1

Introduction

Se pencher sur les secteurs de la culture et de la cration est inspirant plusieurs points de vue. Par exemple, les instances europennes saccordent dire quils ont contribu en 2008 pour environ 2.6% au PIB de lUE et employ quelques 3.1% de la main-duvre europenne, un pourcentage quivalent celui que reprsente lagriculture. La culture est donc un secteur primordial pour lUnion europenne, qui sinsre particulirement bien dans la Stratgie Europe 2020, mme si elle ny figure pas textuellement.

Elle parat ainsi comme une actrice majeure dune croissance intelligente , et dune conomie de la connaissance vers laquelle lUE souhaite tendre : les artistes ont une aptitude penser diffremment et sont donc force dinnovations dans le domaine de la culture elle-mme mais galement des innovations technologiques, de la recherche ou de lducation.

Acteurs dune reprise conomique et dinnovations technologiques, les mtiers de la cration paraissent comme porteurs dinnovations et de cohsion sociales, dune croissance inclusive . Les artistes et professionnels de la cration sont en effet des oprateurs artistiques qui, grce leur activit crative, crent du lien social mais aussi anticipent les transformations de la socit. La culture joue ainsi un rle majeur pour le dveloppement des territoires. De nombreux territoires urbains ont bien compris ce potentiel ; par exemple Bruxelles a introduit lautomne 2013 un Plan Culturel pour Bruxelles qui positionne les politiques culturelles comme des enjeux sociaux et politiques majeurs pour cette rgion

1.

Comme le rsume Culture Action Europe, association dfendant le rle des arts et de la culture dans le dveloppement du projet europen, la culture est un enjeu transversal europen : la culture est troitement lie une srie dautres domaines politiques et presque tous les aspects de la vie des socits contemporaines : lindustrie, les mdias et les nouvelles technologies, le tourisme et les

1 Culture et identit bruxelloise - Un Plan Culturel pour Bruxelles, Octobre 2013. Disponible ladresse http://madrane.be/wp-content/uploads/2013/10/Note-de-synthse-Plan-Culturel-DEF.pdf

Les mtiers de la cration et de la culture dans

la Stratgie Europe 2020

Quelques problmatiques et enjeux

Sarah de Heusch (SMartEu) et Elise Dubetz (Pour la Solidarit)

Fvrier 2014

2

loisirs, lurbanisme, le dveloppement rgional, lducation et la formation. () le secteur culturel gnre de lemploi et [qu] il contribue la cohsion sociale, linnovation, au dveloppement durable ainsi qu une srie dautres objectifs communs de lUE

2.

De plus, se pencher sur le secteur de la crativit cest se pencher sur un secteur qui concentre plusieurs des dfis majeurs auxquels font face dautres secteurs conomiques et plus gnralement lUnion europenne. Un rapport publi en janvier 2014 par le ministre franais de la culture vient dailleurs de pointer le poids conomique de la culture, dont la valeur ajoute nest plus dmontrer

3.

Comme les acteurs de lconomie sociale, les professionnels de la crativit doivent trouver des modles conomiques et des formes dentrepreneuriat adapts, qui prennent en compte tant les activits qui ressortent de lconomie de march que du non-marchand. Les professionnels de la crativit connaissent galement des dfis lis au dveloppement des emplois atypiques tels des revenus bas et irrguliers, une protection sociale peu adapte et un accs difficile la formation tout au long de la vie. Ces problmatiques touchent aussi ( des degrs diffrents) tant les personnes qui vivent demplois atypiques travaillant lheure (dans les services daide aux personnes, les industries manufacturires,) ou au projet (les contractuels universitaires, les informaticiens) que les petits indpendants.

Cette note a pour objectif de replacer les mtiers de la culture et de la cration dans le contexte europen au sein duquel ils voluent et qui a de plus en plus dinfluence sur ce secteur comme tous les autres milieux professionnels. Elle interroge galement les liens entre les enjeux culturels et les enjeux socio-conomiques, et plus prcisment entre la culture et le modle d entreprise sociale , au cur des politiques europennes galement depuis lInitiative pour lentrepreneuriat social (2011). Enfin, elle se penche sur les conditions du travail au projet , (caractristique ce secteur prdomin par des formes demploi atypiques), influences galement par lUnion europenne. Cette note se veut donc tre un dclencheur de questions, prsentant diffrentes problmatiques (avec la faon dont nous les percevons) autour desquelles des rponses sont encore construire et propos desquelles nous continuerons de travailler et sommes ouverts toute contribution.

