comme le montre l’extrait ci-dessus, c’est au contremaître que reviennent les décisions.

L’ouvrier, quant à lui, a pour principale tâche d’exécuter; ceci ne lui donne pas la légitimité

d’intervenir dans la prise de décision concernant la production. Pour l’ouvrier 2, le

problème réside essentiellement dans le respect de l’ordre établi, ce qui passe en grande

partie par le statut hiérarchique, qui lui, détermine les actions à poser et le comportement

qui en résulte dans le cadre d’un statut particulier. En ce qui concerne la source du

problème, l’organisation ne pose pratiquement aucun problème pour l’informateur. Le

respect du statut, lui, est attribué aux individus.

Contrairement aux autres ouvriers, cet informateur ne parle pas des relations avec les

supérieurs comme de quelque chose de litigieux. Au contraire, pour lui, ce sont les

travailleurs qui entretiennent une relation de rivalité envers les cadres.

Exemple 5

O2 : je ne dirais pas ça moi <non>. Je n’ai pas vu ça j’ai jamais vu de dénigrement ils n’ont rien à gagner à faire ça.INT : non ça doit.O2 : ça fait longtemps qu’ils ont compris ça. J’ai hâte que des fois il y en a sur le plancher qui comprennent ça aussi. C’est certain que le boss n’a rien à gagner à slaquer 50 personnes. Quand il fait une réunion pour slaquer 50 personnes quand même tu crierais après. Le boss ce qui veut ce n’est pas en slaquer 50 c’est en gagner 50. Il veut être plus gros que son chum qui en a une plus grosse c’est ça, c’est rien que ça, ce sont des affaires. Moi je ne pense pas hein… de toute façon quand ils se mettent sur un gars qu’ils n’aiment pas ce n’est pas trop long soit qu’ils lui donnent de l’argent crisse ton camp soit qu’ils se mettent pis ils lui montent un

62

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dossier. Tu sais s’ils veulent c’est eux autres qui ont le pouvoir, ils mettent dehors. Mais ça marche pas autant dans un sens que dans l’autre. Il y a bien plus de haine en montant dans la pyramide qu’il peut y en avoir de haut en bas. Le boss n’a rien à gagner à haïr son employé qui lui fait gagner de l’argent. S’il l’écœure il prend son temps s’il prend son temps le boss n’a plus une cenne. [Extrait non codé]58

De plus, il souligne à quelques reprises que la meilleure façon de fonctionner au travail,

c’est d’éviter les conflits avec qui que ce soit étant donné le nombre d’années pendant

lesquelles tu dois travailler avec ces personnes.

Exemple 6

INT : pis l’entente elle est comment en général avec les contremaîtres?O2 : moi je peux parler de mon cas à moi j’ai, j’ai une mentalité ben simple ben, ben simple pis ça marche pas rien qu’avec le contremaître ça marche du plus intelligent que je considère le plus intelligent chez ABC au gars que je considère le plus cave chez ABC. Je peux aussi bien l’avoir pendant 20 ans dans la face fait que je suis aussi bien de l’endurer comme il est là si je le trouve cave j’ai rien qu’à pas jaser avec. Je ne resterai pas dans son coin pis je ne m’assoirai pas à table avec lui ben je ne me pognerai pas avec. Je peux aussi bien l’avoir 20 ans dans face ce gars-là.INT : ça ne doit pas être tout le monde qui pense de même?O2 : eille crisse non, non, non c’est sûr. C’est sûr qui en a qui sont pointus pointus pis qui s’en foutent tu sais des fois tu les vois ces deux-là s’ils se pognent ça va revoler ben raide quitte à se faire la baboune pendant deux trois ans c’est-tu innocent on dirait un vieux couple. Ben c’est ça pareil une usine tu sais je peux rester 15 ans encore si je me pogne avec une espèce de tête de cochon qui l’est autant que moi si ce n’est pas plus on va se faire la baboune pendant 5 ans comme deux imbéciles. Ça me tente pas au pire il jase pis je continue à marcher peu importe c’est ma mentalité qui… Peu importe la personne il faut que tu deales avec. Pas le choix. [Extrait non codé]

Enfin, pour l’ouvrier 2, malgré les changements organisationnels qui ont entraîné un climat

plus impersonnel, les problèmes de communication concernent essentiellement le non-

respect du statut de chacun. Pour lui, même les relations interpersonnelles doivent être

soumises à un certain contrôle, c’est-à-dire qu’elles doivent être le moins conflictuelles

possible.

58 Cette note signifie que l’extrait nous est utile pour illustrer une partie de l’analyse, mais qu’il ne représente pas une sous-dimension, de sorte qu’il est « non codé ».

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3.4.3 Ouvrier 3

L’ouvrier 3 est au service de l’entreprise depuis 30 ans. Pour ce dernier, ce sont les sous-

dimensions relationnelles qui ressortent. La source des problèmes de relation est quasi

exclusivement l’individu.

Lors de l’entrevue, il a surtout parlé du rapport d’autorité qui lie les individus les uns aux

autres et du statut déterminé par le poste occupé.

Tableau 5 – Répartition des sous-dimensions pour O3

Sous-dimensionPartie 1

Individu Organisation

TOTALPartie 1

Partie 2

Individu Organisation

Relation

Rapport d’autorité * *Statut * * *ReconnaissanceÉcouteConfiancePersonnalitéAttitudeConsidérationSentiment d’appartenance CNDimension humaine * CN

7

*

* *

Instruction Organisation Instruction Organisation

Information

Support de transmissionFeed-backInflationCarence *L’accèsEncodageDécodageConsultationAction * *Circuit d’informationCircuit d’information –décalage de temps

2

Légende * : occurrenceCN : occurrence d’un changement négatif

Ce qui distingue cet informateur d’un travailleur ayant moins d’expérience, c’est

essentiellement son rapport à l’autorité. En fait, il accorde peu d’importance et de

crédibilité à ses supérieurs, encore moins aux contremaîtres (1) puis aux ingénieurs (2).

Ainsi, il déplore l’embauche d’un contremaître de 27 ans (1). Le fait que l’informateur

possède autant d’expérience le place dans une position difficile par rapport à son supérieur,

64

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qui est plus jeune et moins expérimenté. Il se retrouve donc sous les « ordres » de

quelqu’un à qui il n’accorde aucune crédibilité.

Exemple 7

O3 : le contremaître je te dirais ça va être plate ce que je vais te dire là c’est que nous autres on avait des contremaîtres anciennement c’est que c’est des gars de l’usine qui étaient contremaîtres. Quand les gars arrivaient à un certain âge, ils prenaient le gars pis ils l’amenaient contremaître ils lui demandaient s’il voulait, le gars s’il disait oui parfait tu t’en viens contremaître. Après ça, ils demandaient aux [autres] gars on prend lui ça prend un contremaître est-ce qu’il y a des pour est-ce qu’il y a des contre. À ce moment-là le gars lui ben il savait comment l’usine marche. Il sait comment le produit, il sait comment les plieuses marchent, les soudeuses, la spotte toutes les machines, la plieuse il connaissait ça lui. Ça allait plus vite on demandait un renseignement ça allait bien. Là ils engagent du monde de l’extérieur tu sais pis le gars il ne connaît pas. Il ne sait pas c’est quoi il ne sait pas c’est quoi la soudure il a jamais soudé de sa vie il ne sait pas comment une plieuse marche il ne sait pas comment le spotte marche. Pour te dire que là tu as jasé un peu avec ce gars-là ça ils sont corrects ça ils n’ont pas de problèmes avec ça pitonner sur un ordinateur ça ils n’ont pas de trouble avec ça rentrer des cartes de temps ça ils n’ont pas de trouble avec ça. Fait que nous autres l’information à ce moment-là on ne peut pas aller voir le foreman pis lui demander il n’est pas capable de répondre.INT : ah non?O3 : non il n’est pas capable de répondre.INT : il sert à quoi d’abord?O3 : c’est un policier.INT : un policier? <hum hum> comment ça?O3 : ben il surveille les gars voir si les gars jasent pas trop ensemble pis s’il y a pas de perte de temps <ah ouais>. Ouais des affaires de même pis souvent on fait référence avec notre gars qui prépare les pièces notre préparateur lui ce gars-là c’est un gars ça fait plusieurs années qu’il est à la shop pis c’est un ancien plieur. Très bon plieur pis lui on lui demande pis il est capable de nous répondre. Pis souvent nous autres avec l’expérience qu’on a on sait que c’est bon ou ce n’est pas bon ou c’est correct ou ce n’est pas correct. [Statut – Individu] et [Rapport d’autorité – Individu]

Cet employé entretient également un rapport tendu avec le groupe des ingénieurs (2). Il

déplore que les ingénieurs ne consultent pas les ouvriers, eux qui ont l’expérience et les

connaissances qui en résultent. En fait, ce qui cristallise les problèmes, c’est l’absence de

prise en compte des connaissances et des compétences de l’employé.

