L’État Indépendant du Congo. Trop obnubilés par leurs archives,...

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L’État Indépendant du Congo. Trop obnubilés par leurs archives, les évidences que les historiens éludent ! La question du caoutchouc. Le travail journalier minimal demandé à un récolteur de caoutchouc de liane était fixé à 750cc de latex de liane, du latex d’herbes ou d’arbre à caoutchouc (Funtumia elastica) ce qui correspond à 0,375 gr de caoutchouc sec. Cette information semble banale et peu parlante pour l’essentiel des historiens et pourtant elle est capitale dans l’étude de l’importance sociale de la récolte du caoutchouc durant la période de l’Etat Indépendant du Congo. Précisons d’abord que l’intérêt soudain pour le caoutchouc est un événement aléatoire comme il s’en présente parfois en économie où la demande importante et soudaine impose les choix. Pour l’économie de l’EIC étouffée par les emprunts multiples, c’est tout simplement une bouée de sauvetage, une survie en quelque sorte, qu’elle ne peut pas négliger. En choisissant de produire du caoutchouc et de proposer celui-ci au marché mondial, l’EIC se crée en même temps des concurrents surtout dans les pays qui ont le monopole de cette production et qui contrôlent son économie. Le monde politique belge est peu intéressé par ce qu’il appelle une « lubie coûteuse » du roi et les problèmes financiers du jeune état semblent lui donner raison ; d’autre part, la Belgique politique et sociale est en mutation profonde et occupée à passer du bipartisme à un régime à plusieurs partis auxquels il faut trouver des raisons d’être. Le jeune état africain devra donc se débrouiller seul. Les récoltes du caoutchouc et de l’ivoire vont devenir les activités économiques essentielles de l’EIC. Pour étudier la récolte du caoutchouc, on connaît la tâche journalière minimale rappelée ci-dessus, la production annuelle de caoutchouc (2) et le prix de vente moyen de celui-ci à Anvers (8). Données disponibles dans la littérature qui permettent d’établir le tableau suivant. 1 2 3 4 5 6 7 8 Année Caoutchouc récolté Saigneurs en % de Porteurs Porteurs Nombre Prix en Kg nombre 2.10 6 caoutchouc ivoire total de d’1Kg actifs nombre nombre porteurs de ctc ----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- -- 1887 30050 273 0.0137 250 379 629 3.89 1888 74294 660 0.0330 619 457 1076 3.50 1889 131113 1165 0.0583 1093 946 2039 3.50 1890 123666 1099 0.0550 1030 1525 2555 4.50 1891 81680 726 0.0363 719 1151 1870 4.00 1892 156359 1395 0.0698 1303 1554 2857 4.00 1893 241153 2144 0.1072 2010 1549 3559 4.00 1894 338194 3006 0.1503 2785 2161 4946 4.36 1895 576517 5125 0.2563 4804 2435 7239 5.00 1896 1317346 11718 0.5059 10073 1594 11667 5.00 1897 1662380 14776 0.7388 12853 2047 14900 5.00 1898 3725596 33116 1.6563 transport par 7.50 1899 3746789 33304 1.6652 chemin de fer 7.50 1900 5316534 47258 2.3629 7.50 1901 6022733 53535 2.6768 7.20 1902 5396775 47971 2.3986 8.16 1903 5917983 52604 2.6302 8.00 1904 4830939 42941 2.1471 9.00 1905 4861767 43215 2.1608 9.13 1906 4246595 37747 1.8884 10.21 1907 4656723 41393 2.0697 9.44 1908 4559926 40533 2.0267 6.75 515704 53340

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L’État Indépendant du Congo.

Trop obnubilés par leurs archives, les évidences que les historiens éludent !