Ces diffrents questionnements ont runi le 14 octobre 2013 une srie dacteurs Bruxelles lors dune confrence europenne sur Les mtiers de la cration et de la culture dans la Stratgie Europe 2020

4, qui a inspir cette note qui tente de rsumer les enjeux et problmatiques lis cette

thmatique. Outre les rflexions qui y ont t apportes, cette journe a galement permis de connecter les acteurs culturels lEurope pour que ceux-l comprennent mieux les stratgies qui les concernent mais galement que celle-ci soit plus ouverte aux ralits de terrain. Les mots cls de cette rencontre taient donc le dialogue et le rassemblement pour que la culture soit reconnue sa juste importance et que les acteurs de la culture puissent prosprer dans un cadre social, conomique et urbain riche en dveloppements.

Julek JUROWICZ Denis STOKKINK

Directeur et co-fondateur de SMartBe Prsident de Pour la Solidarit

2 CULTURE ACTION EUROPE, Glossaire Fonds structurels .

3 Voir par exemple PIQUARD, A., LEtat dpense plus de 13 milliards pour la culture , in Le Monde, 4/01/2014, disponible ladresse :

http://www.lemonde.fr/economie/article/2014/01/03/l-etat-depense-plus-de-13-milliards-pour-la-

culture_4342581_3234.html 4 Retrouvez ici le programme de cette journe et les CV (en anglais) et contributions des intervenants : http://www.ess-europe.eu/wp-content/uploads/2013/12/Culture-20131014-Bio-Speakers.pdf

3

I. Les mtiers de la cration et de la culture Un enjeu europen

La culture dans les politiques et programmes europens

Un premier constat dresser pour comprendre la place de la culture dans les stratgies et programmes de lUnion europenne est quelle ne fait pas lobjet de dfinition claire ; elle peut tre entendue selon le contexte comme synonyme darts, dexpressions dhritages socitaux, dindustries culturelles, etc. Ce flou autour de cette notion na pas toujours permis la culture doccuper une place de choix au sein des politiques europennes malgr son potentiel divers gards (cohsion sociale, dveloppement, crativit, innovation, ).

Ainsi, la culture ne figure pas textuellement dans la Stratgie Europe 20205 (contrairement

lenvironnement), ce qui ne permet pas aux acteurs culturels de se retrouver facilement dans ce cadre fondamental qui guide toutes les politiques actuelles, depuis 2010 et jusqu lhorizon 2020. Or, implicitement, lEurope fait le pari de la culture comme moteur de dveloppement conomique, dinnovation (technologique, sociale, conomique), de dveloppement territorial. Dans ce cadre, la culture devrait tre synonyme de croissance et de cration demplois , mais elle ne doit pas tre cantonne cette vision conomique car elle joue bien dautres rles : elle participe en effet dune autre forme de croissance, la crativit et les industries culturelles tant certainement mme de dvelopper un nouveau modle conomique soutenable qui ne met pas la recherche de profit en son centre et qui participe galement plus largement au processus de transition de nos socits.

Mais au-del de la Stratgie globale de lUE, il existe un programme ddi au soutien des secteurs cratifs et culturels, dvelopp pour la priode 2014-2020 sous le nom d Europe crative

6. Avec

un budget de 1.46 milliards deuros, il a pour objectif de soutenir financirement les artistes et professionnels de la culture, de soutenir des projets de coopration transnationale, daider les rseaux et plateformes de professionnels de la culture, de faciliter laccs aux capitaux privs pour ce secteur, mais galement plus spcifiquement de dcerner les titres de capitales europennes de la culture ou de soutenir lindustrie audio-visuelle en Europe (sous-programme MEDIA).

Cette dmarche sinscrit dans la ligne de l agenda europen de la culture , n dune communication de la Commission europenne de 2007 relative un agenda europen de la culture lre de la mondialisation

7. Ce dernier encourage les institutions europennes, les autorits

nationales et le secteur culturel promouvoir la diversit culturelle et le dialogue interculturel, la culture en tant que moteur dinnovation et de crativit et la culture au sein des relations internationales de lUE

8. Pour ce faire, les Etats sont amens cooprer par le biais de la mthode

ouverte de coordination (MOC) tandis que les acteurs culturels peuvent dialoguer avec lUE via divers canaux institus (plateformes thmatiques et forum de la culture).