65

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Exemple 8

INT : pis l’ingénieur lui il vient-tu?O3 : l’ingénieur?INT : ouais.O3 : l’ingénieur de quoi?INT : il y a des ingénieurs non?O3 : les ingénieurs. Le seul ingénieur pour nous autres qui a de l’allure qu’on est capable de lui expliquer de quoi pis de nous répondre c’est X [nom de l’ingénieur] <rires>.INT : ça ne va pas bien avec les ingénieurs?O3 : ben. Ben le boss des dessinateurs en haut je ne sais pas s’il est ingénieur mais en tout cas je suis sûr qu’il ne sait pas c’est quoi un top de lavage pis qu’il ne sait pas c’est quoi une table chaude pis qu’il ne sait pas c’est quoi un frigidaire lui.INT : ah oui?O3 : ben je suis pas mal sûr, je suis pas mal certain. Je suis pas mal certain.INT : fait que eux ils ne viennent jamais en bas? O3 : non c’est très rare ils vont venir voir où ce qu’on est rendu si ça sort. Ils vont venir te voir mettons que ça presse là ils vont venir voir pour te mettre un petit peu de pression.INT : les ingénieurs?O3 : ben les boss de ça là. Hum. Les ingénieurs on en a souvent démerdés des ingénieurs.INT : ah ouais?O3 : ah mon dieu seigneur oui.INT : qu’est-ce que vous faisiez?O3 : ben ils ne savaient pas quoi faire pis on leur disait. Eux autres ils ont le jonc ça veut pas dire qu’ils ont l’expérience là. Moi je leur dirai pas quoi faire aux ingénieurs ils ont plus de scolarité que moi. Mais dans l’usine ils ne me diront pas quoi faire. Ça c’est certain qu’ils ne me diront pas quoi faire. [Extrait non codé]

Du côté des collègues, les relations avec les « jeunes » ouvriers sont parfois tendues; les

jeunes ne travaillent pas tous selon les méthodes des plus expérimentés. Selon O3, ceci est

la conséquence d’un manque d’organisation et d’une mauvaise gestion de l’entreprise, la

gestion étant l’apanage des cadres.

Exemple 9

O3 : améliorer les affaires. Mettre les bonnes personnes aux bonnes places pis dire aux gars regarde on marche droit. C’est ça qu’il faut faire pis c’est ça. Quand tu dis au gars qui plie un morceau plie-le. « Ah c’est, c’est » plie-le. Tu

66

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sais il n’y a pas assez de pogne c’est comment je te dirais c’est tous des jeunes à gérer, des jeunes c’est difficile.INT : ah oui pourquoi?O3 : nous autres on a plus… tu sais le jeune « ah regarde c’est pesant, c’est gros je suis tanné c’est plate faire ça ».INT : ils disent ça?O3 : ben oui. Si ça fait pas ton affaire mon homme punch ta carte pis décrisse d’ici là. Mais ce n’est pas ça qu’ils font. « Ah ben on va essayer de regarder ça là on va regarder ça là ». Fait que le gars quand il voit un autre poste ben il affiche sur un autre poste fait que là on perd un plieur ou bien ou ben on perd un soudeur un monteur pis ça recommence tout le temps. T’es pas capable de garder des gars habitués là pis dire c’est ça pis on marche de même pis on va s’organiser pour marcher de même si ça t’intéresse de travailler là on va on va te garder pour que tu travailles pis tu restes là. Ce n’est pas dur à marcher ça là là.INT : mais ça fonctionne pas de même.O3 : non. Non. [Action – Instruction]59

Cependant, les autres entrevues nous témoignent du fait que les employés expérimentés

ont, en quelque sorte, un privilège « d’accès » aux supérieurs. Par exemple, lorsqu’il a un

problème quelconque, l’ouvrier 3 s’adresse directement au directeur d’usine ou, encore, il

se rend directement au bureau des concepteurs lorsqu’il a besoin d’une information ou

qu’il désire faire un commentaire. Cette « liberté » est difficilement envisageable ni

acceptable pour l’ensemble des ouvriers.

Exemple 10

INT : ça serait quoi le moyen le plus efficace d’obtenir de l’information que vous n’avez pas?O3 : nous autres quand on n’a pas d’information on va voir direct le boss. INT : le boss c’est qui?O3 : ben nous autres le boss c’est X [nom]. On lui explique.INT : c’est qui lui?O3 : lui c’est le directeur d’usine.INT : ah c’est le directeur d’usine vous allez le voir directement?O3 : je n’ai pas de gêne avec ça.INT : pis il est ben ouvert?O3 : ah oui c’est lui qui nous l’a offert. « S’il y a quelque chose qui ne marche pas ouvrez la porte entrez ». Il est là pour ça. On va voir le gars ça marche pas la patente on lui explique alors lui il fait venir ses contremaîtres pis il jase avec eux autres. [Extrait non codé]

59 De prime abord, ce codage peut sembler surprenant. La raison en est la suivante : pour le participant, il apparaît que le gestionnaire n’a tout simplement pas rempli sa tâche de direction.

67

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On comprend bien que les problèmes d’information sont pratiquement inexistants pour

l’ouvrier 3, qui a accès à n’importe qui à n’importe quel moment. Surtout, sa grande

expérience lui permet d’être autonome et autosuffisant dans l’acquittement de ses tâches.

Du côté des sous-dimensions de la relation, l’informateur signale au passage que

l’entreprise a entrepris un virage organisationnel qui a eu des répercussions notamment sur

l’ambiance. Pour lui, des problèmes de communication surviennent quand des cadres plus

jeunes et moins expérimentés ne prennent pas en compte ses connaissances. Car ce qui fait

de lui un atout pour l’entreprise, c’est l’expérience.

En conséquence, l’ouvrier 3 possède souvent plus d’expérience que ses supérieurs. Le

statut et le rapport d’autorité – qu’il ne respecte pas – posent alors essentiellement

problème parce que ceux qui occupent une position hiérarchique plus élevée ne

reconnaissent pas son expérience. Donc, pour lui, des problèmes de communication ont

trait à un manque de considération des compétences professionnelles.

68

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3.4.4 Ouvrier 4

Tableau 6 – Répartition des sous-dimensions pour O4

Sous-dimensionPartie 1

Individu Organisation

TOTALPartie 1

Partie 2

Individu Organisation

Relation

Rapport d’autoritéStatutReconnaissanceÉcoute * CN *Confiance * *PersonnalitéAttitudeConsidération CN * * *Sentiment d’appartenance CNDimension humaine *

11*

* * *

*Instruction Organisation Instruction Organisation

Information

Support de transmissionFeed-back *InflationCarence * *L’accèsEncodageDécodageConsultationActionCircuit d’information *Circuit d’information –décalage de temps

4

Légende * : occurrenceCN : occurrence d’un changement négatif

Pour l’ouvrier 4, ce sont les sous-dimensions relationnelles qui ressortent. L’individu et

l’organisation sont répertoriés dans des proportions semblables. L’ouvrier 4 est au service

de l’entreprise depuis 15 ans. Celui-ci s’est déjà fait offrir un poste de cadre60, car son

expérience dans un domaine bien particulier en faisait une ressource pour d’autres groupes

d’employés (les ingénieurs, par exemple). Si nous observons les résultats, nous voyons que

les sous-dimensions abordées touchent, dans des proportions semblables, l’individu et

l’organisation. Les sous-dimensions informationnelles de la communication sont

essentiellement appelées dans la catégorie des messages organisationnels.

Pour leur part, les problèmes de nature relationnelle, dont la source est l’individu, sont en

grande partie explicables par le conflit qui prend place entre l’employé et un supérieur.

Aux yeux de l’informateur, le supérieur en question freine sa motivation au travail et son

60 Il avait refusé étant donné l’interdiction syndicale d’effectuer des tâches manuelles dans les fonctions de cadre.

69

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avancement professionnel. Le problème de relation professionnelle se joue essentiellement

avec ce directeur.

Exemple 11

INT : pis la relation avec le directeur de production est moins bonne qu’avec celui qui était là avant?O4 : absolument.INT : qu’est-ce qui est différent mis à part que lui il prend ses décisions?O4 : ben demander une opinion pour moi ça veut dire tu dois immédiatement… pas immédiatement mais quand tu vas faire des démarches à ce sujet-là tu vas revenir avec la personne. Tu as commencé une relation ben il faut que tu ailles au bout ou bien interromps là dis on aura plus besoin faut… faut que tu ailles mettre un terme ou bien continuer mais tu ne peux pas laisser ça ambigu ou quand tu laisses des situations comme ça ambiguës pour moi tu crées des mauvaises relations. Pis comme on est dans une grande famille quand on travaille dans une entreprise c’est important. Pis lui ben il l’a pas tandis que l’autre s’il était tanné ou bien, il venait te le dire. Tu sais « ah finalement je mets ça de côté je ne veux plus rien savoir ah j’ai changé ma chose je regarde ça avec un tel ». Mais tu savais qu’il faisait de quoi. Tandis que là tu ne sais plus s’il continue, s’il t’a écouté. Pis des fois tu penses que tu es plus écouté pis paf il te revient dans la face. Eille ça là tu m’avais parlé de ça mais là tu sais jamais.INT : c’est comme pas constant?O4 : ah vraiment pas constant. Quand ils sont dans la merde… ce n’est pas compliqué je faisais tous les prototypes pis là ils ont décidé vu que j’ai refusé certains postes. Ils étaient peut-être frustrés vis-à-vis ça mais c’était mon choix. Asteure ils ont décidé d’essayer de les faire faire par d’autres quand ils ne sont pas capables je les ramasse tous pis je les fais pis je trouve ça drôle. Mais il faut toujours qu’ils soient accotés au pied du mur pour venir me voir. Mais ils viennent me voir encore régulièrement. INT : ah ouais pis les autres employés comment ils vivent ça eux autres?O4 : il y en a plusieurs qui viennent me voir pour savoir comment ça ils ne t’ont pas consulté. [Considération – Individu]