La question du caoutchouc. Le travail journalier minimal demandé à un récolteur de caoutchouc de liane était fixé à 750cc de latex de liane, du latex d’herbes ou d’arbre à caoutchouc (Funtumia elastica) ce qui correspond à 0,375 gr de caoutchouc sec. Cette information semble banale et peu parlante pour l’essentiel des historiens et pourtant elle est capitale dans l’étude de l’importance sociale de la récolte du caoutchouc durant la période de l’Etat Indépendant du Congo. Précisons d’abord que l’intérêt soudain pour le caoutchouc est un événement aléatoire comme il s’en présente parfois en économie où la demande importante et soudaine impose les choix. Pour l’économie de l’EIC étouffée par les emprunts multiples, c’est tout simplement une bouée de sauvetage, une survie en quelque sorte, qu’elle ne peut pas négliger. En choisissant de produire du caoutchouc et de proposer celui-ci au marché mondial, l’EIC se crée en même temps des concurrents surtout dans les pays qui ont le monopole de cette production et qui contrôlent son économie. Le monde politique belge est peu intéressé par ce qu’il appelle une « lubie coûteuse » du roi et les problèmes financiers du jeune état semblent lui donner raison ; d’autre part, la Belgique politique et sociale est en mutation profonde et occupée à passer du bipartisme à un régime à plusieurs partis auxquels il faut trouver des raisons d’être. Le jeune état africain devra donc se débrouiller seul. Les récoltes du caoutchouc et de l’ivoire vont devenir les activités économiques essentielles de l’EIC. Pour étudier la récolte du caoutchouc, on connaît la tâche journalière minimale rappelée ci-dessus, la production annuelle de

caoutchouc (2) et le prix de vente moyen de celui-ci à Anvers (8). Données disponibles dans la littérature qui permettent d’établir le tableau suivant.

1 2 3 4 5 6 7 8 Année Caoutchouc récolté Saigneurs en % de Porteurs Porteurs Nombre Prix

en Kg nombre 2.106 caoutchouc ivoire total de d’1Kg

actifs nombre nombre porteurs de ctc ------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 1887 30050 273 0.0137 250 379 629 3.89 1888 74294 660 0.0330 619 457 1076 3.50 1889 131113 1165 0.0583 1093 946 2039 3.50 1890 123666 1099 0.0550 1030 1525 2555 4.50 1891 81680 726 0.0363 719 1151 1870 4.00 1892 156359 1395 0.0698 1303 1554 2857 4.00 1893 241153 2144 0.1072 2010 1549 3559 4.00 1894 338194 3006 0.1503 2785 2161 4946 4.36 1895 576517 5125 0.2563 4804 2435 7239 5.00 1896 1317346 11718 0.5059 10073 1594 11667 5.00 1897 1662380 14776 0.7388 12853 2047 14900 5.00 1898 3725596 33116 1.6563 transport par 7.50 1899 3746789 33304 1.6652 chemin de fer 7.50 1900 5316534 47258 2.3629 7.50 1901 6022733 53535 2.6768 7.20 1902 5396775 47971 2.3986 8.16 1903 5917983 52604 2.6302 8.00 1904 4830939 42941 2.1471 9.00 1905 4861767 43215 2.1608 9.13 1906 4246595 37747 1.8884 10.21 1907 4656723 41393 2.0697 9.44 1908 4559926 40533 2.0267 6.75

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Dans le tableau précédent :

- Le nombre de saigneurs (3) nécessaires à la récolte annuelle est calculé de la manière suivante : (2)/(0.375x300) ; 300 correspond au nombre de jours de travail par an.

- Le pourcentage annuel nécessaire des hommes actifs pour réaliser la saignée (4) est le résultat du calcul :

(3) /2.106 le diviseur étant estimé comme le cinquième d’une population totale de 10.000.000 de personnes

dont l’espérance de vie est de 40 ans. - Dans la littérature, la charge d’un porteur est de 30 Kg. On peut supposer qu’un porteur puisse parcourir 20

Km par jour et qu’un voyage aller-retour Léopoldville-Matadi par trimestre (800 km) lui laisse de longues périodes nécessaires de repos. On a donc choisi 4 voyages par an par porteur durant toute la période étudiée aussi bien pour le caoutchouc (5) dont le calcul est (2)/4x30, que pour l’ivoire (6).