5 COMMISSION EUROPEENNE, Europe 2020 , http://ec.europa.eu/europe2020/index_fr.htm 6 COMMISSION EUROPEENNE, Creative Europe , http://ec.europa.eu/culture/creative-europe/index_fr.htm 7 COMMISSION EUROPEENNE, Communication relative un agenda europen de la culture lre de la mondialisation, COM(2007) 242 final, Bruxelles, le 10.05.2007.

8 COMMISSION EUROPEENNE, Agenda europen de la culture , http://ec.europa.eu/culture/our-policy-development/european-agenda_fr.htm Pour plus dinformations, voir par exemple CULTURE ACTION EUROPE, Agenda europen pour la culture , http://www.cultureactioneurope.org/lang-fr/advocate/eu-agenda-for-culture

4

Enjeux pour les acteurs du secteur culturel

La culture fait donc partie du champ daction de lUnion europenne, sous divers angles, tout en ne figurant ni dans les objectifs, ni dans les initiatives de la Stratgie Europe 2020. Or elle pourrait tre mieux tudie et prise en compte au niveau communautaire, notamment sous langle de la transition sociale, conomique et cologique, ou de la cohsion sociale. En effet, les oprateurs artistiques crent du lien grce leur activit crative. Les artistes jouent par exemple des rles essentiels au sein dun village, dun quartier, ou dune ville : ils crent leurs uvres et les diffusent mais aussi ils reprsentent un ple trs important de la dynamique culturelle et parfois mme de la dynamique conomique, et sociale. De mme, la culture est force dinnovations dans le domaine de la culture elle-mme, mais galement en matire dinnovations technologiques, de recherche, dducation, etc. Ltude The impact of culture on creativity explique cela de la manire suivante : cette crativit base sur la culture est lie laptitude des individus en particulier des artistes penser avec imagination ou mtaphoriquement, dfier le conventionnel mais aussi avoir recours au symbolique et laffectif pour communiquer. Elle a la capacit de briser les conventions, les penses toutes faites, pour permettre lmergence de visions, ides ou produits nouveaux. La nature de la crativit base sur la culture est troitement lie la nature de la contribution artistique, telle quelle sexprime dans les productions artistiques ou culturelles. Cette nature spontane, intuitive, singulire, expression de la sensibilit humaine, enrichit la socit

9.

La culture est donc au cur de la socit, elle est essentielle la sauvegarde de la dmocratie car donne un sens dappartenance et de bien commun partag. La dimension culturelle du dveloppement et de lpanouissement des individus est de plus en plus reconnue (notamment en termes de dveloppement de soft skills ). Cela implique que la culture est lie la qualit de vie et au bien-tre ainsi que cratrice : didentit et de valeurs qui renforcent le lien social ; de richesses et dides qui contribuent au dynamisme conomique et linnovation ; dun patrimoine lguer aux gnrations futures, au mme titre que lenvironnement naturel

10.

Elle donne aussi les outils aux individus et la socit pour une meilleure comprhension et rsilience au monde environnant, des atouts incontournables pour vivre plus consciencieusement les priodes de transitions comme celle que nous vivons actuellement. Do limportance pour les professionnels du secteur de replacer la culture au centre de la socit et des politiques, de la mettre en lumire et de la faire percoler dans toutes les politiques, plutt que de la confiner dans une zone daction politique limite et peu finance. Lenjeu aujourdhui est ainsi trs similaire celui des environnementalistes il y a 20 ans : celui de transformer un concept marginal en un concept essentiel et central toute stratgie de dveloppement. Pour cela, il faut, dune part, que le politique considre le secteur artistique et culturel au-del de son seul apport au secteur marchand et, en parallle, quil apprenne utiliser les mesures qualitatives dans lvaluation des actions menes.

La culture ne devrait pas non plus se dvelopper nimporte quel prix. Dans ses politiques, lUE devrait donc entre autres veiller ce que les professionnels de lart puissent vivre de leur activit, dans des conditions dcentes. Puisque les difficults des artistes sont similaires travers lEurope et que ces travailleurs sont amens beaucoup se dplacer, certaines thmatiques propres aux artistes mritent donc dtre encore plus dveloppes au niveau europen (protection sociale, mobilit, stabilit, etc.).