Par ailleurs, les sous-dimensions informationnelles qui ont été relevées s’inscrivent dans un

contexte de relation. En effet, la carence d’information et la défaillance du processus de

feed-back créent en quelque sorte un climat de suspicion qui peut se traduire, par exemple,

par un manque de confiance. Mais ce qui ressort de façon marquée de l’entrevue, c’est

encore une fois l’idée de considération. Dans le cas de l’ouvrier 4, on entrevoit une perte

par rapport à avant. En effet, en raison de ses connaissances, l’ouvrier était considéré

comme un expert auquel on faisait régulièrement affaire et, même, qu’on intégrait à divers

70

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projets en collaboration avec des cadres de différents départements. Le directeur duquel il

dépend présentement semble accorder beaucoup moins d’importance à ses connaissances.

Par conséquent, sa participation aux projets de l’entreprise est moins sollicitée.

Exemple 12

O4 : c’est que lui il garde plus ça en-dedans pis tu le sais quand c’est arrivé. Tu ne vois pas les coups venir. Il implante des choses il vient te voir pour demander ton opinion mais c’est déjà décidé. Comment tu dis ça <ça ne change rien>? Finalement il aurait dû ne pas te le demander tout simplement. Parce que ben un exemple ben banal c’est que il voulait acheter une nouvelle presse plieuse ça fait trois ans qu’ils en parlent. Ils m’ont amené au Connecticut, à New York, à Granby, à Montréal, je suis allé un petit peu partout les voir j’étais le seul employé qui est allé avec le grand patron ainsi que le nouveau directeur de la production. On a fait le tour on est allés un peu partout c’est de l’investissement d’amener l’employé. Pis j’ai été mis de côté temporairement pis là je viens d’apprendre qu’ils recommencent le processus avec un autre. Mais ils refont la même affaire. C’est de l’argent gaspillé. [CN – Considération – Individu]

Pour lui, cette baisse d’estime a entraîné une rupture de confiance, la perte du sentiment

d’appartenance, un manque d’écoute, et tous ces problèmes sont générés par l’entreprise.

L’informateur conçoit donc les problèmes de communication comme un manque de

considération, plus précisément un manque de considération de ses compétences

professionnelles.

3.5 Les ouvriers : la synthèse

Les résultats montrent clairement que, pour les ouvriers, les problèmes de communication

sont des problèmes de relation. En effet, les tableaux 3 à 6 illustrent deux faits saillants :

1. tous les ouvriers ont abordé de manière quasi exclusive les thèmes touchant la relation interpersonnelle au cours de l’entrevue;

2. tous les ouvriers ont défini les problèmes de communication (deuxième partie de l’entrevue) comme des problèmes relatifs à la relation.

Évidemment, plusieurs facteurs agissent sur la signification que donne un individu des

problèmes de communication. Parmi ces facteurs, nous comptons la personnalité de

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l’ouvrier, son histoire dans l’entreprise, le poste qu’il occupe, ses relations, son statut de

syndiqué, etc. Ce qui est intéressant de relever ici, c’est que, pour le groupe des ouvriers,

l’information ne pose en aucun cas problème. Malgré certaines nuances, nous pouvons en

somme confirmer la proposition de recherche selon laquelle, pour les ouvriers, les

problèmes de communication se définissent comme des difficultés dans les relations

interpersonnelles.

Le tableau 7 révèle, pour chaque ouvrier, la tendance qui se dégage de l’analyse des entre­

vues. Cette tendance a déjà été évoquée précédemment, à la fin de l’analyse des résultats.

En y regardant de plus près, on constate que pour trois ouvriers sur quatre le manque de

considération de l’individu est le principal « problème » qui ressort de l’analyse des entre­

vues.

Tableau 7 – Synthèse pour le groupe des ouvriers

OUVRIER TENDANCE DÉGAGÉE

O1 Le manque de considération de l’individu et de ses besoins

O2 Le non-respect du statut

O3 Le manque de considération des compétences professionnelles

O4 Le manque de considération des compétences professionnelles

En lien avec ce qui précède, un dénominateur commun se dégage : le rapport à l’identité.

L’image que nous voulons donner a besoin d’être entérinée par autrui. Si l’interlocuteur ne la confirme pas, cela produit un malaise et un sentiment d’ébranlement identitaire. La quête de la reconnaissance qui sous-tend bien des communications obéit à une motivation fondamentale qui est la recherche de valorisation61 (exister aux yeux d’autrui, être apprécié, être accepté comme un interlocuteur valable, être reconnu dans son individualité…). (Lipiansky, 1998b : 57)

Ainsi ressort la nécessité d’être reconnu en tant qu’individu, un individu ayant des besoins,

des sentiments, mais ayant aussi – dans un contexte professionnel – des compétences. À

l’opposé, l’ouvrier 2 conteste en quelque sorte l’individu et son besoin de reconnaissance 61 C’est l’auteur qui souligne.

72

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identitaire, ce besoin de faire valoir son identité propre. Ce qui est d’autant plus intéressant,

c’est d’observer que pour l’ouvrier 2, l’identité pose problème dans une logique tout à fait

inverse vis-à-vis de ses collègues. En effet, en souhaitant que chacun respecte la

délimitation de ses tâches à l’intérieur de son statut et que les aversions relationnelles

soient en quelque sorte réprimées, cet ouvrier s’inscrit dans ce rapport à l’identité. Pour lui,

l’identité de l’individu doit être soustraite au profit de l’identité définie par la structure

organisationnelle.

En résumé, les résultats démontrent clairement que les ouvriers de l’échantillon ont pour

principal « problème » le rapport à l’identité. Parce que « l’identité est un enjeu de la

communication, elle en est aussi la résultante » (Lipiansky, 1998b : 58).

3.6 Les cadres : les résultats

Au cours des pages suivantes sont présentés et analysés les résultats obtenus pour chacun

des informateurs du groupe des cadres.

73

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3.6.1 Cadre 1

Tableau 8 – Répartition des sous-dimensions pour C1

Sous-dimensionPartie 1

Individu Organisation

TOTALPartie 1

Partie 2

Individu Organisation

Relation

Rapport d’autorité *StatutReconnaissanceÉcouteConfiancePersonnalité *AttitudeConsidérationSentiment d’appartenanceDimension humaine * *

4*

Instruction Organisation Instruction Organisation

Information

Support de transmissionFeed-backInflation *Carence *L’accèsEncodageDécodageConsultation *Action *Circuit d’information *Circuit d’information –décalage de temps

5

* *

* *

*

**

Légende * : occurrenceCN : occurrence d’un changement négatif

Le cadre 1 compte 15 ans de service dans l’entreprise; avant de devenir contremaître, il a

été ouvrier. La première partie de l’entrevue montre que les deux dimensions de la

communication font problème. Néanmoins, en s’attardant à la réponse qui concerne la

deuxième partie de l’entrevue, on constate que l’informateur conçoit les problèmes de

communication comme des problèmes d’information. En ce qui a trait aux problèmes de

type relationnel qui ont pu émerger, il faut préciser que ces problèmes représentent

essentiellement des difficultés avec les supérieurs.

Exemple 13

INT : alors vous votre patron vous allez le voir?C1 : de temps en temps.INT : de temps en temps pis c’est pour quelles raisons?C1 : je ne le sais pas. Je n’aime pas ça aller voir mes boss <rires>. Je n’aime pas.INT : c’est rare. À quoi ils servent?

74

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C1 : ils me cassent les pieds des fois… se mêler de leurs affaires des affaires qui les regardent pas. Aujourd’hui ben il est venu me voir parce qu’on a des urgences. Mode urgent il est venu trois quatre fois pour que s’il y a une machine qui arrête il faut qu’on le sache. Oui vous le saurez toujours si une machine arrête. Trois quatre fois. [Rapport d’autorité – Individu]

Cet extrait montre que les relations du contremaître avec son patron ne sont pas plus faciles

que les relations des ouvriers avec le contremaître. Si les relations sont ardues avec les

supérieurs, il semble qu’elles soient meilleures avec les ouvriers. Ce qui est surprenant ici,

au regard des autres entrevues (ouvriers et cadres), c’est la proximité dans la relation de ce

cadre avec ses employés (ouvriers). Contrairement à ce que peuvent dirent les ouvriers, ce

contremaître semble se soucier des relations qu’il entretient avec ses employés. Les deux

prochains extraits illustrent, respectivement, la considération qu’il leur témoigne et la

dimension humaine qui caractérise ses relations professionnelles avec eux.

