Les Mar hes de l’État Indépendant du ongo. A.-B. Ergo...

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Les Marches de l’État Indépendant du Congo. A.-B. Ergo Quand en 1885, au Congrès de Berlin, 14 pays donnent à l’Association Internationale du Congo (AIC) la gestion des territoires où elle seule est présente en Afrique centrale, cette zone est très mal définie. On parle bien dans les textes du bassin du fleuve Congo, mais l’entièreté et les détails de ce bassin sont totalement méconnus. En 1885 seuls 29 expatriés membres de l’AIC ont déjà atteint ou dépassé le Stanley-Pool ; les autres ont été occupés essentiellement dans le Bas Congo. Grâce à Stanley, au missionnaire Grenfell, à Wissmann, Von François, Delcommune, Roger et Vangele, le fleuve Congo est parcouru jusqu’aux Stanley-Falls et quelques affluents ont été explorés sur une courte distance (Ubangi, Itimbiri, Aruwimi, Kasai, Lomami, Tshuapa, Mamboyo et lac Tumba). L’essentiel du travail au Haut Congo ayant été la création et l’occupation de quelques stations entre le Stanley-Pool et les Stanley-Falls, grâce aux cinq petites embarcations amenées sur le fleuve. Le roi a très vite compris qu’une Association, fut-elle légitimée dans la gestion des territoires gérés, ne discuterait jamais d’égal à égal avec les représentants des pays tuteurs des colonies voisines jouxtant ces territoires. On ne peut faire des compromis d’égal à égal qu’entre pays 1 . La proclamation de l’État Indépendant du Congo par de Winton à Vivi était donc inévitable et assez logique. Pour l’Afrique de l’époque, le Congo, du moins dans sa partie haute, est ce qu’on appelle un « pays perdu » ; contrée écartée physiquement des régions côtières, avec peu de ressources connues. En en faisant un État, Léopold II est conscient qu’il faut lui donner une administration, déterminer, établir et défendre ses frontières avec une armée et fonder en un peuple unique, les nombreuses tribus qui y vivent : tout cela sans le support d’un pays tuteur. L’État Indépendant du Congo n’est donc pas, au sens strict du terme, une colonie comme l’écrivent Vandervelde et Cattier, mais son gouvernement, qui est monarchique et absolu, le dirige au moyen de lois ou de règles fixes, écrites et établies. Ce n’est pas, de toute évidence, une gouvernance despotique et ce n’est pas davantage un royaume constitutionnel. La Belgique est, pour l’EIC un état étranger au même titre que les 13 autres pays signataires de l’acte de Berlin. Les frontières étaient relativement faciles à établir lorsqu’il existait des obstacles naturels. Ainsi, à l’ouest des territoires, le fleuve Congo et l’Ubangi ont formé des limites naturelles évidentes, même si une partie importante du bassin du fleuve Congo devenait territoires français (Bassin de la Sanga et tous les affluents de la rive droite de l’Ubangi). A l’Est du pays, l’alignement des grands lacs semblait une limite naturelle, mais la zone entre ceux-ci et le Lualaba était occupée par des Swahilis arabisés esclavagistes actifs et par d’autres, qui s’y étaient établis colons. Au Sud-Est, les frontières avec la Rhodésie avaient été fixées sur la ligne de crête séparant les bassins du Congo et du Zambèze 2 mais une large part du bassin du Congo, à l’Est du lac Bangwelo, restait en Rhodésie. Au Sud-Ouest, les frontières avec l’Angola ont dû faire l’objet d’ajustements, mais toutes les têtes de sources des affluents du Kasai sont restées en territoire angolais. Les frontières du Nord furent beaucoup plus délicates à établir du fait de la situation politique mouvante de la région. Les grandes tribus zande et les sultans qui les dirigeaient avaient été successivement sous l’autorité de l’empire ottoman, puis sous celle de l’Égypte mais depuis peu de temps ils subissaient les incursions mahdistes et il fallut dégager beaucoup de diplomatie et même parfois de force pour les rallier à la cause de l’État Indépendant. Le ralliement des Zande était important car les différents clans avaient mis sur pied de petites armées bien utiles pour l’EIC dans sa lutte contre les Mahdistes lesquels faisaient des incursions nettement plus au sud dans les environs du Nil. Le Nil enfin, navigable à partir de 5° Nord étant la seule issue logique pour désenclaver la région des Uele particulièrement mal desservie par des rivières non navigables dont

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Les Marches de l’État Indépendant du Congo. A.-B. Ergo