De plus, ct des enjeux de reconnaissance du rle de la culture dans a socit, il est crucial que les arts et la culture ne soient pas uniquement reconnus pour leurs apports, mais quune marge de manuvre soit laisse au secteur artistique pour son panouissement dans le cadre de son propre fonctionnement et de ses propres codes.

Lenjeu pour les acteurs culturels est donc double : dune part, continuer revendiquer une place pour les arts et la cration dans les outils dEurope 2020 et les autres programmes et instruments

9 KEA EUROPEAN AFFAIRS, Limpact de la culture sur la crativit, Une tude ralise pour la Commission europenne, Juin 2009, Rsum, p. 2.

10 Voir POUR LA SOLIDARITE, La transition : un enjeu conomique et social pour la Wallonie, Les Cahiers de la Solidarit n32, Bruxelles, Mars 2013, p. 33.

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europens, et faire en sorte quils soient inscrits dans les prochaines Stratgies ; et, dautre part, profiter pleinement des initiatives dj mises en uvre par lUE, mme si la culture ny figure pas clairement, comme par exemple lInitiative pour lentrepreneuriat social et le Fonds social europen.

De son ct, lUE a donc tout fait intrt miser davantage sur la culture et la crativit si elle veut atteindre ses objectifs ambitieux, en ne sappuyant pas uniquement sur le volet marchand de la culture, et condition que tous les acteurs conomiques, sociaux et culturels soient impliqus ensemble et part gale dans le projet.

II. Culture et entrepreneuriat social

La culture et lentrepreneuriat social sont lis, mme si les deux milieux ont beaucoup volu en parallle. En effet, une grande majorit des professionnels des mtiers de la cration se sont structurs en associations et travaillent en respectant les principes de lconomie sociale : une production finalit sociale et collective, avec une importance toute particulire pour la valorisation de lindividu et pour des principes dchanges, de mutualisation des ressources, etc. De plus, outre les principes dinclusion sociale de la culture, de nombreux artistes veillent travailler avec des acteurs locaux et dvelopper des synergies avec ceux-ci.

Il est donc tout fait intressant dinterroger les liens entre culture et conomie sociale et danalyser les apports que le modle dentrepreneuriat social peut apporter la culture, et les rapprochements possibles entre entrepreneuriat social et mtiers de la cration, et ce tout particulirement dans le contexte europen actuel qui met lhonneur depuis peu les entreprises sociales.

Contexte europen : lInitiative pour lentrepreneuriat social

Pour sattaquer aux effets de la crise, lUE a mis sur le march unique, quelle souhaite renforcer pour crer de lemploi. Pour ce faire, l Acte pour le march unique (avril 2011) rpertorie douze leviers pour stimuler la croissance et renforcer la confiance

11. Parmi ceux-ci : lentrepreneuriat

social, pour lequel une initiative spcifique a t ddie. Mme si lconomie sociale est au cur des politiques europennes depuis les annes 1990, cest depuis peu, grce cette initiative essentiellement, que la politique europenne en matire dentrepreneuriat social sest structure. Linitiative pour lentrepreneuriat social (IES)

12 (octobre 2011) situe le rle des entreprises sociales

dans la Stratgie Europe 2020 : en rpondant par linnovation sociale des besoins encore non satisfaits, les entreprises sociales participent ainsi dune croissance intelligente ; par la prise en compte de leur impact environnemental et leur vision du long terme, elles faonnent une croissance durable ; par leur accent mis sur lhumain et la cohsion sociale, elles sont le cur de la croissance inclusive. En dautres termes, leur raison dtre est dorganiser des transformations sociales et conomiques qui contribuent aux objectifs de la Stratgie Europe 2020

13. Cette communication

propose trois grandes pistes daction :

- faciliter laccs des entreprises sociales au financement, fondamental pour les entreprises qui font face des difficults daccs aux crdits et la baisse des subventions publiques ;

11 COMMISSION EUROPEENNE, Communication lActe pour le march unique Douze leviers pour stimuler la croissance et renforcer la confiance : Ensemble pour une nouvelle croissance , COM2011 (206) final, Bruxelles, Avril 2011.