Exemple 14

C1 : Ben souvent c’est nos employés c’est eux autres qui sont sur l’ouvrage pis qui viennent nous voir. C’est eux autres qui nous en suggèrent plus que nous autres on peut en trouver moi je l’ai toujours dit. Des fois le monde viennent nous voir est-ce qu’on peut souder ça ça et ça regarde toi tu vas voir tel polisseur c’est lui le spécialiste ou le soudeur pis le polisseur pis le plieur. Moi je réfère toujours à mes employés parce que c’est eux autres les spécialistes. Moi je ne peux pas connaître toutes les machines pis eux autres ça fait des 15 ans, 20 ans que ça plie 20 ans que ça découpe pis ça connaît les machines. C’est eux autres qui connaissent leur machine ils vont savoir quoi faire, [quoi] pas faire. [Extrait non codé]

Exemple 15

C1 : c’était à quatre heures quand on s’en va parce que les gars punchent62 à côté de mon bureau donc ceux qui punchent […] ils repassent par là pis ils viennent me souhaiter un beau [bonjour].INT : ah ouais!C1 : oui oui. Il y en a beaucoup qui font le détour là pis qui passent pis qui disent « salut X » pis ils s’en vont. INT : ah c’est bien.C1 : oui pour ça je suis assez content de ça ben moi je me suis fait une politique de, tous les matins je fais tous mes employés quand ça sonne à sept heures là moi j’ai un grand grand grand département il est grand mon département dans l’usine <ouais>. Parce que les machines sont loin <ok> pis mais tous les matins je passe par tout mon monde.

62 Signifie passer à l’horloge de pointage.

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INT : ah ouais!C1 : tous les matins bonjour à tous mes employés tout le temps. [Extrait non codé]

Si l’on s’attarde à sa définition des problèmes de communication (deuxième partie de

l’entrevue), on conclut rapidement qu’il s’agit de problèmes d’information. Malgré la

variété des sous-dimensions relevées, deux d’entre elles ressortent de l’entrevue :

l’inflation (exemple 16) et le support de transmission des messages organisationnels. En

effet, le contremaître mentionne à quelques reprises qu’il est littéralement enseveli sous les

messages. Comme l’illustre l’exemple 17, la meilleure façon de se comprendre réside,

selon lui, dans l’interaction en face à face.

Exemple 16

C1 : trop de réunions même les patrons un moment donné ils ont envoyé un message la « réunionnite » là. C’est que les réunions un moment donné […]. Des réunions il y en a trop. Des fois on cherche du monde ils sont en réunion <rires>. Pis des fois on veut planifier une petite réunion ou pas grand-chose pis là on convoque notre monde pis on voit s’ils sont libres ou pas dans la journée pis des fois c’est un jour deux jours trois jours. Ils ne sont jamais là ils sont toujours en réunion. [Inflation – Organisation]

Exemple 17

C1 : […] ils disent il faut que ce soit écrit des fois je trouve que verbal ça va bien plus vite pis [incomp.]. C’est sûr des fois que ça prend qu’il faut de l’écrit mais trop d’écrits un moment donné on le lit plus on se tanne ou des fois faudrait que j’imprime tout ce qu’on reçoit pratiquement pour le relire après dans la journée et l’imprimante est à l’autre bout de l’usine. Ça me tape. Je lis un petit peu puis je l’efface pis je trouve qu’une communication pour bien s’entendre avec quelqu’un pour se comprendre bien souvent c’est de se parler pis je trouve que ça ne se fait pas beaucoup. [Support de transmission – Organisation]

Les sous-dimensions informationnelles qui posent problème sont surtout relatives aux

messages de type organisationnel. Cet autre point est également très pertinent, puisque

pour les autres cadres, ce sont plutôt les instructions de travail qui posent problème (nous

le verrons plus loin). De plus, les sous-dimensions de la consultation et de l’action des

instructions de travail ne sont pas, comme on pourrait le croire, un problème venant des

ouvriers; il s’agit plutôt d’un problème attribuable aux autres cadres (ingénieurs,

dessinateurs, directeurs).

76

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En somme, pour le cadre 1, on recense quelques problèmes de relation qui se résument à

des relations professionnelles tendues avec les supérieurs. De façon plus évidente,

l’informateur définit les problèmes de communication par un trop-plein d’information qui

lui fait perdre du temps pour l’exécution de ses tâches. À notre grande surprise, les nuances

apportées à l’analyse des résultats pour le groupe des cadres révèlent des similitudes avec

les réponses du groupe des ouvriers. Elles apparaissent notamment en ce qui concerne les

relations difficiles avec les supérieurs, le désintérêt pour les instructions de travail et la

qualité de la relation avec les employés. Par ailleurs, nous pouvons conclure que, pour le

cadre 1, les problèmes de communication sont essentiellement des problèmes de support

de transmission et de flux des messages organisationnels.

3.6.2 Cadre 2

Le cadre 2 est ingénieur de procédés et il est à l’emploi de l’entreprise depuis cinq ans. Sa

tâche principale est de développer et de définir les procédures de travail. Pour le cadre 2, ce

sont les sous-dimensions informationnelles qui ressortent. Les instructions de travail sont

la source des problèmes d’information, et le tableau 9 le montre bien.

77

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Tableau 9 – Répartition des sous-dimensions pour C2

Sous-dimensionPartie 1

Individu Organisation

TOTALPartie 1

Partie 2

Individu Organisation

Relation

Rapport d’autoritéStatutReconnaissanceÉcouteConfiancePersonnalité *AttitudeConsidérationSentiment d’appartenanceDimension humaine

1

Instruction Organisation Instruction Organisation

Information

Support de transmission * * *Feed-back * *InflationCarence *L’accès *EncodageDécodage *Consultation *Action * * *Circuit d’informationCircuit d’information –décalage de temps

12

*

*

*

* ***

Légende * : occurrenceCN : occurrence d’un changement négatif

Ces problèmes d’information sont essentiellement relatifs à la transmission des instructions

de travail. Ceci s’explique en grande partie par la nature des tâches que l’ingénieur a à

accomplir, soit de concevoir les instructions de travail et de les diffuser.

Trois sous-dimensions ressortent de manière plus marquée, soit le support de transmission,

la consultation et l’action des instructions de travail. Il y a une corrélation entre ces

résultats et le poste qu’occupe le cadre. Pour lui, ce qui pose le plus problème, c’est de

trouver la manière la plus efficace pour que les instructions, le fruit de son travail, se

rendent à bon port.

Exemple 18

C2 : pour l’instant ce n’est pas eux qui tirent sur les instructions c’est nous qui essayons de pousser. Puis on essaie de trouver un moyen de diffuser on est pris à l’étape deux [de] comment diffuser nos instructions. Temporairement on les imprime puis on les donne aux contremaîtres. [Support de transmission – Instruction]

78

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Une fois l’information diffusée, la finalité de cette information est d’entraîner un

changement quelconque, c’est-à-dire, ici, d’accomplir la tâche relative à l’instruction. Ce

problème se traduit par des instructions de travail non consultées ou non appliquées.

Évidemment, ces derniers éléments entraînent des complications importantes du point de

vue de la production : pièces non conformes, ralentissement, etc.

Exemple 19

INT : quel est le canal le plus efficace pour les transmettre c’est un peu comme vous avez dit on travaille là-dessus puis… Ces instructions écrites-là est-ce qu’elles aident vraiment les ouvriers à faire leur travail selon vous quand ils y ont accès évidemment?C2 : mais quand ils réussissent à avoir accès <oui>. Il faudrait qu’ils la lisent, qu’ils la comprennent moi je pense qu’on touche à un faible pourcentage d’utilisateurs qui sont en mesure de la lire de l’appliquer. [Décodage – Instruction], [Consultation – Instruction] et [Action – Instruction]

Du reste, il est intéressant de constater à quel point la dimension relationnelle est absente

des résultats.

En somme, la préoccupation première du cadre 2 est de trouver le moyen (le support) pour

diffuser ses instructions afin qu’elles soient lues et appliquées. Pour le cadre 2, des

problèmes de communication sont des problèmes de support de transmission et

d’application (d’action) des instructions de travail.

3.6.3 Cadre 3

Le cadre 3 est un cas très intéressant parce que singulier. En effet, c’est le seul participant

qui ait occupé un poste élevé dans la ligne hiérarchique (un poste dans la haute direction63)

avant de devenir contremaître. Ce changement de poste est un choix personnel qui n’a rien

à voir avec les compétences du cadre. Le cadre 3 est à l’emploi de l’entreprise depuis dix

ans et il est contremaître depuis deux ans.

63 Nous ne pouvons préciser le titre du poste occupé au risque de révéler l’identité du participant.

79

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Tableau 10 – Répartition des sous-dimensions pour C3

Sous-dimensionPartie 1

Individu Organisation

TOTALPartie 1

Partie 2

Individu Organisation

Relation

Rapport d’autoritéStatutReconnaissanceÉcouteConfiancePersonnalitéAttitude *Considération * *Sentiment d’appartenanceDimension humaine

3

Instruction Organisation Instruction Organisation

Information

Support de transmissionFeed-backInflation *CarenceL’accèsEncodageDécodageConsultation * *Action *Circuit d’informationCircuit d’information –décalage de temps

4

**

*

*

Légende * : occurrenceCN : occurrence d’un changement négatif

Si nous considérons les résultats obtenus, nous constatons que la définition des problèmes

de communication (deuxième partie de l’entrevue) touche des problèmes d’information

pour le cadre 3. Les sous-dimensions relevées pour la première partie de l’entrevue sont

toutefois assez partagées entre les dimensions de natures relationnelle et informationnelle.