Les certitudes qui se dégagent du tableau : - Le prix du kilo de caoutchouc de 3,50 Fr paie tous les frais de récolte (saigneurs, surveillance et

amortissement des éventuelles infrastructures) et de transport (bateau et portage) et laisse un bénéfice, sinon on ne récolterait plus. Ces différents frais (prix de revient) varient peu sur toute la période (sauf peut-être la surveillance (primes) et le remplacement du portage par le chemin de fer). L’augmentation du prix de vente du kilo de caoutchouc affecte uniquement les bénéfices et est la résultante d’une demande nettement supérieure à l’offre.

- Le nombre de saigneurs nécessaires à la récolte n’atteint jamais 3% du total des hommes actifs de la population.

- Le portage humain du caoutchouc et de l’ivoire atteignait, dès 1895-96, la limite des porteurs disponibles. - La production totale de caoutchouc de l’EIC entre 1887 et 1908 (60.000 tonnes soit l’équivalent d’un an de

production mondiale pour une valeur à la vente de 459.208.319 Fr.) a nécessité l’utilisation maximale de 515704 saigneurs et de 37629 porteurs.

- Faisons l’hypothèse absurde (on pratique cette méthode parfois en mathématiques) que les saigneurs et les porteurs sont tous tués à l’issue de leur année de travail cela fait, pour les 23 ans d’existence de l’EIC 553333 morts. On est très éloigné des millions de décès attribués à ce travail par certains auteurs (et je souligne : avec l’hypothèse absurde d’une élimination totale.).

- Remarque : Daniel Vangroenweghe a publié jadis une note intéressante, relative aux productions annuelles (ivoire et caoutchouc) et aux bénéfices annuels de la compagnie l’Anversoise, note dont les informations étaient suffisantes pour calculer les prix de revient de ces deux productions, année par année, et de les comparer pour leurs différences entre le portage humain et le transport par chemin de fer. Pour chaque année, des équations à deux inconnues du type suivant ont été établies, devant permettre, par comparaison deux par deux, de préciser l’évolution des Prix de Revient (PR) entre les périodes portage et chemin de fer :

- (Q ctc x PR ctc) + (Q iv x PR iv) + bénéfices = (Q ctc x PV ctc) + (Q iv x PV iv) dans lesquelles Q = quantité, ctc = caoutchouc, iv = ivoire, PR = Prix de revient et PV = Prix de vente ; PR ctc = inconnue X et PR iv = inconnue Y.

- Certains résultats farfelus obtenus (PR négatif ou PR>PV) jettent un très sérieux doute sur les bénéfices mentionnés.

- D’autre part, d’autres compagnies, notamment l’ABIR ont également des intérêts dans des compagnies indonésiennes.

De la pénibilité du travail : - Les travailleurs concernés sont des gens de la forêt habitués à y faire de longs treks de chasse en groupe

pour tuer du gibier et boucaner la viande. Un séjour de quelques jours en forêt ne les rebute pas. Le travail de saigneur consiste à faire des entailles dans des lianes au moment de la montée de la sève et d’attendre que des demi-calebasses placées judicieusement, se remplissent de latex. Ce n’est pas un travail de précision comme la saignée à la gouge des hévéas. Quand la saignée s’arrête ils ajoutent un coagulant naturel dans la calebasse, puis retirent le latex coagulé, en extraient l’eau et laissent sécher. La plus grande difficulté semble être de trouver les lianes et de s’obliger à ne pas les couper. Sur une journée, ce travail laisse assez de temps libre en forêt.

- Et pourtant, certains chefs de villages s’insurgent contre ce travail. Personnellement, je pense qu’il y a une conjonction entre différents facteurs. Normalement, on ne devrait pas exiger du village plus de 3% de ses hommes valides pour ce travail, mais si le nombre de ces hommes diminue pour une raison quelconque, par exemple une endémie, ou un nombre important de décès accidentels, la ponction de personnel peut créer des problèmes sociaux importants. Or, entre 1895 et 1905, la trypanosomiase ou la variole déciment, dans certaines régions, les habitants des villages dans des proportions effrayantes telles, que les quotas de saigneurs exigés sont difficiles ou impossibles à satisfaire sans gêner d’autres activités indispensables dans

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le village, (itinérance ou reconstruction). Et ne pas tenir compte de cette situation est une faute grave, dans le chef des responsables des compagnies ou des autorités.