12 Voir COMMISSION EUROPEENNE, Entrepreneuriat social ,

http://ec.europa.eu/internal_market/social_business/index_fr.htm 13 COMMISSION EUROPEENNE, Communication Initiative pour lentrepreneuriat social Construire un cosystme pour promouvoir les entreprises sociales au cur de lconomie et de linnovation sociales, COM(2011) 682 final, Bruxelles, le 25.10.2011, pp. 3-4.

6

- renforcer leur visibilit, et leur reconnaissance, en renforant la crdibilit de lentrepreneuriat social, notamment grce une rflexion sur la mesure dimpact et grce la dmonstration que lconomie sociale dans sa globalit a mieux rsist la crise ;

- et simplifier lenvironnement juridique des entreprises sociales.

Les liens entre culture et entrepreneuriat social14

Les mesures europennes en faveur de lentrepreneuriat social reprsentent une opportunit pour donner au secteur de la culture les moyens de se dvelopper et de survivre , notamment parce que les mtiers de la cration et de la culture existent en tant que fournisseurs dun service la socit, ils apportent donc une valeur ajoute la socit dans son ensemble.

Culture et conomie

Si lon considre l conomie comme le fait de produire des biens ou des services en mobilisant des ressources pour rpondre des besoins, (ce qui peut galement se faire dans une dimension non marchande), alors la culture fait partie du champ dactivit conomique , mme en ce qui concerne les dmarches non commerciales. En effet le secteur artistique, tout comme plus largement le secteur culturel, ne peut pas tre entirement considr comme une activit marchande

On peut considrer que la culture est dans une logique partiellement non marchande pour plusieurs raisons. Tout dabord, une partie des productions culturelles demandent des cots fixes importants, elles ncessitent donc dtre finances autrement quuniquement par le prix : il faut un financement de type non marchand. Par ailleurs, les bnfices de lactivit culturelle sont multiples et ne concernent pas seulement ceux qui le consomment en direct. En effet, lactivit culturelle permet aussi de favoriser la cohsion sociale, la libert dexpression, etc., pour toute la socit en gnral. tant donn que les bnfices vont au-del de la consommation, la culture ne peut pas compter simplement sur le financement du consommateur.

Enfin, en Europe, un consensus social estime que tout le monde doit avoir accs la culture et reconnait limportance des activits culturelles. Celles-ci doivent tre protges afin dchapper aux risques de sous-production et de sous-consommation dus un manque de moyens pour la culture. La culture est donc un champ dactivit conomique qui est dans une logique au moins partiellement non marchande. Or, en priode de crise, le secteur du non marchand souffre, en termes de budget et de reconnaissance.

Culture et socit

La culture souffre aujourdhui de ses relations la socit ; elle souffre de cette pression qui pousse les acteurs culturels ressembler aux autres acteurs, marchands et dmonstrateurs defficacit immdiate (pour crer des emplois par exemple). Face cette pression, deux solutions sopposent donc pour les acteurs culturels : rentrer dans ce schma standard capitaliste ou scarter du modle existant mais donc sloigner galement de la socit. Visiblement, de nombreux artistes ont fait ce dernier choix car on observe, ces trente dernires annes, un dveloppement de la culture ct de la socit : celle-ci sest dveloppe en marge et nest pas prsente en tant que pilier central de la socit.

Dun autre ct, les sociologues notent ( travers la notion dentreprenariat institutionnel) que la socit peut galement tre influence par le champ culturel. En effet, si la socit peut faire pression sur les acteurs, ces derniers peuvent quant eux contribuer aux changements de la socit. Les acteurs de la culture peuvent, de ce fait, dvelopper leur vision et la faire reconnaitre au sein de la socit afin de la transformer, y compris sur le plan conomique.

14

Bas sur la prsentation de Sybille Mertens et Rocio Nogales lors de la confrence Bruxelles du 14.10.2013 Les mtiers de la cration et de la culture dans la Stratgie UE2020 .