Pour la relation, la sous-dimension d’attitude a été abordée lors de l’entrevue, ce qui ne

nous surprend pas étant donné que les contremaîtres ont à gérer des employés qui peuvent

avoir des comportements et des attitudes répréhensibles (négligence, nonchalance, non-

respect des consignes, etc.). Élément intéressant, le participant a exprimé à deux reprises

un manque de considération, une sous-dimension qui n’a jamais été rapportée par les autres

cadres. Ce résultat est en partie explicable par un événement très précis qu’a vécu ce cadre,

mais également par son changement de poste dans l’entreprise.

Exemple 20

C3 : […] j’ai trouvé ça très difficile quand j’ai été contremaître de voir comment on ne faisait plus partie de la stratégie de l’entreprise. Quand on est un contremaître ben en tout cas la façon que je le perçois <ouais tout à fait>. Moi je voyais je fréquentais

80

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souvent le président de l’entreprise, le vice-président, les directeurs on parle souvent des stratégies, où s’en va ABC, qu’est-ce qu’on va mettre comme moyen comment nous au X [département où il travaillait] on va les supporter. Et là tu t’en vas comme contremaître et là d’abord tu es pris dans le rythme de la production qui est très exigeant. Il y a des journées où je suis à mon bureau pis ça arrête pas deux minutes. J’ai l’impression de ne pas pouvoir respirer. Alors… et en plus de ça d’être dans ce rythme-là. Bien que l’entreprise veut nous informer sur ce qui se passe dans l’entreprise on ne fait pas partie de la décision hein. On est comme plus… on va supporter les décisions qui sont prises. Les décisions se prennent avant nous, on les supporte on n’a pas le choix elles sont prises on représente l’employeur. Donc on les supporte au niveau de la production mais on ne fait pas partie de cette stratégie-là de dire qu’est-ce que vous en pensez les contremaîtres. Vous avez quoi comme idée là-dessus. [Considération – Organisation]

En ce qui a trait à la dimension informationnelle de la communication, les résultats font

état de plusieurs sous-dimensions. Il faut souligner que cet informateur avait pour habitude,

au cours de l’entrevue, de répondre aux questions en essayant d’aborder tous les aspects

possibles64. Toutefois, ce qui ressort de l’échange, c’est que les problèmes de

communication correspondent à des problèmes d’encodage des messages

organisationnels et, dans une moindre mesure, d’action et de consultation des

instructions de travail. La première sous-dimension est définie comme une faiblesse des

cadres à ne pas bien « communiquer » alors que les deuxième et troisième sous-dimensions

font ressortir le pôle de la réception, c’est-à-dire la faiblesse des ouvriers à répondre à cette

communication.

64 Par exemple, au moment de définir ce qu’il entendait par des problèmes de communication, l’informateur signifiait qu’il ne voulait pas oublier d’aspects de la communication.

81

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3.6.4 Cadre 4

Tableau 11 – Répartition des sous-dimensions pour C4

Sous-dimensionPartie 1

Individu Organisation

TOTALPartie 1

Partie 2

Individu Organisation

Relation

Rapport d’autorité *Statut * * *ReconnaissanceÉcouteConfiancePersonnalité * *Attitude * * *ConsidérationSentiment d’appartenanceDimension humaine

9

Instruction Organisation Instruction Organisation

Information

Support de transmissionFeed-backInflationCarenceL’accèsEncodageDécodageConsultation * * *Action * *Circuit d’informationCircuit d’information –décalage de temps

5

*

*

Légende * : occurrenceCN : occurrence d’un changement négatif

Le cadre 4 occupe un poste de formateur en soudure. Il contribue, avec les ingénieurs, à la

conception des procédures de travail et à la formation des nouveaux employés en soudure.

Il faut préciser que le participant est cadre depuis deux ans et qu’il a été soudeur pendant

quatre ans auparavant.

À première vue, la relation peut sembler problématique pour ce cadre, surtout, si on le

compare aux autres cadres. Ce sont les sous-dimensions d’attitude et de personnalité qui

ressortent plus particulièrement. Pour le cadre 4, l’analyse plus détaillée des résultats

montre que les relations professionnelles sont ardues, essentiellement pour deux sous-

groupes : les contremaîtres et les ouvriers. Ceci s’explique par le fait que ce sont les

contremaîtres qui sont chargés de faire appliquer les procédures réalisées et enseignées par

le formateur. De plus, pour l’informateur, une mauvaise attitude de la part des ouvriers,

82

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telle que la nonchalance ou l’inattention, entraîne des problèmes de type informationnel,

tels que la non-consultation et la mise en action erronée des instructions de travail.

Exemple 21

INT : est-ce que c’est un problème important justement les malfaçons des ouvriers ou les procédures non appliquées?C4 : malfaçons oui c’est important. Procédures non appliquées c’est important. Il y a aussi de la nonchalance.INT : qu’est-ce que vous entendez par nonchalance?C4 : les gens s’en foutent un peu des fois. INT : oui?C4 : oui.INT : ils voient qu’elle a un défaut pis ils la laissent aller.C4 : ils font certains défauts ils ne font pas attention pis ils laissent aller ouais. Nous autres on est conscients de ça parce qu’on sait comment ça coûte on sait comment on perd. Tu sais dans le fond c’est le collectif qui le perd ça c’est sûr. C’est comme le vol dans les magasins dans le fond on paye tous pour ça pis les gens nonchalants on paye tous pour ça.INT : est-ce qu’il y en a beaucoup?C4 : il doit y en avoir un 25 % peut-être.INT : ah oui tant que ça.C4 : peut-être 25 %. [Attitude – Individu]

L’attitude de certains contremaîtres est également mise en cause à quelques reprises.

Exemple 22

C4 : il faut lui [en parlant du contremaître] expliquer exactement c’est quoi le processus.INT : fait que là c’est ça lui c’est une tâche de plus pis de ce qu’on m’a dit ça a l’air qu’ils sont déjà très débordés dans leurs tâches fait que ça peut être difficile.C4 : ça peut être difficile ça dépend pour quels contremaîtres. Il y en a qui n’ont pas de problème avec ça il y en a d’autres par contre ben c’est plus dur à faire passer.INT : selon vous qu’est-ce qui fait que ça fonctionne bien pis d’autres non?C4 : il y en a qui gèrent moins bien leurs tâches de travail je pense qu’ils sont plus loadés que d’autres à cause de ça. Pis ils n’ont pas vraiment le temps de s’en occuper à cause de la gestion de leur temps qui est peut-être moins bonne que les autres.INT : c’est une question de personnalité dans le fond?C4 : de personnalité ou il y en a qui y croient peut-être pas nécessairement non plus à ça. Sauf que selon nous, c’est pas mal la seule façon d’y parvenir, d’avoir une qualité constante. [Personnalité – Individu]

Pour ce cadre, les problèmes de relation sont concentrés principalement autour des

caractéristiques propres à l’individu, telles que l’attitude, la personnalité et le statut. Ainsi,

83

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les caractéristiques propres aux travailleurs deviendraient des obstacles à la tâche. En fait,

l’individu devient, pour lui, une cause potentielle des problèmes d’information.

Dans le cadre de son travail, le formateur intervient sur le plancher pour rappeler et faire

respecter la méthode de travail aux ouvriers, et ce, par l’entremise du contremaître. Ainsi,

si l’on compare ses résultats (tableau 11) avec ceux du cadre 2 – l’ingénieur des procédés –

(voir tableau 9 à la page 78), on remarque que la consultation et l’action de l’instruction de

travail sont, dans les deux cas, des éléments qui posent particulièrement problème. La

nature de leur tâche de travail explique cette ressemblance65.

Sa définition des problèmes de communication tourne essentiellement autour du support

efficace pour la transmission des instructions de travail66. Sa réponse à la question est en

continuité avec les sous-dimensions relevées pour la première partie de l’entrevue. Ce qui

pose problème au cadre 4, c’est de trouver le support de transmission des instructions de

travail le plus efficace dans le but de mettre un terme à ce qui entrave la consultation et

l’application (action) des instructions de travail.

3.7 Les cadres : la synthèse

Les résultats démontrent sans conteste que, pour les cadres, les problèmes de

communication sont des problèmes d’information. Des sous-dimensions relationnelles ont

été relevées pour chacun des cas, mais nous avons pu établir un lien entre ces sous-

dimensions relationnelles et les sous-dimensions de type informationnel.