Quand en 1885, au Congrès de Berlin, 14 pays donnent à l’Association Internationale du Congo (AIC) la gestion des territoires où elle seule est présente en Afrique centrale, cette zone est très mal définie. On parle bien dans les textes du bassin du fleuve Congo, mais l’entièreté et les détails de ce bassin sont totalement méconnus. En 1885 seuls 29 expatriés membres de l’AIC ont déjà atteint ou dépassé le Stanley-Pool ; les autres ont été occupés essentiellement dans le Bas Congo. Grâce à Stanley, au missionnaire Grenfell, à Wissmann, Von François, Delcommune, Roger et Vangele, le fleuve Congo est parcouru jusqu’aux Stanley-Falls et quelques affluents ont été explorés sur une courte distance (Ubangi, Itimbiri, Aruwimi, Kasai, Lomami, Tshuapa, Mamboyo et lac Tumba). L’essentiel du travail au Haut Congo ayant été la création et l’occupation de quelques stations entre le Stanley-Pool et les Stanley-Falls, grâce aux cinq petites embarcations amenées sur le fleuve. Le roi a très vite compris qu’une Association, fut-elle légitimée dans la gestion des territoires gérés, ne discuterait jamais d’égal à égal avec les représentants des pays tuteurs des colonies voisines

jouxtant ces territoires. On ne peut faire des compromis d’égal à égal qu’entre pays1. La

proclamation de l’État Indépendant du Congo par de Winton à Vivi était donc inévitable et assez logique. Pour l’Afrique de l’époque, le Congo, du moins dans sa partie haute, est ce qu’on appelle un « pays perdu » ; contrée écartée physiquement des régions côtières, avec peu de ressources connues. En en faisant un État, Léopold II est conscient qu’il faut lui donner une administration, déterminer, établir et défendre ses frontières avec une armée et fonder en un peuple unique, les nombreuses tribus qui y vivent : tout cela sans le support d’un pays tuteur. L’État Indépendant du Congo n’est donc pas, au sens strict du terme, une colonie comme l’écrivent Vandervelde et Cattier, mais son gouvernement, qui est monarchique et absolu, le dirige au moyen de lois ou de règles fixes, écrites et établies. Ce n’est pas, de toute évidence, une gouvernance despotique et ce n’est pas davantage un royaume constitutionnel. La Belgique est, pour l’EIC un état étranger au même titre que les 13 autres pays signataires de l’acte de Berlin. Les frontières étaient relativement faciles à établir lorsqu’il existait des obstacles naturels. Ainsi, à l’ouest des territoires, le fleuve Congo et l’Ubangi ont formé des limites naturelles évidentes, même si une partie importante du bassin du fleuve Congo devenait territoires français (Bassin de la Sanga et tous les affluents de la rive droite de l’Ubangi). A l’Est du pays, l’alignement des grands lacs semblait une limite naturelle, mais la zone entre ceux-ci et le Lualaba était occupée par des Swahilis arabisés esclavagistes actifs et par d’autres, qui s’y étaient établis colons. Au Sud-Est, les frontières avec la Rhodésie avaient été fixées sur la ligne de crête séparant les

bassins du Congo et du Zambèze 2 mais une large part du bassin du Congo, à l’Est du lac Bangwelo, restait en Rhodésie. Au Sud-Ouest, les frontières avec l’Angola ont dû faire l’objet d’ajustements, mais toutes les têtes de sources des affluents du Kasai sont restées en territoire angolais. Les frontières du Nord furent beaucoup plus délicates à établir du fait de la situation politique mouvante de la région. Les grandes tribus zande et les sultans qui les dirigeaient avaient été successivement sous l’autorité de l’empire ottoman, puis sous celle de l’Égypte mais depuis peu de temps ils subissaient les incursions mahdistes et il fallut dégager beaucoup de diplomatie et même parfois de force pour les rallier à la cause de l’État Indépendant. Le ralliement des Zande était important car les différents clans avaient mis sur pied de petites armées bien utiles pour l’EIC dans sa lutte contre les Mahdistes lesquels faisaient des incursions nettement plus au sud dans les environs du Nil. Le Nil enfin, navigable à partir de 5° Nord étant la seule issue logique pour désenclaver la région des Uele particulièrement mal desservie par des rivières non navigables dont

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le cours est orienté vers l’Ouest. Le Nil ce fleuve que convoitent aussi bien l’Angleterre que la

France.3

Voilà brossés de manière très succincte les problèmes inhérents aux 6000 Km de frontières de l’EIC. J’appelle « marches » de l’État Indépendant du Congo, les districts qui contiennent ces frontières ;

le plus important de ceux-ci est le district de l’Uele qui avait été divisé en quatre zones4 et était