7

Culture et entreprise sociale

Les entreprises sociales sont des entreprises prives, gres dmocratiquement en fonction dobjectifs non capitalistes, cest--dire un modle finalit sociale avec une distribution du profit limite. Grce ce modle de fonctionnement et lhybridation des ressources sur lesquelles elles se basent, les entreprises sociales sont capables dinnovations sociales parce quelles ont un modle en rupture qui nattend pas une rentabilit immdiate. Enfin, elles sont capables de crativit et de changement systmique, si elles communiquent entre elles. Culture et transition

Daprs les tudes de la transition15

, quand un systme est mis sous pression et est en crise comme lest le systme capitaliste actuellement, il est intressant daller voir ce qui a, jusque-l, t produit au sein des niches , ces expriences qui se sont dveloppes labri des tendances dominantes et qui rpondent par linnovation sociale des besoins de la socit insuffisamment satisfaits. En effet, ce qui se droule au sein de ces niches peut inspirer une transition de systme. Pour ce faire, ce quil sy produit doit tre mis en lumire et relay afin quune vision commune, diffrente du systme dominant, soit mise en avant.

La culture semble bel et bien tre un lieu de niches, qui exprimente des innovations radicales qui peuvent avoir un impact sur les collectivits. Mais elle doit pour cela renouer avec la socit et affirmer sa capacit noncer des modes de fonctionnement qui correspondent aux besoins de la socit. En ce sens, la culture sinscrit dans la mme ligne que lentrepreneuriat social et devrait donc entrer en relation avec ce modle alternatif dentreprendre.

Enjeux

Ainsi, puisque nombre de biens culturels se dveloppent galement dans des niches et est force de crativit et dinnovation sociale, elle peut certainement semparer du modle dentreprise sociale. Culture et entrepreneuriat social ont donc trs certainement intrt se lier et unir toutes leurs forces pour construire une vision commune dune autre faon de faire fonctionner la socit, base sur lintrt gnral. Cette autre faon passe certainement par le dveloppement dun nouveau modle conomique similaire celui mis en uvre par les entreprises sociales, savoir un modle bas sur le partage et lusage, plutt que la proprit. Et pour se dvelopper, ce nouveau modle conomique doit tre port une large chelle par un grand groupe de structures et projets qui doivent pouvoir sexprimer collectivement sur ce projet ambitieux qui dpasse le cadre de la proximit.

Le contexte actuel europen favorisant lentrepreneuriat social doit donc pouvoir galement tre mobilis par les acteurs culturels pour porter le modle de lentreprise sociale lchelle europenne.

15

Transition Management (Loorbach 2007, 2010).

8

III. Les conditions du travail au projet et des mtiers de la cration

Le secteur de la cration est caractris par une prdominance de formes demploi atypiques. Les carrires sy dveloppent par projet, ce qui a dnormes implications en termes de revenus, de dveloppement de comptences, dorganisation du travail et de statuts sociaux endosss. Ces spcificits rencontrent dautres problmatiques plus larges telles les questions dentrepreneuriat, de financement et de protection sociale adapte pour les personnes qui travaillent par contrats de courte dure.

Spcificits du travail au projet

La dnomination travail au projet dcoule des modalits du travail de lartiste qui sont extrmement varies ; leur mode de travail diffre du travail salari typique, car dans limmense majorit des cas il se caractrise par un enchanement de contrats de courte dure, avec des quipes et des rles changeants (porteur de projet, partie prenante, donneur dordre, ). Le rseau des professionnels est fondamental dans le dveloppement de la carrire, tant en terme de recrutement, que dchange dides et de comptences. Pour certains, le secteur est un vaste rseau dentrepreneurs individuels, o pour russir il faut tre flexible, mobile et la pointe. Le projet est loccasion de crer une quipe aussi phmre que la dure du projet. Chaque partie prenante doit y consacrer tous ses efforts et est tenu responsable du bon aboutissement.

Dans ce contexte, se dessinent alors plusieurs spcificits et problmatiques. Tout dabord celle de la fragmentation : du rle des institutions, de la solidarit et des revenus. Ensuite celle de la crativit : il est difficile dtre cratif, la page des nouvelles informations et tendances et de donner un maximum tout le temps. Le temps du ressourcement nest pas admis, ou du moins pas rmunr. Enfin, et plus fondamentalement, se pose le problme de la solidarit, quil se place au niveau individuel ou socital. Dans le premier cas, la solidarit serait fonctionnelle et se limiterait au temps du projet. Au niveau socital, les professionnels de la crativit bnficient difficilement de la protection sociale cause de leur temps de travail rmunr trop limits et des revenus discontinus et souvent faibles.

De ce fait, non seulement les artistes sont exposs au risque dexclusion dun rgime de couverture sociale, mais aussi de services de formation continue ou de services bancaires classiques, faute de dispositif capable de prendre en compte les particularits qui drivent du travail au projet. Les conditions de travail des professionnels de la culture sont donc trs fragiles.