La signification associée aux problèmes de communication n’est pas aussi circonscrite pour

les cadres que pour les ouvriers. Effectivement, le tableau 12 indique que, pour trois cadres

sur quatre, la tendance dégagée est composée de plus d’une sous-dimension. On peut

expliquer ce résultat par la nature informationnelle des problèmes, c’est-à-dire que dans le

65 Pour C4, aucun des problèmes n’a pour source les messages organisationnels.66 La dimension du circuit d’information de l’instruction de travail est répertoriée pour tous les cadres. Ces derniers doivent travailler avec plusieurs types de professionnels. Ainsi, plusieurs individus sont impliqués dans une même communication. Un message concernant une instruction de travail risque donc de ne pas joindre tous les membres d’un même circuit.

84

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processus de diffusion de l’information, les composantes sont très proches les unes des

autres. Par exemple, une instruction mal appliquée peut être la conséquence d’un mauvais

choix de canal doublé d’un problème d’encodage du message.

Tableau 12 – Synthèse pour le groupe des cadres

CADRE FONCTION TENDANCE DÉGAGÉE

C1 Contremaître Le support de transmission et le flux de messages organisationnelsC2 Ingénieur Le support de transmission et l’action des instructions

C3 Contremaître L’encodage des messages organisationnels

C4 Formateur en soudage Le support de transmission, la consultation et l’action des instructions

Nous confirmons donc la deuxième proposition de recherche, laquelle stipule que, pour les

cadres, les problèmes de communication sont des problèmes relatifs à la dimension

informationnelle de la communication.

Par ailleurs, un élément très important s’ajoute à l’analyse des résultats pour le groupe des

cadres. Comparativement aux ouvriers, qui occupent tous la même position hiérarchique,

l’échantillon des cadres est hétérogène. En effet, les cadres se trouvent à des niveaux

différents de la ligne hiérarchique. Il faut aussi mentionner que, dans notre corpus, aucun

des informateurs ne relèvent d’un autre informateur; ils n’ont pas de rapport hiérarchique

direct entre eux, aucun directeur ou directeur-adjoint ne faisant partie de l’échantillon. Ici,

c’est surtout la nature des tâches qui permet de dresser un portrait des relations

hiérarchiques dans l’organisation. La figure 2 représente, de manière très réductrice, les

relations hiérarchiques des uns par rapport aux autres (seuls les contremaîtres ont un

rapport d’autorité avec les ouvriers) ainsi que les relations fonctionnelles (en fonction des

tâches). Ce que nous appelons le statut hiérarchique fonctionnel est un statut qui ne donne

pas un pouvoir d’autorité au sens de pouvoir diriger mais plutôt au sens d’être celui qui est

le plus haut dans la délimitation des tâches à l’intérieur de la chaîne de production. Par

exemple, l’ingénieur occupe un statut fonctionnel supérieur au formateur. En contrepartie,

les deux ont le même supérieur immédiat.

85

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Légende

Relation fonctionnelle

Relation hiérarchique

Figure 2 – Représentation des relations hiérarchiques et fonctionnelles entre les informateurs

En conséquence, on peut établir une relation entre le statut fonctionnel du cadre et sa

définition des problèmes de communication67. Plus on monte dans la ligne hiérarchique

fonctionnelle, moins on se préoccupe des messages organisationnels et moins la dimension

relationnelle pose problème. Plus on est situé haut dans la ligne hiérarchique fonctionnelle,

plus les problèmes de communication se définissent par des problèmes d’information se

rapportant spécifiquement aux instructions de travail. L’analyse des résultats permet de

constater que, pour les deux contremaîtres (voir tableaux 8 et 10), ce sont les messages

67 Étant donné cette relation, nous avons ajouté au tableau synthèse (tableau 12) la fonction des cadres de l’échantillon.

Ingénieur

définir les instructions de travail

Formateur

participer à la conception des instructions et être

responsable de la formation

Contremaître

faire appliquer les instructions et être responsable de la

compétence des ouvriers

Ouvrier

être responsable de la conformité dans l’application des

procédures

86

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organisationnels qui posent problème contrairement à l’ingénieur et au formateur, pour qui

ce sont les instructions de travail. Évidemment, les tâches associées à chacun des statuts

expliquent en partie ces résultats.

Malgré tout, le statut hiérarchique fonctionnel a un impact sur la vie en organisation et sur

le rapport des individus à la communication, parce que, d’une part, plus on monte dans la

hiérarchie plus on participe à la prise de décision. Cette participation active permet d’avoir

de l’influence sur l’organisation et son fonctionnement. Par conséquent, on possède

également de l’ascendant sur la délimitation de son travail et, surtout, sur ses conditions de

travail (horaire plus flexible, par exemple). L’exemple ci-dessous illustre bien la liberté

dont jouissent les cadres qui occupent un statut fonctionnel plus élevé.

Exemple 23

C2 : il s’appelle X [c’est son directeur] lui on lui parle à tous les jours. Donc, dès qu’on voit que ça accroche, qu’on manque de temps ou qu’il faudrait améliorer comment on procède il nous laisse le champ libre au sujet de ça.INT : ça fonctionne bien?C2 : oui comme ça en début d’année je lui ai présenté un processus pour gérer nos projets. On a fait une revue ensemble pis il l’a acceptée ça c’est un des moyens d’améliorer notre condition.INT : est-ce qu’elle est bonne?C2 : oui parce qu’on définit nos tâches pis on peut lui dire ce projet-là ça prend 40 heures, ça prend pas 2 heures. [Extrait non codé]

D’une part, ce pouvoir d’intervention sur sa situation permet à l’individu de répondre à ses

propres besoins en participant à la mise en place des bonnes conditions. Ainsi, les besoins

de reconnaissance, d’écoute, de considération et de dimension humaine ne sont pas des

préoccupations. Un poste très élevé dans la hiérarchie est un signe, en soi, de

reconnaissance et de considération des compétences de l’individu. L’écoute et la

dimension humaine qui caractérisent les relations demandent du temps. Le travail de

gestion est caractérisé par des interactions quotidiennes entre dirigeants; leur temps de

travail est donc consacré, en bonne partie, à des rencontres de tout genre qui leur

permettent de « développer » la relation68.

68 Ceci doit s’interpréter dans un contexte de travail bien précis où les cadres, en comparaison avec les ouvriers, ont à entrer plus fréquemment en interaction.

87

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D’autre part, plus on monte dans la hiérarchie, moins on a de supérieurs. Il y a beaucoup

moins d’intermédiaires, ce qui permet d’obtenir et de diffuser plus efficacement de

l’information. On peut donc comprendre que l’accès aux messages organisationnels en est

de beaucoup facilité. À l’inverse, cette haute position complique la communication

descendante, une communication qui a pour principal but la diffusion des instructions.

Donc, plus on monte dans la ligne hiérarchique, plus on a du pouvoir. Par ce pouvoir, on a

accès plus facilement au centre de décisions et aux informations et on peut répondre à ses

différents besoins.

3.8 Les ouvriers et les cadres : les distinctions

Comme nous l’avons vu, la signification que donnent les informateurs aux problèmes de

communication ne fait pas consensus. Chacun définit la communication de manière assez

différente, mais c’est surtout l’expérience de cette communication et, plus précisément

dans le cadre de ce projet, l’expérience de la communication en contexte de travail qui

amène chaque travailleur à parler de la communication de façon bien distincte.

Dans les parties précédentes, nous avons analysé les résultats obtenus pour chacun des

deux groupes d’employés. Les résultats nous ont permis de confirmer nos propositions de

recherche de départ. Nous avons également atteint notre deuxième objectif : définir pour

chacun des deux groupes ce que sont, précisément, des problèmes de communication. Le

tableau 13 présente la synthèse des résultats.

88

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Tableau 13 – Synthèse des résultats pour le groupe des ouvriers et le groupe des cadres

OUVRIERS

Sous-dimensionPartie 1

Individu Organisation

TOTALPartie 1

Partie 2

Individu Organisation

Relation

Rapport d’autorité * * * * * * Statut * * * * * *Reconnaissance * *Écoute * * CN *Confiance * * * * * * *Personnalité *AttitudeConsidération * * * * CN CN CN

* *CN * * * *

Sentiment d’appartenance CN CN CN CNDimension humaine * * * * CN *CN * * CN

54

*** **

* * * * *

* * *

Instruction Organisation Instruction Organisation

Information

Support de transmission *Feed-back * * *InflationCarence * * * * *L’accèsEncodageDécodageConsultationAction * *Circuit d’information *Circuit d’information –décalage de temps

12

CADRES

Sous-dimensionPartie 1

Individu Organisation

TOTALPartie 1

Partie 2

Individu Organisation

Relation

Rapport d’autorité * *Statut * * *ReconnaissanceÉcouteConfiancePersonnalité * * * * Attitude * * * *Considération * *Sentiment d’appartenanceDimension humaine * *

17

*

Instruction Organisation Instruction Organisation

Information

Support de transmission * * *Feed-back * *Inflation * Carence * *L’accès *EncodageDécodage *Consultation * * * * * * *Action * * * * * * *Circuit d’information *Circuit d’information –décalage de temps

25

* * * *

* * * ***

* *

* ** ** * *

*

Légende * : occurrenceCN : occurrence d’un changement négatif

89

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3.8.1 La relation

Comme nous l’avons vu plus haut, les sous-dimensions relationnelles sont principalement

ressorties chez les ouvriers. Par ailleurs, les sous-dimensions relationnelles ont surtout été

relevées chez les cadres qui se trouvent au plus bas de la hiérarchie. On constate que la

sous-dimension de la personnalité ne pose problème pour pratiquement aucun des

ouvriers69, alors qu’il s’agit d’un problème relevé chez trois cadres sur quatre. On peut

penser que pour les cadres qui ont à gérer des travailleurs et à veiller à l’application des

consignes, la personnalité des individus peut représenter un obstacle. Pour ces cadres, dans

toute organisation, un pourcentage des travailleurs est une « cause perdue ».