Des exactions (supposées ?) de la Force publique. Durant l’État Indépendant du Congo, il y a deux périodes dans l’existence de la Force publique ; une première période durant laquelle elle est sous les ordres d’un commandant et la seconde période où elle est sous les ordres d’un colonel ; chaque type de commandement est justifié par l’importance de l’effectif de la troupe à gérer. Au début, la Force publique est composée uniquement de Zanzibarites et de Haoussas, puis de volontaires africains des colonies britanniques (Nigeria, Sierre Leone) ou d’un pays libre (Libéria) et enfin de Congolais encadrés par des sous-officiers et officiers européens. Leurs missions sont des missions de gendarmerie (protection des expéditions, auxiliaires de justice, gardes-frontières). L’armement est simple, il se compose d’un fusil Albini 1867 à un seul coup, de sa baïonnette et d’une munition d’un peu plus de 11 mm de diamètre avec une balle en plomb. Le type de culasse du fusil conditionne le temps requis entre deux coups de feu de la même arme, temps qui est approximativement de 7 secondes. La baïonnette n’a pas de côté tranchant et ne peut pas être utilisée comme coutelas. En mission de contrôle, chaque soldat possède 5 balles dont il doit rendre compte à la fin de la mission s’il n’est pas commandé par un officier ou un sous-officier expatrié. Ces derniers, au terme d’une mission doivent toujours rédiger un rapport écrit circonstancié. Lors d’opérations de guerre (Esclavagistes, Mahdistes, révoltés) l’approvisionnement en munitions de chaque soldat est estimé à 200 cartouches par fusil. À l’occasion de ces opérations de guerre, des petits canons de montagne Nordenfeld démontables ont été attribués à certains pelotons. Vers 1894, des Bangalas ont été engagés dans la Force publique où les milices de Gongo Lutete avaient déjà été incorporées et instruites à l’art militaire. Il faut préciser que la Force publique qui n’a pas de services d’intendance, dépend des villageois pour son approvisionnement. Les Forces de police du Katanga recevront un armement plus récent et plus performant Lorsqu’on commente les actions de la Force publique, il est essentiel de préciser les circonstances qui justifient ces actions ainsi que le milieu dans lequel elles se situent en précisant la nature et le nombre des forces en présence. Belligérants Particularités ------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Villageois armes : fusils à pierre, lances, arcs et flèches. Les fusils à pierres sont hostiles Inutilisables par temps de pluie ; les arcs et les flèches, pas bruyants et très efficaces en forêt, éventuellement avec des poisons de chasse. Les sultans du Nord ont des petites armées de plusieurs centaines de fusils. Esclavagistes peuvent aligner de très nombreux guerriers (plusieurs milliers)

armés de fusils arabes et d’armes blanches, capables de construire des fortifications (Boma). Conflit entre 1890 et 1895.

Révoltés du camp de Luluabourg et de la colonne Dhanis : ils ont reçu une formation militaire et connaissent tous les ordres donnés par clairon ; ils possèdent

tout l’armement du camp et de la colonne (armes, munitions et vivres), ont des complicités dans la population ; fournissent des esclaves aux Angolais pour obtenir des armes plus performantes et des munitions. Risque : pourraient se joindre aux esclavagistes Arabo-Swahilis. Conflit de 1895 à 1908. Ils savent quel’élimination rapide de l’expatrié qui donne les ordres, crée un grand désarroi dans les troupes.

Mahdistes possèdent tout l’armement pris à l’armée égyptienne, y compris les réserves de munitions et l’artillerie. Ils ont une cavalerie. Conflit durant l‘occupation de l’enclave de Lado jusqu’à leur défaite par Kitchener.

