Les grandes marques investissent l’espace communautaire libération

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ÉCONOMIE

Les grandes marques investissent l’espacecommunautaire9 juin 2013 à 22:42

Covoiturage à Tremblay-en-France (Vincent Nguyen. Riva)

ENQUÊTE Les pratiques solidaires, comme l’autopartage ou la location entre particuliers, n’échappent plus aux

acteurs traditionnels, attirés par leur succès grandissant.

Par LUCILE MORIN

«La propriété, c’est has been», raconte Fabrice. Moi, je loue ma voiture à des gens que je ne connaissais pas la

veille et je fais du covoiturage. Un jour, j’ai fait Paris-Lyon avec un Palestinien et une Israélienne. Depuis, ils se

sont mariés !»

Raviver le lien social est l’une des motivations des adeptes de la consommation collaborative, qui mettent en

commun un bien ou un service sur Internet, induisant ainsi une relation de confiance avec les autres membres. En

témoigne le succès grandissant de pratiques comme l’autopartage, l’accueil chez soi ou la location entre

particuliers. «La France est pionnière dans le domaine du collaboratif grâce à la conjonction de plusieurs facteurs

: la maturité des réseaux sociaux, le potentiel des innovations technologiques et la crise, durement ressentie ces

derniers mois», explique Antonin Léonard, cofondateur du collectif sur la consommation collaborative Ouishare.

Croissance. Une étude réalisée en juillet 2012 par l’Observatoire société et consommation (Obsoco) a révélé que

52% des Français sont significativement engagés dans des pratiques de consommation émergente. «Le "moins

cher" ne fait plus rêver (lire notre enquête en pages II-III),constate Philippe Moati, cofondateur de l’Obsoco. Les

consommateurs cherchent désormais à optimiser leur pouvoir d’achat et à consommer vertueusement avec les

moyens ludiques qu’offrent les nouvelles technologies. Pour suivre cette demande, les industriels doivent

réenchanter l’acte de consommer et inventer de nouveaux business models.» Ce phénomène de société n’a

évidemment pas échappé aux grandes marques traditionnelles, qui entrent dans la danse de l’économie du partage,

moins par conviction que par opportunisme commercial. Objectif : garder le contrôle sur ces «consommacteurs»

qui veulent privilégier l’usage sur la possession et reprendre la main sur les circuits traditionnels de la vie

économique.

Sur le marché de la mobilité, un nombre grandissant de start-up de covoiturage et de location de voitures entre

particuliers occupe déjà le terrain, dont Blablacar, le leader français, qui dévore 95% du marché avec 3 millions de

membres européens et 500 000 passagers par mois, l’équivalent de 1 000 TGV. Des chiffres sans doute en

corrélation avec les initiatives de la SNCF, qui se positionne désormais sur le low-cost avec Ouigo. Par le biais de

ID TGV, son laboratoire expérimental, la compagnie travaille aussi sur la notion de la convivialité avec, à bord du

train, des animations, la location de journaux ou films sur tablette et la mise en relation de voyageurs sur les

réseaux sociaux. Les industriels et les géants de la location cherchent à conquérir ce nouveau marché de croissance

que représente l’usage communautaire de l’automobile en développant le serviciel.

Avec le portail Multicity, Citroën mutualise ses annonces de covoiturage et de location entre particuliers avec celles

de Blablacar et Ouicar. Sur le site Driiveme.com, les clients jouent les transporteurs chargés de rapatrier les

véhicules d’Europcar d’une ville à l’autre, pour seulement 1 euro. Le groupe Bolloré, avec Autolib’, et Renault, avec

Twizy, se lancent dans l’autopartage urbain en Ile-de-France. Et les grandes enseignes créent à leur tour des sites

de covoiturage, jouant sur la corde de la solidarité et du développement durable.

Tous les secteurs sont concernés. Intermarché connecte ainsi ses clients amateurs de shopping en mode partagé et

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encourage l’acheminement solidaire des courses vers les personnes dans l’incapacité de se déplacer. De même, les

fans de meubles en kit peuvent rouler à plusieurs, direction Ikéa. C’est aussi ce que font les bricoleurs vers les

magasins Castorama. Bien sûr, les assurances s’adaptent également aux pratiques de partage de voitures, comme

la Maif, qui propose à ses adhérents de «mutualiser leurs trajets». « La consommation collaborative va impacter

la matière assurable et générer des transferts de flux. C’est l’individu qu’il faudra assurer dans tous ses

déplacements, indépendamment des véhicules, qui auront de multiples utilisateurs», affirme Denis Breillat,

responsable de la mobilité durable à la Macif, qui accompagne par ailleurs plusieurs réseaux de location

communautaire. Et par le biais de sa fondation, l’entreprise mutualiste soutient également Cityzen Cab et Senior

Mobilité, des sites de partage de taxis ainsi qu’une plateforme de solidarité, l’Accorderie, où s’échangent des services

et des compétences entre voisins de quartiers.