Par ailleurs, le champ culturel est aussi souvent caractris par le fait que les artistes ne recherchent pas une rentabilit immdiate et reoivent des rmunrations intermittentes, alors quils travaillent en continu. Le secteur artistique est galement un secteur o rgnent une concurrence forte et des exigences de plus en plus importantes (individualit, mobilit, logique de court terme, networking, ) qui sont peu propices la crativit et la soutenabilit.

Enjeux

Situs dans une zone grise de lemploi en Belgique, entre le salariat et le statut dindpendant (modle de relation au travail de plus en plus remis en cause), les professionnels des mtiers de la cration doivent faire lobjet dune rflexion spcifique qui tienne compte de leurs spcificits et leur garantisse des bonnes conditions demploi. Dans tous les pays europens, une rflexion sur un cadre spcifique pour les travailleurs au projet doit tre mene afin que les droits sociaux et droits du travail soient accessibles et adapts tous ceux qui travaillent au projet. .

9

Cette rflexion doit galement prendre en compte la ncessit de maintenir la crativit de ces acteurs et de protger la diversit culturelle et dorganiser des systmes de solidarit entre ces travailleurs trs individualiss. Lenjeu est galement de pouvoir penser des solutions suffisamment flexibles, vu les situations trs htrognes qui caractrisent le secteur culturel et cratif mme.

Tous ces enjeux ont bien entendu un cho au niveau europen. LUnion europenne devrait en effet soutenir le secteur cratif et culturel sans le cantonner sa seule utilit sociale afin de protger la diversit culturelle en Europe et les travailleurs des secteurs cratifs et culturels grce une meilleure protection sociale (comme le stipule la Convention de l'UNESCO sur le statut de l'artiste que la plupart des pays de lUnion europenne ont sign en 1980). De plus, la crise conomique et financire que nos socits traversent actuellement est tous les jours rappele au niveau europen : ce contexte particulier doit galement tre interrog comme un facteur qui influence les conditions du travail des professionnels des mtiers de la cration. Les politiques daustrit menes par les Etats membres ont entam des coupures de budgets dans tous les domaines sociaux (allocations de chmage, ducation, soins de sant, ). Dans cette vague, les budgets allous la culture ont aussi drastiquement t coups, est-ce vraiment ce dont notre socit a besoin maintenant ?

IV. Conclusions

Les enjeux et apports des secteurs culturel et cratif et de lconomie sociale sont multiformes.

Les entreprises dconomie sociale et les professionnels de la crativit sont des entits conomiques qui uvrent dans le marchand et le non-marchand. Les rduire leur seule participation lemploi et lenrichissement du PIB, cest ne pas les considrer leur juste valeur.

Si ces aspects ont redor leur intrt politique ces dernires annes, ils restent ngligs par nombre de domaines politiques (budget, impts, emploi, etc.) et leurs apports sociaux ne sont pas encore assez reconnus. Ceci sexplique fort probablement par le management politique qui soblige mesurer de manire quantitative limpact de ses actions et financement. Lconomie sociale et le secteur de la crativit en gnral y gagneraient accompagner les dcideurs politiques dans la construction dinstruments qui puissent invalider limpact des politiques dont lincidence principale est dordre qualitatif (telles les actions dans le domaine de lducation, de la sant, du social, etc.). Ceci permettrait dinfluer la transition socitale en cours afin de faire prvaloir les valeurs communes aux deux secteurs, comme celle de mettre le profit au service de la collectivit au lieu de lenrichissement personnel.

La protection sociale pour les personnes travaillant au projet, et plus largement dans les nouvelles formes demploi, est un autre dfi qui pourrait rallier les deux secteurs. Dans nombre dentreprises de lconomie sociale (comme la cooprative), les travailleurs peuvent tre considrs comme de simples employs ou employeurs. De ce fait, laccessibilit de la protection et des droits sociaux devient problmatique car construite sur un modle de relation demploi rig pour le secteur industriel du dbut du XXe sicle.

Lconomie sociale et les secteurs de la crativit ont fort gagner non seulement apprendre lun de lautre, mais aussi joindre leurs forces pour faire nombre dans un chantier politique crucial en temps de transition conomique, sociale et politique.