L’action de la Force publique va être conditionnée par le type d’adversaires, parfois même ceux-ci sont conduits par des militaires expatriés d’autres pays, notamment sur l’Ubangi (Français) pour des contestations de frontières ou pour intimidation. Les rapports de mission ou les comptes-rendus de combat sont des documents historiquement plus rigoureux que les carnets de notes ou les mémoires rédigés longtemps après les faits. Il en est de même des lettres à la famille, qu’on soit tenté de rassurer celle-ci ou qu’on magnifie les actions militaires auxquelles on a participé. La justice militaire est mise en place et définie depuis le décret du 22/12/1888. À partir de 1893, chaque gradé expatrié possède un carnet de poche relatif aux décrets en application à cette date. Des Conseils de guerre sont

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établis à différents endroits et peuvent même juger au civil dans les endroits où la justice civile n’est pas représentée. (Généralement les zones de combats récents) On confond souvent les membres de la Force publique, qui relèvent des Conseils de guerre, et les sentinelles (gardes armés engagés directement par les compagnies, normalement pour la protection des stocks), qui doivent répondre uniquement de leurs actes devant la justice civile. Il y a eu des condamnations à mort de gradés belges par des conseils de guerre. Le fait que de nombreux militaires occupent des fonctions administratives (chef de district, chef de poste, …) crée une confusion par rapport à leur responsabilité et au lieu où celle-ci doit être estimée et contrôlée. Les militaires de carrière de retour en Belgique y retrouvent leur affectation d’origine et leur grade de départ. De nombreux sous-officiers devenus officiers, souvent au feu, à la Force publique, quittent l’armée belge, où le statut d’officier de la Force publique ne leur est pas reconnu, pour occuper des fonctions de cadres, mieux rétribuées, dans les entreprises, installées au Congo où ils ont gardé des contacts et des amitiés. On trouve dans la littérature des accusations au sujet d’amputations attribuées à des éléments de la Force publique ; personne n’a jamais fait remarquer qu’il n’existe pas, dans l’équipement du soldat, un seul objet permettant de tels méfaits ; d’autre part le procès intenté à Fiévez à ce sujet a donné lieu à un acquittement devant la justice civile. Les amputations qui sont néanmoins évidentes ont aussi, manifestement, d’autres causes non mentionnées ; la vie en zone forestière est pleine d’embuches, les rivalités tribales et les accidents y sont fréquents, et la coutume relative au décès (l’apport d’un membre du défunt) est parfois mal comprise ou ignorée dans ces contrées où le cannibalisme et les sacrifices rituels étaient encore une pratique courante et non éradiquée.

La transmission des directives. Les directives en provenance de Bruxelles ne peuvent pas arriver à Boma en moins de 21 jours. De Boma à Léopoldville il faut compter un peu plus de deux semaines et de Léopoldville à Stanleyville, par bateau trois autres semaines. Au-delà de Stanleyville, dans l’hémisphère Nord, par coursier, il faut encore compter un jour par 25 kilomètres, ce qui place les personnes de l’enclave de Lado ou de la route Congo-Nil, à trois mois d’un message de Bruxelles. Ce qui est d’ailleurs le temps, mis à l’annonce du décès du lieutenant Sarolea, pour atteindre sa famille à Hasselt. Il en est de même de l’Est du Congo. L’administration est souvent très loin des 305 postes de l’état et des 198 postes des compagnies et des missions. Cette situation, où l’espace et le temps ne sont pas maîtrisés, va avoir pour conséquence l’obligation d’en faire un problème prioritaire notamment par la création de chemins de fer et de lignes télégraphiques, par l’établissement obligatoire de stockage de munitions, de vivres et de combustible pour les bateaux, par la construction de relais et des gîtes, un investissement capital important. Malgré ces efforts qui réduiront le temps de moitié, l’expansion de l’administration, de la justice et de la médecine restera sommaire au-delà de Léopoldville, dans le Haut Congo où séjournera une minorité des expatriés. Administration et Justice (après 1900) 1 2 3 4 5 6 7 8 ---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Banana - - - - x x x x 1/ Etat-Major Boma x x x x x x x x 2/ Conseil de guerre Matadi - x x - x x x x 3/ Tribunal territorial Tumba - x - - x x x x 4/ Tribunal d’appel Léopoldville - x x - x x x x 5/ Poste Kinshasa - - - - x x - - 6/ Bureau fiscal Kwamouth - - - - - x - - 7/ Etat civil Bolobo - - - - - - x - 8/ Bureau du cadastre Lukolela - - - - - x - - Irebu - - - - - x x - Le tribunal de Boma n’est Coquilhatville - x x - x x x x pas un tribunal territorial Basankusu - - - - x - - - mais un tribunal de première Nouvelle Anvers - x - - x - x x instance. Bumba - - - - x - - - Basoko - x x - x - x x Stanley Pool - x x - x - x x Albertville - x x - x x x x Kabambare - x - - - - - x