Les consommateurs d’aujourd’hui veulent des lieux avec du sens, de l’échange, du partage. Alors, les distributeurs

qui cherchent à nouer des liens directs avec leurs clients surfent sur les tendances de la consommation émergente :

communauté et solidarité. Sur son site les Troc’heures, Castorama met en relation les bricoleurs du dimanche qui

échangent un coup de main contre un coup de pinceau. Suivant l’exemple du Trocathlon de Décathlon, d’autres

tentent de reprendre le contrôle sur le business du troc ; en septembre dernier, Intermarché a mis le parking de son

magasin de Péronne (Somme) à disposition de parents pour échanger vêtements et objets pour enfants et a créé

une application Facebook dédiée. Pour répondre au succès du marché de l’occasion entre particuliers sur

Leboncoin.fr et eBay, de grandes surfaces de bricolage et d’électroménager comme Leroy Merlin, M.Bricolage ou

Boulanger se mettent à louer frigos et chalumeaux. Les marques, quant à elles, retrouvent leur clientèle sans

intermédiaire sur des sites de location entre particuliers comme Zilok, où les scarificateurs de jardin Wolf et les

robes Dior changent de mains pour un week-end.

Nestlé et Danone jouent plutôt la carte du marketing participatif : sur le Net, les gourmands sont invités à

échanger des recettes de pâtisserie, ou à voter pour le parfum de la prochaine Danette. «En fait, constate Benoît

Heilbrunn, professeur de marketing à l’ESCP Europe, dans une économie dite "solidaire" on réintroduit le

marchand dans le non marchand. Le consommateur a l’illusion d’une prise de pouvoir sur les marques, mais

dans les faits, ce sont elles qui ont le dernier mot.»

Hypers. Selon Louis-David Benyayer, cofondateur du think tank Without Model, «la consommation

collaborative modifie les rapports de force entre les distributeurs, les marques, les industriels et les

consommateurs, qui cherchent à s’affranchir les uns des autres». Ainsi, Auchan expérimente depuis peu le

«crowdsourcing» avec la société de cocréation new-yorkaise Quirky ; des particuliers contributeurs imaginent des

gadgets innovants comme des prises multiples futées ou des pin’s conducteurs pour pianoter sur les smartphones

sans enlever ses gants. Ces derniers sont ensuite soumis au suffrage de la communauté des clients puis fabriqués et

commercialisés dans les hypers du groupe Mulliez.

Sur le thème de la consommation responsable, plusieurs marques associent leur image aux vertus du recyclage.

Afin de limiter l’impact environnemental de l’industrie textile et pour aider les populations défavorisées via les

ONG, Marks & Spencer, H&M et Uniqlo ont lancé des opérations invitant leurs clients à déposer en magasins des

vêtements à recycler, en échange, bien sûr, de bons d’achat à dépenser sur place. Ikéa a lancé jusqu’au 31 mai une

campagne de reprise identique, de nos bonnes vieilles étagères Billy et autres meubles d’occasion. A la Clinique

Corolle, une «infirmière» établira un «diagnostic» pour donner une deuxième vie aux poupées amochées.

Face à la médiatisation du financement participatif, des organismes de crédit mutualistes comme la Banque

postale ou le Crédit coopératif suivent attentivement la tendance, et quelques initiatives voient le jour, comme le

cofinancement de «coups de cœur» aux côtés du site de production communautaire Kisskissbankbank, le soutien

de start-up collaboratives ou l’intermédiation en faveur d’organismes de microcrédit. On le constate, la

consommation collaborative n’a pas fini de transformer nos rapports à la consommation. Antonin Léonard fait de

la prospective : «Les plateformes mettent les gens en relation. Il faudra des lieux pour accueillir les échanges entre

les utilisateurs. Ces "tiers-lieux" deviendront des centres névralgiques et la grande distribution a un rôle à jouer

pour offrir ces espaces au cœur des centres commerciaux.»

Fiscalité. Par ailleurs, certains observateurs anticipent le potentiel que représentent les atouts stratégiques des

distributeurs, notamment leurs bases de données clients qui, alliées aux réseaux de la consommation collaborative,

constitueraient une immense place de marché. Les plateformes d’Amazon et de la Fnac sont déjà représentatives

de lieux où se mêlent les ventes de professionnels et de particuliers, du neuf et de l’occasion. L’émergence des

nouveaux modes de consommation soulève cependant des questions concernant ses incidences sur l’économie

traditionnelle. Une partie des échanges échappe à la fiscalité et devient une concurrence déloyale, notamment dans

l’hôtellerie, où l’on assiste à la professionnalisation des loueurs particuliers. En 2012, le site américain Airbnb, le

leader mondial du logement chez l’habitant, a vendu 1 million de nuitées rien qu’à Paris.

«Revenir à l’économie du troc pose le problème de la création d’emplois, on ne sait pas à qui profite la valeur

ajoutée, note Benoît Heilbrunn. Il faudrait un ministère de la Consommation qui aurait pour objectif de

rééquilibrer les pouvoirs entre consommateurs, distributeurs et industriels. En son absence, ce sont les marques

qui gouvernent.»

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