occupé à la fin des explorations vers 1900, par 137 expatriés répartis dans 21 postes. Les Français, au nord de l’Uele, qui montraient comme les Anglais d’ailleurs un vif intérêt pour le Bahr El Ghazal, ont dû discuter avec l’EIC, dont les explorateurs avaient déjà dépassé et établi des postes au-delà de la rivière Bomu, pour que celle-ci serve de frontière naturelle dans la région, le district de l’Uele étant limité aux zones sud de cette rivière (Postes Monga, Lebo, Bili et Asa). En réalité, c’est sur la rivière Uele que l’EIC établira toute une série de postes relatifs à la défense des frontières Nord du pays : Bondo, Angu, Bima, Bambili, Amadis, Surango, Niangara, Dungu, Faradje et Aba. La plupart de ces postes seront reliés par une route transversale qu’on appellera la Congo Nil puisqu’à l’Est, elle continuera jusqu’au Nil navigable et à l’Ouest, elle rejoindra les postes de Buta et d’Aketi d’où on peut atteindre le fleuve Congo par l’Itimbiri. Route militaire mais également importante dans le désenclavement économique du district. Le poste de Dungu (11 expatriés) aura une importance militaire capitale dans la défense du Nord Est de l’État. Après en avoir chassé les Mahdistes, l’EIC occupera militairement et administrativement l’enclave de Lado et la rive gauche du Nil (Redjaf, Lado, Kero) avec l’accord de la Grande Bretagne et pour un temps limité. Vu les moyens de transport de l’époque, quoi qu’en disent les détracteurs de l’EIC, la voie du Nil était, de très loin, la plus directe et la plus courte vers la Méditerranée et l’Europe et cette évidence justifiait la politique du roi dans la région.

Entre 2°30’ Nord et 8° Sud, sur près de 1200 kilomètres, les quelques postes5 de la frontière Est de l’EIC dépendront du district de Stanleyville. Dans la région de Rutshuru des pourparlers entre les Anglais (Uganda), les Allemands (Afrique Orientale Allemande) et les représentants de l’EIC ont été nécessaires pour fixer la frontière. Le reste de la frontière Est, au-delà du 8° Sud, dépend du district du Katanga. On y trouve deux postes sur le lac Moero (Pweto et Lukonzolwa) et deux autres sur la rivière Luapula (Kasenga et Kalonga) faisant face à la Rhodésie. Le poste de Kambove avait été choisi comme chef-lieu du district, jusqu’à ce que Wangermée décide de créer, 120 kilomètres plus au Sud dans une position militaire plus stratégique, le poste d’Elisabethville. On trouve peu de postes de l’État sur les frontières Sud-Est de l’EIC face à la Rodhésie ; Kavalo, Sakania, Shinsenda et Musofi. Il est vrai que le frontière est assez sécurisée ce qui n’est pas le cas de la frontière Sud dépendant du district du Kasai où la traite des esclaves est encore active et où les postes de Dilolo et de Katola sont très esseulés. Les 3 grands postes de ce district sont tous groupés entre 5 et 6° Sud loin des frontières,

et comptent ensemble plus de la moitié des expatriés du district.6

Dans le district du Kasai comme dans le district voisin du Kwango, la plupart des postes ont été créés par des compagnies privées ou par les missions. C’est sur la rivière Kwango qu’on peut trouver les trois seuls postes frontaliers, le chef-lieu de district, Popakabaka avec une dizaine d’expatriés, Kaboko-Lunda et le poste des chutes François-Joseph. En accord avec les colonies voisines, l’EIC a veillé à ce que ses frontières soient bornées et les postes de garnison proches de celles-ci aux frontières Nord et Est ont été construits comme des forteresses capables de résister aux assauts d’ennemis extérieurs (murs d’enceinte et tour d’angle).

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Borne frontière EIC.

Cabra près d’une borne frontière au Mayumbe

Borne frontière EIC

Place forte de Djabbir (Frontière Nord)

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Poste fortifié de Dungu (Frontière Nord)

Poste fortifié de Basoko

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Place fortifiée de Lokandu. (Frontière Est)

Poste fortifié de Ponthierville (Frontière Est)

Discussion sur la limite des frontières Est entre l’EIC, l’Angleterre (Uganda) et l’Allemagne (Est Africain Allemand).

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Poste d'Uvira. Entrée de la redoute. (Frontière Est) 1.

C’est d’ailleurs ce qu’avaient fait le Portugal et la Grande Bretagne au sujet de l’embouchure du fleuve

Congo. 2.

En réalité, une carte, présentée par le roi, avait été officiellement acceptée par un fonctionnaire anglais. 3.

Cfr. Fachoda 4.

La zone de Rubi-Uele avec Djabbir comme chef-lieu (17 expatriés), la zone de Uere-Bomu avec Uere comme

chef-lieu (8 expatriés), la zone de Makua avec Niangara comme chef-lieu (9 expatriés) et la zone de Makrakra avec Surur comme chef-lieu (7 expatriés). Sur le Nil, l’enclave de Lado avec Redjaf (21 expatriés). 5. Mahagi sur le lac Albert ; Lesse et Beni sur la Semliki ; Rutshuru sur la Rutshuru ; Goma, Bobandana et

Shangungu sur le lac Kivu ; Luvungi sur la Ruzizi ; Uvira, Baraka, Albertville, Baudouinville et Moliro sur le lac Tanganyika. 6.

Au terme des explorations, le district du Kasai compte 90 expatriés et les postes de Luluabourg (19),

Lusambo (19) et Luebo (16) où sont concentrées les défenses du Sud, en comptent plus de la moitié.