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Nyangwe - x- - - x - - x Ponthierville - x - - - - - x Avakubi - x - - - - - x Luluabourg x Popokabaka x

Les cercles représentent la surface susceptible d’être couverte par 8 jours (200 Km) de marche autour de chaque tribunal territorial. On peut s’apercevoir que les zones du Bas Congo et du Kwango où se trouve une majorité des expatriés, sont relativement bien couvertes, mais une grande majorité de la surface du pays échappe manifestement à la justice. La carte suivante des postes de l’État Indépendant du Congo qui reprend les mêmes cercles est encore plus parlante.

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Carte des postes créés par l’État Indépendant du Congo en 1908.

Chaque degré carré correspond à une superficie de 12321 Km2. (2/5 de la superficie de la Belgique).

27,3% de la surface totale du pays, soit 630503 Km2 (52 degrés carrés) ne possèdent aucun poste de l’État.

43,5% soit 993389 Km2 ne comptent qu’un poste par degré carré.

14,3% soit 324326 Km2 comptent deux postes par degré carré.

7,9% soit 179176 Km2 comptent trois postes par degré carré.

3% soit 68040 Km2 comptent quatre postes par degré carré.

3% comptent 5 postes par degré carré et 1% soit 24642 Km2 compte plus de 5 postes par degré carré. Remarquons également qu’un de ces postes du Nord est dirigé par un Congolais (Badjoko) ce qui souligne l’absence de discrimination raciale. Ce dernier a, par ailleurs, été reçu au Palais et ses enfants ont été scolarisés en Belgique à Tirlemont. La division administrative de l’État est assez sommaire : une capitale Boma, le pays divisé en districts, les gros districts divisés en zones, puis les postes, et finalement les chefferies indigènes responsables des tribunaux coutumiers et des villages. On peut remarquer que la densité des postes de l’État est nettement plus importante au Nord de l’équateur ; c’est assez logique car il n’existe dans la région, sur la rive droite du fleuve, que trois rivières navigables (l’Itimbiri, la Mongala et l’Ubangi) et que la progression vers le nord doit se faire, pédestrement, par courtes étapes, de poste à poste. Les tribunaux territoriaux du Sud couvrent nettement moins de postes de l’état que ceux du Nord. Aux 305 postes de l’État, il convient d’ajouter 198 autres postes créés par les établissements commerciaux et par les missions catholiques et protestantes ; ces dernières étant absentes ou très peu nombreuses dans les régions au Nord du fleuve Congo et à l’Est du Lualaba. En 23 ans d’existence, l’état a réduit considérablement l’espace et le temps, mais ceux-ci restent encore considérables dans ce pays de la taille d’un continent.

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Le Congo de Léopold II, une colonie ou un état ?