Exemple 24

C1 : ben oui. Il y en a peut-être toujours un ou deux qui accrochent de temps en temps mais regarde. Il paraît que dans les entreprises c’est au moins 10 % du personnel qui est incurable.INT : il y a rien à faire.C1 : 10 % c’est nul il n’y a rien à faire c’est nul.INT : ah ouais c’est énorme hein!C1 : oui mais c’est partout 10 %. [Personnalité – Organisation]

La sous-dimension d’attitude n’est également ressortie que pour le groupe des cadres. Il

semble, pour les ouvriers, que ce ne soient pas les attitudes et la personnalité des individus

qui posent problème, mais plutôt ce qui est prescrit par l’organisation, tel que le statut et le

rapport d’autorité. Parce que les ouvriers sont au bas de la hiérarchie, ils doivent lutter pour

le pouvoir (obtention) et contre le pouvoir (répression), alors que les cadres qui possèdent

un pouvoir plus ou moins grand doivent lutter, eux, pour avoir de « parfaits » exécutants

(attitude et personnalité).

3.8.2 L’information

La dimension informationnelle constitue essentiellement un problème pour le groupe des

cadres. Les ouvriers ont à peine abordé cette dernière. Les problèmes d’information qui ont

été soulevés par les ouvriers concernent surtout les messages organisationnels. Il est

69 Sous-dimension relevée une seule fois pour O2.

90

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important de préciser, en ce qui a trait à la dimension informationnelle, que pour les cadres,

ce sont essentiellement les instructions de travail qui posent problème.

3.8.3 Les changements organisationnels

L’analyse des données fait ressortir une autre opposition entre les deux groupes, soit leur

attitude envers les changements organisationnels. Les codes CN70 n’ont été relevés que

pour le groupe des ouvriers. Selon eux, les changements organisationnels ont eu un impact

négatif qui se manifeste par la détérioration du climat de travail. On peut croire que la

participation des cadres à la prise de décision leur permet une plus grande implication dans

ces changements. Surtout, on peut présumer que c’est leur rôle qui demande d’endosser les

changements et de les défendre auprès des employés. À l’inverse, les ouvriers se voient

imposer ces changements. Par ailleurs, les changements apportés aux instructions de travail

sont perçus de manière positive par tous les informateurs.

70 Le code CN signifie un problème qui résulte d’un changement dans l’entreprise, représenté par les lettres CN pour « changement négatif ».

91

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Chapitre ІV : Discussion

Les résultats obtenus montrent bel et bien un écart entre les deux groupes à propos de ce

qu’ils entendent par problèmes de communication. Pour les cadres, ce sont des problèmes

d’information; pour les ouvriers, des problèmes de relation. Nous avons donc répondu à

nos deux objectifs de recherche :

déterminer, pour les cadres et les ouvriers, à quelle dimension de la communication – l’information ou la relation – correspond les problèmes de communication;

identifier les sous-dimensions qui constituent les dimensions informationnelle et relationnelle.

L’analyse des résultats a également permis de préciser ce que sont, pour chacun des

informateurs, des problèmes d’information ou de relation. Par ailleurs, l’analyse a fait

ressortir des nuances importantes. Premièrement, plus les cadres occupent un statut

hiérarchique fonctionnel élevé, moins nombreuses sont les sous-dimensions relationnelles

relevées. De surcroît, plus ils occupent un statut hiérarchique fonctionnel élevé, plus les

problèmes d’information se rapportent aux instructions de travail plutôt qu’aux messages

organisationnels. Deuxièmement, pour les ouvriers, nous avons vu que les problèmes de

relation s’inscrivent à travers la reconnaissance identitaire.

Dans les paragraphes qui suivent, nous avons pour objectif d’approfondir notre réflexion

sur nos conclusions afin de proposer, finalement, des avenues de recherche.

Les cadres sont essentiellement préoccupés par la dimension informationnelle de la

communication. Par ailleurs, indépendamment de l’analyse des données faite au regard de

nos objectifs de recherche, il ressort que ces cadres sont littéralement surchargés (charge de

travail) et qu’ils sont non seulement plus ou moins préoccupés par la dimension

relationnelle de la communication, mais qu’ils n’ont pas les effectifs (temps de réunion,

proximité physique71) pour investir dans la relation, surtout avec les ouvriers. Pour les

71 À titre d’exemple, mentionnons que depuis la dernière convention collective, les ouvriers et les contremaîtres ne dînent plus dans la même cafétéria.

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cadres qui affirment avoir de bonnes relations avec les ouvriers (essentiellement pour les

contremaîtres72), la qualité des relations résulte d’une initiative personnelle qui leur est

coûteuse (en termes de temps). En somme, les cadres sont débordés et la dimension

informationnelle de la communication représente une source de préoccupation et de

difficulté dans l’exécution de leurs tâches.

Chez les ouvriers, les problèmes de communication se rapportent incontestablement à la

relation. L’analyse des entrevues nous a permis de constater que trois ouvriers sur quatre

relatent un manque de considération des compétences ou de l’individu. Chanlat (1990)

parle également de la non-reconnaissance des savoirs d’expérience comme étant l’une des

six observations considérées par les psychopathologistes du travail comme des problèmes

associés aux politiques managériales. Par ailleurs, nous avons dégagé un principe

intégrateur pour tous les ouvriers : le rapport à l’identité, la non-reconnaissance identitaire.

Si nous nous rappelons la nécessité des besoins identitaires, soit le besoin d’existence, le

besoin d’intégration, le besoin de valorisation, le besoin de contrôle et le besoin

d’individuation (Lipiansky, 1992), nous pouvons conclure que les besoins « primaires »

des ouvriers sont à peine comblés.

En résumé, la surcharge de travail qui afflige les cadres et la non-reconnaissance identitaire

chez les ouvriers nous semblent deux conclusions inquiétantes, que nous ne pensions pas

découvrir sous le couvert des problèmes de communication.

À titre d’illustration, deux participants sur huit nous ont parlé de leur idée de quitter

l’entreprise. Un ouvrier nous a révélé vouloir quitter ABC, notamment parce qu’il sentait

qu’il était devenu un numéro. De son côté, un cadre nous a confié qu’il venait d’annoncer

sa démission essentiellement parce qu’il était déçu et démotivé. Après avoir posé sa

candidature à un poste plus élevé qu’il n’a pas obtenu, il déplorait le fait qu’à aucun

moment, les responsables des ressources humaines ne l’aient rencontré afin de discuter de

ses aspirations professionnelles au sein de l’entreprise. Par ailleurs, un ouvrier nous a

révélé qu’il demeurait chez ABC pour des considérations d’ordre financier alors 72 À noter, que ces deux contremaîtres ont mentionné que c’est loin d’être tous les cadres qui se préoccupent des ouvriers.

93

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qu’auparavant, il était fier de travailler pour ABC. Ces exemples témoignent du

désintéressement que vivent les employés envers l’entreprise, en réponse au sentiment d’un

désintéressement de la part même de l’entreprise. Au cours des entrevues, ce sentiment a

d’ailleurs davantage été constaté chez les ouvriers et les contremaîtres. Les entrevues sont

empreintes d’une insatisfaction qui nous laisse supposer une détérioration du bien-être de

ces employés.

Les observations décrites ci-dessus s’inscrivent dans un contexte plus large. En effet, les

changements techniques (modification des chaînes de production), économiques

(compétition asiatique) et administratifs (redimensionnement73) ont été instaurés

rapidement au sein des entreprises et ils ont touché plus durement les entreprises du secteur

manufacturier74. Les ouvriers ont non seulement dû s’adapter à ces changements, mais

également à la modification du travail, entraînée par ces mêmes changements. En effet, tel

que nous l’avons mentionné, le savoir-faire des ouvriers ne réside plus dans les

connaissances nécessaires à l’exercice d’un métier (méthodes de soudure, par exemple) ou

dans la créativité (astuces développées ou création de nouvelles méthodes de travail), mais

plutôt dans la régularité dont doivent faire preuve les ouvriers dans l’exécution de leurs

tâches. Cette régularité touche essentiellement ce qui a trait à la quantité (produire un

nombre χ de pièces) et à la qualité de la production (éviter le rejet de pièces). Nous

sommes donc passés d’une compétence relative aux méthodes de travail à une compétence

relative au mode de fonctionnement. Par conséquent, les ouvriers n’ont plus cette

valorisation associée à l’exercice de leur propre métier ou à un savoir-faire bien particulier

développé au fil du temps. Au bout du compte, dans plusieurs manufactures, qu’ils soient

menuisiers, polisseurs ou monteurs, les ouvriers sont de plus en plus interchangeables,

conséquemment à la modification des chaînes de montage, qui ne nécessitent plus un

savoir-faire particulier pour accomplir une tâche. Cette perte de valorisation associée au

73 Mieux connu sous le terme anglophone downsizing, qui se définit comme la « réorganisation d'une entreprise, d'un organisme ou d'un État, qui entraîne une réduction du personnel et de la masse salariale pour des raisons économiques et financières » (OQLF, 2003, Grand dictionnaire terminologique, « redimensionnement – gestion/gestion des ressources humaines/organisation administrative et technique »).74 À titre d’exemples, les usines québécoises de l’industrie du textile ferment leurs portes les unes après les autres. Toujours au Québec, nous pouvons penser à la compagnie Olymel où les employés ont accepté des baisses salariales pour que l’usine ouvre à nouveau ses portes, de même qu’aux employés de Bombardier aéronautique, qui ont accepté des concessions de 60 millions de dollars afin d’obtenir un contrat de fabrication (Radio-Canada, 2005a et 2005b).