Lorsque Léopold II organise à Bruxelles en 1876 une Conférence géographique à laquelle il invite des personnalités de différents pays voisins, le souverain belge n’a pas de doctrine coloniale complète et systématique, ni même de projet ferme lorsqu’il fonde l’AIA. (Association Internationale Africaine) ; il intéresse des individus et pas des états. Il n’en a pas davantage lorsqu’il engage Stanley en 1879 dans le CEHC (Comité d’étude du Haut Congo). Etablir quelques postes et mettre des baleinières sur le fleuve, avec l’aide de quelques personnes de nationalités différentes, sans soutien militaire, ni politique, ni financier et sans certitude de développements futurs, cela ne s’apparente pas davantage à une doctrine coloniale complète et systématique. D’autre part, en 1880, il n’existe aucun signe laissant supposer que cinq années plus tard se tiendrait à Berlin, une conférence importante, réunissant des états, laquelle prendra en compte la présence de l’AIC (Association internationale du Congo) nouvelle appellation du Comité d’étude du Haut Congo en Afrique centrale, en lui trouvant une utilité, confortée par le droit international. On trouve dans la littérature tout et son contraire en ce qui concerne la Conférence de Berlin et notamment l’affirmation fausse qu’on y a décidé du partage de l’Afrique. J’invite ceux qui propagent cette croyance à lire tout simplement le rapport final de la conférence signé par les 14 pays participants et de rectifier leurs propos. En réalité, les pays qui possèdent une flotte sont déjà sur les côtes africaines depuis longtemps et y ont des contacts commerciaux avec les populations côtières. C’est d’ailleurs l’extension de ces contacts commerciaux dans les bassins des deux grands fleuves (Niger et Congo) qui préoccupent les signataires du rapport. Ils y ajoutent, pour faire bonne figure, la suppression de l’esclavage et de la traite vers l’Océan Indien (rappel du Congrès de Vienne), la liberté et la protection des cultes et surtout la liberté du commerce. Le bassin du Congo, dont les limités sont méconnues à l’époque doit être administré, et on se tourne à ce sujet vers l’AIC qui est la seule structure administrative sur place avec environ 200 expatriés. Mais cela crée un problème de droit international : une simple association peut-elle administrer un territoire ? C’est un éminent juriste anglais qui fera remarquer que c’est le cas, déjà accepté par tous, pour la gestion administrative de l’Ile de Malte. Il n’y a donc pas d’impossibilité ni d’objection à ce que l’AIC administre ce territoire d’Afrique centrale d’autant plus que les États-Unis et d’autres pays lui ont déjà accordé cette confiance. Est-il besoin de souligner que cette solution arrangeait particulièrement la Grande Bretagne ; le président et le bailleur de fonds de l’AIC est le roi des Belges (petit pays neutre) représenté sur place par un résident britannique (Sir Francis de Winton) ; d’autre part les expatriés sur place sont des ressortissants de nombreuses nations européennes, et ce choix neutralise les autres grandes nations, même si l’AIC avait déjà choisi la France comme successeur en cas d’obligation de renoncement. Encore fallait-il que l’AIC accepte les décisions de la Conférence de Berlin. Ce qui fut acté à la clôture des travaux en février 1885. En avril, les chambres belges votent l’autorisation demandée par le roi de devenir le chef de l’état fondé par l’AIC en Afrique. C’est le premier juillet 1885, à Banana, que Sir Francis de Winton proclame la naissance de l’État Indépendant du Congo (EIC) et c’est un mois plus tard, que le roi notifie aux Puissances son accession à la souveraineté du nouvel état, la neutralité de celui-ci, ses frontières, son drapeau, ainsi que les droits des ressortissants de ces Puissances présents dans le nouvel état. En septembre l’EIC adhère à la Convention postale universelle de Paris et organise les premiers bureaux de poste. Moins d’une année après la création de l’état, un premier décret crée le gouvernement central de l’EIC à Bruxelles ; un second décret précise l’organisation judiciaire et un troisième met en vigueur la justice répressive. L’EIC va discuter, d’égal à égal, avec les pays tuteurs des colonies voisines pour déterminer le tracé des 10.730 km de frontières. Ces discussions dureront neuf années et se termineront en mai 1894 par un dernier traité. L’État Indépendant du Congo. qui n’est pas une colonie est le troisième pays indépendant le plus ancien d’Afrique après l’Éthiopie (800 avant JC) et le Libéria (1847). Une chose est évidente, en agissant seul, sans soutien financier et militaire d’un pays quelconque et de son gouvernement, Léopold II n’aurait pu conquérir le territoire du bassin du Congo par les armes et y imposer sa volonté à celle des habitants. Il choisit de na pas fonder l’occupation sur la conquête, mais sur la coexistence la plus pacifique possible avec les autochtones qui n’occupent d’ailleurs dans la cuvette centrale qu’une faible partie du territoire, avec le souci permanent de ne pas mettre en question les droits des indigènes. Ceci peut être constaté, dès l’origine de l’État, dans la législation mise en place, publiée et distribuée aux expatriés. Aisément consultable aujourd’hui. C’est la règle qui prévaudra tout au long de la durée de l’EIC et lorsque les autochtones subissent des torts ce sont toujours des abus relatifs à la législation existante. On a souligné précédemment, les difficultés de la justice répressive. Cette manière d’agir était très éloignée des concepts prévalant au début de la conquête du Nouveau monde ; elle fut d’ailleurs conservée après 1908 et a constitué une grande partie de la critique du système belge de « colonisation » qui n’avait strictement rien de commun avec ceux des autres pays, mis en place au XVIIIe siècle.

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L’EIC est un pays libre, avec ses frontières actuelles depuis 1894, avec son propre drapeau, avec un passeport, avec une nationalité qu’on peut acquérir (Cfr. Le capitaine Joubert), un pays libre dont la continuité est aujourd’hui la RDC, née libre depuis 135 ans. Il y a eu, dans la création du Congo, tellement de situations imprévisibles, aléatoires, qu’il est illusoire de croire qu’elles furent provoquées par le roi ou par son entourage. Ce qui est plus probable, c’est que le roi, bien informé et bien soutenu, en a fait une analyse pertinente et qu’il les a utilisées au mieux pour la réalisation de son projet. Réunir sous une autorité centralisée des dizaines de peuples différents, c’était la meilleure façon de réduire rapidement les tares qui minaient l’Afrique centrale ; l’anthropophagie, l’esclavage et la traite, conséquences des rivalités tribales.

Les postes créés par les compagnies et par les missions. Parmi les 503 postes existant au terme de l’EIC, 198 ont été créés par les compagnies ou par les missions sur 54 degrés carrés du territoire, soit sur un peu plus d’un quart de la surface totale du pays. Les territoires de l’Est et ceux situés au Nord (en fait les plus éloignés) sont peu concernés sauf sur quelques points de la frontière Est occupés par les Pères Blancs. La carte suivante parle d’elle-même. La concentration des missions est très importante au Bas Congo, où elles couvrent tout le territoire ; elles sont également présentes sur le fleuve et la Lopori, du lac Tumba à Lisala, mais n’existent que sur les lisières des concessions de l’ABIR et de l’Anversoise qu’elles visitent cependant par bateau. Elles sont également implantées au Kasai avec deux missionnaires de légende, le Presbytérien noir américain Sheppard pour les protestants et le révérend scheutiste Cambier pour les catholiques. Les critiques formulées par les missionnaires protestants viendront essentiellement du Haut fleuve (mission anglaise Balolo) et du Kasai (Révérend Morisson). La carte souligne que l’extrapolation de ces critiques locales à l’entièreté du territoire est un non-sens et un carcan politique posé sur l’Histoire.

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Carte des postes créés dans l’EIC par les missions et par les compagnies.

Toutes les informations cartographiques sont tirées du livre assez rare : Le Musée du Congo belge à Tervueren. Notice sur le Congo belge. Livre de 77 pages avec 4 cartes (au 1/4000000), publié à Bruxelles par l’imprimerie A. Lesigne en 1910. Une carte économique (reprenant les zones limites des principales cultures et les différents postes de collecte du caoutchouc, ainsi que les zones à copal), une carte politique ( précisant tous les postes du pays, les chemins de fer, les lignes télégraphiques et les limites des districts), une carte physique (avec une topographie sommaire, la répartition des zones forestières et les noms de toutes les rivières) et une carte des itinéraires fondamentaux et des grandes explorations 1816-1900 ( l’origine, la date et le tracé des expéditions ainsi que les noms des explorateurs). Le livre se termine par le texte suivant extrait d’un discours prononcé par le roi Albert 1er le 23 décembre 1909. La Nation, de son plein consentement, désireuse de mener à bien l’œuvre du Roi, vient d’assurer la souveraineté du territoire du Congo. Avec la conscience de ses devoirs, avec fermeté aussi, elle a tracé la politique coloniale qu’elle entend suivre. C’est une politique d’humanité et de progrès. Pour un peuple épris de justice, une mission colonisatrice ne peut être qu’une mission de haute civilisation ; en l’acceptant loyalement, un petit pays se montre grand. Et quand la Belgique prend l’engagement d’appliquer au Congo un programme digne d’elle, nul n’a le droit de douter de sa parole.

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Une politique d’Humanité et de Progrès. Nul n’a le droit de douter de sa parole !