94

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travail est doublée d’une restructuration importante des modes de gestion et

d’administration qui impliquent également des ajustements de la part des ouvriers.

Si le contexte économique a contribué à modifier le travail même de tous les employés des

entreprises manufacturières, il demeure que la non-reconnaissance identitaire ressentie par

les employés est du ressort de l’entreprise et non du contexte économique. En effet, la

reconnaissance, l’écoute, la confiance, la considération, la dimension humaine, etc., et, au

bout du compte, la reconnaissance identitaire relèvent plutôt des politiques de l’entreprise

et de l’influence de ces politiques sur le « climat relationnel » que du contexte économique.

Ce contexte exige, certes, une rationalisation des effectifs comme une modification des

chaînes de montage, mais il n’implique pas forcément la non-reconnaissance des

compétences des travailleurs ni la déshumanisation des rapports. Comme le dit Chanlat,

« la mise en place de certains types d’organisation du travail, la reconnaissance ou non de

l’expérience, la prise en compte de la parole, le développement du pouvoir ou de

l’autonomie relèvent dans l’entreprise de la direction » (1990 : 719). Au surplus, une

organisation qui – par l’entremise de son organisation du travail, de ses politiques de

gestion et de communication, etc. – n’encourage pas les individus à s’impliquer dans la

dimension relationnelle de la communication contribue à détériorer les rapports

interpersonnels, voire à les rendre déficients.

En fait, si les systèmes internes de communication ne prennent pas en compte l’aspect

relationnel de la communication, si les nouveaux modes de gestion ont pour but

l’amélioration des conditions des ouvriers essentiellement pour répondre à des objectifs de

rentabilité, il est naturel que les travailleurs se sentent délaissés et non reconnus en tant

qu’individus.

Appuyés sur leur système d’information quantitatif, mus par des schémas rationalisateurs où l’analyse coût-bénéfice fait office parfois de seul critère d’évaluation, certains gestionnaires en oublient totalement la réalité humaine concrète. Ils ouvrent ainsi la voie à toutes les souffrances dont nous parlent la psychopathologie du travail et les études sur le stress professionnel75. (Chanlat, 1990 : 721)

75 Nous soulignons.

95

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Par conséquent, tout semble en place pour entraîner une détérioration du climat et des

relations interpersonnelles. Tel que nous l’avons mentionné plus tôt, les individus qui

souffrent de solitude et qui entretiennent des relations interpersonnelles pauvres ou

restreintes sont susceptibles de vivre « des tendances dépressives, des idées noires, des

sentiments d’échec et de dévalorisation » (Marc et Picard, 2000 : 7).

Pour cause, les problèmes de santé mentale au travail constituent un phénomène

inquiétant : en 1998, 20,9 % des travailleurs québécois se trouvaient en situation de

détresse psychologique (Légaré et al., 2000). Par ailleurs, les problèmes de santé

psychologique sont complexes, et leurs causes sont nombreuses. Dans leur étude, Brun et

al. (2003) présentent quatre facteurs de risque organisationnels ayant une influence

négative sur la santé mentale au travail :

1. la surcharge quantitative;

2. la faible reconnaissance (estime de l’entourage – collègues et supérieur);

3. les pauvres relations avec le supérieur;

4. la faible participation aux décisions et la circulation de l’information76.

De leur côté, Leiter et Maslach (2004) parlent de six « domaines de la vie au travail » qui

représentent des facteurs de risque pour l’apparition du syndrome d’épuisement

professionnel (burnout) : la surcharge de travail, le contrôle, la reconnaissance, la qualité

de l’interaction sociale au travail, le sentiment de justice et les valeurs77.

Nous ne pouvons pas ici généraliser les résultats obtenus à l’ensemble des travailleurs de

l’entreprise ABC. Nous trouvons néanmoins pertinent de réfléchir aux conséquences des

observations apportées. Les facteurs de risque susmentionnés s’apparentent à certains

éléments d’analyse que nous avons abordés. On retrouve en effet des facteurs directement

reliés à la communication, tels que la circulation de l’information, les pauvres relations

76 Il ne faut pas confondre, ici, ce que nous entendons par information (dimension de la communication) et ce que Brun et al. appellent la circulation de l’information (insuffisance et non-transparence de l’information).77 Traduction libre.

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avec le supérieur et d’autres facteurs pouvant découler des problèmes de communication

(par exemple, la faible reconnaissance).

Ainsi, nous croyons que les problèmes de communication peuvent à la fois entraîner des

problèmes d’une autre nature (par exemple, des problèmes de santé psychologique) et

résulter de problèmes d’un autre degré (par exemple, de modes de gestion inappropriés).

Notre réflexion pourrait donner lieu à des recherches ultérieures dans le but de :

1. mesurer à plus grande échelle et dans plusieurs types d’organisations ce que signifient des problèmes de communication pour les différents groupes d’employés;

2. déterminer la chaîne causale (causes, facteurs d’influence et conséquences) de ces problèmes de communication;

3. déterminer quelles dimensions et sous-dimensions de la communication contribuent, et dans quelle mesure, à l’apparition de problèmes de santé psychologique.

Il est donc nécessaire, lorsque l’on parle de problèmes de communication, de prendre en

compte l’information et la relation. Gardons également à l’esprit que la relation est

beaucoup moins, pour ne pas dire aucunement, « encadrée » par les systèmes formels de

communication et que la dimension relationnelle de la communication représente un

problème sérieux sur lequel il apparaît nécessaire de continuer de se pencher.

Enfin, mesurer, évaluer ou diagnostiquer la communication dans les organisations est une

entreprise délicate. Pour l’instant, les organisations qui tentent de prendre le pouls de l’état

de la communication, de mesurer la réussite ou l’échec de la communication doivent

prendre en compte le fait que la communication revêt non seulement une signification

polysémique chez les différents individus, mais que ses multiples facettes font de la

communication un objet difficilement saisissable.

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Conclusion

La communication en entreprise : information ou relation? Nous répondons que la

communication en entreprise est à la fois information et relation. Si on la qualifie de

difficile, mauvaise ou problématique, la communication est malgré tout essentielle et elle

joue un rôle fondamental chez les individus, dans les organisations et la société.

Parce que le terme communication est polysémique et que la communication pose

problème pour plusieurs, nous avons voulu déterminer ce que deux groupes d’employés

entendent par les problèmes de communication.

Ainsi, nous avons établi quelle signification donnent deux groupes d’employés (cadres et

ouvriers) à la communication. Deux conclusions se posent au terme de notre recherche : les

problèmes de communication signifient, pour les cadres, un dysfonctionnement lors du

processus de transmission d'informations et, pour les ouvriers, des difficultés dans les

relations interpersonnelles.

Cette recherche visait également à déterminer ce qui sous-tend des problèmes

d’information et des problèmes de relation pour les cadres et les ouvriers. Nous avons pu

établir une tendance pour chacun des informateurs. Pour les cadres, les résultats montrent

que plus le cadre occupe une haute position dans la hiérarchie, plus ce sont les messages

concernant les instructions de travail qui posent problème. Par ailleurs, pour l’essentiel,

chacun des cadres définit les problèmes d’information différemment. Pour les uns, ce sont

plutôt les supports de transmission qui posent problème alors que, pour les autres, c’est le

flux d’information. À l’inverse, chez tous les ouvriers, un dénominateur commun se

dégage de l’analyse des données. En effet, le rapport à l’identité réunit ces derniers.

Ces résultats nous ont amenée à proposer quelques avenues de recherche. En effet, ce

mémoire constitue une exploration qui pourrait permettre d’approfondir les déterminants,

les facteurs et les conséquences des problèmes de communication. Par ailleurs, si les deux

dimensions de la communication posent problème, nous constatons que la dimension

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informationnelle est plus explicite et qu’elle est déjà prise en compte par le système

organisationnel, tandis que la dimension relationnelle est plus floue et qu’elle n’est pas

intégrée dans le mode de gestion de l’organisation. Ce constat est lourd de conséquence

parce qu’il expliquerait, entre autres, l’apparition de problèmes de santé psychologique au

travail.

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